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— Ton père ? répéta Lucas en me serrant un peu contre lui. L’électrochoc fut lorsque je réalisai soudainement parler de « lui ». Il était absolument hors de question de me confier à cet homme, surtout à ce propos… — Que fais-tu ici ? m’enquis-je tout en reniflant bruyamment et en le repoussant. Il résistait, me rendant la tâche extrêmement difficile. — Lorsque j’ai constaté avoir oublié ma veste, je suis revenu. Une fois près de la porte, je t’ai entendue crier et je t’avouerai que mon sang n’a fait qu’un tour. À nouveau, je tentai de m’échapper de l’emprise de ses bras mais mon ténébreux amant refusa encore de me libérer. — Ce n’est rien… pourrais-tu me lâcher, s’il te plaît ? lui demandai-je faiblement. Lucas garda le silence durant d’interminables secondes avant de soupirer et accéder à ma requête. Je me relevai, toujours secouée par des tremblements involontaires, parfaitement consciente du regard attentif de mon monsieur « Smoking ». — Zoé… nous ne pouvons pas continuer ainsi… murmura-t- il. — Vous m’ôtez les mots de la bouche, Domeo. Cette voix à l’inflexion extraordinairement glaciale ne pouvait appartenir qu’à une seule personne : Romain DeBrisse. — Romain ? fis-je, légèrement mal à l’aise, tandis que Lucas se relevait. Pourquoi éprouvais-je la sensation absurde d’être une enfant prise en faute à chaque fois que mon ami posait sur moi ses prunelles désapprobatrices ? 5

Le cuisinier de mon restaurant croisa nonchalamment lesexcerpts.numilog.com/books/9782365403863.pdf · Lucas garda le silence durant d’interminables secondes avant de soupirer et

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— Ton père ? répéta Lucas en me serrant un peu contre lui.L’électrochoc fut lorsque je réalisai soudainement parler de

« lui ». Il était absolument hors de question de me confier à cet homme, surtout à ce propos…

— Que fais-tu ici ? m’enquis-je tout en reniflant bruyamment et en le repoussant.

Il résistait, me rendant la tâche extrêmement difficile.— Lorsque j’ai constaté avoir oublié ma veste, je suis

revenu. Une fois près de la porte, je t’ai entendue crier et je t’avouerai que mon sang n’a fait qu’un tour.

À nouveau, je tentai de m’échapper de l’emprise de ses bras mais mon ténébreux amant refusa encore de me libérer.

— Ce n’est rien… pourrais-tu me lâcher, s’il te plaît ? lui demandai-je faiblement.

Lucas garda le silence durant d’interminables secondes avant de soupirer et accéder à ma requête.

Je me relevai, toujours secouée par des tremblements involontaires, parfaitement consciente du regard attentif de mon monsieur « Smoking ».

— Zoé… nous ne pouvons pas continuer ainsi… murmura-t-il.

— Vous m’ôtez les mots de la bouche, Domeo.Cette voix à l’inflexion extraordinairement glaciale ne

pouvait appartenir qu’à une seule personne : Romain DeBrisse.— Romain ? fis-je, légèrement mal à l’aise, tandis que Lucas

se relevait.Pourquoi éprouvais-je la sensation absurde d’être une enfant

prise en faute à chaque fois que mon ami posait sur moi ses prunelles désapprobatrices ?

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Le cuisinier de mon restaurant croisa nonchalamment les bras sur son torse, puis ses yeux glissèrent de ma personne pour se concentrer sur mon amant.

— Je suis là, désormais. Vous pouvez vous en aller, monsieur plein-aux-as, lâcha mon ami d’enfance.

Lucas émit un rire bref, un brin ironique, puis secoua la tête avant de l’affronter franchement.

Les deux hommes se défièrent mutuellement dans un silence tendu. Je m’interposai aussitôt, n’étant pas d’humeur à jouer les arbitres dans un éventuel combat de coqs.

— Je pense que…Évidemment, ils ne me laissèrent pas terminer ma prose de

médiatrice.— J’apprécierais beaucoup que vous n’interveniez pas dans

ma relation avec Zoé, monsieur DeBrisse, susurra Lucas, les paupières plissées.

Un sourire impitoyable se dessina sur les lèvres de Romain.— Alors vous vous êtes renseigné sur moi… je vois,

rétorqua mon ami à la chevelure blonde.Je ne pus m’empêcher de remarquer le contraste visuel qu’ils

offraient. Lucas possédait ce charme latin, brûlant, indéniablement attirant… mais je n’avais jamais vu Romain avec une telle expression implacable et virile. Lui qui était d’habitude d’une nature très calme, flegmatique, même avec son étrange humour acide, il ne m’avait jamais paru dangereux. Là, il ressemblait davantage à un…

Minute, m’admonestai-je mentalement. Ce n’est pas réellement le moment de les comparer.

Monsieur « Smoking » enfonça négligemment les mains dans les poches de son pantalon, dans une posture faussement décontractée.

— Je ne vais pas le nier, dit simplement Lucas en haussant les épaules.

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— J’ai reçu un appel de la secrétaire de Maître Leoni, expliqua Romain sans cesser de fixer mon amant. J’ai aussitôt sauté dans ma voiture pour te rejoindre.

— Merci, commençai-je en essayant de me composer un sourire sur les lèvres.

Mais il m’ignora au profit de l’homme sur lequel il dardait un regard aussi bleu que réfrigérant.

— Monsieur Domeo, pourriez-vous partir, à présent ? suggéra calmement mon cuistot, vêtu d’un t-shirt d’un blanc immaculé sur un jean délavé.

— Et si je refuse ? répondit l’intéressé avant de me saisir la taille d’un geste possessif.

Les yeux de Romain dévièrent brièvement sur la main de Lucas posée sur ma hanche et son visage se figea un quart de seconde dans une expression tout bonnement terrifiante. Cela dura trop peu de temps pour en être certaine et mon état psychologique ne me permettait d’affirmer que ce n’était pas là une simple hallucination.

— N’insistez pas. Il s’agit d’une affaire qui ne vous concerne en rien.

— Mais vous, oui ?— Exactement. Demandez directement à Zoé, si vous en

doutez.Je n’osais pas répondre. La seule vérité était que je ne

souhaitais pas impliquer Lucas dans ce mélodrame digne d’une série télévisée. Mélodrame qui faisait partie de ma vie, hélas.

Face à mon silence qui tendait à confirmer les dires de Romain, monsieur « Smoking » plongea son regard dans le mien.

— Zoé ?Je ne détournai pas les yeux tandis qu’il m’auscultait jusqu’à

l’âme de ses prunelles teintées d’incertitudes. Ou du moins, ce que je lui laissais seulement entrapercevoir de mes tourments.

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Toujours muette, je sentis qu’il abandonnait enfin cette manche, à mon grand soulagement.

— Très bien, appelle-moi dès que c’est possible…Lucas referma brièvement les lèvres pour les pincer l’une

contre l’autre.— … s’il te plaît, ajouta-t-il après un court instant.La minute suivante, l’héritier Domeo avait déjà refermé la

porte derrière lui.Il me fallut plusieurs minutes avant de discerner la veste que

mon ami agitait sous mon nez. Mon visage se tourna vers le sien qui demeurait figé dans une expression totalement neutre.

— Je ne suis pas d’humeur à écouter tes reproches.Autant lui annoncer immédiatement la couleur, songeai-je

tout en enfilant le vêtement.— Je sais, lâcha-t-il d’une voix atone. Allons-y.Dix billets que le trajet jusqu’au bureau de l’avocat allait se

dérouler dans une ambiance à couteaux tirés, et j’étais en présence d’un maître dans la manipulation de ces armes effilées : un chef cuisinier.

Même si je détestais le simple fait de l’admettre, Romain connaissait tout de moi depuis de nombreuses années. L’inverse n’était pas forcément vrai.

Mon regard suivait le défilement des rues sans réellement se fixer dessus. Je tentais vainement de me vider l’esprit afin d’être capable d’affronter la discussion qui pointait son nez et se passerait dans l’officine de Maître Leoni.

— Je ne comprends pas ce que tu lui trouves.— Si tu étais sexuellement attiré par les hommes, je n’aurais

pas besoin de te faire un dessin.J’entendis Romain inspirer profondément, comme pour

s’exhorter au calme.— Ce type n’est pas assez bien pour toi. Je pourrais te

présenter des mecs qui le valent au centuple.

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