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19 Jan / Fév 2007 N° 10 N° 10 Art culinaire TOURIS E M ................................. ................................. ...................... ...................... Raconter le périple du couscous, c’est resti- tuer sa mémoire première, le frémissement des premières graines, les premiers gestes dont il garde le souvenir, le goût et l’odeur qui l’ont marqués. C’est aussi un voyage dans le temps et dans l’espace qui le réintè- gre dans les rituels liés aux étapes de la vie, aux traditions agraires, aux fêtes, à l’eau et au feu. Intemporel, il est à la fois légendaire et familier. Le couscous est ce plat de convi- vialité qui a gardé son histoire millénaire. Le couscous (en berbère seksu) est le plat de référence des habitants de l’Afrique du Nord. C’est aussi leur plus grande et plus belle création culinaire. Les Amazigh furent les premiers à faire cuire à la vapeur les semoules de blé et d’orge. Ils amélio- raient ainsi le traitement des graines jusque là utilisées seulement pour la confection de bouillies et de pains. Le couscous dont l’in- vention remonte vraisemblablement à la fin de la période romaine, n’est mentionné que vers la fin du VIII ème siècle par les auteurs musulmans qui firent l’éloge de ses qualités nutritives et médicales. Il parvient à sortir des frontières et à être prisé selon Rabelais dès le XVI ème siècle sous le nom de Coscoton à la moresque. Ce n’est qu’avec l’arrivée des Hafsides que le nom de cous- cous est évoqué. Le couscous remonte certainement à l’aube de l’Histoire même si ce plat, ainsi que l’af- firme Ibn Khaldoun, n’est cité dans les chroniques qu’après la conquête arabe et l’islamisation du Maghreb. C’est à la table médiévale, au Maghreb mais aussi en Espagne et au Portugal que ce met gagne véritablement ses lettres de noblesse, pas- sant des steppes nord africaines aux cours royales d’Europe. Les théories divergent sur Le couscous ou l'histoire ancestrale d'un grain magique Saveurs berbères Le couscous n’est pas le fait du hasard. Il est réellement né là où il devait naître. Aujourd’hui, chaque pays du Maghreb se targue d’être à l’origine de ce plat aux saveurs berbères. Présent dans les circons- tances de fête et de peine, le couscous s’est toujours entouré d’un rituel qui lui confère une certaine sacra- lité. Table du restaurant “Dar Lahlou”.

Le couscous ou l'histoire ancestrale d'un grain magique · entouré d’un rituel qui lui ... pâtes sont aux Italiens et le riz aux Chinois. ... hanout, (coriandre, poivre, sel)

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Raconter le périple du couscous, c’est resti-tuer sa mémoire première, le frémissementdes premières graines, les premiers gestesdont il garde le souvenir, le goût et l’odeurqui l’ont marqués. C’est aussi un voyagedans le temps et dans l’espace qui le réintè-gre dans les rituels liés aux étapes de la vie,aux traditions agraires, aux fêtes, à l’eau etau feu. Intemporel, il est à la fois légendaireet familier. Le couscous est ce plat de convi-vialité qui a gardé son histoire millénaire.Le couscous (en berbère seksu) est le platde référence des habitants de l’Afrique duNord. C’est aussi leur plus grande et plusbelle création culinaire. Les Amazighfurent les premiers à faire cuire à la vapeurles semoules de blé et d’orge. Ils amélio-raient ainsi le traitement des graines jusquelà utilisées seulement pour la confection debouillies et de pains. Le couscous dont l’in-

vention remonte vraisemblablement à lafin de la période romaine, n’est mentionnéque vers la fin du VIIIème siècle par lesauteurs musulmans qui firent l’éloge de sesqualités nutritives et médicales. Il parvientà sortir des frontières et à être prisé selonRabelais dès le XVIème siècle sous le nom deCoscoton à la moresque. Ce n’est qu’avecl’arrivée des Hafsides que le nom de cous-cous est évoqué.Le couscous remonte certainement à l’aubede l’Histoire même si ce plat, ainsi que l’af-firme Ibn Khaldoun, n’est cité dans leschroniques qu’après la conquête arabe etl’islamisation du Maghreb. C’est à la tablemédiévale, au Maghreb mais aussi enEspagne et au Portugal que ce met gagnevéritablement ses lettres de noblesse, pas-sant des steppes nord africaines aux coursroyales d’Europe. Les théories divergent sur

Le couscous ou l'histoire ancestraled'un grain magique

Saveurs berbères

Le couscous n’est pas le faitdu hasard. Il est réellement

né là où il devait naître.Aujourd’hui, chaque pays

du Maghreb se targued’être à l’origine de ce plat

aux saveurs berbères.Présent dans les circons-

tances de fête et de peine,le couscous s’est toujours

entouré d’un rituel qui luiconfère une certaine sacra-

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Table du restaurant “Dar Lahlou”.

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l’origine du couscous et sur la date de sonapparition au Maghreb. Il semblerait que lecouscous soit originaire du Soudan, vial’Egypte. Au Soudan, on cuisait du pilpil etdu “couscous” de mil ou de sorgho dans despaniers tressés soumis à la vapeur de lamême manière que l’on cuit aujourd'hui lasemoule de blé ou d’orge dans la passoiredu couscoussier.Son origine divise les historiens mais unechose est sure : des fouilles archéologiquesont permis de découvrir des couscoussièredatant des IXème et Xème siècles. Il a par ail-leurs connu de nombreuses transforma-tions au gré des trajets des caravanes à tra-vers le Sahara, et ensuite avec la conquêtede l’Andalousie. Quoiqu’il en soit, le cous-cous est depuis longtemps le “plat national”d’Afrique du Nord. Il a fait partie de la viequotidienne et religieuse ; il accompagnetous les grands événements de la vie.

Couscous d’hiver et couscous d’été

Le couscous est aux Maghrébins ce que lespâtes sont aux Italiens et le riz aux Chinois.C'est un aliment de base qui est le pilier dela vie au Maghreb. L’origine du motCouscous viendrait de l’arabe classiquekouskous et du berbère kseksu qui désigneà la fois la semoule de blé dur et le platpopulaire dont elle est l’ingrédient de base.Certains pensent qu’il provient d’une ono-matopée faisant référence au souffle et aucliquetis des grains de semoule quand onles roule sous la main.

D’autres, sont d’avis qu’il pourrait êtredérivé de l’arabe classique kaskasah, quisignifie “broyer, piler”. On l’appelle Seksouen Kabylie, Taberboucht dans les Aurès,Ta’âm chez les Ouled Naïl, Lem’hawar chezles gens de Mila, Naâma et Constantine.Dans la région de Chenoua, on fait mêmedu Taâm oubelout (couscous à base deglands). Le couscous sera accompagnéd'une sauce appelée marga faite de légumestels les tomates, oignons, navets, ail, fèves,pois chiches, courgettes ; de viandes blan-ches, rouges et de condiments depuis Ras elhanout, (coriandre, poivre, sel) jusqu’aupiment pour avoir une cuisine relevée. Lesgens du littoral comme à Collo ont la spé-cialité du couscous au mérou.

A chaque cérémonie, son propre couscous.Il y a le mesfouf sucré au miel et raisinssecs, ou seffa avec beurre, raisins secs, can-nelle, fleur d’oranger et amandine dansl'Ouest du pays. Il existe le couscous decouleur brunâtre appelé lemziet dont lescitadins de Constantine en raffolent. Lespieds-noirs se sont accoutumés au cous-cous merguez emprunté de l’art culinairejuif. Or, le couscous algérien et maghrébinen général, a pénétré l’Andalousie dès leXIIIème siècle. Sa cuisson à la vapeur quiremonte aux temps reculés, fait que le cous-cous a bien une légende. On peut classer le couscous dans la familledes panades. En roulant la semoule dansune bassine avec la paume des mains, qu’onpasse au tamis bien calibré, les grains sor-tent et sont séchés sur un drap blanc puissont passés à la vapeur dans un couscous-sier pour être cuit.

Mythe et superstition

Le couscous pèlerin est pourtant bien plusqu’un simple plat et il dépasse la dimensionstrictement culinaire. Sa préparationcontient une dimension spirituelle qui n’estpas sans rappeler le rite de la prière. Lecouscous est un acte social de partage quimarque les grandes étapes de la vie(mariage, grossesse, naissance, célébrationdes jours saints …). Il est né dans le girondes femmes et représente l’insigne de leurpouvoir car “seules des mains fémininespeuvent l’apprivoiser”. On parle même decouscous “mythique” car “il porte en lui

Le couscous dans toutes ces formes.

Cuisson au feu de bois, la sauce n’en sera que meilleure !

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l’empreinte des quatre éléments nécessairesà la transmutation alchimique” : le feu (quiconcourt à sa cuisson, lui donne sa cha-leur), la terre (qui à porté le grain et luidonne son odeur, sa couleur, et son goût),l’eau (nécessaire complémentarité pour lerévéler et lui faire atteindre sa pleine matu-rité). L’air (représenté par la vapeur qui sedilue dans l’atmosphère).Dans les croyances berbères, l’asli, élémentmâle, semble dans la plupart des cas, unpersonnage céleste, matérialisé dans lapluie. Pour implorer Dieu afin que la pluietombe, à ce jour les enfants sortent danscertaines de nos régions avec Boughandjaappelé aussi Taghoundja, sorte de marion-nette en pièces d’étoffes multicolores. Lesfemmes superstitieuses s’assurent la fidélitéde leur mari pour l’année à venir si ellesleurs servent un couscous où elles aurontdissimulé les morceaux les plus tendres dela queue de mouton. Compte tenu de cesassociations particulières, les émigrantsd’Afrique du nord ont emmené le couscousdans leurs bagages où qu’ils aillent, de sorteque les meilleurs aussi bien à Marrakech etMeknes qu’à Marseille ou Montréal. C’estainsi que les pieds noirs débarquentd’Algérie en 1962 en France ont ramenédans leurs bagages ce plat, symbole du “là-bas” et qui est devenu aujourd’hui le platpréféré des jeunes en France.

Rites des labours et semailles

Les rites des labours, les rites destinés àfaire tomber la pluie, les rites des moissons,tous ces rites qui sont innombrables sontcélébrés tout au long de l’année agricole. Apartir de là, on perçoit aisément la placedes céréales dans le système agraire ama-zigh. La récolte est ce produit né d’unmariage magique renouvelé chaque année,entre un élément femelle, la terre, et un élé-ment mâle, la pluie. Pour assurer cetteunion et pour la rendre féconde, l’hommeamazigh s’est entouré de toutes les cérémo-nies symboliques qui se déroulent danstoute la Numidie.La terre meurt avec la moisson et renaît àl’automne. De là, est née la préparation ducouscous qui se soumet à des rites que lacérémonie soit funéraire ou festive. Outre ses valeurs nutritionnelles certaines,le couscous est également la nourriture spi-rituelle des Nord Africains pour qui lasemaine ne saurait se terminer sans le bol

de couscous du vendredi après-midi aprèsla prière. Au cours du ramadhan, le mes-fouf - couscous sucré à la cannelle et auxraisins secs - est servi avant le lever dusoleil juste avant le jeûne pour permettre àtous de tenir jusqu’au coucher du soleil. Pasun évènement rassemblant la famille et lesamis ne se fait sans couscous. Mais au-delàde son caractère festif, il est le symbole dela générosité envers autrui. Il porte comme

le pain, la baraka

Des petites mains à l’industrialisation Fabriqué à partir de blé dur, céréale auxnombreuses qualités nutritionnelles, lecouscous est un aliment chargé de protéi-nes, fibres, phosphore et vitamine B3 etpauvre en lipides et en sodium.Si son mode de préparation est constant(une semoule roulée, cuite à la vapeur etassaisonnée d’un bouillon) les ingrédientsqui entrent dans sa composition rensei-gnent sur le rang social de la famille. Deplus, on pourrait tracer une carte des cous-cous où se dessinent nettement deux axes.Du jardin au désert en passant par la côteles assaisonnements et les légumes chan-gent. Produit simple, il s’accommode aussibien d’une préparation compliquée et richeen ingrédients que d’une simple noix debeurre et d’un peu de sucre et de cannelle.En dépit des divergences voire des désac-cords sur ce qui fait un “vrai” couscous, laméthode de préparation et de présentation

demeure plus ou moins la même partout.La graine de couscous est faite avec de lasemoule de blé dur, de l’eau et éventuelle-ment du sel et de la farine soit à la mainselon une méthode qui demande beaucoupde travail et de temps soit de plus en plus demanière industrielle.La première machine reproduisant le gestehumain du roulage des grains de semoule aété mise au point en 1953 par les frèresFerrero. Les grains ainsi formés sont passésdeux ou trois fois à la vapeur dans une pas-soire placée au dessus d’une marmite danslaquelle cuit le bouillon. Cependant, dansles pays occidentaux et en particulier enFrance le couscous est simplement préparépar réhydratation avec un même volumed’eau ou comme base de taboulé.

Pour faire un bon couscous, chacun pos-sède sa recette. “Le couscous d’orge etd’avoine fait baisser le taux de cholestérol etde glycémie” raconte un célèbre cuisiniermarocain se basant sur les résultats d’étudesscientifiques américaines et britanniquessur l’impact du riz, de l’orge ou de l’avoinesur la santé. Et pour ceux qui veulent met-tre un peu plus de goût dans leur semoule,il propose une série de couscous aromati-ques : au miel, sauce soja, ketchup, pru-neaux et raisin sec, moutarde ou au kiwi…Tout un programme qui allonge encore lavie millénaire du couscous.

Yanis Arkoun

Chaque région du Maghreb se targue d'être à l'origine du couscous.