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Lauteur de ce livre a dpass quatre-vingt-quatorze ans

M. Gaudefroy-Demombynes Mahomet2

Maurice Gaudefroy-Demombynes

Historien franais, Membre de lInstitut(1863-1957)

Mahomet

Editions Albin Michel, Paris, 1957 et 1969Collection: Lvolution de lhumanit

Un document produit en version numrique par Jean-Marc Simonet, bnvole,Courriel: [email protected]

Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://classiques.uqac.ca/

Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.ca/Politique d'utilisationde la bibliothque des Classiques

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Jean-Marie Tremblay, sociologue

Fondateur et Prsident-directeur gnral,

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marc Simonet, ancien professeur des Universits, bnvole.Courriel: [email protected] partir de:

M. Gaudefroy-Demombynes

Historien et Orientaliste franais, Membre de lInstitut(1863-1957)

Mahomet

Albin Michel, Paris, Coll. Lvolution de lhumanit,1957 et 1969, 698p., 1 carte.

Polices de caractres utilises:Pour le texte: Times New Roman, 14 et 12 points.Pour les notes de fin: Times New Roman, 12 points.

dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.Mise en page sur papier format: LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

dition numrique ralise le 4 janvier 2009 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada

Table des matires

Avant-propos de lauteur

Note de lditeur

Avant-propos de Paul Chalus

INTRODUCTION

I. Les sources de ltude de Mohammed, conception gnrale du livre

Le Coran. La tradition. Conclusion et conception gnrale.

II. LArabie prislamique

A. Le pays et ses habitants

Gnralits, le nord. LArabie du sud. Le Hedjaz. La population, les tribus. Organisation sociale. Culture.

B. Les religions prislamiques

Les djinns. Les principales divinits. Sanctuaires et plerinages. Divination et magie. La religion au Hedjaz. Conclusion.

PREMIERE PARTIE

MOHAMMED

Chapitre premier. Mohammed Mekke

A. Avant la rvlation

Origine de Mohammed. Lenfance de Mohammed. Sa jeunesse. Khaddja.

B. Rvlation et prdication

La Rvlation. La prdication, les premiers adeptes. Laffaire des grues gharniq. Nature de la prdication premire. Le refuge abyssin.

C. La fin du sjour Mekke

LAscension de Mohammed. Adeptes et adversaires de Mohammed. Les efforts de Mohammed at-Tf et Yathrib.

Chapitre II. Mohammed Mdine

A. LHgire; les dbuts de la communaut

LHgire; le passage Qob. La communaut nouvelle. Leffort pour gagner les Juifs. Tension avec les Juifs: la qibla mekkoise. Les razzias.

B. Badr

La bataille. Le butin et les prisonniers. La rupture avec les Juifs. Continuation des razzias.

C. Ohod

D. Mohammed Mdine entre Ohod et le Khandaq

Expulsion des Ban Nadr. Autres combats.

E. Le foss (Khandaq)

La rsistance lattaque qurachite. Le massacre des Ban Qoraza.

Chapitre III. Mohammed Mdine (suite). Progrs de la puissance musulmane

A. Aprs le foss. Al-Hudabiya

Laffaire des Ban Mutaliq. Laffaire de cha. Le voyage vers Mekke. La ngociation dal-Hudabiya. Suites de laccord.

B. Khabar

Lattaque de Khabar. La umra de 629.

C. Guerre et diplomatie. Occupation de Mekke

Les lettres aux souverains? Essais dexpansion vers le nord. Le retour Mekke.

Chapitre IV. Les dernires annes (630-632)

A. Aprs la conqute de Mekke

Le parti des Hsitants. La question dat-Tf. La bataille de Hunan. Soumission des Hawzin. Soumission dat-Tf. B. Lanne 631

Le plerinage. La Mosque du Mal. Lexpdition vers le Nord.

C. La soumission des tribus

Modalits de la soumission. Les tribus du Nord. Les tribus du Sud. Vers lunit arabe.

D. Plerinage dadieu et mort de Mohammed

Le plerinage de 632. Mort du Prophte. Lenterrement de Mohammed.

Chapitre V. La personne de Mohammed

Portrait physique. Portrait moral. LImitation de Mohammed. Le dveloppement de la figure de Mohammed.

Chapitre VI. Les femmes du prophte, ses filles, Al

Les femmes du Prophte. Les filles du Prophte. Al.

DEUXIME PARTIE

LE MESSAGE DE MOHAMMED

Chapitre premier. Allah

Origines de lide dAllah. Allah le Matre. Les noms dAllah. Lide de Vie. La Puissance. Ar-Rahmn. LUnicit de Dieu. LExistence, la Dure. Le Trs-Haut. Le Roi, lAutorit. Allah protecteur et omniscient. Dieu gnreux. La Sagesse divine. La Justice. La Vrit. Le Verbe et lEsprit. La Lumire. La Sakna. Les Anges.

Chapitre II. LHistoire universelle: la Cration

La Cration du Monde. Le Premier Homme. La chute de lHomme. Les dbuts de lHumanit. Le don de la Lumire. Le don de lEau. Les autres dons de Dieu. La perptuation de la Cration. Gloire de Dieu et Prdestination. Le Pacte dAllah avec son peuple. Le Coran ternel. Lme humaine. La Prdestination. Satan. Le problme de la Prdestination et de la Grce.

Chapitre III. LHistoire universelle: les prophtes

La continuit prophtique. Adam. No. Abraham. Mose. La naissance. La fuite au pays de Madyan. Mose en gypte. Le Sina. Hrn. Mose et al-Khidr. David et Salomon. David. Salomon. Les Petits Envoys. Loth. Joseph. Jonas. Idrs. lie, lise, etc. Job. Loqmn. Jean, Marie, Jsus. Jean. Marie. Jsus. Mort de Jsus. Mission de Jsus. Les Peuples chtis.

Chapitre IV. LHistoire universelle (suite)

A. La mort et la fin du monde

La mort. La fin du Monde. Les Sept Dormants. Encore la fin du Monde. Rsurrection.

B. Le Jugement dernier

Le Jugement. Les livrets individuels. La Pese des mes. Les Intercesseurs. Satan. La justice dAllah. Clmence dAllah: le repentir. Hirarchie des mrites et des pchs. Vers lEnfer et le Paradis.

C. Le paradis

D. Lenfer

Nant et ternit.

Chapitre V. La foi et les devoirs du croyant

I. La foi: croyance et conduite

A. La foi. Imn et islm. Dn. Autres termes.

B. La foi et les uvres.II. La prire

Les prires. Le contenu de la prire. La purification. La mosque et le vendredi. Les gestes de la prire. Porte de la prire.

III. Le plerinage

A. Gnralits. La umra

Caractres gnraux.

La Kaba.

B. Les umra du Prophte.

C. Le Hadjdj. Introduction. Arafa, Muzdalifa. Min.

D. Les Sacrifices.

IV. Le jene et les interdits alimentaires

A. Le jene. B. Les interdits alimentaires.

V. Aumne lgale et guerre sainte. (Les finances de la Communaut et le rgime des non-musulmans).

A. Zakt-adaqa. Valeur spirituelle de laumne. Laumne pour le budget de la Communaut.

B. Le Djihd. Guerre sainte. La Guerre sainte. Les vaincus. Juifs et Chrtiens. Les premiers butins du Prophte. Les butins en terres. Le prcdent de Hunan. Qata, waqf, etc.

VI. Lthique de la communaut. la justice

A. Lthique.

B. La Justice.

VII. LIslam primitif et la vie conomique

Le commerce. Lusure.

Appendice: Le Calendrier.

Chapitre VI. La famille

I. Le mariage

La femme. Mariage. Le don nuptial. Les rapports conjugaux. La tenue des femmes. Les querelles de mnage. Devoirs et droits de la femme. Cas dinterdiction de mariage. Les rapports de nourrice. La polygamie.

II. Unions passagres, muta

III. Dissolution du mariage

Cas de dissolution. Ladultre. La rpudiation. La veuve.

IV. Les enfants; successions et tutelle

Les successions. Tutelle.

V. Lesclavage

VI. La mort

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE COMPLMENTAIRE

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

INDEX DES NOMS GOGRAPHIQUES ET DE TRIBUS

INDEX DES MOTS ARABES

CARTE: LArabie au VIIe sicle

Notes Retour la Table des matires

Avant-propos de lauteur

Lauteur de ce livre a dpass quatre-vingt-quatorze ans. Linfirmit de sa vue la empch de le relire et den corriger les preuves. Il a t heureux que son ami Claude CAHEN, professeur dhistoire du moyen ge lUniversit de Strasbourg et islamisant, ait bien voulu le remplacer, et revoir ces longues pages. Lauteur a seulement pu entendre sa femme lui lire certains chapitres en placards et dans la mise en pages.

Quelques pages, surtout au dbut et la fin du livre, navaient pu tre tout fait mises au point; des indications sommaires ont t donnes, exclusivement daprs les notes de lauteur, dans des rdactions o les interventions nettes de Claude CAHEN sont signales par des crochets.

Lauteur sexcuse de navoir pu tenir compte des publications des deux ou trois dernires annes.

M. GAUDEFROY-DEMOMBYNES [1956].

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Note de lditeur

Cette seconde dition respecte le texte de M. GAUDEFROY-DEMOMBYNES tel quil a t tabli pour ldition originale. M.Alexandre Popovic a bien voulu rviser entirement la transcription des noms et mots arabes. On na pas chang essentiellement le systme adopt par lauteur qui rompt sur certains points avec les habitudes des orientalistes (Omission du hamza devant y et j, emploi de pour i aprs voyelle ou hamza et pour y, etc.). On la seulement adapt aux ncessits typographiques en remplaant les signes de longueur vocalique par des accents circonflexes et les lettres pointes par des lettres diffrentes (italiques dans un mot en romain et vice versa). M. Maxime RODINSON a rvis la bibliographie pour corriger, le cas chant, les erreurs qui sy taient introduites et y ajouter des prcisions omises. Il a aussi donn un complment bibliographique qui permettra au lecteur de se mettre au courant, sil le dsire, des principaux travaux publis sur le sujet depuis la dernire rvision du texte de la premire dition. Ce complment comprend aussi quelques ouvrages fondamentaux omis par la bibliographie originale.

N. de lE. [1969].

ditions Albin Michel, 1957 et 1969, Paris

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Avant-propos de Paul Chalus

Maurice GAUDEFROY-DEMOMBYNES, Membre de linstitut, fut lun des grands spcialistes franais de lhistoire de lIslam; il se distingua tant par ses fonctions dans lenseignement universitaire que par ses nombreuses publications. Il voulait faire du prsent ouvrage le couronnement de ses recherches et il y travailla jusqu ses derniers jours avec toutes les difficults provenant dune vue dfaillante.

Beaucoup dEuropens, aujourdhui, ont, par lactualit, lattention tourne vers le monde musulman comme bien des reprises au cours de lhistoire, ses rapports avec lEurope ne vont pas sans difficult. La Terre dIslam a toujours recel des trsor considrs comme vitaux par les Occidentaux: ainsi, il y a neuf cents ans, ctait Jrusalem, le Saint Spulcre; aujourdhui, cest lindispensable ptrole... Do des croisades de toutes sortes. Entre-temps, les mobiles habitants de ce sol brlant transportrent dun bout lautre de leur empire les connaissances, les valeurs de civilisation grecques, orientales, indiennes; ils contriburent ainsi la renaissance de lOccident. Sources de problmes en mme temps que facteurs de progrs, les rapports Europe-Islam requirent sans cesse des solutions originales.

Cependant, quelles que soient celles souhaites par chacun, les seules solutions viables sont celles qui tiennent compte des ralits complexes de lHistoire. Le plus urgent est donc, pour qui veut suivre les vnements contemporains en pleine lucidit, de sinformer bonne source.

La premire enqute entreprendre est de lordre de la psychologie historique: cest la dcouverte de lme musulmane. Et, pour y parvenir, il est indispensable de pntrer le mystre de la fondation de lIslam. Or, cest un homme seul qui a fait dun petit peuple jusqualors ignor une puissance qui a chang la face du monde; cet homme, cest Mahomet (ou mieux, Mohammed). Cent ans seulement aprs sa mort les Arabes taient parvenus, par lEspagne, jusquau centre de la France Charles Martel les arrtait Poitiers en 732 tandis que vers lExtrme-Orient ils atteignaient lInde! Comment cet homme a-t-il pu dverser un tel dynamisme dans le cur de ses concitoyens? Quavait de particulier son enseignement Quelle interprtation donner dune aussi exceptionnelle russite?

Le lecteur, par la mditation de ce livre la fois si document et si vivant, plein de prcieuses observations sur les murs, les traditions, dcouvrira bien des traits cachs de lme arabe; il comprendra la spcificit de lIslam et de limportante civilisation laquelle cette religion a donn naissance. Et il verra mieux pourquoi la grande et originale initiative de Mohammed tait destine avoir de si grandes consquences historiques.

Pour la prsente dition, Maxime RODINSON, Directeur dtudes lcole pratique des Hautes tudes, et Alexandre POPOVIC, collaborateur technique du Centre National de la Recherche Scientifique, ont bien voulu relire le volume, revoir la Bibliographie et la mettre jour.

Paul CHALUS,

Secrtaire gnral du Centre International de Synthse.

Note. Cet ouvrage est le tome XXXVI de la Bibliothque de Synthse historique Lvolution de lHumanit, fonde par Henri BERR et dirige, depuis sa mort, par le Centre International de Synthse dont il fut galement le crateur.

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Introduction

I

Les sources de ltude de Mohammed, Conception gnrale du livre

P009 La naissance de lIslam est un fait considrable dans lhistoire de lhumanit. Aprs treize sicles la religion nouvelle ordonne encore la vie de peuples parvenus des stades ingaux de culture et appartenant des races diverses, Smites, Indo-Europens, etc. La doctrine, il est vrai, sen est modifie par leffort soutenu des thologiens et des juristes du moyen ge, mais le Coran et la tradition du Prophte en restent les lments essentiels, quil faut runir et situer dans lhistoire religieuse de lArabie et du Proche-Orient. Mais Coran et Tradition nous introduisent avant tout auprs dune personnalit puissante, celle du fondateur de lIslam, Mohammed, dont la vie est pour le musulman le commentaire vivant de lenseignement quil a apport. Une histoire de la vie de Mohammed est donc une introduction ncessaire ltude de la doctrine musulmane. Elle sera conduite ici avec le souci de relever surtout les faits qui expliquent et commentent les consquences de la mditation du Prophte inspir.

Le Coran. Si, pour reconstituer le milieu arabe, nous disposons, en dehors dinformations sommaires dans quelques crivains anciens de confessions diverses, dune collection dinscriptions de jour en jour croissante, en ce qui concerne Mohammed lui-mme notre documentation est P010 dun autre ordre, et consiste en deux lments, dune part le Coran, dautre part la Tradition.

Le Coran, cest--dire le texte de la Rvlation prche par Mohammed, se prsente nous en chapitres, les sourates, composs eux-mmes dun nombre variable de versets, plus ou moins longs, les ayt. Il y a 114 sourates totalisant 6219 versets. Elles sont classes selon leur longueur, les trois plus petites, 1, 113 et 114 encadrant le texte sacr comme dune protection magique. Leur classement na donc pas de rapport avec lordre dans lequel elles ont t rellement prononces. Chaque sourate a un titre qui correspond au principal sujet trait, mais aucune ne forme un ensemble ordonn. La sourate qui ouvre le livre, la ftiha, rsume le Coran tout entier, selon les docteurs de lIslam; cest une sorte de catchisme, o des auteurs europens ont voulu voir une influence chrtienne. Des lettres isoles sont inscrites en tte de certaines sourates, dont aucune explication convaincante na t fournie: Allah seul en connat le sens.

Tel quil est le Coran nous a t transmis par la combinaison de la mmoire et de lcriture. La langue dans laquelle il est crit, rythmique, souvent assonance, se prte particulirement la conservation dans la mmoire dun peuple dress par le pas de ses chameaux donner aux phrases courantes une mesure rythme. Cependant lcriture tait rpandue en Arabie, et les croyants sen servirent aussi pour fixer la Rvlation un verset prouve que ctait dj un mtier dtre copiste du Coran . La tradition veut que le Prophte ait dict lui-mme une partie de la Rvlation son secrtaire Zad b. Thbit: il est vraisemblable quil prfrait la transmission orale, mais que Zad, de sa propre initiative, nota de nombreux feuillets. Dautres compagnons sans doute avaient imit son exemple, et la mort du Prophte il est probable que le Coran entier tait conserv par crit. Selon la tradition, cest le texte de Zad quAb Bakr, successeur du Prophte, considra comme valable et lgua Omar, qui le remit sa fille Hafa, veuve de Mohammed. Nanmoins dautres recensions prirent autorit dans les pays conquis par lIslam, celles dIbn Ubayy Damas, de Miqdd Him, dIbn Masd Kfa et dIbn al-Achath P011 Bara. Ainsi apparaissaient dans le texte du Coran les altrations que la Rvlation reprochait si fort aux Juifs et aux Chrtiens davoir apportes aux anciens Livres. La tradition craint particulirement que le texte du Coran soit contamin par la connaissance des livres apocryphes. Omar, qui avait copi un livre des gens de lcriture, fut blm publiquement par le Prophte, et, son tour, il tana vertement un compagnon qui avait copi le Livre de Daniel.

Il fallait ragir contre les variantes des textes crits et les comparer aux transmissions orales qui taient encore assures par la prsence de nombreux compagnons du Prophte. Othmn confia quelques-uns dentre eux le soin de runir les divers crits autour de celui de Zad b. Thbit et dtablir un texte dfinitif; ce texte est encore aujourdhui la Loi du monde musulman.

Il convient de rendre hommage aux anciens docteurs de lIslam qui ont montr la fermet de leur sens critique et leur sincre souci de retrouver un ordre des versets du Coran qui soit conforme la ralit historique. Leur effort sest tendu linterprtation du Coran en gnral. Mais ils nont pu triompher de toutes les difficults. Aprs eux les historiens europens ont tabli une chronologie des versets coraniques, qui nest point certaine; le travail dcisif cet gard est d Noeldeke, dont on adoptera les conclusions.

La Tradition. Le texte du Coran a donc t dfinitivement fix ds le milieu du VIIe sicle, sauf quelques mots qui restent indcis; mais linterprtation de nombreux versets a t aussitt et reste incertaine: grammatici certant. Or, il y avait eu, jusquen 632, un commentaire vivant de la rvlation, le Prophte, dont les paroles, les actions, les silences et les abstentions devaient servir dexplication et de modle tous les musulmans. Le Coran a dit: Il y a pour vous un bel exemple en lEnvoy dAllah. Cest une Imitation de Mohammed, la tradition sunna, exprime par les rcits, hadth. Les compagnons du Prophte les transmirent la seconde gnration de croyants, celle des Suivants, qui la confirent eux-mmes aux Suivants des Suivants. On en parvint ainsi au IXe sicle, lpoque des P012 grandes controverses religieuses, et des hommes instruits composrent, sous leur propre responsabilit, des recueils de hadth, o ils notrent soigneusement la route par laquelle ceux-ci leur taient parvenus, la chane des appuis, isnd.

Mais au temps o les thologiens-juristes ont rassembl les membres pars de la sunna, la socit musulmane stait singulirement largie. Des rudits dorigines diverses sefforaient de complter et de combiner le Coran avec les coutumes et les lois des nouveaux convertis. Ils cherchaient dans lexemple du Prophte des preuves de la rectitude de leurs propres opinions ainsi se formrent des recueils de hadth dont les tendances sont diffrentes, selon les sectes religieuses et les rites juridiques. Enfin, il fut trop tentant de fabriquer des hadth; les plus dangereux, selon les commentateurs, sont ceux qui ont conserv des traditions authentiques et les ont mles leurs inventions. La sunna assembla ainsi un arsenal de preuves pour ou contre les Omayyades, les Abbssides, les Alides, les Mutazilites, les Hanafites, les Mlikites, etc., etc.; mais elle permit, dautre part, dadapter la loi musulmane aux besoins de la socit des ville et IXe sicles.

Rien ne montre limportance que les musulmans attribuent au hadth comme le petit fait suivant: lopinion syrienne na pu accepter que Mdine ait eu le privilge exclusif dentendre la tradition de la bouche de Acha, la veuve du Prophte, et elle a voulu que celle-ci ft aussi venue la dire dans un angle de la cour de la Grande Mosque de Damas, o en 1184 encore un voile dissimulait son ombre aux regards indiscrets.

Comme la critique du Coran, leffort des rudits musulmans sest attaqu celle du hadth: il sagissait de distinguer dans la masse des traditions celles qui sont authentiques et simposent la croyance. Des recueils ont alors t composs, donnant la srie reconnue comme authentique. Les principaux sont les deux sains ahh de Bukhr (m. 870) et de Muslim (m. 875), puis les livres de Tirmidh (m. 892), Ab Dd (m. 888), Ibn Hanbal (m. 88), Ibn Mdj (m. 886) et Nas (m. 915). Ils ont class les hadth par matires formant des chapitres; Ibn Hanbal seul a pris pour ordre celui des noms des traditionnistes asnd.

P013 Les critiques musulmans ont not avec joie les hadth accepts par tous les docteurs orthodoxes, et qui jouissent ainsi du consensus idjm. Le hadth, comme le Coran, a eu ensuite ses commentateurs.

Les diffrences et les contradictions qui apparaissent entre les hadth expliquent la mfiance que des historiens comme le P.Lammens leur ont tmoigne. La Tradition nen est pas moins une source essentielle de la comprhension du Coran. La critique doit assurment essayer de dceler dans la Tradition tout ce qui est apport ou altration trangers aux souvenirs primitifs rels; mais il serait excessif de penser que de tels souvenirs ne restent pas frquemment la base de la Tradition, et ils sont les seuls nous fournir la biographie du Prophte, quon ne peut tirer du Coran.

[La biographie traditionnelle de Mohammed, la Sra, est en effet le rsultat du classement et de la mise en uvre de traditions. Elle nous est parvenue surtout sous la forme que lui a donne Ibn Hichm (m. 834), utilisant une rdaction antrieure dIbn Ishq (m. 768); dautres traditions se rencontrent cependant aussi dans les grands recueils de hadth et dans les travaux issus des recherches de Wqid (m. 823), soit les siens propres, soit les biographies classes (tabaqt) de son disciple Ibn Sad.]

Conclusion et conception gnrale. [Tel tant le matriel documentaire dont nous disposons, deux attitudes extrmes sont en somme possibles. Lune consiste, pour le savant europen, traduire dans sa langue les rcits de la biographie apologtique telle quelle sest peu peu constitue dans le monde musulman travers les volutions de la Tradition et de la pit. Lautre, qui en fait na jamais t adopte parce quelle aboutirait une renonciation, consisterait nadmettre que ce dont la vrit peut tre contrle, cest--dire presque rien.] Lattitude ici adopte est autre; et peut-tre, en accueillant des rcits qui ont souvent lallure des lgendes dores de tous les grands hommes, ferai-je aux yeux de certains figure de naf. Certes dans le hadth la ligne de dmarcation est difficile tracer, pisode par pisode, entre le faux, le vrai, llabor; mais si lexactitude mticuleuse des moindres faits est impossible tablir, la croyance P014 commune que reflte lensemble reste un lment prcieux utiliser pour restituer la figure dun homme ou de son poque; si le Coran est la version dfinitive de la Loi de Mose, le hadth est lvangile de Mohammed. On peut donc essayer de choisir, dans lensemble des informations, avec un effort pour rduire la dose darbitraire, celles qui paratront exprimer le mieux lme du Prophte initiateur dautres mes en une tape de lvolution de lesprit humain.

Ldition normalement suivie du Coran est celle de Flgel (Leipzig 1834), que rendent pratique ses Concordances (index de tous les mots) (ibid., 1840). Jai essay de traduire les nombreux versets que jai cru devoir citer; je me suis en gnral conform au sens, sinon la lettre, de la traduction quen a donne Blachre. Celui-ci a adopt lordre chronologique vraisemblable des sourates, et sest clair de lopinion des grands commentateurs musulmans et occidentaux. Jai pour ma part trouv un profit particulier dans la consultation de Badw, Tabar, Rz et (moderne) Chatkh Abduh. Pour le hadth, je me suis surtout servi de Bukhr, en suivant dans ma traduction celle de Houdas (et, pour le premier volume seulement, de W. Marais), qui a utilis le commentaire de Qastalln; mais jai trouv une aide plus solide dans celui dal-An la Umdat al-Qrii.

[Lhistoriographie occidentale a jadis, dans sa prsentation de Mohammed, subi linfluence des polmiques confessionnelles] ou dun rationalisme sommaire qui ntait pas toujours raisonnable; [dans lhomme dont la parole a entran les Arabes et fond lune des religions les plus rpandues du globe, elle na voulu voir quun imposteur, un plagiaire ou un dtraqu. La critique moderne, mme de lincroyant, na pas des choses une vue aussi simpliste. Elle cherche comprendre et expliquer linteraction] dune personnalit individuelle particulirement vigoureuse et dun milieu social prpar recevoir sa prdication, tout en se ladaptant. Le prsent livre vient aprs dautres, en particulier ceux de Tor Andrae et dAhrens, auxquels je dois une bonne part de mes opinions; et il aurait t inconcevable sans lHistoire du Coran de Nldeke.

[Afin que le lecteur non-orientaliste ou ltudiant dbutant puissent facilement tirer parti des pages qui suivent et se reporter pour renseignements complmentaires lEncyclopdie de lIslam, on a, parmi les divers systmes de transcription, tous mauvais, choisi, en gros, celui qui a t adopt dans celle-ci, en substituant seulement ch sh, pour respecter les habitudes franaises, et s, q k, pour ne pas compliquer la typographie. Pour un ou deux noms trs courants, on a cependant conserv des formes usuelles, Omar, Othman; dfaut de Mahomet, vraiment trop loign de la forme vritable], on a crit Mohammed, la maghrbine; Mekke, sans article, au lieu de lusuel La Mecque, que rien ne justifie.

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II

LArabie prislamique

A. le pays et ses habitants

P015 LArabie, grande quatre fois comme la France, nous semble une immense solitude, isole du reste du monde par trois de ses faces et spare du continent sur la quatrime par des dserts. Ainsi lon tient pour des miracles quelle ait donn naissance lune des trois religions surs et quelle ait t un rservoir dhommes pour de larges conqutes et pour des peuplements lointains. Mais cest quil y a en Arabie, travers les dserts, de larges sillons doasis et de steppes et sur ses bords des rgions leves et arroses qui ont t propres nourrir des populations nombreuses et cultives. Celles-ci ont t en relations avec des peuples de vieille civilisation dont la pense les a aides dvelopper les valeurs de leur propre esprit. La merveille se rduit ainsi la prsence dun homme exceptionnellement dou, qui, dans un milieu favorable, a ralis lvolution rapide de son peuple et la formation dune religion mondiale.

Pendant longtemps lArabie ancienne na t connue en Europe que par la lecture dhistoriens, musulmans pour la plupart, dont les ouvrages les plus vieux datent du IXe sicle et dont bien des renseignements sont tendancieux. Ce nest que depuis le dernier sicle qua t entreprise ltude archologique du pays. Outre quelques monuments, des inscriptions fort nombreuses, mais la plupart de faible valeur, ont t dcouvertes et sont tudies, quon classe, selon leur criture, en safatiques, sabates et thamoudennes (ou lihynites). On peut donc donner du pays une description combinant aux donnes modernes de la gographie celles du pass historique.

P016 Gnralits. Le Nord. Dans les rgions montagneuses les sommets sont levs: le pays dat-Tf dans le Hedjaz est domin par une montagne de 2600 mtres; dans la chane des Sart au sud-est de an (Sana), le Djabal Chuab monte 3140 mtres. Le Hedjaz, le Ymama, le Ymen, le Hadramout ont des cultures paysannes en crales, en lgumes et en fruits.

A lintrieur stendent de grandes steppes, o de rares pluies font pousser, en certaines poques, les herbes dont se nourrissent les chameaux; l stend lArabie du romantisme avec ses nomades de grandes tentes; des points deau marquent les tapes des dplacements et les sanctuaires des dieux. La steppe est heureusement traverse de bas-fonds o leau souterraine est plus proche; ce sont de longues enfilades doasis, o, lombre de belles palmeraies, des sdentaires rcoltent grains, lgumes et fruits: ils achtent leur scurit aux puissants nomades du jour, moyennant un tribut. Ces oasis apparaissent en Arabie mridionale comme au nord, au bord du dsert, avec Yathrib (la future Mdine), Khabar, Tam, Fadak. Ailleurs cest le dsert, ce ne sont que des roches qui se dlitent en sables.

Dans sa partie septentrionale, lArabie na pas de frontires. Des tribus arabes ont razzi ou nomadis diverses poques jusque dans la rgion dAlep et jusqu Mossoul sur lEuphrate. Ce sont des tribus arabes qui, sous les dynasties des princes Lakhmides et Ghassanides, ont dfendu les territoires perse et byzantin contre leurs compatriotes, les Bdouins dArabie.

Au Nord-Ouest, le dtroit de Bab-el-Mandeb a vu passer bien des peuples; la presqule du Sina dpend gographiquement de lArabie et le Coran la annexe lIslam puisque Mose est lun des prdcesseurs de Mohammed et que les paroles que Dieu lui adressa du mont Sina tiennent une grande place dans lhistoire de la vraie foi avant Mohammed.

LArabie du Sud. Lautre extrmit de la pninsule, la rgion du Ymen et de lHadramout sest rvle lrudition moderne comme le centre dune civilisation trs vivante. Il semble que les ctes, sur la Mer Rouge et lOcan Indien, aient permis un cabotage qui a entretenu des relations P017 suivies avec lthiopie dune part, et, de lautre, par lembouchure du Tigre et de lEuphrate, avec la Perse et lInde. De magnifiques dcouvertes dinscriptions ralises depuis un sicle par Glaser, Joseph Halvy, Arnaud, Philby et rcemment par Ryckmans permettent de tracer le cadre de lhistoire ancienne de lArabie mridionale et aussi de connatre quelques lments de la civilisation de ses peuples. On peut y reconnatre quatre grands empires successifs: Maan, Saba, Qatabn et Hadramout, et trois autres moins importants: Awsan, Samay et Asba.

Lempire de Maan ou Man, dont les inscriptions minennes rappellent lexistence, stait tendu, vers le XVe sicle avant lre chrtienne, de lArabie mridionale jusque vers le nord. Il y rejoignait le domaine amalkite. Vers lan 800 av. J.-C., ses grandes villes sont au sud-est de Sana et au sud-ouest de Marib.

Puis ce sont les inscriptions sabennes qui rvlent en Arabie mridionale, vers le VIIIe sicle av. J.-C., un empire o rgne un prtre-roi, mkrb, quon lit makarrib ou mukarrib. Cest un rgime quasi fodal de grandes familles de soldats ou de propritaires fonciers. Les souverains de Marib sont rois de Saba, ct des souverains de Qatabn et de Hadramout. Au second sicle, les princes himyarites sintitulent rois de Saba, Dh (matre de) Radn; et vers 300 aprs J.-C. ils sont en outre rois du Hadramout, du Yammah et du Tihma.

En 525, les thiopiens semparrent de lArabie mridionale, et, selon la tradition, ils supprimrent en 530 le dernier roi himyarite, Dh Nuws, converti au judasme. Ryckmans a dcouvert une inscription de 518 qui relate une expdition abyssine dirige contre lui. Il a trouv en outre une inscription qui donne le vritable nom de Dh Nuws. On est l dans les ruines dune grande cit que lon dsigne par son nom dans le Coran, Ukhdd: Ils furent tus, y lit-on, les compagnons des fosses ahb al-ukhdd par le feu en brasier, alors quils taient auprs, assis... Ils leur reprochaient de croire en Dieu! Suivant la tradition musulmane, ce sont des gens de Nedjrn, convertis au christianisme, que le roi Dh Nuws fit jeter dans des fosses et brler vifs. Sauf le dtail des fosses, le fait est confirm par des textes chrtiens; P018 mais lorigine de la lgende reste obscure. Ce sont aussi des souverains ymnites que le Coran appelle Tobba et quAllah a fait prir pour leur impit.

Dans cette rgion, la digue de Marib retenait des eaux et les distribuait sur une large rgion de plaines cultives; ctait un ouvrage fragile qui ne fut plus entretenu durant de longs dsordres politiques. Elle se rompit, semant la ruine au lieu de la fertilit, et nul ne fut capable de la reconstruire. La lgende a grossi les effets de cette rupture et lui attribue tous les anciens dplacements des tribus mridionales vers le nord.

Lun des gouverneurs vice-rois du Ymen, aux ordres du roi dAbyssinie, chrtien monophysite, sous la dpendance religieuse de lempereur byzantin, fut Abraha, illustre dans la tradition musulmane. En 570, il conduisit une arme contre Mekke, afin dy dtruire la Kaba; Allah envoya des oiseaux abbl, qui lchrent sur les soldats une mitraille de cailloux aux blessures mortelles. Llphant mont par Abraha donna son nom lanne. Des inscriptions confirment lexistence dAbraha: lune delles est relative la digue de Marib en 542; une autre, trouve au puits de Muraghn dans le Alem au sud dat-Tf, relate une expdition de 547 contre des tribus. Ces deux inscriptions chrtiennes sont sous linvocation, lune de Dieu sous le nom dar-Rahmn et son Messie, lautre sous linvocation dar-Rahmn et de son fils Christos.

Les cits principales du Ymen taient Saba, Sana, Zafr, ancienne capitale himyarite, dont on connat les ruines, Sahl o lon tissait les linceuls, Djanad et, plus au sud, Taizz.

Cest en lanne 570 que le fils et dernier successeur dAbraha fut chass par Wahraz, gnral du roi sassanide Kesra Anouchirvan; il organisa au Ymen la domination perse avec la dynastie locale de Dh Yazan, et il y imposa le christianisme nestorien.

Au nord du Ymen, entre la cte de la Mer Rouge et le dsert du Rubal-Khl, stendent deux rgions: celle de la cte est le pays Sart ou Badjla, habit par des paysans cultivateurs; celle de lintrieur est une vaste steppe, traverse par des oasis, la principale tant celle de Nedjrn, P020 dont les habitants, au VIIe sicle, taient chrtiens. Suivant la tradition musulmane, ils nen frquentaient pas moins les foires du Hedjaz qui avaient lieu avant les crmonies du hadjdj de Arafa: Mohammed, dans sa jeunesse, y aurait entendu les homlies de lvque de Nedjrn Quss b. Sida.

Selon la tradition, lanctre mythique des tribus du Hedjaz, Nizr, a rdig son testament dans le style mystrieux des oracles et des rponses des devins; aussi recommande-t-il ses fils daller, aprs sa mort, en demander lexplication au devin des Ban-Djuchm Nedjrn.

Loasis de Nedjrn, qui a une centaine de kilomtres de longueur, se continue par dautres bandes doasis avec le Wd-Hanfa. (Cest dans cette rgion quest Riyd, la capitale actuelle de la dynastie soudite. Elle est voisine de la rgion ptrolifre.) Il y avait par l une route de caravanes qui permettait les communications entre lArabie du Sud, celle du Nord et la Syro-Palestine. Il y en avait une autre vers at-Tf, Mekke et Djedda, quAbraha, sans doute, avait cherch dominer.

La rgion du Ymama tait, elle aussi, habite par des sdentaires.

A lest du Ymen, le Hadramout est un pays de montagnes, travers douest en est par un cours deau permanent. Ctait cependant au VIIe sicle, un pays mdiocrement peupl, alors que les ruines y attestent son ancienne importance. Plus loin, cest la cte du Mahra ou Chihr, o larbre encens est cultiv en terrasses: Mirbad est lancien port de Zafr. Puis la cte du Oman, entre lOcan Indien et le dsert, est une bande de terres fertiles qui taient cultives par des Ban Azd, qui, selon la tradition, taient venus du sud, aprs la rupture de la digue de Marib. Plus au nord, vers le Bas-Iraq et lembouchure des deux fleuves, ctait le Bahran, les deux mers. Tourns vers le golfe Persique et lOcan Indien, le Bahran et lOman eussent pu ouvrir aux Arabes une fentre sur la Perse et sur lInde; mais ils taient spars du reste de lArabie par des dserts au sens exact du mot, le Nefd et le Rub al-Khl.

La capitale du Bahran tait Hadjar; le pays dal-Khatif tait dit dal-Khatt, car ctait par l quentraient en Arabie les bambous indiens dont on faisait des lances de ce nom. P021 Les sdentaires y taient exploits par les Bdouins Tamm et Abd al-Qas. Les pcheurs de perles en taient dj clbres. Au VIIe sicle, une partie des habitants tait des chrtiens nestoriens.

Il ny a point de frontire naturelle entre les diverses parties de lArabie et de ses confins septentrionaux. Un climat et un sol semblables ont attir vers le nord les populations arabes moins favorises. Les empires mridionaux, minens et sabens, paraissent sy tre tendus fort loin; puis ce furent les Lihyanites, et enfin les Nabatens, dont on connat des souverains, vassaux de lgypte au second sicle avant J.-C. Leur rsidence tait Petra; leur territoire fut conquis par les Romains en 106 aprs J.-C.

Cest du ct du Djauf, Dmat al-Djandal, dal-Hidjr (al-Ul), et de la moderne Madn-lih (les Villes de lih, du nom de leur prophte suppos selon le Coran) que les anciens potes arabes placent les Thamoud, que le Coran dit anantis par Allah. Leur existence est atteste depuis le temps de Sargon; vers 400 encore ils figurent parmi les auxiliaires des troupes romaines sur les confins syro-palestiniens. On ignore les circonstances de leur ruine, mais lextension de leurs inscriptions presque jusquau Ymen prouve leur ancienne importance.

Au IVe sicle, un chef arabe du Haurn, Imrl-Qais b.Amr, sintitule roi des Arabes, des deux Asad (Asad et Tayy) et de Nizr, sur une inscription de 328; cest le royaume de Kinda.

Au Ve sicle, les Azd du Ymen, pousss, dit-on, par la rupture de la digue de Marib, montent jusqu Batn Marr, dans la rgion mekkoise; puis le plus grand nombre sinstalle en Syrie. Ils y sont confirms la fin du sicle par lEmpereur romain de Constantinople. Al-Hrith b. Djabala est le premier de ces rois de la dynastie ghassnide, qui ont pouvoir sur lancienne province dArabie, Haurn et Baqa, Phnicie et Palestine. Ils gardent les frontires de lempire byzantin contre les Lakhmides, vassaux des Perses; ils sont chrtiens monophysites. On rapporte que, vers 544, le roi lakhmide Mundhir de Hra fit prisonnier un fils dal-Hrith et le sacrifia al-Ozz. Une autre tradition montre al-Hrith venant assiger Tama le chef P022 juif Sarnawal pour lui faire rendre les cottes de mailles dImrl-Qas. Lancien domaine des ghassnides est dans lanarchie, quand le roi sassanide Khosrau Parvs sempare de Jrusalem et de Damas en 618. Nanmoins un de leurs chefs, Djabala, combattra Yarmouk en 643 dans larme dHraclius.

Les Lakhmides, auxquels les Ghassanides sopposaient, taient dautres Ymnites, Lakhm, Badjla, Djacham, Djudhama, installs au Ve sicle sous la suzerainet perse dans la rgion bordant louest lIraq; leurs rois rsidaient Hra, prs de Nadjaf au sud de Kfa. Ils se convertirent au christianisme nestorien au VIe sicle.

Le Hedjaz. La rgion de lArabie o nat lIslam est le Hedjaz, qui stend entre la Syro-Jordanie au nord, la mer Rouge louest, le pays des Sart et le Ymen au sud et le dsert lest. Les rares pluies glissent en torrents momentans sur le sol volcanique; mais les eaux souterraines ont cr des oasis et, et l, des sources et des puits.

La premire des oasis qui au nord schelonnaient vers la Syrie, Yathrib, qui devint Mdine, madnat an-nab, la ville du Prophte, dbouchait sur la mer Rouge et lAbyssinie par le port de Yanbu; au sud, dans une rgion aride mais autour de sources, les Qurachites maintenaient leur cit mekkoise sa richesse de centre commercial, qui souvrait sur la mer par Djedda. Ils taient en intime alliance avec les Thaqf dat-Tf, dont les jardins stageaient sur les hauteurs o commenait le pays Sart.

Au VIIe sicle, la rgion de Mekke est la fois le centre commercial et religieux de lArabie. Les foires sy accouplent aux plerinages, la umra de la Kaba et au hadjdj de Arafa, selon une formule que R. Brunschvig a excellemment dgage.

Le centre de la pninsule arabique est tout entier dsertique: cest le Nedjd et au nord le Nafd. On y signale seulement une oasis, celle de Djabrn, sur un chemin possible entre Mekke et le Omn. Le pourtour de cette rgion quasi inconnue est habite par des Bdouins qui profitent de la saison des pluies pour aller nomadiser avec leurs douars et leurs troupeaux, suivant des partages et des coutumes P023 qui nont pas chang, sans doute, depuis le temps de Mohammed. Ce dsert est donc plutt une steppe, au moins dans certaines de ses parties.

Il y a une rgion habitable lest de Khabar, le Qsim, qui profite des eaux souterraines du Wd Rumma.

A louest est le pays des Chammr, groupe des Ban Tayy.

Entre les deux grands dserts du Rub al-Khl et du Nefd, la rgion du Ymma tait jadis habite par des Djads, Tasm et Ban Hanfa, que lon retrouvera dans lhistoire de Mohammed. On y a repr les ruines de la cit dal-Hadjar.

La longueur des voyages et les dangers de la route ne permettaient point les changes directs entre les diverses rgions de lArabie, ni la distribution des marchandises provenant des pays du Nord et des ports. Il fallait un march central que tout le monde pt aisment atteindre. Le rythme saisonnier et la vie nomade imposaient aussi des moments prcis de lanne solaire. Enfin une runion dchanges commerciaux ntait possible que si elle tait assure contre les razzias et les pilleries; cest ainsi quune influence religieuse tait essentielle pour confrer aux conventions des tribus un caractre sacr et intangible.

Lpoque de ces priodes sacres haram fut, tout dabord, fixe par celle o, dans la scurit et la paix, grands et petits nomades apposaient sur lpaule de leurs jeunes btes la marque tribale wasm comme un titre de proprit. La runion, la foire, et aussi la crmonie religieuse, cest le mawsim. Ctait le printemps ou lautomne, pour tenir compte des diffrentes conditions climatriques. Les mois sacrs taient dune part radjab au printemps, que manifestait la umra solennelle de Mekke, et aussi, semble-t-il, la runion de Hubcha, dans la rgion dat-Tf derrire Qarn al-Manzil, une journe de marche sur le chemin de Sana; ctait particulirement le march des Azd.

Mais de grandes foires se tenaient dans la mme rgion durant les trois mois sacrs dautomne. Celle de Ukz, du 1er au 20 de dhl-qada tait la plus frquente; puis ctait celle de Madjama du 21 au 29; enfin, celle de Dhl-Madjz du 1er au 8 de dh 1-hidjdja. On se rendait le Arafa P024 pour le hadjdj. II semble quil y avait, notamment Ukz des pierres sacres que lon enduisait du sang de victimes, et quil y avait l sacralisation des plerins, prise dihrm.

Les oprations commerciales qui y taient conclues, taient, pour ainsi dire, sanctifies par laccomplissement des rites du plerinage et par le sacrifice du Min. Lactivit commerciale des Qurachites et leur habilit politique leur avaient permis dattirer, la fin du hadjdj, une partie des plerins autour de la Kaba. Auprs du dieu Hobal, ils avaient group trois desses qui avaient ailleurs leurs sanctuaires: elles semblaient ainsi protger les routes qui, de la Kaba, menaient ceux-ci: al-Lt gardait celle du sud vers at-Tf; al-Ozz, celle de lIraq par Hurad; Mant, celle de Yathrib et de la Syrie par Qudad.

La route du sud, aprs at-Tf, suivait la rgion ctire du Tihma, laissant sa gauche des steppes leves de mille quinze cents mtres travers lesquelles on pouvait atteindre Nedjrn. Vers lIraq, on suivait, aprs Yathrib, la grande Harra de Khabar et le Wd Rumma, gauche de Tabk, en vitant droite le dsert du Nefd et en atteignant aussi Dmat al-Djandal, aujourdhui al-Djauf, treize jours de Mdine et dix de Damas. Vers lgypte, on gagnait Wadjh et Aqaba, et aussi Wdi l-Qur, Mun, Tabk, et Madn-lih.

Les Qurchites entretenaient des relations rgulires avec lAbyssinie. Les Abyssins du royaume dAksum, tout en conservant une organisation tribale et des traces de totemisme, qui ressemblaient fort aux faits arabes, avaient t convertis au christianisme monophysite par des missionnaires dAntioche. Ils sopposaient ainsi au nestorianisme des convertisseurs perses du Ymen. Adorateurs, semble-t-il, avant leur conversion, dun grand dieu et de sa mre, suivant une vieille formule syrienne, ils avaient donc largement dvelopp le culte de Marie, mre du Christ. Ils apportaient aux foires du Hedjaz des esclaves noirs quils avaient razzis en Afrique. De Hodada et de Djedda de grandes barques voiles passaient aisment aux poques favorables vers Zula dAfrique (Adulis). Mohammed y enverra des croyants dont la vie tait devenue difficile Mekke.

P025 Il convient donc dattribuer une valeur au port de Djedda dans lhistoire ancienne du Hedjaz. On est frapp par labondance des vnements que la tradition y situe. ve y a son tombeau. La statue du dieu Wadd est venue chouer Djedda et il a t rig un sanctuaire Dawma; la statue de Suw tait aussi Djedda, et Yaghth, et Yaq, et Nasr. Sad avait son sanctuaire prs de cette ville.

La population; les tribus. Que sont les peuples de lArabie au VIIe sicle? Une bigarrure de populations de vies diffrentes, un miettement de tribus qui se battent ou sallient, mais des gens de mme origine parlant des dialectes assez proches les uns des autres pour que tous demain comprennent le Coran.

Les historiens arabes ont insist sur la diffrence dorigine qui sparait les tribus ymnites de celles du Nord, dites maaddites ou nizrites. Ils les montrent en rivalits constantes qui engendrent des guerres locales ou placent les tribus dans des clans opposs. Il convient donc de noter quelques noms.

Les grandes tribus ymnites sont les Tayy, les Hamdn ou Madhhidj, les Amila et les Djudhm, les Azd et les Quda. Mais si lon cherche les situer sur la carte, on saperoit que lon trouve surtout des groupements ymnites en Arabie du Nord et en Syrie. Les Lakhmides de Hra, qui, sur lEuphrate, montaient la garde pour les Perses Sassanides, taient des Ymnites, comme les Ghassnides-Azd, fidles portiers de la frontire byzantine. Ctait des Azd aussi que les gens du Omn, les Khuza anciens matres de Mekke, les Aus et les Khazradj de Mdine. Et encore les Bahr, les Tankh, les Kalb de la Syrie et les Djuhana du Hedjaz.

Les tribus nizrites se groupaient en deux grands clans: les Raba et les Modar, dont les noms dsigneront deux rgions de la Djazra, le Diyr Modar (grande boucle de lEuphrate), et le Diyr Raba (province louest de Mossoul). Parmi les Raba, les Wil, uss par les querelles opposant leurs groupes Bakr et Taghlib, migrrent en Syrie; les Taghlib et les Namr sy christianisrent. On retrouvera les Ban Hanfa et les Abd al-Qas. Les principales tribus P026 de Mudar taient: les Qas, les Hudhal, les Hawzin au Nedjd occidental que lon retrouvera mls aux luttes de Mohammed contre les Qurachites et les Thaqf dat-Tf; les Sulam et les Hill (qui devaient laisser dans lhistoire de lAfrique du Nord une sinistre trace de dvastations et de meurtres); les Ghatafn, diviss en Abs et Dhubyn, etc.

Du point de vue gographique et politique, on peut dresser le tableau sommaire qui suit, en partant du Hedjaz: Divers groupes des Qas-Alan tenaient au nord de Mdine la zone des oasis que cultivaient des juifs sdentaires; ctaient des Ghatafn, des Fazra, des Murra. Plus au nord, les Tayy ymnites nomadisaient et pillardaient partir des refuges des montagnes Adj et Salm (Djabal Chammr), et protgeaient loasis juive de Tama. Plus lest sont les Tamm, que les gnalogistes apparentent contradictoirement aux Murd, Ymnites et aux Qas et aux Raba. Au dbut du VIIe sicle, ils forment un vaste ensemble de tribus qui tendent leurs terrains de parcours sur le Nedjd, une partie du Ymma et du Bahran, jusquau Dahn au sud et lEuphrate au nord. Ils ont pour voisins des Asad au nord, des Bhila et Ghatafn au sud-ouest, et des groupes qui sinsrent dans leurs zones, Abd al-Qas et Hanfa lest, Bakr et Taghlib au nord. Essentiellement nomades, ils navaient quun instant t soumis al-Mundhir b. Sawa, Tammite des Ban Drim (et non Abd al-Qas) qui devait traiter avec Mohammed. Ils avaient pour divinit Chums, et surtout les trois desses du Hedjaz: al-Lt, Mant et al-Ozz. Quelques tribus avaient t influences par le christianisme des Bakr et des Taghlib.

Dans le Tihma du Ymen, le Ymma et le Bahran, on trouvait des Bakr b. Wl; allis aux Taghuib et Abd al-Qas, ils combattaient les Perses, et disputaient leurs terrains de parcours aux Tamm; le voisinage de populations iraqiennes les avait teints de christianisme. galement vers le Ymma et le Nedjd se trouvaient des restes de ce qui avait t la grande tribu des Kinda, autour de laquelle stait un moment ralise une confdration dun grand nombre de tribus dArabie. Ils combattaient les Asad, qui avaient tu notamment le pre du pote Imrl-Qas. Plus P027 au nord, entre Hedjaz et Iraq, on signale des Udhra. Au Ymma, des Ban Hanfa demi sdentariss taient en relation instable avec les Abd al-Qas et les Tamm; leur centre tait al-Hadjar. Dorigine nizarienne, issus des Bakr b. Wl, ils taient sous la dpendance politique et culturelle des Perses. Sur les confins du Nedjd, lest des Ghatafn, sont des Qas-Aln, les Muhrib. Au nord du Hedjaz encore des Asad et les Achdja, ainsi que les Quda, voisins orientaux des Bakr, en relations avec les Qurachites pour la protection des caravanes. De mme encore des Djudhm; des Djudana, ymnites Kahln.

Dans le Hedjaz central, les grandes tribus taient les Sulam Hill et Bakr b. aa. Dans leur voisinage taient les Khuza, parmi lesquels les Ban Mutaliq; les Hudhal, qui, comme les Sulam, allaient adorer le dieu Suwa de Ruht; les Kinna. Plus au sud, divers groupes, dont les Ban Hrith, se groupaient autour de lidole Yaghth. A lest de Nedjrn, les Murd avaient t touchs dinfluences perses. Les Ban Amr b. aa touchaient au Ymma, aux Thaqf, Nedjrn et la mer Rouge. Des Azd avaient migr du Ymen vers le pays Sart et sy taient sdentariss. En pays Sart aussi des Badjla. Les Hamdn nomadisaient entre Marib, an, et Nedjrn. Ils staient nagure opposs lattaque dAbraha sur Mekke; vers 624, les Murd leur enlvent leur idole Yaghth.

Les historiens arabes ont prconis une division des tribus qui ne parat pas correspondre une ralit tangible: les vrais Arabes, descendants de Qahtn b. Yakzn, auxquels appartenaient les peuples de Ad et de Thamd, anantis par la colre divine, et, dautre part, les Arabiss, les muarraba descendants dIsmal.

Il est plus commode de reconnatre deux catgories, qui se distinguent par leur organisation conomique et sociale: les nomades, gens de la steppe bdiya, habitant des tentes en poil de chameau ahl al-wabar, et les sdentaires, habitant des maisons ahl al-madar.

Des Juifs chasss de Babylone taient descendus en Arabie et avaient cultiv et peupl la bande doasis qui stend de Tama Yathrib. On les y retrouvait au VIIe sicle. Ils formaient des groupes tribaux, comme les Arabes, et ils P028 ne semblent pas stre mlangs avec eux. Ils taient nanmoins en relations troites dalliance avec des tribus arabes, par exemple les Juifs de Khabar avec les Bdouins Thaqf, ceux de Yathrib avec les Aus et les Khazradj, et ils prirent part au combat de Buth. On est incapable de dterminer dans quelle mesure des Arabes sy taient convertis au judasme. On ne voit pas comment lHimyarite Ab Nuws lavait fait, et si son exemple avait t imit. Les trois faux prophtes de 632 paraissent tre apparus dans des groupes dinfluence juive.

Par contre les Chrtiens, quon a rencontrs en maint autre endroit, comptaient peu au Hedjaz proprement dit.

Organisation sociale. La socit arabe prislamique tait organise en groupements qui taient les mmes chez les sdentaires et les nomades: famille, tribu, union de tribus. La famille tait assemble dans une tente ou dans une maison; la tribu se groupait autour de la demeure du chef en un cercle de tentes (dont le nom subsiste dans le franco-algrien douar) ou, chez les sdentaires, en un quartier qui, dans la montueuse Mekke, prenait le nom de ravin. Dans chaque tente le chef de famille assemble autour de lui sa femme, dordinaire unique, ses enfants, ses esclaves. Les tentes voisines taient celles des proches. La force de la famille rside dans ses fils, gardiens de troupeaux et guerriers, pour la dfense ou la razzia. La femme est une sorte de bien de famille que son chef cde un mari contre paiement dune dot. Elle passait en la possession de celui-ci, qui pouvait la rpudier. Elle navait pour lui chapper dautre moyen que de senfuir chez son pre, qui engageait des ngociations pour que le mari lui rendt sa libert, en change de la dot. La veuve restait en quelque mesure dans la dpendance de la famille de son mari; elle devait normalement choir son beau-frre, et lon en cite, lpoque de Mohammed, des exemples qui sont analogues au lvirat juif. Le Coran abolira cette coutume, sans supprimer le sentiment, chez Mohammed mme, dune sorte de devoir dpouser, si elles le dsirent, les femmes de ses proches restes veuves. La cause premire de la coutume tait sans doute de conserver intacte la valeur conomique P029 du clan; mais il sy ajoutait le dsir de nen laisser garer aucune parcelle dunit spirituelle ou magique. Nous verrons, propos de la famille musulmane primitive, certaines coutumes particulires qui sy perptueront.

[Un certain nombre de familles, descendant dun mme anctre dont ils portent le nom, forment un clan; lensemble des clans apparents, une tribu qabla. Il ny a point lieu de dcrire ici en dtail leur organisation ou leur vie, souvent exposes, mais seulement, sans sarrter tel ou tel dtail qui se retrouvera en meilleur relief dans son rapport avec des faits de lIslam naissant, de rappeler succinctement quelques caractres gnraux indispensables connatre pour situer luvre de Mohammed. Lessentiel est,, comme dans toute socit tribale, la concidence nos yeux paradoxale dun individualisme ou dun dmocratisme intolrants de tout vritable commandement avec une solidarit aabiyya extrmement forte rendant inconcevable une vie individuelle hors tribu. En dehors des maigres objets mnagers de la vie nomade, il ny a pas, hors des oasis et villes, de proprit individuelle. Collectifs sont les pturages, et sous protection collective et divine les lieux him dintrt public essentiel, sources, lieux de culte, etc. Il ny a pas de vritable chef; le chakh de la tribu est un homme, prestigieux par son ge et ses qualits personnelles, qui est lu par les chefs de familles, souvent parmi les membres dune famille privilgie, et son rle, dont il sacquitte entour dun conseil, est non de commander, mais darbitrer, conformment la coutume sunna, les diffrends au sein de la tribu. La justice pnale est rgie par le talion et la vendetta solidaire de clan clan. Do des meurtres en chane et des luttes intertribales qui nont aucune raison de jamais sachever, moins quun intrt commun fasse admettre une compensation diya. Ces luttes se combinent avec les razzias plus ou moins ncessites par la duret de la vie au dsert. Et malgr de temporaires confdrations, elles aboutissent rendre impossible aucune unit de lArabie, ni mme aucune unit rgionale stable (sauf au Ymen urbanis).

Les grosses oasis et a fortiori les villes forment cependant avec la socit purement nomade un certain contraste. Non P030 que rien de ce qui vient dtre dit y soit radicalement faux: les citadins sont dabord, eux aussi, des membres dune tribu, et dailleurs il y a symbiose entre le sdentaire et le nomade. Cependant lagriculture, la demeure fixe, le commerce des gros centres entranent une promotion de la proprit ou de lusage individuels, et la ncessit dun minimum dadministration urbaine fait exister Mekke, sur une base cette fois locale, une sorte de conseil gnral des clans qui y habitent, exerant sur la ville le pouvoir dune oligarchie marchande.

Hors tribu, la vie est impossible. Impossible moins de trouver grouper, en une bande de chevaliers errants du dsert, alk, dautres outlaw analogues, ou bien dobtenir la condition de protg, client, dune autre tribu. Clients sont galement les affranchis, qui restent lis leurs anciens matres. Et enfin il y a des esclaves, dont certains mme peuvent ne pas tre arabes, mais iraniens, abyssins, noirs, etc.

Les vertus que lon prise dans cette socit constituent dans lensemble la muruwwa, la forme de virilit idale du Bdouin, faite dune combinaison de vaillance, loyaut et astuce au service du clan et de gnrosit et hospitalit ostentatoires.]

Culture. Dans cette vie le pote joue un grand rle. [Il nest pas question ici dentrer dans ltude de dtail duvres qui, connues seulement par des recueils postrieurs, ne sont pas toujours dune authenticit certaine, mais seulement de faire comprendre ce que signifie la posie dans la socit arabe prislamique. Naturellement elle implique un commencement de langue littraire, quil ne faut pas oublier lheure o va se faire entendre le Coran.] Mais son importance est surtout socialo-religieuse. Religieuse, parce que le pote est de toutes les runions et crmonies. Les invocations adresses par le fidle son dieu mlent paroles, musique et danse, et il y a concordance rythmique entre la posie, les battements du tambourin, les frappements des pieds et les cris dappel. Le pote est, pour ainsi dire, le chef dorchestre. Dans cette ambiance, sa sensibilit, comme celle de ses auditeurs, senflamme, et il lui arrive de vaticiner. Il est prs dtre un prophte, et P031 sa parole une rvlation. On comprend que les Qurachites, lorsque apparatra Mohammed, le comparent un pote. [Le pote nest cependant pas que religieusement le hraut de lme tribale. Car cest lui aussi qui chante les exploits, les haines, les vengeances, les preuves de la tribu ou de ses hros. Porte-parole du sentiment de son groupe, il est aussi lhomme qui dans une certaine mesure peut faire lopinion. Mohammed pourra le honnir: il ne pourra pas lignorer.]

Par contre, il y a peu de trace dun art arabe. Il ne faut pas se hter trop de laffirmer inexistant; il est impossible cependant quil ait t considrable, et il faut en particulier noter, pour nous en souvenir lorsque nous verrons laversion du Prophte pour les images divines ou humaines, que les anciens Arabes ne paraissent pas avoir eu didole figure humaine. Le climat les incitait peu, dautre part, de gros efforts architecturaux. Ils se contentaient comme maisons de murs de pierres quarries assembles par du mortier et recouvertes parfois de pltre, avec toitures de bois ou branchages. Mme le temple de la Kaba tait un grossier cube de pierre; et la premire mosque sera un simple auvent de bois reposant sur des murs de pierre et des piliers de bois. A lexception, peut-tre, de Tf et des villes du sud occupes par des autorits trangres, les villes navaient point de fortifications. Sans doute y avait-il un peu plus dart dans les armes, les bijoux, les vtements, les toffes, les instruments de musique, etc.; mais lon en sait fort peu de chose, et il est difficile de dire si lart en tait diffrent de ce que pouvaient apporter ou enseigner les marchands venus de Syrie ou dgypte.

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B. les religions prislamiques

[Les indications qui prcdent taient ncessaires, puisque, nous le reverrons constamment, lIslam, fait religieux, est en mme temps fait social, et que sa naissance comme son succs ne peuvent sexpliquer que replacs dans le contexte gnral des conditions sociales comme de lvolution religieuse en Arabie vers le dbut du VIIe sicle. Il sera normal cependant de dtailler maintenant un peu plus P032 lexamen des croyances religieuses et coutumes cultuelles, par rapport auxquelles plus immdiatement se situeront les croyances religieuses et coutumes cultuelles de lIslam. Nous pouvons le faire en combinant les donnes rcentes de larchologie, les allusions du Coran et des auteurs anciens, enfin les informations du Livre des Idoles du musulman Ibn al-Kalb.]

Les Djinns. Nous pouvons ainsi connatre un certain nombre de divinits prislamiques. Nanmoins les puissances occultes taient surtout reprsentes dans la croyance arabe par les djinns, dont il convient de parler tout dabord. Ils taient troitement mls la vie des hommes. Salomon, enseigne le Coran, eut pouvoir sur les djinns, et la tradition, de mme, en fait par Mohammed convertir une tribu. Les plus minents esprits de lIslam, plus tard, tels Fakhr ad-dn Rz ou Ghazl, se sentent encore entours de djinns, dont les saints peu peu adopts par la croyance populaire narrivent pas prendre partout la place.

Les Arabes du VIIe sicle, comme tous les hommes au mme stade de culture, taient sensibles au mystre de la vie du monde; animaux et plantes leur apparaissaient anims par des puissances suprieures dont ils sentaient la domination sur eux-mmes. Il convenait de se les rendre favorables, dtablir avec eux des rapports aussi troits que possible: ainsi les Arabes, comme bien dautres, sadonnaient-ils au totmisme, cest--dire quils tablissaient une alliance intime entre tribu dhommes et tribu de djinns, les hommes se considrant comme descendants dun anctre animal: tels les Ban Kalb ou Kilb (descendants du chien), les Ban Asad (descendants du lion), etc. Les oiseaux particulirement sont des djinns, qui renseignent les hommes sur les secrets du destin. Cependant les djinns sincorporent aussi de prfrence des animaux sombres, chameau, chien, chat, ainsi qu des oiseaux sinistres, comme le hibou, ou des btes rampantes, scorpion, serpent, etc.; les anciens Arabes ne semblent cependant point avoir log Satan dans le corps du serpent chatn. La tradition musulmane fait descendre dun serpent la dynastie qui rgnait au VIIe sicle P033 en thiopie. Les djinns se plaisent galement dans les sources et les pierres; on trouve dans toute lArabie des pierres sacres qui, aprs avoir t honores comme demeures de djinns, se sont incorpores un temple dune divinit distincte, avant de sadapter au culte musulman: les pierres de la Kaba, le roc de Arafa, la grotte de Quzah Muzdalifa, les pierres leves ansb de Min, les rocs da-af et al-Marwa Mekke, celui de la Mosque dite de Omar Jrusalem, etc.. Les pierres sacres taient bien connues des Isralites, lieux de sacrifice ou monuments du pacte de Yahveh. Toute source est habite par un djinn qui en dispense lusage aux humains. Les rites dablution purificatrice et dabsorption de leau sont courants et seront adapts lIslam: le musulman boit leau de Zemzem au cours des tournes de la Kaba; la source a jailli dun coup de pied dIsmal ou plutt de lange Gabriel. On trouve encore les djinns, par exemple, dans certains arbres, des samura et des ilah: ctaient ainsi des arbres sacrs. Les Qurachites avaient un arbre vert quils appelaient dht al-anwt, aux branches duquel ils allaient suspendre leurs armes pour les fortifier; ils y faisaient retraite et sacrifice. Les guerriers de Mohammed devaient une fois lui demander de leur faire un dht al-anwt, ce quil refusa avec indignation en se comparant Mose quand les Isralites lui rclamaient le veau. Mais al-Hudabiya (cf. infra) ce sera au pied dun samura quil se fera prter serment. Il y a aussi toujours un djinn sur le seuil des maisons.

Les Arabes devaient donc se proccuper constamment de ne point dranger les djinns. En commenant la construction dune maison ou simplement en plantant sa tente dans la steppe, lArabe peut se heurter un djinn: il offre donc un sacrifice. Le djinn peut sattacher un cavalier, lgarer ou au contraire diriger sa chamelle vers un point deau. Cest la mme notion transforme qui montrera la chamelle de Mohammed le guidant vers lemplacement de sa future mosque. On entend dans la steppe le sifflement caractristique du djinn, quil faut se garder dimiter. Cest un autre sifflement avec battement de mains que recommande le Coran, le muk, qui consiste mettre les doigts dans la bouche et siffler.

Les djinns ont en effet trouv place dans le Coran: la P034 croyance populaire a donc pu leur rester fidle, sans entacher la foi musulmane.

On attribue aux djinns tous les vnements anormaux et funestes, les pidmies, les maladies, limpuissance des hommes et la strilit des femmes, la dmence et aussi la folie de lamour. Quand un enfant disparat, cest quil a t vol par un djinn. Parfois, le djinn se contente de faire des farces aux hommes; il sinsinue dans un taureau et il empche les vaches de boire; il faut que le matre du troupeau frappe le pauvre taureau pour que le djinn sen aille do le proverbe sur celui qui subit la peine dautrui: Comme le taureau qui est frapp quand la vache ne veut pas boire.

Lancienne posie arabe connat bien le djinn femelle, la ghl (fr. goule) qui suit les hommes dans la steppe et les fascine. Mais ce sont des tres de nuit que laurore met en fuite. Un Sulam raconte quune nuit sa caravane tait suivie par une femme inconnue qui menait des chameaux. Ctait une ghl. A laurore, elle quitta la caravane, en disant ce vers: toile du matin, vers toi est loin de moi; je ne suis pas du matin, et il nest point de moi. On rencontre aussi des djinns mles dans la steppe. Une nuit, une caravane fut rejointe par un jeune homme mont sur une autruche quil menait la bride. Un Arabe de la caravane vit bien que ctait un djinn et en eut peur; mais il entra en conversation avec lui sur le sujet favori: Qui est le plus grand des potes arabes? Puis le djinn disparut.

Un djinn peut sattacher un tre humain, et sa prsence a des effets mauvais ou favorables. Il peut faire contracter lhomme une maladie; la plus frquente est la dmence. Le djinn femelle est particulirement dangereux; il ne faut point pourtant chercher en dlivrer lhomme, car, pour ne point le quitter, elle le tuerait.

Les djinns qui hantent les cimetires paraissent avoir t les doubles des morts. La croyance musulmane a conserv la notion que chaque homme est doubl dun djinn qui est son compagnon intime qrin: il est son bon ou son mauvais gnie. Il semble possible de retrouver ce double dans le djinn qui, invisible ou transform en oiseau sinistre, rde autour de la tombe.

P035 Le djinn fait le pote; il ne se contente pas de souffler ce dernier des formules merveilleuses pour quil en orne sa pense: il lui rvle des choses inconnues. Cest encore comme un compagnon qrin que le djinn sunit au devin khin pour lui transmettre les secrets de la terre et du ciel; ainsi le devin est un avertisseur et un sorcier. Les ennemis de Mohammed le traitaient de chir et de khin. Un djinn enseignait un homme reconnatre leau sous la duret de la roche. Des chefs de famille ne donnaient leurs filles en mariage qu un pote, un tireur daugures par lobservation des oiseaux arf ou celui qui connaissait les sources de leau.

Peu peu cependant les djinns taient remplacs aux yeux de leurs adorateurs par des divinits plus distinctes. Al-Lt habitait un arbre, al-Ozz avait trois samura Nakhla. On croit donc voir, aux deux extrmits de la chane, en bas les djinns, en haut quelques divinits doues dune personnalit distincte et puissante, et, dans lintervalle, des dieux imprcis qui sont les rabb (matres) de telle tribu, des djinns qui nont pas russi devenir encore rellement des dieux. Tous sont honors par des rites qui ne diffrent entre eux que par leur plus ou moins grande complexit et le nombre de leurs fidles. Le changement du djinn en grand dieu sest ralis insensiblement au gr des circonstances. Ainsi est prpar le passage de lidoltrie au monothisme, par la communaut du respect pour les djinns et les anciennes formes rituelles.

Les principales divinits. La liste des divinits sest pour nous, avec les fouilles, singulirement allonge; elles forment un panthon trs nombreux et de valeur fort ingale. On nen recueillera ici que quelques noms, et lon indiquera, aprs les auteurs cits, ceux qui sapparentent dautres divinits qui ont une histoire hors de lArabie.

Les rapprochements entre les divinits de lArabie mridionale et celles de lArabie du Nord et de la Syro-Palestine, sont certains ou probables. Mais les changes et combinaisons dattributions rendent fort difficile une apprciation nette du rle de chaque divinit. Ce sont les divinits astrales et stellaires qui tiennent la premire place, car elles P036 agissent sur toutes les manifestations de la vie terrestre, lumire et obscurit, chaud et froid, scheresse ou pluie, prosprit ou disette; elles ont mme leur influence sur les destines humaines.

Linfluence des astres sur la vie de la terre et sur les saisons de lanne semble avoir t exprime par les anciens Arabes sous la forme des anw. Quand brille une toile, une toile disparat qui la guettait. Ce sont donc des couples dtoiles dont lune devient visible quand lautre cesse de ltre: ainsi tait obtenue une division de lanne. Babylone a connu des observations semblables.

Le Coran enseigne quAbraham, ne trouvant point Dieu dans les idoles que son pre fabriquait, le cherche en vain dans les astres, qui disparaissent sous lhorizon.

Athtar est le grand dieu stellaire: en hbreu Athtarti, en accadien Ichtar, en hadramoutien et thiopien Astari: on lassimile la plante Vnus; il convient, sans doute, de le retrouver dans les divinits fminines Anahita et al-Ozz et dlargir lassimilation. Athtar tait ador en plusieurs temples de lArabie mridionale, et dans des sanctuaires de lArabie centrale. Hadjar pierre serait un autre Athtar, ainsi que Sahar, Sami et Kakkawan. Anahita avait en Abyssinie des temples, o des hirodules des deux sexes entretenaient une prostitution sacre. On y menait les filles avant leur mariage.

Je crois trouver un rappel des toiles qui, voyageuses nocturnes, percent lobscurit, comme le regard dAllah, dans les versets 86, 1 3 du Coran.

La divinit lunaire est masculine: qamar, sin. Lun des trois grands dieux des Sabens tait lunaire, Almaqah: on trouve dj son nom dans trois cents inscriptions. Il avait un grand temple Awwm, aujourdhui Haram Bilqs, et il tait dit le Seigneur de Awwm. On croit le retrouver dans Haubas, Dh Samawi. Le dieu lunaire des Minens tait Wadd: on a trouv Dlos un petit autel avec ddicace Wadd en minen et en grec. On retrouve Wadd, amour, en Arabie centrale: lidole en fut dtruite dans le Wdi Qur, Dmat al-Djandal, par Khlid b. Wald, malgr la rsistance de ses adorateurs; on lui faisait des offrandes de lait. Ibn al-Kalb fait remonter son origine lpoque de No, P037 dans la montagne de Nod, o Wadd avait t divinis ainsi que quatre autres hommes pieux, Suwa, Yaghth, Yq et Nasr. Leurs statues, emportes par le dluge, vinrent chouer Djedda, o Amr b. Luhay, anctre des Khuza alla recueillir celle de Wadd et en fit don aux B. Auf b. Udhra b. Kalb, qui lui construisirent un sanctuaire au Tihma. Quand il fut dtruit par Khlid, ctait, selon le pre dIbn al-Kalb, une figure dhomme, dont il ne dit point si elle tait sculpte ou peinte, avec un vtement en deux pices, un arc, un sabre et un tendard. Wadd tait ador par diverses tribus.

Le dieu lunaire rgnait sur les gens de Qatabn sous les noms de Amm et de Anbay, auquel on rattache Haukum. Celui du Hadramout tait Sin, dont Ryckmans a dcouvert un temple Hurada. On a trouv Dlos une stle portant, en hadramoutique, le nom de Sin Dh Ylim. On rattache Sin, Haul, qui symboliserait les phases de la lune, de mme que Hariman et Rb. Swa tait une divinit des B. Hudhal Ruht prs de Yanbo, port de Mdine. Elle aurait t dtruite par Amr ibn al-A en 630. Yaght avait t transport Djurach dans le Ymen septentrional. Les Tayy, les Hamdn, les Murd, et les Abd al-Hrith sen disputrent la possession par la guerre. Yaq tait vnr Khawam, prs de an, par les tribus ymnites Hamdn et Khauln. Nasr avait son sanctuaire Balkha, en pays de Saba.

Le Coran cite en effet ces quatre divinits comme celles auxquelles les gens restent fidles, malgr ses avertissements: Ils disent: ne dlaissez point vos divinits! Ne dlaissez ni Wadd, ni Suwama, ni Yaq, ni Yaghth, ni Nasr. Il est donc logique que la tradition musulmane les montre emports par le dluge. Ce ne sont que des noms que vous et vos pres leur avez donns.

La troisime divinit de la triade sabenne tait le soleil sous le double nom de Dht-Himyn et Dht-Badan, lIncandescente et lloigne, cest--dire le Levant et le Couchant, en un paralllisme analogue celui des toiles. Elle est fminine, l comme dans tout le domaine smitique. Elle est appele Chams en Hadramout et Qatabn. En saben, elle sunit un nom de tribu pour dsigner des divinits tribales P038 et familiales, le soleil de Tel. On se perd un peu dans les rapprochements quand on trouve en saben une divinit Ouzzay qui pourrait tre le soleil et qui est al-Ozz du Hedjaz, et aussi un Umm Athtar.

Je ne vois pas que lon ait aucune prcision de lexistence dun culte solaire Mekke. Nanmoins il me semble que cest lui seul qui explique linsistance du Coran et de la tradition ordonner dviter que tout rite musulman concorde avec une position de lastre qui puisse faire croire une adoration du dmon du soleil. Il est vident que le culte de Muzdalifa avait une valeur solaire.

Nasr aurait t une idole des Himyarites dans le pays de Saba; mais ce quon en sait est dautant plus vague que ce nom signifie vautour ou aigle et quainsi la lgende se confond avec celles dautres dieux Nasr, dont le souvenir a t conserv ou bien dont le nom se trouve sur des inscriptions lihyaniques. Nasr aurait t ador au Ymen jusqu la conversion au judasme.

Dhl-Khala tait une pierre blanche marwa, Tabla, sept journes de marche au sud de Mekke, donc aux confins du Ymen. Servie par les Umma b. Bahla, elle tait honore par un groupe considrable de tribus, depuis les Khatam, les Badjla, et les Azd du pays Sart jusquaux Hawzin. La conqute musulmane na point dtruit la pierre; une mosque sleva sur lancien sanctuaire.

Il est vraisemblable que les gens de lArabie mridionale avaient, dj au VIe sicle, fait largement voluer leurs conceptions religieuses. Des divinits tribales avaient grandi au-dessus des djinns. Certaines dentre elles avaient affirm leur pouvoir en donnant une puissance accrue aux tribus qui leur avaient consacr un culte. Ainsi dautres tribus taient venues leur apporter leurs hommages, sans renoncer leur divinit locale. Des temples staient levs pour tre la demeure de ces divinits suprieures et pour en grouper plusieurs ensemble. Des hommes appartenant des tribus allies venaient adorer des divinits qui elles aussi formaient un groupe fortement uni; ils en venaient des invocations collectives, comme celle dune inscription sabenne qui sadresse toutes les divinits de Man et de Yathil, toutes les divinits des nationaux et des allis, toutes P039 les divinits de la terre et de la mer, de lOrient et de lOccident. Il nest point trange que lArabie mridionale, accoutume assembler dinnombrables divinits pour trouver lInconnaissable, ait adopt ds le VIe sicle le monothisme chrtien aprs celui du judasme, et quelle ait t prte croire en Allah, le matre rabb de lOrient et de lOccident.

Les Arabes y taient prpars, mieux encore peut-tre, par la similitude des rites par lesquels ils clbraient ces innombrables divinits. Ce sont ces rites qui se sont maintenus dans lvolution des croyances et qui ont conserv dans les masses populaires le sens de la religion.

Sanctuaires et Plerinages. Sil y avait partout des djinns ou des dieux, on ne pouvait tous rendre un culte gal. Les conditions favorables dun lieu, la puissance dune tribu donnaient certains cultes la prminence sur les autres. Autour dune source gnreuse o lagriculture et quelques mtiers pouvaient prosprer sous la protection du dieu, autour du point deau o une caravane pouvait se dsaltrer, rencontrer dautres caravanes, o les nomades pouvaient mener boire et brouter leurs troupeaux, en des dates fixes de grandes assembles humaines se rencontraient, pour se livrer la fois aux rites de ces cultes et aux affaires dune foire connexe. On peut imaginer ces crmonies, parfois au moins, sur le type de celles de Mekke qui, largement conserves dans lIslam, sont de ce fait mieux connues. Et cest plus sous cet aspect cultuel que sous un aspect dogmatique dailleurs bien obscur quil importe de considrer les religions arabes prislamiques.

Le dieu avait un temple. A Mekke, la maison de Dieu, bat Allah, est un cube de pierre, construit sur trois pierres sacres. LArabie mridionale avait construit de tout autres difices. Le fait est attest par des inscriptions qui citent diverses parties des difices. On connat les ruines du temple de Almaqah Marib, dit Haram Bilqs, celles de Dht-Badan dans les environs de an, un autre temple saben Yeh, enfin on attend avec grand intrt la description du temple de Ukhdd explor par Ryckmans, en Hadramout.

On a cependant retrouv le prototype de la Kaba de P040 Mekke. Les fouilles pratiques en 1937-38 par la mission anglaise Hurada en Hadramout ont mis jour les ruines dun temple consacr au dieu lunaire Sin, et formant un quadrilatre de 12,50 m sur 9,80 m de large; il tait orient comme les temples babyloniens, sur laxe des points cardinaux, la faade tant au sud-ouest. Ce sont lorientation et les dimensions de la Kaba, sauf que la faade de celle-ci est tourne vers le nord-est. Il semble quon ait ajout ensuite ldifice de Hurada cinq dicules, qui auraient servi de sanctuaires particuliers. On a trouv un mobilier important et une cinquantaine dinscriptions.

Les crmonies que les fidles venaient accomplir aux sanctuaires consistaient en processions autour deux, en offrandes et en sacrifices. A certaines poques de lanne, des plerinages y assemblaient non seulement leurs fidles, mais des trangers, des gentils, qui apportaient des hommages une autre divinit que celle de leur tribu. Le plerinage hadjdj tait accompagn de foires, qui se tenaient sous la protection du dieu. Les sanctuaires avec leurs dpendances formaient des territoires sacrs, o les fidles ne pntraient quaprs des rites purificatoires les rendant capables de supporter la prsence du dieu. Ils observaient des interdits dans leur personne et dans leurs actes; ils revtaient un costume spcial dont le nom ihrm est rest dans la technique musulmane. Une inscription sud-arabique tend cette sacralisation aux armes de lArabe partant pour une razzia ou un plerinage: il demande au prtre de son temple de polir ses armes. Le sacrifice dsacralisait ensuite le fidle, et ouvrait des jours de rjouissance, de ngoce, peut-tre de prostitution sacre. Ainsi progressait inconsciemment le sentiment vague dune divinit suprme, qui, aprs avoir prpar en Arabie mridionale la venue du christianisme, allait ouvrir Allah la porte de la Kaba.

Les plerinages de la rgion mekkoise avaient lieu des dates qui montrent que lon y appelait la faveur divine sur les troupeaux. Le Coran lui-mme la permis, comme il a encourag les marchs qui se tenaient alors auprs des lieux saints.

La circumambulation, le tawf est un rite dunion avec la divinit: le fidle lentoure en toutes ses parties et en devient P041 partie lui-mme. On a not la coutume palestinienne, selon laquelle le sacrifiant dun poulet le faisait tourner plusieurs fois autour de lui avant de loffrir au dieu comme un reprsentant de sa propre personne. Les Arabes tournent autour de la Kaba et du roc de Quzah; les Isralites ont tourn autour du veau dor; il y a des tournes autour de lautel catholique. On les retrouverait ailleurs. Les tournes ont lieu de gauche droite.

Les fidles apportaient des dons aux sanctuaires. Les temples de lArabie mridionale taient entours dun territoire sacr, dun him, dont les plantes et les animaux appartenaient au dieu. Des prtres entretenaient dans le temple des hirodules et y commandaient des esclaves qui taient chargs des travaux du temple et de la culture du him. Les fidles noffraient pas seulement des victimes en sacrifices, mais aussi des animaux vivants qui peuplaient le him, et des dons de toute sorte. Tout animal, et aussi tout tre humain qui se rfugiait dans le him devenait sacr, sous la garde du dieu. Les prtres ajoutaient aux produits du him ceux dune dme sur les tribus. Les enfants des femmes du temple lui appartenaient, formant ainsi une large famille desclaves du dieu.

Le Coran a interdit les conscrations danimaux au him des dieux: Allah na point fait de bahra, ni de sba, ni de wacla, ni de hm. Mais ceux qui nient forgent sur Allah le mensonge. Ctaient trois sortes de chamelles particulirement prolifiques, et un talon largement utilis. Le lait de la bahra tait rserv la divinit du him o elle tait laisse en libert; la sba elle aussi y tait libre et ne portait plus aucun fardeau, ainsi que la wacla et le hm. Les exgtes les ont retrouves dans le Coran. Des rserves sont faites par des traditions qui admettent que leur lait et mme leur chair, aprs sacrifice, peuvent tre donns aux pauvres de la tribu et aux trangers: cest encore les consacrer aux dieux.

Le rite principal du culte des dieux tait le sacrifice. Il ntait point accompli par le prtre, mais par le plerin qui gorgeait la victime devant lemblme de la divinit, la recouvrait de son sang et mangeait avec ceux qui laccompagnaient la chair de la victime, comme en un repas de communion. P042 De mme quen Isral, les Arabes sacrifiaient le premier-n dun troupeau pour favoriser la prosprit de celui-ci. Le sacrifice tait parfois une expiation; mais des inscriptions rvlent des confessions qui, adresses par les fidles au dieu, avaient une autre valeur spirituelle.

Loffrande essentielle tait le sang de la victime, dont on humectait lidole, ou bien que lon versait dans le ghabghab. Ctait aussi dans le sang du sacrifice que des hommes mettaient leurs mains pour contracter une fraternisation sanctionne par le dieu.

Il semble quil y ait des exemples de sacrifices humains. Le roi de Hira, Mundhir III, aurait sacrifi des captifs chrtiens al-Ozz. La tradition nhsite pas nous apprendre que Abd al-Muttalib se trouvait contraint par un serment de sacrifier la Kaba son fils Abdallh, pre de Mohammed, et que cest la devineresse de Yathrib qui lui apprit quil pouvait satisfaire le dieu par loffrande de cent chameaux. Il est dailleurs intressant de voir le Qurachite prendre conseil de la servante dun sanctuaire tranger. Le Coran condamne le meurtre des fillettes enterres vives leur naissance, comme un hommage aux faux dieux. Les sacrifices denfants offerts aux dieux cananens invitent croire la ralit dune coutume barbare, quon nexplique pas.

Par le sacrifice de sa chevelure, lArabe soffrait enfin lui-mme la divinit. La chevelure est, en effet, considre comme une reprsentation de la personne humaine. Avant le combat, on sacrifiait sa chevelure en faisant vu dtre vainqueur ou de mourir. Les Smites avaient coutume doffrir leur chevelure la divinit au moment de leur mariage; lusage en avait persist pour les femmes cette poque. Les anciens Arabes paraissent avoir restreint le sacrifice normal de la chevelure la aqqa du nouveau-n. Le Prophte donnait lexemple de la bonne tenue arabe en se rasant la moustache et en laissant flotter ses cheveux sur ses paules. On retrouvera dans dautres pages le sacrifice de la chevelure, cest--dire des deux tresses qui encadraient le visage. On coupait aux esclaves la mche frontale.

Le temple avait un trsor khizna (ghabghab). Dans le temple dal-Lt at-Tf, Mughara, charg par le Prophte P043 de sa destruction, trouva des joyaux, de lor, de largent, des toffes et de lencens. Il y avait un ghabghab Nakhla, pour al-Ozz; aussi la Kaba; on connat ceux de la Syrie, et on a explor des trsors de temples en Arabie mridionale. On offrait aux dieux des figures danimaux en argent et en or, qui taient des symboles de leur offrande en nature; ainsi est confirme la tradition de la dcouverte dune gazelle dor dans le puits de Zemzem, ou plutt dans celui de Hobal. Je pense que dhabiya est plutt ici un bouquetin qui reprsentait Almaqah.

Les biens du dieu taient administrs par une famille de prtres dont loffice se transmettait de gnration en gnration. Les annalistes arabes font grand effort pour prouver que les Ban Chaba taient dj les gardiens de la Kaba lpoque du Prophte: ils ont conserv leur privilge jusqu aujourdhui. Des inscriptions permettent de constater, dans le prislam, la transformation de ce rgime en celui de bien de main-morte waqf: le mot y est. La proprit est confirme, titre perptuel, au temple et son dieu; lexploitation en est confie rgulirement des particuliers, contre une redevance.

Les prtres qui taient les gardiens de la Kaba navaient point seulement en ouvrir les portes et veiller la tenue des fidles faisant les tournes. Cette sadna se doublait de la siqya, cest--dire du privilge de leur faire boire leau sainte de Zemzem. Ctait un rite de communion avec la divinit, qui a t rglement par la doctrine musulmane. Les B. Chaba veillaient aussi lclairage habituel de la Kaba et son illumination les jours de ftes.

Rien ne parat confirmer la tradition selon laquelle les fidles de la Kaba devaient faire les tournes tout nus. Mais il est prcis que lon ne peut se prsenter devant la divinit que dans des vtements purs, cest--dire lavs. Pour viter toute souillure, il est prfrable de sen remettre au prtre du sanctuaire qui loue des vtements purs ou bien qui les vend, car dans une inscription le ddicant offre une tunique au dieu Athtar; ainsi se trouve confirme la tradition suivant laquelle la Kaba, avant davoir une kiswa spciale, tait vtue des habits des fidles. Dans une inscription, une servante du dieu saccuse de lavoir approch, P044 vtue dun manteau souill et us quelle avait rapic. Pour approcher la divinit dal-Djalad en Hadramout, il faut emprunter le vtement des prtres.

Divination et Magie. Au-dessus des divinits elles-mmes, les anciens Arabes voyaient le sort inconnaissable, ad-dahr (dont lide devait les prparer croire la prdestination islamique). Comme bien dautres, ils trouvaient les manifestations de ce sort dans des influences astrales. Plus prs deux, les djinns, on la vu, se mlaient de toute la vie, et par ailleurs avaient accs des secrets de la destine. Pour comprendre tous les mystres, lArabe avait besoin de recourir des hommes favoriss de capacits spciales, le devin khin (hbreu kohen) ou arrf, le sorcier shir, qui eux savaient faire parler les djinns et les dieux, influencer leur comportement, pratiquer envers eux les procds et prcautions ncessaires.

Les prtres taient les interprtes du dieu pour rpondre aux questions des fidles, pour prononcer des oracles et pour dire le sort. On connat les sept flches sans pointes, dites azlm ou qidh, que le prtre de Hobal savait consulter pour le fidle qui venait offrir un sacrifice sa statue et verser le sang dans le ghabghab. Le prtre dal-Djalsad, dieu des Kinda et des Hadramout, avait aussi des flches du sort. Les prtres des sanctuaires taient des devins suprieurs, car ils taient inspirs par des dieux. Mais il y avait en Arabie une foule dhommes auxquels les djinns enseignaient divination et magie. On consultait aussi le sort au moyen de cailloux blancs que lon lanait, do le nom de ce procd, tatrq. Les Arabes le pratiquaient eux-mmes sans intervention de prtre ou de devin.

Les devins arabes, comme ceux dautres peuples, expliquaient le vol des oiseaux. Le passage de ceux-ci vers la droite ou la gauche de lobservateur tait un prsage faste ou nfaste. Mohammed prtendra supprimer cette tayra, mais, ses noces avec Acha, les femmes nen crieront pas moins encore: Khar tar, bon oiseau (augure).

Le devin vaticinait en une sorte dextase: cest quil connaissait les herbes qui, en la lui procurant, lui dvoilaient les secrets de la nature. Les extases de Mohammed P045 sembleront tre de mme ordre, et lon viendra lui demander, celui-ci lidentit de son pre, un autre la cachette de sa chamelle gare. Les croyants le considreront comme le devin parfait, inspir par Allah, cependant que dautres stonneront quil net point reu une cassette close, quun ange ne lui apprt pas tous les secrets des hommes. Les devins pratiquaient la qiyfa, lart dinterprter les traces de lhomme ou de sa monture, et celui de consulter les flches sans pointes azlm. Il y en avait la Kaba. Mohammed tirera lui-mme ainsi au sort le nom de la femme qui laccomp