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Directeur honoraire Jacques Ghestin Professeur émérite de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne Dirigée par Guillaume Wicker Professeur à l’Université de Bordeaux BIBLIOTHÈQUE DE DROIT PRIVÉ TOME 606 LE FAIT DE LA CRÉATION EN DROIT D’AUTEUR FRANÇAIS ÉTUDE DE L’ARTICLE L. 111-2 DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Alexandre Portron Préface de Philippe Gaudrat

Le fait de la création en droit d'auteur français

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ALEXANDREPORTRON

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L’article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle répute le « fait de lacréation » par le « fait de la réalisation » de la « conception de l’auteur ». L’« œuvrede l’esprit » qui en résulte est l’objet de la propriété incorporelle de l’auteur.Cette thèse propose un prisme de lecture à l’acception juridique de la création :le réalisme philosophique. Ce prisme fournit une analyse causaliste à l’« œuvrede l’esprit », une approche de l’acte créatif et une amorce de réflexion sur l’esprit.

La lecture proposée tente d’offrir des pistes de réflexions à certains débatsde la matière comme le rôle de l’originalité, les notions d’œuvre, de formeet d’idée, la théorie de l’unité de l’art ou encore le rôle de l’agent de la réalisa-tion. Le prisme adopté est aussi l’occasion d’approfondir des questions tellesque l’importance du moyen technique, la question des « cumuls de protec-tions », ou encore l’identification des fondements théoriques et philosophiquesdu droit d’auteur.

La lecture réaliste développée dans cette thèse est une proposition dontles conclusions touchent à quelques enjeux actuels allant de la motivationjudiciaire de la qualification d’« œuvre de l’esprit » à certaines des questionsposées par l’« intelligence artificielle ».

9 782275 088259ISBN 978-2-275-08825-9www.lgdj-editions.fr Prix : 57 €

Directeur honoraireJacques GhestinProfesseur émérite

de l’Université de Paris 1Panthéon-Sorbonne

Dirigée parGuillaume WickerProfesseurà l’Universitéde Bordeaux

BIBLIOTHÈQUEDE DROITPRIVÉ

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Directeur honoraireJacques GhestinProfesseur émérite

de l’Université de Paris 1Panthéon-Sorbonne

Dirigée parGuillaume WickerProfesseurà l’Universitéde Bordeaux

BIBLIOTHÈQUEDE DROITPRIVÉ

TOME 606

LE FAIT DE LA CRÉATIONEN DROIT D’AUTEUR FRANÇAIS

ÉTUDE DE L’ARTICLE L. 111-2DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Alexandre Portron

Préface dePhilippe Gaudrat

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BIBLIOTHÈQUEDE DROITPRIVÉ

TOME 606

Directeur honoraireJacques GhestinProfesseur émérite

de l’Université Paris 1Panthéon-Sorbonne

Dirigée parGuillaume WickerProfesseurà l’Universitéde Bordeaux

LE FAIT DE LA CRÉATIONEN DROIT D’AUTEUR FRANÇAIS

ÉTUDE DE L’ARTICLE L. 111-2DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Alexandre PortronMaître de conférences à l’Université de Poitiers

Préface dePhilippe Gaudrat

Professeur émérite de l’Université de Poitiers

Bibliothèque de droit privé fondée par Henry SolusProfesseur honoraire à la Faculté de droitet des sciences économiques de Paris

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© 2021, LGDJ, Lextenso1, Parvis de La Défense92 044 Paris La Défense Cedexwww.lgdj-editions.frISBN : 978-2-275-08825-9 ISSN : 0520-0261

Thèse retenue par le Comité de sélection de la Bibliothèque de droit privéprésidé par Guillaume Wicker et composé de :

Dominique BureauProfesseur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Cécile ChainaisProfesseur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Dominique FenouilletProfesseur à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Laurence IdotProfesseur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas

Thierry RevetProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Pierre SirinelliProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Geneviève VineyProfesseur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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PRÉFACE

Le présent ouvrage bénéficia d’une sorte d’esquisse – ou, pour mieux dire,d’un prélude : un remarqué mémoire de master 2 recherche dans lequel, avec untalent précoce, l’auteur soutenait que le choix simple n’ouvre pas la porte du droitd’auteur1 : en effet, ou bien la conception, dont il tient lieu, vient après la réali-sation, ou bien, quand il la précède, s’il est simplement technique, il ne peut pasêtre expressif. Or, ayant, dans la lecture du philosophe Heidegger, puisé la convic-tion que le modèle des causalités aristotéliciennes rendait exactement compte del’engendrement de l’œuvre, ces deux hypothèses faisaient également obstacleà son originalité, envisagée comme empreinte de personnalité. On trouvait, déjà,dans ce premier écrit, une combinaison habile de philosophie et de science (avecune touche d’histoire) au service d’une démonstration purement juridique. Pourautant, même s’il est vrai que la méthode s’y poursuit, la thèse ne se borne pasà être le simple développement de ce mémoire aux allures de petit traité. Ellereprend, bien sûr, pour point de départ, la formulation de la présomption de faitcréatif qui figure dans la loi à l’article L. 111-2 CPI (puisque c’est l’alpha etl’oméga du droit d’auteur) ; mais c’est pour, en première partie, explorer lesdimensions primitivement délaissées de la conception de l’auteur et, en secondepartie, investiguer celles entièrement ignorées de la réalisation.

Le premier titre entre, logiquement, dans l’exploration des dimensionsincluses dans la conception de l’auteur par le biais du débat qui divise la doctrine(depuis l’inclusion forcée du logiciel dans le droit d’auteur) entre acception sub-jective et objective de l’originalité. Est, tout d’abord, rigoureusement démontréque, bien que le concept ne soit pas nommé dans la loi (ou pas à la place qu’ilmériterait), le réalisme qui sous-tend l’énoncé législatif impose une prise encompte implicite de l’empreinte personnelle au sein du processus expressif. À quoise plie la jurisprudence, depuis le xixe siècle. En revanche, la substitution d’unpur choix (diversement qualifié pour rendre compte de ses applications) à l’em-preinte est une innovation prétorienne sans aucun ancrage dans la loi de 1957 : lechoix n’est, en effet, qu’une étape tardive à l’intérieur du processus créatif, laquellene suffit pas à le caractériser tout entier. En découle que tous les nouveauxchamps auxquels on réserve ce critère remanié (art conceptuel, par exemple) sontarbitrairement – et non naturellement – couverts par la législation du droit d’au-teur : qui trop embrasse, mal étreint.

Le titre second est, lui, consacré à tout ce qui est nécessairement rejeté horsde la conception de l’auteur. Un premier chapitre offre une heureuse occasion dereprendre la théorie des formes, à défaut de laquelle le droit d’auteur est

1.A. Portron, Élection et création, réflexions sur les influences de la technique en propriétélittéraire et artistique, mémoire Poitiers, 2013.

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irrémédiablement privé de son principe explicatif : en quête d’un intelligible quilui permette, à la fois, d’identifier l’exact objet de protection et d’en exclure lesidées, l’auteur met en évidence, chez Plotin, une caution intellectuelle (sinon spi-rituelle) de la notion de forme interne (forme intérieure à l’esprit du créateur quiest projetée dans l’œuvre), dont il fait une présentation claire en quelques pagesdécisives. À partir de quoi, il dénoue l’imbroglio doctrinal, qui s’était constituéentre forme sensible et intelligible. Il est, à présent, presque inévitable que lesecond chapitre se recentre sur les conceptions techniques. Ce qui disqualifie latechnique est son caractère gratuitement instrumental. Elle n’induit, par consé-quent, d’exclusion que lorsqu’elle devient une fin en soi. Aussi, une contingencetechnique (dans la conception) offre-t-elle encore un espace à la protection pardroit d’auteur, car une destination industrielle ne fait pas plus obstacle à l’em-preinte d’une personnalité qu’un propos esthétique ne la garantit : en cela, seule-ment, il y a unité de l’art. Mais ce principe n’autorise nullement le cumul desprotections, comme le prône une partie de la doctrine : la forme que retient ledroit d’auteur est intelligible, quand celle que saisit la propriété industrielle estexterne. En cas de cohabitation des protections, ce n’est pas la même forme quiest protégée : on ne peut donc parler de cumul au sens strict. En revanche, uneessence technique de la conception emporte une exclusion sans appel. Encorefaut-il distinguer : il est normal, au sein d’un processus d’expression, qu’unepartie de l’opération de conception consiste à plier le mode d’expression choisi(conception méthodologique) à la forme que l’on veut exprimer (conception thé-matique). L’auteur suggère d’affiner encore cette étape2. En revanche, lorsquecette conception méthodologique est au service d’une conception thématique denature également technique (problème à résoudre, dans le cas du logiciel), il n’ya, alors, tout simplement plus rien à exprimer…

Après avoir, ainsi, approfondi tous les aspects mentaux du fait créatif,Alexandre Portron, consacre la seconde partie de sa thèse à l’extériorisation maté-rielle de ce que l’auteur a conçu : autrement dit, au versant de la réalisation qu’ilenvisage sous le rapport de l’agent (Titre 1), puis de l’instrument (Titre 2).

Quant à l’agent, il décline, méthodiquement, toutes les singularités qu’intro-duit la nécessité d’une matière pour rendre la forme d’expression communicableà un public. Elle fait apparaître une double propriété, corporelle et incorporelleet conduit à un double jugement, d’existence de la « forme sensible » et d’achè-vement de la « forme intelligible » ; donnant, de ce fait, le primat à un attributmoral de divulgation. On peut douter que ce dernier s’épuise par le premier exer-cice : il ne garantirait alors que le contrôle de la révélation de la forme à sonpublic (ce qui ferait double emploi avec la détention de l’original) et ne condi-tionnerait plus l’efflorescence de tous les attributs de la propriété à l’acte juri-dique de divulgation. Mais la réponse de la Cour de cassation – qui hésite, aprèsavoir inventé et consolidé l’attribut pendant cent cinquante ans – n’est pasencore définitivement arrêtée. Puis il entre dans le détail des difficultés qu’intro-duit la réalisation tantôt par l’auteur, tantôt par un tiers. La réalisation parl’auteur est l’occasion de s’interroger sur la part que celle-ci occupe dans l’ori-ginalité de l’œuvre. En dépit de certaines réserves doctrinales, il semble bienqu’elle s’efface (conformément à la théorie de l’action volontaire d’Aristote) : laconcrétisation qu’elle apporte peut, certes, amener à préciser la forme interne ;

2.V. infra n° 244.

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PRéFACE VII

mais l’exécution demeure foncièrement neutre : même l’irruption de l’incons-cient est inséparable du projet de l’artiste. Les thèses maniéristes ne remettentrien en cause : il suffira, en cas de contentieux, à l’auteur d’établir qu’il a penséla façon de manière à ajouter à l’empreinte. Dès lors, la réalisation par autrui nesoulève plus aucune difficulté : soit, le « réalisateur » a interprété l’œuvre inter-médiaire, par le truchement de laquelle le concepteur lui a communiqué sonprojet, et il est coauteur. Soit, il a scrupuleusement exécuté la conception d’autrui,et il n’est qu’un simple travailleur.

Cette réhabilitation des causalités s’achève sur la dernière, encore inexplo-rée : la cause instrumentale. Le dernier titre est, en effet, consacré au moyen de laréalisation. L’outil et la machine (en tant que prolongements de la main del’homme) sont, d’abord, replacés dans une perspective spatio-temporelle. Unepremière réflexion, classique, est consacrée à l’influence de l’outil sur le tempschronologique (quantitatif) de la réalisation ; puis une seconde, une fois acquisel’instantanéité de la réalisation, est consacrée, de manière plus novatrice, à soninfluence sur son temps kaïrique (qualitatif) : ainsi, dans la photographie spon-tanée, l’auteur déclenche la réalisation lorsqu’il pressent que, en cet instant précis,sont en place tous les éléments de l’image dont il poursuivait la conception : cechoix-là est clairement créatif dans la mesure où il assure le lien entre la concep-tion et la réalisation du cliché. Mais, c’est lorsqu’il en vient à traiter de l’automate,c’est-à-dire de la machine qui s’affranchit de l’homme, qu’il est attendu : se pour-rait-il qu’il existe une « œuvre de l’esprit » sans esprit ? Car n’est vraiment« esprit » (selonAristote et Plotin) que ce qui articule lamémoire avec la conscienceà travers la capacité imaginative. À défaut, l’automate numérique pourra, sansdoute, produire du nouveau, mais non de l’original ; comme dans la réalisationintitulée the next Rembrandt : où est l’intelligible ? Le sujet peint n’existe pas etrien, à propos de ce néant, n’est exprimé… La question fondamentale est : l’espritest-il un effet de l’organisation neuronale du cerveau ou le cerveau n’est-il quel’interface d’une substance insaisissable que l’on nomme esprit ? L’auteur s’enremet sagement aux spécialistes des sciences cognitives ainsi que de la philosophiede l’esprit : il constate que, en l’état d’avancement de la Science, il n’existe aucunargument définitif obligeant à renoncer à l’approche aristotélicienne (mais n’ex-clut pas que cela puisse advenir). Il faut donc conclure que les réalisations desrobots numériques sortent du champ d’application de la loi. On ne saurait, pourautant, soutenir qu’elles doivent demeurer sans protection : la porte reste doncouverte (si jugé opportun par le législateur) à un simple monopole économique.La propriété, en revanche, doit être écartée.

La démonstration fait usage d’une écriture concise (trois cent cinquantepages dans sa version dactylographiée), avec des formulations heureuses quitémoignent d’une pensée forte et cohérente. L’ouvrage a de quoi dérouter : pour-quoi convoquer le père de la Philosophie pour expliquer le bref article L. 111-2CPI ? Faut-il y voir une subtile influence de Heidegger, après Kant, sur le droitfrançais ? Bien plutôt une synchronicité : la philosophie du Stagirite était déjà enacte dans les textes révolutionnaires – et même deux siècles avant, dans la plai-doirie de Marion –, car elle irrigue la pensée européenne et explique si bien lapropriété incorporelle qu’on lui trouve même une place de choix en droit commundes biens corporels… À ce titre la thèse n’est pas désuète, mais, au contraire,pleinement d’actualité : elle remet de l’ordre dans une discipline qui en manquait

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cruellement et pourrait utilement inspirer la jurisprudence communautaire, bal-lottée, sans modèle, entre approche personnaliste et objectiviste du fait créatif.Sans doute, la découverte de ce que la conscience est matériellement explicable,bousculerait cette sérénité millénaire. Mais rien, pour le moment, ne le laisseprésager…

Philippe GaudratProfesseur émérite de l’Université de Poitiers

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LISTE DES ABRÉVIATIONS PRINCIPALES

a., art. articleact., actu. actualitésA.D. Anno Domini, après Jésus-ChristADPIC Accord sur les aspects des Droits de Propriété

Intellectuelle qui touchent au Commerceall. allemandA. N. Assemblée NationaleAnn. propr. ind. Annales de propriété industrielle, artistique

et littéraireAPLAES Association des Professeurs de Langues

Anciennes de l’Enseignement SupérieurAss. plén. ou AP Assemblée plénièreB.C. Before Christ, avant Jésus-ChristBull. civ. Bulletin civilBGBl Bundesgesetzblatt, Journal officiel fédéral

de la République fédérale d’AllemagneBJS Bulletin Joly Sociétésc/ contreCA Cour d’appelCass. Cour de cassationch. chambrechron. chroniqueCiv. Civil(e)CJUE Cour de Justice de l’Union EuropéenneCom. Commercial(e)comm. commentaireCCE Communication Commerce électroniqueClunet Journal de droit internationalconcl. conclusion(s)confer comparer aveccontra en sens contraireC.P.I., CPI et C. propr. intell. Code de la propriété intellectuelleCrim. Criminel(le)CSC Supreme Court of Canada, Cour suprême

du Canadadoctr. doctrineD. Recueil DallozDP Recueil Périodique et critique mensuel Dallozdir. direction de l’ouvrageEc European council, Conseil européen

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fasc. fasciculeFCAFC Federal Court of Australia Full Court,

Cour Fédérale d’Australie Cour plénièreGaz. Pal. La Gazette du PalaisGmbH Gesellschaft mit beschränkter Haftung, Société

à responsabilité limitée de droit allemandgr. grecGRHIL Groupe de Recherches Interdisciplinaires

sur l’Histoire du Littéraireibid. ibidem, au même endroiti.e. id est, c’est-à-direinf. rap. informations rapidesinfra plus bas dans le texteJCP E Juris-Classeur Périodique édition EntrepriseJCP G Juris-Classeur Périodique édition GénéraleJDE Journal de Droit Européenjuris. jurisprudencelat. latinLEPI L’Essentiel du droit de la Propriété IntellectuelleLPA Les Petites AffichesL.R.C. Lois et Règlements codifiés du CanadaLtd Limitedno, No, n. numéronéerl. néerlandaisnon-A non-aristotélicienobs. observation(s)OMPI Office Mondial de la Propriété Intellectuelleop. cit. opus citatum, ouvrage citép. page(s)PI Propriétés IntellectuellesPIBD Propriété Intellectuelle – Bulletin Documentairepro dans le même sensPropr. Indus. Propriété IndustriellePty Proprietary CompanyPub. L. Public Law, Loi du Congrès américainQCCA Quebec court of appeal, Cour d’appel

de la province du Québecqu. questionRAE Revue des Affaires EuropéennesRCS Recueil des arrêts de la Cour suprême

du CanadaRFPI Revue Francophone de la Propriété

IntellectuelleRIDA Revue Internationale du Droit d’AuteurRJC Revue de Jurisprudence CommercialeRLDI Revue Lamy Droit de l’ImmatérielRTD civ. Revue Trimestrielle de Droit civilRTD com. Revue Trimestrielle de Droit commercialRTD eur. Revue Trimestrielle de Droit européen

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LISTE DES ABRéVIATIONS PRINCIPALES XI

S. Recueil Sireys. suivant(s)SA Société AnonymeSARL Société À Responsabilité Limitéesect. sectionsic. textuellementSoc. Social(e)somm. sommaires de jurisprudenceSpA Società per Azioni, Société par Actions de droit

italienSté Sociétésupra plus haut dans le texteTGI Tribunal de Grande InstanceT. civ. Tribunal civilT. corr. Tribunal correctionnelvol. volumevs versus, contre

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PARTIE IUNE CONDITION ESSENTIELLE :LA CONCEPTION DE L’AUTEUR

Titre I : L’acception positive de la conception de l’auteur

Chapitre 1. L’acception subjective de la conception de l’auteurChapitre 2. L’acception objective de la conception de l’auteur

Titre II : L’acception négative de la conception de l’auteur

Chapitre 1. Les conceptions idéellesChapitre 2. Les conceptions techniques

PARTIE IIUNE CONDITION NÉCESSAIRE ET NON SUFFISANTE :

LE FAIT DE LA RÉALISATION

Titre I : L’agent de la réalisation

Chapitre 1. L’action de l’agent de la réalisationChapitre 2. L’identité de l’agent de la réalisation

Titre II : L’instrument de la réalisation

Chapitre 1. La dimension physique de la réalisationChapitre 2. La dimension métaphysique de la réalisation

CONCLUSION GÉNÉRALE

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« […] le droit est indépendant de sa jouissance et la reconnais-sance d’un droit dans la cité s’élève au-dessus de son exploitation pourne discerner que sa cause spirituelle chez l’homme, et son rapport avecla vie de la cité »1.

Marcel Plaisant

1.M. Plaisant, Traité de droit conventionnel international concernant la propriété industrielle,Paris, France, Sirey, 1949, p. 3.

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INTRODUCTION

1. Aristotélisme du droit d’auteur français – « Ne vous laissez pas impression-ner par ces mots : non-aristotélicien désigne simplement un esprit qui ne se conformeplus au mode de pensée figé depuis bientôt 2000 ans, des disciples d’Aristote »1. Voicicomment le romancier américain Van Vogt se défendait, en 1970, de la com-plexité prêtée à son ouvrage Le monde des non-A. Ce roman (traduit en françaispar Boris Vian) a marqué en France « […] le point de départ de l’intérêt pour lascience-fiction »2. Van Vogt y décrit une société qui rejette les postulats de la pen-sée aristotélicienne (« non-A » signifiant « non-aristotélicien »). Cette société ima-ginée par Van Vogt n’est pas (encore ?) d’actualité, aussi n’y a-t-il pas de réellesurprise à ce que cette étude ait pour point de départ la découverte de vestigesaristotéliciens, dans les formules adoptées par le législateur pour encadrer le « faitde la création ». Ce constat implique, pour son examen, le recours à un lexiquespécifique, parfois extra-juridique, pour comprendre l’acception légale du « faitde la création ». À vrai dire, cette inspiration aristotélicienne ne saurait réellementsurprendre tant le droit civil français semble redevable à ce penseur3. L’aristoté-lisme de la loi du 11 mars 1957 trouve peut-être une justification historique dansle fait que la reconnaissance juridique d’un droit des « auteurs » est apparue à uneépoque, le xviiie siècle, où l’aristotélisme demeurait une influence majeure ; depuisl’« inévitable »4 droit naturel jusqu’à l’une des théories philosophiques les plusinfluentes de l’histoire des idées : la théorie des causalités.

2. Causalisme aristotélicien et droit – Au xxe siècle encore, l’aristotélismereste profondément ancré dans la pensée des plus brillants esprits juridiques. C’estainsi que Jhering affirme : « Il faut pour que la volonté agisse, une raison suffi-sante, une cause. C’est la loi universelle. Mais, dans la nature inanimée, cette causeest d’essencemécanique (causa efficiens) ; elle est psychologique lorsqu’il s’en va dela volonté : celle-ci agit en vue d’une fin, d’un but ([…] causa finalis). La pierre netombe pas pour tomber, mais parce qu’elle doit tomber, parce que son soutien lui estenlevé. L’homme qui agit n’agit point parce que, mais afin que – afin d’atteindre tel

1.A.E. Van Vogt, Le monde des non-A, Paris, France, J’ai lu, 2001, p. 305.2. Ibid., p. 303-304.3.Voir sur ce point : M. Villey, « Questions sur l’ontologie d’Aristote et le langage du Droit

Romain », Hommage à Robert Besnier, professeur honoraire à l’Université de droit, d’économie et desciences sociales de Paris, Paris, France, Société d’histoire du droit, 1980, p. 299-306.

4.« Entendons que ni [la loi], ni [la décision de justice] ne peuvent dicter la solution à appliquerdans telle ou telle espèce ; le droit n’y sera trouvé qu’au terme d’un raisonnement élaboré à partir de cestopiques, de ces arguments à concilier. […] c’est que ce raisonnement ne peut s’appuyer seulement sur lessources formelles. Il est indispensable qu’il retienne aussi l’ensemble des données issues de la naturehumaine réelle (situation matérielle, historique, … exigence morales, idéales, …). Si la loi peut êtreinjuste, le droit ne peut l’être. La référence au droit naturel est le seul procédé d’élimination des loisinjustes ; et nul ne peut s’offrir le luxe de s’en priver » C. Atias, « Réflexions sur les méthodes de lascience du droit (Exemples de droit des biens) », Recueil Dalloz, 1983, chron. XXVI, p. 148, n° 13.

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ou tel but. Cet afin régit aussi inéluctablement l’action de la volonté que le parce quedétermine le mouvement de la pierre qui tombe. Un acte de volonté sans cause finaleest une impossibilité aussi absolue que le mouvement de la pierre sans cause effi-ciente »5. Le lexique particulier adopté par Jhering dans cet extrait est celuid’Aristote qui, le premier, propose d’expliquer l’existence des « choses »6 parl’articulation de quatre causes distinctes : la « cause finale », la « cause motrice »ou « efficiente », la « cause formelle » et la « cause matérielle »7. Cette théorie descausalités n’est d’ailleurs pas étrangère à certaines lectures doctrinales du droitd’auteur comme, par exemple, celle de Pouillet qui affirme de la création qu’elleest « la cause efficiente de la propriété littéraire et artistique »8.

3. Causalisme aristotélicien et droit des biens – Le professeur Dross affirmeque le droit des biens dans son ensemble s’appuie sur les causalités aristotéli-ciennes : « Il faut emprunter ici à Aristote sa théorie des quatre causes […] qu’il-lustre l’exemple de la statue équestre […]. Si l’on demande ce qui fait que la statueexiste, on doit y trouver selon le Stagirite le résultat de la conjugaison de quatrecauses distinctes. Si la statue est, c’est parce qu’ont concouru à son existence unecause matérielle (le bloc de marbre), une cause formelle (l’image du cavalierqu’elle reproduit), une cause effective (l’action du sculpteur), enfin une cause finale(le but que le sculpteur a poursuivi : rendre hommage au cavalier par exemple).Les institutions civiles, et pour le point qui nous retient ici, la propriété privée,doivent pareillement pouvoir relever de cette analyse […] L’existence de la

5.R. von Jhering, L’évolution du droit, Paris, France, Chevalier-Marescq et Cie, 1901, p. 2(soulignés par l’auteur).

6.Sur les origines étymologiques et sémantiques du terme en français : « Comment res a pudégénérer en chose (via causa) ? […] la realitas de la res, c’est le concernement. Cependant, les Romains,s’ils parlent latin, pensent néanmoins en grec. Or le grec ignore la res dans sa généralité, il ne connaît quele ceci, le tode ti, et les espèces déterminées sous lesquelles il se donne selon les rapports déterminés quenous entretenons avec lui, rapport pratique (ta pragmata), rapports spéculatifs, etc. Mais, il n’y a aucunmot grec dont l’extension soit comparable à celui de res, sinon to on (comme équivalent de l’ens latin),qui signifie ce qui est présent, ce qui est représenté, soit qu’il n’est présent que dans la représentation, etdevient alors ens rationis, soit qu’il est présent en soi et devient alors substantia » J.-L. Vullierme, « Lachose, (le bien) et la métaphysique », Archives de philosophie du droit, 1979, vol. 24, p. 45 ; voir sur ladistinction avec la notion de « bien » : W. Dross, Droit civil. Les choses, Paris, France, LibrairieGénérale de Droit et de Jurisprudence, 2012, p. 1, n° 1.

7.Exprimé en ces termes sous la plume du Stagirite : «D’une certaine façon donc, on appelle causece à partir de quoi quelque chose advient, et qu’il lui appartient de manière immanente, par exemple lebronze est cause de la statue, l’argent de la coupe, ainsi que les genres de ceux-ci [(cause matérielle)].D’une autre façon, elle est la spécificité et le modèle, c’est-à-dire la définition de ce-qu’était-être et les genresde celle-ci (par exemple, le genre de l’octave est le rapport de deux à un, et en général le nombre), ainsi queles parties qui se trouvent dans la définition [(cause formelle)]. En outre, elle est ce d’où vient le premierprincipe du changement ou du repos, par exemple celui qui a délibéré est cause, ainsi qu’un père de sonenfant, et d’une manière générale ce qui produit de ce qui est produit et ce qui fait changer de ce qui change.Elle s’entend encore comme la fin, c’est-à-dire ce en vue de quoi, comme la santé est la fin de la promenade.Pourquoi se promène-t-on ? Nous dirons que c’est pour être en bonne santé, et, ayant dit cela, nous pensonsavoir donné la cause [(cause finale)]. Telles sont aussi, dans le cas où ce qui a mû est autre chose, toutes lesétapes intermédiaires avant la fin, comme pour la santé l’amaigrissement, la purgation, les remèdes ou lesinstruments, car ils sont en vue de la fin, et ils diffèrent entre eux en tant que les uns sont des activités, lesautres des instruments [(cause efficiente)]. Voici à peu près toutes les façons de dire les causes […] »Aristote, La physique, 2e édition, Paris, France, Librairie Philosophique Vrin, 2008, p. 107-108.

8.E. Pouillet, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit dereprésentation, Paris, France, Marchal, Billard et Cie, 1908, p. 34, n° 12 ; dans le même sens « Lapropriété intellectuelle ne peut trouver sa cause que dans un acte intellectuel, non dans un acte matérieltel qu’un prêt d’outils » P. Gaudrat, « Les démêlés intemporels d’un couple à succès : le créateur etl’investisseur », Revue Internationale du Droit d’Auteur, octobre 2001, vol. 190, p. 135.

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INTRODUCTION 3

propriété privée est tributaire de ces quatre causes »9. Sous cette perspective, quel’on nomme causaliste, il faut entendre par « cause » « […] selon l’excellentedéfinition de Platon, tout « ce en vertu de quoi une chose vient à l’existence » »10,tout en rappelant d’emblée qu’« […] il est possible […] qu’une seule chose réu-nisse en elle toutes les sortes de causes. Par exemple, dans une maison, le principedu mouvement, c’est l’art ou l’architecte, la fin, c’est l’œuvre, la matière, la terre etles pierres, la forme, sa définition »11.

4. Causalisme aristotélicien et droit d’auteur issu de la loi de 1957 – Aucuneconfirmation expresse de l’hypothèse d’une inspiration aristotélicienne de la loin’a pu être découverte dans la littérature juridique consacrée au sujet (y comprischez les auteurs les plus clairement pétris de culture ancienne) mais un faisceaud’indices concordants se dégage incontestablement à l’analyse. Et quand bienmême, les deux constructions (la loi de 1957 et la pensée aristotélicienne) s’arti-culent trop bien pour que leurs liens ne soient pas analysés12. La loi semble, pourainsi dire, adhérer à cette construction philosophique en désignant respective-ment la « cause matérielle » par référence à l’« objet matériel » à l’article L. 111-3alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle, la « cause formelle » par la notion13

de « forme d’expression » à l’article L. 112-1 du même Code (où « forme » prendalors un sens particulier qui invalide certaines lectures habituellement admises(voir infran°161 et s.)) enfin, les « causesmotrices » et « finales »à l’article L. 111-2du même Code, par le recours aux notions de « réalisation » et de « conception del’auteur »14. Aussi, au-delà d’être, comme le soutient Pouillet, la « cause de lapropriété », le « fait de la création » (défini par l’article L. 111-2 du Code de lapropriété intellectuelle comme la conjonction d’une « cause motrice » et d’une« cause finale ») est avant tout la cause de l’« œuvre de l’esprit ». Pourtant le constatest amer devant l’état du droit positif : « La création est négligée, oubliée. Et c’estlà ce qui doit faire débat »15.

9.W. Dross, Droit civil. Les choses, op. cit., p. 9, n° 3-3 ; appliqués aux « biens intellectuels » :« Qu’est-ce qu’un bien intellectuel ? Aristote éclaire la difficulté mieux qu’aucun autre. S’interrogeant surles conditions d’existence des créations humaines, il conclut que leur émergence est subordonnée à laconjugaison de quatre causes. Si cette statue équestre existe, c’est parce que se sont unies une causeeffective (l’action du sculpteur), une cause formelle (la forme du cavalier), une cause matérielle (le blocde marbre) et une cause finale (la fonction de la statue, ornementer la place publique par exemple) » :Ibid., p. 794, n° 431.

10. J. Follon, « Réflexions sur la théorie aristotéliciennedes quatre causes »,RevuePhilosophiquede Louvain, 1988, vol. 86, p. 327-328.

11.Aristote,Métaphysique, tome 1, Paris, France, Librairie Philosophique Vrin, 1991, p. 75.12.Corroborant la thèse que les fondements théoriques sont souvent ignorés des juristes : « Bref,

le plus grand nombre des juristes ignore les philosophies dont, pourtant, leur pensée procède »M. Villey,La formation de la pensée juridique moderne, Paris, France, Presses Universitaires de France, 2013,p. 490.

13.Dans la perspective du prisme adopté dans cette étude (le réalisme aristotélicien), le terme« notion » est « […] appréhendé philosophiquement en tant qu’essence [renvoyant] à l’être des choses et […]par conséquent [doté] d’un caractère immuable » mais rien n’interdit aux tenants de son approche« relativiste » d’adhérer aux mêmes conclusions par des moyens différents. Voir sur la distinction des deuxapproches : W. Dross, « L’identité des concepts juridiques : quelles distinctions entre concept, notion,catégorie, qualification, principe ? »,Revue de la Recherche Juridique, 2012, vol. XXXVII, p. 2233.

14.Maître Tricoire a déjà noté l’intérêt de la théorie des causes pour le droit d’auteur (qu’elleétudie sous la perspective de la doctrine de Sénèque) : A. Tricoire, La définition de l’œuvre, Thèse dedoctorat, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, France, 2012, p. 31.

15.P. Gaudrat et M. Vivant, « Marchandisation », in équipe de recherche Créationsimmatérielles et droit (dir.), Propriété intellectuelle et mondialisation : la propriété intellectuelle est-elle une marchandise ?, Paris, France, Dalloz, 2004, p. 45.

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5. Causalisme, « fait de la création » et théorie aristotélicienne de l’« actionvolontaire » – L’équivoque n’est pas permise, la loi est, sur ce point, limpide :l’« œuvre de l’esprit » est le résultat d’un « fait de la création ». La création (histo-riquement longtemps neutralisée derrière les notions d’art et de lettres16) fait échoà une notion grecque et antique, la « poiesis »17 : l’avènement du non-être à l’être18.Lorsqu’elle est dirigée par l’Homme, la poiesis est une action par laquelle celui-ci« […] fait naître [une chose] au monde »19. Un argument de cohérence20 voudraitque le législateur eût opté pour une modélisation philosophique de cette actionqui soit compatible avec l’explication causale qu’il fournit à l’« œuvre de l’esprit »21.Or, il s’avère justement qu’Aristote lui-même, dans l’Éthique à Nicomaque, pro-pose une théorie de l’« action volontaire », qui, en complément du prisme étiolo-gique (causaliste), offre à la loi de 1957 une intéressante cohérence. Sous laperspective de ces thèses aristotéliciennes, le « fait de la création » s’entend d’uneaction dirigée vers une fin dont procèdent les caractères essentiels de l’« œuvre del’esprit ». Sous ce prisme, la cohérence interne du droit d’auteur se rétablit etlaisse apparaître quelques suggestions pour régler certaines difficultés que connaîtaujourd’hui la matière.

6. « Fait de la création » et théories de l’art – Comme l’a très justement sou-ligné Marcel Plaisant22 au sujet du décret-loi de 1793 : « On n’a pas suffisammentremarqué […] qu’il contient au fond une doctrine esthétique »23 et on avancerad’ores et déjà (pour le démontrer plus tard) que l’affirmation s’étend sans diffi-culté à la loi du 11 mars 1957. Tout porte en effet à penser que le législateur s’estappuyé (plus ou moins consciemment) sur des doctrines poïétiques pour élaborerle régime juridique des « œuvres de l’esprit »24. Il convient évidemment de dissiper

16.Comme en atteste la formule « propriété littéraire et artistique ».17.Voir sur ce point : R. Passeron,Pour une philosophie de la création, Paris, France,Klincksieck,

2000, p. 11-23.18.« Tu sais fort bien quelle multiplicité de sens a l’idée de création. Sans nul doute en effet, ce qui,

pour quoi que ce soit, est cause de son passage de la non-existence à l’existence, est, dans tous les cas, unecréation […] » Platon, Le banquet, 205-b, in Platon, Œuvres complètes, tome 1, Paris, France,Gallimard, 1940, p. 739.

19. J. Larrieu, « Les frontières de la propriété : les idées », Droit & ville, 2006, vol. 62, p. 112.20.C. Perelman, Logique juridique, Nouvelle rhétorique, 2e édition, Paris, France, Dalloz – Sirey,

1999, p. 58.21.Voir toutefois, opposée au « recours aux phases de la création » : N.Walravens, L’œuvre d’art

en droit d’auteur, Paris, France, Economica, 2005, p. 393-395, n° 344.22.L’auteur, disparu en 1958, est désigné par son prénom pour le distinguer du professeur

Robert Plaisant (†).23.M. Plaisant, La création artistique et littéraire et le droit, Paris, France, Librairie Arthur

Rousseau, 1920, p. 29.24.Pro « Le droit d’auteur entérine les acquis, mais aussi anticipe ; il ne peut fonctionner sans

esprit philosophique sur des notions comme celle de l’auteur, sujet de droit, ou celle de l’œuvre, ou del’originalité » P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 11e édition revue et augmentée, Paris,France, Presses Universitaires de France, 2019, p. 43, n° 31, philosophie ;

contra « En outre, la protection légale est accordée indépendamment de la beauté de l’œuvre encause, tandis que la notion de beau joue un rôle essentiel dans l’esthétique et la science de l’art. Laréflexion philosophique porte donc sur un objet différent de celui du droit d’auteur. Le recours à l’esthétiqueen est d’autant plus sujet à caution. Par conséquent, on ne saurait reprendre telles quelles les distinctionsétablies par les philosophes, notamment la primauté de la forme sur le contenu, pour les transposer endroit d’auteur. Que la loi parle d’œuvres « littéraires et artistiques » n’oblige pas à se référer à l’esthétique.C’est au contraire à la science juridique qu’il appartient de définir ses concepts » I. Cherpillod, L’objetdu droit d’auteur, Lausanne, Suisse, Centre du droit de l’entreprise de l’Université de Lausanne, 1985,p. 23-24, n° 16, affirmation tempérée par l’auteur dans une note où il ajoute que « l’autonomie de la

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INTRODUCTION 5

toute équivoque en relevant que ces doctrines peuvent être qualifiées d’« esthé-tiques » (selon le mot de Plaisant) au sens particulier qu’elles participent des« […] méthode[s] philosophique[s] [qui peuvent] […] s’appliquer à l’art commeactivité créatrice de l’esprit humain, et [où] la réflexion trouve dans l’art des castypiques de ce que sont la création, la contemplation, les essences, les modes d’exis-tence »25. Il apparaît que la construction juridique du droit d’auteur n’est pasétrangère à ces théories esthétiques où s’opère un dialogue perpétuel entre de mul-tiples thèses (notamment entre platonisme et aristotélisme26). Les débats d’actua-lité en droit d’auteur pourraient paraître éloignés de ces considérations. Pourtantla doctrine française contemporaine reste très attachée à ces réflexions (autour dela nature de l’« œuvre de l’esprit » ou du « fait de la création ») comme entémoignent les débats suscités par l’introduction du logiciel dans les années 1980,le sort réservé par le juge à l’art conceptuel dans les années 2000 et aujourd’hui,les interrogations provoquées par les robots, automates informatiques capables,dit-on, d’« intelligence artificielle »27… Il semble alors utile d’opérer une exégèsede la loi à la recherche des principes qui la fondent28 et qui se révèlent ne pas êtretoujours ceux que l’on croit.

7. « Fait de la création », poïétique et objet du droit – En parallèle des considé-rations juridiques développées au sujet du « fait de la création » depuis les privilègesd’Ancien Régime, les philosophes ont poursuivi leurs propres analyses. Tant et sibien qu’en 1989, dans le sillage de Valéry29, Passeron proposait l’élaboration d’unenouvelle discipline, la « poïétique », définie « […] comme la science normative descritères de l’œuvre et des opérations qui l’instaurent »30. Ces questions n’étaient pasignorées mais elles étaient dispersées dans plusieurs branches disciplinaires dis-tinctes (esthétique, métaphysique, philosophie de l’esprit, philosophie de la connais-sance, etc.) que Passeron propose de réunir. On ne peut alors que constater que ladoctrine juridique fait face aux mêmes interrogations et qu’un retour aux « […]critères de l’œuvre et [aux] opérations qui l’instaurent » ne peut qu’être salutaire. Lesdéveloppements de cette poïétique, cette « philosophie de la création »31, sont d’une

science juridique est cependant relative. […] ses concepts renvoient aussi à des phénomènes que lelégislateur a pris en considération en tant que réalités ontologiques lors de l’élaboration de la loi. […][Le législateur] doit analyser l’objet de son intérêt comme un élément de la réalité existantindépendamment de notre conscience » Ibid., p. 34, n° 16, note 25 ; voir dans le même sens : « De touttemps, l’art et la création ont suscité la réflexion des philosophes. Mais c’est à la science juridique deforger ses propres concepts » A. Lucas, H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, et C. Bernault, Traité dela propriété littéraire et artistique, 5e édition, Paris, France, LexisNexis, 2017, p. 67, n° 48.

25.é. Souriau, Vocabulaire d’esthétique, Paris, France, Presses Universitaires de France, 2010,p. 728, « esthétique, II, 1 ».

26.Voir sur ce point : R. Klein, L’esthétique de la technè : L’art selon Aristote et les théories desarts visuels au xvie siècle, Paris, France, Institut National d’Histoire de l’Art, 2017, 293 p. ; E. Panofsky,Idea : contribution à l’histoire du concept de l’ancienne théorie de l’art, Paris, France, Gallimard,1989, 284 p.

27.Voir notamment l’étude du professeur Larrieu : J. Larrieu, « Le robot et le droit d’auteur »,Mélanges en l’honneur du professeur André Lucas, Paris, France, Lexis Nexis, 2014, p. 465-476.

28.En poursuivant le souci de prendre du recul sur l’« […] emprise croissante des considérationstechniques » qui caractérise l’approche actuelle de la loi et d’échapper à l’« […] émiettement de laréflexion conduisant à des spécialisations excessives » V.-L. Benabou, « Puiser à la source du droitd’auteur », Revue Internationale du Droit d’Auteur, avril 2002, vol. 192, p. 29 et 31.

29.P. Valéry, « « Première leçon du cours de poétique » (1937). Leçon inaugurale du cours depoétique du collège de France », Variétés V, Paris, France, Gallimard, 1944, p. 295-322.

30.R. Passeron, Pour une philosophie de la création, op. cit., p. 21-22.31. Ibid., 251 p.

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utilité considérable pour la bonne compréhension des notions portées par la loi de1957 au premier rang desquelles siège, assurément, le « fait de la création », faitgénérateur de la propriété de l’auteur et unique condition de son acquisition32.

8. Place de la modernité dans la construction du droit d’auteur – Peu importele point de vue qu’inspire le régime français, si la loi doit être lue, elle doit l’être enconformité avec son esprit et les sources qui l’irriguent33. On ne saurait pourautant ignorer que certaines propositions doctrinales, certaines solutions préto-riennes et même certaines réformes de la loi se révèlent aujourd’hui incompatiblesavec cet esprit originel. Les théories poïétiques antiques et classiques, sur les-quelles il est ici envisagé que la loi fonde son esprit (voir infra n° 45 et s.), onttoujours eu leurs détracteurs et il va de soi que tous les auteurs de la doctrinejuridique ne les partagent pas. L’histoire de l’art, elle-même, rappelle que desmouvements artistiques dissidents des académismes (lesquels étaient pétris desthéories poïétiques des Anciens) se sont souvent dressés contre des pratiquesdéclinantes qui n’avaient plus comme justification que l’argument de l’habitudeinstallée et de l’autorité. C’est principalement l’adhésion à la science rationnelle àl’époque moderne, puis à la science physique à l’époque contemporaine qui aprécipité, dans l’esprit de beaucoup, la chute de la philosophie des Anciensnotamment son recours à l’« intelligible ». Le terme « intelligible » porte ici unsens technique « […] opposé à sensible [qui désigne ce] qui ne peut être connu quepar l’intelligence, et non par les sens »34. On notera dès ici que l’intelligible35 estindispensable aux explications poïétiques antiques.

9. Querelle des Anciens et des Modernes en droit d’auteur – L’émergence etle développement de pensées construites en réaction au « spiritualisme »36 chris-tianisé qui dominait le Moyen Âge occidental, vont susciter, après Descartes, laconstruction d’une doctrine « idéaliste »37 qui abandonne l’affirmation de l’exis-tence de la réalité et de sa connaissance possible par l’Homme pour un modèle

32.Pro « Le législateur français intervient […] pour consacrer des droits qui sont nés du seul faitde la création » H. Desbois, « La loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique », RecueilDalloz, 1957, chron. XXVIII, p. 166 ; dans le même sens : « La création d’une œuvre de l’esprit est laseule condition que pose la loi pour que naisse et, partant, existe un droit de propriété incorporelle »Y. Reboul, « Le projet de réforme des pièces détachées des véhicules automobiles : le cheval de Troiede la remise en cause de la règle de l’unité de l’art (première partie) », Propriété industrielle, janvier2015, étude 1, n° 42 ;

contra, évoquant le « fait de la création » comme « un élément permanent mais non suffisant »A. Frêche, La création générée par ordinateur et l’objet du droit d’auteur : une approche nouvelle de laprotection par le droit d’auteur, Thèse de doctorat, Université de Montpellier I, France, 1994,p. 269 et s., n° 306 et s. ; évoquant trois conditions d’« accessibilité » de « figurabilité » etd’« originalité » : O. Laligant, La véritable condition d’application du droit d’auteur : originalité oucréation ?, Aix-en-Provence, France, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 1999, p. 16, n° 2.

33.Voir sur ce point : V.-L. Benabou, « Puiser à la source du droit d’auteur », op. cit., p. 3-109.34.A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, France, Presses

Universitaires de France, 2010, p. 527, « intelligible, A ».35.Le terme doit être distingué de son sens vulgaire qui désigne ce qui est « compréhensible » et

que l’on trouve parfois aussi utilisé en doctrine : J. Escarra, J. Rault, et F. Hepp, La doctrine françaisedu droit d’auteur : étude critique à propos de projets récents sur le droit d’auteur et le contrat d’édition,3e édition, Paris, France, Grasset, 1937, p. 20, n° 7.

36.« Doctrine d’après laquelle il existe deux substances, radicalement distinctes par leurs attributs,dont l’une, l’esprit, a pour caractères essentiels la pensée et la liberté ; dont l’autre, la matière, a pourcaractères essentiels l’étendue et la communication toute mécanique du mouvement (ou de l’énergie) »Ibid., p. 1020-1021, « spiritualisme, B ».

37. Ibid., p. 435 et s., « idéalisme ».

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INTRODUCTION 7

où la pensée subsume l’être (cogito ergo sum). Un tel changement de paradigmen’est pas sans conséquence pour l’appréhension des « œuvres de l’esprit » et de lapoiesis entendue comme avènement à l’existence d’une chose que des caractèresessentiels étaient, jusque-là, supposés permettre de désigner comme « œuvre del’esprit ». Parallèlement à l’idéalisme, les avancées de la science et de la physiqueont conduit à son antithèse qui (par excès inverse) renonce à l’esprit pour ne plusadmettre que la matière : le « matérialisme »38. Là encore, les conséquences surl’acception des « œuvres de l’esprit » et le « fait de la création » sont incommensu-rables. Alors que ces deux écoles (idéalisme et matérialisme) ne sont toujours, audébut du xxe siècle, que des propositions théoriques, l’après Seconde Guerremondiale va être le théâtre de deux révolutions philosophiques dont l’ampleur secompare à celles du miracle grec ou du renversement copernicien : le tournantlinguistique et la révolution cognitive. Ces deux évènements (plus particulièrementla révolution cognitive) ont radicalement changé la compréhension de l’esprithumain en la faisant passer de la théorisation par inférence subjective à uneexpérimentation plus scientifique. À l’heure actuelle, il est impossible de savoirqui des spiritualistes, des idéalistes ou des matérialistes l’emportera… Il faut enconclure que ces thèses ne peuvent fournir, à ce stade, que des axiomes auxconstructions qu’elles fondent.

10. Rôle de la modernité sur la théorie des causalités – En attendant desréponses définitives, on ne peut que reconnaître aujourd’hui à quel point la loi de1957 est à l’origine d’un grand nombre de malentendus. La lire sous les auspicesde la pensée des Anciens est une attitude doctrinale rare39. Pourtant, il semble bienque la querelle actuelle ne soit rien d’autre qu’une réactualisation de celle desAnciens et des Modernes40. Dans son rejet des Anciens, la modernité, formule, aunom de la tabula rasa, une critique radicale des axiomes philosophiques élaborésavant elle. La théorie des causalités d’Aristote est attaquée avec virulence par despenseurs tels que Bacon ou Descartes41. La « cause finale » est abandonnée parles Modernes puis les Contemporains. Le droit emboîte le pas jusqu’à ne plus êtrequ’« […] une technique à tout faire. Le juriste [devient ainsi] un technicien, experten textes législatifs et mécanismes procéduraux, prêt à offrir ses services à n’importequelle cause : utile aussi bien à la cause d’un particulier, d’une entreprise écono-mique, du ministère de l’Agriculture ou des Affaires étrangères, d’un mouvementsyndicaliste, de la politique de droite ou de gauche. Ce sont des fins extrinsèques

38.« Doctrine d’après laquelle il n’existe d’autre substance que la matière […] » Ibid., p. 591,« matérialisme, A ».

39.Voir, pour un contre-exemple : M. Plaisant, La création artistique et littéraire et le droit,op. cit., 138 p.

40.Sur l’opposition entreAnciens etModernes : « Doit-on identifier ici une nouvelle manifestationde la querelle des modernes et des anciens ? Ne pas accepter la modernité ou juste critiquer les résultatsqu’ellemet au jour, est-ce prendre le risque d’être relégué dans le camp des classiques ou des conservateurs ?Que ceux qui se sentent visés se rassurent ! La modernité est en définitive un concept vide, paradoxalementintemporel, et qui porte en lui ses propres faiblesses : il dément, par sa récurrence historique et sacontingence, ce dont il est la prétention. Modernes d’hier, classiques d’aujourd’hui ! » A. Bensamoun,« La réforme du droit d’auteur dans la société de l’information : une histoire de norme(s) », inA. Bensamoun (dir.), La réforme du droit d’auteur dans la société de l’information, Paris, France, Mare& Martin, 2018, p. 17 ; voir aussi, pour le droit d’auteur : O. Laligant, La véritable conditiond’application du droit d’auteur, op. cit., p. 385-386, n° 451 ; ou encore : B. Oppetit, Droit et modernité,Paris, France, Presses Universitaires de France, 1998, p. 191-203.

41. J. Follon, « Réflexions sur la théorie aristotélicienne des quatre causes », op. cit.,p. 317-353.

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qu’on affecte au droit, empruntées à d’autres disciplines : la morale, l’économie, lapolitique. Signe d’une défaillance du droit : aveuglement, démission de l’intelligence,refus de traiter le problème des fins. – Arrivés au terme du voyage c’est au néant quel’on aboutit. Tant et si bien que dans le cœur de nos contemporaines théories géné-rales du droit, [l’attention pour les fins jette] une fausse note »42.

11. Objet de la thèse – Qu’il soit permis, pour exposer l’élan qui anime cetteétude, de filer la métaphore musicale proposée par Villey. Il est difficile de ne pasentendre qu’il y a aujourd’hui quelque chose d’anachronique à s’intéresser auxfins du droit. S’y intéresser dans l’époque actuelle c’est (en quelque sorte) être àcontretemps : un Ancien parmi les Modernes. Aussi, plutôt que d’entrer dans ledébat des fins du droit d’auteur, plutôt que d’être à contretemps, il s’agit plutôt icid’être en contrepoint : de relever qu’en la matière c’est le législateur lui-même quis’intéresse aux fins, celles qui animent le « fait de la création » et qui expliquentl’existence de l’« œuvre de l’esprit ». Cette étude ne porte donc pas sur les fins dudroit d’auteur43 mais soutient l’argument que le législateur constate des « causesfinales » particulières, propres aux « œuvres de l’esprit », qui les distinguentd’autres objets. La loi de 1957, poursuivant de l’aveu de ses rédacteurs, les effortsdéployés par le législateur révolutionnaire et les jurisconsultes de la fin de l’AncienRégime44, a conservé une acception du « fait de la création » que sa lettre seule nelaisse pas transparaître avec autant d’évidence que l’exégète pourrait le souhaiter.La ratio legis du texte ne semble réellement atteinte qu’après un travail d’exégèsequi révèle ses inspirations et que seule permet une approche historique45. Il enrésulte l’identification d’une doctrine personnaliste peut-être moins issue de lamodernité et des Lumières du xviiie siècle (comme on pourrait d’abord le croire)que des théories poïétiques des Anciens (notamment reçues et approfondies parles artistes46 humanistes italiens du xve siècle). Après exégèse, certains aspects dela loi que la doctrine a pu considérer comme flous47 révèlent un contenu quisemble pouvoir répondre à quelques-uns des enjeux contemporains de la matière.On constate ainsi un état du droit, étonnant, où coexistent dans une mêmeconstruction, un fondement d’inspiration ancienne (la poïétique antique) et unrégime d’inspiration moderne (le droit subjectif de propriété). Ce point ne ferapas ici l’objet de développements pour la raison qu’il est littéralement hors du

42.M. Villey, Philosophie du droit – Définitions et fins du droit, 4e édition, Paris, France, Dalloz,1986, p. 169, n° 108 ; et la même formule dans M. Villey, La Nature et la Loi – Une philosophie dudroit, Paris, France, éditions du Cerf, 2014, p. 29.

43.Elles-mêmes parfois dévoyées au service de « […] la cause des intérêts capitalistes les pluscyniques » comme le soutiennent certains auteurs recensés par : V.-L. Benabou, « Puiser à la source dudroit d’auteur », op. cit., p. 3-7.

44.« La loi des Conventionnels, la loi en sept articles, adresse la bienvenue à cette jeune loi forte etarrondie de ses 82 articles et lui dit : « Partez, tâchez de couvrir une aussi belle course que la mienne àtravers le temps ; efforcez-vous d’être un même sujet de sauvegarde et de procurer à la pensée des hommesle même rayonnement dans le miroir de leur intelligence » M. Plaisant, « Bienvenue à la loi », RevueInternationale du Droit d’Auteur, avril 1958, p. 11.

45.Pro « […] il est demandé au philosophe de savoir se dégager du langage et des opinions de sonentourage immédiat, et de lui confronter d’autres systèmes de structuration du monde ayant eu cours end’autres temps » M. Villey, « Notes sur le concept de propriété », Critique de la pensée juridiquemoderne : douze autres essais, Paris, France, Dalloz, 2009, p. 187.

46.Le mot « artiste » désigne ici (et dans le reste du texte) ceux qui pratiquent une activité jugéeartistique (au moins à un moment de l’histoire de l’art) et qui peut être tantôt un « fait de la création »au sens légal tantôt ne pas l’être.

47.Pro C. Castets-Renard, Notions à contenu variable et droit d’auteur, Paris, France,L’Harmattan, 2003, p. 313 et s., n° 201 et s.

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INTRODUCTION 9

sujet traité, mais son identification, à la marge des recherches menées, ne peut êtretue tant son étude serait assurément porteuse d’enseignements précieux.

12. Intérêt actuel du sujet – Que les enjeux économiques, stratégiques etculturels de cette branche du droit soient immenses est une évidence, mais dupoint de vue juridique, on ne saurait se satisfaire d’une lecture de la loi en oppor-tunité (qu’il s’agisse de soutenir la tradition personnaliste ou de s’y opposer48).Certes, depuis 1957, certains développements doctrinaux, prétoriens et mêmelégislatifs49 se sont éloignés de l’esprit premier de la loi. Mais il faut bien admettreque les principes directeurs n’ont jamais été ni abrogés ni amendés, malgré la« complexification de la parole normative »50 et la « déstructuration de la disci-pline »51 qui se sont installées depuis. Aujourd’hui, il faut compter avec l’introduc-tion de nouveaux objets dans le champ du droit d’auteur52 : le logiciel par la loi de198553, l’art conceptuel par reconnaissance prétorienne dans les années 2000et aujourd’hui les questions posées par les productions des automates informa-tiques (l’« intelligence artificielle »). Fondamentalement, c’est bel et bien l’accep-tion personnaliste, adoptée de longue date par le droit français, qui se trouveremise en question. L’exégèse que propose cette étude révèle que certaines solu-tions (proposées ou adoptées par le droit positif) s’appuient parfois (et sur despoints cruciaux) sur des lectures incomplètes voire erronées de la loi.

13. Constat d’une importance usurpée du critère d’« originalité » – La princi-pale pomme de discorde est sans doute le critère d’« originalité »54 dont l’absencede définition légale laisserait au juge et à la doctrine une grande marge d’interpré-tation. Deux lectures principales et antagonistes se distinguent toujours55 : l’une,l’« empreinte de la personnalité de l’auteur », classique, subjectiviste et appuyée surl’héritage personnaliste du droit français ; l’autre, moderne et objectiviste(construite en réaction de la première) rejetant fondamentalement le personna-lisme ou acceptant (au nom de la cohérence internationale ou de la sécuritéjuridique) une acception objectivée de l’« originalité »56. L’antagonisme s’est cris-tallisé en doctrine et l’acception objectivée a fait florès en jurisprudence. Pour-tant, ce n’est pas le rôle du critère de distinction que de dire l’essence de l’« œuvrede l’esprit », ce rôle incombe à la définition du « fait de la création » et del’« œuvre ». L’originalité est un marqueur a posteriori (voir infra n° 72 et s.).

48.Pro « Le mépris ne constitue jamais une bonne réponse et les arguments avancés valent qu’ontente d’y répondre. Il importe dès lors de vérifier que les fondements du droit d’auteur ne sont pas en trainde vaciller sous les raz-de-marée de la mondialisation et de la technique » V.-L. Benabou, « Puiser à lasource du droit d’auteur », op. cit., p. 7.

49.Voir notamment, sur la multiplication et la complexification des sources législatives,prétoriennes et doctrinales : Ibid., p. 11-27.

50.A. Bensamoun, « Portrait d’un droit d’auteur en crise », Revue Internationale du Droitd’Auteur, avril 2010, vol. 224, p. 31.

51. Ibid., p. 49.52.Voir, pour un tour d’horizon de ces nouveaux objets (en 1990) : R. Legeais, « Le droit

d’auteur face aux nouvelles technologies », Revue Internationale de droit comparé, avril-juin 1990,vol. 42, p. 684-687.

53.Loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes,des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.

54.Voir sur ce point la monographie de Monsieur Laligant interrogeant la pertinence dudébat : O. Laligant, La véritable condition d’application du droit d’auteur, op. cit., 441 p.

55.Voir toutefois, considérant la distinction comme « vaine » : Ibid., p. 66 et s., n° 62 et s.56.Voir sur ce point : A. Lucas, H.-J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, et C. Bernault, Traité de

la propriété littéraire et artistique, op. cit., p. 127 et s., n° 108 et s.

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