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32 Pour la science Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2007 - Vol. 1 - N°4 La metformine : depuis 50 ans au cœur de la mitochondrie … ! A.-L. Borel Service de diabétologie-endocrinologie- nutrition, Pavillon les Ecrins, CHU de Grenoble et Bioénergétique fondamentale et appliquée, Inserm E-0221, Université Joseph-Fourier, Grenoble. Correspondance : Anne-Laure Borel Service de diabétologie-endocrinologie- nutrition Pavillon les Ecrins CHU de Grenoble 38043 Grenoble cedex [email protected] Introduction Les mots obésité, diabète de type 2 et pandémie sont dorénavant systémati- quement associés tant leur incidence au niveau mondial est préoccupante. Face à ces enjeux, la recherche, en particu- lier pharmaceutique, est lancée à pleine vitesse. De nombreuses molécules font leur apparition pour des approches ori- ginales du traitement des patients ayant un diabète de type 2, visant à associer des modes d’actions pharmacologiques complémentaires. Parmi ces molécules, l’une des plus anciennes tient plus que jamais, insolemment, une place cruciale : la metformine. Celle-ci reste le traitement de référence recommandé dans tous les pays en première intention chez le patient diabétique de type 2 et plus particuliè- rement en surpoids [1,2]. L’UKPDS [3] (United Kingdom Prospective Diabetes Study), a démontré que la metformine permet d’atteindre un contrôle glycémi- que strict, avec pour conséquence une diminution des complications micro- et macrovasculaires du diabète de type 2, une diminution de la mortalité liée au diabète et de la mortalité toutes causes confondues. De plus, par comparaison au traitement par sulfonylurée ou par insuline, à niveau de contrôle glycémi- que équivalent, la metformine s’accom- pagne d’une baisse supplémentaire de la mortalité liée au diabète et de la mor- talité toutes causes confondues chez les patients diabétiques de type 2 obèses. Il existerait donc un bénéfice propre de la metformine, indépendant du contrôle glycémique qu’elle permet d’obtenir. Enfin, le traitement par metformine ne s’accompagne pas de prise de poids, au contraire de toutes les autres molécules à visée antidiabétique actuellement sur le marché [4]. Mode d’action de la metformine Le mode d’action de la metformine a été longuement étudié. Il fait toujours l’objet de controverses. Il est démontré qu’elle réduit la glycémie, sans provo- quer d’hypoglycémie, et qu’elle améliore l’insulinorésistance. De manière assez consensuelle, il est admis qu’elle induit la baisse de la production endogène de La metformine tient une place préé- minente dans le traitement du dia- bète de type 2 depuis plus de 50 ans. Son mode d’action s’inscrit au cœur du métabolisme énergétique : elle active l’AMP kinase et inhibe l’oxy- dation phosphorylante mitochon- driale. Au-delà du contrôle glycémi- que, son action sur la mitochondrie permet d’inhiber l’apoptose cel- lulaire induite par l’hyperglycémie ainsi que la production de radicaux libres, deux cibles contre les méca- nismes dégénératifs liés au diabète de type 2. La metformine, utilisée depuis plus de 50 ans, permet la réduction de la morbi- mortalité des patients diabétiques de type 2, grâce au contrôle de la glycémie, mais également par un effet propre à la molécule. Le mécanisme d’action de la metformine implique les voies du métabolisme énergétique hépatique : elle active l’AMP kinase et inhibe l’oxydation phosphorylante mitochondriale. Son action sur la mitochondrie implique également une inhibition de l’apoptose, ainsi qu’une réduction de la production de radicaux libres. Ces actions multiples au cœur de la mitochondrie peuvent expliquer les particularités des effets propres à la metformine, et sa grande utilité clinique, non démentie depuis plus de 50 ans. Points essentiels © 2007 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

La metformine : depuis 50 ans au cœur de la mitochondrie … !

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32 Pour la science

Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2007 - Vol. 1 - N°4

La metformine : depuis 50 ans au cœur de la mitochondrie … !

A.-L. BorelService de diabétologie-endocrinologie- nutrition, Pavillon les Ecrins, CHU de Grenoble et Bioénergétique fondamentale et appliquée, Inserm E-0221, Université Joseph-Fourier, Grenoble.

Correspondance :

Anne-Laure BorelService de diabétologie-endocrinologie- nutritionPavillon les EcrinsCHU de Grenoble38043 Grenoble [email protected]

Introduction

Les mots obésité, diabète de type 2 et pandémie sont dorénavant systémati-quement associés tant leur incidence au niveau mondial est préoccupante. Face à ces enjeux, la recherche, en particu-lier pharmaceutique, est lancée à pleine vitesse. De nombreuses molécules font leur apparition pour des approches ori-ginales du traitement des patients ayant un diabète de type 2, visant à associer des modes d’actions pharmacologiques complémentaires. Parmi ces molécules, l’une des plus anciennes tient plus que jamais, insolemment, une place cruciale : la metformine. Celle-ci reste le traitement de référence recommandé dans tous les pays en première intention chez le patient diabétique de type 2 et plus particuliè-rement en surpoids [1,2]. L’UKPDS [3] (United Kingdom Prospective Diabetes Study), a démontré que la metformine permet d’atteindre un contrôle glycémi-que strict, avec pour conséquence une diminution des complications micro- et macrovasculaires du diabète de type 2, une diminution de la mortalité liée au diabète et de la mortalité toutes causes

confondues. De plus, par comparaison au traitement par sulfonylurée ou par insuline, à niveau de contrôle glycémi-que équivalent, la metformine s’accom-pagne d’une baisse supplémentaire de la mortalité liée au diabète et de la mor-talité toutes causes confondues chez les patients diabétiques de type 2 obèses. Il existerait donc un bénéfice propre de la metformine, indépendant du contrôle glycémique qu’elle permet d’obtenir. Enfin, le traitement par metformine ne s’accompagne pas de prise de poids, au contraire de toutes les autres molécules à visée antidiabétique actuellement sur le marché [4].

Mode d’action de la metformine

Le mode d’action de la metformine a été longuement étudié. Il fait toujours l’objet de controverses. Il est démontré qu’elle réduit la glycémie, sans provo-quer d’hypoglycémie, et qu’elle améliore l’insulinorésistance. De manière assez consensuelle, il est admis qu’elle induit la baisse de la production endogène de

La metformine tient une place préé-minente dans le traitement du dia-bète de type 2 depuis plus de 50 ans. Son mode d’action s’inscrit au cœur du métabolisme énergétique : elle active l’AMP kinase et inhibe l’oxy-dation phosphorylante mitochon-driale. Au-delà du contrôle glycémi-que, son action sur la mitochondrie permet d’inhiber l’apoptose cel-lulaire induite par l’hyperglycémie ainsi que la production de radicaux libres, deux cibles contre les méca-nismes dégénératifs liés au diabète de type 2.

• La metformine, utilisée depuis plus de 50 ans, permet la réduction de la morbi-

mortalité des patients diabétiques de type 2, grâce au contrôle de la glycémie, mais

également par un effet propre à la molécule.

• Le mécanisme d’action de la metformine implique les voies du métabolisme

énergétique hépatique : elle active l’AMP kinase et inhibe l’oxydation phosphorylante

mitochondriale. Son action sur la mitochondrie implique également une inhibition de

l’apoptose, ainsi qu’une réduction de la production de radicaux libres.

• Ces actions multiples au cœur de la mitochondrie peuvent expliquer les particularités

des effets propres à la metformine, et sa grande utilité clinique, non démentie depuis

plus de 50 ans.

Points essentiels

© 2007 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

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Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2007 - Vol. 1 - N°4

glucose, par diminution de la glycogé-nolyse et de la néoglucogenèse hépa-tiques. En second lieu, il est également observé une augmentation de l’utilisation périphérique du glucose [5,6].

Metformine et mitochondries

À l’échelon cellulaire, il existe encore de nombreux points d’ombre : la metfor-mine pénètre-t-elle dans les cellules ? Lesquelles ? Existe-t-il un transport mem-branaire [7,8] ? On lui reconnaît un effet sur l’homéostasie énergétique. En effet, la classe médicamenteuse des biguanides inhibe la chaîne respiratoire mitochon-driale [9]. Plusieurs travaux ont montré une baisse du rapport ATP/ADP dans les hépatocytes et les mitochondries hépati-ques en présence de metformine [10,11]. Deux pistes de recherche sont apparues, de manière concomitante, pour définir la cible d’action de la metformine dans le métabolisme énergétique. En présence de metformine, l’AMP kinase (AMP-activated protein kinase) est fortement activée [12]. Cette enzyme est impliquée dans la régu-lation de l’ensemble des voies du métabo-lisme énergétique. Activée par la baisse du rapport ATP/AMP, par l’augmentation du calcium intracellulaire, par l’adiponectine ou la leptine, elle joue un rôle de « sensor » énergétique qui conduit à l’activation des voies productrices d’ATP et à l’inhibition des voies qui en consomment. Par des mécanismes allostériques directs ou bien par des modifications transcriptionnelles, son activation favorise l’insulinosensibi-lité [13,14]. D’autre part, il est démontré que la metformine est un inhibiteur du complexe 1 de la chaîne respiratoire [15,16]. En superposant ces deux don-nées, on peut faire l’hypothèse que l’inhi-bition du complexe 1 induit une baisse du rapport ATP/AMP qui pourrait expliquer l’activation de l’AMP kinase, mais ce lien de causalité n’est pas démontré à ce jour. Actuellement, on sait que le « knock-out » (invalidation) hépatique de l’enzyme LKB1 (enzyme activatrice de l’AMP kinase par phosphorylation) induit une hyperglycé-mie et annule l’effet de la metformine [17]. Cette découverte a renforcé l’idée que le foie constitue la cible tissulaire principale de la metformine. L’enzyme LKB1 est

donc essentielle à son mécanisme d’ac-tion, mais on ne sait pas de quelle manière la metformine induit son activation.L’étude de l’action de la metformine sur la chaîne respiratoire mitochondriale a permis de découvrir d’autres effets de la molécule, effets indépendants de la baisse de la glycémie (figure 1). La mito-chondrie est impliquée dans le contrôle de l’apoptose (mort cellulaire programmée). Par l’ouverture d’un pore de transition de perméabilité, la mitochondrie relâche dif-férents inducteurs de l’apoptose dans le cytosol. L’ouverture du pore est déclen-chée par différents stimuli, tels l’augmen-tation du calcium intracellulaire ou des radicaux libres, ou par l’hyperglycémie [18,19]. La metformine inhibe l’apoptose d’origine mitochondriale, notamment l’apoptose des cellules endothéliales induite par l’hyperglycémie [20]. La chaîne respiratoire mitochondriale est également un site de production de radicaux libres. La metformine inhibe cette production en inhibant le flux reverse d’électrons au travers du complexe 1 [21]. Ces effets pourraient expliquer le bénéfice supplé-mentaire obtenu grâce à la metformine sur la morbi-mortalité liée au diabète de type 2, par rapport aux autres molécules, à contrôle glycémique équivalent.

Références

[ 1 ] A F S S A P S - H A S . R e c o m m a n d a t i o n Professionnelle. Traitement médicamenteux du diabète de type 2 (Actualisation). Novembre 2006. Recommandation de Bonne Pratique (Synthèse, Recommandation et Argumentaire). Diabetes Metab 2007;33(1-cahier 2):1S1-1S105. www.has-sante.fr

[2] Halimi S. Metformin: 50 years old, fit as a fiddle, and indispensable for its pivotal role in type 2 diabetes management. Diabetes Metab 2006;32:555-6.

[3] UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) Group. Effect of intensive blood-glucose control with metformin on complications in overweight patients with type 2 diabetes (UKPDS 34). Lancet 1998;352:854-65.

[4] Saenz A, Fernandez-Esteban I, Mataix A, et al. Metformin monotherapy for type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2005:CD002966.

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[6] Bailey CJ, Turner RC. Metformin. N Engl J Med 1996;334:574-9.

[7] Detaille D, Guigas B, Leverve X, et al. Obligatory role of membrane events in the regulatory effect of metformin on the respiratory chain function. Biochem Pharmacol 2002;63:1259-72.

[8] Detaille D, Wiernsperger N, Devos P. Metformin interaction with insulin-regulated glucose uptake, using the Xenopus laevis oocyte model expres-sing the mammalian transporter GLUT4. Eur J Pharmacol 1999;377:127-36.

Figure 1 : Mode d’action de la metformine impliquant les mitochondries hépatiques.

La metformine a montré son intérêt

en clinique depuis plus de 50 ans. Elle

garde à ce jour toute sa pertinence

contre l’insulinorésistance hépatique,

notamment chez le sujet obèse. Les

découvertes récentes, qui commen-

cent à éclairer un mécanisme d’action

resté longtemps mystérieux, relancent

l’intérêt pour cette molécule. On la

découvre au centre du métabolisme

énergétique hépatique, agissant par

l’intermédiaire de l’AMP kinase et de

la chaîne respiratoire mitochondriale.

Inhibitrice de l’apoptose et de la pro-

duction de radicaux libres, son action

s’inscrit au cœur des mécanismes

dégénératifs liés à l’hyperglycémie.

Après 50 ans au cœur de la mitochon-

drie, la metformine semble bien armée

pour durer…. !

Conclusion

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34 Pour la sciencePour la science

Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2007 - Vol. 1 - N°4

[9] Schafer G. Biguanides. A review of history, pharmacodynamics and therapy. Diabete Metab 1983;9:148-63.

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[11] Leverve XM, Guigas B, Detaille D, et al. Mitochondrial metabolism and type-2 diabetes: a specific target of metformin. Diabetes Metab 2003;29:6S88-94.

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[13] Viollet B, Foretz M, Guigas B, et al. Activation of AMP-activated protein kinase in the liver: a new

strategy for the management of metabolic hepatic disorders. J Physiol 2006;574:41-53.

[14] Hardie DG, Hawley SA, Scott JW. AMP-acti-vated protein kinase-development of the energy sensor concept. J Physiol 2006;574:7-15.

[15] El-Mir MY, Nogueira V, Fontaine E, et al. Dimethylbiguanide inhibits cell respiration via an indirect effect targeted on the respiratory chain complex I. J Biol Chem 2000;275:223-8.

[16] Owen MR, Doran E, Halestrap AP. Evidence that metformin exerts its anti-diabetic effects through inhibition of complex 1 of the mitochondrial respiratory chain. Biochem J 2000;348:607-14.

[17] Shaw RJ, Lamia KA, Vasquez D, et al. The kinase LKB1 mediates glucose homeostasis in liver and therapeutic effects of metformin. Science 2005;310:1642-6.

[18] Kroemer G, Galluzzi L, Brenner C. Mitochondrial membrane permeabilization in cell death. Physiol Rev 2007;87:99-163.

[19] Fontaine E, Eriksson O, Ichas F, Bernardi P. Regulation of the permeability transition pore in skeletal muscle mitochondria. Modulation by electron flow through the respiratory chain com-plex i. J Biol Chem 1998;273:12662-8.

[20] Detaille D, Guigas B, Chauvin C, et al. Metformin prevents high-glucose-induced endothelial cell death through a mitochondrial permeability transition-dependent process. Diabetes 2005;54:2179-87.

[21] Batandier C, Guigas B, Detaille D, et al. The ROS production induced by a reverse-electron flux at respiratory-chain complex 1 is hampered by metformin. J Bioenerg Biomembr 2006;38:33-42.