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LE LIVRE DES BOUGES

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DU MÊME AUTEUR

Guide Actuel des Bouts du Monde (collectif) Le Seuil, 1991.

Paris Mondial (collectif) Le Seuil, à paraître

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René Sintzel

LE LIVRE

DES BOUGES

Lieu Commun

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DOCUMENT DE COUVERTURE : Valparaiso, Chili.

© Sergio Larrain - Magnum

© ÉDIMA, LIEU COMMUN, PARIS, 1992.

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À Joseph Kessel,

il les connaissait tous...

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Préface

J'ai connu, j 'ai aimé les bouges d'Asie surtout, mais aussi d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Océanie, où l'on consommait l'opium en buvant du thé au samovar.

Tchâikhanes d'Hamadan, de Chiraz, bars d'Alep et de Beyrouth, et celui de Port-Étienne qui n'est plus Port- Étienne et que tenait un légionnaire.

Ou de Chiang-Mai où un autre légionnaire, déserteur cette fois, tenait boutique d'antiquités et de bien d'autres choses. Bordel familial de la frontière de Chine, où venaient se vendre, se prêter plutôt, toutes cliquetantes de leurs bijoux d'argent, les belles Nungs et les Yaos courtaudes qui avaient des odeurs de musc et de drogue fraîche.

Bouges ou palais, selon le degré d'éthylisme ou de hasch atteint, ils furent mes refuges, ils furent mes escales. Et souvent, je faillis y sombrer.

Aussi ai-je aimé ce Livre des bouges, ces derniers asiles de liberté dans un monde qui se ferme sur son ennui.

JEAN LARTÉGUY Paris, le 2 mars 1992.

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Avant-Propos

Ce livre est né d'une provocation, d'un défi. Pen- dant le Festival de Cannes, en 1975, un journaliste de la télévision me reprochait, à moi le Cannois d'adoption, la triste uniformité des lieux de détente de la ville. Cette nuit-là, je lui fis découvrir les bouges à matafs du Suquet, les rades de La Bocca, les bars à putes de la vieille ville. Au petit matin, alors qu'il écarquillait péniblement les yeux au jour qui se levait, je lui déclarais, péremptoire : « J'écrirai le livre des bouges du monde entier ! »

Depuis cette nuit, j'ai vécu beaucoup d'autres nuits, nuits de prince et de mendiant, nuits de maître, nuits d'esclave, nuits de feu et de sang, nuits douces et nuits folles, nuits de force ou de tendresse, et chaque soleil d'ailleurs était à son lever une promesse tenue. J'aurais pu, sans doute, écrire ce livre ; j'ai préféré donner la parole à tous ceux pour qui le voyage, l'aventure sont plus un état d'esprit, une manière de vivre, une forme de pensée, qu'un déplacement dans l'espace.

Les bouges sont les points d'ancrage des gentilhom- mes de fortune qui parcourent notre planète. En recueil- lant leurs récits, j'ai retrouvé la fraternité de cette

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confrérie invisible. J'ai voulu ouvrir à tous les portes des bouges du monde. Ils y seront bien accueillis, pourvu qu'ils ne trichent pas. En effet, et tous le disent : le bouge a ses règles et ses usages implicites, mais aussi ses dangers. Ce sont des miroirs où l'on risque de se voir nu. Celui qui le sait peut alors pousser la porte et monter à bord d'un vaisseau qui va, pour un jour, pour une nuit, pour un temps suspendu, l'emmener — débarrassé de ses habitudes et de ses inhibitions — voir se lever des étoiles nouvelles.

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OLIVIER DE KERSAUSON

Le bouge imaginaire

J'aime trop les bouges pour me souvenir d'un seul. L'image d'un bouge, ça ne peut être qu'un bouge imaginaire, à côté d'un bordel fermé (rien de plus triste qu'un bordel fermé) et le « Bar de l'oubli » juste après.

Mon bouge, il est tropical ; les tables sont en bois et jamais personne n'y échange un regard. Les gens passent, chacun vient y prendre ce qu'il a à y prendre. Ce qui peut arriver, c'est le bruit d'une dispute ; mais c'est toujours les autres, c'est le bruit des autres, c'est l'aventure des autres. Un endroit où l'on vient non pas se reposer mais attendre.

Attendre à une horloge dont les heures sont défor- mées par l'alcool, c'est ça que j'aime dans les bouges. J'aime aussi que les filles y passent, que les filles y montent, quand il n'y a pas la complicité mais la neutralité entre le serveur qui est presque une machine et l'abruti qui boit qui en est une autre.

Dans les vrais bouges on ne se tutoie pas, on ne fait ça que dans les endroits chics. Les gens vous observent,

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vous regardent, sans même bouger les yeux, au niveau de la bouche, pas plus ; ils vous servent à boire, ne vous parlent pas et vous ne leur parlez pas non plus. J'aime bien ça, ce côté où chacun sait qu'on vient attendre un autobus qui ne va pas venir ou un train qui ne va pas passer. L'arrêt du temps.

Et c'est pour ça que tout explose parfois dans un bouge, des scènes s'y passent, quelqu'un offre une tournée et on change de parenthèse. Brutalement, on passe de la parenthèse de la ville, de la rue, de la jungle, au bouge et, à l'intérieur du bouge, c'est encore autre chose qui s'ouvre mais qui est créé par les autres, jamais par moi.

Le temps n'a plus de nature, plus de lumière puisque c'est la lumière propre du bouge avec des lampes à pétrole ou des néons dégueulasses sur des murs vert pâle avec des chiures de mouches sur ces vieilles recettes dont les Espagnols ont le secret.

Tout ça, lorsque le temps n'a plus d'heures, lorsque la nuit est déformée, ça devient le centre du monde. Parce que l'avantage du bouge, c'est que les gens y sont éveillés quand les autres dorment.

Et là, je trouve que c'est royal, c'est royal, c'est le pilotage dans la nuit. Un bouge, c'est un cargo avec une cargaison d'hommes avariés, de gens qui ont besoin d'avoir la paix. Ce n'est pas obligatoirement de la détresse mais l'envie de changer d'air. Changer de l'air de l'extérieur d'où ils viennent. Et puis cette espèce de voyage qui commence, un voyage où les gens sont passagers de la même salle pendant quelque temps. Si ça s'appelle un bouge, c'est que « ça » bouge, ça voyage. J'aime ces croisières immobiles où parfois un passager se jette à l'eau de son désespoir et offre une tournée

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générale que l'on peut boire du bout des lèvres sans partager son chagrin. Mais, en même temps, on récupère quelque chose de l'autre. Ça devient un signal interne et, brutalement, c'est une famille ; tout individu qui pousse la porte, même s'il est connu, est un intrus, une nouvelle personnalité qui entre, il va falloir prendre sa vibration, l'accepter ou le refuser, même si les regards ne se croisent jamais.

J'ai connu des bouges à la sortie du canal de Kielh, des bouges qui n'ont pas de raison d'être, avec des orgues de Barbarie qui jouent des musiques à faire pleurer une locomotive à vapeur tellement c'est sinistre, avec la mer du Nord qui est noire, le ciel noir, on voit la tache d'un cargo gris, ça paraît presque gai. J'aime bien ces endroits où il y a, accrochées au mur, des photographies jaunies, et fumées, où l'on voit aussi bien la reconstruction d'un port, que la pose, à la fin de la guerre de 1940, des mecs en uniforme et des filles qui rient. J'aime ces décors ; j'aime, après avoir quitté l'extérieur, être au centre du monde. Un bouge, c'est un ventre. On vient y téter son alcool et il n'y a là aucune vulgarité. Les bouges sont bien élevés, on peut y parler un peu plus fort ou y avoir une bagarre : les gens s'y tiennent beaucoup mieux que dans la plupart des endroits du monde. Chacun respecte l'autre et nul ne se mêle des affaires d'autrui sans y avoir été expressément convié.

Dans les endroits dits respectables, au contraire, le regard social se pose sur les individus, il y a ceux qui viennent boire ou se montrer, et ceux qui viennent exister. On ne va jamais se montrer dans un bouge : on va chercher quelque chose. Il n'y a pas de phénomène social, il n'y a pas de « qui est qui ? », il n'y a que « quoi

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est quoi ? », seulement des gens qui n'ont rien à se dire parce que tout le monde sent ce qu'on pourrait se dire à ce moment-là.

Les bouges ne sont fréquentés que par des gens très bien élevés. S'ils ne le sont pas ils se font remarquer, et, dans un bouge, le problème n'est pas de se faire remarquer mais de s'intégrer, d'y être bien, que les autres soient heureux de vous voir et que vous ne les gêniez pas.

Il est plus dur de rentrer dans un bouge et d'y passer quelques belles heures que d'avoir une table au Fou- quet's ! On est plus exigeant.

Quitter un bouge, c'est abandonner un mal de crâne, un mal de crâne indolore, mais qui prend tellement la tête ! Avec les odeurs, les manies, les bières, la pub de merde accrochée aux murs, le système des pressions, le geste du barman raclant la mousse ou servant n'importe quel alcool. On quitte une parenthèse !

Il n'y a que dans un bouge que l'on peut s'intéresser aux mains du voisin, à la gueule d'une fille, à ses expressions, en la regardant sans la voir. Cet espèce de regard à un mètre cinquante du sol et jamais plus, un peu comme une strate de fumée de cigarette. Un regard au niveau.

En mer, tu es pris par d'autres obligations et une autre magie ; j'aime les bouges car ils sont de bons sas pour partir en mer. Un bon sas entre la vie à terre, les contacts normaux et la mer. Quand tu rentres dans un bouge, tu es déjà parti.

Ces bistrots de merde qui sont tout et rien et qui sont, pour un soir, le centre du monde, c'est quelque chose de formidable.

J'aime bien ça...

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EDWARD BEHR

Cholon, Viêt-nam, 1967

On a beaucoup déblatéré dans le cinéma, dans des films comme Voyage au bout de l'enfer et d'autres, sur les bars à filles et tout le reste. On a tendance à oublier que les Vietnamiennes étaient très pudiques, le climat très différent de ce qu'il est devenu à Bangkok. C'était pas la Thaïlande, c'était pas Pat Pong Road. C'était quelque chose d'autre, c'était plus pauvre, c'était plus vrai.

Je n'ai jamais retrouvé l'ambiance telle que je la connaissais, et il n'y a aucun film qui finalement cerne les choses.

Il était impossible, je crois, de ne pas fréquenter ces endroits ; j'y allais assez souvent pour voir ce qui s'y passait.

J'aimais Cholon, la jumelle chinoise de Saigon. Ses restaurants en plein air où venaient peu d'Américains, ses foules, ses marchés où l'on trouvait aussi bien des A.K. 47, des tenues de l'armée US, des marchandises volées au P.X., que des paquets de cigarettes de

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marijuana, enveloppés sous cellophane. Je connaissais bien Cholon, j'aurais pu y être chauffeur de taxi !

Comme il y avait un couvre-feu à 23 heures, à 22 h 45 — dans toutes ces rues où il y avait des bars — on entendait un bruit énorme de vélomoteurs. C'étaient les fiancés, les maris, les frères, etc. qui venaient chercher les filles. À un moment donné, les filles regardaient leur montre, elles savaient qu'à 22 h 45 il y aurait quelqu'un devant la porte, elles disaient bonsoir et elles partaient. C'était un immense départ, les papillons disparaissaient dans la nuit.

Moi, je savais que ça se passait comme ça, mais pour les GI qui étaient en vadrouille à Saigon ou à Cholon pour un jour ou deux, c'était à la fois un très grand étonnement et une très grande déception.

Il y avait les bordels, bien sûr, je dis pas qu'ils ne baisaient pas, mais les relations entre les Américains et les Vietnamiennes n'étaient pas des relations complète- ment mercantiles, pour simplement « tirer un coup ».

Moi, j'allais dans un bar à Cholon, un bar fréquenté par les Noirs américains. C'était, je crois, le Tokyo Bar, des noms américains qui ne signifiaient rien. Certains d'entre eux étaient des lieux presque magiques. Il y avait une ségrégation qui était faite non par les Blancs, mais par les Noirs eux-mêmes. J'y ai été amené par un sergent noir que je connaissais bien et avec qui, comme corres- pondant de guerre de Newsweek, j'étais allé en opéra- tions. Sans lui, je ne serais jamais entré.

Les filles étaient principalement des Cambodgien- nes, plus foncées que les Vietnamiennes et mal considé- rées par celles-ci qui peuvent être assez racistes. Il y avait entre ces Noirs américains et ces filles une ambiance qui

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n'était pas du tout celle du mec qui va chercher une fille à Pigalle, qui monte avec et qui dit « bonsoir ».

La musique de l'époque, c'était Janis Joplin, Jimmy Hendrix, etc. Vous voyez ce que ça peut donner quand vous avez un groupe de vingt ou trente Noirs américains qui ont 19 ans, qui dansent merveilleusement bien et qui avaient appris aux filles...

Il faut se rappeler qu'au Viêt-nam il y avait eu Madame Nu qui avait essayé d'interdire tout ça et que c'était une façon d'exprimer une liberté.

C'est un lieu dont je me souviens d'une façon très précise. Bien sûr, ça date d'environ vingt-cinq ans, mais c'est comme si c'était hier et pourtant je sais que c'est fini, ça a disparu...

J'ai vu des reportages où les anciennes filles font de la couture et racontent des clichés sur l'impérialisme. Pour moi, c'est dément.

C'était pas ça du tout !...

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GEORGES MOUSTAKI

La Posada, à côté du poste de police Bahia, 1976

C'est un endroit dont je ne sais si je l'ai rêvé ou pas, car ce fut un endroit de bout de nuit. Avant d'y arriver, j'en avais fait dix ou quinze autres. En 1976, à Bahia, j'étais l'hôte de Jorge Amado et depuis, quand je vais à Bahia, je marche un peu sur ses pas et j'ai parfois la chance que lui-même me guide.

Cette nuit-là, j'avais retrouvé un ami de São Paulo et dans cette joie nous avions voulu aller partout où il y avait de la musique, et Dieu sait qu'au Brésil il y en a ! Toute la journée, on fait de la musique. À Bahia, au Mercado Moderno, là où on peut acheter des instru- ments, il y a constamment une animation musicale, des tas de bouis-bouis alentour où les repentiste, les improvi- sateurs, composent la chronique sonore de Bahia. Le soir, on est allé écouter Ernesto Pascual, grand musicien, un monstre qui joue de tout et n'importe quoi, un

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albinos énorme et chevelu. C'est le passage obligé à Bahia : musique, musique, musique.

Puis des bars, des boîtes avec des guitaristes, des chanteurs et la nuit qui avance, et les boîtes qui se ferment, et quelqu'un qui nous invite dans un bar « près du poste de police », dans un faubourg de Bahia. Le cliché le plus merveilleux du bouge : une baraque dressée avec quelques planches, des gens qui semblaient y avoir été rejetés par l'obscurité ; là finissait un bal en smoking, ici des gens qui devaient se terrer pour la nuit, une gent féminine imposante, mulâtre et noire, qui bougeait et chantait beaucoup, une musique faite d'improvisations par des clients qui prenaient la guitare à leur tour, des passagers de la nuit, rincés à la cachassa par le patron. Moi, étranger au pays, au lieu, je n'étais pas naturel dans cet univers, mais, à la demande de ces superbes créatures de toutes les couleurs, j'ai chanté quelque chose en français et ça m'a fait entrer dans le cercle, dans cette franc-maçonnerie provisoire de la nuit. Nuit magique où chaque moment était un moment de musique, d'émotion, de danse, de rire, d'ivresse, d'éro- tisme aussi. C'est en partant que j'ai dit : « Je voudrais revenir ici, pouvez-vous me dire comment on revient ? — Vous n'avez qu'à chercher la Posada à côté du poste de police. »

Posada de dernier ordre, mais la qualité de ce qu'on y vivait était incomparable. On se sentait protégé de tout dans ce quartier pourtant dangereux, dans ce lieu retiré au milieu des favelas. Peut-être n'aurais-je jamais pensé de cette manière ; parce que ce lieu était perdu au bout du monde, parce qu'il y a longtemps et que j'y suis finalement resté très peu de temps. Mais, en le racon- tant, je me rends compte que la progression qui m'avait

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fait échouer là-bas arrivait à une sorte de paroxysme. Là, on laissait tout au vestiaire, on se dépouillait, rien n'était comme on s'y serait attendu. J'ai parlé sans effort le portugais alors que je le parlais mal, j'ai bu sans discontinuer alors que je ne sais pas boire, j'ai dansé toute la nuit avec les beautés brunes alors que je danse difficilement, j'ai joué de la guitare sans aucun complexe alors que le moindre gamin des rues au Brésil prend une guitare désaccordée et en tire des sons merveilleux.

Quand on va comme ça au bout de l'échelle, au bout de la nuit des bouges, on découvre un code réel, ce n'est pas la peur du gendarme, la loi ; si on a suivi le chemin qui vous amène là, si on a mérité d'être là, ça vous met à l'abri de tout.

J'ai eu dans d'autres pays des aventures semblables ; même à Bogota, ville considérée comme extrêmement dangereuse, je me suis toujours senti en sécurité dans ce genre d'endroits. Les sentiments qui unissent les gens à ces heures-là et dans ces lieux-là sont très forts. Il ne faut pas y être voyeur, mais curieux et naturel.

Ces endroits dans la nuit qu'on appelle des bouges, avec des codes différents, des populations qui semblent s'évaporer avec le jour, n'exister que la nuit, ces per- sonnes tellement extravagantes, même physiquement : des femmes très belles, dans l'opulence, avec tout en trop, c'étaient pas des grosses, c'était une autre harmo- nie, avec des seins, des fesses, des cuisses, des hanches amplifiées. C'est beau mais visible et supportable seule- ment la nuit, quand les structures normales sont dépassées.

Au petit matin, j'ai marché dans ce faubourg, j'ai pris un vieux taxi bourré de monde, je me suis retrouvé dans le confort de la villa de Jorge Amado. Quand il m'a

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demandé où j'avais fini la nuit, je n'ai pu que lui répondre : « Dans un endroit du faubourg, près du poste de police. »

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