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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 16 février | Volume 105 Numéro 14 Un nouvel élan pour le Canada depuis 1977

Le Délit du 16 février 2016

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Page 1: Le Délit du 16 février 2016

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 16 février | Volume 105 Numéro 14 Un nouvel élan pour le Canada depuis 1977

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Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 14

2éditorial le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

[email protected] Julia Denis

actualité[email protected]é MourIkram MecheriHannah Raffin

[email protected]éline FabreVassili Sztil

Société[email protected] Perrin Tabarly

économie [email protected] Sami Meffrecoordonnateur de la production

[email protected] Baptiste Rinnercoordonnateurs visuel

[email protected] EngérantVittorio Pessin

coordonnateurs de la [email protected] BojuAntoine Duranton

coordonnatrice réseaux [email protected]

Inès L. DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Joseph BojuWebmestre

[email protected] Ménard

contributeurs Ronny Al-Nosir, Lara Benattar, Camille Biscay, Charlie, Hortense Chauvin, Madeleine Courbariaux, Gabrielle Colchen, Noor Daldoul, Philomène Dévé, Luce Engérant, Prune Engérant, Sara Fossat, Marion Hunter, Margot Hunter, David Leroux, Eléonore Nouel, Olivier Pasquier-Parpaillon, Kary-Anne Poirier, couvertureMahaut Engérant et Vittorio Pessin

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

the McGill daily [email protected]

Niyousha Bastani

Pas de traduction, pas de titre

Lundi 22 février, l’Association des Étudiants de l’Université McGill tiendra son Assemblée générale bi-annuelle. Comme le veut la tradition, Le Délit a étudié les motions pour pré-

senter une position réfléchie à ses lecteurs. Comme le veut la tradition, l’équipe du Délit a cherché la traduction des motions en français publiée par l’AÉUM, car tu le sais cher lecteur: nous sommes de fiers francophones. La tradition veut aussi que nous comptions — avec un humour amer — toutes les fautes de la tra-duction Google Translate publiée par l’AÉUM, sans grand respect pour la langue française. Cette année, nous n’aurons même pas eu la chance de nous lamenter sur la syntaxe ridicule made in SSMU: l’Association n’a même pas encore daigné publier ses motions en français. McGill est une université bilingue, les décisions de l’Assemblée générale nous concernent tous, et chacun doit pouvoir avoir accès aux motions dans les deux langues.

Piqués à vif, nous avons envisagé de répondre à l’AÉUM par un éditorial in Google Translate English. Nous auraient-ils com-pris dans ce langage leur étant plus familier?

Motion concernant le support du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS)

Le Délit soutient cette motion. Nous estimons que l’AÉUM doit faire pression sur le conseil des directeurs afin que l’Univer-sité désinvestisse des entreprises bénéficiant directement des Territoires palestiniens occupés (voir l’article «McGill au mépris du droit» dans l’édition du 9 février).

Cependant, une partie du conseil de rédaction a exprimé ses doutes quant au soutien du mouvement BDS dans son ensemble par l’AÉUM — un des points plus spécifiques de la motion géné-rale. En effet, BDS est un mouvement qui appelle au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre l’État d’Israël, d’une manière similaire à ce qui a été mis en place contre l’Afrique du Sud au temps de l’Apartheid. Cette campagne resterait en place tant qu’Israël n’aurait pas reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, décolonisé les territoires occupés et démonté le mur de séparation — entres autres. Or, cette position est forte et ne représente pas forcément l’ensemble des élèves de McGill.

Alors que conserver ces investissements est une manière de légitimer l’occupation, désinvestir est bel et bien un moyen de ne plus prendre position dans le conflit. Que l’Université désin-vestisse des Territoires palestiniens occupés est une dépolitisa-tion de McGill et un retour à une position de neutralité dans le conflit israélo-palestinien. Le Délit soutient ce retrait de la part de McGill.

En revanche, il est nécessaire de se demander si soutenir offi-ciellement le mouvement BDS n’est pas une re-politisation et une nouvelle prise de parti de la part de McGill dans un conflit pourtant si complexe.

Le vote des étudiants au cours de la prochaine Assemblée géné-rale fera écho. Une potentielle prise de position de la part des étu-diants de McGill sera importante dans le contexte d’un Canada «de retour» sur la scène internationale.

Motion concernant l’arrêt de l’utilisation de minéraux issus d’une production contraire à l’éthique.

Le Délit soutien cette motion et encourage l’AÉUM à poursui-vre ses efforts pour une consommation plus éthique.

Motion pour augmenter le contenu autochtone au sein de l’Uni-versité.

Le Délit soutien cette motion. Nous regrettons que la ques-tion autochtone ne soit pas encore familière à tous les étudiants. Beaucoup n’ont pas encore conscience de ces aspects sombres et discriminatoires de l’Histoire — et du présent — de notre pays. Il est nécessaire de sensibiliser, de suivre un devoir de mémoire et de favoriser le changement par l’enseignement.

Une certaine réserve a tout de même été exprimée quant à la demande d’intégration de «cours obligatoire sur l’étude des Premières Nations dans tous les programmes de premier cycle à McGill». Cette formulation est encore peu précise. Mener des ate-liers obligatoires ou intégrer des questions autochtones au sein de certains cours semblent être des solutions tout à fait envisageables. Cependant, certains doutent de l’idée d’instaurer un cours semes-triel, crédité et obligatoire sur la question autochtone.

Discussion sur un campus non-fumeur.

Malgré le manque d’informations quant à la forme de cette dis-cussion, Le Délit reconnaît qu’il est important qu’un véritable débat puisse avoir lieu. Pour le moment, la campagne a été peu publicisée et des doutes persistent quant à la représentativité de sondage sti-pulant que «la majorité des étudiants supportent un campus non-fumeur.»

Avant d’ajouter un point final, quelques membres du Délit — qui souhaitent rester anonymes — vont justement aller goûter à leurs possibles derniers moments de liberté individuelle et de libre arbitre. Vous avez du feu? x

Ces prises de positions ne représentent pas forcément unanime-ment l’opinion des membres du conseil de rédaction.

l’équipe de la rédaction

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

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Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

campus

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4 actualités le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Le journalisme n’est pas mortUne conférence rassurante sur le sort du journalisme dans le monde.

Le samedi 13 février, lors de la conférence hiver-nale de la Presse Étudiante

Francophone (PrÉF), le jour-nalisme était à l’honneur. Trois intervenants, habitués du journa-lisme depuis de longues années, sont venus parler de la place et des mutations du journalisme aujourd’hui, dans un monde où le citoyen se fait instantanément journaliste, en un simple clic.

Un sentiment de communauté

Entre les murs de Gert’s, des valeurs d’espoir remplacent les habituelles vapeurs d’alcool. Les étudiants-journalistes, ve-nant pour certains de Québec et d’Ottawa, se regroupent dans la bonne humeur. Cette conférence rassemble, donne l’impression de faire partie d’un tout plus grand que soi et son école: une véritable communauté. Arborant fièrement le nom de son journal sur la poitrine, chaque étudiant se sent vraiment membre d’une profession. Habituellement disposés sur de discrets présen-toirs, les différents journaux

universitaires et cégépiens trô-nent sur les tables, dans un pêle-mêle coloré. C’est un désordre ordonné par un sens commun: la vocation journalistique.

Monsieur Tout-le-monde ne peut pas être journaliste

Fabien Deglise, journaliste-chroniqueur pour le Devoir, a ras-suré l’auditoire: dans un présent en constante redéfinition, le jour-nalisme n’est pas mort. Cette idée trop souvent entendue est selon lui un amalgame. Entre la fin des journaux papiers, les baisses d’ef-fectif et l’importance des réseaux sociaux, le journalisme tradi-tionnel semble menacé. Selon l’intervenant, il est au contraire la pierre angulaire de notre société. Soulignons l’exigence de l’éthique journalistique: le journaliste ana-lyse la doxa, vérifie ses sources, agit en véritable «historien du présent». La personne s’e!ace derrière l’article et ne doit pas laisser l’émotion prendre le pas sur l’information. Cette vision contraignante souligne donc la place essentielle du journaliste, dans un présent où les médias deviennent les alliés de l’égo, du mensonge et de la passion.

Art et journalisme ne s’opposent pas

Une vision moins stricte du journalisme vient ensuite. Judith Lachapelle, journaliste et bédére-

porter au journal La Presse est ve-nue parler du dessin de presse, que la photographie n’a pas remplacé. Selon elle, l’émotion du journalisme est importante: elle fait partie de l’information. À l’objectivité, Judith

préfère l’honnêteté. Le dessin est soumis aux autres contraintes du journalisme. Le bédéreportage est un travail de journaliste-artiste: le texte et le dessin se complètent.

Un journalisme enrichi par la technologie

Alors qu’à première vue, les nouvelles technologies seraient l’ennemi du journalisme tradition-nel, Judith Lachapelle renverse le sens commun: le numérique lui donne une grande liberté de créa-tion. Roland-Yves Carignan, ancien directeur artistique au Devoir et à Libération, a ensuite montré les avantages de l’enrichissement des médias: vidéo, photographie, car-tes ou infographie sont autant de moyens de présenter l’information et faciliter la lecture.

La frontière est poreuse entre mise en valeur visuelle de l’infor-mation grâce aux médias sociaux notamment et la manipulation du lectorat. Aussi, luttons contre le ni-vellement par le bas: faisons l’e!ort de vérifier les informations qui nous sont proposées avant de propager la nouvelle. Cependant, le journalisme n’est pas mort, il s’adapte et il se réinvente sans cesse au rythme des nouvelles technologies.

lara benattar

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Vers un campus sans tabac?Sujet controversé, mais possiblement envisageable.

campus

Un groupe d’étudiants a été contacté récemment par le Sénat de McGill

pour effectuer un sondage dans le but d’analyser la perspec-tive d’un campus sans tabac. Étonnamment, il semblerait qu’une grande majorité des étu-diants soient en faveur de cette hypothèse. C’est pour cela que l’AÉUM a décidé d’organiser une consultation le mardi 9 février, dans le but de mieux comprendre les attentes de chacun, et d’éva-luer les possibilités pour peut-être tenter une transition vers un campus sans fumée.

Pourquoi c’est important?

Cette consultation a permis principalement d’entendre le point de vue des étudiants — mais aussi d’autres acteurs de la communauté mcgilloise — sur la question du tabagisme sur le cam-pus. La consommation de tabac sur le campus entraîne de nom-breux problèmes qui concernent fumeurs comme non-fumeurs: tabagisme passif (qui peut être dangereux pour les personnes

sou!rant d’allergies ou de trou-bles respiratoires), pollution, etc. Une transition vers un cam-pus sans fumée semble être une

mesure envisageable, mais à long terme. Il faudrait mettre en place certaines mesures ayant pour but de faciliter cette transition.

Quelles sont les proposi-tions?

Plusieurs politiques pourraient être mises en pla-ce dans ce but, à différentes échelles. Tout d’abord, il fau-drait faire de la prévention auprès des étudiants sur la réduction de la consomma-tion et sur la mise en place de zones fumeurs ciblées sur le campus. Tout cela s’effec-tuerait dans la perspective d’un changement plus signi-ficatif à long terme: arriver à supprimer la consommation du tabac sur le campus — et très probablement aussi de la cigarette électronique. Ces propositions ont été fai-tes par le groupe d’étudiants travaillant sur le tabagisme sur le campus.

Comment le projet a dé-marré?

La genèse de la politi-que de limitation du taba-

gisme à l’Université a démarré avec l’interdiction de fumer à moins de neuf mètres des portes de tous les bâtiments de l’Uni-

versité puis la mise en place de la zone non-fumeur devant les bibliothèques McLennan et Redpath. Cependant, cette der-nière mesure s’est avérée plutôt vaine. L’AÉUM a alors contacté quelques étudiants, dans le but de continuer ce projet. Suite au sondage qui a connu un succès plus grand qu’espéré, ils ont considéré qu’il était nécessaire de créer une discussion avec la communauté universitaire, dans le but de satisfaire le plus de monde possible avec les mesu-res mises en place. Selon David Benrimoh (Sénateur à la Faculté de médecine), un tel résultat était assez inattendu: 73% des étudiants ayant participé au sondage seraient d’accord pour un renforcement de la politi-que anti-tabac sur le campus. Cependant, il reste beaucoup de controverse sur ce sujet, notam-ment avec l’idée d’un campus sans tabac.

Ce projet verra-t-il le jour? L’audience de cette consultation semblait plutôt enthousiaste à l’idée des zones fumeurs, ainsi qu’à celle de favoriser la préven-tion et la diminution de l’usage du tabac sur le campus.

Margot Hutton

conférence

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5actualitésle délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Réalité cachée et déformée Donner la parole aux communautés autochtones c’est lutter avec elles.

conférence

Lundi 8 février se tenait dans la salle de bal du SSMU la conférence «Indigenous

Community, Resistance, and Media », (Communautés autochtones, résistance et média, ndlr). Elle était centrée sur la manière dont les médias traditionnels représentent les Premières Nations, et comment trois journalistes issus de cette mi-norité se battent pour leurs droits. Les trois intervenants mohawks (une des six nations iroquoises) ve-naient changer le regard occidental porté sur leurs communautés. Irkar Beljaars travaille pour la radio, il vient de Montréal; Kahnentinetha est une grande activiste, née à New-York, elle travaille pour le Mohawk Nation News (MNN). Enfin, Steve Bonspiel travaille pour The Eastern Door (la Porte Est, ndlr) et vient de Kanesatake, une des communautés mohawk.

Fausse représentation

Ce qui est principalement ressorti est la frustration des trois journalistes de sans cesse voir leurs communautés incorrectement

représentées dans les médias cou-rants. Si l’on sait que les médias sont sélectifs et proposent une vue partielle de chaque situation, il faut admettre qu’ils renvoient une ima-ge fausse des Premières Nations. La plupart des journalistes ne connaissent pas les communautés dont ils parlent, et permettent par leur ignorance la perpétuation de l’image d’un autochtone drogué ou de la femme prostituée. Selon les intervenants, ils ne prendraient pas en compte la diversité des commu-nautés natives ou leurs particula-rités culturelles (par exemple, le fait que la plupart des Premières Nations sont des sociétés matriar-cales et non patriarcales comme les sociétés occidentales). Le mauvais rôle leur serait sans cesse attribué: les journaux mettent en avant un mode de vie différent qui serait à l’origine de leurs problèmes, en oubliant que les autochtones sont les victimes du système canadien depuis sa création. Le Journal de Montréal a été cité comme étant «le pire».

De plus, les journaux tradition-nels ne reflèteraient pas les préoc-cupations des Premières Nations. Ils ne donnent pas une image fidèle

du passé et ne couvrent pas certai-nes crises importantes qui ont lieu dans les communautés. Par exem-ple, la crise d’Onondaga (une des six nations iroquoises) qui eut lieu en 1997, n’a jamais été mentionnée par les journaux, alors qu’elle impli-quait les forces armées américaines contre une communauté native.

Il ne faut pas oublier que les membres de cette communauté sont en colère et doivent être en colère, car ils ne peuvent oublier leur histoire et leur quotidien douloureux: le génocide qui a eu lieu, les pensionnats, le vol de leurs terres, le racisme dont ils sont per-pétuellement victimes, les femmes tuées et disparues auxquelles jus-tice n’a jamais été rendue, la crise d’Oka… La liste est bien longue et ne cesse de s’allonger.

Retourner à la source Selon les conférenciers, les

personnes qui veulent en appren-dre plus sur les Premières Nations, leur quotidien et leur combat, doivent lire directement ce que les journalistes issus des communau-tés autochtones écrivent afin de revenir à la source de l’information.

Un nombre assez considérable de journaux autochtones sont accessi-bles sur Internet.

Ceux qui pensent que l’État du Canada a été bâti sur des terres volées et que cette communauté est victime d’injustice doivent leur donner la parole et se battre avec eux. L’importance de la par-ticipation des Canadiens n’est pas négligeable. Leur statut interne leur permet d’avoir un impact sur le système ce qui est capital, étant

donné que beaucoup de membres des Premières Nations ne considè-rent pas en faire partie.

Pendant deux heures de dis-cussions parfois fortes en émotion, c’est un discours amer, mais plein d’espoir que sont venus transmet-tre les intervenants. Avec sourire et entrain, ils invitent tous ceux qui les soutiennent à se battre avec eux, et tous ceux qui leur portent intérêt à venir les visiter pour juger par eux-mêmes de leur quotidien. x

gabrielle colchen

Un projet en tête ?

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Une des 5 meilleures universités au Canada

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6 ACTUALITÉS le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Ban Ki-moon à McGill La visite du Secrétaire général de l’ONU expliquée en quatre temps.

Cahier Spécial

1Visite à Ottawa: «Canada is back»

Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) Ban Ki-moon a entamé sa visite officielle au Canada par Ottawa en rencontrant le pre-mier ministre Justin Trudeau. Rencontre très médiatisée, le premier ministre n’est pas passé par milles chemins pour faire savoir à Ban Ki-moon son ambition d’obtenir un des très prisés sièges non-permanents au Conseil de sécurité de l’ONU. Replacer le Canada sur la carte du monde, tel est l’objectif du jeune premier ministre qui tient à prouver son leadership sur la scène internationale.

M. Ban est actuellement dans la dernière année de son deuxième mandat de cinq ans; son successeur devrait être connu un peu plus tard au cours de l’année.

2Visite à l’hôtel de ville de Montréal

Après Ottawa, ce fut le tour du maire de Montréal, Denis Coderre, de recevoir en grande pompe le Secrétaire général de l’ONU. L’entretien entre le représentant onusien et le maire fut de courte durée — une tren-taine de minutes. Toutefois, les deux hommes ont pu discuter de la question des réfugiés et rencontrer les journalistes pré-sents sur place. Le précédent Secrétaire général, Kofi Annan,

n’avait jamais mis les pieds à Montréal durant son mandat. Il faut remonter en 1994 pour la dernière visite d’un Secrétaire général à Montréal, Boutros Boutros-Ghali.

3Visite à McGill

Un saut à McGill? Pourquoi pas. Outre l’alarme d’incendie, qui a quelque peu retardé le début de la confé-rence, et l’équipe de Désinvestir McGill qui a profité du passage du Secrétaire général et de sa délégation pour rappeler les enjeux de leur organisation, l’événement s’est déroulé sans incident. Présente sur les lieux avec des pancartes qui arbo-raient les mots suivants: «Vous ne pourrez pas dire que vous ne le saviez pas.» Désinvestir McGill a réitéré, de façon très pacifiste, son souhait que l’Université

McGill se départisse de ses inté-rêts économiques liés à l’indus-trie du fossile et autres énergies non-renouvelables.

Prenant des accents popu-listes, sans doute empruntés au maire Coderre assis en première ligne, le Secrétaire général a dé-buté son allocution en entonnant le chant religieux de tous les Montréalais «Go Habs go!» (Allez Canadiens, allez!, ndlr) obtenant de facto la sympathie du public.

Avec un discours inti-tulé «Menaces et Opportunités» (Threats and Opportunities, ndlr), le Secrétaire général

s’adressait directement aux étu-diants présents dans la salle et avait pour objectif de convaincre le public du rôle vital de la jeu-nesse dans les enjeux tels que le changement climatique, les conflits armés, les crises huma-nitaires et l’emploi. Toutefois, c’est avec une pointe d’humour et beaucoup d’humilité que le Secrétaire général a tenu à rap-peler à cette jeunesse que seule la sagesse permet de réconcilier l’utopiste et le réaliste afin de construire l’avenir.

M. Ban a aussi rappelé que le savoir lui-même n’est pas impor-tant, mais que c’était plutôt son application qui faisait la diffé-rence et qu’il existe une multi-tude de façons de contribuer tout en restant autonome: «Vous avez un potentiel énorme, c’est aux jeunes de décider de leur contri-bution. Vous pouvez devenir artiste ou politicien, la décision vous appartient ».

Lorsqu’il a été questionné sur l’enjeu de la Corée du Nord par le professeur Krzysztof Pelc du Département des Sciences Politiques, la salle a semblé rete-nir son souffle pour un instant. Toutefois, le Secrétaire général n’a pas semblé bousculé par la question. Sans toutefois fournir une explication exhaustive de sa vision concernant le conflit, M. Ban a affirmé qu’il trouvait la situation très «frustrante et agonisante», mais qu’il souhaite avant tout favoriser l’approche diplomatique à ce conflit.

Pour le maire de Montréal, Denis Coderre, cette visite confirme le statut privilégié de la ville onusienne: «Montréal est redevenu un incontournable en terme de relations étrangères. M. Ban compte sur les villes pour qu’on puisse débloquer la situa-tion pour le suivi de la COP21 sur la question de la transition éner-gétique et de l’environnement entre autres.»

Rencontrée par Le Délit, Mme Christine St-Pierre, minis-tre des Relations internationales

et de la Francophonie, qui était aussi présente à la conférence, a expliqué au Délit que lors de son arrivée en poste «La question de la Charte des valeurs (qui voulait interdire les signes ostentatoi-res religieux dans les services publiques, ndlr) avait fait mal à la réputation du Québec à l’inter-national. Ça donnait un image d’intolérance qui ne reflète pas les Québécois, nous avons depuis rectifié le tir afin de démontrer le contraire. De plus, en tant que parti politique fédéraliste, nous croyons au pouvoir et à l’influen-ce du Québec au sein du Canada et nous travaillons dans ce sens.»

4Visite au centre de la pré-vention contre la radicali-sation de Montréal

Sans doute tombé sous le charme de Denis Coderre, Ban Ki-moon a tenu à retrouver son hôte montréalais suite à sa visite à l’Université McGill pour faire un tour des locaux du Centre de la prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Le centre lutte contre toutes les formes de radicalisation permet aux familles d’obtenir un soutien et de dénoncer les personnes qui pratiquent des activités terro-ristes. Le centre, qui a ouvert ses portes en mars 2015, offre notam-ment une ligne d’écoute 24 heures sur 24 qui offre un soutien aux parents et à leurs enfants. Depuis la création du centre, presque une dizaine de dénonciations de la

part des citoyens ont mené à une enquête policière. En conférence de presse, le Secrétaire général a rappelé qu’il y a moins d’un mois,

il a présenté Le plan d’action des Nations Unies pour prévenir l’extrémisme violent (United Nations Plan of Action to Prevent Violent Extremism, ndlr). Dans ce rapport, M. Ban présente plus de 70 recommandations qui peuvent être utilisées par les États dans leur lutte contre l’extrémisme. Il a cependant tenu à rappeler que la protection et la promotion des droits humains doivent toujours demeurer une priorité dans la lutte contre le terrorisme.

Pour clôturer sa visite, le Secrétaire général a été convié à un dîner officiel en son honneur organisé par nul autre que, vous l’aurez sans doute deviné, l’iné-vitable Denis Coderre. Au cours de ce dîner qui a rassemblé plus de 300 personnes, le Secrétaire général a reçu le titre de citoyen honorifique de Montréal. x

Ikram MecheriLe Délit

«En tant que parti politique fédéraliste,

nous croyons à l’influence du Québec au sein du Canada»

«Vous ne pourez pas dire que vous ne le saviez pas»

Seule la sagesse permet de récon-cilier l’utopiste et le réaliste afin de construire l’avenir

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Vittorio Pessin

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7actualités et sociétéle délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Intégrer les jeunes au globeUn regard sur l’investissement étudiant dans les causes internationales.

Crédit photo

Le Canada dans le mondeL’image de marque nationale est-elle un outil politique ou économique?

Jeudi 11 février dernier a com-mencé le panel de conférences organisé annuellement par

l’Institut d’Études Canadiennes de McGill, l’IÉCM, qui avait cette année pour thématique «Le Canada à l’échelle mondiale».

L’après-midi se déroulait la deuxième conférence du panel inti-tulée «Une exploration de l’image du Canada et de son rôle dans le mon-de». Les conférenciers ont ainsi dé-battu de la réputation du Canada sur la scène internationale, c’est-à-dire de son image de marque. Différents intervenants ont tenté de répondre à ces interrogations, dont Mélissa Aronczyk, professeure assistante à l’École de Communication de l’Uni-versité Rutgers et Colin Robertson, conseiller stratégique sénior chez Dentons Canada LLP. Enfin, partici-pait également Sharanjeet Parmar, avocate en droit international.

L’image de marque nationale est depuis plusieurs années devenue une industrie massive: en quelques mots, elle constitue la façon dont le

Canada est perçu aussi bien à l’étran-ger que par ses citoyens. Cette image de marque nationale fait-elle ven-dre? Quelle est son importance? Plus l’image du pays est positive, plus il aura d’influence à l’échelle globale, en attirant touristes, travailleurs, étudiants et investisseurs.

De plus, les représentations que dégage un pays constituent des ressources utiles dans les affaires internationales; elles influencent la

couverture médiatique des affaires du pays, mais aussi le niveau de légi-timité de ce dernier lors des grandes réunions diplomatiques internatio-nales.

Construire une image de marque canadienne

Différentes réponses sont possibles quand on se demande comment est créée cette image

de marque canadienne. Colin Robertson insiste sur le fait que ce ne sont pas ses diverses politi-ques économiques ou migratoires qui ont entretenu cette image. À l’inverse, elle se construit plutôt dans des événements lors desquels le Canada s’est investi: l’accueil de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies, vendredi der-nier, en est un exemple. De même, l’organisation de l’exposition universelle en 1967 à Montréal a augmenté le rayonnement du pays. D’un autre côté, pour Sharanjeet Parmar c’est surtout le gouverne-ment qui crée l’image de marque canadienne, et ainsi laisse un héritage canadien à l’échelle inter-nationale, plus important que la présence du Canada dans tel ou tel événement. Le Canada a une image de marque au niveau politique éta-blie notamment par son influence dans le secteur de la justice inter-nationale. Aussi, il a la réputation de s’engager intensément et très tôt dans les problèmes interna-tionaux. Par exemple, en initiant la création de l’ONG «Groupe des

amis des enfants touchés par les conflits armés», le Canada s’est largement investi dans l’agenda politique des droits des enfants.

Certaines limites à cette image de marque nationale

L’idée d’origine définissant l’image de marque nationale vient du monde de l’entreprise, très compétitif. Ce n’est pas un concept censé incorporer la diversité culturelle, et n’est donc pas tou-jours adéquat pour régler des pro-blèmes liés à un agenda politique et diplomatique.

La réputation internationale du pays est donc généralement façonnée de différentes manières et est plus ou moins représenta-tive des valeurs d’une nation et de ses citoyens. D’autre part, il faut savoir la différencier de l’image de marque politique, car cette image de marque nationale génère sou-vent un sentiment d’appartenance et de fierté chez les citoyens qui doit être libre de toute appropria-tion par tel ou tel parti. x

Sara Fossat

Vendredi dernier, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a profité de

sa visite canadienne pour faire devant une assemblée mcgilloise une allocution très prisée sur le rôle et l’importance des jeunes pour le progrès futur, à travers le prisme des institutions internationales. C’est un discours que l’on nous sert à toutes les sauces. Jamais les jeunes n’ont exercé leur droit de vote aussi peu que maintenant et c’est parce qu’ils se sentent abandonnés par la classe politique. Pourtant, selon les paroles de M. Ban: «nous devons investir dans la jeunesse, travailler avec eux et pour eux».

M. Ban a insisté sur l’investisse-ment des jeunes dans les affaires de la communauté internationale, sur le privilège et la nécessité de profiter de l’éducation qui est mise à notre disposition. Il souhaite que l’aide aux plus défavorisés prenne en compte les défis et besoins de leurs mem-bres les plus jeunes et nous a appelé à participer à l’effort humanitaire. Notre engagement prend racine à l’université.

McGill à l’ONU

À McGill, plusieurs associa-tions étudiantes visent à reproduire

les systèmes onusiens ou mènent des campagnes sous l’égide d’agen-ces spécialisées. C’est le cas, notam-ment, de l’Association des Étudiants de McGill pour l’UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance), qui organise des levées de fonds et des séances thématiques pour sen-sibiliser leurs collègues étudiants à la cause des conditions de vie infantiles dans les pays en guerre

ou sujets à des catastrophes natu-relles. Selon Maud Schram, coprésidente de l’association avec Anna Qian, «dans le monde d’aujourd’hui, l’investissement dans les relations internationales (RI) n’est pas limité aux étudiants qui cherchent à s’orienter dans les affaires internationales. Les RI sont importantes pour nous tous parce

que nous avons maintenant tous des liens internationaux.» Et en effet, les étudiants investis dans l’UNICEF de McGill étudient en sciences poli-tiques, études du développement international, mais aussi en gestion, pharmacologie, physiologie, écono-mie, chimie, médecine… Il n’y a pas

de discrimination disciplinaire à l’engagement dans les causes huma-nitaires internationales; ces asso-ciations ne sont donc pas seulement qu’un tremplin de carrière pour les aspirants à la diplomatie. Et la diver-sité des parcours y permet d’enrichir

le débat, d’y donner de multiples points de vue.

Maéva Proteau, étudiante de troisième année, travaille à l’Asso-ciation des Étudiants en Relations Internationales de McGill (IRSAM), est investie de longue date à McMUN, mais est surtout l’éditrice en chef de la Revue Internationale de

McGill (McGill International Review, ndlr).

Elle explique ainsi en entrevue

avec Le Délit que «l’inves-tissement des étudiants est d’une importance capitale. À la McGill International Review, les éditeurs et les écrivains contribuent avec leurs idées à une communauté qui dépas-se les frontières de l’Université. Ils contribuent tous à un échange non seulement de connaissances mais

aussi d’opinions qui rend notre mon-de essentiellement plus riche. Aussi, ils apportent une voix qui représente la jeunesse.»

Les jeunes croient-ils encore à l’ONU?

Les relations internationales font aussi l’objet d’un cynisme assez répandu. La diplomatie a cela de frustrant qu’elle parait plus souvent rhétorique qu’efficace. Mme Schram commente: «Pour le meilleur ou pour le pire, nos actions individuelles ont des conséquences internationales et vice versa. Pour cette raison, nous devrions tous nous renseigner sur les relations internationales.» Elle croit tou-tefois sincèrement dans le bien-fondé et l’utilité sociale d’associa-tions telles que l’UNICEF. Selon elle, il est clair qu’il reste un travail immense, mais «nous devrions être optimistes quant aux possibilités futures et libertés que nous pouvons offrir aux enfants, si l’on prend en compte le progrès déjà accompli.»

Mme Proteau conclue: «J’aime croire que la communauté internationale, malgré la situation trouble dans laquelle nous sommes tous, est et restera entre de bonnes mains. En général, les gens du mi-lieu que je rencontre sont passion-nés par ce qu’ils font et ont à cœur les causes qu’ils soutiennent.» x

Esther Perrin TabarlyLe Délit

vittorio

pessin

Page 8: Le Délit du 16 février 2016

8 actualités et société le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Les «voies ensoleillées» à l’ONULes Libéraux rétablissent le Canada dans la communauté internationale.

La semaine dernière, le Secrétaire-général de l’ONU, Ban Ki-moon, était de pas-

sage au Canada. Avant de se rendre à Montréal, M. Ban s’est entretenu avec Justin Trudeau à Ottawa. Lors de sa visite dans la métropole qué-bécoise, il a livré un discours devant des étudiants à McGill, a salué les employés de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI, seule agence spécialisée des Nations Unies ayant son siège social au Canada, ndlr), et a ren-contré Denis Coderre et Philippe Couillard. Le diplomate en chef des Nations Unies a déclaré être «de retour [au Canada] parce que le Canada est de retour». En terme de politique dans la communauté internationale, Trudeau s’est placé sous le signe de son prédécesseur Sir Wilfrid Laurier, qui avait le pre-mier parlé de «voies ensoleillées»

pour désigner une politique posi-tive et porteuse de grands chan-gements. Même si M. Ban s’est dit impressionné par l’attitude cana-dienne, surtout sur la question des réfugiés; il semblerait que le Canada a tout de même encore du travail à faire avant de restaurer sa réputa-tion internationale.

En quête de reconnaissance

Malgré une claire démarcation avec le gouvernement précédent, le Canada a encore beaucoup de travail à faire avant de redorer suf-fisamment son blason et reprendre sa réputation de pays diplomate. En 2010, le Canada a subi une lourde défaite lorsqu’il a été éclipsé par l’Allemagne et le Portugal dans sa tentative d’obtenir un siège non-permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. À l’époque, l’atti-tude négligente du gouvernement Harper en matière de relations

internationales avait nui au Canada dans sa tentative. Suite à sa rencon-tre avec M. Ban, Justin Trudeau a confirmé que le Canada prendrait les démarches nécessaires pour obtenir un siège dès qu’une occa-sion se présenterait. La tâche ne sera pas facile: un siège au Conseil de sécurité est un honneur très convoité et le Canada n’est pas le seul pays à vouloir une place plus importante au sein de la commu-nauté internationale.

Engagements humanitaires

Outre la question du Conseil de sécurité, il y a aussi celle de la contribution monétaire au déve-loppement. En 1970, l’Assemblée générale avait adopté une cible pour les pays plus développés: contribuer 0,7% de leur produit national brut (PNB) à l’aide humanitaire. Malgré son engagement il y a 46 ans, le Canada n’a toujours pas atteint la

cible. Lors de son passage, M. Ban a exprimé son désir de voir le Canada atteindre cet objectif, affirmant que le pays a les ressources et la capa-cité de le faire. Il a dit à M. Trudeau qu’il comptait sur son leadership. Lorsque qu’on l’a questionnée sur la possibilité d’atteindre cet objec-tif, la ministre du Développement international Marie-Claude Bibeau a déclaré que présentement, le Canada contribuait 0,24% de son PNB, et que même si une augmen-tation était prévue, le 0,7% ne serait pas atteint. M. Trudeau a dit vouloir augmenter l’aide humanitaire du Canada aux missions de paix de L’ONU, en plus de promettre 1,1 milliard de dollars pour la Syrie et l’Irak. Cependant, le premier minis-tre n’a pas précisé de pourcentage. Seuls cinq pays ont constamment réussi à atteindre la cible: la Suède, la Norvège, le Luxembourg, le Danemark et les Pays-Bas. De plus, des pays du G7, dont fait partie le

Canada, seul le Royaume-Uni s’est engagé à l’atteinte de cette cible, et ce seulement en 2014. Donc, le sim-ple fait d’augmenter le pourcentage est une belle avancée du Canada, et ne pas atteindre l’objectif de 0,7% ne fait pas du Canada un mouton noir pour autant.

La volonté du gouvernment Trudeau de renouer avec la communauté internationale ne laisse aucun doute. Le passage du Secrétaire général onusien a som-me toute été positif, et il semblerait que, considérant les nombreuses fleurs lancées au gouvernement, le Canada soit sur la bonne voie. Certes, les défis sont nombreux, mais alors que le monde est secoué par des crises en Crimée et au Moyen-Orient, pour ne nommer que celles-là, et que les tensions avec certains pays (comme la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord) sont élevées, le Canada montre son leadership et réclame sa place. x

ronny al-nosirLe Délit

Canada is back! David Leroux | Espaces Politiques

C’est Ban Ki-Moon qui l’a dit. «Canada is back». La phrase a fait grand bruit

et, depuis qu’elle a été prononcée, est diffusée en boucle par les mé-dias québécois. On la reçoit unani-mement comme un grand soupir de soulagement. Unanimement, sauf au club des esprits chagrins, dont je suis membre régulier. Tentons donc d’aller au-delà du séduisant slogan diplomatique. Le Canada est-il vraiment de retour, le Canada d’avant, celui qu’on pré-sume d’emblée comme incarnant l’archétype de l’État bienfaiteur, vecteur de paix et d’entraide pla-nétaire? Il est vrai qu’entre le régi-me Harper et le régime Trudeau II, il n’y a pas photo. Qu’en ces temps de monotonie politique où les ambitions des différents acteurs oscillent entre l’équilibre budgé-taire et le très constructif «fuck toute» de la gauche fâchée, l’arri-vée de Justin fait du bien. Mais que diable fait-il? Pourquoi fait-il tant de bien?

La semaine dernière, une radio montréalaise rapportait que Justin Trudeau était allé dans un magasin d’Ottawa se procurer une planche à neige. Une interview de fond avec le gérant de l’endroit nous révélait qu’il était très gentil et qu’il avait choisi une planche fabriquée en Colombie-Britannique. Samedi dernier, la première chaîne de Radio-Canada nous racontait, dans son bulletin de nouvelles, que Justin Trudeau et sa famille étaient en visite au Carnaval de Québec et qu’après avoir sympa-thisé avec Bonhomme, la mascotte, la foule s’était ruée sur lui pour pren-dre des photos. Voilà qui soulage le public canadien. Ce que l’on raconte de notre chef d’État ce sont ses esca-pades touristiques et ses séances de magasinage. Ses observateurs criti-ques sont réduits à se lamenter sur du vide et à enfiler ainsi le costume peu flatteur du partisan amer qui cherche à critiquer et ne trouve rien à se mettre sous la dent tant le pro-duit auquel ils s’intéressent est par-fait. Harper, lui, n’avait pas le luxe de ce traitement médiatique. Il faut dire qu’il ne le cherchait pas et que cela n’aurait été à aucun moment en harmonie avec son style politique.

J’en appelle cependant aujourd’hui à notre esprit critique collectif. Mon appel est sincère, vient du fond du cœur et va bien au-delà de mes convictions poli-tiques. Pour l’amour de la pensée, de la raison, de la réflexion, de tous ces principes qui, en théorie, nous amènent sur les bancs de l’univer-sité, pour l’amour du débat d’idées,

offrons à nos élus ce que nous avons de meilleur en nous: notre capacité à aller au-delà du marketing qu’ils nous offrent pour juger leurs actes. Ne capitulons pas intellectuelle-ment devant le séduisant. Passons scrupuleusement à l’examen toute idée qui nous paraît aller de soi. N’offrons pas à nos dirigeants le luxe de se protéger de leur imputabilité avec l’imperméable de notre regard hypnotisé par le néant qu’ils nous donnent à voir. Quel est ce Canada qui est enfin de retour?

Un pays, au mieux, hautement perfectible. Qu’était ce Canada d’avant? Peut-être était-il la fédéra-tion post-moderne par excellence, c’est-à-dire dénuée de toute identité nationale unificatrice autre que la négation du droit des nations qui la composent de décider de leur desti-née... Il ne s’agit pas que du Québec ici, mais aussi des Premières Nations qui, rappelons-le, malgré leur opposition traditionnelle au projet d’indépendance du Québec, ne sont guère émancipées au sein de la fédération dans sa forme actuelle. Canada is back. Quel Canada? Celui qui déclarait, lors de la campagne référendaire de 1995 au sujet des indépendantistes, «on les a écrasés à Québec, on va les écraser le 30 octobre»? Celui qui, mine de rien, perpétue la suprématie du mâle blanc de langue anglaise? Au lieu de nous réjouir de la vie mondaine de notre premier ministre, peut-être devrions-nous nous demander un moment comment le rendre effecti-vement meilleur. x

Crédit photo

L’assemblée générale annuelle de laSociété des publications du Daily (SPD),

éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra

le jeudi 31 mars 2016 à 17h30au Pavillon McConnell de génie,

Salle 204

Les membres de la SPD sont cordialement invités.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

Page 9: Le Délit du 16 février 2016

9sociétéle délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Une science qui dévoile les structures.

opinion

L’air du temps n’est pas favorable à la sociologie. Des universités japonai-

ses qui ferment les départements de sociologie pour allouer plus de fonds aux sciences dites «utiles» aux élucubrations du premier ministre français Manuel Valls, la sociologie est rabaissée au rang des choses inutiles, quand elle n’est pas pointée du doigt, comme complice fourbe du ter-rorisme. «Aucune excuse sociale, sociologique et culturelle ne doit être recherchée» pour les actes terroristes avait ainsi proclamé Manuel Valls, sous les applaudis-sements des députés à l’Assem-blée nationale française. En avril 2013, l’ancien premier ministre Stephen Harper était interrogé sur les suites de l’arrestation de deux individus soupçonnés de préparer un attentat contre un convoi de Via-Rail. Ce n’était pas le moment de se «lancer dans la sociologie» dit alors M. Harper. Un crime est un crime et rien ne sert d’en chercher des causes dans la société. La même réponse fut donnée en 2014 alors qu’une fois de plus, la question d’une enquête nationale sur les fem-mes autochtones disparues ou assassinées était posée au chef d’État: ces crimes ne relevaient pas non plus d’un «phénomène sociologique».

«L’attaque» sociologique

Comment peut-on expliquer cette offensive brutale contre la sociologie? La réponse réside dans le fait que le champ politique cherche à avoir le monopole du discours sur le social. Faisant ap-pel à l’instinct, à l’inné, refusant tout questionnement sur ce qui est socialement proclamé comme vrai, le Politique voit d’un mau-vais œil le fait que la sociologie

s’empare elle aussi de son champ d’action. Lui qui annonce le vrai, comment pourrait-il accepter qu’on remette en question le don-né, l’immédiateté de la société et son côté apparemment évident?

En s’attaquant à la sociologie, le champ politique cherche à défen-dre son monopole d’interpréta-tion du réel, sa propre vision du social, face à celle qui vient lui refuser ce privilège exclusif.

Le célèbre sociologue français Pierre Bourdieu souli-gne que l’on prend souvent les sociologues pour des hom-mes politiques et que leurs résultats de recherches sont pris pour des «attaques»,

comme s’ils prenaient place dans le domaine de la rhétorique. Mais la sociologie, c’est d’abord de la science, et ça ne sert pas à faire la guerre.

D’ailleurs, quand elle n’est pas dangereuse, la sociologie est proclamée comme évidente, donc inutile. Le problème réside, selon Bourdieu, dans l’idée que «cha-que sujet social pense qu’il est, ipso facto, savant de l’homme», qu’il connaît donc parfaitement les ressorts profonds de l’activité sociale, étant donné qu’il y évo-lue. C’est cependant une «pure illusion».

Ce qu’on identifie aussi par-fois comme une «attaque», c’est cette nouvelle «blessure narcis-sique» faite à l’homme, qui le pousse à refuser toute sociologie. Non, la Terre n’est pas le centre

de l’univers. Non, la société n’est pas un tout harmonieux. Et non, l’individu n’est pas entièrement libre de ses choix, il ne se meut pas dans la société seulement par son «mérite» et son effort personnel.

La sociologie, science de la dé-mystification

Inutile et politique: la sociologie ne serait donc qu’une idéologie — dangereusement de gauche (même si, rappelons-le au passage, la sociologie peut toute-fois aussi être de droite: l’identi-taire d’extrême-droite québécois Mathieu Bock-Côté se définit comme «sociologue»).

Peu importe son engage-ment, la sociologie dérange. Car elle s’attaque à ce qui est évident, dévoile ce qui nous paraît donné. Elle montre que l’organisation de notre société est sujette à des relations de domination. La socio-logie laisse à voir les dynamiques

de pouvoir, les structures qui la composent et son historicité.

Ainsi, la méritocratie, ample-ment mise en avant dans nos sociétés libérales (celles d’un in-dividu supposément entièrement libre, parvenant par «le travail et par l’épargne» au sommet de la société) ne résiste pas à une ana-

lyse sociologique poussée. Les inégalités se transmet-

tent, pas seulement économiques,

mais aussi culturelles.

Ce qui donne à réfléchir, no-tamment au Québec, au moment où le gouvernement de Philippe Couillard s’apprête à opérer de nouvelles coupes dans le budget de l’éducation (qui vise, tant bien que mal, à contraindre ces inégali-tés de naissance).

La sociologie est utile jusque dans les allocations gouverne-mentales à la culture, puisqu’il nous paraît évident (c’est du «bon sens») de donner plus de fonds à l’opéra, art noble par excellence, qu’à un concert de rap (ou, par le

passé, de rock ou de jazz). Mais qui est légitimé par l’opéra? Sûrement pas les classes populaires: la so-ciologie est encore là pour nous le rappeler, en montrant les ressorts de domination et de hiérarchisa-tion sous-jacents à l’industrie et aux politiques culturelles.

Expliquer mais non pas excuser

La sociologie vise ainsi à constamment expliquer. Expliquer… mais pas excuser ou fournir une quelconque forme de discours moral. Elle est néces-sairement politique, puisqu’elle dévoile ce qui est à la base des idéologies politiques. Elle décons-truit des discours politiques en explicitant le fonctionnement de la société. Mais plus que des solu-tions, la sociologie pointe du doigt les problèmes. Elle ne prétend pas se substituer au Politique.

Des mouvements politiques peuvent certes par la suite s’empa-rer, avec plus ou moins d’honnête-té intellectuelle, des conclusions sociologiques — ainsi, peut-on penser un mouvement féministe sans la sociologie et les études de genre? Cependant, cette reprise est en réalité une mise en pratique plutôt que l’une des visées de la sociologie.

Peut-on finalement dire que la sociologie participe à une «culture de l’excuse» des crimi-nels, des terroristes, des assas-sins? L’excuse relève du domaine de la morale. Comprendre et expliquer, c’est le domaine de la connaissance et de la science: la sociologie ne prétend pas non plus remplacer la Justice. Elle se contente encore une fois de démystifier les faits sociaux. Ainsi, le terroriste n’organise pas un attentat comme si l’ordre lui venait directement du ciel. Le ter-rorisme n’est pas «inexplicable». Le crime n’est pas «inexplicable». Le succès de Donald Trump n’est pas inexplicable: est-il vraiment simplement un self-made man? La sociologie, c’est ainsi dévoiler

les structures. C’est nous permet-tre de ne plus dire que s’il y a des dominants et des dominés, que si des terroristes organisent des attentats, que si les anglophones sont avantagés devant les franco-phones … «c’est comme ça». x

antoine duranton & vassili sztilLe Délit

Société[email protected]

«La sociologie, c’est d’abord de la science, et ça ne sert pas à faire la guerre»

«Comprendre et expliquer, c’est le domaine de la connaissance et de

la science: la sociologie ne prétend pas non plus remplacer la Justice»

Face au Politique, la sociologie

Page 10: Le Délit du 16 février 2016

é[email protected]

Oscillations à 60 HertzHydro-Québec cherche encore sa place sur la scène internationale.

Cela court-circuite pour Hydro-Québec, le produc-teur et distributeur québé-

cois d’électricité. Le groupe a connu ses heures de gloire, remplies de désir de conquête, comme ce fût le cas en 2009 lorsque le groupe pu-blic québécois avait tenté de rache-ter son homologue de la province voisine du Nouveau-Brunswick pour un montant de 4,75 milliards de dollars canadiens. Cet élargis-sement n’avait pas eu lieu au final, avec un fort rejet de la population du Nouveau-Brunswick, refusant de voir son énergie sous tutelle de la province voisine. Dans une provin-ce où l’électricité est produite à 95% par les barrages hydro-électriques, l’acquisition d’un producteur et distributeur d’une autre province se serait accompagnée par une hausse de la part du nucléaire dans le cock-tail énergétique d’Hydro-Québec (déjà de 2,1%). Ce rapprochement entre les deux géants a donc suscité une vive réaction au Québec égale-ment dans une logique de conserva-tion des énergies renouvelables.

Le Québec et son géant de l’énergie

La réglementation des tarifs permet d’afficher les prix les plus bas d’Amérique du Nord, un sys-tème assez similaire à celui d’EDF (Électricité de France). Les clients sont regroupés en trois groupes principaux: résidentiel et agricole (tarif D), commercial et institu-tionnel (tarif G) et industriel (tarifs M et L). Les prix sont fixés par la Régie de l’énergie et la tarification est basée sur les coûts de fourniture du service, qui incluent l’amortis-sement sur les immobilisations, une provision pour l’entretien des installations, la croissance de la clientèle et un profit économique. Grâce à ce système, les prix sont longtemps restés stables, jusqu’à ce que la régie tolère huit augmen-tations successives entre 2004 et 2010, une opération qui permit à

Hydro-Québec de dégager des mar-ges plus conséquentes.

Néanmoins, une baisse des prix de l’ordre de 0,4% a eu lieu en 2011 et de 0,5% en 2012. Mais ces baisses doivent être relativisées car une nouvelle vague d’augmentation est en cours depuis 2014 et durera jusqu’en 2018. Elle s’explique par la privatisation du marché qui permet de choisir son fournisseur d’électricité. Par conséquent, les nouvelles installations nécessite-ront de lourds investissements pour que la production énergétique soit opérationnelle et efficace rapide-ment. Les producteurs privés sont majoritairement composés de parcs éoliens autorisés depuis peu par le gouvernement du Québec. Un changement vraiment nécessaire? Le débat est ouvert mais le contexte ne s’y prêtait pas vraiment dans une province où la majorité de la production électrique se faisait déjà via des énergies respectueuses de l’environnement. De plus, ce chan-gement annoncera une hausse des prix pour toutes les catégories de

clients: une perte de compétitivité par rapport aux autres provinces nord-américaines.

Hydro-Québec, moteur des indus-triels québécois

Le Québec se hisse parmi les plus gros producteurs d’alu-minium, un procédé qui requiert de fortes quantités d’électricité. Depuis un siècle, le développement industriel du Québec a été stimulé par l’abondance de ressources hydrauliques. L’énergie représente une part importante des dépenses des secteurs des pâtes et papiers et de l’aluminium, deux industries établies de longue date au Québec. La grande industrie jouit d’un tarif plus bas que les clients domesti-ques et commerciaux en raison des coûts de distribution moindres. Le gouvernement du Québec uti-lise les bas tarifs d’électricité afin d’attirer de nouvelles entreprises et de consolider les emplois exis-tants. On peut notamment citer Alcan, second producteur d’alumi-

nium mondial pré-acquisition par Rio Tinto en 2007, qui profitait et profite toujours sous son nouveau nom, Rio Tinto Alcan, du tarif pri-vilégié L dit «grande puissance». Et l’entente entre la compagnie d’État québécoise et la multinatio-nale ne s’arrête pas là. Rio Tinto Alcan ayant ses propres centrales hydroélectriques, Hydro-Québec est dans l’obligation d’acheter les surplus de la compagnie. Ainsi le groupe industriel semble gagner le beurre et l’argent du beurre.

Mais ces tarifs spéciaux pour l’industrie suscitent la polémique chez certains universitaires, dont Jean-Thomas Bernard et Gérard Bélanger, deux économistes à l’Université Laval. Dans une note économique pour l’Institut éco-nomique de Montréal datant de 2017, ils pointent du doigt les coûts trop élevés pour l’économie qué-bécoise de ces tarifs spéciaux. La différence entre vendre de l’élec-tricité à une aluminerie plutôt que sur le marché d’exportation coûte entre 255 357 et 729 653 dollars canadiens par personne employée dans une aluminerie. Une somme considérable que doit assumer le gouvernement du Québec en se privant de revenus supplémentai-res.

Une étude remise en cause, sans surprise, par l’Association des consommateurs industriels d’électricité du Québec qui réplique en affirmant que les données de 2000 à 2006 tendent à démontrer que les prix obtenus par Hydro-Québec pour l’électricité exportée sont plus bas lorsque les quantités augmentent, et inversement. Un argument en faveur des industriels, qui militent pour conserver leurs tarifs avantageux. Le débat est encore en cours et se heurte à des considérations économiques dans un contexte difficile pour le gou-vernement du Québec et l’équilibre budgétaire. L’industrie de pointe à forte valeur ajoutée permet au Québec de conserver des emplois industriels dans une société où les pays occidentaux sont frappés de

plein fouet par la délocalisation. Les tarifs avantageux sont donc une forme de protectionnisme économique qui permettent aux industriels de produire à moindre coût afin de rendre les exports plus compétitifs et de conserver des emplois sur le territoire.

Hydro-Québec, au cœur de la pro-vince

L’ouverture du marché et les tarifs règlementés sont également confrontés à une identité québé-coise bien marquée, qui se reflète au sein d’Hydro-Québec. Selon l’historien Stéphane Savard, Hydro-Québec est au cœur des préoccupations politiques, écono-miques, sociales et culturelles du Québec contemporain: «davan-tage qu’une simple entreprise publique, elle devient un instru-ment privilégié de promotion de représentations symboliques du Québec francophone, représen-tations qui se retrouvent inévita-blement aux fondements des réfé-rences identitaires en constants changements.» L’ouverture au marché des provinces voisines et des États-Unis, ne risque-t-elle pas d’atteindre l’identité du groupe? Pas de réponse claire et précise mais il semblerait que le protectionnisme, tant culturel qu’économique, soit un terme de bon aloi dans la province franco-phone peuplée de huit millions d’habitants.

Hydro-Québec est un groupe qui a réussi à concilier énergies renouvelables et patriotisme. Nombreux sont les points com-muns avec EDF, le géant fran-çais de l’énergie, ou encore avec sa petite sœur, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), qui ne produit que de l’énergie hydro-électrique. Un rapprochement envisageable pour non seulement promouvoir une électricité verte respectueuse de l’environnement et des intérêts francophones par-tagés afin de nous rapprocher de nos cousins français. x

MatildA Nottage

Olivier pasquier-parpaillonLe Délit

Sami Meffre

10 économie le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Page 11: Le Délit du 16 février 2016

Le Délit, � e McGill Daily et � e Link présentent la

SEMAINE DU JOURNALISME ÉTUDIANT

13 FÉVR.: Conférence hivernale de la Presse étudiante francophoneAu bar étudiant Gert’s (Shatner, 3480 rue McTavish). Admission : 5$

11h00 : Réunion semestrielle du comité de la PrÉF aux bureaux du Délit (pour les représentants offi ciels des journaux).

12h30 : Arrivée de tous les participants (dîner, buff et et café).

13h30 : Les mutations tranquilles du journalisme : informer dans un présent en constante redéfi nition Fabien Deglise, journaliste-chroniqueur, Le Devoir.

14h30 : Reportage en cases : formes passées et présentes du dessin de presse Judith Lachapelle, journaliste et bédéreporter, La Presse.

15h30 : (Re-)Penser les contenus à l’heure du multimédia Roland-Yves Carignan, ancien directeur artistique au journal Le Devoir, The Gazette, Libération.

16h30 : Table Ronde / Discussion : Le point aveugle du lecteur : comment appréhender et connaitre son lectorat étudiant?

En soirée : bières et réseautage, probablement au Bar des Pins.

McGillDAILYLL

SAMEDI 13 FÉVRIER AU SAMEDI 20 FÉVRIER

15 FÉVR.: « Racism and the Media - A Workshop with Kim Milan. » QPIRG Concordia (1500 de Maisonneuve O, #204), 18h30 à 20h30.

17 FÉVR.: « Feminist Approaches to Journalism » Avec Kai Cheng (Everyday Feminism, xoJane), Hepzibeth Lee (Dragonroot Media) et Studio XX. Arts W20, 18 h à 20 h.

18 FÉVR.: « Investigative Journalism » Avec Henry Aubin, Linda Gyulai, Marie-Maude Denis et Vincent Larouche. Cafétéria South Side (Shatner), 18h30 à 20h30.

19 FÉVR.: « Arts Criticism » Avec T’cha Dunlevy, Daniel Viola, Lorraine Carpenter et Crystal Chan. Club Lounge, 18 h.

20 FÉVR.: « Making a Journalism Career » Avec Kate McKenna, Eric Andrew-Gee, Adam Kovac et Justin Ling. CSU Lounge (1455 de Maisonneuve O., 7e étage), 16 h. Suivi d’une réception au bar Les 3 brasseurs (732 Ste-Catherine 0.), 18 h

Suivez les développements sur delitfrancais.com

Uber légal au Québec: une réalité? Toujours illégale au Québec, la plateforme Uber est sur la corde raide.

Alors que la population semble avoir adopté rapi-dement le service d’Uber

dans la grande métropole, certai-nement dû à la facilité d’utilisa-tion de l’application, l’unanimité est loin d’être atteinte quant à son approbation complète au sein de la société civile. Cette réticence crée des volte-faces partout, et également au Québec. Tous les acteurs impliqués se questionnent: gouvernement, industrie du taxi et bien enten-du, les utilisateurs du service. Qu’adviendra-t-il d’Uber au Québec? Illégalité persistante ou encadrement?

Doit-on règlementer l’ubérisa-tion des transports?

À l’Université McGill, le 11 février dernier, M. Vincent Geloso — chercheur associé à l’Institut Économique de Montréal — présentait une conférence intitulée Ubernomics présentée par The Institute for Liberal Studies (L’Institut d’Études Libérales, ndlr). Alors

qu’Uber est dans l’eau chaude au Québec, les différents partis tentent de faire le point, à savoir si le service a bel et bien sa place ici. La conférence de M. Geloso, un peu comme le laisse prétendre

le nom donné à celle-là, présen-tait un propos plutôt basé sur l’aspect économique d’Uber, mais aussi sur les «bienfaits» du libre-marché en terme d’innovation technologique. Selon M. Geloso,

«les réglementations imposées par le gouvernement empêchent l’innovation des joueurs du pri-vé». En stipulant une telle vision économique, il faut également «s’abstenir de protéger tous les

joueurs en liste», faisant référen-ce ici aux chauffeurs de taxi qui revendiquent un statut spécial, prônant définitivement le statu quo. L’économie doit-elle être automatiquement soumise aux

lois du marché, qui peuvent être considérées par certains comme les lois de la jungle?

À travers un discours qui s’apparentait à une ode au capi-talisme, Uber se posait parfois dans la conférence comme un exemple de l’achèvement du véhicule d’idées libérales plutôt que le centre même de l’exposé. Pourtant, l’arrivée d’Uber à Montréal ne fait certainement pas l’unanimité, que ce soit pour les fervents du capitalisme ou d’autres individus. La rogne se fait sentir, non seulement en provenance des acteurs de l’industrie du taxi, mais aussi auprès de la population, qui ne se sent pas en sécurité face à un service aucunement règlementé pour le moment au Québec. Pourtant, M. Geloso nous rap-pelait constamment la sécurité du service, notamment grâce à l’enregistrement des données de paiement offert à travers l’application d’Uber. Certes, alors que le service est réglementé et encadré à plusieurs endroits dans le monde, le processus tarde à apparaître ici aussi. Bien que le maire de Montréal, Denis Coderre, demande à ce que le ser-

vice cesse d’opérer le temps que la commission étudie le dossier, «l’ubérisation» des moyens de transport continue malgré son statut légal particulier.

Un dossier en attente

Uber a certainement sa place au Québec et surtout à Montréal, vu les défaillances que l’on rencontre au niveau du transport dans la métropole. L’idée est de créer un «cocktail» de transports à Montréal. Le service Uber peut devenir un ajout intéressant lorsqu’il se soumettra à un encadrement approprié. Même le Directeur général d’Uber, Jean-Nicolas Guillemette, se plaçait en faveur d’une réglementation lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle le 14 février dernier. Le dossier se doit d’être davantage éclairé puisque pour l’instant l’évasion fiscale opérée par Uber et les lacunes au niveau de la transparence ralentissent l’installation appropriée du ser-vice au Québec. La commission parlementaire sur le dossier débutera jeudi prochain, le 18 février 2016. Affaire à suivre. x

Kary-Anne PoirierLe Délit

11économiele délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Page 12: Le Délit du 16 février 2016

12 Culture le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

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Techno-lyriqueRagnar Kjartansson, un artiste plein d’ironie au Musée d’Art Contemporain.

exposition

L’une des caractéristiques de l’art contemporain, mais aussi de l’art en général, est

qu’il est un mythe, peut-être même le plus grand mythe accepté et reconnu par tous dans nos sociétés «ration-nelles», sans cesse réalimenté. On ne peut plus, néanmoins, depuis la fin du romantisme, prendre totale-ment au sérieux l’artiste comme un être semi-divin. Le «rêveur sacré» de Victor Hugo, c’est terminé. L’art a arrêté la «larme écrite» et l’épan-chement lyrique grandiloquent d’un Lamartine ou d’un Crémazie est devenu une facilité trop convenue. Ceci est un avis à certains artistes contemporains, qui aiment dire dans les milieux qu’ils sont «artistes» pour obtenir des reconnaissances sociales fortes avec un minimum

d’investissement. Le fameux «j’ai voulu parler de mes sentiments, de mon vécu, de mes émotions, de mon ressenti» (rayer la mention inutile), ça ne prend plus. Fini. Finito.

Bon, alors que faire? On n’a pas droit d’être triste, mélancolique, de regarder les étoiles et d’écrire de la poésie? Mais si, on a le droit! Mais l’art comme une sou!rance, c’est ennuyeux et ennuyant, surtout quand c’est mal fait.

«I’m a Poet !»

Reste donc à en sourire, de ces épanchements et de ces vocations de poète/rêveur/torturé!

C’est là que l’islandais Ragnar Kjartansson entre en scène. Le Musée d’Art Contemporain de Montréal propose trois projections grandioses de ses performances. L’art qui se réfléchit en même temps

qu’il se fait, c’est assez classique pour l’art moderne et l’art contem-porain. Mais le côté réflexif de Kjartansson est plein d’humour et d’ironie. Comme il le dit lui-même, Kjartansson aime «déconstruire» les œuvres d’art. La première instal-lation vidéo, intitulée «World Light — Life and Death of an Artist» est en fait plutôt une reconstruction «cu-biste» du roman islandais La lumière du monde, écrit par le Prix Nobel Halldór Laxness. L’œuvre raconte les vicissitudes d’un jeune homme qui se dit poète. Le roman de Laxness est une véritable épopée: l’adaptation de Ragnar est une épopée comique et ironique.

Kjartansson propose au spec-tateur vingt heures (non, je n’ai pas tout vu) de répétitions et d’images non-montées, comme si le spec-tateur assistait à un tournage. Sa troupe «joue à faire du cinéma».

Alors, les scènes d’intense lyrisme et de tristesse du poète qui regarde les étoiles se répètent de façon comique et alternent avec la décontraction des comédiens-performeurs entre les prises. All is false, à l’inverse de Balzac, et le spectateur le comprend très vite. Il est d’ailleurs di"cile de suivre la trame narrative: les sens du spectateur sont perturbés par la simultanéité des quatre écrans et des quatre bandes-son.

La déconstruction est bien là, et le dévoilement du spectateur, comme placé en coulisse, vient démystifier ironiquement l’art et l’artiste et montrer la di"culté d’être sérieusement lyrique dans ce monde de brutes. La simultanéité et la répétition, donc la reproductibi-lité permises par la technologie (la vidéo, les enregistrements sonores) avaient été identifiées, par Walter Benjamin, comme génératrices d’un changement majeur de l’art par sa démystification. Kjartansson en est une belle preuve.

Sa deuxième installation vidéo, intitulée «The Visitors» est en fait, plus qu’une démystification, une «re-mystification». L’artiste a convié ses amis musiciens dans un grand manoir au bord de l’Hudson, et leur a proposé de jouer une partition, chacun isolé physiquement dans les di!érentes pièces du manoir. Mais cet isolement physique est pallié par leur connexion technologique

(chacun entend, dans un casque, ce que les autres jouent). Chacun peut donc jouer en harmonie avec les autres. Le spectateur contemple la dizaine d’écrans comme s’il visitait le manoir, en écoutant l’émouvante et mélancolique mélodie. À deux doigts de tomber dans le lyrisme et le «cœur gros», Kjartansson désa-morce tout de suite l’émotion par des scènes comiques: un guitariste dans sa baignoire, un feu d’artifice un peu trop bruyant… La synthèse artistique permise par la technolo-gie de la vidéo (le feu d’artifice très bruyant durant le crescendo le plus émouvant) permet encore une fois la mise à distance, et donc l’anti-mythe de l’art.

Finalement, la technologie, même quand elle ne marche pas, démystifie cette «aura» de l’œuvre d’art: des problèmes techniques ont forcé le musée à annuler mo-mentanément la troisième instal-lation vidéo. Ironie du sort qui sert notre propos.

Plein de modestie, Ragnar Kjartansson pratique ce retour ré-flexif sur son art, et ce avec humour et ironie. C’est finalement le titre de l’exposition qui déçoit le plus: Ragnar Kjartansson. Comme si le musée était en retard sur l’artiste, lui qui s’e!ace devant ses amis musi-ciens, devant ses comédiens et qui réfléchit, plein d’auto-dérision, sur son statut — trop facile — d’artiste. Philippe Jaccottet écrit, dans L’Ignorant, «L’e!acement soit ma façon de resplendir.» Soit celle aussi de Kjartansson.

vittorio pessin

vassili sztilLe Délit

Quand des volatiles jouent de la guitare au Musée des beaux-arts.

Des oiseaux et des guitares dans une salle épurée. Voilà l’ins-tallation de Céleste Boursier-

Mougenot présentée au Musée des Beaux Arts de Montréal, résumée en quelques mots. «From here to ear, v.19» est, comme son nom l’indique, la dix-neuvième version de cette œuvre et l’une des plus grandes que l’artiste ait réalisée. Compositeur de la compagnie «Side One Posthume Theatre» de 1985 à 1994, Céleste Boursier-Mougenot est plasticien, mais il est aussi musicien de formation, d’où le fait que ses œuvres soient focalisées sur l’ouïe du spectateur et soient donc d’une pureté esthétique qui fascine.

Depuis 1994, et comme nous l’explique la brochure du musée, l’artiste «mène un travail au croisement des arts visuels et de la musique expérimentale, tout en convoquant les codes du spectacle vivant», créant non plus seulement des œuvres d’art admirables, mais des expé-riences sensorielles (et) immersi-ves auxquelles le spectateur est convié.

Un art éphémère

Céleste Boursier-Mougenot est donc un artiste contemporain dont les œuvres ne se collectionnent pas, ne s’achètent pas. Il nous invite à

vivre le moment présent avec des œuvres di!érentes à chaque ins-

tant, «unique(s) à tout moment» pour reprendre ses mots

lors d’une entrevue pour le Musée des Beaux-Arts de Montréal. D’ailleurs, il est interdit d’en prendre

des photos ou des vidéos. Le visiteur est invité à

participer en étant simple-ment présent pour observer et

écouter la mélodie arythmique pourtant si relaxante des musiciens

ailés. Les œuvres de l’artiste, qui avait notamment inondé le palais de Tokyo à Paris en 2015 avec l’installation «Acquaalta», sont en e!et di"cilement reproductibles chez soi, et s’inscri-vent donc plus dans la durée de la

mémoire du spectateur plutôt que dans celle du salon du collectionneur. Cette caractéristique de l’œuvre de Céleste Boursier-Mougenot en fait aussi un art plus accessible: ouvert à tous, gratuit, simplement beau et agréable.

Vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas y aller. Et vous ne le regret-terez pas: o!rant comme une pause, loin du stress de la ville et de vos exa-mens, déambuler entre ces petits oiseaux joueurs (de guitares) vous laissera, espérons, détendu(e) et souriant(e).

éléonore nouelLe Délit

Musée des Beaux-Arts de Montréal

Jusqu’au 27 Mars 2016Accès libre

Ragnar KjartanssonMusée d’Art Contemporain de

MontréalJusqu’au 22 Mai 2016

Musiciens ailés

«Montrer la difficulté d’être

sérieusement lyrique dans ce

monde de brutes»

Page 13: Le Délit du 16 février 2016

13Culturele délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

architecture

Le 10 février dernier, le Centre Canadien d’Architecture de Montréal a accueilli, en

avant-première, la projection du film Le siècle de Le Corbusier qui sera présenté lors de la 34e édition du FIFA (Festival International du Film sur l’Art). Ce documentaire de Juliette Cazanave présente une rétrospective sur l’architecte Charles-Edouard Jeanneret, plus connu sous le nom de «Le Corbusier», pour célébrer les cin-quante ans de sa mort. Dans un air de poésie, Miss Cazanave organise le film autour des pensées de celui qui était aussi urbaniste, décora-teur, peintre, sculpteur et souligne la modernité de ses idées. Les pre-mières images du film plongent le spectateur dans l’univers calme et reposant du Sud de la France, pay-sage dans lequel Le Corbusier passera ses derniers jours, dans sa cabane.

Cette collection d’archives pourrait être un com-plément, à l’exposition du Centre

Georges Pompidou de Paris pré-sentée entre avril et août 2015. On en apprend plus sur les pensées personnelles de l’architecte et sur

ses voyages autour du monde: Brésil, Inde, États-Unis, Russie...

C’est la dimension internatio-nale de son œuvre qui interpelle. Cazanave nous montre les influen-ces de Le Corbusier à travers des

images filmées par l’architecte lui-même: nous voyons à travers l’œil de l’artiste et ça donne envie de le

rejoindre.Les images du documen-

taire sont extraordinaires mais on regrette de n’en savoir pas plus sur sa carrière artistique, qui constitue pourtant la majeure partie de sa vie. Basé essentiellement sur ses travaux en tant qu’architecte, le

documentaire ne fait que mention-ner brièvement les qualités de Le Corbusier en tant que peintre ou sculpteur. Et pourtant, c’est son œil artistique qui lui permet de créer des plans harmonieux et déconstruits. Son talent de construction et de déconstruction le mène même à être considéré, avec le peintre français Amédée Ozenfant, comme l’un des théoriciens du purisme: un mouve-ment post-cubiste basé sur la repré-sentation d’objets du quotidien.

L’œil si polyvalent de Le Corbusier participe à son génie de l’urbanisation. Le documentaire

nous fait comprendre l’importance de l’harmonie entre nature et bitume dans son travail. Ce n’est qu’en voyant les plans que l’on comprend l’étendue de son intelligence: ses études nous rappellent de nombreu-ses constructions que l’on consi-dère encore inventives de nos jours, comme la restauration du musée du Quai Branly à Paris. Le Corbusier est un trésor mondial et intemporel de l’urbanisation.

Cependant, c’est avec un peu trop d’idéalisme que Cazanave présente Le Corbusier comme un architecte de la guerre qui ne serait pourtant en aucun cas lié à la politi-que. On peut voir dans cette repré-sentation une certaine naïveté. En effet, on ne comprend pas comment un idéaliste de la société, qui croit à des villes unifiées autour de bar-res d’immeubles où tout le monde cohabite, ne soit pas passé par la

case communisme ou fascisme. L’urbanisme, c’est compliqué et c’est politique. L’idée d’urbanisme apparait au milieu du 19e siècle, avec par exemple Haussmann qui reconstruit la ville de Paris, où la stratification sociale dans ce modèle était bien prise en compte (pensez aux vieilles chambres de bonnes que nos amis étudiants français habitent désormais). Donc quand Cazanave souligne, au moins deux fois dans le film, que Le Corbusier n’était pas politique, on fait la moue.

Malgré quelques choix dou-teux, le documentaire n’en reste pas moins passionnant. On ressort la tête légère avec des pensées couleur blanche et pastelle, mais aussi avec le regret de ne pas occuper une de ses créations et la bonne vieille nostalgie de ces créations pas si vintage que ça. Bref, on aimerait être Le Corbusier. En 52 minutes, Cazanave peint tout de même avec succès le portrait d’un penseur, d’un architecte artiste et d’un artiste architecte. x

Philomène Dévé

marion hunterLe Délit

Do it Montreal, un mouvement d’auto-création s’invite à la galerie de l’UQAM.

Conçue en 1993 par le commissaire suisse Hans Ulrich Obrist, le concept

«do it» surgit d’une volonté de concevoir une exposition évolu-tive. Durable et sans cesse renou-velable, cet ensemble d’œuvres en cache des dizaines d’autres et pour ce faire, des «partitions écrites», ou instructions, ont été compilées par des artistes. En exécutant ces instructions, les institutions d’accueil, les artistes invités et les visiteurs deviennent alors les véri-tables artisans de l’exposition.

En ving-trois ans, les ins-tructions ont été traduites en neuf langues et ont voyagé dans plus de trente pays. Des centaines de par-titions ont été soumises au fil des années et ont été regroupées en une anthologie do it: the compendium en 2012. Pour la première fois, l’exposi-tion itinérante s’arrête à Montréal, sous le commissariat de Florence-Agathe Dubé-Moreau, uqamienne en maîtrise d’histoire de l’art. Ce qui fait la longévité de do it, c’est sa

perpétuelle capacité à se réinventer, car elle se base sur l’interprétation — et donc la subjectivité — de l’être humain. L’unicité du point de vue génère une infinité de possibilités artistiques. Ainsi, même l’instruc-tion de Felix-Gonzalez Torres «lais-ser tomber 80 kg de bonbons dans un coin» (Untitled, 1994) n’a jamais été exécutée de la même manière.

Pour l’occasion, dix artistes québécois ont été invités à concevoir des instructions inédites, partici-pant ainsi au processus évolutif de l’exposition qui se renouvelle sans cesse. Ce «it» est infini.

Vous êtes un artiste

«Pour entrer dans cette salle, vous devez fredonner un air — n’importe quel air conviendra. Commencez à fredonner lorsque

vous approcherez de la surveillante»: on consomme l’exposition avant même d’y entrer, avec l’instruction de l’artiste Adrian Piper intitu-lée The Humming Room (2012). L’aventure do it est donc résolu-ment participative. Les visiteurs de l’exposition, à qui l’on demande de danser, chanter, écrire, à l’aide de plusieurs installations, deviennent les artistes exposés. L’œuvre d’art n’existe qu’au moment où le public exécute l’instruction, comme le «Put on this shirt and dance» (Jérôme Bel, Shirtology, 2011). La temporalité même de l’œuvre est chamboulée. Finalement, chaque exposition per-met de documenter l’expression des communautés locales, car elle tra-duit les sensibilités d’un groupe par-ticulier, à un moment et lieu précis, et acquiert par là un caractère social.

Avec do it, nous avons accès à une autre production et consom-mation de l’art. Comme mentionné dans les règles du jeu de l’exposition, «do it apparaît pour disparaître». On ne cherche pas à produire une œuvre, une image, mais à susciter un élan créatif et une réflexion. Le fétiche de l’objet artistique est remis

en question, dans la lignée de la logique de l’artiste français Marcel Duchamp lorsqu’il créait Fontaine et ses autres ready-made dès 1917. Peu importe le matériel utilisé, l’objet modulé, les artistes se détachent d’une relation matérialiste, au profit du concept. Do it est donc un pied de nez à l’économie culturelle actuelle: elle rejette le diktat de l’image et la prédominance de l’objet dans le mar-ché de l’art. Une injonction à repen-ser la conceptualisation de l’art.

Contre une rigidité et un statisme du système d’exposition, il s’agit d’un projet fédérateur afin de vivre l’art autrement, qui existe même en ver-sion «à emporter» puisque l’on peut suivre les instructions du compen-dium de chez nous. À vous d’exposer vos œuvres sur les réseaux sociaux avec le mot-clic #doitmtl. x

L.P Côté galerie de l’uqam

noor daldoulLe Délit

34e édition du FIFA du 10 au 20 mars prochain à

Montréal.

«Do it est un pied de nez à

l’économie cul-turelle actuelle»

Un architecte utopiste

Do it MontrealDu Jusqu’au 20 dévrier dans la

galerie de l’UQAM

Libérer l’art

«Le Corbusier est un trésor

mondial et intemporel de

l’urbanisation»

Le siècle de Le Corbusier, en avant-première nord-américaine du FIFA.

exposition

Page 14: Le Délit du 16 février 2016

14 Culture le délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

Humour noir pour cheveux blancsYouth, sarcasme mélancolique sur la vieillesse, au Cinéma du Parc.

cinéma

En compétition officielle pour la palme d’or du Festival de Cannes en mai

dernier, Youth, réalisé par Paolo Sorrentino, est actuellement en salle au Cinéma du Parc. Le réali-sateur italien dépeint dans ce film doux-amer les tribulations de deux artistes octogénaires en fin de vie.

Deux amis de longue date se retrouvent pour des vacances dans un hôtel de luxe au milieu des Alpes. Fred est un ancien compositeur et chef d’orchestre à la retraite, Mick un scénariste peaufinant le script de son pro-chain film-testament. Fred ne rêve que d’anonymat et de tranquillité, Mick n’aspire qu’à conserver sa jeunesse par le travail. L’un assu-me son décalage croissant avec son époque, l’autre s’entoure d’as-sistants trentenaires afin d’oublier son âge. Leur temps se partage entre promenades dans la nature, massages, bains dans la piscine de l’hôtel et prise de conscience mé-lancolique quant à la proximité de leur mort. «À mon âge, la forme est une perte de temps», professe ainsi l’un des personnages principaux.

Le dernier film de Sorrentino, La Grande Beauté, abordait déjà avec beaucoup de cynisme les thèmes de l’ennui, du temps qui passe et de la solitude.

Après le fêtard romain mélanco-lique, Sorrentino s’attarde désor-mais sur le sort d’octogénaires désœuvrés qui ont pour seule perspective le luxe impersonnel d’un hôtel suisse. Si le regard désillusionné de Sorrentino peut s’avérer moqueur, il demeure cependant toujours empathique. Ses personnages et leurs discours tombent parfois dans la carica-ture, mais n’en sont pas moins réellement touchants. La vision désabusée du réalisateur est sau-vée par son sens extraordinaire de l’ironie et souligne l’absurdité du monde qu’il décrit avec une cruauté jubilatoire.

On peut cependant reprocher au nouveau film de Sorrentino son passéisme et sa description quelque peu binaire des écarts générationnels. L’alternance entre discours sur la déchéance physique et images de paysages alpins de Youth divise ainsi les critiques. Le Devoir salue une fable poétique à la beauté acerbe, Le Monde déplore

une réflexion naïve et rebattue sur la vieillesse. «Je fais un cinéma qui ne plaît pas à tout le monde», expliquait le réalisateur italien. Le film se distingue en effet par le regard singulier de Sorrentino sur le monde contemporain, certes moralisateur mais néanmoins pro-fondément sincère. Si les discours désillusionnés de Sorrentino sur

le temps restent conventionnels, il dresse néanmoins un portrait troublant de la vieillesse, porté par des personnages extrêmement attendrissants.

L’un des aspects les plus remarquables du film reste la per-formance de ses acteurs. Harvey Keitel (Mick) et Michael Caine (Fred), dans les deux rôles prin-cipaux, forment un duo étonnant, incarnant leur personnage avec beaucoup de subtilité et de ten-dresse. Les personnages secondai-res sont construits avec attention, incarnés avec talent par Rachel Weisz, Paul Dano ou encore Jane Fonda, dans le rôle d’une actrice victime, elle aussi, du passage du temps. Jeunes, beaux, vieux, rê-veurs ou fatigués, les personnages du film enfermés dans leur prison dorée sont autant de prismes nuan-çant la réflexion de Sorrentino sur le déclin physique. Sorrentino s’attache tout particulièrement à filmer les corps de ses personna-ges, qui se révèlent sous sa caméra matières fragiles et périssables.

Entre mélancolie et opti-misme, Youth adopte un regard intéressant et original sur la vieillesse. Le cynisme joyeux de Sorrentino teinte son propos d’une poésie qui lui est propre. Cruel tout en conservant sa tendresse, Sorrentino parvient à filmer la vieillesse et l’ennui sans jamais être monotone. x

gianni forito

Hortense chauvinLe Délit

Veni, vidi, hihiLes frères Coen dévoilent une nouvelle comédie tordante.

Sur une musique d’ouver-ture religieuse, c’est en vitesse que l’on s’empresse

d’entrer dans la salle du Cinéma du Parc pour visionner le nouveau long-métrage des cinéastes Ethan et Joel Coen: Hail, Caesar!

On se retrouve alors plongé dans les années 1950, face à Eddie Mannix (Josh Brolin) en pleine confession. Eddie est un homme à tout faire qui lutte chaque jour avec des réalisateurs mécontents à Hollywood, qui conseille des stars capricieuses — dont la pul-peuse Dee Anna Moran (Scarlett Johansson) — et qui s’escrime à contourner les questions déran-geantes d’une paire de journalis-tes aspirantes dictatrices. C’est décidément trop pour ce pauvre homme accablé par son quotidien mondain à Hollywood, d’autant plus qu’il s’est vu offrir un poste bien plus «sérieux» à Lockheed.

L’élément perturbateur intervient juste avant une prise lorsque l’acteur Baird Whitlock (George Clooney) est drogué par deux figurants dont on apprendra plus tard qu’ils appartiennent à un groupuscule communiste fran-chement commode. Transporté à l’Ouest de Malibu dans une villa en total désaccord avec l’idéal

communiste, Whitlock devient peu à peu communiste malgré lui, sans aucun questionnement de sa détention qui devient un séjour de vacances intellectuelles. Tel un enfant, il s’imbibe alors de mots compliqués à propos de «l’écono-mie» des intellectuels figurants.

En parallèle, Hobie Doyle (Alden Ehrenreich), un autre ac-

teur de peu de mots et beaucoup de gestes, découvre peu à peu le complot; entre dîner au lasso de pâte et scène difficile à jouer avec le très panaché Laurence Laurentz (Ralph Fiennes), il mènera la trame à son terme en découvrant la cache des commu-nistes où Whitlock lit patiem-ment le journal dans le salon.

De leur côté, les communis-tes, bien divisés sur les tenants de leur idéologie, ont demandé une rançon et sont guidés par un agent du Komintern infiltré en acteur à Hollywood.

Vous l’aurez compris, il s’agit bien d’un film des frères Coen, et par cela entendez l’appel du 5e degré. Les informations partent dans différents sens, plusieurs éléments sont ajoutés et ne sont pas là pour aider la trame mais plutôt pour ajouter du comique au film.

C’est aussi ce que nous re-trouvons dans «O Brother, Where Art Thou?», une tapisserie sur laquelle se «patchent» plusieurs éléments sur fond d’Odyssée.

Ces éléments, ce sont les différents genres de comique,

car Hail, Caesar! en est plein. La répétition, les situations, les ges-tes, le texte, chaque partie semble être réfléchie. Nous avons alors peur de laisser passer quelque détail, quelque réplique cinglante au sens caché. Nous ne vous le cacherons pas, c’est un film qui demande de la concentration et un œil expert si l’on veut en tirer tout ce qu’il a à offrir.

Cela commence par l’aspect de l’affiche dont la police tend vers celle de Ben-Hur, au costume d’un George Clooney habillé en général romain pendant 106 minutes de film, à deux journalis-tes jumelles, à une star enceinte aussi vulgaire qu’une poisson-nière de Ménilmontant et à qui on a conseillé d’adopter son bébé, et enfin à un fil rouge qui est peut-être cette fois tiré de la Bible. Doute, difficultés et rédemption, mais comique! x

yves bojuLe Délit

«Si le regard désillusionné de Sorrentino peut s’avérer moqueur, il

demeure cependant toujours empathique»

«Il s’agit bien d’un film des frères Coen, et par cela entendez l’appel du 5e degré»

Hail, Caesar!Comédie de Joel et Ethan Coen. Avec George Clooney, Scarlett Johansson, Josh Brolin. États-

Unis, 2015, 106 min.

Page 15: Le Délit du 16 février 2016

15Culturele délit · mardi 16 février 2016 · delitfrancais.com

À toute vapeur!Avril et le monde truqué: le public du cinéma Impérial remonte dans le temps.

Chaque année, le Festival International du Film pour Enfants de Montréal

(FIFEM) nous présente une cen-taine de films pour les plus jeunes. Ces films vous font découvrir la vie d’un enfant et son chemin vers l’âge adulte. Avril et le monde tru-qué est un dessin animé à propos d’Avril, une fille de savants, dans un monde resté à la technologie de la vapeur. C’est un film d’aventures qui allie fiction et histoire.

L’uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réé-criture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé. Notre film fait partie de cette catégorie; en e!et durant la première scène, l’empereur Napoléon III meurt dans une explosion accidentelle, changeant

le cours de l’histoire: la guerre franco-prussienne n’a pas lieu et la France continue d’être dirigée par des empereurs. On apprend ensuite que tous les savants du monde disparaissent mystérieu-sement tour à tour. À cause de cela, la science n’avance pas et l’électricité n’est pas découverte. Jusqu’à ce point du film, l’uchro-nie est concevable. C’est-à-dire que la version déviée de l’Histoire imaginée par le film est presque vraisemblable. Le seul point d’om-bre est la disparition mystérieuse de tous les savants du monde, qui semble di"cilement explicable (mais ne le restera pas !).

Le décor du film est donc parsemé de machines à vapeur qui remplacent les objets moder-nes (autant que leur mécanique encombrante le permet). Ce décor fantaisiste est souvent irréa-

liste, comme la maison sur pattes marchant à la vapeur. Mais ces éléments surnaturels qui font sourire les adultes sont acceptés par l’imaginaire encore tolérant des enfants. Le graphisme du film a été pensé par le dessinateur de bandes dessinées Tardi. Pour ceux qui l’ont lu, vous retrouverez avec plaisir son geste franc et ses couleurs sombres. Le dessin des personnages, presque minimaliste, fait dos à des paysages beaucoup plus détaillés en second plan. À cause de ces disparitions, qui em-pêchent les avancées scientifiques et provoquent des guerres pour l’énergie (suite à l’épuisement des ressources en charbon), le princi-pal rôle de la police est de capturer les derniers savants. La famille de savants d’Avril est donc traquée sans relâche car elle ne veut pas servir de concepteur d’armes à l’Empire. Avril elle-même, suivie de Darwin (son chat parlant) sera traqué durant la majeure partie de sa jeunesse. Le monde dépeint est jalonné d’enjeux sérieux et actuels, comme l’épuisement des

ressources et les guerres. Ce sérieux tranchant est émoussé de magie, comme par exemple la potion qui donne la parole au chat d’Avril.

La suite du film nous dévoile la signification de son titre ; et l’histoire se termine joliment et avec humour, dans un «tout rentre dans l’ordre» quelque peu enfan-tin. L’histoire d’Avril et le monde

truqué amusera surtout les

enfants. Toutefois son univers fantaisiste de poussière de char-bon, de machines compliquées et de vapeur fera impression sur les spectateurs de tous les âges.

prune engérantmadeleine courbariaux

«La version déviée de l’Histoire imaginée par le film est presque

vraisemblable»

Opini-art-re Avril et le monde truquédès le 19 février à Montréal.

Le champ est vide. Il ne reste plus que des lignes et des ombres. Je devais capturer l’instant, et je l’ai raté. Une femme était bien là au fond de ce parking. Mais quand nos regards se croisèrent, elle se retira dans l’obscurité avant que je ne puisse l’immortaliser.

— Vittorio Pessin

Page 16: Le Délit du 16 février 2016