31
Le Journal de l’Afrique N°10 Table de matière La vidéo du mois de mai Editorial Génocide des Tutsi du Rwanda : à quand la vérité ? Par Raphaël Doridant Burkina Faso: «Cette transition n’est pas celle pour laquelle la popula- tion s’est battue» Par Jean-Baptiste Kaboré et Baba Miliki « Y-en-a marre » et « Balai-citoyen »: les nouveaux "Tirailleurs" de l'impérialisme en Afrique! Par Roland Fodé Diagne Les causes lointaines de la guerre au Mali Par Amadou Seydou Traoré Leçons bolivariennes pour l’Afrique Par Said Bouamama Brèves

Le journal de l'Afrique n°10

Embed Size (px)

DESCRIPTION

 

Citation preview

Page 1: Le journal de l'Afrique n°10

Le Journal de l’Afrique N°10

Table de matière

La vidéo du mois de mai

Editorial

Génocide des Tutsi du Rwanda : à quand la vérité ?

Par Raphaël Doridant

Burkina Faso: «Cette transition n’est pas celle pour laquelle la popula-tion s’est battue»

Par Jean-Baptiste Kaboré et Baba Miliki

« Y-en-a marre » et « Balai-citoyen »: les nouveaux "Tirailleurs" de l'impérialisme en Afrique!

Par Roland Fodé Diagne

Les causes lointaines de la guerre au Mali

Par Amadou Seydou Traoré

Leçons bolivariennes pour l’Afrique

Par Said Bouamama

Brèves

Page 2: Le journal de l'Afrique n°10

2

Editorial :

Au-delà du discours politique

En octobre 2014, la jeunesse a d’abord secoué puis renversé une dictature françafricaine incarnée par Blaise Compaoré au Burkina-Faso. Le peuple burkinabè a été couvert de louanges pour avoir « décidé de prendre son destin en main ». Une organisation de la société civile dénommée Balai Citoyen est depuis lors sur orbite. Ses moindres gestes sont suivis et relayés par/dans les grands médias de toute la planète.

Au-delà du discours politique, qu’est-ce qui a concrètement changé au « Pays des Hommes intègres » depuis la chute de Compaoré, au profit des masses populaires ? Pourquoi les grands médias qui fermaient leurs portes au président révolutionnaire et charismatique Thomas Sankara réservent-ils un traitement princier aux leaders du Balai Citoyen ? Pour qui roulent ces derniers ? Six mois, après la « révolution burkinabè », le Journal de l’Afrique (JDA) revient sur ce moment fort de l’histoire du pays et apporte des réponses à ces interrogations.

Cette édition du JDA aborde bien d’autres sujets tels que : les élections présidentielles organisées fin avril au Togo, les origines lointaines et impérialistes de la guerre qui a ensanglanté le Mali en 2013…

Elle propose surtout aux Etats africains de suivre les pas des pays d’Amérique latine (à travers l’ALBA) pour se libérer de l’impérialisme, condition sine qua non pour enclencher un véritable développement au service des citoyens et non à la solde de l’impérialisme tentaculaire.

Carlos Sielenou et Olivier A. Ndenkop

Page 3: Le journal de l'Afrique n°10

3

La vidéo du mois

« Ces gens-là qui meurent sur les plages, et je mesure mes mots, si c’était des blancs, la terre entière serait en train de trembler ! Mais là, ce sont des noirs et des arabes … »

Invitée à l’émission « Ce soir ou jamais », édition du 24 avril 2015 sur France 2, l’écrivaine Fatou Diome a trouvé les mots justes pour dénoncer « l’hypocrisie » des Occidentaux sur l’immigration clandestine qui tue des milliers d’êtres humains chaque année.

Voir la vidéo ici https://youtu.be/726mdxtfQHo

Page 4: Le journal de l'Afrique n°10

4

Brèves

La Chine offre un stade olympique à la Côte-d'Ivoire

Stade national de Chine

Pour une bonne organisation de la Coupe d'Afrique des nations de football (Can) 2021, la Chine offrira à la Côte-d’Ivoire un stade olympique d'une capacité de 60 000. L’annonce a été faite le 22 avril 2015 par les autorités ivoiriennes.

Cette infrastructure sportive « clé-en-main » sera construite sur 20 hectares dans la commune d'Anyama, au nord d'Abidjan à partir de 2016 et permettra d'accueillir des compétitions d'athlétisme, de football et de rugby. Une cité olympique sera également construite autour de ce joyau.

Les entreprises chinoises sont très présentes en Côte-d’Ivoire, notamment dans la construction de barrage et des infrastructures routières.

Page 5: Le journal de l'Afrique n°10

5

Enfin des vols directs entre l’Afrique et le Japon !

Photo DR

La compagnie aérienne Ethiopian Airlines a annoncé fin avril 2015 le lancement d’une ligne directe entre son hub d’Addis-Abeba et Tokyo. Jusqu’ici, les passagers qui partaient de l’Afrique pour le Japon devraient transiter de pays en pays voire de continent en continent.

« Avec cet unique service direct entre l’Afrique et le Japon, nos vols vers Narita donneront à nos clients les meilleures options de connectivité possibles», a déclaré Tewolde Gebremariam, PDG de la compagnie aérienne éthiopienne, cité par l’Agence Ecofin. La compagnie éthiopienne qui transporte 18 millions de passagers par an vient de signer un contrat avec Boeing pour l’acquisition de 20 avions 737 MAX8 pour un montant de de 2,1 milliards de dollars.

…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….

Togo : Faure Gnassingbe réélu dans la contestation

« La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) constate que Faure Essozimna

Gnassingbé est élu au titre des résultats provisoires, sous réserve de confirmation de ces

Page 6: Le journal de l'Afrique n°10

6

résultats par la Cour constitutionnelle". C’est en ces termes que Taffa Tabiou président de la

Ceni a annoncé, en direct sur la chaîne de télévision nationale du Togo mardi 28 avril au soir,

les résultats de la présidentielle du 25 avril dernier. En reconnaissant un taux d’abstention de

40%, la Ceni a indiqué que Faure Gnassingbé au pouvoir depuis 2005 a obtenu 58,75 % des

suffrages contre 34,95% pour son principal rival Jean-Pierre Fabre. L’opposition crie au hold-

up électoral en évoquant les « bourrages d’urnes ».

Faure Gnassingbe est arrivé au pouvoir après la mort de son père qui a dirigé le pays de 1963

à 2005.

………………………………………………………………………………………………….

Burkina-Faso : le nouveau code minier toujours attendu

Photo DR

Depuis deux mois, le Conseil national de transition reçoit des propositions en vue de concevoir la mouture finale du nouveau Code minier du Burkina-Faso. Les populations l’attendent depuis trois ans. Mais, le régime de Blaise Compaoré n’en avait pas fait une priorité.

Le vendredi 24 avril dernier, la Coalition des organisations de la société civile intervenant dans le secteur minier a organisé une conférence publique sur le thème : « Quel code minier pour le développement du Burkina Faso ? ». Selon les acteurs de la société civile burkinabè, le code actuellement en vigueur est « trop favorable aux entreprises minières ». Ils s’organisent pour que le nouveau Code institue un « Fonds minier de développement local » chargé de financer les projets de développement directement profitables aux populations.

……………………………………………………………………………………………………………………………..

Page 7: Le journal de l'Afrique n°10

7

« Y en a marre » et « Balai-citoyen »: les nouveaux "Tirailleurs" de l'impérialisme en Afrique!

Que cachent vraiment ces beaux slogans de "démocratie" et de "lutte contre les dictatures" scandés par certains acteurs de la « société civile » en Afrique ? L'exportation de la "démocratie" à travers les ONG ne rappelle-t-elle pas l'exportation de la "civilisation" qui fut l'un des principaux leitmotive de la conquête coloniale subie par les peuples de ce continent ?

Par Roland Fodé Diagne

Photo DR

L'opinion démocratique, patriotique, panafricaine et anti-impérialiste sénégalaise a appris avec étonnement l'opération de mercenariat de Y en a marre du Sénégal et du Balai-Citoyen du Burkina Faso en République Démocratique du Congo (RDC).

Les autorités du pays de Lumumba, Mulélé et Kabila ont expulsé les jeunes missionnaires ouest-africains en annonçant avoir saisi du "matériel, de l'argent et des armes destinés à déstabiliser la RDC" et "arrêté pour les juger leurs co-religionnaires congolais".

Les jeunes "Tirailleurs" sénégalais et burkinabés prétendent agir pour la "démocratisation" de l'Afrique et "lutter" ainsi contre les "dictateurs" qui s'accrochent au pouvoir en traficotant les "institutions, les constitutions" pour "voler les élections".

Page 8: Le journal de l'Afrique n°10

8

Mais que cachent vraiment ces beaux slogans de "démocratie" et de "lutte contre les dictatures" ? L'exportation de la "démocratie" à travers les ONG ne rappelle-t-elle pas l'exportation de la "civilisation" qui fut l'un des principaux leitmotive de la conquête coloniale subie par les peuples ?

Ces mercenaires d'aujourd'hui ne sont-ils pas de simples copies des missionnaires d'antan qui balisèrent la voie des "Tirailleurs" qui furent les troupes de choc commandées par les Faidherbe, les Galliéni, les Bugeaud pour tailler les immenses territoires qui constituèrent les empires coloniaux occidentaux?

Y en a marre et Balai citoyen ne sont-ils pas des "tirailleurs" missionnaires compléments des troupes de choc armées impérialistes d'aujourd'hui que sont les Daesh et Boko Haram au service de la françafric, de l'eurafric et de l'usafric ?

Avant Y en a marre et Balai citoyen, les "révolutions colorées"

Roumanie, RDA, Serbie, Georgie, Ukraine, etc., ont été les bancs d'essai expérimentaux pour renverser les pouvoirs qualifiés de "dictatures" et y installer les nouvelles tyrannies "démocratiques" libérales bourgeoises soumises aux intérêts impérialistes.

Cette stratégie a été récemment étendue aux révoltes populaires en Afrique du nord et au Moyen-Orient sous le nom de "printemps arabes".

La question est toujours la même: comment dévoyer la colère du peuple contre les régimes dictatoriaux libéraux corrompus vers des pouvoirs "démocratiques" libéraux corrompus ?

Ce schéma dont l'objectif est de préserver le contrôle de l'impérialisme sur le pays considéré intègre les fers aux feux utilisables pour empêcher la souveraineté nationale et populaire que sont les fanatiques religieux, les dictatures militaires qui partagent le programme unique libéral et la soumission aux diktats libéraux du FMI, de la Banque Mondiale et de l'OMC et l'implosion des Etats-Nations à l'instar de l'ex-Yougoslavie et du Soudan.

Rappelons qu'à la Baule en 1990, sentant la montée des mouvements populaires en Afrique, Mitterrand avait donné le coup d'envoi des "Conférences nationales" en déclarant : "S'il y a contestation dans tel Etat particulier, eh bien ! Que les dirigeants de ces pays en débattent avec leurs citoyens. Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c'est la seule façon de parvenir à un état d'équilibre au moment où apparait la nécessité d'une plus grande liberté, j'ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons".

Ces "Conférences nationales" permirent ainsi de réaménager le système semi-colonial en transformant les dictatures militaires et/ou civiles en multipartisme intégral sans toucher aux fondements économiques et sociaux de l'oppression séculaire des peuples d'Afrique.

Puis ce fut le tour d'Obama de préciser récemment : "L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais d'institutions fortes".

Cette formule est devenue l'Alpha et l'Omega d'une certaine élite africaine lobotomisée qui se tourne de plus en plus vers l'impérialisme US. En effet l'opposition entre "hommes forts" et "institutions fortes" est une supercherie monumentale d'attrape-nigauds. Il n'y a pas et ne peut y avoir de muraille de Chine entre ces deux notions, car le lien est ici dialectique, les deux concepts s'influencent réciproquement sur la base des intérêts et des objectifs des classes que représentent

Page 9: Le journal de l'Afrique n°10

9

les "hommes" et les "institutions". Quelles "institutions fortes" y a-t-il aux USA alors qu'un sur deux citoyens ne votent tout simplement plus et que le bipartisme bourgeois y interdit de fait toute candidature en dehors des deux partis "républicains et démocrates" des capitalistes ? En quoi les "institutions judicaires US" sont-elles "fortes" alors que les crimes racistes restent terriblement impunis aux USA ? Quelles "institutions fortes" trouve-t-on en France quand le vote NON du peuple contre le traité constitutionnel est travesti par l'adoption du traité de Lisbonne par voie parlementaire ? En quoi les "institutions" des différents pays de l'UE et de l'UE elle-même sont-elles "fortes" alors que le déni démocratique y est manifeste au point que l'abstention et le vote xénophobe, raciste, islamophboe, rromophobe et fasciste ne cesse d'y grandir ?

C'est ce piège dans lequel est manifestement tombé Y en a marre quand, suite à l'audience que leur avait accordé Obama à Gorée le 28 juin 2013, leur porte-parole déclare comme hypnotisé : « Le président Obama a été très attentif à notre discours sur la jeunesse. La rencontre a d’ailleurs duré plus longtemps que ce qui était prévu initialement. Il a pris certains engagements (lesquels?!), mais je préfère ne pas entrer dans les détails (lesquels?!), car un communiqué officiel sur cette rencontre doit être rendu public prochainement. Concernant Y’en a marre, il a conclu en nous demandant de rester forts : « Be strong ! », indique Fadel Barro" (http://www.dakaractu.com/Fadel-Barro-Obama). Obama leur demande d'être "forts" dans cet entretien coupable lors duquel selon Y en a marre "il a beaucoup été question de gouvernance et de démocratie, mais aussi de l’entreprenariat des jeunes, de l’importance d’un développement qui passe par la terre, qui donne des raisons aux jeunes de rester chez eux" (idem).

Gorée Institute est "l'organisation panafricaine de la société civile ouvrant à la promotion de la démocratie, du développement et de la culture en Afrique" qui a abrité cette recommandation intéressée de l'impérialisme US démontrant ainsi à quoi peuvent bien servir cette foison abondante d'ONG en Afrique comme l'Usaid, le Corps de la paix, etc. D'où cette sortie pertinente du site d'information Leral après le safari Y en a marriste avorté de Kinshasa : "On savait que Y en a marre bénéficie d'appuis financiers et de subventions des organisations non gouvernementales et des fondations internationales. Mais on ne savait pas que le pays d'Obama, à travers le département d'Etat, considère ces jeunes sénégalais comme de puissants leviers pour redessiner la carte de l'Afrique".

C'est ainsi que l'on apprend le rôle de recruteur pour les basses besognes fortement monnayées de l'ambassadeur d'origine congolaise des USA au Burkina Faso. Son pedigree officiel en dit long sur sa mission qui consiste à fabriquer des "révolutions colorées" à la sauce africaine : "Dr. Tulinabo S. Mushingi a été confirmé Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique auprès du Burkina Faso par le Sénat américain et le président Barack Obama, respectivement le 9 et le 25 juillet 2013. L’ambassadeur Mushingi, un diplomate de carrière du Senior Foreign Service, a servi en qualité de Secrétaire exécutif adjoint et Directeur exécutif du Secrétariat exécutif d’Etat de 2011 à 2013. L’Ambassadeur Mushingi fut également Premier Conseiller à l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique en Ethiopie où il s’engagea activement à promouvoir la politique américaine dans la corne de l’Afrique, tout en menant les activités des différentes agences gouvernementales et supervisant la gestion des ressources de cette mission qui constitue la troisième plus grande présence du gouvernement américain en Afrique, tout en apportant son appui à la représentation américaine auprès de l’Union Africaine. (...) L’Ambassadeur Mushingi a également occupé diverses fonctions à l’étranger, y compris à Kuala Lumpur, Malaisie; Maputo, Mozambique; Lusaka, Zambie; et Casablanca, Maroc; ainsi qu’au Département d’Etat à Washington D.C., notamment auprès du Bureau of Intelligence and Research; le Bureau of International Organization Affairs et le Bureau of Human Resources. Il a reçu plusieurs distinctions, dont deux Superior Honor Award du Secrétaire Clinton et du Secrétaire-adjoint Armitage et un autre pour son leadership remarquable au cours de la visite de quatre jours du Président Bush en Tanzanie, qui fut un véritable

Page 10: Le journal de l'Afrique n°10

10

succès. (...) L’Ambassadeur Mushingi a travaillé pour le Corps de la Paix des Etats-Unis d’Amérique en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en RD Congo, au Niger et en République Centrafricaine".

Confronté à cette orchestration provocatrice, Lambert Mendé, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement de la RDC annonce fermement les décisions prises : "Nous avons décidé de les expulser de notre territoire : ils n’ont pas le droit de venir faire de la politique ici (...) ils ont prétendu être venus ici pour agir dans le sens d’un changement du régime d’un pays qui n’est pas le leur, cela ne se fait pas. Conformément à la loi, nous les expulsons donc de notre territoire. Nous n’avons pas à nous expliquer sur cela. Il y a beaucoup de problème à cet égard, il y a beaucoup d’argent qui a circulé, il y a des comptes qui ont été ouverts sous de fausses identités… Il y a même une fausse société qui a été créée pour pouvoir inviter les trois Sénégalais et le Burkinabè. Nous avons trouvé une littérature assez inquiétante sur le retour des djihadistes ; nous avons retrouvé des tenues militaires : tout cela nécessite que ceux qui sont à la base de cette initiative puissent passer devant le procureur" (RFI).

Pourquoi la République Démocratique du Congo ?

La RDC est, dès le départ, un des pays d'Afrique qui a subi un traitement particulier de la part de tous les impérialistes. Après les massacres et génocides du colonialisme Belge, le pays a été tout de suite mis sous coupe réglée suite à l'assassinat de Lumumba puis de Mulélé et l'installation au pouvoir de Mobutu, second plus grand assassin du peuple Congolais. Commençait alors la longue nuit d'horreurs du régime odieux mobutiste.

Le Zaïre devint ainsi la base arrière de l'UNITA pro-néo-coloniale contre le MPLA porteur du projet indépendantiste radical de l'Angola, contre la SWAPO de Namibie et l'ANC anti-apartheid sud-africain.

Il faut ici rappeler l'internationalisme en acte fondamental de la "petite" Cuba qui, avec les combattants du MPLA, ont infligé la défaite historique de Cuito Cuanavale aux troupes racistes sud-africaines soutenues par l'impérialisme US et de l'UE, ce qui a contraint Prétoria a libéré Mandela et a négocié le principe d'un homme = une voix.

Mobutu, tout comme Houphouët, Senghor, Bongo, Eyadéma, Ahidjo, etc., ont été des piliers du système néo-colonial imposé dans le sang par l'impérialisme à l'Afrique. Ils ont été aussi des alliés du sionisme en Afrique contre les droits inaliénables du peuple palestinien.

L. D. Kabila, qui avait maintenu un foyer de résistance dans le Kivu ("Ehobora"), visité un moment par Che Guevara, forgea une alliance nationale et panafricaine en 1996 pour briser le piège de cet arbre à palabre inefficace et trompeur de la "conférence nationale" imposée par Mitterrand en 1990 avant de renverser le président léopard Mobutu.

L'abandon de la voie révolutionnaire et panafricaine par le Rwanda anti-fasciste qui avait stoppé le génocide, un moment allié de L. D. Kabila, se traduisit par une tentative de coup d'état déjouée contre Kabila et l'occupation militaire de l'est du Congo par des milices armées. Cette guerre d'occupation territoriale imposée à la RDC qui se poursuit encore a fait plus de 5 millions de morts pendant que les richesses de l'est du Congo continuent d'être pillées par les multinationales des impérialistes US et de l'UE.

L. D. Kabila fut assassiné, mais le nouveau pouvoir congolais ne tomba pas et Joseph Kabila prit la relève de son père tout en faisant des concessions aux impérialistes. Toutefois, ce

Page 11: Le journal de l'Afrique n°10

11

compromis qui cède à l'affairisme impérialiste occidental a été accompagné d'une ouverture du pays à d'autres partenaires économiques dont les BRICS.

Parallèlement, des projets économiques stratégiques panafricains d'envergure voient le jour avec l'Angola, le Zimbabwé, l'Afrique du Sud, la Namibie, la Guinée Equatoriale, le Mozambique, etc, y compris des projets de défense militaire patriotique et panafricaine. L'axe que constitue la SADC prend ainsi peu à peu le chemin du desserrement de l'étau néo-colonial des puissances impérialistes US et de l'UE.

Malgrè le tour libéral des politiques que mènent le fils Kabila, malgré ses concessions, force est de constater que les impérialistes cherchent à se débarrasser du régime kabiliste parce que justement la Chine et d'autres pays émergents sont devenus et/ou sont en train de devenir les premiers partenaires économiques et commerciaux de la RDC et des pays de la SADC. Il n'est pas rare d'entendre dans ces pays la phrase suivante: "la coopération avec les BRICS, en particulier la Chine, a réalisé en quelques années ce que des siècles de domination coloniale occidentale n'ont pas réalisé, notamment en terme d'investissements dans les infrastructures".

Confrontés à cette concurrence, et pour (re)contrôler totalement le pays comme du temps de Mobutu, les impérialistes remettent en scène le dinosaure, ex-ministre de Mobutu, Tshisekedi, et autres apatrides qui ont mangé à la soupe de Mobutu, sans oublier l'achat d'éléments de la "diaspora" congolaise en Europe pour vilipender J. Kabila en l'amalgamant avec les chefs d'état néo-coloniaux des réseaux françafricain, eurafricain, usafricain.

Tout ce beau monde s'agite bruyamment et agressivement en attaquant parfois physiquement les autorités congolaises en visite dans les pays européens dans le but de ramener carrément la RDC dans le giron de la domination sans partage des impérialistes US et de l'UE.

Là où la guerre à l'est et l'inféodation aux impérialistes de la soi-disant "opposition" congolaise sont en passe d'échouer, c'est manifestement Y en a marre et Balai citoyen qui sont ainsi mis à contribution par les impérialistes pour déstabiliser et renverser le pouvoir Kabiliste. Tout ceci est fait aussi pour berner la soi-disant élite africaine et les militants panafricanistes en les décervelant avec les slogans de "démocratie", "d'institutions fortes", de "guerres humanitaires".

Cabral, Sankara, Nkrumah, Um Nyobé, Cheikh Anta Diop comme icônes inoffensives

Y en a marre et Balai citoyen ont souvent à la bouche ou sur leurs tee-shirts ces figures historiques des luttes anti-colonialistes et anti-impérialistes africaines. Ils les présentent comme leurs inspirateurs et références. Presque tous ces héros sont des martyrs assassinés par les mêmes qui les financent et se tapissent derrière le "tourisme" politique prétendument "patriotiques et démocratiques" des louangeurs Y a en marristes et du Balai citoyen qui en font des icônes inoffensives tout comme les publicistes des Multinationales prédatrices le font maintenant avec la figure du CHE.

Certains d'entre eux sont des collabos conscients des impérialistes, mais tous ne le sont pas, notamment les dizaines et centaines de milliers, voire les millions de jeunes qui ont été les acteurs majeurs des historiques journées du 23 juin et du 30 au 31 octobre au Sénégal et au Burkina Faso.

Que savent-ils vraiment des théories et pratiques des révolutions africaines incarnées par les Cabral, Sankara, Um Nyobé, Osendé Afana, F.R. Moumié, Nkrumah, Cheikh Anta Diop, Victor

Page 12: Le journal de l'Afrique n°10

12

Diatta, Lamine Arfan Senghor, Thiémoko Garan Kouyaté, des doyens du PAI qui ne sont jamais reniés, etc. ? Savent-ils que ces héros et martyrs ont été liquidés par les impérialistes avec la complicité directe ou indirecte d'africains qui ont été les rouages humains de la servitude dont les peuples africains sont victimes jusque de nos jours? Sont-ils vraiment prêts à se mettre en théorie et en pratique à l'école de ceux et celles qui ne doivent pas devenir les icônes inoffensives instrumentalisées par des pantins au service des impérialistes?

Les grands révolutionnaires africains ont forgé, à défaut de vaincre, des théories et pratiques pour que l'Afrique et les peuples d'Afrique conquièrent l'indépendance et la souveraineté nationale et populaire. C'est cela qu'ils ont légué à la jeune génération d'aujourd'hui qui doivent à leur tour, comme le dit F. Fanon, s'acquitter de leur devoir en parachevant leur œuvre émancipatrice inachevée.

L'escapade néo-coloniale en RDC de Y en a marre et du Balai citoyen interpelle chaque jeune qui s'est engagé dans la mobilisation sociale et citoyenne contre les régimes françafricain, eurafricain et usafricain que ces mouvements médiatisés par les ONGs et la presse impérialiste ont symbolé.

La jeunesse africaine doit s'affranchir des diktats de la pensée unique libérale pro-impérialiste déclinée sous la forme trompeuse de la promotion de "l'entreprenariat privé" et des "institutions fortes".

En effet, seuls des hommes et des femmes "forts" forgeant des "institutions fortes" comme un parti populaire organisé et un Etat stratège au service du peuple, c'est-à-dire de la majorité ouvrière, paysanne et des travailleurs du secteur informel, peuvent œuvrer, en encadrant et en contrôlant la bourgeoisie patriotique, à frayer la voie à la libération et ainsi à planifier le développement national et panafricain de l'Afrique pour les peuples africains.

Source : Investig’Action

…………………………………………………………………………..

Burkina Faso: «Cette transition n’est pas celle pour laquelle la population s’est battue»

Le 31 octobre dernier, Blaise Compaoré, président du Burkina Faso depuis 27 ans, est obligé sous pression d’énormes manifestations qui durent déjà depuis le 28, de démissionner. L’armée Burkinabè prend le pouvoir et le lieutenant-colonel Isaac Zida s’autoproclame président. Après des négociations avec les partis politiques, Zida accepte de devenir premier ministre et de laisser la fonction de président à un ancien pilier de la politique compaoréenne, Michel Kafondo. Le but de ce nouveau gouvernement de transition est d’organiser des élections en novembre 2015.

Nous avons rencontré récemment Jean-Baptiste Kaboré*, militant de gauche qui vit à Ouagadougou et qui était sur place lors des évènements. C'était pour nous une occasion de faire l'état de la situation au Burkina Faso.

Propos recueillis à Ouagadougou par Baba Miliki

Page 13: Le journal de l'Afrique n°10

13

Michel Kafando, président de transition, photo DR

Que pensent maintenant les Burkinabès, 5 mois après le départ de Compaoré, de la transition?

Jean-Baptiste K.: Il y a un slogan que les Burkinabès reprennent pour se moquer de la transition actuelle. Ils disent “plus rien ne sera comme avant” comme l'a annoncé le prési-dent le jour de sa prestation de serment. Or jusqu’à présent les Burkinabès ne voient rien qui ait changé. Les gens se moquent donc en reprenant cette phrase qu’il a osé prononcer si solennellement. La désillusion est là, aussi parmi ceux qui n'entendent rien à la chose politique et qui ont cru en lui aux premières heures de la transition. Ils sont nombreux à se rendre compte que la transition qu'ils vivent n’est pas celle pour laquelle la population s’est battue et trente-quatre jeunes sont morts fauchés par les rafales des mitraillettes du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP).

Prenez l'actuel président de la transition, Michel Kafando. Kafando était ambassadeur au-près des Nations Unies, pour le régime Compaoré. Avant Thomas Sankara, il était ministre des Affaires étrangères sous le régime de Jean Baptiste Ouédraogo puis celui de Sangoulé Lamisana.

Kafando a préféré l'exil en 1983, plutôt que de vivre sous le régime Sankara. C’est un ré-actionnaire viscéral, qui ne peut entendre parler de révolution. Donc si un peuple insurgé chasse un régime dictatorial et qu’on appelle un tel type pour venir diriger, on comprend que la révolution populaire n’est pas achevée.

Intéressante est la position de la toute puissante église catholique: nombreux sont ceux qui réclamaient pour diriger la transition, l’évêque de Bobo-Dioulasso (deuxième ville de

Page 14: Le journal de l'Afrique n°10

14

Burkina), Mgr Philippe Ouédraogo, connu pour son pragmatisme et sa langue de feu, comme dirigeant de la transition. L’Eglise a refusé sous prétexte qu’«un homme de Dieu ne peut prétendre à telle fonction». Elle a proposé Michel Kafando qui lui, est donc très proche des instances ultra-conservatrices de l’Eglise.

C'est un militaire, le lieutenant-colonel Zida, qui s'était auto-proclamé président le soir du 30 octobre quand Comparé s'était enfui. Après les négociations avec les par-tis politiques, il est devenu premier ministre de l'actuel gouvernement de transi-tion. Qu'en dire?

JB. K.: Zida était le numéro 3 du tristement célèbre “Régiment de Sécurité Présidentielle”, le RSP à la tête duquel se trouve le général Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier de Compaoré. Le numéro 2 en est Mamadou Keré, ensuite vient l’adjoint de Keré, le lieu-tenant-colonel Isaac Zida.

Au moment des évènements, Zida était à Bobo-Dioulasso pour y préparer la visite de Blaise Compaoré à l’occasion de la fête de l’armée qui était prévue pour le 2 novembre. Cela démontre assez la confiance qu'avait Blaise Compaoré en Zida: le Président n’en-voyait pas n’importe qui pour préparer son arrivée dans une ville, surtout au niveau de la sécurité et surtout à Bobo.

Zida a aussi joué un rôle prédominant en tant qu'intermédiaire entre la rébellion de Guil-laume Soro en Côte-d’Ivoire et le pouvoir de Blaise Compaoré. Après sa prise de pouvoir, lorsque lui a été posé la question de son action, il a répondu, contenant mal sa colère, qu’il n'avait rien fait d'autre que d’exécuter les tâches que ses supérieurs lui avaient confiées. Or c’est bien lui qui avait organisé de main de maître le recrutement des militaires qui ont procédé au carnage qui a eu lieu à Abidjan avant l'installation de l'ami fidèle Alassane Ouattara comme président du pays.

Zida est un militaire du RSP. C'est un régiment tristement célèbre: l’enquête indépendante sur l'assassinat de Norbert Zongo (1) a indiqué 6 suspects, tous membres du RSP. C’est le RSP aussi qui a interpellé l’étudiant Dabo Boukari, depuis 1990 personne ne sait ce qui s’est passé avec cet étudiant, son corps n'a jamais été retrouvé. C’est le même RSP de Gil-bert Dienderé, chef d’état-major de Compaoré, qui a combattu aux côtés de Charles Taylor au Liberia de concert avec le soutien de certains ministres, comme Salif Diallo, passé op-portunément dans l'opposition quelques mois avant la «révolution». Il existe de nom-breux témoignages de militaires qui relatent avoir été au Liberia prendre livraison de car-gaisons de diamants alors qu'ils n'avaient officiellement que des ordres de missions de «porteurs de courrier», dépêchés par Compaoré auprès de Taylor.

On parle du fameux mouvement du Balai-Citoyen qui s'est retrouvé à la tête de la révolution, que pensez-vous de ce mouvement?

JB. K.: D’abord, il ne faut pas que l’on parle de “révolution”, car la révolution est un chan-gement fondamental, or, il n’y a eu aucun changement. Il y a eu d'une part un peuple in-surgé qui a chassé un dictateur et de l'autre des éléments de ce même ancien régime dic-tatorial qui sont revenus «ramasser» le pouvoir avec la complicité d'imposteurs qui pré-tendaient se battre aux côtés de ce peuple. Et ils en assurent fidèlement la continuation

Page 15: Le journal de l'Afrique n°10

15

aujourd'hui, c'est «business as usual», après une pause, les magouilles, la corruption, tous les maux de notre société ont repris leur train-train quotidien et liberticide.

On prétend que les révolutions, de nos jours, se font par internet, en Tunisie et ailleurs comme chez nous, mais c’est faux. Tout se passe d’abord et avant tout sur le terrain. Avant l’insurrection populaire, le Balai-Citoyen a essayé quelques fois de convoquer les masses à ses propres rassemblements, cela a échoué à chaque fois, il suffit de se rappeler de la période où les délestages (coupures d'électricité) incessants à Ouaga faisaient grincer des dents, ils ont appelé les foules à réagir: ils n’ont pas pu mobiliser plus de 200 personnes. Ensuite quand Blaise Compaoré a tenté son imposture pour pouvoir se représenter, de réviser l’article 37 de la Constitution, le Balai-Citoyen a appelé les jeunes à camper dans la nuit du 29 à la place de la Nation: personne n’y est allé! Egalement la nuit du 30, ils ont demandé aux gens de venir, personne n’a répondu. Ils ne mobilisent pas. Or, l’histoire de notre pays montre que sous le régime dictatorial de Blaise Compaoré, même sous les ré-gimes d’exception, il y a toujours eu des gens qui se sont battus, qui ont fait la prison et qui en sont sortis parfois infirmes. Quand on a assassiné Norbert Zongo en 1998, nombre d'organisations se sont battues pour libérer les espaces de liberté. C’est à partir de ces espaces de liberté qu’il y a eu un tas d’entités de la société civile qui se sont battues pour leurs idées. À cette époque, où le slogan “Si tu fais, on te fait et y’a rien...” était en vogue, les dirigeants du Balai-Citoyen se faisaient-ils entendre ? Existaient-ils seulement?

Il y avait des gens qui se battaient et qui avaient libéré des espaces de libertés. Le Balai-Citoyen, n’existe pratiquement que depuis deux ans et il revendique déjà une révolution et un soulèvement populaire. C’est vraiment se moquer du combat réel des Burkinabès. La mobilisation du 29 a été le résultat du travail des organisations populaires dans les quartiers avec les couches fondamentales de la population, réunion après réunion, mee-ting après meeting, c’est ça qui a amené l’éveil des consciences et c'est ce qui a rendu pos-sible cette énorme mobilisation.

Pourquoi cette mobilisation n'a-t-elle pas débouché sur un vrai changement? Et comment comprendre alors que le Balai Citoyen ait pu se propulser sur l'avant de la scène?

JB. K.: Reprenons le fil des événements. C’était une insurrection populaire qui voulait à tout prix changer la situation mais par le biais de la presse, on a réussi à faire croire au peuple que le Balai Citoyen avait été à l’origine de cette mobilisation. Ils n'ont fait, en réa-lité, que jouer un rôle exécrable autant que néfaste à l'instant décisif. Dès le 30 novembre, les manifestants exigeaient la démission de Blaise Compaoré et voulaient au pouvoir, le Général Lougué, un général à la retraite. C’est un général très populaire au sein des forces armées (non-RSP) et au sein des populations. Or les gens du Balai Citoyen disaient, à la place de la Nation: “Qui vous a dit que le général Lougué en veut?”. En effet, il y avait eu une réunion au sein des forces armées au cours de laquelle on a sommé au vieux Général Lougué de ne plus ouvrir sa bouche et de se tenir en dehors de tout cela. C'est encore des membres du Balai-Citoyen qui ont accompagné le 30 octobre, les militaires du RSP flan-qués d'un professeur de droit constitutionnel, le professeur Augustin Ouaba, à la Place de la Nation alors que le matin-même, le RSP avait tiré sur les manifestants! Ces mêmes «ma-nifestants» ont scandé «Nous ne voulons pas du RSP, nous voulons Lougué», d’autres «Nous ne voulons pas des militaires au pouvoir». Le chanteur Smokey, un des dirigeants

Page 16: Le journal de l'Afrique n°10

16

de Balai-Citoyen, a pris la parole. “Est-ce que vous êtes sûr que Lougué veut?” Mais Lougué voulait bien, il l’avait témoigné à la radio “Je veux, mais on m’a dit que si je parle on me bute ici-même, et mon garde du corps a dû intervenir pour me sauver de la salle” (avec une fracture à la jambe lorsqu'il a sauté le mur d'enceinte de l'endroit où se tenait la réu-nion pour sauver sa peau!). C’est alors que le Balai-Citoyen lui-même est allé chercher le lieutenant-colonel Zida pour proclamer qu’il avait pris le pouvoir. A ce moment, nous avons compris que les gens du Balai Citoyen étaient déjà les suppôts des militaires du RSP et travaillaient en étroite collaboration avec eux.

Ce qu’on a donc vu c’est une insurrection populaire non-armée. Le peuple se trouvait, les mains nues, face à un RSP hyper-équipé. Et au moment décisif c'est l'association du Balai Citoyen et la puissance de feu du RSP qui ont récupéré la révolution pacifique du peuple.

Il faut souligner la collusion entre le Balai-Citoyen et les Etats-Unis. Il y a un très grand nombre d’ONGs présentes au Burkina, elles y font de l'humanitaire, parmi toutes les per-sonnes qui y travaillent un grand nombre d'entre elles ont «le cœur à la bonne place». Mais, parmi elles, “le corps de paix américain” (US Peace Corps) dénote: leurs membres ne se cantonnent pas au travail humanitaire, ils se rapprochent des milieux de l'opposition officielle et souterraine et rapportent minutieusement et régulièrement leurs faits et gestes. Pour nous ce ne sont que des espions: la petite amie de Samska Jah, un des leaders de Balai Citoyen, est membre des Peace Corps et il voyage régulièrement, grâce à elle, aux Etats-Unis. De là à penser que le Balai-Citoyen a bénéficié des faveurs de l'Oncle Sam il n'y a qu'un pas... C’est d’ailleurs la même chose pour le mouvement sénégalais Y'en a marre qui a bénéficié de fonds d'OXFAM et de l'OSIWA (Open Society Initiative for West Africa de Georges Soros) qui lui a versé plus de 100.000.000 de francs CFA (€150.000).

Qu'est-ce que le peuple attend d'un vrai changement? Quelles sont les revendica-tions du peuple?

JB. K.: Le nouveau gouvernement a commencé à poursuivre une politique d'austérité et les intellectuels ont commencé à parler d’une trêve sociale. C’est-à-dire que les travail-leurs devraient ranger leurs revendications pour un an. C’est la période prévue pour la transition et dans laquelle il n’y aurait qu’un seul but, c’est l’organisation des élections. Mais ce n’est pas pour l’organisation d'élections que le peuple s’est soulevé et que des citoyens sont tombés. Les gens se sont mobilisés parce qu’ils vivaient une situation abso-lument misérable. Ils en ont fini avec l’ancien régime dans l’espoir de pouvoir mieux vivre. On ne peut donc pas leur demander de ranger leurs revendications d’ordre social. Les tra-vailleurs veulent par exemple la réouverture du débat sur la loi 13, celle qui régit leur fonction et qui est truffée d’injustices et d’inégalités. Ensuite, les travailleurs veulent, de-puis longtemps d’ailleurs, des augmentations de salaire. Certainement une augmentation du salaire minimum qui est maintenu à un niveau indécent de 30.648 francs CFA (€47,5) par mois. Mais ils ne sont pas écoutés. De plus, les travailleurs organisés dans les syndicats demandent une baisse réelle du prix du pétrole, vu qu’au niveau mondial ce prix a chuté. Or au Burkina Faso, on n’y ressent pratiquement rien de cette chute: le litre de carburant n'a baissé que par deux fois de 25 francs CFA (€0,03)!!!

Page 17: Le journal de l'Afrique n°10

17

Il y a aussi le code minier qui est beaucoup trop favorable aux grandes sociétés minières, personne n'en parle, tout est remis à «après les élections: la transition ne peut prendre au-cune décision». Le code est maintenu pour au moins un an: combien de tonnes d'or, de zinc, de manganèse etc. vont-elles disparaître sans comptabilisation? Il y a eu plusieurs cas de populations qui profitant du «coup d'état populaire» se sont insurgées contre les pratiques illégales des exploitants miniers. Ces sociétés prennent un permis d’exploita-tion pour une superficie donnée, or les populations s'aperçoivent qu’elles repèrent les sites d'orpaillage en exploitation traditionnelle «à sec» (2), et en chassent les orpailleurs. Cette pratique n’est évidemment pas prévue dans l'énoncé de leurs permis: appelé à la rescousse par les miniers, le nouveau régime a envoyé des contingents militaires pour mater orpailleurs et «fauteurs de troubles» et garder et sécuriser ces zones.

Compaoré, c'est clair, ne reviendra plus au Burkina: les Américains via l'ambassadeur de France (qui lui a permis de fuir le Burkina le vendredi 31 fatidique) lui ont fait com-prendre qu’ils ne le veulent plus ici. La question des biens mal acquis et de l'enrichisse-ment illicite des 27 ans de son régime, de la famille Compaoré, de ses ministres et autres corrompus de son régime, reste aussi une question ouverte qui n’est nullement abordée par le régime actuel. Aucune démarche des nouveaux gouvernants n'est entreprise pour saisir les tribunaux pour que ces biens mal acquis soient restitués à l’Etat burkinabé.

Est-ce que les élections annoncées pour novembre, pourraient amener un change-ment?

JB. K. : Franchement, nous n'attendons pas grand-chose d'élections organisées par ce ré-gime de transition dirigé par des individus comme Kafando et Zida. Pour un vrai change-ment il y a plusieurs conditions. Les conditions objectives, certainement dans le cas de notre pays, sont réunies. Le divorce entre les gouvernés et les gouvernants est là, du fait notamment des conditions de vie des gouvernés qui sont très précaires. Mais les condi-tions subjectives, c’est quoi? C’est que le peuple est conscient que ce n'est pas un homme qu'il faut changer mais bien un système qui fait que notre pays reste contrôlé et gouverné par la France et de plus en plus par les États-Unis, comme toute l'Afrique de l'Ouest d’ail-leurs. Or, ce travail de conscience et d'organisation était en retard, notamment chez la grande masse des jeunes. Mais sachez qu’au Burkina Faso il existe des hommes et des femmes qui se battent nuit et jour pour qu'un jour les choses changent fondamentalement. Des gens qui croient à la liberté et à cette égalité qui fait tellement défaut dans notre so-ciété.

Tant qu’il existe de l’injustice il y aura des gens au Burkina qui se battront pour un monde meilleur.

(1) journaliste assassiné (brûlé vif dans son véhicule) alors qu'il enquêtait sur le meurtre du chauffeur de François Compaoré, frère de l'«autre».

(2) les orpailleurs séparent les paillettes d'or du minerai en concassant celui-ci manuellement, c’est-à-dire sans aucun dommage pour l'environnement. Cela s’appelle l’exploitation à sec. Les sociétés minières, par contre, emploient les cyanures et nitrates d'aluminium pour la séparation chimique de l'or du minerai, ce qui est un procédé très pollueur et toxique pour l’environnement). Dans le film «Prospérité sous Terre» que Ronnie Ramirez a tourné en 2014 pour Zin-TV on peut entendre le Directeur de IAmGold SA, expliquer comment il étend son emprise sur toutes les zones aurifères non repérées par les cartes géologiques satellitaires et exploitées par les «locaux»; sa société a proposé après coup et en vain, au réalisateur jusqu'à

Page 18: Le journal de l'Afrique n°10

18

€800.000 pour récupérer les bandes originales du film.

(*) Jean-Baptiste Kaboré est un pseudonyme. Craignant pour sa sécurité, notre interlocuteur a requis l’anonymat. Source : Investig’Action

……………………………………………………………………………………..

Génocide des Tutsi du Rwanda : à quand la vérité ?

Vingt-et-un ans après le génocide de 1994 qui a coûté la vie à un million de Rwandais tutsi, et s’est accompagné du massacre de milliers de Hutu opposés à ce crime, la question des responsabilités de l’Etat français se pose plus que jamais au vu des nouveaux éléments à charge apportés depuis douze mois.

Par Raphaël Doridant

En avril 2014, au moment de la vingtième commémoration, l’ancien ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner a ainsi confirmé que « le gouvernement génocidaire a été formé dans l’enceinte de l’ambassade de France en avril 1994 », et que « Paris lui a livré des armes jusqu’en août 1994 ». Des livraisons d’armes implicitement reconnues par Hubert Védrine, Secrétaire général de l’Elysée en 1994, devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale.

Interrogé le 16 avril 2014 par le député Joaquim Pueyo, qui lui demande : « Est-ce que la France a livré des munitions aux forces armées après le début du génocide ? À quelle date ? », Hubert Védrine répond qu’à partir de 1990, la France a armé les Forces armées rwandaises (FAR) pour résister aux attaques du Front Patriotique Rwandais (FPR) et permettre la négociation d’un compromis politique. Il ajoute : « Donc, il est resté des relations d’armement et c’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies : c’est la suite de l’engagement d’avant, la France considérant que pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l’offensive militaire » [1].

Page 19: Le journal de l'Afrique n°10

19

Hubert Védrine

Photo sous licence Creative Commons BY-NC-ND de François Van Zon.

« [L]a poursuite des livraisons d’armes aux Forces armées rwandaises jusqu’en juillet 1994 » est également mentionnée dans une note du 24 février 1995 de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, rendue publique le 22 avril 2014 par Patrick de Saint-Exupéry.

Pour sa part, l’ex-capitaine Guillaume Ancel, qui a participé à l’opération Turquoise, a raconté comment il avait été chargé de détourner l’attention des journalistes, dans la deuxième quinzaine de juillet 1994, alors qu’un convoi d’armes destinées aux FAR était acheminé vers le Zaïre.

Le témoignage précieux de Guillaume Ancel éclaire aussi les objectifs réels de l’opération « humanitaire » Turquoise. L’ex-officier affirme en effet avoir reçu deux ordres de combattre le FPR. Le premier, transmis le 22 juin 1994, était de réaliser un raid sur Kigali, lors duquel le rôle d’Ancel était d’aller près du front pour désigner aux avions leurs cibles. Le second, le 30 juin, était d’aller stopper par la force le FPR à l’est de la forêt de Nyungwe. Une opération annulée in extremis, le 1er juillet vers 5 h 30 du matin : « Mon hélico a déjà décollé quand un officier de l’état-major du COS vient nous faire atterrir en urgence et annule toute l’opération. Cela veut dire qu’il y a eu un ordre politique, de très haut niveau, qui a dû être donné au dernier moment (vers 5 h du matin à Paris, puisque l’heure française est la même que l’heure rwandaise). Il a donc dû résulter d’un long débat nocturne, suscité par une des (rares) personnes qui à Paris sont informées de cette opération ».

Briser la chape de plomb

De ces discussions au plus haut niveau de l’Etat, nous savons encore trop peu. Le travail de Jean-François Dupaquier (Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda, Karthala, 2014) a certes permis de documenter la désinformation menée par les services rwandais à destination des autorités françaises dans le but de faire passer, avec l’aide de certains officiers français, la guerre contre le FPR pour une agression extérieure commise avec l’aide d’une puissance anglophone, l’Ouganda. Une présentation taillée sur mesure pour cadrer avec l’obsession des responsables français pour la « stabilité » des alliés

Page 20: Le journal de l'Afrique n°10

20

africains et réactiver le « syndrome de Fachoda », la vieille rivalité d’influence avec les « Anglo-Saxons ».

Cette désinformation dont ils ont été la cible n’explique pas pour autant pourquoi les dirigeants français, par ailleurs correctement renseignés par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ont maintenu envers et contre tout leur alliance avec les génocidaires. Selon la note de la DAS citée par Patrick de Saint-Exupéry, la DGSE avait même proposé le 4 mai 1994 « une condamnation publique, sans appel, des agissements de la garde présidentielle rwandaise et du colonel Bagosora ». Ce dernier est considéré comme l’architecte du génocide, dont la garde présidentielle était l’un des principaux fers de lance. Le 18 mai 1994, devant l’Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé parle de « génocide » et déclare que « les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à l’élimination systématique de la population tutsi ».

Dès lors, pourquoi, deux mois plus tard, évacuer le gouvernement intérimaire rwandais vers le Zaïre ? Pourquoi faire de la force Turquoise un bouclier protecteur pour les FAR, derrière lequel elles pourront se réfugier avant de fuir le Rwanda pour se reconstituer au Zaïre, avec l’aide française ? A ces questions, comme à tant d’autres, les citoyens français n’ont reçu, pour toute réponse, qu’un récit falsifié de la politique menée au Rwanda par un petit cercle de dirigeants politiques et militaires, un récit qui reçoit visiblement l’aval des plus hautes autorités de la République.

[1] Voir l’enregistrement vidéo en ligne. La question de M. Puyeo se trouve à 39’ 40’’. La réponse de M. Védrine se trouve à 1h 00’ 38’’. Le compte rendu n°44 des auditions de la commission de la défense nationale et des forces armées, session 20132014, ne reprend pas les formules : « donc il est resté des relations d’armement », « il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies » et « c’est la suite de l’engagement d’avant, la France considérant que pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l’offensive militaire ».

Source : Survie

…………………………………………………………………………………………………………………

Les causes lointaines de la guerre au Mali Depuis le début du 20ème siècle, les ressources minières du Sahara : charbon (435 millions t), fer (500 millions t), manganèse (3,5 millions t), phosphate (2 millions t), etc. aiguisent les appétits dans le monde capitalo-impérialiste. Déjà en 1952, une mission de l'Assemblée de l'Union française avait conclu à la nécessité d'y créer un nouveau Territoire Outre-Mer (TOM). Et dès les premiers jets de pétrole à Edjélé et à Hassi Messaoud (en Algérie), le gouvernement français de l'époque a déposé à l'Assemblée nationale un projet de loi tendant à faire du Sahara « un territoire autonome ». Voilà l'expression lâchée ! L’article que vous allez lire vous donne les clés pour comprendre la genèse des évènements qui ont agité le nord du Mali début 2013.

Par Amadou Seydou TRAORE

Page 21: Le journal de l'Afrique n°10

21

I- REPERES HISTORIQUES :

Il faut tout d'abord se rappeler qu'à l'instar des autres régions du Mali, les anciens royaumes et empires pré-coloniaux ont opéré dans les actuelles régions Nord un brassage harmonieux de races et d'ethnies résultant de complémentarités fécondes et tolérantes.

Une des caractéristiques essentielles des populations de la zone sahélo-soudanienne est leur attachement à leur espace géographique, la simplicité de leur mode de vie, la cadence de leurs activités pastorales, agricoles, artisanales et commerciales. Tout au long de l'occupation de cet espace, les populations agro-pastorales de cette zone ont créé avec les populations sédentaires des rives du Niger, les conditions d'une vie harmonieuse et d'échanges fructueux. Avant, l'occupation coloniale, des ententes tacites liaient sédentaires noirs et nomades blancs, dans le respect de leurs intérêts mutuels.

L'occupation coloniale créera les premières discriminations entre nomades blancs et sédentaires noirs. Les actuelles régions Nord ont souffert d'une sous-administration chronique : 4 cercles, 10 écoles dont 4 dites « régionales » (primaires au niveau des chefs-lieux de cercles), 10 dispensaires et infirmeries. Cette administration, géographiquement et culturellement à des années-lumière des préoccupations des habitants se caractérisait par la séparation systématique des deux populations. Rien n'avait été entrepris en direction des populations nomades dans le domaine social et culturel. Seules les populations sédentaires étaient astreintes aux 10 jours annuels de prestations obligatoires pour l'entretien des routes et la construction de bâtiments administratifs. Seules elles étaient soumises, au recrutement pour l'école, l'armée et pour les corvées exigées pour les industries coloniales. Le résultat le plus négatif étant que rien n'a été entrepris pour le bien-être physique ou culturel des populations nomades.

L'un des pionniers de la scolarisation des populations nomades aura été le chef des Kel-Antassar de l'Ouest, Mohamed Ali Ag Attacher qui fit ouvrir des écoles sous la tente, pour sa tribu, et dont il faisait assumer les dépenses par les parents des enfants ainsi scolarisés. Ce fut l'origine des écoles nomades et des cantines scolaires dans les VIème, VIIème et VIIIème régions.

Le Mali indépendant, dans ses plans nationaux de développement entreprit de corriger les retards accumulés pendant la période coloniale : au plan politique, le gouvernement mis en place par l'US RDA fit assurer la représentation des populations nomades par trois des leurs sur les dix élus des actuelles VIème, VIIème et VIIIème régions. Devant l'insuffisance des cadres originaires de cette ethnie, le parti US RDA choisit quatre enseignants qui, après un complément de formation, furent nommés dans le commandement et dans la diplomatie.

Au plan administratif, il fut créé les structures administratives (arrondissements), dotées des moyens rendant possible la vie sédentaire. Ces structures ont été échelonnées de la frontière avec le Niger à celle qui nous sépare de la Mauritanie, couvrant ainsi la zone d'occupation nomade dans sa totalité.

Au plan économique et social, il fut procédé à la création de groupements d'éleveurs pour toutes les fractions, des fédérations de groupements ruraux et pastoraux dans les arrondissements et à l'ouverture d'une école dans chaque chef-lieu d'arrondissement.

La multiplication des magasins de la SOMIEX et des dépôts de l'OPAM ont permis d'assurer l'abondance et la permanence du ravitaillement en produits de première

Page 22: Le journal de l'Afrique n°10

22

nécessité, les officines de la pharmacie populaire ont mis les médicaments à la portée des populations de ces régions. L'institution d'écoles sous la tente, adaptées à la vie migratoire des populations nomades, la mise en place de cantines scolaires ont été des mesures spécifiques à leur mode de vie. Le coup d'Etat de 1968 a empêché le démarrage des travaux de construction et d'équipement par des fonds maliens, saoudiens et koweïtiens d'une cinquantaine d'écoles fondamentales bilingues particulièrement adaptées à la scolarisation des enfants nomades ainsi que la construction du lycée Mohamed V de Tombouctou cofinancé par le Maroc et le Mali.

Des délégations de femmes, de pionniers, d'artisans et d'artistes des régions du nord parcouraient le reste du pays, apportant leur contribution à la consolidation de l'unité nationale.

La période CMLN-UDPM coïncida avec la terrible sécheresse qui contribua à la dégradation profonde et continue de l'écosystème de la zone sahélienne. La sécheresse et la désertification ont gravement perturbé le mode de vie des populations, le cheptel a été décimé et de nombreuses familles, fuyant la désolation, cherchèrent sous des cieux cléments de quoi assurer leur survie. Le Nord du pays fut d'abord délaissé, puis cyniquement exploité par le régime défunt qui détourna d'importantes portions de l'aide extérieure, fruit de la solidarité internationale. L'on vit alors dans ces paysages de désolation, pousser villas somptueuses et fermes agro-pastorales équipées et prospères. Plus grave, le régime UDPM tout en assurant la promotion personnelle de cadres nomades véreux, raviva l'opposition sédentaires et nomades jadis encouragée par le colonialisme, et la cristallisa en procédant à la surreprésentation des populations nomades au détriment de leurs compatriotes sédentaires, ainsi que le montre le tableau ci-dessous de représentation des élus UDPM.

Population sédentaire : 1.000.000 habitants

Population nomade : 200.000 habitants

Sections UDPM Secrétaire général Députe BEC

Ansongo

Bourem

Goundam

Gourma Rharous

Kidal

Ménaka

Tombouctou

Sédentaire

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

Sédentaire

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

Nomade

On peut maintenant, essayer de comprendre la genèse des évènements qui ont agité le nord de notre pays. Il existe deux forces centrifuges : l'une d'origine externe et de nature impérialiste ; la seconde interne et de caractère racial, quoique des alliances puissent les souder provisoirement même si, objectivement, des contradictions les divisent.

II- L'O.C.R.S :

Page 23: Le journal de l'Afrique n°10

23

La première, tant pour son antériorité que sa gravité, remonte aux dernières années de la présence coloniale au Soudan Français. Le projet de création de l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) ambitionnait de détacher des espaces territoriaux de l'Algérie, du Soudan Français (le futur Mali), du Niger et du Tchad, des zones réputées riches en ressources minières au bénéfice de la puissance coloniale. Le corollaire évident était d'obtenir l'adhésion des populations, de miroiter aux yeux des ethnies blanches, la promesse de ne pas subir le « commandement des anciens esclaves noirs ».

En quoi consistait ce projet ? Depuis le début du 20ème siècle des hommes avertis avaient pressenti que le Sahara, désert et infertile en apparence, pourrait bien devenir un jour, grâce à ses ressources minières, un territoire très riche.

M. Erik Labonne, ancien résident de France au Maroc avait proposé à son pays de construire un grand ensemble industriel au Sahara.

En 1952, une mission de l'Assemblée de l'Union française avait conclu à la nécessité d'y créer un nouveau Territoire Outre-Mer (TOM) et dès les premiers jets de pétrole à Edjélé et à Hassi Messaoud (en Algérie), le Gouvernement Français de l'époque a déposé à l'Assemblée nationale, un projet de loi tendant à faire du Sahara, relevant de collectivités territoriales et ministères différents, « un territoire autonome ». Voilà l'expression lâchée. Cette notion de « Territoire autonome » reviendra souvent sur le tapis concernant les régions du Nord de notre pays.

Malgré l'hostilité et l'opposition de plusieurs parlementaires d'Afrique du Nord et de l'Afrique subsaharien, l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) fut créée par la loi française n°057-7-27 de 10 janvier 1957 parue dans le Journal Officiel de la République Française du 12 janvier 1957. Le but officiellement proclamé était de « promouvoir toute mesure propre à améliorer le niveau de vie des populations et à assurer leur promotion économique et sociale dans le cadre d'une évolution qui devra tenir compte de leurs traditions ».

L' OCRS devait exercer son autorité sur :

2 grands départements algériens (Saoura et Oasis)

Les cercles de Goundam, Tombouctou, Gao (limites de 1957)

Le Nord des cercles de Tahoua et Agadès au Niger

La région du Bornou, Ennedi-Tibesti au Tchad.

Les limites Sud de l'OCRS n'ont pas été fixées par les textes qui se sont bornés à indiquer que « ses limites SUD devront être précisées après consultation des assemblées territoriales intéressées ». Ce qui était vague pour permettre à la France dont les armées se battaient à l'époque en Algérie, de pousser les limites Sud aussi loin qu'elle le voulait, puisque les assemblées à consulter n'étaient rien d'autre que des instances aux prérogatives réduites dans le cadre de l'Union Française.

L'OCRS était placée sous la direction d'un délégué général nommé en Conseil des ministres. Ce délégué devait « disposer à l'intérieur de l'espace Saharien, de tous les pouvoirs nécessaires pour atteindre les buts de l'organisation » et il nommait à « tous emplois ». Il avait, toujours par décret pris en Conseil des Ministres Français, délégation des pouvoirs précédemment exercés par le Ministre de l'Algérie et par les Hauts Commissaires et gouverneurs de l'AOF et de l'AEF. Il était responsable, avec l'assistance

Page 24: Le journal de l'Afrique n°10

24

d'un officier général, du maintien de l'ordre et avait autorisé sur toutes les forces armées stationnées ou non dans la zone, qui pourraient être mises à sa disposition.

Une sorte d'assemblée assistait le délégué général. Elle comprenait :

16 représentants des populations des régions sahariennes (8 Algériens, 2 Mauri-taniens, 2 Nigériens, 2 Soudanais, 2 Tchadiens tous sahariens)

16 représentants des assemblées françaises (8 députés français, 4 sénateurs fran-çais, 2 Conseillers de l'Union, 2 membres français du Conseil économique)

8 personnalités choisies au sein des organismes participatifs à la mise en valeur du Sahara et on a cité à l'époque : le bureau d'organisation des ensembles industriels, la CCFOM (Caisse Centrale), le bureau de recherche de pétrole, le bureau minier de la FOM (France d'Outre-Mer), le bureau de recherches minières de l'Algérie, Com-missariat à l'Energie atomique.

III- RICHESSE DU SAHARA :

1. L'eau : il est généralement admis par tous les hydrogéologues compétents ayant étudié cette région, que le Sahara recouvre d'immenses réserves d'eau sous pres-sion.

On cite couramment la Mer de SAVORNIN (800.000 km2 – 50.000.000.000 m3) et le Bassin de KATTARA (3 milliards de m3).

La nappe la plus importante va de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Mali, l'Algérie, la Libye, le Niger, le Tchad, le Soudan et l'Ethiopie. Or dès qu'il y a de l'eau, tout devient possible au Sahara.

1. Minerais : Il a été décelé dans les zones sahariennes, rien que la région Nord de Tombouctou les minerais suivants :

Gypse : 3.000.000 tonnes

Mirabilite : 198 millions de tonnes

Glaubérite : 366 millions de tonnes

Charbon : 435 millions de tonnes

Fer : 500 millions de tonnes

Manganèse : 3,5 millions de tonnes

Phosphate : 2 millions de tonnes

Sel gemme : 53 millions de tonnes

Des indices sérieux existent, concernant le diamant, platine, le cuivre, le nickel, l'or, le lithium, l'uranium, le zinc, l'étain, le plomb et le pétrole. Le Journal « Le Monde » du 23-7-57 avançait le chiffre de 6 à 7 millions de tonnes de pétrole comme production potentielle annuelle du Sahara. On se souvient que l'Omnium Français des Pétroles avait envisagé de construire en Bourgogne une raffinerie rien que pour le pétrole saharien. Et Max Lejeune alors Ministre français, inaugurant le pipeline n°1 à Toggourt en Algérie, déclarait : « Dans quelques années, la France, aidée par des concours extérieurs arrivera à obtenir son ravitaillement en carburant et deviendra directement après les USA et l'URSS la 3ème

Page 25: Le journal de l'Afrique n°10

25

Puissance énergétique mondiale ».

Et c'est bien là le véritable mobile de la création de l'OCRS qui a causé entre 1958 et 1960, une véritable fièvre dans les milieux, capitalistes et gouvernementaux français. Des actions médiatiques ont été menées :

Une exposition a été ouverte à Paris pour faire connaitre les gravures rupestres découvertes par Henri Lhote à Tam Ajers.

60 jeunes du Club Alpin sous la conduite de Herzog, le vainqueur de l'Annapurna étaient lancés à la conquête des cimes du Hoggar.

Des étudiants avaient fondé l'Association de Jeune Sahara pour disait-on, « Pro-mouvoir l'idée saharienne de la Jeunesse eurafricaine »

Le Conseil National de la SFIO (Section Française de l'Internationale Socialiste) a adopté le 16 mars 1958 à Puteaux, une motion en faveur de l'OCRS.

Le projet OCRS échoua parce que le Gouvernement de la République Soudanaise dirigé par l'US RDA, s'opposa fermement à cette tentative d'atteinte à notre intégrité territoriale, et parce qu'il fut rejeté par la plupart des chefs de tribus et de fractions. Cette folle entreprise a donc été enterrée à l'installation du premier Conseil de Gouvernement de la République soudanaise, en présence du Haut-Commissaire de la France et de l'Inspecteur des Colonies : la partie soudanaise était représentée par le Vice-président du gouvernement, Jean-Marie Koné et le Ministre de l'intérieur Mamadou Madeira Keita. Le projet d'amputation du territoire soudanais au profit de l'OCRS, fut retiré devant l'opposition ferme de la partie soudanaise.

L'année suivante, en 1958, en présence du gouverneur général des colonies, Messmer en visite chez nous, le conseiller territorial de Goundam, Mohamed El Mehdi, chef général des Kel Antassar revendiquait l'indépendance de la zone saharienne qu'il voulait faire ériger en soi-disant « République des Lithamés » pour « soustraire les nomades blancs à la domination de leurs anciens esclaves noirs ». Le Gouverneur Général Messmer envisageait favorablement la requête. Il fallut à la partie soudanaise un argument juridique et constitutionnel de taille, en l'occurrence l'appartenance de la République soudanaise à la « Communauté Franco-Africaine une et indivisible ». On voit là un exemple d'alliance entre des forces centrifuges endogènes et d'origine externe.

Le chef Kel Antassar persista dans sa volonté de sécession définitive qui aboutit, à la rébellion qui se manifesta dans l'Adrar des Iforhas et fut jugulée en 1964. Un noyau résiduel sécessionniste a persisté longtemps après et a trouvé refuge au Maghreb.

Le mouvement rebelle des années 1990-1992, chacun le sait, a recruté les populations originaires des régions décimés par la sécheresse de 1973 et qui ont trouvé refuge dans les pays voisins et en Libye. Des jeunes et des hommes valides ont été soumis à une formation idéologique poussée ; ils se sont aguerris dans les champs de bataille d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Certains rêvaient d'instaurer au sein de la SAOURA, la révolution du Mali. D'autres affirmant parler au nom d'un peuple de l'Azaouad, entendaient engager résolument « la lutte armée de libération » pour « recouvrer leur liberté confisquée et leur dignité bafouée et pour décider librement de leur avenir conformément à leurs aspirations légitimes ». Les premiers pensaient à instaurer une

Page 26: Le journal de l'Afrique n°10

26

« Jamahiriya » et les seconds une République islamique. Un troisième mouvement proclamait que sa berbérité ne serait se réaliser que dans une entité excluant les Arabo-islamiques. Les tenants de la République Islamique ont expédié une lettre au chef d'Etat de l'OUA, de la Ligue Arabe, de la CEE et des Etats Membres Permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU. Il y est dit que « mandat a été donné à la direction du Front Islamique Arabe pour la libération de l'Azaouad en vue d'informer longuement tous les pays frères et amis particulièrement ceux de l'Afrique et du Monde Arabe, mais aussi la France en tant qu'ex-puissance coloniale, sur le sens et les objectifs de cette lutte de libération et sa nécessité historique devenue plus que jamais impérieuse quant à la survie et à l'affirmation de son identité propre sur le plan national ».

Il semble que parmi les tribus Touareg, le mouvement de rébellion n'ait touché ni les Ouilliminden de Ménaka, ni les Kel-Bourem, les Irreguenaten et les Iguadarane de Gourma Rharous, ni les Kel Temoulaït et les Tillémédès de Tombouctou, ni les Tingueréguif de Goundam et de Diré. Il en serait de même des tribus Arabes des Kunta, des Tormoz et des Idreylouba et enfin les Kel Tamashek des Deg Hawalane, des Kel Haoussa et des Kel Essouk.

IV- CONCLUSION :

On peut constater en conclusion que les problèmes qu'affrontent les régions Nord du Mali, les régions sahariennes d'Algérie, du Niger, du Tchad et de Mauritanie ne sauraient être réduits à une nécessité de décentralisation administrative. Il s'agit de donner des réponses cohérentes à des questions aussi graves que la volonté de sécession de populations nomades instrumentalisées, de protection d'intérêts économiques et stratégiques, de risques éventuels d'unifications à base raciale permettant à des puissances étrangères de s'accaparer des richesses minières en Afrique.

Source : Investig’Action

…………………………………………………………………………………………………………………

Leçons bolivariennes pour l’Afrique

Lancée en 2004, l’«Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique-Traité de commerce des Peuples » (ALBA) a déjà accomplie une œuvre riche d’enseignements pour les peuples africains sur lesquels s’abattent les rapacités de toutes les puissances impérialistes qui se déchirent pour piller les richesses pétro-gazières et les minerais stratégiques du continent. L’ALBA éveille l’espoir de tous les combattants anti-impérialistes par l’exemple de souveraineté qu’elle donne face aux puissances impérialistes et par ses prises de positions révolutionnaires au niveau international.

Par Said Bouamama

Le 14 décembre 2014, l’«Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique-Traité de

Page 27: Le journal de l'Afrique n°10

27

commerce des Peuples » (ALBA) fêtait ses dix ans avec ses onze pays membres. Bâtie sur les

« principes de solidarité, de simple coopération et de complémentarité », l’Alliance se donne pour buts « l’éradication totale de la pauvreté, de l’exclusion sociale et de la dépendance externei». La jeune Alliance a déjà à son actif de nombreuses réalisations qui attirent vers elle l’attention et la solidarité des peuples africains. Surtout, l’ALBA éveille l’espoir de tous les combattants anti-impérialistes par l’exemple de souveraineté qu’elle donne face aux puissances impérialistes et par ses prises de positions révolutionnaires au niveau international. L’œuvre déjà accomplie est riche d’enseignements pour les peuples africains sur lesquels s’abattent les rapacités de toutes les puissances impérialistes qui se déchirent pour piller les richesses pétro-gazières et les minerais stratégiques du continent.

La solidarité régionale pour desserrer l’étau du marché capitaliste mondial

L’Afrique ne manque pas d’expériences révolutionnaires. A chaque fois, les gouvernements progressistes mis en place par les luttes populaires sont confrontés au système capitaliste mondial, à son échange inégal, aux stratagèmes mafieux qu’il met en place pour faire pression à la baisse sur les prix des matières premières et à la dette internationale étranglant progressivement les Etats. Le leader panafricaniste Kwame Nkrumah a, dès 1963, mis en évidence la nécessité d’une solidarité au moins régionale pour résister aux pressions néocoloniales ii. Dans son livre « L’Afrique doit s’unir », il développe les différentes raisons matérielles rendant nécessaire une dynamique de convergence au moins régionale, si ce n’est continentale : Sur le plan économique, l’auteur considère qu’il est impossible pour chaque pays de sortir de la situation de dépendance ; Les capitaux nécessaires pour une croissance consistante ne sont pas disponibles à l’échelle de chaque Etat ; L’existence de plusieurs monnaies, dont certaines dépendent directement des puissances impérialistes, est une entrave aux échanges ; Des politiques économiques non coordonnées engendrent une concurrence entre les pays, ce qui ne peut que profiter aux centres impérialistes qui se réjouissent de l’émiettement du continent ; Les projets industriels ou sociaux de grande ampleur nécessaires à l’amélioration des conditions de vie de la population et à l’indépendance économique ne sont possibles qu’à l’échelle du continent.

L’ALBA est une mise en œuvre concrète de ce programme de déconnection progressive avec le marché capitaliste mondial. Les réalisations sont d’ores et déjà conséquentes en à peine une

Page 28: Le journal de l'Afrique n°10

28

décennie : les programmes communs de santé et d’éducation ont fait passé l’indice de

développement humain de 0,658 en 2005 à 0, 721 en 2012 ; la nouvelle banque de coopération (banco de l’ Alba) finance 42 projets pour un montant de 345 millions de dollars (dans des domaines aussi divers que l’infrastructure ou les communications, l’alimentation ou l’environnement, etc.) ; pour mener à bien certains de ces projets, des entreprises communes ont été créées dites Grannationales (Grand-nationales) ; une monnaie virtuelle commune, le Sucre, a été créée pour servir d’unité de compte intra-Alba et permet des échanges régionaux sans utiliser le dollar ; etc.

La nouvelle dynamique régionale basée sur le principe de complémentarité (l’exact inverse du principe de concurrence du FMI et de la Banque Mondiale) met les acquis de chacun au service de tous : le savoir médical cubain a permis à des millions de personnes de tous les pays de l’ALBA d’accéder aux soins, l’analphabétisme est entièrement éliminé du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur et du Nicaragua grâce à la diffusion d’une méthode cubaine d’alphabétisation populaire de masse ; le pétrole vénézuélien est mis au service de l’ensemble des pays membres par le plan Pétrocaribe, la chaîne Télésur assure une information libérée des manipulations des puissances impérialistes, etc.

Au moment où l’Union Européenne impose aux pays africains des « Accords de Partenariats Economiques » (APE), c'est-à-dire l’ouverture complète des frontières à la concurrence des multinationales (c’est-à-dire encore la plongée dans la misère de millions de paysans et d’artisans), l’exemple bolivarien d’une intégration de complémentarité sans concurrence montre une autre voie pour l’Afrique.

S’appuyer sur les puissances émergentes pour diminuer la dépendance aux impérialismes

Le colonialisme dans sa forme la plus pure est concrétisé par le pacte colonial, c’est-à-dire un régime d’échanges imposé par le colonisateur, selon lequel la colonie ne peut importer que

des produits provenant de la métropole. Au moment des indépendances, les puissances coloniales ont imposé (par le chantage, par les assassinats des leaders africains de la libération nationale, par des coups d’état, etc.) des « accords de coopération » qui reproduisent le « pacte colonial », réduisant ainsi les indépendances à des indépendances formelles.

Initier un développement indépendant suppose de desserrer l’étau que constitue ce pacte colonial. L’existence de puissances émergentes est à cet égard un atout majeur de notre époque. Les pays d’Afrique ont un intérêt objectif à développer leurs échanges avec la Chine, l’Inde, le Brésil, etc., pour restreindre les possibilités de rétorsion des pays impérialistes et ainsi sauvegarder leur souveraineté nationale. Sur cet aspect également l’ALBA est un exemple. Le développement des échanges des différents pays de l’ALBA avec les économies émergentes donne une base matérielle à sa politique d’indépendance nationale. Dès sa naissance, l’ALBA affiche son choix politique en la matière : s’appuyer sur le nouveau paysage multipolaire mondial pour se libérer du système impérialiste. Le 29 septembre 2014, le président vénézuélien réclame ainsi une réforme de l’ONU pour que celle-ci reflète réellement le monde tel qu’il est :

« Les Nations Unies doivent s’adapter à un monde multipolaire et multicentrique, avec de nouveaux acteurs, des pays et des régions émergents, qui ont une voix et leurs

Page 29: Le journal de l'Afrique n°10

29

propres pensées et qui veulent être respectés. [ …] Un autre monde est possible et nous le démontrons dans Notre Amériqueiii. »

C’est cette politique de refus du pacte colonial qui est la véritable base matérielle des positions anti-impérialistes de l’ALBA admirée par tous les peuples africains : soutien au peuple palestinien, condamnation de l’agression contre la Syrie, la Libye ou l’Iran, soutien à la revendication argentine sur les Malouines, plainte contre les USA pour crime contre l’humanité, etc.

Les économies africaines sont aujourd’hui étranglées par des accords scandaleux avec les puissances impérialistes. L’exemple bolivarien de développement des échanges avec les puissances émergentes et de développement de la coopération Sud-Sud est aussi pertinent pour notre continent.

La diversité ethnique et culturelle est une richesse

Amilcar Cabraliv et Ruben Um Nyobev (tous eux assassinés par les puissances coloniales) nous ont légué une leçon qui a trop vite été oubliée : Le développement des États africains doit se baser sur la réalité de leurs peuples c’est-à-dire sur leurs diversités. Faute de cela, cette diversité peut être instrumentalisée par l’impérialisme pour diviser et justifier des interventions impérialistes. « Nous ne sommes pas des « détribalisateurs » [ …] Nous reconnaissons la valeur historique des ethnies de notre peuple. C’est la source même d’où jaillira la modernisation de la culture nationale» proclamait Um Nyobe en ajoutant « mais nous n’avons pas le droit de nous servir des ethnies comme moyens de luttes politiquesvi».

La seule manière de s’opposer à l’instrumentalisation impérialiste de la diversité culturelle est le traitement égalitaire de toutes les nations, de toutes les cultures, de toutes les ethnies. Dans ce domaine également, l’ALBA est porteuse d’espoir pour l’ensemble du monde et en particulier pour l’Afrique. Elle démontre que la construction d’Etats ne suppose pas l’uniformisation, l’assimilation forcée, la négation culturelle, etc. Au contraire, l’unité politique durable doit se baser et s’ancrer dans la richesse culturelle héritée de l’histoire. L’insistance de l’ALBA sur la fierté d’être afro-descendant et indien n’est pas un effet de mode mais une conviction politique profonde. Le nom même qu’a choisi l’Etat bolivien résume cette conviction : Etat plurinational de Bolivie.

Ce n’est qu’en s’appuyant sur les cultures populaires réelles que l’émancipation peut mobiliser les peuples. Chaque peuple ne peut progresser vers sa libération du capitalisme qu’en mobilisant et en mettant en mouvement ses masses populaires. La socialisation des moyens de production s’incarne ici dans le mot « nationalisation » et ailleurs dans l’expression « droit de la Pacha Mama » (Terre mère). Le président Evo Morales résume cette leçon de l’ALBA de la manière suivante : « la défense de la mère Terre, que nous les Indiens appelons Pachamama, est la meilleure bannière de lutte contre le capitalisme irresponsable et l’industrialisation irrationnellevii».

L’Afrique qui a tant de fois été victime d’interventions impérialistes basées sur une instrumentalisation de la diversité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse doit à l’évidence se mettre à l’écoute de l’expérience bolivarienne.

Page 30: Le journal de l'Afrique n°10

30

S’appuyer sur les mouvements sociaux

Thomas Sankara n’a pas cessé au cours de l’expérience révolutionnaire burkinabè d’insister sur la nécessaire mobilisation des masses. Seules les masses organisées à la base et par en bas peuvent garantir une émancipation réelle. Thomas Sankara nous rappelait ainsi sans cesse que :

« La révolution a pour premier objectif de faire passer le pouvoir des mains de la bourgeoisie voltaïque alliée à l’impérialisme aux mains de l’alliance des classes populaires constituant le peuple. Ce qui veut dire qu’à la dictature anti-démocratique et anti-populaire de l’alliance réactionnaire des classes sociales favorables à l’impérialisme, le peuple au pouvoir devra désormais opposer son pouvoir démocratique et populaireviii. »

L’expérience bolivarienne est dans ce domaine également éclairante. Le cinquième sommet de l’ALBA en 2007 ratifie le principe de la création d’un Conseil des mouvements sociaux en son sein. Il invite chaque pays membre à faire de même. Ce conseil est désormais un des quatre (à côté du Conseil social, du Conseil économique et du Conseil politique) qui déterminent les décisions de l’alliance. Il regroupe les mouvements sociaux (syndicats, organisations de luttes, mouvements féministes et mouvements de femmes, organisations des peuples indigènes, etc.) des pays membres mais aussi ceux des pays non membres qui s’identifient à la démarche de l’ALBA (comme le mouvement des sans-terres au Brésil, par exemple). Il a pour objectif d’associer les mouvements sociaux à toutes les décisions de l’alliance.

L’assemblée des mouvements sociaux des Amériques a adhéré à cette démarche de l’ALBA. Sa lettre du 2 avril 2009 « Pour construire l’intégration à partir des peuples, pour promouvoir et impulser l’ALBA et la solidarité des peuples, face au projet impérialiste » démontre que les peuples de l’ensemble du continent se reconnaissent dans l’expérience bolivarienne. Cette lettre précise :

« Le capitalisme central est secoué par une crise structurelle. [ …] C’est une crise du système, celui qui génère la surproduction de marchandises et la suraccumulation de capitaux et dont la « volte-face est l’augmentation brutale de la pauvreté, les inégalités, l’exploitation et l’exclusion des peuples, tout comme le pillage, les pollutions et la destruction de la nature ; [ …] Depuis Belém, où nous nous sommes réunis, nous, des centaines de mouvements sociaux de tous les pays des Amériques qui nous identifions avec le processus de construction de l’ALBA, appelons et nous engageons à réaliser des plénières nationales dans chaque pays pour générer des collectifs unitaires de construction de l’ALBAix.»

Un des points faibles, et qui s’est révélé important, des expériences révolutionnaires en Afrique a justement été un appui insuffisant sur les mouvements sociaux. Dans ce domaine également, l’expérience de l’ALBA est riche pour l’Afrique.

∞∞∞

Il est fréquent en Afrique d’en appeler au combat pour une « deuxième indépendance » qui ne se contenterait pas d’être formelle. C’est justement cette indépendance que l’ALBA a

Page 31: Le journal de l'Afrique n°10

31

commencé à construire. Elle est définie ainsi par le président équatorien Rafael Correa : «Il y a

200 ans, nos libérateurs nous ont donné l’indépendance politique. Aujourd’hui, nous, les nations du continent, devons gagner notre indépendance économique, culturelle, sociale, scientifique, technologiquex». Prenons le même chemin.

Source : Investig’Action

i Acuerdo para la constitucion des espacio economico del ALBA-TCP (ECOALBA-TCP),

http://www.elcorreo.eu.org/IMG/pdf/ECOALBA.pdf, ii Kwame Nkrumah, L'Afrique doit s'unir, Éditions Présence Africaine, Paris, 2001 et Le néo-colonialisme : Dernier stade de l'impérialisme, Éditions Présence Africaine, Paris, 2009. iii Nicolas Maduro, Assemblée générale des Nations Unies, 29 septembre 2014, http://vivavenezuela.over-blog.com/2014/09/l-onu-doit-s-adapter-a-un-monde-multipolaire-nicolas-maduro.html, consulté le 3 février 2015 à 16 heures. iv Amilcar Cabral, Unité et Lutte, La Découverte, Paris, 1980. v Ruben Um Nyobe, Ecrits sous maquis, L’Harmattan, Paris, 1989. vi Ruben Um Nyobe, Extrait de la lettre à André-Marie M’bida, 13 juillet 1957, in Achille M’Bembe, Ruben Um Nyobe, Le problème national Kamerunais, L’Harmattan, Paris, 1984. vii Evo Morales, 9ème sommet de l’ALBA, http://www.editoweb.eu/vive_cuba/attachment/200466/, consulté le 3 février 2015 à 17 h 04.

viii Thomas Sankara, Discours d’orientation politique, 2 octobre 1983, "Oser inventer l'avenir" - La parole de

Sankara, Pathfinder, New York, 1988, p. 46. ix Pour construire l’intégration à partir des peuples, pour promouvoir et impulser l’ALBA et la solidarité des peuples, face au projet impérialiste, lettre des mouvements sociaux des Amériques, 2 avril 2009, http://franceameriquelatine.org/IMG/pdf/Lettre_MS_Belem_2009-2.pdf, consulté le « février 2015 à 18 heures 15. x Rafael Vicente Correa Delgado , 9ème sommet de l’ALBA, http://www.editoweb.eu/vive_cuba/attachment/200466/, consulté le 3 février 2015 à 17 h 04.