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Quels enjeux théoriques et méthodologiquesde la théorie de la gouvernance partenariale ?

La privatisation comme illustration

Céline ChatelinMaître de Conférences de Sciences de Gestion

IAE d'Orléans – LOG

[email protected] ; [email protected] : http://perso.wanadoo.fr/celine.chatelin (optimisé pour IE5)

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Résumé: Une revue des arguments théoriques et des résultats empiriquessur la relation particulière privatisation-performance montre quel’hypothèse d’accroissement de performance induit par la privatisation estencore très controversée. Nous développons une approche partenariale de lathéorie de la gouvernance et démontrons sa portée explicative dans lacompréhension de la dynamique organisationnelle sous-jacente à laprivatisation. En retour, nous statuons sur les perspectives dedéveloppement de cet axe de la théorie de l’architecture organisationnelle,afin d’approfondir notre compréhension de la dynamique organisationnelledans son acception la plus large.Mots-clés: gouvernance, processus décisionnel, efficience, privatisation,valeur partenariale

A survey of theoretical arguments and empirical evidence about theparticular relationship between privatization and performance shows thatthe well-accepted hypothesis of performance increase after privatization isstill much debated. We develop a stakeholder approach of corporategovernance theory. We analyze its explanatory power to understand morequalitatively how firms evolve when they are privatized. We conclude on thefuture research agenda suggested by our application of the stakeholdercorporate theory so as to deepen our understanding of organizationaldynamics in its broadest sense.

Keywords: corporate governance, decision-making-process, efficiency,privatization, stakeholder value

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Vingt ans après le lancement des premiers programmes de privatisation,nous sommes aujourd’hui en mesure de porter un regard objectif sur leurseffets en matière de performance des entreprises concernées. Ce débat, loind’être clos soulève aujourd’hui les mêmes questions tout en concernant unautre type d’entreprise, généralement en situation de monopole de fait ounaturel (transport aérien, distribution de gaz, électricité, contrôle aérien…).En outre, les conclusions des travaux sur le sujet, tant théoriquesqu’empiriques, reflètent une certaine ambiguïté non résolue sur cechangement si fondamental de la firme et de son développement. Cet articletente par conséquent, d’apporter une réponse plus claire à cetteproblématique que n’ont pu le faire les travaux réalisés jusque là.

Nous proposons une relecture organisationnelle de la privatisation à partird’un cadre théorique intégrateur des diverses lectures notammentcontractuelles, développées dans la littérature. Nous proposons d’exploiterla théorie émergente de la gouvernance partenariale afin d’explorer demanière approfondie le comportement organisationnel dans le contexte deprivatisation. Dans une perspective explicative, nous reposons la questiondes liens a priori complexes entre changement de propriété et performancede l’entreprise.

Cet article adresse donc deux questions, l’une relative à cette relationfondamentale entre propriété et performance, l’autre relative à la portéeexplicative de la théorie de la gouvernance partenariale dans lacompréhension du changement organisationnel et de ses implications enmatière d’architecture organisationnelle.D’une part, au regard d’un questionnement en sciences de gestion sur lefonctionnement et le développement organisationnel, en quoi consiste laprivatisation d’entreprise ? En choisissant de dépasser le débat traditionnelfondé sur le "simple" transfert de propriété au profit d’agents privés, notreréflexion relève d’une analyse des composantes de l’architectureorganisationnelle. Celle-ci est définie dans les termes de Jensen et Meckling[26 et 27] (voir Jensen, 1998, [25]) comme les règles du jeu organisationnelqui gouvernent le processus de décision en matière de création et derépartition de la valeur partenariale. Alors, dans une perspective résolumentpartenariale de la valeur, quid des effets de la privatisation sur le processusdécisionnel et sur ses interactions avec les mécanismes de gouvernance quisont supposés l’encadrer ?D’autre part, cette question centrale en sciences de gestion des lienscomplexes entre propriété et efficience dynamique telle que la théorie de la

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gouvernance partenariale permet de la traiter offre en retour, uneopportunité de statuer sur cette dernière. Quelle est en effet la pertinence decette lecture du fonctionnement organisationnel fondée sur l’analyse dessystèmes décisionnels et de mesure de performance ? En quoi est-ellecomplémentaire ou alternative à la lecture de la gouvernance actionnariale ?Ainsi, en quoi permet-elle d’apporter une réponse alternative et claire auxeffets de la privatisation sur l’efficience des entreprises concernées et, plusgénéralement, à la dynamique organisationnelle ?

1 La privatisation dans la littérature

Traditionnellement, la privatisation est définie comme le transfert d’actifsdétenus par des agents publics au profit d’agents privés (Bös, 1991, [2]). Apartir de cette définition générale de nombreuses études ont analysé leseffets de ce changement (transfert de droits de propriété à des acteursprivés) sur la performance de la firme. Cette dernière est courammentmesurée par les critères de rentabilité/marge (return on investment, onassets, on sales - respectivement ROI, ROA, ROS), mais aussi par desindicateurs de politique financière comme le niveau d’endettement,l’intensité capitalistique (dépenses d’investissement rapportées aux chiffred’affaires ou au total de l’actif), la politique de dividendes, l’effectif, etc.(Megginson et al. 1994, [28] ; Parker 1994, [31]).

D’un point de vue théorique, ces études reposent sur l’hypothèseclassique d’efficience moindre du système de propriété publiquecomparativement à celle du système de propriété privée. Deux principauxfacteurs sont énoncés. Premièrement, en référence aux fondements de lathéorie des droits de propriété, les droits de propriété publique sont parnature non transférables et non exclusifs (Boycko et al, 1996, [3)]. Un telsystème de droits de propriété est moins incitatif que le système de propriétéprivé dans la mesure où le propriétaire public ne peut pas librement lescéder (via le marché des titres) en vue de les valoriser au mieux. De plus, ilne peut directement ni en retirer les gains ni en assumer les pertes. Leshommes politiques ou les citoyens, considérés comme les propriétaires,partagent ce droit à la valeur résiduelle, qui en réalité est fortement diffus).Ces caractéristiques font du système de propriété publique un systèmemoins efficient que le système de propriété privée (Caves, 1990, [6];Vickers et Yarrow, 1988, [33]). Deuxièmement, la fonction objectif dupropriétaire diffère selon le contexte public ou privé. En référence à Vickerset Yarrow (p. 113), les hommes politiques, considérés comme lespropriétaires publics cherchent à maximiser le bien être social ainsi que leur

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agenda personnel défini par les auteurs comme la redistribution de larichesse à un groupe d’intérêt particulier, des salaires et un niveau d’emploiplus élevés dans certaines entreprises et/ou secteurs, le soutien politique,etc.1.

Dans cette perspective de sources de coûts plus grande dans l’entreprisepublique, la majorité des études empiriques, dont celles mentionnées plushaut, est conduite en vue de tester l’hypothèse largement acceptée selonlaquelle la privatisation améliorerait mécaniquement et significativement laperformance des entreprises concernées.

Cependant de récents travaux également construits à partir d’une approchequantitative (et du reste de plus en plus complexe, voir notammentVillalonga, 2000 [34], Alexandre & Charreaux, 2001, [1]) concluent à unehausse non significative de performance2. De manière plus surprenante,lorsqu’une telle hausse est observée, les auteurs remarquent qu’elle précèdel’année de privatisation généralement considérée comme celle del’ouverture du capital. Pour analyser ces relations entre privatisation etperformance les auteurs considèrent plusieurs facteurs susceptibles decontribuer plus ou moins explicitement à une variation de performance.Leurs modèles économétriques intègrent ainsi des variables telles que lasituation économique nationale, le contexte politique et les caractéristiquesorganisationnelles de la privatisation.L’hypothèse sous-jacente considérée dans ces derniers travaux suggère quela privatisation engage un changement organisationnel complexe eninteraction avec les variables environnementales. Autrement dit, la propriéténe serait pas le seul facteur explicatif de la performance des entreprisesprivatisées. Par exemple, Villalonga [34] analyse simultanément en statique(avant-après la privatisation) et en dynamique (sur toute la période), leseffets de la privatisation sur la performance. L’auteur observe que « l’effetde la privatisation s’est traduit par des hausses significatives de performancedans environ autant de cas que ceux pour lesquels ces effets se sont traduitspar une baisse significative » (p. 62). De plus, son étude montre que lahausse de performance observée après la septième année ou parfois trois ansavant l’année de privatisation est liée à des effets politiques et

1 Boycko et al (1996) qualifient cette recherche d’appropriation de rente par leshommes politiques de bénéfice politique potentiel ( « potential political benefit »)attaché à leur fonction. Voir aussi Shleifer et Vishny (1994).

2 Ehrlich et al. (1994, [16]) observent quant à eux, une hausse significative deperformance seulement plusieurs années après la privatisation.

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organisationnels et non pas à un changement strict de propriété. Quelquesannées avant ces études, Megginson et al [28] remarquaient déjà dans leurconclusion que les mécanismes par lesquels la performance augmente avantl’année de privatisation ne sont pas traités. En outre, selon nous, les raisonspour lesquelles dans certains cas la privatisation ne présente pas les effetsescomptés doivent elles aussi être examinées.Dans cette perspective, plusieurs approches sont développées afind’analyser les facteurs institutionnels, politiques et organisationnelssusceptibles d’interagir sur le niveau de performance des entreprisesprivatisées (dossier spécial, Harvard Business Review, juillet 2000). En cesens, la privatisation aurait des effets progressifs et contingents sur laperformance. Les recherches les plus récentes suggèrent ainsi unrenouvellement de perspective selon laquelle la privatisation est plus qu’un« simple » transfert de propriété sur actifs. En centrant l’analyse sur ladynamique organisationnelle, ce phénomène représente davantage unprocessus de changement de l’architecture de l’organisation dans uncontexte environnemental particulier.Une telle perspective doit permettre de comprendre comment laprivatisation agit sur les variables de performance de l’entreprise selon lescontextes des économies émergentes par exemple, ou dans le contexteeuropéen des privatisations de monopoles combinées à leur libéralisation.

Au regard de ces travaux, la question que nous posons est la suivante : sil’on considère que les variables de performance ne se limitent pas à la seulenature (publique/privée) des droits de propriété et aux mécanismes demarché, mais qu’elles recouvrent davantage un système complexe, alorsquels sont les processus par lesquels la privatisation est supposée modifierces facteurs de performance et leurs effets sur l’efficienceorganisationnelle ? Nous suggérons ainsi une analyse qualitative de laprivatisation en identifiant plus précisément la dynamique organisationnellesous-jacente au transfert de propriété.

2 Pour un renouvellement de l’analyse à partir de la théorie de lagouvernance

Ayant mis en évidence l'insuffisance du cadre théorique généralementexploité (Chatelin, 2001, [7] et 2002, [8]) pour analyser la dynamiqueinduite par la privatisation, nous proposons d'exploiter les apports de lathéorie de la gouvernance partenariale (désormais TGP). En effet, l'analyse

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des inefficiences de la propriété publique et des caractéristiques des intérêtsdes propriétaires est nécessaire mais insuffisante pour comprendreréellement comment évoluent les entreprises privatisées (Catelin & Chatelin2001, [5]). L'application de la TGP consiste alors à proposer une lecture dela privatisation fondée sur l'examen approfondi des liens complexes entre cephénomène et la performance organisationnelle, soit finalement à identifierles facteurs susceptibles d'expliquer le comportement de l'entreprise enmatière de performance.

2.1 Aux origines d'une théorie émergente de la gouvernance partenariale

Le développement actuel d'une théorie émergente de la gouvernanceintègre plusieurs éléments des approches contractuelles de l'organisation encentrant l'analyse sur la notion de droits de propriété. Le thème de lagouvernance constitue un des axes de la théorie positive de l'agence(Charreaux, 2000, [12]).L'approche des contrats incomplets envisage les droits de propriété commeune réponse endogène aux contraintes environnementales (Demsetz 1988,[15]; Grossman, Hart, 1986, [21]; Hart 1990, [22]; Hart et Moore 1990,[23]). Dans cette perspective contractuelle, la théorie positive de l'agencepropose une analyse des mécanismes par lesquels les individus minimisentles coûts d'agence sous-jacents à l'incertitude contractuelle qui caractérise lacoopération et les relations de la firme avec son environnement (Jensen,1998, [25]). Dans une optique de survie de la firme, la théorie considère quel'adaptation de l'organisation est motivée par deux critères de performance,respectivement l'efficience interne (entre les partenaires liéscontractuellement) et externe (entre la firme et l'environnement, notammentses concurrents) (Charreaux, 1999, [11]).Ainsi, le fonctionnement organisationnel repose sur l'allocation de deuxtypes de décisions tels que définis par Fama et Jensen (1983 a et b, [19 et20]):• les droits de gestion (management decision rights)• les droits de contrôle des décisions (control decision rights).

L'efficience de la firme dépend alors de l'allocation optimale de ces droitsen vue de réduire l'ensemble des coûts contractuels. Ainsi, les organisationscomplexes - caractérisées par une diffusion des informations spécifiquesnécessaires à la prise de décision optimale – présentent un processusdécisionnel en deux fonctions séparées attachées aux droits précédents. Lafonction de gestion regroupe l'initiative et la mise en œuvre de la décision.La fonction de contrôle regroupe la ratification et la surveillance des

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décisions. Leur colocalisation au niveau des agents détenteurs del'information spécifique définit l'efficience du processus décisionnel pourl'ensemble des parties prenantes à ce processus. En effet, toute partiesusceptible dans le contrat de subir les conséquences d'une décision a apriori la motivation nécessaire pour exercer efficacement le droit desurveillance de cette décision et/ou participer efficacement à sa ratification.Les créanciers résiduels ne se limitent donc pas aux seuls actionnaires. Larelation d'agence s'étend ainsi à l'ensemble des co-contractants. Cetterelation dyadique fait qu'un même individu peut être l'agent d'une relation etle principal d'une autre relation. Dans la perspective contractuelle, ledirigeant est considéré comme au centre des liens contractuels. Hill et Jones(1992, [24]) le qualifie de "médiateur" qui exerce une influence directe surle processus décisionnel.

La gouvernance de l'organisation se définit alors comme l'ensemble desmécanismes (spontanés comme les marchés, intentionnels comme le conseild'administration, le système d'information comptable ou le système derémunération par exemple) qui contrôlent et contraignent ce processusdécisionnel. La valeur créée et sa répartition entre les partenaires résultentalors de ce processus décisionnel. Autrement dit le système de gouvernance(dimensions organisationnelle et institutionnelle) permet à chaquepartenaire d'exercer une influence sur le comportement décisionnel dudirigeant. Le processus décisionnel est ainsi au cœur de l’architectureorganisationnelle définie comme la combinaison particulière d'un systèmede droits de propriété, d'un système de mesures de performance(s) et d'unsystème de rétribution (Brickley et al 1997, [4]).

Ce cadre théorique intégrateur privilégie donc une approche partenarialede la gouvernance. Il focalise sur le comportement organisationnel à traversl’analyse des mécanismes qui soutiennent le processus décisionnel. Lesystème de gouvernance s'interprète ainsi comme une réponse endogène duprocessus décisionnel aux contraintes environnementales au sens large. Laminimisation des coûts d'agence générés par la coopération impliquesymétriquement la maximisation des gains mutuels retirés de la coopération.L'efficience de cette dernière suppose donc une maximisation de la valeurpartenariale. Par conséquent, la performance organisationnelle dépend de lavaleur appropriable par chaque partenaire et donc de l'efficacité du systèmede gouvernance.

2.2 La privatisation comme un processus d'adaptation organisationnelle

Dans la problématique particulière de la privatisation, cette interrogationsur le fonctionnement des entreprises permet de renouveler l'analyse des

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liens entre privatisation et performance. En effet, le transfert de droits depropriété qui caractérise la privatisation peut être réinterprété au regard del'architecture de l'entreprise. Ainsi, la privatisation engendre un changementorganisationnel susceptible de concerner 3 niveaux :• le processus décisionnel,• le système de gouvernance,• le niveau de valeur appropriable par les partenaires

D’un point de vue général, si la privatisation modifie la co-localisation desdroits décisionnels et de l'information spécifique, alors le processusdécisionnel devrait évoluer. Parallèlement, une modification descaractéristiques des fonctions de gestion et de contrôle devrait se traduirepar une adaptation des mécanismes de gouvernance afin d’une part, derépondre à la nouvelle architecture organisationnelle d’autre part, desoutenir les intérêts des partenaires. Par conséquent, le processus de créationde valeur et sa répartition devrait évoluer en cohérence avec le systèmed'allocation des droits décisionnels et le système de coordination et decontrôle de la firme. Ainsi, la valeur appropriable par chaque partenaire estsusceptible d'évoluer. Alors, la privatisation devrait avoir un impact sur laperformance organisationnelle. Cet impact peut être a priori variable selonla dynamique organisationnelle et les partenaires concernés.

2.2.1 La dynamique du processus décisionnelDans cette perspective, si la privatisation est réellement une réponse

adaptée à de nouvelles conditions environnementales, alors elle peut seredéfinir comme une ré-allocation des droits décisionnels au profit d'agentsprivés en fonction de la localisation de l'information spécifique et du risquerésiduel. Si l'on considère le processus décisionnel au sein de l'entreprisepublique comme fortement centralisé au niveau des pouvoirs publics3, alorsla privatisation signifie que les propriétaires publics (propriétaires déléguéstels que les ministres de tutelle et technique comme en France par exemple)transfèrent leurs droits (de gestion et de contrôle) à des agents privés,indépendants des pouvoirs publics. Ainsi, ces derniers, avec ou sans la ventede leurs titres abandonnent pour tout ou une partie, l'exercice des fonctionsdécisionnelles évoquées plus haut.En ce sens, nous définissons la privatisation comme un processus qui peut,au minimum conduire à un transfert de tout ou partie de la fonction de

3 Cf. Chatelin (2001) chapitre 2 : "Analyse comparative des formes

organisationnelles publiques et privées : contributions des approches contractuelles".

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décision à des agents privés et au maximum, transférer intégralement lesfonctions de décision et de contrôle à différents acteurs non publics, enprivilégiant une séparation fonctionnelle plus nette comparativement aucontexte public.

D’après la TPA, comme le souligne Charreaux (1999, [11]) « la solutiondu problème organisationnel consiste à trouver les moyens les moinscoûteux pour mettre la connaissance pertinente à la disposition desdécideurs ». En ce sens, si la privatisation répond au principe d’efficiencealors la privatisation d’une entreprise complexe implique unedécentralisation du processus décisionnel au profit d’agents privés, dans lamesure où elle conduit à l’abandon d’une structure publique centraliséepour une structure privatisée où les fonctions décisionnelles (contrôle etdécision) sont co-localisées au niveau des centres susceptibles de les exercerau mieux. De plus, si la privatisation concerne un monopole public, elle estgénéralement accompagnée (précédée ou suivie) d’une dérégulationsectorielle. Les forces de marché qui en découlent caractérisent le principede sélection naturelle. La survie de la firme dépend des avantages qu’ellepeut avoir sur ses concurrents autrement dit, de sa capacité à créer plus devaleur. Selon la TPA, celle-ci dépend de la capacité de la firme à allouer demanière optimale les droits décisionnels, autrement dit à exploiter au mieuxles connaissances nécessaires à la prise de décision la plus créatrice devaleur pour la firme. La privatisation et la dérégulation, dans un contexteorganisationnel complexe sont susceptibles de favoriser la séparationfonctionnelle décision/contrôle. D’où la proposition suivante :

Proposition 1 : La privatisation en tant que processus de réallocation desdroits de propriété conduit à une séparation fonctionnelle (contrôle etdécision) plus nette qui implique une décentralisation de tout ou partie desétapes du processus décisionnel (contrôle et décision) au profit des états-majors et de ses différents niveaux, en fonction du degré de spécificité desdécisions à prendre, a fortiori en cas de dérégulation.

La théorie de l’architecture organisationnelle (théorie positive de l’agenceélargie) stipule que la localisation de l’information spécifique influencel’allocation des droits décisionnels. Par conséquent, lors de la privatisation,la décentralisation du processus décisionnel, par abandon de tout ou partiedes fonctions de contrôle et/ou de gestion par les pouvoirs publics, peutconcerner différents types de décisions au sein de l’organisation complexe.Concernant les décisions stratégiques, elles naissent entre autres, desconnaissances relatives aux perspectives possibles de développementorganisationnel, aux capacités financières de la société. Elles font appel aux

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compétences des cadres supérieurs possédant une vision globale de la firme.Dans le cadre d’une organisation complexe, la recherche d’efficience setraduit par la séparation fonctionnelle décision/contrôle au niveau supérieuren déléguant au dirigeant la fonction de gestion des décisions, la fonction decontrôle étant exercée à ce niveau par les actionnaires, comme l’illustre lasociété managériale. De plus, les niveaux inférieurs sont au contact directdu marché, en particulier des besoins de la clientèle. Les besoinsopérationnels émergent à ces niveaux organisationnels, où les connaissancesspécifiques sont nécessaires aux choix d’investissements opérationnels.Nous en déduisons les deux propositions suivantes :

Proposition 1a : Lors de la privatisation, l’abandon de la fonction decontrôle par les pouvoirs publics, au profit des actionnaires dominantsimplique une décentralisation des décisions stratégiques au profit del’équipe managériale.Proposition 1b : L’abandon de la fonction de contrôle par les pouvoirspublics lors de la privatisation implique une séparation fonctionnelle plusprononcée au sein de la firme privée qui se traduit par une décentralisationde l’initiative et de la ratification des décisions opérationnelles auxniveaux intermédiaires et inférieurs.

En affectant a priori le système de répartition des fonctionsdécisionnelles, la privatisation est susceptible d'influencer le systèmed’évaluation et de contrôle de la performance. La séparation fonctionnelledes droits décisionnels liée à la privatisation soulève ici la question duchangement des mécanismes disciplinaires du comportement décisionnel dudirigeant. Autrement dit, comment la modification du processus décisionnelinduite par la privatisation se traduit-elle au niveau de la gouvernance de lafirme ?

2.2.2 La dynamique du système de gouvernanceLes travaux sur la gouvernance ont permis d’identifier deux grandes

tendances en matière de gouvernance des entreprises, la gouvernance demarché qui caractérise les entreprises anglo-saxonnes et la gouvernance deréseaux qui regroupe les modèles allemand, japonais et latin (Moerland,1995). Le critère distinctif essentiel de ces deux tendances repose sur laséparation fonctionnelle, plus prononcée dans la première catégorie. Ainsi,s’opposent la gouvernance des entreprises ouvertes et la gouvernance desentreprises plus fermées mais néanmoins complexes au sens de Fama etJensen [19 et 20]. En référence au tableau comparatif proposé parCharreaux (1997a, [9], p. 465), comme son nom l’indique, le système de

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gouvernance orienté marché (SGM) se caractérise par un rôle essentiel desmécanismes de marché, notamment les marchés des capitaux et de prise decontrôle. Dans la mesure où le capital de la firme est plus diffus, ce type degouvernance favorise plutôt un encadrement ex post du comportementdécisionnel du dirigeant, à partir des informations fournies par le marché.En facilitant les possibilités de sortie du contrat, via le marché, ce contrôleexterne est censé engendrer des relations plutôt court-termistes desactionnaires avec la firme (Franks et Mayer, 1997, p. 44) et une politiqued’investissement plus flexible et plus favorable au financement del’innovation, la prise de risque étant spécifique à la firme et diversifiablepour les actionnaires. En outre, en privilégiant un contrôle a posteriori de laperformance, le SGM oriente les mécanismes de contrôle ex ante vers descritères de performance actionnariale. Les systèmes de rémunération, sontainsi fondés sur le contrôle des résultats et des cours boursiers vial’attribution d’options d’achat d’action et/ou d’actions qui incitent leurbénéficiaire à privilégier la performance actionnariale (Desbrières, 1997).

En revanche, le système de gouvernance orienté réseaux (SGR) secaractérise par un rôle dominant des mécanismes disciplinaires spécifiques,notamment le conseil d’administration. Basé sur des relations de long termepropres aux organisations fermées, ce système de régulation favorise plutôtun encadrement ex ante, notamment par un contrôle fort des actionnairesprincipaux dont les créanciers, voire les salariés s’ils sont représentés ausein du conseil d’administration ou dans la structure duale du conseil desurveillance-directoire. Les possibilités de sortie étant plus difficiles enraison des participations croisées, le contrôle plus stable favorise lacoopération interne et l’investissement à long terme. Cette conception de lacoordination interne associée à la faible séparation fonctionnelle privilégieun processus décisionnel orienté vers la performance partenariale. Endéfinitive, le système de gouvernance orienté marché semble privilégier uneperformance de court terme et des investissements sous optimaux mais plusflexibles comparativement au système de gouvernance orienté réseaux qui apriori consacre un contrôle plus stable mais plus rigide de la politique decréation de valeur en conséquence plus long-termiste.

Dans la perspective de notre problématique, l’analyse des conséquencesde la privatisation sur le système de gouvernance soulève la questionsuivante. Dans ce cadre bipolaire de gouvernance, vers quel modèle tend lagouvernance de l’entreprise privatisée ?La privatisation dans sa forme la plus forte (OPV), est susceptible d'influersur les mécanismes de gouvernance de l’entreprise. Un premier effet est lié

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à la séparation fonctionnelle décision/contrôle. Abordée précédemment,celle-ci "ré-active" les mécanismes de marché. Combinée à l’introductionen bourse du capital, la séparation fonctionnelle est plus prononcéecomparativement à celle que nous avons décrite dans le contexte public ets’accompagne de la cessibilité des titres. Un deuxième effet combiné est liéau développement du capitalisme populaire et de l’actionnariat salarié. Encréant des droits de propriété cessibles au profit de nombreux porteurs, laprivatisation contribue au développement du marché en augmentant laliquidité des titres. La privatisation réintroduit ou développe le rôleinformationnel du marché des capitaux. Elle permet ainsi l’utilisation d’uncritère de performance boursière. En revanche, le troisième effet de laprivatisation paraît plus favorable aux mécanismes spécifiques à la firme.La constitution d’un groupe d’actionnaires partenaires favorise un contrôlestable, par un réseau d’administrateurs (groupes industriels et bancaires). Ence sens, il limite les affrontements entre équipes dirigeantes pour le contrôledes ressources des entreprises, limitant par conséquent, le rôle disciplinairede ce marché (via les prises de contrôle) d’autant plus que la taille del’entreprise privatisée est grande. De plus, bien que la privatisation constitueun abandon du contrôle par les pouvoirs publics, elle peut s’accompagnerd’un droit de veto au profit de l’Etat. En ce sens, la privatisation transformel’entreprise publique fermée au sens de Fama et Jensen [19 et 20], en uneentreprise plus ouverte (en intensité) en ouvrant la fonction de contrôle aumarché des capitaux mais complétée par des mécanismes spécifiquesfavorisant la stabilité des réseaux.

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Tableau 1. Les caractéristiques générales du système de gouvernance del’entreprise privatisée dans la forme la plus forte de privatisation, l’OPV

Dimensions de la gouvernance

SGMSystème de

gouvernanceorientémarché

SGRSystème de

gouvernanceorientéréseaux

Séparation fonctionnelle : organisation« moins » fermée XCessibilité des titres sur le marché descapitaux XCapital diffus pour une grande partie (exit)

XActionnariat salarié dont le dirigeant :Critère de performance boursière XGAP4 : contrôle stable (voice) XReprésentation des salariés actionnaires XRéseaux d’administrateurs et contrôlepotentiel par l’Etat XRôle moindre du marché des prises decontrôle

X

Proposition 2 : En activant ou en réactivant certains mécanismesdisciplinaires de marché et en modifiant les mécanismes spécifiques del’entreprise publique, la privatisation génère un système de gouvernancemixte.

Plus précisément, quels sont les effets de ces différentes modifications surle rôle d’évaluation du conseil d’administration et sur la hiérarchie formelletels que les ont identifiés Fama et Jensen [19 et 20] ?Dans la théorie de la gouvernance et dans sa branche la plus anciennerelative à la relation d’agence entre actionnaires et dirigeant, le conseild’administration est interprété comme l’organe essentiel de contrôle de laconvergence des intérêts entre les actionnaires et l’agent dirigeant. En effet,la diffusion du capital entre de multiples actionnaires limite l’exercice de lafonction de contrôle par tous les actionnaires. Cette diffusion du capital

4 GAP : groupe d'actionnaires partenaires

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nécessite la mise en place d’un organe de contrôle du dirigeant dont lesmembres représentent l’actionnariat. Le conseil d’administration est ainsiconçu comme un outil de délégation du contrôle des dirigeants par lacommunauté des actionnaires.A priori, son rôle de contrôle est d’autant plus fort que la séparationfonctionnelle est prononcée, autrement dit que la séparation des organes dedécision (la direction) et de contrôle (conseil d’administration) estimportante. En outre, la composition de cet organe, liée à la structureactionnariale (capital diffus, société contrôlée ou familiale) est susceptiblede renforcer ou d’atténuer l’exercice de la fonction disciplinaire à l’égarddes principaux dirigeants. La présence d’administrateurs externes qualifiésau sein des firmes ouvertes peut renforcer l’efficacité du contrôle par cetorgane. En effet, le risque de collusion entre dirigeants au sein du conseild’administration dépend de la position stratégique des administrateurs enmatière d’information (Fama, 1980, [18]).

En revanche, en étendant l’analyse de Fama au contexte de la firmecontrôlée, Charreaux et Pitol-Belin (1985, [14]) supposent que la séparationpropriété-contrôle et propriété-décision étant faible, le conseild’administration est dominé par l’actionnaire ou le groupe d’actionnairesqui prédomine dans la structure actionnariale et présente moinsd’administrateurs externes. Ainsi, à l’inverse d’actionnaires personnesphysiques qui diversifient leur portefeuille (donc moins motivés par uncontrôle effectif sur la politique menée par le dirigeant), l’actionnairedominant (souvent une firme) est a priori plus impliqué dans la stratégie dela firme qu’il contrôle. Les auteurs observent que les conseilsd’administration des entreprises françaises exercent plutôt un contrôle expost et entérinent les initiatives des dirigeants qui élaborent eux-mêmes lesaxes stratégiques, les budgets, l’allocation des ressources et le choix descadres supérieurs. En outre, le conseil d’administration de l’entreprisecontrôlée se rapproche de celui de l’entreprise familiale. Le contrôle exercépar cet organe est faible en raison de la confusion des fonctionsdécisionnelles au niveau du dirigeant dans l’entreprise familiale, et auniveau des actionnaires dominants et du dirigeant dans la firme contrôlée.

Au regard de ces résultats théoriques et empiriques, le rôle et lacomposition du conseil d’administration varient selon la structuredécisionnelle (séparation ou confusion des fonctions de contrôle et dedécision). Cet organe semble jouer un rôle de contrôle relativement faiblelorsque le propriétaire s’investit dans la fonction décisionnelle.

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En référence à notre première analyse sur la séparation fonctionnelle dansl’entreprise publique et privée, le conseil d’administration paraît jouer unrôle faible dans les deux contextes en raison de la séparation fonctionnelledécision-contrôle limitée. Toutefois, une lecture plus précise descaractéristiques de chaque forme de séparation fonctionnelle montre que lerôle du conseil d’administration public paraît plus faible dans la mesure oùles décisions, notamment stratégiques, sont prises et entérinées en amont.Le conseil d’administration public se distingue par divers centresdécisionnels publics, parfois informels et par la représentation tripartite deplusieurs partenaires, notamment en France. Ces administrateurs sont desreprésentants de l’Etat, des représentants nommés par les salariés et despersonnes qualifiées nommées par les pouvoirs publics.Cette spécificité du conseil d’administration public en France peut expliquerla prise de décision en dehors de l’organe. En effet, en cas de conflits, lesinstances politiques peuvent jouer le rôle d’arbitre. Le règlement desconflits se fait alors au sein des cabinets ministériels dans le cadre deréunions informelles. De plus, la nomination du dirigeant par les pouvoirspublics confère aux représentants de l’Etat au sein du conseild’administration, plus un rôle de soutien au dirigeant que disciplinaire.Cette fonction essentielle du conseil d’administration est fortement réduite,d’autant plus que le mandat du dirigeant est davantage corrélé auxéchéances électorales qu’aux décisions de révocation par ses employeurs.Enfin, les droits publics de décision résiduelle et d’appropriation aux gainset pertes résiduels (très dilués), sont susceptibles de limiter l’incitation àexercer un contrôle strict via le conseil d’administration. A l’inverse dans lecontexte privé, la participation des actionnaires dominants est essentiellepour leur stratégie dans la mesure où les droits résiduels sont concentrés àleur niveau. En ce sens, le conseil d’administration public paraît encore plusjouer le rôle d’une chambre d’enregistrement que le conseild’administration d’une firme privée contrôlée. Ce constat que produit lathéorie permet d’expliquer l’existence de contrôles parallèles multiples viales commissions et les différentes tutelles, a fortiori lorsque cet organen’existe pas (cas des unités administratives). Ces différentes instances decontrôle peuvent être interprétées comme des mécanismes substitutifs ou dumoins fortement complémentaires au conseil d’administration public,soulignant de ce fait son rôle de contrôle très limité.

Lors de la privatisation, la séparation fonctionnelle plus marquéecomparativement à la firme publique et la décentralisation du processusdécisionnel au profit du dirigeant sont susceptibles de modifier le rôle de cetorgane. L’ouverture du capital à des actionnaires privés et le rôle

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complémentaire informationnel du marché des capitaux confèrent àl’entreprise privatisée une structure plus ouverte. Toutefois, la constitutiond’un GAP limite la séparation décision-contrôle (et en amont propriété-décision) comparativement à une firme managériale. Mais ladécentralisation de la fonction décisionnelle au profit de l’équipemanagériale accentue la séparation fonctionnelle décision-contrôle,comparativement à la structure fermée publique.

Proposition 2a : En renforçant la séparation fonctionnelle décision-contrôle au profit de l’équipe dirigeante, la privatisation modifie la naturedu rôle de contrôle du conseil d’administration. Sa fonction de contrôle,limitée dans l’entreprise publique, repose après la privatisation surl’exercice effectif de la fonction d’approbation réelle des décisions.

Concernant le contrôle hiérarchique sur lequel s’appuie le dirigeant pourla mise en œuvre des décisions au sein de la firme, la privatisation estégalement censée en modifier les caractéristiques. La TPA considère lecontrôle hiérarchique comme le mécanisme spécifique essentiel decoordination interne de la fonction de gestion des décisions entre ledirigeant et ses niveaux hiérarchiques inférieurs. Son architecture dépend decelle du processus décisionnel. Par ailleurs, elle est soutenue par les règlesdu jeu organisationnelles que représente le système budgétaire et comptable.D’après le développement de la section précédente, le processus décisionnelpublic est fortement centralisé, limitant la délégation de la fonction decontrôle au profit du dirigeant et de ses niveaux intermédiaires et inférieurs.Si l’on retient la forme publique la plus accentuée, le système comptable etbudgétaire public repose essentiellement sur le contrôle du respect desbudgets définis en amont, sans incitation ni sanction particulière. Dans cecas extrême, la contrainte budgétaire peut être faible compte tenu de lagarantie que représente l’Etat, via les concours publics d’équilibre. Enconséquence, dans sa forme la plus forte le contrôle hiérarchique publicparaît très centralisé et formalisé.

Comme le stipule la proposition 1, lors de la privatisation, ladécentralisation du processus décisionnel au profit du dirigeant et de sesniveaux intermédiaires et inférieurs se traduit par une délégation desfonctions de gestion et de décisions opérationnelles aux niveauxhiérarchiques détenteurs d’information spécifique. Donc, selon le principed’efficacité, la privatisation nécessite une adaptation des mécanismes decoordination et de contrôle au sein de l’organisation en cohérence avecl’architecture organisationnelle. La décentralisation de la séparationfonctionnelle au sein de l’organisation se traduit par une allocation de la

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fonction de contrôle des décisions à différents niveaux hiérarchiques. Ainsi,la diffusion du droit de décision résiduelle et du droit au gain et perterésiduels favorisent l’incitation à la performance. En référence aux apportsde la TPA, la décentralisation des fonctions décisionnelles et des droitscorrespondants implique la mise en place de mécanismes d’incitation etd’évaluation de la performance à chaque niveau de délégation. De plus,dans sa forme la plus forte, la privatisation peut conduire à un changementjuridique lors de l’introduction d’actionnaires privés dans la structurepublique. L’activation du marché financier, via l’introduction en bourse etle changement juridique éventuel, impliquent le passage de règlescomptables publiques à un système comptable privé. Couplée à cetteadaptation à l’ouverture au marché financier, la délégation décisionnellepermet la mise en place de critères de performance comptable comme lesplans d’intéressement par exemple, et des critères de performance boursière,notamment par la participation des salariés au capital. Ces différentsmécanismes incitent à la performance collective et individuelle. Ilsmodifient notamment le système de rémunération en introduisant une partievariable dépendante de la performance réalisée, au niveau collectif et/ouindividuel.

Proposition 2b : Avec la privatisation, la décentralisation des décisionsopérationnelles aux niveaux intermédiaires et inférieurs modifie la naturedu contrôle hiérarchique qui est orienté sur les performances comptablesvoire sur la performance boursière. Il est par conséquent plus incitatif.

L’évolution de l’architecture de l’organisation induite par la privatisation,et plus particulièrement celle du système de gouvernance révèlent unemodification des contraintes qui pèsent sur le comportement décisionnel dudirigeant. La privatisation est donc susceptible de modifier soncomportement en matière de création de valeur. Comparée à cellespécifique au contexte public, la marge discrétionnaire du dirigeant estsusceptible d'augmenter avec la décentralisation du processus décisionnel.L'adaptation de l'architecture de la firme privatisée devrait doncs'accompagner d'une modification de l'influence que peuvent exercer lesdifférents partenaires sur le processus décisionnel.

2.2.3 Adaptation organisationnelle et performance partenarialeLe troisième niveau d'analyse soulève la question suivante. Comment la

privatisation, en modifiant la capacité de chaque partenaire à s’approprierune partie de la rente via le système de gouvernance, influe-t-elle sur leprocessus de création et de répartition de la valeur partenariale ? Nous

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proposons une analyse de cette relation du point de vue des actionnaires,des salariés (également actionnaires), des clients et des fournisseurs quenous considérons comme les partenaires privilégiés de l’organisation dansla mesure où ils représentent les principaux acteurs en relation contractuellelibre avec la firme.• Privatisation et Valeur appropriable par les actionnaires

L’analyse précédente souligne la combinaison des mécanismes degouvernance davantage orientés marché. Dans le cadre de la relationd’agence entre dirigeant et pouvoirs publics, la centralisation décisionnellesemble limiter la marge de manœuvre du dirigeant mais l’efficacité réduitedes contrôles semble octroyer au dirigeant une possibilité d’orienter unepartie des choix de création de valeur susceptible d’être appropriée par lespouvoirs publics. Ainsi, la gouvernance publique laisse au dirigeant lapossibilité d’influencer les choix stratégiques de diversification et/oud’internationalisation. Dans la limite de son espace discrétionnaire, ledirigeant public est d’autant plus stimulé que les risques de faillite bien quepotentiels exercent une faible menace. L’Etat offre de manière implicite unegarantie et, dans certains cas, assure aussi un soutien politique privilégié àce type de stratégie, comme il peut l’exercer auprès des entreprises privées.En ce sens, le rôle disciplinaire de la dette paraît plus réduit dans le contextede gouvernance publique, tout comme celui du marché financier. De plus, lacorrélation forte du mandat du dirigeant public et des échéances électoralescontribue au développement d’une stratégie de surinvestissements qui, danscertains cas, peut être favorable à l’ensemble des partenaires(investissements lourds d’infrastructure favorables au développement et à laqualité du service public par exemple) ou défavorables lorsque le coût esttrop élevé par rapport au bénéfice produit, et donc supporté par l’ensembledes propriétaires réels, détenteurs du droit aux créances et pertes résiduelles.

Lors de la privatisation, le système de gouvernance mixte introduit (ouréintroduit) le rôle informationnel du marché financier et le contrôle plusstrict des actionnaires dominants dans une perspective de long terme.L’abandon par les pouvoirs publics du contrôle décisionnel est susceptiblede s’accompagner notamment de la suppression des formules decompensation de contraintes de service public ou de concours d’équilibre5.La privatisation est donc censée accroître la menace associée au risque dedéfaillance et de faillite, comparativement au statut de l’entreprise publique.En activant la discipline de la dette et du marché financier, elle est donc

5 qui traduisent l’assomption de l’incertitude et des résultats nets par le

propriétaire public.

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susceptible d’une part, de réduire l’incitation managériale à développer desprojets risqués comparativement au contexte public, d’autre part, defavoriser une politique d’investissement plutôt court-termiste en raison del’introduction de contrôle financier exercé par le marché boursier. Touteschoses égales par ailleurs, la privatisation pourrait donc s’avérerdéfavorable à une politique d’investissement optimale, notamment par larenonciation à des investissements bénéfiques à long terme.

Toutefois, la présence d’actionnaires partenaires, notamment financiers ausein du conseil d’administration est susceptible d’orienter l’évaluation ducomportement managérial sur la base de critères de contrôle stratégiquesplus favorables à une politique d’investissement de long terme et de niveaude risque conforme aux intérêts actionnariaux. Cette incitation à privilégierun horizon plutôt long-termiste paraît d’autant plus forte lorsque laprivatisation s’accompagne d’une association du dirigeant et des salariés aucapital de l’entreprise via une indexation de leur rémunération sur lesperformances boursières.

La combinaison du rôle disciplinaire de la dette, du marché financier et durôle des actionnaires dominants privés et du système de rémunération plusincitatif est donc susceptible de réduire certaines sources de coûts quiaccompagnent la politique d’investissement au sein de l’organisationpublique (autonomie réduite, objectifs multiples, coût de neutralisationpartielle de la centralisation décisionnelle par une politique desurinvestissement). Cette combinaison s’accompagne en outre d’unedéfinition plus claire des objectifs des principaux propriétairescomparativement aux propriétaires publics qui les cumulent. Par ailleurs, lerôle informationnel du marché financier complète la valorisation du capitalhumain managérial qui tout du moins en France passe en particulier par lesréseaux des grandes écoles. Dans la période qui suit la privatisation,notamment par OPV, le dirigeant est incité à effectuer des choix financierssanctionnés favorablement par le marché et à entreprendre une activité dedédouanement à l’égard de l’ensemble de la communauté actionnariale.

En référence à l’analyse de la TPA sur le système de coordination et decontrôle, la délégation du processus décisionnel au profit de l’équipemanagériale induite par la privatisation est soutenue par un système decontrôle de la performance qui permet aux différents types d’actionnairesd’exercer un ensemble de contrôles complémentaires plus efficaces de lapolitique menée par le dirigeant. Dans cette perspective, lors d’une

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privatisation partielle, l’Etat actionnaire délègue en définitive une partie ducontrôle aux actionnaires privés. Ce contrôle concerne les objectifsd’investissements propres au développement de la firme. Le contrôle par lespouvoirs publics se limite alors aux objectifs de service public ou pluspolitiques, traduisant ainsi une réelle délégation de la politique générale del’entreprise au dirigeant. En ce sens, l’architecture organisationnelleconsécutive à la privatisation paraît plus favorable à la création de valeuractionnariale par le dirigeant.

Proposition 3 : Le système de gouvernance mixte associé à laprivatisation incite davantage le dirigeant à accroître la valeurappropriable par les actionnaires, comparativement aux incitationsassociées au système de gouvernance publique.

• Privatisation et valeur appropriable par les salariésLe principal mode de contrôle des intérêts des salariés modifié par la

privatisation recouvre le contrôle hiérarchique au sein duquel est définie unepartie de leur système de rémunération, notamment la partie variable,dépendante des mesures comptables et boursières de la performance.

L’analyse du lien entre privatisation et processus décisionnel a mis enévidence la décentralisation de la fonction de décision aux niveauxhiérarchiques où est localisée la connaissance spécifique. Les mécanismesinternes de contrôle du comportement des salariés consécutifs à laprivatisation sont fondés sur l’incitation à la performance. Le contrôlehiérarchique consécutif à la privatisation, en tant que mécanismed’évaluation de la performance notamment sur des critères comptables,permet de valoriser l’investissement en capital humain. Dans l’entreprisepublique, en raison de la forte centralisation décisionnelle, ce mêmemécanisme d’évaluation limite les incitations à la valorisation de ce capital.Comparativement à leur position dans la firme publique, les détenteurs decompétences spécifiques sont ainsi plus incités à les valoriser, par la prisede décision dans le sens des critères de performance. De plus, comme lesouligne Desbrières (1997), à l’appui de différents travaux, la surveillancemutuelle complémentaire au contrôle hiérarchique fondée sur des mesurescomptables de performance, réduit les actions individuelles de passagerclandestin et favorise la collaboration horizontale et verticale. En ce sens,comme le stipule notre proposition 2b, la décentralisation du processusdécisionnel au sein de la hiérarchie est fondée sur un système d’évaluationde la performance sur critères comptables qui paraît a priori plus incitatifque dans la forme forte de l’entreprise publique. Ce système d’évaluation etde récompense est donc susceptible d’augmenter la responsabilité des

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centres décisionnaires et leur participation au processus de décision ainsique le niveau d’incitation des salariés à la performance, notamment à laproductivité.

En outre, l’actionnariat salarié représente un mode incitatif nouveau pourla plupart des salariés des entreprises privatisées. Ce mécanisme interne demise en convergence des intérêts des salariés dont le dirigeant, avec celuides actionnaires, constitue une autre forme de participation financièresusceptible de résoudre les conflits entre propriétaires et salariés. Desbrières(1997, p. 366) considère que la participation est particulièrement incitativedans la mesure où elle fixe “contractuellement la contrepartie, d’une part,des effort déployés par les dirigeants et les employés pour maximiser larichesse des actionnaires, d’autre part, de l’investissement non diversifiablede leur capital humain dans l’entreprise”. La spécificité du capital humaincontribue à la partie non diversifiable de l’investissement du salarié maiselle est associée à une prise de décision effective lors de la décentralisation.En ce sens, comme le relève Desbrières (Op. Cit, p. 374) dans sa synthèsedes travaux sur les formules d’actionnariat, ce mécanisme incitatif à lacréation de valeur actionnariale est d’autant plus incitatif que la séparationfonctionnelle dirigeant-actionnaires est forte. En ce sens, ce mécanisme estincitatif pour les salariés susceptibles d’intervenir sur les décisionsvalorisées par le marché. Il est susceptible de conduire les décideurs àprivilégier des opportunités d’investissements risqués, à forte croissance,par endettement6. Si les risques de conflits avec les prêteurs augmententavec de telles formules (transfert de richesse lié à la prise de risquesupplémentaire), le système de gouvernance mixte lié à la privatisationparaît les limiter, notamment en raison d’un contrôle de l’actionnariatdominant au sein duquel peut figurer une banque partenaire.

Les mécanismes internes de rémunération basés sur la performancecomptable (système de bonus), ou boursière (allocation d’actions audirigeant voire aux salariés) supposés incitatifs, sont quasi-inexistants ausein de l’entreprise publique, les mécanismes de marchés étant nécessaires àleur fonctionnement. Après la privatisation, la valeur appropriable par lesalarié, en tant que partenaire de la firme dépend de sa rémunération baséeen partie sur des critères comptables et boursiers et sur le niveau despécificité de ses compétences. D’où la proposition suivante :

6 Depuis sa cession partielle par les pouvoirs publics en 1996 et 1997) France

Télécom illustre ce phénomène, d’autant plus que l’entreprise intervient sur unsecteur à forte innovation. La majorité du capital étant encore détenue par lespouvoirs publics est également susceptible de renforcer un tel comportement.

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Proposition 4 : La privatisation via le système de gouvernance mixte(rémunération indexée sur la performance comptable et/ou boursière)permet aux salariés actionnaires d’accroître le niveau de la valeur qu’ilspeuvent s’approprier, a fortiori pour les salariés-actionnaires au capitalhumain fortement spécifique à la firme.

• Valeur appropriable par les clients et fournisseursConcernant les clients et les fournisseurs, l'analyse consiste à examiner les

conséquences de la privatisation sur leur comportement vis-à-vis duprocessus décisionnel et du niveau de la valeur appropriable par ces deuxcatégories de stakeholders. Leur droit sur la création de la valeur est-ilinfluencé par le changement organisationnel ?

Dans le cas d’une privatisation de monopole public, l’ouverture à laconcurrence accompagne généralement ce type de privatisation (cas destélécommunications). La dérégulation du marché des biens ou des servicesinstaure une concurrence nouvelle pour le monopole initial. Celle-ci leuroffre un droit d’accès aux ressources beaucoup plus large que dans lasituation de monopole public, ce qui leur donne un pouvoir de négociationplus important. L’impératif d’efficacité productive s’impose au dirigeant dumonopole et représente de ce fait un mode externe d’incitation et decontrôle de sa gestion. Les clients peuvent en effet sanctionner la firme endécidant de rompre leur contrat avec elle, les coûts de sortie étant faibles enraison du nombre d’acteurs entrants sur un marché dérégulé.

Ce déséquilibre de rapports de force associé à la privatisation d’unmonopole public explique le passage du grade d’usager à celui de client. Eneffet, la pression concurrentielle exige un minimum d’efficacité productiveet constitue en cela un mode externe de contrôle de la performance dudirigeant (à la disposition des clients), les moins performants étant éliminés(Milgrom et Roberts, 1992). L’apparition de la compétition confère auxclients un droit de contrôle sur la création de valeur par la firme qui doits’adapter à cette nouvelle donne.

En revanche, dans l’entreprise publique appartenant à un secteurconcurrentiel, le marché des biens et services exerce une pression sur ledirigeant. La survie de la firme contraint le dirigeant à accroître sa part demarché et à développer des relations de long terme avec ses clients.Toutefois, le dirigeant est moins incité à arbitrer de façon optimale entre lesrisques et la rentabilité des investissements puisqu’il est garanti par l’Etat(le cas du Crédit Lyonnais illustre cette spécificité de l’entreprise publique,voir Charreaux, 1997b, [10]). La privatisation ne semble donc pas modifier

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l’intensité du contrôle par le marché des biens et services. Ainsi, avant etaprès la privatisation le dirigeant paraît soumis au même niveau de contrôleexercé par les clients.

En outre, lors de la privatisation, parmi les clients de la firme, certainspeuvent devenir actionnaires. En conséquence, leur droit de contrôle via lemarché est complété par leur droit de contrôle sur la création de valeur entant qu’actionnaire. Ce statut lié à la privatisation leur permet de bénéficierd’informations internes. Ils peuvent exercer leur droit de vote et agir ainsisur le processus décisionnel en matière de création de valeur, d’autant pluss’ils appartiennent au groupe d’actionnaires partenaires. En effet, cetteposition peut leur octroyer un siège au conseil d’administration, lequeldevient pour les clients concernés un mode de contrôle effectif sur lesdécisions prises. Enfin, la décentralisation des droits décisionnels au niveaulocal suppose une prise de décision optimale dans la mesure où lesdécideurs détiennent les informations pertinentes (principe de co-localisation), à l’appui du système d’évaluation de la performance. D’oùl’hypothèse suivante :

Proposition 5 : La décentralisation du processus décisionnel induite par laprivatisation combinée aux mécanismes d’évaluation sous-jacents accroîtle niveau de valeur appropriable par les clients, a fortiori si ces dernierssont membres du GAP et/ou si la privatisation s’accompagne de ladérégulation sectorielle.

Concernant les fournisseurs et l’incidence de la privatisation sur leur droità la création de valeur, il convient de faire la même distinction entreentreprise publique monopolistique et entreprise concurrentielle. Le marchédes biens et services ne joue pas le même rôle dans les deux cas deprivatisation. Dans le premier cas, la dérégulation associée au changementorganisationnel contraint le dirigeant au même impératif de productivité, cequi implique une minimisation des coûts et notamment par la recherche defournisseurs les plus offrants. L’incitation pour le dirigeant est moins forteau sein de la firme publique7 ce qui le conduit lors de la privatisation àrompre éventuellement les contrats avec les fournisseurs si les conditionsinitiales de la transaction sont moins avantageuses au profit d’unetransaction plus efficace avec d’autres acteurs. Le droit des fournisseurs à lacréation de valeur peut donc être spolié lors de la privatisation d’unmonopole public.

7 D’autant plus si les choix sont soumis à la pression de l’actionnaire public,

comme cela s’est produit pour Air France par exemple.

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Dans le cas de la privatisation d’une entreprise publique concurrentielle, laminimisation des coûts est contrainte par l’impératif d’efficacité productive.Toutefois, les incitations du dirigeant de la firme publique sont moins fortesque dans la firme privée. Les risques de spoliation des fournisseurs existentdans une moindre mesure lors d’une privatisation de ce type.

Enfin, si le fournisseur prend une part au capital de la firme privatisée, lesrisques de spoliation peuvent être minimisés par l’acquisition du droit decontrôle associé au statut d’actionnaire. Ce mode d’exercice du contrôle dela transaction par le fournisseur est plus prégnant s’il appartient au grouped’actionnaires partenaires. Les informations internes fournies au niveau duconseil d’administration renforcent l’exercice de son droit à la création devaleur et donc permettent au fournisseur actionnaire de contrôler le niveaude valeur qu’il peut s’approprier.

Proposition 6 : La décentralisation du processus décisionnel induite par laprivatisation combinée aux mécanismes d’évaluation sous-jacentsengendre une réduction du niveau de valeur appropriable par lesfournisseurs, a fortiori lors de la privatisation d’un monopole public.Toutefois, le niveau de valeur appropriable par le fournisseur peutaugmenter si ce dernier est membre du groupe d’actionnaires partenaires.

En définitive, notre application du cadre d'analyse proposé par la TGPdémontre que la privatisation est supposée améliorer la création de valeurpartenariale en réduisant les coûts d'agence par une adaptation conjointe desfonctions décisionnelles et du système de gouvernance. Les processusorganisationnels sous-jacents à la privatisation semblent conduire à unrenforcement des mécanismes incitatifs à la création de valeur pour laquellele niveau d'appropriabilité par chaque partenaire évolue.

3 Enjeux théoriques et méthodologiques de la TGP

Notre relecture de la privatisation à partir de la TGP permet en retour destatuer sur sa portée explicative et sur l’engagement méthodologique sous-jacent à cette approche processuelle du fonctionnement des organisations.

3.1 Pouvoir explicatif de la théorie et voies de recherche en gouvernance

Tout d’abord, notre modèle organisationnel de la privatisation apporteplusieurs éléments de réponses aux interrogations persistantes constatéesdans la littérature.

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Premièrement, en soulignant l’enchaînement de processus organisationnelsinternes induits par la privatisation, ce modèle permet de dépasserl’approche traditionnelle du seul changement de propriété sur actifs. En cesens, la privatisation constitue effectivement un transfert de droits depropriété mais dans son acception la plus large, celle des droitsdécisionnels. Ainsi reconsidérés, le fonctionnement de l’entreprise et soncomportement en matière de performance nécessitent une analyseapprofondie de l’architecture du processus décisionnel et par conséquentdes mécanismes de gouvernance.Deuxièmement, notre modèle suggère que la privatisation constitue uneévolution graduelle des composantes organisationnelles de la performance(et de leur combinaison). Il permet ainsi de répondre à l’observation desvariations de performance non significatives relevées dans les étudesempiriques. Les périodes d’analyse les plus longues des études sont de 14ans (Villalonga, [34] et Alexandre & Charreaux, [1]). Le processus deprivatisation n’est donc pas instantané. On comprend alors aisément qu’ilpuisse être engagé avant l’année de cession par l’actionnaire public.Suffisamment avancé, ce processus de privatisation peut alors expliquerpourquoi certains auteurs observent des accroissements de performanceavant l’offre publique, d’autant plus que d’après notre modèle, une partessentielle des changements organisationnels ne dépend pas del’introduction en bourse (ou du transfert hors marché à des agents privés).Cette dernière ne constitue en définitive qu’une étape, souvent finalelorsque le processus de transformation est déjà bien engagé. Cette approchepermet ainsi de relativiser l’hétérogénéité des résultats empiriques sur larelation entre privatisation et performance. Elle permet également deconsidérer qu’un certain nombre d’entreprises dites “publiques” a lescaractéristiques, plus ou moins prononcées d’une architectureorganisationnelle “privatisée” dès lors que le processus décisionnel enamont est marqué par une implication des pouvoirs publics clairementlimitée à la fonction de contrôle. Ainsi, l’entreprise publique recouvre desformes très hétérogènes, notamment en France (Chatelin, 2001, [7]).

En référence au principe d’efficacité sur lequel est construit la TGP, si laprivatisation est une réponse adaptée à l’environnement dans lequel agitl’entreprise, alors elle doit conduire à plus ou moins long terme, à uneamélioration de la performance. Cette approche endogène de la performancevia les mécanismes de gouvernance suggère donc que certaines transactionspeuvent plus efficacement être gouvernées par une forme organisationnellede type public (Williamson, 1991 [35] et 1999 [36]). Elle suggèreégalement que certaines organisations publiques ont vocation à adapter leur

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architecture au contexte environnemental. Enfin, cette analyse permet aussid’envisager une réflexion approfondie sur les choix institutionnels(libéralisation, réglementation, régionalisation) qui sont susceptiblesd’orienter les entreprises vers un type organisationnel ou vers un autre.

Ensuite, l’accent mis par la TGP sur l’analyse des systèmes degouvernance du processus décisionnel conduit à un élargissement duconcept de performance. L’analyse de la valeur actionnariale, indispensableen sciences de gestion pour comprendre le fonctionnement des entreprisesen matière de performance, doit donc être complétée par la prise en comptedes autres partenaires. Même si l’approche de la gouvernance partenarialese heurte aujourd’hui à un problème de mesure de la performancepartenariale, elle révèle l’importance de la prise en compte de créanciersrésiduels autres que les actionnaires. En considérant que la performance dela firme dépend de la satisfaction perçue par chaque partenaire de lacoopération, la TGP met l’accent sur l’analyse du niveau de valeurappropriable par chacun d’eux. Dans un changement aussi profond quecelui de la privatisation on mesure donc toute l’importance d’une analyse dela valeur partenariale pour comprendre les effets de la privatisation sur laperformance. Selon les partenaires considérés, le niveau de satisfaction peutvarier différemment, tant d’un point de vue qualitatif (par rapport àl’influence qu’ils peuvent exercer sur le processus de création et derépartition de valeur au niveau des fonctions décisionnelles, del’accumulation de compétences par exemple) que d’un point de vuequantitatif (rémunération). Nous avons tenté dans cette recherche uneapproximation indirecte de la valeur partenariale essentiellement qualitative,via l’analyse des mécanismes de gouvernance par lesquels chacun peutexercer une influence sur le processus décisionnel. Cette influence estsupposée agir sur le niveau de satisfaction retirée de la coopération pourchacun d’eux.

Plus généralement la TGP gagne donc à être développée (mesure de laperformance partenariale, analyse des processus organisationnels,interactions entre les mécanismes de gouvernance et le comportementindividuel) car elle permet d’appréhender qualitativement le comportementde l’entreprise, son évolution ainsi que les mécanismes par lesquels lavaleur est créée, détruite et partagée. La TGP permet ainsi une analyseapprofondie du processus de création et de répartition de la valeur entrepartenaires. Toutefois, cette portée explicative à laquelle elle peut prétendreest conditionnée par un engagement méthodologique orienté principalementvers la stratégie d’investigation qualitative. Notre analyse de la privatisationen constitue une illustration représentative.

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3.2 Engagement méthodologique : les réponses qualitatives

La majorité des études sur la privatisation opte pour l’échantillonnagestatistique représentatif de la population des entreprises privatisées.Toutefois, l’évolution méthodologique a consisté en une orientation del’analyse vers des études plus ponctuelles même si les mesures employéesrestent encore largement quantitatives.Dans la première approche, l’objectif est le repérage de régularités à partirde données standardisées essentiellement quantitatives. Ainsi, à partir d’unecompilation de données comptables et financières les études transversalesont permis de repérer les effets positifs (plus ou moins significatifs) de laprivatisation sur plusieurs dimensions de la performance en statique ou endynamique.Dans la seconde approche, l’objectif de la modélisation est d’étudier enprofondeur un phénomène, un processus à partir d’un échantillonnagequalitatif portant sur un ou plusieurs cas ponctuels. Si Popper (1972, p. 520,[32]) souligne « l’exigence de devoir remplacer autant que possible lesénoncés qualitatifs par des énoncés quantitatifs » afin d’accroître latestabilité d’une théorie, l’auteur remarque aussi que ces procédés demesure ont été assez tardifs dans certaines sciences et non utilisés partoutes.

Ainsi, certaines problématiques, qui reposent sur des conjecturesessentiellement qualitatives, fondées sur des observations difficilementquantifiables, contraignent fortement le choix de leur instrumentalisation auprofit d’une démarche qualitative (Yin, 1994, [37]). Dans cette perspective,l’étude d’un ou plusieurs cas représente une instrumentalisation adaptée auxquestionnements qualitatifs soulevés par la TGP. Comme le relèveEisenhardt (1989, [17]), l’étude de cas est une stratégie de recherche qui apour objet la compréhension des processus liés à un phénomène. l’étuded’un ou plusieurs cas peut être préférable parce qu’elle permet de produiredes informations plus pertinentes pour la mesure de certains concepts, quene le permet un échantillonnage statistique. L’objectif d’une telle démarchepeut être la description, le test d’une théorie ou sa construction à partird’une question de recherche centrée sur les processus sous jacents auphénomène étudié.Dans le cadre de la recherche sur la relation entre privatisation etperformance, notre observation relative à l’ambiguïté des résultatsempiriques, à l’évolution méthodologique des traitements et finalement aurenouvellement nécessaire de la problématique sur la privatisation va dansce sens. En effet, une synthèse sur plus de vingt ans, des études

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transversales représentatives d’une population d’entreprises privatisées faitapparaître une approche statistique de la relation privatisation/performancede plus en plus élaborée. Comme les études récentes de Villalonga [34] ouAlexandre & Charreaux [1] l’illustrent, cet enrichissement méthodologiquevise à prendre en compte des variables complémentaires (comme lecontexte de récession ou de croissance à l’appui de variables muettes) àcelle directement impliquée dans la relation (notamment la performance).Comme le précisent leurs auteurs, ces études ont pour objectifd’approfondir l’analyse des processus susceptibles d’intervenirimplicitement dans la relation initiale. Les études de cas s’imposent alorscomme l’approche instrumentale la plus pertinente pour expliciter les liensintermédiaires entre privatisation et performance et plus globalement, ladynamique des organisations.

Dans cette perspective, le problème essentiel à résoudre est celui de lavalidité empirique d’une telle démarche. En effet, comme le soulignentMiles et Huberman (1991), l’étude de cas s’expose à “l’absence relative decanons, de règles de décisions et de procédures admises et même de touteheuristique commune pour l’analyse de données qualitatives”. La validitéempirique et la plausibilité théorique du modèle testé nécessite doncd’expliciter la démarche d’analyse qualitative. Notamment, l’exploitation etla construction d’outils d’investigation empirique doit permettred’organiser les données codifiées (selon les variables examinées) pourfaciliter l’identification des inférences théoriques à partir des modalitésempiriques. Dans le cadre de notre modèle organisationnel de laprivatisation, l’analyse d’un ou plusieurs cas de privatisation repose sur laconstruction d’une base de données qui puisse fournir une chaîne depreuves permettant au lecteur de manière indépendante d’effectuer lesinférences. La structure de cette base de données qualitatives doit permettreaussi de reproduire la démarche dans plusieurs cas pour pouvoir finalementstatuer sur la portée du modèle et la plausibilité de la théorie de lagouvernance.

Dans le cadre d’autres travaux, nous avons ainsi construit un tableau descodes centraux et des données réduites pour tester notre modèle8. Parextension, comme la structure de ce tableau le montre, cet outilméthodologique peut être adapté à la mise à l'épreuve des autres

8 Les deux cas étudiés ont permis de constituer une base de données

téléchargeable sur notre site.

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problématiques de la dynamique organisationnelle traitées par la théorie dela gouvernance.

Tableau 2. Structure du tableau des codes centraux pour l’analyse de donnéesqualitatives

Nb : Un lexique des codes centraux définit ceux-ci. PD : processusdécisionnel (centralisé ou décentralisé) ; SGO : système de gouvernanceorganisationnelle ; Lat-M : latitude discrétionnaire du dirigeant ; VAP :valeur appropriable par les partenaires, respectivement par les Actionnaires(VAA), les Banques (VAB), les Clients (VAC), le Dirigeant (VAD), lesFournisseurs (VAF) et les Salariés (VAS).

En définitive, la TGP permet de comprendre en profondeur les propriétésadaptatives des organisations, la nécessité pour certaines d’évoluer lorsqueles règles du jeu changent, les processus de changements et leurs effets surla performance organisationnelle à l’égard des différents partenaires. Cettethéorie émergente offre donc d’importantes voies de recherche tantthéoriques que méthodologiques, pour renforcer notre compréhension desorganisations, de leur blocage et de leur performance.

Contexte public del’architecture

organisationnelle

Réf. Contexte privatisé del’architecture

organisationnelle

Réf.

Codescentraux Extraits de passages émargés

par les codes correspondants et par les relations observéesPDSGOLat-MVAP-VAA-VAB-VAD-VAS-VAC-VAF

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