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LA PROFESSIONNALISATION DES SCIENCES ÉCONOMIQUES (1 E PARTIE) L’Economie Néoclassique et ses Adversaires Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

LA PROFESSIONNALISATION DES SCIENCES ÉCONOMIQUES …...Les ingénieurs français (1) Une autre tradition , à l’origine de ce qu’on appelle la microéconomie, est celle des ingénieurs

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LA PROFESSIONNALISATION DES SCIENCES

ÉCONOMIQUES (1E PARTIE)L’Economie Néoclassique et ses Adversaires

Yann GIRAUD, Histoire de la Pensée Economique, Université de Cergy-Pontoise 1

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L’« économie néoclassique », un mot-valise■ Terme inventé en 1900 par l’économiste Thorstein Veblen pour désigner la théorie

marginaliste de Carl Menger (1840-1921) et Alfred Marshall (1842-1924).■ C’est un terme encore utilisé aujourd’hui pour désigner l’économie « mainstream ».

– Au yeux des non-économistes, tous les économistes (ou presque) sont des néoclassiques. ■ Certains affirment cependant que l’économie néoclassique n’existe plus depuis le

tournant des années 80. – Au sens strict, c’est l’un des courants qui a régné sur la science économique de

1870 à la Seconde Guerre mondiale. – Mais il fut critiqué et en partie invalidé par l’analyse keynésienne dans les années

30. ■ L’économie mainstream actuelle serait donc un mélange des idées et présupposés

néoclassiques et de ceux des économistes keynésiens (synthèse néokeynésienne).

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Quelques caractéristiques générales du néoclassicisme■ On commencera par traiter ce mouvement de sa naissance dans la seconde moitié du

19e siècle jusqu’à son apogée dans les années 1920.■ On assiste à une professionnalisation de l’économie.

– Les économistes ne sont plus des écrivains. – Ce sont des enseignants de l’université et des chercheurs. – Référence importante à la physique et à la mécanique comme modèles

scientifiques.■ Adoption d’une méthode formelle de déduction des théories économiques.

– Pas nécessairement la mathématisation (dont la généralisation viendra au 20e s.)– Mais on va utiliser des diagrammes, du raisonnement logique accompagné de

méthodes d’investigations empiriques. ■ Pratique du raisonnement à la marge et place centrale de la notion d’utilité. ■ Au-delà de ces aspects communs, il y a des divergences entre les économistes que l’on

situe dans cette tradition.

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LES PRÉCURSEURS DE L’APPROCHE

NÉOCLASSIQUECournot et les Ingénieurs Français

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Tradition française de l’économie mathématique■ Condorcet avait déjà ouvert la voie avec sa théorie mathématique

du vote. – Le Paradoxe de Condorcet montrant que s’il y a plus de deux

candidats, un vote majoritaire à deux tours peut aboutir à l’élection d’un candidat qui perdrait dans toute élection à deux candidats.

■ Augustin Cournot (1801-1877)– Professeur de Mathématiques puis recteur d’académie– Recherches sur les principes mathématiques de la théorie

des richesses (1838)– Souvent considéré comme l’inventeur de « l’économie

mathématique » mais globalement ignoré en son temps.

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La théorie économique d’Augustin Cournot■ D’une part, il introduit les courbes d’offre et de demande

comme source de détermination du prix.– Il ne s’intéresse pas à la construction précise

(mathématique) des courbes. – Mais à la façon dont celles-ci permettent de montrer les

effets d’un événement tel que la création d’une taxe. ■ D’autre part, il propose une analyse des structures du marché.

– Il montre comment, partant d’une situation de monopole, l’arrivée d’un plus grand nombre de firmes fera baisser le prix.

– Utilise l’hypothèse de maximisation du profit pour cela, ainsi que l’idée d’une contrainte sur les ventes dues à la demande.

– Les économistes contemporains donnent son nom à l’une des versions de la théorie du duopole.

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Prix

Quantités

P

Q

M

N

S

T

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Les ingénieurs français (1)■ Une autre tradition, à l’origine de ce qu’on appelle la

microéconomie, est celle des ingénieurs français (en particulier des Ponts et Chaussées).

■ Leurs calculs cherchent à traiter la question du financement des biens publics (ponts, routes, etc.)

– Idée admise: un projet doit être rentable pour être entrepris.

– Claude-Louis Navier (1785-1836) conteste ce point de vue. Un projet tel qu’un canal ou un pont va créer du bien-être public: les contribuables vont économiser des coûts de transport, provoquant une expansion du commerce et des rentrées fiscales. Il faut donc ne pas imposer de péage.

– Joseph Minard (1781-1870) critique Navier. Certaines personnes n’auraient pas utilisé l’ouvrage public s’il n’avait pas été construit. Il faut donc faire payer un péage.

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Les ingénieurs français (2)■ Jules Dupuit (1804-66) montre, comme Minard, que Navier

sous-estime les bienfaits du bien public. – Il faut tenir compte de la baisse du prix des biens, pas de

celui des coûts de transport. – Si on crée un pont ou un canal, les marchandises vont

être transportées sur une plus grande distance. ■ Il n’est donc pas sûr que le coût va vraiment baisser.

■ Dupuit affirme que l’utilité d’une unité additionnelle du bien public pourrait être mesurée par le prix que le consommateur est prêt à payer pour cela.

– Le bénéfice du bien public : la portion située en dessous de la fonction de demande moins son coût. ■ On trouve ici la première exposition du concept de surplus

économique.

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L’héritage des ingénieurs français■ On voit poindre chez ces derniers des outils et concepts proches de l’analyse

économique contemporaine.– Courbes de demande, utilité additionnelle d’un bien, surplus économique.

■ Cependant, il faut bien comprendre que ces ingénieurs n’étaient pas tous intéressés par l’idée de construire une théorie économique en tant que telle.

– Leur but : résoudre des questions liées aux travaux publics.– Leurs travaux sont souvent publiés dans des revues d’ingénierie comme Le

Génie Civil ou Annales des Ponts et Chaussées. – Seul Dupuit fréquente réellement les économistes et publie dans le Journal

des Economistes. Mais ses travaux mathématiques sont très éloignés des contributions de la plupart des économistes français de l’époque.

■ Leur contribution est vraiment réévaluée au XXème siècle. La plupart des « néoclassiques » les auront ignorés (Marshall) et parfois méprisés (Walras).

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LA « RÉVOLUTION MARGINALISTE »

Jevons, Walras, Menger, Marshall

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Pourquoi parle-t-on de « révolution marginaliste » ?■ Rétrospectivement, on considère qu’il y a à la fin du 19ème siècle une « révolution marginaliste »

– C’est le passage d’une économie politique basée sur la valeur travail à une science économique basée sur l’utilité marginale.

– L’idée d’une utilité marginale comme étant à l’origine du prix est attribuée à trois chercheurs qui l’auraient « trouvée » indépendamment : Stanley Jevons, Léon Walras et Carl Menger.

– Ces chercheurs ont cependant des expériences et des méthodes très différentes. Ils ne constituent pas une « école de pensée ».

■ Comme nous l’avons vu, ils ont aussi des prédécesseurs. – En Angleterre, Bentham et l’utilitarisme; en France, Turgot a depuis longtemps exposé l’idée

d’une valeur subjective qui provient de l’utilité. – Cournot, les ingénieurs, etc.

■ Il faut donc prendre la notion de « révolution » avec beaucoup de prudence. On peut cependant dire que la science économique va prendre un virage plus technique, plus professionnel.

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Stanley Jevons (1835-82) et « le degré final de l’utilité »

■ Météorologiste et chimiste, auteur de The Principles of Science(1874)

■ Influencé par l’utilitarisme de Bentham. En économie, il a lu les Principles de JS Mill.

■ Cependant, il s’oppose à Mill et à la théorie de la valeur de Ricardo.

– La valeur ne dépend pas du coût de production mais de l’utilité, plus précisément celle de la dernière unité consommée (« degré final de l’utilité »)

– Jevons écrit dans The Theory of Political Economy (1871, p. 187)■ « Le coût de production détermine l’offre, l’offre détermine le

degré final de l’utilité et le degré final de l’utilité détermine la valeur ».

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The Theory of Political Economy (1871)■ Jevons n’est pas qu’un théoricien pur. Il a un intérêt pour les données.

– L’économie est par nature mathématique car elles s’intéresse à des quantités. – Il faut collecter des données (catalogues, livres de comptes, données gouvernementales) et

apprendre à les utiliser ou les compléter. ■ Il part de l’utilité benthamienne.

– Les sentiments et les plaisirs ne peuvent être mesurés directement, mais ils peuvent l’être indirectement : en observant les comportements des agents sur les marchés. ■ Jevons compare cela à la gravité. On ne peut la mesurer mais on peut observer les mouvements

d’un pendule.

■ Il suppose que les individus maximisent leur utilité. – Quatre façons de le faire : allouer des biens à différents usages, échanger ces biens avec

d’autres gens, travailler pour produire des biens, employer du capital. – Il utilise le calcul différentiel pour montrer que lors de l’échange, le ratio de l’utilité marginale

de deux bien doit être égale au ratio de leur prix. – Sur le marché du travail, il montre que le travailleur cherchera à égaliser la souffrance d’une

heure de travail supplémentaire et les plaisirs que lui apporteront les biens qu’il pourra se procurer avec cette heure.

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L’économie appliquée de Jevons

■ Bien que jugée rétrospectivement comme la partie la plus importante de son œuvre, la théorie économique de Jevons n’est pas ce qui lui valut le plus de reconnaissance de son vivant.

■ Son ouvrage le plus célèbre The Coal Question (1865) prédisait la fin de la croissance économique suite à l’épuisement des ressources en charbon.

– Ses conclusions furent invalidées par le changement technologique■ Travaux sur les fluctuations économiques :

– Il utilise des indices de prix pour en retracer l’évolution. Il met en évidence l’existence de cycles économiques.

– Jevons les explique par des tâches solaires■ ne pas oublier qu’il est météorologiste de formation■ Il croit, comme beaucoup à l’époque, à une relation entre ces tâches et la météo, ce qui

expliquerait de mauvaises récoltes et des pénuries.

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Léon Walras (1834-1910) et la théorie de l’équilibre général■ Fils d’Auguste Walras, inspecteur d’académie à Lyon,

économiste autodidacte et ami d’Augustin Cournot.

■ Il rate ses études. – n’entre pas à Polytechnique et suit des cours aux Mines

et n’obtient pas de diplôme.– il garde une aversion pour les ingénieurs (Dupuit, etc.)

■ Politiquement, c’est un socialiste mais il s’oppose aux socialistes français qu’il considère comme des utopistes, dont les idées sont sans fondement scientifique.

■ Il croît comme Jevons que l’économie est une science mathématique. Il la divise en trois branches.

– Economie pure, économie appliquée, économie sociale

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L’économie pure de Léon Walras■ Il considère qu’il faut d’abord étudier l’économie a son niveau le plus pur et le plus

abstrait, comme lorsqu’en mécanique, on étudie des machines sans frottements.

■ Il n’utilise pas le terme d’utilité (il n’est pas benthamien) mais de rareté (terme en vogue dans l’analyse économique française).

– Il s’agit cependant de l’intensité du dernier désir satisfait (c’est donc un concept très proche).

■ Les individus font face à des prix de marché, ils vont décider à quel prix ils veulent vendre ou acheter.

– Il construit des courbes d’offre et de demande, semblables à celles de Cournot. – Le prix d’équilibre est à la rencontre entre les deux.

■ Cela semble très proche de Jevons, mais Walras va essayer de généraliser son analyse à un ensemble de marchés interdépendants.

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L’équilibre général■ Il commence par le cas de deux biens échangés par deux personnes.

– Ceux-ci vont essayer de faire en sorte que cet échange leur permette de consommer les biens qu’ils préfèrent compte tenu du prix.

■ Walras étend ce modèle :– Il introduit d’abord un plus grand nombre de biens.– Puis il passe à une économie de production, lorsque les entrepreneurs déplacent

des ressources d’une activité à l’autre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de possibilité de faire du profit.

– Il ajoute alors des marchés pour les facteurs de production (travail, machines)– Et enfin, il ajoute un marché du crédit censé expliquer le taux d’intérêt.

■ A la fin, Walras se retrouve avec un système d’équations simultanées, décrivant une économie dans son ensemble. L’offre et la demande sur un marché n’affecte pas que le prix du bien sur ce marché mais aussi le prix des autres biens, celui du travail, etc.

■ Il va tenter de montrer que ce système a une solution et que cette solution est stable.

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De l’économie pure à l’économie sociale■ Walras croît avoir démontré qu’une solution existe.

– Il compte le nombre d’équations et d’inconnues (prix et quantité) et trouve qu’il y a égalité entre les deux.

■ Quant à la stabilité, elle repose sur le principe du tâtonnement. – Si l’offre est en excès sur la demande, les prix vont baisser.– Il va y avoir ainsi un processus séquentiel d’essais-erreurs sur tous les marchés.– Ce mécanisme, affirme Walras, est identique à celui d’un économiste qui

résoudrait le système d’équation lui-même. ■ Walras utilise cette théorie « pure » pour prôner quelques réformes économiques.

– Il pense comme Ricardo que le prix des rentes augmente (loi des rendements décroissants)

– Il prône alors l’instauration d’un impôt sur la valeur des terres et sur les rentes. – C’est compatible avec l’idée de justice chez Walras .

■ Il pense qu’un travailleur ne doit pas être taxé car il doit jouir du fruit de son effort. ■ La valeur de la rente, elle, vient de la société, pas de l’effort.

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Carl Menger (1840-1921) et le subjectivisme■ Professeur d’économie à l’université de Vienne

– Principles of Economics (Grundsätze der Volkswirtschaftslehre) en 1871.

■ Il est associé au mouvement marginaliste, dans la mesure où lui aussi rejette la valeur travail de Ricardo et Marx.

– On parle de subjectivisme car pour lui la valeur d’un bien est subjective. ■ Elle vient de notre capacité à contrôler un bien pour satisfaire nos besoins.

– Distinction entre des biens de premier ordre (permettent de satisfaire le besoin) et de second ordre (permettent de produire des biens de premier ordre). ■ Si on manque de blé, par exemple, une certaine quantité de pain ne sera pas

produite et c’est la valeur subjective de ce pain qui déterminera la valeur du blé.

■ Cependant, il y a beaucoup de différences entre sa théorie et celle de Jevons et Walras, tant dans la forme que sur le fond.

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L’approche originale de Menger■ Les divergences avec Walras et Jevons portent sur plusieurs point.■ D’une part, il critique la mathématisation de l’économie.

– Les mathématiques permettent d’établir des relations entre des quantités– Elles ne permettent pas d’appréhender la « nature des choses »– Or, l’économie doit s’intéresser à l’essence des phénomènes et à des relatons de

causalité, pas juste à des valeurs qui sont mutuellement déterminées. ■ D’autre part, l’équilibre n’est pas au centre de sa théorie.

– Chez Walras, il y a un tâtonnement, mais on suppose que tous les échanges se font à l’équilibre.

– Pour Menger, les individus n’ont pas toute l’information sur les prix mais cela ne va pas les empêcher de faire des échanges hors équilibre. ■ Il y aura donc plusieurs prix jusqu’à ce qu’à travers un processus de correction, on

s’approche le plus de la concurrence pure et parfaite (rôle des entrepreneurs dans ce processus)

■ Cette approche est donc dynamique (et non statique).

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L’historicisme■ Si rétrospectivement, on a parlé de « révolution marginaliste », dans le contexte de la fin

des années 1870, on ne perçoit pas une domination des idées de Jevons, Walras et Menger.

– Jevons et Walras sont globalement ignorés par leurs contemporains et Menger est contesté.

– À l’approche déductive de Menger s’oppose en effet l’approche historiciste.

■ L’historicisme est un mouvement porté notamment par Wilhelm Roscher (1817-1894)– C’est une école critique de l’analyse des économistes classiques (Smith et Ricardo)– L’idée n’est pas de remettre en cause l’ensemble de leur analyse mais de contester

qu’elle s’applique au cas allemand. – Un économiste va élaborer une critique plus forte, qu’il adressera spécifiquement à

Menger : Gustav Schmoller (1838-1917).

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Gustav Schmoller et la Methodenstreit■ Professeur à Halle, Strasbourg et Berlin, adepte du

caméralisme (un mélange d’économie, de droit, d’histoire et de gestion publique).

■ Il ne croît pas aux lois de l’histoire, il prône une approche empirique et sociologique, basée sur l’induction.

– La description détaillée des faits doit précéder la théorie économique.

■ Politiquement, il est conservateur (défenseur de la monarchie) mais il prône la réforme sociale et une troisième voie entre libéralisme et communisme (le socialisme de la chaire).

– Il est aussi pour le protectionnisme. ■ Débat houleux avec Menger, tant pour des raisons de

méthodes que de politique économique.

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Alfred Marshall (1842-1924) et la consolidation du marginaliste en Angleterre■ Professeur d’Economie Politique à Cambridge

– Considéré de son temps comme le « leader » de la profession économique britannique

– Influencé par Mill, puis Jevons– Ecrit un ouvrage qui va devenir central dans la formation des

économiste: Principles of Economics (huit éditions de 1890 à 1920)

■ Une de ses spécialités est la théorie du commerce international.– Il utilise les courbes d’offre et de demande pour reprendre les

idées de Ricardo sur les bienfaits du commerce international– Il « invente » la notion de surplus économique pour expliquer

cela (sans connaître les travaux de Dupuit)

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Les spécificités de l’approche marshalienne

■ La notion d’équilibre partiel– Contrairement à Walras, il s’intéresse aux variations de prix et quantités sur un marché

donné, supposant les prix sur les autres marchés comme fixés. – Approche moins abstraite, car Marshall souhaitait être plus réaliste et tenir compte de la

notion de temps. ■ Distinction entre court terme, long terme, très long terme

– Court terme : les entreprises ne peuvent faire varier que la quantité de travail non qualifié, la quantité de machines et de travailleurs qualifiés restant fixe. Dans ce cas, une hausse de la demande correspond à une hausse des prix.

– Moyen terme : il y a variation de la quantité de machines et de travailleurs qualités. Dans ce cas,. s’il y a hausse de la demande, la production augmente aussi et les prix peuvent diminuer

– Dans le très long terme, la technologie change (croissance des connaissances). ■ Avec cette prise en compte du temps, Marshall pense pouvoir concilier néoclassicisme et

historicisme.

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« Brûler les mathématiques »

■ Marshall avait un bon degré de maîtrise des mathématiques (ceux de son époque, du moins)

– Ses travaux de recherche impliquent un fort usage de ceux-ci (équations et diagrammes)

■ Cependant, il croit dans le pouvoir de l’éducation économique vis-à-vis du grand public– Pour cela, il n’utilise les mathématiques que dans les notes de bas de page et les

appendices de ses Principles. – Il pense que tout ce qui est déterminé par les mathématiques et ne peut pas être

expliqué verbalement doit être éliminé (« Burn the mathematics »)■ Par ailleurs, une analyse mathématique qui conduirait à des résultats trop abstraits ou

trop irréalistes ne doit pas être employée. ■ Il pense que la théorie économique doit être laissée à sa juste place et qu’elle doit se

mêler à l’histoire des faits économiques et à l’analyse descriptive.

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LA SCIENCE ÉCONOMIQUE AMÉRICAINE

Néoclassicisme et institutionnalisme

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Développement de sciences économiques aux Etats-Unis■ Contrairement à l’Europe, pas de système éducatif centralisé

– Il y a un grand nombre d’universités et de « colleges » répartis sur le territoire– Financement privé de l’enseignement supérieur. Il faut parfois ne pas gêner les mécènes.

■ L’économie aux Etats-Unis est très influencée par celle qui domine l’Europe– Il y a des économistes influencés par les « néoclassiques » européens– Mais globalement, c’est l’historicisme qui va dominer et donne aux Etats-Unis naissance à

un mouvement « institutionnaliste »– Importance du pragmatisme (philosophie de Charles Peirce, William James & John Dewey)

■ L’institutionnalisme insiste sur la moralité (influence du protestantisme), sur le rôle des institutions, critique le libre échange et prône la réforme sociale.

– On désigne ce mouvement général des idées sous le nom de « social gospel ». ■ Création en 1885 de l’American Economic Association par Richard T. Ely (1854-1943), un

économiste institutionnaliste.

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L’économie néoclassique américaine■ Le principal défenseur du marginalisme aux Etats-Unis s’appelle John Bates Clarke

(1847-1938). – Il a étudié en Allemagne (approche historiciste)– Il va cependant adopter la théorie de l’utilité marginale. Mais il y a des différences.

■ Le marché ne mesure par la valeur d’un bien pour l’individu mais pour la société dans son ensemble.

■ Il ajoute par ailleurs un élément moral, distinguant la bonne concurrence (qui fait baisser les prix et améliore la qualité) de la mauvaise (où on se « coupe la gorge » pour dominer).

■ Il faut favoriser la première en créant des coopératives et du partage de profit.

■ Il voit l’égalité entre revenu et productivité marginale comme une norme éthique (juste prix).

■ Il défend aussi l’analyse du long terme, lorsque les mécanismes sont fluides. Il ne voit les fluctuations de court terme que comme des perturbations passagères.

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L’économie mathématique d’Irving Fisher (1867-1947)■ Professeur à Yale. Il étudie avec Willard Gibbs (1839-1903),

un chimiste et un physicien.

■ Il écrit en 1892 sa thèse Mathematical Investigations in the Theory of Value and Prices.

– Rejette l’approche psychologique, c’est juste une façon de décrire le comportement des individus.

– L’utilité est juste l’intensité du désir, l’individu choisit ce qu’il désire le plus.

■ Fisher va importer les idées de Jevons et Walras (encore méconnus) aux Etats-Unis..

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Théorie de l’intérêt et de la monnaie■ Fisher affirme que le taux d’intérêt est déterminé à la rencontre de l’offre et de la

demande de fonds prêtable– L’offre de fonds prêtable est déterminée par l’arbitrage entre consommation et

épargne des ménages. Elle dépend de la préférence pour le présent. – La demande de fonds prêtable dépend de la productivité marginale du capital.

■ Théorie quantitative de la monnaie.– Irving Fisher introduit l’équation MV = PT

■ M’V’ représente les dépôts bancaires et leur vitesse de circulation– Il distingue le long terme du court terme. A long terme V et T sont fixes. Un

doublement de monnaie entraînera un doublement du niveau général des prix. La valeur de la monnaie sera alors divisée par deux. ■ A court terme, il y a des variations de T et de V qui peuvent entraîner des troubles

économiques.

■ Réputation ternie par le fait qu’en 1929, Fisher a subi de lourdes pertes car il ne croyait pas qu’il y aurait un krach boursier.

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Analogies mécaniques

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Thorstein Veblen (1857-1929)■ C’est à cet économiste institutionnaliste qu’on doit le terme d’économie

néoclassique.– Il l’utilise pour désigner toute une tradition dont il est critique. – Il considère en effet que l’économie néoclassique est statique,

tandis que lui est plutôt inspiré par la théorie évolutionniste de Darwin. ■ Les individus ne sont pas les même à toutes les époques.■ Ils évoluent pour s’adapter à leur environnement.

■ Veblen est partisan d’une économie qui incorpore des éléments de sociologie).

– Sa contribution restée la plus célèbre est la consommation ostentatoire (The Theory of the Leisure Class, 1899) .

– Les individus cherchent à imiter la consommation des plus riches.– Biens « Veblen » dont l’élasticité prix de la demande est positive.

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Instinct prédateur et instinct artisan■ Veblen analyse le système industriel comme procédant d’une contradiction entre deux forces.

– Le raisonnement est proche de la dialectique marxiste, même si son inspiration est darwinienne.

– Il existe chez les hommes deux types d’instinct : ■ l’instinct artisan (consistant à fabriquer des biens en domestiquant la nature)■ l’instinct prédateur (consistant à s’approprier le travail d’autrui).

■ Dans le monde moderne, cela va se traduire par une opposition entre :– L’industrie qui consiste en une rationalisation croissante – Le monde des affaires qui va s’approprier les fruits de l’industrie.

■ Veblen pense que la recherche du profit ne va pas conduire à la meilleure utilisation des ressources, Elle consiste à faire de l’argent et non pas à produire des biens.

– Veblen pense que les techniciens et les ingénieurs, alliés aux travailleurs manuels doivent prendre le pouvoir.

■ C’est ici que se situe sa critique de l’économie néoclassique : celle-ci est une théorie des marchés. Elle ne peut donc comprendre le monde de l’industrie.

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John R. Commons (1862-1945)■ Avec Veblen, c’est l’autre chef de file du mouvement

institutionnaliste. – Professeur à l’Université du Wisconsin– Legal Foundations of Capitalism, 1924

■ Il considère que l’activité économique doit être étudiée dans son cadre juridique et historique.

– Il insiste sur le rôle de la jurisprudence et de l’Etat dans l’évolution des pratiques économiques.

– Il reproche à l’analyse néoclassique de ne s’intéresser qu’aux actions individuelles et insuffisamment à l’action collective.

■ Il s’intéresse aux transactions.– Elles ne sont pas toute marchandes.– Par exemple, la relation d’autorité dans l’entreprise.

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Travail pratique de Commons■ Commons, souvent aidé par ses étudiants à l’université de

Wisconsin, va mettre en pratique ses idées.– Lance le Pittsburgh Survey, une étude sociologique de la

ville de Pittsburgh– Mise en évidence de la condition ouvrière, du rôle de

l’immigration, des conséquences sociales de l’industrie

■ Il va contribuer à concevoir des législations permettant d’obtenir un « capitalisme raisonnable »

– Compensation des travailleurs, Assurance chômage,Contrôle des taux d’intérêt, impositiion des héritages

■ Des disciples de Commons participeront à l’administration Roosevelt, appliquant certaines de ses idées.

– Le New Deal, souvent qualifié de « keynésien », découleen réalité tout autant des idées institutionnalistes.

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