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J Radiol 2007;88:296 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés analyse commentée Le dépistage par tomodensitométrie des nodules pulmonaires fait-il diminuer la mortalité du cancer du poumon ? Ph Grenier IELCAP a réalisé une étude prospective multicentrique (1) dont l’objectif était d’évaluer le devenir des patients ayant un cancer du poumon de stade I, détecté lors d’un programme annuel de dépistage utilisant le scanner pulmonaire à faible dose. Un scanner faible dose thoracique était proposé à des sujets asymptomatiques (hommes ou femmes), âgés de plus de 40 ans, jugés à risque pour le cancer du poumon (fumeurs ou anciens fumeurs, notion d’exposition à l’amiante, au béryllium, à l’uranium, au radon, ou exposition passive au tabac). Trente et un mille cinq cent soixante sept personnes ont été inclu- ses dans l’étude entre 1993 et 2005, et 27 456 d’entre elles ont eu un autre examen de contrôle réalisé 7 à 18 mois après le premier examen. Ces examens de dépistage ont permis le diagnostic de cancer du poumon chez 484 participants au programme. Parmi ces sujets atteints de cancer, 412 (85 %) ont présenté un stade I clinique et le taux de survie à 10 ans était de 88 %. Parmi les 302 sujets porteurs d’un cancer stade I clinique, qui furent traités par résection chirurgicale dans le mois qui a suivi le diagnostic, le taux de survie était de 92 %. Les 8 participants porteurs d’un can- cer stade I clinique, qui n’avaient reçu aucun traitement, ont dé- cédé dans les 5 ans après le diagnostic. Cette étude a démontré qu’un dépistage annuel fait par scanner faible dose permet de détecter les cancers broncho-pulmonaires qui sont traitables de façon efficace par chirurgie précoce. Par contre, elle ne permet pas d’évaluer l’impact potentiel d’un dépis- tage systématique du cancer sur une population à risque, par scanner faible dose, sur la réduction de la mortalité par cancer du poumon. En effet, le critère de jugement de cette étude était la survie du patient ce qui n’est pas un bon critère d’évaluation de test de dépistage. En effet, seule la mortalité compte à cause du biais du temps de latence. Un dépistage systématique entraîne un allongement de la survie en détectant un cancer précocement avant l’apparition des symptômes, sans qu’il y ait pour autant une réduction de la mortalité par cancer. En effet, un cancer détecté peut conduire à un décès du patient, au même moment qu’il serait survenu si la tumeur n’avait pas été détectée. La survie ne peut donc pas être considérée comme un critère d’efficacité ni comme un bon critère d’évaluation. Un test de dépistage, quel qu’il soit, a tendance à détecter des lésions peu agressives, de croissance lente. Ces cancers sont moins invasifs que ceux détectés dans une population non soumise à un dépistage de masse. De telles tumeurs indolentes sont souvent un excellent pronostic. Les tumeurs agressives se révèlent plus vo- lontiers par des symptômes cliniques survenus dans l’intervalle entre deux examens de dépistage. La seule façon de limiter l’effet de ces biais méthodologiques est de réaliser des essais contrôlés et randomisés afin d’essayer de mettre en évidence une réduction de la mortalité par cancer du poumon dans le groupe des sujets soumis à un dépistage systéma- tique par scanner thoracique faible dose, comparé à un groupe de sujets n’ayant aucun test de dépistage ou soumis à un dépistage par simple radiographie du thorax. Un grand essai de ce type est en cours aux Etats-Unis ; les communautés scientifiques et médi- cales attendent ses résultats avec intérêt. Référence 1. International Early Lung Cancer Action Program Investigators. Survival of patients with stage I lung cancer detected on CT screening. N Engl J Med 2006;355:1763-71. L’ Secrétaire Général de la Société Française de Radiologie, 20 av Rapp, 75007 Paris.

Le dépistage par tomodensitométrie des nodules pulmonaires fait-il diminuer la mortalité du cancer du poumon ?

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Page 1: Le dépistage par tomodensitométrie des nodules pulmonaires fait-il diminuer la mortalité du cancer du poumon ?

J Radiol 2007;88:296© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés analyse commentée

Le dépistage par tomodensitométrie des nodules pulmonaires fait-il diminuer la mortalité du cancer du poumon ?

Ph Grenier

IELCAP a réalisé une étude prospective multicentrique(1) dont l’objectif était d’évaluer le devenir des patientsayant un cancer du poumon de stade I, détecté lors d’un

programme annuel de dépistage utilisant le scanner pulmonaireà faible dose. Un scanner faible dose thoracique était proposé àdes sujets asymptomatiques (hommes ou femmes), âgés de plusde 40 ans, jugés à risque pour le cancer du poumon (fumeurs ouanciens fumeurs, notion d’exposition à l’amiante, au béryllium, àl’uranium, au radon, ou exposition passive au tabac). Trente et un mille cinq cent soixante sept personnes ont été inclu-ses dans l’étude entre 1993 et 2005, et 27 456 d’entre elles ont euun autre examen de contrôle réalisé 7 à 18 mois après le premierexamen. Ces examens de dépistage ont permis le diagnostic decancer du poumon chez 484 participants au programme. Parmices sujets atteints de cancer, 412 (85 %) ont présenté un stade Iclinique et le taux de survie à 10 ans était de 88 %. Parmi les302 sujets porteurs d’un cancer stade I clinique, qui furent traitéspar résection chirurgicale dans le mois qui a suivi le diagnostic, letaux de survie était de 92 %. Les 8 participants porteurs d’un can-cer stade I clinique, qui n’avaient reçu aucun traitement, ont dé-cédé dans les 5 ans après le diagnostic. Cette étude a démontré qu’un dépistage annuel fait par scannerfaible dose permet de détecter les cancers broncho-pulmonairesqui sont traitables de façon efficace par chirurgie précoce. Parcontre, elle ne permet pas d’évaluer l’impact potentiel d’un dépis-tage systématique du cancer sur une population à risque, parscanner faible dose, sur la réduction de la mortalité par cancer dupoumon. En effet, le critère de jugement de cette étude était lasurvie du patient ce qui n’est pas un bon critère d’évaluation de

test de dépistage. En effet, seule la mortalité compte à cause dubiais du temps de latence. Un dépistage systématique entraîne unallongement de la survie en détectant un cancer précocementavant l’apparition des symptômes, sans qu’il y ait pour autant uneréduction de la mortalité par cancer. En effet, un cancer détecté peut conduire à un décès du patient,au même moment qu’il serait survenu si la tumeur n’avait pas étédétectée. La survie ne peut donc pas être considérée comme uncritère d’efficacité ni comme un bon critère d’évaluation. Un test de dépistage, quel qu’il soit, a tendance à détecter deslésions peu agressives, de croissance lente. Ces cancers sont moinsinvasifs que ceux détectés dans une population non soumise à undépistage de masse. De telles tumeurs indolentes sont souvent unexcellent pronostic. Les tumeurs agressives se révèlent plus vo-lontiers par des symptômes cliniques survenus dans l’intervalleentre deux examens de dépistage.La seule façon de limiter l’effet de ces biais méthodologiques estde réaliser des essais contrôlés et randomisés afin d’essayer demettre en évidence une réduction de la mortalité par cancer dupoumon dans le groupe des sujets soumis à un dépistage systéma-tique par scanner thoracique faible dose, comparé à un groupe desujets n’ayant aucun test de dépistage ou soumis à un dépistagepar simple radiographie du thorax. Un grand essai de ce type esten cours aux Etats-Unis ; les communautés scientifiques et médi-cales attendent ses résultats avec intérêt.

Référence1. International Early Lung Cancer Action Program Investigators.

Survival of patients with stage I lung cancer detected on CT screening.N Engl J Med 2006;355:1763-71.

L’

Secrétaire Général de la Société Française de Radiologie, 20 av Rapp, 75007 Paris.