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EHESS L'axe Moscou-Ankara. Les relations turco-soviétiques de 1919 à1922 Author(s): Paul Dumont Source: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 18, No. 3 (Jul. - Sep., 1977), pp. 165-193 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27669451 . Accessed: 16/06/2014 13:23 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du Monde russe et soviétique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.174 on Mon, 16 Jun 2014 13:23:02 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'axe Moscou-Ankara. Les relations turco-soviétiques de 1919 à 1922

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EHESS

L'axe Moscou-Ankara. Les relations turco-soviétiques de 1919 à1922Author(s): Paul DumontSource: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 18, No. 3 (Jul. - Sep., 1977), pp. 165-193Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27669451 .

Accessed: 16/06/2014 13:23

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ARTICLES

PAUL DUMONT

L'AXE MOSCOU-ANKARA

Les relations turco-so viatiques ^1919^1922

Face aux men?es des ? puissances imp?rialistes

? en Asie Mineure et dans le Caucase, l'alliance avec la R?publique des Soviets fut, on le

sait, une des id?es ma?tresses de la strat?gie k?maliste. Les liens qui s'?tablirent entre la Russie et la Turquie nationaliste au cours de la

guerre d'Ind?pendance furent si ?troits que les chancelleries de l'Entente redout?rent s?rieusement ?

jusque vers la fin de l'ann?e 1920 tout au moins ?

que l'Anatolie ne fin?t par embrasser le bolchevisme. Qu'en fut-il au juste de ce ? p?ril rouge ? qui causa tant de sueurs froides aux

diplomates fran?ais et anglais ? Telle est la question ? laquelle nous nous efforcerons de r?pondre dans les pages qui suivent.

Pourquoi rouvrir ce dossier ? Tout simplement parce qu'en d?pit des nombreux travaux qui ont d?j? ?t? consacr?s au sujet1, l'histoire des relations turco-russes demeure aujourd'hui encore fort mal connue. Pour

quelques ?tudes pertinentes, mais h?las vieillies (nous pensons notamment aux articles de G. J?schke2 et aux ouvrages de synth?se de W. Z. Laqueur3), que d'aper?us h?tifs et erron?s ! Face aux fluctuations de l'historiographie sovi?tique, face aux silences ou aux amplifications de l'historiographie turque, face aux contresens de l'historiographie occidentale, il nous a sembl? qu'une tentative de mise au point ne serait nullement inutile.

Bien entendu, nous ne pouvions gu?re, dans le cadre restreint de cet

expos?, pr?tendre ? ?puiser l'ensemble des probl?mes qui se posent. Nous n'avons cherch? qu'? parer au plus press?. L'essentiel, dans un

premier temps, ?tait d'?tablir ou de r?tablir la cha?ne des faits. Nous nous sommes efforc?, par ailleurs, de restituer le climat dans lequel se d?roul?rent les principaux ?v?nements. Le sujet, dans ses multiples dimensions, se pr?tait ? une diversit? d'approches. Nous avons opt?, en ce qui nous concerne, pour une probl?matique ? turque ? : quelle fut l'attitude du mouvement national anatolien face au bolchevisme ?

Nous aurions pu, bien ?videmment, adopter la perspective inverse et

prendre pour fil conducteur le point de vue des Bolcheviks. Il nous a sembl? toutefois qu'? aborder la question par ce bout, nous n'aurions

pas eu grand-chose ? ajouter ? l'abondante historiographie sovi?tique. Le probl?me de la politique

? orientale ? des Bolcheviks et du Komintern constitue un sujet passionnant. Mais ?tait-il n?cessaire de paraphraser ici les multiples travaux qui y ont d?j? ?t? consacr?s ? Il nous a paru

Cahiers du Monde russe et sovi?tique, XVIII (3), juil.-sept. ig77, pp. i6$-ig3.

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pr?f?rable de renvoyer, en ce qui concerne cette question, aux analyses de quelques ? sp?cialistes ?

particuli?rement ?minents : W. Z. Laqueur, D. Boersner, X. J. Eudin et R. C. North, A. Bennigsen et C. Quelquejay, H. Carr?re d'Encausse4.

Pour faire ?chec aux multiples inexactitudes v?hicul?es par un demi si?cle d'historiographie partisane, un ? retour aux sources ?

s'imposait. Du c?t? russe, nous avons utilis? pour l'essentiel les Dokumenty vnesnej politiki SSSR (Documents de politique ?trang?re de l'URSS) publi?s ? partir de 1957 par le minist?re des Affaires ?trang?res de l'URSS. Il ne s'agit, bien entendu, que d'un choix de documents, mais ce choix, bien que fort pr?cautionneux, suffit ? rectifier bien des donn?es de l'histo

riographie sovi?tique traditionnelle. Accessoirement, nous avons eu recours ? divers p?riodiques russes des ann?es 1919-1922, et notamment ? la Pravda5. Comme tous les journaux de l'?poque, l'organe du Comit? central du parti communiste contient un grand nombre d'informations fantaisistes mais, par-del?

ces canards, nous pouvons esp?rer appr? hender les diverses fluctuations de l'amiti? turco-sovi?tique au cours de la p?riode envisag?e.

Du c?t? turc, nous avons largement puis? dans les m?moires de deux des principaux protagonistes de la guerre d'Ind?pendance, le g?n?ral K?zim Karabekir, commandant de l'arm?e turque sur le front oriental, et Ali Fuad pacha, ambassadeur des K?malistes ? Moscou en 1922. Les

ouvrages publi?s par ces deux personnalit?s de premier plan se pr?sen tent en r?alit? comme des recueils de documents6. Les ? discours et d?clarations ? de Mustafa Kemal7 constituent ?galement une source

importante, de m?me que les proc?s verbaux de la Grande Assembl?e nationale8 et les documents publi?s par le minist?re de la Guerre9.

Il ?tait tentant de confronter ces divers mat?riaux aux documents conserv?s dans les d?p?ts d'archives occidentaux. Les archives du minis t?re des Affaires ?trang?res en France, celles du Foreign Office en Grande

Bretagne, nous ont permis de combler quelques lacunes dans l'infor mation d'origine turque ou sovi?tique et, dans un certain nombre de cas litigieux, de trancher entre les diff?rentes th?ses en pr?sence.

En d?pit de la diversit? de nos sources, certains probl?mes demeurent entiers. De quand date la premi?re prise de contact entre les K?ma listes et les Bolcheviks ? Quel fut au juste le r?le assign? ? Mustafa Suphi, le leader du parti communiste turc, dans les relations entre Moscou et

Ankara ? Les Bolcheviks entretinrent-ils avec les ? communistes ? ana toliens des liens aussi ?troits qu'on a bien voulu le dire ? Est-il vrai que les dirigeants sovi?tiques, m?contents de Mustafa Kemal, tent?rent, ? la fin de l'?t? 1921, de le remplacer par Enver pacha ? Autant de

questions ?

parmi beaucoup d'autres ? auxquelles il ne sera possible

de r?pondre que lorsque l'acc?s aux archives turques et aux archives

sovi?tiques sera pleinement lib?ralis?.

On ne sait pas quand commen?a ? prendre corps, chez Mustafa Kemal, le projet d'un rapprochement avec les Soviets. Certains historiens ont

suppos? qu'il avait eu des contacts avec des ?missaires bolcheviks alors

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L'AXE MOSCOU-ANKARA 167

qu'il se trouvait encore ? Istanbul, au d?but de l'ann?e 191910. Cette

hypoth?se n'a rien d'invraisemblable, car ? cette ?poque l'id?e d'un front commun turco-sovi?tique ?tait d?j? solidement implant?e dans les milieux nationalistes turcs11. D'apr?s une autre version, les premi?res tractations entre le futur chef du Gouvernement anatolien et les Bolche viks auraient ?t? engag?es vers la fin du mois de mai 191912. Nomm?

inspecteur de la 3e arm?e par le sultan, Mustafa Kemal se trouvait alors ? Havza, une petite bourgade situ?e ? une centaine de kilom?tres au sud de Samsun, et venait de prendre toute une s?rie de mesures en vue d'organiser la r?sistance anatolienne13. C'est ici qu'il aurait rencontr? une mission sovi?tique men?e par le colonel Budennyj14. On est fort mal

renseign? sur la teneur de ces tractations. A en croire Husameddin bey, un des responsables des services secrets turcs, Budennyj aurait promis ? Mustafa Kemal des armes, des munitions et de l'argent, mais lui aurait demand? s'il ?tait pr?t ? admettre pour l'Anatolie un r?gime selon les

principes du bolchevisme. Mustafa Kemal lui aurait r?pondu qu'il envisageait de cr?er un type de gouvernement comparable ? celui de la

R?publique des Soviets et qu'il souhaitait mettre en place un ? socia lisme d'?tat ?15.

L'anecdote est plausible. Elle est r?v?latrice, en tout cas, de l'?tat

d'esprit des dirigeants nationalistes ? cette ?poque. Ceux-ci croyaient fermement qu'ils ne pourraient obtenir une aide des Soviets qu'? la condi tion de se convertir au bolchevisme. Il est int?ressant de citer ? cet

?gard une lettre envoy?e le 7 juin 1919 par un des acolytes de Mustafa

Kemal, H?srev bey16, au g?n?ral K?zim Karabekir, le commandant du 15e corps d'arm?e sur le front oriental17. Apr?s avoir not? qu'il ?tait

urgent d'entrer en contact avec les Soviets, l'auteur de la lettre demandait des renseignements sur le bolchevisme, car, disait-il, ? nous sommes

pr?ts ? accepter les principes bolcheviks ?. Il s'agissait de savoir si ces

principes ?taient compatibles avec les traditions turques et islamiques et s'ils n'excluaient pas l'institution du khalifat. H?srev bey ?tait

persuad? que l'aide sovi?tique passait par la bolchevisation du Caucase et la mise en place, en Anatolie, d'un r?gime favorable aux Soviets18.

Cette lettre reflete-t-elle ce qui se disait alors dans l'entourage de Mustafa Kemal ? Rien ne nous permet de l'affirmer avec certitude.

Toutefois, nous savons que la question du soutien russe ? l'Anatolie

y ?tait envisag?e avec attention. Les probl?mes pos?s par une ?ventuelle entente avec les Bolcheviks donn?rent notamment lieu ? un important d?bat lors d'une conf?rence des principaux leaders nationalistes ?

Amasya, vers la mi-juin19. Le 17 juin, K?zim Karabekir t?l?graphiait d'Erzurum pour engager Mustafa Kemal ? la prudence. Le commandant de l'arm?e de l'Est, qui craignait que les Bolcheviks ne mettent en p?ril la ? neutralit? de la Turquie ?, conseillait ? ses camarades r?unis ? Amasya de se renseigner sur les principes et les objectifs du bolchevisme avant d'entamer des pourparlers avec les Soviets20. Ce t?l?gramme ne semble

pas avoir pleinement convaincu Mustafa Kemal. Dans sa r?ponse, ce dernier faisait remarquer ? K?zim Karabekir que les musulmans de

Russie, ceux de Kazan', d'Orenburg et de Crim?e, s'accommodaient fort bien du bolchevisme et que, par cons?quent, la Turquie s'en accom

moderait ?galement. Bien entendu, il n'?tait pas question d'autoriser

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l'Arm?e Rouge ? p?n?trer dans le pays. Les Russes devraient se contenter

d'envoyer quelques ?missaires, avec des armes, des munitions et de

l'argent. C'est sur cette base qu'il fallait envisager les n?gociations. Contrairement ? K?zim Karabekir, Mustafa Kemal estimait qu'il ne fallait pas tarder ? s'entendre avec les Bolcheviks et souhaitait que des

hommes de confiance fussent aussit?t exp?di?s ? cet effet au del? du Caucase21.

Les premiers ?missaires turcs ? le Dr. Orner Lutfi et le Dr. Fuad Sabit22 ?

partirent sans doute vers la fin du mois de juillet. Ils ?taient charg?s de s'enqu?rir du prix que les Bolcheviks demandaient pour leur aide. A cette ?poque, Mustafa Kemal se trouvait ? Erzurum o? il avait r?uni le ? Congr?s des Provinces de l'Est ? (23 juillet

- 6 ao?t 1919). Il se peut que ce Congr?s ait b?n?fici? de la participation d'un certain nombre de repr?sentants se r?clamant du bolchevisme. C'est du moins ce qui ressort d'un rapport adress? au Foreign Office par un officier

anglais en poste ? Samsun23. A en croire K?zim Karabekir, un de ces ? Bolcheviks ? aurait m?me r?clam? la dissolution de l'arm?e et la cr?a tion de milices ? ce qui consterna, bien entendu, les d?l?gu?s nationa listes24.

Les dirigeants sovi?tiques, ?taient, semble-t-il, tout aussi press?s que Mustafa Kemal d'?tablir le contact. De toute ?vidence, ils comptaient sur la r?sistance anatolienne pour les aider ? lutter contre les Anglais, notamment sur le front transcaucasien25. Ils esp?raient aussi qu'un accord avec les Nationalistes turcs renflouerait leur prestige aupr?s des musulmans de l'ancien Empire tsariste. Mais les agents bolcheviks signal?s ici et l? en Turquie26, ? partir de l'?t? 1919, ?taient-ils porteurs de propo sitions concr?tes ? Nous n'en savons rien. Il y a tout lieu de croire cepen dant qu'ils n'avaient pour mission que d'effectuer de simples sondages, car il n'y avait encore, ? cette ?poque, en dehors du Gouvernement de

Constantinople, aucun pouvoir officiellement constitu? en Turquie. Ce n'est qu'au lendemain du Congr?s de Sivas (4-11 septembre 1919)

que Mustafa Kemal s'imposera comme le v?ritable leader de la lutte natio nale. Il est possible qu'? partir de cette date de nouvelles initiatives aient ?t? prises, tant du c?t? russe que du c?t? turc. C'est en septembre, en tout cas, que Mustafa Kemal envoya ? Bakou un de ses ?missaires les plus actifs, Halil pacha27. C'est en septembre ?galement que Cicerin

lan?a son c?l?bre appel aux ? travailleurs et paysans de Turquie ?, les exhortant ? poursuivre la lutte28.

Pour Mustafa Kemal, cependant, le moment n'?tait pas encore venu de se mettre d'accord avec les Bolcheviks. Bien que partisan d'un rapproche

ment turco-sovi?tique, il devait man uvrer avec circonspection. Les Alli?s

n'accepteraient jamais l'installation d'un pouvoir pro-sovi?tique en Anatolie. Il fallait veiller ? ne pas trop effrayer l'opinion occidentale. C'est la raison pour laquelle, le 24 septembre 1919, il envoya au g?n?ral am?ricain Harbord, qui se trouvait alors en Anatolie ? la t?te d'une

mission d'?tudes, une longue lettre pour d?mentir toute collusion entre le mouvement nationaliste et les Bolcheviks. Dans ce document destin? ? rassurer l'Europe et les ?tats-Unis, on voit appara?tre des arguments qui seront repris maintes fois par la suite :

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? ... Quant au bolchevisme, il n'y a dans notre pays aucune place pour cette doctrine. Notre religion, nos traditions, notre structure sociale ne sont gu?re propices ? l'implantation d'une telle id?o

logie. Il n'y a en Turquie ni des capitalistes, ni des millions d'arti sans et d'ouvriers. En outre, nous n'avons pas de probl?me

agricole. ?29

Ce que Mustafa Kemal ne disait pas au g?n?ral Harbord, c'est qu'on pouvait fort bien r?cuser le bolchevisme et fraterniser n?anmoins avec la R?publique des Soviets. Mustafa Kemal et la plupart de ses camarades ?taient persuad?s que seule une alliance avec la Russie leur permettrait de faire ?chec aux diktats des Alli?s. A en croire un certain nombre de documents datant du d?but de l'ann?e 1920, la strat?gie nationaliste avait d?s cette ?poque comme axe principal la cr?ation d'une fronti?re commune avec les Bolcheviks afin de faciliter l'arriv?e de l'aide escompt?e. Il s'agissait en somme, en ?change d'un soutien sovi?tique ? la cause

anatolienne, d'aider ? la bolchevisation de F Azerba?djan, de la G?orgie et de l'Arm?nie30.

Mais, dans la foul?e, l'Anatolie ne s'exposait-elle pas ? ?tre elle aussi bolchevis?e ? Telle ?tait la pr?occupation majeure des dirigeants natio nalistes. Depuis juillet 1919, plusieurs ?missaires turcs avaient ?t? en Transcaucasie. Certains d'entre eux ? le Dr. Fuad Sabit, Halil pacha,

Baha Sait et quelques autres ? avaient m?me particip? a la cr?ation ? Bakou d'un parti communiste turc31. Issus pour la plupart de l'ancien

parti unioniste, ces hommes, dont l'all?geance au mouvement natio naliste n'allait pas sans arri?re-pens?es, risquaient d'accepter des enga gements nuisibles aux int?r?ts de l'Anatolie. De fait, Baha Sait avait

sign? le 11 janvier 1920, avec le repr?sentant du Comit? central du parti communiste caucasien agissant au nom de la R?publique des Soviets, une sorte de ? trait? d'alliance ?, sans m?me prendre la peine d'en aviser Mustafa Kemal32. Pour parer au danger que repr?sentait pour l'Anatolie la signature de tels accords, Mustafa Kemal n'h?sitera pas ? mettre les

points sur les i : dans sa lettre du 3 mars 1920 ? K?zim Karabekir, il

soulignera avec nettet? que seul le ? comit? ex?cutif ?33 ?tait habilit? ? prendre des engagements, car c'?tait lui seul qui ?tait responsable, devant le pays et devant le monde, de la conduite des affaires politiques et sociales34.

A l'?poque o? cette lettre fut ?crite, les Anglais ?taient sur le point d'obtenir du cheikh ul-islam une ? sentence ? hostile au bolchevisme35. Le mouvement national devait donc se montrer particuli?rement vigi lant dans ses relations avec les Bolcheviks afin de ne pas heurter l'opinion.

Ce n'est qu'apr?s 1' ? occupation ? de Constantinople par les Alli?s36, le 16 mars 1920, que les nationalistes pourront envisager de se tourner ouvertement vers la R?publique des Soviets. D?sormais, en effet, nul ne

pouvait faire reproche ? l'Anatolie de recourir ? des ? mesures d?ses

p?r?es ?.

A dire vrai, le coup de force des Alli?s cr?ait une conjoncture si favorable ? un rapprochement avec les Soviets que d?s le 16 mars Mustafa

Kemal demandait ? K?zim Karabekir d' uvrer sans d?lai ? la bolche visation de Batoum, des ? trois provinces ? (Kars, Ardahan et Artvin),

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de la G?orgie et de l'Azerba?djan. L'op?ration avait pour but d'emp?cher d'?ventuels mouvements de troupes anglaises en Transcaucasie et, surtout, de faciliter l'arriv?e de l'Arm?e Rouge37. K?zim Karabekir devait veiller

cependant ? ce que l'Anatolie, Trabzon notamment, ne f?t pas non plus contamin?e par le bolchevisme38. Le 29 mars, Mustafa Kemal lui deman dait en outre de faire avancer l'arm?e turque, d'occuper les ? trois pro vinces ? et tous les territoires situ?s entre l'ancienne fronti?re et l'Arax, de

mani?re ? ce que les Nationalistes soient en position de force face aux Soviets lorsque ceux-ci arriveraient39. Ainsi, ? la fin du mois de mars, toutes les dispositions ?taient prises, du c?t? turc, pour entrer en liaison avec les Russes sur un pied d'?galit?. K?zim Karabekir annon?ait la

prise par les Bolcheviks de Derbent, Petrovsk, Vladikavkaz et Novoros

sijsk40. Il pensait que l'Arm?e Rouge ne mettrait pas plus d'un mois ? traverser le Caucase. Il devenait urgent de discuter des modalit?s concr?tes de l'aide sovi?tique ? la Turquie.

Deux jours apr?s l'occupation de Constantinople par les Alli?s, le

parlement ottoman avait d?cid?, en guise de protestation, sa propre dissolution. Un mois plus tard, le 23 avril 1920, s'ouvrait ? Ankara, sous la pr?sidence de Mustafa Kemal, la Grande Assembl?e nationale de Turquie. D?sormais, le chef de la r?sistance anatolienne apparaissait investi d'un pouvoir l?gitime. Un des premiers actes de Mustafa Kemal en tant que pr?sident de la Grande Assembl?e fut d'envoyer une mission ? Bakou, en vue de n?gocier avec les Soviets41. Le parti communiste turc de Bakou, anim? par un groupe d'anciens Unionistes (Halil pacha et le. Dr. Fuad Sabit notamment), ?tait charg? pour sa part d'?tablir le contact42. Le 26 avril, Mustafa Kemal pr?cisait dans un t?l?gramme adress? ? K?zim Karabekir les bases sur lesquelles la Turquie ?tait

pr?te ? discuter. Le Gouvernement d'Ankara, reconnaissant que l'objec tif primordial des Bolcheviks ?tait de lutter contre les ?tats imp?ria listes, acceptait de collaborer avec eux. L'Arm?e Rouge devait prendre ? son compte la bolchevisation de la G?orgie. Les Turcs, quant ? eux,

s'engageaient ? entreprendre une action militaire contre le ? gouver nement imp?rialiste de l'Arm?nie ? et ? faire rentrer l'Azerba?djan dans le giron sovi?tique. L'entente turco-russe impliquait, bien entendu,

un soutien mat?riel ? la cause nationaliste. Mustafa Kemal demandait aux Bolcheviks un ? acompte ? de cinq millions de livres or, des muni

tions, des armes modernes, du mat?riel sanitaire et des vivres pour l'arm?e de l'Est. Cette aide devait servir ? ? chasser les forces imp? rialistes du territoire national ? et, ult?rieurement, ? ? mener une lutte commune contre l'imp?rialisme ?43.

Mustafa Kemal a choisi, on le voit, de mettre l'accent sur le combat

anti-imp?rialiste. Il est ? remarquer que son t?l?gramme exclut tout autre accommodement doctrinal avec les Bolcheviks. C'est, tout compte fait, sur un certain nombre de concessions en Transcaucasie que devra

reposer l'accord entre la Turquie et la R?publique des Soviets. La Turquie s'engage ? livrer l'Azerba?djan et ? faciliter la bolchevisation de la G?or

gie ; en ?change elle r?clame du mat?riel de combat et de l'argent et

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se r?serve la reconqu?te d'une partie des territoires de la R?publique d'Arm?nie.

A priori, l'affaire semblait avantageuse pour les deux parties. Tou

tefois, l'atout essentiel de Mustafa Kemal, l'Azerba?djan, lui fera tr?s vite d?faut. L'entr?e de l'Arm?e Rouge ? Bakou, le 27 avril 1920, r?sou dra d?finitivement l'imbroglio az?ri au profit des Bolcheviks. Par

ailleurs, l'id?e d'une intervention militaire turque en Arm?nie sera fort mal accueillie par Moscou. Mustafa Kemal pensait que les Bolche viks feraient preuve d'une certaine compr?hension ? l'?gard des th?ses

turques. Il ignorait sans doute que le Conseil des commissaires du peuple avait garanti aux Arm?niens de l'Arm?nie turque, par un d?cret du 11 janvier 1918, le droit ? l'autod?termination et ? l'ind?pendance44.

Loin de constituer un facteur d'entente, l'action envisag?e par Mustafa Kemal contre les dachnaks (qualifi?s, pour l'occasion, d'imp?rialistes) constituera, tout au long de l'ann?e 1920, le principal obstacle dans la voie d'un accord turco-sovi?tique.

Vers la fin du mois de mai, plusieurs ?missaires arriv?rent ? Moscou, porteurs des propositions de Mustafa Kemal45. Venus de Bakou, Halil

pacha et le Dr. Fuad Sabit engag?rent aussit?t des n?gociations avec les dirigeants sovi?tiques. Le Dr. Fuad Sabit, qui se pr?sentait comme le d?l?gu? du parti communiste turc de Bakou, s'efforcera d'impres sionner les Bolcheviks en tenant des propos r?volutionnaires au Th??tre

Bolcho?, ? l'occasion d'une r?union des repr?sentants des syndicats ouvriers46. Halil pacha, pour sa part, entreprendra divers marchandages avec Kamenev, Cicerin et l'adjoint de ce dernier, Karahan. L'ancien baroudeur unioniste, bien que non officiellement mandat? par Mustafa

Kemal, sut ind?niablement se montrer persuasif. Le 4 juin, il devait annoncer triomphalement ? Mustafa Kemal que les Russes acceptaient de livrer deux millions de livres or, soixante mille fusils, une centaine de canons ainsi qu'une grande quantit? de cartouches et d'obus47.

Toutefois, en ce qui concerne l'Arm?nie, les dirigeants sovi?tiques demeureront intraitables. Dans sa lettre du 4 juin, Halil pacha pr?ci sera que les Bolcheviks d?sapprouvent l'id?e d'une intervention turque en Arm?nie et qu'ils ? comptent envoyer des troupes russes sur notre

ancienne^fronti?re ?48. R?pondant le 3 juin aux propositions de Mustafa

Kemal, Cicerin insistera pour sa part sur le droit des populations ? dis

poser d'elles-m?mes et r?clamera un pl?biscite non seulement pour l'Arm?nie turque mais aussi pour le Kurdistan, le Lazistan, la r?gion de

Batoum, la Thrace orientale et les localit?s habit?es par des Turco Arabes. ? Il va sans dire ?, sp?cifiera le chef de la diplomatie sovi?tique, ? que les r?fugi?s et les emigrants qui avaient ?t? oblig?s de quitter leur pays par suite de circonstances ind?pendantes de leur volont?

pourront participer ? la consultation et c'est pourquoi ils devront ?tre autoris?s ? revenir dans leurs pays respectifs. ?49

La note de Cicerin fit l'effet, en Turquie, d'une v?ritable douche froide. K?zim Karabekir y vit aussit?t un acte de brigandage : les Bolche viks tentaient de faire main basse sur toutes les provinces orientales de la Turquie !50 Plus circonspect, Mustafa Kemal devait d?cider, apr?s

m?re r?flexion, de retarder l'intervention militaire contre les dachnaks et de tenter de r?soudre le diff?rend turco-sovi?tique par la voie diplo

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matique. Le 20 juin, tout en d?non?ant les ? actes de barbarie ? des

Arm?niens, il faisait savoir ? Cicerin que le Gouvernement d'Ankara

esp?rait r?soudre le probl?me des territoires frontaliers gr?ce ? la m?dia tion de la R?publique des Soviets et qu'il avait, en cons?quence, ajourn? l'occupation des ? trois provinces ?. Dans la m?me lettre, il annon?ait l'envoi de pl?nipotentiaires

? le ministre des Affaires ?trang?res Bekir Sami et le ministre de l'?conomie Yusuf Kemal ?

charg?s de ? nouer des liens politiques r?guliers et d'?tablir les bases des relations futures ?51.

A l'?poque de cet ?change de lettres, les Bolcheviks apparaissaient incontestablement en position de force. Fin avril, ils avaient pris Bakou et bolchevis? l'Azerba?djan. Ils ne tarderaient pas, semblait-il, ? s'empa rer de l'ensemble de la Transcaucasie. Les Turcs, de leur c?t?, dans leur lutte contre les Alli?s, ne pouvaient compter que sur le soutien du

monde musulman et sur celui, plus imm?diat et sans doute plus efficace, de la R?publique des Soviets52. De l?, les m?nagements de Mustafa Kemal et la fermet? de Cicerin. Aux yeux des dirigeants bolcheviks, il ne

pouvait gu?re ?tre question, dans la conjoncture du d?but de l'?t? 1920, de concessions territoriales au profit de la Turquie. Bien au contraire, il est possible qu'ils aient song? ? cette ?poque ? tirer avantage de leur situation dominante pour tenter de bolcheviser l'Anatolie, ou tout au moins ses

provinces orientales.

Nous disposons ? cet ?gard d'un indice particuli?rement significatif. Le 15 juin, en effet, Mustafa Suphi53, un des plus brillants poulains du commissariat aux Nationalit?s, qui venait de prendre la direction du parti communiste turc de Bakou apr?s en avoir ?cart? les ?l?ments

par trop suspects, avait envoy? en Anatolie un de ses camarades,

S?leyman Sami54, afin de sonder Mustafa Kemal sur ses vues concernant le bolchevisme. Il s'agissait notamment de savoir si le Pr?sident de la

Grande Assembl?e autoriserait la cr?ation d'une organisation commu niste en Anatolie et si une telle organisation pourrait subsister sans trop d'accommodements doctrinaux. L'?missaire de Mustafa Suphi ?tait

par ailleurs charg? d'annoncer au Gouvernement d'Ankara que l'aide

sovi?tique transiterait d?sormais par le parti communiste turc de Bakou et que cette organisation tenait, dans un premier temps, ? la

disposition de la Turquie cinquante canons, soixante-dix mitrailleuses et dix-sept mille fusils55. Compte tenu de cette derni?re clause, il y a tout lieu de croire que la d?marche de S?leyman Sami avait ?t? comman dit?e par Moscou. En imposant la m?diation de Mustafa Suphi et de son

?quipe, les dirigeants sovi?tiques cherchaient sans doute ? faciliter la

propagation du bolchevisme en Anatolie et peut-?tre m?me ? jeter les bases d'un changement de r?gime ? Ankara.

Au moment o? l'envoy? du parti communiste turc de Bakou faisait conna?tre ses desiderata ? Mustafa Kemal ? vers la mi-juillet ?,

l'hypoth?se d'une ?ventuelle bolchevisation de l'Anatolie n'avait, il faut bien le dire, rien de particuli?rement extravagant. Les discussions

diplomatiques qui devaient conduire ? la signature du trait? de S?vres avaient entra?n? d?s le d?but de l'?t? 1920 une nette radicalisation de la r?sistance anatolienne. Dans les milieux nationalistes, le nombre des

partisans d'une entente avec la R?publique des Soviets ne cessait d'augmen ter et les journaux k?malistes multipliaient les articles favorables au

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L'AXE MOSCOU-ANKARA I73

bolchevisme. Dans un manifeste publi? dans la seconde moiti? du mois de juillet, Mustafa Kemal appellera les musulmans ? faire bloc avec les communistes pour lutter contre l'injustice des Grandes Puissances56. K?zim Karabekir, pour sa part, envisageait la possibilit? d'acclimater en Anatolie les th?ories bolcheviques, quitte ? y apporter un certain nombre de modifications. Il faisait remarquer que le panislamisme et le

panturquisme ?taient ? d?mod?s ? et qu'un bolchevisme ? ? la turque ?

repr?sentait, pour l'Anatolie, la seule issue possible57. La bolchevisation de la Turquie apparaissait d'autant plus plausible que le Ier ao?t, Turcs et Russes avaient r?ussi ? faire leur jonction ? Nakhitchevan. L'aide

sovi?tique tant attendue allait enfin arriver. De fait, d?s le d?but du mois d'ao?t, les premi?res caisses d'or russe, convoy?es par Halil pacha, avaient atteint la fronti?re turque. Cet ?v?nement avait donn? lieu ? diverses manifestations de fraternisation et les officiers de l'arm?e de l'Est s'?taient mis ? arborer l'?toile rouge58.

Le 14 ao?t, quatre jours apr?s la signature du trait? de S?vres, Mustafa Kemal soulignera en pleine assembl?e les similitudes entre

l'esprit communautaire de l'Islam et le bolchevisme59. Ces d?clarations fracassantes n'avaient cependant rien de commun avec les na?fs enti

chements de K?zim Karabekir. Pour Mustafa Kemal, il s'agissait essen tiellement d'inspirer confiance aux Bolcheviks et, corr?lativement,

d'effrayer les Grandes Puissances. En r?alit?, aux yeux du leader du mouvement nationaliste, le bolchevisme, au del? duquel se profilait

l'expansionnisme russe, n'avait gu?re sa place en Turquie. La R?publique des Soviets repr?sentait certes un alli? de choix dans la lutte contre 1' ? imp?rialisme ?, mais il n'?tait pas question d'embrasser le bolche visme ni m?me d'en faciliter la propagation.

Cela dit, la d?marche du parti communiste turc de Bakou pla?ait Mustafa Kemal dans une situation difficile. En refusant d'autoriser la cr?ation d'une organisation communiste en Anatolie, ne risquait-il

pas de s'attirer les foudres de Moscou ? Dans la conjoncture d?licate o? se trouvait la Turquie, il fallait ? tout prix ?viter de heurter de front les Soviets. Une seule solution s'offrait ? Mustafa Kemal : temporiser. C'est la raison pour laquelle il devait choisir de ne donner dans l'imm?diat aucune r?ponse aux questions et aux propositions de S?leyman Sami.

Le probl?me de la propagande communiste en Anatolie ?tant mis en veilleuse, il s'agissait n?anmoins de poursuivre les n?gociations avec

Moscou. Les pl?nipotentiaires k?malistes, Bekir Sami et Yusuf Kemal, ?taient arriv?s dans la capitale sovi?tique le 19 juillet. Ils ?taient porteurs d'offres s?duisantes. Mustafa Kemal proposait notamment aux Russes des facilit?s de circulation dans les d?troits et leur faisait savoir que la

Turquie userait de son influence aupr?s des ? ?l?ments turcs et isla

miques ? (de Russie ?) afin de les ? faire participer ? la r?ussite de la lutte commune ?60. En ?change, tout au long du mois d'ao?t, Bekir Sami et Yusuf Kemal esp?reront obtenir des dirigeants sovi?tiques des conces sions territoriales en Transcaucasie. A cette ?poque, cependant, les

Russes, nous l'avons dit, n'?taient gu?re dispos?s ? transiger. Face aux

Turcs qui entendaient r?cup?rer les ? trois provinces ?, les dachnaks demandaient Erzjirum, Trabzon et plusieurs autres provinces de l'Ana tolie orientale61. Cicerin, apportant son soutien ? la th?se des dachnaks,

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174 PAUL DUMONT

r?clamera l'?tablissement d'une ? fronti?re ethnique ?62. Il s'agissait en somme d'obliger le Gouvernement d'Ankara ? souscrire aux dispo sitions du trait? de S?vres. Dans ces conditions, les pourparlers de Moscou ne pouvaient aboutir qu'? une impasse. JQn accord fut tout de m?me

paraph?, le 24 ao?t 192063. Mais le 28, Cicerin signifiait ? Bekir Sami

que le texte ?labor? quelques jours auparavant n'entrerait en vigueur que si la Turquie acceptait de c?der aux Arm?niens une partie des pro vinces de Van et de Bitlis64. Formul?es ? un moment o? les troupes sovi?tiques venaient de subir un grave ?chec en Pologne65, ces exigences n'avaient, bien entendu, aucune chance d'?tre accueillies favorablement

par le Gouvernement d'Ankara. Elles ne pouvaient que l'irriter et l'acculer ? la r?bellion.

La riposte de Mustafa Kemal sera imm?diate. D?s le d?but du mois de septembre, nous assistons ? un net durcissement de l'attitude de la Turquie face aux Soviets. Dans un premier temps, il s'agira de faire ?chec aux tentatives de p?n?tration communiste en Anatolie.

Le fiasco de l'Arm?e Rouge devant Varsovie avait mis en lumi?re la vuln?rabilit? des Bolcheviks. Mustafa Kemal ?tait persuad? que le

moment ?tait venu de les rembarrer. Au d?but de l'?t?, le parti commu niste turc de Bakou, agissant selon toute vraisemblance pour le compte de Moscou, avait demand? l'autorisation d'implanter une organisation bolchevique en Turquie. Le 13 septembre, le Pr?sident de la Grande Assembl?e fit savoir ? Mustafa Suphi que son ? parti ? ne pouvait avoir d'autre interlocuteur en Turquie que le Gouvernement d'Ankara66.

C'?tait, en termes polis et fleuris, une fin de non-recevoir cat?gorique. Mustafa Kemal devait pr?ciser sa pens?e le lendemain, dans une lettre adress?e au commandant du front occidental, Ali Fuad pacha :

? ... La mise en place d'une organisation communiste ? l'int? rieur du pays est totalement contraire ? nos int?r?ts, car qui dit organisation communiste dit enti?re soumission ? la Russie. Il faut emp?cher ? tout prix l'implantation d'une organisation communiste clandestine [...] Certaines personnes, qui y trouvent

avantage, pr?tendent que je suis favorable au communisme, mais c'est faux. Tant que la situation ne se sera pas clarifi?e, ? l'Est comme ? l'Ouest, nous devons nous garder des r?volutions, et, ainsi que je l'ai ?crit au camarade Mustafa Suphi, rien ne

doit ?tre fait sans l'accord du gouvernement. Bien entendu, il convient de ne pas s'opposer ouvertement au communisme et au bolchevisme. ?67

Mais il ne suffisait pas d'?conduire Mustafa Suphi. Il fallait ?galement faire pi?ce ? l'opposition qui se manifestait au sein m?me de la Grande

Assembl?e. Cette opposition ? le Halk ziimresi (Groupe du peuple)

?

?tait sur le point d'?chapper au contr?le du Gouvernement. Elle risquait, par l?, de favoriser les men?es bolcheviques en Anatolie68. Mustafa Kemal choisit de conduire l'offensive sur le plan doctrinal. D?s la mi-septembre, il proposait ? l'Assembl?e un ? programme populiste

? qui reprenait ? son compte les principales revendications du Halk ziimresi. Par ce

programme, le Gouvernement s'engageait notamment ? ? assurer le bonheur et la prosp?rit? du peuple ? et ? introduire toutes les r?formes

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L'AXE MOSCOU-ANKARA I75

sociales n?cessaires, en accord avec les exigences du si?cle. Ainsi r?cup?r?e, l'opposition perdait sa raison d'?tre. Le programme ? populiste ? avait

par ailleurs l'avantage de consolider les bases id?ologiques du mouvement k?maliste. Aux ? extr?mistes ? de gauche, Mustafa Kemal pouvait d?sor

mais opposer un populisme de bon aloi, tenant compte de 1' ? esprit natio nal ? et des ? vraies n?cessit?s de la nation ?69.

Il restait ? r?gler le probl?me des territoires revendiqu?s par l'Arm?nie. Mustafa Kemal pensait que les Russes ne s'exposeraient jamais ? un conflit ouvert avec la Turquie et qu'ils finiraient, t?t ou tard, par com

poser. C'est donc en termes passablement rudes qu'il fera conna?tre ?

Cicerin, le 16 octobre, la r?ponse de la Grande Assembl?e ? ses exigences :

? Toutes les statistiques relatives aux provinces de Van et de

Bitlis, qu'il s'agisse de statistiques anciennes ou r?centes, mon trent que les Arm?niens ont toujours ?t? dans ces provinces proportionnellement moins nombreux que les Musulmans. Dans ces conditions, demander l'abandon d'une portion de territoire ? une minorit? constitue un acte typiquement imp?rialiste. Cr??

pour lutter contre l'imp?rialisme, le Gouvernement national d'An kara se trouve dans l'obligation de repousser cette demande... ?70

A vrai dire, au moment o? ce t?l?gramme fut r?dig?, les d?s ?taient

d?j? jet?s. A la fin du mois de septembre, K?zim Karabekir avait lanc? ses troupes contre l'Arm?nie. Les Turcs occupaient d?j? Oltu et San kamis. Bient?t, ce sera la grande offensive en direction de Kars. Las de marchander, le Gouvernement d'Ankara avait finalement opt? pour une d?monstration de force.

*

L'intervention militaire turque ne pouvait pas ne pas ?mouvoir les Bolcheviks. Ceux-ci s'empress?rent de ? l?cher ? les dachnaks (qu'ils accusaient du reste de servir les int?r?ts de l'imp?rialisme occidental en

Transcaucasie) afin d'?tre libres d'intervenir ? leur tour. D?s le 13 octo

bre, ils avaient adress? ? l'Arm?nie un ultimatum impitoyable : le Gou vernement arm?nien devait accorder la libre disposition de ses chemins de fer aux troupes russes, az?ries et turques ; il devait d?noncer le trait? de S?vres et rompre les n?gociations diplomatiques avec les puissances de l'Entente ; il ?tait somm? enfin de soumettre son diff?rend territo rial avec la Turquie ? l'arbitrage du Gouvernement de la Russie sovi?

tique71. Tandis que les troupes de K?zim Karabekir attaquaient ? l'ouest, les Russes, second?s par les irr?guliers az?ris et turcs (parmi ces derniers il y avait un certain nombre d'anciens prisonniers de guerre arm?s par le ? parti communiste ? de Mustafa Suphi), p?n?traient par le nord. Le

coup de force k?maliste prenait ainsi l'allure d'une exp?dition turco

sovi?tique contre les ? valets de l'imp?rialisme ?72. Momentan?ment, le

risque d'un affrontement direct entre la Turquie et la R?publique des Soviets apparaissait circonscrit.

En attaquant l'Arm?nie, Mustafa Kemal avait voulu placer les

dirigeants sovi?tiques devant le fait accompli et les obliger ? l?cher du lest. Pour les Russes, il s'agissait ? pr?sent d'emp?cher les Turcs de

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176 PAUL DUMONT

p?n?trer trop avant en Transcaucasie. Mais il fallait aussi, ? tout prix, ?viter d'en venir ouvertement aux mains, car une guerre avec la Turquie,

qui priverait la R?publique des Soviets d'un pr?cieux alli? au sein du monde musulman, ne pouvait profiter qu'aux Grandes Puissances. Convaincue de la n?cessit? de d?fendre l'Arm?nie, la G?orgie et l'Azer

ba?djan contre les convoitises des Turcs, mais accul?e ? un compor tement conciliant, la Russie se trouvait ind?niablement dans une posi tion inconfortable.

La prise de Kars, le 30 octobre, et d'Alexandropol (G?mr?), le

7 novembre, avait suffi ? d?montrer la puissance de la force de frappe turque. Dans l'imm?diat, la seule solution qui s'offrait aux Bolcheviks,

emp?tr?s en Crim?e dans une ultime offensive contre les troupes de

Wrangel, ?tait de tenter d'amadouer le Gouvernement d'Ankara. D?s le d?but du mois de novembre, ils multiplieront les manifestations de bonne volont? ? l'?gard de la Turquie dans l'espoir de parvenir ? un d?nouement rapide de la crise. Staline, qui se trouvait alors ? Bakou, fera dire ? Mustafa Kemal, par l'entremise de Mustafa Suphi, que la

R?publique des Soviets ? consid?re le mouvement de r?sistance natio nale en Anatolie comme un mod?le pour tous les peuples d'Orient et

qu'elle est pr?te ? faire tous les sacrifices n?cessaires pour le soutenir ?73. Mustafa Suphi ajoutera ? ce message, pour son propre compte, que le parti communiste turc appuie pleinement l'action des K?malis tes et qu'il s'engage, tant que durera le combat du Gouvernement de la Grande Assembl?e nationale contre les imp?rialistes, ? ? ?viter toute initiativere caract?re extr?miste ?74. Dans la foul?e de ces propos d'apaisement, Cicerin enverra vers la mi-novembre dans la r?gion des

op?rations militaires un pl?nipotentiaire de choc, Budu Mdivani75,

charg? de n?gocier un modus vivendi entre les diverses parties en

pr?sence76. Les Turcs, toutefois, et en particulier K?zim Karabekir, n'avaient

nullement l'intention de se laisser circonvenir. Le 2 d?cembre, ils obli

g?rent les dachnaks ? signer ? Alexandropol un trait? de paix d?sas treux. L'Arm?nie, r?duite ? la r?gion d'Erivan et du lac Sevan, reconnais sait le trait? de Brest-Litovsk, acceptait de d?sarmer son arm?e et accordait ? la Turquie un droit de contr?le sur ses voies ferr?es et autres voies de communications.

Pour la Russie, ce quasi-protectorat turc sur l'Arm?nie ?tait, bien

entendu, inacceptable. Fort heureusement, les r?volutionnaires arm?niens avaient r?ussi, quelques jours avant la signature du trait? d'Alexan

dropol, ? proclamer les soviets ? Kasah. Les Russes pouvaient donc faire valoir la non-repr?sentativit? de la d?l?gation qui avait n?goci? avec les Turcs. Le 10 d?cembre, T. Bekzadian, le commissaire des

Affaires ?trang?res de l'Arm?nie sovi?tique, demandera au Gouver nement d'Ankara de ? reconna?tre solennellement la non-validit? du trait? sign? par les dachnaks ? et proposera l'?laboration d'un nouvel accord tenant compte des ? conditions nouvelles cr??es par la sovi? tisation de l'Arm?nie ?. Bekzadian, supposant que la Grande Assembl?e avait ? accueilli avec joie ? la nouvelle des bouleversements r?volu tionnaires en Arm?nie, faisait remarquer ? son homologue turc que le sombre pass? devait d?sormais ? c?der la place ? la collaboration fra

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L'AXE MOSCOU-ANKARA I77

ternelle des peuples ?77. Cicerin, de son c?t?, r?clamera avec insistance la reprise des n?gociations de Moscou. Selon lui, les Turcs et les Russes

n'?taient venus en Arm?nie que pour ? manifester leur amiti? envers le peuple arm?nien ?. A pr?sent, il convenait de se retrouver entre diplo

mates et de r?gler ? l'amiable toutes les questions en litige78. Au fil des jours, les dirigeants sovi?tiques adopt?rent un ton de

plus en plus conciliant. Le 11 d?cembre, Ordjonikidze79, qui faisait ? cette ?poque partie du Comit? militaire r?volutionnaire du front cau

casien, recevait l'ordre de reprendre les livraisons d'armes et d'argent en direction de la Turquie. Cicerin pr?cisait n?anmoins qu'il fallait demander l'?vacuation du district d'Alexandropol et ne donner l'or que ? petit ? petit ?80. Le 19 d?cembre, le Gouvernement sovi?tique ira jus

qu'? reconna?tre le bien-fond? de l'intervention turque (celle-ci avait ?t? justifi?e par la n?cessit? de mettre fin aux ? atrocit?s ? commises

par les dachnaks), mais arguera de la bonne foi de l'Arm?nie sovi?tique pour demander des n?gociations imm?diates81.

Bien entendu, le Gouvernement d'Ankara ne pouvait pas refuser de n?gocier, car le succ?s de la lutte pour l'ind?pendance d?pendait en grande partie de l'aide sovi?tique. Mais l'occupation des territoires arm?niens repr?sentait un atout de premier ordre, qui donnait ? la

Turquie, bien qu'?tant en position de solliciteuse, la possibilit? d'affirmer son indocilit? face aux exigences de la R?publique des Soviets.

D?sormais, Mustafa Kemal pouvait s'opposer notamment avec fermet? ? la p?n?tration du bolchevisme en Asie Mineure, risque qui avait sous-tendu jusque-l? l'ensemble des rapports turco-sovi?tiques.

D?s octobre 1920, il avait demand? ? certains d?put?s de ? gauche ?

(Tevfik R?s?, Mahmud Esad, Hakki Behic et quelques autres) de cr?er un ? parti communiste officiel ?, dans l'espoir de pouvoir regrouper au sein de cette organisation tous les ?l?ments incontr?l?s qui mili taient en Anatolie en faveur du bolchevisme. Pr?sent? comme le seul

parti autoris?, le ? parti communiste officiel ? ?tait cens? combler toutes les aspirations de la gauche anatolienne. Cependant, personne n'avait

manqu? de voir la ficelle, et les ? vrais ? communistes avaient refus? de se laisser faire, continuant d'agir dans la clandestinit?.

A partir de d?cembre 1920, le Gouvernement d'Ankara multipliera les mesures d'intimidation ? l'encontre des ? extr?mistes ?, dans l'espoir de mettre fin aux tentatives de p?n?tration communiste en Anatolie. D?s le mois de janvier 1921, la plupart des organisations de gauche d'Anatolie avaient disparu. Les deux principaux leaders du ? parti communiste ? clandestin, le commandant Salih et le publiciste Ziyne tullah Nusirevan, avaient ?t? arr?t?s et d?f?r?s devant les tribunaux82.

Le 28 janvier, Mustafa Suphi et une quinzaine de ses compagnons qui s'?taient malencontreusement aventur?s ? venir porter la bonne

parole en Turquie, ?taient assassin?s au large de Trabzon83. M?me si ce'meurtre ne fut pas directement commandit? par le Gouver

nement d'Ankara84, il est ind?niable que les assassins n'avaient fait

que tirer profit de la conjoncture. Le Ier f?vrier, le ? parti communiste

populaire de Turquie ? (T?rkiye Halk istirakiyun firkasi) ?tait contraint de se saborder85, ses dirigeants (parmi lesquels on doit mentionner en particulier le d?put? de Tokat, Nazim bey), accus?s d'espionnage

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178 PAUL DUMONT

au profit d'une ? puissance ?trang?re ?, seront condamn?s par la suite ? de lourdes peines de prison86.

Nous ne devons pas d?duire de ces diverses ? pers?cutions ? que Mustafa Kemal ?tait un ennemi acharn? du bolchevisme. Le chef de la r?sistance anatolienne affichait au contraire, au d?but des ann?es 20, une certaine sympathie ? l'?gard des id?es propag?es par Moscou87. Il se peut m?me qu'il ait consid?r? sans rire son propre populisme comme une version amend?e du socialisme. Mais il pensait que le combat men?

par l'Anatolie pour son ind?pendance ?tait inconciliable avec l'inter nationalisme dont se r?clamaient les Bolcheviks88. Derri?re cet inter

nationalisme, il voyait se profiler un danger consid?rable : l'imp?ria lisme russe et ses vis?es traditionnelles sur la Turquie. Ce n'est pas pour des raisons doctrinales qu'il convenait d'emp?cher la propagation du communisme et du bolchevisme en Turquie mais pour parer ? une ?ventuelle intrusion sovi?tique dans les affaires du pays.

Accessoirement, il s'agissait aussi de rassurer les Alli?s quant aux

pr?f?rences politiques de l'Anatolie. Depuis quelque temps, les Fran?ais, les Italiens et m?me les Anglais multipliaient les amabilit?s ? l'adresse

du mouvement nationaliste. Mustafa Kemal pensait que des n?go ciations ne tarderaient pas ? s'engager. Le moment semblait donc venu de donner aux chancelleries occidentales des gages de bonne volont? et de

souligner avec nettet? dans quel camp la Turquie entendait se placer. Mustafa Kemal ne voulait plus ?tre consid?r? comme un ? bandit ? ? la solde des Bolcheviks. Il tenait ? prouver aux Grandes Puissances

qu'il ?tait, lui aussi, un ? gentleman ?. Les mesures r?pressives de janvier 1921 furent accueillies par Moscou

sans le moindre murmure. Ce n'est que beaucoup plus tard que la Pravda fera ?tat des ? crimes ? perp?tr?s en 1920 et 1921 par le Gouvernement d'Ankara89. Dans l'imm?diat, l'accent ?tait mis, au contraire, sur les

progr?s de l'amiti? turco-russe90. Il fallait ?viter d'envenimer la dis

corde, de mani?re ? parvenir le plus rapidement possible ? une entente entre les deux pays. A trop laisser tra?ner les choses, la Russie risquait de

compromettre toute sa politique m?ridionale. Le conflit turco-arm?nien

pouvait ? tout moment d?g?n?rer et embraser l'ensemble de la Trans caucasie. Par ailleurs, ? en croire certaines rumeurs, le danger ?tait

grand de voir la Turquie basculer dans le camp des Alli?s. Bien entendu, le Gouvernement d'Ankara, qui venait de manifester son opposition au d?veloppement du mouvement prol?tarien en Turquie, n'?tait pas, pour la Russie des Soviets, un partenaire particuli?rement recommandable,

mais il fallait savoir fermer les yeux sur les tares du r?gime anatolien. Lors du IIe Congr?s de l'Internationale, en juillet 1920, L?nine avait

insist?, dans ses th?ses sur les questions nationale et coloniale, sur la n?cessit? de ? conclure des ententes temporaires, voire des alliances, avec la d?mocratie bourgeoise des colonies et des pays arri?r?s ?91. Au

Congr?s des peuples de l'Orient92 c'est avec le m?me r?alisme que Zinov'ev avait abord? le probl?me des relations turco-soviatiques : ? ... la politique du gouvernement populaire turc n'est pas celle de l'In ternationale communiste, n'est pas la n?tre. Et n?anmoins, nous sommes

pr?ts ? soutenir toute lutte r?volutionnaire contre le Gouvernement

britannique. ?93 Pragmatiques, les dirigeants sovi?tiques n'envisageaient

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L'AXE MOSCOU-ANKARA 179

que le but ? atteindre : la victoire sur l'imp?rialisme. Dans une telle

perspective, l'entente avec le Gouvernement ? bourgeois ? d'Ankara n'avait rien de reprehensible.

Les pl?nipotentiaires turcs ? Ali Fuad pacha, Yusuf Kemal bey et le Dr. Riza Nur ? ?taient arriv?s ? Moscou le 17 f?vrier 1921. En d?pit des chaleureuses d?clarations officielles, c'est dans un climat excessi vement tendu que se d?rouleront les nouvelles n?gociations. Le probl?me arm?nien ?tait bien ?videmment au centre du d?bat. Le Gouvernement d'Erivan multipliait les protestations contre les ? exigences insoute nables ? de la Turquie. Forts de leur sup?riorit? sur le terrain, les Turcs ne voulaient faire aucune concession et entendaient, quant ? eux, s'en tenir au trait? d'Alexandropol94. La situation apparaissait d'autant

plus inextricable que depuis la mi-f?vrier Turcs et Russes s'opposaient ?galement ? propos de la G?orgie. Le 14 f?vrier, l'Arm?e Rouge avait fait une perc?e en territoire g?orgien. S'appuyant sur un accord sign? avec le Gouvernement menchevik de Tiflis95, les Turcs avaient aussit?t

r?pliqu? en s'emparant des provinces d'Ardahan et d'Artvin. Une fois de plus, la Turquie et la Russie semblaient au bord de la guerre. Le chef de la mission turque, Ali Fuad pacha, avait beau essayer de calmer les Russes en leur expliquant que l'arm?e de K?zim Karabekir ?tait inter venue ? pour venir en aide aux ouvriers g?orgiens qui luttaient contre le Gouvernement menchevik ?96, il ?tait ?vident que les Turcs cher chaient tout bonnement ? r?cup?rer les provinces perdues en 1878. ?tait il possible, dans une conjoncture aussi explosive, de trouver n?anmoins un modus vivendi ? Tel ?tait le casse-t?te qu'avaient ? r?soudre les n?go ciateurs r?unis ? Moscou.

La R?publique des Soviets se trouvait devant une alternative simple : elle devait soit d?clarer la guerre ? la Turquie, soit se r?soudre ? des concessions territoriales en Transcaucasie. Manifestement, la seconde solution ?tait la seule susceptible de cadrer avec les exigences de la lutte contre 1' ? imp?rialisme mondial ?. Les dirigeants sovi?tiques ?taient

harcel?s par les ?v?nements. Vers la mi-f?vrier, le ministre des Affaires

?trang?res du Gouvernement d'Ankara, Bekir Sami, avait entam? une campagne d'explications en Europe. Il se trouvait ? pr?sent ? Londres o? avait ?t? convoqu?e une conf?rence en vue du r?glement de la ques tion d'Orient. Si les Turcs parvenaient ? s'entendre avec les Grandes

Puissances, cela pouvait entra?ner pour la Russie des cons?quences incalculables. Les propos anti-communistes que multipliait Bekir Sami dans les capitales europ?ennes97 ?taient particuli?rement inqui?tants. Ils semblaient annoncer un renversement des alliances. Il fallait ? tout

prix se mettre d'accord avec la Turquie, avant qu'il ne soit trop tard. D?s la mi-janvier, le repr?sentant des Soviets en Turquie, Budu

Mdivani, avait fait savoir aux pl?nipotentiaires que l'affaire des ter ritoires revendiqu?s par Cicerin pour le compte de l'Arm?nie n'avait ?t? qu'un malheureux malentendu98. D?but mars, les Arm?niens seront invit?s ? ? faire des sacrifices ? dans l'int?r?t du communisme99. Le 16 du m?me mois, le ? trait? d'amiti? et fraternit? ? entre la R?publique des Soviets et le Gouvernement de la Grande Assembl?e nationale ?tait enfin sign?. Argument massue, la prise de Batoum par les Turcs quelques jours auparavant avait sans nul doute contribu? ? acc?l?rer les choses.

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? C'est l'occupation de la G?orgie et de Batoum ?, ?crira un mois plus tard Mustafa Kemal ? K?zim Karabekir, ? qui a permis l'aboutissement de la conf?rence de Moscou le 16 mars. ?10?

Par le trait? du 16 mars 1921101, qui reprenait la plupart des disposi tions de l'accord paraph? en ao?t 1920102, la Turquie obtenait ?

partiel lement tout au moins ?

gain de cause. Le Gouvernement d'Ankara ?tait certes contraint de r?troc?der Batoum ? la G?orgie (art. II), mais il conservait les provinces de Kars, d'Ardahan et d'Artvin (art. I). En

outre, la R?publique des Soviets proclamait solennellement l'abro

gation des capitulations (art. VI) et s'engageait ? reconna?tre l'enti?re souverainet? de la Turquie sur les d?troits et sur Constantinople (art. V).

Dans un autre ordre d'id?es, les dirigeants sovi?tiques acceptaient de garantir aux mouvements nationaux des peuples d'Orient le droit de choisir librement leur r?gime politique (art. IV). L'amiti? et la frater nit? exalt?es dans le pr?ambule du trait? devaient ?tre mat?rialis?es

par la reprise des relations ?conomiques et consulaires entre les deux

pays (art. XIV), par la mise en uvre de mesures susceptibles de faci liter la circulation des hommes et des marchandises (art. IX) et par le

rapatriement des prisonniers de guerre et des civils intern?s en 1914 (art. XIII).

Destin? ? sceller la bonne entente entre le Gouvernement de la Grande Assembl?e nationale et la R?publique des Soviets, l'accord de Moscou ne fut cependant pas totalement efficace. Les documents dont nous

disposons aujourd'hui, en particulier les documents issus des archives

sovi?tiques, montrent que l'?re d'? amiti? et de fraternit? ? inaugur?e par le trait? de mars 1921 fut en r?alit? plac?e sous le signe de la nervo sit? et de la m?fiance r?ciproques. A Moscou, les diplomates turcs et

sovi?tiques ?taient parvenus ? r?gler un certain nombre de points liti

gieux, mais ils n'avaient pas r?ussi ? ?tablir entre les deux pays un

climat de r?elle concorde. Du c?t? russe, nous observons des manifestations de mauvaise humeur

d?s le lendemain de la signature du trait?. C'est que les Turcs faisaient des difficult?s pour ?vacuer les territoires qu'ils s'?taient engag?s ? rendre ? la G?orgie et ? l'Arm?nie. Le 23 mars, Cicerin exigera en termes comminatoires l'?vacuation imm?diate de la G?orgie par les troupes turques103. D?but avril, la tension entre les deux pays montera encore d'un cran, mais cette fois ? propos de l'Arm?nie. Pr?textant la contre r?volution dachnakiste qui avait ?clat? le 18 f?vrier, K?zim Karabekir avait refus?, jusque-l?, de rendre aux Arm?niens la r?gion d'Alexan

dropol et d'Erivan. Mais le 2 avril, les communistes avaient finalement r?ussi ? ?craser les dachnaks et ? reprendre Erivan. D?s que cette nouvelle fut connue ? Moscou, Cicerin s'empressa d'indiquer ? l'ambassadeur de Turquie, Ali Fuad pacha, que ? le temps ?tait venu pour l'arm?e

turque de se retirer au del? de la fronti?re ?tablie par le trait? de Moscou?104. Le m?me jour, dans un t?l?gramme adress? ? G. K. Ordjonikidze, il s'en prenait ? la ? crapulerie

? de K?zim Karabekir et ?voquait la possi bilit? d'une guerre entre la Turquie et la Russie sovi?tique105.

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L'AXE MOSCOU-ANKARA l8l

Ce n'est qu'au d?but du mois de mai que K?zim Karabekir accepta d'?vacuer la r?gion d'Alexandropol. Mais ? peine ce dossier ?tait-il clos qu'un autre sujet de discorde s'?levait entre les deux pays. Karabekir

? toujours lui ? ?tait ? pr?sent accus? de men?es hostiles ? rencontre

des paysans russes ?tablis dans la r?gion de Kars. Ces paysans qui appar tenaient ? la secte des Molokane106 faisaient l'objet d'arrestations arbi traires et d'incessantes tracasseries. Le commandant de l'arm?e de l'Est les consid?rait comme des ? espions

? ? la solde des Bolcheviks et entendait les contraindre ? repartir pour la Russie. Le 18 mai, Cicerin faisait savoir ? Ali Fuad pacha que si le Gouvernement de la Grande

Assembl?e nationale continuait de pers?cuter les Molokane, la Russie

sovi?tique se trouverait dans l'obligation de retarder le rapatriement des prisonniers de guerre et d'interrompre ses livraisons d'armes et

d'argent107. Ces menaces, mises partiellement ? ex?cution, notamment en ce qui concerne le rapatriement des prisonniers, semblent avoir amen? les Turcs ? plus de souplesse. Mais le probl?me des Molokane ne sera d?finitivement r?solu qu'? l'automne de l'ann?e 1922, lorsque, au terme de longues tractations108, la plupart d'entre eux seront rapatri?s par trains entiers en Russie.

L'arriv?e du diplomate fran?ais Franklin-Bouillon ? Ankara, le

9 juin, vint encore accro?tre le m?contentement des dirigeants sovi?

tiques. A leurs yeux, les discussions franco-turques ne pouvaient repr? senter qu'une ? trahison ? du trait? d'amiti? et de fraternit? sign? peu de temps auparavant ? Moscou. Le 10 octobre, quelques jours avant la signature de l'accord entre la France et le Gouvernement de la Grande

Assembl?e, Cicerin se plaindra am?rement aupr?s de l'ambassadeur de Turquie ? Moscou de ne pas avoir ?t? mis au courant de la teneur des pourparlers109. Les ouvertures faites ? Mustafa Kemal, vers le d?but du mois de juillet, par le commandant en chef des Forces alli?es ? Cons

tantinople, le g?n?ral Harington, contribu?rent sans nul doute ? donner aux dirigeants sovi?tiques l'impression que quelque chose se tramait entre la Turquie et les Grandes Puissances.

Vers la fin de l'?t? 1921, ce sera au tour du Gouvernement d'Ankara de se montrer m?content. En effet, tandis que les troupes k?malistes

s'appr?taient ? livrer un dur combat contre les Grecs, Enver pacha ?tait venu se poster ? Batoum et avait manifest? sans ambigu?t? son intention de reprendre le pouvoir en Turquie110. Il ne faisait aucun doute

que l'ex-ministre de la Guerre agissait avec la complicit? des dirigeants sovi?tiques. Le bruit courait m?me que ceux-ci avaient mis ? sa disposi tion une arm?e de dix ? quinze mille hommes pr?te ? envahir l'Ana tolie111. D?s le 4 ao?t, Yusuf Kemal s'?tait plaint aupr?s de Cicerin du soutien accord? par Moscou ? ? certains aventuriers d?sireux de rentrer en vainqueurs dans le pays ?112. La victoire des Turcs, le 13 septembre, allait faire ?chouer le complot d'Enver. Mais l'alerte avait ?t? chaude.

Aussi Ali Fuad pacha n'h?sitera-t-il pas ? faire d'am?res remontrances ? Cicerin. Ce dernier ne pouvait bien entendu que d?savouer cat?gori quement la tentative de putsch de Batoum. Dans une longue note en date du 10 octobre, il s'efforcera de persuader l'ambassadeur de Turquie ? Moscou que les autorit?s sovi?tiques n'avaient jamais accord? le

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moindre soutien aux ? personnalit?s politiques turques hostiles au Gouvernement de la Grande Assembl?e nationale ?113.

Bien que leurs relations fussent ? difficiles ?, la R?publique des Soviets et le Gouvernement d'Ankara ?taient n?anmoins d?cid?s ? poursuivre leur lutte commune contre les Grandes Puissances. Pour les Russes, cela

impliquait d'importants sacrifices financiers au profit de la Turquie. Lors de la signature du trait? de Moscou, les dirigeants sovi?tiques avaient

promis aux pl?nipotentiaires turcs dix millions de roubles or, ainsi que d'importantes quantit?s d'armes et de munitions. Nonobstant les multi

ples ? actes de banditisme ? de Karabekir en Arm?nie et dans la r?gion de Kars, un premier envoi de quatre millions de roubles parviendra en Turquie d?s le mois de mai 1921. Le restant de la somme promise sera livr? par petits lots entre juin 1921 et mai 1922. Les Russes four niront en outre, au cours de l'ann?e 1921, deux destroyers, plus de trente

mille fusils, des masques ? gaz, des canons, des mitrailleuses et m?me, pour faire bonne mesure, quelque 1 500 sabres114.

C'est cette aide, g?n?reusement dispens?e malgr? d'incessantes

frictions, qui avait permis ? l'arm?e turque de battre les Grecs le 13

septembre. Au d?but de l'automne 1921, le Gouvernement de la Grande Assembl?e se trouvera de toute ?vidence accul? ? une certaine grati tude. De l?, sans doute, la d?tente que nous observons vers cette ?poque dans les relations entre Moscou et Ankara. Cette d?tente se traduira

notamment, le 13 octobre, par la signature ? Kars d'un nouveau trait?

turco-sovi?tique, trait? ayant pour objet d'?largir aux R?publiques transcaucasiennes les effets du trait? de Moscou115.

Mais ce n'est que vers la mi-d?cembre, avec l'arriv?e ? Ankara de l'ambassadeur extraordinaire de la R?publique sovi?tique d'Ukraine,

M. V. Frunze116, que nous assisterons ? une v?ritable d?crispation des

rapports entre les deux pays. Le commandant en chef des arm?es d'Ukraine, dont le voyage ?tait

pr?vu depuis le mois d'ao?t, ?tait une des personnalit?s les plus en vue du parti bolchevik. Sa d?signation ? la t?te d'une mission charg?e de conclure un trait? entre la R?publique d'Ukraine et le Gouvernement d'Ankara ne pouvait que souligner l'importance que les Soviets accor daient ? l'amiti? turco-russe. Extr?mement touch? par ce geste, Mustafa Kemal ?prouva par ailleurs, semble-t-il, une r?elle sympathie pour le ? h?ros ? du front ukrainien. Les nombreux entretiens qu'eurent les

deux hommes se d?roul?rent dans un climat de parfaite confiance et Frunze fut m?me convi? ? prendre connaissance des projets militaires du Gouvernement turc117. Le 20 d?cembre, les parlementaires d'Ankara faisaient ? l'ambassadeur extraordinaire de la R?publique d'Ukraine une ovation comme il ne s'en ?tait jamais vu dans les annales de la Grande Assembl?e118. Pendant toute la dur?e du s?jour de Frunze en Turquie, la capitale anatolienne vivra ? l'heure de la bonne entente turco-sovi?

tique. Le 2 janvier, au cours d'une allocution prononc?e ? l'occasion de la signature du trait? d'amiti? avec l'Ukraine, Mustafa Kemal ira m?me

jusqu'? envisager la possibilit? d'un rapprochement id?ologique entre le populisme turc et le bolchevisme119.

Cette flamb?e de cordialit? ? l'?gard des Soviets aurait pu n'?tre

qu'un feu de paille. Mais Frunze parti, le relais fut pris par le nouvel

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L'AXE MOSCOU-ANKARA 183

ambassadeur de Russie ? Ankara, S. I. Aralov120. Ses pr?d?cesseurs ? Upmal-Angarskij, Budu Mdivani et tout derni?rement Nazarenus121 ?

avaient ?t? assez mal accueillis par le Gouvernement turc. Accus?s d'?tre venus en Anatolie pour y organiser la propagande bolchevique, Upmal Angarskij et Budu Mdivani avaient m?me ?t? pri?s de repartir au plus vite122. Aralov au contraire, diplomate habile et chaleureux, devint d'embl?e une des personnalit?s politiques les plus choy?es d'Ankara. Arriv? dans la capitale anatolienne vers la fin du mois de janvier 1922, il s'?tait mis tout de suite ? l' uvre, multipliant les visites protoco laires, les banquets, les d?clarations publiques, etc. Gr?ce ? son inces sante activit?, il parvint ? s'attirer l'estime de Mustafa Kemal et ? colma ter, pour un temps tout au moins, les fissures qui mena?aient l'alliance

turco-sovi?tique. Le resserrement des liens avec la R?publique des Soviets allait

entra?ner, dans les premiers mois de 1922, une certaine r?surgence de la gauche anatolienne. Pour le Gouvernement d'Ankara il s'agissait simplement de jeter un peu de lest afin de s'assurer le plein soutien des Bolcheviks, ? un moment o? il s'app?tait ? porter un dernier coup de boutoir contre l'envahisseur grec. Les ? extr?mistes ? qui avaient ?t? condamn?s au d?but de l'ann?e 1921 ? diverses peines de prison avaient b?n?fici? d'une amnistie d?s la fin du mois de septembre 1921123. En

mars 1922, l'ex-d?put? de Tokat, Nazim, et le commandant Salih seront autoris?s ? reconstituer le ? parti communiste populaire de Turquie ?.

A l'occasion de l'anniversaire de la Commune, cette organisation parvien dra m?me ? lancer un hebdomadaire, le Yeni Hay at (La Nouvelle Vie), qui assurera pendant quelques mois la diffusion de la pens?e ? marxiste ? en Anatolie124.

Nazim et Salih, qui se r?clamaient de la IIIe Internationale, ne faisaient aucun myst?re de leurs relations avec l'ambassade russe ?

Ankara. Aralov, cependant, sut se montrer loyal envers le Gouvernement k?maliste. Lorsque Nazim vint en juillet lui proposer d'installer un

pouvoir pro-sovi?tique ? Ankara, il n'h?sita pas ? avertir Mustafa Kemal de ce qui se tramait125. Les Bolcheviks, de toute ?vidence, ne couraient

plus derri?re de vaines chim?res. Ils savaient que le temps ?tait pass? o? ils pouvaient esp?rer sovi?tiser l'Asie Mineure. S'ils ne renon?aient pas, dans la perspective d'une strat?gie ? long terme, ? uvrer au d?ve

loppement du mouvement prol?tarien en Turquie, ils ?taient n?anmoins

pleinement conscients de la n?cessit?, pour l'imm?diat, de ne rien faire

qui p?t compromettre la r?ussite du combat anti-imp?rialiste men?

par le Gouvernement d'Ankara. La reconstitution du ? parti communiste populaire de Turquie ?,

en mars 1922, marque le z?nith de la bonne entente turco-sovi?tique. A partir de cette date, les relations entre les deux pays se d?graderont ? vue d' il. D?s la fin du mois d'avril, nous retrouvons l'atmosph?re de

m?fiance et d'incompr?hension qui avait r?gn? pendant la plus grande partie de l'ann?e 1921.

Le premier accroc s?rieux fut provoqu? par les Russes : le 21 avril, des agents de la Tch?ka op?r?rent une descente dans les bureaux de l'at tach? militaire turc ? Moscou et, ? la suite de cette perquisition, certains collaborateurs d'Ali Fuad pacha furent accus?s d'espionnage militaire au

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profit de la Turquie126. Du c?t? turc, la r?action fut imm?diate. Le io mai, Ali Fuad pacha quittait Moscou, rappel? par son gouvernement.

?videmment, il ne pouvait ?tre question, pour une simple affaire de

papiers compromettants, de renoncer ? l'amiti? turco-russe. De part et d'autre on s'effor?a de minimiser l'incident ; mais la Turquie tint n?anmoins ? manifester son m?contentement en refusant, pour un temps, de d?signer un nouvel ambassadeur aupr?s du Gouvernement sovi?tique.

Vers la m?me ?poque, la gu?rilla men?e par Enver pacha au Turkes tan127 vint constituer un second facteur de tension entre les deux pays.

Les Bolcheviks, qui souhaitaient discr?diter la r?volte des Basmaci

aupr?s des masses musulmanes, comptaient sur Mustafa Kemal pour faire un geste en leur faveur. Le n mai, Aralov fut charg? de demander au Gouvernement d'Ankara de condamner publiquement l'entreprise d'Enver128. Mais en d?pit des multiples d?marches effectu?es par l'ambas sadeur sovi?tique, Mustafa Kemal refusa cat?goriquement de prendre position. Il ne voulait pas, disait-il, avoir l'air de se venger de son ancien rival129. A Moscou, ce fut bien entendu la consternation. En s'abstenant de se prononcer, le Pr?sident de la Grande Assembl?e ne faisait que

proclamer son soutien tacite ? la cause des Basmaci. C'?tait l?, pour la

R?publique des Soviets, un outrage de taille, et difficile ? encaisser. En juillet, le colonel Mougin, qui repr?sentait la France ? Ankara,

exulte : ? Les relations entre Angora et les Russes ?, t?l?graphie-t-il au quai d'Orsay, ? continuent ? ?tre peu cordiales. ?13? Aralov avait beau multiplier les banquets, il ne parvenait pas ? enrayer le refroidis sement de l'amiti? turco-sovi?tique. Mais il faudra attendre l'?crasement d?finitif des troupes grecques, au d?but de septembre, pour que la m?sen tente entre la Turquie et la R?publique des Soviets se manifeste au

grand jour. La fermeture de l'hebdomadaire Yeni Hay at en septembre, l'interdiction du ? parti communiste populaire de Turquie ? en octobre, les tracasseries inflig?es ? la mission commerciale russe ? Ankara vers le d?but du mois de novembre131 : autant d'indices qui viendront t?moi

gner de la gravit? de la crise.

Pourquoi cette progressive d?saffection du Gouvernement d'Ankara

pour la Russie sovi?tique ? Tout simplement, semble-t-il, parce que Mustafa Kemal souhaitait am?liorer l'image de marque de la Turquie nationaliste avant de se lancer dans des n?gociations avec les Alli?s. Il s'agissait, comme ? l'?poque de la conf?rence de Londres (au d?but de l'ann?e 1921), de signifier clairement au monde capitaliste que la

Turquie ?tait ferm?e au communisme et qu'elle ne tol?rerait jamais une immixtion bolchevique dans ses affaires. Une telle mise au point ne pouvait que faciliter les pourparlers de paix qui allaient s'engager ? Lausanne.

S'orientait-on vers une rupture d?finitive entre la Turquie et la

R?publique des Soviets ? A la veille de la conf?rence de Lausanne, le Komintern avait laiss? croire que, la guerre finie, la classe ouvri?re

turque engagerait la lutte contre le ? gouvernement de caste ?132 de la Grande Assembl?e. Mais les dirigeants sovi?tiques ne firent rien pour

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encourager une telle ?ventualit? lorsque la paix fut en vue. Tout en

d?non?ant la politique r?actionnaire et les ? zigzags ? des K?malistes, Karl Radek exhortera au contraire, en novembre 1922, les ouvriers turcs ? continuer de soutenir les ? justes revendications ? du mouvement de lib?ration nationale. ? Vous devez comprendre ?, leur dira-t-il, ? que le temps n'est pas venu pour la lutte finale et que vous avez encore un

long chemin ? faire de concert avec les ?l?ments bourgeois... ?133 Les Bolcheviks, somme toute, entendaient poursuivre leur politique

d'alliance avec la Turquie. Les dirigeants anatoliens, de leur c?t?, bien

que l'amiti? et la fraternit? proclam?es en mars 1921 leur parussent passablement encombrantes, semblaient d?cid?s ? maintenir avec la Russie des relations de ? bon voisinage ?. Quatre ann?es de lutte contre un m?me ennemi avaient fini par cr?er entre Ankara et Moscou une certaine communaut? d'int?r?ts.

Meudon, 1977.

i. La bibliographie russe est particuli?rement abondante. Citons notamment les travaux de S. I. Kuznecova, Ustanovlenie sovetsko-tureckih otnosenij (?tablis sement de relations sovi?to-turques, Moscou, 1961), et de P. P. Moiseev et I. Rozalev,

K istorii sovetsko-tureckih otnosenij (Contribution ? l'histoire des relations sovi?to

turques, Moscou, 1958), qui donnent une fort bonne id?e des positions de l'historio

graphie sovi?tique. Du c?t? turc, le travail le plus complet est celui de R. N. Ileri, Atat?rk ve Kom?nizm (Ataturk et le communisme), Istanbul, 1970. L'article de H. Bayur,

? Mustafa Suphi ve milli m?cadeleye el koymaya ?alisan bazi disarda akimlar ?

(Mustafa Suphi et certains courants ?trangers ayant cherch? ? s'emparer de la lutte nationale, Belleten, 140, 1971, pp. 587-654), propose ?galement de nom breux ?l?ments. Hors de l'Union Sovi?tique et de la Turquie, le meilleur expos? d'ensemble est sans doute celui de G. S. Harris, The origins of communism in Turkey, Stanford, 1967.

2. G. J?schke, ? Der Weg zur russisch-t?rkischen Freundschaft ?, Die Welt des

Islams, 16, 1934, PP- 23~3^ > (( Kommunismus und Islam im t?rkischen Befreiungs kriege ?, ibid., 20, 1938, pp. 110-117 ; ? Neues zur russisch-t?rkischen Freundschaft von 1919-1939 ?, ibid., nouv. s?r., V. 6 (3-4), 1961, pp. 203-222 ; ? Le r?le du commu nisme dans les relations russo-turques ?, Orient, 26, 1963, pp. 31-44.

3. W. Z. Laqueur, Communism and nationalism in the Middle East, New York, 1956 ; The Soviet Union and the Middle East, Londres, 1959.

4. W. Z. Laqueur, ouvrages cit?s ; D. Boersner, The Bolsheviks and the national and colonial question (igiy-ig28), Gen?ve, 1957 '> X. J. Eudin et R. C. North, Soviet Russia and the East, ig20-ig2j : A documentary survey, Stanford, 1957 ; A. Bennigsen et C. Quelquejay, Les mouvements nationaux chez les musulmans de

Russie, Paris-La Haye, i960 ; H. Carr?re d'Encausse et S. Schr?m, Le marxisme et l'Asie. i853-ig64, Paris, 1965.

5. Parmi les autres p?riodiques russes que nous avons utilis?s, nous devons mentionner en particulier Novyj Vostok, organe de l'Association des Orientalistes dont le premier num?ro parut en 1922, et Zizri nacional'nostej, organe du commis sariat aux Nationalit?s de Staline. Mais c'est bien entendu dans les Izvestija qu'il convient de rechercher les d?clarations et les documents officiels.

6. Ali Fuad Cebesoy, Milli m?cadele hatiralari (Souvenirs de la lutte nationale), Istanbul, 1953 ; Moskova hatiralari (Souvenirs de Moscou), Istanbul, 1955 ; Kazim

Karabekir, Istikl?l harbimiz (Notre guerre d'ind?pendance), Istanbul, 2e ?d. 1969. 7. Atat?rk'?n s?ylev ve deme?leri (Discours et d?clarations d'Ataturk), Ankara,

3 vols parus, 1959-1961. Nous avons utilis? ?galement le c?l?bre Nutuk, dont une

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traduction est parue en fran?ais sous le titre Discours du Ghazi Moustafa Kemal, Pr?sident de la R?publique turque, octobre 192J, Leipzig, 1929.

8. TBMM zahlt ceridesi (Proc?s-verbaux des s?ances de la Grande Assembl?e nationale de Turquie), Ankara, 2e ?d. 1940-1960.

9. Harp tarihi vesikalari dergisi (Revue des documents de l'histoire de la guerre), Ankara, 1952-1969.

10. Cf. notamment R. N. Ileri, op. cit., p. 30. 11. Ce sont les leaders du comit? Union et Progr?s qui furent les premiers ? ?tre

s?duits par cette id?e. D?s le d?but de Tann?e 1919, les agents britanniques signalent au Foreign Office le rapprochement entre les Jeunes Turcs et les Bolcheviks

(FO 371/4141). A la fin du mois de mars, les Unionistes de Constantinople allaient

jusqu'? distribuer dans les tramways de la ville des tracts appelant le peuple ? ? ouvrir les yeux ? et ? lutter contre les ?

puissances bourgeoises de l'Entente ?. ? Nos commissaires ?, pouvait-on lire dans les tracts en question, ? s'inclinent aujour

d'hui vers vos saints foyers, ils vous sauveront bient?t, inchallah, de vos patrons qui vous ayant li? pieds et mains vous emploient comme des ?nes. Camarades, nous sollicitons votre sinc?re ferveur. Vive le Saint Grand Bolchevisme ! ?

(FO 371/ 4141, dossier 55064.)

12. Cette information, donn?e par S. N. Tansu, Iki devrin perde arkasi {Les coulisses de deux ?poques, Istanbul, 1957, pp. 338 sq.), a ?t? reprise par de nombreux historiens. Cf. notamment G. S. Harris, op. cit., p. 47, et S. R. Sonyel, Turk Kur tulus savasi ve dis politika (La guerre d'Ind?pendance turque et la politique ext?rieure),

Ankara, 1973, I, p. 83. 13. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cette ?tude, nous appesantir sur les

divers ?pisodes de l'histoire du mouvement national turc. Pour un expos? succinct des principaux ?v?nements, nous renvoyons ? l'ouvrage de J. Deny et R. Marchand,

Petit manuel de la Turquie nouvelle, Paris, 1933. On trouvera une analyse plus d?taill?e dans le livre de Lord Kinross, Atat?rk. The rebirth of a nation, Londres,

1964. 14. Il s'agit, selon toute vraisemblance, de Semen Mihajlovic Budennyj (1883

1973), futur mar?chal de l'URSS. Membre du soviet de son r?giment depuis 1917, il avait adh?r? au parti communiste en 1919. Lors de la guerre civile, il ?tait devenu le chef de la premi?re arm?e de cavalerie et il avait combattu Denikin et Wrangel.

En 1922, il sera nomm? commandant en chef de la cavalerie de l'Arm?e Rouge. Par la suite, il ne cessera de s'?lever dans la hi?rarchie militaire sovi?tique. Apr?s la Seconde Guerre mondiale, il si?gera au presidium du Soviet supr?me.

15. D'apr?s S. N. Tansu, op. cit., p. 339. 16. Le commandant H?srev Gerede (1886-1962) ?tait un des huit officiers qui

avaient d?barqu? ? Samsun en m?me temps que Mustafa Kemal. Membre du par lement d'Ankara ? partir d'avril 1920, il fut un des plus fid?les serviteurs du mou

vement k?maliste. Au d?but de la guerre d'Ind?pendance, il s'illustra notamment

par de nombreux articles publi?s dans le Hakimiyet-i Milliye, l'organe du Gouver nement d'Ankara. F. Tevetoglu lui a consacr? une notice biographique dans son

ouvrage Atat?rk'le Samsun'a ?ikanlar (Ceux qui ont d?barqu? avec Atat?rk ? Sam

sun), Ankara, 1971, pp. 185-196. 17. K?zim Karabekir (1882-1948), une des personnalit?s les plus marquantes

de la guerre d'Ind?pendance, prit place, apr?s 1923, parmi les opposants au r?gime instaur? par Mustafa Kemal. Fondateur du ? parti r?publicain progressiste ?, il sera

en 1926 accus? d'avoir foment? un complot contre le Pr?sident de la R?publique. Bien qu'il ait jou? un r?le de premier plan pendant la guerre, Mustafa Kemal

s'efforcera, dans son c?l?bre discours de 1927, de le pr?senter comme un simple ex?cutant de ses ordres.

18. K. Karabekir, op. cit., pp. 59-61. 19. A ce propos, cf. S. R. Sonyel, op. cit., pp. 84-87 ; ?galement F. Kandemir,

Atat?rk'?n Kurdugu T?rkiye Kom?nist partisi (Le parti communiste de Turquie fond? par Atat?rk), Istanbul, s.d., p. 22.

20. K. Karabekir, op. cit., p. 50. 21. Ibid., pp. 55-57. Ce t?l?gramme est dat? du 23 juin 1919. 22. Ibid., p. 73. Nous n'avons pas r?ussi ? identifier le premier de ces person

nages. Quant ? Fuad Sabit, il s'agit d'un ancien panturquiste des Foyers turcs.

C'?tait un membre du Techkilat-i Mahsousa, sorte de service secret cr?? par Enver pacha. Nous savons qu'il participa ? la mise en place du parti communiste

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L'AXE MOSCOU-ANKARA 187

turc de Bakou. On le retrouve ? Moscou en mai 1920, en compagnie de Halil pacha. A partir de cette date, ? en croire K. Karabekir, il s'?loignera progressivement des nationalistes turcs et finira par se rallier au leader bolchevik Mustafa Suphi.

23. FO 4158/118399. Ce document est cit? par S. R. Sonyel, op. cit., pp. 106-107. 24. K. Karabekir, op. cit., p. 75. 25. Les troupes anglaises ne commenceront ? se retirer de la r?gion que vers

la fin de l'ann?e 1919. Apr?s le d?part de ses soldats, la Grande-Bretagne continuera n?anmoins de soutenir les dachnaks ? Erivan, les Mencheviks ? Tiflis et le parti

Musavat ? Bakou. Il faudra attendre le milieu de l'ann?e 1920 pour voir l'influence

britannique s'estomper r?ellement en Transcaucasie. (Cf., par exemple, les pages consacr?es ? cette question par E. H. Carr, The Bolshevik Revolution, Harmonds

worth, Penguin Books, 1969, I, pp. 347 sq.) 26. A ce sujet, cf. S. R. Sonyel,

? Orgeneral K?zim ?zalp'm a?ilan ile ilgili

bir a?iklama ?

(Note au sujet des m?moires du g?n?ral K?zim ?zalp), Belleten, XXXVII, 146, 1973, pp. 231-234. Les archives du Foreign Office signalent la

pr?sence des Bolcheviks ? Constantinople d?s septembre 1919.

27. Oncle d'Enver pacha, Halil pacha (1881-1957) est surtout connu pour avoir

captur? en 1916, ? Kut al'amara en Irak, le g?n?ral Townshend et son arm?e. Par la suite, il devait commander l'arm?e de l'Est qui occupa Bakou en sep tembre 1918. Intern? ? Batoum, puis ? Constantinople, au lendemain de l'armistice de Moudros, il r?ussit ? s'?vader (ao?t 1919) et, passant en Anatolie, proposa ses services ? Mustafa Kemal. Envoy? ? Bakou par ce dernier, il y servira davantage la cause des Unionistes que celle du mouvement nationaliste turc (voir ? ce sujet

mon article, ? La fascination du bolchevisme : Enver pacha et le parti des soviets

populaires. 1919-1922 ?, CMRS, XVI (2), 1975, pp. 141-166). Halil pacha s'est

expliqu? sur ses activit?s au cours de la guerre d'Ind?pendance dans ses m?moires, Bitmeyen sava?. Kut?lamare kahramani Halil Pa?a'nm a?ilar 1 (Le combat ininter

rompu. Les m?moires du h?ros de Kut al'amara, Halil pacha), r?d. M. T. Sorgun, Istanbul, 1972.

28. On trouvera une traduction anglaise de ce document dans l'ouvrage de X. J. Eudin et R. C. North, op. cit., pp. 184-186.

29. Ce texte est cit? par R. N. Ileri, op. cit., pp. 63-64. 30. Le 5 f?vrier 1920, Mustafa Kemal avait envoy? une longue note ? tous les

officiers sup?rieurs impliqu?s dans le mouvement de lib?ration nationale afin de leur faire conna?tre ses vues sur la strat?gie ? adopter face aux Alli?s. La plupart de ses interlocuteurs ?taient d'accord avec lui pour constater que la seule issue qui s'offrait ? la r?sistance anatolienne ?tait de s'entendre avec les Bolcheviks. Cette

correspondance entre Mustafa Kemal et ses camarades a ?t? publi?e dans le Harp tarihi vesikalari dergisi, does 388 sq.

31. A ce propos, cf. P. Dumont, art. cit., p. 146. On trouvera ?galement quelques indications sur cette organisation chez G. S. Harris, op. cit., p. 58.

32. On trouvera le texte int?gral de cet accord dans K. Karabekir, op. cit., pp. 591-592. Le signataire turc de l'accord, Baha Sait (mort en 1936), ?tait un offi cier en retraite, membre de l'organisation secr?te unioniste Karakol.

33. Le ? comit? ex?cutif ? (Heyet-i temsiliye) avait ?t? d?sign? en septembre 1919

par les congressistes r?unis ? Sivas. Cet organisme pr?sid? par Mustafa Kemal

regroupait une vingtaine de membres. Il fera figure, jusqu'en avril 1920, de gouver nement occulte de l'Anatolie. A partir du mois de mai, il sera remplac? par le Conseil des Ministres d?sign? par la Grande Assembl?e nationale d'Ankara. A propos du

Heyet-i temsiliye, cf. U. Igdemir, Heyet-i temsiliye tutanaklari (Les proc?s-verbaux du ? comit? ex?cutif ?J, Ankara, 1975.

34. K. Karabekir, op. cit., p. 482. 35. R. N. Ileri, op. cit., pp. 77-79 ; G. Jaeschke, Turk Kurtulu? savasi krono

lojisi (Chronologie de la guerre d'Ind?pendance turque), Ankara, 1970, pp. 90-91.

36. En fait, Constantinople ?tait occup?e depuis la fin du mois de novembre 1918. Le 16 mars 1920, les Alli?s ne firent qu'accentuer leur pr?sence en occupant les minist?res de la Guerre et de la Marine, les directions de la Police, des Postes et

T?l?graphes, et un certain nombre de corps de garde. Ce d?ploiement de forces constitua n?anmoins la goutte qui fit d?border le vase.

37. R. N. Ileri, op. cit., pp. 83-84. 38. K. Karabekir, op. cit., pp. 505-506. 39. Harp tarihi vesikalari dergisi, doc. 685.

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l88 PAUL DUMONT

40. Ibid., doc. 684. 41. C'est le commandant Ali Riza bey qui fut charg? de ces n?gociations

(K. Karabekir, op. cit., pp. 629-630). Mais, ? Moscou, les pourparlers furent men?s

par Halil pacha et le Dr. Fuad Sabit. Vers la fin du mois de mai, deux autres ?mis saires k?malistes arriveront ? Moscou, Ibrahim Tali et Hul?si bey, porteurs d'une lettre de Mustafa Kemal ? l'adresse de L?nine (ibid., pp. 739-740).

42. Ibid., p. 630. 43. Ibid., p. 626 ; Atat?rk'un tamim, telgraf ve beyannameleri (Circulaires, t?l?

grammes et d?clarations d'Atat?rk), Ankara, 1964, pp. 304-305. 44. On trouvera le texte de ce d?cret dans les Dokumenty vnesnej politiki SSSR

(Documents de politique ?trang?re de l'URSS) (cit? infra : Dokumenty), Moscou, 1957, I, doc. 43, pp. 74-75.

45. Cf. supra, n. 41.

46. Le texte de ce discours est r?sum? dans la Pravda du 19 mai 1920, p. 4, col. 4. Kamenev, qui pr?sidait la s?ance, avait pr?sent? le Dr. Fuad Sabit comme le ? repr?sentant de l'arm?e et des masses paysannes insurg?es ?. Dans son discours,

Fuad Sabit avait vilipend? ? l'ennemi le plus effrayant du prol?tariat, le capitalisme

imp?rialiste, source de tous les malheurs de l'humanit? ? et avait salu? les leaders de la r?volution mondiale ? au nom du prol?tariat turc insurg? ?. On trouvera le texte int?gral de ce discours chez K. Karabekir, op. cit., pp. 743-744.

47. Ibid., pp. 749-750.

48. Il s'agit de la fronti?re d'avant 1914, dont le trac? avait ?t? d?termin? par le trait? de San Stefano en 1878. A San Stefano, l'Empire ottoman avait ?t? oblig? de c?der ? la Russie les provinces de Kars, Ardahan, Batoum et Beyazid. En

mars 1918, ? Brest-Litovsk, les Bolcheviks avaient fini par accepter le principe de la r?trocession de ces terres ? la Turquie, mais n'avaient formul? leur accord

que du bout des l?vres.

49. Dokumenty, Moscou, 1958, II, doc. 372, p. 554 ; X. J. Eudin et R. C. North,

op. cit., pp. 186-187 ; ce texte fut, semble-t-il, largement diffus? dans la presse de

l'?poque : cf. p. ex. La Cause commune du 26 juin 1920.

50. ? Stup?faction ! ?, s'?crie le commandant du front de l'Est, ? tandis que

l'Entente fait main basse sur nos territoires occidentaux, les Bolcheviks poussent les populations de l'Arm?nie, du Kurdistan, du Lazistan, et comme si cela ne suffi sait pas, de la Thrace orientale, ? se s?parer de nous, dans l'id?e sans doute de les avaler eux-m?mes [...] A mon avis [...] il faut s'empresser d'occuper la r?gion d'Alexandropol et si possible toute l'Arm?nie, de mani?re ? ce que nos n?gociateurs ? Moscou apparaissent comme les envoy?s d'une arm?e victorieuse. Sans quoi, ces

types vont s'efforcer de nous arracher notre territoire !... ? (K. Karabekir, op. cit.,

P- 736.) 51. R. N. Ileri, op. cit., pp. 113-115 ; Atat?rk'?n tamim..., op. cit., pp. 338-339.

Nous n'avons pas retrouv? ce texte dans les Dokumenty. 52. Le Ier juin 1920, dans une longue note adress?e ? K. Karabekir, Mustafa

Kemal soulignait avec insistance que l'avenir du pays d?pendait enti?rement de l'alliance avec les Russes et avec le monde musulman. K. Karabekir, op. cit.,

pp. 716-718. 53. Mustafa Suphi (1883-1921) avait, comme beaucoup d'id?ologues orientaux,

suivi la fili?re parisienne (universit?, contacts divers), avant de se lancer, ? son

retour en Turquie, dans la vie politique. Pour opposition au r?gime instaur? par le

comit? Union et Progr?s, il avait ?t?, en 1913, intern? ? Sinop, mais s'?tait ?vad? et avait trouv? refuge en Russie. Ici, il subit un second internement, apr?s la d?cla ration de la guerre, en tant que sujet ottoman. C'est sans doute ? cette occasion

qu'il entra en contact avec les Bolcheviks. Apr?s la r?volution d'Octobre, on le retrouve ? Moscou, r?dacteur en chef de Yeni D?nya (Le Monde nouveau), organe des communistes turcs de Russie, et ? la t?te de la section turque du Bureau central des peuples de l'Orient, d?pendant du commissariat aux Nationalit?s de Staline. En mars 1919, il repr?sente la Turquie au Ier Congr?s de la IIIe Internationale. Au cours des ann?es 1919 et 1920, il sillonne la Crim?e et le Turkestan dans le but

d'?tablir le contr?le de Moscou sur les sections musulmanes du parti. Arriv? ? Bakou le 27 mai 1920, il s'empare de la formation cr??e ici par les Unionistes et la

r?organise en lui adjoignant ? ? en croire certains t?moins ? une section para

militaire. A la fin de l'ann?e 1920, il se rendra en Turquie. Son projet est d'aller

? Ankara et de n?gocier avec Mustafa Kemal l'installation de son parti en Anatolie.

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L'AXE MOSCOU-ANKARA 189

Mais les nationalistes des provinces orientales, Karabekir notamment, accueilleront fort mal cette initiative et provoqueront sur sa route des ? manifestations popu laires ? anticommunistes qui aboutiront, fin janvier, ? son assassinat (en m?me temps

qu'? celui de quatorze de ses compagnons), au large de Trabzon, dans des circons tances mal ?claircies. Ce personnage a retenu l'attention de nombreux chercheurs. Cf. p. ex. W. Z. Laqueur, The Soviet Union..., op. cit., chap, i ; G. S. Harris, op. cit. ; H. Bayur, art. cit.

54. S?leyman Sami ?tait membre du Comit? central du parti communiste turc de Bakou. Pendant la guerre, il avait combattu en tant que lieutenant dans l'arm?e ottomane. Captur? par les Russes, puis lib?r? au moment de la prise du pouvoir par les Bolcheviks, il n'avait pas tard?, comme bien d'autres militants turcs, ?

rejoindre l'organisation cr??e par Mustafa Suphi. Il semble qu'il ait jou? au sein du parti un r?le d'agent double et de provocateur. Lorsque, au d?but de l'ann?e 1921,

Mustafa Suphi d?cidera de se rendre en Turquie, S?leyman Sami fera partie de

l'exp?dition. Mais il ?vitera le sort tragique r?serv? au leader du parti et ? une

quinzaine de ses camarades en se s?parant d'eux ? Erzurum. Coup mont? ? C'est

possible. C'est en tout cas l'interpr?tation donn?e par l'historiographie turque actuelle.

^. Ce document a ?t? publi? par F. Tevetoglu, T?rkiye'de sosyalist ve kom?nist

fa?liyetler (Les activit?s socialistes et communistes en Turquie), Ankara, 1967, pp. 221-223. A. F. Cebesoy (Moskova hatiralari, op. cit., pp. 36-37) en donne un

r?sum?.

56. Pour le texte de ce manifeste, cf. Le Temps, 24 juil. 1920.

57. K. Karabekir, op. cit., pp. 779-780. 58. A ce propos, cf. le petit livre du g?n?ral Veysel ?n?var, Istikl?l harbinde

bol?eviklerle sekiz ay. ig20-ig2i (Huit mois avec les Bolcheviks pendant la guerre

d'Ind?pendance. ig20-ig2i), Istanbul, 1948. Voir ?galement la lettre de K. Kara bekir du 27 ao?t 1920 ? la pr?sidence de l'?tat-major ? Ankara (K. Karabekir,

op. cit., pp. 807-808). Le commandant de l'arm?e de l'Est y explique comment il a tent? de faire ?chec ? l'?toile rouge en obligeant ses officiers ? coudre, ? c?t? de

l'?toile, un croissant, reconstituant ainsi l'?tendard turc.

59. R. N. Ileri, op. cit., p. 140, qui cite les proc?s-verbaux de la Grande Assem bl?e.

60. F. Kandemir, op. cit., p. 45. 61. A ce propos, cf. Dokumenty..., III, doc. 173, p. 325, n. 50. 62. Ibid. ; cf. ?galement A. F. Cebesoy, Moskova hatiralari, op. cit., p. 70.

63. On trouvera le texte du projet paraph?, ibid., pp. 80-81.

64. Ibid., pp. 82-83 ; voir ?galement la note de l'?tat-major g?n?ral en date du 14 octobre 1920, publi?e dans Harp tarihi vesikalari dergisi (doc. 1264).

65. A propos de la guerre russo-polonaise, cf. p. ex. E. H. Carr, op. cit., III,

pp. 212 sq. 66. F. Tevetoglu, op. cit., pp. 223-225.

67. A. F. Cebesoy, Milli m?cadele..., op. cit., p. 475. 68. Le Halk z?mresi ?tait anim?, pour l'essentiel, par d'anciens membres du

comit? Union et Progr?s (? ce propos, cf. P. Dumont, art. cit., p. 151). Mais il y

avait aussi dans ce groupe, selon toute vraisemblance, des ?l?ments ? extr?mistes ?.

Nous savons par exemple que le d?put? de Tokat, Nazim, qui cr?a par la suite le ?

parti communiste populaire de Turquie ?

(T?rkiye Halk istirakiyun firkasi), ?tait un des membres les plus actifs du Halk z?mresi. On trouvera des indications sur

ce groupement dans l'ouvrage de M. Tun?ay, Mesa?. ig20 (Programme. ig2o), Ankara, 1972.

69. Le programme ? populiste

? propos? par Mustafa Kemal figure dans les

proc?s-verbaux de la Grande Assembl?e ? la date du 18 septembre 1920. Ce texte a ?t? repris dans l'ouvrage de R. N. Ileri, op. cit., pp. 189-192 ; voir ?galement I. Arar, Atat?rk'?n halk?ihk programi (Programme populiste d'Ataturk), Istanbul,

1963. 70. A. F. Cebesoy, Moskova hatiralari, op. cit., p. 90.

71. Voir ? ce propos l'article de W. [Weltman ?], ? Les relations russo-turques

depuis l'av?nement du bolchevisme ?, Revue du Monde musulman, 52, 1922, pp. 181

217. 72. C'est ainsi que les choses sont g?n?ralement pr?sent?es dans l'historio

graphie sovi?tique. Voir par exemple l'article de S. I. Kuznecova, ? Krah tureckoj

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ICO PAUL DUMONT

intervencii v Zakavkazii v 1920-1921 godah ?

(L'?chec de l'intervention turque en Transcaucasie en 1920-1921), Voprosy istorii, 9, 1951, pp. 143-156.

73. On trouvera le texte de la lettre de M. Suphi dans l'ouvrage de R. N. Ileri,

op. cit., pp. 202-206.

74. Ibid., p. 206.

75. Budu Mdivani (1877-1937) ?tait un des principaux animateurs du parti communiste en Transcaucasie. Au moment de l'affrontement turco-sovi?tique ?

propos de l'Arm?nie, il faisait partie du conseil r?volutionnaire de la IIe Arm?e. En 1922, il participera aux travaux de la conf?rence de G?nes. D'origine g?orgienne, il se distinguera, au lendemain de la cr?ation de la R?publique de G?orgie, par son

hostilit? ? l'?gard de la f?d?ration transcaucasienne, plaidant pour le maintien de l'individualit? nationale de chacune des R?publiques de Transcaucasie. Exclu du

parti en 1928, il y sera r?int?gr? en 1931 et si?gera jusqu'en 1936 au sein du Sov narkhoz (Sovetskoe narodnoe hozjajstvo/?conomie sovi?tique du peuple). A nou veau exclu en 1936, il mourra l'ann?e d'apr?s, victime des purges staliniennes.

76. Cf. Dokumenty, III, radiogramme de Cicerin ? Mustafa Kemal et ? S. Vratz

jan, pr?sident du Conseil des Ministres de l'Arm?nie, en date du 11 nov. 1920, doc. 173, p. 325.

77. Dokumenty, III, doc. 217, pp. 378-379.

78. Dokumenty, III, note du Gouvernement sovi?tique au Gouvernement de la Grande Assembl?e, 9 d?c. 1920, doc. 210, p. 371.

79. G. K. Ordjonikidze (1886-1936), ami de Staline, ?tait un des principaux animateurs de la fraction stalinienne du parti bolchevik. A son sujet, cf. G. Haupt et J.-J. Marie, Les Bolcheviks par eux-m?mes, Paris, 1969, pp. 168-173.

80. Dokumenty, III, doc. 218, p. 380. Voir ?galement, sur le m?me sujet, le

t?l?gramme de Cicerin au repr?sentant pl?nipotentiaire de la RSS de G?orgie (Dokumenty, III, doc. 213, p. 374).

81. Dokumenty, III, notes de Cicerin au ministre des Affaires ?trang?res du Gouvernement de la Grande Assembl?e nationale, does 228 et 229, pp. 391-398.

82. Le commandant Salih Hacioglu (1880 ?-i95o ?), directeur de l'h?pital v?t?rinaire d'Ankara, fut, semble-t-il, un des militants les plus actifs du mouvement communiste anatolien. Condamn? en mai 1921 ? quinze ans de travaux forc?s, il sera amnisti? en septembre de la m?me ann?e. D?s le mois de mars 1922, nous le retrouvons ? la t?te du ?

parti communiste populaire de Turquie ?. Lorsque, en octobre 1922, les communistes turcs seront ? nouveau traqu?s par le Gouvernement

d'Ankara, Salih, qui se trouvait alors ? Moscou comme d?l?gu? au IVe Congr?s du

Komintern, ?chappera ? l'arrestation. De retour en Turquie, il continuera de militer au sein du parti communiste turc dirig? par ?efik H?sn? et sera condamn? en 1927 ? trois mois de prison. La m?me ann?e, exclu du parti par Sefik H?sn?, il semble qu'il ait d?cid? de se r?fugier en Russie. A en croire A. Sayilgan (T?rkiye'de sol hareketler/ Les mouvements de gauche en Turquie, Istanbul, 1972, p. 160), il aurait ?t? arr?t? ? Moscou en 1949, pour avoir entretenu des rapports avec l'ambassade de Turquie, et condamn? ? quinze ans de r?clusion. Il serait mort peu apr?s son arrestation.

F. Tevetoglu (op. cit., p. 147) donne ? son sujet ? peu pr?s les m?mes informations

que A. Sayilgan, mais pense qu'il aurait ?t? arr?t? au d?but des ann?es 30. Ziynetullah Nusirevan (Navshirvanov dans l'historiographie sovi?tique) ?tait

un ? Tatar de Russie ?, vraisemblablement un Azerba?djanais. On rencontre son nom (ou son pseudonyme Zenun) dans la presse marxiste de Constantinople d?s 1919. En 1920, traducteur de russe ? la direction de la Presse et de l'Information

? Ankara, il rejoignit le parti communiste turc clandestin organis? par le comman dant Salih. Arr?t? en janvier 1921, il sera rel?ch? en septembre, en m?me temps que les autres ? communistes ? anatoliens. En 1922, il sera contraint de quitter la

Turquie, mais il poursuivra son activit? de propagandiste ? partir du territoire

sovi?tique.

83. Cet assassinat a donn? lieu ? une abondante litt?rature. La source principale est un ouvrage collectif publi? ? Moscou en 1923 : 28-29 K?nunusani 1921. Kara deniz kiyilarinda par?alanan Mustafa Suphi ve yoldaslarinm ikinci yild?n?m? (28-29 janvier 1921. Deuxi?me anniversaire de la mort de Mustafa Suphi et de ses camarades sur les bords de la mer Noire).

84. Les historiens turcs (p. ex. H. Bayur, art. cit., ou R. N. Ileri, op. cit.) pensent

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L'AXE MOSCOU-ANKARA 191

aujourd'hui que le meurtre de Mustafa Suphi fut commandit? par les leaders unio nistes. Il est possible, par ailleurs, que K?zim Karabekir ait tremp? dans l'affaire.

8^. Le ? parti communiste populaire de Turquie

? avait ?t? fond? le 7 d?cembre

1920. Il constituait le prolongement ? officiel ? du parti clandestin dont il a ?t?

question plus haut. L'?quipe dirigeante du parti comprenait un certain nombre de d?put?s (Nazim, Servet, Mehmet C?kr?), le commandant Salih et Ziynetullah

Nusirevan. 86. Le proc?s des ? communistes ? anatoliens s'ach?vera le 9 mai 1921. Nazim

bey, Salih et Ziynetullah Nusirevan seront condamn?s ? quinze ans de travaux

forc?s. Leurs complices b?n?ficieront de la mansu?tude du tribunal et seront rel?ch?s.

87. Les historiens turcs de gauche s'efforcent aujourd'hui de montrer que Mustafa Kemal n'?tait pas hostile au communisme. C'est le cas notamment de R. N. Ileri (op. cit.) qui s'appuie sur un grand nombre de textes. Mais les documents

qu'il cite doivent ?tre replac?s dans leur contexte. De toute ?vidence, Mustafa Kemal ne cherchait qu'?

? s?duire ? les Russes, afin de s'assurer leur soutien. 88. Cette id?e est tr?s nettement exprim?e dans une intervention que Mus

tafa Kemal fit le 3 janvier 1921 devant les d?put?s de la Grande Assembl?e. Cf. R. N. Ileri, op. cit., pp. 212-216.

89. Le premier article hostile au Gouvernement d'Ankara que nous ayons relev? dans ce journal date du 26 octobre 1922. Il s'agit d'un texte de A. Djevat intitul? ? Kommunisticeskoe dvizenie v Turcii ?

(Le mouvement communiste en

Turquie). Une quinzaine de jours auparavant, la Turquie avait sign? l'armistice de Moudania avec les Alli?s. D?sormais, les Bolcheviks multiplieront les attaques contre le gouvernement k?maliste. Le 15 novembre, par exemple, G. Safarov ?crira dans la Pravda, ? propos des arrestations de communistes en Turquie : ? C'est plus qu'un crime : c'est une b?tise [...] Tant d'imb?cillit? confine ? la trahison des int?r?ts

nationaux m?mes de la Turquie nouvelle. ?

90. Voir par exemple le long article consacr? par la Pravda, le 22 f?vrier 1921, ? l'arriv?e ? Moscou de l'ambassadeur du Gouvernement d'Ankara. Vers la m?me

?poque, la Pravda ne cesse de mettre l'accent sur l'essor du communisme en Turquie. 91. On trouvera le texte de L?nine et des extraits du d?bat qu'il suscita au sein

du Komintern dans H. Carr?re d'Encausse et Stuart Schr?m, op. cit., pp. 195-222. 92. Ce Congr?s, organis? par le Komintern, s'?tait tenu ? Bakou du Ier au

8 septembre 1920.

93. Le premier congr?s des peuples de l'Orient, Petrograd, 1921 ; r??d. en fac

simil?, Paris, 1971, p. 41. 94. Cf. Dokumenty, III, annexe au doc. 270, pp. 484-488, note adress?e par

B. Sami, au commissaire des Affaires ?trang?res de la RSS d'Arm?nie le 5 f?vr. 1821. Voir ?galement les m?moires de A. F. Cebesoy, Moskova hatiralari, op. cit.,

p. 138. 95. Cf. K. Karabekir, op. cit., p. 866.

96. Cf. Dokumenty, III, doc. 314, p. 556, lettre d'Ali Fuad pacha ? Ci?erin, en date du 3 mars 1921.

97. A ce propos, cf. dans Dokumenty (III, doc. 333, p. 589) les protestations adress?es par Cicerin ? Ali Fuad pacha, le 12 mars 1921.

98. D'apr?s A. F. Cebesoy, Moskova hatiralari, op. cit., pp. 118-119. 99. Cf. A. Skacko, ? Armenija : Turcija na predstojascej konferencii ?

(Arm?nie :

la Turquie ? la conf?rence pr?liminaire), Zizn' nacional'nostej, 6 (104), 1921, p. 2.

100. K. Karabekir, op. cit., p. 883. 101. Le texte du trait? figure dans de nombreux recueils de documents. Cf. p. ex.

J. C. Hurewitz, Diplomacy in the Near and Middle East. A documentary record, II :

igi4-ig$6, New York, 3e ?d. 1972, pp. 95-97. 102. Il s'agit de l'accord ?labor? par Yusuf Kemal et Bekir Sami. Ce texte a ?t?

publi? dans le Harp tarihi vesikalari dergisi (doc. 1264). 103. Dokumenty, IV, doc. 8, pp. 15-16. 104. Dokumenty, IV, doc. 34, p. 49, note du 6 avr. 1921.

105. Dokumenty, IV, doc. 35, p. 50. 106. Le terme Molokan (du russe, Molokane ? buveurs de lait ?) d?signe les

adeptes d'une secte religieuse qui semble s'?tre constitu?e en Russie au xvne si?cle.

L'origine du terme Molokan est controvers?e. D'apr?s certains, les Molokane se

distinguaient des autres orthodoxes par le fait qu'ils buvaient du lait lors du

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I?2 PAUL DUMONT

car?me. Ces ? opposants

? mal vus du pouvoir central furent contraints, ? partir du

d?but du xixe si?cle, de s'installer dans la p?riph?rie du territoire russe, en par ticulier en Transcaucasie. Au lendemain de la guerre russo-turque de 1877, un

grand nombre d'entre eux vinrent se fixer dans la province de Kars. En 1921-1922, K?zim Karabekir obligea la plupart des Molokane de Kars ? repartir en Russie. Mais quelques communaut?s rurales parvinrent ? se maintenir sur place jusqu'en

1962. A cette date, on note un dernier reflux en direction de la Russie. Les Molo

kane furent de grands voyageurs. On a signal? des communaut?s se r?clamant de

cette secte au Caucase, en Sib?rie orientale, en Iran. Actuellement il existe une

importante colonie de Molokane en Californie. Au sujet de ces Molokane ? am?ri

cains ?, cf. p. ex. le livre de P. V. Young, The pilgrims of Russian towns, 1932. O. T?rkdogan a consacr? aux Molokane de Kars une int?ressante monographie :

Malakanlar'm toplumsal yapisi. Kars ilinin u? k?y?nde bir rus etnik grubunun sosyo-ekonomik arstirmasi. 18JJ-1962 (La structure sociale des Molokane. Recherche

socio-?conomique sur trois villages russes de la province de Kars. 1877-1962), Erzu

rum, 1971. 107. Dokumenty, IV, doc. 88, pp. 128-129. 108. Cf. Dokumenty, IV, does 91, 114 et 303 ; V, doc. 246. Il semble que les

Bolcheviks ?taient d?sireux de retarder le rapatriement des Molokane en raison

de la famine qui s?vissait ? cette ?poque en Russie.

109. Dokumenty, IV, doc. 255, pp. 400 sq. 110. Voir ? ce propos P. Dumont, art. cit.

ni. D?s le 29 juin, le g?n?ral Pelle t?l?graphiait aux autorit?s fran?aises : ? D'importants mouvements de troupes rouges ont ?t? constat?s fin mai et au d?but

de juin de Tiflis vers le sud. Renseignements concordants de diff?rentes sources

indiquent qu'une masse de 130 000 ? 150 000 hommes serait concentr?e en Arm?nie russe [...] La pr?sence de ces troupes constitue pour n?gociateurs bolcheviks et

pour leurs alli?s extr?mistes et unionistes un s?rieux moyen de pression. Bolcheviks sont en mesure de donner ? Mustapha Kemal Pacha choix entre deux solutions :

accepter leur alliance ou combattre sur deux fronts... ? (Archives du minist?re fran

?ais des Affaires ?trang?res, Levant 1918-1929, Turquie, 96) (cit? infra : AMAEF). Des informations similaires ? celles contenues dans ce t?l?gramme circuleront tout au long de l'?t? 1921.

112. Dokumenty, IV, annexe au doc. 255, pp. 400 sq. 113. Dokumenty, IV, doc. 255, pp. 400 sq. 114. A ce propos, cf. Dokumenty, III, doc. 213, n. 54. On trouvera ?galement

des indications sur l'aide sovi?tique ? la Turquie dans l'ouvrage de A. M?derrisoglu, Kurtulus savasinm mal? kaynaklan (Les bases ?conomiques de la guerre de lib?ration), Ankara, 1974, PP- 52? SCL- Cet auteur ?value l'ensemble de l'aide sovi?tique ? onze

millions de roubles or, 37 812 fusils, 324 mitrailleuses, 44 587 caisses de munitions et 66 canons.

115. On trouvera le texte de ce trait? dans les Dokumenty, IV, doc. 264, pp. 420

429. Pour le texte en langue turque, cf. p. ex. K. Karabekir, op. cit., pp. 953-958. 116. On trouvera une biographie de Frunze dans G. Haupt et J.-J. Marie,

op. cit., pp. 127-134. Pour ce qui est du r?le jou? par Frunze en Turquie, nous ren

voyons ? l'excellent article de A. N. Hejfic, ? Roi' missii M. V. Frunze v ukreplenii

druzestvennyh sovetsko-tureckih otnosenij ?

(Le r?le de la mission de M. V. Frunze

dans le renforcement des relations amicales sovi?to-turques), Voprosy istorii, 5,

1962, pp. 90-104. Voir ?galement les nombreux mat?riaux rassembl?s dans les

Dokumenty, IV et V.

117. A. N. Hejfic, art. cit., p. 102.

118. R. N. Ileri, op. cit., pp. 253 sq. 119. Hakimiyet-i milliye, 4 janv. 1922, cit? par R. N. Ileri, op. cit., pp. 261-265.

On trouvera le texte de l'accord sign? avec l'Ukraine dans les Dokumenty, V, doc. 1,

pp. 9 sq. 120. S. I. Aralov a consacr? ? son s?jour en Turquie un livre de m?moires (Vospo

minanija sovetskogo diplomata/Souvenirs d'un diplomate sovi?tique, Moscou, i960)

qui constitue une source de premier plan pour l'histoire des relations turco

sovi?tiques en 1922-1923. Une traduction abr?g?e de ces m?moires, ? Diplomats

look back : In the Turkey of Atat?rk ?, a paru dans International Affairs (Moscou), 8, i960, pp. 81-87 ; 10, i960, pp. 97-103 ; 11, i960, pp. 96-102.

121. Nomm? repr?sentant de la R?publique des Soviets aupr?s du gouvernement

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L'AXE MOSCOU-ANKARA I93

de la Grande Assembl?e en remplacement de Shal'va Eliava (cf. supra, n. 26), qui n'avait pu occuper ce poste en raison d'ennuis de sant?, Upmal-Angarskij ?tait arriv? ? Ankara le 4 octobre 1920. Il sera remplac? par Budu Mdivani ? la fin du

mois de janvier 1921, mais la pr?sence de ce dernier sur le territoire turc s'av?rera tr?s vite ind?sirable. A en croire S. I. Aralov (op. cit., p. 32), Moscou aurait accept? de le rappeler d?s le 28 mars. Le nouvel ambassadeur, Nazarenus, ne parvint ? se

maintenir ? Ankara que pendant six mois (juin-novembre 1921). Il fut oblig? de s'en aller pour raisons de sant? (Dokumenty, IV, p. 710, rapport annuel).

122. A en croire certaines sources fran?aises, Budu Mdivani aurait m?me tremp? dans un complot bolchevik visant ? renverser le Gouvernement d'Ankara (cf. p. ex.

AMAEF, Levant igi8-ig2g, Turquie, 278, f. 198). 123. G. S. Harris, op. cit., p. 107 ; M. Tun?ay, T?rkiye'de sol akimlar. igo8-ig2^

(Les courants de gauche en Turquie. igo8-ig2^), Ankara, 2e ?d. 1967, p. 133.

124. A en croire W. Kord-Ruwish, ? Die Arbeiterpresse in der T?rkei ?, Zeit

ungswissenschaft, 4, 1926, le Yeni Hayat aurait ?t? suspendu au bout de 26 num?ros. On est donc en droit de penser que cet hebdomadaire continua de para?tre jusque vers le milieu du mois de septembre 1922.

125. G. S. Harris, op. cit., p. ni.

126. Sur cette affaire, cf. A. F. Cebesoy, Moskova hatiralari, op. cit., pp. 329 sq. Cf. ?galement Dokumenty, V, doc. 138, pp. 274-276, note de Karakhan ? Ali Fuad

pacha, en date du 27 avr. 1922.

127. A ce propos, cf. P. Dumont, art. cit. Pour plus de d?tails sur la question, voir l'ouvrage de H. Carr?re d'Encausse, R?forme et r?volution chez les musulmans de l'Empire russe, Paris, 1966.

128. Dokumenty, V, doc. 154, p. 379. 129. Ibid., n. 83. 130. AMAEF, Levant igi8-ig2g, Turquie, 279,1144, t?l?gramme du 15 juil. 1922.

131. Les autorit?s turques voulaient emp?cher cette mission de poursuivre son

activit? tant que ne serait pas sign? un accord commercial en bonne et due forme entre la R?publique des Soviets et la Turquie. Les Russes, cependant, avaient d?j?

mis en place, ? Ankara et dans d'autres villes turques, un important personnel commercial et mena?aient de rompre leurs relations ?conomiques avec le Gouverne

ment d'Ankara si celui-ci persistait ? demander la fermeture des repr?sentations du Vnestorg (commissariat au Commerce ext?rieur) en Turquie. A ce propos, cf. Dokumenty, V, doc. 291, pp. 634-636, note d'Aralov au minist?re des Affaires

?trang?res de la Grande Assembl?e, 26 oct. 1922 ; cf. aussi doc. 316, pp. 681-683, note du 14 nov. 1922 ; doc. 320, pp. 685-687, note du 18 nov. 1922.

132. Cf. l'appel de l'ex?cutif de l'Internationale communiste du 25 septembre 1922, ? Travailleurs, opposez-vous ? une nouvelle guerre d'Orient ! ?, La Corres

pondance internationale, 74, 30 sept. 1922, p. 574. 133. Cit? par H. Carr?re d'Encausse et S. Schr?m, op. cit., p. 265.

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