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1 Liège, après la guerre Vers l'Europe et le monde Philippe Destatte directeur général de l'Institut Destrée maître de conférences à l'UMONS Université de Liège, Complexe Opéra 1 Conférence pour le cycle Histoire de Liège Les Grandes Conférences liégeoises asbl Liège, 24 novembre 2016 Un jour où j'avais invité François Perin à parler à la tribune de l'Institut Destrée de l'évolution législative et institutionnelle de la Belgique, ainsi qu'à réagir à la situation de l'époque, il avait relevé que les colloques et les conférences ont souvent de particulier de se donner dans un temps court des ambitions immenses. Celle-ci n'échappe pas à cette réalité. Parler de Liège après la guerre, vers l'Europe et le monde, même avec les précautions que le Recteur Arthur Bodson a bien voulu prendre, constitue une tâche gigantesque. Le sujet mériterait toute une série de portes d'entrée, - et beaucoup de temps - d'autant que, comme cela fait partie du cahier des charges, il faudrait pouvoir lancer des pistes prospectives au moment de tirer des conclusions. C'est une idée chère à Edgar Morin - mais aussi, depuis Gaston Berger 2 , de beaucoup d'historiens et de prospectivistes - de considérer que tant le passé que le futur, sont ouverts de possibles, de souhaitables et de réalisables. Ni le futur ni le passé n'existent en tant que tels, comme réalité, mais s'inscrivent dans la temporalité 3 . Ils sont à construire mentalement. C'est bien sûr difficile à concevoir pour le futur, mais plus encore pour le passé. Et pourtant, en posant notre regard sur ce dernier, nous ne faisons que tirer de nos sources des points de repère, des éléments disparates, quelques événements que nous disposons, que nous articulons en fonction des finalités qui sont les nôtres, de notre propre regard sur le futur et de nos projets personnels ou communs. C'est cette conception qui faisait dire au grand historien italien Benedetto Croce que toute histoire est contemporaine 4 . Que nous soyons historiens ou citoyens, nous abordons donc toujours le passé en fonction, non seulement du présent, mais de l'avenir souhaitable que nous aimerions réaliser. Dans le cahier des charges qui est le mien, et que j'ai résumé en quelques lignes, je souligne que, comme la Wallonie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Liège connaît des phases de redéploiement économique et social, mais aussi d'incapacité de renouveau. Mutations, transitions, changements se succèdent tandis que des Liégeoises et des Liégeois tentent de désenclaver Liège. Si Georges Truffaut n'est plus là pour relever les défis, c'est sa génération qui marque l'Après-Guerre : les Pierre Clerdent, Fernand Dehousse, Marcel Florkin, Pierre Harmel, J-J Merlot, André Renard, Jean Rey : tous auront une vocation internationale. Ils ne perçoivent néanmoins que très partiellement l'ampleur des transformations qu'annonce la fin du XXe siècle : c'est une société nouvelle qui se met en 1 Mes vifs remerciements vont à Marie-Anne Delahaut qui s'est chargée de la transcription du texte de cette longue conférence à partir du dvd. 2 BERGER, Gaston, Phénoménologie du temps et prospective, Paris, PuF, 1964. - CHESNEAUX Jean, Habiter le temps, Passé, présent, futur : esquisse d'un dialogue politique, Paris, Bayard, 1996. 3 Edgar MORIN, Pour entrer dans le XXIème siècle, p. 320, Paris, Seuil, 2004. 4 Benedetto CROCE,Théorie et histoire de l’historiographie (1916), p. 14, Genève, Droz, Paris, 1968.

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Liège, après la guerre

Vers l'Europe et le monde

Philippe Destatte directeur général de l'Institut Destrée

maître de conférences à l'UMONS

Université de Liège, Complexe Opéra 1

Conférence pour le cycle Histoire de Liège Les Grandes Conférences liégeoises asbl

Liège, 24 novembre 2016

Un jour où j'avais invité François Perin à parler à la tribune de l'Institut Destrée de l'évolution législative et institutionnelle de la Belgique, ainsi qu'à réagir à la situation de l'époque, il avait relevé que les colloques et les conférences ont souvent de particulier de se donner dans un temps court des ambitions immenses. Celle-ci n'échappe pas à cette réalité. Parler de Liège après la guerre, vers l'Europe et le monde, même avec les précautions que le Recteur Arthur Bodson a bien voulu prendre, constitue une tâche gigantesque. Le sujet mériterait toute une série de portes d'entrée, - et beaucoup de temps - d'autant que, comme cela fait partie du cahier des charges, il faudrait pouvoir lancer des pistes prospectives au moment de tirer des conclusions. C'est une idée chère à Edgar Morin - mais aussi, depuis Gaston Berger 2, de beaucoup d'historiens et de prospectivistes - de considérer que tant le passé que le futur, sont ouverts de possibles, de souhaitables et de réalisables. Ni le futur ni le passé n'existent en tant que tels, comme réalité, mais s'inscrivent dans la temporalité 3. Ils sont à construire mentalement. C'est bien sûr difficile à concevoir pour le futur, mais plus encore pour le passé. Et pourtant, en posant notre regard sur ce dernier, nous ne faisons que tirer de nos sources des points de repère, des éléments disparates, quelques événements que nous disposons, que nous articulons en fonction des finalités qui sont les nôtres, de notre propre regard sur le futur et de nos projets personnels ou communs. C'est cette conception qui faisait dire au grand historien italien Benedetto Croce que toute histoire est contemporaine 4. Que nous soyons historiens ou citoyens, nous abordons donc toujours le passé en fonction, non seulement du présent, mais de l'avenir souhaitable que nous aimerions réaliser.

Dans le cahier des charges qui est le mien, et que j'ai résumé en quelques lignes, je souligne que, comme la Wallonie, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Liège connaît des phases de redéploiement économique et social, mais aussi d'incapacité de renouveau. Mutations, transitions, changements se succèdent tandis que des Liégeoises et des Liégeois tentent de désenclaver Liège. Si Georges Truffaut n'est plus là pour relever les défis, c'est sa génération qui marque l'Après-Guerre : les Pierre Clerdent, Fernand Dehousse, Marcel Florkin, Pierre Harmel, J-J Merlot, André Renard, Jean Rey : tous auront une vocation internationale. Ils ne perçoivent néanmoins que très partiellement l'ampleur des transformations qu'annonce la fin du XXe siècle : c'est une société nouvelle qui se met en

1 Mes vifs remerciements vont à Marie-Anne Delahaut qui s'est chargée de la transcription du texte de cette longue conférence à partir du dvd. 2 BERGER, Gaston, Phénoménologie du temps et prospective, Paris, PuF, 1964. - CHESNEAUX Jean, Habiter le temps, Passé, présent, futur : esquisse d'un dialogue politique, Paris, Bayard, 1996. 3 Edgar MORIN, Pour entrer dans le XXIème siècle, p. 320, Paris, Seuil, 2004. 4 Benedetto CROCE,Théorie et histoire de l’historiographie (1916), p. 14, Genève, Droz, Paris, 1968.

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place, le monde de la connaissance accrue, global, instantané et interdépendant, où les femmes prennent enfin progressivement leur place et dans lequel Liège se cherche avec force. Je crois beaucoup à cette dernière idée : l'événement majeur du XXème siècle c'est l'émancipation politique et sociale des femmes.

La difficulté d'articuler passés et futurs possibles, c'est qu'il faut poser un point d'interrogation sur les avenirs. En effet, tous ces éléments, qui - à première vue - nous paraissent intangibles aujourd'hui, peuvent très bien se métamorphoser ou disparaître. C'est dire à quel point ils sont fragiles. C'est vrai que nous étions habitués à nous dire que l'avenir de la Belgique était tellement incertain qu'elle pouvait s'évaporer. J'ai déjà évoqué le nom de François Perin. C'est une question qu'il se posait et nous posait régulièrement 5. Mais nous étions probablement moins appelés à nous interroger sur l'existence de la Wallonie dans le futur, or c'est ce qu'une chercheuse aussi au fait du développement régional que la Professeure Bernadette Mérenne a pu faire en 2011 dans un congrès de l'Institut Destrée 6. Que Liège continue à exister, je pense que personne n'en doute. Que les femmes continuent à s'émanciper et à jouer un rôle croissant, aussi. Mais pour ce qui concerne la classe ouvrière, - considérée par certains comme un moteur de l'histoire - certains démographes et sociologues nous disent aujourd'hui qu'elle n'existe déjà plus, et les statistiques nous montrent que le salariat tel qu'il existait voici trente ou quarante ans a complètement disparu. N'oublions pas non plus - les jeunes générations ne le savent pas - que jusqu'au milieu des années 1990, nous avions constamment en tête, avec le risque de frappe nucléaire, cette hypothèse d'une fin du monde brutale qu'André Malraux avait bien exprimée au lendemain de la guerre dans ses conférences à l'UNESCO 7. Aujourd'hui, nous nous interrogeons sur la durabilité du monde, les limites de sa croissance, mais aussi de ses propres limites existentielles. On le sait : porter un regard sur l'histoire des trente ou quarante dernières années constitue un exercice vraiment difficile, dont nous devons reconnaître la fragilité. Au sortir de la guerre, la situation politique, économique, sociale était, bien entendu, particulièrement délicate. Elle l'était probablement plus à Liège qu'ailleurs, pas que partout, mais plus périlleuse que dans le reste de la Belgique. L'offensive Von Rundstedt avait renvoyé un certain nombre de questions sur l'attention que Liège, et que la Wallonie, méritaient aux yeux de ceux qui, à Bruxelles, fêtaient Noël et la nouvelle année loin du front. Ceux qui avaient été libérés se demandaient s'ils n'allaient être à nouveau occupés par les Allemands comme certaines parties de l'Ardenne l'étaient redevenues. Et le Congrès national wallon qui s'est réuni à Liège, l'année suivante, en 1945, s'est posé ces questions de savoir quelle importance les Wallons représentaient encore dans l'État belge. Pratiquement, nous pouvons dire que politiquement l'histoire de la Wallonie et de Liège après la Guerre commence à ce Congrès. Elle commence par le vote secret du 20 octobre 1945. On a interrogé à ce moment-là les participants de ce Congrès et ils étaient plus de mille, dont plusieurs centaines de chefs de la Résistance, pour leur demander d'exprimer quelle trajectoire ils souhaitaient pour la Wallonie. Cela nous paraît un peu dérisoire aujourd'hui puisque les grandes conférences avaient déjà eu lieu - Yalta, Postdam - et que finalement le monde n'allait pas pouvoir changer beaucoup. L'incapacité du Général de Gaulle de maintenir le Val d'Aoste à la France, après le télégramme du Président Truman du 7 juin 1945 lui enjoignant de retirer ses troupes, montre bien que l'on ne pouvait pas faire ce que l'on voulait dans l'Europe de 1945 8. Mais les Wallons ont quand même, à ce moment-là, donné leur avis. Nous savons que cet avis a surpris les congressistes eux-mêmes, puisque, au vote secret, 486 d'entre eux ont demandé la réunion de la Wallonie la France, tandis

5 François PERIN, Histoire d'une nation introuvable, Bruxelles, Legrain, 1988. - Marnix BEYEN et Philippe DESTATTE, La Belgique va-t-elle disparaître ? Itinéraire d'une nation européenne, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2011. 6 Ph. DESTATTE, Wallonie 2030, Quelles seraient les bases d'un contrat sociétal pour une Wallonie renouvelée ? Rapport général du Congrès du 25 mars 2011 au Palais des congrès de Namur, dans Feuillets de la Wallonie, Avril 2011, p.1.. http://www.college-prospective-wallonie.org/Documents/Philippe-Destatte_Wallonie2030_Rapport-General_2011-03-25_Final_ter.pdf 7 André MALRAUX, L'homme et la civilisation, Conférences à l’Unesco, Paris, Fontaine, 1946. 8 André ZANOTTO, Le particularisme valdotain, Aperçu historique, p. 63, Aoste, Région autonome de la Vallée d'Aoste, 1986.

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qu'une autre majorité relative demandait l'autonomie ou l'indépendance dans le cadre belge ou non. En tout cas, l'indépendance toute seule n'avait pas le succès attendu par certains 9. Cette question a évidemment été extrêmement difficile à traiter notamment par le monde politique qui était très représenté, et par le président du congrès, le ministre Joseph Merlot, qui devait le lundi retourner à la Chambre et être comptable devant ses collègues de ce qui avait été dit lors de ce Congrès. Vous savez que le congrès a rebondi par un vote à main levée qui était plus rassurant que le vote secret, afin de se rallier majoritairement au fédéralisme sur un projet tel que Fernand Dehousse et Georges Truffaut l'avaient avancé avant-guerre 10. Rappelons que Georges Truffaut n'était plus là puisqu'il était mort pendant la guerre et que c'est probablement une des pertes politiques parmi les plus considérables, non seulement pour Liège, mais certainement aussi pour la Wallonie. Il fait peu de doute que, lui présent, il aurait assuré le leadership de ces instants critiques. Ce monde de 1945 s'est métamorphosé profondément. Il se transforme notamment à partir des Nations-Unies, et de l'idée qu'il faut rebâtir une économie mondiale qui, contrairement à ce qui s'est produit au sortir de la Première Guerre mondiale, et qui nous a été rappelé par Catherine Lanneau 11, trouve cette fois-ci un nouvel équilibre. Cet équilibre va être exigé par les grandes puissances et aussi par les économistes où l'on voit évidemment poindre la figure de John Maynard Keynes. Nous savons que la Conférence de Bretton Woods du 1er juillet 1944 réunit dans le New Hampshire la plupart des grands pays industriels pour essayer d'imaginer comment stabiliser l'économie et les finances mondiales et anticiper les crises monétaires, comme ce qui s'était passé en 1929 et apparaissait clairement comme une des causes de la Deuxième Guerre mondiale. Cette négociation est intéressante. Si on parvient à un accord portant sur une régulation assez complexe en liant l'or et le dollar, système qui va durer jusqu'à la fin des années 1960, un autre effort est fait, qui n'aboutira pas. Il s'agissait de créer une Organisation internationale du Commerce, l'ITO, qui va, de conférence en conférence, en 1945, en 1947, en 1948, à Londres, à Genève, à La Havane, déboucher sur une impasse. Cette Organisation internationale du Commerce échouera, non seulement parce que de nombreux pays la contestent, mais aussi, comme le rappelait, dix ans plus tard, le directeur du Conseil économique wallon, Jean Charpentier, Ingénieur civil de l'ULg, parce que le Gouvernement américain lui-même renonça à faire ratifier le projet par le Congrès 12. Parallèlement, soucieux de favoriser le commerce mondial, les Américains avaient toutefois pu engager des négociations douanières qui aboutirent au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), l'Accord général sur les tarifs et le Commerce, qui lui fut signé à Genève le 30 octobre 1947. Son objectif était clairement de développer entre pays contractants les échanges par l'abaissement des barrières douanières et l'établissement de règles de conduite dans le domaine commercial. En dix ans, 38 pays avaient adhéré à la démarche, à l'exception bien entendu des nations communistes. Ces 38 pays couvraient à ce moment-là 4/5 du commerce mondial 13. Ces interrogations sur le commerce mondial, que le débat sur le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) a rappelées en 2016, étaient déjà très présentes avant la guerre et étaient portée par une série de personnalités liégeoises. Au-delà de Georges Truffaut, on peut aussi penser à Englebert Régnier qui a été président de la Chambre de Commerce et d'Industrie, et à toute une série d'autres personnalités, comme celui qui avait pris, au sortir de la Guerre, la présidence de ce Conseil économique wallon : le député François Van Belle. Ensemble, ils avaient essayé de concevoir, de construire une économie wallonne dans la Belgique, parce qu’ils avaient véritablement pris la mesure des difficultés qui allaient se poser au lendemain de la Guerre. Et même sur cette question de la régulation,

9 Philippe RAXHON, Histoire du Congrès wallon d'octobre 1945, Un avenir politique pour la Wallonie ?, coll. Notre histoire, Charleroi, Institut Destrée, 1995. - Le Congrès de Liège des 20 et 21 octobre 1945, Débats et résolutions, p. 81-82 Liège, sd. 10 Georges TRUFFAUT et Fernand DEHOUSSE, L’Etat fédéral en Belgique, Liège, Editions de L’Action wallonne, 1938. 11 Catherine LANNEAU, Histoire de Liège, L'Entre-deux-Guerres, Conférence du 20 octobre 2016. 12 Jean CHARPENTIER, Que peut-on attendre du GATT ?, dans Revue du Conseil économique wallon, N°32, Mai-Juin 1958, p. 11-24. 13 Ibidem.

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ils avancent des idées. Ils vont les exprimer dans le rapport qu'ils vont remettre au Premier ministre Paul-Henri Spaak en 1947. Ils vont d'ailleurs aller le lui porter en délégation. Et ils retourneront négocier avec lui. Dans ce rapport, un gros volume qui est probablement l'ouvrage le plus remarquable qui ait été fait depuis la guerre sur la situation de l'économie wallonne, ils écrivent que : il était utile il y a dix ans, d'élargir l'espace économique international de la Belgique, il est devenu maintenant indispensable de le faire, et cet élargissement ne peut être opéré que par des accords nombreux, voire des unions économiques, il est indispensable que notre pays s'intègre dans un espace économique plus important et qu'il puisse y trouver un marché qui assure un écoulement stable d'un fort pourcentage de sa production 14. Ces industriels, ces politiques liégeois et wallons voient, dans ce type d'accord et dans une conception qui soit non protectionniste, l'avenir de la Wallonie. Et ils sont cornaqués par l'un d'entre eux qui a joué un rôle très important dans ce lancement du Conseil économique wallon, un homme qui était déjà très présent avant la guerre, Maurice Firket, professeur à HEC, qui rappelait l'une des idées fondamentales que l'on retrouve dans ce rapport. Il l'avait publiée chez Georges Thone en 1939, dans une petite brochure qui rappelait ces aspects-là, la concentration bancaire et le fait que les industriels se trouvaient en difficulté en Wallonie : Bruxelles, disait-il, "ne connaît ni Liège ni Charleroi. Qu'un de nos industriels demande telle ouverture de crédit, telle facilité d'escompte que les anciens dirigeants qui le connaissaient et savaient ce qu'il valait, lui eussent accordées sans difficulté aucune, il faut aujourd'hui que Bruxelles décide 15. Cette idée est déjà ancienne et s'exprime, Pierre Lebrun l'a montré, dès la fin de la Révolution industrielle, au XIXème siècle, après la création des sociétés anonymes. On constate qu'une bonne partie du pouvoir de décision échappe aux entrepreneurs et au bassin industriel, mais évidemment la concentration bancaire qui était née et développée dans l'Entre-deux-Guerres - cela a été rappelé par Catherine Lanneau - avait eu ces effets. Évidemment, on retrouve cette idée dans le Rapport sur l'économie wallonne. Ceux qui détiennent désormais les clefs de l'économie, et dans le bassin liégeois comme dans les autres bassins de Belgique, vont regarder l'avenir de la rentabilité en fonction uniquement du return qu'ils peuvent recevoir sur ces opérations, sans états d'âme, sans volonté nécessairement de réinvestissement dans les lieux où cette richesse s'est construite. Nous le savons parce que des études ont été faites pour le mettre en évidence, comme celle de Jean-Rémy Sortia en prenant l'exemple de la Société générale de Belgique.

14 Economie wallonne, Rapport présenté au Gouvernement belge par le Conseil économique wallon, le 20 mai 1947, p. 210, Liège, Ed. CEW, 1947. 15 Maurice FIRKET, Pour un régime économique nouveau, coll. Les documents wallons, p. 10, Liège, Editions de l'Action wallonne, 15 avril 1939.

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Répartition des activités de la Société générale

entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles (1937-1980)

d’après les données de Jean-Rémi SORTIA, Présence de la Société générale de Belgique

en Wallonie : 1900-1980, dans Wallonie 86, n°74, 133-150, 1986.

0

10

20

30

40

50

60

70

1937 1954 1965 1973 1980

Wallonie Flandre Bruxelles

60,0%

28,6%

11,4%

47,5%

40,4%

12,1%

Lorsqu'on regarde le portefeuille de la Société générale de Belgique et son évolution de 1937 à 1980, telle que présentée sur le tableau ci-dessous, on observe que la part de la Flandre passe, dans ce portefeuille, de 47 % à 60 % en 1980, tandis que la part wallonne se réduit de 40 à 28 %. Le désinvestissement de ce holding-là en Wallonie est manifeste, Bruxelles restant au même niveau durant la période considérée. Lors du Congrès wallon de 1945, le rapport introductif de Fernand Schreurs avait, du reste, lui aussi analysé très finement le désinvestissement massif en Wallonie par rapport à la Flandre. L'étude du Conseil économique wallon aborde de nombreux autres sujets. Au-delà de l'investissement, l'ensemble du contexte économique est abordé, de même que toute l'infrastructure. La tâche du Conseil économique wallon - d'autres organisations aussi, je pense au Grand Liège par exemple, - va consister à revendiquer des infrastructures qui soient à la hauteur des enjeux qui ont été soulignés. Il en est ainsi de la revendication de la route de Wallonie, l'autoroute que nous connaissons actuellement, mais qui est absolument critiquée parce qu'elle est vue à Bruxelles, par les milieux qui doivent en décider, comme une dépense aberrante puisque toutes les connexions devraient, dans leur esprit, être en étoile et orientées vers Bruxelles. On retrouvera dans la presse, pendant des décennies, jusqu'au milieu des années 1960, des commentaires où l'on s'interroge "pourquoi faire une autoroute de ce type, si c'est pour y jouer aux billes, personne de toute façon ne l'empruntera". Néanmoins, les rapporteurs du Conseil économique wallon voient l'intérêt d'établir des liaisons horizontales et de lier entre eux les deux grands bassins industriels, le long de l'axe Haine - Sambre - Meuse - Vesdre, comme c'était le cas dans le domaine des chemins de fer. Sur la modernisation de ces liaisons aussi, des revendications vont s'exprimer. Il s'agit notamment de demander l'électrification de cette voie, parce que, à nouveau, Bruxelles ne semble pas donner la priorité à ce genre d'investissement. Il en sera de même pour les canaux, les revendications seront de même nature. Si le Canal Albert va rouvrir progressivement, cela ne se fera pas sans peine. Les ponts ont été détruits, il faut des années avant qu'on ne les reconstruise et que des péniches de plus de 500 tonnes remontent jusqu'à Liège. Ce sera un combat de ce

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Conseil économique wallon, du Grand Liège, mais aussi d'un certain nombre de grands gouverneurs. On pense évidemment à Pierre Clerdent lorsqu'il demandera la modernisation du cours de la Meuse. Ce sont des combats qui sont fondamentaux pour l'économie liégeoise et qui sont ressentis comme tels à l'époque. On peut aller au-delà, car ce type d'exigence se poursuit. Nous savons que, dans les années 1980, Pierre Clerdent sera aussi celui qui revendiquera le TGV pour des raisons similaires. Depuis la fin du XIXème siècle, en effet, un certain nombre d'économistes, comme Laurent Dechesne, professeur à HEC Liège, avant même la Guerre 1914-1918, avait anticipé le succès de la sidérurgie maritime, les difficultés liées à l'épuisement d'un certain nombre de minerais, l'affaissement de la compétitivité de nos industries par rapport à d'autres 16. Ils avaient finalement anticipé quelle allait être cette évolution. Celle-ci est cruelle : si nous regardons le produit intérieur brut estimé de la Belgique et de ses régions entre 1846 et 2012, sur le temps long, tels que Benoît Bayenet, Henri Capron et Philippe Liégeois ont pu les mettre en évidence en 2007 17 et que nous les poursuivons à partir d'autres données de la Banque nationale, nous observons au moins trois éléments.

0

50

100

150

200

250

1840 1860 1880 1900 1920 1940 1960 1980 2000 2020

Bruxelles

Flandre

Wallonie

1947 1961 1970 2000 2012

Bayenet, Capron & Liégeois, 2007 (INS 1846-1981) ICN, 2005, 2008 + ICN, 2014

86

100 113

73 72

99

183

203

134

89

95

90

101

1846 1896 1910 1937

Produit intérieur brut estimé par habitant de la

Belgique et de ses régions (1846-2012) BE=100

D'abord, que Bruxelles se porte à peu près bien jusqu'en 2000 et en tout cas au lendemain de 1910. Ensuite, que la Wallonie qui était évidemment, au XIXème siècle, à un niveau élevé - si la Belgique = 100, la Wallonie part de 113 au moment de la Révolution industrielle -, cette région va atteindre le niveau de 100 aux environs de 1960. C’est-à-dire que dans la période qui va du sortir de la guerre jusqu'en 1960, ce déclin industriel va progressivement se faire sentir. La Wallonie a pu se maintenir pendant un certain nombre d'années parce que

16 Laurent DECHESNE, Rapport sur la situation matérielle et morale des provinces wallonnes, Le congrès wallon, dans Wallonia, t. 13, n°10, octobre 1905, p. 270-271 et 279. 17 Benoît BAYENET, Henri CAPRON et Philippe LIEGEOIS, L'espace Wallonie-Bruxelles, Voyage au bout de la Belgique, p. 355, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2007.

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les circonstances ont pu être favorables. Enfin, nous observons ce croisement, cette bifurcation de 1965, bien mise en évidence par un chercheur et fonctionnaire européen Paul Romus 18, le moment où le PIB par habitant de la Wallonie tombe en dessous de celui de la Flandre et ce décrochage va se poursuivre jusqu'en 1985-1986. La conjoncture aidant, la situation économique va se stabiliser. Mais si on regarde de près - et on peut le voir dans d'autres graphiques que j'ai publiés notamment sur mon blog 19, on s'aperçoit que, au-delà, on n'a pas de rattrapage : on est à 72-73 % sur niveau de comparaison de 100 pour la Belgique, et on poursuit jusqu'à aujourd'hui sur une ligne horizontale que vous n'aurez pas de difficulté à anticiper. Cela signifie que tous les efforts qui vont être faits par les différents gouvernements vont permettre de mettre fin au déclin wallon, mais ils ne vont pas permettre de réaliser un véritable rattrapage socio-économique. Revenant au sortir de la guerre, je ne peux passer sous silence certains éléments qui peuvent constituer des ruptures. A la fin de la guerre, grâce au rôle que les femmes ont joué dans la sauvegarde de la société et de l'économie de leur pays, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme leur reconnaît une place politique. La Belgique, à la suite de la France d'ailleurs, fait voter la loi mettant en œuvre ce qui était déjà inscrit dans sa Constitution depuis les années 1920 : permettre aux femmes de voter aux élections législatives. Alors que, depuis 1945, se pose la Question royale - la mise en cause du roi Léopold III suite à son attitude pendant le conflit - le Parti catholique va essayer d'y apporter une réponse au travers de la consultation populaire du 12 mars 1950. Cet événement va faire apparaître à nouveau une dimension essentielle : une différence réelle de votes entre arrondissements flamands et wallons. Des négociations préalables avec le roi avaient fait s'exprimer une demande des représentants wallons des partis politiques que le roi prenne en compte non seulement la position des citoyennes et citoyens belges, mais aussi celles - distinctement - des Wallons et des Flamands, ce qu'il avait refusé. Le roi avait répondu que les Wallons, pour lui, cela n'existait pas, qu'il ne connaissait que des Belges. Et donc le vote révèle à nouveau une ligne de rupture entre les bassins industriels wallons qui, majoritairement, vont voter contre le retour du roi à 58 %, tandis que les Flamands, à 72 % sont favorables à la reprise par le roi de ses prérogatives constitutionnelles. 52 % des électeurs de l'arrondissement de Bruxelles votent également non au retour du roi. Nous savons que, fort du résultat d'ensemble qui lui est favorable et à son retour à Bruxelles, le roi Léopold III va provoquer des soulèvements insurrectionnels extrêmement durs. Un gouvernement provisoire wallon aurait été préparé, ici à Liège, à la Violette, avec un certain nombre de personnalités qui avaient trouvé, d'après certaines sources et témoignages, des engagements de protection armée venant de la République 20. Dans cette violence, il ne faut jamais manquer de rappeler, en épilogue de l'abdication du roi, l'assassinat de Julien Lahaut à Seraing le 18 août 1950. Ces événements de 1950, ce climat insurrectionnel, cette position prise contre le roi est fondamentalement - même si non exclusivement - wallonne, avec des comités d'action wallonne qui se créent partout dans la région. Une personnalité est déjà centrale : André Renard. On oublie souvent qu'André Renard, l'homme de 1960-1961 entre en scène à ce moment-là. Il est là en 1950 et il s'exprime devant le Congrès wallon en y posant déjà la question du fédéralisme, qu'il liera bientôt aux réformes de structure. Dans le discours qu'il fait devant le Congrès, il dit qu'il n'a jamais été vraiment fédéraliste, qu'il veut bien venir au fédéralisme, qu'il est timide sur cette question-là, qu'il veut bien y venir, mais qu'il faut, dit-il, "que fédéralisme signifie liberté politique, liberté individuelle, liberté collective. Il faut que la classe ouvrière que nous représentons trouve sa place dans le fédéralisme et qu'on n'ait pas

18 Paul ROMUS, L’évolution économique régionale en Belgique depuis la création du Marché commun (1958-1968), p. 4, extrait de la Revue des Sciences économiques, Septembre 1968. 19 En particulier Ph. DESTATTE, L'économie wallonne : les voies d'une transformation accélérée, Conférence présentée au Forum financier de la Banque nationale, le 3 novembre 2014 à l'Université de Mons, Blog PhD2050, Mons, le 24 juin 2015. https://phd2050.wordpress.com/2015/06/24/fofi/ 20 Ph. DESTATTE, L'identité wallonne, Essai sur l'affirmation politique de la Wallonie, p. 234 sv, Charleroi, Institut Destrée, 1997.

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peur de dire, à la classe ouvrière, que c'est vers a libération comme classe que l'on tend. Nous demandons l'élargissement des lois du travail dans la gestion des affaires publiques et économiques. Il faudra que l'on trouve affirmé le droit de la classe ouvrière à un standing de vie de plus en plus élevé" et une affirmation capitale : "que ceux qui s'engagent à bâtir la Wallonie fédéraliste en banniront le chômage" 21. Alors qu'on s'interroge souvent sur le sens du fédéralisme, en croyant que ce sont des questions linguistiques ou d'autre chose liées aux relations entre communautés, un texte comme celui-là montre que le sens est manifeste. Le fédéralisme, pour André Renard, lorsqu'il amène, comme il le dit, 50.000 ouvriers de la classe ouvrière liégeoise qui vient en renfort de ce combat, il le fait de façon conditionnelle, pour que le niveau de vie de la classe ouvrière, des Wallonnes et des Wallons en soit amélioré. Nous entrons évidemment ici de plein front dans la question du développement économique. Le professeur Robert Demoulin disait toujours qu'on ne parle pas ou qu'on n'écrit en historien sans retourner constamment aux sources. Et je suis retourné aux sources du Conseil économique wallon, sur toute cette période-là. Contrairement à ce que nous avons souvent en tête, les investissements qui devaient être réalisés dans l'économie wallonne, et principalement dans l'économie liégeoise, par le patronat et par les pouvoirs publics au sortir de la Guerre ont été considérables. L'idée d'un outil qui vieillit, qui n'est pas renouvelé est une idée qui apparaît très mythique. Le dynamisme de Liège et du bassin liégeois est assez extraordinaire à partir de cette période. Ce qui incarne le plus cet effort, c'est la création de la Foire internationale de Liège, qui se réunit pour la première fois du 30 avril au 15 mai 1949, et qui se développe au travers de ces trois axes fondamentaux que sont l'industrie, la métallurgie, l'électricité. Chaque année, cette foire va être non seulement un lieu d'exposition et de présentation des technologies, mais aussi un lieu d'engagement extrêmement important autour de l'idée de reconversion. Une dimension va être essentielle : la question européenne que l'on va appréhender avec volontarisme. Le mouvement européen va s'investir à Liège et va être très présent à chacune de ces conférences. Le Conseil économique wallon va se faire membre du mouvement européen, va faire venir des personnalités et va organiser des journées européennes. Or, l'institution européenne n'existe pas à cette époque-là !

On a souvent dit que, après la guerre, l'industrie wallonne ne s'était pas rénovée suffisamment. A Liège, il faut probablement nuancer cette opinion. Sur le plan énergétique, Une nouvelle Centrale électrique au charbon, de l'UCE Linalux a été implantée aux Awirs pour être mise en service en 1951. Sa puissance est alors de 100.000 kW 22. A Yvoz-Ramet et à Monsin, ce sont deux centrales hydroélectriques qui sont construites pour la Société coopérative liégeoise d'Electricité, fondée en 1949 par l'État. Les deux centrales sont inaugurées en 1953, elles ont ensemble une capacité de production de plus de 100 millions de kW par an 23. Cockerill a complètement modernisé sa cokerie, une nouvelle batterie moderne de 56 fours à coke a été mise à feu fin 1949, un nouveau haut fourneau de 500 tonnes a été mis en service en 1951 et un second peu après. A Tilleur, c'est un nouvel outil, Ferblatil, qui a commencé sa production de tôles fines et de fer-blanc. De nouveaux laminoirs ont été construits à Jemeppe-sur-Meuse par Espérance-Longdoz et un pont a été jeté sur la Meuse en 1948 pour les relier aux Hauts Fourneaux et Aciéries de Seraing. Dans le même temps, la société Cockerill a doublé ses capacités électriques en rénovant sa centrale de Jemeppe et en la faisant passer à 30.000 kilowatts. A Lixhe, ce sont deux nouvelles usines de CBR (Cimenteries et Briqueteries réunies) à forte capacité qui ont été érigées, avec un port privé de 500 mètres de quai le long du Canal Albert 24. Quant à

21 FHMW, Fonds Fernand Schreurs, Congrès national wallon, Congrès, 1950, Congrès du 26 mars 1950. 22 Développements économiques nouveaux en Wallonie, La Centrale de l'UCE Linalux aux Awirs, dans Chronique du Conseil économique wallon, N°21, Janvier 1952, p. 47. 23 Les centrales hydroélectriques d'Yvoz-Ramet et de Monsin, dans Revue du CEW, N°3, Juillet-août 1950, p. 25-26. 24 Développement économiques nouveaux en Wallonie, Nouvelles installations industrielles dans la région liégeoise, dans Chronique du Conseil économique wallon, N°16, Mars 1951, p. 47-52.

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Ougrée-Marihaye, ses extensions sont remarquables : équipement ultramoderne pour l'époque, sous la forme d'un système de laminage à larges bandes avec un train qui peut traiter des lingots jusqu'à 15 tonnes et une capacité de 80.000 tonnes par mois inauguré en 1950, ainsi qu'une installation continue de finissage. Les anciennes installations d'aciérie et de laminoirs ont été améliorées et mécanisées 25. On pourrait également y ajouter une multitude de réalisations nouvelles comme la création de Comatex à Ans qui fabrique un matériau innovant : le faserit, l'établissement à Herstal de "La précision liégeoise", spécialisée dans les appareils de mesure, ou le lancement, à Herstal encore, de régulateurs pour lampes à fluorescence par la firme Laboratoire radioélectrique 26.

Quelques années plus tard, et malgré ce qui est perçu comme une période de récession, les investissements restent tangibles même s'ils s'érodent : Cockerill-Ougrée achève en 1959 la construction d'une nouvelle aciérie Thomas qui lui permet de porter à 2,4 millions de tonnes sa production annuelle, sa filiale Tolmatil est développée pour la fabrication de tôles magnétiques, tandis qu'Espérance-Longdoz met à feu, le 27 avril 1959, le plus gros haut-fourneau d'Europe : le colosse de près de 29 mètres a une capacité de production de 1500 tonnes par jour, soit le double de ce qui se fait généralement alors 27 .

Notons que l'installation à Liège d'un siège décentralisé de la SNCI en fonction des nouveaux statuts de cet organisme du 21 avril 1949, décentralisé également à Anvers, Gand et Charleroi, a favorisé le développement d'un certain nombre de nouvelles entreprises, surtout petites et moyennes 28 . Si la nouvelle est réjouissante, l'évolution des crédits d'investissements accordés par la SNCI va inquiéter dans les années 1950, constituant bientôt un indicateur d'une certaine anomie de la Wallonie, mais surtout de la province de Liège :

Répartition proportionnelle des crédits accordés par la SNCI (% du total) 29

1953 1954 1955 1956 1957 1958

Wallonie 47,41 46,98 46,96 45,64 44,38 46,10

dont

Liège

20,84

19,26

20,19

18,29

16,02

15,04

Liège va s'engager dans la revendication de création d'institutions européennes en tant que telles. Nous sommes évidemment dans une période qui est extrêmement dynamique, volontariste, de reconstruction, et une période où l'on va penser à revendiquer la création de l'Europe : tout ce qui tourne autour de la création de la CECA, la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier. Le Conseil économique wallon va être partie prenante de cette revendication et va le faire avec beaucoup de force, y compris en allant - et cela a été souvent rappelé - jusqu'à porter la candidature de Liège à devenir le siège de la CECA, c'est-à-dire l'ancêtre de ce qui deviendra les institutions européennes, en montrant, comme

25 Développements économiques nouveaux en Wallonie, Nouvelles installations industrielles dans la région liégeoise, dans Chronique du Conseil économique wallon, N°17, Mai 1951, p. 47-48. 26 Autres développements récents en Wallonie dans Chronique du Conseil économique wallon, N°24, Septembre 1952, p. 33-35. 27 Nouveaux développements de l'industrie wallonne, dans Revue du Conseil économique wallon, N° 36-37, Janvier-Avril 1959, p. 42-45. 28 Développements économiques nouveaux en Wallonie, Le siège de Liège de la Société nationale de Crédit à l'Industrie, dans Chronique du CEW, N°18, Juillet 1951, p. 49-50. 29 Revue du CEW, N°24-25, Janvier-avril 1957, p. 77. - N°30-31, Janvier-avril 1958, p. 64. - N°36-37, Avril 1959, p. 54.

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l'indique le Conseil économique wallon en 1951 que : la Wallonie, centre producteur très important de charbon et d'acier, est au carrefour des grandes voies de communication par eau et par route entre les différents pays du Plan Schuman, n'est-ce donc pas en Wallonie que, en raison de cette situation particulièrement favorable, le siège de la direction et de l'administration de la nouvelle organisation sera le plus avantageusement situé 30. Le Grand Liège, Francine Faite-Nagels qui en est l'archiviste bénévole l'a bien montré, va publier une brochure qualifiée de remarquable par le Conseil économique wallon qui présente toute une série de cartes et d'arguments sur le fait qu'il faut que Liège devienne la capitale de l'Europe. Ils vont utiliser le mot, avec prudence parce que Strasbourg apparaît déjà comme un lieu presque naturel pour accueillir l'institution. Ils vont introduire une idée intéressante que l'on va voir rebondir au plan wallon, celle du polycentrisme, en disant que ce qui a provoqué la guerre bien souvent, ce qui a provoqué les difficultés économiques, c'est la centralisation. Et donc, dans cette Europe que nous construisons, disent-ils, n'essayons pas d'avoir une seule capitale, dans une logique de centralisation. Les arguments vont être extrêmement importants pour Liège et on peut observer, jusqu'à la signature du Traité de Paris établissant la CECA le 18 avril 1951, un travail de lobby qui va être fait par les uns et les autres. Evidemment Liège reste candidate, mais il y a aussi Sarrebruck et une série d'autres villes qui se disent que cela peut être intéressant. Finalement, comme il est prévu que ce choix ne doit pas être fait avant, mais bien au moment où les six pays commencent à travailler, ils vont passer des heures de négociations pour arriver à ce que le Luxembourg sorte un argument en disant que, en attendant, on peut se réunir à Luxembourg parce que, comme le disent les archives européennes, la difficulté majeure c'est que la Belgique ne soutient pas la candidature de Liège. Ils le disent de façon elliptique, mais cette candidature n'est pas soutenue ni par Bruxelles ni par la Flandre. L'engouement voire l'euphorie née à Liège autour de cette candidature va retomber après cet échec, en 1952.

L'arrivée de Pierre Clerdent comme gouverneur de Liège en 1953 lui permet, lors de son premier discours devant le Conseil provincial d'évoquer ces bouchons sur les voies de communication que constituent les écluses vétustes entre Amay et Huy, qu'il veut faire remplacer rapidement par un pendant de l'ouvrage d'Yvoz-Ramet à construire à Neuville-sous-Huy, permettant la liaison d'une part vers la Sambre et Charleroi et d'autre part, par la Haute-Meuse française, vers Givet, Sedan, Verdun, Nancy..., sur l'électrification de la ligne de chemin de fer Liège-Charleroi, mais aussi la prolongation de la ligne 36 sur Liège-Verviers jusqu'à Herbesthal. Le Gouverneur argumente l'idée d'une autoroute Anvers-Liège-Aix-la-Chapelle Cologne pour renforcer les liens avec la Ruhr et renforcer le fret sur Monsin 31. On décidera en 1955 de créer le barrage éclusé d'Ampsin-La Neuville qui sera réalisé à une allure record tout au long de l'année 1956 pour être mis en service en 1958 32.

La modernisation de Liège, c'est aussi le développement de l'héliport, boulevard Frère Orban, en bord de Meuse, qui permet des communications vers Maastricht, en 15 minutes, Melsbrouck, en 40 minutes, Cologne en 1 heure. Elles sont assumées par les services Sikorski de la Sabena 33.

En 1953, la FN connaît un grand succès commercial grâce à l'adoption par l'armée britannique du Fusil automatique léger. C'est Churchill qui annonce que le Royaume-Uni remplacera le mythique Lee Enfield par le FAL, cette dernière arme devenant une référence

30 Chronique, Les relations internationales par route et par eau au Nord-Ouest de l'Europe, dans Chronique du Conseil économique wallon, n°16, Mars 1951, p. 17. 31 La politique des grands travaux, dans Revue du CEW, Septembre-octobre 1953, p. 20-25. 32 Adrien DEREYER, Où en est notre équipement public ? dans Revue du Conseil économique wallon, N°24-25, Janvier-avril 1957, p. 42-43 . 33 Revue du CEW, N°4, septembre-octobre 1953, p. 42.

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pour l'OTAN 34. C'est évidemment une réussite pour Liège, tant sur le plan technologique que commercial.

Le débat reste très ouvert sur la question de la nécessite d'une coopération européenne et de mesures qui établissent non pas un protectionnisme, mais au moins un contingentement sur une série de produits, par exemple les motos qui sont importées de Grande-Bretagne font un tort tel que bien rapidement la FN va se trouver en difficulté sur des secteurs comme ceux-là, incluant ceux des camions, des trolleybus, par rapport auxquels elle était en pointe en dehors des commandes publiques. La revendication liégeoise d'un traité de coopération, d'un marché européen et de normes comme celui que l'on va signer avec le Traité de Rome, le 25 mars 1957, va être tangible. Le 1er janvier 1958 à zéro heure est le jour j de lancement du Marché commun. L'Allemagne, la France, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique se sont engagés à faire disparaître, en 12 ans minimum et en 15 ans au plus, tous les obstacles qui gêneraient la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux dans l'espace qu'ils constituent. La Commission, présidée par l'Allemand Walter Hallstein comprend un membre liégeois en la personne de Jean Rey, en charge des relations extérieures, en particulier du GATT et de la zone de libre-échange 35. Le secrétariat exécutif de la Commission est confié au Français Émile Noël, ancien Secrétaire général, que j'avais eu l'honneur de faire venir à Liège en 1995 pour ouvrir une conférence sur la décentralisation en Europe et les Droits de l'homme.

En 1958, c'est également l'époque où l'on inaugure le Palais des Congrès. Commencé en 1956, il est finalisé en 1958, avec ses trois salles de 200, 500 et 1000 places. Liège y est présentée comme centre de ralliement européen. On y souligne que la roue de l'Europe a tourné avec la réconciliation définitive des deux grands peuples de l'Occident, toutes les perspectives ont changé, ce qui longtemps avait été le point de friction des deux forces explosives peut devenir un haut lieu de convergence où tous les pays qui collaborent à l'enrichissement de notre civilisation viennent confronter périodiquement leurs apports 36. Ainsi, même si ce n'est pas toujours sans effort, car la guerre a bien été là qui a créé des inimitiés profondes, on redécouvre la nécessité de réinvestir ce qui ce passe de l'autre côté de la frontière, avec Cologne notamment et on voit l'Eurégio se mettre en place, et en tout cas, les liens se renforçant, l'idée d'une entente interrégionale dans la ligne du Marché commun 37. Si on décrit l'action des industriels, il faut aussi évoquer la recherche. Celui qui a été l'un des moteurs de cette pensée d'Après-Guerre, au travers non seulement du Conseil économique wallon, de la création de l'APIAW dans le domaine culturel pour le progrès intellectuel de la Wallonie - mais c'est surtout très liégeois à l'époque -, c'est Marcel Florkin. Réagissant à un hommage au fameux discours du roi Albert sur la création d'une collaboration interuniversitaire et scientifique au travers de ce qui va se développer comme étant l'ancêtre du FNRS, le professeur Florkin va, avec la parole très libre qui est la sienne, faire une critique finalement de l'université, du modèle de collaboration entre l'université et l'industrie, en disant on ne peut que reconnaître le caractère justifié de la réserve qu'il peut avoir aussi longtemps que les facultés ne formeront pas jusqu'au stade de chercheurs accomplis ceux que l'industrie est en droit de demander à l'université, cette dernière n'aura pas fait son devoir vis-à-vis du pays et de ses nécessités économiques 38. C'est dans cette deuxième moitié des années 1950, que pour la première fois on crée une licence et un doctorat en économie à l'Université de Liège en se disant qu'il faut absolument pouvoir muscler nos industriels, qu'il n'y ait pas simplement des ingénieurs, mais aussi des gestionnaires pour la

34 Revue du Conseil économique wallon, n°5, Novembre-décembre 1953, p. 40. 35 Quelques données de base pour aborder le Marché commun, dans Revue du Conseil économique wallon, N°30-31, Janvier-Avril 1958, p. 43-45. 36 Liège, Centre de ralliement européen, dans Revue du Conseil économique wallon, n°24-25, Janvier-avril 1957, p. 74-75. 37 Adrien DEREYER, Cologne, Pôle de l'Economie rhénane, dans Revue du Conseil économique wallon, N°36-37, Janvier - Avril 1959, p. 35-41, p. 41. 38 Marcel FLORKIN, Un problème d'actualité, Relance scientifique et économie, dans Revue du Conseil économique wallon, n°38, Mai-juin 1959, p. 1-7, p. 5.

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fonction publique, et ce sera d'ailleurs la Faculté de Droit et de Science politique qui va créer cette dynamique. Une gigantesque personnalité entre en lice à ce moment-là, même s'il a déjà été très présent dans la Résistance, mais aussi ailleurs puisqu'il était gouverneur de la Province de Luxembourg. Il s'agit de Pierre Clerdent. Alors que nous sommes en pleine crise du charbon en 1959, au moment où le plan de fermeture apparaît dans le Borinage, et cela touche déjà les Liégeois parce que toute une série de charbonnages dans le Borinage appartient à Cockerill. De façon directe, Pierre Clerdent joue le coup suivant en disant que c'est dans le pétrole que nous devons nous investir, pourquoi se demande-t-il, des raffineries de pétrole ne pourraient-elles venir se développer en Wallonie 39? On sait que dans les décennies qui vont venir, d'autres vont s'y investir. On pense évidemment à l'Affaire Ibramco. La question de l'enseignement, notamment l'enseignement technique et professionnel, qui reste une des questions majeures, est évoquée aussi par un autre Liégeois d'adoption, on sait qu'il n'est pas né à Liège, mais il a fait ses études à l'Université de Liège et il a été député de Liège, Pierre Harmel. Il y viendra faire une conférence remarquable, où il parlera lui aussi de la manière d'essayer de se reconvertir, d'aller sur ce qu'il appelle des pôles de croissance dans un certain nombre de secteurs qui font peut-être déjà écho à nos pôles de compétitivité, en disant qu'il faut allier la formation avec la recherche, avec l'industrie, et essayer d'avancer dans un certain nombre de nouveaux secteurs porteurs de très haute valeur ajoutée 40. Vous l'avez compris, on cherche des solutions, elles ne viennent pas d'elles-mêmes, mais il y a des efforts. Si je devais appeler cette période, je l'appellerais, sur 1947-1967, "vingt ans pour essayer de rester debout", on voit que c'est vraiment de cela qu'il s'agit. Ne pensez pas que le gouvernement ne fait rien : Gaston Eyskens notamment lance les lois d'expansion économique. Cette initiative n'est pas prise prioritairement pour la Wallonie, mais bien pour la Flandre qui a connu, au sortir de la Guerre de plus grandes difficultés industrielles que la Wallonie. Ces lois d'expansion économique ont donc été construites pour la Flandre et, chemin faisant, vont s'étendre à la Wallonie. Mais on sait que ces lois d'expansion économique vont faire partie d'enjeux et de discussions économiques énormes. Le Conseil économique s'en saisira puisqu'il s'agit de donner des avantages fiscaux à des entreprises qui s'installent dans certaines zones et qu'il y a donc une forme de discrimination qui va fâcher un certain nombre d'industriels. Au départ, ni Liège ni Charleroi ne sont dans les lois d'expansion économique de 1959, elles vont faire l'objet d'arbitrages et de discussions. Certains arrêtés d'application des lois d'expansion économique de 1970 ne seront d'ailleurs pris que par le président de l'exécutif wallon Jean-Maurice Dehousse en 1980 : on laisse parfois traîner ce qui pourrait aider l'économie liégeoise ou wallonne. Le Conseil économique wallon et les milieux syndicaux en sont extrêmement conscients. En 1959, à l'aube de 1960, celui qui va jeter le pavé dans la marre, c'est évidemment André Renard, dans le cadre de la Loi unique. Le lancement de la grève de cinq semaines et la dynamique qui se crée à ce moment-là avec la revendication, au travers du Mouvement populaire wallon et de l'organe "Combat", constituent une lutte contre la désertification industrielle. Le message est clair : si le gouvernement central n'est pas capable de sauver notre industrie, nous devons le faire nous-mêmes, nous devons nous-mêmes revendiquer ces compétences pour qu'on nous les attribue. On le voit lorsqu'on observe la manifestation du Mouvement populaire wallon à Liège, le 15 avril 1962 : ces hommes qui vont être porteurs de cet engagement dans un contexte communautaire où on est presque proches de la rupture. Deux stratégies vont se mettre en place à partir du MPW. D'une part, une

39 Pierre CLERDENT, Ouverture de la Session provinciale 1959, dans Revue du Conseil économique wallon, N° 40, Septembre-octobre 1959, p. 59 40 Pierre HARMEL, La recherche scientifique dans l'économie wallonne, Liège, Assemblée générale du CEW, 20 juin 1960, dans Revue du Conseil économique wallon, n°44, Mai-juin 1960, p. 6-7.

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stratégie de rupture avec le Parti socialiste, donc la stratégie Perin ou de Robert Moreau à Charleroi de créer le Rassemblement wallon et constituer une union nationale avec des personnalités comme Jean Duvieusart et d'autres, des militants de Rénovation wallonne, des libéraux, des catholiques, pour essayer d'ouvrir une autre porte politique. Ils vont y parvenir puisque le Rassemblement wallon va grignoter les autres partis et faire en sorte, comme les Ecolos le feront plus tard, que les revendications qui sont les leurs vont être intégrées dans les autres partis. D'autres part, iI y a ceux qui, malgré les difficultés ou le peu d'espace que leur laisse le Parti socialiste, vont y rester, ce sera le cas de Terwagne, de JJ Merlot ou de Fernand Dehousse, qui vont être porteurs d'une autre trajectoire. La situation politique est extrêmement compliquée. En effet, à ces choix, s'ajoute évidemment tout le problème communautaire dont je n'ai pas parlé, avec notamment la fixation de la frontière linguistique, en 1962, et le choc que va produire sur les Liégeois le rattachement des Fourons à la Flandre. Cette question, qui préoccupe aussi le MPW, va devenir un des grands sujets du Grand Liège présidé par Jacques Leveau et une des questions majeures abordées dans ce contexte. La bifurcation de 1965, déjà évoquée est ce moment où, les statistiques le montrent bien, on ne peut plus le cacher, la Wallonie voit son PIB croiser puis tomber en dessous du niveau de la Flandre, ce qui n'aurait pas d'incidence, si les investissements en Flandre n'étaient pas plus importants et si les Wallons ne considéraient pas qu'il y avait discrimination et que la Belgique ne venait pas à leur secours tout, comme elle était venue secourir la Flandre à plusieurs reprises. C'est le Congrès des Socialistes wallons de Verviers en 1967 qui va ouvrir l'une des portes politiques permettant de faire naître une capacité de négocier entre les partis politiques pour construire une trajectoire nouvelle. Le Groupe des 28 va se mettre en place à l'initiative de Gaston Eyskens. Tous les partis politiques vont essayer d'y trouver une solution en disant qu'il faut réformer l'État. C'est le schéma qui sort du Congrès des socialistes wallons à Verviers qu'ils vont y défendre. Ce sont les outils d'aujourd'hui, même s'ils n'en portent pas encore tous le nom : Conseil économique wallon, Société régionale d'investissement, Société wallonne de Développement et d'Aménagement, tout cela est en filigrane pour constituer des organes de reconversion évoqués, avec une dimension de planification peut-être plus forte qu'aujourd'hui. Au Groupe des 28, Perin va jouer le rôle d'ingénierie dans lequel il excelle, avec sa force de professeur de Droit constitutionnel, introduisant l'idée de donner quelque chose en échange aux Flamands : en échange de l'autonomie culturelle, il faut une dimension régionale. Il va être appuyé très fort par un homme qui va jouer un rôle remarquable, Gérard Delruelle, qui apporte l'appui des libéraux à cette réforme-là, avec l'introduction de l'idée de la réforme régionale dans laquelle, à ce moment-là, Freddy Terwagne, comme ministre en charge de la réforme institutionnelle va s'engouffrer et derrière lui Fernand Dehousse après la mort de l'Amaytois. La difficulté est grande puisque les Flamands vont casser la mise en œuvre du 107 quater, en prenant ce qui les intéresse, les communautés inscrites dans l'article 58bis, mais en ne permettant pas à la Région de déboucher au-delà de la Constitution. Le contexte international reste extrêmement houleux, il ne faut pas l'oublier. Nous sommes dans un monde qui se transforme. Au système de Bretton Woods répond évidemment, suite à la guerre du Viêt Nam, suite aux prises de position de Nixon et à l'affaiblissement des États-Unis, l'idée de décrochage avec le dollar, donc la fin du système de Bretton Woods, et l'introduction aussi de la question pétrolière au travers d'abord de la question environnementale, avec les premiers grands effets des catastrophes pétrolières - c'est le puits de Santa Barbara qui s'ouvre en Californie et une première marée, qui fait en sorte que les Américains vont commencer véritablement à dire qu'ils vont arrêter d'exploiter le pétrole aux États-Unis, donc ils vont prendre des mesures qui vont ouvrir la porte des marchés du Moyen-Orient. Cette conquête du pétrole du Moyen-Orient va accroître considérablement la demande, les prix du pétrole vont se mettre à flamber dans le contexte de la crise de 1970 auquel vont s'ajouter aussi des conflits géopolitiques entre Israël et les pays arabes. On entre à nouveau dans une autre ère.

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Pendant ce temps-là, c'est un Wallon, un Liégeois, qui non seulement avait été commissaire européen, le libéral Jean Rey, le premier membre de la Commission au moment de la Commission économique européenne, en charge d'ailleurs de tout le volet sur la régulation, le GATT, etc., qui va devenir, en 1967 jusqu'en 1970, président de la Commission européenne. Donc, de nouveau, on voit dans les écrits à Liège et notamment dans les textes du Conseil économique wallon, un intérêt pour l'Europe, en comprenant que ce Jean Rey, qui faisait partie avec Georges Truffaut, des pionniers de l'Action wallonne, c'est donc une personnalité très remarquable, prisonnier pendant la Guerre, député libéral, présent au Congrès de 1945. Jusqu'au moment où il entre à la Commission, il jouait un rôle de deuxième plan, mais là, il se révèle comme l'un des grands leaders en charge au niveau européen et c'est aussi un Liégeois qui sera son chef de Cabinet. J'ai dit que Freddy Terwagne va être le porteur de la réforme du 107 Quater, de la révision de 1970 qui transforme la Belgique, au travers de ses communautés et de ses régions, mais surtout de ses régions linguistiques qui dessinent constitutionnellement les quatre entités qui sont toujours là aujourd'hui. Dans les efforts qui vont être faits, de nouveau l'ingénierie de François Perin sera présente au travers d'une tentative de régionalisation provisoire, c’est-à-dire sans disposer de la majorité des deux tiers au gouvernement, d'essayer de se lancer dans une régionalisation avec un Conseil régional consultatif qui s'installe à Namur, avec un Comité ministériel des Affaires wallonnes présidé par Alfred Califice à Namur aussi, et un autre ministre liégeois qui est Jean Gol, élu du Rassemblement wallon à ce moment-là, comme ministre de la Région wallonne en charge de l'économie régionale wallonne. Restant attentif au va-et-vient entre le monde, la Wallonie et Liège, en ce début des années 1970, nous voyons cela pour la première fois l'image de la "Nasa Blue Marble", prise par le vaisseau Apollo 17, le 7 décembre 1972. On l'avait dessinée, on en avait vu des morceaux, mais là c'est la première photo où l'on voit la Terre en totalité. Cette image contribue fortement à la prise de conscience par les êtres humains d'un système dans lequel vivons, de la biosphère, et d'un système clos donc fragile. Et donc la représentation de la nécessité du développement durable. Les rapports du MIT sur les limites à la croissance et dus à l'initiative d'Aurelio Peccei et à la plume de l'équipe pilotée par Donella et Dennis Meadows sont publiés à ce moment-là. Nous sommes dans une période très agitée : la contestation universitaire aux États-Unis liée à la guerre du Viêt Nam, la contestation dans les pays de l'Est, la contestation à Paris, la contestation à l'Université de Liège. Les souvenirs de Guy Quaden, de Thierry Grisar, du caricaturiste Chuck, et de bien d'autres restent liés à cette période. Liège aussi est l'un des foyers de démarrage du Parti Ecolo avec les Amis de la Terre. Tous ces aspects sont liés : les questions soulevées par Pierre Clerdent, sur l'importance du nucléaire, lors des discussions sur l'implantation d'une centrale à Andenne qui finalement ira à Tihange, les initiatives européennes parce que l'Europe, avec l'Euratom s'investit aussi dans ces dimensions, la question de la démocratie portée par un visionnaire : Fernand Dehousse, qui a été - et ce n'est pas rien -, au sortir de la guerre, vice-président du Conseil économique et social des Nations Unies, président de la Commission sociale du Conseil économique et social, un des initiateurs de l'élection du Parlement européen au suffrage universel, dont l'idée fait son chemin à partir de la fin des années 1970 et débouchera à l'élection directe en 1980. Quant à la Région wallonne, elle s'est structurée progressivement. Là aussi toute une série de Liégeois jouent un rôle important dans l'appréhension des dossiers de l'heure. J'attire votre attention sur le fait que des Liégeois sont ministres-présidents jusqu'à un certain moment et puis des ministres de l'économie extrêmement importants. Le fait que les ministres suivants ne sont plus Liégeois est peut-être lié à l'idée d'un affaiblissement politique de Liège. Ces ministres-présidents sont Jean-Maurice Dehousse, André Damseaux, à nouveau Jean-Maurice Dehousse, puis Melchior Wathelet, Guy Coëme, puis Robert Collignon qui reviendra jusqu'en 1999.

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Toute une série de grandes questions ne cessent d'impressionner, notamment parce que, d'apparence lointaines, elles restent fondamentalement d'actualité. Quand Jean Defraigne, secrétaire d'État en charge de l'économie régionale wallonne nous dit que nous sommes dans une nouvelle révolution industrielle qui est celle de la société de l'information et du calcul électronique, il tient le même discours que celui du ministre-président d'aujourd'hui et, ne vous y trompez pas, il s'agit de la même révolution. Or, ce discours consiste à dire qu'il faut s'y préparer. Ce discours a été tenu en 1974, voici plus de 40 ans. Lorsque Jean-Pierre Grafé, ministre des Affaires wallonnes en 1974 dit qu'il est important de définir des finalités, une vision, un projet pour la Wallonie, on l'entend aujourd'hui, parce que la Région n'est pas parvenue à construire cet horizon en dépassant les programmes des partis politiques de la majorité. On retrouve ce même message dans la bouche de Jean Gol, en charge de l'économie wallonne en 1976. Tandis que Guy Mathot, après l'échec du Pacte d'Egmont, lorsqu'il est, en 1977, ministre des Affaires wallonnes et se préoccupe des questions de transposition industrie - science - recherche, il porte un discours qui est celui de l'Union wallonne des Entreprises aujourd'hui. Et lorsque Jean-Maurice Dehousse nous dit en 1980 que le temps est une donnée importante parce qu'il y a urgence à s'investir et que ce sont des générations qui peuvent être perdues, c'est encore le même discours que celui d'aujourd'hui. On peut évidemment revenir à l'idée de révolution industrielle portée par André Damseaux en 1982, comme elle sera portée par Melchior Wathelet, ministre-président en 1987, en disant que nous devons nous investir dans ces technologies, et Robert Collignon dira en 1997 que nous devons anticiper les besoins de la société et être présents dans l'Europe. Cette Europe s'est transformée profondément. Elle est devenue une préoccupation centrale et des ministres l'ont portée au niveau régional : Jean-Maurice Dehousse, lors la création de l'Assemblée des Régions d'Europe à l'initiative de la Wallonie. De même la capacité internationale de la Wallonie s'est-elle développée en ce début des années 1980 : les contacts pionniers avec le Québec, le début d'une politique de relations extérieures pour la Région wallonne, les premières grandes missions - on pense au Japon - et, on l'a rappelé dans le débat sur le CETA, en 1993, la reconnaissance de la capacité internationale dans les compétences de la Communauté, ainsi que les Flamands le revendiquaient, mais de la Région aussi comme les Wallons l'ont exigé à ce moment-là. Tous ces éléments permettent d'avoir une autre vision des relations avec l'Europe : cette relation prend évidemment un tour particulier avec les Fonds structurels européens et l'ensemble des plans qui sont mis en œuvre, depuis la Déclaration de politique régionale complémentaire de 1997-1998 ou le Contrat d'avenir de 1999. Même si la trajectoire du PIB wallon reste depuis cette époque très horizontale, malgré l'ampleur des politiques qui sont menées, et je pense au Plan prioritaire wallon, dit Marshall et à ses Pôles de compétitivité. Avant de conclure, je ne peux pas oublier que, dans cette période-là, le malaise citoyen va s'accroître. On pense à l'Affaire Dutroux bien sûr, ainsi qu'aux dysfonctionnements multiples de la police et de la justice. L'assassinat d'André Cools le 18 juillet 1991 est au centre des affaires Agusta et Dassault, dans lesquelles je n'entre pas. La question de l'immigration est très présente dans les débats du Conseil économique wallon, très attentif aux problématiques de la démographie et de l'emploi. Or ce que l'on a vu venir avec la crise et les années 1970, c'est une politisation de la question de l'immigration. Et cette politisation porte évidemment une dimension de proximité au travers du Centre de résidence forcée de Vottem dès 1999. La politisation est là et elle prend des formes extrêmement dures.

Conclusion Ma conclusion reviendra sur quatre éclairages.

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Le premier est un retour sur L'État fédéral en Belgique, de Georges Truffaut et Fernand Dehousse, première proposition qui revendique le fédéralisme, et qui avait été déposée à la Chambre dès 1938. Ils traitent la question du fédéralisme ou du confédéralisme, en disant comme Fernand Dehousse le répétera toute sa vie que, finalement la différence entre les deux, c'est simplement de voir quelles compétences on met où. Il nous a paru, tout d’abord que, sur le plan intérieur, l’État fédéral, par la large décentralisation qu’il implique, est de nature à assurer la coexistence, sans heurt, du peuple wallon et du peuple flamand. D’aucuns auraient pu retenir la forme de la Confédération. Le débat sur ce point se réduit à une question de mots, puisque, dans la Confédération d’Etats, comme dans l’État fédéral, il subsiste un certain nombre d’affaires communes et qu’en définitive le problème est de déterminer lesquelles 41. Le problème en effet, ce n'est pas une question de nom. Ma propre analyse est d'ailleurs que, dans la Belgique de 2016, nous résidons déjà largement dans un État confédéral. Deuxième élément, c'est l'ampleur de la capacité pionnière de Liège. C'est Jean Gol qui le rappelait dans un colloque en 1982 au Grand Liège, colloque sur la Communauté française et la Région wallonne devant le monde. Un premier colloque intitulé la Wallonie devant l'Europe, avait accueilli à Liège le président de la Commission européenne Roy Jenkins. Il avait porté un discours très fort - et cela nous renvoie à l'ensemble du cycle - en valorisant le rôle des Liégeois en matière d'organisation territoriale et de relations internationales. Alors que les Etats de l'Europe occidentale ne sont engagés que depuis un peu plus de trente ans seulement dans une voie nouvelle menant à l'unité, la principauté de Liège montre depuis un peu plus de 1000 ans comment mettre sur pied une organisation territoriale. Nous commençons à peine à définir et à appliquer des mesures de politique régionale ; il y a longtemps que vous avez établi une région qui débordait les frontières des Etats actuels. Cette petite "Europe de la Meuse", la principauté de Liège, qui s'étend de la Gueldre néerlandaise aux Ardennes françaises, a montré les possibilités et les avantages de l'organisation régionale bien avant qu'il soit question de politique ou de programmes régionaux 42. C'est un message fort. Il faut évidemment le décoder. Et en tirer des pistes pour l'avenir. Troisième élément de conclusion. Il provient de ce que l'historien et économiste Pierre Lebrun nous livrait au Colloque d'hommage à Jean Lejeune, également organisé par le Grand Liège, en 1981. Que l'on parte de l'analyse micro-économique ou de l'analyse macro-économique, disait Pierre Lebrun, c'est face à Bruxelles et à sa haute finance que l'économie liégeoise se situe le plus correctement, que la distinction entre centre et périphérie doit être introduite, que le problème d'une Région wallonne et d'une région liégeoise, comme d'une Région flamande, trouve sa place : au-delà de l'opposition communautaire. Mais ce n'est là, disait-il, que la première partie de l'affaire. Liège est en effet le "singleton" de l'intersection de trois ensembles : la Belgique, la France et le triangle des trois villes sœurs (Liège, Maastricht, Aix-la-Chapelle). Du plan national, il faut passer au transnational qui s'avère d'une très grande importance tout au long de l'histoire économique liégeoise. L'histoire, que cela plaise ou non, se conjugue au présent 43. Si nous savons tous cette nécessité d'articulation de Liège avec ces espaces et ces économies, nous connaissons aussi les logiques d'attractivité qui sont à l'œuvre. Aujourd'hui,

41 Georges TRUFFAUT et Fernand DEHOUSSE, L’Etat fédéral en Belgique, p. 16, Liège, Editions de L’Action wallonne, 1938. 42 Roy JENKINS La Wallonie devant l’Europe, cité par Jean GOL, Allocution p. 115, La Communauté française et la Région wallonne devant le monde, Liège, 2 et 3 avril 1982. Le Grand Liège, 1982. 43 Pierre LEBRUN, La problématique de l'histoire économique liégeoise des XIXe et XXe siècle, dans Problématique de l'histoire liégeoise, A la mémoire de Jean Lejeune, Actes, p. 115, Liège, Le Grand Liège, 1981.

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les chercheurs du développement territorial 44 nous rappellent que les flux s'inversent. La même difficulté existe avec le TGV que nous avons créé, qui mène les Liégeois à Bruxelles et normalement les Bruxellois à Liège - ce dont je suis moins sûr. En fait, au lieu de créer de l'activité, on crée de la dépendance, parce que, contrairement à ce qu'on espérait, de plus en plus de Liégeois vont travailler à Bruxelles. Certes, cela peut être positif parce qu'ils vont chercher de la valeur ailleurs, mais ils n'en créent pas ici pendant ce temps-là. C'est un phénomène que l'on connaît dans d'autres endroits, mais qui peut s'avérer dramatique. Parce que la difficulté des collaborations est une réalité. C'est la Professeure Bernadette Mérenne qui nous le disait déjà voici dix ans : si l'on veut réellement collaborer avec ses voisins, il convient non seulement d'en avoir la volonté, mais il faut encore en avoir les moyens, ce qui suppose des niveaux de développement proches. Or, si actuellement en termes de PIB par habitant, la Wallonie se situe à un niveau similaire à celui du Nord-Pas-de-Calais ou de la Lorraine, il n'atteint pas le niveau des autres régions voisines, à la fois belge, néerlandaise et grand-ducale. (...) 45 C'est le message que les Liégeois entendent parfois de Maastricht ou de Cologne lorsqu'ils essaient de monter des projets européens : la difficulté c'est que la concurrence entre Liège et Louvain-Leuven s'accroît au détriment des premiers qui disposent de moins de ressources en chercheurs et en finances que les seconds. Le risque est grand que la première logique, celle de la dépendance, ne prévale. Cette dynamique est inquiétante. Elle renvoie Liège et la Wallonie sur la question fondamentale du financement de l'innovation et de la recherche-développement. Tous ceux qui ont travaillé depuis 1947 ou même peut-être avant au Conseil économique wallon avancent ce discours-là. C'est celui des moyens des dépenses que l'on attribue à la R&D. Et on nous dit bien sûr que la R&D, au niveau wallon, est à un niveau valable au niveau européen, de l'ordre de 2,7 % du PIB, tendant vers l'objectif européen des 3 pour cent. Mais si on enlève le Brabant wallon qui explose véritablement les statistiques, on s'aperçoit que Liège est à peu près au niveau du Hainaut avec un niveau d'environ 400 euros par habitant par an, la moyenne belge est à 855, la moyenne européenne est à 542, et donc l'investissement que nous mettons dans notre avenir est beaucoup plus faible que le niveau de la moyenne européenne. Qui pourrait croire que Liège et la Wallonie surmonteront leurs difficultés structurelles sans investir massivement dans ce domaine ? En tout cas, tous les grands Liégeois que j'ai cités ici en étaient convaincus.

44 Alain MALHERBE, Mutations et ressources de territorialisation de l’espace transfrontalier Meuse-Rhin sur le temps long : vers une métropole polycentrique transfrontalière ? Louvain-la-Neuve, UCL, 2015. 45 Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, Des défis majeurs pour le futur, Réussir la (re)conversion économique, dans Bruno DEMOULIN & Jean-Louis KUPPER dir., Histoire de la Wallonie, p. 386-387, Toulouse, Privat, 2004.