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La Societe Japonaise de Langue et Litterature Francaises NII-Electronic Library Service La SocieteJaponaise de Langue et Litterature Francaises Claudel et le paysage chinois Dans un livre rev61ateur et trop rn6connu, l'Art poe'tigue, Claudel aMrma que le recours h 1'analogie n'est pas un simple proc6d6 d'6cri- vain mais une m6thode sup6rieure de pens6e qui devra comp16ter, sinon remplacer, lalogique fbrmelle. L'ancienne logigue, dit-il, " avait le syllogisme pour organe, celle-ci a la m6taphore, le mot nouveau, 1'op6ration qui r6sulte de la seule existence coajointe et simultan6e de deux choses diffErentes ". Et de poursuivre en comparant 1'ancienne logique h G Ia premiere partie de la grammaire qui d6termine la nature et la fonction des differents mots ", alors que la nouvelle logique en serait c comme la syntaxe qui enseigne 1'artde les assembler Di). On assiste dans Cbnnadssance de l'Est h la mise en ceuvre de ces propositions. Le tete-h-t6te avec la Nature chinoise permet de sur- prendre des athnit6s essentielles entre 1'homme et son milieu, leveg6tal et 1'animal, le min6ral et 1'humain, les proc6d6s du paysan et ceux de la Nature. Regardons de pres un texte comme Le Riz. I! est fait d'un contrepoint d'analogies : le soleil qui fait mtirir les rizieres et le fbur, le repiquage du riz et la fecondation, les eaux d'irrigation et les eaux menstruelles, la mar6e haute et 1'allaitement, la maturation des recoltes et la cuisson chinoise du riz h la vapeur. Deux par deux le comparant et le compar6 s'entrelacent, et la phrase finale sur Gla terre bonne h manger " r6alise, comme une coda de fugue, lafusion des deux ordres. Les m6canismes de 1'analogie conferent h tout ce texte son mouvement, sa structure et sa signification. Il est vrai que ce poeme appartient au dernier quart du recueil: il denote une maitrise d'ecriture qui est plus rare dans le premier. Mais des la s6quence de Changhai on trouve des exemples d'analogies 1) Art poetigue, dans le volume' de la collection de la Pleiade censacr6 aux eeuvres po6tique de Claudel, p. 143. Nous d6signerons d6sormais ce volume par le sigle Pl. IIr, et le volurne des CEuvres on prose par Pl. IV. [70]

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Claudel et le paysage chinois

Dans un livre rev61ateur et trop rn6connu, l'Art poe'tigue, Claudel

aMrma que le recours h 1'analogie n'est pas un simple proc6d6 d'6cri-

vain mais une m6thode sup6rieure de pens6e qui devra comp16ter,

sinon remplacer, la logique fbrmelle. L'ancienne logigue, dit-il, " avait

le syllogisme pour organe, celle-ci a la m6taphore, le mot nouveau,

1'op6ration qui r6sulte de la seule existence coajointe et simultan6e de

deux choses diffErentes ". Et de poursuivre en comparant 1'ancienne

logique h G Ia premiere partie de la grammaire qui d6termine la nature

et la fonction des differents mots ", alors que la nouvelle logique en

serait c comme la syntaxe qui enseigne 1'art de les assembler Di).

On assiste dans Cbnnadssance de l'Est h la mise en ceuvre de ces

propositions. Le tete-h-t6te avec la Nature chinoise permet de sur-

prendre des athnit6s essentielles entre 1'homme et son milieu, le veg6talet 1'animal, le min6ral et 1'humain, les proc6d6s du paysan et ceux dela Nature. Regardons de pres un texte comme Le Riz. I! est fait d'un

contrepoint d'analogies : le soleil qui fait mtirir les rizieres et le fbur,

le repiquage du riz et la fecondation, les eaux d'irrigation et les eauxmenstruelles, la mar6e haute et 1'allaitement, la maturation des recoltes

et la cuisson chinoise du riz h la vapeur. Deux par deux le comparantet le compar6 s'entrelacent, et la phrase finale sur Gla terre bonne hmanger " r6alise, comme une coda de fugue, la fusion des deux ordres.

Les m6canismes de 1'analogie conferent h tout ce texte son mouvement,

sa structure et sa signification.

Il est vrai que ce poeme appartient au dernier quart du recueil:

il denote une maitrise d'ecriture qui est plus rare dans le premier.Mais des la s6quence de Changhai on trouve des exemples d'analogies

1) Art poetigue, dans le volume' de la collection de la Pleiade censacr6 aux

eeuvres po6tique de Claudel, p. 143. Nous d6signerons d6sormais ce volume par lesigle Pl. IIr, et le volurne des CEuvres on prose par Pl. IV.

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obsessionnelles qui courent au long d'un texte et 1'orientent. Dans

Jardins tout suggere des complicites occultes entre la Nature et 1'esprit,

entre les mat6riaux naturels et 1'art du jardinier chinois, entre les laby-

rinthes du jardin et G la circulation de la r6verie b, entre 1'angle des toits

et les mouvements de la danse, entre la structure du jardin et la com-

plexit6 de la nature. L'6criture est moins serree que dans le Ri2, rnaisla chaine des analogies n'en donne pas moins une trame de fond, et

c'est elle qui nous conduit vers la vision finale du jardin-miscrocosme. Dans Peinture le poete opere autrement, Il ne s'agit plus de 1'iso-morphisme des Regnes de la cr6ation mais d'un face h face entre desobjets et un modele. Sous nos yeux on transforme un paysage que nous

ne voyons pas en un modele reduit h deux dimensions, qui degage lestraits structuraux : champs en labour et arbres, maisons et personnages,long chernin diagonal et reflet de lune dans une douve circulaire.

L'alternance du droit et du courbe, du plat et du vertical d6finit ainsi

Ie paysage, qui est structur6 en m6me temps que r6duit aux dimen-

sions d'une maquette.

Dans Dticembre le proc6d6 est plus complexe. L'auteur laisse en-

trevoir le paysage en m6me temps que la peinture qui le repr6sente.

Dans un premier brouillon il s'6tait content6 de d6crire un pan de

campagne d'hiver, mais dans la version d6finitive, il fait intervenir lelecteur qu'il tutoie et qui, avec sa main, ses doigts, sa paume, est invite

h toucher un paysage r6duit aux deux dimensions d'une peintureimaginaire :

Balayant la contreeet ce vallon feuillu, ta main, gagnant les

terres couleur de pourpre et de tan que tes yeux Ib-bas decouvrent,

s'arrete avec eux sur ce riche brocard. (...) De la paume caresse ces

Iarges ornements (.. .) des doigts verifie ces details enfonc6s dans

la trame et la brume de ce jour hivernal...

Nous voici devant un plan double: un paysage r6el et une ma-

quette. L'un et 1'autre peuvent se decrire en termes d'architecte : un

lieu clos, un " th6atre vide ) dont le plafbnd serait repr6sent6 par c une

sombre nu6e " qui G s'attache h 1'horizon comme par des mortaises h,

dont les decors se definiraient par des oppositions de masses et de

couleurs: noir sur hyacinthe, vert sur gris. La pr6sence des acteurs et

du drame est sugger6e par des infrasons imaginaires, le paysage tout

entier semblant c pr6ter attention h une voix si grele queje ne la saurais

ouir ", et ce mirage accoustique communique un sens au theatre fan-

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t6me r6flechi sur un double miroir.

Il arrive aussi que le poete ne se borne pas ti tater un simulacre : ilveut en prendre possession par une pratique d'envofitement, agir sur

un objet en s'emparant de son image. Dans la IVavigation nocturne il

guette le rRoment oti il pourra pEcher avec 1'ancre de son bateau le re-

flet de la lune ; dans Nuit d la ve'randah il dispose un grand miroir

dans sa chambre, la nuit, pour capter les etoiles ; dans 71ristesse de l'eau

une goutte de pluie fait trembler dans la vasque 1'image de la lune.

Dans Peinture qui-chose rare dans un recueil si riche en notations

colorees-se pr6sente comme un tableau monochrome, un lavis h

1'encre de Chine, la couleur intervient brusquement aux derniereslignes, et c'est le trait final de la douve circulaire avec, dans a un mor-

ceau d'azur au lieu d'eau, Ies trois quarts d'une lune h peine jaune bDans un dessein austere, ce rien de bleu et de safran n'apparait qu'aumoment oti succbde aux precisions terrestres du miniaturiste une

echappee vers le cosmos, une rencpntre des deux mondes annoncee

par le reflet de 1'astre.

Mais c'est dans la De'rivation que la f6erie des rencontres entre le

microcosme et le macrocosme est elevee h son plus haut niveau lyrique,et le fleuve g6ant qui sert de cadre ajoute encore h 1'apparat du cer6-

monial :

A 1'heure oti la sacree lumiere provoque h toute sa reponse l'om-

bre qu'elle decompose, la surface de ces eaux b mon immobile naviga-

tion ouvre le jardin sans fieurs. Entre ces gras replis violets, voici

1'eau peinte comme du reflet des cierges, voici 1'ambre, voici le vert

le plus doux, voici la couleur de I'or. Mais taisons-nous: cela que je sais est b moi, et alors que cette eau deviendra noire, je possederai la nuit tout entiere avec le nombre int6gral des etoiles visibles et in-

visibles.

On a remarque 1'importance, dans teus ces textes, de 1'id6e d'ap-

propriation, de 1'image de l'explorateur qui s'approprie, possede, en-

voQte, entraine le lecteur dans des postures d'action, se meut dans un

espace oU les objects existent par eux-memes, oti les etres doivent lutterou composer avec eux pour acqu6rir la familiarite d6sinvolte qui permetau poete de tater du pied les 6toiles, dans la Nuit d la ve'randoh, et dese situer sans efiloi dans le cosmos. L'eperation po6tique retrouve ici

les d6marches de 1'op6ration magique. *

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Les analogies inspiratrices fourmillent dans ces pages au point

que le Iecteur risque d'y chercher un code. Le poete se pr6te au jeu.Certains poemes

- tels Const'deration tle la cite' - se pr6sentent comme

des r6ponses h un test de Rorschach. Au cours d'une promenade en

montagne, 1'auteur se laisse fasciner par 1'accumulation des nuages au

couchant. Il y voit des coupoles, des tours, des cirques, des terrasses,

des basiliques-et Gcette nuance violac6e qui les assombrit, peut-6tre, n'est que le deuil qu'une distance irreparable y ajoute b.・Quelle

est donc cette cit6 a6rienne ? Partis de la contemplation d'une mer de

nuages, nous sommes insensiblement conduits vers 1'image ct peine in-

diqu6e, mais n6anmoins intelligible, de la J6rusalem c61este.

Les arbres sont trait6s, eux aussi, comme des signes. Non qu'ilssoient reduits h 1'6tat de froides al16gories ; Claudel pose sur la nature

un regard de naturaliste. Le cocotier, le banyan, l'aloes ou le pin sont

minutieusement d6crits, non seulement dans leur apparence, leurs

couleurs, et leurs formes, mais dans leurs modes de croissances et leurs

fdnctions. Dans le banyan il ne voit pas seulement un Hercule v6g6tal

mais le regulateur du r6gime des eaux; pour les pins japonais il dis-

tingue 1'action des terrains et celle de 1'hygrom6trie sur les formes des

branches et les feuillages, et il analyse minutieusement gl'elasticite

charnue " qui les caract6rise:

sous 1'effort des gras cylindres de fibres qu'elle enserre, la gaine

eclate, et 1'ecorce rude, divisee en ecailles pentagonales par de pro-

fondes fissures d'oti suinte abondamment la resine, s'exfolie en fbrtes

couches.

Tout cela nous prepare h comprendre la r6sistance en souplesse

du pin aux attaques du vent, la lutte des g6ants vegetaux qui, ade

1'effort g6min6 de leurs bras hercu16ens maintiennent d'un c6t6 et de

1'autre l'ennemi tumultueux qui les bat b. Avec ces pins, ce vent, c'est

une image de la condition humaine qui nous est montree en trans-

parence.

Il s'agit donc de conferer aux 6tres, aux situations, aux choses,

une valeur de signe. La traversee de la mer de Chine dans La 71erre vuede la mer? Une aventure mythique, un "avancement au milieu de1'6ternit6 monstrueuse ". Les quartiers en ruine de 1'ancienne m6tro-

pole royale desertee, dans H7alte sur le canal.? Le symbole des vides quialternent avec les pleins dans la d6mographie chinoise, et du vide

taoi'ste tel qu'il est d6fini dans le Ttzo-tb' king. Dans Le 17leuve 1'etage-

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ment des signifi ¢ ations est encore plus marque. Des les premiereslignes on nous pr6sente une analyse du debit du Ya・ng-tseu qui pourraitsortir de la plume d'un ing6nieur hydrographe:G... d'une aire donn6e

ayant trouve point le plus bas, un courant se forme, qui d'un poids

plus lourd fuit vers le centre plus profond d'un cercle plus 61argi -

Celui-ci est immense par la fbrce et par la masse ". D6finies d'abord

en termes techniques la masse et la force sont alors transpos6es, situ6es

dans un milieu rnagique oU micrecosme et macrocosme se confondent :

le lit du fieuve, ses eaux, ses alluvions, s'anthropomorphisent et de-

viennent arteres, sang, plasma, La Terre maternelle offre son sein, et

la morne vallee, au dernier paragraphe, evoque la M6sopotamie desertedu lendemain de la Cr6ation. Le poete nous a fait passer suceessivement

par trois registres : le scientifique, le magique et le mythique.

Devant cette abondance de signes, comment resister ct la tenta-tion du r6pertoire? Comment refuser de r6unlr, analyser, classer, les

e16ments de cette fburmiliere d'analogies? Cette 6tude ne pourrait selimiter, pr6cisons-le, h Connaissance de l'Est. Elle devrait s'etendre h

tous les textes de la periode chineise; Le Ropos du septteme four, les

deuxiemes versions de la 1leune .Pille 17Volaine et de La 17ille, sans oublier

les textes de jeunesse oU se trouvent les premieres germes. Une telle

entreprise depasserait ce cadre, et elle risquerait, en outre, d'etre

mystifiante. Car d'un poeme h 1'autre, h 1'interieur de Connaissance de

l'Est, les rapports entre signifiant et signifie se modifient, et les g6n6rali-・sations les plus facilement accept6es par des claud61iens avertis sont

parfbis les plus contestables.

Amrouche ne voyait-il pas dans Connaissance de l'Est G une espece

d'identification constante du soleil comme figure v6ritable de Dieu "?

Il est vrai que l'attente de 1'aube et de <d'intention de gloire D dans La

Descente et dans Lihation au 1onr jutur peuvent etre interpret6s commele sentiment de 1'approche du divin, que le Gsoleil de la Pentec6te"

au milieu des montagnes qui siegent Gcomme cent vieillards" dans1'Entr6e de la Terre, est plus qu'une indication temperelle, que 1'astre

du Risgue de ki mer, ele Roi debout sur la crEte ultime, 1'ceil de nos

yeux" est une figure autant qu'une r6alit6 cosmique. Nourri desimages de la Bible, Claudel ne pouvait rester sourd au message deSaint Jean : G Dieu est lumiere b, ni h la m6taphore du Soleil de Verite.Il en 6tait si conscient que de son exil am6ricain, et il ecrivait h Potte-

cher, en 1894 : " souvent le matin, quand allant vers 1'est de la ville,

je vois le magnifique soleil se lever, je me demande comrnent 1'on peut

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vivre sans la connaissance de la v6rit6 ; c'est comme d'habiter un lieu

noir et ferm6 "i).

Malgre ces recoupements, on ferait fausse route en voyant dans

le soleil claudelien un symbole univo que. Comment concilier le ruisselle-

ment divin du " soleil de Ia Pentec6te b avec la premiere scene du Par-

tage de Midi: sur la mer, Gvache terrassee que l'on marque au fer

rouge ", darde un soleil feroce :

... Lui, vous savez, son amant comme on dit, eh bien la sculpture

que 1'on voit dans Ies musees,

Baal,

Cette fois ce n'e$t plus son amant, c'est le bourreau qui la sacri-

fie ! Ce ne sont plus des baisers, c'est le couteau dans ses entrailles.

Il serait difficile de trouver un Dieu d'amour dans ce bourreau

lubrique. Or c'est ce rneme Baal qu'on retrouve dans Ardeur, oti il6pouse la Terre en la poignardant apres lui avoir fait subir c le supplicede la lumiere"; ou dans Le Si'dentaire, quand le poete assieg6 par la

chaleur, mtirit "la pens6e de 1'holocauste "; dans tZYistesse de l'eau oti

il refuse d'accuser de sa m61ancolie les nuages sombres ou la pluie,

puisque c la douleur est 1'6te et dans la fleur de la vie 1'6panouissement

de la mort ".

On pourrait inyoquer ici 1'ambivalence de la th6ologie claude-

lienne, 1'image du Dieu terrible grav6e en creux dans la saga des Con-

fontaine. Mais cette explication, sans 6tre fausse, ne rendrait pas compte

de tous les faits. Car le soleil est tant6t Dieu, tant6t Baal, 1'anti-Dieu

de la Bible, ou bien le poete lui-m6me (Arovembre, le P)'omeneur), quitant6t s'avance vers 1'astre (La Descente, Lthation au lbur.fattur), tant6t

lui tourne le dos (Octobre, 11emPe"te), ou bien le suit (Le Point, 1'Arched'er dans la fore"t). Plut6t que de se laisser entrainer dans une herme-

neutique oU 1'ing6niosit6 pourrait se deployer sans limites, oublions un

instant la symbolique pour examiner de plus pres les systemes de

rapport que 1'ecrivain suscite entre le soleil et lui.

Ils vont au-devant 1'un de l'autre dans La Descente : le poete se re-

veille au point du jour sur un bateau de fleuve, et 1'avancement a sa

rencontre de 1'aurore le a trouble comme un amant " ; dans Lthation au

1'our jutur, c'est le poete qui prend 1'initiative : il monte G au plus haut

de la montagne" et y arrive plus t6t que le soleil afin de porter un

toast au jour futur. Dans une s6rie d'autres poemes, le promeneur et

1) Lettre de Claudel b Pottecher du t7 janvier 1894, CPC I, p. 89.

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le soleil ont des trajectoires paralleles : dans le Point la prornenade se

termine au moment precis oti le soleil rouge du couchant y met un pointfinal; dans 1'Arche d'or dans la fore"t, a deux reprises, le levant et lecouchant coincident Evvec le d6but et la fin du voyage en chemin de fer

et de 1'excursion dans la for6t de Nikko ; dans Novembre le promeneurest accompagn6 h chaque etape du chemin du retour par 1'astre quid6c!ine. eJe suis le soleil qui descend h dit le poete, et apres avoir con-

temp16 l'irradiation de 1'eau par la lumiere frisante des derniers rayons,

il termine sa promenade au moment oti la lune se leve. Dans Le Aeo-

meneur 1'identification avec 1'astre est encore plus complete. "Je suis

1'Inspecteur de la Cr6ation, le V6rificateur de la chose pr6sente h, d6-

clare le poete, et c'est h 1'heure de midi qu'ils p6n6trent 1'un et 1'autre

dans la clairiere. Quand je pose, ajoute-t-il, Gma main sur la croupe

brfilante du lourd rocher, 1'entr6e d'Alexandre h J6rusalem est com-

parable h 1'enormit6 de ma constatation ".

Les rapports sont invers6s dans l'Entre'e de la Tkerre, le Tlemple de

la Conscience et Conside'ration db ld Cite' oti !a trajectoire du soleil et

celle du promeneur vont en directions contraires. Le poete fait 1'ascen-

sion d'une montagne tandis que le soleil d6cline. A la fois spectateur

et efliciant de c1'auguste c6remonie de la journ6e Di), sa ferveur lui

fait g atteindre avec la cr6te du mont le niveau du soleil qui descend "2)

et contempler de haut le moment oti " l'astre traverse tout le ciel d'un

rayon noir et vertical "3). Parfois un ultime rituel d'616vation accuse les

divergences:gle soleil se couche, je gravis les marches de veiours

blanc que jonchent les pommes de pin ouvertes, telles que des roses "

conclut le promeneur du Tkemple de ld conscience, et dans (;bnsidEration

de la crte' le regard du poete va plus haut que 1'horizon oti le soleil

s'efuce, jusqu'h la cit6 de nuages au z6nith. En plaine ou sur la mer

Ie rituel repara2t sous d'autres formes;le voyageur tourne le dos encore

au soleil couchant, rmais pour se diriger vers Gcette lune large et pale

qu'on voit pendant le jour "4), ou bien vers " une lune rouge en marche

par la nue " d'unjour d'orage5}. Et c'est de nouveau dans 1'espace com-

pris entre la trajectoire des astres et celle du voyageur que le poeme se

deploie.

1) L'Entre'e dle la Tlerre.

2) Consideration de la Cite.3) L'Entree de la Tlerre.4) Octobre.5) Tlempete.

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Plus on compare entre elles ces differentes combinaisons, mieux

on mesure leur importance. Elles donnent h chaque texte une pers-

pective centrale et un mouvement, une direction et une structure

fondamentale autour de laquelle episodes et images viennent s'ordon-

ner un h un. A 1'int6rieur de ce dispositif le soleil, par moments, peutdevenir symbole mais un symbole dont la signification est changeante

et ne doit 6tre interprete qu'h travers une structure, et par rapport helle. Au milieu de ces donn6es variables, 1'invariant est repr6sent6 parle rituel du Mage dans le Temple cosmique, par les regards et les gestesdu ce16brant qui mesure, 6value, organise les proportions d'un jardin,d'une ville, d'un monument, d'un paysage pour le constituer en modele

r6duit du cosmos. On assiste ti un c6r6monial qui n'est pas sans rappeler

le ,Pbtrg-chouei des geomanciens chinois que, dans sa conf6rence dePrague, Claudel d6finissait comme cune espece de physiognomoniede la nature (...) 1'art de Gall et de Lavater appliquee hun paysagedont il interprete le sens profond et les intentions latents "i).

Mais le geomancien est mobile dans un cadre immobile-la la

diff6rence de 1'astrologue immobile qui regle la circulation des astres.

Dans la campagne du Fou-kien, le poete-rnage regle sa demarche,

mobile contre mobile, en contrepoint de celle du soleil. Et nous sommes

alors en pr6sence d'un spectacle qui devient action, c'est h dire d'une

liturgie.

GOn doit sentir que derriere ce paysage il ya un drame qui

passe ", confiait Claudel h Fr6d6ric Lefevre2). Le drarne serait-il celui

que les critiques veulent retrouver h tout prix dans tous les coins de

1'ceuvre claud61ienne, 1'histoire de Mesa et d'Yse? Certes non. Les

huit-diziemes de Connaissance de l'Est ont 6t6 6crits avant 1901 et la

fatale rencontre sur le bateau. Seuls les derniers poemes -

et surtout

le dernier - nous renvoient un 6cho du Partage de Midi. C'est un tout

autre drame qu'on devine h 1'arriere-plan, celui de la fausse vocation

monastique. Pendant les quatre annees du premier sejour en Chine,

Claudel ne cesse de ramhcher les conflits int6rieurs qu'on entrevoyait

dejh dans I71ers d'esca. G Sousjacent h tout mon travail artistique de

cette epoque-lb ", confiera-t-il h Amrouche, ail y arrait cette pens6elancinante: qu'est-ce qui m'attend, qu'est-ce queje vais faire quandje rentrerai en France, vaisje essayer la vie monastique? C'est le

1) CL KLes Superstitions chinoises), Pl. IV, p. 1076.2) Fr6deric Lefevre, Les Sources de Paul Ctaudel, p. 142.

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probleme que j'ai essay6 de r6soudre h mon retour, en 1900 bi).

Nous avons dejh rencontr6 1'un des avatars du theme obsessionnel

de la r6clusion, le monologue du bonze de la montagne. On peut en

voir un autre dans la s6quence mediane de Heures dans le ldrdin, oU

le lecteur est pris dans 1'etau de c16tures en spirales qui vont se res-

serant. On nous offte, pour commencer, 1'image d'un jardin dont la

poterne est hermetiquement close eavec la barre et le verroub; au

dessus du jardin, la e sphere celeste h avec le soleil au milieu ; dans le

ciel, un milan qui " plane en larges cercles dans 1'azur b ; dans le jardin,le " repli colch6aire de 1'al16e D conduit vers un point focal, G tel qu'au

jeu de 1'Oie b; et ce point focal n'est autre que le Puits, Gmenag6 h

travers 1'6paisseur de la colline ". Arrive ) la derniere case, le reclus se

contente d'agiter le Gseau invisible ": "Je ne bourgerai point pour ce

jour D, conclut--il.

On trouveraun autre exemple de structure en spirale oU le resserre-

ment progressif du d6cor mime les phases de i'angoisse, dans le court

poeme intitu16 Vdsite. L'anecdote qui sert de point de d6part - la visite

protocolaire que le consul doit faire au Vice-Roi de Fou-tcheou pournegocier un accord sur le riz indo-chinois2) - est presqu'impercepti-ble. La chaise h porteurs (" la caisse ") conduit le consul dans un nou-

veau trace de jeu de 1'Oie. Elle 1'arrache aux rumeurs des quartierscommergants periph6riques de la ville de Fou-tcheou et l'engage dansle quartier patricien de la Montagne Noire ; au milieu de ce quartier,le yamen mandarinal ; au milieu de la cour du yamen, un enclos de

banyans ; h 1'ombre des banyans, le noble toit de la R6sidence ; une foisla porte de la maison franchie, le petit salon d'attente ; dans ce salon,

le consul ne voit plus que les barreaux des fen6tres qui "1'excluentb

etG1'aussurent par le dedans ". Le motcseul ", qui denne au texte son

point d'orgue, ne fait que mat6rialiser le sentiment d'oppression quedonne au lecteur le resserrement du d6cor.

Aux debuts du sejour en Chine, la solitude n'6tait par li6e h 1'angoissedes d6cisions imminentes mais aux images de rayonnement, et au lieude structure en spirale on nous offte dans Le Tbmple de la Conscience

un d6cor d'escaliers et d'aur6oles concentriques. On nous fait gravirun chemin de montagne, un escalier rustique, et nous voici en pr6senced'un paillasson circulaire oU 1'ermite absent viendra bient6t m6diter.

1) Memoires improvise's, p.121.

2) Gilbert Gadoffre, Clandel et l'univers chinois (Cahiers Paul Claudel, ne 8,Gallimard, 1968), p. 193.

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Le poete en fait le acceur mystiqueD d'une immense fleur dont lecalice et la corolle seraient le paysage limit6 par c la double enceinte desmonts et des nuages ", et ponctu6 sur la ligne d'horizon par le soleil

ceuehant. Le decor nous est present6 comme une structure en formed'aur6oles concentriques dont G 1'occupant unit dans la contemplation

de son esprit une ligne b l'autre ", le d6cor materialisant l'extase h la

maniere du lotus sur lequel Boucldha est accroupi.

Remarquons ici encore, h quel point une interpr6tation fbndee sur

les themes sans tenir compte des structures risquerait d'apporter plusde confusion que de lumieres. Selon qu'il s'exprime par un mono-

logue, un dispositif en spirale ou en aur6oles concentriques, le theme

du solitaire rev6t des significations totalement differentes. Dans le

dernier exemple il y a m6me interf6rence de plusieurs themes clau-

d61iens: la r6clusion, la minute privilegi6e, la p16nitude. La minute

privi16gi6e, c'est la promesse de plenitude entrevue un court moment,

juste de quoi nourrir 1'attente. C'est 1'apparition de 1'arbre blanc dans

la nuit noire (sSIplendeur de la Lune, Hettres dans le Jardiip), c'est lalumiere frisante du soleil couchant qui transforme en Sinai'i la mon-

tagne de Kou chan et illumine un torrent fbrestier dans L'Ehotre'e de la

Tlerre, qui fait brfiler 1'air et 1'eau a d'un feu myst6rieux " dans Novem-bre. "D6sirable 61ixir! ", continue Claudel dans ce dernier poeme,c par quelle route mystique, oti ? me sera-t-il donn6 de participer h ton

flot avare b. Et c'est aussi la pr6caire architecture des nuages immo-

bilis6s pour quelques minutes au eouchant qui d6marre les visions

euphoriques de Cbnszdth'ation de la Cite' et du Tlemple de la Cbnscilence.

Si la minute privilegiee apparait sous la forme d'une incandescenceentrevue, la p16nitude se mat6rialise le plus souvent par la force de

1'eau : la maree dans 1'Entre'e de la Tlerre, Heures dans le jurdin, LaMarie db Midi, la cou16e du fleuve dans La Dtirivatt'on et La Descente,

1'inmiersion dans Sak{tation. Et Claudel ne se contente pas de lavision de 1'eau, il fait en sorte que le langage nous en donne la sensa-tion physique. Dans La De'rivation, 1'ampleur des p6riodes, la richesse

des enum6rations, les articulations rh6toriques, les rebondissements de

1'attention sur des relais visuels et phonetiques suscitent un discours

continu dont aucune asp6rit6 n'interrompt le cours, et qui fait eprouver

au lecteur la force, la liquidit6 du flux, avec le sentiment de la duree

par le mouvement perpetuel.

La p16nitude du temps est manifest6e d'une autre maniere, par la

force des marees qui souleve les bateaux, renverse le cours des fleuves

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et met la vie du port en branle. Il ne s'agit plus, cette fois, de mouve-

ment continu mais d'un 6talement liquide, et La Mare'e de Midi se

presente comme un texte homogene, sans paragraphes si cesures, faitd'une gerbe d'observations enregistr6es dans une perspective syn-

chronique et traduites fictivement dans un ordre de succession par1'artifice de l'6criture, 1'operation mentale de la lecture restituant aux

faits leur perspective originelle de simultan6it6. Le lecteur devientainsi complice, et il participe h la p16nitude qu'il a lui-meme liber6e.

Hymne d'action de graces du consul revenu ti sa terre promise du

Foukien, Sahttatihn est plac6e aussi sous le signe de la plenitude. Dansce texte tres peu narratif, CIaudel nous transporte en divers points:au large des c6tes du Foukien, sur un bateau qui remonte le Min, dans

les faubourgs de Fou-tcheou. Mais ces changements de lieu sont

quasiment imperceptibles tant le lieu g6ographique s'efface derriere un

cadre imaginaire qui se dessine en transparence: un paysage liquideet blanc oti le poete est immerg6. 0n nous parle d'un G matin moite b,

d'un ciel cplus bien loin au-dessus de nous " qui anous immerge et nous

mouille ". Le voyageur est " comme un corps qui, au travers de 1'eau,

descend par la fbrce de son poids ". Il se tient "debout parmi 1'air par-faitement blanc". Bient6t, 1'image sugg6ree prend corps et devientmythe: "Moi, nouvel Hylas, comme celui qui considerait au-dessus

de lui les poissons horizontaux suspendus dans 1'espace vitreux ; je voisde ce lait, de cet argent oU je suis noy6 jaillir un 6blouissant oiseau

blanc h gorge rose h.

C'est dans ce cadre mythique que jaillit un poeme en prose ayant

la forme d'un psaume de louange divise en cinq strophes dont quatreont pour note d'attaque la coajonction et, dans le style des prophetes.Elles paraissent, h premi6re vue, sensiblement 6gales, mais en y regar-

dant de plus pres on s'apergoit que leur longueur va croissant de la

premiere strophe h la quatrieme : la premiere a dix lignes, la secondedouze, la troizieme dix-sept, la quatrieme vingt-deux. Seule la strophede conclusion (seize lignes) interrompt ce rythme d'elargissement pro-gressif qui contribue h donner 1'impression d'6talement par nappes et

d'effervescence continue.

Mallarm6 aimait h dire que " toute phrase ou pensee, si elle a un

rythme, doit le modeler sur 1'objet qu'elle vise h reproduire "'). En

ajoutant la notion de structure h celle de rythme, on pourrait appliquer

1) H. Mondor, Vie de Mallarm6, ed. 1941, p. 772.

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cette phrase h la plus grande partie des poemes de Conaissance de l'Egt,

1'accord entre la forme et la signification 6tant particulierement sensi-

ble dans les derniers exemples que nous avons analyses, polaris6es comme il le sont autour d'un theme central. Mais on rencontre aussi

des ensembles plus complexes oU des themes tres divers coexistent

bizarrement. Heures dans le Jdrdin, par exemple, a toutes les apparences

d'un texte het6roclite, et le recoupement avec 1'agenda de Claudel ne

fait que confirmer cette impression. Les cinq fragments separ6s par des

blancs ont 6t6 r6diges a des p6riodes et au cours de circonstances tout

h fait differentes, sur une p6riode de sept mois. Sommes--nous en pr6-

sence d'une juxtaposition fortuite oti d'un montage habile?

La seule unit6 apparente est d'unite de lieu : tout se passe dans le

jardin du consulat de France h Fou-tcheou. Dans les deux premieres

s6quences nous voyons se succ6der des images v6getales : grappes de

raisin qui marissent au soleil, algue dans le courant a que son pied seul

amarre ", palmier d'Australie immobile malgre ses battements d'ailes

dans le vent, aloes triomphal qui meurt au moment m6me oU il arrive

h la maturitE sexuelle. Puis vient la s6quence de la claustration dans le

jardin et le dispositif en spirale qui conduit le poete jusqu'au puits

central; c'est ensuite 1'apparition de 1'arbre blanc dans la nuit, et

enfin le theme de la mar6e, traduit dans des forrnes voisines de celles

que nous avons analys6es dans La Mare'e de Midi. Themes de la vie

v6g6tative, de la c16ture, de la minute privil6gi6e, de la p16nitude, nous

retrouvons dans ces pages qui ont prec6d6 de peu le retour en Europe

d'Octobre 1899 et la retraite h Liguge tous les themes obsessionnels

li6s h une situation, au drame sans paroles que 1'auteur lui-meme nous

invite h lire en filigrane des pages de ( bnnaissance de l'Est.

Il ne saurait 6tre question d'attribuer toutes les trouvailles fer-rnelles gue nous avons not6es au calcul. L'irregularit6 des r6ussites,

la multiplicite des formules laissent croire plut6t que 1'empirisme et

1'instinct etaient seuls en jeu dans la plupart des cas. Nous avons seule-

ment voulu montrer que la decouverte des formes, dans C?)nnaissance

de l'Est, a et6 moins facile qu'on ne le croit et aussi laborieuse queClaudel nous le dit. Les crises de d6couragement, presque de d6sespoir,

que r6velent sa correspondence, 6taient li6es h des recherches d'expres-sion qui, un an apres 1'arriv6e en Chine, 6taient encore loin d'etre hleur terme, et se compliquaient encore de la dualite des influences qu'ilsubissait encore. Mallarm6 lui avait donn6 une formation plus qu'unm6tier, Jules Renard un prototype et des exigences plus qu'une inspira-

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tion. Le jeune censul s'6tait trouve, en Chine, face h des problemes

qu'aucun de ses deux maitres ne pouvait 1'aider h r6soudre : comment

faire coexister un monde exterieur tres reel et 1'univers de signes de

Mallarme? Comment rendre h la fois le mouvernent des choses et leur

simultaneite? Comment harmoniser Ie present de participation et le

rythme, la phrase et 1'ensemble?

Ces problemes, il les a r6solus tout seul, avec son "cahier d'exer-

cices ", et dans Yordre oU les circonstances les lui pr6sentaient. Lalutte au jour le jour contre les r6sistances de la matiere verbale lui aura

permis d'individualiser son art, de se liberer de ses mattres, de forger

son langage et d'61aborer, ce faisant, une personnalit6 seconde, celle

du Claudel 6crivain, maitre du verbe, capable de mediatiser les sensa-

slons, les id6es et les formes. Dans la mesure ou Montaigne avait pu se

dire fils de son livre, si Claudel est le fils d'un livre, Connadssance del'Est a droit h cet honneur.

Gilbert GADoFFRE

Professor

of Department of French Studies

Munchester