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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 23 février | Volume 105 Numéro 15 Je me sens 22 depuis 1977

Le Délit du 23 février 2016

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Page 1: Le Délit du 23 février 2016

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 23 février | Volume 105 Numéro 15 Je me sens 22 depuis 1977

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Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 15

2éditorial le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

[email protected] Julia Denis

actualité[email protected]é MourIkram MecheriHannah Raffin

[email protected]éline FabreVassili Sztil

Société[email protected] Perrin Tabarly

économie [email protected] Sami Meffrecoordonnateur de la production

[email protected] Baptiste Rinnercoordonnatrices visuel

[email protected] EngérantVittorio Pessin

coordonnateurs de la [email protected] BojuAntoine Duranton

coordonnatrice réseaux [email protected]

Inès L. DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Joseph BojuWebmestre

[email protected] Ménard

contributeursNouédyn Baspin, Camille Biscay, Lauren Boorman, Colombe de Grandmaison, Luce Engérant, David Leroux, Magdalena Morrales, Vincent Morréale, Arno Pedram, Philippe Robichaud, Inès Thiolat, Jenny Zhu.couvertureMahaut Engérant et Vittorio Pessin

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

the McGill daily [email protected]

Niyousha Bastani

Pressez 1 pour culture

«Yo, idée pour édito?» Quatre mots qui résonnent comme les quatre syllabes de démocratie. Dé-mo-cra-tie. Quel-beau-Dé-lit.

Vous voilà plongés dans le processus de décision consensuel pour l’éditorial représentatif de l’équipe du Délit. Ce dimanche, sur la conver-sation Facebook «Délit Officiel», la proposition fut lancée: «Et si on par-lait culture pour une fois? Ça change de l’AÉUM.»

Qui a le droit?

Affirmer notre point de vue sur la vitalité de notre culture en tant que seul journal francophone dans une université qui, dans une des villes francophones les plus dynamiques en termes de culture, oublie parfois son environnement… Logique et nécessité.

Faire une ode à ces créations artistiques qui se retrouvent chaque semaine dans nos pages… Facilité et légitimité.

Écrire un éditorial sur la liberté, l’insolence, l’innovation de la culture québécoise alors que notre équipe est en grande majorité consti-tuée de Français «de France»… Risque d’observation ethnologique et point de vue biaisé.

Minorité ou concentré

Dans les sections Actualités, Société et — bien évidemment — Culture, l’identité et l’élan continu de la culture québécoise ont fait les titres cette semaine.

Hubert Aquin (p.14) et Claude Jutra (pp.6 et 15) nous évoquent l’histoire de notre vie culturelle par deux grandes figures d’une identité québécoise encore en formation pendant la Révolution tranquille: entre

celui qui a choisi la voie indépendantiste révolutionnaire et celui beau-coup plus en retrait mais au rôle néanmoins important pour l’affirma-tion d’une culture propre au Québec. Une histoire qui aujourd’hui enco-re est ancrée dans la province à travers son héritage et la postérité de ces artistes, mais aussi par la brûlante polémique autour de Claude Jutra.

Notre longue entrevue avec le groupe de post-rap Dead Obies laisse voir que la culture québécoise investit d’autres espaces, moins conven-tionnels, et par le passé largement anglophones.

Et le milieu étudiant?

McGill reste souvent «hors-jeu» quand il s’agit de culture qué-bécoise, mais Le Délit a pour rôle de faire éclater la fameuse bulle en rencontrant régulièrement des artistes francophones de Montréal et en couvrant des événements mettant à l’honneur la culture de notre province — comme les Rendez-vous du cinéma québécois cette semaine (pp. 12 et 13).

À la suite d’Hubert Aquin et de son grand article «La fatigue cultu-relle du Canada français» publié dans Liberté en 1962, une idée forte s’est développée au Québec, l’idée que la culture québécoise se serait faite à côté de l’Histoire, car prise entre deux cultures dominantes: la culture anglophone de l’Amérique du Nord et la culture française du colonisateur.

Le Délit pourrait se désoler d’être dans la même position au sein du bastion mythique anglophone de McGill, forteresse érigée au centre de la plus grande métropole de la province. La question de la minorité culturelle se pose, et avec elle celle de l’affirmation et du rayonnement d’une identité et d’une langue.

Une culture étouffée par le confinement? Ce n’est pourtant pas ce qui se défend dans nos pages cette semaine: le Québec joue le cadre d’un microcosme culturel où la force de la création est livrée en concentré. Peut-on filer la comparaison avec Le Délit? x

julia DenisLe Délit

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

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Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

L’AG pose son empreinte L’Assemblée générale d’hiver 2016 accepte cinq motions et en reporte une.

Campus

«Chaque étudiant a une voix égale. C’est ce en quoi consiste

l’Assemblée générale.» Il ne fal-lait pas compter rentrer dans la Ballroom de l’AÉUM pour assis-ter à l’Assemblée générale d’hi-ver sans arriver très en avance. Dès 14h30, les escaliers du bâti-ment de l’AÉUM étaient remplis d’étudiants.

Les deux premières motions ont été très rapidement adop-tées. Elles concernaient tout d’abord la nomination de l’audit de l’association pour l’année prochaine — l’entreprise Fuller Landau — puis la ratification du conseil des gouverneurs. Aucune remarque, une large majorité vote «oui» sans autre forme de procès.

Motion historique

Puis, arrive la motion la plus attendue, mais également

la plus redoutée de cette AG. Il s’agit de celle souhaitant le sou-tien du mouvement BDS McGill (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Cela fait plusieurs années que des motions simi-laires à celle-ci sont rejetées et font débat pendant des semaines sur le campus. Dès le lancement de la période de discussion, des dizaines d’étudiants se lèvent pour prendre la parole, un dis-cours étoffé en amont. La salle de bal prend des allures de tri-bunal, car après une minute, le président de l’assemblée use de son marteau de juge. Le débat dure pas moins de deux heures. Puis, après presque une heure d’attente, la réponse est enfin dans les mains du président. La salle retombe dans le silence et l’atmosphère est électrique. La motion est adoptée! Et ce, à une majorité considérable: 512 voix pour, 357 contre, et 14 abs-tentions. Rappelons que l’année dernière, à l’Assemblée générale d’automne, une motion similaire

avait été proposée. Cependant, suite à 1h30 de débat, il avait été décidé que la motion soit repor-tée. À l’entente des résultats, énormément d’étudiants crient de joie, se lèvent, se prennent dans les bras en pleurs.

Surprise de dernière minute

Après cette motion, la salle se vide de moitié. La prochaine motion a pour but que McGill considère d’arrêter l’utilisation des minéraux issus d’une pro-duction contraire à l’éthique. La suivante concerne l’augmen-tation du contenu académique autochtone à McGill. Les deux sont acceptées presque instan-tanément et à l’unanimité. Puis, à la surprise de l’assemblée, une nouvelle motion qui n’avait pas été évoquée antérieurement au lancement de l’assemblée, est proposée. Elle est à propos du soutien de la communauté autochtone Kahtihon’tia:kwenio. Alors que beaucoup s’attendent à

ce que cette motion soit adoptée aussi vite que les toutes der-nières, coup de théâtre: Ashley Bach, coordinatrice de l’Alliance des Étudiants Autochtones de Mcgill, prend une position plus qu’inattendue. Elle soutient que les étudiants autochtones de Mcgill n’ont pas été consultés, et que les défenseurs de la motion — notamment une femme en par-ticulier, Kahentinetha — défend une position très controversée qui n’est en aucun cas repré-sentative de la communauté autochtone dans son ensemble. Une motion est donc votée pour reporter cette même motion à une prochaine assemblée, quand le sujet délicat aura été examiné de manière plus approfondie.

Enfin, une discussion est ouverte sur la politique de taba-gisme dans le campus. La v.-p. aux affaires de l’université prend la parole et présente les résul-tats d’un sondage effectué sur ce thème. Elle soutient que de nom-breux étudiants sont concernés

par les effets du tabagisme passif et qu’en conséquence, le Groupe de Travail à propos du Tabagisme sur le Campus a été créé. Dans sa présentation, elle évoque l’idée de la création d’abris pour fumeurs, politique qui serait soit définitive, soit temporaire — en vue d’un futur campus sans tabac. Cependant, elle rappelle que ce ne sont que des hypothè-ses et que ce groupe de travail est totalement ouvert au dialogue, et c’est d’ailleurs pour cela qu’une discussion ouverte est tenue à l’Assemblée. Quelques étudiants viennent donc poser des ques-tions aux présentateurs.

En somme, cette Assemblée générale a été pleine de rebon-dissements, et riche en consé-quences, du moins symboli-quement. On a pu y voir des étudiants engagés, concernés par ce qui se passe autour d’eux, et qui veulent vraiment changer les choses — bien que leur implica-tion à l’Assemblée était inégale entre les différentes motions. x

hannah raffinLe Délit

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4 actualités le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Rencontre avec la nouvelle doyenne de la faculté des Arts: Professeure Maioni.

Quoi de neuf sur le campus?, vous offre un nouveau regard sur l’actualité récente

de l’Université McGill.

Nommée au poste de doyenne de la Faculté des arts de McGill le 11 février dernier, la professeure Antonia Maioni siégeait aupara-vant en tant que présidente de la Fédération des sciences humaines du Canada entre 2013 et 2015. Cette diplômée de l’Université de Laval, Carleton et Northwestern, spécia-liste en politique comparative et en santé publique, occupera ce mandat pour les cinq prochaines années. Le Délit a rencontré pour vous cette femme au parcours exceptionnel.

Le Délit (LD): Quels sont les plus gros défis que vous avez ren-contrés au cours de votre parcours?

Professeure Antonia Maioni (AM): Mon parcours est à la fois typique et atypique pour une profes-seure d’université. Typique dans le sens d’être voué à l’enseignement et à la recherche; mais atypique aussi

car je me suis vouée au service de la communauté, à l’Université bien sûr, mais aussi à la communauté dans un sens plus large. C’est un grand défi de trouver l’équilibre entre ces deux parcours. Mes plus grandes fiertés sont d’avoir

contribué à la formation d’une nou-velle génération d’étudiants, d’avoir contribué à la vie intellectuelle de ma profession de façon interdis-ciplinaire et d’avoir contribué à la conversation publique au sujet des enjeux politiques.

LD: Quels sont vos objectifs, vos priorités et les projets que vous souhaitez accomplir lors de votre mandat?

AM: D’abord, je souhaite faire en sorte que la Faculté joue le rôle qui lui revient dans les plans straté-

giques de l’Université. Mes objec-tifs s’inscrivent dans une certaine continuité avec le succès établi de la Faculté des arts, qui est déjà un lieu de rencontre extraordinaire entre professeurs, chercheurs et étudiants de toutes les disciplines et de par-

tout dans le monde. Je veux aider la Faculté à poursuivre ce beau succès, mais aussi à faire face aux défis du futur. Une priorité importante pour moi est de m’assurer que les humani-tés et les sciences sociales occupent la place qui leur revient à l’Uni-versité, mais aussi dans la société qui nous entoure. Les projets sont nombreux, mais pour l’instant un des plus importants chantiers, sur lequel j’ai déjà commencé à travailler, est la création d’une École de politiques publiques, un partenariat entre plu-sieurs facultés et disciplines qui sera sous la responsabilité de la Faculté des arts.

LD: Dans vos propres projets de

recherche, vous vous êtes souvent pen-chée sur les questions liées à la santé au Canada et au Québec. Or, depuis quelques années, les associations étudiantes de McGill demandent un plus grand soutien mental pour les étudiants, comment comptez-vous remédier à cette problématique?

AM: Les défis de la santé men-tale sont aujourd’hui mieux connus qu’auparavant, ici comme dans tous les milieux de travail et d’enseigne-ment. Ces défis vont bien au-delà

des diagnostics et les organisations comme la nôtre doivent apprendre à gérer les facteurs de risque et à cibler les interventions appropriées. Ce ne sont pas des questions faciles et l’Université ne peut offrir qu’une partie du soutien et des solutions qui peuvent être requis. J’espère contribuer à faire avancer ce dossier à la Faculté afin d’aider tous nos étu-diants à profiter pleinement de leur expérience universitaire.

LD: Il se fait tard, le moral de votre équipe est à plat, quelle chanson mettriez-vous pour les motiver et les aider à se relancer?

AM: Ah, voilà une question piège qui risque de révéler certaines différences entre les générations! C’est sûr qu’il n’y a rien de mieux que le rock classique pour remet-tre de l’énergie dans une pièce. Pourquoi pas «J’entends frapper», du Montréalais Michel Pagliaro. De quoi réveiller tout le campus! x

ikram mecheri Le Délit

«Mon parcours est à la fois typ-

ique et atypique»

Courtoisie de la doyenne

matilda nottage & Chloé mourLe Délit

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5actualitésle délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Le Québec subversif des années 1970Le collectif Anarchives présente les mouvements contestataires LGBT et étudiants québécois.

conférence

Le long cycle sur la contre-cul-ture au Québec, organisé par le collectif Anarchives (dont

nous vous parlions déjà dans un article du 20 octobre 2015) s’est clô-turé vendredi dernier par deux ulti-mes conférences. Celles-ci, portant sur les luttes LGBT et les critiques de l’école ont fourni deux nouvelles preuves, s’il en fallait encore, de l’ef-fervescence culturelle et politique du Québec des années 1970.

Émancipation sociale et émanci-pation gaie

Bruno Laprade, étudiant en sémiologie à l’UQAM, est le pre-mier à prendre la parole. Partant du tournant de 1969, la loi «omnibus» de Pierre-Eliott Trudeau qui, entre autres, dépénalise l’homosexualité, l’orateur a décrit la montée en puis-sance d’une conscience politique autonome pour les groupes gais (en-tendons homosexuels masculins).

Deux types d’organisations ont exprimé cette nouvelle conscience politique: les groupes «homophiles», avec des revues comme Gai-Kébec

ou Ultimum, qui appellaient au coming-out, à assumer publique-ment son homosexualité, appelant donc plutôt à une révolte au niveau individuel.

À l’inverse, les groupes de libération furent beaucoup plus revendicatifs. Ainsi, le Front de libération homo-sexuel est créé en 1971, clin d’œil au Front de libération du Québec, et insista sur la nécessité d’une opposi-tion radicale et globale à l’oppression sexuelle. La coopération avec les autres mouvements sociaux était alors envisagée dans ce cadre d’une révolte générale au pouvoir en place.

Il faut souligner dans ce cadre le rôle de Gay McGill, créé en 1972, premier groupe gai universitaire, qui liait la cause homosexuelle à d’autres luttes (cause féministe ou même pour un tarif abordable dans les transports en commun).

Remettre en contexte ces mouvements était donc particu-lièrement intéressant, plaçant ces luttes dans le mouvement général d’émancipation sociale du Québec

des années 1960 et 1970. L’orateur a néanmoins insisté sur le fait que certains groupes homosexuels ont préféré militer à côté des autres mouvements sociaux, individua-lisant leur lutte; les mouvements

indépendantistes étant d’ailleurs parfois réticents à s’allier aux grou-pes homosexuels.

Les premières contestations étu-diantes

Jaouad Laaroussi, doctorant d’histoire à l’UQAM, a pour sa part évoqué la critique de l’éducation

québécoise, qui se mit en place dans les années 1960 dans le cadre de la révolution tranquille. C’est notam-ment le moment de la création des CEGEP.

Dans cette phase d’ins-tallation, les mou-vements étudiants étaient plutôt dans une logique de dia-logue avec l’État pour faire entendre leurs revendica-tions. La rupture s’opéra en 1967, lorsque les univer-sités commencè-rent à fonctionner, assez loin des projets étudiants. Les premiers mani-festes étudiants des années 1967-1968

dénonçaient ainsi l’université des «notables», trop peu accessible aux classes populaires et critiquaient, par de multiples grèves, la charte universitaire qui ne laissait pas de place à la démocratie étudiante (qui voulait choisir ses cursus face à ceux purement technocratiques de l’État québécois).

Rappelons aussi que des grè-

ves eurent lieu dans les CEGEP appelant souvent au drop-out avec le slogan explicite de «participer c’est se faire fourrer».

Le conférencier, rappelant de nombreuses initiatives intra-universitaires, principalement à l’UdeM et l’UQAM, a également parlé de «McGill français», mou-vement qui prônait la francopho-nisation complète de McGill, au moment où l’anglais conquérant était encore une menace directe pour l’identité québécoise.

Les discussions avec le public ont laissé entrevoir que ces luttes ne sont pas finies: des descentes policières dans les soirées queer qui se poursuivent encore aujourd’hui, aux débats dans les universités sur la gestion des programmes. Si l’ardeur est moindre, les enjeux sont toujours présents.

Anarchives a donc proposé une nouvelle fois des conférences très intéressantes sur la contre-culture québécoise. On regrette un peu le fait que les liens entre ces mouvements et les luttes indépen-dantistes n’aient pas été vraiment abordés, mais cela avait été ample-ment le cas dans les autres confé-rences organisées auparavant. x

antoine durantonLe Délit

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Page 6: Le Délit du 23 février 2016

6 ACTUALITÉS le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Les étudiants de McGill proposent une politique de gestion des agressions sexuelles.

campus

Le 17 février, le Groupe de tra-vail sur la politique d’agres-sions sexuelles de McGill

(Sexual Assault Policy Working Group SAP, ndlr) a publié sa pro-position finale pour une politique adressant les agressions sexuelles à l’Université.

Crée en 2013 après que trois joueurs de football mcgillois aient été inculpés pour agression sexuelle, le groupe de travail est composé d’étudiants actuels et anciens étu-diants de McGill. La plupart des membres ayant travaillé sur l’écritu-re de cette politique sont des mem-bres de l’AÉUM, de SASCOMSS, QPIRG, PGSS — entres autres.

À l’origine le groupe SAP sou-haitait dénoncer le manque de poli-tique de gestion d’agression sexuelle de la part de McGill. Face à l’inaction de l’Université, le groupe de travail étudiant a finalement décidé de prendre l’initiative d’écrire sa propre politique.

Combler un vide Aujourd’hui, il n’existe pas de

mécanisme institutionnalisé et for-mel pour gérer les agressions sexuel-les à McGill. Cecilia MacArthur, une membre de SAP ayant participé

au développement de la politique adressant les agressions sexuelles, explique: «De par ce qui nous a été communiqué par les survivants (per-sonnes ayant fait l’expérience d’une agression, ndlr) à McGill, il leur a été généralement dit d’aller traiter le problème avec la police.»

Le groupe SAP a donc travaillé pendant plus de deux ans pour créer une politique formelle de gestion des agressions sexuelles et souhaite aujourd’hui faire adopter cette der-nière par l’administration de McGill.

Le document publié dernière-ment par SAP propose une politique formelle proactive et réactive vis-à-vis des agressions sexuelles de la part de McGill.

Il s’agit d’abord de mener une politique de prévention parmi les étudiants de McGill en fournissant des informations et des ressources supplémentaires pour sensibiliser aux questions des agressions sexuel-les et du consentement. Le groupe de travail SAP demande la création d’un nouveau bureau et d’un nou-veau poste de Coordonnateur des Ressources face aux agressions sexuelles (SARC, Sexual assault resources coordinator, ndlr).

Le deuxième volet de cette politique consiste en des mesures de réactions formelles accessibles pour les personnes faisant l’expérience d’une agression sexuelle à McGill.

Le groupe étudiant propose ici que McGill offre l’accès à des mesures de soutien, à des mesures de sécurité (comme une mesure d’éloignement) et à des recours contre les agres-seurs.

Une politique adaptée aux mc-gillois

Cette politique met l’accent sur «l’intersectionnalité», c’est à dire une approche selon laquelle les per-sonnes peuvent vivre les agressions et l’oppression de manière différente en raison de leur appartenance à cer-tains groupes sociaux et culturels. En effet, SAP tient à rappeler que les étudiants de couleur, les étudiants

transsexuels, ou encore les étudiants avec des handicaps sont touchés de manière disproportionnelle par les violences sexuelles.

Les mesures proposées par le document de SAP visent donc à mener une politique pro-survivants, non-directionnelle et sécuritaire qui supportera les étudiants d’une manière plus adaptée au cas spécifi-que de chacun.

La politique de SAP met aussi l’accent sur la nécessité d’avoir un personnel formé aux questions d’agression sexuelles et capable de traiter les étudiants avec respect, compassion et confidentialité. Dans un article du McGill Daily paru cette semaine une étudiante confiait

comment elle avait été traumatisée par son interaction avec un conseillé manquant de formation à propos des agressions sexuelles. Une politique plus encadrée et adéquate semble donc nécessaire au sein de l’Univer-sité.

McGill lance un modèle «De ce qu’on en sait, il n’y a

jamais eu de telle organisation étudiante indépendante ayant déve-loppé une politique comme la nôtre (que des étudiants écrivent eux-mêmes une politique de traitement des agressions sexuelles au sein de l’Université, ndlr). Il n’y a souvent seulement que des consultations étu-diantes, ce qui signifie uniquement que quelques représentants étudiants siègent à un comité géré par l’admi-nistration universitaire», explique Cecilia, de SAP, afin de montrer combien ce projet pourrait faire des étudiants de McGill des précurseurs sur cette question.

Le groupe de travail SAP est en train de revoir son document avec le Député Provost et la v.-p. adjointe (politiques, procédures et équité) de l’administration de l’Université McGill. Le Député Provost, André Costopoulos, a affirmé au Délit que les membres de l’administration étaient «ouverts à étudier les propo-sitions à ce sujet». x

julia denisLe Délit

De l’acclamation à l’effacement Les révélations sur Claude Jutra remettent en cause son œuvre.

montréal

Accusé de pédophilie dans une nouvelle biographie par Yves Lever publiée

chez Boréal mardi 16 février, Claude Jutra s’est vu contraint de descendre de son piédestal. Il ne s’agit pas de justifier les actes, car il n’existe aucune excuse pour ce genre d’agissement et ce, peu importe l’ampleur de l’influence qu’une personne a eue sur la culture québécoise. Toutefois, ces événements poussent au questionnement: à quel point est-il possible d’effacer quelqu’un de l’espace public? Doit-on admirer l’œuvre d’un artiste condamné, l’applaudir pour son travail et ses réalisations ou tout simplement le renier, comme s’il s’agissait d’une tâche honteuse?

Descente aux enfers

Depuis les révélations de Lever, une deuxième victime a révélé s’être faite agresser par le

cinéaste. Il s’agit du scénariste Bernard Dansereau, âgé de douze ans aux moments des faits et qui a notamment travaillé sur la série québécoise Annie et ses hommes. Cependant, cet incident n’a pas empêché le scénariste et le défunt cinéaste de travailler ensemble une fois adulte. Depuis ces révélations, la communauté artistique québécoise est sous le choc car le nom de Claude Jutra

est, en plus d’être associé à l’une des plus grandes récompenses du champ cinématographique québécois, le nom de plusieurs rues, parcs, corpus collégiaux et universitaires, etc. L’homme et son travail sont des géants qui représentent une très grande partie de notre réalité et histoire culturelle et, pour reprendre les mots de Patrick Lagacé dans l’édition du 18 février du quoti-

dien La Presse, «il faut donc faire la part des choses entre l’homme et l’œuvre. Et il faut faire la part des choses entre l’homme et le cinéaste génial». Les réalisations de l’homme doivent-elles subir les conséquences négatives de celui-ci ou sont-elles capables de s’élever au-dessus de la tempête?

Faire disparaître Jutra à tout prix

Québec Cinéma, le gouver-nement du Québec, les maires de plusieurs arrondissements de Montréal et même la nouvelle ministre fédérale du Patrimoine canadien Mélanie Joly s’enten-dent (pour une fois) sur une chose: le plus rapidement pos-sible, il faut masquer le nom de Jutra. Effaçons-le donc de notre environnement afin de retirer les honneurs à l’artiste: Québec Cinéma est l’exemple le plus percutant. En plus de la polémi-que autour des accusations, la question de la postérité artisti-que reste un des enjeux les plus

importants. Les prix Jutra cher-chent dorénavant un nouveau nom, permanent ou temporaire, en vue du gala du 20 mars pro-chain. Profondément choqués par cette nouvelle, ils prirent la décision d’agir rapidement, sans même vérifier la véracité des accusations. Quelles options reste-t-il? D’autres géants du ci-néma québécois attendent impa-tiemment les honneurs qui leur reviennent. Michel Brault, Gilles Carle, Micheline Lanctôt, Denys Arcand ne sont quelques exem-ples d’artistes cinématographes dont l’influence est toute aussi importante que celle de Jutra; et puisque l’occasion se présente, pourquoi ne pas établir un prix sans nom afin de, justement, pla-cer l’art cinématographique sous la même bannière et non derrière une seule personne?

Le cas Jutra semble donc se résumer à la réflexion suivante. Doit-on condamner l’homme pour ses agissements? Très cer-tainement. Doit-on réduire l’œu-vre à l’homme? x

vincent morrealeLe Délit

Un document précurseur

Page 7: Le Délit du 23 février 2016

7actualitésle délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Le VIH: un virus ou un crime?La loi criminelle canadienne autour du VIH provoque plus de mal que de bien.

conférence

Cécile Kazatchkine, analyste politique et membre du Réseau juridique Canadien

VIH/SIDA, a tenu une confé-rence le 18 février à l’Université Concordia. Abordant le thème controversé de la non-divulgation du VIH, elle a expliqué son point de vue à un public composé d’étu-diants, de professeurs et de per-sonnes atteintes du virus.

Dimension scientifique

Le sida (syndrome d’immu-nodéficience acquise, ndlr) est la phase terminale du VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine, ndlr), maladie transmissible sexuellement, par voie sanguine et de la mère à l’enfant, qui cause la destruction du système immu-nitaire. La personne séroposi-tive ne succombe donc pas à la maladie à proprement parler, mais plutôt à des maladies dites «opportunistes». Ces maladies, généralement la tuberculose ou les candidoses, vont attaquer le porteur en l’absence de défense de la part de l’organisme, signant sa sentence de mort.

Heureusement, les recher-ches dans le milieu scientifique ont progressé depuis plusieurs années. Le premier traitement étant apparu en 1996, il est aujourd’hui possible de médica-menter la personne séropositive, contrôlant et transformant ainsi la condition fatale en une maladie chronique. Ce contrôle est effectué à travers l’estimation de la charge virale du patient (c’est-à-dire l’évaluation de la quantité du virus dans le sang) et sert d’indicatif du risque de contamination. Lorsque la charge virale est indétectable, donc nulle, le patient pose un ris-que quasi nul de contamination à son partenaire sexuel. Jumelé à un port du préservatif, l’usage de médicaments prévient alors effica-cement la transmission du virus.

Plus de 70 scientifiques canadiens s’étant penchés sur la question ont ainsi signé un consensus sur les risques de transmission du sida en 2014, prouvant ces affirmations.

Dimension juridique

Pourtant, au Canada, une personne séropositive ne divul-guant pas son état à son partenaire sexuel peut être poursuivie au cri-

minel. Classée dans la même caté-gorie que les délinquants sexuels haineux, la non-divulgation du VIH est traitée comme une agres-sion sexuelle grave, impliquant un sérieux «handicap à la vie». La peine maximale encourue est la perpétuité et la poursuite peut prendre place même si le virus n’a pas été transmis.

Cécile Kazatchkine, pour sa part, juge la décision de la Cour suprême de criminaliser la non-divulgation injuste. Soutenant que la loi ne prend pas en compte les circonstances auxquelles font souvent face les personnes séro-positives, elle milite pour la décri-minalisation. À l’aide de plusieurs exemples d’histoires vécues, elle a souligné les failles du processus de condamnation.

L’un des exemples les plus frappants est celui d’une femme séropositive, qui vit avec son conjoint depuis plusieurs années et qui a un fils avec lui. Subissant plusieurs abus physiques et psy-chologiques de la part de l’homme, elle le quitte pour ensuite être poursuivie, à sa plus grande sur-prise, au criminel. Son conjoint, soutenant qu’elle ne lui avait pas divulgué sa séropositivité lors de leurs premiers rapports sexuels,

gagne le procès, l’envoyant derrière les barreaux. Cependant, aucune contamination n’avait eu lieu durant leur relation, donc aucun handicap à vie — élément qui est pourtant essentiel lors d’une condamnation d’agression sexuelle grave. Néanmoins, cette femme a tout de même vu son nom être inscrit dans le registre national des délinquants sexuels.

Ces cas de vengeance, cou-rants selon Kazatchkine, encoura-gent à réfléchir quant à l’injustice que pose le processus de condam-nation. Depuis la criminalisation en 1998, 181 personnes ont été

poursuivies, contribuant ainsi à la stigmatisation des personnes séro-positives dans la société.

Même si les opinions diver-gent au sein de la société, la décriminalisation de la non-divul-gation du VIH est de mise selon Kazatchkine. Le traitement du VIH au niveau juridique doit suivre les avancées scientifiques qui n’en font plus une maladie mortelle. En attendant que des changements soient apportés au sein de la loi canadienne, le travail de sensibili-sation à la réalité des porteurs du virus est crucial pour contrer l’effet stigmatisant de la loi. x

magdalena moralesLe Délit

Longue est la route David Leroux | Espaces Politiques

chronique

La semaine dernière au travers des nouvelles flamboyantes concernant

la venue de Ban Ki-moon et la transformation de Philippe Couillard en grand défenseur des écosystèmes insulaires du golfe du Saint-Laurent, faisait timidement sa place une nou-velle d’importance pour la com-munauté étudiante québécoise présente et à venir.

Un amendement au projet de loi 76 sur le transport en commun demandant l’abolition de la limite d’âge pour profiter du tarif étudiant à l’achat de titres de la Société de Transport de Montréal (STM) était dé-posé à l’Assemblée Nationale.

L’amendement fut unanime-ment entériné. L’adoption du projet de loi consacrera cette initiative qui entrera en vigueur dès la mise sur pieds de la nou-velle Autorité régionale des transports métropolitains.

Il s’agit d’un pas de géant pour la promotion du transport en commun dans la métropole qui donnera, qui plus est, un sérieux coup de pouce aux étudiants de plus de 25 ans. Réjouissons-nous! Dans une ville telle que Montréal, toute mesure rendant plus accessible et attrayante l’utilisation du réseau de transport en commun doit être dûment célébrée. Elle doit aussi servir d’autre part à nous rappeler que la route est encore longue et qu’énormé-ment de volonté politique sera nécessaire afin de soulager les artères routières métropolitai-nes de leur congestion polluante et chronophage.

Problèmes périphériques

L’irrigation du centre-ville par le système de transport en commun se porte plutôt bien, mis à part les problèmes tech-

niques affligeant le fonction-nement du métro. Les horaires d’autobus sont généreux en passages et, sans être parfaits, sont généralement bien adap-tés aux périodes d’achalandage propres à chaque circuit. La congestion routière, pourtant, demeure et nous force à consta-ter que beaucoup des visiteurs du centre-ville ne profitent pas des réseaux offerts par l’Agence Métropolitaine de Transport (AMT). D’où viennent ces véhi-cules? Il suffit d’écouter Luc Ferrandez, maire du Plateau Mont-Royal et grand chevalier en croisade contre l’automobile, pour avoir notre réponse.

Ferrandez a en effet orienté la plupart de son œuvre politi-que autour du thème suivant: rendre pénible l’utilisation de l’automobile sur le Plateau pour ceux qui y transitent quotidien-nement. Bien qu’on puisse légi-timement sourciller devant le négativisme de ses politiques, il a le mérite de cerner le problè-me de la congestion à Montréal: la circulation émanant de la périphérie et se servant des rues de la ville pour se rendre au travail.

Favoriser les transports en commun semble bien entendu aller de soi comme objectif noble et indiscutable à brandir en cas de campagne électorale. Tous les politiciens s’en targuent, mais bien peu agissent positivement à cet égard, plutôt que de tenter de contraindre les gens à uti-liser un service peu attrayant. Un habitant de Blainville doit aujourd’hui débourser 197 dol-lars mensuellement pour un titre de transport train-autobus-mé-tro. Ces tarifs sont prohibitifs considérant que l’organisation urbaine des banlieues y rend l’automobile indispensable. Il faut améliorer l’offre du train de banlieue, mais cela nécessite des investissements et une grande volonté politique. Il faut donc que le projet transcende son ob-jectif primaire si on le veut viable et politiquement attrayant.

Rapprocher ce qui est loin

L’idée de «rapprocher ce qui est loin» par l’entremise du transport n’est pas une idée nou-velle au Canada et au Québec, les grandes distances ayant tou-jours été un enjeu majeur de nos

nations respectives. Depuis plu-sieurs années maintenant, des in-génieurs québécois indépendants planchent sur un projet de mono-rail suspendu à grande vitesse (250 km/h) utilisant la techno-logie du moteur-roue développée par l’ingénieur Pierre Couture et Hydro-Québec en 1994. Il s’agit d’un projet 100% québécois, innovateur, axé vers l’optimisa-tion du transport et le développe-ment durable. À la recherche de financement et d’intérêt gouver-nemental pour la construction d’un banc d’essai, les gérants de ce projet sont aujourd’hui bloqués. À quand, donc, un réel désir d’innovation de la part de nos élus en matière de transport en commun? À quand la fin des locomotives diesel sur les lignes du train de banlieue et la remise en opération de l’aéroport de Mirabel et sa liaison directe et rapide avec le centre-ville par monorail? À quand la mise sur pieds à l’échelle métropolitaine de ce projet unique, écologique et exportable à travers la moder-nisation des lignes de trains de banlieue? Des ingénieurs d’ici en rêvent. Il serait peut-être temps de leur donner leur chance. x

Page 8: Le Délit du 23 février 2016

8 société le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Société[email protected]

Quand les mots choquent Quel est l’impact de la violence verbale dans la création artistique?

enquête

Orelsan, rappeur français, certes connu pour ses propos trash et sombres,

mais aussi reconnu pour son talent de compositeur, vient d’être relaxé le jeudi 18 février dernier, après trois procès qui se sont étendus en longueur. En effet, après l’interprétation de chansons provenant notamment de son album Perdu d’Avance (2009), nombreux de ses mor-ceaux ont été incriminés pour incitation à la violence envers les femmes. Les plaignantes de ce procès sont cinq associations féministes: Chiennes de garde, le Collectif féministe contre le viol, la Fédération nationale solida-rité femmes, Femmes solidaires et enfin le Mouvement français pour le planning familial.

Nombreux de ses morceaux contiennent en effet des phra-ses et des mots très sexistes et violents comme: «J’respecte les schneks avec un QI en déficit, celles qui encaissent jusqu’à finir handicapées physiques» (issu du morceaux Saint Valentin) ou en-core «J’te quitterai dès qu’j’trou-ve une chienne avec un meilleur pedigree» (Pour le pire).

Avis partagés

À première vue, il semble évident qu’Orelsan est lui-même misogyne et violent. Pourtant, plusieurs personnes plaident le contraire, et lui en premier. Alors qu’il a «une copine» depuis déjà six ans, il rappelle que ses textes racontent l’histoire de personnages fictifs auquel il ne s’identifie en aucun cas. La très controversée Sale pute est ainsi l’histoire d’un banquier issu de la classe moyenne qui rentre chez lui et surprend sa femme en train le tromper. Il est alors envahi d’un élan de violence extrême, de sentiments monstrueux avec un penchant pour l’homicide, pour la faire souffrir à son tour. Ce serait donc un travail d’artiste ici comparable à un réalisateur de film qui met en scène un homme épris d’émotions très sombres. Il rajoute aussi que ses paroles sont à prendre au second degré, notamment dans sa chanson Saint Valentin, où il joue le rôle d’un «gros naze» qui n’est en aucun cas à rapprocher à sa pro-pre identité. Mais alors, d’aucuns se demandent: peut-on donc rire de tout? Même de groupes ciblés dans la société? Cette question épineuse fait débat au delà du rap d’Orelsan. Elle se pose aussi dans le cas des blagues qui font référence à un groupe de per-

sonnes en raison de leur genre, leur orientation sexuelle, leur religion, etc.

Cela pose aussi la question de la liberté d’expression, valeur capitale dans une démocratie, mais qui a ses limites: où trou-ver le juste milieu entre la lutte contre la discrimination et l’inci-tation à la violence envers un groupe d’individus — ce qui peut impliquer de la censure — et la liberté d’expression de l’artiste? D’autres artistes et acteurs de la scène publique ont provoqué des controverses similaires en France. Charlie Hebdo, journal satirique, dont les dessins sont parfois accusées d’être irrespec-tueuses ou encore le comique Dieudonné qui a été inculpé pour antisémitisme.

Qu’en est-il au Québec?

La même controverse existe de notre côté de l’Atlantique. En effet, le groupe de rap Black Taboo a reçu beaucoup de cri-tiques de la presse et d’associa-tions féministes québécoises avec les mêmes accusations: pa-roles sexistes et violentes. Leur morceau God bless the topless (Que Dieu bénisse les seins nus, ndlr) illustre bien les thèmes traités dans leurs chansons. Cependant, ce groupe répète lui aussi que leurs paroles sont «iro-niques».

L’annulation de dernière minute du concert du rappeur américain Action Bronson au

festival de musique de Montréal Osheaga en août 2015 s’inscrit parfaitement dans cette contro-verse. Le Conseil du statut de la femme et d’autres membres de la société civile avaient milité pour son annulation, alors que son concert venait aussi d’être annulé à Toronto. Il était accusé des mêmes faits que les rappeurs précédemment évoqués.

Denis Coderre, le maire de Montréal avait aussi pris posi-tion sur le sujet, après avoir re-gardé le clip d’une de ces derniè-res chansons, Brunch. On y voit notamment un homme manger sur le corps d’une femme morte, la mettre dans son coffre, puis la poignarder en s’apercevant que celle-ci était toujours vivante, tout en lui crachant dessus et en lui criant des propos sexistes. Le maire avait ainsi dit: «Je me demande comment on peut per-mettre ce genre de vidéo, qui a quand même été visionnée par 2,8 millions de personnes sur Internet», avant d’ajouter: «Où s’arrête la liberté d’expression? Quel message envoie-t-on? La façon dont c’est fait est dégra-dante et inacceptable». Pourtant, d’autres rappeurs très en vogue à Montréal, comme Koriass (qui se considère comme pro-féminis-te), défendait l’artiste: «Action Bronson, c’est un des rappeurs les plus en vue et les plus origi-naux qui existe en ce moment. Il faut faire la différence entre ce qu’il pense réellement et ce qu’il fait dans son art.»

Le rap: violent de nature?

Le compte rendu de la cour d’appel de Versailles sur l’affaire Orelsan estime que le rap est «par nature un mode d’expres-sion brutal, provocateur, vul-gaire, voire violent puisqu’il se veut le reflet d’une génération désabusée et révoltée». Le rap serait donc intrinsèquement violent. Peut-on réellement réduire un courant d’une grande variété, qui existe depuis près de 40 ans, sous une seule de ses branches? Pour le politologue Thomas Guénolé, spécialiste des banlieues françaises, «c’est une grossière généralisation d’une partie du rap ramenée à tout l’ensemble. Une frange brutale, provoc’ et violente existe, mais le rap ne se limite pas à ça.» En effet, il ne faut pas oublier les autres

formes de rap tel que la trap, le rap egotrip mais surtout le rap conscient, qui cherche à dénon-cer et à s’engager. Oxmo Puccino en France, avec son titre L’Arme de Paix, en est un exemple: «Le malheur de l’un ne fait le bon-heur de personne; comprenez, guérir est la seule porte». Au Québec, il y a aussi Dubmatique, avec son morceau «L’Avenir»: «j’écris donc je pense, je pense donc j’avance, je suis le seul à l’attaque, maître de la défense, les médias retransmettent tant de données dans le désordre, mieux vaut lire entre les lignes et ne pas suivre la horde.»

Penser à l’image que l’on dégage

Denis Coderre relève un détail considérable qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte: celui du message que l’on transmet. Si tous ces artis-tes s’expriment au second degré et cherchent juste à faire rire, est-ce la perception du public? Il est intéressant de se demander à quel point les représentations que les médias dégagent — films, musiques, clips musicaux, etc. — influencent de manière latente notre vision du monde, notre manière de penser la société.

Selon une étude publiée par l’Association Psychologique Américaine (APA), les chansons avec des paroles violentes ont un lien direct avec l’augmentation des pensées agressives. Bien sur, l’étude s’est focalisée sur les précurseurs de l’agression plus que sur le comportement violent lui-même. Mais si ces artistes ne mettent pas en scène leur com-position de manière à dénoncer cette violence, cette misogynie, il est très difficile pour le public — majoritairement jeune et donc encore en construction psycho-logique — de faire la part des choses et de comprendre que ce n’est que virtuel. Cela concerne l’incitation à la violence, tout autant que le sexisme ou le

racisme. x

vittorio pessin

Hannah RaffinLe Délit

«Où trouver le juste milieu entre la lutte contre la discrimination et l’incitation à la violence envers un groupe

d’individus et la liberté d’expression de l’artiste?»

Page 9: Le Délit du 23 février 2016

9sociétéle délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Sous les pavés, Tio’tia:kéMcGill a un devoir de mémoire envers les peuples autochtones.

opinion

Un rocher se tient seul devant le muret donnant sur la rue Sherbrooke:

le rocher Hochelaga. À l’abri des regards et loin des chemins dénei-gés, il est le seul témoignage visi-ble de l’existence d’autochtones sur la terre colonisée sur laquelle McGill siège. Sa visibilité est à l’image de la place accordée à l’histoire de la colonisation et du génocide des Premières Nations à McGill: presque nulle.

La colonisation n’appartient pas au passé. Dimanche 14 février se tenait la marche commémo-rative annuelle en honneur aux femmes autochtones disparues et assassinées: un phénomène d’une grave ampleur qui fait par-tie d’une oppression et violence systématiques envers les popu-lations natives, une colonisation qui ne dit pas son nom.

Choisir et écrire son histoire

Les deux derniers Faculty in Rez (faculté en résidence, ndlr) une série de conférences organi-sée par Rez Life, ne manquaient pas d’ironie. La professeure Charmaine Nelson parlait le 25 janvier dernier de la place des personnes de couleur dans l’art canadien, fortement marquée par l’esclavagisme et le colonia-lisme. Son parcours personnel en tant que seule canadianiste noire du Canada n’était pas sans rappeler l’intemporalité du pro-blème de la représentation des personnes de couleur dans le corps professoral. La conférence suivante, le 15 février, donnait la parole à notre principale Suzanne Fortier. Ce fut l’occasion de lui demander: quelle est la politique

de représentation des minorités à McGill, dans le corps professo-ral, lorsque l’on sait que seul un professeur de McGill est natif ? Quelle place donne-t-on à l’his-toire colonialiste et génocidaire du Canada à McGill, lorsque l’on sait que la plaque se contentant de mentionner l’arrivée des colons est à peine visible, alors qu’un James McGill esclavagiste et colonialiste salue l’arrivée de tout visiteur et étudiant sur le chemin de l’université?

Certains autochtones demandent la restitution de l’Université (construite grâce à des «prêts» jamais acquittés aux populations natives) ou au moins des réparations. La propagation de symboles de reconnaissance, comme des reconnaissances de la terre (land acknowledgements, ndlr) pourraient aussi participer à la décolonisation des esprits. À ces demandes, Suzanne Fortier resta évasive. La principale avan-çait que les symboles n’auraient pas autant d’effet que l’on vou-drait leur donner. Défendrait-elle alors des actions concrètes, com-me une réponse aux demandes du retour de l’Université ou au moins de réparations? Au regard de l’absence de discussion sur les actions possibles, il semblerait que la question ne vaut même pas la peine d’être posée…

De l’importance des symboles

Mais revenons-en aux signes. Quel est l’intérêt d’ériger des plaques, de reconnaître que les réunions que nous tenons sont sur une terre, Tio’tia:ké (le nom original de Montréal), que nous nous sommes appropriés par la force, de parler de l’histoire coloniale du Canada? Ces symboles

participent au changement du discours ambiant, questionnent notre privilège en tant que colons ou bénéficiaires d’un système colonial. Ils questionnent notre connaissance de Montréal, du Canada, et de la violence présente dans les mots utilisés pour faire disparaître Tio’tia:ké, son nom, son histoire, son peuple. Ils mon-trent du doigt l’incroyable travail colonial visant l’effacement des réalités autochtones et permet-tant le développement d’un sys-tème raciste.

Pourquoi les symboles sont-ils si importants? Parce que la réalité coloniale se fonde aussi sur des symboles, sur des déno-minations coloniales. Que la page du site internet de McGill à propos du rocher Hochelaga parle de la rencontre des explo-rateurs «naviguant sur le fleuve Saint Laurent», le nom donné à ce qui s’est toujours appelé Kaniatarowanenneh («grande rivière»), suggère que les explo-rateurs sont arrivés sur un ter-

ritoire qui leur appartenait déjà. Que des programmes éducatifs parlent encore de la «découverte» des Amériques et de son impor-tance pour les empires européens fait oublier qu’à cela se soient ajoutés colonisation, appropria-tion et génocide d’un peuple qui persévèrent encore aujourd’hui. Tous ces symboles, ces dénomi-nations, ces détails, ces oublis, mentionnés ou effacés, si futiles soient-ils pour Suzanne Fortier, deviennent les premiers outils du système colonial pour endormir les consciences, ou les premières étapes d’un réveil douloureux.

… et après?

On a pu remarquer l’aug-mentation discrète d’initiatives étudiantes et d’associations extérieures à l’administration de McGill pour reconnaître à chaque début d’un événement le bénéfice que les participants retirent de la colonisation des terres où ils se trouvent (cela étant dit, tout cela reste encore très insuffisant au regard du tort infligé à ces populations). Quand est-ce que l’administration s’emparera aussi du sujet? Il semblerait qu’au lieu de sauter sur l’occasion de mener par l’exemple, elle se contente

d’attendre d’être elle-même sai-sie par les étudiants. McGill a l’opportunité d’utiliser son rayon-nement international pour se po-sitionner sur des sujets cruciaux, qui touchent ou devraient toucher ses étudiants. Si l’administra-tion ne s’agite pas, il est de notre responsabilité de s’informer, discuter, changer les discours, entendre les voix autochtones sans se les approprier (au risque de répéter une tactique que l’on cherche à contrer).

Il ne faudra pas s’arrêter là. Nous avons le devoir de nous renseigner, d’interroger notre privilège et décoloniser nos paro-les et actes. Chaque jour qui passe incontesté est un jour colonisé: un jour d’appropriation, d’enlè-vement, de viol et de meurtre. Il est temps de parler des terres sur lesquelles nous marchons, dans nos conversations, nos cours, de l’écrire dans nos programmes et nos publications. Esclaves de l’ignorance, mettons les mots de La Boétie en pratique: «Soyez ré-solus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seu-lement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colos-se dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.» x

arno pedramLe Délit

Note préliminaire: Ma connaissance sur

les sujets abordés n’est pas exhaustive et je ne prétends en aucun cas parler au nom

des autochtones, d’autant que je profite moi-même de la

colonisation en tant que blanc. Ma perspective s’appuie pour la plupart sur des rencontres avec des autochtones lors du

panel de CKUT: «Communauté Indigène, Résistance et

Médias». Cet article est délivré

après le vote à l’Assemblée générale de l’AÉUM du lundi 22 février, où la motion pour

augmenter le contenu portant sur les autochtones à McGill

est passée à l’uninanimité des votants.

«Pourquoi les symboles sont-ils si im-portants? Parce que la réalité coloniale se fonde aussi sur des symboles, sur des

dénominations coloniales»

«McGill a l’op-portunité d’utiliser

son rayonnement international pour se positionner sur

des sujets cru-ciaux»

Page 10: Le Délit du 23 février 2016

10 société le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Ces changements qui ne viennent pasLa STM oublie ses clients à mobilité réduite.

opinion

Les utilisateurs de l’applica-tion STM (Société de trans-port de Montréal) l’auront

peut-être remarqué: il y a de cela quelques jours une notification annonçait que, dû aux intempéries hivernales, les bus ne pourraient plus déployer la rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite. Si ce n’était qu’en cas de tempêtes majeures, ce n’est pas la première fois que la STM déçoit ses utilisateurs qui doivent béné-ficier des aménagements pour personnes handicapées. Hiver comme été, la STM se félicite de ses maigres efforts mais ses utili-sateurs sont discriminés, au point de porter plainte.

Les conditions hivernales ou la partie visible de l’iceberg

Selon la STM, tous ses bus sont munis d’une rampe d’accès pour les chaises roulantes, et le fait que les bus soient plutôt bas généralement facilite l’accès pour les personnes à mobilité réduite. En théorie, la STM s’est donc adaptée et modernisée.

Néanmoins la pratique reste très différente de ce qui a été pro-mis. Tout d’abord, si tous les bus ont une rampe d’accès, tous les trottoirs ne permettent pas l’utili-sation de telles installations. Pour de nombreuses personnes à mobi-lité réduite, le bus doit s’arrêter (au moins) un arrêt plus loin pour pouvoir leur permettre de descen-dre. Il est facile de comprendre les inconvénients causés par cette indisposition, particulièrement pour les personnes handicapées qui doivent prévoir leurs déplace-ments avec plus de précision.

De plus, les nombreux travaux dans la ville de Montréal entraî-nent des détours vers des arrêts qui ne sont plus du tout adaptés et qui mettent ces personnes dans des situations encore plus délica-tes qu’auparavant. Ceci ne relève que marginalement de la respon-sabilité de la STM: il revient à la ville de Montréal d’entretenir ses trottoirs. Toutefois, la STM ne peut se permettre de mentir sur ses services et se féliciter de ses mesures d’accès, si en réalité les personnes à mobilité réduite doivent s’adapter à de nombreuses

autres contraintes dont elles ne sont pas nécessairement préve-nues. Se déplacer en transport en commun devient un exercice labo-rieux qui nécessite de longues pré-parations, et empêche toute liberté de mouvement ponctuelle.

Si les bus sont un souci, le métro lui est inaccessible dans la majorité des cas: seulement 8 sta-tions sont équipées d’ascenseurs, sur 68 au total. De nombreux as-censeurs, très coûteux (environ 15 millions de dollars par ascenseur), ont été promis mais les travaux s’éternisent. La STM appelle à la patience, mais de toute évidence la réalité n’est pas à la hauteur de ses promesses.

Une offensive contre la STM

En avril dernier, le problème avait atteint un tout autre niveau, qui soulignait l’importance d’avoir un système de transport en commun adapté à tous, et le sentiment d’injustice qui peut résulter si une minorité n’a pas accès à des services basiques comme les transports. Un orga-nisme représentant les personnes à mobilité réduite a lancé des poursuites judiciaires en avril

dernier contre la STM, deman-dant une compensation de 5 000 dollars par personne, pour envi-ron 20 000 plaignants.

Linda Gauthier, membre du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), décrit cette situation comme une atteinte aux droits humains, et soutient que les personnes à mobilité réduite ne sont pas considérées comme des citoyens lorsqu’on en vient aux transports en commun. L’accès aux trans-ports en commun est une partie essentielle de la vie des habitants de Montréal. Laurent Morissette, un autre membre de RAPLIQ, rappelle à tous que l’utilisation de ces transports facilite la réussite sociale et économique; ce n’est donc pas seulement une histoire de déplacement, mais bien un problème d’intégration et de res-pect des citoyens.

Hiver ou pas hiver, il semble donc essentiel qu’en 2016, la STM prenne enfin le taureau par les cornes et apporte au moins l’in-vestissement et l’aménagement nécessaires afin qu’un de ses ser-vices de transports soit disponi-ble en tout temps à l’ensemble de ses utilisateurs. x

cécile richettaLe Délit

L’assemblée générale annuelle de laSociété des publications du Daily (SPD),

éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra

le jeudi 31 mars 2016 à 17h30au Pavillon McConnell de génie,

Salle 204

Les membres de la SPD sont cordialement invités.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

matilda nottage

Page 11: Le Délit du 23 février 2016

11économiele délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

é[email protected]

Bombardier, prise numéro deux Bombardier couple restructuration et première vente de ses Séries C.

Compagnie

Dès le départ, le pari de Bombardier de s’attaquer au marché des jets de 100

à 150 passagers semblait risqué. Jusqu’à présent, les Goliath de l’industrie, l’américaine Boeing

Co. et l’européenne Airbus, se partageaient 95% des parts de ce marché, évalué à plus de 100 mil-liards de dollars annuellement. On ne peut donc pas en vouloir à cette dernière d’avoir voulu jouer dans la cour des «grands» en s’ouvrant à ce nouveau marché. En comparai-son avec les avions commerciaux de ses compétiteurs, la gamme Séries C lancée par Bombardier,

offre une économie de plus de 20% sur le plan de consommation de carburant. En effet, grâce à un moteur turbopropulsé, elle offre une diminution de plus de 30% des coûts comparativement aux avions à réactions actuels dont il souhaite prendre la place.

Après un autre quart finan-cier décevant pour Bombardier, les dirigeants ont indiqué que la compagnie va réduire son effectif mondial de plus de 10% au cours des deux prochaines années. Concrètement, ce sont plus de 2800 emplois qui seront perdus au Canada, dont 2400 au Québec. Bombardier a dilué la nouvelle en annonçant une commande de plus de 45 avions de la Série C de la part d’Air Canada, avec une option d’achat de 30 autres appareils. Évaluée à plus de 3,8 milliards de dollars américains, cette transac-tion, couplée à l’annonce de res-tructuration, a donné un véritable regain à l’action de Bombardier. Cette dernière a en effet bondi de plus de 60% depuis l’annonce de la nouvelle la semaine dernière offrant ainsi un second souffle plus qu’attendu pour le titre financier qui a chuté de plus de 40% au cours de l’année passée.

Favoritisme

Alors que le gouvernement provincial a préféré investir près d’un milliard de dollars cana-diens dans Bombardier, au détri-ment des services sociaux offerts à la population, les Québécois ne sont pas les seuls à voir d’un mauvais œil l’aide du gouverne-ment à Bombardier. En effet, le gouvernement fédéral envisage lui aussi d’offrir une aide finan-cière à Bombardier évaluée entre 1 et 2 milliards de dollars cana-

diens. La première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, profite de cette occasion pour rappeler au gouvernement fédéral que les Québécois ne sont pas les seuls à avoir besoin de cette aide gou-vernementale. En entrevue avec Radio-Canada, Notley a rappelé que les compagnies canadiennes de sables bitumineux ont aussi besoin de cette aide gouverne-mentale. Cette prise de position de la première ministre albertai-ne démontre un certain regain de tension entre le reste du Canada

(ROC, Rest Of Canada, ndlr) et le Québec. Depuis de nombreuses années, l’ouest canadien dénonce le «favoritisme» du gouverne-ment fédéral envers le Québec, renforçant de surcroît cette image d’enfant gâté que le ROC se fait du Québec.

Aussi, le gouvernement fédé-ral a promis plus de 250 millions de dollars du fonds de stabili-sation du Canada à la province albertaine. L’Alberta compte sur la promesse du gouvernement libéral d’investir plus de 700 mil-lions de dollars en infrastructure. Que l’on soit en faveur ou non de l’exploitation des sables bitumi-neux, une aide du gouvernement fédéral serait difficilement accep-tée par les autres Canadiens, surtout après le refus du Québec d’accepter le passage des pipeli-nes albertaines sur son territoire.

Suite au contrecoup de l’épi-sode Rona de la semaine dernière, il est intéressant de remarquer que finalement il importe peu que le gouvernement québécois inter-vienne financièrement auprès des compagnies provinciales, ses décisions ne feront apparemment jamais l’unanimité auprès des habitants de la belle province. x

IKRAm MecheriLe Délit

Opini-art-re

Cours de l’action: 1,24 $ (+8,77 %).Siège social: Montréal.PDG: Alain M. Bellemare.Création: 1942, Valcourt.Chiffre d’affaire: 18,2$ Milliards (2015).Résultat net ajusté: 326$ Millions (2015).

Alex handy

Page 12: Le Délit du 23 février 2016

12 Culture le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

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Rendez-vous avec le 7e art Les Êtres chers, drame familial à l’horizon

festival

L’objectif des RVCQ est de joindre les productions québécoises et le public

montréalais. Les œuvres propo-sées sont diverses, allant du long métrage au cours de cinéma. Avec la très récente fermeture du cinéma Excentris, cet événement prend une signification différente. L’occasion est parfaite pour rencontrer des artistes peu connus, tels que Anne Émond, qui signe son deuxième film. Dans la salle du Cineplex Odéon, la réalisatrice nous intro-duit à l’histoire d’une famille par la mort brutale d’un vieil homme. Le patriarche semble-t-il, s’est pendu sans que l’on en évoque la raison et son fils cadet décroche son corps de la potence faite maison.

Dans la scène suivante le fils aîné, David, apprend le décès de son père, puis on retrouve la famille entière chez le notaire. Ce montage frénétique, qui nous presse de pas-ser d’une conséquence à sa cause, se retrouve tout au long du film: l’un des exemples les plus marquants est quand David rencontre, tombe en amour, puis se marie avec son âme sœur, Marie, en trois plans. Ce parti pris peut être intéressant. Il use de notre inconscient cinémato-

graphique pour que l’on comble soi-même l’ellipse, dont les événements sont, somme toute, très génériques. Autant se concentrer directement sur les nouvelles situations que la réalisatrice souhaite montrer. Seulement, on comprend son erreur quand ce découpage entraîne l’incompréhension des actions des personnages.

Ainsi, lorsque l’un des per-sonnages revoit brusquement son amour d’enfance, nous nous demandons s’il ne s’est pas écoulé plusieurs mois — voire plusieurs

années — avant la scène précéden-te. Le temps que l’on ait la réponse à la suivante: «Ai-je manqué un dé-tail?», on est sorti du film. En outre, le temps laissé libre ne conduit pas à un développement particulier des personnages. Nous nous rendons compte, par exemple, que l’un des protagonistes souffre de troubles psychiques. Ce qui pourrait être sujet à approfondissement, compte tenu des intentions de la réalisatri-ce. Malheureusement, nous n’en-tendrons plus parler de lui jusqu’à la fin du film. Esthétiquement

parlant, la réalisation est très fonc-tionnelle: la quasi-totalité de l’his-toire est filmée en caméra épaule avec une longue focale, de basiques champs/contre-champs et la musi-que est anecdotique. Les seuls très beaux moments de fulgurance sont bien trop courts et nous laissent sur notre faim.

Plus on est de fous, moins on rit

Toutefois, ce film est vrai-ment agréable à regarder. Vous êtes perdus? Laissez-nous deux

minutes. Quand nous évoquions les intentions de la réalisatrice, ceci ne sortait pas de nulle part. Il se trouve que les RVCQ permettent, juste après la séance de visionnage, de discuter et d’interroger le/la réalisateur/trice. Ici Anne Emond souhaitait mettre en image la dépression et montrer qu’elle peut se manifester même chez quelqu’un qui a «tout pour être heureux». De ce thème qui semble lui tenir à cœur, elle a tiré un film maladroit certes, mais profondément sincère. Loin des figures ampoulées du film Ville-Marie, on prend plaisir à suivre cette famille à distance de Montréal. Les personnages, bien que parfois difficiles à comprendre, restent touchants et suscitent l’em-pathie — mis à part le personnage-fonction de la mère. La fille aînée du couple, Karelle Tremblay, y est pour beaucoup, avec ses légers faux airs de Scarlett Johansson.

En espérant ne rien divulguer, on comprend brusquement que David souffre de mélancolie, avec des conséquences dramatiques. Les proches sont alors propulsés à la même place que le spectateur: impuissants, sans explication et tristes. Au sortir de la salle, on est ému, sinon touché, par cette tentative fébrile d’alerter sur ces malades ordinaires. x

nouédyn baspinLe Délit

Endorphine est un long-métrage de fiction qui s’inscrit dans la tradition

surréaliste, réalisé par André Turpin, directeur de photogra-phie, scénariste et réalisateur. Il fut notamment directeur de la photographie pour Incendies de Denis Villeneuve, et Mommy de Xavier Dolan. Endorphine est son quatrième long-métrage en tant que réalisateur. Ce film basé sur les expériences de l’inconscient nous plonge dans une atmosphère qui nous prive de tout ancrage dans le temps, en mêlant le rêve à des éléments de physique quantique.

L’œuvre de Turpin suit le personnage de Simone (jouée par Sophie Nélisse) lors de trois moments clefs de son existence. À douze ans, elle assiste au meurtre violent de sa mère dans un parking et subit un choc post-traumatique qui la laisse dans un état de déni.

Ainsi semblant dépourvue de toute émotion, son stoïcisme poussé à l’extrême la ferait presque passer pour une «sociopathe» selon les propos du réalisateur. Le père de l’adolescente (Stéphane Crête) a donc recours à l’hypnose pour sou-lager sa fille en revisitant l’événe-ment. C’est à partir de ces séances que l’on quitte le monde rationnel

pour tomber dans le surnaturel et le surréalisme. Le spectateur est amené une douzaine d’années après ces événements: Simone (interprétée alors par Mylène Mackay) a vingt-cinq ans. Elle sym-bolise le monde du cauchemar et de l’angoisse, développe une obsession étrange pour sa voisine d’en face, et assiste à d’inquiétantes scènes dans

le parking dont elle est la gardienne. Entrecoupant ces différents pas-sages de la vie de la jeune femme, Simone, 60 ans (Lise Roy), devenue une physicienne réputée, donne des conférences sur la perception du temps et de sa nature.

La référence aux endorphines dans le titre, surnommées «hormo-nes du bonheur» pour leurs effets similaires à ceux de la morphine, prend pleinement son sens au moment de la mort de sa mère. Face à son agresseur, Simone reste de marbre. Par la suite, elle semblera en perpétuel décalage émotionnel avec le monde qui l’entoure.

Tout au long du film, le public est ainsi ballotté entre l’incons-cient et la violence des événements, jusqu’à ne plus pouvoir discerner la

limite entre le rêve et le réel. C’est de fait le souhait d’André Turpin, qui invite l’audience à abandonner sa perception de la réalité et à «rê-ver le film» afin de «se laisser aller dans un voyage», porté par les per-formances touchantes de Sophie Nélisse et Mylène Mackay.

Le réalisateur, se qualifiant de rationnel, propose cependant «d’asseoir le spectateur comme un rêveur». Il nous déconseille de chercher à comprendre ce «casse-tête», que lui même avoue n’avoir pas entièrement saisi après avoir passé huit ans à en écrire le scénario!

En utilisant l’inconscient comme une machine à voyager dans le temps, André Turpin bous-cule nos convictions à la fois sur le temps, le réel et le rationnel, de manière peut-être plus abs-traite que Christopher Nolan dans Interstellar. Même s’il nous laisse tout aussi dépourvu de réponses quand vient le générique. Âmes ultra-rationnelles s’abstenir! x

colombe de grandmaison

Depuis trente-trois ans, les Rendez-vous du cinéma québécois (RVCQ) soutiennent l’art de chez nous. Retour sur trois films du festival qui se déroulera jusqu’au 27 février.

Endorphine, une vie en trois temps

«Une atmosphère qui nous prive

de tout ancrage dans le temps»

Courtoisie RVCQ

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13Culturele délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

L’amour à Tokyo

Projetée au Cineplex Odéon, Tokyo Fiancée est une comédie romantique

belge de Stefan Liberski, basée sur le roman autobiographique Ni d’Ève ni d’Adam de l’écrivaine Amélie Nothomb.

L’actrice Pauline Étienne y joue le rôle principal d’Amélie, une jeune femme belge de vingt ans qui décide de retourner au Japon, son pays de naissance. Nippophile, celle-ci s’efforce de s’intégrer à la société japonaise: elle prend des cours de langue, s’assoit en seiza même chez elle et répond au télé-phone comme une vraie japonaise. Elle enseigne aussi le français à

un Tokyoïte plutôt singulier nommé Rinri (Taichi Inoue), qui deviendra son amant. Ils semblent être faits l’un pour l’autre puisque Rinri, quant à lui, est un francophile. Ainsi, la vie est belle pour Amélie, elle a maintenant son propre amant japonais qui lui fait des visites personnalisées de Tokyo. «J’étais toujours heureuse d’être avec lui. Mais sans lui aussi.» dit-elle.

Cependant, cette histoire d’amour ne semble pas être le point focal de ce film. Tokyo Fiancée est plutôt un récit ini-tiatique, racontant le passage d’Amélie vers l’âge adulte et l’évolution de sa compréhen-sion du monde et d’elle-même.

Une bonne partie du film utilise le voice-over pour nous per-mettre d’observer ses pensées et ses réflexions. Les scènes ponctuées de moments oniri-ques tirés du monde imaginaire d’Amélie sont amusantes bien que légèrement stéréotypées. La musique de film est simple et enfantine, tout comme Amélie. En fait, la musique, le style du film, ainsi que le personnage principal nous rappellent for-tement la très-aimée Amélie du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Quoique la fin de Tokyo Fiancée laisse à désirer et nous laisse un peu insatisfait, ce film est à voir, surtout pour celles et ceux qui rêvent de vivre une aventure à l’étranger! x

Jenny ZhuLe Délit

Ondes depuis la SatosphèreRésonances boréales asphyxiées sous le dôme de la Société des arts technologiques.

musique

Avis aux amateurs de grand air: en sortant de Yellowknife, capitale des

Territoires du Nord-Ouest, prenez la route 4, direction est, pendant une trentaine de kilomètres, peut-être un peu plus. Vous arriverez au poé-tiquement baptisé Prelude Lake, là où, en 2013, Roman Zavada a installé un vieux piano droit, question d’y façonner un album entier, seul, en fin d’été, sous les aurores boréales du grand nord canadien. N’a-t-on jamais entendu parler d’un projet plus enchanteur?

Spontanément, le «dialogue immersif» visé par Zavada entre le son du piano et le jeu de lumière cé-leste fait songer à un artéfact d’une autre époque: le fameux clavecin oculaire du père Castel. Cet excen-trique jésuite du 18e siècle français aspirait à construire un instrument capable de «jouer aussi bien pour les oreilles que pour les yeux». Dans une prose inspirée, Castel présentait son dessein tout en anticipant son échec: «tout le but de ce Poème […] que je ne ferai sans doute jamais, est de déduire mon clavecin de l’arc-en-ciel.»

Qu’il soit question d’as-sortir la musique d’un clavecin aux couleurs de l’arc-en-ciel ou bien celle d’un piano aux cha-toiements d’aurores boréales, la beauté du résultat semble assurée d’avance, n’est-ce pas?

Bonus chez Zavada: la tech-nologie numérique est au rendez-vous. Le ciel de Résonances boréales est filmé à l’aide d’une grappe de caméras qui fera fonctionner simultanément douze projecteurs, changeant illusoirement le dôme de la SAT en firmament nocturne

tridimensionnel. Certains auront reconnu les images du spectacle Aurorae, actuellement présenté au Planétarium, qui les récupère. Cette technique, Castel n’aurait pu qu’en rêver! Tout n’est-il pas réuni pour créer une œuvre d’une sensibilité et d’une sophistication telles que nous n’en vivons parfois qu’une seule fois dans nos mortelles existences?

Disons simplement que l’applaudissement de l’assistance éparpillée en paires sur les grands poufs poires de la Satosphère était celui, timoré, qu’un public réserve à un divertissement passager plu-tôt qu’à une tentative d’art digne de cette appellation.

D’entrée de jeu, des animations numériques ressemblant à d’hor-ribles visualisations de Winamp violacées et péniblement nettes ont cassé toute possibilité de cohé-rence graphique avec les aurores boréales verdoyantes et diffuses. En guise de présentation, une voix préenregistrée carillonne: «Je suis Roman Zavada et je suis pianiste. Bienvenue dans mon univers.»

Pour son spectacle, Zavada n’improvise plus; l’immédiateté de la réaction du pianiste aux formes des aurores boréales est ainsi per-due. Le lien entre le son et l’image est exclusivement reconstruit par

le montage entre

l’album et la projection. Ainsi, il ac-compagne, sur un rutilant Steinway, les pistes de son album coproduit par Carl Talbot, enregistré trois ans plus tôt au Prelude Lake sur un Segerstrom assez honky-tonk — le genre d’instrument qui fait souvent l’objet d’annonces «piano à donner». L’écart des deux timbres superposés a peut-être forcé le registraire, pour unifier le son, à plâtrer le tout en fai-sant un usage démesuré d’effets sur les bandes amplifiées, à la fois celle du piano live et celle de l’enregistre-ment. Quoi qu’il en soit, le timbre de la musique livrée par système de son n’en est pas moins désagréablement métallique et artificiel.

Pour ce qu’il est des «compo-visations» de Zavada, elles ressem-blent de loin à une mauvaise diges-tion des passages les plus connus des Planètes de Holst. L’originalité

harmonique est quasi-nulle: l’on se contente de digressions pentato-

niques sans direction aucune. Certes, en général, la musique

n’a pas nécessairement besoin d’une intention affirmée, mais l’on sent que celle de Zavada cherche à s’en donner une, tout en y échouant. Les patrons tonaux usés et les clichés rythmiques qui fondent ses longues séquences réitérées empêchent à

Résonances boréales de s’affranchir de l’état d’une

musique d’ambiance que l’on n’aurait jamais songé écou-

ter pendant près d’une heure n’eût-elle pas été enjolivée de

projections de haute-voltige. Il faut toutefois le lui concéder:

l’interprète fait preuve d’une formi-dable intensité. Cependant, le regis-tre dynamique de cette intensité ne se décline qu’en deux tons, soit : «toutes vannes ouvertes en s’aban-

donnant à de généreuses girations du torse» ou «langoureusement, d’un air méditatif et affecté».

Somme toute, le pittoresque d’un lieu nordique, l’ultra-moderni-té d’une technologie employée et le mysticisme poétique d’une associa-tion abstraite n’auront pas réussi à masquer la vacuité abyssale des ba-ragouinages pianistiques de Zavada. Hélas, pour l’auditeur, la qualité d’une production musicale n’a que faire de l’originalité des moyens de son auteur. Geirr Tveitt n’a-t-il pas composé son magistral quatrième concerto pour piano Aurora Borealis avec un papier et une plume, dans la grisaille du Paris d’après-guerre ? Faute de moyens, Tveitt avait même dû se dispenser d’un orchestre pour la première, en 1947: il interpréta son concerto sur deux pianos, avec accompagnatrice. La réduction de l’effectif n’altéra peu de la valeur de l’œuvre: la grande Nadia Boulanger elle-même acclama l’œuvre, la disant une «bouffée d’air frais».

Écouter Tveitt après Zavada réconcilie l’auditeur avec une vérité fondamentale: nul besoin de se ren-dre au nord du 62e parallèle avec la technologie du futur pour oxygéner son art. x

philippe robichaudLe Délit

«La qualité d’une production musi-cale n’a que faire

de l’originalité des moyens de

son auteur»

Résonnances BoréalesSociété des arts technologiques

jusqu’au 11 mars 2016.

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14 Culture le délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Fenêtre sur MackintoshEntre modernité et tradition, Facing up to Mackintosh retrace un face-à-face architectural.

architecture

«L’avantage d’être un architecte, c’est de pouvoir marcher

dans ses rêves.» Une poignée de minutes après l’ouverture du film, les paroles de l’architecte améri-cain Harold E. Wagoner résonnent comme un préambule aux images qui se bousculent sur l’écran du Centre Canadien d’Architecture (CCA). Facing up to Mackintosh retrace l’histoire d’un défi: l’élabo-ration d’un nouveau voisin pour le bâtiment principal de l’école d’art de Glasgow, imaginé par l’archi-tecte écossais Charles Ronnie Mackintosh à la fin du 19e siècle. C’est sur une période de trois ans que la caméra de Louise Lockwood a observé chaque étape de la naissance du Reid Building, sous l’œil exigeant de ce qui est consi-déré comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la carrière de Mackintosh.

Le défi est de taille et le recueil de témoignages que consti-tue ce documentaire, présenté en avant-première de la 34e édition du FIFA (Festival International du Film sur l’Art), ne nous laisse pas le bénéfice du doute. Professeurs d’arts, architectes et autres adep-

tes de structures ingénieuses van-tent ces petits détails, calculs et dispositions qui font toute la com-plexité de l’édifice Mackintosh. «Il parvient à être brillamment inspirant sans que son esthétique ne se fasse imposante» souligne ainsi la professeur Muriel Gray. L’architecte américain Steven Holl, chargé de la conception du nouvel habitacle, aime à comparer un bâtiment à un outil, un instrument, plutôt que quelque chose de statique. Pour l’agencement du Reid building, l’idée serait alors d’observer la façon dont la lumière naturelle traverse les vi-

tres du Mackintosh pour la convertir en une nouvelle géométrie.

Réduire trois années de travail en cinquante-huit minutes de film ne se fait évidemment pas sans abî-me. Alors que l’on apprécie d’avoir accès à chaque étape de la construc-tion, la vue du chantier – étape clé dont l’importance est souvent sur-volée – il aurait été judicieux de me-ner une enquête sur l’acclimatation du bâtiment Reid dans le paysage urbain de la métropole écossaise. Seule la rue qui le sépare de son an-cêtre Mackintosh nous est montrée, or il est fort possible que les formes

quasi-cubiques de l’œuvre de l’archi-tecte Steven Holl aient dérangé voire contredit certaines attentes esthé-tiques ou conceptions de ce que l’on entend par «harmonie».

Facing up to Mackintosh a tout de même le mérite de nous redon-ner conscience du nombre d’expé-riences sensorielles qu’apporte

l’assemblage de matériaux dans un lieu précis. Car on ne se contente pas d’observer un bâtiment: on y marche, on respire, on rit, on dort, on apprend et il arrive même qu’on se perde entre quatre murs. Tâchons de ne pas oublier à quel point le lieu de vie façonne notre niveau de satisfac-tion envers tout ce qui nous entoure. Souvenons-nous que trop d’inven-tions, de transmissions de savoir, de recettes de cuisine n’auraient pas vu le jour sans une bonne dose de coups de marteaux bien étudiés. L’expérience du documentaire de Louise Lockwood et l’idée de bâtir en respectant le travail de nos prédé-cesseurs rejoint l’idée de l’architecte français Paul Chemetov: lire puis ensuite continuer ce qui a été créé à partir de chaque choix mené, «en re-puisant ce qu’il a apporté en son temps.»

«Il y a de l’espoir dans l’honnête erreur, nullement dans la perfection glaciale du simple styliste.» Il paraît que cette formule constituait la de-vise de Charles Ronnie Mackintosh. Elle semble appropriée pour clore cet article. S’il vous plaît, n’oubliez pas de fermer la porte en sortant. x

céline FabreLe Délit

Aquin intimeL’œuvre d’Hubert Aquin à l’honneur à la Médiathèque littéraire Gaëtan-Dostie.

événement

Jeudi dernier avait lieu l’inau-guration du cycle «Hubert Aquin: profession écrivain»

à la Médiathèque littéraire Gaëtan-Dostie, qui vise à célébrer le cin-quantenaire de la publication de Prochain épisode, le chef-d’œuvre de l’écrivain québécois.

La première partie de la soirée était consacrée à la projection de deux court-métrages de Vincent Guignard autour de l’œuvre d’Aquin, réalisés à quinze ans d’intervalle: Élégie hélvétique (Hubert Aquin en Suisse) (2000) et Portrait d’un jeune homme en lecteur aquinien (2015). Si ces deux films sont un témoignage d’admiration d’un lecteur envers l’auteur québécois et son «roman d’espionnage», ils n’apportent que peu de choses à la puissance du pre-mier livre d’Aquin. Élégie hélvétique (Hubert Aquin en Suisse) est une sorte de documentaire sur les diffé-rents séjours que l’auteur effectua

dans la Confédération, ponctué par quelques citations marquantes de Prochain épisode, dont l’action se déroule en partie en Suisse.

Dans Portrait d’un jeune homme en lecteur aquinien, on suit le jeune homme en question dans les Fonds d’Archive Hubert Aquin à l’UQAM, où il feuillette et lit en chu-chotant les manuscrits et éditions originales d’Hubert Aquin. En citant des extraits de Prochain épisode et du Journal de l’écrivain, le second court-métrage restitue sa prose obsessionnelle, notamment par le procédé d’itération (action de se répéter, ndlr). Confiné dans un espace clos, comme le narrateur de Prochain épisode, le lecteur aquinien chuchote: «J’écris sur une table à jeu, près d’une fenêtre qui me découvre un parc cintré par une grille coupante qui mar-que la frontière entre l’imprévisible et l’enfermé. Je

ne sortirai pas d’ici avant échéance. Cela est écrit en plusieurs copies conformes et décrété selon des lois valides et par un magistrat royal irréfutable.»

Épisodes passés

Ce qui ressort des films, c’est surtout le style d’Aquin. Comme le rappelle un de ses amis présent dans la salle de projection de la Médiathèque, rien ne remplace la lecture des livres.

Après la projection, Gaëtan Dostie — fondateur de la média-thèque — a convié Andrée Yanacopoulo, la veuve d’Aquin — suicidé en 1977 — pour se remé-morer celui avec qui elle partagea quatorze années de sa vie. Le tutoiement est de rigueur pour ces deux amis de longue date, et ils invitent d’autres proches présents à participer à leur discussion, notamment Jacques Allard, qui a mené l’édition critique des œuvres complètes d’Aquin.

L’entretien est intime, drôle — Andrée

Yanacopoulo raconte

quelques anecdotes, notamment sa première rencontre avec celui qui est à l’époque réalisateur pour Radio-Canada et l’ONF (Office nationale du film, ndlr), lors d’un dîner d’universitaires. Alors qu’elle faisait des recherches à l’UdeM sur la dépression au Canada français, Aquin venait d’écrire son célèbre article dans Liberté, «La fatigue culturelle du Canada français». C’est par la dépression qu’ils se sont connus, ce qui prête à sourire — d’un sourire noir et tragique — quand on sait que la vie d’Hubert Aquin a été traversée par ce mal, jusqu’à qu’il mette fin à ses jours.

Le cycle «Hubert Aquin: pro-fession écrivain» se poursuit à la Médiathèque littéraire Gaëtan-Dostie cette semaine. Seront pro-jetés un téléthéâtre et des docu-mentaires d’Aquin, notamment Le sport et les hommes, un documen-taire né de sa collaboration avec Roland Barthes, ce jeudi à 20h. Des documents exceptionnels à ne pas manquer. x

baptiste rinnerLe Délit

«Rien ne remplace la lecture des

livres»

Hubert Aquin: profession écrivain

Médiathèque littéraire Gaëtan-Dostie. Jusqu’au 6 mars.

34e édition du FIFA du 10 au 20 mars prochain à

Montréal.

«Il y a de l’espoir dans l’honnête

erreur»

Mahaut EngÉrant

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15Culturele délit · mardi 23 février 2016 · delitfrancais.com

Sartre à HollywoodThe Childhood of a leader, sombre drame historique au Centre Phi.

cinéma

Du 16 au 25 février, le Centre Phi propose la diffusion du premier film du jeune acteur

américain, Brady Corbet. Pour ses premiers pas en tant que réalisateur, il ne s’est pas laissé aller à la facilité, loin de là. Adapter une nouvelle de Jean-Paul Sartre (L’enfance d’un chef, ndlr) avec Robert Pattinson dans le rôle titre? Le pari était ris-qué, le résultat, en demi-teinte.

L’enfance d’un chef est divisée en trois tantrums, soit crises de colère, qui dépeignent la montée de l’égo autoritaire d’un jeune enfant. Dès l’ouverture, Corbet nous an-nonce ses intentions de nous plon-ger dans une France d’après-Pre-mière Guerre mondiale sombre et austère, où le clergé tient une place dominante. Un jeune servant de messe se cache derrière un mur et lance des pierres sur les paroissiens quittant l’église. Cet enfant de cœur c’est Prescott, né au sein d’une riche famille de la campagne française. Son père est un haut diplomate américain pour le président Wilson et s’occupe des négociations du trai-té de Versailles en 1919. Une suite de stratégies militaires qui aura un rôle majeur dans le développement de sa pensée.

Enfant intelligent à la tête d’an-ge, Prescott est souvent confondu avec une fille. Il va alors peu à peu prendre conscience de son pouvoir sur les autres, de son charme et du respect qu’il impose: il deviendra un chef, un despote, un dominateur.

Une esthétique éblouissante

La technique cinémato-graphique de Brady Corbet est remarquable, quoiqu’étonnante. Il décide de filmer des pièces vides ou des couloirs pendant de

longues minutes et privilégie les gros plans, nous laissant pénétrer dans l’intimité des personnages. Les décors et costumes traduisent superbement la France des années 1910, avec des silhouettes allon-gées — le corset étant de mise chez la gente féminine. Du côté des acteurs, Bérénice Béjo dans le rôle de la mère inquiète est la touche d’élégance de la distribution, mal-

gré un jeu d’actrice frôlant parfois le pathos.

Quant au jeune acteur qui interprète Prescott, il est épous-touflant: sa tête d’ange et son regard frondeur font de lui l’atout incontestable du film. L’acteur Tom Sweet incarne un personnage capri-cieux et indiscipliné qui marque par sa présence hypnotisante à l’écran. Robert Pattinson – malgré son om-niprésence lors de la promotion du film – ne tient qu’un rôle secondaire et apporte surtout sa notoriété au long-métrage.

Sobriété et manque de dynamisme

La musique composée pour le film par Scott Walker participe à l’atmosphère pesante qui s’en dé-gage: des sons stridents et agressifs s’apparentent à des cris de souffran-ce. Le film alterne entre des plans de Prescott avec sa tutrice angélique (interprétée par la magnifique Stacy Martin) et des images de plafonds noirs avec une musique apocalyp-tique en arrière-fond. L’enfant en rébellion contre l’autorité en vient à attaquer physiquement sa propre mère. Tout cet ensemble offre un drame angoissant sur la montée en puissance d’un égo fasciste, into-lérant et capricieux. On pourrait reprocher à Brady Corbet la sura-bondance de symboles: le specta-teur a aussi besoin d’être guidé dans l’enfance tourmentée d’un despote en devenir. L’incompréhension per-siste sur le sens de certaines scènes et l’on sort du Centre Phi avec une certaine frustration. L’œuvre man-que de sens et de dynamisme: c’est l’histoire d’un enfant qui devient de plus en plus capricieux et son entourage de plus en plus servile. La forme prédomine malheureusement sur le fond. x

WME Entertainmentinès thiolatLe Délit

The Childhood of a leaderAu Centre Phi jusqu’au 25 février

J’ai vécu trois ans à quel-ques mètres du parc Claude Jutra, au coin des

rues Clark et Prince-Arthur. J’y venais me recueillir, j’ai cultivé en cet endroit une intimité profonde avec le cinéaste, la ville et l’art de la toponymie.

Une sculpture de Charles Daudelin y siège, portant l’ins-cription suivante: «La vocation du cinéma est d’incarner la vie. Notre postérité exige qu’on le protège pour qu’il garde en mémoire non pas seu-lement ce que l’on pense, mais com-ment on le parle, le rythme de nos rires, la chanson de nos pleurs, pour qu’il capte à jamais les aujourd’huis qui passent; pour qu’il rende à l’éternité notre fait, notre geste et notre dit.» Claude Jutra 1930-1986

Le scandale actuel que sus-citent les révélations sur ses pratiques pédophiles porte une ombre noire sur «notre postérité». On accuse le silence complaisant, l’aveuglement volontaire. Les révélations sont sérieuses, le scan-dale ne l’est pas.

«Le scandale est là où le spec-tacle n’a pas lieu»: une lecture des essais d’André Belleau nous a menés, cette semaine, en cours sur l’essai québécois à penser le problème de l’interdit au Québec dans ce qui est censuré plutôt que dans ce qui est grandement révélé. C’est profon-

dément actuel. Le scandale a pris naissance dans un espace spectacu-laire unanime et aliéné. L’essence du spectaculaire, dans ce débat, réside

dans l’absence de nuances. C’est un sujet délicat et il révèle d’anciennes blessures jamais closes, jamais dites. Il révèle une maladie mentale, des désirs malpropres et des actes indé-cents.

Cet événement laissera des traces dans l’histoire du cinéma

québécois et dans notre histoire socioculturelle. Une série de ques-tions m’intéressent aujourd’hui.Elles concernent la manière dont ses œuvres porteront les stigmates de ces révélations: l’analyse de son œuvre sera-t-elle marquée par ses préférences sexuelles? La projection de ses films sera-t-elle évitée, et leur partage détourné? Sans doute, pour un temps. Ce qui me fait penser à la censure et à l’aliénation.

Il y a des questions qui ont une apparence d’unanimité: elles sont les plus lyriques et sans doute les plus dangereuses. La pédophilie est une maladie hautement condamnable, c’est une évidence. La pédophilie de Claude Jutra n’a probablement rien à voir avec ses films: il est irrationnel de concevoir comment l’un puisse motiver l’autre.

On se donne bonne conscience à le rayer de la toponymie québécoi-se. Le débat est ailleurs. On déplace la crise dans notre malaise face à la pédophilie: on sacrifie le cinéaste sur la place publique, on se glorifie de lui faire honte. La véritable réponse est de prendre conscience du problème, de le prévenir et d’éviter d’autres enfances troublées. x

Que faire de Jutra?La bonne conscience de nos actions est éphémère.

opinion

«Les révélations sont sérieuses, le scandale ne

l’est pas»

«Le pari était risqué. Le résultat,

en demi-teinte.»

Habib B. HassounLe Délit

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16 entrevue le délit · mardi 23 février · delitfrancais.com

EntrevueDead Obies en coulisses

Le Délit a rencontré le groupe de post-rap Dead Obies, à l’occasion de la sortie de leur nouvel album, Gesamtkunstwerk.

Dead Obies est un groupe de post-rap qui a acquis sa notoriété grâce aux dix-sept morceaux de

Montréal $ud, sorti en 2013. Leur pro-chain album, Gesamkunstwerk, sera dans les bacs le 4 mars 2016 sous le label Bonsound. Le concept est original: au mois d’octobre, les rappeurs ont proposé trois sessions live, dont les enregistrements sont inclus dans l’album studio. Le Délit a rencontré quatre membres de Dead Obies: Yesmccan, Joe RCA, 20some et O.G.Bear, pour une discussion très… esthétique.

Le Délit (LD): Votre album s’intitule Gesamtkunstwerk: est-ce que vous faites une œuvre d’art totale, comme le veut ce concept allemand?

YesMccan: On élargit le concept du rap avec ça, on stretch les mots. Y’a une longue lignée dans la génétique du rap de bragadoccio du type «j’suis le meilleur, I got big car, I got big chain»… Nous on fait une œuvre d’art totale, c’est aussi humoristique: y’a clairement un ton «frondeur». On voulait enregistrer un album live, le retravailler et que toutes les facettes de la «marchandise de l’album» servent le discours.

LD: Lors des enregistrements live au Centre Phi en octobre dernier, le concert s’est ouvert sur la projection d’images du documentaire de Guy Debord La Société du Spectacle. Vous vous êtes inspirés de son travail?

YesMccan: La Société du Spectacle est une œuvre hautement poétique et haute-ment théorique. Guy Debord est vraiment un artiste et un théoricien. Des phrases nous ont guidés et inspirés pour l’album, c’était fort comme point de départ. On a beaucoup réfléchi, on avait peur que ça sonne prétentieux ou qu’on ait «pas le droit» de toucher à cette œuvre-là parce qu’on serait incapables d’y rendre justice. Puis le gros truc à propos du situation-nisme c’est que si tu te réclames de ça c’est vraiment un mouvement hardcore, anti-capitaliste au maximum, anti-mythe populaire, c’est très revendicateur. Ça nous intéresse d’aller au-delà du mythe: la culture et les hautes théories sont autant pour le peuple que pour les universitaires ou l’élite.

Pis y’a des phrases comme: «Dans le monde réellement renversé, le vrai est un

moment du faux»: tu donnes ça à un artiste il te fait un album ou une peinture!

C’est d’autant plus facile parce que Guy Debord a écrit ça dans les années 1960, c’était super controversé. Mais c’est difficile en 2016 de le contredire, tout le monde peut faire l’expérience de la société du spectacle.

20some: C’est comme si ses théories s’étaient renforcées avec le temps, c’est pour ça qu’il a été réédité dans les années 1990. Lire le livre ou voir le documen-taire, ça a été la bougie d’allumage pour en parler entre nous, dans nos mots. Ça a amorcé notre imaginaire collectif, comme un déclic, toutes les chansons qu’on avait prenaient place.

LD: On peut donc dire que vous avez «théorisé» votre esthétique?

YesMccan: Au début on avait le désir, purement esthétique, d’incorporer du live dans l’album, pour traduire l’énergie de nos performances. Puis on a avait entendu que pour Francis Ford Coppola, un artiste doit être capable de définir son œuvre en un mot. En lisant La Société du Spectacle, on avait notre sujet d’album.

LD: Sur vos pochettes d’album, on remarque souvent la présence de selfies, de caméras, ce qui entre bien dans le thème du spectacle…

YesMccan: On voulait renverser le focus du spectateur à l’artiste, que l’ar-tiste aille vers le public. On allait dans la foule, l’un de nous a pris un cliché de Charles (20some, ndlr) dans la foule pen-dant qu’une fille se prenait en selfie avec lui, pis dans le cadre on voit la caméra qui capte l’ensemble du projet. C’était très évocateur.

LD: À ce propos, vous avez joué avec le groupe de jazz Kalmunity, vous prévoyez de jouer avec plus de musiciens acoustiques?

Joe RCA: Ben… j’ai pris des cours de trompette. (rires)

YesMccan: Certains d’entre nous sont fans de Kalmunity, on était même intimidés de leur demander de jouer avec nous. On va répéter l’expérience dans plein de concerts, donc c’était concluant.

20some: Y’a quelque chose dans la musi-que, dans la maîtrise de l’instrument qui est inatteignable dans le rap…

O.G. Bear: C’est l’opposé pour moi: j’aime la musique, mais dans le rap c’est la voix, le ton, ton personnage, qui font qu’un rappeur va se distinguer. C’est aussi nos différences qui nous font avancer, on est six à avoir des visions différentes, mais on est tous des mélomanes.

LD: Au niveau de l’écriture, ça se passe comment?

Joe RCA: Chacun écrit son texte com-me toujours dans le rap. Parfois en studio y’a des idées qui viennent, chacun écrit son texte mais c’est un travail d’équipe.

LD: Vous vous mettez d’accord sur les thèmes?

Joe RCA: Pour cet album, ça part du beat, de la musique. On est souvent parti d’un refrain, donc celui qui a le refrain donne la trame pour tout le monde.

20some: On essaye de pas faire des thèmes clairs, y’a comme des couleurs ou une certaine émotion.

O.G. Bear: C’est très instinctif, y’a un thème mais parfois on travaille dedans sans même le savoir. On ne force pas notre sujet précisément.

LD: Vous connaissez la controverse de PNL (groupe de rap français qui utilise beau-coup de distorsions de voix, ndlr): vous aimez utiliser l’auto-tune et les distorsions de voix?

O.G. Bear: C’est vraiment un outil de tra-vail. Si tu sais ce que tu fais, tu sais chanter, il n’y a pas de honte à l’utiliser.

Joe RCA: Il faut pas penser que l’auto-tu-ne c’est fake, et que c’est plus ta voix. C’est un peu se mentir parce que quand t’enregistres de la musique par le micro, c’est déjà plus ta voix.

20some: Je suis sûr que la guitare élec-trique quand c’est sorti on a dit «Yo, c’est pas de la vraie guitare.» Le souci c’est d’être ouvert. C’est comme un chef cuisinier, t’aimes pas les épices mais whatever si c’est bon tu les intègres à ton craft.

LD: C’est quoi pour vous le «post-rap»?

YesMccan: Les premiers qui s’y sont mis, pour moi, c’est Alaclair Ensemble, leur sortie de presse c’était «on fait du post-rigodon», c’était carrément absurde. Les conventions sont un peu tombées avec les technologies qu’on connaît, ce que tu peux faire, ce que tu peux dire en amenant de la folie: c’est ce qu’on s’est donné comme ambition. On voulait avoir une étiquette différente des autres. Après, ce qu’on fait ça reste du rap, ça pourrait être une sous-bran-che de la musique. Method Man c’est du rap, M.I.A c’est déjà plus post-rap.

LD: Pour finir, qu’est-ce qui vous man-que pour le futur?

YesMccan: De l’argent (rires). Joe RCA: Faudrait qu’on sorte du

Québec, on a un grand monde à conquérir. 20some: On a fait des dates en France.

C’est la première fois qu’on s’est fait pren-dre au sérieux par des journalistes, là-bas on sentait que y’avait un professionnalisme par rapport aux rappeurs alors qu’ici, tu te fais un peu infantiliser quand tu fais du rap. Enfin moins maintenant, mais là-bas on était épatés par l’événement, on a eu deux pages dans Libération!

YesMccan: On aimerait beaucoup y retourner, mais ça coûte de l’argent. Pis on est en dehors du réseau des subventions au Canada parce qu’on répond pas aux critères des musiques francophones. On n’a pas as-sez de français pour être francophones mais on n’a pas assez d’anglais pour être anglo-phones. On tombe dans une zone grise. On trouvera d’autres façons!

Joe RCA: It is what it is! x

Propos recueillis parCÉLINE sztil et vassili fabre

Le Délit

«Ça nous intéresse d’aller au-delà du

mythe: la culture et les hautes théories sont

autant pour le peuple que pour les univer-

sitaires ou l’élite» YesMccan

john londono

«Celui qui a le refrain donne la trame pour

tout le monde» Joe RCA

«On est six à avoir des visions différentes, mais on est tous des

mélomanes» O.G. Bear

«La Société du Spec-tacle a amorcé notre imaginaire collectif»

20some