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La propagande, nouvelle force politique

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LA PROPAGANDE nouvelle force POLITIQUE

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LIBRAIRIE ARMAND COLIN

COLLECTION " SCIENCES POLITIQUES "

JEAN-JACQUES CHEVALLIER — Les grandes œuvres poli- tiques, de Machiavel à nos jours 1 vol.

HERBERT HEATON — Histoire économique de l'Europe :

I. — Des origines à 1750 1 vol. II. — De 1750 à nos jours 1 vol.

JACQUES DRIENCOURT — La propagande, nouvelle force politique 1 vol.

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JACQUES DRIENCOURT

nouvelle force

Préface de J.-J. CHEVALLIER

LIBRAIRIE ARMAND COLIN 103, BOULEVARD SAINT-MICHEL, PARIS-V

1950

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays

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Copyright 1950, by Max Leclerc et Cie, proprietors of Librairie Armand Colin.

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PRÉFACE

L'ouvrage remarquable que JACQUES DRIENCOURT, grand prix de la Fondation nationale des Sciences politiques, présente au public sous le titre de La Propagande, nouvelle force politique met en pleine lumière l'un des phénomènes les plus saisissants de notre époque, l'un des plus inquiétants en même temps que des plus inévitables.

Au terme de l'impressionnante revue que contient son premier cha- pitre intitulé « Le règne de la propagande », l'auteur écrit : « Mais à quoi bon poursuivre cette revue ? La Propagande règne, triomphe. Tout est Propagande. Elle imprègne tout, elle déforme tout. C'est désormais en fonction d'elle que l'on pense, que l'on agit et que l'on réagit. Le règne contemporain de la Propagande est un fait. C'est une caractéristique d'une nouvelle forme de civilisation. Les historiens de l'avenir diront que le vingtième siècle fut le siècle de la Propagande. »

Mais qu'est-ce donc que ce monstre nouveau, coadjuteur du monstre Léviathan par lequel Thomas Hobbes figurait l'État ? Est-il d'ail- leurs tout à fait nouveau ? Comment est-il né, comment a-t-il grandi, comment étend-il ses prises sur les domaines les plus variés, quels sont ses moyens, quels sont ses régimes politiques préférés, et peut-on l'apprivoiser, ce monstre, le domestiquer pour le bien, le capter pour la garde de la Cité juste, comme eût dit Platon ? A toutes ces questions J. Driencourt répond avec science et conscience.

Il l'a bien vu et l'a bien dit : la Propagande moderne, cette nouvelle technique scientifique, est, de sa nature, totalitaire, tend au totalita- risme. Ce n'est pas par hasard si sa première et véhémente théorie est due à Lénine, le véritable fondateur du totalitarisme, et si elle a trouvé ensuite son expression définitive et frénétique dans Hitler à certaines pages fameuses de Mein Kampf. Totalitaire dans sa nature, la Pro- pagande moderne l'est dans son message, dans ses méthodes, dans son champ d'action, et par dessus tout dans ses moyens : « tout lui est bon et prétexte à diffuser son message, et aussi... elle tend irrésistiblement au monopole avec suppression de la concurrence ; elle utilise tous les

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instruments, s'insinue dans tous les aspects de la vie, envahit toutes les manifestations de la pensée et de l'action, tisse autour des individus et des peuples ce réseau de pressions psychologiques multiformes qui fait que le monde se débat dans une atmosphère d'artifices, de confor- mismes hostiles, de fausseté et d'arbitraire. »

Mais s'il en est ainsi — et comment le contester sérieusement ? — on s'étonne que les démocraties libérales puissent à leur tour, user de cette arme monstrueusement totalitaire. C'est que, pour elles, répondre à l'assaut féroce que leur livrent sans jamais désemparer les régimes ennemis .est devenu une nécessité de vie ou de mort. Un Gœbbels a suscité, par bonheur pour la liberté, une B. B. C. capable de créer entre des millions d'hommes dispersés, surveillés par l'ennemi vain- queur, la plus magnifique communion qu'on eût jamais vue dans la foi libérale et l'espoir de la victoire finale.

Ce seul exemple tend à prouver qu'en somme la Propagande serait, en elle-même, une force située par delà le bien et le mal, et qui se jus- tifie ou se condamne selon l'usage qu'on en fait. « Pour ou contre la pro- pagande », ainsi s'intitule le dernier chapitre, qui n'est pas le moins suggestif, de l'ouvrage de J. Driencourt. L'auteur a grandement raison d'admettre qu'il est désormais vain de prétendre se passer de la Propagande, dans quelque régime qu'on se place ; qu'elle est une nouvelle force politique qui, issue de causes profondes, ne saurait abdiquer comme par enchantement. Tocqueville avait montré, dans la célèbre Introduction de sa Démocratie en Amérique, le caractère irrésistible du mouvement social vers l'égalité des conditions ; il avait voulu y voir un fait durable et même en quelque sorte un fait « pro- videntiel D. Bien qu'il vaille mieux ne pas compromettre la Provi- dence en ces matières, Tocqueville avait eu raison dans l'ensemble ; J. Driencourt montre le caractère irrésistible, de nos jours, de la Pro- pagande, il voit en elle un fait durable, il a raison. Et, bien que per- sonne moins que lui ne soit tenté de minimiser les dangers et les maux inhérents à l'essence totalitaire de la Propagande, il termine son ouvrage sur une note optimiste : « Il est bon de savoir qu'elle [la Propagande] peut jouer un rôle utile et irremplaçable pour le bien de l'humanité. » Peut-être ne le suivrai-je pas jusque-là. Tocqueville, ce prophète de l'âge des masses, comme l'a appelé J. P. Mayer (et la Propagande n'est qu'un des plus saisissants aspects de cet âge des masses), avait terminé lui aussi son grand ouvrage sur une note optimiste : les remèdes qu'il entrevoyait aux maux qu'il devinait lui paraissaient à la fois applicables et efficaces. Il s'est trompé : ils n'ont été ni l'un ni

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PRÉFACE VII l'autre. On peut certes, dans une atmosphère encore dominée par des partis pris libéraux, limiter les ravages de la Propagande, — et l'auteur a précisé quelques-unes de ces limites possibles, — on peut certes attendre de régimes libéraux qu'ils résistent à la tentation d'abuser d'un de ces nouveaux et formidables moyens du Pouvoir que fait sur- gir le vingtième siècle et dont l'abus est si tentant. Il restera, à mon sens, que la somme du mal l'emportera ici sur celle du bien ; que ce moyen nouveau du pouvoir, comme les techniques nouvelles qu'il utilise, ira plus dans le sens de la dépersonnalisation et l'avilissement de l'in- dividu — promu au rang d'homme-masse, c'est-à-dire dégradé — que de son enrichissement.

JEAN-JACQUES CHEVALLIER.

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« Qui peut mettre dans l'esprit des peuples la gloire, la patience dans les travaux, la grandeur de la Nation et l'amour de la Patrie, peut se vanter d'avoir trouvé la Constitution d'État la plus propre à produire de grands hommes. »

BOSSUET. Discours sur l'Histoire Universelle.

« Il est peut-être bon de posséder la puissance qui repose sur la force des armes. Mais il est meilleur et plus durable de gagner le cœur d'un peuple et de le conserver.»

D JOSEPH GŒBBELS. (Le 6 septembre 1934 au Congrès de Nuremberg.)

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CHAPITRE PREMIER

LE RÈGNE DE LA PROPAGANDE

Nous sommes en 1950. Monsieur Dupont est ce qu'il est convenu d'appeler un Français moyen. Monsieur Dupont passe son existence dans une perpétuelle atmosphère d'artifice, d'irréel, de mensonge. Sa journée est scandée par les flots d'informations, agitée par les vociférations, fascinée par les appels, martelée par les injonctions, les exclamations, que déversent sur lui, dont abreuvent ses sens les haut-parleurs, la radio, les journaux, les affiches, les brochures, les discours, le cinéma, les conversations, qui affirment, insinuent, dénoncent, révèlent, accusent, ordonnent. Chez lui, à son travail, dans la rue, dans le train ou le métro, Monsieur Dupont est l'objet continuel de sollicitations et de pressions qui ne font que le troubler et l'étourdir.

Monsieur Dupont vit à l'âge de la Propagande. Le pire est qu'il ne le sait pas, qu'il le nierait même si on le lui

prouvait, persuadé, dans sa légitime fierté, d'être un libre citoyen d'un pays parfaitement démocratique. Il ne soupçonne pas, hélas ! l'ignorance absolue des affaires publiques dans laquelle il vit. Les informations qu'on lui donne sont choisies, quand elles ne sont pas truquées. La radio, contrôlée par le gouvernement, vite plus l'in- térêt de celui-ci que l'éducation des citoyens. Elle ignore systéma- tiquement tout ce qui peut desservir l'autorité du pouvoir, et, pour le reste, son but n'est, le plus souvent, que de flatter les goûts de chacun, fussent-ils élémentaires. Les journaux? Ils font, eux aussi, de l'information subjective, dictée par l'intérêt des partis auxquels ils appartiennent, quand ce n'est pas celui de leurs éditeurs, autre- ment dit leur esprit de lucre. Monsieur Dupont n'a d'ailleurs aucun moyen de contrôler ce qu'il lit ou ce qu'il entend. Il n'existe dans

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son pays aucun système-type, aucune organisation-témoin lui per- mettant de prendre conscience de cette liberté de pensée qui est, comme on le lui rappelle régulièrement, la plus belle conquête de ses ancêtres et le plus précieux de ses droits. Y en aurait-il, que Mon- sieur Dupont ne saurait l'utiliser : on ne lui a jamais appris à penser, ni à se former une opinion libre et critique. L'éducation qu'on lui a donnée n'a consisté qu'à lui bourrer l'esprit, — d'autorité d'ailleurs, — d'un lot de connaissances dont l'ampleur n'avait d'égale que la fugacité. Aussi est-il perdu, noyé, dans cette complexité du monde qu'il reconnaît lui-même, impuissant. Il est l'enjeu des batailles quotidiennes que se livrent autour de lui les partis, les coalitions d'intérêts, les ligues, pour obtenir, pour arracher son adhésion, son vote ! Le cinéma est l'opium qui le transporte dans un monde irréel pour tenter de l'arracher à cette entreprise arachnéenne. La puis- sance évocatrice des images, la tendance imitatrice qu'elles sug- gèrent ne font que semer le trouble dans son esprit et l'envie dans son âme. Il en sort le plus souvent démoralisé, paralysé dans ses pensées et ses actions pour avoir vu évoluer sous ses yeux pendant une couple d'heures ces hommes et ces femmes pour qui aucun pro- blème ne se pose autre que celui de vivre amoralement dans l'opu- lence en s'aimant, en se trompant, en se tuant, loin des inquiétudes vitales qui devraient les étreindre. Monsieur Dupont va chercher au cinéma je ne sais quelle catharsis et une provende d'illusions qui, de jour en jour, de semaine en semaine, lui donne encore une raison de vivre. Rien n'est pire peut-être que cette entreprise de fascination, de déformation, car elle est la plus subtile. L'action n'en est pas criarde, comme celle de l'affiche ou du journal ; point n'est besoin d'un thème de propagande flagrant pour laisser la rétine du spectateur impressionnée pour longtemps par telle image projetée sur l'écran et qui chemine imperceptiblement dans son esprit.

Ce ne sont pas seulement ces techniques d'information : presse, cinéma, radio, qui assaillent Monsieur Dupont. L'esprit lui-même se met à le trahir. On lui nomme démocratie ce qui eût passé pour la plus odieuse tyrannie aux yeux des fondateurs de la démocratie ; on lui présente les traîtres pour des héros ; le langage devient lui aussi objet de rivalité ; on s'annexe les mots, les hommes, les morts, pour mieux conquérir les esprits et les âmes.

Bien sûr, il y a des exceptions ; bien sûr, il y a des contre-parties, des entreprises d'information et d'éducation intelligentes, raison- nables. Il reste que Monsieur Dupont, Français moyen par défini-

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tion, est ligoté dans les mailles d'un filet, et qu'il respire une atmo- sphère sans rapport avec celle de la libre détermination.

Monsieur Dupont est l'esclave de la Propagande.

Et il n'est pas le seul. Transportons-nous aux États-Unis d'Amérique. Mr Babitt est

son concitoyen dans ce nouveau royaume. La tyrannie de la propa- gande qui s'exerce sur lui est celle du collectivisme matérialiste. Des composantes de la civilisation occidentale, Mr Babitt n'a retenu que la primauté de la technique ; et, comme cette dernière lui apprend la supériorité du rendement organisé à grande échelle, il s'en remet à l'expert du soin de déterminer son comportement, ce qui lui permet de se proclamer fièrement un mass man, autrement dit un bon Américain. Le pire reproche à encourir dans son pays est celui d'être original, de ne pas faire ou penser comme les autres. L'idéal est de s'intégrer dans la chaîne sociale, d'en être un maillon solide. Remarquons qu'il ne s'agit pas d'abdiquer sa personnalité, comme en certains pays autoritaires ; c'est un idéal plus complexe : l'intégration est volontaire, traditionnelle, joyeuse même. Le peuple américain est un peuple qui en toute conscience choisit volontai- rement la vie collective, sous la direction des techniciens, ceux des machines comme ceux des âmes. Mr Babitt, c'est toute la journée qu'il doit choisir entre des sollicitations qui le pressent de toutes parts : celles des dizaines de pages de ses journaux, des multiples émissions de propagande radiophonique, des canvassers qui viennent le relancer à domicile, et même des slogans tracés dans le ciel par les avions, à moins qu'ils ne s'étalent aux sommets des buildings ou ne soient suspendus à de gigantesques ballons aériens. Mr Babitt, qui se flatte d'avoir hérité des grands ancêtres le véritable idéal démocratique est encore moins libre que Monsieur Dupont de se faire une opinion librement raisonnée. La liberté de pensée signifie, dans son pays, la liberté, pour ceux qui détiennent les capitaux, d'accaparer tous les moyens pour s'adresser à leurs compatriotes. Ils le font dans un dessein intéressé, donc économique, mais Mr Babitt sait bien que, dans son pays, c'est l'économique qui prime le politique, et lui dicte ses décisions.

Poursuivons notre croisière. Nous voici en Union Soviétique. Le camarade Popov n'a plus, lui, la moindre liberté, parce qu'on

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lui a ôté la faculté de choix. Le problème n'est plus, pour lui, de se défendre contre les assauts des forces économiques ou politiques concurrentes. L'idéal de sa vie quotidienne doit être cette sou- mission perpétuelle qu'un gigantesque appareil de persuasion est là pour faire régner. Le camarade Popov est soumis depuis son lever jusqu'à son coucher aux entreprises de la propagande officielle. C'est jusqu'à l'usine qu'elle vient le circonvenir, avec ses haut- parleurs, ses placards, ses portraits. Et il n'existe pas de loisir pour l'esprit du camarade Popov. Que ce soit après son travail ou pendant son repos hebdomadaire, toujours il doit prêter son attention aux doctrines, aux discours, aux consignes, aux articles, aux ensei- gnements, qu'avec persévérance et imagination le Parti propose à son obéissance. La Propagande, à ce point, n'est plus que solda- tisme de la pensée.

C'était bien cela qu'elle était aussi en Allemagne nazie, avant que le Troisième Reich ait succombé aux coups que lui portèrent les Nations Unies. Pendant plus de dix ans, tous les Muller de Ger- manie furent soumis à l'élevage physique et spirituel que prati- quaient sur eux les dirigeants nationaux-socialistes. En chœur, au pas, un dernier « Heil Hitler ! » aux lèvres, ils marchèrent au Wahlalla suprême.

Et la Propagande règne dans le monde entier, que ce soit au Brésil ou au Japon, de la Turquie à la République Dominicaine, la vie n'est, pour la grande masse des individus, qu'artifice, mensonge et truquage. Les hommes sont ignorants des événements qui, demain, feront leur bonheur ou leur perte, parce qu'on les leur cache ; ils s'ignorent les uns les autres parce qu'on les empêche de se connaître ; leur destinée se joue dans la coulisse.

L'âge de la Propagande, c'est le XX siècle.

Sa consécration fut la seconde guerre mondiale. Celle-ci a sa place naturellement marquée dans ce règne contem-

porain de la Propagande dont elle illustre parfaitement la nature. Elle est plus encore qu'un exemple, car elle marque vraiment l'apogée de ce règne. Tout, dans la seconde guerre mondiale, est en effet ordonné à l'esprit des peuples, à l'opinion publique. Elle fut dans son essence, une guerre d'idéologies. Non seulement la pro- pagande intervint dans le conflit en tant qu'arme nationale, mili- taire et scientifique, mais on peut dire surtout que de 1939 à 1945

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ce furent, autant que la puissance des armées, les idées des peuples qui décidèrent de l'issue de la bataille. Le nœud de la guerre, fut la résistance morale et spirituelle des peuples occupés. C'est le cœur qu'ils mirent à repousser la nazification qui permit aux Alliés de déployer efficacement leur force pour les libérer. L'histoire de la guerre pourrait s'écrire en fonction du moral des nations combat-. tantes.

Rappelons-en seulement les étapes. En septembre 1939, le conflit éclatait au moment où la guerre des

nerfs avait atteint un point culminant. Depuis une année, depuis la crise de Munich, les peuples d'Europe étaient soumis à une véri- table agression psychologique alternant, pour les démoraliser plus sûrement, les affirmations d'une guerre inévitable et les menaces de la faire terrible, aux perspectives d'espoir et aux lueurs bien vagues de la consolidation possible d'une paix, certes précaire, mais qui ne serait tout de même pas la catastrophe sanglante que l'on redoutait, assortie des ravages que l'on prophétisait.

Alors, pendant dix mois, c'est la « drôle de guerre ». Le blitz- krieg polonais, par lequel elle s'ouvre, n'est, démontre-t-on soigneu- sement, qu'une répétition générale, destinée à rcder les troupes allemandes, et à faire réfléchir les démocraties. La propagande nazie se complaît à donner des détails formidables et atroces, à seule fin d'éduquer les Alliés, dont le tour, leur promet-on, ne saurait tarder.

Il se fait attendre plus de six mois. Le barbare ménage ses effets ; il leur prépare le rendement maximum. Les propagandistes civils et militaires allemands exploitent avec raffinement l'insouciance tragique, la confiance et la passivité de l'adversaire. Ils préparent peu à peu la « stratégie de terreur » dont le déroulement approche. Par les tracts et les émissions radiophoniques, la propagande nazie sème la confusion, le doute, la peur. Elle répand de fausses nouvelles, donne pour imminent le déclenchement du blitzkrieg de l'Ouest. L'action de démoralisation vise aussi bien les troupes sur le front ; tracts et haut-parleurs en exploitent à fond le désœuvrement. On leur affirme qu'on ne leur veut aucun mal, que ce sont leurs chefs politiciens qui les envoient à la tuerie. On leur prouve la sûreté de l'espionnage allemand en révélant leurs propres mouve- ments, les ordres secrets de leur État-Major. Partout, la propagande allemande est une entreprise dissolvante et destructive, de confu- sion, de dissension et de haine.

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Brusquement, en mai 1940, la guerre d'anéantissement com- mence. De même qu'en Pologne, la force brutale trouve un renfort dans la violence psychique. La radio est chargée de répandre la peur et la panique en décrivant l'avance inexorable des armées nazies, en annonçant leurs prochaines étapes, en prédisant la des- truction de tout ce qui s'opposera à leur passage. La Cinquième Colonne, qu'elle fût ou non un mythe à l'origine, fut pour les peuples subjugués une horrible réalité, annihilant toute possibilité, même physique, de résister. Une campagne de rumeurs démesurée, ren- forcée par la radio, les tracts, les défaitistes conscients ou incons- cients, donne aux troupes déjà dispersées et aux populations fuyant sur les routes la certitude d'être vaincues et trahies. On chuchote que l'ennemi occupe déjà le village que l'on se propose d'atteindre, on prouve qu'«ils » sont là, achevant l'encerclement. Bien peu d'uni- tés, désorganisées et désorientées, sont capables de se ressaisir, et il n'y a rien comme le sauve-qui-peut pour se répandre comme une traînée de poudre.

Le terrorisme le plus monstrueux anéantit les forces combat- tantes sur le front, ou ce qu'il en reste. Les Stukas, avec leurs piqués et leurs sirènes, tuent les corps en même temps que l'esprit. Les haut-parleurs des P. K., compagnies de propagande, accompagnent les panzerdivisionen et leur ouvrent la voie en répandant de fausses nouvelles sur la situation militaire et en donnant aux soldats le conseil ou l'ordre de capituler sous peine de destruction immédiate. De Dunkerque aux Pyrénées, la même tactique assure le triomphe de la stratégie nazie.

La Hollande, la Belgique, la France déposent les armes. L'Angleterre reste seule, unique obstacle à l'établissement de

la dictature nazie sur le monde. Mais il se trouve un Winston Churchill pour proclamer : « Nous

combattrons dans les ports. Nous combattrons dans les plaines et sur les collines. Nous ne capitulerons jamais. »

La guerre éclair était finie. La guerre d'usure, la guerre de patience allait commencer.

C'est dans la balance des forces rivales que l'esprit des peuples pesa aussi lourd que la puissance des armes. On se lançait dans une seconde guerre mondiale dont tout montrait qu'elle serait longue,

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âpre, acharnée, terrible. La situation militaire en 1940 était telle que l'issue du conflit reposait sur la détermination que prendraient les peuples d'Europe occupée de se ranger — ne fût-ce que mora- lement — dans l'un ou l'autre camp.

L'Allemagne avait envahi une grande partie de l'Europe, mais, paradoxalement et comme Napoléon un siècle et demi auparavant, elle ne pouvait pas pour autant se proclamer vainqueur. Entraînée par ses propres conquêtes, elle devait les porter jusqu'aux horizons les plus reculés. Il lui fallait, dans cette entreprise, être garantie contre la révolte des nations soumises et obtenir si possible leur coopération loyale, sinon toujours volontaire. Ce résultat ne pouvait être atteint qu'en proclamant, sous une forme mythique, les objec- tifs constructifs de l'Allemagne hitlérienne. Ce fut l'Ordre Euro- péen.

Déjà, avant de se lancer dans la guerre, Hitler avait prophétisé qu'il allait créer un monde nouveau qui durerait des siècles, « œuvre grandiose dont la Providence avait chargé l'Allemagne ». Il ne s'agissait alors que d'une formule superficielle, lancée pour réchauffer l'enthousiasme du peuple allemand et donner une justi- fication idéologique à ce qui n'était qu'entreprise de conquêtes. Il n'avait pas besoin alors de plus. Un mythe de résonance uni- verselle ne pouvait que le gêner, en imposant des limites à ses entre- prises futures. Le système de pensée exclusivement nazi, fondé sur l'idée de race et de sang, suffisait pour expliquer par le droit de la force l'hégémonie millénaire de la race des Seigneurs obtenue par une victoire définitive et totale.

Mais la résistance imprévue de l'Angleterre, l'entrée en guerre de la Russie, puis des États-Unis rendaient cette victoire probléma- tique et, surtout, redonnaient aux peuples asservis un espoir et une foi. L'œuvre nazie allait se trouver compromise. Les thèmes cent fois rabâchés des agents de Gœbbels, les invectives contre les démo- craties décadentes, contre la judéoploutocratie ou le bolchevisme étaient usés et n'avaient plus d'effet. Il fallait trouver autre chose qui déterminât un grand choc et fût susceptible de rallier les pays opprimés, et en même temps de redonner du courage au peuple allemand. Il fallait creuser un fossé entre les Alliés et le nazisme en mettant dans les mains de celui-ci un flambeau éclairant la lutte contre ceux-là. On puisa dans l'arsenal des idées de rechange, et les services du Docteur Gœbbels sortirent tout paré et clinquant à souhait le nouveau mythe qui allait donner l'Europe à l'Allemagne.

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Il avait l'avantage de reprendre une doctrine traditionnelle germanique. Ce sont la Politische Geographie de Ratzel, les études et les théories du général Karl Haushofer (qui ne fit en cela que répéter les conclusions du géographe anglais Sir Alford Mac Kinder), de Penck, Partsch, Naumann, qui ont mis en valeur l'idée de l'unité géopolitique du Mitteleuropa autour de l'Allemagne, destinée, par sa position centrale et sa mission historique, à la réaliser. Ce n'est aussi que l'aboutissement des vieux projets panger- manistes des Stein, Arndt, Gneisenau, Hardenberg, Humboldt, Niebuhr, qui, non contents de faire du Rhin un fleuve allemand sur tout son cours, affirment les droits éternels du Reich sur l'héritage de la Lotharingie et de la Bourgogne, et même sur la Suisse et la Hollande. C'est là une mission périlleuse, qui engendre des jalousies et qui exige, pour y résister, un gouvernement central et unique fort. Mais le prodigieux essor politique et ethnique de l'Allemagne depuis le milieu du XIX siécle la rend apte à la remplir, et cela dans l'intérêt de toute l'Europe, car la victoire de l'Allemagne supprimera toute possibilité de conflits et se traduira par le bon- heur commun. L'Ordre Européen devient une sphère de co-prospérité identique à celle que construit le Japon à l'autre extrémité du monde. Les États qui y sont englobés doivent renoncer à leur auto- nomie et à leur nationalisme en faveur de l'Allemagne, qui, par son dynamisme, est seule capable de réaliser une telle tâche ; ils doivent se soumettre à sa politique et à ses directions.

Alors, comme l'exposent Ganzer et Wilhelm Weiss, l'Europe allemande sera organisée, forte et heureuse. Ses deux fondements sont la mission de la race élue pour la diriger, et le rejet de toute ingérence d'une puissance étrangère à cette sphère. L'Europe est une, totale, et protégée contre un monde extérieur hostile. Le Reich est l'expression de la pensée politique du peuple naturelle- ment placé au centre de cet ensemble pour l'animer.

Cette soi-disant doctrine, ce mythe d'une mission qui n'avait que le but de faire accepter la force brutale trouvait un terrain favorable pour se propager. Il ne faisait somme toute que donner un cadre et un objectif aux mécontents, aux révolutionnaires intellectuels, aux ambitieux de tous les pays. Il était puissamment renforcé par la croyance commune au déclin du libéralisme politique et économique et à la ruine du système démocratique, ainsi que par le développe- ment d'un cosmopolitisme des affaires qui, dans les classes diri- geantes, avait profondément altéré le sens national.

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Hitler échoua cependant dans son entreprise d'unification de l'Europe sous son idéologie. Il ne put ancrer dans le cœur des peuples une mystique qui heurtait leur conscience profonde et leurs intérêts immédiats, outre qu'elle était trop apparemment au service exclusif de l'impérialisme germanique.

Car l'idéologie de l'Ordre Européen ne fut, en fin de compte, qu'une tentative pour justifier les conquêtes de l'Allemagne et assurer la sécurité de ses arrières en Europe. Présentée comme un mythe devant faire l'unité de celle-ci, elle ne fut plus qu'un argu- ment de police et ne réussit même pas comme tel.

Elle ne put empêcher la révolte d'éclater, parce que l'espoir que fit naître la perpective d'une libération, et que la propagande alliée nourrit avec succès, l'emporte sur les menaces ou le chantage pro- digués par les hitlériens.

Cette nourriture spirituelle, acheminée quotidiennement pendant plus de quatre ans malgré tous les barrages dressés par l'ennemi, c'est à la B. B. C. (British Broadcasting Corporation) que les peuples opprimés d'Europe la doivent.

En 1940, la Grande-Bretagne était devenue le rendez-vous de la liberté européenne et son dernier bastion. La B. B. C. s'en fit, pour

, quatre années, le porte-parole. Son service européen avait été conçu pour permettre à des jour-

nalistes et des personnalités anglaises de s'adresser à chaque peuple du continent dans sa propre langue. Il fut en fait le moyen, pour les dirigeants exilés des pays envahis par l'Allemagne, de communi- quer quotidiennement avec leurs compatriotes pour renforcer leur foi, leur donner l'espoir, galvaniser leur volonté de résistance. La B. B. C. devint une institution européenne, le speaker du monde libre opposé à la domination nazie. Elle permit aux nations occupées de garder un lien avec l'univers démocratique.

On ne soulignera jamais assez que, sans la radiodiffusion britan- nique, — l'écoute de la Voix de l'Amérique étant infime par rapport à celle de la B. B. C., — les machiavéliques machinations du Doc- teur Gœbbels auraient peut-être réussi à faire perdre à l'Europe la conscience de la liberté et de la démocratie. Chaque citoyen opprimé reprenait courage en entendant la voix de son compatriote lui promettre la délivrance, et, en entendant les mêmes appels se répé- ter dans de multiples langages, il acquérait la certitude que le cœur de millions d'autres individus battait à l'unisson du sien, que son espoir n'était pas une chimère. Les nazis usèrent de toutes les

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méthodes pour mettre la pensée de ceux qu'ils prétendaient être leurs esclaves sous leur botte, mais ils ne purent empêcher la B. B. C. de soulever le plus formidable élan de foi qui ait, depuis longtemps, fait communier des dizaines de millions d'hommes.

La résistance à l'oppression fut l'œuvre principale de la radio anglaise, scandée par ses « Courage, on les aura les Boches ! », «Aujourd'hui, 1 267e jour de la lutte du peuple français pour sa libération ! »

Qu'eût été cette lutte d'un peuple seul et livré à lui-même ? Une simple consigne politique et partisane d'abord. La B. B. C. en fit une foi et un espoir, elle la répandit dans toute l'Europe et la fit unamine. Et ce ne fut pas seulement ce mythe irrésistible qu'elle accrocha au cœur de tous, elle en permit la réalisation con- crète. Elle l'avait lancé, elle l'organisa et le fit triompher. Elle en diffusait les consignes quotidiennes : « Le camembert coule sans être torpillé, trois fois. Je dis le camembert... »

En France elle fit mieux encore. Le mythe du gaullisme, c'est elle qui le créa entièrement et de toutes pièces. En mai 1940, Charles de Gaulle n'était pour la masse du peuple français qu'un inconnu, un nouveau général parmi d'autres, soupçonné plutôt de se mêler de politique. L'appel du 18 juin : « La France a perdu une bataille, mais la France n'a pas perdu la guerre », pouvait rester le cri du cœur d'un patriote animé de la foi la plus aveugle, et juste- ment taxé, de ce fait, par nombre de bons esprits, d'idéalisme et de manque de bon sens. En juin 1944, Charles de Gaulle était pour la quasi-totalité des Français un héros national, une nouvelle Jeanne d'Arc, qui n'avait qu'à se présenter pour obtenir n'importe quoi et qui pouvait faire de la France ce qu'il voulait. Entre 1940 et 1944, pendant quatre ans, qu'y eut-il ? Rien d'autre que la radio anglaise. Et les sarcasmes de Berlin et de Vichy. La première, malgré les seconds, opéra ce miracle de créer de rien la popularité et l'autorité d'un chef, de le faire accepter par quarante millions d'individus. Psychologiquement, Charles de Gaulle aurait pu ne jamais exister, être une invention de quelque génial Gœbbels, le gaullisme aurait pourtant nourri le cœur du peuple français

Tout cela présentait une importance incommensurable. Jour après jour, programme français après programme luxembourgeois

1. Il ne s'agit évidemment pas ici de porter un jugement d'ordre politique sur l'ac- tion du général de Gaulle ou de tenter de la minimiser.

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ou polonais, la défaite nazie devenait un peu plus irrémédiable. La menace, la rage, la déportation, les massacres, rien ne pouvait l'empêcher. Avec la fatalité du destin, inlassablement, la B. B. C. répétait : « On les aura les Boches ! » Effectivement, on les avait, par la moquerie, par la victoire, par l'intelligence. La radio anglaise avait, certes, pour elle, la puissance irrésistible du mythe de la libé- ration, mais elle sut l'orchestrer incomparablement, lui donner forme, le faire pénétrer par tous les moyens dans les cœurs et dans les esprits.

Le plus fameux, le plus efficace, ce fut le V. Il fallait opposer à la présence des troupes allemandes dans les

pays occupés quelque chose qui fût également physique, quelque chose de réel, concrétisant la volonté de résistance et prouvant son unanimité. Il fallait un signe permettant à la fois à tous les patriotes de se reconnaître, et aux Allemands de mesurer l'immensité de la haine qui les poursuivait implacablement. Il fallait un symbole européen en face de la croix gammée, donnant aux peuples opprimés une signification à leurs espoirs et un sens à leur combat silencieux.

Ce fut le V. Né au début de 1941, il remplit rapidement les yeux et les oreilles de l'Europe enthousiasmée devant les nazis étonnés et furieux. De la Belgique à la Slovaquie, il nargua l'ennemi, et mobilisa l'imagination. C'est un moyen de se reconnaître, de se compter, de se transmettre l'espoir. Il est partout, inscrit dans la poussière ou à la craie, frappé dans les mains sous prétexte d'applau- dir, tapé sur le verre au café pour appeler le garçon, gravé même dans le carreau d'une voiture allemande par le diamant d'un vitrier malicieux. Le V devient une obsession. Les nazis en pourchassent les auteurs, emploient la menace, édictent des sanctions, imposent des amendes. Ils tentent même de le prendre à leur compte et de faire croire qu'il est une invention du génie teutonique en le repro- duisant, couronné de lauriers, sur tous leurs véhicules. Ils ne font que se ridiculiser.

Quelque importance qu'aient eue ces entreprises, il en fallait de plus profondes pour s'attacher le cœur des peuples, opprimés par les persécutions nazies. Il fallait en même temps soutenir le moral des peuples anglo-saxons en guerre, et miner celui du peuple alle- mand. Qu'allait-on opposer au mythe de l'Ordre Européen ?

Le mythe germanique avait l'avantage d'être unique, brillant aux yeux du peuple allemand en même temps qu'à ceux des autres

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peuples d'Europe. Les propagandistes alliés furent longs à trouver la grande idée qui symboliserait la résistance démocratique.

La liberté avait en partie fait faillite, et, en tous cas, bien peu nombreux étaient ceux qui la croyaient encore possible. L'idéal démocratique s'était montré impuissant en 1919 à rendre la paix au monde, et, surtout, les Alliés eux-mêmes étaient trop divisés sur son interprétation pour qu'il pût être le thème unique d'une grande campagne psychologique. La philosophie du respect de l'homme ne semblait plus à sa place au milieu du matérialisme généralisé et à une époque où les hommes étaient tués par millions et où l'on n'était même pas certain de pouvoir sauver de la misère ceux qui survivraient au cataclysme.

A défaut d'une idée-force irrésistible et universelle, les Alliés en propagèrent plusieurs, adaptées à ceux auxquels ils s'adressaient.

Auprès de leurs peuples, les Anglais et les Américains mirent surtout l'accent sur l'idéal démocratique tel qu'il avait été exposé dès le mois d'août 1941 dans la Charte de l'Atlantique signée par le Président Roosevelt et le Premier Ministre Churchill. On prit bien soin, cette fois, d'en limiter l'effet aux nations de la coalition, afin d'empêcher les Allemands d'exploiter la Charte à leur profit en en revendiquant le bénéfice comme ils l'avaient fait des principes de Wilson. Les Huit Points de 1941 se contentaient d'ailleurs pour la plupart de reprendre les grandes lignes des Quatorze Points de 1918 dans leurs inspirations humanitaires et puritaines. Ils com- portaient eux aussi une nouvelle Société des Nations, mais ils se présentaient pratiquement comme un plan américain de réorga- nisation de la planète fondé sur une sorte de socialisme démocratique de nature très empirique. Car les Anglo-Saxons sentaient eux- mêmes que les grandes idées ne rencontraient plus guère d'audience. Dans chaque pays, les intérêts économiques primaient les brillants projets utopiques. On ne pouvait non plus trop insister sur la supé- riorité d'un système politique que beaucoup considéraient incompa- tible non seulement avec les régimes totalitaires, mais également avec l'idéal soviétique. Aussi se contenta-t-on surtout de condamner l'Ordre Nouveau hitlérien.

Les propagandistes alliés étaient beaucoup plus libres vis-à-vis des peuples opprimés par l'occupant, et leur succès fut, là, considé- rable. Ils n'avaient en effet qu'à exploiter les propres intérêts des populations européennes, et le mythe de la libération trouva en elles une résonance profonde et d'une puissance insoupçonnée. C'était

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l'idée-force la plus simple et la plus efficace que l'on pût trouver. Elle promettait la restauration de l'indépendance nationale et le rajeunissement des institutions en même temps que la libération des corps et des esprits de la crainte et du besoin. On y voyait un renou- veau complet qui ferait que tout irait mieux, le début d'une nou- velle ère ou tout enfin serait changé et qui apporterait le bonheur et la prospérité. La propagande dirigée vers l'Europe occupée fut la plus caractéristique de toute la seconde guerre mondiale, et celle qui eut la plus grande utilité et rencontra la plus large réussite immé- diate.

C'est contre l'Allemagne que le manque d'une idée-force adé- quate se fit le plus longtemps sentir. La propagande des Alliés ne savait pas quoi lui dire parce que leurs chefs n'avaient aucun plan de conduite à longue portée vis-à-vis d'elle. Aussi ne manqua-t-elle pas de contradictions et d'hésitations jusqu'en 1943. Elle menace le peuple allemand de représailles s'il ne se révolte pas contre les nazis, tout en lui promettant de le recevoir après la guerre dans la communauté des Nations-Unies conformément aux principes huma- nitaires de la Charte. Elle ne sait comment agir pour briser sa volonté de résistance. Les Alliés eurent le tort de croire qu'une propagande idéaliste à la Wilson y réussirait. Ils oubliaient qu'Hitler promettait la domination du monde à son peuple et que les plus belles paroles ne pouvaient faire céder son orgueil et son appétit de domination. L'ennemi ne pouvait plus croire en outre en la sincérité des affirma- tions alliées après que la propagande nationaliste et hitlérienne lui eût ressassé pendant vingt ans que les Quatorze Points avaient été un moyen de duper l'Allemagne pour l'amener à déposer les armes. Les Alliés, enfin, ne pouvaient pas, s'adressant au peuple allemand, contredire ce qu'ils affirmaient aux pays occupés.

Longtemps les propagandistes alliés ne tinrent pas assez compte de la psychologie germanique. L'Allemand n'est sensible qu'aux arguments de force. Hitler s'imposa à lui par l'intimidation et la terreur accompagnant une propagande qui faisait miroiter une poli- tique de puissance. La persuasion n'a de prise sur l'esprit germanique que si elle se transforme en ordre immédiatement suivi de la menace.

Jusqu'en 1943, les Alliés s'éloignèrent trop de ces données. Ils confondirent avec les principes de la Charte de l'Atlantique le mythe de la libération, leurs buts de guerre et leurs buts de paix. Ne trouvant rien d'autre, ils se contentèrent de dire à l'Allemagne que son relèvement après sa défaite serait d'autant plus difficile

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qu'elle aurait combattu plus longtemps et avec plus d'acharnement. En réalité, leurs buts de guerre et de paix différaient sensiblement. La guerre ne visait qu'à anéantir le militarisme prussien pour empê- j cher toute nouvelle agression et à faire triompher les principes de justice et d'humanité considérés comme les fondements de la civi-- lisation. Elle n'était donc qu'une expédition contre une bande de gangsters internationaux pour les mettre hors d'état de nuire et les châtier. Cela n'avait rien à voir avec une hypothétique recons- truction ultérieure du monde. S'en tenir là avait en outre l'avan- tage de tendre à séparer le peuple allemand des dirigeants nazis, coupables de ses misères depuis leur avènement, responsables de la guerre et auteurs de crimes contre l'humanité. C'était atteindre le régime hitlérien dans son point faible, et le dénoncer à la face du monde.

Ce fut le génie de Roosevelt et de Churchill de comprendre ce point de vue et d'adopter une telle politique. A la Conférence de Casablanca de janvier 1943, ils proclamèrent l'idée directrice du conflit. Abandonnant toute idéologie vague qui ne pourrait plus être efficace, ils donnèrent à l'action des Nations-Unies un seul nerf moteur : la libération des peuples opprimés, et à la guerre un but unique : la capitulation sans conditions de l'ennemi. Tel fut désormais le double thème de toute propagande alliée. Staline l'adopta dans son ordre du jour du 1 mai 1943.

Il pouvait sembler téméraire, un an et demi environ avant le débarquement en Normandie, de se donner une pareille tâche. Mais elle était bien de nature à impressionner les Allemands, autant d'ailleurs que les Japonais, auprès desquels la force est le seul argu- ment efficace. Celui-ci avait l'avantage de ne pouvoir être dénaturé comme les Quatorze Points, d'être simple et clair. Il donnait un but commun à tous les Alliés, sur lequel aucune divergence n'était à redouter puisqu'il était essentiellement d'ordre militaire, en même temps qu'il était apte à faire réfléchir l'ennemi sur son sort. La propagande alliée ne manqua pas de lui faire ressortir toutes les conséquences qu'entraînerait une capitulation imposée par la destruction et l'anéantissement à côté des avantages que lui procu- rerait une reddition, également sans condition, mais anticipée et de nature politique. Car elle laisait entendre, sans ambiguïté, qu'avec la fin des misères et des persécutions qui accablaient le peuple adverse sa capitulation immédiate permettrait seule son relèvement, et que la volonté des Nations-Unies de lutter jusqu'à la

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victoire la plus totale ne les dispensait pas de leurs obligations humanitaires et de leurs devoirs de chrétiens.

Le thème nouveau présentait ainsi l'immense intérêt de clarifier la situation, tant auprès de l'adversaire, que dans le camp même des Alliés. Il servait également la politique de ceux-ci en établissant sur un point leur unité intangible, en permettant aux Anglo-Saxons de faire de la surenchère sur la Russie, pour laquelle la victoire de Stalingrad ouvrait une ère ininterrompue de succès considérables, en servant aussi puisamment la campagne pour la réélection du Président Roosevelt.

Pendant les deux dernières années, une propagande d'une ampleur matérielle fantastique le reprit sous toutes les formes et par tous les moyens, tandis que les Conférences de Yalta et de Potsdam le réaffirmèrent solennellement.

La guerre psychologique menée par les Alliés demeura ainsi essen- tiellement d'ordre pratique, c'est-à-dire militaire. Elle fut cepen- dant continuellement dominée et animée, sous quelque aspect qu'elle revêtit, par le mythe général de la Croisade des Démocraties. Contre le despotisme totalitaire et la volonté de conquête des par- tenaires de l'Axe, ce fut véritablement le sens d'une Croisade que donnèrent à un conflit provoqué et dominé par les intérêts maté- riels rivaux, aussi bien l'esprit missionnaire puritain et calviniste des Anglo-Saxons, que le prosélytisme bolcheviste des Républiques Soviétiques. La seconde guerre mondiale était une guerre impéria- liste ; celui qui en sortirait vainqueur aurait la domination du monde ; or l'on ne peut fonder un Empire sans une grande idée- force sur laquelle l'asseoir. Elle fut ici surtout négative, étant l'idéalisation d'une expédition contre un système philosophique et politique ; elle n'en eut peut-être que plus de puissance de rayon- nement. Et, si le conflit fut impérialiste, il fut aussi profondément idéologique. Pour beaucoup de ceux qui le dirigeaient, il s'agissait avant tout de débouchés à conquérir ou de sources de matières premières à dominer, mais c'est parce qu'il traduisait le choc de deux conceptions de la vie et du monde, parce qu'il fut à vrai dire une guerre sainte, qu'il engendra de semblables massacres, parce qu'il était inexpiable, qu'il se prolongea avec tant de férocité. C'est ce caractère quasi-religieux qui marque le plus profondément la seconde guerre mondiale. C'est lui qui détermina l'exigence de la capitulation sans condition. La Croisade des Démocraties était une nécessité vitale et la condition de la survie de la civilisation.

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Ce fut le mérite de ceux qui l'entreprirent de le comprendre et de le proclamer.

C'est en tout cela que la seconde guerre mondiale fut une guerre d'idéologies. Et c'est parce qu'elle fut une guerre d'idéologies pro- pagées par des organisations et des moyens d'une ampleur et d'une puissance encore inégalées qu'elle consacra le triomphe de la Pro- pagande au xxe siècle. La première guerre mondiale avait révélé l'efficacité d'un moyen qui, entrant pour la première fois dans les structures gouvernementales, s'était montré l'auxiliaire utile d'une politique de force ou de crise. Les dictatures en firent leur profit dans leurs desseins de conquête intérieure et d'agression interna- tionale. La seconde guerre mondiale montra à tous les pays que la Propagande était l'instrument impérativement nécessaire non seu- lement pour faire face à une grave crise extérieure, mais aussi, chaque jour, pour éclairer les peuples et les préparer à l'avenir.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la Propagande règne sur le monde. Elle a sa place officielle dans tous les États, son siège dans les gouvernements à côté de la Police, de la Justice ou des Finances. Que ce soit en Afrique ou en Asie, dans les Bal- kans ou dans les Antilles, elle figure en bonne place dans la quasi- totalité des institutions nationales sous forme de Secrétariat ou de Ministère, d'Information ou de Propagande. Elle n'est pas l'apa- nage des seules grandes puissances. Les nations les plus faibles, les pays les plus isolés, les États les plus jeunes l'ont mise à leur service. Elle ordonne toute la politique, intérieure et internatio- nale. Dans ces mois de misère où le rétablissement de la paix semble impossible, on ne se soucie guère plus du véritable bonheur des peuples ; les gouvernants n'ont plus apparemment qu'une préoccupation : s'attacher l'opinion en satisfaisant les intérêts immédiats des masses et en mettant de leur côté la popularité et le bon droit. Le monde, en outre, prend conscience de sa division en deux blocs dont la rivalité politique est en grande partie causée et entretenue par une opposition doctrinale incontestable. Chaque événement est transformé et exploité en incident à la face de l'uni- vers ; il est l'occasion de prendre véhémentement parti, d'affirmer une position prétendûment supérieure en vertu de principes intan- gibles. Chefs d'État et chefs politiques lancent par dessus les fron-

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tières des déclarations et des discours sensationnels et enflammés comme s'ils voulaient par là soulever les nations en leur faveur. Mais elles restent étonnées et lassées ; ces procédés sont trop visi- blement intéressés pour émouvoir. L'opinion mondiale est assoiffée de calme et de tranquillité ; elle souhaite qu'on lui parle de bonheur, de paix, de prospérité. On ne cesse, hélas ! de l'agiter dans l'éven- tualité d'une nouvelle catastrophe ; on agit exactement comme si l'on voulait la provoquer.

La guerre psychologique qui triompha pendant le conflit se pour- suit après la victoire. La presse et la radio se mettent au service des nationalismes pour accuser leurs rivaux et dénoncer leurs préten- dues entreprises. Les événements qui se succèdent depuis 1945 ne sont que les tableaux successifs d'une gigantesque mise en scène montée par les hommes d'État devant les citoyens du monde. Tout est prétexte au déclenchement de campagnes d'opinion forcenées.

Rappelons-les brièvement. C'est l'affaire de Trieste qui, les armes à peine refroidies, trouble

déjà la sécurité du monde et empoisonne l'atmosphère politique internationale. La Vénétie Julienne devient une marmite où les passions bouillonnent, prêtes à s'enflammer. C'est la question de l'Iran, un instant l'enjeu de la rivalité des Grands, qui risque de rallumer la guerre parce que les intérêts pétroliers se dissimulent derrière des prises de position politiques passionnées. Puis la question des Détroits revient échauffer les esprits ; la guerre civile en Grèce permet aux deux plus Grands de s'affronter en dénonçant leurs impérialismes. C'est le problème atomique, celui du désarmement, ou l'élaboration des traités de paix, qui sont l'occasion de cam- pagnes véhémentes. Le blocus de Berlin est le point crucial d'une crise que l'on baptise justement « guerre froide » et qui n'est qu'une épreuve de force, matérielle et psychologique. Il s'agit pour les Alliés de l'Ouest, bien moins de garder la moitié de l'ex-capitale allemande ou de préserver ses habitants des représailles bolche- viques, que de prouver au monde d'une manière éclatante que les démocraties ne capitulent pas devant la duplicité des Soviets. Et ceux-ci continuent de se retrancher cyniquement derrière les diffi- cultés techniques qui interdisent la reprise du trafic vers la ville. Le Komintern est ressuscité sous le nom de Kominform pour coor- donner l'action des partis communistes européens, ce qui est le moyen de synchroniser et de décupler les efforts faits par chacun d'eux auprès des opinions nationales. Le « cas Tito », s'il laisse dans l'em-

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barras, sinon les gouvernants, du moins les opinions nationales qui ne savent qu'en penser, fournit aux antagonistes un nouveau thème de propagande. Le «titisme» est célébré par les uns comme le pre- mier échec fondamental de la politique moscoutaire, la première tentative de rébellion contre l'internationalisme bolchevique ; les autres dénoncent en lui la trahison, vitupèrent les crimes, les vices, le sadisme des dirigeants yougoslaves vendus à l'impérialisme capi- taliste. De l'autre côté du rideau de fer, le Plan Marshall, s'il a une valeur économique suffisamment appréciable pour avoir sauvé l'Europe de l'asphyxie, en a une non moins grande dans l'ordre phychologique. Il permet aux États-Unis, en assurant le maintien du niveau de vie des masses européennes, d'obtenir la garantie que la misère ne les jettera pas dans les rets du bolchevisme. Assurance contre le communisme, le Pacte de l'Atlantique le transforme en con- trat multilatéral à long terme. Tous deux sont évidemment l'objet de campagnes, de débats, de discours passionnés. On dénonce la mar- shallisation comme on a vilipendé la bolchévisation. On se qualifie d'agresseur, de traître, de vendu ou d'impérialiste. Ce n'est qu'une occasion. La guerre de Palestine, celle de Chine, celle de Corée sont encore des prétextes à des violences spirituelles, des calomnies, des protestations.

L'Organisation des Nations-Unies elle-même, qui a fondé une institution spécialement chargée de promouvoir la collaboration entre les nations par la compréhension mutuelle en développant la diffusion de l'éducation, de la science et de la culture, est devenue un immense forum de propagande, où la « diplomatie sur la place publique » s'exerce à l'échelle mondiale. C'est l'occasion magni- fique offerte aux hommes d'État de proclamer très haut leur bonne volonté en dénonçant les manœuvres adverses d'impérialismes et les desseins d'agression.

Mais à quoi bon poursuivre cette revue ? La Propagande règne, triomphe. Tout est Propagande. Elle imprègne tout, elle déforme tout. C'est désormais en fonction de la Propagande que l'on pense, que l'on agit et que l'on réagit.

Le règne contemporain de la Propagande est un fait. C'est une caractéristique d'une nouvelle forme de civilisation. Les historiens de l'avenir diront que le XX siècle fut le siècle de la Propagande.

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CHAPITRE I I

QU'EST-CE QUE LA PROPAGANDE ?

Quel est donc ce phénomène si puissant qui régit et transforme ainsi la vie des peuples et des États ?

Une première fois, élémentaire, décomposons son mécanisme, afin d'entrevoir sa nature. Prenons-le dans sa simplicité originelle : voici une communauté d'hommes, collectivité fondée sur la race, la religion, la profession, ou encore sur la soumission à une autre col- lectivité ; les individus qui la composent vivent, naissent, et meurent heureux ou malheureux, travaillent, pensent, aiment et prient ; tout cela n'est que la manifestation en eux d'instincts naturels dans leur vitalité. Ils ont peu de relations entre eux, parce que l'ins- tinct de défense les rend méfiants. Ils vivent, pour la plupart, sou- mis et passifs. Mais voici que, dans cette collectivité, un individu, ou plusieurs, se dressent. La réflexion, l'amour ou la haine, l'orgueil ou l'envie les poussent à prendre la direction de cette communauté d'hommes. Seuls, ils sont impuissants ; il leur faut l'appui, sinon de la majorité de leurs semblables, du moins d'une minorité agissante Que vont-ils faire ? Entreprendre de les convaincre, s'efforcer de les persuader, disons : faire de la propagande. Ils réussissent, se mettent à la tête de cette collectivité, autrement dit l'organisent et se donnent pour tâche de la diriger. Il leur faudra sans cesse s'adresser encore à ces individus devenus citoyens, c'est-à-dire membres d'un groupe devenu société, afin de ne pas les laisser retomber dans la passivité. Il faut leur expliquer les mesures prises pour les protéger, améliorer leur sort, organiser leur vie. Il faut aussi défendre cette commu- nauté contre les autres communautés qui pourraient devenir rivales ou hostiles, donc s'adresser à elles, disons toujours : faire de la pro- pagande. Celle-ci apparaît originellement comme un instrument permanent de conquête et de contrôle social.

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Voici donc l'homme public, l'homme qui s'occupe des choses collectives, devenu propagandiste. A l'origine, c'est un artiste. La tâche qu'il poursuit lui est personnelle, donc subjective. Elle est fonction de sa personnalité, de sa puissance de rayonnement, de sa capacité d'influence. Il est entraîné à développer sa pensée, à faire valoir ses idées auprès des autres, en donnant à sa voix, la plus éloquente possible, le maximum de portée, et en utilisant l'écrit, préalablement assuré de la plus grande diffusion et de l'efficacité la plus durable. Il fait appel, en outre, à tous les moyens que peut lui suggérer son imagination pour faire prendre conscience à ses con- citoyens des réalités que son intelligence et sa position lui permettent de mieux discerner, et pour conserver le soutien de leur adhésion.

Le propagandiste, aujourd'hui, est un technicien. Il n'est plus un artiste ; il n'est même plus l'homme public qui s'adresse à son peuple, c'est un Service. Convaincre les hommes suppose la manipulation d'instruments compliqués, la connaissance de données scientifiques, la puissance de l'argent et le concours de spécialistes. Un simple individu n'a même plus la possibilité de se faire entendre de ses semblables. La Propagande, en évoluant, est passée du stade de l'art à celui de la technique, et elle est aujourd'hui à proprement parler une technique scientifique en ce sens qu'elle repose sur des données précises, sur de véritables synthèses systématisant le résul- tat de multiples recherches et analyses phychologiques et socio- logiques, en ce sens aussi qu'elle utilise de puissants procédés maté- riels selon un plan longuement étudié fixant, entre autres, les objec- tifs à atteindre ou les instruments à mettre en œuvre.

C'est une technique humaine, de contrôle social. Elle n'apparaît que lorsqu'il y a intervention humaine directe ou indirecte, pour influencer un individu ou un groupe d'individus. Elle fait partie des influences humaines, et en est même la première et la plus impor- tante, car elle est volontaire et organisée. Elle est une des formes mul- tiples de coercition sociale que l'homme à inventées, et l'on peut dire qu'elle est la plus subtile. La Propagande s'adresse à l'individu, mais vise le groupe social plus ou moins vaste dont il est membre et dont elle cherche à contrôler les pensées et les actes, comme à provoquer certaines réactions susceptibles d'avoir une consé- quence voulue. Tout essai d'influencer les masses présumant une action sur les individus les composant, elle doit inculquer à chacun les sentiments et les volitions qu'elle veut voir adopter par tous. Cette nécessité a une grande importance, car elle donne à la Pro-

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pagande un caractère biologique fondamental. Elle ne s'adresse pas à une quelconque entité abstraite, son champ d'action est l'homme et elle doit en tenir compte dans chacune de ses réalisations.

Le but de la Propagande est d'amener les individus à adopter une idée ou à effectuer tel acte qu'ils sont libres d'adopter ou non, de faire ou de ne pas faire, et que généralement sans elle ils n'adop- teraient ou n'effectueraient pas. Elle se propose de rallier les indi- vidus à une cause dont l'acceptation ne s'impose pas par son évi- dence. Son domaine est donc immense : c'est le moyen d'action du commerçant sur le marché, du parti dans la politique, du gouver- nement dans le pays, de la nation dans le monde. Elle apparaît dès qu'on veut décider quelqu'un à agir d'une façon qui, a priori, ne semble ni naturelle, ni nécessaire. La Propagande est une tech- nique pour obtenir l'adhésion.

Ce but, combiné avec son caractère social, a une influence déci- sive sur les moyens qu'elle emploie. Sollicitant le consentement et s'adressant aux individus comme membres d'un groupe, elle doit faire appel à des procédés primaires et de masse, particulièrement la suggestion et l'imitation, et exploiter des attitudes suffisamment générales pour préexister chez le plus grand nombre d'individus. En outre elle vise à l'action immédiate. Elle n'a pas le temps d'ex- pliquer ; les opinions et les actions qu'elle veut provoquer sont toujours précises à l'extrême ; tout son effort porte sur l'adoption ou la réalisation d'une idée ou d'un fait concret, limité, et généra- lement temporaire. Elle doit réduire au minimum la marge d'impré- visibilité et d'hésitation, et annuler à l'avance les conséquences négatives des réactions individuelles. Aussi procède-t-elle par ordres, utilise-t-elle des clichés, des formules concises, des stéréo- types. Ce n'est pas une méthode de contrainte, mais une technique de suggestion exploitant la passivité naturelle de l'individu, usant de l'imitation et de l'émotion, s'aidant de l'insinuation et de la répétition.

La Propagande a aussi des limites, qu'elle trouve dans la person- nalité de chacun, dans ces croyances profondes auxquelles elle doit constamment se référer. Elle ne peut agir ex nihilo, mais s'adressant à l'homme, elle doit se fonder sur ce qui est stable et permanent chez lui, sur ce qui se retrouve dans la plus grande généralité,de ses semblables.

Contrairement à ce qu'affirme F.-E. Lumley, la Propagande n'est pas occulte par nature. Ce peut être une de ses conditions

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