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La guerre du Transvaal et L'Europe.Author(s): Tallichet, EdouardSource: Foreign and Commonwealth Office Collection, (1900)Published by: The University of Manchester, The John Rylands University LibraryStable URL: http://www.jstor.org/stable/60236188 .
Accessed: 15/06/2014 11:46
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Jici v <\. esiNi/
He~%£bi,AOE CIIIHOID
final de son voyage est d'etre portee par un affluent jus-1- qia'au fleuve sacre du Gange, d'achever sa migration dans
l'/ocean sans bornes, se confondant avec lui/et perdant sa
t ersonnalite. Semblable a cette goutte, 1'ame qui vient
< ans ce raonde s'incajne-^hisieurs fois daps le corps des lommes et des ^nimaux; ] elle glisse dans la boue du
pkche et renalt pour se purifier dans le corps d'un martyr ou a^rfmalheureux, et sa peid fmalement dans le nir¬
vana mysterieux, ou, parAn /perfectioanement progressif, elle s'affranchit et se ourifye de toutes les peines et de
toutes les souillures de la' migration terrestre. La mort
n'est pas la fin de la vie :yl'homme ne fait que depouiller son corps perissable, el si'ce corps-itrtTTtRe prison, l'aurore
d'une ntfuvVLle vie lmV^ettflui. II n'al termine qu'un acte du/dramV celui cmi renferme beauc^up plus de dou-
leur que de joi? Des l'enfance, l'homme du peuple ^hinois se penetre
de ces idees, ce qui lui permet d'envisager la souffrance
avec /beaucoup plus de sang-froid que le villagedis eurQ-
peen, car il ne voit dans la mort s^ua-'Fapproche denouement du grand drame a plusieurs actes qu'est vie}
Michel Delines
SBIBL. UNIV. XVII Jl £>vT7 ' f O-O 36
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LA GUERRE DU TRANSVAAL
ET L'EUROPE
La guerre engagee au Sud de l'Afrique souleve une quantite de problemes qui interessent directement l'Eu- rope et dont on ne parait pas s'etre beaucoup occupe jusqu'ici. Le debat a porte sur la question de savoir qui a cherche une rupture et en est responsable, et de quel cote sont le droit et la justice. En Angleterre, les deux faces ont ete representees, et nulle part les Boers n'ont trouve des defenseurs plus violents que chez leurs adver- saires eux-memes. Dans la plus grande partie de l'Eu- rope, au contraire, le sentiment public s'est prononce des le debut contre les Anglais avec une unanimite et une vehemence telles que les voix dissidentes en ont ete presque reduites au silence.
Au nombre des raisons de cette grande vague, il faut relever le fait qu'on s'est attache surtout aux negocia- tions qui ont precede immediatement la rupture et a la facheuse impression qu'elles ont causee. On y a vu une mauvaise chicane, et la volonte expresse du gouverne- ment anglais de provoquer des hostilites, et cette ma-
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 563
niere de comprendre les choses a ete confirmee par l'at-
titude chauvine d'une partie de la presse anglaise. On
pouvait y trouver, et on y a trouve en effet, le texte
de dissertations sans fin, dont la verite ne peut encore
sortir, parce que les elements d'un jugement sain font
defaut en grande partie. Pour saisir le vrai, c'est aux
causes profondes qu'il faut s'adresser, et c'est ce que nous allons essayer de faire.
I
S'il est un fait que l'histoire mette en pleine lumiere, c'est que la grande prosperite et les grandes richesses ne
sont bonnes ni pour les individus ni pour les peuples. Moralement, des succes grands et prolonges peuvent
devenir une epreuve terrible, et nous ne connaissons pas de cas ou ils n'aient ete payes cherement. L'Angleterre en fait aujourd'hui la tres dure experience. Son opulence, sa puissance n'ont pas seulement excite beaucoup d'envie
et de profondes hostilites, elles ont eu sur elle, sur ses
pensees, sa vie, ses mceurs, sa politique elle-meme, une
influence corruptrice. Ceci est dans l'ordre; il n'en peut etre autrement. Et Ton peut affirmer, sans crainte de se
tromper, que dans ses precedes a l'egard du Transvaal, il
y a eu passablement de choses a reprendre, quoique
peut-etre pas celles qu'on lui a le plus reprochees. Sur-
tout pas celle d'avoir recherche une guerre qui, a sup-
poser meme qu'elle ignorat la force des Boers, 6tait con-
traire a ses tendances, et devait presenter plus d'un
danger. L'epreuve est arrivee, infiniment plus grande qu'on
n'aurait jamais pu la supposer, et elle a cause un ebran-
lement general. On a admire, avec raison, le calme, le
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564 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
sang-froid, l'energie sans phrases avec lesquels la nation
la supporte, l'etendue de ses ressources, la puissance qui lui a permis d'envoyer en peu de temps deux cent mille hommes a 'quelques milliers de lieues de ses rives, et
plus encore la force d'ame et la discipline qu'elle a montree en face de premiers desastres successifs et inin-
terrompus. Ce qu'on n'a pas vu, et ce qui est plus
digne encore d'admiration, c'est le retour sur eux- memes qu'ont fait bon nombre d'Anglais, conscients du mal que le malheur leur a devoile, et persuades que ce malheur durera aussi longtemps qu'il n'aura pas porte ses fruits.
Les desastres eux-memes n'ont pas ete d'ailleurs sans
compensation. lis ont servi 1'Angleterre sous plusieurs rapports. Si elle avait eu sur les lieux, des le debut, des
troupes en suffisance pour resister efficacement et venir a bout rapidement des Boers, elle aurait suscite en Eu¬
rope une hostilite beaucoup plus grande encore que celle qu'elle a rencontree. C'est bien alors qu'on aurait
parle de l'ecrasement du petit peuple par la grande puissance. Or, depuis l'ouverture de la lutte, les Boers ont prouve qu'ils etaient parfaitement en mesure de la soutenir. lis s'y etaient prepares en silence de longue main; ils avaient en leur faveur l'eloignement de leur
adversaire, et le petit nombre de soldats dont il pouvait disposer; leur pays accidente, montagneux, facile a
defendre, dont ils connaissaient admirablement la topo- graphie et les ressources; enfin le fait, exprime triviale- ment par le fabuliste, « qu'un chien sur son fumier en vaut deux, » et ici ce n'est pas deux, mais quatre ou
cinq et davantage qu'il faudrait dire. La partie etait done
egale, et aujourd'hui encore, a vue humaine, personne ne
pourrait affirmer qui en sortira vainqueur.
J
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 565
Ce n'est pas tout. La crise a revele a la Grande-Bre-
tagne un danger extremement grand, qu'elle n'avait pas saisi jusqu'ici. Ses institutions militaires etaient devenues
insuffisantes sans qu'elle sans doutat. Ses possessions s'etaient considerablement etendues, et ses armees n'a-
vaient pas ete augmentees ni reformees. Les grandes
puissances europeennes disposaient chacune de millions
de soldats, alors que, confiante dans ses flottes pour etre
preserved d'une invasion, elle avait laisse" ses troupes telles qu'elles etaient autrefois, avec une instruction et
et une organisation extraordinairement depassees dans
les armees continentales, dont la guerre de 1870 a
contraint la reforme fondamentale. Si la petite armee
britannique s'^tait trouvee aux prises avec des troupes
plus nombreuses et beaucoup mieux preparees, que serait-elle devenue, peut-etre dans une occasion ou
l'existence meme du pays aurait ete en jeu? La guerre contre les Boers a donne a cette question
une reponse aussi nette que possible. Officiers et soldats
anglais ont fait preuve d'une bravoure admirable, dont
personne ne doutait d'ailleurs, mais qui s'est brisee, avec
de grandes pertes de vies, contre une armee irreguliere,
possedant deux avantages: d'excellents tireurs et des
chevaux qui lui donnaient une grande mobilite comme
infanterie montee, mais avec les desavantages fort grands d'une troupe insuffisamment disciplined et peu apte aux
mouvements offensifs. Pour lutter, ils ont du se transfor¬
mer peu a peu tout en combattant, ce qui etait possible dans ce cas, et ne 1'aurait pas ete en presence de troupes
europeennes, organisees de maniere a frapper de grands
coups au debut d'une campagne, l'experience ayant de-
montre que Tissue de celle-ci depend en grande partie de
la rapidite des mouvements et des premiers combats.
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566 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
La constatation de 1'insuffisance de son etablissement militaire et du danger qui en resulte est done pour l'An-
gleterre d'une importance vitale, et vaut probablement au dela du prix qu'elle coutera. II est certain aujourd'hui qu'une grande reTorme se prepare, qui aurait et6 peut- etre impossible en temps ordinaire, car elle exigera de
gros sacrifices. Tout le monde y pense, et les sugges¬ tions offertes au public sont nombreuses. Recourra-t-on a la conscription, comme en Europe C'est peu pro¬ bable, car le service volontaire est conforme aux moeurs
anglaises et il se prete a des augmentations presque inde- finies. Deja maintenant, avec la courte periode de l'en-
gagement, on voit chaque annee un nombre considerable d'hommes liberes passer dans la reserve, disponible en tout temps, tandis que les autres, rentres dans la vie civile comme ouvriers, domestiques, policemen, etc., rompus au service et toujours disposes a des engage¬ ments temporaires lorsqu'on leur offre des avantages suf-
fisants, constituent un fonds disponible tres important. C'est ce qui explique la facilite avec laquelle de nou- veaux corps d'armee ont ete leves selon les besoins. On
peut etendre et ameliorer cette organisation. De meme
pour la milice et le corps de cavalerie des yeomen. Le
regime actuel fournit des cadres ou des rudiments d'ou
peut sortir une armee renouvelee, ce qui est bien dans les traditions des Anglais, plus disposes a rajeunir leurs institutions qu'a les reconstituer sans souci du passe.
Remarquez que dans ce systeme 1'armee active et per- manente ne serait pas etendue demesurement. Sa puis¬ sance residerait dans des reserves bien exercees, pretes a
repondre au premier appel, mais dont les soldats et officiers demeureraient des travailleurs de la vie civile. Ce ne serait done pas une force agressive, comme quel-
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 567
-ques journaux europeens en ont exprime la crainte, mais
une precaution necessaire pour preserver le pays de ces
paniques qui lui ont valu a plusieurs reprises, dans ce
siecle, des dommages parfois immenses, et pour lui per-
mettre, le cas echeant, de peser sur les autres puissances dans l'interet de la paix.
II
Le danger d'une trop grande prosperite, que nous
avons releve a propos de l'Angleterre, se retrouve d'une
maniere plus accentuee encore et plus directe chez les
Boers. L'abondance de Tor leur a ete en piege. La vraie
cause de la guerre est la. Non pas les menees des capi-
talistes, comme on l'a dit, mais l'effet bien connu et qui
s'est manifeste partout en pareilles circonstances, d'une
abondance d'or obtenu sans peine, 1'element le plus cor-
rupteur peut-etre qui existe au monde.
Cet effet a ete d'autant plus grand ici qu'il s'est pro- duit sur un peuple pastoral, depourvu jusqu'alors d'or et
d'argent. Mais il a pris aussi de ce fait une forme parti- culiere. Au debut, les Boers ne recherchaient point la
richesse, ou tout au moins ils ne la desiraient point telle
qu'on la prise dans nos societes modernes. Leur affaire
etait d'avoir des troupeaux aussi nombreux que possible, avec des territoires immenses pour les faire paitre, et beau¬
coup de serviteurs noirs, serfs si ce n'est esclaves, pour les travaux de leurs fermes. Le Transvaal leur donna
ce qu'ils desiraient, une vie patriarcale, non sans charme
-et sans beaute, mais avec des ombres epaisses, la plus
importante tenant aux noirs indigenes, dont la situation
etait absolument contraire aux principes de ce christia-
nisme qu'ils professaient, mais apres en avoir ecarte ce
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568 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
qui fait sa puissance et sa grandeur, 1'amour ou la cha-
rite, et le principe que tous les hommes sont egaux devant Dieu, quelle que soit leur couleur.
En outre, comme ils pouvaient vivre largement en famille, et qu'ils etaient eloignes les uns des autres, ils. se souciaient moins de rapports sociaux que d'une inde-
pendance personnelle poussee jusqu'aux plus extremes limites. Ils auraient voulu rester chacun dans sa baronie, sans souci de l'etat, refractaires aux charges publiques et aux impots, qu'il leur etait d'ailleurs difficile de payer parce qu'ils ne faisaient guere de commerce et man- quaient d'argent, et ils 1'auraient fait s'ils n'avaient pas- 6te contraints de se rapprocher et de s'unir en une certaine mesure pour la defense commune de leurs ter- ritoires contre les Cafres, dont plusieurs chefs, leurs voi- sins, avaient organise de vraies armees. Cette crainte salutaire ne parvint meme pas a ecarter leurs ten¬ dances anarchiques, c'est-a-dire leur impatience de tout gouvernement,et ils se trouvaient en 1877 dansun etat de- dissolution complete, qui menagait non seulement eux- memes, mais la republique d'Orange et le Natal, lorsque- le gouvernement britannique jugea necessaire de leur en- voyer un commissaire pour chercher avec eux les moyens de les reconstituer. Ce fut Sir Theophilus Shepstone,, homme tres habile, qui, apres etre reste plusieurs mois a ecouter toutes les opinions, estima qu'il n'y avait qu'un remede pratique : faire rentrer le Transvaal dans les possessions anglaises, ce qui permettrait de reorganiser le pays et de le delivrer des dangers graves qui le menagaient. Bien que ce fut rendre au pays un service inestimable, comme beaucoup de Boers le reconnurent, plusieurs mem- bres du gouvernement, y compris M. Kruger, entrant im- mediatement dans la nouvelle administration coloniale, le
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 569.-
grand tort de Sir Th. Shepstone fut de devancer les
temps en agissant de sa propre initiative. S'il avait at-
tendu quelques mois, quelques semaines peut-etre, les
Boers le lui auraient demande, et beaucoup de choses
facheuses auraient ete evitees, notamment des mesures
natives, imprudentes, de nature a mecontenter les nou-
veaux sujets britanniques, et qui les amenerent, lorsque l'ordre eut ete retabli et les dangers d'incursions cafres
ecartes, a dire qu'ils avaient ete annexes contre leur
volonte, et a se revolter.
II n'est pas necessaire de s'arreter beaucoup a cette
phase, dont un de nos collaborateurs, M. J. Villarais1, a
deja parle. A cette epoque, l'existence de l'or au Trans¬
vaal n'etait pas encore connue. Autrement, on peut croire que Gladstone ne se serait pas montre si coulant, ou tout au moins qu'il aurait pris certaines precautions en rendant aux Boers une independance limitee par les
exigences de la politique anglaise. Les premieres decou-
vertes datent de 1885 et concernent les mines de
Moodies et Baberton, bien eclipsees depuis par celles du
Rand qui ne furent trouvees qu'en 1887. Pendant ces annees, tout l'avenir du Transvaal 6tait
entre les mains du gouvernement. Si celui-ci voulait
que le pays demeurat une republique pastorale, il pou- vait refuser Touverture de mines, ou en prendre a lui
l'exploitation. II ne fit ni l'un ni 1'autre, et comme
1'etablissement de mines exigeait un capital considerable, non seulement il n'interdit pas a l'industrie privee, aux
compagnies, de s'en occuper, mais il les y encouragea, des qu'il se fut rendu compte de la source de richesses
qu'il y trouverait. Presque des le debut, cependant, les-
compagnies minieres eurent a se plaindre des entraves on
1 Anglais et Boers au sud de VAfrique. Livraison de fevrier.
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570 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
des lacunes de 1'administration, d'un cote" parce que le
gouvernement, tres ignorant et pris au depourvu, ne
comprenait pas les necessites de tout genre de l'industrie; de l'autre parce qu'il etait partage entre le desir d'avoir
part a toute cette opulence, et la crainte et la haine de ces etrangers de toutes nations accourus pour cher- cher la richesse, et qui demandaient a etre proteges. L'hostilite l'emporta. Toutes les reclamations indivi- duelles ayant echoue, des hommes qui n'avaient aucun lien commun se reunirent pour presenter des demandes collectives qui n'eurent pas un meilleur sort. Si bien
qu'ils en vinrent a penser que le seul moyen pour eux d'obtenir justice serait d'etre representee au Volksraad. Ils ne tenaient nullement, pour la plupart, au suffrage en soi; ils n'y voyaient qu'un moyen d'obtenir des refor- mes indispensables.
On sait que c'est cette question de suffrage qui a ete le pretexte plutot que la cause de la rupture. Elle serait tombee immediatement si le gouvernement de Pretoria avait fait droit aux reclamations fondees des Uitlanders et consenti a les traiter autrement qu'il ne traitait les
Cafres, sans leur conceder aucun droit en echange des
impots enormes qu'il leur faisait payer, ni aucun des avan-
tages d'une societe civilisee. Nous sortirions de notre propos en racontant ces
luttes et en cherchant a demeler ce qu'elles ont pu avoir de fonde ou non. Nous ne nous occuperons pas davantage des accusations de venalite et de corruption qui ont ete formulees contre les membres du gouverne¬ ment transvaalien. Les amis des Boers y ont reponduen faisant des reproches analogues a des membres du gou¬ vernement anglais.
Toutes ces choses disparaissent devant le fait autre-
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 571
ment important qu'avec l'opulence s'etait developpee
chez les Boers l'impatience, deja vieille, de tout controle,
et surtout de celui que les Anglais exergaient a leur
egard. II est admis que les etats civilises ont des obliga¬
tions les uns vis-a-vis des autres, et qu'ils doivent aux
etrangers residant chez eux la protection et les avan-
tages qu'ils accordent a leurs propres citoyens, les droits
politiques exceptes. C'est ce que les Boers avaient ac¬
cept^ dans les conventions de 1881 et 1884 par les-
quelles 1'Angleterre leur avait rendu leur autonomie. Le
gouvernement de Pretoria n'a jamais voulu le recon-
naitre. II entendait etre absolument libre d'agir chez lui
a son gre, sans autre regie que sa volonte arbitraire :
c'est ce qu'il appelle son independance, et c'est pour cette independance qu'il a declare la guerre.
A ceci s'ajoutaient d'ailleurs de grandes ambitions. II
y a depuis longtemps dans l'Afrique du Sud, entre Hol-
landais et Anglais, une rivalite de race qui n'aurait pas
du exister, car au fond ils sont freres et de meme souche.
Que les Anglais aient suscite et entretenu ces sentiments
facheux par des mesures ou des precedes maladroits ou
pis que cela, on peut l'admettre. Pendant une partie de
ce siecle, ils n'ont pas gouverne" leurs colonies comme
ils le font aujourd'hui, mais ces differends se seraient
attenues et auraient disparu avec le temps s'ils n'avaient
ste surexcites par les conditions nouvelles ou se trouvait
le Transvaal. La possession des ressources, immenses
pour eux, que valaient aux Boers les mines d'or, les grisa. L'idee d'un grand empire afrikander, c'est-a-dire au fond
hollandais, que caressait deja ce president Burger qui etait a la tete du gouvernement transvaalien en 1877, lors de 1'annexion a 1'Angleterre, prit une vie nouvelle, surexcitee encore, tres probablement, par les memes
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572 BIBLIOTHEQUE UNTVERSELLE
visees que proclamait Cecil Rhodes, mais au profit des Anglais. Quelle deception si ce plan grandiose allait s'accomplir en dehors d'eux, et, selon leurs idees, contre eux! Les richesses nouvelles n'allaient-elles pas leur per- mettre de le realiser pour leur compte
D'un autre cote, le gouvernement se trouvait deborde par la situation nouvelle et incapable d'y faire face. Les Boers ne possedaient pas les administrateurs qui leur etaient necessaires. Ils s'adresserent a la Hollande, selon toute apparence par le canal de la compagnie de che- mins de fer qui avait obtenu, avec le monopole du reseau transvaalien, dont elle parait avoir use scandaleu- sement, une tres grande influence dans l'etat. Ce fut par elle que le Dr Leyds entra au service de la republique. Les Hollandais qui arriverent ainsi et qui ne tarderent
pas a occuper une situation preponderante n'etaient pas des hommes de premier ordre. Ils devaient, presque for- cement, entretenir et favoriser les grands projets des Boers, ou ils trouvaient leur avantage. A eux vinrent se joindre des aventuriers de diverses nationalites, surtout des Allemands. Et c'est alors que commenga a se pre¬ parer 1'organisation qui devait aboutir a la guerre actuelle.
Sans bruit, mysterieusement, le gouvernement se mit en rapport avec quelques puissances europeennes, tres particulierement avec le gouvernement allemand. Des
1894, c'est-a-dire deux ans avant le raid Jameson, qui eclata a la fin de 1895, d'importantes commandes d'ar- tillerie furent faites a l'usine Krupp, plus tard en France a celle du Creusot. On fit venir un immense approvision- nement de fusils Mauser, du meme modele qu'emploie l'armee allemande. On prepara egalement les ateliers du
monopole de la dynamite a confectionner sur place les
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 573
munitions necessaires a l'artillerie et a l'infanterie. Tout
cela se fit secretement, avec des soins infinis pour le dis-
simuler aux regards des Anglais, qui ne se doutaient de
rien. Le general Joubert s'est vante de l'habilete avec
laquelle tous ces preparatifs ont ete menes. On n'avait
pas neglige de faire venir ou d'engager sur place des ins-
tructeurs militaires et des officiers d'etat-major, pour la
plupart allemands.
Pendant ce temps, des negociations dilatoires se pour- suivaient avec le gouvernement anglais, desireux de
n'avoir plus a intervenir dans les affaires interieures du
Transvaal pour la protection de ses ressortissants, et qui demandait qu'on leur fit une place dans le Volksraad, afin d'etre en mesure d'y defendre leurs interets et d'ob¬
tenir les reformes qu'ils estimaient necessaires. Le presi¬ dent Kruger mena les negociations de maniere a arriver
au moment favorable. Pour l'infanterie montee, qui est
une des forces des Boers, il est necessaire que les che- vaux trouvent partout leur pature, sans qu'on soit oblige de transporter d'immenses approvisionnements de foin, et cela n'existe qu'au printemps et en ete. Au mois d'oc-
tobre, qui correspond dans l'hemisphere austral a notre mois d'avril, M. Kruger langa son ultimatum et trois
jours apres il entrait en campagne. Que le gouvernement transvaalien, et probablement
une bonne partie des Boers aient voulu la guerre; qu'ils l'aient preparee de longue main en silence, qu'ils soient arrives avec une tres grande habilete a la commencer a leur heure, dans les meilleures conditions possibles pour eux, voila ce qui ne peut laisser subsister aucun doute. La ou ils se sont trompes, c'est lorsqu'ils ont era que l'Angleterre reculerait devait une noix aussi difficile a
casser, et qu'elle cederait comme elle l'avait fait en
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574 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
1881, apres Majuba Hill. Pas completement, toutefois, car M. Balfour, le principal ministre de la reine apres lord Salisbury, son oncle, a confesse dans un grand dis- cours public que le gouvernement aurait cede s'il avait connu la force a laquelle il allait avoir affaire. En depit des excitations chauvines d'une partie de la presse, l'Angleterre n'attendait ni ne voulait la guerre; elle y a
glisse presque sans s'en douter. Elle a cru d'abord en venir a bout facilement. Une fois battue et desabusee, elle ne pouvait plus reculer, et on l'a vue, calmement
resolue, envoyer une immense armee dans l'Afrique du
sud, une autre chose que les Boers n'attendaient cer- tainement pas, car ils ignoraient, —• comme 1'Europe, du
reste, — les immenses ressources latentes de 1'empire auquel ils s'attaquaient avec les illusions d'un peuple primitif.
On ne peut se deTendre d'une immense compassion en
presence de toutes les miseres, de toutes les pertes de vies precieuses qui seront le prix d'une guerre que nous n'osons dire superflue, car un avenir, prochain peut-etre, montrera qu'elle a ete necessaire et qu'elle aura d'heu- reux resultats. Les Boers y ont gagne de nombreuses
sympathies. Ils se sont montres, dans leur generality, —
car ils ont aussi de tres mauvais elements, — non seule- ment des soldats habiles et courageux, mais des hommes
humains, traitant bien leurs prisonniers et les soldats
anglais blesses recueillis sur les champs de bataille. Rien
peut-etre ne leur a ete aussi favorable aupres de l'opi-
nion, et ne servira mieux leurs interets plus tard.
Mais, tout en leur rendant pleine justice et en leur
gardant un coin d'affection dans le coeur, on ne doit pas
ignorer qu'ils ont subi, probablement sans s'en rendre
compte, l'influence nefaste de 1'or. Quant au gouverne-
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L EUROPE 575
ment, il y a des faits, qu'il n'est pas meme necessaire
d'enumerer. L' experience constante de l'humanite prouve
que la possession de la richesse facile engendre la cupi- dite, et la cupidite la corruption et la venalite. Ce serait
un miracle sans precedent que le gouvernement trans-
vaalien y eut echappe, que la contagion du jeu effrene
d'une ville comme Johannesburg eut passe sur lui sans le
toucher. Et une des formes de cette contagion, — il y en a d'autres, — a ete la lutte qu'il a engagee contre le
capitalisme qui mettait les mines d'or en valeur.
En quoi a-t-elle consiste? Un gouvernement soucieux
du bien-etre de son pays protege en general les indus¬
tries qui s'y trouvent. Souvent il les protege trop, mais
il considere en tout cas leur prosperite comme la sienne, et se garde de ce qui pourrait leur etre contraire. Vis-a¬
vis des mines d'or, l'administration transvaalienne en a
agi tout autrement. Elle leur a mis des entraves nom-
breuses, comme si elle voulait degouter les compagnies de leur exploitation. De la des griefs sans nombre et des
reclamations sans fin. Lorsque la guerre eclata, le travail
fut arrete dans une partie des mines, au grand dommage des installations couteuses qui s'y trouvaient. Or, recem-
ment, le president Kruger a publie un decret ordonnant
que toutes les mines eussent a verser a l'etat le 30 °/0 de leur recette brute, calcule non pas sur le revenu
actuel, mais sur la moyenne obtenue dans la periode
qui a precede immediatement les hostilites. Faute de ce
versement, les mines retournent a l'etat. C'est une veri¬
table confiscation, les conditions imposees etant impos¬ sibles a remplir. Le decret a ete promulgue au moment
ou les Boers etaient victorieux partout, et il jette un
jour singulier sur les garanties qu'obtient la propriete privee au Transvaal lorsqu'elle appartient a des etran-
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576 BD3LIOTHEQUE UNTVERSELLE
.gers, et peut-etre sur l'un des buts secrets de la guerre, Tappropriation sans bourse delier d'un capital immense, pres de deux milliards de francs, peut-etre davantage,
-employe a mettre en valeur les mines du Transvaal. Ceci explique sans doute pourquoi la republique
d'Orange, qui n'avait aucun grief serieux a faire valoir contre 1'Angleterre, s'est alliee au Transvaal. Elle reven-
dique, elle aussi, la propriete des mines de diamant de
Kimberley, a laquelle elle pretend avoir des droits et
-qui constitue une richesse considerable. Le siege de
Kimberley, qui vient d'etre leve, avait pour objet de
s'emparer non seulement du territoire des mines, mais -des diamants trouves avant l'ouverture des hostilites, et dont la valeur, peut-etre exageree, parait etre tres grande. Mais 1'alliance a ete funeste aux deux etats. Si elle a aug¬ ments le nombre de leurs combattants, elle les a entraines -a immobiliser des forces considerables a Kimberley, et a ouvert aux Anglais, sur le Transvaal, la meilleure route
possible, celle oil ils reprennent leurs avantages de
troupes regulieres, et qui leur aurait ete fermee, comme le port de Delagoa l'a ete, si la republique d'Orange etait demeuree en dehors de la lutte.
Ces visees, le desir de s'emparer de grandes richesses, -ont-elles ete uniquement le fait des chefs, sans que les Boers en aient ete influences Ne sont-elles entrees pour rien dans l'enthousiasme et l'ardeur qui a mene ceux-ci
~au combat Ou bien l'independance et la liberte, beaux mots qui peuvent servir de manteau a des choses infini- ment moins nobles et moins capables d'inspirer la sym- pathie, ont-elles ete 1'unique ressort de la generalite des
troupes boers Cette derniere hypothese parait extraor-
^dinairement difficile a admettre. Ne savons-nous pas
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L EUROPE 577
Taction fascinatrice et deletere de cet or qui a pousse des
masses d'hommes a se ruer sur les placers, toutes les
fois que Tor a ete decouvert quelque part, meme lorsque leur conquete offre des difficultes et entraine des perils
effrayants, comme on Ta vu au Klondyke Des peuples entiers peuvent s'y laisser prendre, surtout lorsqu'ils sont
primitifs et portes a s' exagerer le gain a obtenir. Et alors, si les Boers ont cede a la contagion de cupidity, ils ont
admis dans leur sein un element de corruption qui les
rend impropres, plus que toutes leurs autres lacunes, a
edifier le grand empire sud-africain dont ils ont fait leur
ideal.
Ill
En Europe, tres peu de gens Tont compris. La pous- see presque unanime a emporte les peuples a prendre
parti avec passion pour les Boers, sentiments tres hono-
rables, il faut le dire, auxquels s'en sont ajoutes d'autres
moins justifies, entre autres la haine des Anglais, mais
qui ont repose sur une grande ignorance de Tetat reel
des choses. Beaucoup de personnes se sont etonnees que les grandes puissances n'intervinssent pas, sans se douter
d'ailleurs qu'une telle intervention pourrait amener cette
guerre generale si redoutee, ou tous les peuples risque- raient d'etre emportes comme par un tourbillon.
Qui serait intervenu Le president Mac Kinley, comme
le lui a demande une petition organisee par la Ligue de
la paix? II s'en gardera soigneusement. Parmi les puis¬ sances europeennes, trois seules auraient pu Tessayer: la Russie, TAllemagne et la France. Or, la Russie, ca¬
pable d'entrainer la France, ne s'en souciera pas. Son
souverain, Nicolas II, sort du congres reuni a la Haye a
bibl. univ. xvn 37
A
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578 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
son instigation pour rechercher les moyens d'assurer la
paix. S'il en a pris Tinitiative, on peut croire qu'il Ta fait tout d'abord par sentiment philanthropique. Mais, ce qui ne gate rien, la paix est tres eVidemment pour la Russie un interet de premier ordre. Elle s'est agrandie demesu- rdment et continue a etendre ses tentacules sur tous les
points ou elle peut esperer de saisir quelque chose. C'est une cause de faiblesse, qui n'est pas la seule, car il faut
y ajouter les besoins d'argent pour ses immenses entre-
prises, la famine devenue endemique, frappant les unes
apres les autres ses provinces europeennes, qui se de-
peuplent et restent dans une misere profonde. Or, elle a
fait, apres la guerre de Crimee, une experience qui a porte ses fruits. Tant qu'elle ne bouge pas, elle exerce sur la
politique generate, par sa masse meme et la puissance myst^rieuse qui semble en etre le corollaire, une action bien superieure a sa force reelle. Quand elle descend dans la lice, cette illusion d'optique se dissipe, comme on le vit dans la derniere guerre avec la Turquie. Son
prestige en subit une diminution. Elle ne bougera done
pas pour augmenter les embarras de TAngleterre, qui lui
permettent d'obtenir maints avantages sans coup ferir. Et d'ailleurs, n'y aurait-il pas une sanglante ironie dans
Tintervention, en faveur des Boers, de la puissance qui vient de ravir a la pauvre Finlande les derniers restes de son autonomie et de sa vie nationale?
La France n'a pas d'autre interet engage dans la ques¬ tion que sa rivalite avec TAngleterre, et la possibilite de
rouvrir, grace aux embarras britanniques, les difficultes au sujet de TEgypte. Quelques journaux et meme des
parlementaires ont jete a ce sujet dans Topinion des
coups de sonde qui n'ont pas produit Teffet cherche. Ils auraient voulu voir TAllemagne s'en meter, sans oser
A
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L EUROPE 579-'
pourtant conseiller une alliance en forme avec elle. On
peut croire le gouvernement francais actuel, et surtout
M. Delcasse, trop senses et trop avises pour rentrer dans
la politique tatillonne et sotte de M. Hanotaux, qui a
ete la vraie cause de Tincident de Fachoda. On ne fait
pas deux fois de pareils fours. D'ailleurs, ce serait con-
traire aux interets superieurs de la France, comme nous
le verrons tout a Theure. Les precedents ministeres ont
certainement connu les foumitures d'artillerie faites aux
Boers par le Creusot, mais rien ne montre qu'ils aient
donne d'autres encouragements. La presence dans les
armees du Transvaal d'un colonel en retraite et libre par cela meme de ses mouvements, celui qu'on a surnomme
le Moltke frangais et auquel les nationalistes ont tout de
suite pense comme a un successeur possible des Bou-
langer, Marchand, Roget, Mercier et tutti quanti, pour le renversement de la republique, n'est pas de nature a
allumer les sympathies d'un gouvernement arrive au
pouvoir pour defendre cette republique. Puis, enfin, il y a Texposition, dont le succes ne doit pas etre compromis
par des menaces de guerre. Quant a TAllemagne, la situation est differente. On
ne peut pas douter que Tempereur Guillaume ait eu des
relations avec le Transvaal. Son celebre telegramme a
Kruger lors du raid Jameson, qui produisit une si grande sensation, Ta proclame hautement. Quel en a etel'objet? Y a-t-il cherche la possibilite d'etablir un protectorat allemand, idee dont il doit etre revenu, ou un affaiblisse- ment de TAngleterre, qu'il rencontrait sur son chemin, ou un debouche pour Tindustrie allemande, ou.... Le fait, bien connu maintenant, est que la plus grande partie des
armes et munitions dont se servent les Boers leur ont ete fournies par Tindustrie germanique, assurement pas
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58O BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
sans que le gouvernement en ait ete informe. L'usine
Krupp a envoye de nombreux canons; Lcew, le fusil Mauser adopte dans Tarmee de Guillaume II. Des ou- vriers et artificiers ont suivi pour les reparations. Beau¬
coup d'officiers sontalles aussi au Transvaal, probablement
pas sans rester en rapports avec leurs anciens chefs. Ces
marques de faveur ont-elles donne au president Kruger Tillusion qu'il pouvait compter sur le gouvernement alle- mand lorsqu'un secours deviendrait necessaire? Peut-etre n'aurait-il pas eu tort si Guillaume II avait dispose de la flotte puissante qu'il demande maintenant au Reichstag de lui permettre de construire, car c'est le Transvaal qui en a ete Toccasion.
Non point qu'il eut ete dispose a tirer Tepee pour les Boers: il ne consentirait pas a leur sacrifier, comme disait Bismarck, les os d'un seul grenadier pomeranien. Car, si Ton examine attentivement la politique de Tem-
pereur, on voit bientot que Texemple de la Russie n'a
pas ete perdu pour lui. II ne desire point la guerre, dont il voit parfaitement les risques et les effets ruineux. Mais il cherche a se constituer sur terre et sur mer une puis¬ sance tellement preponderante qu'il obtienne, par sa
simple pression, tous les avantages que pourrait donner la guerre, sans avoir a les payer. Politique extreme- ment habile, sensee et intelligente, qui a pourtant aussi ses ombres. Jusqu'a present, elle a pleinement reussi, et elle a donne a TAllemagne une prosperite sans exemple. Mais c'est cela meme qui est inquietant. Les grands succes, la prosperite qui deborde, ne sont ni sains, ni bons a la longue. Nous avons vu la France, tres opu- lente, se debattre depuis plus de deux ans dans Taffaire
Dreyfus, dont elle ne peut sortir. L'Angleterre traverse actuellement une crise plus serieuse encore. L'AUemagne
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 581
echapperait-elle seule a une regie jusqu'ici sans excep¬ tion? On ne saurait croire cependant que Tempereur soit dispose a jeter a la mer, comme Polycrate, quelque
joyau precieux dans Tespoir qu'un poisson le lui rap-
portera. Rien ne permet de supposer qu'il soit dispose a intervenir en faveur des Boers.
IV
La Hollande a occupe dans le conflit actuel une posi¬ tion speciale, quine doit pas etre ignoree. Elle s'est pro- noncee pour les Boers avec une ferveur d'ailleurs tres
comprehensible. Place dans les memes circonstances, aucun pays n'aurait agi autrement. Les affinites de
race, de langage, on pourrait dire la parente, expliquent
qu'elle ait pris parti pour le Transvaal. L'interet y a eu
aussi sa part. C'est la Hollande qui a fait les affaires fi-
nancieres du Transvaal; c'est une compagnie hollandaise
qui detient le monopole des chemins de fer de ce pays, et y a trouve une source de grands benefices; ce sont des
Hollandais qui ont ete appeles pour administrer le pays et pour lui donner Tinstruction comme maitres d'ecole, toutes choses qui ont ravive les liens entre les deux peu¬
ples. Mais ces impulsions, pour naturelles qu'elles soient, ont besoin souvent d'etre controlees et soumises a un
examen serieux. C'est le cas ici.
Nous avons indique quelques-uns des motifs de Tem¬
pereur allemand de s'interesser aux Boers, sans parler de deux points, qui ont leur importance. Le premier consiste a faire experimenter par d'autres la valeur de
Tarmement allemand, fusils et canons, et tous les pro- blemes de tactique et de strategic qu'ont poses les per- fectionnements extraordinaires des armes modernes, et qui
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582 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
n'ont pas encore ete resolus. En cette matiere, rien ne vaut Texperience, c'est-a-dire la guerre, et les Boers, avec leurs officiers allemands, travaillent reellement, a la lettre, « pour le roi de Prusse.» Ils le font encore indirectement d'une autre maniere; c'est le second point. S'ils venaient a Temporter, TAngleterre en subirait une diminution; elle ne pourrait plus rendre a T Europe le service d'y maintenir Tequilibre, qui est d'un prix inestimable pour notre continent, specialement pour les petits pays, et
pour aucun autant que pour la Hollande. La conquete des Pays-Bas est pour TAllemagne une tentation tres
grande, car elle lui donnerait precisement ce qu'elle desire, une cote maritime excellente, des matelots en
grand nombre, des colonies, au moment oil elle aspire a avoir une flotte de premier ordre. Recemment Tofficieuse Gazette de iAllemagne du Nord a publie un travail du Dr Ed. de Hartmann, demandant qu'on amene la Hol¬ lande par persuasion et au besoin qu'on la contraigne par la concurrence commerciale a entrer dans T empire allemand, auquel elle apporterait d'un coup tout ce qu'il peut desirer. Ce glorieux petit pays y consentirait-il Sa jeune et charmante reine, tres portee pour les Boers, dit-on, voudrait-elle descendre de sa situation actuelle
pour prendre rang aupres des princes allemands, au- dessous de Tempereur, dont elle est aujourd'hui Tegale comme souveraine On peut etre assure que non.
Mais, le cas echeant, si TAngleterre etait paralysee, aucune defense de la Hollande ne serait possible. A elle
seule, la France ne pourrait pas Tentreprendre, quoique Tinteret en fut immense pour elle. Et ou sont les autres forces capables de resister? L'empereur Guillaume ne fera pas une telle chose, objectera-t-on. Peut-etre, mais il n'est pas immortel, et personne ne peut savoir ce que
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 583
voudront ses successeurs. Lui-meme, d'ailleurs, a montre,
par son amitie avec Abdul-Aziz, qu'il est capable de
tout sacrifier a la grandeur de son empire. Une conquete brutale ne serait probablement pas necessaire. II est des
moyens plus doux et non moins efficaces. Que TAlle-
magne possede une preponderance indiscutee et sans
contre-poids, elle exercera sur la Hollande une pression
irresistible, comme celle de la Russie sur la pauvre Fin-
lande, et la fera consentir a entrer dans la confederation
germanique. Quand done la Hollande soutient le Trans¬
vaal et cherche a demolir TAngleterre, elle aussi, comme
les Boers, quoique d'une autre maniere, travaille « pour le roi de Prusse. » Or Tindependance du grand petit pays
qu'est la Hollande est pour le monde d'un prix tout
autre que celle des Transvaaliens, dont nous avons in-
dique le vrai caractere.
V
Que TAngleterre ne puisse admettre cette independance des Boers, la guerre actuelle en fournit la demonstration
la plus eclatante. Si le Transvaal etait demeure le pays
pauvre et pastoral de jadis, le gouvernement britannique aurait pu patienter, bien qu'il ait eu sans cesse a repri-
mer, parfois par les armes, la turbulence de ses voisins
et leurs empietements. Les mines d'or ont tout change. Elles ont donne au gouvernement de Pretoria, devenu
une oligarchic toute-puissante, le moyen de constituer
une forte anrtee dont la victoire definitive rendrait la
situation de TAngleterre intolerable, car elle serait obli¬
gee d'avoir au sud de TAfrique de nombreuses troupes
pour proteger ses colonies du Natal et du Cap, et y con-
tenir les Afrikanders en sympathie avec les Boers. Quelle
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584 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
perspective que celle d'un etat d'armement, pire que celui de T Europe, lequel assure au moins la paix inte- rieure des etats, tandis qu'en Afrique on aurait etabli une lutte et une fermentation incessantes, fatales au deve-
loppement normal d'un pays nouveau, dont le premier besoin est la paix et Tordre!
L'Angleterre ne peut accepter un pareil avenir ni
pour elle-meme ni pour ses colonies. II faut, ou bien
qu'elle abandonne completement TAfrique du sud, ce
qui laisserait prevoir une lutte acharnee et sanglante entre les elements anglais et boers que la guerre actuelle a mis aux prises, ou qu'elle etablisse sa suprematie in- discutable en detruisant la puissance militaire qui la tient en echec, de telle maniere qu'elle ne puisse se reconsti- tuer. Or, TAngleterre ne peut pas se retirer en abandon- nant ceux qui lui ont ete fideles. Son but n'est pas. d'etablir sa domination; elle en a fait bon marche dans toutes ses colonies capables de se gouverner elles-
memes, au Cap et au Natal entre autres. Ce qu'elle veut, elle Ta prouve, c'est la liberte pour tous dans la justice, sans privilege pour une race, fiit-elle la plus nombreuse, et sans oppression pour personne. Lorsqu'on etudiera de
sang-froid, sans parti pris, cette guerre, on trouvera, comme nous Tavons trouve nous-meme, que, tandis que les Boers Torganisaient de longue main en secret, le
gouvernement anglais, qui ne la voulait pas, qui n'avait rien prepare en vue de la soutenir, — les preuves en sont patentes, — qui Ta entreprise contre son gre, aurait
peut-etre accepte un compromis pour Teviter, et y a ete force par ses adversaires eux-memes, ce qui est proba- blement tres heureux, car elle etait inevitable a la
longue, et elle aurait pu eclater a un moment ou elle eut ete fatale. Les Boers ont ete sans le vouloir utiles
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LA GUERRE DU TRANSVAAL ET L'EUROPE 585.
a eux-memes, a leurs ennemis et a Thumanite en preci¬
pitant une rupture qui devait eclater entre le moyen
age et le monde moderne. Elle sera certainement moins
longue et moins sanglante qu'elle ne le serait devenue
dans quelques annetes; elle delivrera TAfrique du sud de
la lourde atmosphere de defiance, de conspiration, d'ani-
mosites de races qui a pese sur elle depuis des annees,.
et lui permettra de se developper librement en portant toutes ses energies vers le travail fecond. Et c'est alors
que pourra se poursuivre cette grande ceuvre de regene¬ ration et de civilisation du vaste continent africain, qui doit partir de son extremite meridionale, qui a deja. commence et qui sera celle du vingtieme siecle.
VI
On nous reprochera peut-etre, — on Ta fait a propos de T article de M. Villarais dans notre demiere livrai-
son, — de prendre plaisir a accabler un petit peuple qui combat bravement pour son independance et sa liberte.
Nous n'acceptons pas ce reproche. Le premier des de¬
voirs a Tegard de tous, c'est de ne point cacher la verite.
Pour les peuples comme pour les rois, la flatterie, cons-
ciente ou non, est un piege et peut devenir la source de
tres grands malheurs. L'independance et la liberte que recherchent les Boers ne sont pas les vraies, parce qu'ils ne les veulent que pour eux-memes et afin de pouvoir mieux opprimer les autres, les etrangers et les hommes
de couleur, comme ils ne l'ont que trop fait deja. Fussent-
ils meme vainqueurs des Anglais, ils ne pourraient soute-
nir a la longue un regime que T Europe a repousse depuis un siecle a son grand avantage. On ne remonte pas un
courant comme celui qui emporte le monde moderne
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586 BIBLIOTHEQUE UNIVERSELLE
vers de meilleures destinees. Ils se sont sentis encou¬
rages par la sympathie de T Europe mal informee. Le
grand service a leur rendre maintenant consistera a leur faire entendre qu'ils ont fait fausse route, et que plus tot ils rentreront dans le vrai chemin et mieux cela vaudra
pour eux et pour tout le monde. Ils devront certaine- ment accepter cette suprematie anglaise contre laquelle ils se sont insurges, mais qui, bien loin d'enlever la liberte, protege celle de tous, comme cela a lieu dans toutes les colonies britanniques. S'ils ont des griefs fondes, les An¬
glais les auront expies assez cherement pour se garder de les renouveler. Quand ils eurent surmonte la terrible re¬ bellion des cipayes aux Indes, ils se mirent a reformer leur gouvernement, a ecarter toutes les causes de mecon-
tentement, et leur administration y est devenue Tune des meilleures du monde. Le meme esprit les animera au sud de TAfrique, d'autant plus certainement qu'ils se sentiront sous le regard de TEurope attentive. Quand la paix sera
retablie, la prosperite suivra, plus assuree et meilleure
que du passe. L'orage aura purifie T atmosphere de bien des brumes malsaines et pernicieuses. On ne saurait trop le desirer pour les deux adversaires.
Ed. Tallichet.
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