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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=NRP&ID_NUMPUBLIE=NRP_005&ID_ARTICLE=NRP_005_0183 La théorie de l’étiquetage modifiée, ou l’« analyse stigmatique » revisitée par Lionel LACAZE | érès | Nouvelle revue de psychosociologie 2008/1 - n° 5 ISSN 1951-9532 | ISBN 2-7492-0918-0 | pages 183 à 199 Pour citer cet article : — Lacaze L., La théorie de l’étiquetage modifiée, ou l’« analyse stigmatique » revisitée, Nouvelle revue de psychosociologie 2008/1, n° 5, p. 183-199. Distribution électronique Cairn pour érès. © érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Cet article est disponible en ligne à l’adresse :http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=NRP&ID_NUMPUBLIE=NRP_005&ID_ARTICLE=NRP_005_0183

La théorie de l’étiquetage modifiée, ou l’« analyse stigmatique » revisitée

par Lionel LACAZE

| érès | Nouvelle revue de psychosociologie2008/1 - n° 5ISSN 1951-9532 | ISBN 2-7492-0918-0 | pages 183 à 199

Pour citer cet article : — Lacaze L., La théorie de l’étiquetage modifiée, ou l’« analyse stigmatique » revisitée, Nouvelle revue de psychosociologie 2008/1, n° 5, p. 183-199.

Distribution électronique Cairn pour érès.© érès. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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L’interactionnisme symbolique,doctrine psychosociologique associée àl’École de Chicago et à la pensée deG.H. Mead (House, 1977), créé en 1937aux États-Unis par Herbert Blumer, a étélongtemps une théorie invisible et propa-gée uniquement sur le mode de la tradi-tion orale 1. Il faut attendre les années1960 pour qu’elle émerge sur la scèneintellectuelle dans des publicationsnotables. C’est à travers plusieurs sous-théories qu’elle atteint le public spécialisé(Manis et Meltzer, 1972) : ce sont l’ap-proche dramaturgique (Goffman), l’ethno-méthodologie (Garfinkel, Cicourel), et

surtout la théorie de l’étiquetage (« labe-ling theory »)

La théorie de l’étiquetage, aussiappelée théorie de la réaction sociale oubien encore « analyse stigmatique 2 », estainsi un champ de savoir qui constitue undomaine essentiel de la sociologie et de lapsychologie sociale nord-américaines desannées 1960, dont l’axe de recherchecentral concerne les phénomènes dedéviance. Elle a contribué à l’élaborationd’un cadre théorique distinctif et innovantpour penser ces processus, avec l’intro-duction de concepts sensibilisateurs (VanDen Hoonaard, 1997) comme ceux de

Lionel Lacaze, psychologue clinicien, docteur en psychologie sociale. [email protected]. En effet, Blumer ne publie un ouvrage qui porte ce titre qu’en 1969 et il s’agitd’une compilation d’articles déjà publiés mais précédés d’une introduction desoixante pages, un texte incontournable qui contient toute sa position (Blumer,1969). Sur la naissance de l’interactionnisme symbolique et une brève bio-biblio-graphie de la personnalité de son fondateur, Herbert Blumer, cf. Lacaze, 2000.2. Selon l’expression du criminologue québécois Marc Leblanc (1971). Pour unhistorique de la théorie de l’étiquetage, cf. Best (2004) et Lacaze (2006),chapitre 2, « Carrière de la théorie de l’étiquetage ».

La théorie de l’étiquetage modifiée,ou l’« analyse stigmatique » revisitée

Lionel LACAZE

ÉÉttuuddeess

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réaction sociale, institution totale, identitéet carrière déviante, stigmate. Cettenotion de stigmate devient au fil des ansle concept phare de l’école interaction-niste et de la théorie de l’étiquetage, quien fait la doctrine prédestinée à lacompréhension des processus de stigma-tisation. Elle donne une unité et une cohé-rence à ses formulations, lesquelles sontissues d’un certain nombre de socio-logues venus ou proches de la nouvelleÉcole Chicago californienne et qui pour laplupart appartiennent au courantappelé interactionnisme symbolique(Spector, 1976).

Les racines de cette perspectiveprennent corps au début des années 1950dans l’œuvre du sociologue Edwin Lemert(1912-1996), qui cherche à élaborer unethéorie socio-criminologique de ladéviance en essayant d’aller au-delà de lavision en termes de pathologie individuelleou sociale. Il la caractérise par la réponsede la société à celui-ci. Lemert considèreainsi la déviance comme une qualitéconférée rétrospectivement à un individu àtravers une réaction socialement organi-sée où une étiquette de déviant est posée,ce qu’il appelle l’« individuation sociopa-thique » (Lemert, 1951).

Suivant son emphase, un certainnombre de chercheurs (sociologues,anthropologues et psychologues), ironi-quement, de façon indépendante plutôtque concertée, ont tenté de créer uneproblématisation de la déviance commestatut attribué et comme fruit de la réac-tion sociale. Parmi ceux-ci, quatre aumoins ont eu une audience considérable :Howard Becker avec Outsiders (1963),Goffman avec Stigmate (1963), Eriksonavec Wayward Puritans (1966) et HaroldGarfinkel qui les précède avec son articlefameux « Du bon usage de la dégrada-tion » (1956). La revue Social Problems

sert de forum au mouvement, en particu-lier lors de la période où Howard S.Becker en est le directeur de publication(1960-1965). Ces auteurs contribuent àl’édification d’une « nouvelle perspectivesur la déviance » qui s’est diffusée sousle nom de « labeling theory » ou théoriede l’étiquetage dans la décennie suivante.

Parmi ces auteurs, Becker doit êtreconsidéré comme l’artisan de la théoriede l’étiquetage (Spector, 1976 ; Best,2004) et une des personnalités clés del’interactionnisme symbolique. DansOutsiders (1963/1985), il considère ladéviance comme une « création sociale »et est l’introducteur du terme d’« étique-tage » (labeling) : « Le déviant est celui àqui l’étiquette de déviant a été appliquéeavec succès ; le comportement déviantest le comportement que les gens stig-matisent comme tel » (Becker, 1985).

Une autre source de cette concep-tualisation figure dans la théorie de ladramatisation du mal de l’historien etcriminologue Frank Tannenbaum (1893-1969), auteur de Crime and theCommunity (1938), dans lequel il met enévidence le rôle de l’« épinglage » dans lacréation de la déviance : « Le processuspar lequel est fabriqué un délinquant (ouun être anti-social) réside donc en diffé-rentes phases d’étiquetage, de désigna-tion, d’identification-assimilation, deségrégation, de description, d’accentua-tion, de conscientisation et d’auto-conscientisation. Cela devient une façonde stimuler, de suggérer, de mettre enrelief et de provoquer l’existence de cestraits de personnalité qui sont reprochés[…] Cela conduit à s’identifier, par rapportà soi-même ou au milieu, à un sujet délin-quant […] La personne devient cellequ’elle est décrite » (Tannenbaum, 1938).

La théorie de l’étiquetage s’estapproprié cette vision en cherchant à y

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voir une conséquence inattendue (aussiappelée effet pervers) de l’étiquetage quiest de créer justement ce que l’on voulaitprévenir. Le sociologue Robert K. Mertona ainsi appelé cette doctrine « théorèmede Thomas » en référence à ce membrede l’École de Chicago. « La prédictioncréatrice débute par une définition faussede la situation provoquant un comporte-ment nouveau qui rend vraie la concep-tion, fausse à l’origine » (Merton,1951/1965). Une fois attachée à la situa-tion, elle « va déterminer le comportementqui en résulte avec ses conséquences »(Merton, 1965). L’interactionnisme sym-bolique et la théorie de l’étiquetagefondent leur approche sur cette notion, etleur proposition de base est que « l’actesocial d’étiqueter une personne commedéviante tend à altérer l’auto-conceptionde la personne stigmatisée par incorpora-tion de cette identification » (Wells,1978). Sous l’espèce d’un effet d’attentecomportemental, la personne devient cequ’on a supposé et dit qu’elle était.

D’autres personnalités, au cours desannées qui suivent, vont illustrer cetteperspective, tel le criminologue israélienShlomo Shoham avec son ouvrage Lamarque de Caïn (1970), qui porte sur lesbases anthropologiques de la stigmatisa-tion du crime. Il y saisit les conséquencessouvent irréversibles de l’étiquetage, car« dès lors qu’une personne est étiquetée,

il semble qu’elle soit enfermée en un cercleinfernal ne connaissant aucune issue »(1970/1991) et reprend la notion de« corridor de la déviance » (1991), dont ilest impossible d’emprunter le chemin àrebours lorsqu’on porte un stigmate.

L’auteur enracine pour partie sathéorisation dans la psychanalyse exis-tentielle de Jean-Paul Sartre et rappellequ’à travers sa biographie de Jean Genetet L’idiot de la famille, il avait anticipé unetradition européenne de cette conceptua-lisation qui puise dans sa conception de la« détermination par autrui ». Déjà, dansRéflexions sur la question juive (1946),Sartre écrit que « c’est l’antisémite quifait le Juif ». De la même façon, sapsychanalyse de Jean Genet est lapremière étude de cas qui porte sur ladéstigmatisation par la littérature au coursd’une triple conversion identitaire (Sartre,1952).

Au cours des années 1960 et 1970,la théorie de l’étiquetage remporte un vifsuccès, notamment sur les campus améri-cains. Elle est en phase avec l’ère dutemps et la critique des institutions offi-cielles. Certains de ses inspirateurs attei-gnent la figure de légende vivante, telsBecker et Goffman. Mais au cours desannées suivantes, une vague de critiquess’est levée pour contrer et disqualifierladite théorie et on a pensé à son extinc-tion 3. Certains de ses partisans tentent

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3. Elles portaient sur l’argument étiologique : l’étiquetage crée la déviance. Laréplique des tenants du mouvement s’est avérée quelquefois confuse, ambiguëvoire autojustificatrice. Petrunik, alors jeune sociologue débutant, produit uneréponse cinglante et accuse les sociologues positivistes d’avoir construit leurpropre version de la théorie pour mieux la détruire, en tête Walter Gove qui avaitdirigé un colloque à Nashville avec tenants et opposants (Gove, 1975). Destenants, ne figuraient que John Kitsuse et Edwin Schur, mis en position d’accu-sation. En effet, certains des animateurs principaux du mouvement tels Becker,Erikson, Goffman se sont déjà détournés de cette approche. À partir de cettedate, pour éviter le blâme, par prudence ou par tactique, nombre d’avocats decette perspective dé-labellisent leurs recherches en omettant de se déclarer

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de répliquer par des avancées program-matiques, comme celles de Kitsuse quiexhorte les déviants à « sortir du placard »(ce qu’il appelle la « déviance tertiaire »),ou de Carol Warren qui s’intéresse auxprocessus de déstigmatisation commesortie charismatique de la déviance(Kitsuse, 1980 ; Warren, 1980). Malgrétout leur intérêt, ces énoncés vont resterlettre morte. Les chercheurs, après 1974,annoncent rituellement l’extinction de lathéorie de l’étiquetage (Best, 2004), seulPetrunik (1980) interroge les processus enjeu et fait l’état du débat entre les pour etles contre de la théorie de l’étiquetage,pointant la part des luttes intestines carac-téristiques du développement dessciences humaines et sociales. Depuiscette période, Erich Goode qui est un desrares à être resté fidèle au mouvement,n’a cessé de dénoncer les attaques de l’in-térieur et de l’extérieur qu’a subies la théo-rie de l’étiquetage, victime d’une croisademorale à son encontre en raison de sesarguments théoriques, de ses optionsméthodologiques mais aussi prises deposition compréhensives. Il faut se rappe-ler à cet égard l’admonestation de Becker :« De quel côté sommes nous ? » (Becker,1967/1970). De fait, la plupart des cher-cheurs interactionnistes se sont souventfaits les défenseurs des « stigmatisés » etce parce qu’ils développent une « politiquede l’empathie » (Goode, 1975 ; Dunn,

2004) ou une « lecture appréciative »(Matza, 1969) de l’observé. Dont acte.

Incidemment, à la fin des années1980, et malgré une ère du temps défa-vorable avec la montée de la droiteconservatrice et du fondamentalisme reli-gieux aux États-Unis, la théorie de l’éti-quetage reprend vigueur, ravivée par lesgrandes questions sociales de la décen-nie : l’épidémie du sida et la guerre à ladrogue (Best, 2004). Cette reprise théo-rique s’accompagne d’une reconsidéra-tion de ses allégations conceptuelles alliéeà un effort de validation empirique. Lelegs majeur de la théorie de l’étiquetageest la notion de stigmate qui est devenueun des outils conceptuels les plus utilisésdes sciences humaines et sociales.D’autres disciplines se le sont appropriéau prix d’un usage parfois biaisé.Essentiellement, on néglige la référenceoriginaire à la théorie de l’étiquetage etaux « métaphores racines » de l’interac-tionnisme symbolique.

Cet article s’insère dans le cadreplus large d’une réappréciation de cesystème de théorisation et de révision duconcept de stigmate (Lacaze, 2006). Leregain théorique de ce système concep-tuel permet authentiquement de parlerd’une « seconde théorie de l’étiquetage ».Il s’agit 4 de présenter les amendementset extensions apportés par la « théorie del’étiquetage modifiée » et de son anima-

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« labeling theorists ». Cette posture va entraîner dans le public l’idée d’uneextinction de la théorie de l’étiquetage. Il est remarquable que le processus donta été l’objet cette perspective est précisément celui qu’elle faisait apparaître dansses théorisations.4. Je ne traite pas d’autres révisions de la première théorie de l’étiquetage dutrouble mental, et notamment les recherches de Kenneth J. Smith qui revisite leconcept goffmanien de « carrière de malade mental » (Smith, 1993) ou celles deGraham Scambler sur l’épilepsie et sa distinction entre le stigmate ressenti et lestigmate représenté. Le stigmate ressenti est la peur d’être stigmatisé, c’est ladiscrimination anticipée, lui sont associés notamment des affects de peur et/oude honte. Le stigmate représenté est la discrimination réellement vécue(Scambler, Hopkins, 1986).

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teur principal, le sociologue Bruce G. Link(Link et coll., 1989). Il est important depréciser que ces modifications critiquesde la théorie de l’étiquetage ont étéopérées à partir du champ du désordremental qui était son secteur d’applicationle plus contesté. Il incombe à Thomas J.Scheff d’avoir appliqué le premier l’ana-lyse stigmatique au trouble mental dansson ouvrage Becoming Mentally Ill(1966). Scheff articulait alors deux pistessur la maladie mentale qui pouvaients’avérer fructueuses. D’une part, il consi-dère que le diagnostic en psychiatrie estun élément de la réaction sociale, et del’autre, qu’elle peut plus être considéréecomme un statut social que comme unemaladie. Pour lui, « le statut de malademental est bien plus un statut attribué quiconditionne l’entrée et la sortie du patientextérieurement à lui, qu’un statut accom-pli qui conditionne l’entrée selon le proprecomportement du patient » (1966).

Dans ses premières recherches, audébut des années 1980, Link va critiquerl’insistance avec laquelle les adversairesde l’étiquetage en ont fait un modèle étio-logique. Cela aboutissait à créer dans lesesprits l’idée que l’étiquetage crée lamaladie mentale. C’est cette affirmationqui a soulevé une vague de critiques trèsvéhémentes et en partie erronées, queLink va chercher à contrer et à corriger.De fait, la théorie de l’étiquetage étaitdevenue un modèle aussi célèbre quedécrié. Link va s’attacher à montrer que« l’étiquetage peut affecter la vie despersonnes d’autres façons qu’en produi-sant directement le désordre mental »(1987). Il s’est donc attaché à précisercomment les personnes étiquetées et trai-tées comme cas psychiatriques subissentun certain nombre de discriminationsdans le revenu, l’emploi, l’habitat, la

santé, etc., et va donc s’intéresser auxconséquences du stigmate et non à sescauses.

Un des axes principaux de la théoriede l’étiquetage modifiée concerne lessources et les conséquences du stigmateassocié au désordre mental. Il se fonde surl’observation des discriminations quiaffectent les personnes frappées de mala-die mentale et leurs familles ou leursproches. La théorie de l’étiquetage modi-fiée de Link suggère que les individus quisouffrent de désordre mental ont vraisem-blablement intériorisé une image négativede la maladie mentale avant d’avoir étéétiquetés. Les expectations intérioriséesde rejet affectent les individus qui, dèslors, sont amenés à se blâmer eux-mêmes : « […] bien avant de devenir despatients psychiatriques, ils ont formé uneconception de ce que cela signifie d’êtreun malade mental. Scheff (1966) a mis enévidence que les plaisanteries, les dessinsanimés et les reportages sur le statut despatients psychiatriques par les médiaspeuvent influencer les conceptions de lamaladie mentale » (Link, 1987).

On peut ainsi montrer que l’image dumalade mental dangereux repose trèssouvent sur des personnages de fictioncinématographiques ou télévisuels quivéhiculent des traits de violence ou d’hy-perviolence. Ces traits sont ensuite inté-riorisés par chacun, notamment par lescibles de la désignation sociale, et consi-dérés comme valides. Les individus stig-matisés auraient tendance alors às’appliquer à eux-mêmes des conceptionsdéfavorables et erronées du troublemental, par le fait de l’intériorisation deces préjugés et du blâme. On peut voir icicomment la théorie de l’étiquetage modi-fiée intègre la dimension de l’auto-étique-tage, essentielle et largement négligée par

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la première théorie de l’étiquetage. Il y estrepérable comme une « attente de rejet »(Link, 1987).

« Les conséquences négativespeuvent donc découler au moins de deuxmécanismes psychosociaux. D’abord, lesindividus qui deviennent patients psychia-triques peuvent être amenés à se dévalo-riser eux-mêmes parce qu’ilsappartiennent alors à une catégorie qu’ilsconsidèrent de façon négative.Deuxièmement, les patients peuvent êtreconcernés par la façon dont les autresvont leur répondre et ainsi engager desdéfenses qui mènent à des tensions dansl’interaction, à l’isolement et à d’autresconséquences négatives » (ibid., p. 97).

Dans ses recherches, Link montreque l’anticipation de la dévalorisation etde la discrimination est associée de façonpositive à la dépression, à la démoralisa-tion et au chômage, et associée de façonnégative à la qualité de la vie, au niveaude revenu et au support social : « Ledegré auquel une personne attend d’êtrerejetée est associé avec la démoralisation,la perte de revenus, le chômage chez desindividus étiquetés malades mentaux »(Link, Cullen, Mirotznik, Struening,1992). Il apparaît donc que la reformula-tion de la théorie de l’étiquetage au coursdes années 1980 met au centre de sathéorisation la question de l’auto-étique-tage. Les individus stigmatisés onttendance à s’appliquer à eux-mêmes desconceptions péjoratives et auto-discrimi-natoires du trouble mental. Elles sont lereflet des représentations sociales desdésordres mentaux en vigueur dans lasociété. Ainsi, de façon globale, c’estdans le champ d’application de la santémentale que la théorie de l’étiquetage etde la stigmatisation va recevoir sapremière modification importante.

Link et sa collaboratrice Jo C. Phelan(2001), engagés dans la révision critique

du concept de stigmate, remarquent quedu point de vue théorique « la recherchedepuis l’essai séminal de Goffman a étéincroyablement productive, menant à desélaborations, des raffinements concep-tuels, des démonstrations réitérées del’impact négatif du stigmate sur la vie desstigmatisés ». La notion de stigmate a étéétendue à des champs d’application trèslarges et multiples : la santé, le chômage,le handicap, l’origine ethnique, la profes-sion, etc. On a dès lors parlé d’inflationconceptuelle au point que l’on a évoqué lerisque d’une diminution de la pertinencedu concept. Appliquée à des champs très(trop ?) divers, la notion de stigmate a puêtre conceptualisée de façon quelque peudifférente d’un cas à l’autre : « […] diffé-rents cadres de référence ont conduit àdifférentes conceptualisations » (ibid.,p. 365). Le risque pour le concept d’unediffusion trop large est de perdre sa perti-nence théorique mais surtout la force deson impact « sensibilisateur » initial (VanDen Hoonaard, 1997).

Link et Phelan (2001) se proposentd’effectuer une révision critique duconcept qui impose une reconsolidationde sa définition et aussi de son classe-ment. En outre, un second ensemble decritiques persiste sur son usage abusif. Lanotion du stigmate a été posée dès sonorigine par Goffman en relation avecd’autres notions. Celui-ci voit le stigmatecomme une relation entre « un attribut etun stéréotype ». Link et Phelan proposentd’étendre ce réseau de relations.Reprenant les études réalisées, ils inven-torient un certain nombre de notions,cinq, reliées à celle de stigmate. Ce sont : – l’étiquetage (le « labeling ») et lesétiquettes (ou labels) ; – la stéréotypisation ou les stéréotypes,ici il s’agit « des croyances culturellesdominantes qui lient les personnes étique-tées à des caractéristiques indésirables,

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des stéréotypes négatifs » (Link etPhelan, 2001) ;– la distance sociale : les personnesétiquetées sont placées dans des catégo-ries distinctes qui impliquent un degré deséparation entre « eux » et « nous »(ibid.) ;– la perte de statut et la discrimination,ces deux processus impliquent un traite-ment basé sur l’iniquité et l’inégalité ; – les relations de pouvoir.

Les auteurs sont donc amenés àreconstruire une définition du concept destigmate qui d’abord doit être vu commeun processus. Il implique de prendre encompte les cinq éléments décrits : « Onapplique donc le terme de stigmatelorsque des éléments d’étiquetage,stéréotypisation, séparation “eux” –“nous”, perte de statut et discriminationont lieu concurremment dans une situa-tion de pouvoir qui permet aux compo-santes du stigmate de se développer »(ibid., p. 367). Je développe les compo-santes du stigmate liées à ces extensionsconceptuelles.

L’ÉTIQUETAGE

Les différences interhumaines fontl’objet d’un processus de sélectionsociale. Certaines sont ignorées ou socia-lement imperceptibles, d’autres telles que« la couleur de la peau, les préférencessexuelles ou le genre sont hautementsaillantes » (ibid.), que ce soit enAmérique du Nord ou ailleurs. La naturede ce processus de labellisation consis-tant à mettre une étiquette sur des diffé-rences passe largement inaperçue. Il estde nature sociale. On y crée des regrou-pements à partir d’un étiquetage de traits.Ce processus reste la plupart du tempsinobservé. Il varie en fonction du temps etde l’espace. Certains traits sont, selon le

cas, valorisés ou dévalorisés selonl’époque ou le lieu. Chaque époque tendà avoir une notion de ce qu’elle coopte ourejette. Ce qui est approuvé à un momentet en un lieu donné n’est pas acquis, c’estconventionnel et variable. En ce sens,l’usage du mot label ou étiquette tend àfaire apparaître « comme une questionouverte la validité de la désignation »(ibid.). Ce qui n’est pas le cas avec lesnotions « d’attribut », « condition » ou« marque ». Ces mots tendent à induireque la chose identifiée comme un stig-mate est « dans » la personne stigmati-sée. Comme tel, le risque est« d’obscurcir (le fait) que cette identifica-tion et sélection […] sont le résultat d’unprocessus social » (ibid.). Il est importantde souligner que certaines théorisationsen vigueur actuellement véhiculent unenotion appauvrie, de type journalistique,de la notion de stigmate, où stigmatiserest simplement « jeter le blâme ». C’estun artifice journalistique cachant uneeuphémisation des phénomènes obser-vés. Ces conceptualisations défectueuses(Vienne, 2005), non scientifiques, omet-tent aussi de voir le stigmate comme uneconséquence de l’étiquetage d’individus,de catégories ou de groupes.

LA STÉRÉOTYPISATION

Il revient au journaliste américainWalter Lippman d’avoir inventé dans lesannées 1920 de façon fructueuse leterme de stéréotype qui, pour lui, est« une image dans la tête ». Repris par lessciences humaines et sociales, il indiqueles idées toutes faites et les croyancespartagées concernant les caractéristiquespersonnelles, traits ou comportements decertains individus, catégories ou groupes.

Goffman (1975) établit de fait unlien entre stigmate et stéréotype. Pour lui,

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il y a indication d’une « relation entre l’at-tribut et le stéréotype » et ceci « parcequ’il existe des attributs importants qui,presque partout dans notre société,portent le discrédit » (ibid.). Par la suite,l’investigation a été poursuivie sur lanature des liens entre stigmate et stéréo-types. Les travaux de psychologie socialeexpérimentale, ainsi ceux de John F.Dovidio notamment, sont illustratifs decette tendance. La définition que cetauteur donne du stigmate rejoint la notionde stéréotype. « Les stéréotypes sontimpliqués dans la stigmatisation dans lamesure où la réponse du percevant n’estpas simplement de nature négative (c’est-à-dire un dédain à l’égard d’une identitédévalorisée) mais vis-à-vis d’un ensemblespécifique de caractéristiques parmi lesgens qui portent le même stigmate »(Biernat et Dovidio, 2000).

Cette conception du stigmate« implique un label et un stéréotype, lelabel associant la personne à un ensemblede caractéristiques indésirables quiforment ce stéréotype » (Link et Phelan,2001). Cette tendance rejoint les proprestravaux de Bruce Link, qui a mené encollaboration des études expérimentalessur le stigmate psychiatrique. Parexemple, les mass media véhiculent uneimage des personnes hospitalisées pourtroubles mentaux comme étant violenteset imprévisibles. Cependant, le stigmatene peut être réduit à un stéréotypecomme le font quelques auteurs. Nombrede théorisations du stigmate voient aussiuniquement la stigmatisation comme unereprésentation sociale ou un stéréotype,réduisant la portée de ce concept.

LA SÉPARATION « EUX »-« NOUS »

Cette dimension du processus destigmatisation est souvent omise.Pourtant, de nombreux stigmates « conno-tent une séparation “eux” et “nous” »(ibid., p. 370). Ce processus de séparationest impliqué dans de nombreuses situa-tions qui font intervenir un contact entredes individus, des catégories et desgroupes stigmatisés et non stigmatisés. Ils’installe entre eux une distance sociale,selon le terme forgé par le sociologueEmory S. Bogardus (1925). Ainsi, dansl’approche du champ psychiatrique,plusieurs auteurs, et notamment Estroff(1981), ont relevé comment les maladessont souvent jugés « être la chose qu’ilssont étiquetés ». On parle de personnesqui sont alors « épileptiques », « schizo-phrènes », etc., plutôt que de les décrirecomme ayant une épilepsie ou un épisodeschizophrénique. Cette pratique révèle sacomposante de stigmatisation parcequ’elle installe une séparation et unedistance sociale. On peut rappeler quedans les années 1960, avec l’échelle dedistance sociale de Bogardus, Kalish(1966) avait montré que les préjugésétaient plus forts à l’égard des maladiesphysiques ou des maladies mentales qu’àl’égard des catégories ethniques ou reli-gieuses. Récemment, Lester a mêmemontré que la pire stigmatisation toucheles mourants et les suicidaires (Lester,1992/1993 ; Lester et Walker, 2006).Toutes les maladies seraient dès lors stig-matisantes, mais certaines le seraient plusque d’autres. Ainsi, les maladies qui fontl’objet d’un quatrième type de stigmate,

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catégorie ajoutée à la taxinomie deGoffman 5 par la sociologue Rose Weitz(1990), les maladies chroniques, conta-gieuses et/ou à issue fatale, peuvent êtreconsidérées comme produisant un puis-sant facteur de séparation « eux » –« nous ». Pour elle, à cet égard, « aucuneautre maladie physique dans la sociétéaméricaine ne charrie un stigmate aussisévère que le sida » (Weitz, 1990). Unedistance sociale s’établit entre lespersonnes affectées par ce type de mala-die (« eux ») et « nous » (indemnes de cesmaladies). On retrouve ce trait de sépara-tion dans les affections psychiatriques,lesquelles connotent aussi souvent cetteséparation « eux » – « nous ». Unepersonne qui a une maladie grave, ou donton ne connaît pas la cause, est mise dansle groupe antagoniste (« eux ») commeétant « sidéenne », « schizophrène »,« épileptique », etc.

La séparation « eux » – « nous » estun des traits fondamentaux du stigmate.Dans le secteur des relations soignantes(et particulièrement en psychiatrie), cetrait est consubstantiel à la création del’identité professionnelle de soignant. Onapprend ainsi aux novices (infirmier,psychologue, médecin) à ne pas s’identi-fier au patient, à contrôler leurs émotions,à mettre une distance avec lui, etc. Être

un professionnel, c’est s’interdire la proxi-mité avec le soigné et toute symétrie rela-tionnelle. La proximité n’est possible quesi elle est médiatisée par des attitudespaternalistes, la moquerie, le cynisme oula condescendance. Sauf exception, cesdistorsions des relations interpersonnellesdans les échanges entre soignants etsoignés sont des effets pervers des pré-requis de l’« ethos » professionnel. Onpeut penser que le stigmate est un traitstructural de la régulation morale desprofessions soignantes et par extensionde la société globale. Dans les profes-sions de santé, il est conditionné par lastructure asymétrique des échanges, desrôles et des statuts au niveau institution-nel. Comme tel, on peut juger cettedimension indélébile et irréductible.Sartorius, ancien président del’Association mondiale de psychiatrie,insiste particulièrement sur cette dimen-sion à combattre par l’éducation et laformation des professionnels.

LE POUVOIRET LES RELATIONS DE POUVOIR

« La stigmatisation est entièrementdépendante du pouvoir social, écono-mique et politique – il faut du pouvoirpour stigmatiser » (ibid., p. 375). Les

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5. Goffman, pour mémoire, distingue trois conditions « stigmatiques »,physiques, psychologiques et sociales : il y a d’abord les abominations du corps(malformations physiques, défiguration, laideur, handicap, etc.). Ensuite, on trouve les traits du caractère que l’auditoire attribue à des tendances de l’indi-vidu : manque de volonté, passion irrépressible ou antinaturelle, croyanceségarées ou rigides, malhonnêteté, etc. Elles sont inférées quand on sait qu’il estmalade mental, drogué, alcoolique, chômeur, homosexuel, prisonnier, suicidaire,gauchiste, etc. Enfin, il y a les stigmates tribaux : ceux de l’origine sociale,ethnique ou nationale, religieuse, on doit ajouter le statut social. Ils ont ceci decaractéristiques qu’ils peuvent se transmettre de génération en génération et« contaminent toute une famille ou un groupe » (Goffman, 1963/1975). À la findes années 1980, étudiant la question du sida, Rose Weitz a ajouté un quatrièmetype de stigmate, celui des maladies chroniques, contagieuses et/ou à issue fatale(Weitz, 1989, 1990).

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auteurs notent que s’il apparaît évident, lerôle du pouvoir dans les processus d’éti-quetage et de stigmatisation « estfréquemment négligé parce que, dansbeaucoup d’exemples, les différences depouvoir vont de soi au point d’apparaîtrenon problématiques » (ibid., p. 375).Mais le pouvoir est un agent « essentieldans la production sociale du stigmate »(ibid.). Cependant la recherche ensciences humaines et sociales n’a menépour le moment que peu d’investigationsempiriques sur le lien entre stigmate etpouvoir. À travers les notions de stigma-tiseurs, d’individus, catégories ougroupes « stigmatophobes », ou d’entre-preneurs de morale, on a tenté deconstruire des « concepts sensibilisa-teurs » (Van Den Hoonaard, 1997) pourpromouvoir une réflexion sur le rôle dupouvoir dans le processus d’étiquetage etde stigmatisation.

La question reste essentiellement àl’arrière-plan, implicite dans les travaux dela plupart des auteurs. Ce n’est que trèsrécemment, pour ce qui concerne l’inter-actionnisme symbolique, que des déve-loppements marquants ont été entrepris,afin de prouver que l’étiquetage impliqueune relation de pouvoir. Certainespersonnes ont des pouvoirs particulierssur les autres. Professeurs, travailleurssociaux, et surtout médecins, juges ont lepouvoir de nommer, de donner desétiquettes qui vont ensuite disqualifier lesgens. Divers spécialistes ont la capacitéde certifier que les gens sont déviants,conformes, normaux ou anormaux. Parmices « tiers stratégiques », médecins etjuges détiennent le pouvoir de nommer,pouvoir qui peut faciliter ou provoquer unglissement dans une carrière déviante, demalade mental ou de personne judiciari-sée à vie. L’étiquetage est souvent essen-tiellement une relation de pouvoir, dans

laquelle le dominé se soumet en accep-tant le jugement du dominant et la défini-tion que ce dernier donne de sa personne.

Dans le cas du stigmate psychia-trique, des individus ou des catégoriessans pouvoir, comme les personnes souf-frant de désordre psychiatrique sontstructuralement dans une relation asymé-trique avec les individus ou les groupesayant un pouvoir comme les médecins oules psychiatres, les travailleurs sociaux oules juges, les employeurs ou les bailleurs.Scheff (1966) et Schlosberg (1993)montrent ainsi que les professionnels dela psychiatrie devraient être sensibilisés àces questions en prenant conscience desoptions différentielles à se poser commestigmatiseurs ou déstigmatiseurs. Il s’agitau fond d’œuvrer pour qu’ils deviennentessentiellement déstigmatiseurs. Cela nepeut se faire qu’en promouvant uneconception non discriminatoire et nondéshumanisante de leurs modalités d’in-tervention.

LA PERTE DU STATUTET LA DISCRIMINATION

Comme conséquence de l’étique-tage et de la stigmatisation, les individus,les groupes ou les catégories stigmatisés,sont affectés de façon péjorative à desattributs qui font l’objet d’une sélection,d’un étiquetage social, d’une stratificationqui est fondée sur leur caractère moralmais aussi social. Ainsi, un individu, unecatégorie ou un groupe étiqueté et stig-matisé est souvent destiné à expérimen-ter une perte de statut et à subir uneinégalité de traitement.

De façon générale, la perte de statutimplique « une hiérarchisation descen-dante de la personne dans la stratificationdes statuts ». (Link et Phelan, 2001). Lapossession d’un statut perçu de façon

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dépréciative dans la société est corréla-tive d’une inégalité des chances expéri-mentée par les personnes qui présententdes différences et des déficiences suggé-rées par le stigmate. Dans la mesure où lestigmate est une marque d’infamie ou dedisgrâce, le signe d’un défaut moral, unetache causée par une conduite déshono-rante ou une caractérisation réprobatrice,la valeur de la personne qui est en réci-piendaire risque d’être considérée commemoindre dans la comparaison sociale. Ellerisque d’encourir une inégalité de traite-ment et toute forme de mépris social(Renault, 2000). Dans certains cas, ellepeut être traitée comme une « non-personne » et dépourvue de droit. Il existedes personnes sans droit, sans statut, defaçon réversible ou irréversible, voire sansidentité. Certains individus, catégories ougroupes sont dépourvus de droits, qu’ilssoient sociaux, légaux ou constitution-nels. À l’inverse, la privation de droitspeut être une punition dont le but est uneperte de statut ou de droits et unedestruction de l’identité sociale (Goffman,1963 ; Lacaze, 2006).

Classiquement, la discrimination estdéfinie comme « un acte comportemen-tal ou verbal négatif envers un individuou plusieurs membres d’un groupe socialà propos duquel il existe un préjugé néga-tif » (Scharnitzky, 2006). On peut distin-guer la discrimination individuelle et ladiscrimination institutionnelle (ou structu-rale). Dans la première, une personnedotée d’une caractéristique stigmatisanteva être l’objet d’un traitement attenta-toire et inégalitaire par autrui, dans le casd’un accès à certaines ressources quipeuvent lui être refusées en raison deson stigmate : refus de louer un apparte-ment ou d’embaucher quelqu’un sur labase d’une différence évaluée négative-ment et rejetée.

Dans la discrimination institution-nelle, les institutions « stigmatophobes »travaillent elles-mêmes à désavantager,pénaliser ou exclure certains individus,catégories ou groupes stigmatisés. Parexemple, dans le cas de la psychiatrie, lespouvoirs publics dévaluent eux-mêmesles institutions dédiées au traitement dudésordre mental, les professionnels etleurs attributs. De même la psychiatrieest, dans la hiérarchie des spécialitésmédicales, la branche de la médecine lamoins valorisée. Les hôpitaux psychia-triques ont été construits loin, hors desvilles, et ont été délabellisés « centrehospitalier », en ôtant l’adjectif « spécia-lisé », mais restent toujours des lieuxtabous de relégation (« chez les fous »).La psychiatrie communautaire milite pourla fermeture totale des institutions pourqu’on ne puisse plus jamais avoir l’idéequ’une personne qui souffre deproblèmes de santé mentale puisse êtrediscriminée, recluse et ségrégée.

LES ÉMOTIONS

Cette sixième composante a étéintroduite dans un article ultérieur (Link etcoll., 2004). Le rôle des émotions dansles processus de stigmatisation a été unthème longtemps négligé. Pourtant, lesréponses émotionnelles, tant celles desstigmatiseurs que celles des stigmatisés,s’avèrent critiques pour comprendre l’en-semble des processus impliqués dans lesprocessus d’étiquetage et de stigmatisa-tion. À cet égard, on peut se référer enparticulier à certaines recherches sur lesémotions (embarras, peur, pitié, colère,mépris, ressentiment ou honte), etmontrer leur impact sur le stigmatiseuret/ou le stigmatisé. Scheff, auteur de lapremière théorie de l’étiquetage dudésordre mental, par exemple, s’est lui-

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même revisité en intégrant le phénomènede la honte dans sa théorisation (Scheff,2003). Les philosophes Axel Honneth etEmmanuel Renault traitent du mépris etdu déni de reconnaissance (Honneth,1992 ; Renault, 2000), ClaudineHaroche, de l’humiliation (2007) et deleur expérience chez les stigmatisés.D’autres ont montré à l’inverse le rôle del’envie (Schoeck, 1966) ou du ressenti-ment (un thème initié au début duXXe siècle par Max Scheler), et que l’onretrouve chez les stigmatiseurs, notam-ment dans la xénophobie (Scheler,1912 ; Sanchez-Mazas, 2004). Une autreémotion comme le dégoût a fait l’objetd’investigations récentes (Royzman,Sabini, 2001 ; Pryor et coll., 2004) etpeut être légitimement associée à la ques-tion de la « pollution morale » (Douglas,1966) qu’évoque l’individu porteur d’unstigmate comme le trouble mental, etdont on veut se distancier. Globalement,le rôle des émotions est central, comme ill’est à l’égard du réexamen de l’analysestigmatique à travers la question del’auto-étiquetage 6.

Il faut signaler dans cette perspec-tive les travaux de Peggy A. Thoits(1985) sur la déviance émotionnelle. Ellesuggère une approche qui tend à prendreen compte la dimension de l’auto-étique-tage, une voie négligée par la rechercheinitiale. Son approche est fondée sur l’ob-servation que, selon elle, les gens quis’attribuent un trouble mental, unproblème psychiatrique, voire psycholo-

gique, expérimentent en fait une dévianceémotionnelle.

La déviance émotionnelle tend àinhiber la prise de rôle par l’auditoire, cequi aurait pour effet de rendre le compor-tement de la cible imprévisible ou incon-trôlable, lesquels traits sont en généraltraités comme une maladie mentale.Ainsi, des recherches en laboratoire ontmontré que les participants sont évaluéscomme perturbés et dangereux lorsqu’ilsmanifestent un comportement affectifinapproprié et se montrent « déviantsémotionnellement ». On note aussi l’importance relative des désordresémotionnels dans la symptomatologiepsychiatrique et la centralité desémotions dans l’imputation de maladiementale.

Il s’agit de rendre compte du phéno-mène jusque-là inexpliqué de la recherchevolontaire de traitement. L’observationintérieure, le soliloque ou colloque auto-expliquant et le recours à différentesformes d’aveu ou de confession peuventamener l’acteur individuel à repérer en luile lieu de la violation de certaines règlesémotionnelles dont la persistance renvoieà certains troubles résiduels ou émotionsqui paraissent déviantes. Les efforts d’in-terprétation révèlent parfois que cesémotions ne sont pas véritablementdéviantes et qu’elles peuvent s’expliquerpar certains aspects, non pris en compte,de leur situation. Mais si elles persistent,la probabilité d’un auto-étiquetage vaaugmenter. Thoits argue que l’échec à

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6. Un autre exemple d’explicitation du rôle des émotions dans les processus destigmatisation est traité par le criminologue australien John Braithwaite qui, pourremédier au stigmate pénal, développe la thèse de la « honte réintégratrice » etpropose de créer des « cérémonies de réintégration de l’identité », à l’inverse deGarfinkel et des « cérémonies de dégradation ». Il préconise le recours à la justicerétributive (Braithwaite, Mugford, 1994). La honte comme sentiment social estsusceptible alors de ramener la brebis galeuse dans le troupeau.

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transformer une émotion inappropriéemène à un travail émotionnel qui amène-rait les individus à vouloir normaliser leursémotions, se percevoir comme souffrantd’un désordre mental et à aller d’eux-mêmes consulter. L’auteure formule cettethèse après avoir identifié une déficiencedans la théorie de l’étiquetage de la mala-die mentale, à savoir son incapacité àexpliquer la recherche volontaire d’un trai-tement psychiatrique et son insistancetrop marquée sur les réactions coercitivesdes tiers. Elle énonce que « la désignationpublique de la violation des règles par unepersonne n’est pas nécessaire à l’émer-gence d’une identité déviante ; il peut yavoir un auto-étiquetage privé » (1985).

Dans cet article, j’ai cherché àprésenter et à mettre en perspective lesapports notables de la théorie de l’étique-tage modifiée 7. Un des axes essentielsde cette approche est de revisiter leconcept de stigmate. Un tel travailconceptuel et théorique est un détourincontournable pour tout professionnelqui cherche à comprendre la nature desprocessus d’exclusion et de discrimina-tion qui affectent les personnes stigmati-sées du fait d’être sujettes à un troublemental. On a pu montrer que le stigmatelié à la maladie mentale, en particulier, ades caractéristiques qui le rendent unique

par rapport aux autres stigmates. Commetel, il dévoile sa nature authentique etvéritable de « stigmate des stigmates »(Falk, 2001).

Ainsi, le développement d’une lutteanti-stigmate peut difficilement fairel’économie d’un effort de clarté concep-tuelle et de prise en compte de la natureprocessuelle et multidimensionnelle de ceconcept. Les efforts adressés pourcombattre la stigmatisation des maladiesmentales « reposent sur notre habileté àcomprendre les processus du stigmate,les facteurs qui produisent et entretien-nent ces processus » (Link, Yang, Phelan,Collins, 2004).

Avec le lancement de campagnes delutte anti-stigmate, l’enjeu d’un décou-page conceptuel précis de ces questionsest crucial. D’autant que l’idée selonlaquelle les handicapés souffrent de leurhandicap ou les patients psychiatriquesde leur maladie, et non d’ostracismesocial et de discrimination, est souventvalidée par les attitudes stigmatisantesdes professionnels eux-mêmes.

Selon Biklen, les stigmatisés courentcontinûment le risque de rester « captifsd’un traitement », d’« être médicalisés »,d’« être considérés comme un patient àperpétuité » et un objet de discrimi-nation : « La fabrication d’un patient

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7. Au niveau théorique et empirique, les tenants de la théorie de l’étiquetagemodifiée ont présenté un effort de systématisation, particulièrement à travers unethéorisation synthétique des processus de stigmatisation et contribué à revisiterle concept de stigmate lui-même. Ils ont aussi proposé un certain nombre d’ou-tils conceptuels inédits comme ceux d’« auto-stigmatisation » (Link, 1987), ou de« sentiments de stigmate » (Kroska, Harkness, 2006). Récemment les chercheursont effectué une analyse secondaire des études empiriques qui mesurent le stig-mate de la maladie mentale entre 1995 et 2003 (Link, Yang, Phelan, Collins,2004). Au niveau empirique, ils ont collaboré à la validation empirique d’uneÉchelle du stigmate intériorisé de la maladie mentale (Ritscher Otilingam, Grajales,2003) et effectué différentes enquêtes et mesures à partir du milieu des années1980 (Link et coll., 1989) qui mettent en évidence les dimensions du rejet dontsouffrent les personnes affectées de trouble mental.

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prend de nombreuses formes. Elle sedéroule, par exemple, à travers lediagnostic, la classification, l’étiquetage,et le placement » (Biklen, 1988). Tout enreconnaissant que ces personnes ontbesoin de services et de traitementsspécialisés, elles ne doivent pas pourautant devenir et être réduites à dessujets cliniques.

Le psychiatre suisse Asmus Finzen(1996) estime que la lutte anti-stigmatepasse par la reconnaissance que le stig-mate est une « seconde maladie », nonvue et occultée, qui s’enracine dans lespréjugés, les conceptions erronées àl’égard des troubles mentaux, les consé-quences négatives des traitements et laqualité de vie péjorative des personnesqui en sont affectées.

Un défi majeur est posé aux profes-sionnels de la santé mentale, celui des’ouvrir à la compréhension de cesphénomènes pour être plus efficacesdans la prise en charge des personnessouffrant de troubles mentaux. Il s’agitd’amener les professionnels, enseignantsou praticiens, qui sont confrontés à despopulations stigmatisées, à se positionnersur cette question centrale. AvecSchlosberg (1993) et Sartorius (2000), jevoudrais pour terminer inviter chacun às’interroger : agissons-nous comme stig-matiseurs ou comme déstigmatiseurs ?

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RÉSUMÉ

L’article est une contribution à la révi-sion du concept de stigmate. L’auteurfait un retour historique sur la théoriede l’étiquetage dont il présente lesaffirmations théoriques et les opposi-tions qu’elles suscitèrent. Les travauxde la théorie de l’étiquetage modifiéeforgée par Bruce Link et ses collabora-teurs ont opéré une révision-extensiondu concept de stigmate à partird’études dans le champ de psychiatrie.Ils s’attachent à mesurer les consé-quences du stigmate et la part de l’au-tostigmatisation chez les usagers de la

psychiatrie. Les six extensions concep-tuelles proposées par la théorie de l’éti-quetage modifiée (étiquetage –distance sociale – stéréotypisation –discrimination – pouvoir – émotions)sont présentées et argumentées. Lesimplications pour une politique anti-stigmate et les résistances qu’ellesoulève en psychiatrie sont discutéeset commentées.

MOTS-CLÉS

Goffman, stigmate, stigmatisation,interactionnisme symbolique, théoriede l’étiquetage, analyse conceptuelle,politique anti-stigmate, psychiatrie.

« THE MODIFIED LABELLING THEORY » :

OR « STIGMATIC ANALYSIS REVISITED ».

SUMMARY

This paper is a contribution to the revi-sion of the concept of stigma. Theauthor makes a historical return on thepremises of the labelling theory andthe oppositions it draw. Works of themodified labelling theory forged byBruce Link and collaborators bringabout a revision-extension of theconcept of stigma in the field ofpsychiatry. They aim at measuring theconsequences of stigma and the roleof self-stigma by the psychiatricconsumers. Six conceptual extensions(labelling – social distance – stereoty-pization – discrimination – power –emotions) are presented and outlined.The implications for an anti-stigmapolicy and the resistances it raises arediscussed and commented.

KEY WORDS

Goffman, stigma, stigmatization,symbolic interactionnism, labellingtheory, theoretical analysis, anti-stigma policy, psychiatry.

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