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CONFERENCES Aux sources de la violence. De l’enfance à l’adolescence, 8, 9 & 10 Octobre 2009, Paris. FFPP LA VIOLENCE EXTREME DE L’ENFANT : ORIGINE ET PRISE EN CHARGE Maurice Berger [[email protected]] Psychiatre, psychanalyste, chef de service de psychiatrie de l'enfant, CHU de Saint Etienne Ex-Professeur de psychopathologie de l'enfant, Université Lyon 2 Les services de pédopsychiatrie, les institutions éducatives, les écoles, et même les crèches, reçoivent de plus en plus d'enfants qui présentent une forme de violence que nous nommons « violence pathologique extrême », différente de l'agressivité normale, des violences groupales, et des violences sexuelles. Au cours d'un accès de violence individuel, l'enfant est comme habité, il frappe « jusqu'au bout », insensible à la parole, au compromis, au maternage, à la douleur d'autrui. Il n'éprouve aucune culpabilité et efface son acte et ses conséquences dès qu'il est terminé. Ces enfants n'ont pas la liberté interne de ne pas taper car la crise violente consiste en un moment de reviviscence hallucinatoire au cours duquel le psychisme de l'enfant est envahi par des images, sons, gestes, incorporés à la période préverbale. Ces sujets ne présentent pas de troubles psychotiques mais des zones psychotiques s'exprimant souvent dans le cadre d'une relation continue et signifiante avec autrui. Ce trouble trouve son origine dans les traumatismes psychiques répétitifs auxquels l'enfant a été soumis dans les deux premières années de sa vie, comme en témoigne l'apparition précoce de cette forme de violence. Il a pu s'agir de coups, de négligences graves, d'imprévisibilité et chaos de l'environnement, d'exposition à la folie parentale, à des scènes de violence conjugale, ou de longs séjours en pouponnière. Derrière ce comportement d'apparence « primitive », les processus psychiques en jeu sont particulièrement complexes et nous obligent à nous désabriter de nos théories habituelles. Ainsi, derrière ce qu'on a trop vite tendance à nommer « les troubles caractériels des enfants cas sociaux » apparaît un fonctionnement psychique non homogène avec une personnalité multiclivée ; indifférenciation présent-passé, Moi-non-Moi, Moi-autrui ; atteinte précoces des processus de pensée avec incapacité de jouer et de faire semblant ; troubles importants de la représentation de soi, souvent méconnus car cachés par le langage qui peut faire illusion ; processus dissociatifs. Derrière ces signes en « relief » existe une pathologie en « creux », la confrontation à l'esseulement lorsque le sujet est débordé par l'angoisse, sentiment de dévastation interne et d'agonie psychique. Le but des soins est triple : permettre au sujet d'accéder à une pensée différenciée afin qu'il distingue présent et passé, réalité et hallucination ; passer du désespoir au chagrin, c'est-à-dire être capable d'identifier ses émotions et ses vécus corporels et pouvoir les partager avec un adulte référent qui prendra un rôle de « témoin impliqué », sans crainte d'accompagner l'enfant dans les zones les plus désorganisées de son fonctionnement psychique ; contenir sa violence lorsqu'elle surgit en lui. Atteindre ces trois buts nécessite un dispositif thérapeutique contenant avec écoute intensive et spécifique. Mais il faut d'abord que l'enfant soit protégé d'éventuelles reviviscences hallucinatoires provoquées par le milieu familial... Enfin il faut une équipe qui ait réfléchi au préalable aux mouvements contre- transférentiels qu'induisent de tels sujets, dont la peur et notre propre violence. Archer, C. & Burnell, A. (2008). Traumatisme, attachement et permanence familiale. De Boeck : Bruxelles. Balier, C. & Prodolliet, B. (2009). Du sacrifice à la toute puissance. Les préalables de la relation à l'objet. Revue Française de Psychanalyse, 73, 1, 69-80. Berger, M. (2008). Voulons-nous des enfants barbares ? Paris : Dunod. Imloul, S. (2007). Enfants bandits ? Paris : Les Editions du Panama. Lacroix, M.B. (1999). Nous sommes tous des volés voleurs. In Enfants terribles, enfants féroces. Ramonville Saint- Agne : Erès.

LA VIOLENCE EXTREME DE L’ENFANT - ORIGINE ET PRISE EN CHARGE

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[[email protected]] Psychiatre, psychanalyste, chef de service de psychiatrie de l'enfant, CHU de Saint Etienne Ex-Professeur de psychopathologie de l'enfant, Université Lyon 2 • Berger, M. (2008). Voulons-nous des enfants barbares ? Paris : Dunod. • Imloul, S. (2007). Enfants bandits ? Paris : Les Editions du Panama. • Lacroix, M.B. (1999). Nous sommes tous des volés voleurs. In Enfants terribles, enfants féroces. Ramonville Saint- Agne : Erès. Maurice Berger

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CONFERENCES Aux sources de la violence. De l’enfance à l’adolescence, 8, 9 & 10 Octobre 2009, Paris. FFPP

LA VIOLENCE EXTREME DE L’ENFANT : ORIGINE ET PRISE EN CHARGE

Maurice Berger [[email protected]]

Psychiatre, psychanalyste, chef de service de psychiatrie de l'enfant, CHU de Saint Etienne Ex-Professeur de psychopathologie de l'enfant, Université Lyon 2

Les services de pédopsychiatrie, les institutions éducatives, les écoles, et même les crèches, reçoivent de

plus en plus d'enfants qui présentent une forme de violence que nous nommons « violence pathologique extrême », différente de l'agressivité normale, des violences groupales, et des violences sexuelles. Au cours d'un accès de violence individuel, l'enfant est comme habité, il frappe « jusqu'au bout », insensible à la parole, au compromis, au maternage, à la douleur d'autrui. Il n'éprouve aucune culpabilité et efface son acte et ses conséquences dès qu'il est terminé. Ces enfants n'ont pas la liberté interne de ne pas taper car la crise violente consiste en un moment de reviviscence hallucinatoire au cours duquel le psychisme de l'enfant est envahi par des images, sons, gestes, incorporés à la période préverbale. Ces sujets ne présentent pas de troubles psychotiques mais des zones psychotiques s'exprimant souvent dans le cadre d'une relation continue et signifiante avec autrui.

Ce trouble trouve son origine dans les traumatismes psychiques répétitifs auxquels l'enfant a été soumis dans les deux premières années de sa vie, comme en témoigne l'apparition précoce de cette forme de violence. Il a pu s'agir de coups, de négligences graves, d'imprévisibilité et chaos de l'environnement, d'exposition à la folie parentale, à des scènes de violence conjugale, ou de longs séjours en pouponnière. Derrière ce comportement d'apparence « primitive », les processus psychiques en jeu sont particulièrement complexes et nous obligent à nous désabriter de nos théories habituelles. Ainsi, derrière ce qu'on a trop vite tendance à nommer « les troubles caractériels des enfants cas sociaux » apparaît un fonctionnement psychique non homogène avec une personnalité multiclivée ; indifférenciation présent-passé, Moi-non-Moi, Moi-autrui ; atteinte précoces des processus de pensée avec incapacité de jouer et de faire semblant ; troubles importants de la représentation de soi, souvent méconnus car cachés par le langage qui peut faire illusion ; processus dissociatifs. Derrière ces signes en « relief » existe une pathologie en « creux », la confrontation à l'esseulement lorsque le sujet est débordé par l'angoisse, sentiment de dévastation interne et d'agonie psychique.

Le but des soins est triple : permettre au sujet d'accéder à une pensée différenciée afin qu'il distingue présent et passé, réalité et hallucination ; passer du désespoir au chagrin, c'est-à-dire être capable d'identifier ses émotions et ses vécus corporels et pouvoir les partager avec un adulte référent qui prendra un rôle de « témoin impliqué », sans crainte d'accompagner l'enfant dans les zones les plus désorganisées de son fonctionnement psychique ; contenir sa violence lorsqu'elle surgit en lui.

Atteindre ces trois buts nécessite un dispositif thérapeutique contenant avec écoute intensive et spécifique. Mais il faut d'abord que l'enfant soit protégé d'éventuelles reviviscences hallucinatoires provoquées par le milieu familial... Enfin il faut une équipe qui ait réfléchi au préalable aux mouvements contre-transférentiels qu'induisent de tels sujets, dont la peur et notre propre violence.

• Archer, C. & Burnell, A. (2008). Traumatisme, attachement et permanence familiale. De Boeck : Bruxelles. • Balier, C. & Prodolliet, B. (2009). Du sacrifice à la toute puissance. Les préalables de la relation à l'objet. Revue

Française de Psychanalyse, 73, 1, 69-80. • Berger, M. (2008). Voulons-nous des enfants barbares ? Paris : Dunod. • Imloul, S. (2007). Enfants bandits ? Paris : Les Editions du Panama. • Lacroix, M.B. (1999). Nous sommes tous des volés voleurs. In Enfants terribles, enfants féroces. Ramonville Saint-

Agne : Erès.