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L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 4 S 709 Le destin de l’épisode dépressif P. GORWOOD (1) (1) Hôpital Louis Mourier, 92000 Colombes. La dépression a une destinée, c’est-à-dire une vie en soi, qui dépasse le rôle évident de l’histoire individuelle : c’est l’intérêt de l’épidémiologie, qui fournit des informa- tions, au-delà de la psychopathologie. Les études récentes sur le devenir de l’épisode dépres- sif majeur sont nombreuses et fournissent un éclairage sur la pratique quotidienne. Il apparaît ainsi de plus en plus clairement que le traitement de l’épisode dépressif doit prendre en compte le parcours de la maladie dépressive sur la vie entière. Une étude épidémiologique Suisse (5) a l’intérêt d’une certaine exhaustivité, puisque l’ensemble de la population d’un Canton se fait hospitaliser dans un petit nombre de lieux d’hospitalisation. Les auteurs ont retenu les 560 pre- mières hospitalisations pour un épisode dépressif majeur sur un an, et ont suivi les patients sur 5 ans. L’étude montre que la grande majorité des sujets (80 %) n’est pas réhospitalisée dans les 5 ans qui suivent cette pre- mière admission, ceux qui avaient déjà eu un épisode dépressif majeur ayant le risque de récidive le plus élevé. Néanmoins, la manière dont s’est passé ce premier séjour à l’hôpital est prédictive du risque de récidive avec ré-hos- pitalisation dans les cinq ans, avec deux indices assez nets : d’une part, la longueur de l’hospitalisation (une courte hospitalisation initiale, de moins de 30 jours, est prédictive d’un moindre risque de réhospitalisation), et d’autre part la qualité de l’amélioration symptomatique (la baisse de la sévérité entre la sortie et l’entrée), c’est-à-dire l’impact qu’a eu la prise en charge sur l’épisode dépressif majeur pen- dant cette première hospitalisation. Les facteurs de risque usuels (âge, emploi, situation maritale, comorbidité, anté- cédents de dépression, sévérité initiale) ne sont pas appa- rus impliqués dans le risque de ré-hospitalisation. Dans les critères de destinée de la dépression, la pré- cocité du traitement et sa durée sont des éléments essen- tiels. Une étude (11) a été menée sur des groupes de sujets jeunes, en les stratifiant sur cette dimension de pré- cocité de la dépression ou de durée d’évolution. L’objectif de cette étude était d’éviter la confusion habituelle entre dépression à début précoce et dépression de longue durée. Quatre groupes de patients déprimés ont été cons- titués, dont trois selon l’âge de début de la dépression (en début d’adolescence, en fin d’adolescence, au début de l’âge adulte), le quatrième groupe étant constitué de patients souffrant de dépressions persistantes (évoluant depuis plus de deux ans au moment de l’inclusion) ; enfin, il existait un groupe de sujets-contrôle. Dans ces quatre populations, l’impact des troubles de l’humeur sur différents domaines du fonctionnement psy- cho-social et mental des sujets a été évalué. Le fonction- nement psychosocial et la qualité de vie des individus (nombre et impact des événements de vie, capacité à faire face, qualité du réseau social et familial, fonctionnement psychique…) sont ainsi apparus de plus mauvaise qualité chez les patients souffrant de dépression persistante que dans les trois autres groupes de déprimés. L’impact de la chronicité de la dépression est donc bien plus marqué sur la trajectoire de vie des individus que celui du début pré- coce du trouble dépressif. Parmi les données étudiées, l’estime de soi est plus altérée dans les groupes de dépression à début chez l’adulte jeune et de dépression persistante. En ce qui concerne l’image maternelle qui renvoie aussi à l’image de soi, le sentiment d’avoir été l’objet d’un rejet maternel est de plus en plus fréquent dans les groupes contrôle, puis de dépressions à début pré- pubère, puis de dépressions ayant débuté lors de l’ado- lescence, puis de dépressions ayant débuté à l’âge adulte, et enfin le plus fréquent dans les dépressions persistantes. L’ensemble de ces résultats confirme l’impact majeur de la durée passée en dépression, et donc l’intérêt d’une rémission la plus précoce et la plus complète possible pour diminuer le retentissement sur la vie. La prévention de la rechute est une préoccupation importante dans le traitement de l’épisode dépressif majeur. Une large étude a inclus environ 560 patients trai-

Le destin de l’épisode dépressif

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L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 4 S 709

Le destin de l’épisode dépressif

P. GORWOOD (1)

(1) Hôpital Louis Mourier, 92000 Colombes.

La dépression a une destinée, c’est-à-dire une vie ensoi, qui dépasse le rôle évident de l’histoire individuelle :c’est l’intérêt de l’épidémiologie, qui fournit des informa-tions, au-delà de la psychopathologie.

Les études récentes sur le devenir de l’épisode dépres-sif majeur sont nombreuses et fournissent un éclairage surla pratique quotidienne. Il apparaît ainsi de plus en plusclairement que le traitement de l’épisode dépressif doitprendre en compte le parcours de la maladie dépressivesur la vie entière.

Une étude épidémiologique Suisse (5) a l’intérêt d’unecertaine exhaustivité, puisque l’ensemble de la populationd’un Canton se fait hospitaliser dans un petit nombre delieux d’hospitalisation. Les auteurs ont retenu les 560 pre-mières hospitalisations pour un épisode dépressif majeursur un an, et ont suivi les patients sur 5 ans.

L’étude montre que la grande majorité des sujets (80 %)n’est pas réhospitalisée dans les 5 ans qui suivent cette pre-mière admission, ceux qui avaient déjà eu un épisodedépressif majeur ayant le risque de récidive le plus élevé.Néanmoins, la manière dont s’est passé ce premier séjourà l’hôpital est prédictive du risque de récidive avec ré-hos-pitalisation dans les cinq ans, avec deux indices asseznets : d’une part, la longueur de l’hospitalisation (une courtehospitalisation initiale, de moins de 30 jours, est prédictived’un moindre risque de réhospitalisation), et d’autre part laqualité de l’amélioration symptomatique (la baisse de lasévérité entre la sortie et l’entrée), c’est-à-dire l’impact qu’aeu la prise en charge sur l’épisode dépressif majeur pen-dant cette première hospitalisation. Les facteurs de risqueusuels (âge, emploi, situation maritale, comorbidité, anté-cédents de dépression, sévérité initiale) ne sont pas appa-rus impliqués dans le risque de ré-hospitalisation.

Dans les critères de destinée de la dépression, la pré-cocité du traitement et sa durée sont des éléments essen-tiels. Une étude (11) a été menée sur des groupes desujets jeunes, en les stratifiant sur cette dimension de pré-

cocité de la dépression ou de durée d’évolution. L’objectifde cette étude était d’éviter la confusion habituelle entredépression à début précoce et dépression de longuedurée. Quatre groupes de patients déprimés ont été cons-titués, dont trois selon l’âge de début de la dépression (endébut d’adolescence, en fin d’adolescence, au début del’âge adulte), le quatrième groupe étant constitué depatients souffrant de dépressions persistantes (évoluantdepuis plus de deux ans au moment de l’inclusion) ; enfin,il existait un groupe de sujets-contrôle.

Dans ces quatre populations, l’impact des troubles del’humeur sur différents domaines du fonctionnement psy-cho-social et mental des sujets a été évalué. Le fonction-nement psychosocial et la qualité de vie des individus(nombre et impact des événements de vie, capacité à faireface, qualité du réseau social et familial, fonctionnementpsychique…) sont ainsi apparus de plus mauvaise qualitéchez les patients souffrant de dépression persistante quedans les trois autres groupes de déprimés. L’impact de lachronicité de la dépression est donc bien plus marqué surla trajectoire de vie des individus que celui du début pré-coce du trouble dépressif. Parmi les données étudiées,l’estime de soi est plus altérée dans les groupes dedépression à début chez l’adulte jeune et de dépressionpersistante. En ce qui concerne l’image maternelle quirenvoie aussi à l’image de soi, le sentiment d’avoir étél’objet d’un rejet maternel est de plus en plus fréquent dansles groupes contrôle, puis de dépressions à début pré-pubère, puis de dépressions ayant débuté lors de l’ado-lescence, puis de dépressions ayant débuté à l’âge adulte,et enfin le plus fréquent dans les dépressions persistantes.L’ensemble de ces résultats confirme l’impact majeur dela durée passée en dépression, et donc l’intérêt d’unerémission la plus précoce et la plus complète possible pourdiminuer le retentissement sur la vie.

La prévention de la rechute est une préoccupationimportante dans le traitement de l’épisode dépressifmajeur. Une large étude a inclus environ 560 patients trai-

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tés pour un épisode dépressif majeur par IRS durant troismois (6). Les 300 répondeurs sous traitement ont ensuiteété randomisés, avec poursuite de l’IRS ou passage sousplacebo durant un an. Les facteurs liés au taux de rechute(qui a été élevé, même dans le groupe maintenu sous IRS)ont été analysés. Les résultats montrent que la rapiditéde la réponse n’était pas prédictive d’un moindre risquede rechute. En revanche, outre la sévérité initiale dutableau, le sexe féminin, et la présence de symptômesneuro-végétatif, on retrouve un impact important du tempspassé en dépression, puisque la chronicité du tableau estassociée à un plus fort taux de récidive.

Ainsi, plus un sujet est traité précocement, moins ilexiste de risques de rechute et de récidive : une réponseplus rapide, de meilleure qualité, permet de réduire larechute et la récidive.

Les courbes de survie illustrant le délai avant récidiveselon le nombre d’épisodes antérieurs (4) montrent bienl’augmentation du risque de récidive (figure 1). Une étudedanoise sur la population nationale, donc exhaustive,montre que le risque de récidive après un premier épisodedépressif majeur est d’environ 50 % après vingt ans desuivi, et que l’on passe, entre le deuxième et le troisièmeépisode, de 50 à 65 % de taux de récidive, la fréquenceaugmentant au fur et à mesure de la répétition des épiso-des. Il existe donc une accélération des cycles des épiso-des dépressifs majeurs dans le cadre de l’évolution dutrouble unipolaire. Ainsi, il est important de mettre en placerapidement, dès le deuxième ou troisième épisode, destraitements non plus curatifs, mais aussi préventifs, pouréviter l’accélération des cycles, et la restriction de l’inter-valle intercritique d’épisode en épisode.

Une étude importante de Judd sur plus de 500 sujetsunipolaires (2) portant sur le décours de l’épisode dépres-sif majeur, montre que les symptômes résiduels ont éga-lement tendance à s’accumuler d’épisode en épisode. Letemps passé en rémission complète est limité (50 %), etdécroît avec le nombre d’épisodes.

Mises en parallèle avec le travail précédent, ces don-nées suggèrent que cette accélération des épisodespuisse provenir de la persistance des symptômes rési-duels.

En dehors de la rechute et de la récidive, la préoccu-pation principale dans l’épisode dépressif majeur est le ris-que suicidaire. Une étude publiée en 2005 (10), a suividurant un an et demi 200 patients, tous traités pourdépression, dont 8 % ont présenté une récidive. En fixantà 1 le risque relatif de suicide pour les patients en rémis-sion complète, les auteurs retrouvent un risque relatif de7,5 pour les patients qui conservent ou ont de nouveau,après un an et demi, les critères d’épisode dépressifmajeur. Et surtout, les répondeurs, (qui ont été en rémis-sion et qui n’ont pas eu de récidive dépressive), ont unrisque relatif suicidaire de 2,5 si leur rémission est incom-plète. Dans cette étude, le réseau social, les antécédentsde tentative de suicide, et le temps cumulatif de dépres-sion, faisaient partie des facteurs prédictifs intermédiairesimpliqués.

L’évaluation des patients après un épisode dépressifdoit donc aller au-delà de la simple estimation d’uneréponse au traitement, pour rechercher l’ensemble dessymptômes dépressifs, conduisant le cas échéant à modi-fier la stratégie thérapeutique. On vise ainsi à améliorerl’état du patient, mais aussi à réduire le risque de rechuteet de récidive, à atténuer l’impact sur la qualité de vie ousur des événements de vie négatifs, et à réduire le risquede tentatives de suicide.

LE DESTIN DU PSYCHIATRE DANS L’ÉPISODE DÉPRESSIF MAJEUR

La densité de psychiatres est moins importante dansles autres pays européens qu’en France, ce qui conduità des propositions de réseau de soins dans lequel le psy-chiatre est moins directement impliqué avec le patient.Une publication récente du BMJ (20 janvier 2006) décritun réseau composé d’un psychiatre coordinateur joigna-ble par téléphone, auquel sont rattachés 200 référentsinfirmiers, travailleurs sociaux… et qui gèrent, en ce quiconcerne la prévention et le traitement, 2 000 personnesâgées présentant un épisode dépressif majeur. Les infir-miers et les travailleurs sociaux se rendent chez lespatients ou dans les institutions, et rendent compte del’état du patient à un médecin généraliste, qui, lorsqu’il ren-contre une difficulté sortant de la conduite hiérarchiqueproposée sur les arbres décisionnels, contacte téléphoni-quement le psychiatre pour élaborer des solutions théra-peutiques alternatives adaptées. Ces structures, articu-lées autour du psychiatre, apparaissent très efficaces,avec pour les patients traités une meilleure réponse autraitement : jusqu’à un suivi de deux ans, les taux derechutes et de récidives sont moindres, et le fonctionne-ment est meilleur.

S’il faut éviter le destin de la récidive et de la rechute,il est également important d’évaluer si les traitements anti-dépresseurs prescrits par le psychiatre permettent uneFIG. 1. — La récidive comme destin ? (d’après 4)

Trouble unipolaire

0 5 10 15 20 250,00,10,20,30,40,50,60,70,80,9

1

Sur

vie

Fréquence (an)

• 50 % après 1 épisode• 70 % après 2 épisodes• 90 % après 3 épisodes • Agency for Health Care Policy and Research• NIMH 431 EDM • 60 % à 5 ans • 85 % à 15 ans

Fréquence de la récidive du trouble affectif unipolaire

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réelle prévention. Un travail de 1998 (8) montre de façonclaire que chaque passage de l’antidépresseur vers le pla-cebo augmente rapidement le risque de rechutes : plus letraitement est conservé longtemps, plus faible est le tauxde récidive. Le maintien du traitement est donc bien unedes stratégies importantes dans la prévention de larechute et de la récidive.

L’INTÉRÊT DE « L’ACHARNEMENT THÉRAPEUTIQUE » DANS L’EDM

L’étude STAR-D détaille plusieurs étapes et différentsniveaux hiérarchiques dans le soin des patients(figure 2) (9). Il s’agit d’une très belle étude, portant surplus de 3 600 sujets, et dans laquelle les stratégies thé-rapeutiques sont très rigides : tous les patients ont lemême type de prise en charge et, en cas de non-réponseà une étape, le passage à l’étape suivante est systéma-tique. Le taux de perdus de vue a été relativement faible,rendant cette étude informative. Les résultats montrentque la proportion de patients considérés comme répon-deurs (c’est-à-dire ayant une rémission stable suffisam-ment longue) est plutôt faible. Mais l’intérêt essentiel decette étude est de montrer que chaque changement destratégie permet de faire passer de nouveaux patientsdu groupe non-répondeurs vers le groupe répondeur :chaque étape permet effectivement de recruter despatients qui vont être répondeurs, alors qu’ils ne l’étaient

pas à l’étape précédente. Les différentes stratégies« d’acharnement thérapeutique » (augmenter lesdoses, changer le traitement, mettre en place des trai-tements d’aide au maintien, comme le lithium ou lesextraits thyroïdiens) sont donc efficaces.

Ce que font exactement les antidépresseurs pour pro-téger les sujets reste mystérieux. L’équipe de Goodwin,à Londres, travaille sur les effets des antidépresseurschez les sujets sains. Une étude réalisée selon une doubleapproche, cognitive et en imagerie, montre que la manièrede percevoir l’émotion exprimée par un visage est modi-fiée par la prise d’antidépresseurs, y compris chez lespatients non déprimés. Des étudiants ont reçu pendantsept jours un traitement antidépresseur : ils reconnaissentun visage exprimant la colère, ou le dégoût, de manièrecomparable, qu’ils soient ou non sous IRS ; en revanche,ils identifient moins facilement un visage qui exprime lapeur quand ils sont sous antidépresseur que lorsqu’ils n’enprennent pas (1). De plus, l’activation amygdalienne etpréfrontale est différente chez les sujets sous IRS. Lacapacité à reconnaître l’émotion d’autrui est donc modifiéepar un antidépresseur, sans que cela passe par des modi-fications de l’humeur : cette modification apparaît quasi-ment neurobiologique.

LE DESTIN EST-IL GÉNÉTIQUE OU ENVIRONNEMENTAL ?

L’héritabilité des troubles bipolaires est d’environ 80 %,celle des troubles de l’humeur en général de 40 à 50 % :il y a donc une vulnérabilité individuelle génétique. Maisles événements de vie stressants et l’environnementjouent également un rôle important.

Une étude parue en 2006 (3) a porté sur une populationde 200 enfants, dont 100 avaient été maltraités demanière violente et précoce, et placés en famillesd’accueil. Les sujets contrôles étaient comparables maisnon maltraités. Ce travail a montré d’une manière expliciteque le cadre de vie, en particulier la qualité du supportsocial de la famille adoptive, étaient très importants dansla gestion du stress, et que le fait d’avoir été maltraité dansl’enfance avait un rôle considérable dans la déterminationde la dépression au moment de l’évaluation. Mais il a aussimontré que certains facteurs génétiques (les facteurs neu-rotrophiques comme le BDNF, ou le gène transporteur dela sérotonine) pouvaient être impliqués dans la réponseaux antidépresseurs non pas seulement de manière iso-lée, mais également en interaction avec l’existence d’unemaltraitance infantile. Il s’agit d’un nouvel exemple d’inte-raction gènes-environnement : des gènes participent àl’expression du trouble, mais pour les analyser, les com-prendre, retrouver leur rôle, il faut le faire dans le cadred’autres événements avec lesquels ils interagissent. Laprédictivité de l’épisode dépressif apparaît ainsi, dans cetexemple, un mélange subtil entre la maltraitance, la qua-lité du milieu de vie, et des facteurs de vulnérabilité géné-tiques.

FIG. 2. — Le destin favorable de l’acharnement thérapeutique dans l’EDM (d’après 9).

• Quatre étapes proposées face à un EDM par des Alternatives Thérapeutiques Séquentiellepou le Soulagement de l’HUmeur (ATTSHU... STAR*D).• 3671 consultants pour EDM non psychotique traité par 1 à 4 étapes de traitement.• Suivi 12 mois à chaque étape fixée.• Les taux de rémission à chaque étape sont de

• 36,8 %• 30,6 %• 13,7 %• 13,0 %

• Taux cumulatif de rémission de 67 %.• Plus tardive, et incomplète, est la rémission,plus fréquente est la rechute.

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LE DESTIN PRÉCOCE DE LA DÉPRESSION AU NIVEAU DU STRESS

De très nombreuses études cherchent à comprendrecomment le stress précoce peut avoir un rôle, à terme, surl’émergence de l’épisode dépressif majeur. Elles portentpar exemple sur les facteurs précurseurs de l’axe hypo-thalamo-hypophyso-corticosurrénalien (axe HPA) etnotamment le CRF qui est un de ses précurseurs et quipeut rendre compte de nombreux symptômes affectifs,qu’ils soient anxieux ou thymiques. Or la capacité à modu-ler cet emballement de l’axe HPA au moment du stressdépend également des récepteurs au CRF, qui doiventêtre capables de freiner l’axe lorsqu’il s’emballe.

Un travail récent (7), a montré que le fait de séparer lessouriceaux de leur mère à la naissance et de les manipulerde main en main (handling) réduit le niveau d’expressionde ces récepteurs, peut-être par des phénomènes apop-totiques, venant expliquer que des facteurs précoces peu-vent avoir des effets à très long terme. Une des explica-tions possibles de ces phénomènes est liée aux processusde méthylation.

Lorsqu’existent des facteurs stressants, la nécessitéd’exprimer les récepteurs aux glucocorticoïdes ou au CRFfait que l’organisme sollicite ces gènes pour transcrire lesprotéines correspondantes. Mais lorsque le stress sur-vient, certaines régions du gène sont méthylées, le ren-dant alors inaccessible pour la transcription, et empêchentainsi donc l’expression du récepteur aux glucocorticoïdes(ou au CRF) qui permettrait pourtant d’éviter l’emballe-ment de l’axe HPA. Or les interactions précoces de la mèreavec le petit conduisent à une déméthylation des récep-teurs, permettant donc un accès aux facteurs génétiques,et autorisant l’expression de ces gènes. Ces interactionsdes mères avec leurs petits qui conduisent à une démé-thylation des récepteurs, font intervenir les facteurs neu-rotrophiques, et les jeunes souriceaux auront une réacti-vité au stress moindre sur toute leur vie, et donc uneréaction de maternage avec leurs propres petits qui serade meilleure qualité. On explique ainsi une transmissionintergénérationnelle non génétique, mais fondée surl’expression des facteurs génétiques. C’est cette nouvelleapproche qu’on appelle l’épigénétique.

CONCLUSION

La destinée de la dépression apparaît donc complexe,avec des manifestations précoces et aspécifiques de l’épi-sode dépressif majeur, des facteurs de risques intriqués,donc difficiles à identifier, et des possibilités thérapeuti-ques avant, pendant et après l’épisode. La notiond’« acharnement thérapeutique » est importante : nousavons tout à gagner au fait que les patients soient répon-deurs, qu’ils soient pris en charge précocement, maisaussi qu’ils sortent de l’épisode avec une qualité de rémis-sion telle que leur pronostic au long cours s’améliore.

Références

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