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Département Biologie, Pathologie et Sciences de l’aliment U.V. 54 : Immunologie, Bioagresseurs et Hôtes L’IMMUNITE MUQUEUSE Emmanuelle MOREAU Année scolaire 2011 - 2012

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Département Biologie, Pathologie et Sciences de l’aliment

U.V. 54 : Immunologie, Bioagresseurs et Hôtes

L’IMMUNITE MUQUEUSE

Emmanuelle MOREAU

Année scolaire 2011 - 2012

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L’IMMUNITÉ MUQUEUSE

Les objectifs d’apprentissage concernant l’histologie du système immunitaire muqueux sont considérés comme acquis. Objectifs A 1.Citer les mécanismes innés, non inductibles, de défense de la barrière muqueuse 2. Définir la notion de « système immunitaire commun aux muqueuses ». Définir et expliquer le phénomène de « homing » au niveau du système immunitaire muqueux. 3. Expliquer le déroulement de la réponse immunitaire muqueuse induite par un antigène administré par voie muqueuse 4. Citer et expliciter les différents moyens de défense non spécifiques et spécifiques présents au niveau des muqueuses Objectifs B 1. Citer précisément les molécules impliquées dans le phénomène de homing muqueux 2. Définir le phénomène de tolérance muqueuse et expliquer les mécanismes impliqués 3. Expliquer les avantages de la vaccination par voie muqueuse et ses difficultés de développement PLAN I. Les barrières muqueuses innées II. Organisation fonctionnelle du tissu lymphoïde associé aux muqueuses (MALT) II.1.Anatomie et histologie du MALT

II.1.1. Les sites inducteurs II.1.2. Les sites effecteurs

II.2 Recirculation des lymphocytes - phénomène d’écotaxie II.2.1 Cas général – rappels II.2.2. Cas du système immunitaire commun muqueux III. Réaction immunitaire induite par un antigène pénétrant par voie muqueuse III.1. Réaction immunitaire muqueuse III.1.1. Synthèse et fonctions des IgA sécrétoires III.1.1.a. Synthèse des IgA sécrétoires III.1.1.b. Fonctions des IgA sécrétoires III.1.2. Fonctions des mastocytes III.1.3. Fonctions des lymphocytes T dans la réponse immune muqueuse

III.2. La tolérance muqueuse III.3. Application : la vaccination par voie muqueuse

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L’IMMUNITÉ MUQUEUSE Les surfaces muqueuses représentent une aire de contact importante avec l’environnement (chez l’Homme, la surface muqueuse a été estimée à 500 m2). Ce sont les principales portes d’entrée des antigènes et des agents pathogènes. Au niveau de la plupart des muqueuses est présent un système immunitaire organisé en follicules lymphoïdes isolés ou agrégés et en tissu lymphoïde disséminé : c’est le MALT (tissu lymphoïde associé aux muqueuses). Ainsi on trouve ce tissu lymphoïde au niveau du tube digestif (= GALT), au niveau de la sphère nasopharyngé (= NALT), au niveau de l’appareil bronchoalvéolaire (= BALT), au niveau de l’œil, du tractus génital, de la glande mammaire… Le système immunitaire muqueux et le système immunitaire systémique forment 2 compartiments distincts par :

-la nature des cellules immunocompétentes présentes (Lymphocyte (Lp) B à IgA, LpTγδ, mastocytes…)

-la nature des anticorps présents : des IgA sécrétoires principalement -la recirculation des lymphocytes muqueux après une 1ère immunisation pour

recoloniser préférentiellement les territoires muqueux Le système immunitaire des muqueuses a 3 grandes fonctions : -protéger les surfaces muqueuses contre la colonisation et l’invasion des bioagresseurs (rôle d’exclusion) -prévenir l’internalisation de bactéries commensales ou d’antigènes non dégradés comme les protéines dérivées de l’alimentation -empêcher le développement de réactions inflammatoires non désirées contre certains antigènes qui franchissent la barrière épithéliale Ce système immunitaire muqueux joue un rôle important dans la tolérance muqueuse, phénomène ayant un rôle important dans l’homéostasie, mais représentant un frein au développement de vaccins administrés par voie muqueuse. I.Les barrières muqueuses innées Cf §II.1. du polycopié « présentation du système immunitaire et de la réponse immunitaire ». Cette barrière muqueuse naturelle est extrêmement efficace. Ainsi, beaucoup de bioagresseurs ne pourront pénétrer au sein de l’organisme qu’à la faveur d’une altération de cette barrière. Ils stimuleront alors un 2ème niveau de défense : le système immunitaire muqueux. II. Organisation fonctionnelle du tissu lymphoïde associé aux muqueuses (MALT) II.1.Anatomie et histologie du MALT L’organisation histologique du MALT a été étudiée dans l’UV 55 « Histologie animale ». Sur un plan fonctionnel, le MALT peut être divisé en 2 sites :

- le site inducteur, où a lieu l’induction de la RI (activation des lymphocytes naïfs par des cellules présentatrices d’antigène)

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- le site effecteur où sont produits les anticorps et les cellules effectrices contrôlant localement les bioagresseurs

II.1.1. Les sites inducteurs Dans le MALT, les sites inducteurs sont des formations spécialisées contenant les éléments cellulaires nécessaires à l’induction d’une réponse immunitaire (LpT, LpB, cellules dendritiques), situés notamment à des niveaux où la probabilité de rencontre avec l’antigène est élevée. Ce sont, par exemple, les plaques de Peyer du tube digestif (intestin grêle), les amygdales ou des follicules lymphoïdes disséminés. Ces formations lymphoïdes ne sont donc pas drainées par des vaisseaux lymphatiques afférents : l’antigène provient directement de la surface muqueuse. Ainsi, l’épithélium muqueux recouvrant ces formations lymphoïdes est tout à fait caractéristique, avec notamment des cellules M (Microfold cell) qui capturent les antigènes sans les dégrader et qui les transmettent aux cellules présentatrices d’antigènes sous-jacentes.

II.1.2. Les sites effecteurs Au niveau des sites effecteurs, les cellules se répartissent entre 2 compartiments différents :

- les cellules de la lamina propria : ce sont les cellules stimulées effectrices ou mémoires issues des sites inducteurs, qui achèvent à ce niveau leur différenciation. On trouve donc des plasmocytes producteurs d’IgA, des LpT helper (CD4+) et des cellules cytotoxiques (LpT CD8+, ¢ NK…). Sont présents également des mastocytes.

- les lymphocytes intra-épithéliaux (LIE) : ce sont des lymphocytes différents des

lymphocytes circulants : sont présents un grand nombre de lymphocytes CD8+ (60%) et de lymphocytes ayant un TCR γδ (30%). Ils ont surtout une activité cytotoxique. Les lymphocytes γδ seraient des lymphocytes « primitifs » capables d’une réaction rapide envers les antigènes et les cellules épithéliales à caractère viral ou tumoral (le mécanisme d’activation de ces lymphocytes est différent de celui des lymphocytes TCRαβ). Ces lymphocytes ne participent pas à l’induction d’une réponse immunitaire car ils ne sont pas localisés au niveau des tissus lymphoïdes mais ils constituent une 1ère ligne de défense.

II.2 Recirculation des lymphocytes - phénomène d’écotaxie II.2.1. Cas général - Rappels Chaque cellule de l’immunité adaptative porte une spécificité qui lui est propre et est donc unique. Les cellules d’une spécificité donnée sont en faible nombre (chez l’homme, il a été dénombré environ 1012 lymphocytes représentant 108 – 1010 clones différents). De plus, les lymphocytes rencontrent l’antigène et combattent le bioagresseur dans des sites géographiques différents. Il faut donc que les lymphocytes circulent dans tout l’organisme afin d’assurer sa surveillance et entre ces différents sites pour que la réponse adaptative ait lieu. Ceci est permis par les phénomènes de recirculation et d’écotaxie.

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La recirculation des lymphocytes va permettre d’augmenter la probabilité de rencontre avec leurs antigènes spécifiques. Mais alors que les lymphocytes naïfs accèdent aléatoirement aux tissus lymphoïdes périphériques durant la recirculation, les lymphocytes mémoires retournent sélectivement dans les tissus dans lesquels les lymphocytes dont ils sont issus ont été stimulés la 1ère fois et donc là où ils ont le plus de chance de l’y rencontrer de nouveau. Les cellules effectrices se localisent préférentiellement au niveau des sites effecteurs correspondant aux sites inducteurs où a eu lieu la rencontre avec l’antigène pour y accomplir leurs fonctions. Définitions :

Recirculation des lymphocytes : elle correspond à l’ensemble des mouvements des lymphocytes entre les différents organes lymphoïdes secondaires et entre les organes lymphoïdes secondaires et les tissus sièges de l’inflammation.

Ecotaxie = homing = domiciliation = adressage : cela correspond au processus qui conduit les lymphocytes à aller peupler un territoire plutôt qu’un autre Le passage des lymphocytes vers les tissus lymphoïdes se fait au niveau de l’endothelium spécialisé (cellules endothéliales cuboïdes) des veines endothéliales hautes (High Endothelium Venule HEV). Le phénomène d’écotaxie correspond donc à une spécificité tissulaire permise par :

- des molécules permettant le passage des HEV : des récepteurs de homing sur les lymphocytes et des adressines sur les cellules endothéliales des HEV. - des chimiokines produites par les cellules tissulaires (organe lymphoïde ou tissu inflammé) et leurs récepteurs présents sur les lymphocytes.

L’expression ou la synthèse de ces molécules dépendent : -des lymphocytes, de leur état d’activation, de leur stade de différenciation -de la localisation des HEV.

-des modifications de l’endothélium induites par des cytokines dans les ganglions stimulés et dans les tissus sièges de l’inflammation. L’expression naturelle ou induite d’une mosaïque d’adressines par les cellules endothéliales de différents tissus peut être comparé à un code postal qui est reconnu par les contre-structures correspondantes (molécules de homing) des différentes populations de lymphocytes à l’état basal et de l’ensemble des leucocytes lors des réactions inflammatoires. La compréhension du phénomène d’ecotaxie a évolué d’une vision simpliste d’un homing gouverné par une interaction unique d’un couple récepteur de homing / adressine dont la spécificité de distribution tissulaire dicte la spécificité de migration vers un mécanisme en plusieurs étapes associant séquentiellement une combinaison unique choisie parmi un répertoire de 3 sélectines, une 20e de chimiokines et 4-5 intégrines. L’unicité de la combinaison dicte la spécificité de migration. III.2.5. Cas du système immunitaire commun muqueux Le homing muqueux englobe la recirculation des lymphocytes vers les tissus lymphoïdes organisés (tels que les plaques de Peyer) et les tissus lymphoïdes non organisés (la lamina propria). Il a été étudié surtout au niveau de la muqueuse du tube digestif.

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Les cellules immunes naïves quittent la circulation sanguine vers les Plaques de Peyer (PP) à travers les HEV. Si elles rencontrent leur antigène dans les PP, elles quittent rapidement le GALT, via les vaisseaux lymphatiques efférents, vers les nœuds lymphatiques mésentériques dans lesquels les étapes de maturation vont se poursuivre. Ces cellules passent ensuite dans la circulation sanguine générale par l’intermédiaire du canal thoracique et retourne dans le compartiment muqueux, au niveau du site effecteur (lamina propria) et préférentiellement vers le site muqueux où a eu lieu le 1er contact antigénique (écotaxie). Certains des lymphocytes qui entrent dans la lamina propria sont ensuite dispersés tout le long de l’épithélium du TD. Ceci facilite l’établissement d’une protection générale à l’ensemble du tube digestif. Enfin, ces mêmes lymphocytes peuvent se localiser au niveau des autres secteurs muqueux, permettant une protection des autres muqueuses. Sur la figure 2 sont schématisés les circuits de circulation des lymphocytes du site inducteur au site effecteur au niveau du tube digestif..

Figure 2 : circulation des lymphocytes du site inducteur au site effecteur du GALT (B = lymphocyte B, T = lymphocyte T, P = plasmocyte) Le homing muqueux nécessite l’expression de molécules de homing et des molécules d’adhésion propres aux muqueuses. Ainsi, au niveau du GALT, la molécule MAdCAM1, présente uniquement au niveau des cellules endothéliales des HEV des plaques de Peyer, des ganglions mésentériques, de la lamina propria du TD et de la glande mammaire (on ne la trouve pas au niveau des ganglions périphériques), se lie à l’intégrine α4β7 que l’on ne trouve que sur les lymphocytes activés dans les OL2 associés aux muqueuses. Ces derniers sont attirés au niveau de la lamina propria du TD par la chimiokine CCL25 car ils expriment son récepteur CCR9. D’autres molécules sans spécificité tissulaire claire (par exemple

P

P

IgA

IgA

IgA

IgA

IgA

T T

B B

NL mésentérique

Canal thoracique

Secteur sanguin

autres secteursmuqueux

SI général

Lamina propria

P

IgA

P

IgACellule M

Plaque de Peyer

CPA

Antigène

Capture et présentation de l’antigèneActivation lymphocytaire

Site inducteur Site effecteur

T

T

T

T

T

T

T

T

T

T

TT

T

T

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l’interaction LAF1-ICAM1 ou CD2-LFA3), sont nécessaires et permettent aux lymphocytes stimulés dans les territoires muqueux de peupler également des territoires périphériques. Il existe des compartiments au sein du système immunitaire commun aux muqueuses. Ainsi, le tube digestif et le tractus respiratoire sont très indépendants et, si le site inducteur de la réponse immunitaire est le tractus respiratoire, les réponses immunitaires induites seront distribuées au niveau de ce tractus respiratoire mais très peu au niveau de la muqueuse intestinale. En revanche, d’autres compartiments muqueux, même éloignés anatomiquement, sont reliés entre eux, comme le montre la figure 4.

Figure 4 : régionalisation au sein du système immunitaire muqueux, montrant les territoires muqueux atteints (à droite) en fonction du site inducteur (à gauche) de la réponse immunitaire (Brantzaeg P., 2007) Par exemple, l’immunisation par voie orale induit une réponse anticorps surtout au niveau de tout le tube digestif mais également au niveau de la glande mammaire et du tractus uro-génital. Enfin, le système immunitaire muqueux et le système immunitaire systémique ne sont pas totalement séparés, notamment au niveau du tractus respiratoire où plusieurs molécules de

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homing sont partagées par les 2 systèmes. D’une façon générale, l’administration d’un antigène par voie parentérale entraîne essentiellement une RI générale (la RI muqueuse est faible, voire nulle) alors que son administration par voie muqueuse peut induire une RI muqueuse mais également une RI générale significative. III. Réaction immunitaire induite par un antigène pénétrant par voie muqueuse La réponse immunitaire à un antigène administré par voie muqueuse peut être exprimée par (figure 5) : -une réaction immunitaire muqueuse avec synthèse d’IgAs, intervention des lymphocytes, dégranulation des mastocytes… Elle peut être localisée au niveau du site où la rencontre avec l’antigène a eu lieu mais également généralisée aux autres territoires muqueux.

-une réponse immunitaire systémique avec développement d’immunoglobulines sériques et d’une réaction cellulaire

-une tolérance avec une « non-réponse » immunologique systémique.

Figure 5 : réaction immunitaire induite par l’introduction d’un antigène par voie muqueuse

Antigène

Réaction muqueuse localiséeIgALpTRéaction muqueuse généraliséeIgA, LpT dans d’autres territoiresmuqueux

Réaction systémiqueAc sériques LpT

Tolérance orale

IgA +++

Surface muqueuse

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III.1. Réaction immunitaire muqueuse III.1.1. Synthèse et fonctions des IgA sécrétoires III.1.1.a. Synthèse des IgA sécrétoires (figure 6) Les muqueuses et les glandes exocrines hébergent le plus grand complexe immunitaire humoral actif de l’organisme qui comprend de 80 à 90% des plasmocytes. Les plasmocytes de la lamina propria produisent majoritairement des IgA sécrétoires. Les IgA dimériques reliées entre elles par une pièce J (= pIgA : polymeric IgA) se lient au récepteur pIgR présent à la surface basolatérale des cellules épithéliales. Après endocytose du complexe, il est transporté par l’appareil de Golgi vers la surface apicale des cellules épithéliales. Il y a alors clivage du pIgR dont une partie reste fixée à l’IgA dimérique pour former la pièce sécrétoire, élément permettant de stabiliser les IgA à la surface des muqueuses riches en enzymes. L’ensemble forme l’IgA sécrétoire (IgAs). III.1.1.b. Fonctions des IgA sécrétoires Le rôle fondamental des IgAs est de former une barrière contre les bioagresseurs : elles ont un effet d’exclusion immunitaire. Ainsi les IgAs vont neutraliser l’adhésion des agents pathogènes à la surface des muqueuses et leur pénétration. Par exemple, les IgAs vont agglutiner les bioagresseurs, permettant leur entraînement par le mucus et leur élimination, se fixer sur des adhésines (-> blocage de l’adhésion), sur des flagelles (-> blocage de la mobilité), sur des produits bactériens (-> blocage de l’action de la toxine)… Les IgA peuvent également intervenir en permettant de reconduire vers l’espace luminal les bioagresseurs qui ont pénétrés par transcytose Les IgA peuvent avoir un rôle dans la neutralisation intracellulaire des virus, en les capturant au cours de leur transport à travers les cellules épithéliales. Les IgAs peuvent également avoir un rôle de promotion de la phagocytose et de la cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps. En revanche, les IgAs n’ont pas d’activités inflammatoires car elles sont incapables d’activer la voie classique du complément et peu efficaces pour activer la voie alterne. Ainsi les tissus muqueux ont tendance à rester au repos même en présence d’interactions antigène-IgAs. Ceci est important compte tenu de l’exposition massive des surfaces muqueuses aux substances étrangères. Remarque : d’autres immunoglobulines sont présentes dans les sécrétions : les IgM, qui sont surtout importantes en cas de déficit en IgAs et qui ont des fonctions similaires aux IgAs, des IgG et des IgE (cf paragraphe III.1.2). Contrairement aux IgAs, ces immunoglobulines ont des activités inflammatoires en activant le système du complément ou en permettant la dégranulation des mastocytes muqueux.

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Figure 6 : synthèse des IgA sécrétoires

Lamina propria

Cellule épithélialemuqueuse

LumièreSécrétion

Plasmocyte à IgA

pIgApIgR

IgAs sécrétoire

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III.1.2. Fonctions des mastocytes et des IgE Les mastocytes muqueux interviennent principalement dans les réactions de type 1, suite à leurs dégranulations et à la libération de divers médiateurs à activités inflammatoires. La dégranulation des mastocytes est induite par une agrégation des IgE positionnées à la surface des mastocytes sur leurs récepteurs suite à la fixation d’antigènes au moins divalents au niveau de leurs fragments Fab (figure 7). Une dégranulation non IgE dépendante peut être également induite par les anaphylatoxines C3a et C5a, par des lectines, des neuropeptides… La dégranulation des mastocytes muqueux entraîne la libération de médiateurs contenus dans leurs granules tels que l’histamine et la synthèse de médiateurs dits « tardifs » quelques heures plus tard tels que les dérivés de l’acide arachidonique (prostaglandines et leucotriènes). Ces médiateurs ont une activité principalement inflammatoire conduisant à : -la contraction des fibres musculaires lisses des voies muqueuses ou du tube digestif -une augmentation de sécrétion de mucus -une vasodilatation -une augmentation de la perméabilité vasculaire -une attraction des cellules immunitaires et notamment des granulocytes neutrophiles. Tout ceci permet un recrutement des cellules et molécules nécessaires à l’élimination des agresseurs présents au niveau des muqueuses. Parfois ce mécanisme est exacerbé ou dirigé contre un antigène « non pathogène » tel qu’un antigène alimentaire par exemple, menant à une réaction pathologique d’hypersensibilité de type 1 (= anaphylactique).

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Figure 7 : dégranulation des mastocytes IgE dépendante

pontage des IgEagrégation des RFcε

antigènes

+

Mastocyte

IgERFcε

Dégranulation Libération d’histamine Production des dérivés de l’acide arachidonique - contraction des fibres musculaires lisses - A° sécrétion de mucus - vasodilatation - A° perméabilité vasculaire - chimiotactisme

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III.1.3. Fonctions des lymphocytes T dans la réponse immune muqueuse Les lymphocytes T effecteurs de la lamina propria sécrétent des cytokines de type Th1 mais surtout de type Th2 qui agissent sur les lymphocytes B qui se différencient alors en cellules productrices d’IgA (sous l’action de l’IL5 et du TGFß notamment). Des lymphocytes T CD8 et γδ sont également présents. Les lymphocytes intraépithéliaux ont plusieurs rôles :

- activité cytotoxique (destruction des cellules épithéliales infectées ou recouvertes de toxines par exemple),

- sécrétion d’IFNγ qui induit l’expression de molécules de classe 2 du CMH sur les cellules épithéliales qui deviennent alors capables de présenter l’antigène par les CMH2,

- intervention dans le développement de la tolérance muqueuse

Ces LIE représenteraient la 1ère barrière cellulaire contre les bioagresseurs.

III.2. La tolérance muqueuse Au cours de la réponse immunitaire muqueuse, la synthèse d’IgAs est le fait le plus marquant mais d’autres éléments interviennent : autres immunoglobulines, LIE, mastocyte… Mais au niveau des muqueuses, un phénomène de tolérance muqueuse peut être également induit lorsqu’est introduite une molécule étrangère mais considérée comme non pathogène (molécule alimentaire par exemple). Ce phénomène est surtout observé au niveau de la muqueuse digestive. En effet, le GALT doit protéger l’hôte des invasions par des bioagresseurs, tout en permettant le transfert des antigènes alimentaires. Ce phénomène de tolérance est alors physiologiquement important car il permet le maintien de l’homéostasie dans un environnement riche en antigènes (antigènes alimentaires, antigènes de l’environnement, antigènes des microorganismes de la flore commensale…) en évitant les réactions immunitaires contre tous ces antigènes. Si le phénomène de tolérance muqueuse n’existait pas, les tissus muqueux seraient constamment dans un état inflammatoire. La tolérance muqueuse est une tolérance acquise périphérique, spécifique d’un antigène. Ainsi, un des moyens pour induire une tolérance périphérique à un antigène est d’administrer cet antigène par voie orale. Plusieurs mécanismes sont impliqués dans la tolérance muqueuse : -la suppression active : il y a stimulation de cellules T suppressives qui produisent des cytokines anti-inflammatoires telles que l’IL10 ou le TGFß (produites par les lymphocytes T régulateurs 1 et les lymphocytes Th3 respectivement). Ceci aurait pour effet d’inhiber la réaction inflammatoire dans les tissus où l’antigène est présent et donc d’empêcher le recrutement des cellules effectrices à ces niveaux -l’anergie cellulaire (état de non réponse) : les LIE activés produisent de l’IFNγ qui induit l’expression de CMH2 sur les cellules épithéliales. Celles-ci deviennent alors capables de présenter l’antigène aux LIE mais sans les interactions entre molécules accessoires indispensables à l’activation des lymphocytes. Ceci conduit à leur anergie -la délétion de clones de cellules T spécifiques de certains antigènes

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Il semble également que certaines populations de cellules dendritiques, présentes au niveau des muqueuses, soient intrinsèquement tolérogènes. Cette tolérance muqueuse représente une barrière immunologique au développement des stratégies d’immunisation par voie muqueuse, à cause de l’induction possible d’une suppression de la réaction systémique vis à vis de l’antigène vaccinal, effet opposé de celui recherché. En revanche, le traitement de maladies autoimmunes ou de maladies dues à des phénomènes d’hypersensibilités et la préparation de transplantations par l’induction d’une tolérance orale ont été rapportés et font l’objet de recherches intenses. III.3. Application : la vaccination par voie muqueuse La vaccination consiste à mettre en contact un antigène avec le système immunitaire d’un individu afin de stimuler une réponse immunitaire protectrice. Ces vaccins peuvent être administrés par voie parentérale ou par voie muqueuse. La vaccination par voie muqueuse est assez peu développée. En médecine vétérinaire, ces vaccins sont surtout développés chez les espèces aviaires, par administration du vaccin par voie orale, par voie oculaire ou par voie respiratoire. Il existe également des vaccins administrés par voie nasale contre la toux de chenil (Bordetella bronchiseptica, Parainfluenza) chez le chien, par voie conjonctivale contre la brucellose (Brucella melitensis) chez les ovins et les caprins, par voie orale contre les rotaviroses et les coronaviroses des veaux, par voie orale contre la rage chez le renard… Ce sont tous des vaccins à agents atténués. La vaccination par voie muqueuse a deux objectifs principaux :

- stimuler une réponse immunitaire locale afin - de lutter contre les bioagresseurs qui ont pour cible principale les muqueuses,

pour lesquels la protection muqueuse est la seule efficace (Rotavirus, Parainfluenza, Orthomyxovirus…)

-,ou de bloquer la pénétration des bioagresseurs dans l’organisme et donc d’arrêter le processus infectieux dès sa phase initiale - stimuler une réponse immunitaire systémique pour lutter contre les bioagresseurs à pathogénie systémique. La vaccination par voie muqueuse est alors surtout utilisée pour son côté pratique (ex : vaccination par voie orale des renards contre la rage, vaccination collective en élevage aviaire…).

L’immunisation muqueuse a donc plusieurs avantages par rapport à l’immunisation parentérale :

- les muqueuses représentant la porte d’entrée de nombreux bioagresseurs, la vaccination par voie muqueuse permet donc de les arrêter très précocément

- pour certains bioagresseurs dont la protection muqueuse est la seule efficace, la vaccination par voie parentérale n’induit qu’une protection partielle et de courte durée

- grâce au phénomène de homing, il est possible d’immuniser, à partir d’un site inducteur muqueux, un grand nombre de sites effecteurs muqueux

- la voie muqueuse permet d’obtenir une réponse immunitaire forte et rapide, à la fois muqueuse et systémique.

- les vaccins par voie muqueuse sont souvent plus facile à administrer, permet de vacciner des animaux sauvages et à l’échelle collective dans les élevages (élevage aviaire et

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piscicole essentiellement) et permet d’éviter l’utilisation de matériels parfois difficiles à éliminer telles que les aiguilles. Malgré ces avantages, la vaccination par voie muqueuse est assez peu développée, essentiellement du fait de deux difficultés majeures : - la quantité d’antigènes absorbée au niveau des muqueuses est faible, du fait de la présence d’une barrière naturelle très efficace qui empêche l’accession de l’antigène au système immunitaire muqueux (mucus, cils, mouvement péristaltique…) et qui peut le dégrader (enzymes, pH acide…). Or pour stimuler une réponse immunitaire, l’antigène doit persister suffisamment longtemps dans l’espace luminal pour être capté et présenté aux cellules immunocompétentes

- l’induction d’une tolérance périphérique induite par l’administration d’un antigène par voie muqueuse et surtout par voie orale

Actuellement le développement de « vaccins muqueux » fait l’objet de nombreuses recherches et des stratégies vaccinales permettant de surmonter les difficultés précédemment citées sont proposées :

- le développement de système permettant de protéger l’antigène lors de son transfert jusqu’aux sites inducteurs : - l’utilisation d’adhésine : soit utiliser comme antigène vaccinal des adhésines du bioagresseurs qui permettent l’adhésion de l’antigène à l’épithélium muqueux, soit coupler l’antigène vaccinal à une protéine adhésive telle que la sous-unité B de la toxine cholérique - l’utilisation de microparticules ou de biovecteurs (ex : microsphères, ISCOM, protéasome…) : ce sont des complexes polymériques qui permettent d’encapsuler l’antigène et de le protéger - l’utilisation de vaccins vectorisés : le gène de l’antigène vaccinal est inséré dans le génome d’un microorganisme (ex : poxvirus) qui produira alors l’antigène d’intérêt - le développement d’adjuvants augmentant l’immunogénicité des antigènes administrés par voie muqueuse (ex : toxine cholérique, toxine thermolabile d’E. coli, motif CpG (motif cytosine non méthylé – phosphate – guanosine)…)

- le développement de vaccins ADN (cf cours sur les différents types de vaccins)

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Outre les barrières naturelles extrêmement efficaces, au niveau de la majorité des muqueuses est présent un système immunitaire relativement indépendant du système immunitaire périphérique. La réponse immunitaire suite à l’administration d’un antigène par voie muqueuse peut se diviser en plusieurs étapes : -au niveau du site inducteur, l’antigène est capté par les cellules M et présenté aux lymphocytes qui sont activés -les lymphocytes quittent alors le site inducteur pour rejoindre par les voies lymphatiques les ganglions lymphatiques drainant le site de contact avec l’antigène, où ils poursuivent leur maturation -ils rejoignent ensuite la circulation sanguine par l’intermédiaire du canal thoracique -enfin ils passent au niveau des sites effecteurs où ils terminent leur différenciation. Le passage de la circulation sanguine vers les sites effecteurs se fait au niveau de cellules endothéliales spécialisées présentes au niveau des veinules post-capillaires (HEV). Le passage des lymphocytes n’est pas aléatoire : les lymphocytes activés au niveau muqueux vont dans un grand nombre de sites effecteurs muqueux et préférentiellement au niveau de la muqueuse où a eu lieu le contact antigénique : c’est le phénomène de homing. Ce phénomène de homing est permis par des interactions moléculaires entre le lymphocyte et les cellules endothéliales des HEV. La stimulation antigénique muqueuse permet le développement de 3 types de réponse -une réponse immunitaire muqueuse localisée à la muqueuse où a eu lieu le contact antigénique mais aussi généralisée à toutes les autres muqueuses -une réponse immunitaire systémique -une tolérance périphérique acquise, spécifique de l’antigène Ce phénomène de tolérance muqueuse a un rôle dans l’homéostasie dans un environnement potentiellement inflammatoire du fait du contact avec de très nombreux antigènes (antigènes alimentaires, antigènes de l’environnement inhalés, antigènes des microorganismes de la flore commensale…). Au niveau des muqueuses, les principaux effecteurs de la réponse immunitaire sont -les IgA sécrétoires qui permettent une exclusion immune (prévention de l’entrée des antigènes dans l’organisme) et une élimination immune (élimination des antigènes qui ont pénétré) -les mastocytes, qui, en dégranulant sous l’action des IgE ou d’autres substances, libèrent des substances inflammatoires et vasoactives -les lymphocytes T de la lamina propria qui ont pour effet essentiel de réguler la synthèse des IgA par les lymphocytes B -les lymphocytes intraépithéliaux qui ont une activité cytotoxique importante et qui représente la 1ère ligne de défense cellulaire des muqueuses. Une des applications de cette réponse immunitaire muqueuse est la vaccination par voie muqueuse. Malgré ses nombreux avantages (blocage de l’agent dès la phase initiale de l’infection, immunisation de tous les secteurs muqueux, induction d’une réponse à la fois locale et générale, facilité d’administration…), cette vaccination n’est que peu développée car difficile à mettre au point (persistance trop courte de l’antigène au niveau muqueux du fait des barrières naturelles et développement d’une tolérance à l’antigène vaccinal).

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