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115 Le praticien en anesthésie réanimation © Masson, Paris, 2006 rubrique pratique La sédation en anesthésie locorégionale Nicolas Guillou, Claude Ecoffey Correspondance : Nicolas Guillou, Département anesthésie réanimation Hôpital Sud 16, Boulevard de Bulgarie, 35000 Rennes. [email protected] es techniques d’anesthésie locorégionale sont maintenant très répandues parmi les pratiques anesthésiques dans les blocs opératoires. Ces techniques ont fait la preuve de leur intérêt en terme d’analgésie per- et post-opératoire ainsi qu’en terme de réhabilitation post- opératoire, améliorant même parfois le pronostic chirurgical. Ces techniques améliorent le confort post- opératoire, mais leur réalisation est parfois source de désagrément pour le patient (1, 2). Cet inconfort est même le principal critère d’insatisfaction des patients et vient avant le succès objectif du bloc dans les raisons expliquant un refus de choisir la même tech- nique anesthésique lors d’une future intervention (3). Cette remarque vaut tout particulièrement pour l’anesthésie locorégio- nale (ALR) périphérique où la nécessité de neurostimuler et le fait d’effectuer des ponctions multiples est parfois mal vécu. Les blocs périmédullaires sont généralement mieux « appréciés », sous couvert d’une anesthésie locale du point de ponction. Il est donc assez classique de proposer, avec ou sans la prémédication habi- tuelle, une légère sédation rendant plus facile la réalisation des blocs périphériques. Il est néanmoins vivement recommandé, même si les techniques d’ALR se doublent d’une anesthésie géné- rale, de les réaliser sur un patient éveillé et coopérant. Cette pré- caution permet en effet au patient de signaler et au médecin de rechercher des signes subjectifs d’alerte au cours de la réalisation de l’ALR (paresthésies péribuccales, acouphènes, dysarthrie, convul- sions, douleurs vives à l’injection ou bilatéralisation d’une anes- thésie…). Il apparaît donc clairement qu’une éventuelle sédation ne doit pas compromettre la significativité de cette sémiologie. Un autre contexte anesthésique peut nécessiter de faire appel à une sédation lors d’une anesthésie locorégionale, qu’elle soit médullaire ou périphérique. C’est le cas lorsque l’ALR est un peu L « juste » pour assurer un bien être suffisant au patient : position inconfortable, anxiété, analgésie hétérogène, intervention trop longue… La sédation doit alors être titrée de façon prudente et ne doit pas se substituer à un échec de l’ALR. Quels agents pour la sédation ? Le midazolam Le midazolam est intéressant pour ses propriétés anxiolytiques, amnésiante et anti-convulsivante. Sa dose habituelle est de 1 à 2 mg en IVD (soit 0,02 mg/kg) 1 à 2 minutes avant la réalisation du bloc. Les effets observés sont assez variables selon les patients et il existe un risque d’apnée, notamment chez les sujets âgés. La demi-vie du midazolam est assez longue (4 heures) et de ce fait la sédation continue en per-opératoire ; ce qui ne semble pas indis- pensable, même si elle est préconisée par certains. Elle est de plus grevée d’effets secondaires non négligeables : dépression respira- toire, retard de réveil, troubles de conscience prolongés, hypo- xémie. Kinirons et al. (4) ont montré que l’administration de 5 μ g de sufentanil et de 1 mg de midazolam améliorait les conditions de réalisation du bloc sans effets adverses majeurs. Le propofol Le propofol a l’avantage de permettre un retour à l’état de conscience plus rapide et plus reproductible que le midazolam. Très utilisé en ophtalmologique à la dose de 0,2 à 0,5 mg/kg juste avant la ponc- tion, il ne permet toutefois pas toujours de maintenir une bonne coopération du patient. Il garde en revanche une place de choix pour la sédation per-opératoire soit sur le mode AIVOC (concentra- tion cible comprise entre 0,8 et 1,5 μ g/ml) permettant de garder un patient somnolent mais éveillable par la stimulation verbale, soit sur le mode d’injections auto-contrôlées (bolus de 5 mg sur 10 secondes, sans période réfractaire). Cette dernière proposition est fiable et s’avère satisfaisante pour les patients. Le propofol a néanmoins deux inconvénients principaux que sont la douleur à l’injection et la majoration du bloc sympathique, surtout au cours d’une d’ALR médullaire.

La sédation en anesthésie locorégionale

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Page 1: La sédation en anesthésie locorégionale

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Le praticien en anesthésie réanimation© Masson, Paris, 2006

rubrique pratique

La sédation en anesthésie locorégionale

Nicolas Guillou, Claude Ecoffey

Correspondance :

Nicolas Guillou, Département anesthésie réanimation Hôpital Sud 16, Boulevard de Bulgarie, 35000 Rennes. [email protected]

es techniques d’anesthésie locorégionale sont maintenanttrès répandues parmi les pratiques anesthésiques dans lesblocs opératoires. Ces techniques ont fait la preuve de leur

intérêt en terme d’analgésie per- et post-opératoire ainsi qu’enterme de réhabilitation post- opératoire, améliorant même parfoisle pronostic chirurgical. Ces techniques améliorent le confort post-opératoire, mais leur réalisation est parfois source de désagrémentpour le patient (1, 2). Cet inconfort est même le principal critèred’insatisfaction des patients et vient avant le succès objectif dubloc dans les raisons expliquant un refus de choisir la même tech-nique anesthésique lors d’une future intervention (3). Cetteremarque vaut tout particulièrement pour l’anesthésie locorégio-nale (ALR) périphérique où la nécessité de neurostimuler et le faitd’effectuer des ponctions multiples est parfois mal vécu. Les blocspérimédullaires sont généralement mieux « appréciés », souscouvert d’une anesthésie locale du point de ponction. Il est doncassez classique de proposer, avec ou sans la prémédication habi-tuelle, une légère sédation rendant plus facile la réalisation desblocs périphériques. Il est néanmoins vivement recommandé,même si les techniques d’ALR se doublent d’une anesthésie géné-rale, de les réaliser sur un patient éveillé et coopérant. Cette pré-caution permet en effet au patient de signaler et au médecin derechercher des signes subjectifs d’alerte au cours de la réalisationde l’ALR (paresthésies péribuccales, acouphènes, dysarthrie, convul-sions, douleurs vives à l’injection ou bilatéralisation d’une anes-thésie…). Il apparaît donc clairement qu’une éventuelle sédationne doit pas compromettre la significativité de cette sémiologie.Un autre contexte anesthésique peut nécessiter de faire appelà une sédation lors d’une anesthésie locorégionale, qu’elle soitmédullaire ou périphérique. C’est le cas lorsque l’ALR est un peu

L

« juste » pour assurer un bien être suffisant au patient : positioninconfortable, anxiété, analgésie hétérogène, intervention troplongue… La sédation doit alors être titrée de façon prudente et nedoit pas se substituer à un échec de l’ALR.

Quels agents pour la sédation ?

Le midazolam

Le midazolam est intéressant pour ses propriétés anxiolytiques,amnésiante et anti-convulsivante. Sa dose habituelle est de 1 à2 mg en IVD (soit 0,02 mg/kg) 1 à 2 minutes avant la réalisationdu bloc. Les effets observés sont assez variables selon les patientset il existe un risque d’apnée, notamment chez les sujets âgés. Lademi-vie du midazolam est assez longue (4 heures) et de ce fait lasédation continue en per-opératoire ; ce qui ne semble pas indis-pensable, même si elle est préconisée par certains. Elle est de plusgrevée d’effets secondaires non négligeables : dépression respira-toire, retard de réveil, troubles de conscience prolongés, hypo-xémie. Kinirons

et al.

(4) ont montré que l’administration de 5 

μ

gde sufentanil et de 1 mg de midazolam améliorait les conditionsde réalisation du bloc sans effets adverses majeurs.

Le propofol

Le propofol a l’avantage de permettre un retour à l’état de conscienceplus rapide et plus reproductible que le midazolam. Très utilisé enophtalmologique à la dose de 0,2 à 0,5 mg/kg juste avant la ponc-tion, il ne permet toutefois pas toujours de maintenir une bonnecoopération du patient. Il garde en revanche une place de choixpour la sédation per-opératoire soit sur le mode AIVOC (concentra-tion cible comprise entre 0,8 et 1,5 

μ

g/ml) permettant de garderun patient somnolent mais éveillable par la stimulation verbale,soit sur le mode d’injections auto-contrôlées (bolus de 5 mg sur10 secondes, sans période réfractaire). Cette dernière propositionest fiable et s’avère satisfaisante pour les patients. Le propofol anéanmoins deux inconvénients principaux que sont la douleur àl’injection et la majoration du bloc sympathique, surtout au coursd’une d’ALR médullaire.

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La sédation en anesthésie locorégionale

Les morphiniques

Les morphiniques permettent de bien contrôler les stimulus noci-ceptifs. Ils peuvent être utilisés en bolus (alfentanil, sufentanil)pour le temps de réalisation du bloc. Le plus approprié pour lasédation peropératoire pourrait être le rémifentanil, compte tenude sa demi-vie contextuelle courte et de sa réversibilité d’actionrapide. Le débit de perfusion permettant un niveau de sédationsatisfaisant est de 0,1 à 0,2 

μ

g/kg/min. Le principal inconvénientdes morphiniques est le risque certain de dépression respiratoireet le taux élevé de nausées et vomissements.

La kétamine

La kétamine, qui est un agent anesthésique à forte dose, possèdedes propriétés antalgiques et sédatives à faible dose par sonaction sur les récepteurs NMDA et muscariniques. Elle a été trèsutilisée en prémédication par voie orale chez l’enfant, associée ounon à des benzodiazépines, mais très rarement chez l’adulte dansle cadre d’une prémédication en vue d’une ALR. Une étude japo-naise (5) a comparé une faible dose de kétamine à une faible dosede fentanyl, sur la douleur et l’anxiété pendant l’identification del’espace péridural : elle a montré un bénéfice en terme d’anxio-lyse pour les patients du groupe kétamine, sans effets secondai-res notables, notamment d’ordre psychodysleptique. La kétaminea aussi été évaluée, à la dose de 0,15 mg/kg en prémédication« sur table », lors de la réalisation d’un bloc huméral avec unediminution significative de la douleur. À cette dose, les effetspsychodysleptiques sont pratiquement absents. Enfin, La kéta-mine présente l’intérêt de ne pas déprimer la ventilation etd’améliorer la prise en charge de la douleur post-opératoire parson activité anti-NMDA.

Les halogénés

Les halogénés sont peu adaptés à la sédation lors de la réalisationd’un bloc anesthésique.

En per-opératoire, le sévoflurane s’avère intéressant en termes deréveil et de récupération cognitive, mais il est trop souvent accompa-gné d’une agitation psychomotrice justifiant la conversion en anes-thésie générale.

Les limites de la sédation

Les inconvénients de la sédation pré- et per-opératoire sont deplusieurs types.

Le premier est le risque non négligeable de dépression respiratoirepar hypoventilation pharmaco-induite (propofol, midazolam, mor-phinique), avec parfois des troubles hémodynamiques (brady-cardie avec le rémifentanil). Il implique un monitorage strictde la fonction cardiorespiratoire (scope, saturation et pressionartérielle) et si besoin une oxygénothérapie adaptée. Cette hypo-ventilation est aussi responsable d’une acidose respiratoire quimajore la toxicité des anesthésiques locaux.

En cas de technique combinée, il est recommandé d’effectuer

les blocs sur des patients éveillés avant l’induction de anesthésie

générale

Le deuxième est la sédation excessive, surtout en per-opératoire,avec de réels troubles de conscience, altération des réflexesprotecteurs oropharyngés et risque d’inhalation en cas de régurgi-tation ou vomissement. Un monitorage par index bispectral oupar potentiel évoqués auditif a été proposé par certains auteurs(valeur du BIS autour de 70), mais n’est-il pas alors temps d’envi-sager une anesthésie générale ?Le dernier point est surtout gênant lors des ALR. En effet, tout aulong de l’intervention, il est important de garder le contact ver-bal avec le patient pour détecter une éventuelle anomalie (pas-sage intravasculaire, injection intraneurale). La sédation ne doitdonc pas compromettre la détection des signes subjectifsd’alerte. La littérature est peu rassurante sur ce point. En effet,des doses peu élevées de midazolam et d’un morphinique(1,5 mg de midazolam et 75 

μ

g de fentanyl), diminuent la sensi-bilité du patient à l’injection intraveineuse de lidocaïne en gom-mant les symptômes subjectifs de l’intoxication (6) mais en res-pectant les signes objectifs (7) (amplitude de l’onde T, pichypertensif). Par ailleurs, un facteur limitant l’utilisation de lakétamine est l’existence d’effets secondaires dose-dépendantsd’ordre psychodysleptique qui pourraient être confondus avecles signes précoces du passage intravasculaire d’anesthésiqueslocaux. Une revue récente de la littérature sur l’utilisation de lakétamine à faible dose permet de conclure que ces effets psycho-dysleptiques sont inexistants ou restent minimes pour des con-centrations entre 50 et 100 ng/l mais qu’ils apparaissent au-delàde 200 ng/l. Il semble donc que le taux analgésique efficace estassez proche du taux induisant des effets indésirables. La kéta-mine, comme l’association morphine et benzodiazépine, risquedonc de compliquer la détection d’un éventuel passage intra vas-culaire d’anesthésiques locaux.

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Nicolas Guillou, Claude Ecoffey

Quand sédater ?

La sédation per- ou pré-opératoire n’est donc pas sans risque aucours de l’ALR. On peut se poser la question de l’intérêt du carac-tère systématique de cette dernière. Certains auteurs ont relevéune relation prédictive entre l’intensité de la douleur ressentieà la pose d’une voie veineuse périphérique et celle perçue pendantla réalisation du bloc, proposant ainsi de limiter la prémédicationà une population restreinte (pose de cathéter court douloureuse,patient traumatisé, phobie de l’aiguille, bloc profond) (8). Unautre versant de la prise en charge du patient peut permettre dediminuer la nécessité d’une sédation : il est primordial d’informerle patient du déroulement de la procédure, de veiller à son confortsur la table d’opération avant et pendant l’intervention. Des tech-niques telles que l’hypnose conversationnelle ou plus simplementl’écoute de musique peuvent alors trouver une place tout à faitsatisfaisante en diminuant fortement les risques dus à une séda-tion pharmacologique.

Conclusion

La sédation améliore le confort des patients lors des ALR, mais lepraticien ne doit pas perdre de vue qu’une sédation un peu trop« appuyée » comporte un risque en compliquant la détection d’unpassage intravasculaire d’anesthésique local. Elle ne doit donc pasêtre systématique et peut souvent être limitée par des explications

et une prise en charge un peu plus personnalisée du patient. Lasédation en per-opératoire, améliore certes le confort du patient,mais elle fait courir un risque de dépression respiratoire et de per-turbation hémodynamique. Elle ne peut s’envisager qu’avec unmonitorage cardiorespiratoire rigoureux et doit, en cas d’insuffi-sance de l’ALR ou de réel inconfort, faire facilement place à uneanesthésie générale.

Références

1. Souron V, Eyrolle L, Coste J,

et al.

Évaluation de la douleur lors de la réalisa-tion d’une ALR périphérique. [abstract] Ann Fr Anesth Reanim 1999;18:70s: R063.

2. Koscielniak-Nielsen ZJ, Rasmussen H, Nielsen PT. Patients’ perception of pain during axillary and humeral blocks using multiple nerve stimula-tions. Reg Anesth Pain Med 2004;29:328-32.

3. Fanelli G, Casati A, Garancini P, Torri G. Nerve stimulator and multiple in-jectiontechnique for upper and lower limb blockade: failure rate patient acceptance and neurologic complications. Anesth Analg 1999;88:847-52.

4. Kinirons BP, Bouaziz H, Paqueron X,

et al.

Sedation with sufentanyl and midazolam decreases pain in patients undergoing upper limb surgery un-der multiple nerve block. Anesth Analg 1999;90:1118-21.

5. Oda A, Iida H, Dohi S. Patient anxiety scores after low-dose ketamine or fentanyl for epidural catheter placement. Can J Anesth 2000;47:910-3.

6. Moore JM, Liu SS, Neal JM. Premedication with fentanyl and midazolam decrease the reliability of intravenous lidocaine test dose. Anesth Analg 1998;86:1015-7.

7. Tanaka M, Sato M, Kimura T, Nishikawa T. The efficacy of simulated intra-vascular test dose in sedated patients. Anesth Analg 2001;93:1612-7.

8. Chatel C, Estèbe JP, Le Naourès A, Leroy M, Ecoffey C. Inconfort lors de la réalisation du bloc huméral. Ann Fr Anesth Reanim 2000;19:87s:R098.