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© Fotolia.com/Mattéo Natale 57 juridique prescription Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012 Depuis les Assises du médicament, en juin 2011, le législateur a tranché concernant la question du hors AMM. Il est donc toujours possible de prescrire hors AMM, mais de façon exceptionnelle, notamment face aux recommandations temporaires d’utilisation, appelées à devenir la norme standard. L a question du hors autorisation de mise sur le marché (AMM) avait été à l’origine du vaste chantier engagé par le ministre de la Santé afin de réfor- mer la législation relative au médicament. Le Médiator ® avait en effet été prescrit hors de son indication par les médecins. Lors des Assises du médicament, qui se sont déroulées de janvier à juin 2011, l’un des cinq ateliers proposés par le ministère était consacré à cette pratique. Au final, le législateur a opté pour deux voies dans la pratique du hors AMM : – conserver aux médecins la possibilité de prescrire en dehors de l’indication ; – faire en sorte que cette voie devienne une exception par rapport aux recomman- dations temporaires d’utilisation (RTU), qui sont appelées à devenir la norme standard. L’ancien hors AMM perdure toujours La prescription hors AMM, d’une façon générale, n’est pas en elle-même illégale. Une extension de la liberté de prescription du médecin reconnue de longue date Il s’agit d’une extension de la liberté de prescription du médecin, prolongement du principe d’indépendance de ce dernier, qui a par ailleurs été élevée au rang de principe général du droit 1 . La possibilité de prescrire hors AMM est également reconnue par l’article 8 du Code de déontologie médicale 2 . La conséquence est cependant que le médecin doit assumer seul la respon- sabilité de la prescription et, en cas de contentieux, prouver la pertinence de celle-ci eu égard à la situation particulière de son patient et aux données acquises de la science. Une possibilité qui subsiste aujourd’hui La loi Bertrand 3 dispose qu’une spé- cialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisa- tion temporaire d’utilisation (ATU), sous réserve que le prescripteur juge indispen- sable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient. Au vu du contexte, il faut donc recom- mander au médecin de bien documenter, dans le dossier médical, la raison qui l’a poussé à cette prescription. Il ne saura donc être trop recommandé également au pharmacien chargé de délivrer cette prescription de ne pas hésiter à refuser la délivrance s’il estime que la prescription est susceptible de mettre en danger la santé du patient. Le pharmacien d’offi- cine est, en effet, considéré par le juge comme le dernier maillon de la chaîne. Sa responsabilité peut ainsi être reconnue en cas de contentieux. La loi Bertrand innove cependant par la reconnaissance d’une nouvelle possibilité de prescription hors AMM “encadrée”, nommée recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Les recommandations temporaires d’utilisation Le nouvel article L. 5121-12-1 du Code de la santé publique (CSP) permet à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d’élabo- rer une RTU pour une période maximale de trois ans, autorisant la prescription d’une spécialité pharmaceutique dispo- sant d’une AMM, dans une indication différente ou des conditions d’utilisation non conformes à son AMM, en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée autorisée. Élaboration d’une RTU Lorsqu’elle envisage d’élaborer une RTU, l’ANSM demande au titulaire de l’AMM de la spécialité concernée toutes les informations relatives à cette indication ou à ses conditions d’utilisation dont il dispose. Si l’indication ou les conditions d’utilisa- tion concernent une maladie rare, l’ANSM sollicite l’avis du centre de référence com- pétent. De même, si l’indication ou les conditions d’utilisation concernent le trai- tement du cancer, l’ANSM sollicite l’avis de l’Institut national du cancer (INCa). Sur la base de ces données et d’autres informations disponibles (telles que le pro- tocole national de diagnostic et de soins élaboré par la Haute Autorité de santé – HAS – pour les maladies rares), l’ANSM procède à l’évaluation de l’efficacité et de la sécurité présumées de la spécialité dans l’indication ou les conditions d’utili- sation considérées. Si cette évaluation est favorable, l’agence élabore un projet de RTU qui comporte, en annexe, un protocole de suivi des patients ainsi qu’un projet de convention en préci- sant les modalités. La prescription hors AMM, les nouvelles règles du jeu

La prescription hors AMM, les nouvelles règles du jeu

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57 juridique

prescription

Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

Depuis les Assises du

médicament, en juin 2011,

le législateur a tranché

concernant la question du

hors AMM. Il est donc toujours

possible de prescrire hors AMM,

mais de façon exceptionnelle,

notamment face aux

recommandations temporaires

d’utilisation, appelées à devenir

la norme standard.

La question du hors autorisation de mise sur le marché (AMM) avait été à l’origine du vaste chantier engagé

par le ministre de la Santé afi n de réfor-mer la législation relative au médicament. Le Médiator® avait en effet été prescrit hors de son indication par les médecins. Lors des Assises du médicament, qui se sont déroulées de janvier à juin 2011, l’un des cinq ateliers proposés par le ministère était consacré à cette pratique.Au fi nal, le législateur a opté pour deux voies dans la pratique du hors AMM : – conserver aux médecins la possibilité de prescrire en dehors de l’indication ;– faire en sorte que cette voie devienne une exception par rapport aux recomman-dations temporaires d’utilisation (RTU), qui sont appelées à devenir la norme standard.

L’ancien hors AMM perdure toujoursLa prescription hors AMM, d’une façon générale, n’est pas en elle-même illégale.

Une extension de la liberté

de prescription du médecin

reconnue de longue date

Il s’agit d’une extension de la liberté de prescription du médecin, prolongement

du principe d’indépendance de ce dernier, qui a par ailleurs été élevée au rang de principe général du droit1. La possibilité de prescrire hors AMM est également reconnue par l’article 8 du Code de déontologie médicale2. La conséquence est cependant que le médecin doit assumer seul la respon-sabilité de la prescription et, en cas de contentieux, prouver la pertinence de celle-ci eu égard à la situation particulière de son patient et aux données acquises de la science.

Une possibilité qui subsiste

aujourd’hui

La loi Bertrand3 dispose qu’une spé-cialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisa-tion temporaire d’utilisation (ATU), sous réserve que le prescripteur juge indispen-sable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique du patient. Au vu du contexte, il faut donc recom-mander au médecin de bien documenter, dans le dossier médical, la raison qui l’a poussé à cette prescription. Il ne saura donc être trop recommandé également au pharmacien chargé de délivrer cette prescription de ne pas hésiter à refuser la délivrance s’il estime que la prescription est susceptible de mettre en danger la santé du patient. Le pharmacien d’offi -cine est, en effet, considéré par le juge comme le dernier maillon de la chaîne. Sa responsabilité peut ainsi être reconnue en cas de contentieux.La loi Bertrand innove cependant par la reconnaissance d’une nouvelle possi bilité de prescription hors AMM “encadrée”, nommée recommandation temporaire d’utilisation (RTU).

Les recommandations temporaires d’utilisationLe nouvel article L. 5121-12-1 du Code de la santé publique (CSP) permet à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d’élabo-rer une RTU pour une période maximale de trois ans, autorisant la prescription d’une spécialité pharmaceutique dispo-sant d’une AMM, dans une indication différente ou des conditions d’utilisation non conformes à son AMM, en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée autorisée.

Élaboration d’une RTU

Lorsqu’elle envisage d’élaborer une RTU, l’ANSM demande au titulaire de l’AMM de la spécialité concernée toutes les informations relatives à cette indication ou à ses conditions d’utilisation dont il dispose. Si l’indication ou les conditions d’utilisa-tion concernent une maladie rare, l’ANSM sollicite l’avis du centre de référence com-pétent. De même, si l’indication ou les conditions d’utilisation concernent le trai-tement du cancer, l’ANSM sollicite l’avis de l’Institut national du cancer (INCa).Sur la base de ces données et d’autres informations disponibles (telles que le pro-tocole national de diagnostic et de soins élaboré par la Haute Autorité de santé – HAS – pour les maladies rares), l’ANSM procède à l’évaluation de l’effi cacité et de la sécurité présumées de la spécialité dans l’indication ou les conditions d’utili-sation considérées.Si cette évaluation est favorable, l’agence élabore un projet de RTU qui comporte, en annexe, un protocole de suivi des patients ainsi qu’un projet de convention en préci-sant les modalités.

La prescription hors AMM, les nouvelles règles du jeu

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

Le coût du suivi des patients traités est à la charge du titulaire de l’AMM. Lorsque la RTU concerne plusieurs spécialités, ce coût est réparti entre les différents titulaires des AMM des spécialités concernées.Peuvent signaler au directeur général de l’ANSM toute prescription d’une spécia-lité non conforme à son AMM dont ils estiment qu’elle pourrait donner lieu à l’élaboration d’une RTU :– les ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale ;– la HAS ;– l’Union nationale des caisses d’assu-rance maladie (Uncam) ;– l’INCa ;– les centres de référence et les centres en charge des maladies rares ;– les associations de patients agréées.Les RTU et les projets de RTU font l’objet d’une publication sur le site internet de l’ANSM4.

Contenu d’une RTU

Pour chaque spécialité, la RTU mentionne :– l’indication ;– la posologie et le mode d’administration ;– les effets indésirables.Elle indique aussi sa durée de validité et est assortie d’un argumentaire faisant apparaître les données disponibles qui permettent de présumer qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée, les bénéfices attendus de la spécialité sont supérieurs aux risques encourus dans cette indication ou ces conditions d’utilisation.Une RTU peut concerner plusieurs spé-cialités, le cas échéant appartenant à un groupe générique.La RTU prévoit les modalités de suivi des patients et de recueil des informa-tions relatives à l’efficacité, à la sécurité et aux conditions réelles d’utilisation, formalisées dans un protocole de suivi des patients. Elle prévoit également la périodicité et les modalités de l’envoi à l’ANSM des rapports de synthèse de ces données.Une convention, conclue entre le titulaire de l’AMM et l’ANSM, précise les modalités de suivi des patients et des recueils des données indiquant le rôle de chacun des

intervenants dans le dispositif de suivi, et notamment :– de l’ANSM ;– des professionnels de santé ;– du titulaire de l’AMM.Le modèle type de convention est fixé par décision du directeur général de l’ANSM.

Modification, suspension ou retrait

de la RTU

La RTU peut être modifiée, suspendue ou retirée par le directeur général de l’ANSM, notamment en cas de :– suspicion de risque pour la santé publique ;– manquement à l’obligation de suivi des patients et de recueil d’informations.Sauf en cas d’urgence, la modification, la suspension ou le retrait de la RTU ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après réception par le titulaire d’un courrier recommandé avec accusé de réception.La délivrance d’une AMM ou d’une ATU pour une indication ou condition d’utilisa-tion prévue par une RTU met immédiate-ment fin à la recommandation.L’ANSM informe sans délai les ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale ainsi que la HAS de toute déci-sion renouvelant, modifiant ou mettant fin à une RTU.

Prise en charge de la RTU

par l’Assurance maladie

L’article L. 162-17-2-1 du Code de la Sécurité sociale (CSS) autorise la prise en charge dérogatoire d’une spécialité pharmaceutique bénéficiant d’une RTU, d’un produit ou d’une prestation à certai-nes conditions :– le produit doit figurer dans un avis ou une recommandation relatifs à une caté-gorie de malades formulés par la HAS ;– la prise en charge est décidée par arrêté des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale après avis de l’Uncam.

Interrogations liées à cette nouvelle procédureLa loi Bertrand n’est pas passée au “filtre” du Conseil constitutionnel, celui-ci n’ayant pas été saisi. Il est facilement imaginable

que certains laboratoires, qui seront saisis d’une demande de l’ANSM pour dépôt de dossier dans le cadre d’une RTU, dépo-seront une question prioritaire de consti-tutionnalité (QPC) s’ils ne souhaitent pas obtempérer. En effet, un laboratoire n’est pas maître de la prescription de son médi-cament et, sur le plan stratégique, il n’a pas toujours intérêt à aller sur des mar-chés qu’il n’a pas choisis. Sur le plan du droit, il semble donc difficile, au regard de certains principes, tels celui de la liberté du commerce et de l’industrie, que l’État puisse imposer à une structure privée de déposer un dossier d’AMM.Enfin, que se passera-t-il si le laboratoire décide de ne plus commercialiser son produit ? Qui sera alors tenu de déposer un dossier d’évaluation ? Ou lorsque le médicament est génériqué ? Imposer au laboratoire princeps de déposer un dossier pourrait être assimilé, au regard du droit, à une rupture d’égalité entre le laboratoire princeps et les génériqueurs. Nul doute que ces questions risquent de surgir à tout moment. n

Caroline Mascret

Maître de conférences en droit pharmaceutique,

Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry (92)

[email protected]

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de

conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Notes1. CE du 18 février 1998, Section locale du pacifique sud de l’Ordre des médecins : « […] Le congrès du territoire est tenu de respecter les principes généraux du droit, qui s’imposent à toutes les autorités réglementaires, même en l’absence de dispositions législatives ; qu’au nombre de ces principes figurent la liberté du choix du médecin par le patient et la liberté de prescription. »

2. Article R. 4127-8 du Code de la Sécurité sociale : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d’assistance, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

3. Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. JORF n° 0302 du 30 décembre 2011, p. 22667.

4. http://ansm.sante.fr/