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Copyright © Ali Fadil, Jean-Marie Toulouse et Taïeb Hafsi, HEC Montréal, 2013 Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute modification sous quelque forme que ce soit est interdite. 1 Le management stratégique de la STM Cas produit par Ali FADIL, Jean-Marie TOULOUSE et Taïeb HAFSI En 2010, l’American Public Transportation Association décerne à la société de transport de Montréal (STM) le prix de la meilleure société de transport en Amérique du Nord. Lors de la remise du prix, le président l’Association dit : « c’est un grand jour pour la STM, ses employés et la population qu’elle dessert. Remporter ce prix d’excellence équivaut à remporter la coupe Stanley. Ce prix signifie que vous avez de quoi être fier. Il signifie également que beaucoup de gens ont travaillé très fort sur une longue période ». (Rapport d’activité 2010, Page 1) De 1861 à 1951 : le transport en commun privatisé. Cet hiver de 1861 touche à sa fin. À la une des journaux de ce samedi 18 mai, on ne parle que de la Montreal City Passenger Railway Company. Les Montréalais s’empressent d’aller voir l’arrivée de ces nouveaux véhicules collectifs à traction hippomobile. Une révolution. On dit même que d’ici la fin de l’année, une ligne de tramway permettra de traverser à intervalle régulier la rue Notre-Dame d’Est en Ouest, en échange de cinq sous. Michel Labrecque, président du conseil d’administration de la STM résume bien cette longue période : « Le transport était exploité par les propriétaires de tramways, de trolleybus et de bus. Durant la guerre, le gouvernement avait interdit aux sociétés privées d’augmenter les tarifs, car celles-ci devaient transporter les travailleurs participant à l’effort de guerre. En conséquence, le parc de véhicules et les infrastructures s’étaient détériorés et le gouvernement avait fini par le prendre à sa charge en 1951 ». 1951 à 1985 : de services publics à entreprise publique Dès sa municipalisation en 1951 par la Commission de transport de Montréal (CTM était le premier nom de ce que l’on appelle maintenant la STM), le réseau de transport est dirigé par des hommes de l'État-major. Michel Labrecque explique :

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Copyright © Ali Fadil, Jean-Marie Toulouse et Taïeb Hafsi, HEC Montréal, 2013 Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction ou toute modification sous quelque forme que ce soit est interdite. 1

Le management stratégique de la STM Cas produit par Ali FADIL, Jean-Marie TOULOUSE et Taïeb HAFSI En 2010, l’American Public Transportation Association décerne à la société de transport de Montréal (STM) le prix de la meilleure société de transport en Amérique du Nord. Lors de la remise du prix, le président l’Association dit : « c’est un grand jour pour la STM, ses employés et la population qu’elle dessert. Remporter ce prix d’excellence équivaut à remporter la coupe Stanley. Ce prix signifie que vous avez de quoi être fier. Il signifie également que beaucoup de gens ont travaillé très fort sur une longue période ».

(Rapport d’activité 2010, Page 1) De 1861 à 1951 : le transport en commun privatisé. Cet hiver de 1861 touche à sa fin. À la une des journaux de ce samedi 18 mai, on ne parle que de la Montreal City Passenger Railway Company. Les Montréalais s’empressent d’aller voir l’arrivée de ces nouveaux véhicules collectifs à traction hippomobile. Une révolution. On dit même que d’ici la fin de l’année, une ligne de tramway permettra de traverser à intervalle régulier la rue Notre-Dame d’Est en Ouest, en échange de cinq sous. Michel Labrecque, président du conseil d’administration de la STM résume bien cette longue période : « Le transport était exploité par les propriétaires de tramways, de trolleybus et de bus. Durant la guerre, le gouvernement avait interdit aux sociétés privées d’augmenter les tarifs, car celles-ci devaient transporter les travailleurs participant à l’effort de guerre. En conséquence, le parc de véhicules et les infrastructures s’étaient détériorés et le gouvernement avait fini par le prendre à sa charge en 1951 ». 1951 à 1985 : de services publics à entreprise publique Dès sa municipalisation en 1951 par la Commission de transport de Montréal (CTM était le premier nom de ce que l’on appelle maintenant la STM), le réseau de transport est dirigé par des hommes de l'État-major. Michel Labrecque explique :

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« Jadis, c’était le premier ministre du Québec qui nommait les commissaires de la CTM. On y retrouvait essentiellement des militaires de la seconde guerre mondiale. Le maire de Montréal, Jean-Drapeau finit par imposer la nomination des commissaires en tête desquels figurait Lucien L'Allier ». On doit comprendre que le modèle de gestion est celui de l’armée et que la responsabilité de nommer les commissaires est un enjeu politique majeur. Cette période est marquée par un balancement continuel entre tradition et modernité : le transporteur montréalais, une entreprise constamment en mouvement de par la nature même de ses services, connait de grands changements. .Deux événements marquent cette période : l - L'inauguration officielle du métro de Montréal, le 14 octobre 1966, constitue sans doute l’évènement marquant à l’échelle de la province : la CTM ajoute alors à son réseau 369 voitures de métro MR-63. 336 de ces voitures continuent en 2011 d’assurer quotidiennement plus de 800.000 déplacements quotidiens. 2 De la CTM à la STM, l’organisme public connaîtra des changements de dénomination et de structure1 1985 : la nomination d’une PDG à la tête de la STCUM L'évolution dans le mode de gouvernance ne survient qu'en 1985 avec la nomination de Louise Roy2 comme PDG. Il s’agit d’une jeune fonctionnaire de 37 ans provenant du ministère des Transports du Québec. « C'est le changement le plus radical qui a été opéré. Avant son arrivée, c'était le fief des commissaires et des ingénieurs. La connaissance dominait, c'était comme ça » se souvient Carl Desrosiers, directeur général. Odile Paradis, directrice principale Affaires publiques reste marquée par cette période : « C’est cette audacieuse nomination qui m’a convaincu de venir ici. Auparavant, personne n'aurait pensé qu'une femme occuperait un tel poste, dans ce milieu super syndiqué composé à 95 % d'hommes ».

1 A - Le passage du nom CUM à Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal (CTCUM) en 1970 traduit une volonté politique de confier la responsabilité du transport en commun à une seule entité sous la responsabilité de toute la communauté urbains ; B - Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal (STCUM) en 1985; remplacer le mot commission par société reflète la volonté de créer une entité plus autonome, un peu à distance du politique. C - Société de transport de Montréal (STM) en 2002. Ce nom est apparu suite à la dissolution de la communauté urbaine (Voir Annexe 1 pour le mandat de la STM). 2 Docteur en sociologie, Louise Roy commence sa carrière dans l’administration de société de transport à la STM de 1985 à 1991 pour ensuite devenir vice-présidente exécutive d’Air France (1994-97), CEO de Télémédia (1997-2000) et finalement accéder aux responsabilités de vice-présidente principale à l’Association Internationale du Transport Aérien (IATA, 2000-2003). Considérée comme l’une des femmes les plus influentes au Québec, elle parvient à contrer la tradition en devenant la première chancelière de l’Université de Montréal, fonction honorifique occupée jusque-là exclusivement par des hommes.

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Louise Roy amorce les premières transformations profondes dans les structures administratives et les modes de management, mais doit également faire face à des réalités d'un autre temps. Comme le décrit Odile Paradis : « La structure hiérarchique était héritée des commissaires. C'était très militaire. Les dirigeants possédaient des galons et des titres semblables aux grades de l’armée. C'était également très British... le thé était gratuit dans les bureaux ! ». Lorsqu'elle décide de mettre l'emphase sur les ressources humaines, Louise Roy est confrontée à d'autres irritants. Carl Desrosiers se rappelle de la situation : « À l'époque, les relations de travail étaient particulièrement tendues. Les contacts entre la gestion et les employés étaient aussi très difficiles, surtout lors des conflits de travail. Les gens s'évitaient. Il y avait des toilettes séparées pour les ingénieurs. Si on parlait à un contremaître de la maintenance pour améliorer les services, il ne fallait pas que ça se sache. Quand Louise Roy est arrivée, elle disait : « On transporte des gens et non des masses ». Elle insistait sur des rapports civilisés et coopératifs. Les syndicats l'appelaient Loulou ». Amputation budgétaire

De 1976 à 1990, les dépenses liées au fonctionnement des administrations de l'État suivent une courbe ascendante vertigineuse : les sociétés d’État et les sociétés Municipales voient leurs subventions, leurs revenus augmenter. Toutefois, la CTCUM vit des tensions associées au passage de la tradition à la modernité et connait un certain nombre de difficultés, notamment des grèves de ses principaux groupes de travailleurs : les chauffeurs et les employés d’atelier. En 1990, devant un contexte économique difficile combiné à une explosion sans cesse croissante de la dette, le Premier ministre Robert Bourassa fait alors de la lutte contre le déficit, l'un des axes majeurs de son programme politique. Claude Ryan, l'un de ses plus influents conseillers et ministre des affaires municipales, lui emboîte le pas et présente aux membres du gouvernement un rapport, selon lequel les municipalités devaient contribuer à l'assainissement des finances publiques en prenant à leur charge certaines compétences telles celle des opérations des transports en commun. Ce transfert de responsabilité, sans aucune augmentation des ressources financières, permettait au gouvernement du Québec de ne plus subventionner l'exploitation des sociétés de transport en commun. Claude Ryan considérait que les municipalités sous-utilisaient l'impôt foncier comme source de financement des services publics. Ces orientations et ces décisions sont enchâssées dans la loi 145 adoptée en 1991. L’effet ne se fait pas attendre. Jacques Fortin, directeur de la planification financière et du budget de la STCUM en 1992, se souvient de cet épisode : « La ville de Montréal, déjà aux prises avec des problèmes financiers, avait choisi de sabrer notre budget d'exploitation pour empêcher une nouvelle hausse de taxes. Du jour au lendemain, il y avait coupe de 150 millions $ ».

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Cet ancien haut-fonctionnaire de l'État, passé en 1989 à la STCUM, après avoir œuvré dans plusieurs cabinets ministériels se rappelle que : « La STCUM avait la réputation d'être très gaspilleuse. Les élus répétaient : "on ne voit pas de résultats, pas d'amélioration de service, l'achalandage continue à diminuer, le monde est mécontent." Bref, ils considéraient que la STCUM était mal gérée!" ». Odile Paradis tempère quelque peu : « Cela ne dépendait pas de la présidente-directrice générale. Malgré les efforts de Louise Roy, nous n’avions plus de jambes pour nager. Il manquait 150 millions de dollars dans notre portefeuille. Se développer devenait impossible ». Développer la STCUM dans une période d’austérité Succédant à Louise Roy en 1991, Trefflé Lacombe3, directeur général de la STCUM parvient à convaincre les municipalités de compenser les 150 millions manquants au moyen d'un Plan de relance du transport en commun. « Jumelée aux revenus de la nouvelle taxe sur l'immatriculation ainsi qu'à un congé de contribution partiel au Régime de retraite en 1992, cette mesure a permis à la STCUM de mettre en place un plan de relance du transport en commun qui a été́ réalisé́ sur une période de trois ans ».4 Les employés de la STCUM participent aux efforts fournis par les municipalités. Ils acceptent un gel de leurs salaires de 1993 et 1994 ainsi qu'une récupération de 1% de la masse salariale. Malgré ces engagements du personnel, les municipalités de la CUM réduisent leur participation financière l'année suivante. « La baisse de l'évaluation foncière et la volonté des municipalités de cesser d'augmenter les taxes, voire de les diminuer, les ont incitées à réduire de 7,5 millions de dollars leur contribution au financement du transport en commun en 1995 ».5 La performance devient un objectif stratégique Alors que la STCUM se débat avec des coupes budgétaires importantes, Yves Devin est pressenti pour un poste de responsabilité dans l’entreprise. Ce consultant indépendant, anciennement vice-président de la Dominion Textile, s’est formé au cours de sa carrière en planification stratégique à la Philadelphia University of Science et au leadership organisationnel au Boston Levinson Institute. Le chasseur de tête du cabinet Raymond Chabot lui dit : « Lorsque la Dominion Textile était dans la tourmente, vous avez effectué de sérieuses décentralisations en créant des Business-units. La STCUM vit d'importantes difficultés à l’heure actuelle et pourrait utiliser votre expérience ». C’est ainsi qu’en 1993, qu’il devient le nouveau chef de division - relations de travail de la STCUM. 3 Trefflé Lacombe dirige la STM à titre de directeur général de 1991 à 1997 4 STM, Budget 2010, p.5 5 Ibidem

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À son arrivée, Yves Devin découvre l'ampleur des difficultés dans laquelle l'entreprise publique est plongée : « Je venais du privé, je voyais les dirigeants du métro, des services autobus, de l’entretien se regarder mutuellement comme des chiens de faïence. Tu es chef de division et devant toi, face à un problème, la chicane monte …. Non ce n'est pas moi, c'est ta faute…. ». Jacques Fortin, le Directeur de la planification, et Yves Devin réalisent qu’ils partagent le même objectif : : « On se disait que cela n'avait aucun sens sur le plan de la performance, que cette organisation était inefficace. Devant le conseil d'administration, on n’était pas fiers. Ils savaient qu’on gérait mal car ils voyaient les résultats. Mais ni moi ni Fortin ne baissions les bras; Nous étions déterminés à amener la STCUM à être plus performante ». Le 30 avril 1997, Yves Ryan, président du conseil d'administration (CA) de la STCUM et également maire de Montréal-Nord depuis 1963, rompt avec la tradition. Il nomme Jacques Fortin à la direction générale. C'est la première fois dans son histoire que l'entreprise publique est confiée à un de ses employés. Yves Devin est nommé directeur exécutif et devient le bras-droit du nouveau directeur général : « Le premier que Jacques a appelé pour écrire son contrat de gestion avec le CA, c'est moi. On y a inscrit en grosses lettres le mot PERFORMANCE. Fortin venait de donner l’impulsion; on allait devenir performant ! ». Les premiers signes ne se font pas attendre. L'équipe de direction est réduite de moitié et la plupart des directeurs sont remplacés au profit de plus jeunes, sélectionnés sur la base de leurs qualifications. Ensuite, les structures sont revues et simplifiées, comme l’explique Jacques Fortin : « On a remanié la gestion en éliminant beaucoup de postes administratifs. La fonction administration-ressources humaines fut re-centralisée au corporatif, ce qui a généré d'importantes économies. 40 % des espaces de bureaux du siège social ont été coupés. On a décentralisé les ingénieurs pour les envoyer sur le terrain afin qu’ils soient plus près des opérations. En tant qu'économiste, j'étais là pour organiser et gérer. C'est pourquoi j'ai insisté sur la nécessité de mesurer au moyen des indicateurs de performance que j'avais introduits auparavant lorsque j'étais directeur de la planification ». François Chamberland, qui faisait partie des premières équipes d'ingénieurs de maintenance dans les ateliers de métro, se souvient de ces événements marquants : « Dans le contexte de coupe de services et de fuite des clients, il fallait être efficient au maximum avec les moyens du bord. Nous étions une grosse compagnie publique et nous n’avions pas le choix. Nous avons donc mis l’accent au métro sur le résultat. Avant, nous suivions un budget, maintenant nous nous mesurions et nous faisions de l'amélioration continue. Nous faisions de l'ingénierie de la performance ».

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La STCUM menacée par des partenariats public-privé Les besoins de l’entreprise de transport ne pouvaient être satisfaits simplement en réduisant les coûts. Transport 2000, l'association des usagers du transport en commun de la province, tire la sonnette d'alarme. Son directeur général Normand Parisien s'inquiète des impacts de la réforme Ryan : « Depuis 1996, la STM a connu la plus importante compression et réduction de services. Au Québec, les sociétés de transport sont obligées de se serrer la ceinture, de remettre à plus tard des investissements importants et de se contenter d'opérer en attendant ». Le manque de moyens est criant et en octobre 2002, Jaques Fortin, directeur général, jette l'éponge ; il quitte la STM pour prendre la direction de la Fondation Chagnon. Il justifie son geste en disant : « La performance s'est améliorée et la gestion est plus rigoureuse. J'ai fait le travail du mieux que je pouvais. J'aurais souhaité que d'autres programmes soient lancés. La volonté est là, mais pas la capacité financière »6 . Le directeur général est remplacé dans ses fonctions par Pierre Vandelac7 le 19 février 2003. Lors du départ de Jacques Fortin, la STM émet un communiqué de presse dans lequel on dit : « M. Fortin quitte une entreprise performante et mobilisée, le climat de travail est bon, le sentiment de fierté des employés est à la hausse, l’achalandage augmente, la fiabilité du métro est excellente, la ponctualité des autobus s’améliore sans cesse, les plaintes diminuent, les coûts d’exploitation sont plus bas ». La même année, Yves Devin quitte également la STM. Il accepte l'offre de diriger le Casino de Montréal. Louis Roquet, ex-directeur général de la ville de Montréal affirme que ces deux départs doivent être replacés dans leur contexte : « Pour les gestionnaires, c'est épuisant. Les élus n'ont pas conscience de l'impact des coupes budgétaires. Or, cela handicape sérieusement les services rendus à la population. Le dirigeant a l'impression d'être le seul à défendre l'institution qu'il veut développer. Yves (et sans doute Jacques Fortin) comprenait très bien qu'à partir du moment où les taxes n'augmentaient pas, il n'y aurait pas de place pour les améliorations de service. Sans nouveau financement, tu es obligé de faire des compressions ailleurs ». En janvier 2003, au moment de la publication du « Rapport Bernard » commandé par le ministère des Transports du Québec, l'épineuse question du financement des transports en commun (voir Annexe 2 pour une vue d’ensemble de la répartition budgétaire) ne tarde pas à revenir sur la place publique. Louis Bernard, haut fonctionnaire et ancien chef de cabinet du premier ministre René Lévesque, recommande au terme de ses consultations

6 Voir communiqué : http://www.stm.info/info/infostm/2002/021022.pdf 7 Pierre Vandelac occupe les fonctions de directeur général de la STM de 2003 à 2006. Comptable de formation, il était de 1991 à 2002 le directeur général de la Société de transport de la Rive-Sud de Montréal (nommé aujourd’hui Réseau de transport de Longueuil – RTL)

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que les sociétés de transports procèdent à un appel d'offre public pour céder à des partenaires privés l'exploitation de 3 % à 20 % de leur réseau. L'arrivée des libéraux au pouvoir au printemps 2003 ne change pas la donne. Au contraire, le premier ministre Jean Charest annonce sa ferme intention d’implanter son projet de réingénierie de l'État. Face aux déficits chroniques, Yvon Marcoux, ministre des Transports déclare qu’en matière de transport, l'une des solutions envisagées par le gouvernement est le recours à des partenariats publics-privés (PPP) dans le but d'améliorer l'utilisation des ressources. Plusieurs groupes d'intérêts emboîtent le pas. L'institut économique de Montréal souligne qu'à Montréal : « la mise en concurrence balisée par les autorités publiques présente des voies de solution pertinentes pour le renouveau du transport en commun »8. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain se montre plus partagée. Cette dernière s'oppose fermement : « à toute augmentation du lourd fardeau fiscal des contribuables »9 mais reconnaît toutefois : « l'importance d'un réseau de transport moderne et efficace, ce qui nécessite inévitablement un financement accru »10. À contre-courant, Transport 2000 n'y va pas par quatre chemins. Selon son directeur général Normand Parisien : « le service est actuellement subventionné. Chaque passager paye la moitié de ce que coûte un voyage. Qu'est-ce que le privé pourrait faire de plus et de mieux ? Les expériences de privatisation ont rarement été concluantes... ». En décembre 2004 et en janvier 2005, le conflit est sur la place publique. Dans les rues de Montréal, les représentants syndicaux organisent des manifestations contre les PPP. En tête du cortège, Luc St-Hilaire de la CSN : « Le rapport Bernard disait qu'il fallait être en compétition avec le privé. Les relations de travail étaient déjà très mauvaises. Cela ne fait rien pour améliorer le climat actuel ». Pendant ce temps, les critiques fusent. Le ministre de l'environnement Thomas Mulcair va même jusqu'à associer les problèmes de financement de la STM aux salaires de ses employés. À la STM, les dirigeants ne savent plus où donner de la tête. Odile Paradis se souvient que : « Ces années de sous-financement ont été très difficiles. Sur le plan syndical, on gérait nos relations de travail sur la place publique. La productivité était au plus bas. Il n'y avait pas d'argent pour développer ou mobiliser à l’interne. Les gestionnaires étaient démotivés et n'avaient pas l'impression de travailler pour atteindre des objectifs ».

8 Institut Économique de Montréal, Les notes économiques : Des voies de solutions pour un renouveau du transport public, août 2004, 4 p. 9 Chambre de Commerce du Montréal métropolitain, Analyse préliminaire du rapport Bernard sur le financement du transport en commun, janvier 2003, 3 p. 10Ibidem

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En tant que responsable des affaires publiques, elle résume la perception de presque tout le monde : « On était considéré comme une entreprise improductive; on nous disait, la STM, c'est gros, c'est gras et ça coûte cher! ». Le retour d’Yves Devin Pendant ce temps, au Casino de Montréal, le son de cloche est diamétralement opposé. En 2005, Yves Devin, directeur général, renoue avec le succès : « On a amélioré la mobilisation des employés, on s’est préoccupé des clients et on a amélioré la performance financière. J'étais sur le plancher avec les gens. On avait fait un plan stratégique alors qu'il n'y en avait pas. Qui étaient nos clients? On s'aperçoit que notre le ratio de Pareto était 11 sur 89 : 11 % des clients représentaient 89 % des revenus. On était aussi dans un mode d'acheter en Europe, à Vegas, au Mexique... ». Le travail d’analyse systématique avait mené à des résultats remarquables et cela attire l’attention. Le directeur du Casino de Montréal est sollicité à l'approche de Noël 2005. Les recruteurs de Raymond Chabot le rencontrent pour le poste de directeur général de la STM : « Je me présente à l’entrevue, mon CV est tout croche; ça faisait brouillon mais ils ont bien aimé ma façon d'être. Je leur dis : ‘Écoutez, je pense à la performance, aux employés, aux affaires publiques, à aller chercher de l'argent à Québec' ». Peu de temps après l’entrevue, la STM lui offre le poste de directeur général. Finalement, au terme de son préavis, Yves Devin accepte de relever un nouveau défi à la STM à titre de directeur général à partir du 8 mai 2006. Stéphane Forget, chef de cabinet du maire de Montréal salue cette nouvelle : « L'arrivée de Yves fut une nouvelle étape. C'est un gars de mobilisation et de vision. Il connaissait et aimait la STM. Il faisait confiance aux personnes tout en étant exigeant. Avec sa façon de travailler et sa franchise, il avait beaucoup de crédibilité à la ville ». Aussi, l’air était à un réinvestissement dans le transport collectif. Des politiques publiques en faveur du transport collectif À Québec, les journalistes sont conviés en nombre le 16 juin 2006. Le premier ministre Jean Charest, accompagné du Ministre des Transports Michel Després, rend publique la première politique québécoise du transport collectif. « En adoptant cette politique, nous reconnaissons le rôle majeur que joue le transport collectif sur les plans économique, environnemental et social » précise le premier ministre. Sans détour, il ajoute : « Notre objectif est d'accroître l'utilisation du transport collectif partout au Québec ». En conférence de presse, le ministre des transports détaille sans plus attendre les deux axes majeurs de cette nouvelle politique publique : « Nous continuerons d'assumer la

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majeure partie des coûts associés au développement et à la modernisation des infrastructures et des équipements en bonifiant les programmes d'aide financière ». Il lève le voile sur la principale nouveauté : « Le gouvernement contribuera à améliorer les services en encourageant la bonification de l'offre et de la qualité des services aux usagers. Nous mobilisons à cet effet 130 millions par an à partir des Fonds Verts. Cette politique s'inscrit donc directement dans la mise en œuvre du développement durable ». Le premier ministre conclut la présentation en rappelant la responsabilité des sociétés de transport : « Nous pouvons, à juste titre, nous féliciter de l’accessibilité de nos réseaux de transport en commun. Nous pouvons cependant faire encore mieux en augmentant l’utilisation du transport collectif ». En effet, le rapport, intitulé « Pour offrir un meilleur choix aux citoyens » rappelle que pour pouvoir bénéficier de subventions, les transporteurs devront délivrer un plan d'affaires détaillant une stratégie pour accroitre l'offre de service de 16 % et l'achalandage de 8 % d'ici à 2012 et identifier l’apport financier des villes. La présidente-directrice générale de l'Agence métropolitaine de transport (AMT) de 1996 à 2004, la professeure Junca-Adenot commente la décision du gouvernement : « Le ministère des Transports du Québec a mis du financement. Pour l'avoir, c'est comme la carotte et le bâton. Vous augmentez l'offre de transport et je vais mettre des fonds. Jusque-là, les sociétés étaient contraintes de freiner l'augmentation de l'offre car plus de services, c’est plus de déficit. Aucune société de transport au monde ne fonctionne à profit, d'autant plus ici étant donné la faible population pour l'énorme territoire à desservir ». Elle rappelle le contexte institutionnel complexe : « Les relations sont toujours ambiguës car la ville, qui assume seule le budget d'exploitation depuis la réforme Ryan, veut à la fois diminuer sa contribution au déficit et la congestion. L'intervention du gouvernement a donné l'élan nécessaire pour développer l'offre de services ». C’est jour de fêtes à la STM. Dans un communiqué de presse, Claude Trudel, le président du conseil d'administration de la STM se dit heureux de l'annonce faite par le gouvernement : « La nouvelle politique de financement tant attendue pour le transport en commun arrive à point nommé pour la STM et ses usagers, de même qu’elle confirme l’engagement du gouvernement du Québec envers le transport collectif ». Comme 75 % des déplacements de la province sont assurés par la STM, Yves Devin, nouveau directeur général annonce la couleur : « Si le Premier Ministre, veut avoir Kyoto et battre les gaz à effets de serre, nous sommes une solution et on va l'aider. Mais on va devoir lui dire ce que cela prendrait. Il nous dit combien de sous il a et on va le répartir sur le temps. On peut tout faire, mais dans la douceur. Ma manière est de mettre l’accent sur le résultat obtenu en équipe… alors qu'ils nous laissent les moyens… ça

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prendra le temps pour y arriver…on n’aura pas d'accident et on ne se mettra pas les syndicats à dos ». En position favorable, le directeur général veut éviter de reproduire des erreurs commises dans le passé : « L'État souhaitait que nous améliorions notre performance. Mais moi, je me devais de leur dire laissez-moi mettre en place les moyens. Ça a fait un clash dès le début car je voulais changer quelque chose de majeur. Depuis que j'étais à la STM, on n'avait pas de plan stratégique axé sur le développement des services et je voulais une vision sur 20 ans. C’est devenu le cœur de tout le changement à la STM ». Une nouvelle génération de dirigeants du secteur public La rentrée 2006 est placée sous le signe du changement. Le directeur général et le président du conseil d'administration de la STM réduisent l'équipe de la haute direction exécutive de 10 à 6 membres et associent de nouveaux visages au comité de direction pour insuffler un vent nouveau. Ces dirigeants ont en commun d'avoir débuté leur carrière au plus près des opérations des transporteurs publics. À titre de directeur exécutif exploitation, Carl Desrosiers hérite du réseau des autobus en plus du métro. Comme le rappelle Alain Brière, directeur exécutif des ressources humaines et des services partagés : « L'une des premières décisions d'Yves Devin a été de dire à Carl Desrosiers, tu vas intégrer autobus et métro en une direction unique qui va représenter 90 % de l'effectif. Yves était agacé par le fonctionnement en silo; il désirait plutôt établir des synergies avec l’échange des meilleures pratiques en faisant travailler ensemble les gestionnaires du métro et des autobus. Denise Vaillancourt assume la planification et une série de fonctions stratégiques à titre de directrice exécutive. Elle est chargée du développement des services et du marketing et chapeaute également les communications internes et externes ainsi que le service à la clientèle. Entrée en fonction en 1983 à titre de conseillère en développement organisationnel, cette psychologue industrielle de formation, gravit les échelons jusqu'à devenir directrice exécutive réseau autobus. Elle contribue à sensibiliser ses collègues des opérations sur la nécessité d'instaurer une stratégie relationnelle avec la clientèle : « Les études sur le nombre de passagers proviennent d'un autre temps. Il faut s'intéresser aux clients, qui ils sont, ce qu'ils font, quand et comment ils utilisent nos services. On observe par exemple en 2010 que 30 % des utilisateurs représentent 80 % de nos déplacements et que seulement 7 % à 8 % d'entre eux n'ont aucune autre alternative au transport en commun. La grande majorité des clients font le choix de se déplacer avec la STM ! Nos stratégies doivent s'orienter vers eux, nous devons leur parler pour qu'ils soient fiers d'utiliser les transports en commun ».

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À la haute direction, le nouveau mot d'ordre, c'est l'élaboration du plan stratégique 2007-2011. Pensant à ce projet, Jacques Fortin, directeur général rappelle la culture et la pratique de la planification stratégique à la STM: « Les plans stratégiques ne partaient pas d'une vision mais des besoins. C'était un processus long et compliqué. Il était presque calqué sur le processus budgétaire qui partait d'en bas, des besoins ». Benoit Gendron, directeur de la planification du réseau ajoute : « La planification sur de longues durées étaient impossibles parce que les ressources financières n'étaient pas disponibles ». Ceci n’empêche pas la nouvelle direction de foncer et de confier à Pierre Dauphinais, l'une des recrues issues du Réseau de transport de Longueuil (RTL), la responsabilité des projets majeurs : « Le plan stratégique d’alors n'était pas très structuré et il était très technique. Il fallait en faire un nouveau. Sans un plan stratégique qui tenait la route à l'externe, on aurait été incapable de convaincre le gouvernement d'investir. Par la suite on allait utiliser ce plan à l'interne car c'est tout aussi important de dire au monde où on s'en va et comment on va y arriver. On nous disait qu'on allait se planter, mais l'équipe était orientée vers la réalisation des résultats en se dotant d'un management dynamique, avec une volonté de développer. Moi-même j'ai ce côté entrepreneur. Je suis un gars de projet; je suis incapable de rester dans la même chose ». De son côté, Luc Tremblay assume la fonction de directeur exécutif des finances : « La finance n'était pas considérée comme stratégique, il n'existait ni service ni directeur. Cela se limitait à des fonctions très basiques sans vision stratégique. Yves m'a dit : "les finances, vous êtes une grosse calculatrice et une calculatrice, j'en ai déjà une dans mon tiroir. J'ai besoin de plus… que vous m'aidiez à faire le plan stratégique" ». Les idées ne manquent pas; Carl Desrosiers décrit : « On s’implique depuis 2001 au niveau international quant au métro mais on est un peu gêné par rapport au réseau des bus et on ne veut pas se comparer. Il faut l'intégrer au benchmarking international. Les gens aiment avoir de la compétition et se comparer à d’autres. Demain, on sera en mesure de dire aux gens : "ça on le fait mal et ça on le fait bien, mais on peut s’améliorer". Cette culture de se comparer, d’être honnête et d’étaler ce qu’il y a à faire sur la table, c'est ce qui nous mènera vers l'excellence opérationnelle ». Odile Paradis ajoute : « On était prêt à relever le défi, à transformer notre attitude de perdant et à montrer au monde qu'on était capable et qu'on savait où on s'en allait avec notre plan. Il fallait convaincre les stakeholders que nous n'avions pas besoin de PPP car nous étions performants. Pour le prouver, on a décidé de se faire auditer en même temps que d'autres sociétés de transports dans le monde ». Les premiers résultats ne se font pas attendre : « Nous nous sommes rendu compte que nous n'étions pas si pourris! Nous étions même pas mal bons en termes de productivité. Mais il y avait des petites choses à améliorer et nous nous y sommes attaqués. Pour le

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métro on nous disait vous êtes dans le « top » mais pour l'autobus, vous avez encore du chemin à faire » raconte Odile Paradis. Carl Desrosiers s'étonne lui-même de la réaction des employés d'entretien du métro lors de la présentation des résultats : « Quand je leur ai indiqué ce dans quoi ils étaient bons et mauvais … ils ne me croyaient pas, me disaient ça ne se peut pas qu’on soit bons ! Ils ont mis du temps à comprendre. On possède une vieille flotte. Mais il faut reconnaître que ça ne brise pas souvent. Les employés sont concentrés sur le détail, donc ils ne voyaient que les problèmes ». Le directeur de l'ingénierie François Chamberland décrit la démarche : « On est allé voir comment des compagnies de transport de Tokyo ou Hong-Kong étaient organisées. On n'était pas gêné, on a importé les meilleures pratiques, on a monté des tableaux de bord et on s'est donné des objectifs ». Selon Florence Junca-Adenot ces démarches de planification et de benchmarking étaient en 2011 encore à leurs débuts en transport collectif : « Cela devrait faire partie d'une gestion normale mais la mesure est très récente. Elle est favorisée par des tableaux de bord des associations internationales de transport. J'ai aussi constaté, que face à un problème, on saute intuitivement très vite vers une solution et on se plante. Mon expérience à l’AMT m’a montré que pour relancer le transport collectif, il ne faut jamais avoir recours aux solutions sans avoir fait au préalable un exercice de diagnostic, de compréhension des enjeux, des acteurs, des stratégies de changement et des limites. C'est comme ça qu'on arrive à la meilleure solution ». Un plan stratégique à la mesure du développement de l’offre En mars 2007, l'équipe de direction dévoile l'orientation développement durable intégrée au plan stratégique de la STM. En conférence de presse, le président du conseil d'administration, Claude Trudel annonce ses couleurs : « La STM a révisé son plan stratégique et a modifié sa mission pour y refléter son engagement envers le développement durable. La STM fera l’acquisition d’autobus à propulsion biodiésel-électrique. L’objectif consiste à mettre à l’essai un ensemble de mesures visant à réduire les émissions de GES et la consommation de carburant ». De son côté Yves Devin, directeur général, explique les raisons du positionnement : « Le transport en commun entre dans une période de croissance sans précédent. En faisant la démonstration qu'il représente un moyen stratégique pour lutter contre les changements climatiques, la STM a obtenu le soutien de la ville de Montréal et des différents paliers du gouvernement qui ont instauré des programmes pour favoriser son développement ».

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Denise Vaillancourt, directrice exécutive, joua un rôle de premier plan: « On avait commencé à faire des recherches pour savoir quels devraient être nos objectifs stratégiques. Pour savoir comment on allait augmenter l'achalandage. On voulait savoir : 'comment la population vieillit, les habitudes des jeunes, les attentes de la clientèle'. On a analysé plusieurs positionnements possibles : la qualité de vie, les leaders urbains, les champions technologiques… finalement toutes nos études nous ont guidées vers le positionnement environnemental. On peut dire que c'est ce positionnement qui a ensuite guidé toute l'orientation stratégique de la STM ainsi que nos décisions de gestion au quotidien ». Les événements s'enchainent en faveur du transport en commun, les dirigeants ont de quoi se montrer optimistes suite à l’inauguration des nouvelles stations Cartier, de la Concorde et Montmorency, situées à Laval, en banlieue nord de Montréal. À partir du 28 avril 2007, l'île de Montréal est reliée aux rives sud et nord. Dans un communiqué, Claude Trudel, Président du conseil d'administration de la STM déclare : « L’ouverture tant attendue des trois nouvelles stations du métro représente un grand avantage à bien des points de vue pour notre clientèle, pour l’avenir de la STM ainsi que pour le développement durable » Le 17 mai 2007, c'est finalement au tour de la Ville de Montréal de dévoiler son premier plan de transport.11 Devant la presse, le maire Gérald Tremblay exprime une ferme volonté de réinventer Montréal : « Ce premier plan constitue l'aboutissement d'une vision ambitieuse et audacieuse. Il démontre clairement la volonté de notre administration de transformer le système de transport, de l'améliorer et de le repenser afin de favoriser l'efficacité des déplacements ». André Lavallée, responsable du transport au comité exécutif de la ville décrit les axes stratégiques : « Nous avons établi 21 chantiers sur une période de dix ans, dont plus de la moitié permettront de privilégier l'utilisation du transport collectif comme moyen de déplacement dans la métropole ». Selon Louis Roquet, directeur général de la ville, ce plan constitue un tournant: « La Ville investissait beaucoup : c’était là une volonté personnelle du maire Gérald Tremblay. C’était aussi une de ses promesses. Il a été élu grâce à son plan de transport, qui venait avec un engagement chiffré. Chaque année, la STM disposait de plus de ressources pour offrir plus de transport en commun ». C’est sur ces bases qu’Yves Devin développe le nouveau plan d’affaires et dévoile le 29 novembre 2007 le programme d’amélioration des services en disant :

11 Le Plan de transport est adopté en juin 2008

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« Ce plan résume les priorités pour relever l'ambitieux défi d'accroître l'achalandage de 8 % d'ici 2011. Pour l'atteindre, il nous faudra augmenter notre offre de service de 16 %. C'est donc dire que nous devrons mettre en œuvre des centaines de mesures pour attirer plus de clients dans notre réseau ». Le plan d'affaires 2007-2011 s'articule autour de six priorités : Le développement de l'entreprise et la mise en marché; L'écoute des clients; La mobilisation des employés; La réalisation des investissements d'affaires; L'amélioration de la performance; et finalement, au centre de toutes ces priorités; L'intégration du développement durable. Chacune des six priorités est soutenue par treize stratégies qui se déclinent à leur tour en trente-trois actions. La stratégie de développement de l'entreprise et une meilleure mise en marché sont donc les priorités. Au niveau des opérations, l'enveloppe du « Programme d'amélioration de service en transport en commun » (PASTEC) de la STM est évaluée à 300 millions de dollars. Elle est échelonnée sur une période de cinq ans. Le financement à hauteur de 50 % provient des nouveaux programmes provinciaux (politique québécoise du transport collectif). L'autre moitié est assurée par la contribution des nouveaux passagers de la STM et par l'Agglomération de Montréal. Ensuite, sur le plan du marketing, jusqu'ici inexistant en transport en commun au Québec, la STM entend innover. Une mise en marché plus structurée, un nouveau positionnement, une visibilité accrue et une image de marque solidifiée, tels sont les défis énumérés dans le plan d'affaires (p.8) : « Pour augmenter notre achalandage, nous devons aussi amener nos clients occasionnels à prendre le transport en commun plus souvent. Nous travaillons à repositionner favorablement la marque STM dans l'opinion publique et à augmenter notre capital de sympathie. Nous voulons que nos clients soient fiers d'utiliser nos services car, ce faisant, ils agissent de façon responsable et posent un geste concret en faveur de l'environnement »12. La mise en œuvre ne tarde pas. Dès le 7 janvier 2008, les premières mesures du PASTEC apparaissent dans le métro. Le service offert augmente de 17 % et ce, principalement aux heures creuses. En effet, la STM exploitait déjà l'ensemble de son matériel roulant à pleine capacité durant les heures de pointe. Jacques Gagnon, alors sous-ministre adjoint des Transports explique : « Auparavant, la STM avait retiré des circuits d'autobus en dehors des heures de pointe car ce n'était pas très rentable. Mais la politique de subventions permettait de les remettre en circulation.

12 STM, Plan d’affaires 2007-11, p.8 : http://www.bv.transports.gouv.qc.ca/per/1001040/01_2007_2011.pdf

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Notre politique visait à diminuer la congestion et il fallait que cela s'accompagne de mesures incitatives pour que les gens délaissent leurs automobiles ». Des innovations dans la gestion réconcilient les préoccupations économiques et sociales Après les stakeholders externes, les dirigeants de la STM se tournent vers l'interne. En tête de son équipe, Yves Devin décrit : « À la fin du plan stratégique, quand tu arrives au niveau tactique, nous n’avions pas le choix; il fallait que les employés embarquent avec nous. On m'a conseillé de ne pas les rencontrer, on m’a dit que j'allais rencontrer de vives oppositions… et effectivement, les premières réunions ont été très difficiles... ». Dans la salle, les participants manifestaient leur vive opposition, craignant encore l'arrivée des PPP. Le directeur général fut très clair : « Écoutez, même si ça doit créer la zizanie, on m'a appris à ne rien cacher. Les PPP ça ne me dérange pas! Si quelqu'un vient chez toi et te charge 2 000 dollars pour faire le gazon alors que tous les autres t'en demandent 200, ça ne te dérangera pas toi ? C'est pareil ici! Si vous ne voulez pas être privatisés, vous devez montrer que vous êtes performants! Sinon, je serai le premier à être d'accord pour vous privatiser car on a des clients à servir! ». Au fil des rencontres, les dirigeants optent pour une stratégie de communication ouverte privilégiant la proximité des relations, l'écoute des préoccupations et la responsabilisation face à l'atteinte des objectifs. Yves Devin raconte : « On faisait régulièrement une réunion avec 100 personnes, puis d'autres réunions par petits groupes. Avec les cols blancs, ça durait une heure trente, avec les cols bleus, trois heures. Nous traitions d'une ou deux problématiques; ils posaient de très bonnes questions et mes équipes faisaient le suivi ». Lorsqu'on abordait le thème de la relation clients, on leur rappelait les attentes : être à l'heure, être poli et donner l'information en cas de problème ». À leur tour, les employés font part de leurs préoccupations « On s'est mis à l'écoute des salariés, ils nous disaient, les patrons ne nous parlent pas, ne nous écoutent pas et ne nous disent jamais merci. Je leur répondais et bien maintenant on va vous parler, on va vous impliquer et ensemble on va obtenir des résultats! ». L'un des nouveaux membres de l'équipe, Alain Brière, directeur exécutif ressources humaines, explique les difficultés qu'il rencontrait à l'époque : « Tu voyais dans les journaux beaucoup de commentaires négatifs; les gens percevaient la STM comme étant peu fiable. On sortait d'une grève des employés d'entretien en 2007, les relations de travail étaient tendues; il y avait peu de mobilisation et tout cela se ressentait ». En effet, du 22 au 25 mai 2007, les employés d'entretien déclenchent un mouvement de grève à la suite d'une rupture des négociations qui porte notamment sur les régimes de

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retraite. Le Conseil des services essentiels ordonne alors une réduction de l'offre de services. En semaine, les autobus et métro ne circulèrent que durant les heures de pointes (6h à 9h, 15h30 à 18h30) et en fin de soirée (23h à 1h), compromettant ainsi la mobilité des montréalais. En mai 2007, la STM sollicite même l'intervention d'un conciliateur, afin de permettre la signature de la convention collective 2007-2012. « Il y avait un enjeu financier. Nous avons un cadre financier très strict : 0 % d'augmentation sur les salaires la première année et 2 % les quatre années suivantes » explique Alain Brière. En mai 2007, Luc St Hilaire, vice-président du syndicat des employés d’entretien de la STM, affilié à la CSN, refuse toute négociation à la baisse sur le pouvoir d'achat de ses membres compte tenu de l'inflation des prix : « Ce n'est pas la décision d'une seule personne. Le directeur général est porteur du message qu'il n’y aura pas d'augmentation. La confrontation est inévitable. Si j'accepte ça, le lendemain je ne suis plus président! Il faut savoir que quand il n'y a pas d'augmentation de salaire une année, on demeure rancunier pour toute la durée. Le climat de travail est alors touché. D'autant plus que depuis des années, il n'y avait aucune confiance entre les dirigeants et les syndicats … on échangeait quelques lettres…et si on tenait une réunion, on en gardait des preuves.... ». Cette polarisation des relations a un effet particulier sur les opérations. Renée Amilcar, qui hérite en 2007 de la direction-adjointe de l'entretien des autobus le ressent au quotidien : « Quand t'es faible avant les négociations, pendant les négociations, c'est pire. On a vécu dans cette ambiance pendant deux ans. On avait de la difficulté à convaincre les syndicats d’une politique salariale selon laquelle il n’y avait aucune augmentation des salaires ». Entrée à la STM en 2002 comme analyste à l'ingénierie et devenue directrice en 2010, Renée Amilcar, jeune ingénieure d'origine haïtienne, est au cœur des défis opérationnels : « La STM avait soif d'augmenter son offre et elle avait compris que cette croissance passait par l'autobus, les possibilités du métro étant limitées du fait de sa saturation. L'entretien des autobus, géré par Claude Savage jusqu'en 2010, était donc un maillon essentiel de la stratégie de la STM ». C'est dans une perspective de débats élargis que les syndicats et les dirigeants reviennent à la table de négociations. Selon Yves Devin : « On n'a pas sorti le bâton de baseball, on a fait revenir les syndicats, comme s'il ne s'était rien passé. On leur a présenté le plan stratégique et on leur a dit de regarder en avant, pas dans le rétroviseur du bus. Petit à petit, ils ont vu qu'on changeait et eux aussi se sont mis à nous faire confiance. On se voyait plus souvent ». De son côté, Renée Amilcar confirme cette évolution : « On apprenait à se faire confiance, on se parlait tranquillement, pas vite. C’est en travaillant ensemble, qu’est née

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la volonté de trouver une entente pour dégager une économie partagée. Hier on se chicanait mais le lendemain on était chum; on n'est pas orgueilleux! ». Carl Desrosiers, autrefois chef d'exploitation du métro, chapeaute depuis 2007 le réseau des autobus. Il est attentif à l’idée de partage des économies : « Nous avons emboité le pas et proposé un modèle inspiré des meilleures pratiques internationales. Le modèle a été développé par un groupe multidisciplinaire opérations-finances-ressources humaines. En se comparant aux indicateurs internationaux, les résultats du métro sont excellents mais ils indiquent des problèmes de productivité en ce qui concerne l’entretien des autobus. On a décidé de prendre l’année 2007 comme point de référence pour calculer le coût variable par kilomètre parcouru : on obtient alors le coût au kilomètre. En indexant ce coût, et en le comparant aux résultats de l’année courante on obtient le gain de productivité. La valeur de ce gain est distribuée à part égale entre les employés et l’employeur ». Ce scénario retient l'attention de Luc St-Hilaire, vice-président du syndicat : « Avec l'entente sur l'amélioration de la performance et du partage des bénéfices, le moral des troupes s’améliorait ». Le président du syndicat pose toutefois ses conditions : « Nous nous sommes entendus pour une amélioration de la performance, mais supervisée par des comités qui cherchent à régler les problèmes plutôt que de trouver des responsables à blâmer ». Alain Brière, directeur exécutif ressources humaines s'en réjouit : « Cette entente change la dynamique des relations de travail. Dans les comités d'amélioration, les employés sont parties prenantes du développement de l'entreprise, plus ils travaillent à améliorer la productivité, plus ils gagnent! On est passé d'un climat de confrontation à un climat de collaboration... ». Viser l'excellence en matière d’exploitation Au Centre de transport Legendre, la performance n’était pas au rendez-vous dans ce secteur de l’entretien, pourtant essentiel au bon fonctionnement du transport en commun. En 2007, le taux d'immobilisation (voir Annexe 3) atteint le triste record de 28 %, soit 200 autobus retirés des routes. Renée Amilcar déclare : « Le métro était numéro un pour la performance, alors que le bus ne l’était pas. Au sein de l'organisation nous étions perçus comme une bande d'incompétents ». Ce diagnostic préoccupe Carl Desrosiers, chargé d'atteindre les objectifs d’exploitation auxquels s’était engagée la STM dans son plan d'affaires : « Si mes bus ne sortent pas, les gens ne les utiliseront pas. On ne peut lésiner sur aucun des attributs suivants : la rapidité, la ponctualité ou la fiabilité des services que nous offrons à la population ». Renée Amilcar prend bonne note du message et demande les conditions gagnantes : « Je demande du soutien, des ressources pour mobiliser; je demande carte blanche pour gérer et prévoir les budgets en conséquence. Cela veut dire que dorénavant c'est moi qui dis combien j’ai d'autobus de disponibles, pas le service de planification du réseau. On livrera ce à quoi on s'est

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engagé; en progressant, on devient bon et crédible. Par contre, si on continue de fixer des objectifs impossibles à atteindre, il est normal que je demeure une incapable! ». Carl Desrosiers et Alain Brière croient en leur nouvelle recrue et la soutiennent dans sa fonction : « Auparavant les gestionnaires de premier niveau étaient moins impliqués et ne sortaient pas de leur bureau. La nouvelle stratégie de l'entreprise révise la définition des tâches et propose que le gestionnaire soit sur le plancher, au cœur du service avec ses employés, qu'il les accompagne en vue d’une amélioration continue. On verra à l'aider et à le former avec des ateliers en gestion du changement ». Yves Devin signale cependant que certains gestionnaires éprouvaient des difficultés à superviser leurs employés : « Il y avait des personnes irresponsables. On a tenu le cap et on a été intransigeant. On a procédé à des congédiements. Les gestionnaires, pour leur part, constataient que s'ils s’impliquaient, on les appuyait ». En-dehors de la stratégie, l'appui des dirigeants constitue un facteur de succès indéniable lors du déploiement. Selon Louis Roquet, directeur général de la ville de Montréal : « La chance de la STM, c'est qu'Yves Devin a de l'assurance et la capacité de convaincre. Il fait preuve de bon sens lorsqu'il s'agit de faire passer ses projets auprès des employés. Il a le talent de parler, de simplifier, de s’adapter à son auditoire qu’il soit composé de cadres supérieurs, de techniciens ou d’ouvriers de métier. C'est ce qui lui a permis de faire des changements énormes dans un milieu de syndicats enracinés, particulièrement ceux de l'entretien ». Karin Marks, mairesse de Westmount et membre du conseil d'administration de la STM va dans le même sens : « Devin, c'est un homme que j'identifie à ce que disait Peter Drucker dans son célèbre ouvrage Management by Walking Around. C'est tout à fait lui! Il est à tous les endroits, et non dans son bureau. Il est là pour voir comment les choses se passent dans les garages. Il cultive une proximité avec les gens, une bonne façon de gérer qui donne des résultats assez impressionnants …». En ce sens, la gestion du changement exige aussi que l'on s'attarde aux préoccupations des personnes avec qui on travaille, comme l’affirme Renée Amilcar : « Les employés constataient qu'il y avait du changement mais eux aussi avaient des attentes justifiées. Il y avait deux irritants : ils désiraient de la formation et disposer des pièces requises pour réparer les autobus. Les mécaniciens n’ont jamais trop de pièces! S'ils n'en ont pas, ils se découragent... Comment voulez-vous qu'ils se mobilisent si on ne leur donne pas les moyens pour accomplir leur travail ? ». Placée entre la stratégie et les réalités opérationnelles, la directrice adjointe de l’entretien autobus doit s'assurer de répondre aux attentes des divers niveaux. Elle explique comment cela s’est passé :

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« Chez Pratt & Whitney où j'ai entrepris ma carrière d'ingénieur, ils m'ont appris à mobiliser avec la méthode Kaizen. Auparavant, on ne se faisait pas confiance. Si on possédait une solution, on n'était pas pris au sérieux. Mais la dynamique a changé. Cela a donné naissance à une structure de planification qui propose des formations quatre fois par an. On a également instauré un programme qui veille à ce que les 200 pièces les plus critiques à l’entretien soient toujours disponibles. Dans l'usine, un afficheur indique aux employés les pièces imputées dans le non-fonctionnement des autobus. Les employés se sentent impliqués, ils voient concrètement en quoi leur travail a pénalisé celui de leurs collègues. On leur dit, on a besoin de vous pour servir le client! ». Luc St-Hilaire, vice-président du syndicat de l'entretien, se laisse convaincre par cette nouvelle méthode de travail : « Aujourd'hui, c'est géré par des universitaires qui disposent d’une panoplie de tableaux…; ils contrôlent davantage la planification parce qu’ils sont au fait de la charge de travail ainsi que de la capacité d’effectuer le travail à temps. Il y a 10 ans, personne n'aurait été en mesure de répondre. Nous détenons maintenant l’information, nous possédons tous les mêmes chiffres. C'est très transparent…; ça a beaucoup changé ». L'événement ne passe pas inaperçu, il est même remarqué à l’extérieur du Centre de transport Legendre. Florence Junca-Adenot commente en disant que : « Sur le plan de la symbolique, une directrice de l’entretien autobus, jeune cadre de couleur noire, brillante et enthousiaste, c'était impensable dans un milieu masculin conservateur. Tout cela est survenu en même temps. Que des points de presse se tiennent avec des chauffeurs d'autobus dans les ateliers, c’était du jamais-vu il y a dix ans; les cadres n'osaient pas se présenter. La culture interne s’est mise à changer avec l'arrivée de ces dirigeants. Il aurait été impossible de se développer si on n’avait pas changé la culture interne de l'entreprise. ». Une stratégie de marketing relationnelle La stratégie de développement initiée par la STM s'attache également à mieux répondre aux besoins des clients. Comme le dit Carl Arseneault, directeur du matériel roulant : « Avant 2006 le client était beaucoup moins au cœur de nos préoccupations. On fonctionnait d’après les orientations de la direction, sans être lié à un plan stratégique. Ce qui a changé aussi, c'est la vision à long-terme ». Il explique comment il implique ses collaborateurs au quotidien dans la réalisation des objectifs: « Les plans stratégiques sont parvenus jusqu'à nos employés, qui ont désormais conscience de ces priorités. Je les rencontre tous une fois par an, employés de jour comme employés de nuit. Quand on leur explique l'orientation de l'entreprise et de la direction, ils saisissent du coup leur rôle. Ce n'était pas évident au départ car un employé d'entretien est très éloigné du service au client; mais avec des indicateurs et une évaluation individualisée, ils comprennent qu'on ne peut pas se permettre de renoncer à un seul des 310 trains en circulation aux heures de pointes ». Dans cette même perspective, François Chamberland, directeur de l'ingénierie, insiste sur cette volonté d'excellence dans les opérations : « Notre philosophie, c'est que le résultat

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face au client prime. La priorité, c'est que les gens ne se demandent pas chaque matin s'il y aura ou non du service. Tous nos programmes et actions sont orientés vers le meilleur service au client ». Denise Vaillancourt quant à elle constate le chemin qu’il reste à parcourir, tant au niveau des ressources que de la pertinence du marketing : « On partait de loin, les gens ne comprenaient pas l'utilité du marketing dans le transport en commun. Avant, on faisait des études sans segmenter le nombre de personnes qu'on transportait. Qui étaient nos clients, on ne le savait pas. Mais le plus grand défi, consistait à prouver que le marketing éventuellement aurait pour effet d’augmenter l'achalandage et de rapporter plus qu'il ne coûtait...». Pour compléter l'expertise des ressources internes, Denise Vaillancourt se fait assister par l'agence Sid Lee et Christiane Bourbonnais de la firme Cohésion. Ensemble, ils travaillent sur le repositionnement de la marque. Au moment de l’élaboration de la stratégie, ils arrivent à la conclusion suivante : « Si l'objectif est d'augmenter la part modale du transport collectif, ce sera un choix de société qui supposera un changement dans le comportement du consommateur. Cela exigera une stratégie de marketing qui parlera au cœur des gens plutôt qu’à leur tête. Les gens ayant l’habitude d’entendre l'organisation parler d'elle-même, nous tenions à utiliser un nouveau genre de communication, plus près des gens, plus personnel ». Le développement durable devient non seulement l’orientation de la stratégie de marketing mais aussi celle du plan d'affaires 2007-2011 : « Notre orientation guide toutes nos décisions de gestion. Nous nous sommes dit, pensons aux clients, ils veulent eux aussi faire leur part pour l'environnement mais ils n'associent pas nécessairement le transport au commun avec le développement durable. C'est la raison pour laquelle nous avons mis l’accent sur l'image du transport en commun; il fallait l'améliorer pour que les gens l’entrevoient de façon positive et que les élus continuent à y investir de l'argent ». Luc Tremblay, directeur exécutif des finances suit de près ce dossier : « Yves disait nous sommes pourris en marketing; il y a un effort à faire. Denise entreprenait un virage, et préconisait une approche plus offensive. Nous amorcions aussi ce virage avec les employés. Avant, ils avaient honte de la STM; maintenant, ils étaient fiers et sentaient qu’ils contribuaient au transport en commun et à l'amélioration de la planète, d'où l'effet de levier incroyable. Un fort mouvement s'est instauré. Les gens ont été mis à contribution pour mettre en œuvre le plan stratégique et ils y ont adhéré. À la STM, il fallait qu'ils voient que c'était réalisable; il fallait leur donner le goût de se mobiliser et d'embarquer... ». La contribution des employés est également encouragée en haut lieu. Benoit Gendron, directeur de la planification du réseau autobus explique :

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« Afin de faciliter l'utilisation des autobus, nous avons lancé le réseau « 10 minutes max » en 2010. Dorénavant, les grandes lignes qui structurent notre réseau n'ont plus besoin d'horaire, le client sait qu’un autobus passera aux dix minutes. C'est Sébastien Gagné, un conseiller en planification qui a importé l’idée du réseau de Los Angeles. Quand il est venu nous proposer cette idée, nous avons saisi la balle au bond et nous l’avons rapidement implantée. Nous sommes à l'écoute de nos employés; avant cela aurait probablement pris quelques années, maintenant ça se fait en quelques mois! ». À la suite de la réflexion de 2008, le déploiement de la nouvelle stratégie marketing s'opérera dès 2009 autour des mots clé : « Le mouvement collectif ». Denise Vaillancourt évoque le cheminement qui guida la STM: « L'idée du mouvement collectif, c'est que chacun doit faire sa part et qu’ensemble on le fera pour le bien de la planète. Nous faisons notre part en améliorant les services, mais en revanche il faut que les gens prennent le transport collectif plus souvent pour qu’ensemble, on fasse la différence. Il faut que les gens soient fiers de se déplacer en transport en commun et que nous, nous prenions soin de leur dire merci ». Sur les bus, dans les stations de métro, plus personne ne peut rater les slogans de la STM présents aux quatre coins de la ville. Les messages en interpellent plus d'un, à preuve, l'entreprise atteint son plus haut taux de satisfaction soit 88 % (voir Annexe 4 pour le bilan de marketing) et mesure son empreinte écologique (voir Annexe 5). Denise Vaillancourt indique : « Il y avait une campagne de publicité de la STM dans laquelle on parlait de l'importance du transport en commun. Nous disions "Un autobus équivaut à 50 autos de moins sur la route". Puis, une deuxième campagne énonçait "La STM roule vert en utilisant du biodiesel" ». Le nouveau logo de la STM, composé de trois chevrons, devient la fierté des employés : ils affichent bien haut leurs nouvelles couleurs. Carl Desrosiers rappelle : « Avant, nous retirions l’écusson de la STM sur nos manteaux; nous ne voulions pas être identifiés à la STM. Lorsqu'est sortie la nouvelle image de marque, certains chauffeurs se sont fait confectionner des casquettes non officielles en attendant de recevoir les nouveaux uniformes. Le marketing s’affolait : ce n’est ni le bon logo ni les bonnes couleurs! Mais les gens s’identifiaient à cela... » Outre le repositionnement de la marque, l'équipe de marketing élabore également une série de stratégies commerciales en vue d'augmenter l'achalandage. Denise Vaillancourt explique : « Il était évident qu’aux heures de pointe, nous étions à pleine capacité et qu'il fallait trouver des moyens pour augmenter l'achalandage à l'extérieur des pointes. On a lancé le programme "Sorties en famille" et "Soirée illimitée". On a également établi une centaine de partenariats. Auparavant, on se contentait d'un petit logo STM, maintenant, on s'associe réellement aux événements tels que le festival de jazz, le Grand Prix, l'Impact de Montréal... On désire que nos partenaires incitent les

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gens à se dire : "Quand il y a des activités, le meilleur moyen de s'y rendre, c'est le transport en commun! " ». Associer les parties prenantes aux défis du transport collectif Le feuilleton du remplacement des voitures de métro constitue une autre épine dans les pieds des dirigeants. À l'origine de cet épisode qui fera couler beaucoup d'encre dans les médias, une demande du gouvernement, qui en mai 2006 invite la STM à négocier cet important contrat de gré à gré avec le constructeur Bombardier. Pour cause, le gouvernement contribue à hauteur de 75% dans le financement de ce projet. Son principal concurrent, Alstom ne l'entend pas de cette oreille et saisit, en juin 2006, la Cour supérieure pour contester ce type de négociation. L'avis de la juridiction conforte le plaignant qui obtient l'obligation de la STM de procéder à un appel d'offre. Par la suite, s'en suivront 4 années (Voir la chronologie détaillée dans l'Annexe 10) durant lesquelles le gouvernement, la Société de Transport de Montréal, les entreprises Bombardier-Alstom entre-temps réunis en consortium et d'autres constructeurs internationaux tenteront, tour à tour, de négocier les termes du contrat en leur faveur. Une intervention du gouvernement, au moyen d'une loi demandera à la STM de négocier de gré à gré avec le consortium Bombardier-Alstom. Le contrat sera finalement signé le 21 octobre 2010. À l'interface entre les pouvoirs politiques et les pressions des acteurs économiques, les dirigeants ont conscience de leur vulnérabilité lorsqu'ils occupent des fonctions stratégiques. Les administrations publiques comportent elles aussi leur lot de changements imprévus. Claude Trudel, maire de l'arrondissement de Verdun et président du conseil d'administration de la STM depuis 2005, se dit surpris et déçu mais accepte sans amertume la décision du conseil d'agglomération de Montréal de le remplacer le 27 janvier 2009. Dans la foulée de plusieurs modifications municipales, la STM apprend que Michel Labrecque assurera désormais la présidence de son conseil d'administration. Gérald Tremblay porte son choix sur ce dernier en raison de : « son audace et sa fine connaissance des dossiers liés au transport en commun et à l'environnement ». Autrefois, Michel Labrecque était conseiller du plateau-Mont-Royal, président du conseil d'administration du conseil régional de l'environnement (CRÉ-Montréal). Il a également œuvré au sein de Vélo-Québec et au Festival Montréal en Lumières depuis sa fondation en 1998. Comme l’explique Michel Labrecque, le conseil d'administration de la STM se compose de neuf représentants : « La loi prévoit que trois sièges sont réservés à des représentants du transport collectif : un représentant de la clientèle, un pour les moins de 35 ans et un pour les usagers du transport adapté. Les six autres sièges sont réservés à des élus : le maire de Montréal nomme cinq élus (ce qui correspond à la majorité) et l’autre siège est réservé aux villes reconstituées. À moyen terme, Gérald Tremblay avait des objectifs qui nécessitaient que le président du CA de la STM soit à plein temps, c'est pourquoi il m'a offert le poste de président.»

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Il ajoute : « En me voyant arriver, madame Vaillancourt du marketing qui voulait orienter l’image de marque vers le développement durable m’a dit : "c’est un bon timing!" ». Karin Marks, maire de Westmount et membre du conseil d'administration de la STM a toujours été préoccupée par les questions environnementales. En 2006 elle annonçait à ses concitoyens qu'elle renonçait à l'usage de sa voiture au profit du transport collectif et de l'auto-partage. Elle salue avec enthousiasme l'arrivée du nouveau président du conseil d’administration : « Michel Labrecque croit énormément au transport en commun. Pour les personnes comme moi qui sommes membres du conseil d'administration de la STM, cette donnée n'est pas que symbolique, elle est essentielle. La STM n'est pas une entreprise comme les autres; si on ne croit pas au transport en commun, on risque de se trouver rapidement mal à l’aise ». Stéphane Forget, alors haut fonctionnaire à la ville, abonde dans le même sens : « Michel Labrecque, est devenu président à temps plein. C’est une première à la STM. C'est quelqu'un qui, de par ses fonctions antérieures, possède beaucoup d'expérience en affaires gouvernementales. Il a beaucoup de crédibilité. C'est un ambassadeur extraordinaire du transport collectif ». Plutôt sceptique au début, Yves Devin, directeur général de la STM, nouera rapidement des liens professionnels avec ce nouveau venu : « On s'est rapidement entendu quant à la description des rôles de DG et de président du CA. Je lui ai dit que j'avais besoin d'un champion, qu'avec le conseil d'administration il nous aiderait en réflexion stratégique mais j’ai également dit clairement que j’étais celui qui était chargé de l’exécution. Nous sommes des super bons opérateurs mais nous avions besoin de leur background politique pour réussir. Du coup, on formait une équipe gagnante avec le CA. D'ailleurs, Michel Labrecque est un excellent vulgarisateur et ambassadeur du transport en commun. À partir de ce moment, il ne s'est jamais mêlé de mes responsabilités; c'est son style, sa personnalité de poser des questions. Il demande constamment : " pourquoi pas, pourquoi on n’a pas ceci ou cela? "... ». Le nouveau président du conseil d'administration entend marquer la STM de son empreinte. « Je venais de Vélo Québec et mon premier constat c'est qu'on y disposait d’un meilleur lobbyisme qu'à la STM » explique Michel Labrecque. Très rapidement, les deux dirigeants partagent la même volonté d’accroître la part du transport en commun. Michel Labrecque : « Comment se fait-il que la STM ne classe pas les politiciens par catégories? Ceux qui jouent pour nous ou non? » Yves Devin : « Il y a tout un travail à faire là! »

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Michel Labrecque : « Il faut cultiver ses alliés, déterminer ceux qui sont de notre côté! » Yves Devin: « On a déjà fait un mapping des 125 stakeholders de la STM. La particularité, c'est qu'ils ont tous le droit de dire non relativement à leur secteur, mais aucun n'a le pouvoir de dire oui pour l'ensemble des secteurs ». Michel Labrecque : « Ceux qui sont de notre côté gravitent autour du transport en commun ». Yves Devin : « Dans ce cas, vous nous aiderez si vous assumiez la délicate tâche de faire la tournée de tous les stakeholders politiques de la ville et la région de Montréal ». Michel Labrecque : « Pas seulement ça... Il faudrait également créer notre clan et entretenir de jour en jour de bonnes relations». Yves Devin : « Alors il faudrait mettre en place un plan de relations gouvernementales à grande échelle. Vous, vous allez rencontrer le premier ministre, le ministre; et on sera avec vous. Mais nous, on va se créer une équipe à temps plein qui va rencontrer tous les stakeholders, les chefs de cabinets aux gouvernements... ». Michel Labrecque : «Croyez-en mon passé de militant à Vélo Québec, c’est indispensable. La politique est vitale; les politiciens sont sensibles à l'opinion publique, c’est ce qui peut les empêcher d’agir par peur des contestations. En même temps, c'est la politique qui permet de bousculer et défier l'appareil technocratique et administratif. C'est là qu'il faut s'en aller ». Le dévouement de Michel Labrecque envers la STM ne passe pas inaperçu : « Avec M. Labrecque on a modifié la dynamique; c'est lui qui a été l’instigateur du changement au niveau politique pendant que je m’occupais du côté stratégique avec mes équipes » explique Yves Devin. Luc St-Hilaire reconnaît : « Depuis l'arrivée de M. Labrecque, les investissements dans le transport collectif augmentent... Mais on n’en est pas, pour autant, rendu au point où le président du syndicat se fait photographier à ses côtés. Pour nos membres, ça demeure un 'patron' ». À l'été 2009, la STM décide d’aller plus loin et d’établir systématiquement des liens avec ses parties prenantes. Elle met en place un service d'affaires gouvernementales dirigé par Pierre Rocray, directeur général adjoint. Stéphane Forget autrefois haut responsable de la ville, en assumera la direction à partir de 2012 : « Notre rôle, c'est de faire rayonner le transport en commun. On met à contribution nos parties prenantes, on leur parle de nous, de nos enjeux, de nos résultats pour qu'à leur tour, ils parlent de nous en bien. On veut un impact de sorte que le gouvernement devienne convaincu des avantages du transport en commun. Si on est ailleurs, si on ne travaille pas avec eux, on nous oubliera car énormément de gens sollicitent l’attention des gouvernements. L'opposition est aussi une partie prenante. On a tenté de les influencer dans les programmes politiques. C’est un travail de longue haleine ».

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En plus de s’occuper du volet stratégique, l'équipe des affaires gouvernementales soutient également les projets majeurs sur le plan tactique. Comme l’explique Stéphane Forget : « Les ingénieurs des projets majeurs travaillent sur leurs propres projets. Il y a une série d'étapes à franchir avant de faire approuver un projet par le gouvernement…Cela ne fait pas partie de leur domaine d’expertise de connaître les projets du gouvernement susceptibles de financer leur projet. C’est notre rôle de les accompagner et de les aider dans ces démarches. » Dans cette même perspective, le directeur général et le président du conseil d'administration continuent de revoir le Modus Operandi de l'entreprise publique. Yves Devin explique : « J'avais toujours mon idée de départ qu'il fallait établir un plan stratégique au service de la STM. En développant le nouveau plan, on s'est dit, on va faire comme dans le privé. Monsieur le maire, monsieur le premier ministre, je pourrais venir vous voir avec un nouveau plan pour la STM, vous proposer des orientations stratégiques de développement, mais de cette façon vous n'auriez qu'une partie de la vérité. La mienne. Nous allons plutôt établir des sous-comités composés des meilleurs membres. Je nommerai un de mes dirigeants dans ces sous-comités et le CA nommera un de ses membres. En plus nous irons chercher des super stratèges du privé qui travailleront non pas pour moi mais pour vous. Carte blanche! Nous sommes allés chercher l’ancien ministre des finances, Yves Séguin, très exigeant comme directeur des finances, ainsi que Linda Gosselin, vice-présidente des ressources humaines du Cirque du soleil qui a transformé la stratégie de gestion de processus des ressources humaines en gestion des résultats... ». L'un des membres de ces sous-comités, Pierre Dauphinais, directeur exécutif des projets majeurs affirme : « Ces sous-comités, c’étaient certainement innovateur dans le secteur public au Québec et probablement en Amérique du nord ! Les conseillers seniors externes étaient très compétents et décortiquaient nos propositions et façon de faire alors que le conseil d'administration, composé essentiellement d'élus, n'avait pas toujours les compétences techniques pour ce faire. Ces sous-comités approfondissaient les propositions ce qui avait pour effet d’éclairer les élus et, en bout de ligne, de présenter au conseil d’administration des dossiers mieux préparés. De son côté, Karin Marks, maire de Westmount, y voit de nombreux avantages : « L’emploi du temps du conseil d'administration était beaucoup trop chargé; il y avait trop de réunions. Les comités constituaient une façon d'aider. Nous n’avions pas à reprendre les discussions parce que les comités faisaient des recommandations. Ce qui aidait beaucoup, c'est qu'ils possédaient des perspectives et expertises différentes des nôtres. Ce dialogue entre personnes provenant d'univers différents nous fournissait des idées applicables à la STM. Nous avions le loisir de saisir et d’évaluer les solutions qu’envisagerait l'entreprise privée devant les problèmes qui nous préoccupaient.»

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Meilleure société de transport en Amérique du Nord Les résultats étaient là ! En ce 5 octobre 2010, à San Antonio, petite Venise du Texas, les dirigeants des 1.500 organismes membres répondaient à l'invitation lancée par l'American Public Transportation Association (APTA). Dans une immense salle, Carl Desrosiers, directeur exécutif exploitation, accompagné de Bernard Blanchet, conseiller d’arrondissement à Lachine et membre du comité d’administration de la STM, représentent le transporteur montréalais. Le moment tant attendu arrive enfin. William Millar, président de l'APTA, conclut l'Assemblée annuelle. Son confrère, Richard J. Simonetta, vice-président et directeur national - trains à haute vitesse et projets spéciaux, URS Corporation, Columbus, Ohio remettra dans quelques instants le prix de la meilleure société de transport en Amérique du Nord. Le prestigieux APTA Award vient reconnaître l'excellence et le leadership chez l'un des 1 500 organismes de transports membres. Ensemble, ces sociétés publiques ou privées desservent plus de 90 % des usagers en Amérique du Nord. « Called the “best of the best” of the public transportation industry, the APTA Award winners are outstanding role models of excellence, leadership, and innovation whose accomplishments have greatly advanced public transportation ». Yves Devin insista pour que la STM participe au concours. Il se rappelle de sa réflexion : « En 2009, nous commencions à être passablement reconnu. L'achalandage et la satisfaction des clients augmentaient. Nous allions dans la bonne direction. Durant le weekend, je regardais les prestigieux concours internationaux et je me rendais compte qu'il n’était pas impossible de gagner. La performance, la productivité et la ponctualité constituaient les critères de sélection. Un certain lundi matin, je fais part de mon idée au comité de direction en leur disant, si on ne gagne pas, eh ben on ne le dit pas tout simplement! On ne va pas crier sur tous les toits, on s'est inscrit et on a perdu!... ON VA S'INSCRIRE! ». A San Antonio, roulement de tambour... « and the winner is... Société de Transport de Montréal! ». William Millar, le président de l'APTA, viendra remettre à la STM le sceau d'excellence en octobre 2010. Les dirigeants de l'APTA n’étaient pas venus au Canada depuis 1995 pour décerner un tel prix. Dans son discours, le président de l'APTA félicite la STM pour le travail accompli par l'ensemble des collaborateurs : « Le jury a pris la décision à l'unanimité, car la STM rencontrait tous les critères. Nous tenons à saluer les efforts consentis au niveau des opérations, avec l'amélioration des services, mais également avec un marketing efficace qui contribue à renouveler l'image en se concentrant sur le développement durable. Nous savons que les techniciens et ingénieurs fonctionnent avec les plus vieilles voitures de métro au monde. Nous observons également que les femmes occupent une place très importante dans l’entreprise, tant dans les bus (26 %) que dans des fonctions de cadres (36 %) ». Face aux journalistes et aux employés réunis pour l'occasion, Michel Labrecque, président du conseil d'administration déclare :

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« Ce prix est très important, car il est attribué par nos pairs qui ont reconnu l’excellence de nos résultats. Ils ont été atteints grâce au soutien de la ville de Montréal, de l’agglomération et du gouvernement du Québec dans le cadre du Programme d’amélioration de service. Force est de constater que les efforts consentis pour améliorer les services et accroître l’achalandage depuis 2007 portent fruits; il faut poursuivre notre travail ». Yves Devin, directeur général, ajoute : « Je suis très fier de ce prix. C’est comme si la STM venait de remporter la Coupe Stanley de son industrie. Je partage ma fierté avec tous les employés qui font un travail fantastique et qui, tous les jours, redoublent d’efforts pour offrir à notre clientèle un service de qualité ». Une bonne nouvelle en amène une autre. Le 22 décembre 2011 deviendra une date mémorable. En franchissant le cap historique de 398 349 773 déplacements annuels, la STM vient de dépasser son record d’achalandage de 1947. « Cet achalandage historique dans le réseau intégré bus et métro est d’autant plus significatif qu’il arrive à peine un mois après la date anniversaire des 150 ans du transport collectif à Montréal » se réjouit Michel Labrecque. Ce n’est cependant que le 20 avril 2012 que seront connus les spectaculaires résultats de la STM. L’Association du transport urbain du Québec (ATUQ) chargée de dévoiler le bilan provincial de la première Politique québécoise du transport collectif 2006 – 2011 (voir Annexe 4 à 9 pour les bilans de chaque secteur d’activité) dévoile : Depuis l’entrée en vigueur de la Politique, la STM a bonifié son offre de services afin d’attirer une nouvelle clientèle et de faire du transport en commun une alternative de choix à l’automobile. Entre 2006 et 2011, l’achalandage a augmenté de 11,4 %, passant de 363,3 millions à 404,8 millions de déplacements. La cible de 8 %, identifiée dans la Politique, a été dépassée. Avec une augmentation globale de service de 25 % dans ses réseaux bus et métro, elle a aussi dépassé l’objectif gouvernemental de 16 % Présents à l'événement, les dirigeants de la STM affichent leur fierté devant leurs confrères des autres sociétés de transport en commun de la province. Chacun à leur tour, ils prennent la parole pour décrire les raisons qui selon eux sont à l'origine de ce succès. Les résultats des dernières années sont en effet éloquents. Carl Desrosiers, directeur exécutif exploitation, en charge des opérations : « Nous sommes les meilleurs en Amérique du Nord. C’est indiscutable, c’est nous qui coûtons le moins cher, c’est nous qui possédons le meilleur service à la clientèle et le plus grand nombre de déplacements par capita. Mais nous avons un peu le complexe du petit québécois. Nous pourrions être parmi les dix meilleurs au monde. Ce qui est drôle, c’est que les autres nous y voient mais pas nous ».

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Denise Vaillancourt, directrice exécutive planification marketing et communication : « La stratégie commerciale nous a rapporté 27 millions $ de revenus supplémentaires. Par exemple, le programme « Sorties en famille » s'est traduit par une augmentation de 1 million de déplacements les fins de semaine sans ajouter des véhicules. Quand on regarde les choses dans leur ensemble, on constate que c'est la réussite d'un dirigeant et d’une équipe entière ». Luc Tremblay, directeur exécutif finances : « Développer la fonction finances a joué un grand rôle dans le dévoilement de notre performance à nos bailleurs de fonds. Tous les ans la ville devait rééquilibrer notre budget. Nous devions faire des appels de liquidité à la ville. Cette année, c'est l'inverse; nous avons remis 15 millions $! Ce qui a joué, c'est qu’auparavant nous étions d'excellents opérateurs mais que la planification ne faisait pas partie de notre culture d'entreprise. Depuis 6 ans, ça en fait partie » Alain Brière, directeur exécutif des ressources humaines et des services partagés : « Quand je suis arrivé en 2007, on vivait une pénurie de main-d'œuvre. Il nous était difficile d’attirer les gens. L'indice de mobilisation était bas. Maintenant que nous sommes au sommet, nos banques de candidatures sont faciles à garnir ». François Chamberland, directeur de l'ingénierie : « Aujourd'hui, nous sommes très fiables. Nos coûts sont parmi les plus bas comparativement aux autres compagnies et notre métro est le plus efficient au monde. Nous transportons quotidiennement 1,200 000 personnes. Ces clients se fient à nous; il existe maintenant une relation de confiance ». Stéphane Forget, directeur gestion des affaires gouvernementales : « On a prouvé au gouvernement que lorsqu’on investit dans le transport en commun, on génère de la richesse pour les travailleurs et les consommateurs, tout en limitant les effets de la congestion ». Luc St Hilaire, vice-président du syndicat des employés d’entretien : « L'entente sur le partage des bénéfices nous a conduit à économiser 18 millions $ en 2011. La moitié de ce gain de productivité s’est traduite par des augmentations de salaire. Les employés sont heureux. Sans médiatisation ni conciliateur du gouvernement, nous nous sommes rapidement entendus sur les nouvelles conventions collectives 2012-2018. Je suis là depuis 19 ans et je peux vous dire que c’est du jamais-vu. » Odile Paradis, directrice principale des affaires publiques : « Avant, nous étions perçus comme étant un monopole d'État qui ne se préoccupait pas des clients. Nous étions moribonds, gros, gras et cher. Qui aurait cru qu'on négocierait un tel virage?

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Aujourd'hui, plus personne ne menace de nous privatiser. C’est étonnant comment une entreprise peut passer de perdant à gagnant ». Au cœur de ce succès Yves Devin, directeur général, continue comme au premier jour de surprendre. Il quitte la STM avec le sentiment du devoir accompli et raconte : « Même le gars de la CSN, déclare « Je suis fier … » Ce sont des gars fiers! Fiers de leur travail, fiers de le montrer, fiers d’avoir battu les PPP. Quant à moi, je le répète tout le temps, … ce n’est pas fini! Si vous me demandez à quoi j’attribue ces résultats, je ne le sais pas... C'est l'ensemble des petites actions que j’ai posées, l'ensemble des petites actions posées par les gestionnaires. C'est l'ensemble des petites actions des employés... ».

Les enjeux stratégiques de demain

Après 30 ans à la STM, Carl Desrosiers, hier jeune ingénieur assumant les nombreuses responsabilités qui l’ont conduit à la direction exécutive de l'exploitation est nommé directeur général de la STM. Il n'oublie pas le chemin parcouru : « Nous avions mauvaise réputation, nous étions une entreprise publique et il était de bon ton de nous critiquer. Les gens étaient convaincus qu'investir chez nous, était inutile et ne rapportait rien ». Il réaffirme la continuité de la démarche entreprise : « Une chose importante qu’Yves a amorcée, c’est de dire aux employés qu’ils étaient compétents. Même à l’externe, quand les gens font bien leur travail il faut l’exprimer. Il faut également indiquer là où le travail laisse à désirer; là où il y a un problème. Il est rassurant de dire aux gens on sait qu’on a un problème mais la prochaine fois on se sera amélioré. On a maintenant une crédibilité qu’on n’avait pas ». Mais les recettes d'hier ne peuvent toujours être utilisées pour demain, ajoute le nouveau PDG : « L'environnement change; quand le gouvernement donne des ressources, c’est encourageant. Mais il y a aussi d’autres éléments; il y a des entreprises qui ont accompli de grandes choses dans d'autres environnements. Le fait de l’apprendre nous a aidés. Le futur sera plus ardu. Notre environnement a changé et nous ne pouvons continuer à faire la même chose. Il nous faut réfléchir car nous devrons revoir notre plan de match. Nous travaillons en vue du développement durable, c'est bien; mais nos finances ne sont pas durables. Il nous faudra des solutions nouvelles ». Selon lui, l'un des principaux enjeux stratégiques sera au niveau du service à la clientèle et des médias sociaux : « Nous sommes une entreprise publique et tout le monde nous a à l’œil. Chaque jour, on peut nous juger sur ce qui s’est passé hier ou sur le geste posé par quelqu’un. De nos jours les gens se

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taisent, filment avec leur téléphone portable et mettent le résultat sur youtube. En conséquence vous recevez un appel des journalistes. L'autre grand défi, c'est que nous sommes habitués à donner de l’information générale, la même pour tout le monde. Aujourd’hui, c’est différent, les gens ont des besoins spécifiques qui n’ont rien à voir avec l’information du voisin. Les défis grossissent et se multiplient. » Carl Desrosiers pense à voix haute : Comment aller plus loin ? Comment dépasser les sommets déjà franchis? Les éléments de succès d’hier peuvent-ils constituer une assise pour les succès demain? C'est ce qu'il croit et l'avenir nous démontrera s'il pourra amener l'entreprise encore plus loin. Le dernier rapport d’activité de 2012 s’ouvre avec la mention suivante : « Mercuriades 2012 : La STM s’est particulièrement remarquée dans le cadre du 32e concours Les Mercuriades de la Fédération des chambres du commerce du Québec. L’entreprise a reçu deux Mercuriades Administration publique dans les catégories Accroissement de la productivité et Développement durable ». Le rapport d'activité de la STM pour l'année 2012 mentionne : « Le plan stratégique 2020 a été adopté par le conseil d'administration de la STM le 7 septembre 2011, par le conseil d’agglomération de Montréal le 27 octobre 2011 et par la communauté métropolitaine de Montréal le 14 juin 2012. Cet ambitieux plan propose d’effectuer 540 millions de déplacements annuellement en 2020 et aussi d’assurer les besoins de mobilité de la population en offrant l’un des systèmes de transport collectif les plus performant en Amérique du Nord, s’appuyant à long terme sur des réseaux de métro et de surface entièrement électrifiés ».

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ANNEXES Annexe 1 : Mandat de la STM Desservir un territoire de 500 km

Offre de service diversifiée pour assurer le transport collectif

Répondre à des besoins spécifiques : selon les secteurs (taxis collectifs) et la

clientèle (transport adapté)

Québec : province où le transport collectif est le plus utilisé au Canada

Montréal : taux d’utilisation de la voiture le plus faible (centre-ville) au Canada

Part de marché des déplacements à Montréal : 64 % vers le centre-ville

Annexe 2 : Budget Budget annuel – Revenus : 2006 Part 2011 Part

Revenus 778 100 % 1164 100 %

Clients 395 51 % 506 44 %

Ville de Montréal 278 36 % 388 33 %

Subventions gouvernementales

0 0 141 12 %

Régions et agglomérations

82 10 % 90 8 %

Revenus commerciaux (pub, locations)

23 3 % 39 3 %

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Budget annuel – Charges : 2006 Part 2011 Part

Charges 778 100 % 1164 100 %

Services autobus et métro

685 88 % 964 89 %

Investissement et dette*

93 12 % 130 11 %

* dette (intérêts et frais de financement déficit de l’année précédente) représente 94 % de ce poste en 2011 Détails services autobus et métro : 2011 Part

Services autobus et métro

964 89 %

Rémunérations 748 64 %

Biens et services 286 25 %

Annexe 3 : Formule taux immobilisation

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Annexe 4 : Marketing et service à la clientèle 2006 Objectifs 2011 Résultats 2011

Taux de satisfaction 84 % 88 % 89 %

Ponctualité autobus 84 % 86 % 83 %

Ponctualité métro 98 % 98 % 98 %

31 % utilisateurs fréquents (= 88 % déplacements) 69 % utilisateurs occasionnels (= 22 % déplacements) 84 % résidents de l’île de Montréal 87 % des déplacements entre 6h et 18h30 43 % des voyageurs disposent d’un revenu familial inférieur à 40 000$/an 5-14 ans : 6 %, 15-24 : 29 %, 25-34 : 21 %, 35-44 : 15 %

2006 2011

Notoriété 96 98

Annexe 5 : Empreinte écologique 2006 2011

CO2/KM-passager 52 51

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Annexe 6 : Opérations

Résultat 2006 Objectif 2011 Résultat 2011

Achalandage (millions déplacements)

363 393 +8 %

405 +11 %

Offre de service (millions de km)

130 159 +16 %

162 +25 %

Taux immobilisation bus 24 % 17 % 16 %

Taux immobilisation métro

17 % 14 % 14 %

Coût d’exploitation/km 5$ N/A 6$

Transport adapté : 2006 2011

Millions de déplacements 2 2,9

Taux de subvention 71 % 69 %

Annexe 7 : Benchmarking international Collège impérial de Londres, positionnement productivité métro dans le monde (Productivité main-d’œuvre + coût d’exploitation) 2006 2011

STM 3e 1er

Métro* 3,3 2,8

Bus* 5,2 5,0

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* employés/100 000 km parcourus Annexe 8 : Finances 2006 Objectifs 2011 Résultats 2011

Revenus commerciaux (m) 14,8 27 21

Résultats (m) (déficit) ou surplus

(-4,1) N/A 4,3

Taux autofinancement 60 % 62 % 59 %

Revenus clients Part des revenus

395 47 %

N/A 535 46 %

Annexe 9 : Ressources humaines 2006 2011

Indice de mobilisation* -4 +23

Climat de travail +41 +59

Confiance avenir +9 +61

* baromètre SECOR, taux participation 2011 : 55 % collaborateurs STM 2011

Effectif total 9042

Chauffeurs, opérateurs 4255

Employés d'entretien 2247

Employés syndiqués 866

Cadres de l'exploitation 375

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Professionnels syndiqués 349

Gestionnaires 310

Commis divisionnaires 204

Contremaîtres 178

Constables et agents de la paix 152

Professionnels et employés non-syndiquées

106

2011

Femmes 24 %

Minorités visibles 20 %

Moyenne âge 45 ans

Moyenne année service

11 ans

Taux syndicalisation 90 %

Annexe 10: Chronologie du remplacement des voitures de métro Le feuilleton du remplacement des voitures de métro constitue une autre épine dans les pieds des dirigeants. À l'origine de cet épisode qui fera couler beaucoup d'encre dans les médias, une demande du gouvernement, qui en mai 2006 invite la STM à négocier cet important contrat de gré à gré avec le constructeur Bombardier. Pour cause, le gouvernement contribue à hauteur de 75% dans le financement de ce projet. Son principal concurrent, Alstom ne l'entend pas de cette oreille et saisit, en juin 2006, la Cour supérieure pour contester ce type de négociation. L'avis de la juridiction conforte le plaignant qui obtient l'obligation de la STM de procéder à un appel d'offre. Soucieux de préserver les intérêts économiques nationaux, le gouvernement conditionne alors sa participation financière au projet et impose que 60% de la production se fasse en

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territoire canadien. Les nouvelles conditions d'octroi du contrat poussent les entreprises Alstom et Bombardier à s'entendre. En décembre 2008, les deux rivales d'hier s'allient, forment un consortium et déposent une offre conjointe. Toutefois, le consortium et la STM ne parviennent à s'entendre. En cause, des prix jugés « beaucoup plus élevés que la moyenne du marché ». Les négociations prennent désormais une tournure financière et se prolongent d'une année, au terme de laquelle les parties finissent par s'entendre. Les changements apportés au contrat de départ, portant principalement sur le nombre de voitures commandées, obligent la STM à publier un avis d'intention sur le marché international, procédure que le consortium tentera de faire annuler par la Cour supérieur sans succès. Soumise à l'approbation d'experts externes quant à la conformité du matériel roulant, l'offre de Construcciones Y Auxiliar De Ferrocarriles S.A. (CAF) retient l'attention des dirigeants de la STM qui envisagent en juillet 2010 de lancer un appel d'offre international. C'est finalement le gouvernement qui aura le dernier mot en faisant voter le 8 octobre 2010 une loi qui permet à la STM et au consortium de négocier au gré à gré. L'entente finale entre les parties et la signature du contrat suivront le 21 octobre 2010, bouclant 4 années de tractations entre le gouvernement, les constructeurs et la Société de Transport de Montréal. Mai 2006 : Le gouvernement invite la STM à négocier le contrat de remplacement des voitures de métro de gré à gré avec Bombardier. Juin 2006 : Alstom saisit la Cour supérieure pour forcer la STM à procéder à un appel d'offre. Janvier 2008 : La Cour supérieure rend un jugement à la faveur du plaignant. Le gouvernement conditionne sa participation financière à « un contenu canadien de 60 % ». Décembre 2008 : Entente entre Bombardier et Alstom qui forment un consortium et déposent une offre conjointe. Mai 2009 : Négociation entre la STM et le consortium Bombardier-Alstom sur l'ampleur du contrat (prix et quantité des voitures fournies). Décembre 2009 : Le projet d'entente conclu entre les parties apporte des modifications substantielles au contrat de départ. Sur base des conditions établies par le Gouvernement, la STM publie « un avis d'intention sur le marché international afin de permettre à toute entreprise ayant la capacité requise de faire connaître son intérêt ». La CAF (Construcciones Y Auxiliar De Ferrocarriles S.A.) et Zhuzhou Electric Locomotive manifestent leur intérêt. Mai 2010 : Le consortium Bombardier-Alstom dépose une requête en annulation de l’avis d’intention. La Cour supérieure déboute le consortium au 30 juin 2010.

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Juillet 2010 : Suite à la publication d'un rapport d'expertise de Hatch Mott MacDonald et Booz Allen Hamilton sur la CAF, démontrant son «entière conformité» aux exigences applicables, la STM annonce son intention de lancer un processus d'appel d'offre international. 8 Octobre 2010 : L'Assemblée nationale vote la « Loi concernant l'acquisition de voitures pour le métro de Montréal (Loi 116) » qui autorise la STM à négocier de gré à gré avec le consortium Bombardier-Alstom. 21 Octobre 2010 : Signature du contrat d'acquisition des voitures de métro entre la STM et le consortium Bombardier-Alstom. Le contrat de 1,2G$ porte sur la livraison de 468 voitures à partir de 2014.