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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 17 février 2015 | Volume 104 Numéro 16 Bonne fête maman depuis 1977 Kundera à McGill p. 15

Le Délit du 17 février

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Page 1: Le Délit du 17 février

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 17 février 2015 | Volume 104 Numéro 16 Bonne fête maman depuis 1977

Kundera à McGillp. 15

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É[email protected]

Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 104 Numéro 16

2 éditorial le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédacteur en chef

[email protected] Joseph Boju

actualité[email protected] Baudoin-LaarmanEsther Perrin TabarlyLaurence Nault

[email protected] DaldoulBaptiste Rinner

Société[email protected] Duval-Stojanovic

coordonnatrice de la production [email protected]

Cécile Amiotcoordonnatrices visuel

[email protected] EngérantEléonore Nouel

coordonnatrices de la [email protected] DionneCéline Fabre

[email protected] Ménard

coordonnatrice réseaux sociauxré[email protected]

Inès L. Duboiscontributeurs Astghik Aprahamian, Laurence Bich-Carrière, Michaël Blais, Jeremie Casavant-Dubois, Miruna Craciunescu, Virginie Daigle, Amandine Hamon, William Manning, Matilda Nottage, Philippe Robichaud, Jessica Szarekcouverture

Luce Engérant

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

the McGill daily [email protected] Wray

conseil d’administration de la Société des publications du daily (Spd)Juan Camilo Velazquez Buritica, Dana Wray, Joseph Boju, Baptiste Rinner, Rachel Nam, Hillary Pasternak & Ralph Haddad.

JOSEPH BOJULe Délit

«Comment l’appellerons-nous?» Journal aux inclinations religieuses le lundi soir, on murmure que Le Délit ne vivrait que

pour baptiser ses sujets. Or il se trouve que l’Université McGill, avec ses milles et une associations étudiantes aux noms intraduisibles et intraduits, fournit un bassin sans pareil pour notre lubie évangéliste. Aujourd’hui, chers frères et sœurs et transgenres, le peuple des Déliites accueille un cas problématique, celui de Divest McGill, l’association étudiante militante la plus en vue du moment. Comment, en effet, accueillir dans notre communauté de valeurs cet organisme dont le nom lui-même nous est tout un problème?

Trêve de bigoteries. À ce jour, McGill place près de 5% de son fonds de dotation dans des entreprises liées aux sables bitumineux, soit environ un milliard de dol-lars. Ces actifs sont répartis sur une trentaine de com-pagnies du secteur des hydrocarbures. Parmi celles-ci figurent certains des plus grands noms de notre ère, à savoir British Petroleum, TransCanada, Chevron ou encore Repsol. Épargnez McGill demande ni plus ni moins le retrait intégral et immédiat des investisse-ment de l’Université dans ces entreprises polluantes.

Après avoir obtenu le soutien de l’Association Étudiante de l’Université McGill et de l’Association

des étudiants des cycles supérieurs de l’Université McGill, c’est au tour du corps professoral de prendre position en faveur du mouvement écologique.

Dans une lettre remise lundi dernier à l’adminis-tration, plus d’une centaine de professeurs de McGill se sont officiellement prononcés pour le «désinves-tissement» de l’Université des industries polluantes, appui considérable pour Désengagez McGill.

À notre tour, journaux étudiants, The McGill Daily, Le Délit et le McGill Tribune lui dédions nos éditoriaux de cette semaine. Pour Le Délit, il ne fait pas un doute qu’à court terme, l’Université McGill doive suivre l’exemple de Concordia, qui a décidé en novembre dernier de transférer cinq millions de ses actifs dans un «fonds de placement durable», et qu’à long terme elle se désinvestisse entièrement de ses actifs, à l’instar de l’Université de Glasgow qui déci-dait le 8 octobre 2014 de réinvestir autrement ses 18 millions de livres sterling en industries fossiles, se donnant pour ce faire une période de dix ans. Nous encourageons donc, sans réserve aucune, l’action de Dépouillez McGill et souhaitons à tout étudiant qui croise son chemin de bien vouloir signer la pétition de l’association, et de grossir ainsi le nombre déjà perti-nent de 1400 signataires. À moins que Divest McGill ne nous propose une meilleure traduction, le mot de code sera le suivant: «Dear James, quand diable vous déssaisirez-vous?» x

«Enfin, my dear James, désengagez-vous!»

LUCE ENGÉRANT

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Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

«Montrer les crocs»Le Comité Printemps 2015 discute d’un plan d’action.

montréal

Un conseil du Comité Printemps 2015 a eu lieu mercredi dernier, le 11

février à l’UQAM, pour prévoir les prises d’action de la campagne et décider des contingents. Le mou-vement Printemps 2015 est un rassemblement de comités unis sur trois points: la lutte contre l’austérité et les hydrocarbures, l’importance de l’individu face aux organisations, et l’union intersecto-rielle. Le Printemps 2015 est porté par la conviction que les mois à venir seront le moment de lever le poing contre les coupes budgétai-res. Le mouvement se voit comme un écho du rassemblement massif surnommé «Printemps érable» lors des protestations de 2012, alors qu’il était question d’augmenter les tarifs de l’éducation, entre autres. «Tout le monde attend que quelque chose se passe», a affirmé l’un des représen-tants du Comité lors de la réunion de mercredi.

État des lieux

Dans un énoncé sur ses motivations intitulé «Montrer les crocs», une référence au choix offi-cieux du loup comme symbole du mouvement à venir, le Comité ex-prime sa volonté de «défendre nos droits et de faire valoir nos besoins collectifs» contre «l’isolement et l’individualisme ambiants».

Selon Radio-Canada, les

réductions budgétaires pour l’exer-cice 2014-2015 sont estimées à 3,5 milliards de dollars, distribués entre les secteurs de l’éducation, de la santé, du soutien aux entreprises, et autres.

Mobilisation

Le Comité Printemps 2015 et de nombreux autres syndicats et mouvements sociaux prévoient, pour les mois à venir, des prises d’action et des manifestations pour protester contre les mesures de rigueur économique. Notamment, la Semaine d’actions dérangeantes contre l’austérité aura lieu du lundi 23 février au vendredi 27 février. Il s’agit là d’un appel massif à des actions pour perturber le déroule-ment de l’activité économique, de façon à résister aux décisions gou-vernementales. Des manifestations auront lieu dans plusieurs quartiers de Montréal: à Saint Henri et sur la rue McGill College le lundi 23, à Pointe-Saint-Charles le 25… Le Comité Printemps 2015 a exprimé son soutien envers toutes ces initia-tives et a voté pour un contingent pour la manifestation du lundi 23 sur McGill College, organisée par la Coalition Main Rouge, ainsi que pour celle du 22 février, lancée par le mouvement «Profs contre l’austéri-té». L’un des militants présents, étu-diant à l’UQAM, a exprimé l’impor-tance de ces dates pour «tisser des liens» avec les autres mouvements.

Toutefois, ce dernier a ajouté qu’il est fondamental de «faire

exister le mouvement social dans le temps, parce qu’il s’agit d’escalader dans le mouvement syndical». Afin de s’inscrire dans un mouvement sur le long terme, en tant que repré-sentant de la lutte contre l’austérité, l’assemblée présente a voté à l’una-nimité pour l’organisation d’une grande manifestation le 21 mars: «c’est une journée symbolique du Printemps, pour lancer le mouve-ment.» L’idée est de continuer, après le 21 mars, avec une série de mani-festations chaque samedi, comme pendant le mouvement étudiant de 2012.

De plus, le rassemblement ne sera «pas appelé par un mouvement spécifique, mais plus largement défini» afin que les actions touchent plus de monde, dans une vision intersectorielle. Le Comité a en outre commencé à débattre de la possibilité d’établir une thématique pour chaque manifestation, mais la motion est encore à passer, car les membres étaient partagés entre l’importance de s’inscrire en tant que mouvement universel et celle d’interpeler les gens de façon plus personnelle: «le danger de faire des thématiques par semaine, c’est de relancer la séparation secteur par secteur. Il faut que ça reste des appels larges.»

L’ensemble des militants était toutefois à l’unisson sur la nécessité de créer une communauté, un mou-vement engageant pour une grande variété de personnes: «Les gens sont fâchés, mais ils ne sont pas encore réunis.» x

esther perrin tabarlyLe Délit

S’investir pour le désinvestissementcampus

Les béné� ciaires du Paiement d’expérience commune en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens peuvent recevoir jusqu’à 3 000 $ sous forme de crédits personnels pour des programmes ou services d’éducation.

Cela comprend des cours dans des universités, des collèges ou des écoles de métier ou de formation, ou des programmes ou ateliers fournis par des group es communautaires ou des centres culturels qui o� rent des activités liées aux langues ou à la culture autochtones. Les crédits personnels peuvent être utilisés par les béné� ciaires du Paiement d’expérience commune ou partagés avec un ou deux membres de leur famille, ou encore mis en commun dans le but d’obtenir des services d’éducation collective.

La date limite pour présenter une demande a été prolongée au 9 mars 2015. De l’aide pour remplir le formulaire d’attestation de crédits personnels est o� erte.

Pour plus d’information, consultez le site Web www.residentialschoolsettlement.ca ou communiquez par téléphone avec les organisations suivantes :

• Ligne d’information principale : 1-866-343-1858• Assemblée des Premières Nations : 1-866-869-6789• Nunavut Tunngavik Incorporated, Iqaluit : 1-888-646-0006• Société régionale inuvialuite, Inuvik : 1-867-777-7092• Société Makivik, Québec : 1-418-522-2224

Balayez avec votre appareil mobile

Délai prolongé pour présenter une demande de crédits personnels d’une valeur pouvant atteindre 3 000 $ pour des programmes éducationnels, linguistiques ou culturels.

À l’occasion de la première journée internationale d’action pour le désinvestis-

sement [des industries fossiles] les 13 et 14 février, des sympathisants de Divest McGill, une association qui prône le retrait financier de l’Uni-versité de ses fonds dans les énergies polluantes, ont mené plusieurs interventions vendredi 13 février visant à sensibiliser la communauté étudiante sur l’importance de leur participation pour mieux faire réagir l’administration universitaire.

Tôt dans la matinée, les sym-pathisants ont hissé des bannières à l’aide de ballons gonflés à l’hélium dans les deux plus grands amphi-théâtres du campus, Leacock 232 et l’amphithéâtre Dawson Adams. Une des bannières, placée au vu de tous les étudiants dans Leacock 232, incitait ces derniers à exiger

collectivement que l’Université se désinvestisse des industries fossiles à travers l’usage de tweets. Sur l’autre, on pouvait lire: Votre dotation, votre futur. Désinvestissez McGill des énergies fossiles. Les ban-nières sont restées suspendues au plafond des amphithéâtres le temps de plusieurs cours, interpelant ainsi plusieurs centaines d’étudiants.

Plus tard, vers 13h30, les mê-mes sympathisants ont également suspendu une troisième bannière au toit du bâtiment Leacock sur laquelle était écrit: Ne misez pas sur les sables bitumineux, désinvestissez McGill. Ces actions font écho à une douzaine d’autres organisées sur plusieurs campus canadiens, notam-ment à l’Université de Toronto ou encore à l’Université de la Colombie-Britannique.

Dans un communiqué de presse publié vendredi, des membres de Divest McGill ont approuvé les opérations menées plus tôt le même

jour. «Nous soutenons complètement le message sur ces bannières», a af-firmé Kristen Perry, une membre de l’association. «Les scientifiques et les économistes nous avertissent que le monde doit arrêter de bruler les com-bustibles fossiles dangereux comme les sables bitumineux, il est temps que McGill écoute», a-t-elle ajouté. «McGill verdit déjà son campus, verdir notre portefeuille est l’étape suivante évidente», complète David Summerhays, un autre membre de Divest McGill.

Le mouvement de désinvestis-sement des énergies fossiles, bien que relativement récent, regroupe déjà plusieurs centaines d’associa-tions communautaires et universi-taires à travers l’Amérique du Nord. Cette première journée d’action col-lective sera surement suivie d’autres à l’avenir, car le mouvement grandit vite et a déjà abouti au désinvestis-sement de 50 milliards de dollars, selon le communiqué de presse. x

louis baudoin-laarmanLe Délit

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4 actualités le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

La modulation divise l’AÉUML’Assemblée générale et la modulation des frais de scolarité sont à l’ordre du jour.

politique étudiante

Le conseil législatif de l’AÉUM s’est réuni le jeudi 12 février, dans le bâtiment

Shatner comme à son habitude, afin de discuter de la dérèglementation des frais de scolarité et des change-ments à l’Assemblée générale. Les membres du conseil en ont aussi profité pour discuter du nouveau comité contre l’austérité.

Opinions partagées

Le plus important débat de la soirée a porté sur l’adoption d’une motion déclarant l’opposition de l’AÉUM à la modulation des frais de scolarité pour les étudiants internationaux. Cette nouvelle configuration des frais de scola-rité, qui consiste en une taxation différenciée selon le domaine d’étude des étudiants, avait été suggérée par le rapport Tremblay-Roy mandaté par le Sommet sur l’enseignement supérieur de 2013 et publié en décembre dernier. Bien que finalement adoptée, la motion a rencontré bien des réticences au sein du conseil. Certains représen-tants ont fait valoir que l’Université avait besoin de financement et que cet argent ne tomberait pas du ciel. Annike Rioux, représentante de la Faculté d’ingénierie, a rappelé

le manque à gagner causé par les coupures budgétaires du gouverne-ment. Selon elle, c’est se montrer irréaliste que de se positionner contre une augmentation des frais de scolarité et la modulation tout en souhaitant que l’Université ne coupe pas dans l’offre de cours. Certains conseillers auraient pré-féré que la motion soit présentée en Assemblée générale afin d’avoir une meilleure idée de l’opinion des étudiants.

Cependant, plusieurs repré-sentants craignent que la modu-lation ne réduise l’accès des étu-diants provenant de milieux so-cioéconomiques plus défavorisés.

Selon Eddie Lin, représentant de la Faculté des arts, cette mesure est injuste. «Les étudiants inter-nationaux paient déjà beaucoup plus que les autres, ce n’est pas raisonnable d’ajouter un fardeau supplémentaire sur leurs épaules», a affirmé M. Lin. Au contraire, l’administration de McGill, notam-ment le vice-principal Ollivier Dyens, a clairement manifesté son appui pour un tel changement afin d’augmenter les revenus de l’éta-blissement.

Motions de procédure

Trois autres motions ont aussi été discutées. Le conseil a approuvé à l’unanimité l’ajout

d’une question concernant le fonds des bourses de l’AÉUM au référendum d’hiver. Les étudiants seront appelés à donner leur avis sur le prélèvement d’un frais pour financer le programme de bourses de l’AÉUM. La survie du program-me dépend entièrement de l’ac-cord des étudiants. L’Université contribue à ce système de bourses en doublant la somme donnée par les étudiants. Une motion portant sur des changements qui permet-trait de faciliter le déroulement de la prochaine Assemblée générale a aussi été approuvée. Des béné-voles seront spécialement formés afin de répondre aux questions des

étudiants sur les règlements pro-céduraux. Aux dernières assem-blées, les différents représentants du conseil de l’AÉUM étaient sur place, mais comme ils n’étaient pas identifiés, plusieurs étudiants ont eu de la difficulté à les trouver pour leur adresser des questions.

Comité de mobilisation contre l’austérité

Le rapport de la v.-p. aux Affaires externes, Amina Moustaqim-Barrette, a permis d’en apprendre un peu plus sur le comité de mobilisation contre l’austérité qui s’est réuni pour

la première fois le mercredi 11 février. L’objectif de ce comité est d’organiser une campagne de mobilisation contre les mesures d’austérité mises en place par le gouvernement provincial. Au sujet d’un potentiel vote de grève pour marquer l’opposition des étudiants aux mesures d’austé-rité, Mme Moustaqim-Barrette encourage les départements et les facultés à procéder à leur propre vote. Un vote au niveau de l’AÉUM serait trop compliqué selon elle. Le comité de mobilisation fournira des trousseaux de vote aux asso-ciations souhaitant organiser un vote de grève. x

laurence naultLe Délit

RVC s’enflammeLe toit du RVC est endommagé par un incendie accidentel.

campus

La toiture de la résidence mcgilloise Royal Victoria College (RVC) a été sérieu-

sement endommagée le mardi 10 février par un incendie déclenché au cours de la matinée. L’incendie a été rapidement maitrisé par le Service de sécurité incendie de Montréal, mais les dégâts causés sur le toit de l’aile ouest du bâti-ment ont entrainé le déménage-ment forcé des étudiants qui y vivaient.

Selon le Service de sécurité incendie de Montréal, un appel concernant l’incendie dans la rési-dence, située au centre-ville, a été reçu à 10h46. Les 20 véhicules et 50 pompiers dépêchés sur place se sont rendus maîtres de la situation et tous les dangers étaient écartés à 13h45. Le chef du Service de sécurité incendie de Montréal a affirmé au McGill Tribune que les pompiers «[…] ont pu éteindre le

feu dès qu’ils l’ont localisé, cela n’a pris que quelques minutes dès qu’ils l’ont aspergé d’eau». Le feu a démarré dans un espace vide situé sous le grenier de la résidence, d’où il a endommagé la charpente de la toiture. Si les dégâts des flammes sur le toit étaient importants, c’est l’intervention des pompiers et l’usage des lances à eau qui a causé les plus gros dégâts. L’infiltration

de l’eau dans l’étage inférieur au grenier a occasionné des dégâts qui coûteront cher à réparer.

Matthieu Laperle, directeur principal du logement étudiant à McGill, s’est félicité de l’efficacité de l’intervention des pompiers et de l’évacuation des étudiants présents. «C’est une valeur ajoutée dans l’expérience qu’on a et aussi dans la garantie que nous avons

de l’efficacité de la sécurité qu’il y a sur le campus. Il y a un encadre-ment professionnel et on l’a prouvé hier» a-t-il commenté. Selon lui, l’incendie du RVC était le premier de cette ampleur dans un bâtiment de McGill, même si des incidents similaires mineurs s’étaient déjà produits par le passé.

L’administration a quant à elle salué la solidarité démontrée par la communauté mcgilloise et mon-tréalaise vis-à-vis des 81 étudiants évacués. Ils sont temporairement logés à la résidence étudiante Evo, très proche du RVC. Selon Janice Johnson, la directrice gérante des résidences, des floor fellows de toutes les résidences sont venus aider les étudiants, le département de sport a fait don de vêtements, et plusieurs anciens étudiants ainsi que l’Université de Montréal et Concordia ont appelé pour propo-ser des logements aux étudiants déplacés. «Je n’arrivais pas à croire à quel point toute la communauté a été généreuse en soutenant ses

membres ainsi» a-t-elle ajouté au McGill Reporter.

Une enquête a été ouverte immédiatement après le début de l’incendie pour en découvrir les causes, même s’il était certain dès le départ que l’incendie n’avait pas été démarré par un quelconque pyromane. «Je ne peux pas vous dire ce qui a fait flamber mais il n’y vraiment rien de criminel, c’est d’origine naturelle» a commenté au Délit Éric Labad, agent rela-tionniste du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), qui avait également dépêché une es-couade sur le site. Selon le Service de sécurité incendie de Montréal, le feu était d’origine accidentelle, et aurait été causé par un problème en lien avec le système de clima-tisation. Selon eux, les détails de l’enquête dont l’administration devrait posséder une copie sont de nature confidentielle et ne peu-vent être partagés avec le public. L’administration dit ne pas avoir encore reçu ces détails. x

éléonore nouel

louis baudoin-laarmanLe Délit

louis baudoin-laarman

Page 5: Le Délit du 17 février

5actualitésle délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Conseil Inc.Demilitarize McGill dénonce les sociétés de façade.

campus

Des militants du collectif Demilitarize McGill ont rendu publics, par

voie de communiqué de presse dans la journée du 11 février, des documents démontrant l’usage courant de sociétés de façade par des professeurs mcgillois du Département de génie mécanique. Ces sociétés seraient utilisées afin de faci-liter l’obtention de contrats avec l’agence gouvernementale Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC). Cependant, ce que les membres de Demilitarize McGill voient comme une tentative de dissi-mulation de recherches aux fins moralement répréhensibles et «loin de tout regard indiscret» – selon le communiqué –, repré-sente une pratique commune pour les professeurs du dépar-tement concerné et permet de gagner du temps en évitant cer-tains tracas administratifs. Les arguments contradictoires des deux côtés rendent donc ardu de savoir si ces recherches et leur mise en pratique sont éthiques ou non.

Société de conseil ou société de façade?

La société ZND Inc., celle dont le nom figure sur le contrat avec RDDC rendu public par Demilitarize McGill, a été décla-rée sous le nom et à l’adresse personnelle du professeur David

Frost du Département de génie mécanique de McGill. En entre-vue avec Le Délit, celui-ci ajoute que la société a été enregistrée en 1995. M. Frost affirme qu’une telle démarche est très courante au sein du département, car elle permet aux professeurs de faire du conseil en dehors de McGill. «Presque tous les professeurs en génie mécanique ont leur propre société. On nous encourage à avoir des sociétés afin de faire du conseil hors campus», assure M. Frost. «Quand nous faisons des tests hors campus, c’est plus simple pour éviter des problèmes de propriété intellectuelle, c’est plus rapide en général» ajoute-t-il. Luc Monceau, professeur en charge du Département de génie mécanique, avance quant à lui le chiffre de huit professeurs du Département ayant leurs propres sociétés, ce qui, sur un total de 30 professeurs reste as-sez loin de la majorité dont parle M Frost. M. Monceau ajoute que la consultation à l’externe par les professeurs mcgillois se réduit généralement à quelques jours par année, car ces derniers sont tenus d’enseigner, et sou-vent de superviser des étudiants en cycles supérieurs. Kevin Paul, membre de Demilitarize McGill et étudiant en droit, pense quant à lui que «le problème est que tout indique que des ressources de l’Univer-sité sont utilisées pour cette recherche, donc l’affirmation que cette recherche se fait en dehors de McGill n’est pas très crédible». Certaines batteries de

tests pour le RDDC se font au la-boratoire canadien de recherche en explosif à Ottawa, ce qui ex-plique le fait que 20 000 dollars aient été alloués dans le contrat pour les frais de déplacement du professeur et de ses assistants. Seulement, ce contrat ne fait mention que de quatre heures de location par ZND Inc. du complexe d’explosion contrôlé à Ottawa, ce qui semble peu aux yeux de Demilitarize McGill. Certains tests doivent être ef-fectués à McGill selon M. Paul, mais M. Frost assure louer des installations hors du campus.

En plus de ZND Inc., le communiqué du collectif dénonçait la société Reactive Energetics Inc., gérée par les professeurs Andrew Higgins et Samuel Goroshin, et enregistrée au nom de ce dernier. Reactive Energetics Inc. a signé des contrats avec le Département de la défense. Comme David Frost, Andrew Higgins et Samuel Goroshin font partie du groupe de physique d’ondes de choc (SWPG) de McGill, mainte fois dénoncé par Demilitarize McGill pour ses sujets et pra-tiques de recherche.

Outre le problème de savoir si les sociétés come ZND Inc. utilisent les ressources de l’Uni-versité, la nature des recherches qu’effectue la société pour le RDDC est source de contradic-tions dépendamment de qui en parle. On peut lire dans le contrat que ZND Inc. cherche à «comprendre et améliorer la performance de mélanges explosifs hétérogènes […] qui contiennent des particules mé-talliques réactives», ce qui selon Demilitarize McGill se réfère aux explosifs thermobariques. «Le langage [dans le contrat] est explicite, et dit que l’objectif de ces recherches est d’améliorer ces explosifs.» M. Frost, de son côté, affirme que sa recherche se concentre principalement sur les phénomènes physiques comme la combustion du métal pour faire brûler des particules de métal dans certains supports, et affirme que la combustion du métal possède beaucoup d’applications commerciales aujourd’hui.

Quels que soit les réels objectifs et les conditions dans lesquelles les recherches de sociétés comme ZND Inc. et Reactive Energetics Inc. sont menées, elles sont dans le viseur de Demilitarize McGill. Kevin Paul affirme que «Demilitarize McGill est prêt à agir pour faire pression sur l’Université pour perturber les recherches jusqu’à ce qu’elles ne se passent plus."x

louis baudoin-laarmanLe Délit

mahaut engérant

jeudi le 19 marsau Pavillon McConnell

Salle 204, 17h30

ASSEMBLÉE GÉNÉRALEL’assemblée générale annuelle de la Société des publications du Daily (SPD), éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra

Les membres de la SPD sont cordialement invités. La présence des candidats au conseil

d’administration est obligatoire.

APPEL DE CANDIDATURESLa Société des publications du Daily, éditeur du Délit

et du McGill Daily, est à la recherche de candidat(e)s pour combler

plusieurs postes étudiants sur son Conseil d’administration.Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s à la prochaine session d’automne et disponibles pour siéger au Conseil d’administration jusqu’au 30 avril 2016. Les membres du Conseil se réunissent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et pour prendre des décisions administratives

importantes.

Les candidat(e)s doivent envoyer leur curriculum vitae ainsi qu’une lettre d’intention d’au plus 500 mots à

[email protected], au plus tard le jeudi 19 mars à 17 h.

La période de nomination commence le jeudi 12 mars.

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Page 6: Le Délit du 17 février

6 ACTUALITÉS le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Les Journées de la Justice Sociale, qui fêtaient cette année leurs dix ans d’exis-

tence à McGill, se sont déroulées du 12 au 14 février dernier. Cet événement annuel organisé par le groupe de recherche d’intérêt public du Québec à McGill (GRIP-McGill) et l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), cherche à «stimuler une culture politique alternative dans la com-munauté de McGill et au-delà», à travers divers évènements sur des questions locales et globales. Kira Page, la coordinatrice externe du GRIP-McGill a expliqué au Délit que l’idée des Journées de la Justice Sociale est de «créer des espaces pour des conversations sur des enjeux qui sont moins discutés à McGill». Au programme cette année, des ateliers sur la brutalité policière à Montréal ou les abus de force de l’armée israélienne sur les civils palestiniens, des discus-sions autour de l’accessibilité et le Capacitisme (Ableism) dans les communautés politiques radica-les, sur la complicité universitaire dans les guerres, ou encore sur comment construire des alliances improbables dans les Politiques Queer et Trans Radicales. La semaine comprenait également des événements extérieurs au

campus tels qu’une soirée cabaret sur le thème «Self-Love, l’amour se conjugue à la première personne». Ces différents événements ont été organisés par diverses orga-nisations étudiantes mcgilloises telles que les Étudiants mcgillois solidaires pour les droits de

l’homme en Palestine (SPHR) ou Demilitarize McGill, mais aussi des organisations montréalaises comme le Réseau des Jeunes du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR).

En guise d’événement de lancement, les organisateurs avaient prévu une discussion

autour de la brutalité policière à Montréal, surtout envers les jeu-nes en conditions précaires, ani-mée par Mutatayi Fuamba, jeune ambassadeur du Conseil cana-dien pour les réfugiés, Rosalind Wong, membre de Solidarité Sans Frontières et Ralph, coordina-

teur aux services juridiques de l’association à 2 mains. Le panel a abordé la question du racisme lors de contrôles policiers à Montréal, expliquant que les jeu-nes issus de minorités raciales subissent beaucoup plus souvent la violence policière que les autres citoyens. Une partie de la

discussion était également consa-crée aux traitements reçus par des personnes habitant Montréal en situation irrégulière.

Un autre événement pro-posé durant ces journées était une discussion sur la brutalité policière et militaire israélienne

dans les territoires palestiniens. Cette discussion animée par des membres du SPHR, était centrée sur ce que les civils palestiniens subissent chaque jour face a la violence des forces armées israé-liennes. Les modératrices de l’atelier, Zahra Habib, étudiante en études du Moyen-Orient et

en urbanisme, ainsi que Maggie Gilligan, étudiante en études islamiques du monde et du Moyen-Orient, ont exprimé avoir «profité de l’opportunité offerte des Journées de la Justice Sociale pour proposer cette discussion». Pour elles, le plus important était que les gens partent de l’atelier avec un sentiment de malaise face aux informations fournies, afin d’y penser et de faire avancer la conversation autour du conflit israélo-palestinien. Nadir Khan, étudiant en sciences politiques, a dit être venu car pour lui le conflit représente «un des enjeux internationaux les plus impor-tants du monde».

À l’occasion des dix ans des Journées, Kira Page a expliqué au Délit que l’accent a vraiment été mis sur l’accessibilité de tous aux événements avec une traduction anglais-français soufflée offerte pour presque chaque évènement, ainsi qu’une traduction en lan-gue des signes pour certains ou encore l’offre de garde d’enfants pendant les évènements. De plus, les espaces alloués aux ateliers étaient vraiment placés sous le signe du safe space, afin d’offrir la possibilité à tous d’y participer. Mme Page s’est félicitée du suc-cès des Journées cette année: tel-lement de gens ont participé aux événements que certains n’ont pu accueillir tout le monde. x

Pour s’entendre, il faut parlerGRIP-McGill et l’AÉUM tiennent des tables rondes sur la justice sociale.

campus

inès léopoldie-duboisLe Délit

Hommage aux femmes disparuesUne marche à Montréal pour commémorer les victimes autochtones.

montréal

Le samedi 14 février, la rue Sainte-Catherine est temporairement devenue

piétonne pour laisser place à la Marche commémorative annuelle en hommage aux femmes dispa-rues et assassinées. À l’appel du collectif Justice pour les femmes autochtones disparues et assas-sinées (Missing Justice, ndlr), les participants se sont rassemblés à 15 heures au square Cabot près de la station de métro Atwater. Sur place, de nombreuses voitures de police étaient stationnées. Les participants ont été accueillis au rythme de la musique tradition-nelle des Premières Nations. Par la suite, plusieurs intervenants se sont succédés pour des discours avant de procéder à un moment de silence en hommage aux milliers de femmes disparues et assassi-nées. La marche a ensuite longé la rue Sainte-Catherine jusqu’à un mémorial où les noms des victi-mes étaient inscrits sur des étoiles de papier posées sur la neige.

Le lieu choisi pour débuter cette marche n’était pas anodin; le square Cabot, avant de récents projets de rénovation, faisait office de résidence temporaire pour de nombreux sans-abris à Montréal, nombre d’entre eux des Premières Nations. La date, non plus, ne relè-ve pas du hasard: la Saint-Valentin, c’est aussi pour beaucoup un jour pour être avec ou se souvenir de ceux que l’on aime.

La marche faisait écho à la marche de Vancouver, qui a eu lieu en même temps sur la côte Ouest. C’est à Vancouver qu’a eu lieu la première marche de commémora-tion en 1991, à la suite du meurtre d’une femme salish de la côte. Selon un rapport de la Gendarmerie royale du Canada, depuis les années 1980, 164 femmes autochtones ont disparu et 1017 ont été assassinées. Selon le même rapport, les femmes autochtones représentent 4,3% de la population canadienne, mais 16% des victimes d’homicides. Ce sont ces chiffres disproportionnés, ainsi que le manque d’attention qui leur est accordé par les médias, la police et le gouvernement, que les

organisateurs de la marche veulent dénoncer.

L’une des membres de l’asso-ciation Missing Justice, dont le mandat est l’élimination de la violence et de la discrimination envers les femmes autochtones au Québec, a déclaré que «les femmes et filles indigènes continuent de disparaitre et d’être tuées de ma-nière disproportionnée, et il y a peu, voire pas, d’actions qui adressent la nature coloniale systémique de cette violence». Viviane Michel, prési-dente de Femmes Autochtones du Québec, encourage à la prise de conscience. «Nous devons recon-naître que le problème des femmes autochtones disparues et assassi-nées est très complexe, il implique l’histoire de la colonisation, les lois d’assimilation qui ont toujours pris en cible les femmes aborigènes, et la violence continue à laquelle les femmes des Premières Nations font face dans leurs communautés et en dehors», a-t-elle expliqué, avant d’ajouter: «Ce problème est la responsabilité de tous.»

Le premier ministre Stephen Harper, cependant, a rejeté l’été

dernier la tenue d’une enquête nationale. «Nous ne devons pas y voir un phénomène sociologique», a-t-il déclaré. Celui-ci a aussi avoué que le problème des femmes dispa-

rues et assassinées n’était pas pour lui la question la plus pressante lors d’une entrevue, affirmant «ce n’est pas très haut sur notre liste de prio-rités, pour être honnête». x

matilda nottageLe Délit

inès l. dubois

cécile amiot

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7actualitésle délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Quand Pauline Marois a pré-senté son candidat vedette Pierre-Karl Péladeau au

début de l’élection générale de 2012, le mouvement souverainiste a crié victoire. Enfin, le mouvement possédait une figure notoire du monde des affaires. Un gain majeur, sachant qu’aux référendums 1980 et de 1995, l’économie était le che-val de bataille du camp du «Non». L’argument fédéraliste est encore celui de l’économie; un Québec sou-verain ne pourrait pas maintenir une économie assez performante

pour soutenir la province. Avoir un homme d’affaires à succès comme Pierre-Karl Péladeau pour endos-ser le mouvement souverainiste donne un nouveau souffle au projet d’indépendance. Ce n’est donc pas surprenant que le magnat de la presse ait outrageusement dominé les sondages avant même le début de la course à la chefferie du Parti Québécois.

Toutefois, il semble que les amours entre le PQ et Pierre-Karl Péladeau commencent à faiblir. Lors du dernier sondage Léger pour Le Devoir et Le Journal de Montréal, le pointage de M. Péladeau est passé de 68% à 63%, une baisse de 5 points. Son avance est toujours quasi-insurmontable, mais ce qui est intéressant est la raison de cette baisse. Cette chute n’est pas attribuée à un événement ou à une déclaration en particulier. Cependant, il s’agissait du pre-mier sondage depuis l’abandon de Jean-François Lisée. Celui-ci aura peut-être servi de bougie d’allu-mage en déclarant que la course était déjà terminée et gagnée par M. Péladeau. Cela a peut-être ouvert les yeux à plusieurs péquistes qui

ont commencé à questionner véri-tablement la candidature de PKP.

La gauche ne dérougit pas

Martine Ouellet et Jean-François Lisée étaient les candi-dats préférés de la gauche du parti. Une solide performance à l’émis-sion Tout le monde en parle le 8 février ainsi que le transfert des partisans de M. Lisée ont propulsé Mme Ouellet en deuxième place selon le même sondage Léger. Jean-François Lisée a décrit le PQ comme «un parti clairement pro-gressiste, écologiste, humaniste, ouvert sur la diversité». Mme Ouellet défend ouvertement ces valeurs, ce qui plait à une impor-tante partie de la base militante du parti. M. Péladeau, avec son passé d’homme d’affaires antisyndical et son penchant pour la droite, commence à effrayer la gauche souverainiste.

Des attaques directes à PKP

Le livre de Pierre Dubuc, PKP dans tous ses états, publié récem-ment, dresse un portrait sans

pitié de l’actionnaire principal de Québecor. Dubuc, qui a endossé Martine Ouellet, déclarait à La Presse que «peut-être à cause de ses revers économiques, PKP a maintenant décidé d’investir le terrain politique.». Il remet en cause les motivations du saut en politique et son passé d’homme d’affaires «à succès» rappelant qu’il a hérité de la compagnie. C’est le genre de publicité que PKP vou-drait bien éviter.

Pierre Céré accuse même M. Péladeau de vouloir «s’acheter le PQ» et le compare au protagoniste de Citizen Kane, le film d’Orson Wells, baron des médias rempli d’aspirations politiques. Il est maintenant clair qu’un mouve-ment «N’importe qui sauf PKP» est bien en marche au sein du PQ.

Plus populaire dans la population qu’au PQ ?

Dans le sondage Léger men-tionné plus haut, PKP est le seul candidat qui fait augmenter les appuis du Parti Québécois au sein de la population. Tous les autres candidats font reculer le soutien de

la formation souverainiste. C’est donc à se demander si la «folie PKP» n’est pas plus présente dans la population qu’au sein du parti. Un bon indicateur de cette tendan-ce est le soutien des députés aux candidats. Avec une aussi grande domination dans les sondages, il serait normal que les députés se bousculent pour rentrer dans le «wagon PKP». Au contraire, cinq députés appuient Pierre-Karl Péladeau, tout comme Bernard Drainville. Alexandre Cloutier est le seul autre candidat à avoir reçu des appuis au sein du caucus.

Au conseil général du PQ, le 7 février dernier, les militants étaient partagés entre les candi-dats. Toutefois, la foule assem-blée à l’Hôtel Sheraton de Laval n’était pas représentative des sondages. La «folie PKP» est donc peut-être plus présente dans la population qu’au sein même du Parti Québécois, ce qui pourrait lui nuire car seuls les membres du parti pourront voter.

L’étoile de PKP commence à pâlir, et ce au profit de la gauche qui se mobilise derrière Mme Ouellet. x

PKP en déclin?Jeremie Casavant-Dubois | Au fil de la campagne.

chronique

Triplement des frais de scolaritéLa ministre St-Pierre dévoile la teneur de la nouvelle entente franco-québécoise.

QUÉBEC

Le couperet fatal est tombé. Dans un communiqué conjoint publié le jeudi 12

février, les ministères des Affaires étrangères français et québécois ont confirmé la nouvelle qui menaçait les étudiants français au Québec depuis le dépôt du budget Marceau en février dernier. À compter de l’automne 2015, ces derniers seront «assujettis au tarif applicable à l’égard des étu-diants canadiens non-résidents du Québec». Aussi, de 2224 dollars par année d’étude, les étudiants français de premier cycle devront débourser 6650 dollars, soit le tri-ple de leur facture actuelle.

Cette nouvelle entente bila-térale viendra remplacer celle de 1978, qui assurait aux étudiants des deux pays un traitement simi-laire en termes de frais de scolarité sur les deux territoires. Alors qu’on évalue le nombre d’étudiants qué-bécois en France à 1300, on estime aujourd’hui à 12 500 le nombre d’étudiants français au Québec,

parmi lesquels deux tiers seraient inscrits à un programme de pre-mier cycle universitaire, soit les étudiants visés par les nouveaux accords.

Tel qu’espéré par la diplo-matie française, les étudiants des deuxième et troisième cycles ne verront pas leur facture augmen-ter. En revanche, l’idée énoncée en novembre, lors de la visite du président François Hollande, d’un système de quotas d’exemption des frais de scolarité, établi sur des critères de diversité, a été mise à la porte. Par ailleurs, l’ouverture des grandes écoles françaises aux étudiants québécois, souhaitée par le premier ministre Philippe Couillard, n’apparaît pas claire-ment à l’ordre du jour.

Applaudissements à McGill

Dans la foulée de l’annonce gouvernementale, l’administra-tion de McGill s’est empressée de publier un communiqué intitulé «McGill hails Quebec-France agreement» [McGill salue l’entente Québec-France, ndlr] où

la principale Fortier se dit «ravie de voir une solide entente sur la mobilité étudiante au niveau uni-versitaire signée entre le Québec et la France».

Ailleurs sur le campus, le magazine étudiant de la faculté de gestion The Bull and Bear a publié l’opinion d’un étudiant appelé Jonah Silverman, qui condamne à plus forte raison les accords de mobilité étudiante entre la France et le Québec. Il les décrit comme «injustes» envers les Canadiens non-résidents du Québec et le contribuable québécois, poussant à l’«aliénation» des Canadiens dans leur propre pays.

Protestations et inquiétudes

Du côté des syndicats étudiants, le président de la Fédération étudiante universi-taire du Québec (FEUQ) Jonathan Bouchard a dénoncé cette hausse avec virulence, déclarant être «choqué de cette décision, qui aura nécessairement un effet dissua-sif sur leur choix [des étudiants français] d’étudier au Québec, car

c’était entre autres pour cette rai-son qu’ils fréquentaient les univer-sités québécoises». M. Bouchard précise qu’une telle augmentation viendra particulièrement affecter les universités francophones et en région, lesquelles «dépendent grandement de la présence des étu-diants français afin de conserver une offre de cours intéressante».

Même inquiétude du côté des chefs d’établissement du réseau de l’Université du Québec, représen-tant plus de 96 000 étudiants. Dans un communiqué conjoint publié le lundi 16 février, ils déclarent être «préoccupés par les impacts qu’aura la hausse substantielle des droits de scolarité des étudiants français, inscrits au premier cycle, sur la fréquentation des universi-tés québécoises».

Le conseiller consulaire fran-çais Michaël Pilater, corédacteur d’une pétition contre la hausse en question ayant récolté plus de 4000 signatures, dit pour sa part regretter «la décision prise conjointement par la France et le Québec. Il y a un fort risque pour le Québec de voir la population

étudiante française diminuer, puisqu’ils sont 70% à opter pour les études universitaires de pre-mier cycle», explique t-il.

Dernière tentative

Selon le député de la première circonscription des Français éta-blis hors de France — Amérique du Nord, Frédéric Lefebvre, les inscriptions des étudiants français au premier cycle pour la rentrée automnale 2015 s’élèvent déjà à 4700 et ont été motivées par des frais de scolarité moins élevés que ceux qui entreront en vigueur.

Aussi, dans une lettre adres-sée le vendredi 13 février au pre-mier ministre français Manuel Valls, M. Lefebvre a demandé que le gouvernement français obtienne «que les étudiants français déjà inscrits ne soient pas [sic] soumis aux conditions nouvelles de cet accord qu’à la rentrée 2016».

La nouvelle entente devrait être signée lors de la visite offi-cielle du premier ministre Philippe Couillard en France, du 2 au 6 mars prochain.x

joseph bojuLe Délit

Page 8: Le Délit du 17 février

8 société le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Traduction: rôle discret

La traduction journalisti-que, comme médiation entre les langues, est une

pratique dont ne peuvent se pas-ser les villes comme Montréal, où se côtoient différentes com-munautés linguistiques. Le Québec, fervent défenseur de sa langue française, entretient des rapports très particuliers avec cet instrument. Au service de la communication, la traduction permet l’accès à l’information en français et assure, en partie, sa prédominance dans l’espace public. Cependant, elle est aussi un instrument de transforma-tion de la langue française par les apports, les anglicismes, et les syntaxes étrangères qu’elle introduit. Cette réalité est omni-présente dans le domaine du journalisme, où la précipitation ne permet pas toujours de rele-ver un problème éthique dans chaque phrase traduite ou de peser le poids que chaque mot aura dans l’usage. N’en déplaise aux écrivains, les mots des jour-nalistes sont sans doute les plus lus et leur influence sur la langue que l’on parle est indéniable.

À chaque page son influence

Si l’on ne s’attend pas à lire une langue très léchée dans le journal Métro, «le quotidien le plus lu sur l’île de Montréal», Le Devoir, lui, représente une certaine figure d’autorité en matière linguistique, le logiciel de correction à la page, Antidote, y fait d’ailleurs référence pour les questions d’usage. Il convient donc de s’y attarder. Le second ingrédient de l’investigation se trouve être l’Université McGill

qui a fait ses preuves dans le domaine du bizarroïde lin-guistique. Que ce soit dans les documents officiels de l’admi-nistration ou dans les communi-qués des associations, la langue française a été écorchée bien des fois. Ce versant du problème a été minutieusement exploré dans l’article «McGill, une bulle à faire éclater» publié dans le Délit en novembre 2011, sans parler des maintes fois où des extravagances linguistiques ont été relevées par les éditorialistes depuis 1977. Un lieu de contact aussi étroit entre les langues, où se déroulent parfois des traduc-tions consternantes, a peut-être le bon côté d’obliger le journal à placer la sienne sous haute sur-veillance. Le constat formulé par Paul Morissette lors du congrès langue et société au Québec en 1984 semble toujours d’actualité: «le terme [calqué de l’anglais], revêtu du prestige des médias écrits ou électroniques, est alors repris par le grand public et a tôt fait de s’incruster dans l’usage. Lorsque les chroniqueurs de langue ou les normalisateurs officiels réagissent en propo-sant un meilleur équivalent, fruit de longues et laborieuses recherches terminologiques, il est généralement trop tard.» Une dépêche du 14 février 2015 dans Le Devoir au sujet de «la maladie de la vache folle» permet d’illus-trer les drôles de syntaxes qui passent généralement inaper-çues mais qui viennent claire-ment d’une traduction pressée: «L’agence tente maintenant de déterminer comment l’animal a été infecté, mais l’on sait que la vache de boucherie n’était pas née dans la ferme où on a détecté la maladie.» Heureusement, «aucune partie de la carcasse de

la vache n’est entrée (sic.) dans la chaîne alimentaire humaine ou animale». L’article de La Presse est exactement le même, la dépê-che vient de l’agence La Presse Canadienne. À Radio-Canada comme au Journal de Montréal, par contre, la traduction est plus idiomatique et semble être le fruit d’un spécialiste: pas de magie, la source est différente, le communiqué de presse a été traduit de façon officielle sur le site du gouvernement et non par un journaliste improvisé traducteur. On reconnaît facile-ment la traduction mot-à-mot du communiqué en anglais dans La Presse et Le Devoir.

Au-delà de la langue mutilée, le message tronqué

La traduction est omni-présente dans les articles des quotidiens. Que ce soit pour des noms d’associations, des titres d’ouvrages ou des discours rap-portés, elle est impliquée dans un nombre surprenant de propos informatifs. Il existe quelques moyens typographiques pour signaler une traduction. La possibilité d’expliciter la lan-gue d’un discours est toujours existante. Pourtant, rares sont les articles qui relayent cette information, même lorsqu’elle semble être au centre du débat. L’étude intitulée «La visibilité de la traduction au Canada en journalisme politique: mythe ou réalité?» publiée en 2012, permettait à Chantal Gagnon de rappeler que «la place accordée à la question de la langue choisie par un politicien pour s’expri-mer devant un auditoire a toute son importance dans un pays où les débats linguistiques contri-buent au discours identitaire.

Au Canada plus qu’ailleurs, le choix de communiquer dans une langue ou dans une autre n’est jamais innocent.»

Cet angle (souvent) mort du journalisme n’épargne pas cette année décisive pour la franco-phonie hors-Québec, que suit de près Phillippe Orfali, journaliste au Devoir. Dans quelles langues s’expriment donc les interve-nants embarqués dans cette affaire de bilinguisme?

L’omission coutumière a d’importantes répercussions à l’heure actuelle. En prenant par exemple l’article «Le statut du français dans l’Ouest scruté par la Cour suprême» paru le 14 février, on peut supposer que les locuteurs francophones s’exprimaient en français, mais comment être sûr qu’il ne s’agit pas de propos adressés à des anglophones, interceptés par le journaliste et ensuite traduits? Lorsque le 19 août, le même journaliste rapportait le mes-sage truffé de fautes de français du porte-parole de Jim Watson, le maire d’Ottawa, on pouvait supposer que la traduction, si elle avait eu lieu, n’émanait pas du journaliste. La question devient épineuse devant la nou-velle signée Le Devoir, parue le 11 février, «Communisme: le maire d’Ottawa s’oppose au monument», où des propos du maire sont rapportés en français. Une petite phrase met la puce à l’oreille : «a déclaré le maire au Globe and Mail» Cette fois, l’information donnée permet-tait de retracer les propos et de constater que Le Devoir traduit «quite a blight» par «balafre» en insistant sur le mot, ce qui est une traduction plutôt louable dans un contexte sensation-naliste même si ces mots ont

des connotations légèrement différentes. Cependant, est-ce que le mot original n’aurait pas pu trouver sa place entre les lignes, puisqu’il avait suf-fisamment d’importance pour figurer deux fois dans l’article? Au moins trois raisons font du choix de la langue d’expression, spécialement au Québec, une information indispensable à transmettre aux lecteurs: la déci-sion politique sous-jacente, la possible déformation des propos et la présence d’une traduction susceptible de comporter une tournure étrangère.

On remarque tout de même que le Canada est le pays où les traductions sont le moins dissimulées, et Le Devoir est le quotidien le plus consciencieux selon l’étude menée par Chantal Gagnon. La scène est effective-ment bien plus opaque du côté des actualités internationales, et cela se constate même au Devoir. Samedi 14 février, «Attaque lors d’un débat sur la liberté d’expression», Danois, Suédois et Français se sont peut-être tous exprimés en anglais mais il n’y a aucun moyen de faire la dif-férence entre les propos traduits et ceux qui ont été rapportés tels quels. Serait-ce garnir de trop de mots un article que d’écrire «a déclaré en anglais», «a indi-qué en suédois», «a annoncé en italien» lorsqu’on rapporte des propos? Il existe des solutions que l’on peut envisager: écrire [trad.], ajouter une colonne supplémentaire pour les abré-viations concernant les langues dans Le Ramat de la typographie ou encore une ligne, un petit encadré à la fin des articles qui reprendrait les noms des per-sonnes dont les paroles ont été traduites.

Gwenn Duval-StojanovicLe Délit

Société[email protected]

Les langues collaborent Gwenn Duval-Stojanovic Le Délit

Page 9: Le Délit du 17 février

9sociétéle délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Le débat sur le suicide assisté et l’euthanasie, s’adresse vers si une personne, autre

pour raison de la commission d’une offense capitale dans un pays punis-sant une telle crime avec la mort, puisse, avec la bénédiction et appro-bation de la force de la loi , chercher le soulagement de ses deuils ou peurs, en choisissant de mourir artificiellement avec l’aide d’une autre personne. Ici, au Canada, la Cour Suprême a affirmé que, selon

l’opinion de cette corps, la personne malade a le droit de se suicider ve-nant du la plus haute loi du Canada. La cour ne nous a pas raconté qui est une personne inguérissable et très malade, mais il a affirmé, si on sup-porterait, une sorte de rationalité très sacrée et inviolable de la part de la patiente Canadienne, venant, il semble, de son droit au choix léga-le de se suicider, pour chaque per-sonne d’opinion pareille, se puisse croire qu’elle possède le permit du James Bond, d’issu mystérieux des médecins n’importe quelles soient

leur sensibilités de tuer—soi même.Sachant de l’éventualité de

la mort nous donnerait ni l’espoir de devenir James Bond, ni le désir de s’occuper de ses poursuites, ou même de les abandonner. Mais il est manifeste que la privilège du James Bond, son permit a tuer, n’a pas été conféré sur lui avec l’intention de la part de l’agence MI5 afin de lui per-mettre de se suicider. Par contre, le permit de 007 de tuer tous les enne-mis du Royaume Unie, sont venus avec la responsabilité de l’utiliser seulement pour le bien du Royaume.

Il est possible que plusieurs Canadiens qui prendront recours a ce nouveau droit, donné par la Cour, se croiront eux mêmes de faire non moins qu’une service a leur com-munauté. La vie, même vécue dans la santé peut être dure, et beaucoup plus dans la maladie. Les James Bonds du Canada défendront leur pays aussi.

Bien sur, il est leur devoir de la défendre, contre une être trop chère et couteux, contre la vison d’un jour ou ils ne marcheront plus, ne parle-ront plus, contre ceux que prennent

soin d’eux, qui sont possiblement des créditeurs qui appelleront n’im-porte qui pour de l’argent. Contre les mémoires douloureux du passé et les anxiétés du présent-la peur du demain. Bien sur, de ces chose, il faut que je vienne a la défense de mon pays, de ma Reine, et mon monde.

Pourvu que, que la bonté l’in-terdise, je deviendrais traiteur aux machinations cruelles de la peine, a mes peurs, aux souhaits et dégouts des autres, et ces choses opposant, je vive.x

William Manning

Une lettre a l’Editeur du Delit «Je deviendrais traiteur aux machinatons cruelles de la peine» [Courrier tel quel].

point de vue

Enquête

Vite et bien au quotidien?

La transparence de l’infor-mation est peut-être une utopie, mais lorsqu’il y a un moyen sim-ple de rendre les choses un peu plus claires, on peut se demander ce qui freine encore ceux qui sont en tête de course dans le domaine de l’explicitation de la traduc-tion.

Les difficultés auxquelles se confrontent les journaux permet-tent parfois de générer des solu-tions. Pour reprendre les mots de Sherry Simon, qui donnait une conférence jeudi 12 février à pro-pos de son livre Villes en traduc-tions Calcutta, Trieste, Barcelone

et Montréal dans le cadre du Centre de recherche interdisci-plinaire en études montréalaises (CRIEM), «la dissonance pro-ductive» qui a lieu au contact des langues semble résonner dans la traduction phonétique du Daily en Délit. Sans chercher à jeter des fleurs à ce journal francopho-ne baigné dans un milieu majori-tairement anglophone, il faut dire que la réalité contraignante a son bon côté, comme la règle typogra-phique de mettre en italique et de placer entre guillemets les pro-pos traduits pour les différencier des originaux. Cette méthode permet de pallier au manque d’information mais n’est pas non

plus la solution miracle pour pro-téger la langue des intrusions qui sont le résultat de négligences. La traduction n’est pas à prendre à la légère, le radar anti-anglicisme requiert une formation sérieuse et la transformation de la lan-gue est l’objet de nombreuses réflexions. Le Conseil supérieur de la langue française promeut les initiatives telles que la publi-cation de «dis-moi dix mots… que tu accueilles», un ouvrage qui met en valeur la capacité du fran-çais à intégrer des mots comme «sérendipité» ou «bravo», qui viennent, selon les spécialistes, enrichir la langue. Il semble que la réflexion a cependant parfois

quelques mesures de retard sur l’usage. Le parler et l’écrit subis-sent plus facilement l’influence des journaux, ils se modèlent aux gré des transformations fortui-tes, par sérendipité.

Si la traduction fait l’objet d’un regard aiguisé dans les ouvrages spécialisés, elle est sou-vent laissée pour compte au quo-tidien. Un dernier coup d’œil au Devoir du 11 février, qui publiait une brève concernant la création d’une nouvelle maison d’édition, permet de voir que la route est en train d’être tracée, même s’il est dommage qu’une petite ligne ait été oubliée. Acte manqué, simple négligence ou coquille

volontaire, le titre écorche le nom de la maison d’édition: Le bout du mile (sic.). C’est bien Le bout du mille qui propose d’explo-rer les frontières de l’hybridité depuis l’œil francophone nord-américain en publiant non seule-ment des œuvres originales mais aussi des traductions. Défendre les artisans de cet instrument est l’une des missions que se donne la maison qui publie aujourd’hui même sa première œuvre. Du livre au journal, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a un temps. Peut-on espérer qu’expli-citer les traductions impliquées dans un article fera un jour partie de l’usage? x

qui résonne étrangement.aux quotidiens

Lettre ouverte

Page 10: Le Délit du 17 février

10 société le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

C’est la première fois que je passe la Saint-Valentin seule. J’aimerais vraiment

ne pas tomber dans le cliché Il-faut-se-valoriser-soi-même-avant-d’en-aimer-un-autre. Personne n’est fort en tout temps et, des fois, ça peut être tellement pénible d’être seul que tu veux juste te rou-ler en boule sans rien faire que de penser: «mais bon sang pourquoi n’ai-je personne?» Ou te souvenir de toutes les fois où quelqu’un n’était pas intéressé ou encore pire: pas assez intéressé, ou pas assez clair.

Je suis née le jour du Noël occidental, le 25 décembre. Chaque année, ça me met hors de moi, ainsi soit-il, de partager ma journée avec une fête qui ne célèbre plus grand-chose à mes yeux, à part le capitalisme aveugle. J’ai appris à vivre avec, même si chaque année j’ai envie de donner une taloche aux personnes qui me souhaitent «Joyeux Noël :)))

:PXD» au lieu de «Bonne fête!» sur mon bien-aimé Facebook. De la même façon, si Noël n’est plus une fête religieuse pour célébrer Jésus mais plutôt une occasion de ven-dre des produits dont on n’a pas tant besoin, la Saint-Valentin l’est aussi. D’accord, Noël est aussi un

temps pour que les gens se retrou-vent en famille et la Saint-Valentin peut aussi être un temps pour aimer les gens qui nous entourent, qu’ils soient des amis ou des mem-bres de famille. C’est l’occasion, pour ceux qui n’ont pas le temps les 364 autres jours de l’année, de

simplement dire aux gens: «yo! Je t’aime.» Et surtout, finalement, peut-être le temps d’apprendre à s’aimer, car trop souvent on classe notre amour propre très, très, très loin sur notre liste de priorités, après les devoirs, le ménage, le boulot et les autres. D’ailleurs, si on n’est pas encore prêt à se mon-trer à soi-même qu’on s’aime parce que ça fait un peu trop égocentri-que et que ça nous donne envie de nous talocher nous-mêmes, ça reste l’occasion d’aimer les autres, et pas seulement une douce moi-tié, mais des amis, des parents, des grands-parents, que les mots «je t’aime» peuvent surprendre s’ils viennent de nous.

Je trouve ridicule de mettre tout son être entre les mains d’un autre, de se dédier complète-ment pour son chéri au point de se sentir vide si on n’en a pas un. Je ne dis pas qu’il faut complè-tement oublier le fait qu’on est humain et que de l’affection et des interactions sociales, on en a vraiment besoin. Il est temps de

faire la nuance avec les sacrifices de temps, de pensées, d’heures de sommeil et de confiance en soi par amour pour une personne, ou par manque de personne… j’ai vu ce que ça m’a personnellement fait, je vois ce que ça fait à des amis, même à ceux qui prétendent que tout va bien. T’sais les couples 2 pour 1? Soit ils passent tout leur temps ensemble, soit le seul sujet possible de conversation quand on les sépare, c’est leur deuxième moitié? Et si l’un meurt, quitte, part en échange pendant un an, l’autre va faire quoi? Se rendre compte qu’on veut plus l’enten-dre parler de chéri, se taire, être absent?

On a assez décrié la société qui place les couples sur un pié-destal et range le célibat dans le dossier des malédictions, entre la pauvreté des poètes et la détresse des artistes, donc je ne le referai pas. Non, être célibataire n’est pas la fin du monde, mais avoir quelqu’un n’est pas une fin en soi non plus.x

Points de vue

Salsa ValentinCourrier du cœur et tendre colère au calendrier.

Lettre ouverte

Astghik Aprahamian

L’illus’ tout crueChronique visuelle

mahaut engérant

LUCE ENGÉRANTLe Délit

Page 11: Le Délit du 17 février

11CULTUREle délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

[email protected]

C’est la beauté des vers de Molière et la modernité de son propos qui étonnent

lorsqu’on assiste à la mise en scène du Misanthrope proposée par Michel Monty. Le metteur en scène place l’action dans un loft du Vieux-Montréal. Les acteurs entrent et sortent par les portes d’un ascen-seur; les sonneries des téléphones cellulaires des personnages répon-dent aux silences et aux malaises que vivent les personnages entre les alexandrins que les comédiens disent, pour la plupart, avec un grand naturel; on arrive à croire, l’espace d’une heure et demie, que les bourgeois montréalais ont cette verve issue de la cour de Versailles. Les costumes sont choisis au goût du jour; complet-cravate, robe de soirée cocktail, chic tailleur, ciga-rette électronique. Michel Monty transpose ainsi la pièce dans un décor et des costumes contempo-rains tout en gardant une certaine touche qui rappelle le 17e siècle: dans les décors, des moulures et une tapisserie baroques; dans les costumes, une sorte d’élégance excentrique dans le plissé des robes et la dorure de certains vêtements.

Il semble néanmoins que la mise en scène insiste trop forte-ment sur le caractère moderne de la pièce à travers des éléments ac-cessoires comme la scénographie, alors que le texte porte à lui seul ce trait de modernité. Peut-être pour-rait-on reprocher à Michel Monty de ne pas faire confiance à l’intelli-gence de son public pour compren-dre les enjeux de la pièce? Mais n’a-t-il pas raison de douter; le public vient-il voir la pièce seulement dans le but de reconnaître sur la

scène du théâtre les comédiens qu’il aime dans les téléromans de soirs de semaine? François Papineau est effectivement égal à lui-même, sans surprise, il aborde le rôle du Misanthrope comme il aborde ses personnages de télé-romans: de façon effacée, sombre, taciturne. Le reste de la distribu-tion, même si elle semble servir la vente de billets en montrant des têtes d’affiche de la télévision québécoise, est assez judicieuse: la candeur de Catherine de Léan

rend de façon impeccable le rôle de la cousine de Célimène, elle-même interprétée par Bénédicte Décary qui joue aussi bien que ses jambes sont belles; Isabelle Vincent est toujours aussi naturelle, intelli-gente et drôle. Il n’y a que Frédéric Pierre qui n’est pas à la hauteur de ses camarades de jeu, les alexan-drins lui tombent des lèvres dans un jeu médiocre, moyen.

Ensemble, la troupe raconte l’histoire d’Alceste, un homme qui ne peut souffrir l’hypocrisie

et la méchanceté des hommes. Ce trait de caractère, aussi vertueux soit-il, devient dans cette pièce un terrible défaut parce que poussé à l’excès. C’est aussi que les person-nages évoluent autour du milieu de la cour, cette société des flatte-ries et du règne des apparences. Dans ce monde artificiel, ce monde plastique, l’homme qui tient en hargne le mensonge deviendra nécessairement misanthrope. Comble, le personnage tombera amoureux de la maîtresse de la fausseté, Célimène, qui se plaira à entretenir la flamme de plusieurs prétendants.

Souvent considérée comme la pièce la plus sombre de Molière, Le Misanthrope n’en demeure pas moins divertissante; le jeu et la mise en scène vont en ce sens. C’est une pièce où l’on rit avec sobriété, mais où l’on rit quand même de bon cœur. Malgré une modernisation qui passe par un décor et des costumes actuels, la mise en scène ne prend pas beau-coup de risques. Elle conforte ainsi le public du Rideau Vert qui sort de son salon, qui lâche ses téléromans, pour, l’espace d’une soirée, entendre les vers brillants d’une pièce moderne. x

Une prudente modernisation de MolièreLe Misanthrope au Théâtre du Rideau Vert: une pièce pour un grand public bien servi.

THÉÂTRE

MICHAÊL BLAIS

Un amour entre deux poètesLe TNC présente une adaption de la correspondance entre Robert Lowell et Elizabeth Bishop.

Si le genre épistolaire était très en vogue au 18e siècle, il est rare de voir aujourd’hui

des romanciers entreprendre de ressusciter le «roman par lettres». Il est encore plus rare de le voir transposé au théâtre en raison des difficultés que représente cette entreprise, qui consiste à rattacher à une correspondance des quali-tés métatextuelles susceptibles d’intéresser un public de théâtre. Ainsi, nous pouvons nous deman-der quelle aurait été la fortune des Liaisons dangereuses au 20e siècle si le texte de Choderlos de Laclos n’avait pas été adapté au théâtre par Christopher Hampton en 1985, ce qui permit à Stephen Frears de le porter sur le grand écran trois ans plus tard dans un film qui met-tait en vedette plusieurs géants du cinéma tels que John Malkovich et Michelle Pfeiffer.

C’est pourtant le défi que relè-ve la dramaturge américaine Sarah

Ruhl en 2012, lorsqu’elle s’empare de la correspondance complète entre les poètes Robert Lowell et Elizabeth Bishop pour en faire une pièce mettant en vedette ces deux personnages, qui ne commu-niquent jamais autrement qu’en s’envoyant des lettres d’une ville ou d’un continent à l’autre. «I seem to spend my life missing you», écrit un jour Lowell à Elizabeth, dans un de ces nombreux élans lyriques que le texte de Sarah Ruhl privilé-gie afin de souligner l’attachement profond que ces deux vainqueurs du prix Pulitzer ressentent l’un envers l’autre. Il est toujours dif-ficile de recomposer une biogra-phie complète à partir des bribes d’information dont disposent les historiens qui s’intéressent à la vie personnelle de figures littérai-res, et Dear Elizabeth souligne à plusieurs reprises cette difficulté en laissant volontairement des espaces «vides» aussitôt que cesse l’échange épistolaire entre les deux protagonistes au profit de rencontres en chair et en os.

Un tel choix contribue à renforcer l’impression que cette pièce respecte la vérité histori-que de leurs échanges en y mêlant aussi peu d’éléments fictifs que possible. Toutefois, il est impos-sible de ne pas percevoir l’effort de cohérence de la dramaturge qui tend à comprendre les liens qui les unissent l’un à l’autre à

l’aune d’un échec amoureux, ce que la mise en scène de Marina Miller met également en relief en multipliant les moments de complicité entre les protagonis-tes. Ainsi, le Robert Lowell (Max Katz) et l’Elizabeth Bishop (Julia Borsellino) du TNC Theater prennent souvent place l’un à côté de l’autre sur le large bureau

noir qui occupe l’espace cen-tral de la scène. Une animation lumineuse projette les vagues de l’océan sur un écran qui constitue l’arrière-fond du décor, pour rap-peler ce moment de leur jeunesse pendant lequel Lowell – tel qu’il l’avouera plus tard – avait songé à la demander en mariage. Si, dans la pièce de Sarah Ruhl, l’attitude de Lowell laisse peu de doutes quant à son attachement amou-reux envers Elizabeth, il est plus difficile de comprendre ce qui motive le comportement de cette dernière, ponctué de fuites et de chaleureuses lettres dans lesquel-les elle ne cesse de lui demander d’excuser ses silences. Si les deux heures que dure cette pièce ne passent pas en un clin d’œil, elle donne indéniablement envie de connaître davantage l’œuvre de ces poètes, et surtout de voir le film récent Reaching for the Moon (2013) qui met en scène l’histoire d’amour qui lia Elizabeth Bishop à l’architecte brésilienne Lota de Macedo Soares. x

MIRUNA CRACIUNESCULe Délit

amelia rols

JEAN-FRANCOIS HAMELIN

Page 12: Le Délit du 17 février

12 Culture le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Une voix, vous dis-je !Le chanteur Mika en concert à l’OSM.

musique

Le 11 février dernier, Mika était en concert avec l’Or-chestre symphonique de

Montréal dans le cadre de la série OSM Pop, qui avait déjà vu Coeur de pirate et Les Trois Accords mon-ter sur scène.

La salle se remplit petit à petit d’un public divers et varié, mais surtout curieux: que va donner l’association de la musique pop de Mika à un orchestre symphonique?

20h06 – silence dans la salle. Le chef d’orchestre fait son entrée suivi des choristes, et l’orchestre entame l’ouverture. C’est sous un tonnerre d’applaudissements que Mika entre ensuite sur scène. Sans introduction, il commence à chanter Toy Boy. Sa voix angé-lique se marie parfaitement avec l’orchestre, et le public est enchanté dès les premières notes. La voix de Mika nous emporte dans une autre dimension, dimension de laquelle on ne sortira qu’à la fin du concert. En effet, ancien élève du Royal College of Music de Londres, Mika est avant tout un chanteur à voix: son association avec un orchestre symphonique — et le mariage de sa

voix si particulière et des violons — ne pouvait donc qu’être magique. On oscille entre chansons à voix telles que Underwater ou Any Other World et chansons plus dansantes, plus connues aussi, telles que Grace Kelly, Love Today ou encore Elle Me Dit. Chaque prestation transporte le public – qui fusionne avec Mika et l’orchestre – ou le surprend à tra-vers des arrangements complète-ment revisités, comme avec Relax. D’autres chansons comme wOver

My Shoulder témoignent simple-ment de l’étendue de la capacité vocale de Mika. Le chanteur nous fait également découvrir de nouvel-les chansons qui sortiront dans son prochain album comme Ordinary Man ou The Last Party.

Durant les deux heures de spectacle, le public se laisse empor-ter non seulement par la musique, mais aussi par Mika, artiste com-plet qui parvient, avec sa grâce na-turelle et son expressivité, à rendre

le moment beau esthétiquement parlant, malgré une mise en scène assez simple. Les choristes font eux aussi un travail remarquable, n’éclipsant pas l’artiste mais ne se laissant pas éclipser non plus. Le public est fasciné par l’esthétique du spectacle, impressionné par l’or-chestre, mais Mika arrive à rendre ce spectacle accessible à tous, petits et grands, vieux et jeunes, person-nes seules et familles complètes. À chacun d’applaudir au rythme des

chansons, de chantonner les re-frains et même de danser, oubliant alors qu’un orchestre symphonique est présent en direct et que les musiciens ont besoin de silence pour s’entendre. Heureusement, le chef d’orchestre rappelle le public à l’ordre et plonge à nouveau la salle dans le silence, avec Mika et l’orchestre pour seule distraction.

C’est sous une ovation debout que Mika sort de scène. Il reviendra pour deux rappels, puis laissera ses nombreux admirateurs avec l’écho de sa voix comme seul souvenir. Après ce moment magique, c’est avec encore plus d’estime pour Mika que les spectateurs s’en vont. Le chanteur a réussi à prouver qu’il n’est pas seulement le juge drôle de la version française du télé-cro-chet La Voix ou un artiste radio pour les 13-15 ans, mais qu’il est un artiste complet qui parvient à allier musique classique et musique pop avec brio. Les trois jours de concert étaient complets; pari réussi pour Mika. Bonne nouvelle par ailleurs pour les fans du chanteur, ses concerts à l’OSM devraient faire l’objet d’une parution discographi-que en collaboration avec sa maison de disque, Universal. Il y a de quoi se réjouir! x

Inès l. duboisLe Délit

antoine saito

Bonjour tristesseLe chanteur québécois Pierre Lapointe lance un album inspiré par la France.

Cela fait plusieurs années que dure cette histoire d’amour, unilatérale et exaltée, entre

le chanteur Pierre Lapointe et moi. Lors des Francofolies de 2012, j’ai failli perdre la raison sous la pluie devant la grande scène extérieure Ford, alors que, nœud papillon scintillant au cou et carré rouge fièrement accroché au cœur, il se mit à chanter Au suivant de Brel de son plus bel air torturé. Ma raison a failli m’échapper à nouveau en 2013, au Centre Phi, lorsqu’il a entamé C’est extra de Léo Ferré en rappel, à l’occasion d’un spectacle intimiste pour l’évènement Rad Hourani sous toutes ses coutures. Et je me souvien-drai toujours de ce spectacle au mois de juillet passé, où sous une averse de singes en plastique gonflables, j’ai hurlé parmi la foule en délire sur un Columbarium déjanté et élec-trisant, à nouveau à l’occasion des Francofolies.

Mais c’est dans l’intimité que, plus tard dans la saison, je le retrou-vais quotidiennement sur les ondes de France Inter et sur mon sofa, pour

une chronique radio intitulée «Les petites morts» où mon flamboyant favori interprétait chaque jour une nouvelle chanson, comme autant de perles au collier d’une diva, se faisant l’espace d’un instant l’hôte d’invités formidable tels que Robert Charlebois, Camelia Jordana et Mathieu Chedid, pour n’en nommer que quelques-uns. Et avec quelle justesse ce titre de «Petites morts» fut choisi, car, bien évidemment, j’ai joui des oreilles tout l’été.

De cette saison estivale pas-sée en France a résulté l’album Paris tristesse. C’est au Studio CBE à Paris, institution qui a ac-cueilli entre autres les voix légen-daires de Joe Dassin et de Dalida, que le nouvel opus du chanteur est enregistré. Constitué de mor-ceaux tirés à la fois du répertoire du chanteur et de la chanson fran-çaise, l’album conserve la formule piano-voix qu’il avait déjà em-ployée avec succès pour son autre disque de reprises, Seul au piano, en 2011. De cet album à celui-ci, il aura troqué les reprises de Richard Desjardins (Moi, Elsie) pour celles d’Aznavour (Comme ils disent) et de Barbara (Le mal de vivre).

Ainsi, cet album n’offre essentiel-lement rien de trop inconnu au public québécois; il servira soit à introduire les novices à la poésie particulière du tragique trouba-dour, soit à ravir les fans dévoués de quelques nouveautés, comme sa nouvelle chanson La plus belle des maisons.

Force est de constater que le chanteur semble s’attaquer désor-mais à l’entreprise alléchante de séduire la France. Cet album s’y applique merveilleusement bien par son exposition concise et maî-trisée de l’univers lapointesque: en trois mots, c’est triste, sexy et mé-lodieux. Même si personnellement je ne vois pas l’intérêt de quitter le doux Québec pour acquérir ces quelques arpents de mélancolie parisienne, j’ai bien peur que ce tombeur de mon cœur n’y parvien-ne trop facilement. Il y a quelques jours seulement, le triste sire de mon désir fût accueilli en triom-phe au Trianon… Oh, qu’à cela ne tienne: ce n’est pas connaître suf-fisamment mon amour que de voir en la France une rivale à ma taille. Pars! pars, Pierre Lapointe, colo-niser l’Hexagone de ta beauté et de

ta poésie. Toutefois, et si je peux me permettre d’emprunter ici les mots de la somptueuse Barbara: «Dis, quand reviendras-tu?»

Tous les dimanches soirs à La Voix bien sûr, c’était une question rhétorique. x

virginie daigleLe Délit

audiogram

Paris TristessePierre LapointeAudiogram

Page 13: Le Délit du 17 février

13Culturele délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Si mon message de la semaine dernière est passé entre vos mains, je suppose que vous

y avez trouvé à redire. Émetteur, récepteur, sens, direction, inten-tion, lecture ou écriture sont pro-bablement les mots qui vous sont venus à l’esprit. Peut-être que non,

et l’expérience permet alors d’ap-proximer le périmètre nébuleux du terrain d’entente.

Lecteur, toi, vous, je te l’avoue: tu es mon cobaye. Je t’ai embarqué dans ce petit cours sans te prévenir explicitement qu’à ton tour, tu y jouerais un rôle: eh oui, cher observateur, je te vois depuis ma guérite de guet. D’un tournemain annoncé et prévu ce mardi, te voilà objet d’étude à l’écrit. Vous m’excuserez mais je me dédie aux essais et je n’ai pas prétendu que je ne me servirais pas de toi. En toute honnêteté, j’ai veillé, j’ai planché, j’ai même mar-ché en ta compagnie. Il est venu le temps de te faire part d’une chose: je doute.

«Dans le doute, ne dites rien», six mots qui me font hausser les

épaules. Dire ne se limite pas à l’écrit, ni à l’oral, ni à la gestuelle. Dire ne requiert pas un sujet humain. Le mot dire lui-même peut porter moult sens, la valeur est variable: «Il a son mot à dire, ne prenons pas de décision avant de l’avoir consulté», «Ah, celui-là, toujours son mot à dire», «ce n’était pas le mot à dire», «Moi dire non», «ces jeux de mots, à dire vrai, je doute qu’ils aient leur mot à dire.»

Que le mot dit aille dans le bon sens, et l’écriture sera bien encrée. Oui mais voilà, le bon sens, comment le trouver? Comment savoir s’il s’agit du bon si l’on n’a pas douté d’abord de lui? Comment se saisir des bons mots sans les avoir avant catapul-tés, projetés en orbite autour de

la pensée centrale? Ne doivent-ils pas eux-mêmes trouver leur sens, leur place dans le système?

C’est une hypothèse, j’expéri-mente la trajectoire des mots. Je les dépose sur le cours d’eau, dans un panier de moment. Certains s’échouent sur des berges déser-tes, d’autres atteignent des riva-ges rêvés. La semence des images, je crois, porte les fruits de leur dessein. Le doute les élève, le lec-teur les cueille.

Dos au vent, un anticy-clone à ma droite, je cherche la meilleure voie pour parler de ce qui se conçoit difficilement. Et Boileau, arpentant mon cer-veau, répète inlassablement: «Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément.» Je bois

encore la tasse, la conception est en cours et, le doute, ce grand ami, me conseille de vous avertir d’une chose: il est possible, au demeurant, que je transmette l’inconcevable mais peu probable pour autant qu’il s’énonce un jour simplement.

Donnez-vous patience, c’est la recepte‘asteur… et son sillon fuyant régale les flâneurs! À qui l’aisance latente ou l’adresse en puissance? Dites-moi, n’est-il pas superbe de se perdre dans son pro-pre esprit avec une plume en main, paré à cartographier les terres inexplorées? Je couche sur le pa-pier mon portulan en espérant que se trace, dans ton esprit lecteur, ton propre globe optique. Ellipse en réflexion, les capteurs de silen-ce rêvent de funambules. x

Gwenn Duval | Petit cours d’écriture à l’usage de tous.

chronique

Page ennuagée, faune informée

Le Strip Tease dans tout son lyrismeFélix-Antoine Boutin soulève les tabous et déshabille ses acteurs.

scène

Du mardi 10 février au samedi 14 février, le Théâtre La Chapelle

présentait les Les dévoilements simples (Strip-Tease) du jeune metteur en scène Félix-Antoine Boutin, diplômé en interpré-tation de l’École nationale de théâtre, et fondateur de Création Dans la Chambre. C’est le créa-teur montant de la scène québé-coise, d’après la revue Fugues, remarqué pour son originalité. Après le succès de spectacles tels que Koalas, Message personnel, Le sacre du printemps (Tout ce que je contiens), Archipel (150 Haïkus avant de mourir encore) et Orphée Karaoké, l’artiste ori-ginaire de Sherbrooke propose d’explorer le sujet de la nudité.

Simple Strip Tease

Rappelons-le, le strip-tease, c’est littéralement la provocation par l’arrachement des vêtements, la taquinerie par le dévoilement, impliquant donc une idée de nu-dité provocatrice et joueuse. Ce n’est pas tant la provocation que veut représenter Félix-Antoine Boutin, mais plutôt la fragilité qui existe dans le geste simple de se dénuder. En 32 tableaux courts et muets, Les dévoilements simples exprime de la pureté, de la pudeur et de la tendresse. C’est aussi ce qu’exprime la mélodie des Variations Goldberg de J.S.

Bach (l’enregistrement de 1981 de Glenn Gould), sur laquelle est basée la représentation. Le pre-mier strip-tease est dévoilé dans la vidéo de promotion de l’événe-ment: un serpent se débarrassant de sa vieille peau. L’artiste, un génie de la simplicité, aborde le sujet depuis son origine en observant l’acte de dévoilement comme un acte naturel et sensi-ble. Sur scène, on a droit à une série de 32 strip-teases.

Dévoilement poétique

Sur l’affiche du spectacle, on lit ce poème de Robert Nyel: «Déshabillez-moi/Mais ne soyez pas comme/Tous les hommes/ Trop pressés/Et d’abord, le regard/Tout le temps du prélude/

Ne doit pas être rude, ni hagard Dévorez-moi des yeux/Mais avec retenue, Pour que je m’habitue, peu à peu…». C’est une ode à une nudité digne qu’offrent les ac-teurs en se dévêtant simplement. Ils semblent dévoiler leur âme avec un amusement innocent et pacifique. Félix-Antoine confiait en janvier au magazine Fugues: «Il y a dans cet- instant quelque chose qui est aussi un dévoile-ment de l’âme, du moins, c’est cet aspect-là qui me fascine et que je recherche avec les comédiens et danseurs qui participent à ce projet.» En nous faisant sortir du cynisme noir ambiant, le metteur en scène aborde avec une touche de poésie cinq grands thèmes, tournant tous autour de la méta-phore du dévoilement, qui est re-

présenté par la nudité, le jeu avec les vêtements, mais aussi avec le dévoilement de l’âme par le chant et le dévoilement biologique par l’arrachement des peaux.

Recherche formelle

Le spectacle dure une heure, et forme une métaphore filée de la mise à nue. La mise en scène est assez surprenante: la scène est séparée en deux par un rideau de vitres, avec un pre-mier plan représentant la scène de spectacle, et un arrière-plan qui représente les coulisses, où sont déposés par terre les habits, bouteilles d’eau et accessoires. Mettre en scène des coulisses apparentes est une manière de dévoiler la structure même de

l’œuvre, faisant preuve d’encore plus de simplicité. Seuls, par petits groupes ou tous ensemble, les acteurs nus ou presque jouent une succession de petits actes muets au premier plan pendant que le reste de la troupe est passif derrière les vitres. Le mouvement de lumière, lui aussi tout à fait in-génieux, indique s’il faut regarder les coulisses ou la scène, jouant sur l’idée que la nudité peut aussi désigner le dévoilement de l’inti-mité, soulevant alors barrières et tabous. Félix-Antoine Boutin remet en question les codes et innove pour revendiquer l’obser-vation simple des corps. Ce sont des corps que les médias ne nous ont pas habitués à regarder: il y en a des ronds, des petits, des grands, des fins. La mise en scène amusante, simple et innocente soulève les complexes et dévoile l’humain en symbiose avec son entourage: nu, il se roule dans l’herbe, cueille des fleurs et joue même avec une tortue! Felix-Antoine Boutin nous rappelle que le corps nu, c’est ce que l’humain a de plus concret, c’est l’humain dans toute sa simplicité naturelle.

C’est un spectacle inspirant qui célèbre la tendresse des corps câlins dans un monde brutal qui exploite trop souvent la nudité de façon opressante. Ça tombe plu-tôt bien: au terme de la dernière représentation, le 14 février, le Théâtre La Chapelle a organisé une soirée de Saint-Valentin pour tous ceux qui souhaitaient danser au rythme du DJ Tête de Veau. x

amandine hamonLe Délit

nans bortuzzo

Page 14: Le Délit du 17 février

14 Culture le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

En voyant ce genre de films, je me dis que l’art de la bande-annonce doit être

difficile à maîtriser. Il s’agit, bien entendu, de susciter l’intérêt des spectateurs envers le film, mais il est parfois difficile de le faire sans provoquer l’impression que le visionnement en salle constitue une sorte de prolongement légè-rement étoffé d’une publicité qui parvient à produire une impres-sion analogue à celle que nous laisse l’œuvre complète en moins de deux minutes.

Et je ne parle pas ici de révé-lations sur l’intrigue. Les spoilers peuvent certes être désobligeants si l’on tient à ce qu’un film soit avant tout un récit dont la pro-gression est construite comme une série de révélations sur les personnages, leurs familles, leurs traumatismes, etc. Or, dans ce cas précis, les principaux éléments de l’intrigue peuvent se compter sur les doigts de la main, et le contexte dans lequel se déroule l’action laisse déjà inférer beaucoup de choses sur les personnages. Le jour de Noël, un psychiatre

vient interroger Michael Aleen (Xavier Dolan), le patient d’un collègue disparu qui prétend détenir des informations sur son compte. S’ensuit un jeu de chas-

sé-croisé entre Dr. Green (Bruce Greenwood) et Michael qui n’est pas sans rappeler la série d’inter-rogatoires qui institue un curieux rapport entre l’agente du FBI Clarice Starling et le psychopathe Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux.

Dans un cas comme dans l’autre, les patients emploient l’expression quid pro quo pour désigner le rapport qu’ils souhai-tent instaurer avec la personne qui

se trouve chargée de l’investigation criminelle, car sans être un grand criminel à l’instar du plus célèbre cannibale d’Hollywood, Michael Aleen souhaite également obtenir quelque chose en échange de sa collaboration. Là encore, le rap-prochement avec le personnage

d’Hannibal Lecter m’a semblé évi-dent, puisqu’au-delà de la liberté dont tous deux se trouvent évidem-ment déprivés, ce qu’ils souhaitent recouvrir, c’est cette humanité que

le système psychiatrique évacue en catégorisant le fou comme cet autre absolu qu’il convient d’enfer-mer afin de mieux préserver l’inté-grité des valeurs rationalistes des sociétés occidentales. Ce thème foucaldien avait déjà été abordé de manière magistrale dans Mommy

(2014), qui valut le Prix du jury ex-aequo à Cannes à Xavier Dolan il n’y a pas si longtemps.

Toutefois, on ne peut pas effec-tuer un rapprochement thématique entre ces deux œuvres (par ailleurs si rapprochées dans le temps) sans constater que le second est loin de produire le choc émotionnel que provoque la relation mère-fils dans Mommy. Contrairement à ce que laissent entendre la bande-annonce et l’ouverture du film, la figure de la mère occupe un rôle marginal dans La chanson de l’élé-phant, et si l’on devine qu’elle a contribué au déséquilibre mental de son fils, on finit par apprendre peu de détails sur elle. Malgré les défauts du film, il faut toutefois souligner que Xavier Dolan livre une interprétation exceptionnelle du jeune homme frappé de folie en parvenant à rendre le personnage de Michael plutôt sympathique en dépit de ses innombrables travers, à l’instar d’Antoine-Olivier Pilon (Steve Deprés) dans Mommy. Mais je tiens à souligner que la compa-raison entre les deux œuvres s’ar-rête là, et que pour le reste, il s’agit plutôt d’un Silence des agneaux sans les meurtres, le cannibalisme et autres aspects sordides. x

miruna craciunescuLe Délit

Dans l’ombre d’Hannibal LecterXavier Dolan passe de l’autre côté de la caméra dans La Chanson de l’éléphant.

cinema

films séville

Peu de temps après l’ouver-ture des portes, le petit bar-salon du Centre Phi

est déjà presque rempli. Un coup d’œil alentour nous permet de faire un portrait rapide des futurs spectateurs: les mains dans les poches ou un verre à la main, en pleine conversation ou le regard perdu, les Montréalais présents ont le profil de ceux qui questionnent ce qui leur arrive. L’art de ques-tionner, c’est quelque chose que Saul Williams semble maîtriser: rappeur, poète, acteur, écrivain et musicien, il n’hésite pas à se renouveler et débarque sur scène avec son sac à dos, une preuve de plus que l’artiste tient difficilement en place. Originaire de Newburgh dans l’État de New York, il vient aujourd’hui partager son parcours avec le public et le rappeur The Narcicyst, qui anime la discussion.

Saul Williams nous plonge dans le New York des années 90, peu après le commencement du hip-hop tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il nous parle des soi-rées open-mic, des albums de rap, des lectures de poètes et autres aperçus de la scène culturelle souterraine qui lui ont donné ses premiers élans. Il rigole en disant

qu’il possédait tous les albums de rap du moment car il n’y avait pas plus de vingt artistes connus à cette époque. Un conseil lorsque l’on vit dans une ville où tout va très vite: profiter de ce qu’elle a à offrir sans pour autant oublier qu’elle vit grâce à l’énergie de ceux qui l’habitent. Chacun a quelque chose à lui appor-ter et c’est donc en temps que spec-tateur mais aussi acteur que Saul Williams a vécu son expérience new-yorkaise.

Au même titre que des rap-peurs comme Nas, Mosdef, Wu Tang clan, Talib Kweli ou encore K’naan, Saul Williams fait partie d’un mouvement qui, même s’il a pris de plus en plus d’ampleur, a réussi à conserver une certaine authenticité. Contrairement à la voie que d’autres ont choisie, il honore des groupes tels que le Wu Tang qui ont réussi à garder ce qu’il définit comme l’«underground sen-sibility» de leurs débuts. Mais le do-maine d’intérêt de Saul Williams ne se limite pas à la musique et c’est au cours d’un voyage en Afrique, dans le wagon d’un train de nuit, que lui vient l’envie de jouer différemment avec les mots: à travers la poésie. Il décroche alors une maîtrise en arts dramatiques à l’Université de New York et se familiarise peu à peu avec ce nouveau milieu en fréquen-tant le monde des cafés poétiques.

C’est la poésie qui lui permettra de prendre peu à peu du recul sur le rap et d’affiner son esprit critique vis-à-vis de l’industrie du show business qu’il aspire toujours à contourner.

Au cours de la conférence, il cite Neil Young, Jimi Hendrix: des artistes qui, pour lui, sont parve-nus à se projeter au-delà d’eux-mêmes et créer quelque chose de durable qui a traversé plusieurs générations. C’est d’ailleurs à tra-vers de telles influences qu’il a pris

conscience de la portée politique de l’art et des dangers de l’indif-férence. Beaucoup de choses s’échappent du discours de Saul Williams; parfois il se lève, fixe le public avec un regard captivant et le rythme de sa voix grave donne du poids à ses idées. Entre deux réflexions, il multiplie les réfé-rences historiques et politiques, allant de Georges Washington au mouvement Occupy Wall Street en passant par l’épisode Ferguson, et rappelle l’importance de ques-

tionner la perspective de l’infor-mation que l’on reçoit.

Une chose est sûre, Williams est un vrai M.C (Maître de Cérémonie) et sait capter notre attention. La conférence se clôt sur deux prestations: un poème et une chanson a capella. On aurait voulu que cela dure plus longtemps et l’on ressort de la salle captivé, le cerveau bouillonnant. Toute source d’inspi-ration est précieuse mais en l’occur-rence, cette découverte s’est révélée surprenamment marquante. x

Un air de SaulRencontre avec le rappeur Saul Williams, de passage à Montréal.

poésie

Céline fabre & Jessica szarekLe Délit

LAUREN BOORMAN

Page 15: Le Délit du 17 février

15Culturele délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Critiquer, c’est aussi s’appli-quer à penser et à prendre position. Impossible donc

de réprimer un sentiment d’absur-dité en prenant position quant à une œuvre qui plaisante avec toute prise de position. Et d’ailleurs: pourquoi penser tout haut, en public? Pour promouvoir? C’est louable: après tout, qu’est-ce que fait la pensée sinon la promotion de choses? Pro-movere. Pousser de l’avant. Imposer la réalisation de sa propre représentation du monde par le biais de sa propre volonté, dirait le Staline de Kundera. En marche, tous! So-so-so! Solidarité! Je suis Milan!

Prenons donc la question de haut: qu’est-ce qu’il fait, ce dernier roman du célèbre tchèque, cette légère plume d’oiseau ajoutée en post scriptum à ses briques pléia-disées, cette amusante digression (en apparence) comme en raffolait un des maîtres avoués de l’auteur, ce cher Denis Diderot? Qu’est-ce qui sépare cette œuvre «de plus» du romancier qui n’avait pas publié depuis 2001?

Remontons encore un peu: à proprement parler, La fête de l’insignifiance n’est pas un roman. C’est plutôt une série de réflexions drolatiques portées par une poi-gnée de personnages récurrents. Des «personnages felliniens revus et corrigés par Kafka», disait le critique Philippe Labro. Ramon, Alain, Caliban, D’Ardelo, Staline et compagnie tissent thèmes, contre-thèmes, les développant à la manière d’un contrepoint, cette forme d’écriture musicale pour laquelle l’auteur n’a jamais caché

son affinité. Rappelez-vous les «Muss es sein?» beethovéniens de l’Insoutenable légèreté de l’être.

D’accord, mais alors que dit-elle, cette «dernière valse» – ainsi que l’appelait le Nouvel Obs en avril 2014 – contrapuntique et espiègle d’un écrivain qui pousse les 85 bougies?

Posons ce qu’elle n’a aucune envie de faire: plaire. Mais sans pour autant lancer le pavé dans la marre. «Nous avons compris depuis longtemps qu’il n’était pas possible de renverser ce monde, ni de le remodeler, ni d’arrêter sa malheureuse course en avant. Il n’y avait qu’une seule résistance pos-sible: ne pas le prendre au sérieux.» La sagesse du romancier au crépus-cule de l’âge ressemble au non-agir de Lao-Tseu se préparant au der-nier exil. (Des passages du Tao-Tö King auraient même pu être de l’auteur tchèque: «Tout le monde tient le beau pour le beau, / c’est en cela que réside sa laideur. / Tout le monde tient le bien pour le bien, / c’est en cela que réside son mal.») De son observatoire, Kundera décrit un monde et son Histoire sous l’emprise d’un monstrueux blagueur: le Temps, cette pompe à kitsch, ce prestidigitateur qui change les gens en marionnettes. Le terrifiant Staline finit lui-même en chasseur moustachu à l’appa-rence folklorique, quasi-hipster d’une charmante bonté virile arra-chant des sourires à la foule.

La prose de La fête de l’insi-gnifiance surprend, déride et désillusionne: un doigt étranger qui vous chatouille le nombril. Pour l’auteur, on le lit comme un saut de l’ange littéraire vers l’unen-dliche Wohlgemutheit hégélienne: l’infinie bonne humeur. «Pas la

raillerie, pas la satire, pas le sar-casme. C’est seulement depuis les hauteurs de l’infinie bonne humeur [qu’on] peux observer au-dessous […] l’éternelle bêtise des hommes et en rire.» Les droits de l’homme, les allumeuses, les Narcisses, les petits «valets de la vérité» chauves et bienveillants nourrissent le rire de l’auteur.

Inévitablement, il s’en trouve-ra toujours pour lire de trop près,

en trouver à en redire, donner à l’œuvre des prétentions qu’elle n’a que peu ou pas. Mais la force de l’œuvre, c’est aussi une force d’intégration, puis de dissolution de tout discours sérieux voulant la réduire à une ambition affirmée. Tentez d’en saisir une parcelle pour en conclure quoi que ce soit, la voilà qui se dérobe; la structure pluritopique du texte en permet un miroitement du sens. Si l’on

doit à tout prix en déterminer une forme d’unité, ce serait celle d’un geste ample et amical – un geste précieux contre la «malheureuse course vers l’avant».

S’il vous dit de poursuivre la conversation, rendez-vous mercredi au Arts 160 de 9h30 à 12h30 à l’atelier de l’équipe de recherche «Travaux sur les arts du roman». Toute l’info sur tsar.mcgill.ca. x

La fête de l’insignifianceLe TSAR discute le dernier Kundera cette semaine à McGill.

littérature

«Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans l’œuvre?»

Ce qui frappe le plus quand on lit La Fête de l’insignifiance (et plus encore chaque fois qu’on le relit, ce à quoi nous invitent non seulement sa brièveté mais

sa forme même), c’est combien il s’agit d’une œuvre à l’architec-ture savante. Telle section qui apparaît au premier abord com-me une digression se révèle, dès qu’on déplace son point de vue, comme porteuse d’une idée cen-trale; qu’on décale encore un peu le regard et c’est cet autre épisode

(du moins ce qui semblait être un épisode, car les liens qui l’unis-sent aux autres sections du livre sont si multiples que l’idée même d’épisode ou de section semble ne plus tenir) qui apparaît comme une pierre de touche. Le roman se déplie ainsi sans cesse d’une lec-ture à l’autre et fait constamment

bouger son centre de gravité, mouvement dont on saisit qu’il serait impossible s’il n’avait pour origine un très grand art de la forme. Et cet art est d’ici d’autant plus efficace qu’on ne peut jamais vraiment savoir si tout ce qui nous est raconté est sérieux ou non. x

Isabelle Daunais Isabelle Daunais est professeur titu-laire au Département de langue et de littérature française de l’Université McGill depuis 2004. Ses travaux et ses recherches portent sur la littérature française du XIXe siècle et sur le roman moderne, abordé comme forme de pen-sée et d’exploration du monde.

Un mot des panélistes

«Après la première lecture, vous en avez pensé?»

J’ai pensé qu’il était difficile de

définir l’insignifiance sans la trahir, sans lui donner un sens trop clair ou trop précis, et que pour cette raison il fallait garder de ce roman des scènes, des images, une impression

d’ensemble ou un climat, plutôt que d’y chercher une vérité philosophi-que ou morale par laquelle on puisse le résumer. C’est vrai bien entendu de tous les romans de Kundera (et

même sans doute de tous les ro-mans); mais ça l’est encore plus, de manière je dirais plus exemplaire, pour celui-ci, le plus irréductible et le plus mystérieux qu’il ait écrit. x

Yannick Roy Yannick Roy est professeur de français au Cégep du Vieux-Montréal.

«Qu’est-ce que La fête de l’insignifiance peut dire de plus

que le reste de l’œuvre kundé-rienne? »

Pourquoi le vieil écrivain qui n’a pas publié un roman depuis 2001 a-t-il voulu prendre la parole? Les derniers paragra-phes de La fête de l’insignifiance se présentent comme une scène

burlesque qui semble tirée d’un film de Federico Fellini. Que doit-on penser de ce roman? Est-ce une blague énorme ou une méditation sur le comique? Kundera n’a pas voulu nous

amuser, ni se moquer de nous. À travers une histoire insignifian-te, il montre à ses lecteurs ce qui reste encore pour ce «mécréant» de 85 ans: l’amitié comme valeur sacrée. x

Frédéric Mus Francis Mus est Doctorant à la Katholieke Universiteit Leuven. Il tra-vaille sur les dynamiques du modernisme et de l’avant-garde historique littéraire dans les revues littéraires belges.

philippe robichaudLe Délit

milan kundera

Page 16: Le Délit du 17 février

16 Culture le délit · mardi 17 février 2015 · delitfrancais.com

Courtepointe russe bien filéeLe Groupe de poésie moderne propose un collage ludique et loquace.

théâtre

Des personnages, sans dou-te les acteurs du Groupe de poésie moderne (GPM)

eux-mêmes, en quête de leur chemin et aussi d’un dénommé Bob, peut-être leur metteur en scène, qui pourrait les guider à travers les méandres d’un univers disjoint, et qui, évidemment, s’en-foncent toujours davantage, dans un écheveau narratif polymorphe, qui prend les proportions du tunnel d’Alice aux pays des mer-veilles – voilà la trame narrative.

On ne sait pas très bien où cela commence ni où cela finit, mais l’essentiel n’est-il pas le voyage?

Mosaïque cosmique

Le premier des trois synopsis du programme (rien de moins) annonce une variation sur Crime et Châtiment. Que ni l’étudiant qui suit RUSS-217 «Russia’s Eternal Questions» ni celui qui ignorait que McGill offrît un programme d’études russes et slaves ne se désolent, l’un et

l’autre y trouveront leur compte. S’il y a bien un coup de hache comme chez Raskolnikov, c’est une des grandes forces du texte de Bernard Dion et de Benoît «Illytch» Paiement que d’être amplement référencé, mais jamais hermétique. Splendeur du mobilier russe (se) présente (comme) une succession de tex-tes, poèmes en prose, colonnades lexicales, péristyle du temple du prolixe. Le collage est savant: si les textes sont épars, ils ne sont jamais éparpillés. Le langage est impeccablement ajusté, le jeu follement serré et au final, ce sont quatre-vingts minutes nourries, extravagantes et jouissives que nous livre le GPM.

Le tendu et l’inattendu

Vodka, nuits de Petrograd, prose du Transsibérien, tous les clichés y sont, mais le seul lieu commun, c’est la pièce elle-même, ou plutôt les pièces. Car la mise en abyme se matérialise, et com-me les comédiens qui prennent tout leur sens en perdant le nord, le spectacle plonge et joue à tous les niveaux. Avant même d’être

assis, les spectateurs pensent à une Zazie perdue dans le métro (Frontenac ou Berri-UQAM), alors qu’on les invite vers la salle par le colimaçon d’un escalier de secours, par les cuisines et à tra-vers un miroir. La scénographie (Cassandre Chatonnier, assistée par Claire Renaud) impose l’ima-ge de la matriochka alors que trois niveaux de rideaux séparent qua-tre scènes (ou seulement deux? ou plutôt cinq? faut-il tenir compte des techniciens-manipulateurs qui débordent à dessein? de l’en-thousiasme hors de proportion et

de propos et des rires décousus fusant des places réservées?).

La mise en scène (Robert Reid, assisté par Agathe Détrieux) exploite le jouet gigogne et l’excentrique concentrique avec imagination et sa troupe zigzague avec expression dans le labyrin-the. L’immersion résonne, cré-pite. Vous êtes emballés? Ils sont déballés: les couches de sens tom-bent, comme les manteaux tom-bent et les manches se roulent. Pascal Contamine devient l’esthé-tique singulière du GPM dans les textes qu’il livre avec maestria,

Sophie Faucher agit avec préci-sion à travers ses rôles et ce qu’el-le a – très justement – appelé le «désir de la consonne qui sonne», Christophe Rapin est rigolo com-me tout (manifestement, la salle lui pardonne quelques mots mâ-chouillés par inadvertance alors qu’il intervient avec la dégaine de Patrick Huard et une chapka sur la tête) et Larissa Corriveau joue Natalya en nattes aussi astu-cieusement que les babouchkas éplorées, et de l’accordéon en plus. Pour Elizabeth Chouvalidzé, finalement, qui vient flanquer le quatuor vers la fin, s’il faut une réserve, c’est plutôt qu’elle casse la verve et le rythme, avec le coup convenu de la vieille dame et qui du temps qui passe – à moins qu’il ne faille y voir une référence à La dame de pique de Pouchkine?

Vous ne savez plus où vous êtes? Eux non plus. Mais l’épopée vaut le déplacement. x

laurence bich-carrièreLe Délit

maxime pistorio

Semaine du journalisme étudiantla Société des publications du Daily présente la

16 a

u 19

févr

ier Mardi

Présentation sur le documentaire au Québec16h, Salle Madeleine ParentCONFÉRENCIÈRE: Filmmaker Karina Garcia (Juanicas)

Magazines montréalais, ce qu’ils veulent19h, ARTS W20 CONFÉRENCIERS: Haley Cullingham (Maisonneuve) et Philip Tabah (The Main)

MercrediPigiste, comment se lancer?16h, Salle Madeleine Parent CONFÉRENCIERS: Lisa Fitterman (The Walrus, Reader’s Digest, The Globe and Mail), Alyssa Favreau (Maisonneuve, Reader’s Digest, Quirk Books), Simon Liem (Reader’s Digest, Harper’s), Marissa Miller (Teen Vogue, Montreal Gazette, Chatelaine), Erin Hudson (Canadian University Press, Montreal Gazette)

Le reportage au Québec19h, Leacock 15 CONFÉRENCIERS: Kalina Laframboise (Canadian University Press), Christopher Curtis (Montreal Gazette), Laura Beeston (Montreal Gazette)

JeudiÉcoutez! Les reportages radio14h, Salle Lev Bukhman CONFÉRENCIERS: Aaron Lakoff (CKUT), Chris Berube (CBC), Matt Goldberg (Confabulation), Marilla Steuter-Martin (CJLO), Andrea Hunter Journalisme étudiant15h, (informations à venir) CONFÉRENCIERS: Dana Wray (The McGill Daily), Jenny Shen (The McGill Tribune), Joseph Boju (Le Délit), Brandon Johnston (The Link)

Journalisme & Activisme17h, SSMU 302 CONFÉRENCIERS: Isabel MacDonald (Fairness and Accuracy in Reporting), Martin Lukacs (The Guardian), David Koch (Montreal Media Co-op)

Vin et fromage, (informations à venir) Pour terminer la Semaine du journalisme étudiant, nous organiserons une soirée vin et fromage. Oui, vous avez bien lu! Alors passez nous dire bonjour et discuter avec nos journalistes et nos étudiants. Du vin et du fromage gratuit, pas besoin d’en dire plus!

Veuillez noter que ces évènements auront lieux en anglais. Pour plus d’informations, consultez l’évènement facebook DPS Student Journalism Week ou envoyez un courriel au [email protected]

Splendeur du mobilier russeEspace Libre (1945 rue Fullum)Mise en scène: Robert ReidJusqu’au 21 février