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La poésie de Victor Hugo jugée par Paul Claudel Author(s): Fernande Bassan Source: Nineteenth-Century French Studies, Vol. 19, No. 4 (Summer 1991), pp. 536-540 Published by: University of Nebraska Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23532385 . Accessed: 12/06/2014 16:42 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . University of Nebraska Press is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nineteenth-Century French Studies. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.248.187 on Thu, 12 Jun 2014 16:42:47 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La poésie de Victor Hugo jugée par Paul Claudel

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La poésie de Victor Hugo jugée par Paul ClaudelAuthor(s): Fernande BassanSource: Nineteenth-Century French Studies, Vol. 19, No. 4 (Summer 1991), pp. 536-540Published by: University of Nebraska PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/23532385 .

Accessed: 12/06/2014 16:42

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La poésie de Victor Hugo jugée par Paul Claudel

Fernande Bassan

La poésie de Victor Hugo a reçu de Paul Claudel1 des jugements allant de l'éloge à la vitupération, celui-ci a rétracté par la suite cer taines de ses sévérités. Le plus souvent, Claudel apprécie en Hugo l'homme, le romancier et l'auteur dramatique.2 En 1885, il est resté de bout pendant trois heures pour voir passer le cortège funèbre au bord du boulevard Saint-Germain. En revanche, c'est au Hugo poète que vont ses

critiques qui étonnent par leur férocité. Avant d'examiner en détail les

propos de Claudel, essayons de deviner pourquoi il prend un tel

déplaisir aux vers de Hugo. Une explication nous en est fournie par l'éminent hugolien, Jean

Bertrand Barrère, dans son ouvrage Claudel, le destin et l'oeuvre (CDU SEDES, 1979, 220-222): Claudel avait du vers une conception tout autre

que celle de Hugo, qu'il présente dans un texte théorique, "Réflexions et

propositions sur le vers français" (publié dans la Nouvelle revue fran çaise, les 1er octobre et 1er novembre 1925, puis repris dans Positions et

propositions, Gallimard, 1928). Dans une lettre d'août 1924 à sa belle soeur Elisabeth Sainte-Marie Perrin, il lui annonçait: "Quand j'aurai fini Le soulier, j'écrirai sans doute un essai où j'éreinterai le vers fran

çais et ce qu'on est convenu d'appeler sous le nom de poésie française." Barrère remarque: "Cet essai vindicatif est [...] une défense de son ver

set, justification théorique inséparable d'une attaque en règle contre le vers alexandrin." Dès juin 1922, Claudel se moque, dans son Journal, éga lement du "petit trot" des vers classiques. Il reproche entre autres à

Andromaque d'être monotone et de ne pas rendre la respiration irrégu lière que son propre verset rend d'une manière satisfaisante, dit-il. En

somme, sa tendance est de justifier ses propres écarts en critiquant les autres. Barrère retourne la flèche contre Claudel: "c'est une démarche bien hasardeuse qui dénote la culture restée hâtive, désordonnée et ru dimentaire de ce lecteur boulimique et grand poète, le caractère buté de son enquête où Hugo d'ailleurs reçoit les coups les plus rudes."

Pierre Moreau ayant écrit (article sur Claudel, Revue des jeunes, 1923) "que le vers de Molière, de Ponsard, d'Emile Augier, de Voltaire, d'Alfred de Musset ressemble à la respiration d'une poitrine géante," Claudel lui écrit: "Vous pensez sans doute à Victor Hugo, mais dans ce cas cette respiration ressemble bien plutôt à un ronflement" (lettre du 28.11.1923, pub. dans le no. spécial du Figaro littéraire, 5 mars 1955).

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En somme, Claudel reproche aux autres poètes, dont Hugo, de ne pas concevoir le vers comme lui. Dans "Réflexions [...] sur le vers français," il oppose à l'arithmétique de la prosodie classique, dont il déplore les

"ennuyeuses questions," le "nombre" du verset, "unité organique du souffle créateur." Il ajoute que la poésie exprime "la joie." Le vers idéal,

qu'il définit comme une "idée isolée par du blanc," repose sur l'iambe fondamental de la respiration, une brève suivie d'une longue. Claudel considère que, mieux que l'alexandrin, le verset suit la respiration va riable du poète ou de son personnage. Barrère en conclut: "Ce réquisi toire, on le voit, est un plaidoyer de la défense. Le rôle de la rhétorique et des chevilles disparaît-il pour autant de la poésie claudélienne pour rester l'apanage de Racine et Hugo? J'ai peine à le croire et le souffle

peut être aussi mauvais conseiller à l'occasion que la mesure." Il ajoute: "Si Claudel a parfois raison de blâmer les excès, si comparables aux

siens, du poète des Mages, [...] il erre en éliminant les sentiments tendres des Contemplations. La partialité est manifeste, comme l'erreur de ju gement." Au lieu de condamner Hugo, il suffisait de dire qu'il avait fait autre chose que lui.

Sérions maintenant la variété de jugements émis par Claudel sur

Hugo poète. Il s'étonne que la poésie de Hugo ait été préférée à celle de

poètes qui lui paraissent supérieurs: "N'est-il pas remarquable que par dessus le corps de tant de victimes sacrifiées de l'idéal, les Edgar Poe, les Baudelaire, les Verlaine, les Gérard de Nerval, Victor Hugo soit le seul qui, au cours d'une carrière presque égale à sa durée ait réussi à tra cer au travers de l'énorme XIXe siècle un sillage écumant et triom

phant?" (OP 471). En 1907, Claudel enveloppe Hugo dans une attaque globale peu flat

teuse, dans son Magnificat, où il demande au Seigneur: "Ne me perdez point avec les Voltaire et les Renan, et les Michelet, et les Hugo, et tous les autres infâmes! Leur âme est avec les chiens morts, leurs livres sont

joints au fumier. Ils sont morts, et leur nom même après leur mort est un

poison et une pourriture." Dans ce texte, il n'attaque pas le poète mais le mécréant.

Quelle place Claudel accorde-t-il à Hugo dans l'histoire de la poé sie française? Il en parle sans ménagement, en l'englobant dans l'ensemble du romantisme: "Jusqu'à Mallarmé, pendant tout un siècle,

[...] la littérature avait vécu d'inventaires et de descriptions. Mallarmé est le premier qui se soit placé devant l'extérieur, non pas comme devant un spectacle, ou comme un thème de devoirs français, mais comme devant un texte, avec cette question: Qu'est-ce que ça veut dire?"

Dans les nombreuses pages consacrées aux vers d'Hugo, Claudel ne re

lève que les défauts, ne mentionnant que rarement les qualités. Dans ses "Réflexions [...] sur le vers français," Claudel analyse la technique de

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Hugo. Citant un passage de La légende des siècles, il affirme qu'au lieu

d'idées, le poète entraîne "l'auditeur en créant un courant puissamment nourri d'images qui va, d'une force accélérée par le poids et rendue plus sensible encore par le passage régulier des rimes, vers une résolution que [...] le coeur appelle." Après avoir cité un autre passage du même ou

vrage, il déclare: "Remarquez ces assonances l'une sur l'autre assénées.

Il est curieux de voir [...] le poète du XIXe siècle reprendre les procédés de la Chanson de Roland. Toute l'oeuvre de Victor Hugo est pleine de mouvements analogues." En revanche, il admire "le grand poème" "A

Villequier" construit sur deux mouvements: "Maintenant que" [...] et "Considérez [....]."—ce "patron dynamique" impose sa forme et son im

pulsion à tout le poème. Selon Claudel, "le vers bien frappé, le vers proverbe des classiques,

tenait à la disposition de Victor Hugo et de ses émules toutes les fan fares dont ils avaient besoin à la fin de leurs tirades:

Tarara tatata—-Rivoli, Saint Jean d'Acre, Aux chevaux du soleil tu fais traîner ton fiacre!"

(Châtiments, VI, I, "Napoléon III")

Cela lui rappelle le rythme de la conversation. Claudel préfère le vers de Hugo au vers classique, malgré ses défauts: "On a répété à sa tiété que Victor Hugo était un incomparable artisan de vers. C'est cer tainement vrai dans un sens, car son vers est infiniment plus coloré, plus riche, plus sonore que le vers classique, il parle davantage à nos sens. Mais si l'on prend deux ou trois pages de ce grand poète et si on les étudie avec attention, que de déchet! quelle charpie! quel remplissage!" Ainsi il reproche au vers suivant d'être composé de "quatre adjectifs iden

tiques":

L'innocente blancheur des neiges vénérables

(.Légende des siècles, "L'aigle du casque")

Il accuse les vers hugoliens d'être brillants mais vides de sens, comme

preuves à l'appui, il en relève tous les procédés: "Toutes les maladies de notre prosodie se sont déchaînés sur ces textes superbes, comme le phyl loxéra sur un cep généreux: la cheville, qui n'est jamais admissible quoi qu'en pense Banville; le bouchon qui est la cheville intérieure [...]; le ti roir ou énumérations indéfinies; le mariage républicain, ou accouple ment obligatoire,.!...] comme la triste paire arbre et marbre; le cliché ou

accrochage banal de syllabes toutes prêtes comme ténèbres et funèbres. t...]"

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La "cheville double" enlève toute signification:

Jadis longtemps avant que la lyre thébaine

N'ajoutât des clous d'or à sa conque d'ébène

("Le Satyre")

Il cite deux vers "de simple facture" d'où, dit-il. "une lamentable posté rité est issue":

Elle a pour se défendre, outre ses Béarnais,

Vingt mille Turcs ayant chacun double harnais.

("Aymerillot")

En dehors de ses attaques sur le rythme monotone et les chevilles de

Hugo, Claudel lui reproche sa mélancolie et la violence des Châtiments. Parlant des vers écrits en exil, il note: "Alors en énormes volutes s'échappent de ce cerveau fumant les Contemplations (avec des

pages comme "la Bouche d'ombre" et les poésies spirites), la Légende des siècles, la Fin de Satan, Dieu." Qu'en pense-t-il? "ces poussées de vers pareils à la délivrance de la sybille ont souvent l'accent inhumain de l'épileptique et du ventriloque." Quant aux vers légers également écrits en exil, Claudel les juge "médiocres et chiqués."

Claudel ne pardonne pas à Hugo d'être déiste et de rejeter le dogme: "La Religion sans religion de Victor Hugo, c'est quelque chose comme le vin sans alcool.]...] Personne ne peut contester la sincérité du grand poète et qu'il fut vraiment et réellement un voyant.]...] Non pas un voyant des choses de Dieu, [...] mais personne n'a tiré tant de choses de cette ombre

que fait l'absence de Dieu." La grâce lui a manqué, "c'est pourquoi, avec d'admirables dons, Victor Hugo," poète de génie n'est pas un grand poète. Comparant les vers de Boileau à ceux de Hugo, Claudel juge les

premiers "indestructibles," alors que dans les siens Hugo "bouche mal les interstices avec tout ce qui lui tombe sous la main de bien

voyant.!...]." Pourtant, dans un discours prononcé à Bruxelles, le 25 mai 1935, sur

Hugo, Claudel mentionne le "magnifique renouvellement que notre poé sie épique, lyrique et même dramatique a dû à l'initiative romantique" (OP 469). Ce qui ne l'empêche pas d'apporter des réserves le lendemain: "Dans Victor Hugo, on trouve beaucoup de choses qui plaisent, entraî

nent, transportent, très peu qui nourrissent l'esprit et le coeur." A propos du cent cinquantième anniversaire de Hugo, il publie un court jugement mitigé dans Liberté de l'esprit (repris dans "Accompagnements," 474):

Nous avons devant nous un magnifique poète, bousilleur éhonté d'admirables

dons, ceux de l'imagination plutôt que du coeur et de la pensée.!...] Un

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incontestable Inspiré, qui ne se méfiait pas assez de l'inspiration. Quant à

l'homme, des travaux excellents [...] nous donnent à son égard compréhension,

compassion et sympathie. Esprit fumeux, coeur plus généreux que pitoyable, nature droite desservie par une éducation religieuse et morale à peu près nulle [...]. Rien davantage au crédit de Victor Hugo que la tendresse impertur bable à lui vouée par cette créature admirable que fut Juliette Drouet.

Pourtant il décrète quelques lignes plus bas: "Victor Hugo, c'est le vent [...]. Victor Hugo, c'est l'enthousiasme!"

En vieillissant, Claudel semble s'être réconcilié avec la poésie de

Hugo. Prononçant un discours à la Société des gens de lettres, le 16 mai 1952 (OP 475-479), il affirme que "le génie du grand poète [...] a puisé l'ivresse et l'inspiration" à la fois dans le passé et dans l'avenir, il fut

"l'Inspiré par excellence; dans le passé il a puisé la Légende des siècles, il a fait prendre conscience de l'avenir. Il termine sur une protestation en faveur de Hugo. Il vient d'apprendre que son monument (place Saint

Honoré-d'Eylau), démoli pendant la guerre, ne va pas être remplacé à cause des "nécessités de la circulation." Avec indignation il s'écrie: "Est-ce que la France ne pourrait pas se montrer plus tolérante pour le

souvenir de son plus grand poète?" Ce jour-là, Claudel était devenu im

partial.

Department of Romance Languages Wayne State University Detroit, MI 48202

lCf. Paul Claudel, Œuvres en prose, "Bibliothèque de la Pléiade" (Paris:

Gallimard, 1965). Je désignerai cette édition sous le sigle OP.

^Cf Œuvres en prose, 479-81, 1462-63. A dix ans il a vu avec enthousiasme avec

son père Hternani à la Comédie-Française, joué par Mounet-Sully et Sarah

Bernhardt.

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