20
Burgermeister, P.-F. & Dorier, J.-L. (2013). La modélisation dans l’enseignement des mathématiques en Suisse romande. Petit x, 91, 5-24. LA MODELISATION DANS L’ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES EN SUISSE ROMANDE Pierre-François BURGERMEISTER Jean-Luc DORIER Université de Genève Résumé. Dans ce texte 1 , nous montrons comment la modélisation est apparue dans le nouveau plan d’études romand pour la scolarité obligatoire comme un thème fédérateur et transversal en mathématiques et en sciences. Nous présentons ensuite une formation continue que nous avons mis en place sur ce sujet pour tous les enseignants de mathématiques du Cycle d’Orientation de Genève (3 premières années de l’enseignement secondaire, âge 12-16 ans), en lien avec notre participation au projet européen PRIMAS 2 . Sur la base d’une définition très ouverte de la modélisation, nous introduisons ensuite une typologie en trois niveaux des activités mettant en jeu de la modélisation. Enfin, nous analysons quelques activités des nouveaux manuels scolaires de Suisse romande (pour le 9ième degré, âge 12 ans) en nous appuyant sur cette typologie pour en dégager les enjeux en termes de modélisation et quelques considérations sur leur traitement possible en classe. Mots-clés : modélisation, schématisation, démarche d’investigation, formation continue, contrat didactique, milieu didactique. 1. Introduction Notre article concerne l’enseignement des mathématiques en Suisse romande, mais les questions qu’il soulève nous semblent pouvoir intéresser un public français et plus généralement international. Le nouveau Plan d’Etudes Romand (PER) est entré en vigueur à la rentrée 2011 pour le 9 ème degré du cycle d’orientation genevois 3 , il s’est généralisé au 10 ème degré cette année et le sera pour le 11 ème degré à la rentré 2013/14. Il divise les disciplines scolaires en cinq domaines, dont Mathématiques et Sciences de la Nature (MSN) qui regroupe dorénavant les mathématiques et les sciences de la nature et l’environnement comprenant la physique, la chimie et la biologie. Néanmoins, la séparation entre Mathématique et Sciences de la Nature reste effective pour sept des huit axes thématiques du domaine MSN : quatre axes (MSN 31 à 34) sont spécifiques aux Mathématiques et trois (MSN 36 à 38) aux Sciences de la nature. Quant à la modélisation (MSN 35 : “Modéliser des phénomènes naturels, techniques, sociaux ou des situations mathématiques”), elle est considérée comme une thématique commune aux deux sous-domaines. Cet aspect fédérateur de la modélisation est particulièrement sensible dans le paragraphe de présentation du domaine : 1 Ce texte est une version française retravaillée d’un texte présenté à CME12 à Seoul en juillet2012 (Dorier & Burgermeister 2012). 2 Le projet PRIMAS a reçu un financement du 7e programme cadre de l’Union Européenne (FP7/2007-2013) sous le grant agreement n° 244380. Ce texte ne reflète que les opinions des auteurs et l’Union Européenne ne peut être tenu responsable de tout usage fait de l’information que ce texte contient. 3 Le PER s’applique à l’ensemble de la Suisse romande, mais chaque canton garde une certaine indépendance dans la politique éducative, en particulier dans l’organisation des différents degrés scolaires. Ainsi à Genève l’enseignement primaire comprend maintenant huit années (de 4-5 ans à 12-13 ans), le Cycle d’Orientation (équivalent du collège français) en comprend trois (de 12-13 à 15-16 ans) et le post obligatoire en général quatre. Les 9ème, 10ème et 11ème degrés correspondent aux classes respectivement de 5e, 4e et 3e françaises.

La modelisation dans l'enseignement des mathematiques en Suisse romande_article_2013.pdf

Embed Size (px)

Citation preview

  • Burgermeister, P.-F. & Dorier, J.-L. (2013). La modlisation dans lenseignement des mathmatiques en Suisse romande. Petit x, 91, 5-24.

    LA MODELISATION DANS LENSEIGNEMENT DES

    MATHEMATIQUES EN SUISSE ROMANDE

    Pierre-Franois BURGERMEISTER Jean-Luc DORIER

    Universit de Genve Rsum. Dans ce texte1, nous montrons comment la modlisation est apparue dans le nouveau plan dtudes romand pour la scolarit obligatoire comme un thme fdrateur et transversal en mathmatiques et en sciences. Nous prsentons ensuite une formation continue que nous avons mis en place sur ce sujet pour tous les enseignants de mathmatiques du Cycle dOrientation de Genve (3 premires annes de lenseignement secondaire, ge 12-16 ans), en lien avec notre participation au projet europen PRIMAS2. Sur la base dune dfinition trs ouverte de la modlisation, nous introduisons ensuite une typologie en trois niveaux des activits mettant en jeu de la modlisation. Enfin, nous analysons quelques activits des nouveaux manuels scolaires de Suisse romande (pour le 9ime degr, ge 12 ans) en nous appuyant sur cette typologie pour en dgager les enjeux en termes de modlisation et quelques considrations sur leur traitement possible en classe. Mots-cls : modlisation, schmatisation, dmarche dinvestigation, formation continue, contrat didactique, milieu didactique.

    1. Introduction Notre article concerne lenseignement des mathmatiques en Suisse romande, mais les questions quil soulve nous semblent pouvoir intresser un public franais et plus gnralement international.

    Le nouveau Plan dEtudes Romand (PER) est entr en vigueur la rentre 2011 pour le 9me degr du cycle dorientation genevois3, il sest gnralis au 10me degr cette anne et le sera pour le 11me degr la rentr 2013/14. Il divise les disciplines scolaires en cinq domaines, dont Mathmatiques et Sciences de la Nature (MSN) qui regroupe dornavant les mathmatiques et les sciences de la nature et lenvironnement comprenant la physique, la chimie et la biologie. Nanmoins, la sparation entre Mathmatique et Sciences de la Nature reste effective pour sept des huit axes thmatiques du domaine MSN : quatre axes (MSN 31 34) sont spcifiques aux Mathmatiques et trois (MSN 36 38) aux Sciences de la nature. Quant la modlisation (MSN 35 : Modliser des phnomnes naturels, techniques, sociaux ou des situations mathmatiques), elle est considre comme une thmatique commune aux deux sous-domaines. Cet aspect fdrateur de la modlisation est particulirement sensible dans le paragraphe de prsentation du domaine : 1 Ce texte est une version franaise retravaille dun texte prsent CME12 Seoul en juillet2012 (Dorier &

    Burgermeister 2012). 2 Le projet PRIMAS a reu un financement du 7e programme cadre de lUnion Europenne (FP7/2007-2013) sous le

    grant agreement n 244380. Ce texte ne reflte que les opinions des auteurs et lUnion Europenne ne peut tre tenu responsable de tout usage fait de linformation que ce texte contient.

    3 Le PER sapplique lensemble de la Suisse romande, mais chaque canton garde une certaine indpendance dans la politique ducative, en particulier dans lorganisation des diffrents degrs scolaires. Ainsi Genve lenseignement primaire comprend maintenant huit annes (de 4-5 ans 12-13 ans), le Cycle dOrientation (quivalent du collge franais) en comprend trois (de 12-13 15-16 ans) et le post obligatoire en gnral quatre. Les 9me, 10me et 11me degrs correspondent aux classes respectivement de 5e, 4e et 3e franaises.

  • Le domaine des Mathmatiques et Sciences de la nature associe des disciplines qui visent acqurir des mthodes de penses et daction tout autant quun ensemble de notions et doutils permettant de modliser des situations et de rsoudre divers problmes ; si leur approche diffre (sic), les Mathmatiques et les Sciences de la nature abordent nanmoins des procdures et des notions propres certains aspects de la ralit et leurs dmarches se compltent et senrichissent rciproquement. (PER, cycle3, Prsentation gnrale, p.27)

    Lide de modlisation est galement prminente dans les commentaires gnraux du domaine MSN :

    Il [le domaine] fournit llve des instruments intellectuels dapprhension et de comprhension du rel et dadaptation ce dernier.

    [...] Le propos des Mathmatiques est doffrir des manires de penser dotes de mthodes et dun langage spcifiques pour apprhender lespace, modliser des situations et traiter du vrai et du faux. Ces manires de penser se ralisent dans la pose et la rsolution de problmes propres aux Mathmatiques ou tirs dautres disciplines.

    [] Le propos des sciences est dtablir un principe de rationalit dans la confrontation des ides et des thories avec des faits observables dans le monde environnant. (PER, cycle3, MSN, p.7)

    La modlisation recouvre lensemble du domaine MSN. En effet les actes qui participent de la modlisation sont, selon le PER, nombreux et varis :

    MSN35 Modliser des phnomnes naturels, techniques, sociaux ou des situations mathmatiques A) en mobilisant des reprsentations graphiques (codes, schmas, tableaux, graphiques, ...) B) en associant aux grandeurs observables des paramtres C) en triant, organisant et interprtant des donnes D) en communicant ses rsultats et en prsentant des modlisations E) en traitant des situations alatoires laide de notions de probabilits F) en dgageant une problmatique et /ou en formulant des hypothses G) en recourant des modles existants H) en mobilisant, selon la situation, la mesure et/ou des outils mathmatiques (fonctions, statistiques, algbre,...). (PER, cycle3, MSN, rabat de couverture)

    Chacun de ces actes se retrouvent dans tous les axes thmatiques du domaine.

    Dautre part, ce thme est suppos contribuer la construction de capacits transversales en dveloppant la collaboration, la communication, les stratgies dapprentissage, la pense cratrice et la dmarche rflexive. Dans le lexique du domaine MSN, la modlisation

    (...) recouvre lide dassocier une situation complexe un modle qui la rend intelligible en la rduisant ses lments essentiels. (PER, cycle3, MSN, p.58)

    Paralllement la mise en place du PER, les moyens denseignement des mathmatiques au cycle dorientation se voient profondment remanis. Les nouveaux Moyens 9-10-11 comprennent pour chaque degr un livre et un fichier. Chacun se dcoupe en cinq sections qui offrent autant de collections dactivits. Les quatre premires sections correspondent aux quatre axes strictement mathmatiques du domaine MSN, alors que la cinquime, appele Recherche et stratgies, aborde travers des thmes transversaux la pratique du raisonnement mathmatique. Elle est constitue de 24 activits dinvestigation, dont 21 intgrent un contenu mathmatique se rattachant lune au moins des quatre premires sections. Par ailleurs, laxe commun MSN 35 sur la modlisation, peut tre travaill travers de nombreuses activits des cinq sections qui ne sont pas pointes en tant que telles. Comme dans la version prcdente des moyens romands (MERM), un Aide-mmoire expose une synthse des rsultats thoriques devant tre prsents durant les trois annes du cycle 3, regroups selon les mmes sections. A la fin de la section Recherche et stratgies se trouve une dfinition de

  • la modlisation : Crer une reprsentation simplifie dun problme (schma, croquis, tableau, graphique, simulation, etc.) dans le but de le comprendre et dlaborer une solution. (Aide-mmoire, p.142)

    Cette dfinition est assortie dun exemple de problme de dnombrement : trouver le nombre de poignes de mains change dans un groupe de n personnes si chacune a serr, une seule fois, la main de toutes les autres . Les auteurs dnombrent explicitement les poignes de mains dans les cas o n vaut 2, 3, 4 et 5 ; ils utilisent ensuite un tableau double entre pour organiser le dnombrement, dabord dans le cas n = 6, puis pour le cas gnral. Le tableau est prsent comme une modlisation de la situation. Dans cette nouvelle collection comme dans le Plan dtudes, on voit que le terme de modlisation est pris dans un sens assez large : la dmarche de modlisation est suppose emblmatique du raisonnement scientifique, et commune aux mathmatiques et aux sciences de la nature. Elle ne sapplique pas uniquement aux situations concrtes en cherchant en rduire la complexit, mais peut galement tre intra-mathmatique.

    Dans ce sens, cette conception de la modlisation est proche de celle de plusieurs chercheurs en didactique des mathmatiques, et en particulier de celle de la Thorie Anthropologique du Didactique pour laquelle :

    Afin de penser d'un mme mouvement ces deux types d'emplois et d'tudes (habituellement spars, comme en tmoignent les oppositions traditionnelles entre mathmatiques et applications des mathmatiques, entre problmes abstraits et problmes concrets , etc.), nous rfrerons dans ce qui suit un schma gnral de modlisation, dans le dessein d'apprhender sous des catgories communes les emplois intra-mathmatiques et extra-mathmatiques auxquels nous nous intresserons. (Chevallard, 1989, p. 53)

    Dailleurs dans la ligne de Chevallard, plusieurs auteurs affirment que : (...) la plupart de lactivit mathmatique peut tre identifie () une activit de modlisation mathmatique.4 (Chevallard, Bosch and Gascn, 1997, p.51).

    A loppos, les modles utiliss par les sciences de la nature ne sont pas uniquement mathmatiques ; la modlisation possde galement un versant non mathmatique. Dans la suite de cet article nous ne nous intresserons qu la question de lenseignement des mathmatiques.

    On a vu que le Plan dtudes et les manuels romands conoivent la modlisation comme une faon de traduire une situation dans un autre systme de reprsentation en insistant sur la simplification que cette traduction offre. Or, cet aspect de rduction de la complexit ne nous semble pas tre central ds lors que lon adopte une conception large de la modlisation.

    Finalement, lactivit de modlisation peut faire intervenir plusieurs modles concurrents entre lesquels il faut essayer de dterminer le plus appropri pour la rsolution du problme initial.

    Nous verrons dans la deuxime partie de ce texte comment nous intgrons tous ces aspects du concept de modlisation dans notre formation continue. Pour le moment, nous poursuivons notre prsentation du contexte de notre travail en exposant brivement son insertion dans le projet Europen PRIMAS.

    1.2. Une formation continue dans le cadre du projet Europen PRIMAS

    La mise en place du PER et larrive des nouveaux moyens 9-10-11 ont conduit lautorit scolaire genevoise mettre sur pied une formation continue (recyclage) dune journe pour tous les enseignants de mathmatiques du cycle dorientation, soit environ 350 enseignants. En tant que partie prenante du projet Europen PRIMAS (Promoting inquiry in mathematics and science across Europe), notre quipe forme de 15 enseignants, formateurs et chercheurs en mathmatiques, 4 Notre traduction.

  • physique et biologie a t mandate pour concevoir et organiser cette formation. Nous avons choisi de consacrer la premire demi-journe la nouvelle section des Moyens 9-10-11, Recherche et stratgies, et la seconde la modlisation. Les situations dinvestigation ne constituent pas une nouveaut pour les enseignants de mathmatiques du cycle dorientation genevois. Sous des appellations diffrentes (rsolution de problmes, problmes ouverts, activits de recherche, etc.), les plus anciens ont dj t sensibiliss la notion de situation dinvestigation depuis plusieurs dcennies et, souvent, les ont largement pratiques dans leurs classes. Ils ont parfois le sentiment de tout connatre des dmarches dinvestigation et des activits de modlisation. Cependant, beaucoup sont rticents les mettre en uvre dans leurs classes en raison de laspect facilement chronophage de ces activits et de la pression toujours plus forte laquelle ils sont soumis pour pouvoir boucler leurs programmes, en termes de contenus, avant les valuations communes de fin danne. Ils se concentrent ainsi sur lapprentissage des savoir-faire techniques ou algorithmiques, les points du programme qui font justement lobjet des valuations communes. Il est noter par ailleurs que les activits dinvestigation peuvent dstabiliser aussi les lves comme le remarquent Blum et Niss (1991, p. 54) :

    Les activits de rsolution de problmes, de modlisation et dapplications aux autres disciplines rendent les leons de mathmatiques indniablement plus coteuses et moins prdictibles pour les apprenants que les leons traditionnelles. Les tches routinires de mathmatiques, comme les calculs, sont plus populaires parmi la majorit des lves parce quelles sont plus faciles apprhender et peuvent souvent tres rsolues en suivant seulement quelques recettes, qui permettent aux lves dobtenir de bons rsultats aux examens.5

    Une formation dune journe est trop courte pour permettre des volutions importantes. De plus, les expriences ont montr quune formation continue qui se veut efficace doit tre pragmatique, proche des proccupations des enseignants et de leur potentiel dvolution, sans se montrer trop radicalement ambitieuse (Robert, Penninckx, Lattuati 2012). Dans notre cas, nous avons essay de construire une formation qui montre que des activits dinvestigation et de modlisation peuvent tre mise en place sans tre trop chronophages, tout en prservant une part essentielle de travail autonome des lves et sans ncessiter dautres ressources que celles des manuels officiels.

    Conscients de ce que la gestion du temps est entirement dans les mains de lenseignant, nous nous sommes concentrs sur le rle de lenseignant pendant lactivit en classe et sur la mise en place doutils danalyse pour guider ses choix en situation. Deux questions essentielles nous ont guids : A quel moment est-il appropri daider les lves organiser leur recherche et quel type daide leur apporter ? Quand est-il au contraire essentiel, pour ne pas touffer le potentiel dinvestigation et/ou de modlisation, de laisser les lves trouver leur propre cheminement vers une solution ?

    Nous nous sommes donc efforcs de rester ralistes, la formation tant destine tous les enseignants de mathmatiques genevois, sous mandat de linstitution ducative cantonale. Notre but principal ntait pas dadapter les pratiques enseignantes au nouveau plan dtudes, mais plus modestement douvrir une porte vers une pratique plus souple de la modlisation et de linvestigation dans les classes de mathmatiques et une meilleure connaissance des enjeux dapprentissage lis ces pratiques.

    2. Une typologie des activits de modlisation Notre premire tche tait dadopter une dfinition de la modlisation la fois assez large pour 5 Notre traduction : Problem solving, modelling and applications to other disciplines make the mathematics lessons

    unquestionably more demanding and less predictable for learners than traditional mathematics lessons. Mathematical routine tasks such as calculations are more popular with many students because they are much easier to grasp and can often be solved merely by following certain recipes, which makes it easier for students to obtain good marks in tests and examinations.

  • respecter le PER et assez prcise pour pouvoir tre oprationnelle dans lanalyse des diffrentes activits lies la modlisation. Comme nous lavons mentionn plus haut, la modlisation tant vue comme un thme transversal, les manuels ne spcifient pas lesquelles des activits proposes relvent de ce thme. Il revient aux enseignants de les reprer eux-mmes et de choisir comment en tirer parti pour travailler la modlisation.

    2.1. Une dfinition de la modlisation

    On trouve dans la littrature diffrentes dfinitions de la modlisation.

    Voici par exemple celle qui apparat dans lintroduction de la 14me tude ICMI, Modelling and applications in mathematics education :

    Un modle mathmatique comprend le domaine extra-mathmatique D en jeu, un domaine mathmatique M et une correspondance du domaine extra-mathmatique sur le domaine mathmatique. Les objets, relations, phnomnes hypothses, questions, etc. dans D sont identifis et slectionns comme pertinents pour le but suivi et la situation et sont ensuite traduits en objets, relations, phnomnes, hypothses, questions, etc. appartenant M. A lintrieur de M, des considrations, manipulations et infrences sont effectues, dont les rsultats sont leur tour traduits et interprts dans D comme conclusions concernant ce domaine. Ce cycle de modlisation peut tre itr plusieurs fois, en fonction de la validation et de lvaluation du modle par rapport au domaine, jusqu ce que les conclusions concernant D soient satisfaisantes, par rapport au but de construction du modle. Le terme de modlisation se rfre lensemble du processus et tout ce quil implique.6 (Niss, Blum & Galbraith, 2007, p. 4)

    Dans un travail didactique sur ltude de la mise en quations de problmes concrets en fin de Collge, dbut de Lyce, Coulange (1997) a utilis le schma suivant pour dcrire le processus de modlisation :

    6 Notre traduction : A mathematical model consists of the extramathematical domain, D, of interest, some

    mathematical domain M, and a mapping from the extra-mathematical to the mathematical domain. Objects, relations, phenomena, assumptions, questions, etc. in D are identified and selected as relevant for the purpose and situation and are then mapped - translated- into objects, relations, phenomena, assumptions, questions, etc. pertaining to M. Within M, mathematical deliberations, manipulations and inferences are made, the outcomes of which are then translated back to D and interpreted as conclusions concerning that domain. This so-called modelling cycle may be iterated several times, on the basis of validation and evaluation of the model in relation to the domain, until the resulting conclusions concerning D are satisfactory in relation to the purpose of the model construction. The term modelling refers to the entire process, and everything involved in it

  • Figure1. Schma de la dmarche de modlisation mathmatique daprs Coulange (1997, p.36) Dans son travail, Coulange montre bien quun tel schma de la modlisation a beaucoup de mal vivre dans lenseignement o le niveau des problmes concrets est gnralement absent, avec seulement des problmes pseudo-concrets et pas de dialectique dans le processus de modlisation souvent transparent. La notion de schmatisation, lie celle de modlisation, a galement intress certains auteurs. Cest le cas de Gonseth, dans son approche philosophique des liens entre mathmatiques et ralit (voir Gonseth, 1936). Pour lui, les mathmatiques se sont dveloppes partir dun processus de schmatisation de la ralit, vritable acte de cration mentale. Il prend en particulier lexemple de la droite que lon abstrait de la perception du fate dun toit, de larte dune rgle, dun rayon lumineux ou dune ligne de vise. La droite apparat alors comme une image schmatique de la ralit :

    Dans un schma, la ralit ne se trouve pas reprsente dans tous ses dtails, seuls certains traits sont conservs, et certains rapports voqus. Un schma nest en aucune faon une reprsentation fidle en un sens absolu : il nest comprhensible que si on en possde la cl explicative. Ce quon exprimera en disant que ladquation du schma son objet est symbolique. (Gonseth, 1932, p. 234)

    Ainsi, lacte de schmatisation est-il fondamental dans le processus plus complexe de modlisation. Le travail de Gonseth nous rend galement sensibles la fonction cognitive de la schmatisation en mathmatiques. Nous retrouverons certains lments de son travail dans un usage didactique de la modlisation pour aider la conceptualisation mathmatique. Dans notre cas, comme nous lavons mentionn plus haut, il est indispensable de pouvoir envisager le cas de la modlisation intra-mathmatique. Dans ce sens, nous nous rapprochons davantage de lapproche de Chevallard (1989, p. 53) qui introduit : un schma simplifi, qui suppose essentiellement deux registres d'entits : un systme, mathmatique ou non mathmatique, et un modle (mathmatique) de ce systme. Nous ne nous limiterons en effet pas au cas de la modlisation extra-mathmatique, o lun des

  • domaines est non mathmatique (on dira souvent rel ou concret) et lautre mathmatique. En effet, notre dfinition se doit dinclure des situations o les deux domaines sont mathmatiques (modlisation intra-mathmatique), ainsi que dautres o les deux domaines sont non mathmatiques (modlisation non mathmatique), comme cest souvent le cas en sciences au niveau du cycle dorientation7. De plus, pour ne pas tre trop restrictifs, nous navons pas retenu dans notre dfinition la dimension de rduction de la complexit, dun systme rel complexe un modle mathmatique pur, souvent considre comme une des principales vises de la modlisation (cest particulirement le cas de la modlisation en sciences). Nous avons ainsi choisi une dfinition assez large pour inclure toute la varit des situations de modlisation que lon peut rencontrer dans les curriculums de mathmatiques et de sciences de lenseignement secondaire genevois : Dfinition : Modliser signifie construire, discuter et tudier une correspondance entre deux (au moins) systmes incluant des objets, des relations entre ces objets et des questions. Comme Chevallard, nous prfrons le terme de systme celui de domaine, employ par Niss, Blum et Grabaith, pour deux raisons. Dune part, nous voulons viter de faire rfrence au domaine de la ralit et au domaine des mathmatiques ; le terme de systme nous parat plus neutre cet gard. Dautre part, l o ces auteurs parlent de phnomnes et de propositions, nous avons prfr le vocabulaire plus neutre dobjets, de relations et de questions. Nous allons prsent voir comment cette dfinition souple permet de faire fonctionner lide de modlisation de faon plus ou moins riche. Ceci nous conduira distinguer trois niveaux possibles dans le travail de modlisation.

    2.2. Une typologie en trois niveaux

    La manire la plus ambitieuse dengager les lves dans une activit de modlisation est de leur poser une question problmatique dans le cadre dun systme initial et de leur demander de construire un autre systme (le modle) dans lequel la question pourra tre rsolue. Dans ce cas, les lves ont la responsabilit de dterminer les objets et relations pertinents du premier systme, de choisir le second systme et de construire la correspondance, de rsoudre le problme transpos dans ce second systme et finalement dinterprter la solution obtenue dans le systme initial. Tout ce processus est dcrit et analys dans maints travaux portant sur la modlisation mathmatique dans lenseignement, dont ltude ICMI cite plus haut offre un large panorama. Mais on peut concevoir dautres situations didactiques lies la modlisation, qui, si elles nabordent pas tous les aspects voqus plus haut, permettent cependant un travail important. Ainsi, lnonc dune activit peut fournir demble les deux systmes en jeu dans la modlisation et confier aux lves la tche dinterprter une partie dun des systmes en termes des objets et relations de lautre, ou celle de discuter la pertinence de la correspondance entre les deux systmes relativement la question pose. On peut aussi proposer aux lves un systme initial ainsi que plusieurs autres systmes comme modles possibles et leur demander de donner des arguments sur ladquation des diffrents systmes pour rpondre aux questions que lon se pose dans le modle initial. Ce type dactivit, mme si elles sont parfois moins complexes, nen sont pas moins susceptibles dengager les lves dans une riche rflexion sur les qualits et les limites de modlisations particulires.

    Par ailleurs, on rencontre frquemment dans les manuels des activits dans lesquelles les deux systmes sont donns demble alors que, de fait, la tche reste essentiellement cantonne dans lun des deux (le modle), sans que la pertinence ou la qualit de la correspondance ne soient interroges. Ce type dactivit ne prsente souvent quun intrt trs restreint du point de vue de la modlisation, dans la mesure o le systme initial (celui du monde concret ou de la vie courante ) est seulement voqu dans lnonc du problme et la correspondance avec lautre

    7 Penser par exemple au schma de la respiration ou la modlisation molculaire de la matire. Toutefois, nous

    naborderons pas la question de la modlisation en sciences dans cet article.

  • systme (le modle mathmatique) est vidente. Cest un artifice didactique qui ne prsente quune apparence de modlisation, dans le but de motiver les lves la tche mathmatique quils ont travailler. On pourrait dire que lon se situe dans la schmatisation au sens de Gonseth, plutt que dans la modlisation. Nous verrons plus loin des exemples de cet ordre. Lanalyse que nous venons de rsumer et que nous avons applique une lecture des activits des moyens denseignement, nous a ainsi conduit proposer la typologie suivante, en trois niveaux, des activits de modlisation :

    Niveau 1 : les deux systmes sont donns mais la tche des lves est cantonne dans lun des deux.

    Niveau 2 : les deux systmes sont donns et la tche des lves implique les deux. Niveau 3 : un seul systme est donn et la construction du second est la charge des

    lves.

    Cette typologie est assez sommaire et ne rend pas compte de plusieurs aspects importants, quant aux difficults inhrentes aux systmes en jeu dune part, leur mise en correspondance dautre part, ou, dans le cas dune modlisation mathmatique, la difficult de la rsolution mathmatique dans le deuxime systme, et son interprtation dans le systme initial. Cette typologie ncessite didentifier les deux (ou plus) systmes en jeu et, de fait, oblige rflchir aux enjeux didactiques que la mise en scne de lactivit va permettre dans la question de leur correspondance. De fait, mme si elle parat grossire, cette typologie nest pas toujours aussi simple appliquer quil y parait : elle conduit souvent la leve dimplicites et se questionner sur le potentiel de modlisation de lactivit considre. Ainsi, cette typologie nest pas, notre sens, un outil de catgorisation absolu, mais plutt une grille de lecture qui permet de problmatiser lanalyse didactique des enjeux possibles de modlisation que renferme une activit. Cest pourquoi nous la proposons aux participants de notre formation, et aprs lavoir illustre par quelques exemples, nous leur demandons de lexprimenter sur une slection dactivits issues des manuels (livre et fichier) de 9ime

    8.

    Aprs cette phase dappropriation, notre formation se poursuit par une analyse plus fine de trois de ces activits en nous focalisant plus particulirement sur le travail du professeur durant lactivit et sur les leviers dont il dispose pour raliser au mieux le potentiel dinvestigation des lves dans la dmarche de modlisation. Dans ce qui suit, nous allons prsenter succinctement lapplication de notre typologie quelques activits en donnant des lments de rflexion, plus ou moins importants selon les cas, sur la gestion possible en classe.

    8 Au moment o nous avons mis en place cette formation, seuls les manuels de 9ime taient disponibles, mais cette

    typologie peut bien sr tre applique tous les exercices de mathmatiques mettant en jeu de la modlisation. Dans notre slection, nous avons essay de trouver des exemples reprsentatifs des trois niveaux en variant galement les thmes.

  • 3.Quelques exemples issus du livre et du fichier du 9ime degr

    3.1. Exemples de niveau 1

    Trouve la position dun observatoire situ

    gale distance de la route, de la voie ferre et

    de la rivire.

    Figure 2. ES289 Observatoire. (Fichier 9me, p. 118)

    Ici il s'agit de mettre en uvre la notion de bissectrice dun angle et celle de point de concours des trois bissectrices dun triangle, qui est le centre du cercle inscrit. La modlisation porte sur le fait que la topographie du lieu (route, voie ferre, rivire) est modlise par un triangle idalis. Les deux systmes en jeu sont le lieu rel et la gomtrie, les objets sont dune part des portions dune route, dune voie ferre, dune rivire et dautre part des segments de droites qui les reprsentent. Le systme de la gomtrie nest pas donn en tant que tel llve ; nanmoins, cette activit tant gnralement utilise dans le cadre du cours de gomtrie, le choix du systme permettant de rsoudre la tche est assez transparent. Dans ce sens, on peut noter quici les intersections sont marqus sur le dessin par des points (plus apparents dans le livre de llve que sur cette reproduction) ce qui rend la modlisation encore plus transparente et nous conduit classer cette activit dans le niveau 1 de notre typologie.

    On pourrait dire que cette activit met davantage en jeu une schmatisation au sens de Gonseth, quune relle modlisation. Il se peut nanmoins que, pour certains lves, la modlisation dune route, dune voie ferre ou dune rivire soit problmatique, mais ceci relve davantage dune problmatique de lenseignement primaire que du cycle dorientation. De plus, mme si cette modlisation pose des difficults certains lves, il ny a gure dautre solution pour les aider que de la leur imposer. Le mieux que lon puisse faire cest de soulever la question de la validit de cette modlisation qui dpendra de la conformit du terrain, et qui est srement plus adapte pour une voie ferre ou pour une route que pour une rivire (sauf si cette dernire est canalise ce qui ne semble pas tre le cas sur lillustration). Ce peut donc tre une occasion pour expliciter le caractre rducteur dune modlisation, en laissant ventuellement une part aux dbats avec les lves. Il nen reste pas moins quune fois cette tape franchie, avec plus ou moins de difficult et de problmatisation, lessentiel de la tche reste raliser et relve du seul systme gomtrique. En outre, la rponse, comme point de concours des trois bissectrices (voire comme centre du cercle inscrit) ne permet pas un retour productif sur la question pose dans le contexte rel . On pourrait imaginer que le problme mette en jeu la possibilit concrte de trouver ce point sur le terrain. Nanmoins, on se heurterait ici au fait que les outils de trac sur le terrain (macro-espace) sont assez nettement diffrents de ceux utiliss en gomtrie (micro-espace). Dans ce sens, une activit dans la cour de rcration avec une corde et une craie serait didactiquement plus profitable, mais aussi plus lourde grer. On retrouve ici une des difficults de lenseignement de la gomtrie et de la 9 Le codage en haut gauche est compos comme suit : les deux lettres rfres aux 5 axes thmatiques (NO nombres

    et opration, FA fonctions et algbre, ES espace, GM grandeurs et mesures, RS recherche et stratgie), le nombre situe lactivit dans le thme en prenant en compte le livre et le fichier (ES28 est dans le fichier, comme ES 23 ES27, mais ES21 et ES29 sont dans le livre).

  • problmatique du lien entre les connaissances spatiales et gomtriques (Berthelot et Salin, 1992, 1993, 1999 ; Brousseau, 2000). Ainsi ces auteurs posent-ils la question fondamentale :

    La gomtrie a voir avec l'espace mais peut-on assimiler les connaissances spatiales, ncessaires la maitrise des problmes qui se posent tout individu dans ses rapports avec l'espace, et celles qui relvent du savoir mathmatique appel gomtrie ? (Berthelot & Salin, 1992, p. 40)

    Ils pointent ainsi deux diffrences essentielles qui portent sur la gense de chacun des types de connaissances et sur la nature des problmes respectifs qui les mettent en jeu. Une part importante de ce travail a consist mettre au point des activits denseignement de la gomtrie au primaire qui problmatisent la question des rapports entre connaissance spatiales et gomtriques.

    Comme chaque mois de septembre Aloys sme du rampon10 dans son jardin potager, aprs avoir dlimit un rectangle laide dune ficelle. Aujourdhui, Andr, son vieux copain de toujours, prtend quil a pu, laide de la mme ficelle obtenir une surface rectangulaire plus grande. A-t-il raison ?

    Figure 3. GM37 Plus grand, mais plus petit (Livre 9me, p. 145)

    On se trouve ici aussi face un cas de modlisation gomtrique quasi transparent. Lemploi du mot rectangle , plutt que parcelle rectangulaire par exemple est dans ce sens trs rvlateur et nous conduit classer cette activit dans le niveau 1 pour des raisons trs semblables celles de lactivit prcdente. Par contre, le fait didentifier la longueur de la ficelle au primtre du rectangle offre un enjeu de modlisation un peu plus fort. En contrepartie, la rduction apporte par la modlisation (de la ficelle au segment de droite) est plus faible que dans le problme prcdent. Enfin, le prix de la ficelle ne justifie gure lenjeu contrairement certains problmes classiques doptimisation comme celui consistant chercher les dimensions dune bote de conserve de volume donn en utilisant le moins de mtal. Cest bien sr le carr qui ralise, primtre donn, le cas du rectangle de plus grande aire. Ici on semble sous-entendre que la parcelle rectangulaire nest pas carre (usage commun du terme rectangle qui exclut le carr). La faon un peu moins conventionnelle daborder ce problme classique, peut amener discuter du fait de savoir si un carr est un rectangle. Le fait que le tour de la parcelle soit fait par une ficelle peut ventuellement permettre une exprimentation de la part des lves, sauf quil est difficile dvaluer exprimentalement laire dun rectangle.

    Pour aller chez sa copine, Christine a fait le tiers du trajet en train, puis les deux cinquimes en bus et le reste pied. Quelle fraction du voyage reprsente le parcours pied ?

    Figure 4. NO231 La copine de Christine (Livre 9me, p. 60)

    Ici le systme initial est constitu par le voyage de Christine. Le deuxime systme est celui des fractions, ou des nombres rationnels. Cependant les fractions sont dj comprises dans la description du problme, le deuxime systme est donc, nouveau, assez transparent, ce qui fait pencher pour une classification dans le niveau 1. Lenjeu de la traduction par le bon calcul est certes non nul, mais est-il aussi fort que celui du calcul effectuer ? Selon le niveau des lves, la difficult peut ici tre importante. Il peut par exemple tre compliqu de comprendre que le trajet total correspond la valeur 1. Outre le fait que poser le problme ainsi semble plus intressant que de demander de calculer demble 1 1/3 2/5, cette histoire peut conduire les lves une reprsentation par des segments de droites par exemple qui peuvent leur permettre de visualiser le

    10 En Suisse romande, le rampon dsigne la mche, parfois aussi appele doucette.

  • calcul effectuer. On retrouve ainsi une vertu didactique ce type de modlisation, qui ici encore est proche de la notion de schmatisation de Gonseth.

    3.2. Exemples de niveau 2

    Parmi les dveloppements ci-contre, lesquels sont ceux de prismes droits ? De paralllpipdes rectangles ?

    Figure 5. ES107 De dveloppement en dveloppement (Livre 9ime, p. 121)

    Nous avons clairement faire ici une modlisation de type intra-mathmatique. En effet les deux systmes en jeu sont de nature mathmatique : gomtrie plane dune part avec les dveloppements et gomtrie de lespace avec les solides quils permettent de construire. Les deux systmes sont donns et cest bien la question de la correspondance entre les objets des deux systmes qui est au cur de la problmatique. Plus prcisment, dans cette activit, ce qui pose problme cest la correspondance entre les proprits de lun (nature des diffrentes faces, positionnement dans le dveloppement) et de lautre (caractrisation des prismes droits et des paralllpipdes rectangles). Sauf faire une dmonstration constructive en dcoupant les dveloppements et en reconstituant les solides, lenjeu est donc de valider sur des proprits planes, des caractrisations des solides qui relvent de la gomtrie dans lespace. Il y a ici, doubl dun enjeu de visualisation, un enjeu de correspondance de proprits qui relve nous semble-t-il dun travail de modlisation entre deux systmes (mathmatiques) donns, ce qui correspond bien notre niveau 2.

    Linstitutionnalisation concluant une telle activit peut ainsi porter sur les proprits caractristiques des dveloppements des prismes droits. Les conditions pour quune figure plane soit bien le dveloppement dun solide ne sont pas aises expliciter de faon exhaustive. Ici, le fait quon parle demble de dveloppements peut laisser supposer que ces conditions sont implicitement respectes. On peut aussi le valider de faon pragmatique en imaginant le pliage qui aboutit la construction du solide. Une fois ce problme rgl, la caractrisation des prismes droits peut snoncer en disant que toutes les faces sauf deux sont rectangulaires (ce sont les faces latrales du prisme) et ont une dimension commune (la hauteur du prisme), les deux autres faces (les bases du prisme) sont identiques et sont des polygones dont les longueurs des cts correspondent respectivement lautre dimension de chacune des faces latrales.

    Lactivit suivante porte sur les oprations avec des nombres relatifs.

  • Figure 6. NO125 Marche arrire (Livre 9me, p. 40)11 Ici la modlisation est extra-mathmatique puisquelle porte sur la correspondance entre le systme des nombres relatifs et de leur addition dune part et un systme de dplacements rectilignes et de retournements dun bonhomme dautre part. Certes le deuxime systme est trs restrictif par rapport la ralit et peut tre qualifi de pseudo-raliste voire de surfait, nanmoins il fait clairement rfrence un certain vcu des lves qui peuvent mme le mimer dans la classe. Ici tout est donn, y compris la correspondance travers les rgles et lexemple que nous navons pas reproduit ici. Par ailleurs, contrairement ce qui est habituellement le cas, le systme de dpart nest pas le systme rel mais bien le systme mathmatique. La modlisation nest donc pas l pour rsoudre un problme de la vie courante, mais bien comme enjeu didactique pour lapprentissage des rgles opratoires sur les entiers relatifs, par lexamen et lemploi de la correspondance entre les deux systmes. On est donc bien dans le niveau 2 de notre typologie. 11 Il faut noter que les signes + et des oprations et les flches des dplacements sont en rouge alors que les signes +

    et des nombres et les flches dorientation du bonhomme sont en bleu. Dans lactivit 119 intitule Marche avant, le principe a t introduit avec seulement des additions.

  • Notre propos ici nest pas de faire une analyse pousse de lefficacit de ce dispositif didactique, qui dailleurs partage les enseignants du cycle dorientation genevois presque exclusivement en deux catgories bien distinctes de fervents utilisateurs et de dtracteurs virulents. Il est vrai quil peut paratre, en premire analyse, assez lourd dutilisation et source de complications inutiles. De fait, si les lves arrivent comprendre les rgles daddition et de soustraction des nombres relatifs sans cet attirail, il ne semble pas ncessaire de lutiliser. Nanmoins, on sait quune proportion non ngligeable dlves butte de faon rsistante sur ces rgles. Dans ce cas, les activits autour des dplacements du petit bonhomme peuvent tre une aide prcieuse. Cela demande nanmoins un investissement important. Les lves doivent pouvoir, au moins dans un premier temps, mimer les dplacements, les significations des couleurs bleu et rouge doivent tre bien identifies, etc. Sans rentrer dans une analyse trop dtaille, nous pensons utile de donner ici quelques lments qui montrent que ce type de modlisation a eu une importance historique dans la lgitimation des nombres relatifs et des nombres complexes. En effet, entre la fin du 18e et le dbut du 19e, les nombres ngatifs, bien quexistant depuis longtemps navaient pas encore acquis leurs lettres de noblesse chez les mathmaticiens. Cest dans la recherche dune interprtation des quantits imaginaires comme on dsignait alors les nombres complexes en vue de les lgitimer, quArgand (1806) est amen montrer lintrt de regarder lensemble des nombres ngatifs comme le symtrique par rapport 0 de lensemble des nombres positifs. Ceci le conduit combiner lide de grandeur absolue (les pas du petit bonhomme) celle de direction (l o regarde le petit bonhomme). Avant de poursuivre le raisonnement dArgand qui le conduira une interprtation de 1 12, notons que faire intervenir direction et retournement dans linterprtation (la modlisation) des nombres ngatifs permet de concevoir le 0 comme un point darticulation (ce autour de quoi sopre la symtrie, le retournement du positif au ngatif ou linverse dailleurs, puisque un retournement est involutif) plutt quun point repoussoir (ce au-dessous duquel on descend), comme cest le cas dans les illustrations laide de thermomtres ou dascenseurs. Cette ide est au cur du processus qui conduit Argand son interprtation (voir ce sujet la trs intressante analyse de Chtelet, 1993). Ainsi il commence par remarquer que 1= (+ 1)( 1) , quil interprte alors comme la moyenne gomtrique entre un pas vers la droite et un pas vers la gauche, cest--dire un pas vers le haut ou vers le bas la verticale. Cest le point cl de sa dcouverte de la reprsentation (aujourdhui classique) des nombres complexes. Une des difficults dans les oprations avec les nombres relatifs vient de ce que les signes + et ont chacun deux statuts diffrents, celui dopration et celui de position (sans parler du qui marque loppos). Dans la modlisation avec le petit bonhomme, le signe opratoire (en rouge) dtermine si le bonhomme avance (si on additionne) ou recule (si on soustrait) alors que le signe de position (en bleu) porte sur lorientation du bonhomme vers la droite (pour le +) ou vers la gauche (pour le )13. Notons que le signe qui marque loppos peut tre ici interprt comme un retournement du bonhomme, ce qui constitue un des avantages de cette modlisation qui est dtre compatible avec une interprtation des produits des nombres relatifs, en particulier de la fameuse rgle des signes, contrairement la plupart des autres modlisations (Hefendehl-Hebeker, 1991, Barrera-Curin, 2012).

    Lactivit suivante est un classique de linterprtation dune reprsentation graphique.

    12 Nous utilisons ici la notation de lpoque qui peut choquer un lecteur actuel. Le problme des quantits imaginaires

    consistait bien trouver une signification la racine dun nombre ngatif. 13 Une complication ici est quil faut orienter le bonhomme avant de le faire avancer ou reculer. Autrement dit il faut

    dabord prendre en compte le signe du nombre avant le signe opratoire. De plus il faut interprter le premier nombre (donc le premier dplacement) comme une addition (comme si on rajoutait 0 + au dbut de chaque calcul).

  • Lors dune mission tlvise, un journaliste montre ce graphique et dit : Ce graphique montre quil y a eu une trs forte augmentation du nombre de cambriolages entre 1998 et 1999. Considres-tu que laffirmation du journaliste est une interprtation correcte de ce graphique ? Justifie ta rponse.

    Figure 7. FA 51 Cambriolages (Livre 9me, p. 81)

    Il sagit dune modlisation extra-mathmatique dont le systme mathmatique est fourni. Le systme initial porte sur le contexte rel dun lieu (indfini) et des cambriolages qui sy droulent. Pourtant ici lenjeu de modlisation ne porte pas tant sur cette ralit, laquelle on na pas vraiment accs (autrement que par les deux donnes numriques contenues dans le graphe) que sur un autre systme qui porte lui sur le traitement mdiatique de la reprsentation graphique. Autrement dit le systme qui rentre en correspondance avec la reprsentation graphique est celui du langage naturel. En quelque sorte on se trouve dans un jeu de concurrence entre deux modles interprtatifs dune mme ralit (dont on na quune vision trs parcellaire) et la question de la validit de la correspondance se pose entre les deux modles plutt quentre modle et ralit. Plus prcisment, il est clair quil y a eu une augmentation du nombre de cambriolages entre 1998 et 1999 (rien de ce que lon sait ne nous permettra de juger de la qualit de ceux-ci, savoir si malgr la diffrence numrique les cambriolages de 1999 sont finalement plus bnins que ceux de 1998 peut tre un enjeu socital et politique de premier ordre, mais cest hors de porte dans le contexte qui nous est fourni). Ce qui est en jeu ici cest la validit de lusage du qualificatif trs forte pour dcrire laugmentation que la reprsentation graphique laisse voir. Finalement, cest le dcodage du graphique qui donne la rponse, puisquil donne voir une augmentation relative de 1,4% qui ne peut tre qualifi de trs forte . La perception du graphique est bien sr biaise par le fait davoir positionn laxe des abscisses trs haut sur celui des ordonnes, un choix qui peut tre remis en question en termes de validit du modle pour reprsenter la ralit. On voit donc quautour des trois systmes : graphique, ralit, langue naturelle (on pourrait rajouter celui des donnes numriques brutes) qui sont tous donns, lenjeu de lactivit porte sur un problme de validit dun des systmes pour rendre compte de la ralit. On est donc dans le cas du niveau 2 de notre catgorisation.

    3.3. Exemples de niveau 3

    Nous commencerons par une activit qui peut conduire une exploitation plus ou moins pousse.

    Ana mesurait 1,37 m 11 ans et 1,45 m une anne plus tard. Quelle sera sa taille lorsquelle sera ge de 16 ans ?

    Figure 8. FA33 En grandissant (Livre 9me, p. 74)

    Le systme initial est celui de la ralit de la croissance de Ana. Pour pouvoir rpondre il faut lui faire correspondre un systme constitu dune fonction donnant sa taille en fonction de son ge. Ce deuxime systme tant construire, on est dans le niveau 3. Ici, on sattend ce que les lves imaginent majoritairement un modle de croissance linaire : accroissement de 8cm par an, ce qui conduirait une taille de 1,77 cm 16 ans, ce qui est une rponse raliste. Par contre, si on pousse la prdiction de quelques annes, on arrive vite des valeurs impossibles. Cet exemple peut

  • permettre une discussion intressante sur la validit des modles et constitue un bon exemple de remise en cause du modle linaire. Lexemple suivant prsente un cas assez classique de modlisation extra-mathmatique.

    Au march de Nol, Alexandre achte une bougie mince ayant 24 cm de longueur, Carolina achte une bougie paisse ayant 12 cm de longueur. La veille du 24 dcembre 20 h, Alexandre et Carolina allument leur bougie. Celle dAlexandre se consume en 8 h et celle de Carolina en 12 h. A quelle heure prcise les deux bougies ont-elles eu la mme longueur, et quelle tait cette longueur ?

    Figure 9. RS8 Bougies de Nol (livre 9me, p. 170)

    Ici le systme initial est constitu par le contexte concret des bougies et de leur consomption. Lenjeu de modlisation consiste mettre en place un systme mathmatique qui modlise cette consomption, sous la forme de deux fonctions exprimant la hauteur de la chacune des bougies en fonction du temps. Le modle affine, qui suppose une variation proportionnelle de la hauteur avec le temps est le plus simple et certainement celui qui est attendu ce niveau. Ici llve a bien la charge de trouver le deuxime systme, le modle, ce qui caractrise le niveau 3 de notre catgorisation. Il nest pas trs difficile de voir en comptant le temps t en heure partir de 20h, que lvolution de la hauteur de la bougie dAlexandre peut se modliser de faon affine par h1(t) = 3 (8 t) pour t 8 et celle de Carolina par h2(t) = (12 t) pour t 12. Il ne reste plus qu chercher pour quelle valeur de t les deux fonctions sont gales, pour trouver que les deux bougies auront la mme hauteur 2h du matin (t = 6). Remarquons quil est possible de rsoudre ce problme laide dun systme purement graphique (correspondant aux reprsentations graphiques des deux fonctions ci-dessus).

    Plusieurs modles pourraient ventuellement entrer en concurrence, mais au niveau du cycle dorientation et en labsence dautres informations, on ne voit pas de raison de ne pas choisir un modle affine. Il pourrait tre intressant de discuter avec les lves dune exprimentation avec une vraie bougie pour vrifier le bien fond de cette hypothse de modlisation. Lactivit suivante particulirement riche comprend des questions des trois niveaux.

  • Le diagramme en colonne ci-contre indique lvolution du nombre dutilisateurs dInternet, en Suisse et en Inde, entre les annes 1990 et 2008. (Unit : M = million)

    a) Estime par combien le nombre dutilisateurs dInternet a t multipli, en Suisse et en Inde, entre 2003 et 2008. Comment, daprs toi, peut-on expliquer cette diffrence ?

    b) Sachant que la population de la Suisse est denviron 7,7 millions dhabitants en 2008, dirais-tu que beaucoup ou peu dhabitants de notre pays ont accs Internet ? Justifie ta rponse.

    c) Sachant que la population de lInde est denviron 1,15 milliard dhabitants en 2008, dirais-tu que beaucoup ou peu dhabitants de ce grand pays dAsie ont accs Internet ? Justifie ta rponse.

    d) En taidant des deux diagrammes, imagine le nombre dutilisateurs dInternet quil y aura en Suisse et en Inde en 2020, en justifiant ta rponse.

    Figure 8. FA54 Internet (Livre 9me, p. 84)

    Ici les deux systmes en jeu sont dune part la ralit socio-conomique des deux pays en jeu et dautre part le systme mathmatique des graphes en bton, dans lequel on peut inclure tout ce qui permet le dcodage et le traitement des donnes numriques (qui sont strictement du domaine des mathmatiques). Ainsi la question a) demande dabord une lecture graphique et un traitement numrique des donnes. Dans cette premire phase, le traitement reste interne au systme mathmatique du graphe et des nombres (niveau 1). La fin de cette question a) demande par contre une interprtation des donnes chiffres obtenues par rapport la ralit socio-conomique (niveau 2). Les questions b) et c) ncessitent une lecture directe du graphe et une interprtation de celle-ci qui reste du domaine du numrique, cest un problme de valeur relative ou de pourcentage (niveau1), mme si linterprtation porte sur la ralit socio-conomique (les lves nont pas aller chercher la population des pays sur Internet par exemple, elle est donne dans lnonc de la question).

    La question d) est dun autre ordre. Il sagit cette fois de faire jouer au modle un rle prdictif, qui est un des rles essentiels de la modlisation en sciences. Plus prcisment, la tche consiste construire, par extrapolation partir de lvolution des donnes fournies pour les annes 1990 2008, une extension du systme mathmatique (graphico-numrique) allant jusqu lanne 2020.

    Il est clair quil ny a pas ici une seule bonne rponse, On peut en effet construire diffrents modles dvolution pouvant sexpliquer en partie par les donnes connues, mais susceptibles aussi de prendre en compte dautres facteurs socio-conomiques. Chaque modle consiste construire un nouveau systme sous la forme dune fonction dont les proprits sont issues des reprsentations graphiques donnes. Le modle le plus simple consiste utiliser la proportionnalit sur les accroissements, donc une fonction affine. Les questions b) et c) peuvent fortement induire un modle accroissement constant partir de 2003, sur la base dune moyenne entre 2003 et 2008, mais il existe bien dautres faons de construire un modle affine pertinent. Ainsi en Suisse on voit quentre 2003 et 2008, le nombre dutilisateurs passe de 4.7M 5.7M ; si on divise la diffrence par 5, on obtient un accroissement annuel moyen de 0.2M, ce qui conduirait 8.7M dutilisateurs en Suisse en 2020 (pour lInde on arriverait avec le mme modle 305.6M). Remarquer que cette prvision dpasse la population actuelle de la Suisse apporte une bonne raison pour sinterroger sur la validit de ce modle ! Les questions b) et c) portant sur un coefficient multiplicateur, les lves peuvent penser un modle de type croissance gomtrique, correspondant une fonction exponentielle (qui nest pas connue en 9ime), ce qui revient non pas diviser laccroissement

  • absolu entre 2003 et 2008 par 5, mais prendre la racine 5e du coefficient daccroissement, ce qui conduirait un nombre dutilisateurs en 2020 de lordre de 8,8M pour la Suisse et 5438M pour lInde ; ce dernier rsultat peut tre jug irraliste, mme pour ce grand pays en plein boom dmographique. On voit donc quil faut prendre en compte non seulement les accroissements, mais aussi leur tassement avec le temps.

    Sans dvelopper plus avant les rponses possibles cette dernire question, remarquons quelle pose des difficults tout autant dordre mathmatiques que dinterprtation des donnes et du contexte socio-conomique et dmographique. On entre ici au cur de la complexit de la modlisation, sur un exemple pourtant assez simpliste, dune classe de problmes (la prdiction) dont des exemples bien plus ardus sont frquemment traits dans les diverses branches de lindustrie, de la recherche ou de ladministration. Aussi, si on peut raisonnablement esprer que ce type de question motive les lves au premier abord, il est par contre probable que la tche leur paraisse vite insurmontable. On peut imaginer, en y mettant le temps, diverses mises en scne avec des aides plus ou moins grandes, un partage des tches entre les groupes, un outillage par un tableur, etc., pour faire vivre cette activit avec un maximum dautonomie des lves. Nous navons pas la place ici de rentrer dans le dtail de ce type de considrations ; toutefois une solution minima, qui permet quand mme de donner aux lves loccasion de sapproprier une part non ngligeable du questionnement, consisterait leur fournir diffrents modles (sous formes de graphiques par exemple) et leur demander de se prononcer sur leurs pertinences respectives pour prvoir le nombre dutilisateurs en 2020. Nous faisons une proposition dans ce sens en annexe.

    Le dernier exemple que nous allons examiner prsente une activit de recherche dont lenjeu de modlisation nest a priori pas central, mais nous semble toutefois propice une gestion didactique intressante.

    Aprs avoir trac un carr de 6 cm de ct, Pierre demande sa fille Nathalie de partager celui-ci en neuf morceaux carrs de cts mesurs par un nombre entier de centimtres. Nathalie trouve rapidement un partage et se demande sil y en a dautres. Deux partages constitus des mmes carrs, mais placs diffremment, sont considrs comme identiques. Combien y a-t-il de partages diffrents ?

    Figure 10. RS1 Carr partag (Livre 9me, p. 169)

    Bien sr le pavage le plus vident consiste positionner 9 carrs de ct 2 dans le grand carr de ct 6. Ceci dit, il nest pas trs difficile de trouver deux autres solutions (voir figure ci-dessous).

    Cette tape du travail permet aux lves une recherche sur une question ouverte. Elle peut donner lieu des discussions sur des solutions quivalentes (mmes carrs positionns diffremment) mais globalement, elle abouti assez vite un accord dans une classe sur le fait quil existe ces trois solutions et que faute den avoir trouv une autre, il ny a que celles-ci.

  • Figure 11. Les trois solutions du problme du carr partag Si on essaie de justifier le fait quil ny a pas dautres solutions, on peut tenter une sorte de preuve par exhaustion en commenant par montrer quil ne peut y avoir de solution contenant un carr de ct 5, puis en montrant quil ny a quune solution avec un carr de ct 4, etc. Cette approche est un peu laborieuse et surtout difficile rdiger de faon totalement explicite, mais elle a le mrite de rendre compte dune investigation systmatique de tous les cas possibles. Une autre possibilit consiste interprter le problme en termes daires. On passe donc dans une modlisation du systme gomtrique un systme numrique. Le problme dans le deuxime systme consiste ainsi lister toutes les dcompositions possibles de 36 en la somme de neuf carrs dentiers non nuls (1, 4, 9, 16, 25). Bien sr, il faut ensuite vrifier si chaque solution obtenue correspond ou non un pavage possible (raisonnement par condition ncessaire, puis suffisante). On peut alors voir que, part la solution avec 9 fois 4, une telle dcomposition doit au moins contenir un carr plus grand que 4. On peut alors tour tour examiner les dcompositions possibles comprenant au moins un 9, puis au moins un 16 (sans 9), puis au moins un 25 (sans 9 et sans 16). En plus des trois dcompositions correspondant aux solutions ci-dessus, on trouve une seule autre dcomposition possible : 36 = 25 + 4 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1, dont il est facile de voir quelle ne correspond pas un pavage possible, puisque, si on positionne un carr de ct 5, il ny a plus de place que pour des carrs de ct 1.

    Il nest gure plus ais de justifier entirement quil ny a que quatre dcompositions possibles de 36 en la somme de neuf carrs non nuls, que de justifier que les trois pavages ci-dessus sont les seuls possibles. Toutefois, cette recherche numrique se systmatise plus facilement (elle est dailleurs assez simple programmer sur un ordinateur). Par ailleurs, il est peu probable que des lves de 9ime pensent deux-mmes passer dans le champ du numrique (pour des complments voir (Cherix, Floris & Weiss, 2012)). Ici, il y a fort parier que, dans une classe o les trois solutions ci-dessus auraient merg, la majorit (si ce nest la totalit) des lves soient rapidement convaincus que ce sont les trois seules solutions et quils ne voient pas la ncessit daller plus loin. Lenseignant peut tenter de forcer la ncessit de prouver que ce sont bien les seuls pavages possibles, mais les lves en seront probablement dj convaincus par le fait que personne nen a trouv dautres. On se retrouve l dans un cas assez classique o il semble bien que lenseignent na dautre choix que de renoncer ou dimposer un changement de contrat didactique. Cest l que la possibilit dune modlisation numrique du problme peut nous venir en aide. On peut en effet susciter le changement de contrat, et la ncessiter de dmontrer quil ny a pas dautre solution, en modifiant le milieu pour les lves, par lapport dune nouvelle information de type numrique. Cette dialectique entre les modifications du milieu et lvolution du contrat didactique a t particulirement travaille par Perrin-Glorian et Hersant (2003). Ici, on peut dire aux lves : Eric, le petit frre de Nathalie rentre de jouer au foot et regarde le problme et les trois solutions trouves par Nathalie et dclare quil existe encore une solution en prenant deux carrs de cts 3, trois carrs de ct 2 et quatre carrs de ct 1. A-t-il raison ? .

    Cette relance faite aux lves nest pas aussi gnrale que de leur demander de montrer quil ny a

  • pas dautres solutions, mais elle doit les interpeler sur un cas prcis, qui demande vrification. La solution dEric nest pas bonne, mais ce qui nous intresse cest que largument le plus simple pour lvacuer consiste voir que la somme des aires fait 34 et non 36. Cet argument ne peut chapper lattention ici car mme si on commence par essayer de raliser le pavage, on voit que ce qui cloche, cest quil manque deux carrs de ct 1, pour complter le pavage. Autrement dit cette relance, permet non seulement de poser la question de la ncessit de sassurer quil ny a pas dautres solutions par un biais plus naturel que la demande dune dmonstration, mais aussi de faire apparatre le contrle par la somme des aires. Cest alors que lon peut faire une deuxime relance en utilisant la dcomposition qui ne donne pas un pavage : Eric reconnat son erreur, mais dit quil a trouv une autre solution avec sept carrs de ct 1, un carr de ct 2 et un carr de ct 5. . Cette solution, qui ne peut tre rejete par largument sur les aires, permet de donner tout son intrt la recherche des dcompositions possibles de 36 en neuf carrs non nuls.

    1. Conclusion

    Le but de ce texte, et de la formation continue dont il est issu, est de sinterroger sur ce que la modlisation signifie dans le travail mathmatique et sur ses enjeux didactiques. Nous sommes partis dun choix curriculaire du nouveau Plan dtudes romand : celui de placer la modlisation au cur de lenseignement des mathmatiques et des sciences. Il ne nous appartient pas de discuter ce choix, pas plus que de remettre en cause le contenu des Moyens denseignement 9-10-11, source officielle unique pour tout le cycle 3 (3 premires annes du secondaire) des cantons de Suisse romande. Notre propos a t de voir comment on pouvait rendre oprationnelle une rflexion sur la modlisation dans lanalyse de quelques activits de ces manuels. Ainsi nous avons mis en place une dfinition souple et large de la modlisation et une typologie en trois niveaux, qui nous ont permis dorganiser notre travail danalyse. Nous avons ainsi, lappui dune dizaine dactivits, reprsentatives des Moyens denseignement 9-10-11, tent de montrer quune entre par la modlisation dans lanalyse didactique de chacune permettait didentifier des enjeux dapprentissage intressants lis avec une problmatique de modlisation, plus ou moins large et plus ou moins explicite pour les lves. Il apparat que la modlisation peut revtir des aspects essentiellement distincts selon quelle est extra ou intra-mathmatiques, quelle sattache rsoudre un problme concret ou quelle est utilise comme levier didactique pour faire acqurir une nouvelle notion mathmatique. Nous avons aussi montr que le travail demand aux lves pouvait porter sur des lments plus ou moins large de tout le processus de modlisation. Nous avons enfin tent de montrer comment ces activits pouvaient, dans certains cas, permettre un travail dinvestigation important de la part des lves, tout en tant vigilant proposer des gestions par lenseignant qui ne soient pas trop chronophages.

    Rfrences ARGAND M. (1806) Essai sur une manire de reprsenter les quantits imaginaires dans des

    constructions gomtriques. Annales de Mathmatiques, 4, 133147. BARRERA-CURIN R. I. (2012) tude des significations de la multiplication pour diffrents

    ensembles de nombres dans un contexte de gomtrisation. Thse de luniversit Paris-Diderot. BERTHELOT R. et SALIN M.-H. (1992) Lenseignement de lespace et de la gomtrie dans la

    scolarit obligatoire. Thse de luniversit de Bordeaux. IREM de Bordeaux. BERTHELOT R.et SALIN M.-H. (1993) Lenseignement de la gomtrie lcole primaire. Grand

    N, 53, 3956. http://www-irem.ujf-grenoble.fr/revues/revue_n/numero.php?num=53 BERTHELOT R. et SALIN M.-H. (1999) Lenseignement de lespace lcole primaire. Grand N,

    65, 3759. http://www-irem.ujf-grenoble.fr/revues/revue_n/numero.php?num=65 BLUM, W. et NISS, M. (1991). Applied mathematical problem solving, modelling, applications,

  • and links to other subjects State, trends and issues in mathematical instruction, Educational Studies in Mathematics, 22, 3768.

    BROUSSEAU G. (2000) Les proprits didactiques de la gomtrie lmentaire. In Actes du 2e colloque de didactique des mathmatiques (pp. 6783). Universit de Crte (dpartement de lducation). http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00515110/fr/

    BLUM W. et al. (2007) ICMI Study 14 : Applications and modelling in mathematics education Discussion document, Educational Studies in Mathematics, 51, 149-171.

    CHTELET G. (1993) Les enjeux du mobile : mathmatiques, physique, philosophie. Paris : Seuil. CHERIX P.A., FLORIS R. et WEISS L. (2012) Le carr partag. Sensibilisation au thme

    Recherche et Stratgies des nouveaux moyens denseignement de 9me Harmos. Math Ecole, 218, (numro spcial EMF2012), 4045. Version en ligne avec annexe : http://www.ssrdm.ch/mathecole/

    CHEVALLARD Y. (1989) Le passage de larithmtique lalgbre dans lenseignement des mathmatiques au collge. Deuxime partie Perspectives curriculaires : la notion de modlisation. Petit x, 19, 4372. CHEVALLARD I., BOSCH M. et GASCN, J. (1997) Estudiar matemticas. El eslabnperdido

    entre la enseanza y el aprendizaje. Barcelona: ICE/Horsori. COULANGE L. (1997) Les problmes concrets mettre en quations dans lenseignement.

    Petit x, 47, 3358. DORIER J.-L. et BURGERMEISTER P. F. (2012) Modelling: a federating theme in the new

    curriculum for mathematics and sciences in Geneva compulsory education (age 4 to 15). Proceedings of the International Congress on Mathematical Instruction ICME12 (Seoul 8-15 july 12), (TSG17, pp. 32063215).

    GONSETH F. (1932) La vrit mathmatique et la ralit. Actes de la Socit Helvtique des Sciences Naturelles 113, 220-240. (rd. In Emery, E. (d.) Ferdinand Gonseth Le problme de la philosophie ouverte (Ensemble de textes choisis et annots par E. Emery), (pp.4161). Lausanne : Dialectica Lge dHomme.)

    GONSETH F. (1936) Les mathmatiques et la ralit. Paris : Alcan. HEFENDEHL-HEBEKER L. (1991) Negative numbers: Obstacles in their evolution from intuitive

    to intellectual constructs. For the learning of mathematics, 11(1), 2632. NISS M., BLUM W. et GALBRAITH P. (2007) Introduction. In W. BLUM, P. GALBRAITH, H.-

    W. HENN et M. NISS (ds.) Modelling and applications in mathematics education The 14th ICMI study (pp. 432), New-York: Springer.

    PERRIN-GLORIAN M.-J. et HERSANT M. (2003) Milieu et contrat didactique, outils pour lanalyse de squences ordinaires. Recherches en Didactique des Mathmatiques, 23(2), 217276.

    ROBERT A., PENNINCKX J. & LATTUATI M. (2012) Une camra au fond de la classe de mathmatiques (Se) former au mtier denseignant partir danalyses de vidos. Besanon : Presses Universitaires de Franche-Comt.