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Le Journal de l’ Afrique N°7 Sommaire Editorial du Journal de l'Afrique n°7 par Carlos Siélenou & Michel Collon La vidéo du mois de février par Saïd Bouamama Les Brèves « Les USA ont un agenda caché en République Démocratique du Congo » par Tony Busselen & Olivier Atemsing Ndenkop Universités tunisiennes : Les étudiants en grève contre l’impérialisme européen par Guillaume Suing Libye : Chronique d’une seconde guerre annoncée par Raphaël Granvaud Scandale à la Cour Pénale Internationale : Les «preuves» annoncées contre Gbagbo en 2011 ont «disparu» par Philippe Brou Burkina Faso : une dette illégitime qui doit être répudiée par Pauline Imbach Février 2015 INVESTIG'ACTION www.michelcollon.info

Le Journal de l'Afrique N°7

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Février 2015, Investig'Action.

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Le Journal de l’Afrique N°7

Sommaire

Editorial du Journal de l'Afrique n°7

par Carlos Siélenou & Michel Collon

La vidéo du mois de février par Saïd Bouamama

Les Brèves

« Les USA ont un agenda caché en République Démocratique du Congo »

par Tony Busselen & Olivier Atemsing Ndenkop

Universités tunisiennes : Les étudiants en grève contre l’impérialisme européen

par Guillaume Suing

Libye : Chronique d’une seconde guerre annoncée

par Raphaël Granvaud

Scandale à la Cour Pénale Internationale : Les «preuves» annoncées contre Gbagbo en 2011 ont «disparu»

par Philippe Brou

Burkina Faso : une dette illégitime qui doit être répudiée

par Pauline Imbach

Février 2015 INVESTIG'ACTIONwww.michelcollon.info

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L'Edito du JDA n°007

Une nouvelle étape dans la guerre contre les médiamensonges

Où en est la lutte contre Boko Haram après la création d’une forceafricaine pour lutter contre la secte islamiste? En 2015, où sont passées lespreuves annoncées dès 2011 pour prouver la culpabilité de l’ex présidentivoirien, Laurent Gbagbo ? Que se passe-t-il réellement en Républiquedémocratique du Congo après l’insurrection populaire de janvier dernier ? Telssont entre autres, les sujets abordés dans cette nouvelle édition du Journal del’Afrique (JDA).

Autant les gens ont le droit de connaître la vérité sur l’Afrique, autantl’Afrique elle-même a le droit que la vérité soit dite sur elle. Et dès le premiernuméro du JDA nous en avons fait notre devoir. Pour y parvenir, nous nelésinons pas sur les moyens pour vous fournir des enquêtes et reportages surles événements tels qu’ils se déroulent sur le terrain et/ou pour aller à larencontre des spécialistes indépendants afin de vous offrir les clés de l’infoqu’il vous faut.

A la demande de ses nombreux lecteurs, Le Journal de l’Afriqueparaîtra au début de chaque mois dès mars prochain. Nous passons donc à unenouvelle étape dans la guerre que nous avons engagée contre lesmédiamensonges sur l’Afrique. Nous espérons vous avoir toujours aussinombreux à nos côtés ; car c’est ensemble que nous libérerons l’Afrique desmédiamensonges !

Carlos Siélenou et Michel Collon

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La vidéo du mois de février :

Cours N°2

Les Pensées Africaines de Libération

par Saïd Bouamama

« Aimé Césaire, un passeur entre deux époques »

Regarder la vidéo ici

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Brèves

Nigeria : Boko Haram annule les élections

Énième victime de Boko Haram

Les élections législatives et présidentielles n’ont plus eu lieu le 14 février 2015 auNigeria comme initialement prévu. Elles ont été renvoyées au 28 mars à cause des attaquesde la secte islamiste Boko Haram qui se multiplient, malgré l’entrée en guerre des soldatstchadiens et camerounais. Pour justifier ce report, la Commission électorale nationaleindépendante a évoqué l’impossibilité d’organiser le vote dans le Nord-Est du paystoujours tenu par Boko Haram. Ce renvoi intervient au moment où la campagne électoraleétait déjà engagée. Le président sortant Jonathan Goodluck et l’opposant Buhari sont aucoude-à-coude dans les sondages.

La Chine veut relier les capitales africaines en TGV

Un TGV chinois

La Chine et l’Union africaine (UA) ont signé le 27 janvier à Addis Abeba un protocoled’accord de construction d’infrastructures pour relier les capitales africaines. L’accorddotera l’Afrique d’autoroutes, de trains à grande vitesse et de liaisons aériennes « afind’éviter de devoir transiter par Paris ou par Londres pour se rendre d’une capitale africaineà l’autre », comme c’est entre très souvent le cas, a expliqué le vice-ministre des Affairesétrangères chinois, Zhang Ming. « C’est le projet le plus important jamais signé parl’Union africaine avec un partenaire », a précisé la présidente de la Commission de l’UA,Nkosazana Dlamini-Zuma, à l’issue de la cérémonie. « Ce projet marque le coup d’envoide la réalisation de l’agenda 2063 », date fixée par l’UA pour la mise en place d’uneAfrique unifiée et prospère, a-t-elle ajouté.

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Sénégal : La première dame s’offre un sac-à-main...

à 12 millions de FCFA

Marième Faye Sall, l’épouse du Président sénégalais Macky Sall tient à son élégance eten paye le prix. Lors du Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Dakar en décembredernier, la première dame du Sénégal a choisi de s’afficher à côté de son président de mariavec un sac-à-main Birkins Special Order estampillé Hermes. Prix de ce gadget de mode ?19 000 euros, soit 12 millions de F CFA. Marième Faye Sall est la présidente de la FondationServir le Sénégal. Un pays où le chômage et la misère touchent une grande partie de lapopulation vivant avec moins de…500 F CFA par jour.

Robert Mugabe à la tête de l’Union africaine

Robert Mugabe

Le vendredi 30 janvier 2015, Robert Mugabe a été désigné nouveau président enexercice de l'Union africaine (UA) à Addis-Abeba. Il remplace à ce poste le MauritanienMohamed Ould Abdel Aziz pour une période d’un an. Lors de ce Sommet de l’UA, il a étédécidé la mise en place d’une force africaine mixte chargée de lutter contre Boko Haram. Ellesera constituée des soldats de quatre pays : Nigéria, Tchad, Cameroun et Niger. Une semaineaprès le Sommet d’Addis-Abeba, les responsables militaires des pays cités se sont réunis àYaoundé pour définir les contours de cette force multinationale mixte. Elle sera constituée de8700 hommes et entrera en opération en mars 2015 après le vote d’une résolution du Conseilde sécurité de l’ONU.

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« Les USA ont un agenda caché en Républiquedémocratique du Congo »Secoué par un mouvement populaire sur-médiatisé début 2015, le régime deJoseph Kabila s’est plié mais n’est pas tombé, au grand dam des USA et decertaines chancelleries de l’Union européenne. Spécialiste de la région desGrands lacs, Tony Busselen* donne les clés pour comprendre ce qui s’est passéet se passera en RD Congo dans les années qui viennent. Dans cet entretienréalisé par Olivier A. Ndenkop, l’auteur du livre « Congo, une historiepopulaire » révèle aussi les techniques utilisées par certains pays impérialistesoccidentaux et leurs multinationales capitalistes pour affaiblir l’État congolaisafin de piller ses ressources minières en toute tranquillité.

Le 19 janvier 2015, des jeunes sont descendus dans la rue pour contester lanouvelle loi électorale. Pourquoi cette mobilisation subite des Congolais ?

La nouvelle loi électorale qui a été votée le 17 janvier au Parlement contenait dans sonarticle 8 une phrase qui était fortement contestée. C'était la phrase suivante : “La liste électoraleest actualisée en tenant compte de l’évolution des données démographiques et de l’identificationde la population.” L'opposition expliquait cette phrase comme si la composition de la liste desélecteurs dépendrait du recensement populaire. Cela impliquerait, selon eux, que les élections nepourraient pas être organisées avant la fin du recensement. Or, toujours selon l'opposition, cerecensement demanderait trop de temps. Dans cette interprétation de la phrase, les élections nepourraient donc pas se faire à la fin du mandat présidentiel prévu dans la constitution pour 5 ans,mandat qui devrait se terminer fin 2016. Pour l'opposition, cette phrase constituait la preuve que laloi électorale était une façon de prolonger le mandat de Kabila et de violer la constitution. Lesopposants avaient tout fait pour empêcher même la discussion sur cette loi. Ils avaient avec unesoixantaine de parlementaires (sur 500) organisé un concert de sifflets pendant deux heures dansle Parlement pour imposer un report de la discussion et du vote.

Or le ministre des Affaires intérieures, Boshab, expliquait mercredi 21 janvier au sénatque cette phrase signifiait en pratique que là où le recensement serait utilisable, on y tiendraitcompte pour former la liste d'électeurs. Les endroits où le recensement ne serait pas utilisable, onpourrait se baser sur les anciennes listes électorales de 2011 afin de les actualiser.

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Cela signifiait que les élections n'étaient donc pas liées à la finalisation du recensement et qu’iln'était pas question de violer la constitution. Pour éliminer tout doute, la phrase a été barrée.

La majorité présidentielle se défendait d'avoir mis la phrase dans la loi, pour éviter ... lacontestation de l'opposition qui avait exigé lors de son conclave à l’été 2013 l'organisation durecensement comme condition de l'organisation des élections. En effet, le dernier recensement enRDC date de 1985. Le manque de données objectives par circonscription électorale concernant lenombre d'habitants, leurs âges, leur sexe etc. était lors des élections précédentes aussi bien en2006 qu'en 2011 la plus importante cause des disputes sur les résultats entre candidats. Et puisquel'opposition tapait ces derniers temps surtout sur la soi-disant intention du chef de l’Etat deprolonger son mandat, le gouvernement pensait avoir trouvé une formulation qui évitait les deuxprocès d'intention : ne pas vouloir organiser des élections basées sur des données scientifiques etvouloir prolonger le mandat présidentiel. Le tout donne un peu l’impression d’un match de boxesimulé dans lequel les deux camps ont voulu jouer au plus malin et ont commencer à se cogner.

Comment une telle discussion juridique a-t-elle pu mener à la mobilisation dejeunes Kinois?

En effet, on peut se poser la question. Car la vie quotidienne en RDC est pleine deproblèmes concrets qui transforment l’existence des Congolais souvent en un enfer terrestre. Cesdifficultés existentielles sont beaucoup plus pressantes pour les masses que la discussion surl’interprétation juridique d’une phrase ! Il y a le chômage énorme, la nécessité de protéger descommunautés d'être chassées de leurs terres et de leurs maisons par des multinationales ou desgrandes entreprises qui disent avoir acheté ces terres comme leurs concessions et d'y commencerune exploitation minière ou agricole; l'infrastructure qui empêche que les quartiers populairessoient inondés lors des pluies, le manque d'approvisionnement d'eau et d'électricité, manqued'hôpitaux, de soins de santé etc...

Or les débats autour de ces problèmes sont effacés en faveur d'une atmosphère decampagne électorale avancée de quelques années. Cela entraine aussi bien des forces dans lamajorité que dans l’opposition. Cela arrange énormément l'opposition qui n'a en fait jamaisreconnu les résultats des élections présidentielles de 2011 (remportées par Joseph Kabila) mais quidepuis ces élections n'a jamais pu mobiliser d'une façon significative.

« Les déclarations venant de Washington, Parisou Bruxelles comme la parole de Dieu »

Qu’est-ce qui a fait la différence cette fois ?

C’est que début mai de l’année 2014, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, enpersonne est descendu à Kinshasa et y a déclaré que les Etats-Unis allaient financer les électionsavec une somme de 30 millions de dollars à condition que la constitution soit respectée en ce quiconcerne les limites du mandat présidentiel. Depuis lors, l’envoyé spécial d’Obama pour lesGrands lacs, Russ Feingold, a répété plusieurs fois d’une façon assez explicite des oukases etultimatums. Quelques jours après la visite de John Kerry, Russ Feingold déclara : "Our strongadvice is that there is a global election calendar with the presidential elections no later than theend of 2016, and (that there should be) no attempt to disregard the unamendable stipulation ofarticle 220."

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Et sur la décision de la commission électorale nationale indépendante de commencer desélections locales et régionales en 2015, il disait : "The local elections are expensive but are notrequired by the constitution. Organizing and financing these, but not the (presidential) elections,which are required by the constitution, is not a believable approach."

D’abord ces déclarations violent la souveraineté et donc aussi la constitution congolaisepuisque ce n’est pas au gouvernement étasunien de dicter le calendrier électoral en RDC. C’estune compétence de la CENI (Commission nationale électorale indépendante). Ce type d’ingérenceest d’ailleurs allé trop loin. Des ambassadeurs occidentaux ont pris des initiatives de réunir deshommes politiques de la majorité et de l’opposition afin d’arriver à un consensus autour ducalendrier électoral et de donner des injonctions à la CENI d’accepter ce « consensus ». Le samedi31 mai, le Président congolais a même convoqué tous les ambassadeurs présents à Kinshasa et adénoncé « les initiatives de certains de nos partenaires extérieurs qui donnent l’impression devouloir créer anarchiquement des structures parallèles aux institutions légitimes en place en RDCpour gérer des questions relevant constitutionnellement de ces dernières. Pareilles initiativesseraient, selon le chef de l’Etat, nulles et de nul effet car ne répondant à aucune sollicitation desinstitutions étatiques de la RDC qui n’est pas un pays sous tutelle.”

Or Russ Feingold n’a pas reculé, il a continué à taper sur le même clou. Il faut aussi direque l’équipe des envoyés spéciaux pour la région des Grands lacs qui agit comme une équipereprésentant la Communauté internationale qui accompagne le processus de paix à l’Est du Congoreprend comme un écho le même thème des étasuniens dans ses déclarations. Ce qui n’est pasétonnant puisque cette équipe est dominée par des diplomates occidentaux.

Il faut savoir que dans le monde politique congolais, même chez certains hommespolitiques de la majorité des déclarations sur leur pays venant de Washington, Paris et Bruxellessont reçues comme la parole de Dieu. Des journaux, titrent sans gêne depuis lors une sérieinterminables d’articles dans le style « Elections en RDC la CENI dos au mur » ou encore« Obama ne décolère pas » : « Kabila must go! ». Ainsi le gouvernement étasunien a réussi àcréer une situation de facto où la campagne électorale domine la vie politique deux ans avant lesélections. C’est un acte de déstabilisation qui n’est pas à sous-estimer.

Qu’est-ce qui a permis au pays d’éviter ce que certains appelaient déjà le« Printemps congolais » ?

Les événements à Kinshasa et à Goma, n’étaient pas un soulèvement populaire commeon a vu, par exemple au Burkina Faso. La population kinoise n’a pas suivi en masse les appels del’opposition d’occuper le Parlement à l’exemple du Burkina Faso. Il n’y a eu des manifestationsou mouvements que dans 9 communes des 26 à Kinshasa. A aucun moment les manifestants ontréussi à se joindre et former un cortège imparable. Il faut aussi mentionner que juste ce mêmelundi 19 janvier, il s’est déroulé un événement assez extraordinaire qui était la visite d’État duPrésident angolais Dos Santos à Kinshasa et la signature de quatre Accords entre les deux pays.Tout cela a été montré à la télévision en direct. On a pu voir comment le président angolais étaitaccueilli à l’aéroport de Ndjili, où il est monté dans une limousine qui a traversé sans problèmes laville jusqu’au Palais de la Nation au centre de la ville à Gombe.

A Ouagadougou on compte 1,4 millions d’habitants et on a parlé d’un million demanifestants, les images ont montré l’ampleur du mouvement. Or, Kinshasa est une ville de plusde 10 millions d’habitants. L’opposition y a lancé des tracts dans les quartiers, appelant lapopulation d’occuper le Parlement. En plus, dès le lundi matin il y a eu un flot de messages surTwitter et Facebook avec des photos et des vidéos qui devaient encourager et mettre en colère lesgens. On a vu défiler par exemple une vidéo de l’explosion d’une armurerie au Congo-Brazzavilled’il y a des années avec des images cruelles, montrant des gens qui avaient perdu leur jambesetc…, en disant que c’était la répression par la police et l’armée à Kinshasa à ce moment. Des

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images venues de Haïti ou du Burkina Faso. C’était tellement grossier que même France 24 et LeMonde ont consacré des articles à ces tentatives d’intoxication et de déstabilisation massives.

Le fait est que la population n’a pas suivi massivement, et elle a aussi désapprouvé lesactes de pillage et de vandalisme. Il y a 60 bus de la société publique de transport Transco, qui ontété détruits et aussi plusieurs stations et bureaux de Trancso. Au total on estime les dégâts pourcette société à 900.000 dollars. La maison communale de Ngaba a été détruite par le feu, lesarchives aussi. Des stations de police ont été brûlées. Le mercredi soir on a montré à la télévisionnationale, la RTNC, les images de ces violences et aussi l’explication du ministre Boshab. Ensuiteil y a eu aussi la coupure de l’Internet et des services SMS. Et le jeudi 22 janvier, il n’y a plus eude manifestations. Cela a pourtant duré jusqu’au lundi 26 janvier avant que la décision de barrer laphrase contestée ne soit prise.

On parle d’une répression sanglante, avec des chiffres de victimes allant de 14à 42…

Qu’il y ait eu des morts c’est regrettable, surtout quand on se rend compte qu’l s’agissaitd’une querelle politicienne autour d’une phrase qui n’était même pas nécessaire, qui en était lacause ! Il est probable qu’il y ait eu des dérapages de la part de la police dans certains cas, il estaussi probable que certaines sociétés de gardiennage occupées à protéger des sociétés, desbâtiments et autres biens, aient réagi avec trop de violence comme il est probable qu’il y ait aussieu de la violence de la part des pilleurs et émeutiers et que les manifestants politiques n’aient passu ou pu encadrer leurs groupes. Mais il est trop facile de mettre tout ce bilan sur le dos de lapolice et du gouvernement congolais comme l’ont déjà fait plusieurs diplomates et mediaoccidentaux. Il faut rappeler que le budget de la police congolaise n’est même pas un sixième dubudget de la police belge pour un pays 80 fois plus grand et avec 7 fois plus d’habitants. Enfin ilfaut aussi clouer le bec à certains nostalgiques du Mobutisme : on peut comparer le bilan de cesmanifestations avec le bilan des trois jours de pillages par les soldats de Mobutu fin janvier 1993sous le régime que certains exaltent toujours aujourd’hui. Aucun chiffre cité aujourd’huis’approche même de loin du bilan de janvier 1993 : 2000 morts, la ville complètement détruite et1300 expatriés qui ont dû être évacués !

RDC et Burkina Faso, même combat ?

Beaucoup de gens tirent des événements d’octobre 2014 au Burkina et dejanvier 2015 au Congo la conclusion que les peuples sont résolus à sedébarrasser définitivement des pouvoirs perpétuels en Afrique. Êtes-vous decet avis ?

Il y a deux points de discussion là-dedans: est-ce que le combat des peuples consiste à sedébarrasser des pouvoirs perpétuels et deuxièmement est-ce qu’on peut comparer les événementsen RDC à ceux du Burkina ?

Pour la première question, ma réponse est que les peuples se révoltent car ils ne voientpas d'issue à la crise, à la faim et à la misère. Pendant les 50 ans après les indépendancesl'impérialisme n'a jamais arrêté de combattre les indépendances. Les capitalistes-impérialistes ontinstallé des dictatures néocoloniales comme ceux de Compaoré et de Mobutu. Avec l'aide de cetype de dictatures néocoloniales, ils ont créé des dettes odieuses, ils ont pu manipuler jusqu'audébut de ce siècle, quand des économies émergentes ont changé la donne, les prix des matièrespremières.

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Les multinationales peuvent continuer à piller l'Afrique, mais contrairement à la périodecoloniale, ils n'investissent plus dans les États, dans le social ou les infrastructures. Raf Custers acomparé dans son livre C hasseurs de matières premières, édité par Investig’Action-Couleur livresle comportement des multinationales occidentales comme des météorites qui, après l’épuisementdes ressources qu'ils sont venus exploiter, laissent derrière elles de grands trous vides sans quel'environnement ait tiré le moindre bénéfice. Les explosions de colère populaire reflètent combienles peuples en ont marre de cette situation de misère dans laquelle l'impérialisme les tient. Maistant que l'on fait penser aux gens que la seule voie pour faire changer leur sort consiste à se battrepour l'alternance de leurs dirigeants, le changement ne sera pas du tout acquis.

Au Burkina Faso, Tolé Sagnon, ancien dirigeant du CGT-B, le plus grand syndicat dans lepays, posait très pertinemment la question lors d’une interview : « Pour moi, le débat qui vaut lapeine d’être mené est la nature du changement attendu par notre peuple. Si l’alternance à la têtede l’État signifie un changement de personne pour la remplacer par une autre personne du mêmesystème, qui va mettre en œuvre les mêmes politiques de dépendance, les mêmes politiqueséconomiques, en quoi cela servira-t-il les intérêts du pays réel qui se retrouve dans les rues ? »

Jean-Marie Bockel, ancien ministre de la Coopération au développement sous NicolasSarkozy l’a très bien compris. Il commentait la chute de Compaoré en ces termes: « Quelles quesoient les qualités d’un certain nombre de chefs d’Etat, à un moment donné, il y a l’usure dupouvoir. » En effet, prenons les exemples de Mobutu au Congo, Ben Ali en Tunisie ou Moubaraken Egypte. Tous ont été pendant plusieurs décennies des alliés majeurs des puissances occidentaleset de leurs intérêts économiques. Mais tous sont arrivés au point de rupture, où ils n’étaient pluscapables de contrôler leur peuple et gérer leur pays au seul profit des multinationales et desintérêts géostratégiques étasunien et français. Tous ont dû partir.

Les gouvernements occidentaux ont développé des stratégies pour « gérer » la colère despeuples et en même temps « accompagner la relève de leur personnel politique ». Les dirigeantspeuvent changer, mais leur politique pro-occidentale doit continuer. Nous avons ainsi vu commentles Etats-Unis et l’Europe ont essayé « d’accompagner » le printemps arabe en Egypte, Lybie et laSyrie. Et quand on voit que le Président et le gouvernement de transition au Burkina sontcomposés effectivement d’anciens hommes de main de Compaoré et d'hommes politiques pro-Occident, on peut être sûr que le combat du peuple burkinabè n’a fait que commencer.

Et en ce qui concerne la comparaison des événements en RDC et ceux auBurkina…

Cette comparaison montre comment on dissocie le débat sur la politique de Kabila de ladiscussion formelle sur le nombre des mandats de sa personne. Cela montre comment cettediscussion sur la fameuse alternance fausse le débat politique. Comparer Kabila à Compaoréarrange bien ceux qui veulent renverser Kabila dans une atmosphère démagogique, sans parler ducontenu de sa politique et sans formuler aucune alternative. Mais il suffit de comparer les choixpolitiques faits par Compaoré avec ceux faits par Kabila pour se rendre compte qu’il s’agit dedeux politiques complètement différentes.

Là, où Kabila est accusé de « souverainisme » par des dirigeants occidentaux, Compaoréa été pendant toute sa présidence, un pilier crucial pour la domination de la France et des Etats-Unis dans la région. Le Burkina Faso de Compaoré a été pendant des années la base arrière pourtous les mouvements rebelles qui ont déstabilisé les pays voisins ; que ce soit la Côte-d’Ivoire, leMali, le Liberia ou la Sierra Leone. Compaoré a collaboré avec l’UNITA de Jonas Savimbi, avecCharles Taylor au Liberia et avec le RUF en Sierra Léone. C’est avec son appui et l’appui del’armée Française que les milices d’Ouattara ont pu prendre le pouvoir en Côte-d’Ivoire.

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L’armée Française et l’armée étasunienne ont toutes les deux une base au Burkina. LeWashington Post a écrit plusieurs fois que c’est à partir du Burkina que toute la région del’Afrique de l’Ouest était mise à l’écoute des services de renseignements étasuniens. Le noyau del’armée de Compaoré était encadré et formé par l’armée française.

Depuis les années 1960, quand la Chine populaire n’était pas encore acceptée commemembre des Nations Unies, il y a eu une grande guerre diplomatique entre les gouvernements dela Chine et celui de Taiwan pour nouer des liens diplomatiques entre les pays d’Afrique et leurpays respectifs. Pour Taiwan c’était une question d’isoler le plus que possible la Chine populaire.Pour la Chine c’était une question de rompre son isolement. Les pays africains devraient choisir etpetit à petit la majorité des pays Africains a laissé derrière eux la politique d’isolation de laRépublique populaire de Chine. Or, ensemble avec le Swaziland et la Gambie, le Burkina Faso deCompaoré sont aujourd’hui les derniers alliés de Taiwan en Afrique qui n’ont donc pas derelations officielles avec la Chine populaire. Juste deux semaines avant sa chute, Compaoré étaitencore un des seuls chefs d’Etat présents à Taipeh lors de la fête nationale de Taiwan.

Kabila c’est juste l’inverse. Il préfère d’abord l’alliance avec l’Angola, l’Afrique du Sudet les pays de la SADC. Ensuite vient la Chine populaire. Les partenaires occidentaux sont lesbienvenus, mais sur pied d’égalité comme tous les autres. Le gouvernement à Kinshasa construitune grande armée avec l’aide d’accords de coopération militaire bilatérale avec beaucoup de pays,parmi lesquels les pays occidentaux ne forment qu’une minorité. Le refus de mettre sous tutelle lesommet de l’armée congolaise, irrite beaucoup les experts occidentaux.

Tout cela explique la méfiance profonde de la part de l’Occident envers Kabila et letraitement négatif de sa personne dans les médias. Tandis que Compaoré était loué, même encorequelques jours avant sa chute, par les Etats-Unis et la France pour ses “capacités de négociateur”dans des conflits dans lesquels il était lui-même acteur et arbitre sous l’œil bienveillant de Paris etde Washington.

Le président de l’UDPS, Etienne Tshisekedi et d’autres hommes politiques ontappelé les populations à « occuper pacifiquement la rue à partir du lundi 26janvier jusqu’au départ de Joseph Kabila du pouvoir ». Ce 26 janvier,contrairement au mot d’ordre des opposants, chaque Congolais a vaqué à sesoccupations. Au-delà des discours, quelle est la représentativité réelle del’opposition congolaise ?

Le problème n‘est pas d’abord la représentativité de l’opposition, mais plutôt la politiquequ’elle applique. Aujourd’hui beaucoup de gens se moquent de Tshisekedi parce que sa démarcheest prévisible et a depuis plus que deux décennies mené à des échecs innombrables. Tshisekedirefuse le dialogue quand on l’offre, il exige la capitulation totale de ses adversaires, et il exige niplus, ni moins que la présidence de la RDC. Sinon, c’est l’appel au boycott, ou l’appel en l’air à larévolte qui n’est simplement pas suivi. Cette pièce se joue déjà depuis 1991 et c’est devenu unecaricature. Mais on nie que cette caricature est le symbole pour une certaine politique et façon defaire de la politique qui est très largement répandue en RDC dans toute la classe politique, aussibien chez certains de la majorité présidentielle que de l’opposition. On peut caractériser cettefaçon de faire de la politique comme suit : on veut arriver au pouvoir sur la base de calculsfantaisistes, une surestimation de ses propres capacités et sous la protection et avec l’aide desambassades et puissances étrangères. Il y a manque de confiance dans les capacités du peuplecongolais et manque de poursuite réel des intérêts du peuple congolais. La souffrance du peuplene sert que comme fonds de commerce pour son combat personnel pour le pouvoir. Que ce soitKamerhe, Fayulu, Muyambo ou Katumbi, tous ont cette même façon de faire de la politique, dontTshisekedi est la carricature. Or le peuple n’est pas dupe et se méfie des hommes politiques engénéral.

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Ensuite il y a un réseau de l’opposition dure congolaise autour de la personne de HonoréNgbanda, l'ancien bras droit de Mobutu, chef des hibous, aussi appelé Terminator. Ce réseau aconstruit une influence considérable dans la diaspora. Des sites assez professionnels, tels que celuid’Apareco ou Ingeta, véhiculent des analyses et « révélations », qui sortent du laboratoire deNgbanda, qui lui est un produit typique des écoles des services de renseignements occidentaux.L’intoxication que Ngbanda sert, est inspirée par la stratégie de la guerre psychologique dugénéral britannique Frank Kitson qui a développé sa théorie sur le « black propaganda » au Kenyacontre les Mau Mau et ensuite en Irlande contre le IRA. Ce réseau de Ngbanda essaie depuis 2005de jouer un rôle dans chaque crise politique ou militaire en RDC. Il faut un peu insister sur qui estce monsieur Ngbanda.

Entre 1972 et 1997 Ngbanda a été un proche serviteur du dictateur Mobutu et de sespatrons: les impérialistes étasuniens. En 1997 au moment de la chute du dictateur, il se trouve àLomé en train de négocier de l'aide militaire pour sauver la dictature. Il attendra 6 années dansl'ombre, parce que comme il écrit dans l'introduction de son premier livre, il était conscient que lepeuple Congolais ne voulait plus rien savoir de lui et de l'ancien régime qu'il représentait.

Il lance alors en 2004 un livre où il prend une approche très critique contre les grandespuissances, qui pourtant le laisseront tranquillement faire son boulot de subversion contre la RDCles années qui suivent. La seule raison pour laquelle il prend cette posture critique envers lesEtats-Unis et la France, c'est pour faire oublier son passé criminel et pouvoir lancer une série demythes et de mensonges qui doivent l'aider à la subversion dans la RDC. Et ces mythes, malgréleur absurdité, sont très connus et reviennent aujourd’hui dans chaque mobilisation anti-Kabila :« Kabila serait un rwandais, qui a été mis à la tête de la RDC par un complot de l’Occident et duPrésident rwandais Kagamé. Ainsi aussi bien Kabila que Kagamé et Museveni seraient la causedu maintien de la violence à l’Est et les massacres de Congolais ». Tout son verbiage anti-impérialiste ne sert qu’à faire avaler ce type de délires fascistes. Le vrai but de Ngbanda reste larestauration du régime néocolonial qu'il a servi pendant 25 années au cœur même des services derenseignement, d'analyse et de répression.

En fait, Ngbanda applique une veille recette de l’extrême droite et des services secretsoccidentaux, c’est de reprendre des thèmes de la gauche pour semer la confusion et pouvoirintroduire une idéologie fasciste et raciste. Il est pour l'aile des anciens mobutistes rancuniers quiveulent coûte-que-coûte restaurer leur paradis perdu, ce que Soral est pour le Front National enFrance : un idéologue qui recrute pour leur cause. Son dernier livre a comme titre : La stratégie duChaos et du mensonge, ce qui est assez dégoûtant puisque le titre pourrait aussi bien paraître chezdes maisons d'éditions de gauche. Ngbanda reprend sans vergogne le titre du livre de MichelCollon : « La stratégie du chaos ». Donc le livre du sieur Ngbanda a un titre volé : (La stratégiedu Chaos). Et l’ajout « et du mensonge » sert à cacher sa propre méthode de travail ainsi que lanature fasciste de son organisation Apareco.

Sur la situation sécuritaire à l’EstParlons de la situation à l’Est du pays. Après la neutralisation des rebelles duM.23 en novembre 2013, quelle est la situation sécuritaire en RD Congo ?

Le fameux accord d’Addis-Abeba disait que les pays voisins ne pourraient pas accueillirles combattants du M23. Donc, quand, contre toute attente, le M23 a été battu militairement parles FARDC avec l’appui de la brigade africaine de la Monusco, les autorités rwandaises etougandaises auraient dû empêcher le retrait des soldats vaincus du M23 sur leur sol. Ils ont fait lecontraire, ces soldats ont été accueillis et logés dans des camps au Rwanda et en Ouganda. Lafameuse équipe d’envoyés spéciaux dominée par les Etats-Unis et l’Union Européenne, n’a pasbronché, au contraire. Ils ont dit qu’il fallait « une solution politique » et ils ont imposé desnégociations entre le gouvernement congolais et les M23.

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La position du gouvernement congolais était qu’il n’y avait plus rien à négocier sauf lareconnaissance de la défaite des M23. Sous pression des envoyés spéciaux, Kinshasa a accepté deslongues tractations à Kampala en gardant sa position. Cet exercice a mené à la signature de deuxdocuments séparés : les M23 ont signé un document dans lequel ils renoncent à la rébellion etconfirment leur dissolution. Le gouvernement a signé un document constatant que la M23 s’estdissout et s’engageant à faire ce qui est nécessaire pour la démobilisation et la rentrée des soldatsdu M23 en RDC. Résultat, deux ans après leur défaite, ces gens se trouvent toujours bien logés auRwanda et en Ouganda. Ils refusent de revenir sous prétexte que le gouvernement congolais refusel’amnistie pour tout le monde.

Dans les faits Kinshasa a fait une liste d’une quarantaine de personnes qui ne peuventpas profiter de l’amnistie car ils ont commis de crimes de guerre. Et tout ce chantage des rebelleset de leurs parrains à Kampala et Kigali se fait avec l’appui des envoyés spéciaux. Ces derniersmois il y a quelques dizaines de combattants qui ont été rapatriés après des négociations entreKinshasa et Kampala. Mais Kigali et Kampala ont toujours la grande majorité de leurs pions sur lebanc de réserve et ils peuvent les renvoyer armes à la main en RDC quand la situation s’y prête.De deux, il y a eu une défaite militaire des rebelles ADF, ougandais dans le nord autour de Beni.Or, cette défaite est suivie par une terreur et des massacres de civils comme si une force obscurevoudrait montrer coûte-que-coûte au monde entier en tuant des civils désarmés, que Kinshasan’est pas capable de garantir la sécurité sur cette partie de son territoire.

Le 1er février 2015, pourquoi l’armée de RD Congo a-t-elle décidé de lancer latraque des FDLR sans associer la Mission des Nations unies au Congo commeinitialement annoncé ?

Les FDLR c’est ce qui reste des anciennes milices qui ont participé au génocide de 1994au Rwanda. On les estime aujourd’hui à 1500. Ils se situent assez loin de la frontière rwandaise etne forment donc pas une menace pour le Rwanda. Ce sont des gens qui ont aussi terrorisé lapopulation congolaise et les réfugiés rwandais qui se trouvent en RDC. Ils contrôlent certainesactivités économiques comme le commerce de charbon. Ils forment donc un problème objectifpour le gouvernement congolais puisqu’ils maltraitent et tuent la population et ils empêchent ledéveloppement économique. Il s’agit de combattants expérimentés, sans scrupule qui surviventdéjà depuis plus de 20 ans aux différentes situations de guerre dans la région. En plus, ils sont trèsaptes à se cacher parmi la population et surtout le grand nombre de réfugiés rwandais qui sonttoujours estimés à 250.000 personnes. Tout cela rend chaque opération pour les démobiliser defaçon forcée, assez délicat et dangereuse. N’importe quelle force fera ce travail, que ce soit lesFARDC ou la Brigade Africaine de la MONUSCO qui est surtout formée pour des combatsréguliers avec des troupes comme le M23, court le risque de commettre des bavures et d’êtreaccusée de tuer des civils. C’est la raison pour laquelle le gouvernement congolais préfère la voielente et pacifique de démobilisation volontaire.

Or le Rwanda prétend que les FDLR sont une menace pour sa sécurité et ajoute que legouvernement congolais veut protéger les FDLR. Tous les experts non rwandais confirment queles FDLR ne forment pas actuellement une menace pour la sécurité nationale du Rwanda. En plus,il y a plusieurs rapports d’experts de l’ONU qui ont prouvé que le Rwanda a même renvoyé enRDC des anciens miliciens du FDLR pour déstabiliser l’Est du Congo. Bref, tout le monde saitque le Rwanda est de mauvaise foi dans cette affaire. Mais Russ Feingold et ses collègues del’équipe des envoyés spéciaux, continuent à prétendre que le Rwanda a raison de s’inquiéter etd’exiger la destruction totale et immédiate des FDLR.

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L’offre de démobilisation volontaire qui a pris fin le 2 janvier 2015 a été fortementcritiquée par le Rwanda, les Etats-Unis et l’équipe d’envoyés spéciaux. On suggérait en fait queKinshasa voyait les FDLR comme des alliés et ne voulait pas leur disparition. C’est ainsi que dansson discours devant le conseil de sécurité, le chef de la MONUSCO présentait les choses endécembre 2014 comme si le combat contre le FDLR devrait être pris en main et dirigé par laMonusco et que les FARDC pouvaient aider la MONUSCO. Ainsi le problème des FDLR estemployé pour exiger une forme de tutelle sur le Kivu. Et c’est ça que le gouvernement congolaisn’accepte pas. Maintenant tout peut arriver : si les FARDC réussissent à faire un parcours parfaiten prenant leur temps, Kinshasa aura gagné la bataille pour la souveraineté et la fin de laMONUSCO se rapprochera. Mais il est aussi possible que de nouveaux combats s’annoncent, quele Rwanda s’y mêle en lâchant ses M23 renforcés. Ou que l’on accuse les FARDC de crimes deguerre. Bref, la pression et la menace contre la souveraineté et l’intégrité territoriales restenttoujours présentes.

Qu’est-ce qui explique le grand écart entre les richesses minières du Congo etla pauvreté des Congolais ?

Les multinationales et les grandes sociétés se comportent en RDC comme cela leurconvient. Ils achètent des concessions et les emploient pour spéculer sans les exploiter. Ou quandils l’exploitent, ils le font sans aucun respect pour la population. Que ce soit Fist Quantum, Banroou Freeport-McMoran ou que ce soit Damseaux ou Forrest, ils ont tous intérêt avec lacontinuation de la fragilité de l’état congolais. Ils paient les taxes qu’ils veulent car l’Etat n’est pascapable de savoir même leur production exacte. Quand l’Etat ose les affronter comme cela a été lecas avec la société canadienne First Quantum, ils lancent une guerre totale dans les médias etdevant la justice internationale contre Kinshasa. Ils ont les moyens pour cela et leur argumentationest facile : « les dirigeants corrompus congolais refusent la bonne gestion ». Ces sociétés ont desrelations avec leurs gouvernements puissants dans leur pays respectifs et ces gouvernementsdéfendent l’intérêt de ces sociétés. Le gouvernement canadien, par exemple, a retardé d’une demi-année l’annulation de la dette en 2010 à cause du conflit de Kinshasa avec la société canadienneFirst Quantum.

Hillary Clinton a mis la mine de Tenke Fungurume, exploitée par la société FreeportMCMoran à la première place sur une liste des items économiques dans le monde que legouvernement étasunien estime crucial pour sa « sécurité nationale ». Didier Reynders est, à lademande des familles Lippens, Forrest, Vastapan et Damseaux, allé demander au président Kabilade faire retirer la loi agricole qui prévoit que plus que 50% des actions de sociétés agricolesdoivent être dans des mains de nationaux congolais. Et en face de ce beau monde - qui se présenteen plus comme l’incarnation de la civilisation et des règles de démocratie, bonne gouvernance etdroits humains - se trouve un État et un gouvernement très fragiles avec un héritage historiqueextrêmement lourd.

Après 75 années de colonisation, 36 années de dictature néocoloniale avec toute ladestruction économique et morale que cela implique, les Congolais ont dû subir une guerred’agression et une situation de balkanisation qui a duré 5 ans. Cela a été suivi par une période demise sous tutelle et de chaos de 4 ans. Et depuis 2006 il y a toujours la menace de guerre et lechantage qui restent forts. Le résultat c’est que le gouvernement congolais avait en 2013 unbudget qui était 7 fois plus petit que le budget de l’Angola voisin qui connaît une période de 20ans sans guerre. Or l’Angola a une population qui est le tiers de celle de la RDC et une surface quiest la moitié de la RDC.

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En plus l’Angola a construit une unité militaire, politique et morale dans le combatcontre le colonisateur et ensuite contre l’Afrique du Sud de l’Apartheid et la rébellion de l’UNITAfinancée par la CIA. L’aide du Cuba révolutionnaire a été cruciale dans cette évolution. Alorsqu’en RDC les forces anti-coloniales ont été massacrées, combattues et isolées par les puissancesoccidentales car la position stratégique du Congo - au cœur même de l'Afrique – fait que lecontrôle de ce pays est une question de vie ou de mort pour elles. En plus, les immenses richessesnaturelles et le potentiel économique du Congo en général, font du Congo l’enjeu de la rivalitéentre grandes puissances.

Quel bilan de la présidence de Joseph Kabila ?

En 2016, Joseph Kabila qui a succédé à son père assassiné en 2001 aura passé15 ans à la tête de la RD Congo. Quel bilan faîtes-vous de la présidence deKabila fils ?

Joseph Kabila a mis fin à l’état de balkanisation réelle de son pays qui a duré 5 ans. Il aobtenu que les armées d’agression quittent officiellement le pays et il a réunifié la Républiquedémocratique du Congo qui était déchirée en 4 morceaux. Ensuite il s’est battu pour mettre fin à lapériode 1+4 qui a duré trois ans, dans laquelle l’état congolais était très divisé et sous tutelle de lacommunauté internationale. Depuis il a défendu la souveraineté du Congo, l’intégrité territorialeet l’unité du pays contre les nouvelles guerres en 2004, 2008 et 2012 qui étaient lancées à partir deKigali et de Kampala. Depuis la défaite militaire des M23, la situation s’est un peu calmée, maisla menace est toujours présente.

On peut aussi noter qu’au plan économique il a réussi à mettre fin à la très longue périodedans laquelle il n’y avait plus aucune dynamique économique en Zaïre-RDC, période qui a duréde la fin des années 1970 jusqu’à environ 2008. Aujourd’hui la RDC connaît un chiffre decroissance de 8 à 9% et le chiffre de l’inflation est de loin le meilleur depuis l’indépendance. Il y ades routes qui sont construites, des concessions qui sont exploitées. La production de cuivre adépassé le niveau record des années 1970 – 1980. Les marchés de Kinshasa ont été pendant desdécennies approvisionnés pour une grande partie via l’importation de poulets, beurre, café etc…qui arrivaient dans les chambres froides. Aujourd’hui la société propriétaire de ces frigos les avendus et a investi dans l’agriculture au Congo même. Le maigre budget du gouvernement a étémultiplié par 4 entre 2006 et 2012, tandis que dans cette même période la part d’aide budgétaireextérieure a diminué de 43% vers 6,4%.

Au niveau des alliances et de coopération internationale, la RDC joue à nouveau un rôleimportant. Les bases sont jetées pour une alliance stratégique fondamentale RDC - Angola –Afrique du Sud. Joseph Kabila a continué la ligne de son père en ce qui concerne l’appartenanceet l’intensification des relations avec les pays d’Afrique australe dans la SADC. Et il a ouvert lepays aux économies émergentes, notamment la Chine qui est devenue le partenaire économique leplus important du pays. En même temps il enlève chaque prétexte aux Etats-Unis et l’UnionEuropéen de lancer une agression ouverte et il laisse la porte ouverte pour la coopération avec toutle monde.

Du côté négatif et faible : il ne s’appuie pas sur un parti qui est plus ou moins unifié auniveau des idées politiques et idéologiques mais sur un large front dans lequel on trouve beaucoupd’opportunisme et d’intrigues. Le résultat c’est que régulièrement des poids lourds du campprésidentiel le trahissent et cherchent à se positionner pour le futur. Il y a aussi des hommespolitiques qui se trouvent dans son camp, qui défendent ouvertement une politique de soumissionaux Etats-Unis et à l’Union Européenne.

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Deuxième grande faiblesse, c’est qu’il n’y a aucune forme d’organisation qui lie cegouvernement avec les masses. Les masses doivent toujours attendre que les choses soientrésolues pour elles. On ne leur donne pas de rôle. Depuis que les comités du pouvoir populaire ontcomplètement échoué et ont été dissous, il n’y a aucune forme d’organisation qui a donné dupouvoir au peuple. Celui-ci n’a pas les moyens d’exiger un développement qui lui permet derésoudre ou d’avancer avec les problèmes quotidiens auxquels il est confronté. Tous les efforts ettoute la dynamique économique se jouent au-dessus de la tête de la population. Souvent, le peuplene voit pas cette modernisation comme un mouvement auquel il fait partie.

Enfin, troisièmement, il existe au sein du gouvernement congolais aussi une certainecroyance aveugle dans le marché libre et dans la voie des économies émergentes comme seulprincipe de dynamique économique. Et il est vrai que pour développer les forces productives cemarché libre est utile, comme les économies émergentes le prouvent. Mais cette voie a ses limites,elle l’a amplement prouvé dans les grandes économies capitalistes et en tant que marxiste je suisconvaincu que tôt ou tard on aura besoin du perspectif du socialisme pour garantir la continuité duprogrès.

Comment entrevoyez-vous la présidentielle de 2016 ? Si le président JosephKabila ne se présente pas à la présidentielle de 2016, l’opposition ne pourra-t-elle pas être la principale victime de son émiettement, ceci au profit du parti duprésident sortant ? A votre avis qui pourrait remplacer valablement Kabila etfaire mieux ? Et doit-on craindre une guerre de succession ?

La région Afrique centrale se trouve déjà depuis deux décennies dans l’œil de la tempêteavec des génocides, guerres et massacres de millions de personnes, des énormes vagues deréfugiés mais aussi des victoires et du progrès modestes. La raison en est sa positiongéostratégique importante et la concentration des richesses naturelles unique dans un monde enperpétuels changements où les anciens maîtres sont décidés à défendre leurs positions privilégiéesavec le feu et le sang et dans lequel les peuples veulent la paix et le progrès et regardent vers leséconomies émergentes dans l’espoir de se libérer du joug néocolonial. Si cette région pouvait sestabiliser d’une façon plus durable sur la base de ses propres forces et connaître un vrai décollageéconomique, ce serait décisif pour l’Afrique entière.

Cela ne sert à rien de spéculer sur ce qui se passera au niveau des acteurs. En politique, ilne faut pas se baser sur des interprétations d’intentions de personnes. Et comme on a vu pendant ladernière décennie des tournures spectaculaires au niveau des alliances et de personnes, on le verraencore les années à venir. Le seul critère qui peut servir à juger les hommes politiques ce sera leurposition politique. Et on peut bien décrire les choix politiques devant lequel le peuple se trouverales années à venir : ou bien on se bat et on choisit de garder et surtout d’approfondir les progrèsqui ont été faits au cours de la dernière décennie en ce qui concerne, la paix, l’unité et lasouveraineté du pays, son indépendance et son ouverture décomplexée envers le monde et enfin sacroissance et re-dynamisation économiques. Ou bien les forces gagnantes seront celles quiplaideront pour le retour résolu vers une alliance avec les Etats-Unis et l’Union Européenne, lerenforcement du régionalisme et des intérêts particuliers. Dans le premier cas, on assistera à uneévolution vers l’émergence de la RDC comme un pays fort, dans l’autre cas le chaos et labalkanisation menacent.

En Afrique il faudra remplacer la phrase hypocrited’Obama « pas de démocratie sans alternance » par

« pas de démocratie sans souveraineté »

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Le 25 janvier 2015, la loi électorale controversée a finalement été adoptée demanière consensuelle par le Parlement. Elle ne lie plus l’organisation de laprochaine présidentielle à un quelconque recensement de la population. Quellesdoivent maintenant être les priorités aussi bien pour les populations que pourles hommes politiques ?

La première priorité est d’exiger le strict respect de la souveraineté de la RDC. Il fautexiger de l’Union Européenne et le gouvernement belge qu’ils assimilent la thèse de PatriceLumumba « l’histoire du Congo sera écrite au Congo même et pas à Washington, Paris ouBruxelles ». L’idée que l’on peut imposer la démocratie à partir de la communauté internationaleest à combattre.

Je pourrais commencer ici une explication à savoir que la démocratie aux États-Unis ouen Europe est pleine d’injustices et défend les privilèges d’ 1% les plus riches dans ce monde.Mais même cette démocratie bourgeoise connaît des différentes formes et règles d’alternance auxEtats-Unis, en Allemagne, en France etc… Quand Obama déclare urbi et orbi en 2009 que« L’Afrique n’as pas besoin d’hommes fort, mais d’institutions fortes » c’est mensonger, hypocriteet manipulateur. Mensonger : car dans chaque pays les institutions fortes, que l’on déclare êtredémocratiques, sont le résultat de l’histoire du pays même. C’est le résultat aussi bien des luttespopulaires des masses concernées et dans ces luttes il y a toujours eu des dirigeants, des hommeset des femmes forts. Des gens comme Washington ou Lincoln aux Etats-Unis, Bismarck enAllemagne, ou Robespierre et Bonaparte en France ont eu des influences différentes sur lesinstitutions, les règles d’alternance y compris. Pourquoi Obama décrète que c’est l’Afrique quidevrait suivre une autre voie ? Pourquoi ne dit-il pas cela, par exemple, à cet Etat en constructionqui est l’Union Européenne où Jean Claude Juncker est devenu président de la commissioneuropéenne, sans élections démocratiques et après avoir pendant 20 années eu le rôle de chef degouvernement au Luxembourg et avoir combiné ce rôle pendant 8 ans avec celui de chef dupuissant groupe euro ? Je ne mentionne même pas les amis intimes d’Obama, la famille royale del’Arabie-Saoudite. Cette habitude de lancer de beaux discours mais en même temps employerdeux poids deux mesures cache la vérité : dans tous les cas, ce sont les intérêts et l’agendagéostratégique étasuniens qui prévalent. Non, Lumumba avait raison. La démocratie pour lepeuple congolais, sera le résultat du combat du peuple congolais pour sa liberté et absolument pasde l’action des gouvernements occidentaux qui ont bien leur agenda et leurs intérêts à défendre enRDC. Au lieu de l’hypocrisie « pas de démocratie sans alternance » d’Obama, il faut défendre« pas de démocratie sans souveraineté » en Afrique.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Cela veut dire que la souveraineté des institutions congolaises doit être respectée. Celaveut dire absence d’ingérence dans le travail de la CENI de la part des ambassadeurs et diplomatesoccidentaux. La souveraineté impose que les diplomates occidentaux cessent de soutenir lacampagne de l’opposition qui est basée sur un procès d’intention du Président Kabila, et de cettefaçon créer une atmosphère poujadiste dans laquelle il n’y a plus de place pour un débat politiqueautour d’un programme de gouvernement. Elle suppose également que les diplomates qui« accompagnent le processus de paix », ne protègent plus le M23 et leurs parrains, en ayant tropde compréhension pour l’agression et l’arrogance des présidents Kagamé et Museveni envers laRDC.

En matière de politique intérieure, les diplomates occidentaux doivent poursuivre uneligne de stricte neutralité. Dans le conflit international avec le Rwanda et l’Ouganda, ils ont à fairerespecter les principes de la charte de l’ONU sur l’intégrité territoriale et le respect des frontières.

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On peut aussi se poser des questions sur la composition de ce qu’on appelle l’équipeconjointe des envoyés spéciaux pour la région des Grands lacs. Il s’agit de 6 diplomates :l’étasunien Russ Feingold, Koen Vervaecke pour l’Union Européenne, Frank De Coninck pour laBelgique, Martin Kobler, diplomate allemand et chef de la MONUSCO, l’Algérien Said Djinnit,envoyé spécial de l’ONU pour la région des Grands Lacs et enfin le malien Boubacar Diarra,Représentant spécial de l'Union africaine. En 2014, quand il s’agit de la paix en Afrique centrale,la communauté internationale est représentée par 1 américain, 3 européens et 2 Africains del’Afrique du nord. Est-ce que c’est normal que dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a aucunreprésentant de l’Afrique australe ou des pays émergents dans cette équipe ?

Les gouvernements étrangers ne respectent pas non plus la souveraineté de la RDC enlaissant lancer des campagnes d’intoxication criminelle à partir de leur territoire. Lancer une vidéoavec des images cruelles d’une explosion d’une armurerie à Brazzaville et prétendre qu’il s’agitdes conséquences de la répression policière au Congo, cela n’a rien à voir avec la libertéd’expression. C’est un acte criminel qui dans le contexte du lundi 19 janvier 2015 avait commebut de provoquer de la violence.

Or ces choses sont faites et organisées à partir de Paris, Bruxelles et ailleurs par despersonnes et des réseaux qui agissent depuis des années en toute liberté, sous les yeux des servicesde renseignements étasuniens, Français et belges. Enfin, en RDC, la tenue des élections localesainsi que la mise sur pied d’un système de recensement permanent reste très importantes. En cequi concerne les élections locales annoncées pour cette année 2015, ce sera la première fois que lepeuple choisisse librement les élus locaux qui vivent parmi eux. Jusqu’aujourd’hui, ces gens onttoujours été nommé d’en haut. Le fait d’organiser des élections à la base, peut contribuer à uneévolution dans la mentalité de la classe politique congolaise. Cela peut renforcer le processus deformation de vrais partis politiques qui ont une vision de société cohérente au lieu d’être desrassemblements d’opportunistes qui cherchent à se positionner dans la lutte pour le pouvoir. Quantau recensement, au fur et à mesure que cela avance les résultats seront une base scientifique pourl’organisation de l’Etat et de la représentation démocratique.

Entretien mené par Olivier Atemsing Ndenkop

Source : Le Journal de l'Afrique n°7, Investig’Action, Février 2015

* Tony Busselen de nationalité belge est aussi collaborateur du magazine Solidaire, mensuel etsite web du Parti de Travail de Belgique. Son livre « Congo, une histoire populaire » a été éditéchez Aden en 2010.

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Universités tunisiennes : Les étudiants en grève contrel’impérialisme européen

Une grève étudiante massive et nationale a démarré en Tunisie au début dumois de janvier dans les écoles publiques d’ingénieurs, dans un contexte post-électoral où le « laïc » Essebsi succède au président des islamistes Marzouki.La grève n’est pas liée à la transition politique. Elle remet plutôt en cause lesréformes imposées par la Commission Européenne en vue de braderl’enseignement supérieur tunisien aux capitalistes.

Par Guillaume Suing

Une grève étudiante massive et nationale a démarré en Tunisie au début du mois dejanvier 2015 dans les écoles publiques d’ingénieurs, dans un contexte post-électoral où le « laïc »Essebsi succède au président des islamistes Marzouki.

Cette première lutte à laquelle est confronté le nouveau gouvernement n’est pas liée àcette transition de pure forme mais plutôt à des réformes structurelles imposées par Bruxelles,ratifiées par les islamistes au pouvoir (sur la base d’un Plan d’Action co-élaboré en avril dernierpar la Commission Européenne et les islamistes) et qui sera mis en œuvre par le nouveaugouvernement Nidaa Tounes, notamment sur son volet « voie professionnelle et recherche ».

Le Plan d’Action 2013-2017 (sources en bas de page) élaboré par la CommissionEuropéenne est un document assez clair sur les intentions de l’impérialisme européen concernantle territoire tunisien et plus largement le Maghreb. « Grâce à la révolution, des perspectivesradicalement différentes s’ouvrent aujourd’hui dans les relations entre la Tunisie et l’Unioneuropéenne » dit le protocole, en ajoutant qu’est prévue « la conclusion d'un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) entre la Tunisie et l'Union européenne qui contribuera àl'intégration progressive de la Tunisie au marché intérieur de l’Union européenne en vue deparvenir à terme à l'édification d'un Espace Economique Commun. »

Suit une liste des secteurs qui feront l’objet de « réformes » sur la semi-colonie :« L’intégration bénéficiera d'un dialogue renforcé sur les réformes socio-économiques y comprisla performance économique, la promotion des PME, (…) ainsi que d’une coopération sectorielleétendue couvrant des domaines-clés tels que l’énergie, les transports, l’industrie, l’agriculture,(…) ».

On y prévoit « l’amélioration des possibilités d’accès au marché (…), la poursuite de lamise en œuvre des engagements pris sur la mise en œuvre d'une politique de concurrence efficace(…), l’échange des informations sur les monopoles d'Etat, les entreprises publiques et lesentreprises auxquelles des droits spéciaux ou exclusifs ont été octroyés en vue de faciliter laprogression de la Tunisie dans la mise en œuvre de l'article 37 de l'Accord d'association ».

Bref, il s’agit d’accélérer brutalement le processus de privatisation du secteur public,encore relativement développé en Tunisie (même s’il dépend essentiellement d’une bourgeoisiebureaucratique pro-impérialiste encore largement corrompue, issue de la période Bourguiba / BenAli). « L’intervention généralisée de l'État dans l'économie continue à limiter la concurrence surles marchés internes et à ralentir l'intégration commerciale aux marchés mondiaux dans lessecteurs des services. Les nombreuses restrictions qui limitent le nombre d’entreprises autoriséesà opérer sur un marché donné, combinées aux monopoles légaux (publics) et aux contraintesréglementaires excessives, circonscrivent la concurrence. Les secteurs où les investissements sontassujettis à des restrictions comptent pour près de 50% de l'économie tunisienne. »

C’est la définition même de la prédation impérialiste !

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Des exemples : « Promouvoir la coopération dans le domaine de la recherchescientifique et du transfert technologique ; Développer et renforcer des réseaux, infrastructures etinterconnexions (gaz, électricité, pétrole) en Tunisie ; Poursuivre les réformes des secteurs du gazet de l'électricité en convergeant avec l'acquis de l'UE, y inclus par l’adoption des codesélectricité et gaz; Mise en place d’un régulateur et élimination progressive des distorsions desprix [entendre qu’il s’agit de supprimer le dernier verrou permettant encore aux Tunisiens devivre décemment : la caisse de compensation étatique qui permet jusqu’aujourd’hui de fixer leprix des produits de première nécessité comme la farine ou le lait et d’empêcher leurinflation !] ».

En matière d’enseignement supérieur et de recherche en particulier, il s’agit de procéder,dans le sillage des accords de Bologne (2005), à une privatisation progressive de l’enseignementet à une adaptation mécanique aux besoins non des étudiants mais du patronat industriel implantélocalement. Le texte indique une volonté « d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie deréforme de la formation professionnelle en articulation avec celle à prévoir de l'enseignementsupérieur vers une plus grande adéquation aux besoins du marché du travail. (…) Améliorer laqualité et la gouvernance du système d'enseignement supérieur en Tunisie et renforcerl'employabilité des diplômés de l'enseignement supérieur. Renforcer la gouvernance, l'autonomiedes établissements d'enseignement supérieur » : en clair, privatiser l’enseignement supérieur pourservir les patrons et non l’accès du peuple à une large offre d’enseignement !

Z., une camarade étudiante de l’UJML et de l’UGET* précise les modalités de cettegrève étudiante dans la ville de Sfax (deuxième plus grande ville après Tunis) :

« Le mouvement a pris dans la quasi-totalité des écoles d’ingénieurs et des écolespréparatoires, alors que nous sommes en pleine période d’examens ! Nos revendications seconcentrent autour des modalités d’entrée dans les écoles privées (qui acceptent des étudiantsayant échoué dans les écoles d’ingénieurs publiques). Ces écoles privées sont soit fondées soitsponsorisées par des grandes entreprises privées et des hommes d’affaires qui contrôlenttotalement le marché tunisien. Nous sommes donc en guerre contre le pouvoir capitaliste quidévalorise la qualité de notre enseignement, pour protéger la valeur de nos diplômes. 62 écolesd’ingénieurs privées ont été ouvertes pour au moins 30000 étudiants, avec de gros moyensfinanciers que le public n’a pas. A présent, on impose aux écoles publiques des modes defonctionnement qui ressemblent de plus en plus au privé, à la demande de l’Union Européenne,pour favoriser et faciliter encore le passage des étudiants vers le privé, directement géré par lespatrons et mieux adapté aux exigences des marchés locaux.

Les manifestations se multiplient devant les rectorats, comme ici à Sfax. Nous avons lesoutien de nos professeurs pour continuer la lutte contre la privatisation de notre enseignement etles diktats euro-américains. Des écoles de médecine et des facultés commencent à se solidariser ànotre mouvement. Par contre les pressions se multiplient contre nos camarades qui négocient ouprennent des contacts avec d’autres facultés. Un camarade vient d’être arrêté par la police le 8janvier par exemple.

Les syndicalistes islamistes essayent quant à eux de réduire nos revendications contre laprivatisation en une simple lutte très ponctuelle contre les « passerelles » proposées par lesMinistères (Enseignement supérieur et de la Recherche d’une part et Travail - Formationprofessionnelle d’autre part) : Ces passerelles permettraient aux élèves des filièresprofessionnelles engorgées de passer dans les écoles supérieures. Les islamistes, qui appuient laprivatisation imposée par l’UE et le gouvernement, affirment qu’on ne doit pas lutter contre leprivé pour éviter que l’économie nationale, fondée sur le capital privé étranger, ne soitdéstabilisée complétement. Mais les étudiants sont en général conscients que notre problème estprincipalement lié aux écoles privées. »

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A Tunis, la lutte a le même caractère, avec des revendications similaires. A., militantUJML et UGET précise : « La grève a été déclenchée spontanément mais les islamistes ontcommencé à la dévier dans ses revendications. Certaines écoles continuent de refuser ce traité del’ALECA dans son ensemble. Aujourd’hui on essaie de populariser les mots d’ordre de l’UGET,de souveraineté nationale contre l’impérialisme. Mais les étudiants islamistes ont fait un travailméthodique sur Facebook pendant les vacances scolaires pour réduire le problème à lapasserelle entre les deux Ministères, en direction des étudiants qui étaient sur le point demanifester contre la privatisations des écoles d’ingénieurs ».

La lutte contre l’impérialisme européen reste morcelée et difficile, déviée par les forces politiquesdominantes libérales islamistes (qui ont engagé le processus) et RCDistes au pouvoir (qui vont lepoursuivre), réprimée directement ou menacée médiatiquement par la stratégie de la peur (un peucomme celle qui nous accusait de ne pas avoir de plan B lors de la campagne pour le NON à laConstitution Européenne en 2005), mais elle doit impérativement s’élargir, car tous les secteursde l’économie tunisienne seront touchés brutalement, et se renforcer en tout cas de soutiensinternationalistes, y compris celui des progressistes anti-impérialistes militants dans les pays del’UE prédatrice.

On voit bien que pendant que les USA œuvrent à imposer l'ouverture des marchés de l'UE à sesFirmes Transnationales (avec notamment le projet TAFTA qui préfigurent l'OPA de GeneralElectric sur Alsthom au détriment de Siemens), l'UE dicte l'ouverture des marchés africains à sespropres firmes transnationales à travers l'ALECA en Tunisie et les APE (Accord de PartenariatEconomique) en Afrique de l'ouest et du centre. C'est en cela que les luttes contre le TAFTA dansles pays de l'UE, l'ALECA en Tunisie et l'APE en Afrique doivent être l'occasion de construire unfront international uni des peuples contre la mondialisation libérale impérialiste !

Source : Investig’Action

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Libye : Chronique d’une seconde guerre annoncée

Faisant écho aux déclarations du ministre français de la Défense, les chefsd’État africains associés au dispositif antiterroriste Barkhane multiplient lesappels à une nouvelle intervention occidentale en Libye.

Par Raphaël Granvaud

Les 15 et 16 décembre 2014, s’est tenu à Dakar le premier « forum international sur la paix et lasécurité en Afrique ». Présenté comme une co-réalisation franco-sénégalaise, il avait en fait étédécidé lors du sommet de l’Elysée, l’année précédente, et son organisation a été impulsée etlargement financée par le ministère de la Défense français (et par des entreprises françaises).Conçu comme un espace informel de discussion et non comme une instance décisionnelle, il aréuni plus de 300 participants issus de divers horizons (diplomates, militaires, « chercheurs »,politiques, responsables d’ONG...). Cette affluence a été présentée comme un succès, même sil’assistance est restée essentiellement francophone, les poids lourds anglophones du continents’étant abstenus de participer. L’Algérie avait également boycotté le sommet. Enfin, même si lecommissaire pour la paix et la sécurité de l’Union africaine (UA), Smaïl Chergui, était finalementprésent, on sait que cette initiative a suscité une très forte hostilité au sein de l’UA où l’onreproche à la France de marcher sur ses plates-bandes.

Appropriation africaine de la doctrine française

Si plusieurs ateliers étaient proposés, déclinant sous différentes formes la question de la sécurité,c’est, selon les observateurs présents, la question du terrorisme qui a très largement dominé lesdébats et les interventions en plénière. Côté français, le forum a été à nouveau présenté commeune contribution à l’autonomisation des armées africaines. « Il faut que les Africains se rendentcompte que l’appropriation de leur sécurité par eux-mêmes suppose la collaboration », a ainsiexpliqué le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian (France 24, 16/12). Il faut bien sûrcomprendre ces propos confits de paternalisme à la lumière des préoccupations actuelles desmilitaires français. Quand on parle d’« appropriation par l’Afrique de ses propres enjeux desécurité » ou qu’on explique que « l’ambition est de créer une culture sécuritaire commune enAfrique » (Interview de Le Drian à Jeune Afrique, 14/12), il s’agit avant tout de faire épouser lesconception françaises en la matière, et d’obtenir une coopération destinée à renforcer le dispositifBarkhane de lutte contre le terrorisme dans la zone sahélienne. « Ce forum doit nous apporter unedoctrine », explique à ce sujet un proche du ministre français de la Défense (JeuneAfrique.com,16/12). Et ça tombe bien ! Car l’armée française justement n’est pas avare en la matière et disposed’un prêt-à-penser directement issu de son expérience coloniale et qu’elle n’a cessé de vouloirperfectionner et partager. Ainsi, selon la journaliste du Monde, les militaires français insistent surla nécessité de « couper les populations de ces groupes armés par des stratégies de contre-insurrection » (17/12). Action psychologique sur les populations, encadrement civilo-militairepour gagner « les cœurs et les esprits », priorité donnée au renseignement par tous les moyenspour « neutraliser » l’ennemi intérieur, on a vu de l’Algérie au Rwanda, en passant par leCameroun, le résultat de ces brillantes « stratégies de contre-insurrection ».

Priorité sécuritaire

Interrogé sur les dérives qui peuvent découler de la « guerre contre le terrorisme », le congrèsaméricain venant de confirmer dans un rapport les pratiques criminelles de la CIA, Le Drian secontente de répondre : « c’est pas dans notre doctrine. (…) C’est pas dans les pratiques del’armée française » (RFI, « Internationales », 14/12). Un tel déni de la réalité historique ne peutqu’inquiéter sur les méthodes inavouées d’une guerre qu’il annonce « implacable ». Pour autantl’approche exclusivement militaro-sécuritaire de la France et des Etats-Unis suscite des

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réticences. Si l’on en croit l’envoyé spécial de Jeune Afrique (17/12) au forum de Dakar « lagrande majorité des intervenants, notamment africains, ont souhaité mettre l’accent sur laprévention ». Ainsi, l’envoyée spéciale de l’ONU pour le Sahel, l’Éthiopienne Hiroute GebreSelassie a rappelé que « la hausse des dépenses sécuritaires [les budgets militaires africains ontaugmenté en moyenne de 8 % en 2013] se fait au détriment des besoins sociaux. C’est pourtantla précarité des développements sociaux qui pousse les jeunes à rejoindre les groupes armés. Lasituation de la jeunesse s’est aggravée. C’est l’une des causes profondes de l’instabilité dans leSahel ». C’est d’autant plus vrai quand les espaces de contestation sont verrouillés par desrégimes autoritaires et prédateurs, par exemple ceux dont les officiers français affectionnentparticulièrement les dirigeants à la poigne de fer. Interrogé par Jeune Afrique (16/12) sur le cas duCongo B et surtout sur celui du Tchad, principal allié de la France dans la lutte contre leterrorisme, Le Drian explique ainsi qu’« il faut trouver un équilibre entre l’objectif démocratiqueet la nécessité sécuritaire (...). Même si la priorité est aujourd’hui sécuritaire ». Les leçons de larécente insurrection populaire au Burkina Faso n’ont définitivement pas été tirées.

L’opération Barkhane

Officiellement lancée en août 2014, l’opération Barkhane a remplacé l’opération Serval etl’opération Epervier au Tchad. Il s’agit en réalité d’une réorganisation profonde du dispositifmilitaire français en Afrique, préparée depuis plusieurs mois et officialisant l’entrée de la Francedans la « guerre contre le terrorisme ». Plus de 3000 hommes sont déployés sur 5 pays (Tchad,Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie), se jouant des frontières et des autorités concernées (Cf.Billets n°238, septembre 2014).

La Libye dans le viseur

Si les conceptions françaises ont pu être bousculées dans les ateliers du forum, cela a étécomplètement occulté dans les médias par le show final où trois des quatre présidents présents (leMalien Ibrahim Boubakar Keita, le Sénégalais Macky Sall et le Tchadien Idriss Déby Itno) ontréclamé une nouvelle guerre occidentale en Libye. Les propos du dictateur tchadien notammentont fait couler beaucoup d’encre : « La destruction de la Libye : mon frère [Macky Sall] disaitque c’était le travail inachevé. Non, le travail a été achevé, l’objectif recherché étant l’assassinatde Kadhafi et pas autre chose », a-t-il asséné avant d’appeler les pyromanes à venir jouer lespompiers : « La solution c’est entre les mains de l’OTAN. Qui a créé le désordre n’a qu’à allerramener le l’ordre » (Dans un lapsus révélateur, il avait déclaré d’abord « ramener ledésordre »…).

Les commentateurs se sont généralement amusés de l’impertinence de l’orateur, quis’exprimait devant deux ministres français de la Défense, l’actuel et le précédent. Mais on étaitbien loin d’un crime de lèse-majesté. D’une part les équipes du parti socialiste ne s’estiment pascomptables des conséquences de l’intervention voulue par Sarkozy en Libye, même s’ils l’avaientsoutenue. D’autre part les déclarations de Déby ne font qu’apporter de l’eau au moulin de LeDrian sur la nécessité d’une nouvelle opération en Libye dans le cadre de la « guerre contre leterrorisme ». Le chef d’état-major français, l’amiral Edouard Guillaud, l’a évoquée pour lapremière fois publiquement il y a tout juste un an et, depuis septembre, Le Drian ne manque pasune occasion d’y revenir puisque « à l’état-major de l’armée française, nombreux sont ceux quipensent qu’il faudra bien "y aller" un jour » (JeuneAfrique.com, 23/12). Mais il en précise lesmodalités : « La Libye est un pays souverain. La réponse doit être internationale. Il ne faut pasrajouter du chaos au chaos » (interview à Jeune Afrique, 14/12). La France cherche donc àconstituer une coalition qui paraisse la plus légitime possible et facilite l’obtention d’un mandatde l’ONU. Il faut également ménager l’armée algérienne, pour l’instant hostile à une telleintervention, et sur le territoire de laquelle les groupes visés pourraient se replier en cas d’attaque.

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Demande (franç)africaine

Quelques jours après le forum de Dakar, les dirigeants du G5 Sahel (regroupement des 5pays concernés par l’opération Barkhane, au sein duquel la France a un statut« d’observateur ») ont remis le couvert à l’issue d’une rencontre en Mauritanie. Le 19décembre, le président mauritanien a ainsi rendu public un communiqué par lequel le G5lançait un appel « au Conseil de sécurité des Nations unies pour la mise en place, en accordavec l’Union africaine, d’une force internationale pour neutraliser les groupes armés, aider àla réconciliation nationale et mettre en place des institutions démocratiques stables » en Libye.Jouant sur la confusion des casquettes, c’est en tant que président en exercice de l’UnionAfricaine que l’appel du G5 a été lancé par Abdel Aziz, abusant certains journalistes. AinsiLeMonde.fr (19/12) titrait que c’est « en accord avec l’Union africaine » qu’était lancé cetappel, alors que l’UA en était simplement destinataire et qu’on ne savait même pas sous quelleforme elle avait été officiellement saisie. Même imprécision concernant « les responsableslibyens » qui auraient « exprimé leur accord avec cette demande » selon le présidentmauritanien, ce qui mériterait pour le moins d’être précisé compte-tenu de la confusionpolitique qui règne dans le pays...

Quelle coalition ?

Cet appel du G5, après les déclarations de clôture du forum de Dakar, s’inscrit dans le cadred’une préparation diplomatique et médiatique menée par la France qui n’est pas sans rappelercelle qui avait précédé l’opération Serval au Mali. Une nouvelle intervention sera d’autant plusfacilement acceptée par les opinions publiques et les autres chancelleries qu’elle apparaîtracomme « une demande africaine ». Mais concernant la mise en œuvre, d’autres soutiens que lespays africains sont nécessaires, même si certains, comme l’Egypte, disposent de réels moyensmilitaires. Engagée sur plusieurs théâtres d’opération et fonctionnant à flux tendu (notammentpour les moyens aériens), l’armée française peut difficilement envisager de mener seule cettenouvelle intervention. Les réticences des autres pays européens à suivre la France dans sesexpéditions africaines ne semblent pas avoir été dépassées. Restent donc les Etats-Unis, que lasituation en Libye ne laisse pas indifférents, qui avaient participé au renversement de Kadhafi,et qui continuent, après le soutien apporté à l’opération Serval au Mali, à épauler le dispositifantiterroriste français au Sahel. Si l’on en croit le Canard Enchaîné (17/12) (ou plutôt lesinformations de la Direction du renseignement militaire auxquelles Claude Angeli faitréférence), le secrétaire d’État John Kerry aurait réclamé, lors d’une réunion confidentielle dela commission des Affaires étrangères du Sénat, « une certaine flexibilité dans l’emploi desforces armées », notamment « au cas où le groupe Etat islamique commencerait à semanifester en Libye ». Or « l’État islamique est à nos portes » dramatise le président nigérienMahamadou Issoufou (Jeune Afrique, 28/12). Des milices libyennes se réclament en effetdésormais de l’État islamique qui aurait, selon les militaires américains, ouvert des campsd’entraînement à l’est du pays. A l’occasion d’une nouvelle visite aux troupes françaises deBarkhane, pour le réveillon du 31 décembre 2014, Le Drian a à nouveau appelé la« communauté internationale » à la mobilisation.

Le cycle infernal des interventions militaires étrangères qui, de l’Irak à l’Afghanistan,alimentent le chaos et les groupes religieux extrémistes plus qu’elles ne les réduisent, sembledonc avoir de beaux jours devant lui…

Titre originel : Libye : Chronique d’une guerre annoncée.

Source : Survie

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Scandale à la Cour Pénale International: les«preuves» annoncées contre Gbagbo en 2011 ont«disparu»Les hauts fonctionnaires de l'hôtel Sébroko juraient, il y a trois ans, la main sur le cœur, qu'ilsdisposaient d'éléments inattaquables contre le président Gbagbo, notamment à propos duprétendu bombardement du « marché d'Abobo » par les FDS. Aujourd'hui qu'il est questionde remettre ces « preuves » à Fatou Bensouda, ils disparaissent de la circulation. Et s'ilsavaient tout simplement menti à l'opinion internationale ? Explications.

Par Philippe Brou

Désormais aux abonnés absents, et pourtant ! Durant toute la guerre post-électorale, l'ONUCI,résolument rangée aux côtés du camp Ouattara, et le soutenant à la fois politiquement,médiatiquement et militairement, a fait un certain nombre de déclarations et émis des accusationsclaires contre le président Gbagbo et les Forces de défense et de sécurité. L'ONUCI a prétendudisposer de preuves matérielles accablant contre celui qu'elle voulait voir tomber.C'est tout naturellement que les observateurs s'attendaient à voir ces éléments dans le dossier de laprocureure Fatou Bensouda, d'autant plus que la Cour pénale internationale (CPI) est uneémanation de l'ONU, et particulièrement du Conseil de sécurité, à qui le statut de Rome donnequasiment le statut de « grand patron ».

Au final, quasiment aucun élément solide provenant de l'ONUCI ne figure dans le dossier de FatouBensouda, qui a pourtant été remanié après avoir été retoqué par les juges de la Chambrepréliminaire I pour preuves insuffisantes. « Concernant l'ONUCI, [le procureur] n'aura semble-t-ilinterrogé pendant ses trois ans d'enquête que trois fonctionnaires de rang subalterne. Toujoursconcernant l'ONUCI, ses contingents étaient sur le terrain, ses représentants participaient auxmanœuvres diplomatiques lancées dès avant les élections et les rapports, certainement trèsintéressants, que le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies transmettaitrégulièrement à New York auraient permis, si le Procureur les avait présentés, de mieuxcomprendre la réalité », s'étonne Maître Emmanuel Altit.

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Grand enfumage

Les représentants de la Maison de Verre à Abidjan n'ont-ils pas été sollicités ? Impossible. N'ont-ilspas voulu donner certains des éléments dont ils disposent ? Peut-être. Ont-ils, par le passé, procédéà un « grand enfumage » et proclamé avoir des preuves qui n'existaient pas pour mieux obtenir desrésolutions de plus en plus musclées et faire tomber Gbagbo ? Certaines archives qu'il estaujourd'hui bon d'exhumer accréditent cette thèse.

La première d'entre elles est un communiqué produit par l'ONUCI le 17 mars 2011, jour duprétendu bombardement du marché Siaka Koné d'Abobo. Un communiqué affirmant ceci : «L'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) a dépêché jeudi après-midi, unepatrouille robuste accompagnée d'experts des droits l'homme pour s'enquérir de la situation àAbobo où il avait été fait état de tirs à l'arme lourde sur le marché local. L'équipe sur place a puobserver que des forces armées du camp du président Gbagbo ont tiré au moins six projectiles surle marché et ses environs causant la mort de 25 à 30 personnes et faisant entre 40 et 60 blessés.L'ONUCI exprime son indignation devant de telles atrocités contre des civils innocents. Lesauteurs de ces exactions, qui constituent des violations flagrantes des droits de l'homme, nesauraient rester impunis. L'ONUCI se réserve le droit de prendre les mesures appropriées pourprévenir, à l'avenir, de tels actes inacceptables, conformément à son mandat de protection despopulations civiles ».

Le lendemain, l'ONUCI récidive et écrit : « L'examen par l'Opération des Nations Unies enCôte d'Ivoire (ONUCI) des projectiles tirés jeudi après-midi au marché d'Abobo et dans sesenvirons lui permet de confirmer qu'il s'agissait d'obus de mortiers de 81 mm. Les forces desécurité du camp du Président Gbagbo ont tiré les obus à partir d'un camp militaire faisant unecentaine de victimes (tués et blessés confondus). Un tel acte contre des civils pourrait constituer uncrime contre l'humanité. L'ONUCI réitère qu'elle se réserve le droit de prendre des mesuresappropriées en vue d'assurer la protection des civils, conformément à son mandat ».

Où sont passés les rapports des experts ?

Trois ans plus tard, le président Gbagbo se trouve à la CPI. Mais ni le rapport des experts desdroits de l'homme prétendument envoyé, ni les photos qu'ils ont pu prendre, ni l'étude balistique quiavait soi-disant conclu que des obus de mortiers de 81 mm avaient été tirés, ni les projectiles eneux-mêmes, ne se trouvent dans le dossier de Fatou Bensouda. L'ONUCI serait-elle « pro-Gbagbo» ? Ces éléments mystérieux se trouvent-ils, comme la boîte noire de l'avion de l'ex-présidentrwandais Juvénal Habyarimana, dans le tiroir d'un bureau de la Maison de Verre ? Ou alorsn'existent-ils tout simplement pas ? On est en face d'un véritable scandale international !

Ce qui en rajoute à la confusion – ou à la comédie de mauvais goût -, c'est que la procureureFatou Bensouda et les « experts » désormais invisibles de l'ONUCI ne sont même pas d'accord surla nature des obus qui seraient tombés sur le marché d'Abobo. Si ce que l'on déduit desinterrogatoires de Fatou Bensouda est qu'il s'agissait d'obus de mortiers de 120 mm, les « expertises» d'il y a trois ans évoquaient des obus de mortiers de 81 mm. Il y a un hic ! D'autant plus que selonla déposition à la CPI de l'ancien ministre de la Défense Alain Dogou et celle d'un témoin dontl'identité a été « expurgée », il n'y avait pas d'obus de mortiers de 81 mm au camp commandod'Abobo ! Pour se donner de la contenance, Fatou Bensouda a fait appel à un expert non inscrit surla liste officielle des experts de la CPI, et qui se contente, dans ses conclusions suite à une analysede probables impacts de projectiles (plus de deux ans plus tard en effet) qu'il est « possible » ou «probable » que la thèse avancée par la procureure soit vraie. Aucune affirmation, aucune certitudescientifique !

La rétention d'informations – ou le refus de Bensouda de solliciter des informations quipourraient contredire sa thèse et mettre la pression sur ses amis du camp Ouattara – ne s'arrête paslà. Les rapports de l'ONUCI ne sont livrés qu'au compte-gouttes. Les très importants rapports du «

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call center » qui centralisait les appels au secours (et qui auraient pu constituer une photographieassez intéressante des mouvements de panique et des accusations émises par les populations) nefigurent pas dans le dossier.

La France n'a pas donné de preuve contre Gbagbo à Fatou Bensouda

En novembre 2013, le périodique La Lettre du Continent écrivait que Fatou Bensouda,procureure auprès de la CPI, « aurait, entre autres, approché le ministre français de la Défensepour muscler son dossier » et faire rendre gorge à Gbagbo. Les documents qui viennent d'êtrerendus publics par la CPI indiquent en tout cas qu'elle n'a rien obtenu de concluant dans cette quête.« Concernant les Autorités françaises, rien ne semble avoir été fait. Un tel manque est d'autantplus stupéfiant que les forces françaises étaient présentes le long de la zone de confiancedélimitant le Nord – sous contrôle rebelle –, du Sud – sous contrôle gouvernemental – et à Abidjan19, qu'elles semblent avoir joué un rôle important dans l'organisation et la mise en œuvre del'offensive rebelle vers le Sud en mars 2011, que ce sont les forces françaises qui ont réduit lespoints de défense des forces gouvernementales à Abidjan, que l'assaut de la résidenceprésidentielle a été lancé par les commandos français, etc. Pendant toute la crise postélectorale,les diplomates français étaient à la manœuvre pour soutenir Alassane Ouattara et convaincre lesreprésentants de la communauté internationale d'abandonner le Président Gbagbo. Dans cesconditions, il est incompréhensible que le Procureur n'ait pas demandé aux autorités françaises lesinformations dont elles disposent qui auraient permis d'éclairer les Juges et de révéler la vérité surces évènements. (…) Le Procureur a tellement craint de montrer le rôle des Autorités françaisesqu'il s'est interdit de leur demander des informations, pourtant essentielles, dont elles seulesdisposent. Passer sous silence le rôle des autorités françaises dans l'histoire récente de la Côted'Ivoire et lors de la crise post-électorale, c'est exactement comme passer sous silence le rôle de laChine et des Etats-Unis lors de la guerre de Corée », fait ainsi remarquer Maître Emmanuel Altit,avocat de la Défense, dans ses observations.

Source : Le Nouveau Courrier

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Burkina Faso : une dette illégitime qui doit être répudiéeLa dette du Burkina Faso est très largement illégitime car elle a été contractée enviolation du droit international et qu’elle n’a pas bénéficié à la population.Plusieurs arguments juridiques peuvent être avancés pour le démontrer, nousn’en citons ici que quelques-uns |3|. La chute du dictateur Blaise Compaoré le 31octobre 2014 ouvre la possibilité pour le peuple burkinabè de répudier cette dettepublique. Par Pauline Imbach

Évolution de la dette publique du Burkina Faso (source : IDS 2015 - Banque mondiale)

La dette publique du Burkina Faso s’élevait en 2013 à 2,56 milliards de dollars |1|. Ladette extérieure représente 80% de cette somme et est composée à 83% de dettes multilatérales(dues aux Institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international et laBanque mondiale) et à 17% de dettes bilatérales (dues à d’autres pays). La dette intérieurecorrespond donc aux 20% restants de la dette globale et est constituée à 70% de titres (bons etobligations du Trésor) |2|. La dette du Burkina a augmenté de 78% entre 2000 et 2013.

Une dette de régime, pas du peuple

Selon la doctrine de la dette odieuse, « si un pouvoir despotique contracte une dettenon pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régimedespotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour lapopulation de l’État entier […]. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dettede régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec lachute de ce pouvoir » |4|.

Si d’aucuns doutent encore que le règne de Blaise Compaoré puisse être qualifié dedespotique, citons la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) : « il est essentielque les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pascontraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression » (préambule).« Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordretel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet »(article 28). À la lumière de la DUDH, on peut considérer que les dettes de régimes déchus(démocratiques ou non) sont présumées illégitimes. En effet, le renversement d’ungouvernement par le peuple indique a priori que ce dernier ne le représente plus et que l’état dedroit n’est pas garanti. Ses dettes n’engagent donc a priori pas la population qui s’est libérée deson joug.

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Ces deux arguments montrent clairement qu’une grande partie de la dette du Burkinaest une dette de régime. Rappelons que Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir le 15 octobre1987 suite à un coup d’État et à l’assassinat de Thomas Sankara. 27 ans de créances peuvent dèslors être répudiés. En accordant des prêts à ce régime, les créanciers « ont commis un actehostile à l’égard du peuple » |5| et ne peuvent pas attendre du peuple affranchi qu’il assume lesdettes « odieuses ».

Une dette qui viole la souveraineté et le droit du peuple burkinabè

La Charte des Nations Unies, les Pactes de 1966 sur les droits humains, le « jus cogens », laDéclaration sur le droit au développement de 1986 ou encore la résolution du Conseil des droitsde l’homme de l’ONU du 18 juillet 2012, affirment qu’un accord est nul à partir du moment oùson application entraîne une violation des droits humains et de la souveraineté d’un État. Dansle cas du Burkina Faso comme de nombreux pays du Sud, les plans d’ajustement structurel(PAS) liés aux contrats de prêts des Institutions financières internationales violent de manièreflagrante le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et nombre d’autres droits fondamentaux.« Les conditionnalités imposées par ces créanciers appauvrissent la population, accroissent lesinégalités, livrent le pays aux transnationales et modifient les législations des États (réforme enprofondeur du Code du travail, des Codes minier, forestier, abrogation des conventionscollectives, etc.) dans un sens favorable aux créanciers et “investisseurs” étrangers. » |6|

Le Burkina Faso est devenu le quatrième producteur d’or du continent. Les créanciersont poussé le Burkina Faso à mener une politique extractiviste, d’abord sur le coton etaujourd’hui dans le secteur aurifère. Cette politique permet d’obtenir des devises étrangères, quisont utilisées pour rembourser la dette. En 2012, le stock de la dette extérieure publiqueatteignait l’équivalent de 72% des recettes d’exportations et la production d’or représentaitquant à elle 76% des recettes d’exportations. Les mines ont rapporté 125 milliards defrancs CFA à l’État en taxes et impôts en 2011, pour un chiffre d’affaires - officiel - de750 milliards de F CFA... Il n’est pas étonnant que la part du Burkina soit minime puisque lecode minier offre d’importants avantages douaniers et fiscaux aux multinationales tant dans laphase de recherche que dans la phase d’exploitation (admission temporaire des matérielsprofessionnels, exonération totale des droits de douanes sur les pièces de rechange, lescarburants, les lubrifiants, les matières premières et les équipements divers, exonération de lapatente et des licences, de la TVA, de l’impôt sur les bénéfices, de la Taxe d’apprentissage, del’impôt minimum forfaitaire et des frais d’enregistrement). D’autre part, une investigationd’Africa Mining Intelligence parue en avril 2013 sur le secteur minier burkinabè révèle quecelui-ci est entre les mains de Blaise Compaoré, de son frère François, des amis de la famille,des anciens premiers ministres et ministres en charge des Mines, et de quelques autresprivilégiés |7|. Notons que Lamoussa Salif Kaboré, ministre des Mines, des Carrières et del’Énergie sous Blaise Compaoré, a été élevé au rang de chevalier de l’Ordre national de lalégion d’honneur française en décembre 2011, à la Résidence de l’ambassadeur de France àOuagadougou.

Le gouvernement de transition semble se préoccuper du secteur minier, qui, selon leColonel Boubacar Ba, le nouveau ministre des Mines, « n’a pas toujours été transparent » |8|.Par ailleurs, ce dernier a déclaré vouloir ré-examiner certains permis accordés durant laprésidence de Blaise Compaoré. À voir si ces déclarations seront suivies par des actes.

Comme le souligne le FMI dans son rapport de février 2014, « le Burkina Faso a unsolide bilan en matière d’appropriation et d’exécution de son programme » |9|. Le pays a signéson premier plan d’ajustement structurel en 1991 (bien après la plupart des pays subsahariensqui ont appliqué des PAS dès les années 80) et a souscrit en 1996 à l’initiative PPTE (PaysPauvres Très Endettés) lancée par le FMI et la Banque mondiale. Cette initiative visait à« ramener à un niveau soutenable la charge de l’endettement extérieur des pays pauvres lesplus lourdement endettés » |10| à travers la mise en place de réformes structurelles.

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Après avoir atteint le point d’achèvement en novembre 2003, le Burkina Faso aenchaîné en 2005 avec l’IADM (l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale menée par leFMI, la Banque mondiale et le Fonds africain de développement) pour « accélérer les progrèsvers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des NationsUnies » |11|. Depuis 2010, le Burkina Faso suit un programme économique appuyé par l’accordtriennal de la Facilité Élargie de Crédit (FEC) du FMI. Dans ce cadre, le 27 décembre 2013, leConseil d’administration du FMI a approuvé un nouvel accord triennal d’un montant de 41,6millions de dollars US. Chaque plan ou programme conclu avec le FMI a été conditionné à lamise en place de réformes politiques et économiques contraires aux intérêts de la population.Les dettes contractées dans le cadre de ces accords sont illégitimes et ne doivent pas êtreremboursées.

Le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres de la planète. Plus de 44% de lapopulation « vit » en dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour) dont la moitié survit auquotidien avec moins de 50 cents. Cette situation d’extrême pauvreté engendre une violationpermanente des droits humains fondamentaux. En 2012, le service de la dette (remboursementdu capital et des intérêts) a représenté 141,08 millions d’euros et a mobilisé 7,6% des recettesbudgétaires alors que 6,2% du PIB était attribué aux dépenses de santé |12|. Les États sont tenusde respecter les textes internationaux protégeant les droits humains et cette obligation derespecter, protéger et de promouvoir les droits humains prime sur tout autre accord. Ainsi, leBurkina Faso pourrait refuser de rembourser ses créanciers en invoquant la suprématie desdroits fondamentaux et en allouant les sommes prévues au remboursement de la dette à desdépenses sociales.

C’est au peuple de décider

Il appartient au peuple burkinabè, désormais débarrassé de Blaise Compaoré, dedécider si la dette du Burkina Faso, ou une partie de celle-ci, est illégitime et si elle doit êtrerépudiée.Le nouveau gouvernement, poussé par les mobilisations populaires, peut décider demanière souveraine de répudier la dette publique, en s’appuyant notamment sur des argumentsjuridiques. La réalisation d’un audit citoyen de la dette peut également permettre de démontrerque celle-ci est très largement (voire totalement) illégitime et d’appuyer, par une largemobilisation, une décision souveraine de non-paiement.

Notes :

|1| 2 564 129 000 dollars. Les montants des dettesindiqués sont tirés de l’International Debt Statistics2015 de la Banque mondiale.

|2| Réunion du groupe consultatif du SYGADE,Genève, 14-15 novembre 2013. Expériences des paysavec le système SYGADE : Cas du Burkina Faso -Présenté par Boukaré ZOUANGA, Directeur de laDette Publique du Burkina Faso.http://unctad.org/divs/gds/dmfas/ne ...

|3| Lire le texte : Renaud Vivien, Quelques pistesjuridiques pour qualifier une dette publiqued’« illégitime », 2013, dont sont tirés les argumentsjuridiques cités dans ce texte,http://cadtm.org/Quelques-pistes-ju ...

|4| La doctrine de la dette odieuse, formulée parAlexander Sack en 1927, constitue une source dudroit international public, en vertu de l’article 38 duStatut de la Cour Internationale de Justice (CIJ).

|5| Alexander Nahum Sack, Les Effets desTransformations des États sur leurs dettes publiqueset autres obligations financières, Recueil Sirey, 1927.

|6| Renaud Vivien, Quelques pistes juridiques pourqualifier une dette publique d’« illégitime », 2013,dont sont tirés les arguments cités dans ce textehttp://cadtm.org/Quelques-pistes-ju ...

|7| http://www.reporterbf.net/index.php ...

|8| Agence Ecofin.http://www.agenceecofin.com/or/2711 ...

|9| FMI, Rapport du FMI n°14/43, février 2014.http://www.imf.org/external/french/ ...

|10| Fiche Technique, Allègement de la dette au titrede l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés(PPTE), mars 2014.https://www.imf.org/external/np/exr ...

|11| Idem

|12| http://www.who.int/countries/bfa/fr/

Source : CADTM

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Le Journal de l’Afrique N°7

Février 2015 INVESTIG'ACTIONwww.michelcollon.info