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MARDI 19 MAI 2020 76 E ANNÉE– N O 23438 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA LE REGARD DE PLANTU LA CHINE SUR LA SELLETTE DEVANT L’OMS L’Organisation mondiale de la santé (OMS) tiendra par visioconférence, lundi 18 et mardi 19 mai, sa 73 e assemblée annuelle, en pleine pandémie Une centaine d’Etats membres, dont ceux de l’Union européenne, réclament une évaluation de « la riposte sanitaire coordonnée par l’OMS » C’est un échec pour Pékin, qui voulait éviter la mise en place d’une en- quête indépendante sur le virus et la mention du rôle de Taïwan dans la crise La démission du direc- teur général de l’organisa- tion ne devrait cependant pas être à l’ordre du jour avant que la pandémie mondiale ne soit maîtrisée L’accès « universel, rapide et équitable » à un vaccin devrait être désor- mais considéré comme « un bien public mondial » PAGES 2-3 BRÉSIL : BOLSONARO IGNORE LA CATASTROPHE Au cimetière de Fortaleza, dans l’Etat du Ceara, au nord-est du Brésil, le 7 mai. JARBAS OLIVEIRA/AFP Le Brésil a le plus fort taux de contamination du monde ; le virus pourrait tuer 190 000 personnes d’ici trois mois Une trentaine de demandes de destitution du président Jair Bolsonaro ont été déposées au Parlement PAGE 6 GÉNÉRALISTES Une semaine après la fin du confinement, les mé- decins observent un relâ- chement de la vigilance PAGE 4 ENSEIGNEMENT Les universités réfléchis- sent déjà à la rentrée des futurs étudiants de la « génération Covid » PAGE 10 AUTOMOBILE Les équipementiers français sur le fil du rasoir, fragilisés par le manque de liquidités P. 14 ET CHRONIQUE P. 29 CONFORAMA Le groupe d’ameuble- ment voit son avenir suspendu à l’octroi d’un prêt garanti par l’Etat PAGE 15 Marie-Alice Dibon, 53 ans, était féministe, cultivée, docteure en pharmacie. Elle est tombée amou- reuse d’un chauffeur de taxi, qui n’a pas supporté qu’elle veuille le quitter. Il a jeté son corps dans l’Oise le 19 avril 2019 HORIZONS – PAGES 20-21 Féminicides Vie et mort d’une femme sous emprise L’association SOS Homo- phobie s’alarme d’une hausse inquiétante et régulière des actes homo- phobes, des chiffres que confortent les statistiques du ministère de l’intérieur PAGE 11 Homophobie En 2019, le nombre de victimes a augmenté de 36 % Allemagne A Stuttgart, les profils hétéroclites des opposants aux mesures Covid PAGE 5 Israël Un gouvernement après cinq cents jours de campagne PAGE 13 Entretien Vallaud-Belkacem : « La souveraineté n’est pas le souverainisme » PAGE 7 Rwanda Fin de cavale pour le génocidaire Félicien Kabuga l’homme d’affaires rwandais, âgé de 84 ans, a été arrêté à Asni- ères (Hauts-de-Seine), samedi 16 mai, après vingt-six ans de ca- vale. Félicien Kabuga est l’un des derniers grands responsables du génocide rwandais de 1994, qui a tué près de 800 000 personnes. Proche de la nomenklatura du pouvoir hutu, il est accusé d’avoir financé les massacres de Tutsi, d’avoir fait livrer 581 tonnes de machettes du Kenya et d’avoir créé la radio-télévision des Mille Collines, qui a constamment ap- pelé aux tueries. C’est par le biais des téléphones portables de ses enfants que les enquêteurs sont remontés jus- qu’à Kabuga, qui vivait discrète- ment sous un nom d’emprunt. PAGE 12 Politique Remaniement, dissolution, référendum : les pistes de Macron PAGE 8 L’abus de journées pyjama nuit gravement à votre matelas Dans nos magasins parisiens, des offres exceptionnelles sur les plus grandes marques : André Renault, Bultex, Dunlopillo, Duvivier, Emma, Epéda, Mérinos, Simmons,Tempur,Treca... Espace Topper Enfin libre de changer de literie ! Canapés, armoires lits, dressings, mobilier contemporain : toutes nos adresses sur www.topper.fr LITERIE PARIS 15 e • 7J/7 • 9H30-20H 66 rue de la Convention, 01 40 59 02 10, M° Boucicaut, parking gratuit © LITERIE PARIS 12 e • 7J/7 • 10H-19H 56-60 cours de Vincennes, 01 43 41 80 93 M° Pte de Vincennes / Nation UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 19 05 2020

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Page 1: Le Monde - 19 05 2020

MARDI 19 MAI 202076E ANNÉE– NO 23438

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

LE REGARD DE PLANTU

LA CHINE SUR LA SELLETTE DEVANT L’OMS▶ L’Organisation mondialede la santé (OMS) tiendrapar visioconférence,lundi 18 et mardi 19 mai,sa 73e assemblée annuelle,en pleine pandémie

▶ Une centaine d’Etatsmembres, dont ceuxde l’Union européenne,réclament une évaluationde « la riposte sanitairecoordonnée par l’OMS »

▶ C’est un échec pourPékin, qui voulait éviterla mise en place d’une en­quête indépendante sur levirus et la mention du rôlede Taïwan dans la crise

▶ La démission du direc­teur général de l’organisa­tion ne devrait cependantpas être à l’ordre du jouravant que la pandémiemondiale ne soit maîtrisée

▶ L’accès « universel,rapide et équitable » à unvaccin devrait être désor­mais considéré comme« un bien public mondial »PAGES 2-3

BRÉSIL : BOLSONARO IGNORE LA CATASTROPHE

Au cimetière de Fortaleza, dans l’Etat du Ceara, au nord­est du Brésil, le 7 mai. JARBAS OLIVEIRA/AFP

▶ Le Brésil a le plus fort taux de contamination du monde ;le virus pourrait tuer 190 000 personnes d’ici trois mois▶ Une trentaine de demandes de destitution du présidentJair Bolsonaro ont été déposées au Parlement

PAGE 6

GÉNÉRALISTESUne semaine après la fin du confinement, les mé­decins observent un relâ­chement de la vigilance PAGE 4

ENSEIGNEMENTLes universités réfléchis­sent déjà à la rentrée des futurs étudiants de la « génération Covid » PAGE 10

AUTOMOBILELes équipementiers français sur le fil du rasoir, fragilisés par le manque de liquiditésP. 14 ET CHRONIQUE P. 29

CONFORAMALe groupe d’ameuble­ment voit son avenir suspendu à l’octroi d’un prêt garanti par l’EtatPAGE 15

Marie­Alice Dibon, 53 ans, était féministe, cultivée, docteure en pharmacie. Elle est tombée amou­reuse d’un chauffeur de taxi, qui n’a pas supporté qu’elle veuille le quitter.Il a jeté son corps dans l’Oise le 19 avril 2019HORIZONS – PAGES 20-21

FéminicidesVie et mort d’une femme sous emprise

L’association SOS Homo­phobie s’alarme d’une hausse inquiétante et régulière des actes homo­phobes, des chiffres que confortent les statistiques du ministère de l’intérieurPAGE 11

HomophobieEn 2019, le nombre de victimes a augmenté de 36 %

AllemagneA Stuttgart, les profils hétéroclites des opposants aux mesures CovidPAGE 5

IsraëlUn gouvernement après cinq cents jours de campagne PAGE 13

EntretienVallaud­Belkacem : « La souveraineté n’est pas le souverainisme »PAGE 7

Rwanda Finde cavale pourle génocidaire Félicien Kabugal’homme d’affaires rwandais, âgé de 84 ans, a été arrêté à Asni­ères (Hauts­de­Seine), samedi16 mai, après vingt­six ans de ca­vale. Félicien Kabuga est l’un desderniers grands responsables du génocide rwandais de 1994, qui a tué près de 800 000 personnes.

Proche de la nomenklatura dupouvoir hutu, il est accusé d’avoirfinancé les massacres de Tutsi, d’avoir fait livrer 581 tonnes demachettes du Kenya et d’avoir créé la radio­télévision des Mille Collines, qui a constamment ap­pelé aux tueries.

C’est par le biais des téléphonesportables de ses enfants que les enquêteurs sont remontés jus­qu’à Kabuga, qui vivait discrète­ment sous un nom d’emprunt.

PAGE 12

PolitiqueRemaniement, dissolution, référendum : les pistes de MacronPAGE 8

L’abus dejournées pyjamanuit gravementà votre matelas

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Page 2: Le Monde - 19 05 2020

2 | CORONAVIRUS MARDI 19 MAI 20200123

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, en 2017, à Genève.DENIS BALIBOUSE/REUTERS

C ontrairement à d’autres insti­tutions internationales quiont reporté la réunion de leurinstance souveraine, l’Organi­sation mondiale de la santé(OMS) tiendra bien sa 73e as­

semblée annuelle − l’Assemblée mondiale dela santé (AMS) −, lundi 18 et mardi 19 mai, dans des conditions particulières. La pandé­mie de Covid­19 qui continue de se propager,notamment dans les Amériques, en Europe de l’Est et en Afrique, oblige à une réunion virtuelle, dans un format très raccourci parrapport aux dix jours habituels.

Elle examinera en particulier une résolu­tion sur la réponse au Covid­19 promue par l’Union européenne qui pourrait rassembler jusqu’à une centaine d’Etats membres. Le texte aborde la question de l’accès équitable aux technologies, médicaments et vaccins contre le SARS­CoV­2, mais demande égale­ment « au plus tôt » une « évaluation indépen­dante de la riposte sanitaire internationale coordonnée par l’OMS » face au Covid­19.

« L’AFRIQUE EST DE PLUS EN PLUS ATTEINTE »Il n’était pas acquis d’avance que l’AMSpuisse se tenir. « C’est un gros défi pour nous,car il y a des questions techniques et de sécu­rité, notamment afin de nous prémunir con­tre des tentatives de piratage dans le systèmeinformatique qui serait utilisé lors des vo­tes », explique Bernhard Schwartländer, chef de cabinet à l’OMS.

Plus de 4,5 millions de cas et plus de300 000 morts sont déjà à déplorer, selon lesdonnées de l’institution. « La pandémie esttoujours en phase d’expansion. Il y a une sta­bilisation en Europe de l’Ouest, mais la courbeest ascendante en Europe de l’Est ; elle est en expansion en Asie du Sud­Est et diminue dansla région Pacifique. La maladie est en haussedans les Amériques : les pays d’Amérique sont de plus en plus touchés et les Etats­Unis cons­tituent actuellement l’épicentre de la pandé­mie. Enfin, l’Afrique est de plus en plus at­teinte », résume Ibrahima Socé Fall, sous­di­recteur général chargé des interventionsdans les situations d’urgence à l’OMS.

L’OMS a déjà mis en place une aide maté­rielle à 135 pays à revenu faible ou intermé­diaire dans le cadre d’un consortium ras­semblant, outre les institutions du système onusien, des ONG, des donateurs et desagences de financement. Il négocie entre autres des achats d’équipements de protec­tion personnelle, de tests diagnostiques et de produits médicaux.

Cela ne saurait suffire à permettre à tousles pays touchés d’avoir accès simultané­ment aux tests diagnostiques, aux médica­ments et, plus tard, aux vaccins, à mesurequ’ils seront disponibles. Pour cela, les Etats membres de l’OMS doivent s’accorder sur cette question essentielle. « Le débat sur l’ac­cès aux technologies et produits de santé est plus que jamais important. Cette pandémie nous apprend qu’à moins que tout le monde,partout, dispose des moyens de se maintenir en bonne santé, le virus reviendra et nous con­naîtrons une deuxième, une troisième vague, met en garde Bernhard Schwartländer. C’estpour cela que nous lançons un “appel à l’ac­tion” pour l’accès aux outils médicaux afin qu’ils soient au plus vite disponibles. »

C’est l’un des axes majeurs d’une résolu­tion qui sera proposée lors de la seconde journée de cette AMS. L’Union européenne en a pris l’initiative et l’Allemagne, la Fin­lande et la France en ont rédigé le premier jetfin mars. Début mai, une version a été adop­tée par l’UE et ses Etats membres, ainsi que par neuf autres pays, dont l’Australie, la Nou­velle­Zélande et le Royaume­Uni. A présent, plus d’une centaine de pays sur les 194 Etats membres que compte l’OMS s’y sont ralliés et non des moindres : la Russie, l’Inde, neufpays d’Amérique latine, le Japon, le Canada ou encore la Corée du Sud.

La résolution a fait l’objet de compromis.Elle « demande l’accès universel, rapide etéquitable et la juste distribution de tous les produits et de toutes les technologies de santé essentiels de qualité, sûrs, efficaces etabordables, y compris les éléments qui lesconstituent et leurs précurseurs, nécessairesà la riposte contre la pandémie de Covid­19,en en faisant une priorité mondiale, et l’éli­

mination urgente des obstacles injustifiés à cet accès dans le respect des dispositions destraités internationaux pertinents ». Le textefait référence aux « flexibilités » prévuesdans les accords de l’Organisation mondialedu commerce sur la propriété intellectuelle,qui autorisent la délivrance par les Etats de licences de production pour des produits desanté brevetés.

La résolution cite la notion de « bien publicmondial » mais uniquement concernant le « rôle d’une vaccination à grande échelle » contre le Covid­19. Concernant la mise au point et la production des « produits de dia­gnostic, des traitements, des médicaments etdes vaccins sûrs, efficaces, de qualité et abor­dables pour la riposte » au Covid­19, le texterappelle les « mécanismes existants de mise en commun volontaire de brevets et d’octroivolontaire de licences de brevets pour faciliterun accès rapide, équitable et économique­ment abordable à ces produits ».

Pour les rendre disponibles pour tous,partout en même temps, « tous les médica­ments, tests de diagnostic, vaccins et autresproduits de santé en lien avec la pandémiedevraient être considérés comme des bienspublics mondiaux, comme l’a clairement ex­primé le secrétaire général des Nations uniesle 24 avril dernier. La résolution aurait dûêtre plus ambitieuse », affirme German Ve­lasquez, conseiller spécial sur la politiquede santé au South Centre, une organisationintergouvernementale des pays en dévelop­pement. « Cette crise doit aussi être l’occa­sion de réinventer l’OMS en la rendant plus forte et plus indépendante, dotée d’instru­ments pour faire appliquer ses résolutions »,estime M. Velasquez.

L’ONG Knowledge Ecology International(KEI) a regretté, par la voix de son direc­teur James Love, un affaiblissement de la résolution par rapport à une version propo­sée par plusieurs pays, dont le Canada etle Botswana, qui faisait référence à des li­cences ouvertes. « Pas de monopoles pen­dant une pandémie, voilà ce que devrait êtrele message », résume James Love sur le site de son organisation.

Comme KEI, Ellen’t Hoen, directrice du cen­tre de ressources Medicines Law & Policy, s’estréjouie de l’annonce, le 15 mai, par le directeurgénéral de l’OMS et les présidents du CostaRica et du Chili, du lancement, fin mai, d’une plate­forme de mise en commun de connais­sances et de propriété intellectuelle pour les produits de santé contre le Covid­19 existantsou nouveaux afin de fournir des biens publicsmondiaux pour tous. Elle rappelait cepen­dant dans la revue Nature Medicine, le 7 mai :« Il y a de quoi être légitimement préoccupé de voir l’industrie pharmaceutique chercher à protéger ses intérêts économiques dans cette crise au détriment de l’accès universel. »

UNE PIERRE DANS LE JARDIN DE LA CHINELa résolution proposée par l’Union euro­péenne prie par ailleurs le directeur généralde l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de« continuer à collaborer étroitement avecl’Organisation mondiale de la santé animale(OIE), l’Organisation des Nations unies pourl’alimentation et l’agriculture (FAO) et lespays » afin d’identifier la source du SARS­CoV­2. Le texte évoque à ce propos « des mis­sions scientifiques et des missions de colla­boration sur le terrain ». Une pierre dans lejardin de la Chine.

Les réseaux sociaux relayent des attaquescontre Tedros Adhanom Ghebreyesus, ac­cusé d’avoir asservi l’OMS à la Chine, et des appels à sa démission. L’AMS ne devrait ce­pendant pas être le cadre d’une telle mise encause, alors que la pandémie continue defaire rage. Comme le demande la résolution promue par l’UE, la façon dont la direction de l’OMS a conduit la riposte au Covid­19 seraévaluée de manière impartiale et indépen­dante. Cela n’aura vraisemblablement lieu qu’une fois la pandémie maîtrisée, pour ne pas ajouter une crise organisationnelle à la crise sanitaire mondiale. Sans compter qu’au vu de la manière dont bon nombre de gouvernements prêtent le flanc à la critiquedans la gestion de l’épidémie en cours surleur territoire, leur latitude pour donner des leçons d’exemplarité semble limitée.

paul benkimoun

LES RÉSEAUX SOCIAUX RELAYENT 

DES ATTAQUES CONTRE TEDROS 

ADHANOM GHEBREYESUS, 

ACCUSÉ D’AVOIR ASSERVI L’OMS À LA CHINE. L’ASSEMBLÉE 

NE DEVRAIT CEPENDANT PAS ÊTRE 

LE CADRE D’UNE TELLE MISE EN CAUSE

La pandémie au cœur de la session de l’OMSL’accès pour tous aux outils médicaux est l’un des enjeux majeurs de l’assemblée annuelle de l’institution

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Page 3: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 3

Le lancement d’une enquête sur le virus place Pékin sur la défensiveDeux sujets sensibles pour la Chine, une demande d’évaluation indépendante de la crise et le statut de Taïwan, doivent être discutés à l’OMS

pékin ­ correspondant

C’ est un échec pour Pé­kin. Les deux sujets quela Chine voulait éviter

de voir émerger lors de l’assem­blée annuelle de l’Organisationmondiale de la santé (OMS) qui setient – par visioconférence – à partir de lundi 18 mai seront au centre des débats : le lancement d’une enquête indépendante sur le Covid­19 et la place à accorder à Taïwan au sein de cette organisa­tion qui se veut mondiale.

Attaquée quotidiennement parles Etats­Unis qui l’accusent de mentir tant sur l’origine du virus que sur l’ampleur de la crise sani­taire en Chine, Pékin va donc se re­trouver sur la défensive. Un échec pour sa diplomatie qui, depuis fin février, insiste, au contraire, sur samaîtrise de la pandémie et l’aide que le pays apporte au reste du monde pour essayer de contenir celle­ci. Le président Xi Jinping de­vrait prendre la parole au cours decette assemblée annuelle.

Ce ne sont pas les Etats­Unis, peuenclins au multilatéralisme, qui sont à l’offensive sur une enquête indépendante sur le virus, mais l’Australie. Selon la presse austra­lienne, 62 pays soutiendraient sa motion réclamant que l’OMS lance « aussi tôt que cela est appro­prié » une évaluation « impartiale,indépendante et complète » de la réponse internationale à la pandé­mie. Une formulation que sou­tiendraient les Européens et qui serait donc plus large et moins accusatrice que l’enquête initiale­ment prévue par l’Australie surl’origine du virus. Outre l’Union européenne et l’Australie, des paysaussi différents que le Canada, la Nouvelle­Zélande, l’Inde, la Russie, la Turquie, l’Ukraine, le Brésil, l’Indonésie et le Japon l’auraient approuvée.

Enquête « scientifique et juste »Face à ce texte, la Chine est mal à l’aise. S’il refuse obstinément d’être mis en accusation, ce pays, qui affirme soutenir le multilaté­ralisme, ne peut balayer d’un re­vers de main une enquête de l’OMS, une organisation dont il ne cesse de chanter les louanges. Ses représentants aux Nations unies font donc valoir qu’à leurs yeux, « le moment n’est pas approprié ». Ce qui importe, c’est de combattre le virus, « jusqu’à la victoire finale ».

Lundi, l’éditorial du GlobalTimes, quotidien nationaliste, était d’ailleurs inhabituellementnuancé. Insistant sur le rôle joué par l’Union européenne plutôt que par l’Australie dans le textesoumis à l’OMS, le journal affirmeque « la Chine ne s’opposera pas à une enquête scientifique sur l’ori­gine du virus ». Mais elle y met plu­sieurs conditions : « D’abord elledevrait être menée par l’OMS plu­tôt que par un pays ou une organi­sation régionale. Deuxièmement

l’enquête a besoin d’être scientifi­que et juste. Il faut y inclure nonseulement les éléments relatifs à laChine mais aussi ceux relatifs aux Etats­Unis et aux autres pays. »

La réponse initiale de la Chine àl’Australie – ce pays aimablementqualifié de « chewing­gum qui colle à la chaussure » par les natio­nalistes chinois – avait été tout aussi ambiguë. Officiellement, c’est pour des raisons sanitaires que Pékin a annoncé mardi 12 maisuspendre les importations de quatre producteurs qui, ensem­ble, fournissaient environ 35 % des exportations australiennes de bœuf vers la Chine. Mais le China Daily lie les deux affaires. Lamotion lancée par l’Australie étaitvue par le quotidien communiste comme « une campagne de diffa­mation initiée par les Etats­Unis contre la Chine au nom d’une en­quête internationale sur l’originedu nouveau coronavirus ».

« Casus belli »S’il semble que la Chine se soit faitune raison sur le lancement de cette enquête, il en va tout autre­ment du deuxième thème : la pré­sence de Taïwan à l’assemblée de l’OMS. Pour le Global Times, il s’agit tout simplement d’une « farce ». Pour la Chine, cette île de 23 millions d’habitants n’est qu’une « province chinoise ». Les pays occidentaux n’y ontd’ailleurs pas un « ambassadeur »,mais un « représentant ». Lorsque l’île a été présidée, de 2008 à 2016,par le Kouomintang (KMT), parti favorable à un rapprochement avec la Chine, Pékin avait acceptéen 2009 que Taïwan jouisse du statut d’observateur à l’OMS.

Mais depuis l’élection en 2016 àla présidence de Tsai Ing­wen, issue du Parti démocrate progres­siste, formation pro­indépendan­tiste, la Chine rejette une telle par­ticipation. Problème : Taïwan a, de l’avis général, remarquable­ment bien géré cette crise. Malgrésa proximité géographique avec la Chine continentale, l’île est par­venue, sans confinement, àn’avoir que sept décès. Soutenuepar les Etats­Unis, Taïwan a su uti­liser la crise à son profit, utilisant,comme Pékin, une « diplomatiedes masques », mais sans dé­ployer une propagande qui, infine, s’est révélée contre­produc­tive pour le régime communiste.

La presse taïwanaise n’a pasmanqué de relever le 13 mai que lesmasques désormais arborés par certains dirigeants américains, notamment Jared Kushner, gen­

dre et conseiller de Donald Trump,portaient discrètement l’inscrip­tion « made in Taïwan ». Selon le ministère des affaires étrangèrestaïwanais, 29 pays, dont les Etats­Unis, l’Australie, le Canada, le Ja­pon et la Nouvelle­Zélande, sou­haitent que Taïwan puisse à nou­veau bénéficier du statut d’obser­vateur. Plus d’une centaine de parlementaires européens ont si­gné une lettre allant dans le mêmesens. Pour Le Quotidien du peuple du lundi 18 mai, ceux qui plaident pour une telle participation de « la zone de Taïwan » à l’OMS « trans­

forment une question sanitaire en politique ».

Sachant qu’il s’agit pour Pékind’un casus belli, l’Union euro­péenne n’a pas franchi le pas. Dans une tribune publiée ceweek­end par plusieurs journaux européens, dont Le Monde, Josep Borrell, haut représentant pour la politique étrangère et la sécurité de l’Union européenne, ne faitpas référence à Taïwan. Il juge que« les maîtres mots de la relation entre l’UE et la Chine devraient êtrela confiance, la transparence et la réciprocité ». Il y qualifie certes à

nouveau la Chine de « rival systé­mique dans la promotion d’autres systèmes de gouvernance », mais également de « partenaire avec lequel l’UE partage des objectifs étroitement intégrés ».

Reste que la Chine qui, ces der­nières années, était parvenue à isoler Taïwan politiquement – seule une poignée de petits pays des Caraïbes et du Pacifique ainsi que le Vatican continuent de re­connaître l’île – ne peut que cons­tater que Taïwan a acquis une nou­velle légitimité internationale.

frédéric lemaître

Aide matérielle aux pays vulnérablesOutre les recommandations techniques, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fournit, en collaboration avec le Programme ali-mentaire mondial, une aide matérielle aux pays touchés par le Co-vid-19. L’OMS participe aussi à un consortium d’achats qui négocie l’accès aux équipements de protection, aux tests de diagnostic et aux produits de santé. Depuis le début de la pandémie, 135 pays à revenu faible ou intermédiaire ont pu ainsi être approvisionnés. Cinq millions de matériels de protection personnels ont déjà été envoyés et d’autres livraisons vont suivre. L’OMS a aussi fait parve-nir 1,5 million de tests à 129 pays et 2 millions de tests PCR sont prêts à être expédiés dans 135 pays, tandis que 3 600 oxygénateurs ont été fournis à 40 pays considérés comme vulnérables.

Taïwan a su utiliser la crise

à son profit, sans déployer

une propagandequi s’est révélée

contre-productive pour Pékin

Les représentantsde Pékin à l’ONU

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Page 4: Le Monde - 19 05 2020

4 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123

BILAN QUOTIDIEN

« Les gens baissent la garde trop vite »Une semaine après la fin du confinement, les généralistes constatent un relâchement de la vigilance

L ors de la première vaguede l’épidémie de Co­vid­19, les médecins gé­néralistes, moins visibles

que le personnel hospitalier qui a pris en charge les situations lesplus aiguës, se sont eux aussi re­trouvés en première ligne. Avec lalevée du confinement, le 11 mai, laprofession est donc particulière­ment attentive aux risques de re­bond épidémique.

Entre l’apparition des premierssymptômes de la maladie – géné­ralement de trois à cinq jours, la période d’incubation peut s’éten­dre jusqu’à quatorze jours –, laconsultation et le résultat des tests, ils ne s’attendent pas à per­cevoir les premiers effets du dé­confinement « avant le 20 ou le 21 mai », précise Jacques Battis­toni, président de MG France, le premier syndicat de généralistes.« Il ne faudra pas se tranquilliser à bon compte en constatant à la finde la première semaine qu’il n’y a pas eu de changement », prévient le généraliste d’Ifs (Calvados).

Les généralistes représentent lepremier maillon de la chaîne de« traçage » des personnes mala­des et de celles ayant été en con­tact avec ces dernières, mise en place pour empêcher la propaga­tion du virus. Si un patient est testé positif, ils sont invités à enavertir l’Assurance­maladie en remplissant un fichier informati­que, baptisé « Contact Covid ».Avec l’accord du patient, le méde­cin traitant peut y enregistrer les coordonnées des personnes de son entourage en contact rappro­ché avec lui depuis quarante­huit heures avant l’apparition dessymptômes. Le dispositif a dé­marré mercredi 13 mai, dès la pu­blication du décret d’applicationau Journal officiel. Les généralistesespèrent ainsi suivre au jour le jour l’évolution de l’épidémie etpouvoir déceler une montée en puissance des cas positifs.

Un « trou dans la raquette »« C’est une grosse différence avec la première vague, où on n’avaitpas de visibilité faute de tests », in­siste Guilaine Kieffer­Desgrip­pes, présidente de l’Union régio­nale des professionnels de santé (URPS) – qui représente les méde­cins libéraux – du Grand­Est,dont la capacité affichée est de70 000 tests par jour. Les patientsprésentant des symptômes typi­ques de la maladie, mais testésnégatifs, n’entrent pas en revan­che dans ce système de traçage. « On regrette ce trou dans la ra­quette, car nos confrères saventaujourd’hui reconnaître un pa­tient Covid, par exemple s’il perdle goût et l’odorat brutalement,poursuit la généraliste strasbour­geoise. On connaît bien la mala­die parce qu’on l’a vue en grand nombre dans nos cabinets… »

Depuis le déconfinement, elleet ses confrères du Grand­Est

constatent tout juste « un frémis­sement », en voyant revenir despatients symptomatiques qu’ils ne voyaient plus depuis quinze jours – mais en raison de leur pré­cocité, ne les attribuent pas de fa­çon certaine aux nouvelles con­ditions de circulation. « En Cham­pagne, l’activité Covid reprend defaçon accrue, tandis que dans leBas­Rhin, le Haut­Rhin et la Mo­selle, la reprise est plus lente », dé­taille Guilaine Kieffer­Desgrip­pes. Dans le Grand­Est, 181 cas po­sitifs ont été enregistrés les 13 et 14 mai dans le fichier Contact Co­vid ainsi que 450 cas contacts.

Dans son dernier bulletin,Santé publique France estimeque le nombre de nouveaux pa­tients testés positifs au SARS­

réclament un test sérologique,qui permet de détecter les anti­corps produits à la suite d’une in­fection. « Ils vont être comptabili­sés comme des nouveaux casalors qu’ils n’en sont pas véritable­ment », souligne Jean­Paul Ha­mon, président de la Fédérationdes médecins de France (FMF) etgénéraliste à Clamart (Hauts­de­Seine), tout en se disant « surprisque peu de Français dans la rue mettent des masques. Les gensbaissent la garde trop vite ».

Pathologies chroniques négligéesC’est aussi le constat partagé parplusieurs de ses confrères. Cer­tains voient désormais des pa­tients se présenter en consulta­tion sans aucune protection,contrairement aux réflexes prisdurant le confinement. « J’en aimême deux qui m’ont dit, lundi :“Ah bon, vous avez encore unmasque et une blouse, docteur ?”Parce qu’ils sont libérés du confi­nement, les gens se croient déli­vrés du virus, déplore XavierMarc­Tudor, généraliste à Nan­tes. Il faut reprendre toute la pé­dagogie à zéro. » Pour la plupartde ces praticiens, le port du mas­que devrait être systématiquedans l’espace public.

Dans les régions classées « ver­tes », la vigilance est de mise chezles médecins libéraux, qui crai­gnent d’assister à une banalisa­

tion du risque. « Notre objectif,c’est de mieux contenir une éven­tuelle deuxième vague. Mais pourça, il faut que les mesures de dé­confinement soient bien appli­quées, résume Maurice Bensous­san, président de l’URPS pourl’Occitanie. Le reconfinement, c’est un risque que personne ne souhaite. » Contrairement auxdeux mois qui viennent des’écouler, les capacités de test sont aujourd’hui présentées comme suffisantes. Pour le dé­partement de la Haute­Garonne,par exemple, elle est de 7 000 parjour. « Pour la première semaineet celle qui s’annonce, c’est pres­que surdimensionné », com­mente Maurice Bensoussan.

Les médecins généralistes con­cèdent une autre préoccupation :depuis quelques jours, ils voientdéferler dans leurs cabinets unevague de pathologies chroniques

négligées durant le confine­ment. « Si s’ajoute à celle­ci unedeuxième vague de cas de Covid, ça va être extrêmement difficile àgérer », estime Jean­Paul Ortiz,président de la Confédérationdes syndicats médicaux français(CMSF), premier syndicat chezles médecins libéraux. « Les jour­nées sont pleines à nouveau, cer­tains patients n’étaient pas venusdepuis trois ou quatre mois, il fautabsolument les revoir pour réa­juster les traitements et les bilans.Et puis, il y a tous les traumatisésdu confinement, des gens qui ont plongé dans l’alcool, la dépres­sion… Je ne vois pas comment onva faire pour gérer potentielle­ment deux vagues en mêmetemps », abonde Xavier Marc­Tu­dor, à Nantes.

D’autant que, dans des régionsclassées en rouge, comme le Grand­Est et l’Ile­de­France, ons’inquiète de nouvelles pénuries de matériel. « On n’est pas prêts, car il nous manque des masques FFP2 et qu’on n’a plus de désinfec­tant, on s’interroge sur la possibi­lité de continuer à recevoir les pa­tients, témoigne Sébastien Boga­jewski, à Montreuil. On en est à sedire “advienne que pourra”. EnSeine­Saint­Denis, on ne tiendrapas, si cette deuxième vaguearrive, on est au bord du craquagemoral. »

élisabeth pineau

Un médecin généraliste dans son cabinet, à Wittelsheim (Haut­Rhin), le 11 mai.JEAN-FRANCOIS FREY/MAXPPP

CoV­2 ayant consulté un médecingénéraliste entre le 4 et le 10 maiest inférieur à 2 950 sur tout leterritoire, contre 94 810 au plusfort de la crise, entre les 23 et 29 mars. « Depuis lundi, il n’y a pasvraiment de retour de l’activité Co­vid, ça a plutôt tendance à être le calme plat, relève Sébastien Bo­gajewski, administrateur du cen­tre médical Croix­de­Chavaux, àMontreuil (Seine­Saint­Denis). Ily a toujours un flux de personnesdiagnostiquées, mais très faible par rapport à ce qu’il a été. »

Les généralistes interrogés ob­servent une autre tendance de­puis le début de la semaine : denombreux patients ayant déve­loppé des symptômes de la mala­die durant le confinement leur

Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University Infographie Le Monde

Italie31 908 morts53 décès / 100 000 hab.

Royaume-Uni34 716 morts52 décès / 100 000 hab.

Espagne27 563 morts59 décès / 100 000 hab.

France28 108 morts42 décès / 100 000 hab.

Allemagne7 962 morts10 décès / 100 000 hab.

EN EUROPE... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants

de 50 à 97de 25 à 50Moins de 25

2 972

19 361

152

18 mars 17 mai

Personneshospitalisées

Nouvelles admissionsjournalières

HOSPITALISATIONS...

2 087

18 mars 17 mai

RÉANIMATION ET SOINSINTENSIFS

DÉCÈS EN FRANCE

depuis le 1er marsdont 17 466 à l’hôpitalet 10 642 en Ehpad

28 108

771

DÉCONFINEMENT

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

Pariset départements

limitrophes

Les départements classés en rouge :où l’épidémie sévit avec le plusde virulence et où la tensionhospitalière en réanimationest importante

Epidémie de Covid-19 : situation au 17 mai, 14 heures

« Parce qu’ils sontlibérés du

confinement,les gens se

croient délivrésdu virus »

XAVIER MARC-TUDORgénéraliste à Nantes

Hausse significative des décès en EhpadPlus de 28 000 personnes sont mortes en lien avec le Covid-19 en France depuis le 1er mars, dont 483 dans les vingt-quatre derniè-res heures, selon le décompte transmis dimanche 17 mai par le ministère de la santé. Ce bilan quotidien – le plus élevé de ces dernières semaines, alors que les hospitalisations et les admissi-ons en réanimation continuent de baisser – est essentiellement dû aux décès en Ehpad et autres établissements médico-sociaux (+ 429 par rapport à samedi, contre + 54 à l’hôpital). Selon la di-rection générale de la santé, cette hausse importante résulterait d’une « actualisation des données transmises par les ARS [agences régionales de santé] à Santé publique France », l’agence sanitaire nationale. Ces derniers jours, les chiffres des décès en Ehpad avaient fait l’objet de plusieurs corrections a posteriori, témoi-gnant de la difficulté à collecter et faire remonter ces données.

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Page 5: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 5

A Stuttgart, la fronde contre l’« Etat policier »La ville allemande est l’un des principaux foyers d’une contestation hétéroclite contre les restrictions

REPORTAGEstuttgart (allemagne) ­

envoyé spécial

A 10 euros le tee­shirtbarré du mot « Grund­gesetz » (« Loi fonda­mentale »), la jeune

femme est prête à craquer. Mais son compagnon préfère l’autre modèle, celui où est écrit : « Ne laisse pas sa chance à [Bill] Gates ! »Ils n’achèteront ni l’un ni l’autre, mais repartiront avec un tract. Dessus : une photo de trois pions, un noir, un rouge et un jaune, les couleurs du drapeau allemand. Et cette phrase : « Qui s’endort en dé­mocratie, se réveille en dictature. »

Samedi 16 mai. C’est la premièrefois qu’Ahmed Aydin, 27 ans et chauffagiste à Mannheim, vient àStuttgart vendre ses tee­shirts.Depuis mi­avril, cette ville d’habi­tude paisible, au cœur d’une des régions les plus prospères d’Alle­magne, est devenue l’un des principaux foyers de protestation

contre les restrictions mises enœuvre par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre le Covid­19. Cinquante personnes le premier samedi, 5 000 deux se­maines plus tard. Des rassem­blements également à Berlin, Munich, Hambourg, Leipzig… « Les gens commencent à com­prendre qu’on se sert de ce virus pour nous priver de nos droits fon­damentaux », explique Ahmed, pour qui le temps est venu d’« en­trer en résistance » afin de « sauverce qu’il reste de la démocratie ».

Autour de lui, certains ne sem­blent même plus partager cet es­poir. Günter Klein, par exemple. Lunettes fumées et bob sur la tête,ce sexagénaire venu de Nurem­berg trouve qu’« on marche sur la tête avec ce virus pas beaucoupplus méchant qu’une grippe ». Pourquoi manifester mainte­nant, alors que le pays se décon­fine à vitesse accélérée depuis le 20 avril ? « A cause du masque ! », répond­il. « Ce sont les esclaves qui

masquent leurs visages, pas leshommes libres. On est en train de basculer dans la dictature, voiredans le fascisme. Il faut que l’Alle­magne se réveille ! Et c’est bien que tous ces gens si différents qui sont là en aient conscience ! »

Hippie et crânes rasésSur ce point, difficile de dire le

contraire. Rien que dans unrayon d’une vingtaine de mètres,on aperçoit un adolescent en cu­lotte de peau brandir une bande­role remerciant Jésus de sauver des vies ; une hippie opposée auxvaccins ; des crânes rasés agitantdes drapeaux allemands ; unhomme­sandwich prônant d’uncôté la « démocratie » et dénon­çant de l’autre la « Merkelature » ;un immigré chinois faisant de lapublicité pour son atelier de mé­ditation en expliquant que legouvernement de Xi Jinping a« créé le coronavirus pour le ré­pandre à l’étranger et dominerle monde » ; mais aussi un couple

de « gilets jaunes » sirotant des bières à côté d’une liste de reven­dications : fin totale des restric­tions de déplacement et d’acti­vité, pas d’application de traçage des malades du Covid­19, pas de port du masque obligatoire, pasde certificat d’immunité.

Assis par terre au milieu de cettefoule malgré tout respectueusedes règles de distanciation phy­sique, Michaela et Luca ont l’airun peu perdu. Agée de 46 ans, la mère n’a pas l’habitude de mani­fester. A 19 ans, son fils non plus,sauf pour la légalisation du can­nabis. « Ni de droite ni de gauche »,ils reconnaissent que c’est « un peu bizarre » de se retrouver auxcôtés de « pas mal d’extrémistes », alors que l’office fédéral de police criminelle, évoquant ces rassem­blements qui se multiplient dans le pays, a accusé l’extrême droite d’« instrumentaliser la situationpour sa propre propagande ».

Mais ils ont décidé de passeroutre, exaspérés d’entendre dire

que ceux qui protestent contre les mesures du gouvernement sont des « conspirationnistes », des « ex­trémistes » voire des « débiles qui sefont manipuler ». « Qu’il y ait des ra­dicaux ici, bien sûr, et il y a plein de choses avec lesquelles je ne serai ja­mais d’accord avec eux », explique Luca. « Mais aujourd’hui, ce qui compte, c’est que nous défendions nos droits fondamentaux, ceux qu’on est en train de perdre commenos grands­parents les ont perdus dans les années 1930 », poursuit­il.

Lesquels ? « Le droit de penser autrement, d’aller au restaurant, des’asseoir sur la cuvette des toilettes !Même ça, on ne peut plus, au nom de la lutte contre le virus », s’indi­gne Michaela. « A ce qu’il paraît, ils veulent rouvrir les bars à chicha avant les salles de sport. C’est scan­daleux », l’interrompt son fils.

Autour du quadrilatère réservéaux manifestants, un espace cal­culé pour 5 000 personnes et so­lidement ceinturé par la police,d’autres groupes plus épars sillonnent le reste de la vaste es­planade. Certains distribuentdes tracts pour le parti de gaucheDie Linke, d’autres se présententcomme des militants antifa. C’est le cas de Max Guttmann,24 ans, venu « pour ne pas laisserà l’extrême droite le monopole dela défense des libertés fondamen­tales et de la dénonciation del’Etat policier ». « Plus on attend,plus ce sera dur de récupérer cequ’on a perdu », dit­il.

thomas wieder

L’Office fédéralde police criminelle

a accusél’extrême droite

d’« instrumentaliserla situation

pour sa propre propagande »

Inquiète pour le tourisme, la Grèce rouvre ses plagesLes citadins se sont rués sur le littoral en essayant de respecter les distances de sécurité

athènes ­ correspondance

D ès 8 heures du matin cesamedi 16 mai, FidankaMilano est à son poste

devant le guichet de la plage amé­nagée de Vouliagmeni, à 18 km ausud d’Athènes. Gantée, masque entissu noir sur le nez, elle doit faire le décompte du nombre de per­sonnes qui entrent et qui sortent. La plage de sable fin, qui s’étend sur 650 mètres de long, peut en temps normal accueillir jusqu’à 3 000 personnes, mais en raison des mesures de distanciation im­posées par le gouvernement à cause de l’épidémie due au coro­navirus, seules 1 500 personnes peuvent se trouver sur le site.

Pour la première fois depuis le23 mars, date à laquelle le confine­ment avait été déclaré en Grèce, les plagistes, restaurants ou barspossédant des transats et para­sols sur les 515 rivages du pays ontpu reprendre le travail ce week­end, plus tôt que prévu en raison des températures caniculaires frôlant les 38 degrés.

A midi, la structure de Vouliag­meni est déjà pleine à craquer etne peut plus recevoir qu’une di­zaine de personnes en plus. « Jesuffoque sous mon masque, c’est très fatigant de travailler dans ces conditions, mais nous devons res­pecter la réglementation pour ras­surer tout le monde. Ce premier jour est un test pour toute la sai­son ! », confie Fidanka. Le person­nel s’active partout, les chaises longues sont aspergées de spraydès qu’un client part, le sol est lissé à l’aide d’un râteau.

Trente personnes travaillentdans l’établissement, près d’unedizaine de personnes en plus ontété embauchées pour répondreaux mesures imposées par lacrise sanitaire. Dans un méga­phone, les règles à respecter sontrappelées régulièrement aux ci­tadins en balade. « Nous devonspermettre aux Athéniens de profi­ter de la fraîcheur de la mer, maispour la protection de tous les visi­teurs, il faut appliquer des mesu­res de distanciation, c’est­à­dire au moins 4 mètres de séparation entre les parasols, et pas plus de40 personnes sur 1 000 m² », ex­plique Christos Petsas, directeurde la concession, appartenant àl’agence grecque gérant les pro­priétés publiques.

Inquiet, Christos prévoit une« baisse de 80 % des vacanciersétrangers venant sur la rivieraathénienne cet été ». « Mais après cette première journée réussie, nous pourrons dire aux touristesqu’il n’y a pas de risques à venir envacances en Grèce », espère le quadragénaire.

Assis sur un transat, où il a dis­posé avec précaution sa serviette bleue, Iasonas Papadopoulos ju­bile de pouvoir prendre son pre­mier bain de mer de l’année. « Nous sommes restés confinés pendant longtemps, nous avons li­mité les dégâts puisque nous n’avons eu que peu de morts dans notre pays [163 morts au 17 mai]. Mais, maintenant, nous voulons revivre, profiter à nouveau de nos beaux rivages », confie le jeune homme, qui a payé un ticket de 5 euros pour profiter « jusqu’au coucher de soleil avec ses amis ».

Mais derrière son sourire, Iaso­nas est angoissé. Lui, comme toute sa famille, travaille dans letourisme : « Si les touristes étran­gers ne viennent pas cet été, beau­coup d’entre nous risquent de per­dre leur emploi. »

D’après le Fonds monétaire in­ternational, la Grèce devrait enre­gistrer en 2020 un recul de son PIB de 10 %, et le taux de chômagepourrait aussi franchir la barre des 20 % cette année.

Reprise des vols intérieursFace à ces prévisions dramati­ques, le gouvernement grec veut tout faire pour relancer la ma­chine, dans un pays où le tou­risme pèse pour plus de 20 % du PIB. Plusieurs lignes maritimes etaériennes vont reprendre pro­gressivement durant le mois. Dès lundi, les Grecs pourront se dépla­cer dans toute la Grèce continen­tale, en Crète ou sur l’île d’Eubée.

Les vols intérieurs reprennentaussi alors que certaines compa­gnies aériennes ont programmé dès le mois de mai des vols depuiset vers d’autres villes européen­nes. Le premier ministre, Ky­riakos Mitsotakis, a promis jeudi de « trouver un moyen de faire re­venir les gens en toute sécurité ».« Nous sommes ouverts à ce que lasaison démarre le 1er juillet, (…) nous voulons, cet été, avoir unegrande part du gâteau du tou­risme en Europe », a­t­il ajouté.

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Page 6: Le Monde - 19 05 2020

6 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123

Le Brésil de plus en plus désarmé face au coronavirusLa pandémie, minimisée par le président, a tué au moins 16 000 personnes, d’après le dernier bilan

rio de janeiro ­ correspondant

I ls ont tué ma mère ! » PaulaRibeiro, 34 ans, parle depuisvingt minutes sans s’arrê­ter. Un flot de paroles, en­

trecoupées de larmes de déses­poir, mais aussi d’une rage fé­roce. Le 22 avril, cette habitantede Manaus, plus grande ville d’Amazonie et épicentre de l’épi­démie de Covid­19 au Brésil, aperdu sa maman. Victime de lacrise due au nouveau coronavi­rus et de l’effondrement dusystème de santé du pays.

« Dona » Amalia avait 53 ans.Diabétique, souffrant d’hyperten­sion, elle tombe malade à la fin mars. Douleurs, fièvre, fatigue, puis toux et difficultés respiratoi­res : les symptômes classiques du Covid­19. « Mais les médecins que nous avons appelés, comme les hôpitaux, ont refusé de la tester oude la prendre en charge. Ils nousont dit : “Il y a trop de monde, ren­trez à la maison. Ne venez qu’en cas d’urgence” », raconte Paula.

Le 22 avril, l’état d’Amalia em­pire. Elle suffoque, agonise. « J’ai appelé le SAMU au secours, maisils étaient déjà débordés. » Pani­quée, la famille embarque la mère dans une voiture et l’amèneaux urgences de l’hôpital Nilton­Lins. Mais cette unité, ouverte spécialement pour les maladesdu Covid­19, ne reçoit que des pa­tients envoyés par d’autres hôpi­taux. Les infirmiers hésitent à ouvrir la porte à une patiente qu’ils croient déjà morte.

L’épidémie en pleine explosionCris, hurlements, pleurs. Après dix minutes, Amalia, incons­ciente, est prise en charge. « Elle est décédée deux heures plus tard et ils ne l’ont même pas testée. Surson certificat de décès, il y a écrit “cause indéterminée”, s’insurgePaula Ribeiro. Si elle avait été prise en charge à temps, on auraitpu la sauver. C’est révoltant. Ce quiest arrivé à ma mère, ça peutarriver à n’importe qui ici. »

Alors qu’une partie du mondese déconfine, l’épidémie due au Covid­19 est en pleine explosion au Brésil. Au 17 mai, le pays comp­tait officiellement 241 000 cas po­sitifs, davantage qu’en Espagne ou en Italie. Le nombre de décèsdépasse désormais les 16 000 et a

doublé en une dizaine de jours,avec la plus forte mortalité quoti­dienne enregistrée en dehors des Etats­Unis. Et le pic n’est attendu que pour le mois de juin…

Tous les chercheurs sont alar­mistes. Prenez ceux du centre Covid­19 Brasil : selon eux, lepays pourrait en réalité compter entre 2,5 et 3,4 millions de cas positifs, soit 15 fois plus que leschiffres officiels. Pour l’ImperialCollege de Londres, le Brésil pos­sède le plus fort taux de conta­gion au monde, avec un R0 de 2,8– chaque personne malade va infecter à son tour en moyenne2,8 nouvelles personnes. Alar­miste, l’université de Washing­ton prévoit, quant à elle, jusqu’à193 000 victimes d’ici au moisd’août dans le pays.

Face au drame en cours, eten l’absence de réponse du gou­vernement de Jair Bolsonaro, les autorités locales ont décidé dedurcir le ton. Dans le Nordeste,les villes de Fortaleza, Sao Luis etRecife ont décrété un confine­ment strict de la population. ARio de Janeiro et Sao Paulo, leport du masque est désormais obligatoire. Certaines localitésinstaurent des couvre­feux,d’autres des « barrières sanitai­res » à l’entrée de la ville. Mais tout cela est confus et malappliqué : 43 % de la populationbrésilienne ne respecte aucunconfinement.

Une ville fait pourtant figured’exemple : Niteroi, grande cité de500 000 habitants, située face à Rio de Janeiro, de l’autre côté de lagrande et belle baie de Guana­bara. Ici, les autorités locales ontmis le paquet, et ce depuis le dé­but : confinement strict avec police dans la rue, masqueobligatoire, désinfection du

d’occupation des lits en soinsintensifs destinés aux patientsatteints du Covid­19 dépasse déjà70 % dans au moins 9 des 27 Etatsde la fédération brésilienne, avecdes pics à 96 % dans le Pernam­bouc (Nordeste) ou 100 % àRoraima (Amazonie).

Retard dans les acquisitionsLe Brésil est désarmé. Il manque de munitions, de généraux mais aussi de soldats : mal équipés, malprotégés, 116 membres du per­sonnel de santé brésilien seraientdéjà morts du Covid­19 depuis ledébut de l’épidémie. Selon leministère de la santé, près de 200 000 ont présenté des symp­tômes de la maladie : autant de médecins et d’infirmiers, sou­vent mis en quarantaine, qui risquent de cruellement man­quer au moment du pic.

Pour ne rien arranger, l’ouver­ture de nouveaux lits ou l’acquisi­

tion d’équipements ont pris un retard monumental, victimes d’une bureaucratie insensée et depratiques souvent louches. Dans l’Etat de Rio, seuls 4 des 9 hôpi­taux de campagne promis par les autorités locales ont été ouverts. Certains tirent avantage du chaos.Le 7 mai, l’ancien sous­secrétaireà la santé de l’Etat, Gabriel Neves, a ainsi été mis en prison, avectrois personnes, tous soupçonnésd’avoir profité de la surfactura­tion de respirateurs achetés par larégion, pour un montant évalué àprès de 800 000 euros.

Au départ, le Brésil disposaitpourtant de plusieurs atoutspour faire face à la pandémie : uneindustrie pharmaceutique ro­buste, une expérience des épidé­mies tropicales, et surtout le« SUS », ce système de santé publicgratuit et universel, chéri par la population. « Mais ses ressources sont très limitées, il est chronique­

ment sous­financé, explique Mi­guel Lago, directeur de l’Institut d’études pour les politiques de santé (IEPS). Le Brésil investit l’équivalent de 4 % de son PIB dansla santé, contre 8 % à 10 % pour despays comme la France ou l’Allema­gne, aux systèmes comparables. »

Selon l’IEPS, dans 72 % des ré­gions du Brésil, le nombre de litsde soins intensifs du SUS est infé­rieur aux recommandations mi­nimales de l’Organisation mon­diale de la santé (10 pour 100 000 habitants). « Dans ce contexte, les autorités localesn’auront pas d’autre choix que depasser des contrats avec les servi­ces de santé privés, mieux dotés », explique M. Lago. Cela aura un coût : près de 10 milliards d’euros selon les pires scénarios envisa­gés. « Le drame, on y est déjà. Ce qu’il faut éviter maintenant, c’est ledésastre », conclut M. Lago.

bruno meyerfeld

Hôpital de campagne Gilberto­Novaes, à Manaus (Amazonas), le 14 avril. EDMAR BARROS/AP

Jair Bolsonaro s’enfonce dans le déni et la crise politiqueAu Parlement, une trentaine de demandes en destitution ont été déposées contre le chef de l’Etat brésilien

rio de janeiro ­ correspondant

I l n’aura pas tenu un mois.Vendredi 15 mai, le ministrede la santé brésilien, Nelson

Teich, a finalement jeté l’éponge et présenté sa démission. « La vie est faite de choix et aujourd’hui j’ai fait celui de partir », a­t­il dé­claré, lors d’une brève conférencede presse, se contentant de quel­ques mots de remerciement à l’endroit de ses assistants et du président Jair Bolsonaro.

Derrière la sobriété du départ,c’est pourtant le feu qui couve. Voire l’incendie. Depuis plusieursjours, à l’image de son populaire prédécesseur Luiz HenriqueMandetta, Nelson Teich s’était re­trouvé en conflit ouvert avec le chef de l’Etat. Effacé, confus, cor­seté par les militaires, il était pourtant loin de faire de l’ombre àJair Bolsonaro. Mais les divergen­ces étaient trop fortes, entre un ministre recommandant le confi­nement et un président prônant la réouverture généralisée du pays (et qui n’avait, dimanche,toujours pas nommé de succes­seur à ce portefeuille pourtantcrucial alors que la pandémie de

Covid­19 a touché 241 000 per­sonnes et fait 16 122 morts).

A nouveau, dimanche, JairBolsonaro a salué, face au palaisdu Planalto, à Brasilia, une petite foule de partisans, protestantcontre les mesures de confine­ment décrétées dans une majo­rité des Etats fédérés du pays.Mais, une fois n’est pas coutume, muni d’un masque et se tenant àdistance, l’incontrôlable chef de l’Etat a employé un ton plus consensuel qu’à son habitude,prônant le respect de la Constitu­tion et de l’Etat de droit.

Ton apocalyptiqueEst­ce l’effet de la pression ? En pleine épidémie due au coronavi­rus, Jair Bolsonaro est empêtré dans une crise politique, sur fond de multiples affaires judiciaires.La plus grave et la plus urgente concerne la procédure lancée par le procureur général de la Répu­blique, Augusto Aras, afin de dé­terminer la véracité des accusa­tions lancées par l’ex­ministre de la justice Sergio Moro. Ce dernieraffirme que le président auraittenté d’interférer dans les enquê­tes de la police fédérale afin de

protéger sa famille, visée par plusieurs enquêtes.

La crise se joue aussi sur le ter­rain politique. Une trentaine dedemandes en destitution ont été déposées auprès du président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia. Le départ de Jair Bolsonaro est réclamé par le Parti des tra­vailleurs (PT, gauche) de Lula, mais aussi par des mouvements de droite conservatrice, tel le Mou­vement Brésil libre (MBL), très ac­tif lors de la destitution de Dilma Rousseff en 2016. Afin d’éviter unesortie de route, le chef de l’Etat né­gocie une alliance avec les petits partis dits du « centrao », ventre mou du Parlement brésilien, quicomptent monnayer cher leur soutien, en échange de ministèreset de directions d’administration.

Contesté chaque soir par desconcerts de casseroles, JairBolsonaro conserve néanmoins une base fidèle dans l’opinion.Plusieurs enquêtes d’opinion récentes le donnent en tête des intentions de vote au premier tour, en cas d’élection présiden­tielle. Le pays demeure très divisé : 48 % de la populationdemeurent opposés à une procé­

dure d’impeachment quand 45 %y seraient favorables, selon l’Ins­titut Datafolha. Surtout : plus d’un Brésilien sur cinq ferait sys­tématiquement confiance aux déclarations du président, quiqualifiait jusque récemment la pandémie de « petit rhume »,d’« hystérie » ou de doux « rêve ».

Se voulant champion des chô­meurs et des petits patrons, JairBolsonaro a concentré son dis­cours ces derniers jours sur lacrise économique, avec un tonvolontiers apocalyptique. « Il va[bientôt] manquer de l’argent pour payer les fonctionnaires ! », a­

t­il menacé le 14 mai, décrivant la même semaine un climat de « guerre » au sein du pays. « Il faut rouvrir, nous allons mourir de faim ! », a prévenu le président,exhortant les chefs d’entreprisede la capitale économique SaoPaulo à « jouer dur » pour forcer les autorités locales à rouvrir l’en­semble des commerces.

« Ceux qui doivent rester à lamaison, ce sont les plus âgés et les plus vulnérables », approuve la députée Bia Kicis, fidèle de Jair Bolsonaro et soutien des mani­festations anticonfinement, or­ganisées chaque semaine à Brasi­lia. « Aucune base scientifique nepermet de dire que le confinement protège contre le virus », soutient­elle, affirmant avoir « entenduplein de médecins le dire » et ba­layant toute critique à l’encontredu président. « Il est accusé de cri­mes qu’il n’a pas commis ou qu’il aurait pu commettre : on est dans Minority Report ! », dit­elle.

Pour s’attirer les faveurs de sespartisans très mobilisés, le prési­dent a donc naturellement jointla parole aux actes. Le 11 mai, il ajoutait par décret les salons de coiffure et les salles de sport dans

la liste des activités essentielles pouvant demeurer ouvertes mal­gré la pandémie (une mesure qui n’a pas été suivie d’effet, la plu­part des gouverneurs refusant de l’appliquer). Le 14, M. Bolsonaro publiait une mesure provisoireexemptant les agents publics dela responsabilité de leurs actespendant la pandémie, les fonc­tionnaires ne peuvent être punis que pour fraude ou « erreurgrossière ». Un texte jugé anti­constitutionnel par bien des ex­perts, et qui pourrait bénéficier au chef de l’Etat lui­même.

Dans le même temps, Jair Bolso­naro ne s’est pas privé d’afficher son grand mépris pour la pandé­mie et son indifférence crasse àl’égard des victimes. Le 9 mai, alors que le Brésil dépassait la barre des 10 000 morts, Jair Bolso­naro s’offrait ainsi une virée en Jet­Ski sur le grand lac Paranoa de Brasilia. Deux jours plus tard, il participait à une cérémonie de le­ver de drapeau, refusant de met­tre en berne la bannière nationale,à l’inverse du Congrès et du Tribu­nal suprême fédéral, en hom­mage aux morts du Covid­19.

b. me.

Plus d’un Brésilien sur cinqferait confiance

aux déclarationsdu président, quiqualifiait jusqu’à

récemment la pandémie de

« petit rhume »

trottoir, réquisition des hôtels,distribution d’une aide d’urgence aux plus modestes, achats de 40 000 tests, fermeture des éco­les, parcs, plages et commerces…

Et tout ça marche : Niteroi necomptait au 17 mai que 65 victi­mes, avec un taux de mortalité de5,7 %, deux fois inférieur à celui deRio (qui déplore 1 841 décès). « Ce sont les résultats de trente ans debonne gestion », explique le mairede Niteroi, Rodrigo Neves (Partidémocrate travailliste, PDT, cen­tre gauche), pas peu fier de sonbilan en matière de santé oud’éducation. Le Brésil est en trainde devenir l’épicentre mondial du coronavirus, poursuit l’édile. Je n’ai aucun doute sur le fait que notre exemple va être suivi et qued’autres villes vont prendre des mesures plus strictes. »

Mais n’est­il pas déjà trop tard ?Selon les relevés du quotidien Folha de S. Paulo, le taux

Alarmiste, l’université

de Washingtonprévoit jusqu’à193 000 morts

d’ici au mois d’août dans

le pays

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Page 7: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 7

« Une forme de nouvelle lutte des classes se joue »Najat Vallaud­Belkacem revient sur la gestion de la crise par le gouvernement et les débats qui agitent la gauche

ENTRETIEN

A ujourd’hui directriceFrance de l’ONG One,l’ancienne ministre del’éducation nationale

Najat Vallaud­Belkacem plaidepour un retour à une souverai­neté économique sans tomber dans le souverainisme.

Quel regard portez­vous sur l’action du gouvernement contre le Covid­19 ?

Si le caractère inédit de la criseconduit à tempérer certaines criti­ques, on a quand même vu une pratique du pouvoir assez soli­taire, parfois opaque et manquant d’humilité. Le manque de transpa­rence dans l’information publi­que, la faiblesse de la délibération collective ont fini par créer une suspicion dont les tergiversations sur les masques et les tests sont symptomatiques. Ce n’est pas sain,car ça amoindrit la portée des poli­tiques publiques et la confiance dans l’action étatique.

Mais cette crise a aussi éclairéune certaine vision du monde du gouvernement qui n’a pris cons­cience qu’avec beaucoup de retard des ravages humains et sociaux. Longtemps une sorte d’angle mort a semblé recouvrir les fa­milles enserrées dans des loge­ments inadaptés, les files d’attentedevant l’aide alimentaire, les étu­diants confinés en cité univer­sitaire sans job ni perspectives, les enfants sans cantine privés du seul repas équilibré de leur jour­née, les intermittents, les chô­meurs non indemnisés…

Il y a quand même la mise en place du chômage partiel…

Certes, et c’est une bonne chosepour ceux qui ont un emploi ; pour les autres il y a comme un impensé. Prenez l’attestation de sortie téléchargeable sur Internet : les autorités ont oublié que la frac­ture numérique empêchait énor­mément de gens d’y accéder et queplus de 2 millions de Français souf­frent d’illettrisme. Même chose avec le refus de la gratuité des mas­ques quand on sait combien cela pèse dans le budget d’une famille qui est à 10 euros près.

La pratique solitaire du pouvoir est induite par la Ve République…

On a un problème structurel enFrance avec le présidentialismequi infantilise le peuple et déres­ponsabilise le Parlement. Les mo­nologues d’un homme seul dans un bureau doré dont on attend tout, la difficulté des maires à faire entendre les spécificités lo­cales et les expertises de terrain, le poids de la bureaucratie… Il y aun problème d’organisation du pouvoir qui appelle une réforme institutionnelle majeure. Ce tra­vers est renforcé par l’insuffi­sance systématique de concerta­tion avec les corps intermédiaires propre à ce gouvernement.

Quelles seraient les mesures d’urgence à prendre pour amortir cette crise ?

Des bombes à retardement so­ciales sont en train de se fabriquer qu’il faut désamorcer dès mainte­nant. Des milliers de Français ris­quent de ne plus pouvoir payer leur loyer et leurs charges : il faut créer un fonds de solidarité pour les soulager et adresser des aides exceptionnelles au déconfine­ment aux familles en grande diffi­culté, au moins 800 euros pour uncouple avec un enfant. Le gouver­nement doit faire table rase des ré­formes adoptées comme celle des retraites qui affaiblissent notre système de protection sociale. Re­noncer à la celle de l’assurance­chômage qui a fragilisé des mil­liers de demandeurs d’emploi et prolonger l’indemnisation des chômeurs qui arrivent en fin de droits. Enfin, il faut passer aux ac­

tes rapidement sur la revalorisa­tion des métiers dont on a vu la va­leur en même temps que la pau­vreté des salaires.

Les violences contre les femmes ont augmenté durant le confi­nement. La gravité du problème a­t­elle été prise en compte ?

La plupart des mesures néces­saires sont déjà dans la loi. Le pro­blème c’est leur application. On le voit avec les ordonnances de pro­tection ou l’éviction du conjointviolent, plus encore quand la jus­tice est quasi à l’arrêt. La crise auramontré qu’il ne faut pas lésiner en matière de moyens de protec­tion des victimes. Il y a seulementtrois mois, les associations récla­maient un plan de 1 milliard d’euros. J’espère que la légitimitéde leur appel apparaîtra aux pou­voirs publics. Le confinementaura au moins été utile à la prise de conscience de ces violences et du rôle que chacun de nous, comme témoin, peut jouer.

Faut­il un patriotisme économique comme certains le préconisent ?

Patriotisme économique oui.Pour le reste, ce n’est pas au mo­ment où on affronte une crise glo­bale qu’il faut s’en remettre au chacun pour soi, chacun chez soi. On restera dans un monde d’inter­dépendances, n’allons pas fantas­mer la frontière comme un geste barrière. La souveraineté, oui en­core, mais comme une capacité à décider, faire des choix, reprendre le contrôle, pas comme un natio­nalisme borné qui d’ailleurs nulle part n’a fait ses preuves de bonne gestion dans la crise.

Les propositions d’Arnaud Montebourg sur la souveraineté industrielle vous paraissent­elles adéquates ?

Je ne crois pas diverger avec luien disant que la souveraineté n’estpas le souverainisme ni le nationa­lisme. Oui la crise a mis en évi­dence la vulnérabilité de nos Etats face à une mondialisation sans rè­gles. Il faut mettre fin à une forme d’impuissance publique en orga­nisant notre indépendance stra­tégique sur quelques secteurs choisis, la relocalisation de pro­ductions essentielles et de bassins d’emploi, nos approvisionne­ments… Etre lucide aussi : la Francene pourra avoir seule une souve­raineté dans tous les domaines, donc repenser nos coopérations européennes. Retrouver de la sou­veraineté suppose enfin de nous donner des moyens pour affron­ter les deux défis majeurs que sontla lutte contre les inégalités et le changement climatique, ce qui veut dire maîtriser et utiliser la fis­calité ou le conditionnement des aides d’Etat aux entreprises…

N’est­ce pas compliqué quand on a participé au quinquennat Hollande, qui a une responsa­bilité dans la fermeture de lits d’hôpital et la gestion des stocks de masques, de porter votre discours ?

L’hôpital et les soignants ont faitdes efforts considérables depuis dix ans. On arrive au bout d’un sys­tème devenu insoutenable. Nous yavons notre part de responsabilité et il faut le reconnaître, comme d’autres avant et après. L’hôpital a besoin de moyens nouveaux et d’un changement de modèle. Quant au quinquennat passé, si on

doit instruire son procès, il faut le faire à charge et à décharge, voir ses insuffisances et ses réussites.

Comme quoi par exemple ?Comment s’en serait sortie

l’éducation nationale si on n’avaitpas embauché 60 000 profes­seurs supplémentaires ? Si nousvoulons être constructifs à gau­che et offrir des perspectives, re­connaissons les avancées et ap­prenons des erreurs.

La gauche peut­elle être l’alter­native à un duel Macron­Le Pen ?

Ce duel est une stratégie choisiepar les deux protagonistes, c’est aussi une facilité pour les médias. Mais le premier tour des élections municipales [le 15 mars] a dessiné un autre visage politique, avec unegauche bien présente dans les territoires et surtout une imbrica­tion de la question sociale et de l’écologie politique dans ses ré­ponses. Bref, la démonstration que la gauche peut penser le futur

sans abandonner le présent où se nichent les vies dures. C’est le fait politique majeur.

L’écologie serait le débouché naturel des partis de gauche ?

L’enjeu n’est pas tant de recons­truire la gauche que de traduire concrètement ses idéaux en ré­ponses aux défis du moment, au service de ceux qui en ont besoin. Beaucoup d’échanges ont lieu à gauche en ce moment qui peuventposer, à terme, les bases d’une fé­dération dans laquelle les partis

conservent leurs différences mais forment, quand il le faut, un mur de volonté commune. C’est de celaque naîtra l’alternative.

Voulez­vous jouer un rôle dans ces débats ?

La crise a mis en lumière les dé­faillances de nos sociétés. C’est dans ce monde, avec ses contra­dictions et ses tensions, que l’on doit agir. Pas avec des incanta­tions prophétiques sur le monde d’après. On est tous d’accord à gauche : on veut une société plus juste, qui ne soit pas sans liens et qui ne détruise pas la nature. Laquestion est le chemin à prendrepour que ce monde se réalise. Il faudra construire des rapports deforces politiques, faire preuve d’in­ventivité. Mais surtout entendre ceux que la crise a rendus visibles, qui maintiennent la société en vie.Avec cette épreuve, on les aura vusmais je ne suis pas sûre qu’on les ait entendus. Ils ont pourtanténormément à nous apprendre.

« Beaucoup d’échanges ont

lieu à gauche ence moment, quipeuvent poser,

à terme, les basesd’une fédération »

Il faut quelqu’un pour porter ces combats, notamment lors des élections. Y pensez­vous ?

Je ne veux pas parler à leur place !Il faut donner la parole à ces lais­sés­pour­compte que le mouve­ment des « gilets jaunes » avait ré­vélés, parce que ce sont leurs aspi­rations et leurs compétences qui nous aideront à tracer ce chemin. C’est une forme de nouvelle lutte des classes qui se joue là. Ensuite, on ne peut pas s’arrêter au constat des fractures, l’enjeu est de les ré­parer. On a vu pendant le confine­ment une formidable envie de co­hésion, d’être utile. Il faut s’ap­puyer sur ce désir, dès maintenant.Mais l’erreur à ne pas commettre serait de tout ramener à une question de personnes quand il y aun tel besoin de réhabiliter la confiance dans un projet. Gar­dons­nous des jeux qui ont affaiblila qualité du débat politique.

propos recueillis parabel mestre

et sylvia zappi

« Des bombes à retardement sociales sont en train de se

fabriquer, qu’ilfaut désamorcerdès maintenant »

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Page 8: Le Monde - 19 05 2020

8 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123

Remaniement, dissolution…le jeu de pistede MacronL’Elysée réfléchit à divers scénarios institutionnels pour « l’après »

D epuis son arrivée àl’Elysée, il y a trois anspresque jour pour jour,Emmanuel Macron le

répète à l’envi : il a été élu pour ap­pliquer son programme. Un man­tra destiné à le distinguer de ses prédécesseurs, accusés d’avoir peuou prou renié leurs promesses, mais aussi à lui éviter les godilles de l’exercice du pouvoir. « En aucun cas, je ne changerai de politi­que, assurait encore le chef de l’Etat en septembre 2018. Je me suisengagé à procéder aux transforma­tions que notre pays, depuis des dé­cennies, avait évitées par le petit jeudu tic­tac de droite et de gauche ou par les lâchetés. (…) Notre priorité n’est pas de durer, mais de faire. »

Dix­huit mois plus tard, Emma­nuel Macron doit le constater : le programme de 2017 est tout ou partie caduc, bousculé par l’épidé­mie de Covid­19 et ses conséquen­ces. La réforme des retraites a été suspendue, celle des institutions est à l’arrêt, l’équilibre budgétaire n’est plus qu’un vœu pieux… Le chef de l’Etat l’a dit lors de ses der­nières allocutions : il va changer. « Il nous faudra demain tirer les le­çons du moment que nous traver­sons, a­t­il expliqué le 12 mars. Les prochaines semaines et les pro­chains mois nécessiteront des déci­sions de rupture. » « Beaucoup de certitudes, de convictions sont ba­layées (…). Le jour d’après (…) ne serapas un retour au jour d’avant », a­t­il ajouté, le 16 mars, promettant de tirer « toutes les conséquences » de la crise du Covid­19.

Renforcer la majoritéMais que se passe­t­il quand on change de programme en cours demandat ? L’onction de l’élection précédente suffit­elle ? Faut­il légi­timer par un autre moyen le vire­ment de bord ? Depuis quelques semaines, ces questions agitent le pouvoir. « Si on sort de la crise par un virage keynésiano­environne­mental, le président aura un pro­blème de légitimité et devra repas­ser par le peuple », estime un pro­che du chef de l’Etat. Pour le mo­ment, aucune décision n’a été prise. Mais Emmanuel Macron y

travaille. « Le déconfinement étant engagé, le président va commencerà empoigner pleinement l’anticipa­tion et se projeter sur l’après, y com­pris politique », assure l’Elysée.

Sur le papier, le président dis­pose de plusieurs solutions insti­tutionnelles. La plus évidente est la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections législatives. Certains élus y voient l’occasion derenforcer la majorité, émoussée par les départs, et de donner une assise à l’acte III. Mais la plupart l’envisagent avec réticence. « Dans un moment où on appelle les partisà la responsabilité, ouvrir une pé­riode électorale, c’est figer le pays », estime un poids lourd de la majo­rité. « Il y a déjà quatre élections prévues d’ici à 2022 [le second tour des municipales, les départemen­tales, les régionales et les sénato­riales]. Difficile d’en ajouter une autre à moins d’être en campagne permanente », met en garde Ro­land Lescure, député La Républi­que en marche (LRM) des Français de l’étranger.

Le précédent de 1997, qui avait vuJacques Chirac perdre les élections législatives après avoir dissous l’Assemblée, l’obligeant à une co­habitation de cinq ans avec Lionel Jospin, est aussi dans les esprits. « Le souvenir de Villepin est un re­poussoir, il y a un côté apprenti sor­cier », reconnaît un proche du chef de l’Etat. D’autres, plus radicaux, y voient au contraire une opportu­nité pour 2022. « Aucun présidentn’a jamais été réélu sous la Ve Répu­blique hors période de cohabita­tion. Il ne faut pas écarter cette solu­tion », souligne un ministre, tout en reconnaissant que M. Macron n’est « pas d’un tempérament à co­

habiter ». « Le président est capable de prendre son risque, c’est ce qui fait sa force », note Marie Lebec, dé­putée (LRM) des Yvelines.

Plus classique, un remaniementdu gouvernement est évoqué avecinsistance. Pour l’aile gauche de la majorité, ce serait l’occasion de débarquer Edouard Philippe, jugé trop à droite. Mais à la condition de raconter une autre histoire. « Si on met Bruno Le Maire à Mati­gnon, cela change quoi pour les Français ? », s’interroge un élu.« Un remaniement n’est qu’une de­mi­solution, car il n’y a pas de légi­timité du peuple. Ou alors il fau­drait que le virage soit vraiment in­carné », abonde un proche du lo­cataire de l’Elysée. Les noms deYannick Jadot et de Xavier Ber­trand sont évoqués parmi d’autres. « Mais le président pour­rait aussi bien faire tout son man­dat avec Philippe, tout va dépendredu projet défini à la sortie de la crise », relativise un autre.

L’idée d’un gouvernement decoalition, réunissant des mem­bres de chaque famille politique hors le Rassemblement national, est toujours portée par certains élus. « Notre pays mérite cela, es­time Matthieu Orphelin, député(ex­LRM) de Maine­et­Loire. Semettre d’accord sur un projet clairde coalition pour deux ans, quel­que chose à l’allemande, permet­trait de réembarquer les citoyens.Et cela n’empêcherait pas chacunde présenter ses options en 2022. »Daniel Cohn­Bendit, qui échange avec M. Macron, travaille à cette hypothèse. Mais l’idée semble difficile à mettre en œuvre tantles oppositions y sont hostiles.

Troisième solution, le référen­dum. Dès avant le Covid­19, Em­manuel Macron l’avait envisagé, pour que les Français s’expriment sur les propositions de la conven­tion citoyenne pour le climat.L’idée prendrait d’autant plus de sens pour dessiner l’acte III. Lehic ? La Constitution ne permetpas de poser n’importe quellequestion. « Il faut que cela portesur un objet juridiquement ciblé. On ne peut pas faire approuver unepolitique générale », précise un ca­dre de LRM. De même, impossiblede poser des questions à plusieursréponses, comme le font les Suis­ses lors des votations.

Gagner du tempsMais c’est surtout la nature plé­biscitaire du référendum qui fait hésiter le pouvoir. Depuis la dé­mission du général de Gaulle en 1969, après une consultation où le non l’avait emporté, les poli­tiques se méfient de cet objet.« Les Français ont pris l’habitude de répondre à une question qui ne leur était pas posée. Cela peut être le prétexte à une nouvelle vague dégagiste », craint un stratège deLRM, évoquant l’échec de Matteo Renzi, obligé de démissionneren 2016 après que les Italiens ontrefusé de réduire le nombre de parlementaires.

Reste une quatrième hypothèse,moins spectaculaire mais moins risquée : réunir les députés et lessénateurs en Congrès à Versailles, où le chef de l’Etat prononcerait un grand discours sur l’après. C’était la solution choisie par Ni­colas Sarkozy en 2009, lors de la crise financière, et par François

Hollande en 2015, après les atten­tats de Paris. Lors de son élection,Emmanuel Macron avait promis de se rendre chaque été devant les parlementaires, pour rendre compte de son action. Mais sa dernière visite remonte au 10 juillet 2018, celle prévue l’an dernier ayant été annulée à la suite du grand débat.

Cette solution a l’avantage pourl’exécutif de rester en terrain connu et de gagner du temps.« Cela permettrait de dire où nous voulons aller, avant que les Fran­çais partent en vacances, tout en sedonnant quelques mois pour les décisions », confie un soutien. Seul bémol : la Constitution ne permet pas au Parlement d’ap­prouver par un vote un discours de politique générale du prési­dent. Seuls les sujets constitution­nels peuvent donner lieu à con­sultation. « Répondre à la crise par un Meccano institutionnel, je nesuis pas sûr que ce soit ce que les Français attendent », met en gardeun macroniste. « Une déclaration de politique générale du premier ministre suivie par un vote à l’As­semblée, serait déjà une premièreétape », avance Roland Lescure.

En l’absence de consensus surl’outil institutionnel, certains pré­conisent de multiplier les débats au Parlement, en s’appuyant sur l’article 50­1 créé par la réforme constitutionnelle de 2008. Utilisé lors de la présentation du plan de déconfinement, il permet au gou­vernement de faire une déclara­tion à l’Assemblée ou au Sénat,suivie d’un débat et éventuelle­ment d’un vote, sans engager sa responsabilité. « C’est un format collectif qui permet de faire vivre ledébat, d’associer davantage les op­positions, on est moins dans le ver­tical », énumère un conseiller, qui parie sur une prolifération de 50­1.« On peut avoir des débats suivis d’un vote sur des sujets non législa­tifs, comme la rénovation énergéti­que des bâtiments, cela permet­trait de créer du consensus », veutcroire Roland Lescure.

A moins que le chef de l’Etat nesorte de son chapeau une solutioninédite, comme l’a été le grand dé­bat au moment de la crise des « gi­lets jaunes ». « Cela avait été unefaçon pour le président de légiti­mer une évolution de sa politique, une réussite », se félicite l’Elysée. « On pourrait imaginer quatre ou cinq débats avec des citoyens, des élus, des associations… Un formatplus resserré, pour se projeter sur l’après, où le président viendrait convaincre les Français », suggère Marie Lebec. « Le président aime penser “out of the box” [hors dessentiers battus], une autre solu­tion pour se légitimer par le bas n’est pas à exclure », acquiesce un proche. Seule condition : se déci­der vite. Car le temps presse.

cédric pietralunga

Pour l’aile gauchede la majorité,

un remaniementserait l’occasion

de débarquer Edouard Philippe,jugé trop à droite

Emmanuel Macron, lors de la commémoration de la bataillede Montcornet, à La Ville­aux­Bois­lès­Dizy (Aisne), le 17 mai. FRANCOIS LO PRESTI/AFP

Dans l’Aisne, le président cherche à s’inspirer du général de GaulleLors de la commémoration de la bataille de Montcornet, dimanche, Emmanuel Macron a mis en valeur « l’esprit de résistance »

la ville­aux­bois­lès­dizy(aisne)­ envoyé spécial

L es champs de betteraveset d’oignons s’étendent àperte de vue, horizon seule­

ment crevé par la ronde des éo­liennes. Une stèle, surmontée de latourelle d’un char d’assaut, a été érigée au milieu de ce paysage aride, le long d’une étroite route decampagne qui relie La Ville­aux­Bois­lès­Dizy et Clermont­les­Fer­mes, deux villages des confins de l’Aisne, au nord de Laon. Elle com­mémore la mémoire des combat­tants de la 4e division cuirassée qui, en mai 1940, « tentèrent déses­pérément d’arrêter l’invasion alle­mande », comme dit le message gravé dans la pierre. Le nom de leur commandant est inscrit, lui aussi : « colonel de Gaulle ».

Emmanuel Macron est venu cé­lébrer, en ce dimanche 17 mai, la mémoire de celui qui, « ici même, sur les champs de bataille de l’Aisne,rencontra son destin ». Il y a quatre­vingts ans jour pour jour, Charlesde Gaulle, alors inconnu du grand public, freinait l’avancée des Pan­zer allemands lors de la bataille de Montcornet, du nom d’un village voisin. « Au moment même où l’ombre de la résignation et du re­noncement s’étendait sur notre pays, l’esprit de la résistance se leva », souligne Emmanuel Ma­cron, derrière son pupitre, au milieu des champs. De Gaulle, unefois devenu président, résuma la chose d’une formule lors d’une vi­site à Montcornet, le 12 juin 1964 : « L’espérance avait jailli. »

Cette commémoration était ins­crite de longue date sur l’agenda

de l’Elysée, mais elle a bien failli ne pas se tenir pour cause d’épi­démie due au coronavirus. Es­pérée comme une grande réu­nion populaire, prélude à « l’an­née de Gaulle », qui voit se suc­céder le 80e anniversaire del’appel du 18­Juin, le 130e anniver­saire de la naissance et le 50e anni­versaire de la mort du Général, cette journée d’hommage a dû être ramenée à des proportions plus modestes. Pas de foule en liesse sur les bords de la route,juste quelques élus et descen­dants de combattants, placés à unmètre les uns des autres.

Dans son discours, EmmanuelMacron n’a pas fait référence di­rectement à la crise sanitaire qui secoue la France, ni aux polémi­ques qui assaillent l’Etat et le gouvernement sur leur imprépa­

ration à y faire face. Mais le loca­taire de l’Elysée n’a eu de cesse quede louer « l’invincible espérance [qui] a jailli dans le cœur d’un homme », comme une réponse à ceux qui lui reprochent de pro­mettre « les jours heureux » avant même d’avoir gagné la « guerre » contre le Covid­19.

Querelles d’héritageIl a surtout cherché à mettre en va­leur « l’esprit de résistance » qui, se­lon lui, anime ses compatriotes. Cette détermination à se relever, « qui jamais ne meurt, même quand le pays est vaincu », Em­manuel Macron veut même en faire un mantra pour l’après­coro­navirus. Explicite, il prévient : « De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle sait son destin, quand elle se tient unie, qu’elle

cherche la voix de la cohésion au nom d’une certaine idée de la France. » Un écho au slogan « la France unie » que le chef de l’Etat promeut depuis plusieurssemaines pour tenter de répon­dre à la crise.

Pendant ce temps­là, le prési­dent de la région Hauts­de­France,Xavier Bertrand, écoute, le visage à moitié recouvert par un masqueremonté jusque sur le haut du nez.Personne n’en porte autour de lui. Dans une tribune au Journal du di­manche publiée le matin même, l’ancien du parti Les Républicains se réclame du général de Gaulle, lui aussi, mais pour mieux criti­quer en creux Emmanuel Macron.« Pour de Gaulle, un chef ne doit pas parler en permanence, à tort et à travers. Il doit mener son pays d’une main ferme sans se préoccu­

per de sa popularité et être capabled’assumer seul les bonnes déci­sions », écrit­il.

Dans ses Lettres, notes et carnets,le général de Gaulle, pour sa part, cherchait à puiser dans la mé­moire de la bataille de Montcor­net une leçon d’espoir. « Avec les morceaux épars, on peut faire quel­que chose de puissant, pour peu qu’on les rassemble – ce fut là toute l’histoire de notre 4e division cuirassée », écrivait­il. Mais cet homme sans cesse tiraillé par le démon de la dépression ajoutait à ce constat une conclusion plus sombre : « Nous sommes un pays qui passe sa vie à traverser des dra­mes et à en tirer de temps en tempsdes leçons sans que toujours mal­heureusement ces leçons suffisent à éviter le drame suivant. »

olivier faye

« Un référendumpeut être

le prétexte à unenouvelle vague

dégagiste », craint un stratège

de LRM

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0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 9

Duel à droite pour la tête des Hauts­de­SeineLes maires Georges Siffredi et Eric Berdoati s’affrontent pour succéder à Patrick Devedjian, mort du Covid­19

A près Charles Pasqua,Nicolas Sarkozy et Pa­trick Devedjian, quisera le prochain patron

des Hauts­de­Seine, l’un des dé­partements les plus riches de France ? Un mois et demi après la mort brutale de Patrick Devedjian,emporté par le Covid­19 à l’âge de 75 ans, deux hommes sont sur les rangs pour lui succéder à la prési­dence du conseil départemental. Deux maires de droite, réélus dès le premier tour des municipales demars : Georges Siffredi, l’homme fort de Châtenay­Malabry, et Eric Berdoati, celui de Saint­Cloud.

L’élection, d’abord bloquée parl’état d’urgence sanitaire, aura fi­nalement lieu le 25 mai, selon la convocation envoyée vendredi 15 mai. Mais l’affaire se jouera en réalité un peu auparavant, lors de la réunion des élus de droite qui dominent largement le conseil, avec 38 membres sur 46. « On s’ex­pliquera entre nous, on votera aubesoin, puis on présentera un seul candidat lors de la séance publique,à laquelle participent les élus de gauche », explique un pilier du dé­partement. « Cela s’annonce assez serré, aucun candidat ne s’im­pose », évalue un autre. « Et pour une fois, cela va se jouer sur le fond,les idées pour l’évolution du dépar­tement », pronostique Jean­Didier Berger, le maire Les Républicains (LR) de Clamart.

L’enjeu est d’importance. LesHauts­de­Seine ne constituent pastout à fait un département commeun autre. Paris mis à part, c’est à la fois le plus petit du pays, et celui

dont les habitants déclarent les plus hauts revenus : près de 43 000 euros en moyenne par foyer, deux fois plus que dans la Seine­Saint­Denis voisine. Avec la Défense, de nombreuses grandes entreprises y sont présentes. Le budget du département est l’un des plus élevés de l’Hexagone.

Politiquement, enfin, il s’agitd’une forteresse de droite, avec desfigures comme André Santini à Is­sy­les­Moulineaux, Patrick Balk­any et son épouse Isabelle à Leval­lois­Perret, ou Patrick Ollier à Rueil­Malmaison. Une poignée de communes défavorisées est néan­moins dirigée par la gauche, no­tamment communiste, et La Ré­publique en marche (LRM) a réa­lisé une percée importante lors des législatives de 2017.

« Revoir la ligne politique »Lorsque Patrick Devedjian est mort, rien n’était prévu pour sa succession. « Il laissait planer le doute sur son éventuelle candida­ture à une réélection en mars 2021 et, dans l’immédiat, nous étions fo­calisés sur les municipales », témoi­gne un maire. Dans l’urgence, c’estson premier vice­président, Geor­ges Siffredi, qui assure l’intérim.

Peu connu du grand public, ceCorse né à Marseille, fidèle de Charles Pasqua puis de Patrick De­vedjian, ambitionnait jusqu’alors de finir plutôt sa carrière comme sénateur. Mais quarante jours d’intérim lui ont donné l’envie de s’installer durablement dans le fauteuil de président du départe­ment. Jusqu’en mars 2021, terme

du mandat. Et au­delà, pour un mandat de plus. « Si je suis élu, j’aurai neuf mois pour démontrer à mes collègues que leur confiance n’est pas usurpée », confie­t­il.

A 63 ans, Georges Siffredi a pourlui une certaine légitimité. C’est unmaire apprécié, qui entame son cinquième mandat d’affilée à la mairie de Châtenay­Malabry, une commune de 33 000 habitants. Propulsé aux commandes du dé­partement en pleine crise sani­taire, il estime avoir agi efficace­ment : achats de masques, aide aux travailleurs pauvres, etc. « Son plan “Covid” de 80 millions d’euros tient la route », opine Pierre­Chris­tophe Baguet, le maire (LR) de Bou­logne­Billancourt, la plus grande commune du département. Sur­tout, Georges Siffredi semble l’hé­ritier le plus naturel de Patrick Devedjian, son « ami de trente­huit ans », dont il a été le suppléantà l’Assemblée, et le bras droit dans le département. « Il s’agit d’être dans la continuité », dit­il.

Avant de se lancer, Georges Sif­fredi a pris soin de sonder les poidslourds du conseil, en particulier Pierre­Christophe Baguet, qui en­visageait d’être candidat. « Il était inenvisageable qu’on se déchire, alors que nous étions tous deux trèsproches de Patrick Devedjian, re­late le maire de Boulogne. On s’est mis d’accord. Je le soutiens, et je se­rai son premier vice­président. »

Dans l’idéal, le président par in­térim aurait aimé se retrouver seul candidat. Mais la droite desHauts­de­Seine reste diverse. En 2017, pas moins de cinq listes conduites par des LR étaient en

concurrence pour les sénatoria­les ! Aujourd’hui, Eric Berdoati, 55 ans, ne compte pas s’effacer. Luiaussi paraît légitime, puisque cetex­LR désormais sans étiquette préside le groupe de droite au seindu conseil départemental. Et il souhaite porter une vision diffé­rente de celle de Georges Siffredi. « Cette épidémie et la crise écono­mique massive qui nous attend vont tout bouleverser, estime le maire de Saint­Cloud. Se glisser dans les chaussons de Patrick De­vedjian et recommencer comme avant, ce n’est pas la solution. Il faut revoir la ligne politique. »

A ses yeux, trois correctifs s’im­posent. D’abord, le conseil desHauts­de­Seine s’est sans doute un peu dispersé, en s’engageant notamment dans de grands pro­jets culturels. « Vu les circonstan­ces, il faut revenir à nos missions fondamentales, la santé, le social, l’éducation », plaide Eric Berdoati.Ensuite, « la crise va coûter cher aux communes, et le département

L’élection, d’abordbloquée par

l’état d’urgencesanitaire,

aura finalementlieu le 25 mai

doit les aider davantage », ajoute­t­il. Enfin, il préconise de stopper la fusion envisagée avec les Yveli­nes. « Ce projet était une astuce de Patrick Devedjian pour contrer la menace de suppression des dépar­tements et torpiller la montée enpuissance de la métropole, analy­se­t­il. Aujourd’hui, on peut conti­nuer les coopérations engagées avec les Yvelines, mais fusionner n’est plus nécessaire. »

Sur plusieurs points, les deuxcandidats ne sont à dire vrai pas si éloignés. Georges Siffredi entend lui aussi accentuer les dépenses sociales, et renforcer le lien avec lescommunes. Dans son plan d’ur­gence, n’a­t­il pas décidé de leur verser 10 euros par habitant ? Sur la fusion avec les Yvelines, en re­vanche, le maire de Châtenay­Ma­labry se montre un peu plus posi­tif. « Ce projet, on l’a tous voté, on vacontinuer à avancer, dit­il. Après mars 2021, il appartiendra à la nou­velle majorité de trancher. »

denis cosnard

Le droit du travailde nouveau assoupliDes règles sociales dans les entreprisesont été modifiées pour répondre à la crise

L e droit du travail n’en finitpas de se relâcher au con­tact du coronavirus. Ven­

dredi 15 mai, les députés ontadopté le projet de loi « portant di­verses dispositions liées à la crise sanitaire », qui assouplit, tempo­rairement, des règles encadrant les relations entre patrons et salariés. Tout comme les mesu­res prises, fin mars, pour alléger– provisoirement, là encore – les contraintes sur la durée du travail,ces changements sont justifiés par la nécessité de permettre aux entreprises de s’adapter aux conséquences de la récession.

L’une des principales modifica­tions porte sur les renouvelle­ments de contrats à durée déter­minée (CDD) et de contrats de tra­vail temporaire (CTT). Leur nom­bre pourra être fixé par une « convention d’entreprise » et dé­passer celui prévu par l’accord de branche (ou, à défaut, par la loi, s’il n’y a pas d’accord de branche). Cette nouvelle règle s’appliquera aux contrats conclus jusqu’au 31 décembre 2020. Il s’agit de « prolonger les relations de travail »qui ont été suspendues, notam­ment en raison du recours au chô­mage partiel, a expliqué, vendredi,Marc Fesneau, le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui défendait l’amendement gou­vernemental contenant cette dis­position. Le but est de « maintenir les compétences indispensables à lareprise de l’activité », a­t­il ajouté.

« Aucun garde-fou »La démarche a suscité des réser­ves au sein la majorité. Le député (La République en marche, Hauts­de­Seine) Jacques Maire a indiqué,lors des débats dans l’Hémicycle, qu’il serait préférable de laisser la

primauté aux accords de branche.Des représentants de la gauchesont intervenus pour dénoncerune mesure synonyme, à leurs yeux, de précarité accrue : « Ontombe du niveau de la loi à celui del’entreprise, sans aucun garde­fou, ouvrant ainsi la voie à une formede dumping », s’est indigné Pierre Dharréville, élu communiste desBouches­du­Rhône. Ce dispositif est voté « parce que le Medef vous l’a demandé », a estimé Loïc Prud’homme (La France insou­mise, Gironde).

Autre évolution controversée :le comité social et économique (CSE) – qui a, peu à peu, remplacé le comité d’entreprise – pourra utiliser une partie de son budget de fonctionnement (pas plus dela moitié) « au financement desactivités sociales et culturelles » proposées aux salariés. Cette ca­pacité d’initiative, qui résulted’un amendement porté par Cen­dra Motin (LRM, Isère), est don­née « à titre exceptionnel (…), jus­qu’à l’expiration d’un délai de sixmois à compter de la date de ces­sation de l’état d’urgence sani­taire ». L’objectif est « d’apporter un soutien matériel supplémen­taire » aux travailleurs.

La mesure a été très critiquée,en particulier par plusieurs syn­dicats. « C’est n’importe quoi !!! », alancé Laurent Berger, vendredi, sur le réseau social Twitter. Le secrétaire général de la CFDT craint que les CSE soient privés de ressources pour commander des expertises sur « l’emploi » etla « santé au travail ». Force ouvrière, pour sa part, a déploréqu’une telle décision soit arrêtée« sans consultation préalable desorganisations syndicales ».

bertrand bissuel

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Page 10: Le Monde - 19 05 2020

10 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123

L’université s’inquiète pour la « génération Covid »Les établissements réfléchissent déjà à l’organisation de la rentrée avec des étudiants fragilisés

A dmis, refusé, en at­tente… Il ne reste quequelques heures auxlycéens avant de dé­

couvrir les réponses à leurs vœux d’orientation dans l’enseigne­ment supérieur, sur la plate­formed’admission Parcoursup, mardi 19 mai à 17 heures.

Le confinement n’a pas bous­culé la procédure, qui concerne950 000 élèves de terminale, étu­diants en réorientation et reprised’études. Mais les universités se préparent à l’arrivée de cettegénération marquée par la crisedu Covid­19 avec de nombreuses interrogations. « Parcoursup étaitpeut­être la seule chose prêtepour le Covid », résume en riant Aurelle Levasseur, enseignante­chercheuse qui a examiné 3 379 candidatures pour la licenced’administration économique et sociale (AES) de l’université Sor­bonne­Paris­Nord.

Au cœur des dossiers des candi­dats figurent les notes obtenues au lycée, jusqu’au deuxième tri­mestre de terminale, qui a puavoir lieu, avant le début du confinement. La suppression desépreuves finales du bac n’a pasposé de problème non plus :ces résultats n’étaient déjà paspris en compte dans la procédurede sélection.

Ici ou là, on rapporte des évolu­tions à la marge, comme en mé­decine. « Nous avions l’habitudede lire l’ensemble des lettres demotivation, rapporte Djillali An­nane, doyen à Versailles. Cela n’apas été possible cette année, alorsqu’une grosse partie de nos effec­tifs est mobilisée sur la luttecontre la pandémie. » Un logiciel fonctionnant par mots­clés aremplacé l’œil humain.

Hausse des candidaturesSeul changement de taille : lesécoles qui organisaient des con­cours d’entrée postbac, comme les Sciences Po, ont remplacé leursépreuves par une sélection sur dossier. Ainsi, 2 000 formations ont révisé dans l’urgence leur ma­nière de sélectionner, d’après le ministère de l’enseignement su­périeur, sur les 15 000 filières pro­posées sur la plate­forme.

« Ce maintien de la procéduredans un calendrier inchangé per­met de donner un cadre commun et de la stabilité aux lycéens », sou­tient Jérôme Teillard, chargé du dossier Parcoursup au ministère. Et de maintenir la rentrée en sep­tembre : les dates « ne seront pas décalées », a affirmé FrédériqueVidal, la ministre de l’enseigne­ment supérieur, dans un entre­tien au Parisien le 7 mai.

L’inquiétude est cependant fortedans les établissements. Com­ment accueillir ces jeunes qui ont arrêté leur année de lycée le 16 mars ? Plus de trois mois de cours en moins, sans lien social au lycée, pas de rite initiatique du bac, et le tout avec une rentrée qui promet d’être bousculée.

« Nous avons demandé aux éta­blissements de prévoir que les cours magistraux puissent êtreofferts à distance », a indiquéFrédérique Vidal. L’annonce n’apas surpris grand monde, mais samise en musique, avec le main­tien probable de règles sanitaires et de distanciation physique stric­tes, promet un casse­tête dans des établissements aux amphisrégulièrement bondés.

L’enseignement supérieur a en­core vu croître les candidatures : 50 000 inscrits de plus cette annéesur la plate­forme, qui accueille dans le même temps un millier de formations en plus. Parmi eux,

20 000 élèves de terminale sup­plémentaires scolarisés en France ont ainsi confirmé des vœux − ils sont 658 000 au total. « Et il y a de fortes chances de voir plus de ly­céens que d’habitude décrocher le bac [avec les nouvelles modalités en contrôle continu], pointe JulienGossa, maître de conférences à l’IUT de Strasbourg. Le taux d’évic­tion, jusqu’ici d’environ 10 %, pour­rait être moindre… »

« La rentrée est un énorme soucipour nous, reconnaît Aurore

Chaigneau, doyenne de la faculté de droit à Nanterre, où l’amphi de prérentrée accueille quelque 1 000 étudiants chaque année. Nous n’avons aucune consigne claire du ministère, il faut organi­ser des réunions en urgence. » Oùsituer la « barre » maximale de l’effectif autorisé à venir ? Quid des pratiques sportives en filière Sciences et techniques des activi­tés physiques et sportives(Staps) ? En informatique, com­ment gérer des salles de travaux pratiques en permanence rem­plies avec des groupes qui pas­sent sur les mêmes claviers, à moins d’un mètre de distance ? Les questions sont sans fin.

C’est une « rentrée 2020 à hautrisque » avec le danger de « sacrifierune génération entière d’étu­diants », alerte­t­on dans les rangs syndicaux du Snesup­FSU, où l’on appelle déjà à un effort budgé­taire d’ampleur. A l’université Rennes­II comme ailleurs, c’est un

système d’alternance entre des cours « en présentiel » et « à dis­tance » qui est en réflexion. « Nous sommes déjà au maximum de l’uti­lisation de nos locaux, souligne Olivier David, président de l’uni­versité de sciences humaines bre­tonne. On ne pourra pas dédoublernos enseignements en plus petits groupes, en termes de ressources humaines, ce n’est pas possible. » Même les travaux dirigés, logique­ment en effectifs réduits, vont de­voir fonctionner avec des « rota­tions », pour respecter les règles de distanciations, prévoit­il.

« Non-sens pédagogique »Chez les universitaires, l’injonc­tion au « distanciel » est loin de faire l’unanimité. Doyen de la fa­culté de droit de Reims (Marne),Julien Boudon a fait ses calculs : entre les cours magistraux à dis­tance, qui représentent près desdeux tiers de ses enseignements,et les travaux dirigés en rotation, ses futurs étudiants de licence se retrouveraient avec moins de 20 % de cours en « présentiel »… « Je m’y refuse, c’est un non­sens pédagogique, tempête­t­il. Qu’onarrête de nous vendre cet ensei­gnement soi­disant hybridecomme une solution, c’est unleurre motivé par des considéra­tions budgétaires, il faut trouverd’autres solutions. Pourquoi ne pas repousser la rentrée, le temps d’apaiser les craintes ? »

C’est une population « plus fra­gile » qui va arriver sur les bancsuniversitaires, après avoir quittéle lycée en mars, pointe Françoise Lambert, du syndicat SGEN­CFDT.Le passage à l’université constituedéjà un moment difficile pour de nombreux lycéens, avec des taux d’échec importants. « Le décalage sera encore plus lourd, ça risque d’être l’hécatombe », craint l’ensei­gnante­chercheuse de Poitiers.

Des dispositifs pour comblerles lacunes doivent être envisa­gés en classes préparatoires ou en BTS, avec des heures d’ensei­gnement supplémentaires, plai­de­t­on au Syndicat national des personnels de direction de l’édu­cation nationale (SNPDEN). « Les manques ne seront pas les mêmespartout », note Philippe Vincent, à la tête du syndicat.

Dans les universités, où les ef­fectifs étudiants sont plus four­nis et les moyens financiers trèscontraints, l’opération promet d’être ardue. « On a déjà prévu desremises à niveau pour nos étu­diants de deuxième et troisièmeannées de licence, décrit un ensei­gnant­chercheur. Mais il en fau­drait aussi pour ces jeunes quiarriveront en première année. »

Dans les disciplines scientifi­ques, le programme du lycée a toute son importance pour sui­vre ensuite à la fac.

« Chez nous, la plupart des matiè­res, ils ne les suivent pas au lycée, rassure néanmoins Didier Deli­gnières, professeur en Staps à Montpellier. Je n’ai pas d’inquié­tude sur le niveau, ce ne sont pas trois mois de cours qui vont chan­ger ce qu’ils sont, ils récupéreront sans problème. » C’est moins la question des prérequis que celle de l’acquisition de « l’autonomie », qui fait dire à son collègue Olivier Oudar, vice­président à l’univer­sité Sorbonne Paris­Nord, qu’il faudra « cibler ces néoentrants pour les accueillir en priorité ».

« La rentrée se prépare mainte­nant, mais c’est très difficile dansun contexte où nous essayonsdéjà de boucler les examens de nos étudiants… », souligne Ga­briel Galvez­Behar, doyen de la fa­culté des humanités à Lille, qui compte 6 700 étudiants. « D’unpoint de vue pédagogique, leséquipes seront bien sûr attentives au fait que ces bacheliers ont eu une fin d’année problématique,mais cela devra aller plus loin,dit­il. Nous vivons une crise qui estaussi morale, intellectuelle ; le rôlede l’université est d’armer les étu­diants dans leur réflexion. »

camille stromboni

« Derrière la fracture numérique, c’est la ségrégation sociale »A la tête de Sorbonne Université, Jean Chambaz plaide pour que l’enseignement « présentiel » ne soit pas sacrifié

ENTRETIEN

P our Jean Chambaz, leprésident de Sorbonne Uni­versité – mastodonte pari­

sien de 55 000 étudiants en lettres, médecine, sciences et ingénierie –, qui travaille au développement d’un enseignement « hybride », entre cours en présentiel et cours à distance, « tout ne peut se faire à distance ».

Comment envisagez­vous la rentrée en septembre, avec de nouveaux étudiants qui auront fini leur année de lycée le 16 mars et des règles sanitaires strictes ?

Le retour de ces jeunes à une viesociale et collective me paraît in­dispensable le plus rapidementpossible. Dans le respect des con­

ditions sanitaires, bien sûr, notre priorité sera de les accueillir pour leur remettre le pied à l’étrier cor­rectement. On ne peut se passer d’un vrai « contact » avec eux à larentrée, tout ne peut pas se faire « à distance ».

Il nous faudra les former auxpratiques universitaires et aux outils, puis les accompagner avecdes modules de tutorat et de re­médiation. Derrière ce qu’on ap­pelle pudiquement la fracture nu­mérique pour les étudiants, ce n’est rien d’autre que la ségréga­tion sociale que l’on voit à l’œuvre.

Nous ne pouvons pas y remé­dier pleinement, mais il faut àtout prix l’atténuer, pour donner des chances réelles aux jeunes demilieux modestes de réussir leursétudes. Ainsi, pour ceux qui en auront besoin, sur critères so­

ciaux, nous allons mettre en placeun welcome pack [pack de bienve­nue], avec les équipements néces­saires pour travailler correcte­ment à distance.

Etes­vous prêt à déployer un enseignement à distance plus généralisé, notamment pour les cours magistraux, comme le prévoit le gouvernement ?

Nous y travaillons. Mais il nes’agit pas juste de remplacer le cours en amphi par des cours en li­gne. C’est un enseignement « hy­bride » que nous construisons, ce qui nécessite du temps et une ré­flexion pédagogique. Cela sup­pose un mix entre le « distanciel » et le « présentiel ».

L’essentiel, c’est de réussir à mo­biliser nos équipes, qui sont déjà éprouvées par le confinement,

avec un basculement du jour au lendemain dans un enseignementtotalement à distance. L’enjeu est de transformer l’expérience accu­mulée en une démarche organiséeet construite. Nous ne partons pas de rien, et nous revoyons nos li­gnes budgétaires pour renforcer les moyens des studios de fabrica­tion et pour recruter davantage d’ingénieurs pédagogiques.

Il y a aussi une question d’infras­tructure numérique. Si nous som­

mes aujourd’hui sur Zoom [appli­cation de visioconférence] ou d’autres outils dont la France n’a pas la maîtrise, c’est parce qu’au bout de trois jours de confine­ment Renater, le réseau national public et sécurisé, a fait pschitt.

Que retirez­vous de cette crise ?C’est avant tout la démonstra­

tion de l’efficacité incroyable du service public. A l’hôpital, bien sûr,mais aussi à l’université, qui ne s’est jamais arrêtée. Le fait d’être un opérateur public nous a permisde jouer notre rôle. On voit à quel point cela est précieux en enten­dant nos collègues britanniques qui demandent une aide de l’Etat de plusieurs milliards d’euros, sous peine de ne pouvoir rouvrir.

Plutôt que de parler du monded’après, qui ne sera pas différent

« On ne pourrapas dédoubler nos

enseignementsen plus

petits groupes »OLIVIER DAVIDprésident de l

’université Rennes-II

LES DATES

19 mai Les réponses des forma-tions du supérieur interviennent à partir du mardi 19 mai, à 17 heures. Les candidats accep-tent ou refusent les propositions qu’ils reçoivent dans un flux continu, libérant ainsi des places pour d’autres. Ils ont au départ cinq jours pour répondre à une proposition, puis trois jours à partir du 24 mai. Cette phase s’achève le 17 juillet.

16 juin La phase complémentaire va s’ouvrir plus tôt que les années précédentes. Elle permet aux candidats n’étant pas satisfaits des réponses reçues ou n’ayant eu aucune proposition favorable de postuler dans les formations qui ont encore des places vacantes, jusqu’au 13 septembre.

8 juillet Au lendemain des résultats du bac, les lycéens sans proposition peuvent sollici-ter l’aide d’une commission d’accès à l’enseignement supérieur dans leur académie, pour trouver une formation.

du monde d’avant, il faut parler desolutions nouvelles. Il ne faudra pas oublier l’importance de ce modèle social. Ce ne sont pas les solutions néolibérales du monde d’hier qui nous ont permis de sor­tir de la crise, mais ce sont plutôt elles qui nous ont menés dans le mur. De même, ce ne sont pas les seuls « premiers de cordée », mais l’ensemble des acteurs qui ont per­mis de faire tourner la machine.

Pour l’enseignement commepour la recherche, une recapitali­sation du secteur est indispensa­ble. La crise devrait nous permet­tre de laisser derrière nous la vision « darwinienne » et l’appro­che « inégalitaire » prônés par cer­tains. La future loi de programma­tion pluriannuelle de la recherche ne pourra pas être la même.

propos recueillis par c. st.

« Le fait d’êtreun opérateur public nous a

permis de jouernotre rôle »

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Page 11: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 france | 11

LGBTphobie : forte hausse des témoignagesde victimesL’association SOS Homophobie relève une augmentation de 26 %. Du jamais­vu depuis 2013

U ne hausse « inquié­tante ». Dans sondernier rapport an­nuel, présenté lundi

18 mai, l’association SOS Homo­phobie s’alarme de l’augmen­tation de 26 % du nombre de té­moignages reçus en 2019, sur saligne d’écoute téléphonique et son site Internet.

L’association, qui lutte contreles discriminations liées àl’orientation sexuelle, a recueilli en 2019 2 396 témoignages, con­cernant 1 899 situations. « Cettehausse illustre un double mou­vement : à la fois une prise deparole accrue des victimes, quisont encouragées à témoigneret veulent signaler des actes qu’el­les ne laissent désormais plus passer, et aussi la persistance des actes et propos LGBTphobes dansla société française », considèreJérémy Falédam, coprésidentde l’association.

La grande majorité de ceux etcelles qui ont composé le nu­méro de sa permanence télépho­nique ont été confrontés enpremier lieu au rejet de leur en­tourage (72 % des cas rapportés).Les autres situations portent sur des cas de discriminations,de diffamation, du harcèlement,

des menaces, des agressions phy­siques et/ou sexuelles, de dégra­dations, d’outing (révélation del’homosexualité d’une personnesans son consentement) maisaussi de licenciements… Dans quasiment la moitié des cas, desinsultes accompagnaient les ac­tes et propos dénoncés.

« Visibilité interdite »Fait notable, l’expression de lahaine sur Internet a connu un bond de 56 % par rapport à l’an­née précédente − 596 cas en 2019contre 383 en 2018. Une « explo­sion » qui s’explique notamment,selon les auteurs du rapport, parle contexte politique, marqué parle débat autour de l’ouverture dela procréation médicalementassistée (PMA) aux couples de

lesbiennes. « Tout au long de l’an­née, sur les réseaux sociaux etdans de nombreux médias, la pa­role a été donnée aux tenantsd’une famille traditionnelle et conservatrice qui refusent que les personnes LGBT accèdent àune égalité des droits », regrette Jérémy Falédam.

L’association dresse d’ailleursle parallèle avec la déferlante ho­mophobe ayant accompagnél’adoption de la loi ouvrant lemariage aux couples de mêmesexe. L’année 2019 figure ainsi enseconde place, après 2013, dans lesignalement d’actes LGBTphobes

depuis la création de son rapportannuel. Et ceci alors que le projetde loi de bioéthique, voté en pre­mière lecture, doit encore retour­ner à l’Assemblée nationale pourêtre adopté définitivement.

En 2018, SOS Homophobie sou­lignait une hausse « spectacu­laire » des cas de lesbophobie. Consciente d’être sollicitée majo­ritairement par des hommes pour diverses raisons, l’associa­tion a décidé d’affiner son ana­lyse des situations dénoncées pardes femmes lesbiennes, de l’ordrede 300 spécifiquement en 2019.

Il en ressort que ces dernières,quand elles s’affichent en couple,risquent davantage d’être agres­sées que leurs homologuesmasculins. Ainsi, 58 % des agres­sions visant des femmes les­biennes dans l’espace public sur­viennent quand elles sont en couple, contre 22 % pour les hom­mes. Cette forte proportion s’ex­plique notamment par leur plusforte vulnérabilité. « Des actesanodins pour des couples hétéro­sexuels, comme se tenir la main,marcher côte à côte, se serrer dansles bras ou s’embrasser dans larue, deviennent une vraie prise derisque pour un couple de fem­mes », relève le rapport, en dé­nonçant une « visibilité interdite pour les lesbiennes ».

Autre tendance observée en2019 : la forte augmentation d’agressions physiques rappor­tées par des personnes trans­genres (+ 130 % par rapport àl’année précédente). A l’image dela hausse globale des témoigna­ges, l’augmentation de ce seg­ment reflète à la fois le refusdes hommes et des femmes transgenres de tolérer ces vio­lences, mais aussi la grande cris­pation d’une partie de la société face à ces derniers.

Un tournantLes temps ont bien changé de­puis dix ans et l’apparition,en 2009, du chapitre « trans­phobie » dans l’étude annuelle del’association. A l’époque, 15 per­

« Se tenir la main,marcher côte à

côte, s’embrasserdans la rue,

deviennent uneprise de risquepour un couple

de femmes », relève le rapport

sonnes seulement avaient ap­pelé la ligne téléphonique pour témoigner. « En 2020, c’est pres­que quatorze fois plus de cas detransphobie qui nous ont été si­gnalés », relève l’association.

Les images extrêmement re­layées sur les réseaux sociaux del’agression de Julia, femmetransgenre insultée et frappée le31 mars 2019 place de la Républi­que, à Paris, en marge d’un ras­semblement contre le régime al­gérien d’Abdelaziz Bouteflika, ont marqué un tournant récem­ment. « Le cas de Julia, mais aussicelui de Maël, un étudiant transagressé à Besançon, ont permis àplus de personnes transgenresde se sentir légitimes de parler de ce qu’elles vivent », expliqueM. Falédam, qui salue aussi« l’émergence de figures médiati­ques plus visibles comme l’humo­riste Océan ».

Il n’empêche que, selon le res­ponsable associatif, « tout ce qui dévie de la norme risque encore d’être la cible de l’intolérance », avec des conséquences qui peu­vent être lourdes. Ainsi, l’isole­ment, la dépression, et plus large­ment l’expression d’un mal de vivre guettent les victimes deLGBTphobies, en particulier lesplus jeunes, s’alarme le rapport.

solène cordier

en 2019, le ministère de l’intérieur a recensé 1 870 per­sonnes victimes d’infractions à caractère homophobe outransphobe, principalement des injures ou agressions,soit une hausse de 36 %. Elles étaient 1 380 en 2018, déjà enaugmentation de 33 % par rapport à l’année précédente.« C’est une hausse tendancielle et progressive, qu’on observedepuis trois ans », rappelle Frédéric Potier, délégué inter­ministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti­LGBT (Dilcrah).

Il avance deux phénomènes, l’un n’excluant pas l’autre,pour l’expliquer. « On a une homophobie profondément an­crée dans la société, avec des phénomènes de rejet qui sont liésà l’octroi de davantage de droits pour les personnes LGBT, comme le mariage. Mais en parallèle, ces chiffres illustrentaussi le travail des associations qui accompagnent les victimeset les encouragent à porter plainte. » Reste que ces statistiquessont loin de refléter l’ampleur des actes homophobes, un grand nombre de victimes renonçant encore bien souvent àalerter les forces de l’ordre. « Ces chiffres s’inscrivent dans uncontexte plus large de progression des actes de haine et des extrémismes identitaires », relève le ministère de l’intérieur, qui salue dans son communiqué la « meilleure sensibilisationdes forces de l’ordre » aux LGBTphobies, notamment grâce autravail de l’association Flag !

Plan d’urgenceDans le détail, les violences − physiques et sexuelles −concernent 28 % des plaintes. Les injures et les outrages re­présentent, eux, 33 % des infractions enregistrées, indique le service de statistiques du ministère de l’intérieur. « On anotamment relevé beaucoup de menaces et d’insultes en lignelors de l’adoption en première lecture du projet de loi ouvrantla procréation médicalement assistée aux couples de femmeslesbiennes », précise M. Potier. Du côté du secteur associatif,le constat est partagé, comme en témoigne la recrudescencede signalements enregistrés en 2019 par l’association SOSHomophobie, attribuée en partie au contexte politique.

De même qu’en 2018, les victimes qui poussent la porte descommissariats et des gendarmeries sont majoritairementdes hommes (75 %) et assez jeunes : 62 % sont âgés de moinsde 35 ans. « La géographie des plaintes, avec 36 % des infrac­tions survenues dans des aires urbaines supérieures à 200 000 habitants, prouve que l’homophobie touche tout leterritoire », ajoute Frédéric Potier.

Le phénomène s’est d’ailleurs vérifié récemment, en pé­riode de confinement. Les associations luttant pour les droits des personnes homosexuelles ont été contactéespar des jeunes se trouvant en situation de danger dansleurs familles, en raison de leur orientation sexuelle. Pour yremédier, les pouvoirs publics ont annoncé un plan d’ur­gence, doté de 300 000 euros. Depuis, une quarantainede jeunes ont été mis à l’abri grâce à un système de nui­tées hôtelières, déployé sur tout le territoire. Un dispositifd’urgence qui sera maintenu jusqu’au 10 juillet, date de la finde l’état d’urgence sanitaire.

s. cr

Les chiffres officiels grimpent aussi nettement en 2019

Autre tendanceobservée : la forte

augmentation (+ 130 %)

d’agressions rapportées pardes personnes

transgenres

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Page 12: Le Monde - 19 05 2020

12 | INTERNATIONAL MARDI 19 MAI 20200123

Fin de cavale pour le génocidaire KabugaL’homme d’affaires, l’un des grands responsables de la tragédie du Rwanda, a été arrêté samedi, à Asnières

RÉCITla haye, johannesburg ­

correspondants

S on seul nom ne fera plustrembler. Aucune mortmystérieuse et violentene frappera ceux ou celles

lancés à sa poursuite. Nulle théoriesur les protections secrètes dont il a, ou pas, bénéficié, ne pourra plus fleurir. Félicien Kabuga, recherché pour son rôle central dans le géno­cide commis au Rwanda, d’avril à juillet 1994, n’est plus qu’un petit homme en mauvaise santé de 84 ans, qui vivait sous une identitéd’emprunt et a été arrêté dans un appartement à Asnières (Hauts­de­Seine), samedi 16 mai, au termede vingt­six ans de cavale et de deux mois de confinement en France. Le vieillard a, d’une cer­taine façon, été trahi par ce qu’il nepouvait ni corrompre ni effrayer : le temps, mais aussi le Covid­19, qui l’a obligé à rester confiné dans son immeuble, de peur d’être con­taminé. Et, au final, un regain d’in­térêt pour sa personne.

L’homme d’affaires rwandaisétait établi en France « depuis plu­sieurs années », sous une identité d’emprunt, selon une source judi­ciaire à La Haye. Il était jusqu’ici l’un des derniers grands responsa­bles du génocide rwandais encore en liberté, et en vie. En tant que « financier du génocide », il était aussi le plus recherché. Dans les prochains jours, une audience de­vrait se tenir devant la chambre des mises en accusation à Paris. Fé­licien Kabuga aura la possibilité decontester son arrestation. Il de­vrait être ensuite transféré à la pri­son du « Mécanisme » à La Haye, lajuridiction chargée des dossiers dits « résiduels » des tribunaux pénaux internationaux, comme le TPIR (en charge des acteurs du génocide rwandais) qui était établià Arusha, en Tanzanie, et a fermé ses portes en 2015.

Lors de sa première comparu­tion, il dira s’il plaide coupable ou non coupable. Mais décidera­t­il ensuite de lever le voile sur les complicités dont il a bénéficié

pendant deux décennies ? « Cette arrestation ramène à la surface bien des questions demeurées sans réponse depuis vingt­six ans, es­time le spécialiste du Rwanda et expert du TPIR, le sociologue André Guichaoua. L’évacuation de douze membres de la famille Ka­buga par l’ambassade de France à Kigali le 12 avril 1994, son séjour en Europe à partir de juillet 2007 avec son gendre pour y être hospitalisé et opéré pendant plus d’un mois, ses déménagements entre l’Alle­magne, la Belgique, le Luxembourg et peut­être la Suisse au moins jusqu’en novembre, sans qu’appa­remment aucun pays ne souhaita récupérer cet hôte encombrant. » Comme tous les procès devant la justice internationale, celui­làdevrait durer plusieurs années.

Un « rêve » de procureur« Chaque procureur [du TPIR] a rêvé d’avoir Kabuga, constate Thierry Cruvellier, qui a suivi les procès et les enquêtes de ce tribu­nal en Tanzanie. Ce rêve, c’est aussi celui qui a échappé jusqu’ici à tous les procureurs de juridictions consacrées aux grands crimes de masse : toucher les financiers. » Le rôle de Félicien Kabuga dans le « crime des crimes », qui a provo­qué la mort de 800 000 person­nes, était sans doute plus large en­core que cette fonction. En tant que membre de la nomenklatura du pouvoir hutu de l’époque, il a noué, dès les années 1980, des al­liances au plus haut du pouvoir duprésident Juvénal Habyarimana, grâce à son entregent et aux ma­riages de ses enfants. Une de ses filles avait épousé Jean­Pierre, le premier fils du couple Habyari­mana ; une autre, l’un des hauts responsables du groupe de mili­ciens Interahamwe. L’une de ses sœurs était la conjointe du minis­tre du plan, Augustin Ngiraba­tware, qui a joué un rôle importantdans le génocide.

Pas autant, toutefois, que celuide son beau­père. Félicien Kabuga,fils de paysans pauvres du nord duRwanda, a peut­être commencé dans la vie « en vendant des pa­niers », comme l’affirmait l’une de ses filles lors d’un témoignage au TPIR. Après le colportage, il avait

étendu dans ce cas ses activités avec succès au thé, au commerce de gros, puis à l’import­export, nouant des liens politiques au plus haut de l’Etat. Il a ensuite jouéun rôle de premier plan dans la ra­dicalisation du pouvoir, puis dans le détournement de fonds publics en vue de la préparation des massacres, et, enfin, des tentativespour reprendre le pouvoir par les armes au Rwanda. Il était visé par un mandat d’arrêt émis par le TPIR depuis 1997. Le département d’Etat américain avait offert, de­puis 2002, une récompense de 5 millions de dollars (4,6 millions d’euros), pour toute information permettant son arrestation. Pour avoir tenté de l’attirer dans un piège et de toucher le pactole, une personne au moins, un journalisteaffairiste, a été tuée au Kenya. In­versement, payer sa protection auprès de responsables a dû être extrêmement coûteux, d’autant que Félicien Kabuga était aussi fi­ché par Interpol. Mais l’homme d’affaires, sans doute fort riche, avait toujours échappé de justesse à ses poursuivants. Des protec­tions lui ont permis d’y échapper pendant longtemps au Kenya, avant que sa cavale ne le mène en Europe et, finalement, en France. Puis « tout s’est accéléré il y a deux mois », indique, à Paris, l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH).

C’est, selon des sources concor­dantes, le suivi par le biais de leurs téléphones portables des mouve­ments de ses enfants qui a permis aux enquêteurs d’identifier un immeuble banal, à Asnières, vers lequel tous semblaient converger. Thierry Cruvellier, observateur de longue date de la justice du géno­cide, sur laquelle il a écrit l’ouvrage

de référence (Le Tribunal des vain­cus, Calmann Lévy, 2006), note : « Depuis quelques années, Kabuga n’était plus du tout dans le radar. Il a fallu que l’année passée, le procu­reur [du Mécanisme], Serge Bram­mertz, remette l’accent sur lui pour que les recherches reprennent. Et enréactivant ce dossier froid, il semblequ’il a été localisé, au fond, avec desmoyens très simples. »

Dans le passé, cela n’avait pas étésuffisant. Fin novembre 1999, une vingtaine d’hommes de la bri­gade antiterroriste enfonçaient, à l’aube, la porte d’un petit apparte­ment du 13e arrondissement de Paris. Ils y trouvaient l’un de ses fils. Des documents étaient saisis. Dans la foulée, les comptes de cinqdes treize enfants de l’homme d’affaires avaient été gelés, ainsi que celui du couple Kabuga. Augustin Ngirabatware, son gen­dre, qui disposait d’amitiés solidesau Quai d’Orsay, avait été alerté et s’était envolé quelques jours plus tôt vers Libreville.

Il ne sera finalement arrêtéqu’en 2007 en Allemagne, près de Francfort, alors qu’il y organisait en secret une opération chirurgi­cale que devait subir son beau­père. M. Kabuga avait alorséchappé aux agents de la police allemande et à ceux du TPIR. Maisentre des protecteurs « toujoursplus gourmands », et la détermi­nation de Carla Del Ponte, sa ca­vale était devenue plus compli­quée. Sa reddition auprès du TPIR avait même été annoncée. A tort. Sa dernière arrestation ratée re­montait à Noël 2018. Lors du décès de son épouse, en Belgique, les enquêteurs du Mécanisme s’étaient déguisés, espérant repé­rer le fugitif dans le cortège. Ilsavaient été rapidement débus­qués. Encore un échec.

La cavale de l’homme d’affaires,longtemps, semble avoir été pro­tégée au plus haut niveau, notam­ment au Kenya, où le président de l’époque, Daniel arap Moi, était unallié. Le pouvoir rwandais utilisait d’ailleurs, à l’aube du génocide, le Kenya pour y acheminer des ma­chettes – 581 tonnes dans l’annéeprécédant les massacres –, avec Kabuga en artisan de cette acti­vité. Lorsque commencent les

tueries, dans la nuit du 6 avril 1994, l’homme d’affaires est à la manœuvre au Rwanda. Installé à Gisenyi, dans le nord du pays, il prend part à la création du Fonds de défense nationale (FDN),un organe au cœur de la machine génocidaire. L’entrepreneur con­trôle les comptes des entreprisesd’Etat, dont les recettes seront directement allouées aux « frais de restauration » des tueurs ou à l’achat d’armes, et serviront de trésor de guerre. Le FDN se consa­cre aussi à ce qu’on appellerait aujourd’hui « la narration » des massacres en cours. Déjà, en 1993, constatant que la mobilisation de la population pour effectuer des massacres s’effectue d’autant mieux qu’on l’accompagne de chansons et de plaisanteries sca­breuses, l’idée était venue de créerune radio à l’ambiance musicale déchaînée : la Radio­télévision libre des Mille Collines (RTLM), dont Félicien Kabuga est l’un des fondateurs et principaux res­ponsables.

Lorsque le régime s’effondre de­vant l’avancée de la rébellion tutsi,qui mettra fin aux massacres, le « financier » s’envole vers la Suisse,n’y obtient pas l’asile, et est ex­pulsé vers le Zaïre de Mobutu, autre vieil allié. C’est sur le terri­toire de la future République dé­mocratique du Congo (RDC) que seréorganisent les génocidaires, noyés dans une foule de civils massés dans des camps le long de la frontière avec le Rwanda. L’am­biance est terrible. Une épidémie de choléra s’y déclare. Félicien Ka­buga préfère s’envoler vers le Ke­nya, sans doute avec une fortune conséquente. Il est loin d’avoir abandonné le combat.

Des photos des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda de 1994, au Mémorial du génocide de Kigali, en avril 2019. BEN CURTIS/AP

Lors du décès de son épouse, en

Belgique, les enquêteurs s’étaientdéguisés, espérant

repérer le fugitif dans le cortège. Encore un échec

Dans les années 2000, une rébel­lion hutu se réorganise dans l’est de la RDC pour revenir au Rwanda « terminer le travail », c’est­à­dire achever d’exterminer les Tutsi. Lesrebelles se dispersent sur un arc deplus d’un millier de kilomètres, vi­vent dans des zones reculées, ex­ploitent des minerais, font des en­fants. De loin, ils ressemblent aux combattants perdus d’une guerre terminée. En réalité, une coordina­tion unit leurs mouvements. De­puis le Kenya, de jeunes combat­tants rejoignent même « la forêt », comme ils disent. Certains vien­nent du quartier de Kayole, à Nai­robi, où s’est organisée une com­munauté de Rwandais hutu. Une de nos sources, originaire de ce milieu, détaillait alors l’organisa­tion de l’aide aux combattants dans la lointaine forêt congolaise.

Guerre sans fin, sans pardonDes camions de marchandises étaient affrétés dans la capitale ké­nyane, chargés de biens et de jeu­nes hommes. Ils prenaient la di­rection du sud, descendaient à tra­vers la Tanzanie, passaient en Zambie, où ils trouvaient d’autres groupes prorebelles installés en Afrique australe, puis contour­naient la pointe sud du lac Tanga­nyika pour se diriger vers les Kivu, dans l’est de la RDC. Un long voyage, et une logistique à toute épreuve. Au retour, les camions amenaient de sacs de minerai, no­tamment de coltan, dont les prix avaient alors flambé.

La figure tutélaire qui organisaitalors ces trafics, dont la program­mation se discutait dans des villas cossues de Nairobi, notamment dans le complexe résidentiel de Runda, n’était autre que Félicien Kabuga. Plus de dix ans après la findu génocide, alors que beaucoup de responsables du régime de 1994avaient été arrêtés, vivotaient dans la clandestinité ou étaient morts sous des identités d’em­prunt, Félicien Kabuga continuait de participer à cette guerre sans fin, sans pardon, sans autre espoir que celui de reprendre le contrôle du Rwanda, les armes à la main. L’homme du génocide total.

stéphanie maupas et jean­philippe rémy

C’est par le suivi des téléphones desenfants de Kabugaque les enquêteurs

ont identifié un immeuble banal,

à Asnières

LE PROFIL

Félicien KabugaFélicien Kabuga, 84 ans, fut l’une des pièces maîtresses du génocide des Tutsi, au Rwanda, en 1994, en mettant sa fortune et ses réseaux au service du fi-nancement des tueries, selon l’acte d’accusation. Son entrée dans le sérail fut définitivement scellée lorsque, en 1993, une de ses filles épousa le fils aîné du président Juvénal Habyarimana. Il crée le Fonds de défense nationale, qui devait servir à l’achat d’armes, notamment de machettes, pour les milices hutu Interahamwe. Félicien Kabuga était par ailleurs président du Comité d’initiative de la triste-ment célèbre Radio-télévision libre des Mille Collines qui pro-pageait l’idéologie hutu extré-miste et des discours d’incitation à la haine contre les Tutsi. Il est également accusé d’avoir direc-tement supervisé les massacres commis par les Interahamwe de Gisenyi (nord-ouest) et de Kimironko, un quartier de Kigali. En 1994, il était réputé l’homme le plus riche de son pays. Sa réussite était telle qu’un paysan aisé était surnommé « Kabuga ».

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A Sarajevo, protestations contre une cérémonie pro­oustachie en CroatieZagreb, qui préside l’UE, a organisé un hommage aux soldats du régime pronazi

P our la première fois en Eu­rope depuis 1945, un paysexerçant la présidence de

l’Union européenne (UE) a orga­nisé un événement marquant de facto une sympathie pour l’ère na­zie. La Croatie, actuellement prési­dente pour six mois du Conseil de l’UE, a honoré, samedi 16 mai, à Zagreb et Sarajevo, la mémoire dessoldats de l’Etat oustachi croate pronazi, tués par le mouvement de résistance yougoslave en 1945.

La « commémoration de Blei­burg » a généralement lieu dans cevillage de Carinthie, en Autriche, où des vaincus oustachis ont été faits prisonniers et exécutés par les partisans communistes à la fin de la seconde guerre mondiale. A l’origine une manifestation confidentielle, elle est devenue, depuis l’indépendance de la Croa­tie en 1991, un point de ralliement des nationalistes croates et de néonazis européens. Vienne ayantcette année interdit le rassemble­ment pour cause d’épidémie de Covid­19, le Parlement croate a dé­cidé d’organiser les célébrations dans un cimetière de Zagreb et, avec l’appui de l’Eglise catholique et de l’Union démocratique croate (HDZ, nationaliste) de Bosnie, dans la cathédrale de Sarajevo.

Si ce genre de commémorationest récurrent en Croatie depuis trente ans, l’annonce de la messe célébrée par l’archevêque de Sara­jevo, le cardinal Vinko Puljic, a pro­fondément choqué les habitants de la capitale de Bosnie­Herzégo­vine. Depuis des semaines, des or­ganisations antifascistes et des re­présentants des communautés juive, serbe et rom, principales vic­times de la terreur nazie entre 1941et 1945, ont dénoncé l’organisa­tion de l’événement, rejoints par les partis bosniaques musulmans.

Cinq mille personnes sont des­cendues samedi dans les rues de laville, à l’heure où la messe était cé­lébrée devant une vingtaine de prêtres. La manifestation a com­mencé dans le quartier de Marijin Dvor, où le dernier crime oustachi a été commis en mars 1945 (la pen­daison publique de 55 militants antifascistes), et s’est achevée de­vant la Flamme éternelle, un mo­nument célébrant la libération de Sarajevo le 6 avril 1945.

Les Sarajéviens ont scandé« Mort au fascisme, liberté au peu­ple ! », le slogan de la Yougoslavie. « C’est la réponse de la Sarajevo citoyenne, libre et antifasciste à ceux qui essayent de célébrer les cri­minels de guerre », a déclaré l’orga­nisateur de la manifestation, Nijaz Skenderagic, président de l’Asso­ciation des antifascistes.

La manifestation avait pourles Sarajéviens un parfum de 5 avril 1992 lorsque, à la veille de la guerre de Bosnie, ils étaient des­cendus dans les rues en chantant les mêmes slogans afin de clamer leur droit de vivre ensemble. A l’époque, la menace venait des na­tionalistes serbes, qui allaient as­siéger la ville durant près de quatreans. « J’ai eu peur que cette messe soit cette fois un piège des nationa­listes croates pour mettre de nou­veau le feu aux poudres, déclare l’intellectuel sarajévien Haris Pa­sovic, organisateur du Festival des arts et de la politique. Heureuse­ment, il n’y a eu aucune violence. Sarajevo a démontré, comme pen­dant le siège, que l’esprit de la civili­sation et la volonté de vivre ensem­ble est l’essence de la ville. »

Le silence de l’UESi l’ambassadeur américain à Sara­jevo s’est ému, « l’année du 75e an­niversaire de la fin de la seconde guerre mondiale et du 25e anniver­saire de la fin de la guerre de Bos­nie », d’une commémoration s’ap­parentant à du « révisionnisme », leplus étonnant est sans doute l’ab­sence de réaction de l’Union euro­péenne. Ni Bruxelles, ni aucune ca­pitale européenne, ni les déléga­tions et ambassades à Sarajevo ne se sont émus que le pays présidantl’UE honore les oustachis.

La seule voix à s’élever fut cellede la commissaire aux droits hu­mains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic. La diplomate a mis en garde contre « le risque de glorification de ceux qui ont sou­tenu le régime oustachi pronazi, complice de la mort de centaines demilliers d’êtres humains » et contre ce qui pourrait être « un choc allantcontre les efforts de réconciliation » dans la région. Mais Mme Mijatovic,elle­même sarajévienne, ne repré­sente pas l’Europe politique.

rémy ourdan

Iran : cinq ans de prison pour la Franco­Iranienne Fariba AdelkhahLa France réclame la libération de la chercheuse arrêtée en juin 2019, en même temps que son compagnon, Roland Marchal, relâché en mars

A près presque un an de dé­tention « provisoire » dansla prison d’Evin à Téhé­

ran, la chercheuse franco­ira­nienne Fariba Adelkhah, 61 ans, a été condamnée à cinq ans de pri­son, a annoncé samedi 16 mai son avocat, Saïd Dehghan. La justice iranienne a retenu contre l’an­thropologue les charges de « ras­semblements et collusion en vue d’agir contre la sécurité nationale » et « propagande » contre la Répu­blique islamique. Pour cette der­nière accusation, la Franco­Ira­nienne a été condamnée à un an de prison, mais, si la sentence est confirmée en appel, elle purgera lapeine la plus longue.

La France a condamné cette dé­cision de justice, réclamant la li­bération immédiate de la cher­cheuse. Samedi, dans un commu­niqué, le ministre des affaires étrangères, Jean­Yves Le Drian, adénoncé une condamnation « po­litique », qui n’était « fondée suraucun élément sérieux ou faitétabli ». Téhéran ne reconnaît pas

la double nationalité de ses ci­toyens. De ce fait, cette spécialistedu chiisme et chercheuse au Cen­tre de recherches internationales de Sciences Po Paris n’a pas pu, pour l’instant, bénéficier de l’as­sistance consulaire de l’ambas­sade de France à Téhéran.

« Condamnation illégale »Son avocat, Saïd Dehghan, espé­rait une libération conditionnelle. Pour lui, la condamnation de Fa­riba Adelkhah est « une décep­tion ». Me Dehghan, qui compte faire appel, avait réussi à prouver l’innocence de sa cliente concer­nant deux autres accusations, « espionnage » et « trouble à l’opi­nion publique ». « Pour nous, cette condamnation est illégale, expli­que­t­il. Dans le texte du verdict, il n’y a même pas une ligne de mon plaidoyer. »

Fariba Adelkhah a été arrêtée enIran en juin 2019 alors qu’elle menait des études sur le clergé dans la ville religieuse de Qom. Son compagnon, le chercheur

français Roland Marchal, spécia­liste de l’Afrique de l’Est, avait été interpellé au même moment qu’elle, à l’aéroport de Téhéran­Imam Khomeyni, alors qu’il s’ap­prêtait à passer des vacances en Iran avec Mme Adelkhah. Accusé devouloir « porter atteinte à la sécu­rité nationale » et de « collusion avec un Etat étranger », Roland Marchal a été finalement libéré enmars, sans qu’aucun verdict ne soit prononcé à son encontre.

Parmi les analystes, l’hypothèsela plus répandue est que l’Iran cherche à utiliser Mme Adelkhah

pour faire libérer un de ses di­plomates, Assadollah Assadi, in­carcéré en Belgique. Il est accusé d’avoir été impliqué dans l’atten­tat déjoué contre un rassemble­ment en 2018 à Villepinte de l’Or­ganisation des moudjahidin du peuple, ennemis jurés de Téhéran.

L’Iran a, par le passé, utiliséles détenus iraniens ayant une autre nationalité comme mon­naie d’échange dans ses négocia­tions avec l’Occident.

De fait, la libération de RolandMarchal a été concomitante avec celle, en France, d’un ingénieur iranien, Jalal Rohollahnejad. Ar­rêté en février à Nice, ce dernier risquait une extradition vers les Etats­Unis, qui l’accusent d’avoir cherché à exporter du matériel technologique malgré l’embargo américain contre Téhéran.

L’Iran détient au moins une di­zaine d’étrangers et d’Iraniens possédant une double nationalité ou un droit de séjour permanent dans un pays occidental. Les Etats­Unis, le Royaume­Uni, l’Australie,

l’Autriche et la Suède sont parmi les pays concernés.

Depuis l’épidémie du Covid­19en Iran (le pays le plus touché au Moyen­Orient, avec officielle­ment 6 988 morts), les inquiétu­des sont vives quant à l’état de santé de Fariba Adelkhah, affaiblie après une grève de la faim de pres­que cinquante jours, jusqu’en fé­vrier. Elle a été jugée en mars de­vant le tribunal révolutionnaire deTéhéran par le juge Abolghasem Salavati, connu pour ses verdicts sévères contre les opposants.

Inquiétudes pour la rechercheL’issue d’un appel est très incer­taine : les tribunaux concernés sont plutôt politiques et peu de condamnations ont connu un al­légement ou une annulation de peine en seconde instance. « Mais nous avons toujours de l’espoir quant à une libération », explique l’avocat de Fariba Adelkhah. « Le but de l’Iran est de manière géné­rale l’échange des prisonniers comme Fariba Adelkhah contre

les citoyens iraniens détenus à l’étranger, explique un connais­seur en Iran des dossiers politico­sécuritaires, qui préfère rester anonyme. Dans le cas de Fariba Adelkhah, il est probable que la chercheuse soit relâchée contre la libération d’un Iranien détenu en Europe, mais qu’elle soit empêchée de retourner en France, au moins pour quelque temps, pour que l’af­faire perde de son importance. »

Du fait de sa condamnation, lesinquiétudes sont vives au sein des milieux de la recherche liée à l’Iran. « La situation, notamment, des chercheurs dans le domaine dessciences humaines qui collaborent avec les universités à l’étranger de­vient très compliquée, soutient ununiversitaire iranien en France qui préfère garder l’anonymat. Les chercheurs qui ont besoin des sour­ces académiques en Iran ou de me­ner des études de terrain dans ce pays doivent, au moins à court terme, attendre ou même changer leur sujet de recherche. »

ghazal golshiri

Nouveau gouvernement en Israël après 500 jours de campagneLa coalition d’« urgence », censée d’abord se concentrer sur la crise due au Covid­19, associe Benyamin Nétanyahou à son rival, Benny Gantz

jérusalem ­ correspondant

L e plus vaste gouverne­ment de l’histoire d’Israëla prêté serment, diman­che 17 mai : pas moins de

trente­six ministres et seize vice­ministres s’y serrent. Il fallait bien ça pour respecter l’accord conclu par Benyamin Nétanyahou et son « premier ministre d’alternance », Benny Gantz, au terme d’une cam­pagne qui s’est étirée sur plus de 500 jours, à travers trois scrutins législatifs, depuis avril 2019.

M. Gantz prend le ministère dela défense et prévoit de succéder à M. Nétanyahou à la tête du gouver­nement dans dix­huit mois. Cet ac­cord complexe, miné par le man­que de confiance entre les deux hommes, a été ancré par les parle­mentaires dans la Loi fondamen­tale le 7 mai. Dans la pratique, il faitcraindre la paralysie : sur quoi s’en­tendre, comment avancer ?

« La population veut un gouver­nement d’unité, et c’est ce qu’elle obtient aujourd’hui », a affirmé M. Nétanyahou dimanche, avant d’annoncer la date prévue de la passation des pouvoirs à son par­tenaire : le 17 novembre 2021. Du­rant les six premiers mois, leur gouvernement se veut modeste­ment d’« urgence » : il est censé gé­rer presque exclusivement les contrecoups de l’épidémie de Co­vid­19, qui a mis un million d’Is­raéliens au chômage, soit près d’un quart de la force de travail.

La moitié des portefeuilleséchoient à M. Gantz et à ses alliés, en dépit de leur faible poids à la Knesset (dix­sept sièges sur cent vingt). Le général Gantz, qui a af­firmé une nouvelle fois son sens de la « responsabilité » dimanche, y voit un accord « équilibré ». Ses

proches se font fort d’encadrer le premier ministre jusqu’au pas­sage de relais, en premier lieu au sein du ministère de la justice, dont ils prennent la direction. Le procès pour corruption, fraude et abus de confiance de M. Nétanya­hou doit s’ouvrir dès le 24 mai.

Aucune chance que le nouveauministre de la justice, Avi Nissen­korn, n’annonce un nouveau report de l’audience, comme l’avait fait son prédécesseur, Amir Ohana, dès le début de l’épidémie. Mais le diable est dans les détails. M. Ohana obtient en retour le mi­nistère de la sécurité publique. Il y nommera plusieurs hauts fonc­tionnaires de police, dont les pos­tes demeuraient vacants, à l’heure où des enquêteurs de police serontappelés à témoigner devant les ju­ges de M. Nétanyahou.

« Gâchis » de deniers publicsL’ex­partenaire de M. Gantz à la direction du mouvement Bleu Blanc, Gabi Ashkenazi, obtient les affaires étrangères. Mais on ima­gine mal comment cet ex­chef d’état­major de l’armée pourrait échapper au sort de ses prédéces­seurs, éclipsés par M. Nétanyahou,qui tend à incarner seul la diplo­matie israélienne. D’autant que le premier ministre a rappelé auprès de lui plusieurs poids lourds du métier, dont l’ambassadeur à Washington, Ron Dermer. Le Parti travailliste, héritier des fondateursde l’Etat d’Israël, en 1948, réduit à deux députés, se joint à cet équi­page, Amir Peretz obtenant le mi­nistère de l’économie.

Parmi les alliés du premier mi­nistre, le manque d’air au sommetde l’Etat se fait également sentir. Il a suscité, jeudi, une rébellion ouverte au sein de son parti, le Likoud, qui a repoussé de quaran­te­huit heures la formation du gouvernement. Pour ne pas trop s’aliéner ses barons, M. Nétanya­hou a dû découper des porte­feuilles en tranches, en créer de toutes pièces, à l’intitulé vague, or­ganiser des rotations à leur tête et expédier les alliés les moins in­dispensables en ambassade à l’étranger – ainsi, l’ex­ministre de la sécurité publique, Gilad Erdan, cumulera les postes d’ambas­

sadeur à Washington et auprès desNations unies, à New York.

Le libéral Yaïr Lapid, ex­allié deM. Gantz et leader d’une opposi­tion désunie, sans aucun dénomi­nateur commun, a beau jeu de dénoncer « un gâchis » de deniers publics. Il souligne qu’Israël comp­tera bientôt plus de ministres que de malades du Covid­19 sous respi­rateur. Finalement, c’est un gou­vernement de fidèles que M. Néta­nyahou verrouille autour de lui. Yuli Edelstein, ex­président de la Knesset, qui a tenu le Parlement au moment crucial où son parti y était minoritaire, obtient le minis­tère de la santé.

Il est remplacé par Yariv Levin,l’un des artisans de l’accord avec M. Gantz. Miri Regev, voix toni­truante dans les médias, obtient leportefeuille des transports. L’ul­traorthodoxe Yaakov Litzman, qui a démissionné du ministère de la santé en avril, sous le feu des criti­ques, obtient sans difficulté celui du logement, cher à ses électeurs. Le maintien des partis ultraortho­doxes au gouvernement devrait permettre à ceux­ci de faire bar­rage aux promesses de campagne de M. Gantz. Ce dernier avait am­bitionné, un temps, de modifier les rapports entre le domaine reli­gieux et l’Etat, en réduisant l’exemption de service militaire dont bénéficient les étudiants en yeshiva (école religieuse).

Parmi les rebelles et les déçus dela droite, Gideon Saar, qui avait osése présenter contre M. Nétanya­hou durant les primaires du parti, en décembre 2019, demeure sim­ple parlementaire. Plus grave : les alliés de Yamina, alliance de la droite ultranationaliste et reli­gieuse (cinq sièges), manquent à

l’appel. L’un des leurs, le rabbin Rafi Peretz, a fait défection pour prendre le ministère chargé de Jé­rusalem. Mais, après des mois pas­sés à multiplier les serments d’al­légeance, le ministre de la défense,Naftali Bennett, est débarqué, et Ayelet Shaked, ex­ministre de la justice et éternelle étoile mon­tante, est oubliée. Accusant M. Né­tanyahou de leur avoir « coupé les ailes », ils promettent de le presser sur sa droite, en attendant sa fin.

Gage donné à cette droite reli­gieuse, Tzipi Hotovely, relais ap­précié des colons au sein du Likoud, obtient le portefeuille des « implantations » pour quelques mois – elle est appelée par la suite àl’ambassade israélienne de Lon­dres. Dimanche, Mme Hotovely a été prompte à affirmer à la presse que ce gouvernement annexerait enfin des territoires palestiniens en Cisjordanie, entre les mois de juillet et de septembre.

« Processus historique »L’annexion, qui romprait avec le régime d’occupation militaire en vigueur depuis les conquêtes de 1967, est le seul acte politique qu’autorise l’accord de M. Gantz etM. Nétanyahou dans les six pre­miers mois de leur gouverne­ment, en dehors de la lutte contre le virus. Dimanche, dans un dis­cours à la Knesset, M. Nétanyahou a rappelé ses alliés ultranationalis­tes à contribuer à ce projet.

« Le temps est venu pour quicon­que croit à nos droits sur la terre d’Israël de se joindre à un gouverne­ment que je dirige pour mettre en œuvre ensemble un processus his­torique », affirmait­il. En visite à Jé­rusalem, mercredi, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, s’était abstenu d’encourager l’allié israélien à appliquer trop vite le « plan Trump » pour le Proche­Orient, révélé en janvier, qui ouvrela voie à l’annexion. M. Pompeo s’était contenté d’affirmer qu’une telle décision relevait de la souve­raineté israélienne, avant de s’en­tretenir avec M. Gantz. Le général est, quant à lui, rétif à l’annexion, comme l’essentiel de l’appareil sécuritaire israélien. Il n’en a pas dit mot dimanche.

louis imbert

L’annexion des territoires

palestiniens est leseul acte politique

qu’autorise l’accord dans les

six premiers moisde gouvernement

Très peu de condamnations

ont connu un allégement

ou une annulation en

seconde instance

M. Nétanyahou adû découper desportefeuilles en

tranches, en créer de toutes

pièces à l’intitulévague

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Page 14: Le Monde - 19 05 2020

14 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MARDI 19 MAI 20200123

Le cri d’alarme des équipementiers automobilesAu moment de devoir redémarrer, la filière est au bord de l’asphyxie du fait d’un manque de liquidités

I l se présente parfois comme« la Jeanne Calment du dé­colletage ». Roger Pernat,75 ans dont cinquante ans

de mécanique de précision dans la vallée de l’Arve, entre Genève etChamonix (Haute­Savoie), en avu passer des crises, du choc pé­trolier de 1973 à l’effondrement financier de 2008­2009. Mais cel­le­là, le président du groupe Per­nat – 90 millions d’euros de chif­fre d’affaires, 500 employés – lui aura fait baisser la tête comme à un boxeur qui aurait pris un coupsévère à l’estomac. « Cela ne fait que commencer, commente­t­il.On peut s’attendre à des effets detrésorerie mortels pour les entre­prises qui ne sont pas bordées decash. Il y aura de la casse. »

La casse, c’est­à­dire la cessationde paiement, le tribunal de com­merce, la liquidation, le chô­mage… La casse, elle a déjà com­mencé, avec la mise en redres­sement judiciaire, le 11 mai, de Novares, spécialiste des piècesplastiques, 12 000 salariés, unchiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros, brûlant 4 millions d’eurospar jour, incapable d’honorer ses factures et qui, désormais, attend son repreneur pour la fin mai.

Ils sont ainsi des dizaines de pa­trons de la filière amont de l’auto­mobile française, dirigeants de petites, moyennes et parfois as­sez grandes entreprises, à mal dormir la nuit. Au moins 120 so­ciétés, représentant 72 000 em­plois si on s’en tient aux seuls ad­hérents de la Fédération des in­dustries des équipements pour véhicules (FIEV), qui fédère les équipementiers.

Au­delà des mastodontes quesont Faurecia, Valeo ou Plastic Omnium, se cachent de belles réussites industrielles françaises méconnues : Lisi Automotive(fixation mécanique), ARaymond (solutions d’assemblage), Le Bé­

lier (pièces d’aluminium), Punch (boîtes de vitesses), GMD (pièces métalliques et plastiques), des plasturgistes comme Plastiva­loire, ou Akwel, qui se propose de reprendre Novares. Ces sociétés oscillent entre 0,5 et 1,5 milliard d’euros de ventes. Elles ont créé des milliers d’emplois. Elles se sont développées hors de France.Et, aujourd’hui, elles souffrent.

« La chute de notre chiffre d’affai­res est vertigineuse en avril, cons­tate François Liotard, directeurgénéral de Lisi Automotive, avec − 80 % ou − 90 % dans certains si­tes français. C’est irréel. Ce sont desmagnitudes qui n’ont pas de précé­dent. Quant à la reprise de mai, ellereste faible, avec 40 % des volumeshabituels. » « Jusqu’ici, ces entre­prises vivaient avec les factures de janvier­février et sans besoin defonds de roulement, puisque l’acti­vité était à l’arrêt et que le chô­mage partiel avait pris le relais, ex­plique Marc Mortureux, directeurgénéral de la Plateforme automo­bile (PFA), l’entité publique quicoordonne les entreprises du sec­teur. Mais, en juin, nous entrons dans une période très dangereuse. L’absence des factures de mars etavril va se faire sentir au moment où il faut de l’argent pour le redé­marrage. Beaucoup de sociétés vont être étranglées. »

La situation est d’autant pluscritique que certains fournis­seurs étaient fragilisés par la transformation environnemen­tale de l’industrie, sommés depasser des motorisations ther­miques vers les motorisations électriques. « Dans la vallée del’Arve, mes collègues et moi avonsbeaucoup investi sur des projets de moteur hybride et nous noussommes beaucoup endettés »,souligne M. Pernat.

« Stocks énormes »Dans ce contexte délicat, les failli­tes des uns peuvent accélérer cel­les des autres. « Novares est un de nos clients, souligne M. Liotard. Heureusement, nous avons une assurance­crédit. Mais, en ce mo­ment, de plus en plus d’équipe­mentiers perdent leur assurance­crédit. Cela fait entrer le secteurdans une zone de risque avec desdéfaillances en cascade. »

Si les acteurs se félicitent unani­mement des mesures actuelles desoutien à l’économie (chômagepartiel, report de charges, prêts garantis), ils réclament tous une sortie très progressive de ces dis­positifs. Et, surtout, ils appellent àun plan de soutien rapide et mas­sif à l’achat automobile. Une nou­velle prime à la casse. « Nous som­mes bien aidés par le gouverne­ment, mais, là, on a un besoin ur­gent de retravailler », résume

A La Roche­sur­Yon, les « Michelin » plus très sereins sur leur avenirAprès la fermeture de l’usine du groupe, beaucoup étaient confiants sur leur reclassement. La crise sanitaire et économique les a rattrapés

la roche­sur­yon ­ correspondant

J ean­Louis Divet demande à cequ’on le rappelle plus tarddans la journée. « J’ai un ren­dez­vous en visioconférence

avec le cabinet Altedia, il ne fautpas que je le rate. A 50 ans, si jeveux retrouver du boulot, je dois me donner à 100 %. » Le reclasse­ment, cet ancien responsabled’équipe connaît. « C’était en 1993,lors de la fermeture d’un atelier de l’usine de Tours. Je suis passé d’un site Michelin à un autre. Aujourd’hui, c’est différent, on parle d’un arrêt total d’activité. »

Communiquée le 10 octo­bre 2019, la fermeture de l’usine de La Roche­sur­Yon prendra ef­fet fin 2020. Un coup de massuepour les 619 salariés du dernierfleuron français de confection depneus poids lourds, rapidementatténué par la promesse d’unbassin d’emplois vendéen comme amortisseur à ces centai­

nes de licenciements annoncés. A tel point que 78,7 % des ouvriersse sont prononcés à 96,1 % en fa­veur de négociations dans le ca­dre d’un plan de sauvegarde del’emploi (PSE). Sept mois et une double crise sanitaire et écono­mique plus tard, ce reclassements’avère bien plus compliqué àmener que prévu.

« Ça a bougé », reconnaît Lau­rent Bador, délégué central CFDT, qui a pourtant fait le déplace­ment depuis Clermont pour ac­ter, le 13 mai, quatre nouvellespromesses d’embauche en CDI.« La réalité, nuance Nicolas Ro­bert, de SUD Michelin, c’est que, sur les vingt CDI déjà engagés, la majorité a soit été repoussée, soit transformée en CDD. » Contactés, certains des salariés concernés n’ont pas souhaité donner suite à nos sollicitations. « Le contexte étant ce qu’il est, je préfère ne pasme griller », a fini par déclarer un« ex­Michelin ».

Paralysées par une situationéconomique fortement dégradée,la majorité des 24 000 entreprisesrecensées par la chambre de com­merce et d’industrie (CCI) de Ven­dée ont cumulé près de 400 mil­lions d’euros d’aides et de reports de crédits. « Des chiffres qui per­mettent de mesurer l’ampleur des dégâts », a réagi Arnaud Ringeard,président de la CCI, lors de la pré­sentation d’une enquête réalisée

auprès de 2 115 entrepreneurs ven­déens, entre le 29 avril et le 11 mai.

Anticipant le recours massifau chômage partiel (au mois d’avril, 26,4 millions d’heures de travail ont été autorisées pour 60 000 salariés vendéens) et lesproblèmes de trésorerie à venir, laCGT s’est rapidement inquiétéedu respect des règles du PSE auprès de la direction régionale des entreprises, de la concur­rence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

« Inégalité de traitement »« Ce confinement va diminuer letemps de recherche d’emploi oude formation », prédisait AntonyGuilloteau. Interrogé au lende­main du déconfinement, le délé­gué CGT confirme qu’« il est diffi­cile de se projeter, les forma­tions prévues en mars ayant étédécalées sine die ».

Pour Jean­Louis Divet, « il y aclairement eu inégalité de traite­

ment entre les salariés. Pour ré­pondre aux demandes d’Altedia, il fallait s’équiper en logiciels in­formatiques, dit encore le salariéaux vingt­neuf ans d’ancien­neté. Un investissement difficile pour beaucoup. »

C’est notamment le cas de WillyPalierne. « Pour être candidat, j’aibesoin d’engager rapidement unevalidation des acquis de mes trente années en tant que contrô­leur qualité, mais les logiciels de­mandés sont bien trop chers. » « Avant la reprise du 11 mai et lapossibilité de pouvoir revenir se former sur le site, deux fois deuxheures par semaine, il n’était pastrès difficile à la direction de pro­poser gratuitement des supports informatiques avec un mot depasse commun », tempête An­tony Guilloteau.

« Nous n’avons pas laissé les sa­lariés seuls, répond la direction deMichelin. Pendant la période de confinement, ils ont bénéficié de

quatre­vingt­cinq entretiens à distance avec le cabinet Altedia. » Face à « l’inquiétude de certains,compte tenu du contexte », cettedernière a pourtant refusé la de­mande du comité social et écono­mique d’allonger la durée de congé de reclassement des sala­riés, au motif « qu’ils ont, au mini­mum, jusqu’à septembre 2021pour retrouver un emploi ».

Bénéficiant toujours de l’arrêtindemnisé, la majorité des « Mi­chelin » réfléchit encore à sa re­conversion, 52 ont choisi la mo­bilité interne et une centaine les mesures d’âge. Quant aux 70 ayant opté pour le congé sanssolde et un travail dans l’agroali­mentaire ou la plaisance, « ilssont passés de 2 000 euros ausmic », dit Antony Guilloteau, quianticipe déjà une hausse des de­mandes de reclassement, no­tamment sur le site Michelinvoisin de Cholet.

pierre­yves bulteau

A l’usine Renaultde Flins (Yvelines),le 6 mai.GONZALO FUENTES/REUTERS

« La chute de notre chiffre

d’affaires est vertigineuse

en avril »FRANÇOIS LIOTARD directeur généralde Lisi Automotive

Alain Martineau, le PDG de GMD. « Il y a des stocks énormes dansles concessions, indique ClaudeCham, le président de la FIEV. Il faut absolument vider ce tuyau eten profiter pour rajeunir un parc qui a plus de dix ans d’âge moyen. C’est pourquoi nous plaidons pourun plan qui irait au­delà des seuls véhicules neufs. » « Il faut un plan coup de fouet pour regarnir lescarnets de commandes », ajoute M. Liotard. « Faisons au plus vite pour éviter l’effet d’attentisme », complète Roger Pernat.

Tous ne sont pas forcémentd’accord sur la nature écologique du plan de relance : « Il doit s’ins­crire dans l’actuelle trajectoireCO2 », estime François Liotard.« Evitons qu’il soit trop spécifique, sinon il ne servira à rien, préfère M. Pernat. Si, en plus, on tape sur lavoiture traditionnelle, on va être totalement à genoux. »

éric béziat

« Il est difficilede se projeter,les formations

prévuesen mars ayant

été décaléessine die »

ANTONY GUILLOTEAUdélégué CGT

Fiat Chrysler négocie un emprunt de 6,3 milliards d’euros avec RomeLe constructeur italo-américain Fiat Chrysler (FCA) est en discus-sions pour contracter un emprunt – 6,3 milliards d’euros au plus – garanti par l’Etat italien, a annoncé l’entreprise, samedi 16 mai. Cette facilité de crédit de trois ans, négociée avec la banque Intesa Sanpaolo, est destinée à aider le constructeur ainsi que ses 10 000 fournisseurs, petits ou moyens, à passer le cap de la crise due au Covid-19. FCA, qui est engagé dans un processus de fusion avec le français PSA, est le second grand industriel automobile à demander un soutien financier étatique après Renault, qui attend, en France, la garantie de l’Etat pour 5 milliards d’euros de prêts.

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Page 15: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 économie & entreprise | 15

L’avenir de Conforama suspendu à l’octroi d’un prêt garanti par l’EtatLe groupe d’ameublement ne peut pas financer sa restructuration

D ans le secteur de laconsommation, FnacDarty l’a eu (500 mil­lions d’euros), Casto­

rama et Brico Dépôt, propriété de Kingfisher, viennent de l’obtenir (600 millions d’euros), la Cafom, propriétaire d’Habitat et de Ven­te­unique.com, aussi, mais pas Alinéa, qui a annoncé son place­ment en redressement judiciaire, samedi 16 mai. Conforama, lui, attend toujours l’obtention duprêt garanti par l’Etat (PGE) de320 millions d’euros, selon nos in­formations, sollicité il y a plu­sieurs semaines.

La dernière réunion sous l’égidedu Comité interministériel de res­tructuration industrielle (CIRI),avec les quatre banques qui ont accompagné sa restructuration en 2019 (Crédit du Nord, LCL,HSBC et BNP), vendredi 15 mai, n’apas débloqué la situation. Pour le distributeur français de produits d’ameublement, la situation estde plus en plus tendue. Sans cet apport financier, il risque, dans les prochaines semaines, la mise en redressement judiciaire.

Après le scandale financier lié àdes irrégularités comptables de son actionnaire principal, legroupe Steinhoff, en 2017, Confo­rama avait été pris dans une tem­pête financière qui a abouti, en juillet 2019, à un vaste plan de res­tructuration : 32 magasins Confo­rama en France fermés en 2020, et

10 Maison Dépôt, entraînant la suppression de 1 900 emplois – sur quelque 9 000 en France. Un plan de sauvegarde de l’emploi(PSE) avait été mis en place pour accompagner le départ des sala­riés et la fermeture des magasinsprogrammée en trois vagues, à partir du 15 avril.

Quelques acquéreurs pour lesmagasins s’étaient même présen­tés, comme But et Lidl. Depuis, les résultats financiers commen­çaient à s’améliorer. Le chiffre d’af­faires a progressé de 1 % au qua­trième trimestre 2019, par rapportà 2018, et la tendance se poursui­vait jusqu’en février. « On était sur la voie du retour de la rentabilité, avec une trésorerie positive depuis le mois d’octobre. Le Covid­19 nous a fait sortir de la trajectoire », expli­que la direction de Conforama.

Depuis plusieurs semaines, cel­le­ci négocie avec difficulté cet apport financier. L’Etat a même accepté d’augmenter sa garantie

à 90 %, au lieu de 80 % dans d’autres dossiers, pour que le prêtsoit bouclé. Rien n’y a fait. L’une des quatre banques, BNP, ayant même séché la dernière réunion,vendredi 15 mai, organisée par leCIRI. « Et HSBC semble moins inté­ressée à soutenir des investisse­ments français, indique Jacques Mossé­Biaggini, délégué syndicalcentral FEC­FO. Avec l’augmenta­tion de l’engagement de l’Etat, c’estdifficilement compréhensible. »

But se dit prêt à investirOr, sans ce prêt, outre une mise à mal de la situation financière del’entreprise, pas de finance­ment du plan social pour les sala­riés. Un emprunt de 110 mil­lions d’euros précédemment con­tracté, conditionné à plusieurs in­dicateurs financiers du groupe,devait permettre de financer les conditions négociées avec lessyndicats. « C’est le serpent qui se mord la queue ! », se désoleM. Mossé­Biaggini. Certains sala­riés ayant déjà quitté l’entreprise, environ 1 500 personnes sont en­core concernées. « Les proposi­tions de reclassement internes de­vaient être envoyées à partir du 11 mai, et les premières notifica­tions de licenciement devaient partir début juin. Tout est gelé », poursuit le syndicaliste.

Rien de signé non plus du côtédes acheteurs potentiels des ma­gasins. But s’est retiré des négo­

ciations au début de l’année, refu­sant de reprendre en l’état,comme la loi le prévoit, les con­trats de travail des salariés. L’en­seigne a également envoyé début mai, comme l’a révélé Le Parisien, « une marque d’intérêt sur une sé­lection d’actifs qui ne correspondni aux intérêts des salariés, ni àceux de la filière », indique la direc­tion de Conforama.

Alors qu’aujourd’hui le patronde But se dit prêt à investir, selon leFigaro, de 200 millions à 300 mil­lions d’euros dans son concurrent,Conforama est méfiant, rappelant qu’il y a un an, des discussions de rapprochement entre les deux en­seignes avaient échoué, car l’entre­prise n’avait jamais reçu d’offre ferme de la part de But.

« Le plan A est toujours d’obtenirle PGE, et le plan B serait la mise enredressement judiciaire, et on tra­vaillera alors à un plan de conti­nuité. D’ici là, si But formulait une offre acceptable, nous l’étudie­rons », assure la direction.

Pour le moment, Conforama n’arouvert que 19 magasins en libre­service sur 182. Entre les magasinsdevant fermer définitivement etles autres, la situation est compli­quée pour l’ensemble des salariés,qui « sont plongés dans l’insécu­rité quant à la viabilité de leur en­treprise et la pérennité de leur em­ploi », s’inquiétait, samedi, la CGT dans un communiqué.

cécile prudhomme

Le plan de restructuration

prévoit la suppression

de 1 900 emplois,sur quelque

9 000 en France

Donald Trump n’est pas un geek, c’est un promoteur immobilier. Ce qui intéresse le président amé­ricain, c’est la transaction du mo­ment, pas les conjectures sur le futur des technologies. Pourtant, dans la guerre qu’il mène actuel­lement pour abattre l’équipemen­tier télécoms chinois Huawei, il est en train de modifier en pro­fondeur l’organisation du high­tech mondial et son avenir. C’est le sens de l’avertissement adressé au fabricant taïwanais Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) de ne plus four­nir Huawei en puces haut de gamme, qu’il est l’un des seuls au monde à savoir fabriquer.

Si, aujourd’hui, un smartphoneest plus puissant qu’un superor­dinateur des années 1980, c’est grâce à la progression continue de la capacité de calcul des puces électroniques. L’un des fonda­teurs d’Intel, Gordon Moore, avait constaté que, à prix constant, le nombre de transistors insérables sur une puce doublait tous les deux ans. Ce qu’on a appelé la « loi de Moore » se vérifie depuis près de quarante ans. Elle est au fonde­ment de la révolution des micro­ordinateurs, puis, aujourd’hui, des smartphones et, derrière, des usines géantes qui gèrent le trafic Internet mondial.

Cette loi empirique a été renduepossible par une organisation mondiale qui a poussé les entre­prises à la spécialisation. En 1987, le Sino­Américain Morris Chang

fonde TSMC, avec comme objectif de produire des puces pour tous ceux qui le souhaitent. En se con­centrant sur la production, il a pu, grâce aux effets d’échelle, déjouer ce que ne dit pas la loi de Moore : chaque génération de puces né­cessite une nouvelle usine deux fois plus chère que la précédente. Quelques centaines de millions de dollars dans les années 1990, plus de 10 milliards aujourd’hui. TSMC, qui investit 16 milliards de dollars (14,8 milliards d’euros) par an, ne vend rien sous sa propre marque, contrairement à Sam­sung. Il est donc le plus demandé, d’Apple à Huawei, mais aussi par tous les électroniciens américains comme Qualcomm, Broadcom ou Nvidia, qui ont préféré se con­centrer sur la conception.

Spécialisation des tâchesCette spécialisation des tâches au niveau mondial est clé dans l’avè­nement de la société de l’informa­tion, qui nous permet à tous de télétravailler en visioconférence. On pensait que la loi de Moore buterait sur les limites physiques de la finesse de gravure des puces, qui se rapproche de l’épaisseur d’un brin d’ADN. Ce sera peut­être finalement la politique, qui, en li­mitant la spécialisation des ac­teurs et la taille de leur marché mondial, et donc la rentabilité d’opérations aussi coûteuses, aura raison de cette période exception­nelle dans l’histoire mondiale des technologies.

PERTES & PROFITS | TSMCpar philippe escande

Donald Trumpcontre la loi de Moore

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Page 16: Le Monde - 19 05 2020

16 | économie & entreprise MARDI 19 MAI 20200123

Le télétravail pour tous ?L’expérience du confinement a validé la possible extension du travail à distance pour certains métiers. Des barrières sont tombées et les contraintes sont mieux connues. Les employeurs pensent désormais à des modes d’organisation alliant travail chez soi et dans l’entreprise

Une famille parisienne se partage un ordinateur en télétravail durant le confinement. BRUNO LÉVY

DOSSIER

J’ ai appelé mon directeur à 8 heu­res. On a créé un Skype et on par­tage le même bureau. J’appuiesur un bouton, il voit ce que jevois », raconte Elise Geinet, res­ponsable commerciale installéeà Bordeaux dans sa cuisine, « car

la pièce est grande ». Le télétravail était le quotidien d’Elise avant le Covid­19, il l’estpendant et le sera probablement après. Leministère du travail a estimé à 30 % (7 mil­lions de personnes) la part de la population active susceptible de travailler à distance– davantage dans les grandes entreprises que dans les petites. Fin mars, un salariésur quatre était en télétravail, selon une en­quête de la direction de l’animation de la re­cherche, des études et des statistiques (Da­res). Et alors même qu’un tiers des em­ployeurs n’y étaient pas favorables avant la pandémie, plus de 90 % d’entre eux l’ont misen place. Qu’en restera­t­il dans l’organisa­tion du travail de l’après­crise sanitaire ?

Le premier atout de cette expérience horsnorme est d’avoir mis en place ce qui sem­blait irréalisable. L’idée même de travaillerà distance était jugée incompatible dans des secteurs entiers de l’industrie ou des services, comme la banque. « Il n’y avait pasdu tout de télétravail dans le réseau [d’agen­ces bancaires] pour des raisons de sécurité essentiellement, explique Philippe Fournil, délégué CGT de la Société générale. Avec lacrise sanitaire, ce qui était impossible pen­dant des années est devenu un peu possible,et on a été équipés. » Même scénario pourles services informatiques du géant du conseil Accenture, qui n’avaient pas accès au télétravail pour des raisons de sécurité etd’infrastructure.

Certains métiers (cardiologue, député) oucertaines activités (la gestion de projets) ex­cluaient également le travail à distance. De­puis mars 2020, tous les médecins consul­tent à distance, les commissions parlemen­taires et les auditions d’experts se tiennenten visioconférence, les informaticiens tra­vaillent à domicile et les projets collectifs avancent, même à l’international. « Remettresur les rails un projet qui se développe en Asiesans se rendre sur place paraissait inconce­vable », reconnaît Vinciane Beauchene, di­rectrice associée au Boston Consulting Group. Cela ne l’est plus désormais. Y com­

pris en « mode agile » : « Des équipes techni­ques qui doivent sortir des produits en mode itératif sur des boucles très courtes (on teste,on adapte) ne travaillaient qu’en présentiel, les chercheurs ont réussi à continuer à dis­tance. La généralisation du télétravail nous a permis de repousser la frontière de ce qu’on croyait impossible », résume Julien Fanon, consultant associé chez Accenture.

« PAS UNE FIN EN SOI »Le télétravail ne va pas pour autant devenir la règle de l’après­11 mai. Lors de sa présenta­tion du plan de déconfinement progressif, le28 avril, le premier ministre, Edouard Phi­lippe, a rappelé que « nous allons devoir vivreavec le virus » et a demandé aux entreprises de maintenir le télétravail « partout où c’est possible » durant cette période. Mais lesdeux tiers des postes ne sont pas compati­bles avec le travail à distance, indique le mi­nistère du travail. Et même si « on est capa­bles d’œuvrer en télétravail, certains trouvent

que c’est compliqué. Le télétravail crée del’isolement et une certaine fatigue, car on est tout le temps au téléphone. Le lien social n’estpas le même et il y a encore des choses qu’on n’arrive pas à faire », remarque Hélène Gemähling, DRH de Nespresso France. De­puis la mi­mars, nombreux sont les salariés qui ont pris conscience de la perte de lien so­cial, tentant de reproduire en visioconfé­rence tout ce qui ressemble au côté informelde la machine à café.

L’urgence de la situation a poussé les en­treprises à repenser l’activité à 100 % en té­létravail. PSA en a déjà conclu qu’à l’avenir ce serait la référence pour les activités nonliées à la production. La présence sur site nesera plus que « d’une journée à une journéeet demie par semaine en moyenne » pour lessalariés dans le tertiaire, le commercial et la recherche­développement, a précisé le DRH,Xavier Chéreau. Dans l’incertitude du mo­ment, les entreprises envisagent plus géné­ralement de renforcer la place du télétravail

dans l’organisation par hybridation. « Le té­létravail n’est pas une fin en soi, relève Olivier Girard, le président France­Beneluxd’Accenture. Quand on ne sera plus en crise sanitaire, on ne restera sans doute pas à 30 %de l’économie française en télétravail, mais l’organisation du travail sera devenue hy­bride, avec du télétravail et du présentiel.Les discussions pour aller plus loin dans lesaccords [de télétravail, en place depuis 2010]étaient ouvertes avant le coronavirus et vont se poursuivre. »

Introduit dans le code du travail depuis laloi Warsmann II du 22 mars 2012, le télétra­vail n’est plus l’apanage des seuls cadres.Dans la dernière enquête Surveillance médi­cale des expositions des salariés aux ris­ques professionnels (Sumer), 61 % des télé­travailleurs étaient cadres. « Il va y avoir un rééquilibrage entre le travail en présentiel et le télétravail, explique Jean­Charles Voisin, DRH de Jungheinrich France, un fournisseurd’équipements industriels, spécialiste duchariot élévateur. Fin 2018, nous avions signéun accord de quatre jours par mois de télétra­vail exclusivement pour les cadres [25 % des 1 200 salariés], parce qu’ils étaient équipés. En24 heures, 50 % de l’effectif a dû télétravailler. On a paramétré tous les ordinateurs fixes de l’entreprise pour être utilisés à distance, et ça a marché. Pour l’“après”, on étudie l’extensiondu télétravail aux autres catégories de per­sonnel, et les moyens matériels nomades (portables, téléphones…) à leur fournir. »

Les entreprises ont en effet dû se penchersur la question de l’équipement du télé­travailleur. Chez Nespresso, le télétravail était déjà une pratique courante pour lesfonctions support (300 personnes sur un ef­fectif de 1 400), à raison de deux jours par se­maine. « On souhaitait étendre le télétravail au centre relation client de Lyon [170 sala­

« LE LIEN SOCIAL N’EST PAS LE MÊME 

ET IL Y A ENCORE DES CHOSES 

QU’ON N’ARRIVE PAS À FAIRE »

HÉLÈNE GEMÄHLINGDRH de Nespresso

France

à en croire corona­work.fr, plus de 4 personnes sur 5 souhaitent con­tinuer à télétravailler après la sortie de crise. Projet collaboratif, ce site a été lancé par six spécialistes de l’ana­lyse de données pour mesurer etcomprendre l’impact de la mise en té­létravail confiné de plus de 5 millionsde personnes. Entrepreneurs, ingé­nieurs ou sociologues, ils ont élaboré un questionnaire qui a récolté plus de1 540 réponses depuis le 16 mars. Lesdonnées brutes dressent une typolo­gie des télétravailleurs.

L’expérience du travail à distanceest suffisamment positive pour que

60 % des répondants affirment vou­loir télétravailler davantage quand la situation sera redevenue normale, car leurs conditions de travail se sont améliorées pendant le confinement.

Plus efficaces et plus concentrésS’ils disent travailler plus qu’avant, ilsaffirment aussi être plus efficaces et plus concentrés. Ils font égalementplus d’activité physique que lesautres. Ils envisagent de télétravailler une fois de temps en temps (44,3 %), le plus possible (14 %), voire tous les jours (1,7 %). Et 25,5 % souhaitent télé­travailler « autant qu’avant ».

Les adeptes sont pour plus de 45 %des néotélétravailleurs. Ils ne prati­quaient jamais, ou exceptionnelle­ment, le télétravail avant le confine­ment et souhaitent télétravailler au moins un jour par semaine. Ils sont engrande majorité employés et de pro­fessions intermédiaires. Les cadres et professions intellectuelles supérieu­res, qui représentaient 60 % des télé­travailleurs avant la crise, souhaitentcontinuer autant sinon plus. Les aspi­rants au télétravail se répartissentégalement entre hommes et femmes.

En revanche, l’âge est un critère cli­vant. Seuls 14,5 % des télétravailleurs

interrogés refusent de continuer, mais ils sont 20,6 % chez les 18­29 ans.Les plus jeunes, qu’on aurait pu croire plus adeptes du télétravail car dési­reux d’être libres de s’organiser et aguerris au numérique, réclament leur bureau. Ce pourcentage monte à 28,7 % pour les jeunes célibataires et à 36,1 % pour les jeunes femmes. Le be­soin d’être en relation avec les autres et avec son manageur, alors que l’on commence sa carrière profession­nelle, est important. Le lieu de travail reste un espace de sociabilité et derencontres essentiel pour les jeunes.

sophy caulier

Les jeunes étonnamment plus réticents

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0123MARDI 19 MAI 2020 économie & entreprise | 17

riés], où seuls les cadres télétravaillaient. Le confinement a accéléré la mise en œuvre, témoigne Hélène Gemähling. Tout le monde était déjà équipé d’ordinateurs et de casques. Mais certains sont venus chercher leur fau­teuil ergonomique. Et au bout d’un mois de confinement, nous avons de nouvelles de­mandes de salariés qui souhaitent venir cher­cher leur fauteuil de bureau. »

« ACCÉLÉRATION CULTURELLE »A une autre échelle, chez Engie ou à la So­ciété générale, le matériel a été fourni pen­dant le confinement. « On a acheté des por­tables pour le réseau (…). On a fait un stress­test grandeur nature. On a fait confiance aux staffs et on a eu raison », déclarait Caroline Guillaumin, la DRH du groupe Société géné­rale, en téléconférence avec les syndicats, le 14 avril. Chez Engie, « le fait d’avoir à équiper 55 000 salariés pour interagir en télétravail a montré que tout cela était efficace pour tout le monde, constate de son côté Pierre Deheu­nynck, le DRH du groupe. On avait un niveaude maturité [numérique] intermédiaire, va­lidé par un accord d’entreprise à deux jourspar semaine, et des salariés, comme les ma­nageurs, pas très enthousiastes. Nous avons fait bouger le management. Des freins ont étélevés. » Dans le plan de continuité qui suivra le plan de reprise, le groupe envisage d’ac­corder une plus grande place au télétravail. « Certains salariés ont constaté que finale­ment, le télétravail, c’est pas si mal », résume M. Deheunynck.

Mais « le télétravail est bien plus que dutravail à distance, c’est un sujet culturel et de méthode. Ça remet le rôle de l’équipe en exer­gue, qui forge d’autres méthodologies », es­time Olivier Girard. Accélération de l’accul­turation numérique, acquisition de compé­tences techniques, autonomisation dessalariés : « En quelques semaines, on a réalisé cinq ans d’accélération culturelle », déve­loppe Julien Fanon.

Au jour le jour, les manageurs ont appris àfaire des réunions plus courtes, mieux orga­nisées dans l’ordre du jour et la prise de pa­role, et à décider plus vite. « Les ateliers de créativité duraient deux heures minimum en présentiel. On a tout réinventé pour découperen séances de vingt­cinq ou cinquante­cinq minutes maximum, afin de pouvoir faire une pause entre chaque, car au téléphone, une

Sources : Insee, Dares, Fondation Jean-Jaurès, Kantar, Malako�-HumanisInfographie : Philippe Da Silva, Maxime Mainguet

Informationet communication

Activités �nancièreset d’assurance

Activités immobilières

Activités scienti�queset techniques, services

administratifs de soutien

Fabrication d’équipementsélectroniques, informatiques.

Fabrication de machines

Fabrication de matérielsde transport

Enseignement, santéet action sociale

Fabrication d’autresproduits industriels

Commerce et réparationautomobile

Transports et entreposage

Fabrication de denréesalimentaires, de boissons

et de produits à base de tabac

Industries extractives,énergie, eau, gestion

des déchets et dépollutionConstruction

Hébergement et restauration

Part des salariés en télétravail entre les 23 et 27 mars 2020 selon les secteurs, en %

63,1

55,3

41,5

38,2

36,6

29,7

22,6

21,5

18,5

15,4

12,6

11,8

11,7

5,8

Secteurs où le télétravailest souvent possible et qui étaient déjà les plus enclins à le pratiquer avant le con�nement.

Secteurs dans lesquels peu de salariés peuvent télétravailler. Durant le con�nement, ceux-ci sont donc le plus souvent au chômage partiel.

En 2017 (ensemble des entreprises)

3,1 % régulièrement (au moins 1 jour par semaine)

Depuis le début du con�nement (entreprises de plus de 10 salariés)

25,3 %*

3 salariés sur 10 exercent un métier dans lequel le télétravail est a priori possible.

* Le chi�re pour l’ensemble des entreprises privées, qui inclurait donc celles de moins de 10 salariés, est probablement un peu moins élevé, ces dernières utilisant légèrement moins le télétravail. Toutefois, il resterait largement au-dessus du chi�re de 2017.

+ 4,2 % occasionnellement

Salariés du privé pratiquant le télétravail :

De 10 à 49 salariés

De 50 à 249 salariés

De 250 à 499 salariés

500 salariés et plus

De 10 à 19 salariés

De 20 à 49 salariés

De 50 à 99 salariés

De 100 à 249 salariés

De 250 à 499 salariés

500 salariés et plus

Employés OuvriersCadres

Selon la taille de l’entrepriseSelon le statut

En 2017 (secteurs privé et public)

Fin mars (secteur privé)

0,21,411,1

7023 8

Employés OuvriersCadres

2,3

3,6

2,5

4,5

18,2

20,3

22,9

26,7

28,1

28,6

Part des salariés en télétravail régulier, en %

Part des salariés télétravaillant durant le con�nement voulant prolonger l’expérience après

« Diriez-vous que vos conditions de télétravail sont… »

Très satisfaisantes

Assez satisfaisantes

Peu satisfaisantes

RégulièrementPonctuellement

Pas du tout satisfaisantes

25 16

3241

3

56

Une pratique plébiscitée, mais qui concerne surtout les cadres

Une expérience satisfaisante qu’une partie des salariés souhaiteraient reconduire

Le con�nement a fait exploser le recours au télétravail Une progression généralisée mais massive pour les acteurs et secteurs les plus habitués

« LES ENTREPRISES ONT PRIS 

CONSCIENCE QUE LE TÉLÉTRAVAIL

RENFORCE LA NÉCESSITÉ D’AVOIR UNE STRATÉGIE ET 

UNE VISION CLAIRE DE SES PRIORITÉS »

VINCIANE BEAUCHENEdirectrice associée au

Boston Consulting Group

quand, du jour au lendemain, plu­sieurs millions d’employés et d’agents de collectivités se sont re­trouvés à travailler depuis leur domi­cile, les cybercriminels se sont frottéles mains. Dès les premiers jours du confinement, les utilisateurs se sontprécipités sur les applications de vi­sioconférence. Le nombre de réu­nions organisées chaque jour sur Zoom est ainsi passé de 10 millions endécembre 2019 à 300 millions finavril… Mais utiliser une telle applica­tion sans avoir activé ou non les diffé­rents paramètres expose aux fuites de données, à la présence de partici­pants non invités et à l’enregistre­ment des échanges. Rapidement ac­cusée de ne pas chiffrer les réunions et de faire transiter certains échanges par des serveurs en Chine, l’applica­tion a été interdite par nombre d’en­treprises, et même d’Etats. Elle a été corrigée depuis. Mais si l’on ne tient pas à voir ses discussions entre collè­gues exploitées par des inconnus

malveillants, mieux vaut consulter la politique de confidentialité.

Les données personnelles et profes­sionnelles sont d’autant plus à risque que beaucoup d’employés ont com­mencé à télétravailler sur l’ordinateurde la maison. « Les logiciels y sont rare­ment mis à jour, il y a donc un risque lorsqu’on les autorise à accéder auxserveurs des entreprises », remarque Gérôme Billois, associé cybersécuritéet confiance numérique au cabinet deconseil Wavestone, sauf pour les en­treprises qui ont déjà migré une par­tie des applications dans le cloud. Les logiciels de messagerie, les docu­ments et les données sont alors acces­sibles en ligne sans passer par le sys­tème informatique de l’organisation.

« Le collaborateur est le premier rem­part de l’entreprise, il faut lui faire adopter les bonnes pratiques », af­firme Stéphane Tournadre, responsa­ble de la sécurité des systèmes d’infor­mation (RSSI) du groupe Servier. Le la­boratoire a montré à ses salariés com­

ment l’application de suivi du Covid­19 sur la carte du monde, largement diffusée sur les smartphones, servaiten fait à exfiltrer les données des mo­biles… « Cet exemple dans l’environne­ment personnel leur a fait mesurer ce qu’il peut se passer dans le monde pro­fessionnel. » Et pour éviter que des données sur les savoir­faire indus­triels ou de recherche s’égarent, Ser­vier a tout simplement proscrit le pa­pier pour ceux qui travaillent à domi­cile. Les assistantes ont créé les procé­dures d’utilisation de la solutioncollaborative Teams, adoptée par toute l’entreprise.

« Remettre tout cela en ordre »Les rançongiciels qui visent les parti­culiers se sont aussi multipliés depuisla mi­mars. Ces logiciels malveillantschiffrent les fichiers de l’ordinateur puis exigent une rançon pour délivrerla clé de déchiffrement. « Mais il s’agit de faibles montants, et les risques neportent pas directement sur les don­

nées », constate Jérôme Notin, direc­teur général du site public Cybermal­veillance.gouv.fr. Pour se protéger, il faut faire des sauvegardes régulières du contenu de son ordinateur.

Enfin, les dérogations accordéespendant le confinement ont créé de nouveaux risques. Ainsi, il a falluautoriser des collaborateurs à télé­charger des logiciels sur leur ordina­teur professionnel pour piloter leursimprimantes à domicile ou pour ac­céder à certaines applications. Pour cela, l’administrateur du système in­formatique donne au compte de l’em­ployé des « privilèges » qui lui permet­tent de faire des choses qu’il n’a pas ledroit de faire d’habitude. « Il faudra re­mettre tout cela en ordre quand les employés reviendront au bureau », in­siste Gérôme Billois. Faute de quoiles cybercriminels n’auront qu’à utili­ser discrètement ces portes grandes ouvertes vers le système d’informa­tion pour se servir.

so. c.

Alerte sur la confidentialité des entreprises

muniquer plus, beaucoup plus, pour asseoir les nouveaux canaux de circulation de l’in­formation, s’assurer que chacun sache à qui s’adresser pour travailler « normalement », et, bien sûr, suivre l’état de santé physique etmentale des salariés. « La visio aide à déceler les salariés piégés dans le surtravail », assure Virginie Jourdan, DRH de Dalibo, une petite entreprise de services.

« COORDINATION NARRATIVE »La visibilité doit être reconstruite, « car lesmécanismes de coordination ne se reprodui­sent pas automatiquement en télétravail »,ajoute Vinciane Beauchene. Les priorités de l’entreprise doivent être explicitées pour éviter que chacun, derrière son ordinateur,n’avance en ordre dispersé. Le sociologueJean Pralong, qui a suivi 317 télétravailleurs durant dix ans, a mis en évidence la « coordi­nation narrative » propre au télétravail, la ca­pacité à se rendre visible là où on n’est pas, àfaire parler de soi ou à faire entendre au ma­

réunion de plus de deux heures n’est pas pos­sible. Après le confinement, je pense qu’on aura convaincu beaucoup de monde qu’iln’est plus besoin d’aller à Rouen pour tenir unatelier de créativité », poursuit le consultant associé chez Accenture. Mais « c’est quandmême formidable de se retrouver en réunion. On reprendra l’avion et on se resserrera lesmains », relativise Olivier Girard. Chez Engie aussi, « la pratique des voyages va évoluer », affirme Pierre Deheunynck, après avoir constaté qu’il a été possible de réunir plus de2 500 salariés en même temps et à distance.

La crise liée au Covid­19 a créé un véritableélectrochoc. « Les entreprises ont pris cons­cience qu’au­delà de l’outil et de la capacité à l’utiliser, le télétravail renforce la nécessité d’avoir une stratégie et une vision claire de sespriorités et la capacité à la communiquer »,explique Vinciane Beauchene. L’importance de la communication dans la vie de l’entre­prise aura été un des premiers enseigne­ments de cette période particulière. Com­

nageur ce qu’on fait et avec quelles contrain­tes, au lieu de laisser l’interrelation se faire toute seule. « Quand la petite de 6 ans arrive en pleine visioconférence, ça dit ce que fait le salarié, et ça crée de la sympathie. En visio­conférence, il y a des gens qui prennent plus ou moins la parole. Le télétravail valorise des salariés et en met d’autres dans l’ombre, ce nesont pas forcément les mêmes que dans l’or­ganisation. Des travailleurs loyaux peuventêtre mis en difficulté ou devenir invisibles », alerte le sociologue.

Enfin, la généralisation soudaine du télé­travail a mis en exergue l’importance du col­lectif pour l’entreprise, en apportant uneconnaissance plus fine des équipes. Grâceaux différents outils mis en place pour cette période, chacun a pu se rendre compte du contexte dans lequel travaille l’autre. « Cette période a confirmé l’engagement des collabo­rateurs, résume Hélène Gemähling. Il fautbâtir là­dessus. »

anne rodier

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Page 18: Le Monde - 19 05 2020

18 | économie & entreprise MARDI 19 MAI 20200123

montréal ­ correspondance

L es chapiteaux jaune etblanc sont toujours dres­sés sur le Vieux­Port deMontréal. Le Cirque du

Soleil devait y lancer en fanfare, le 22 avril, son nouveau spectacle de performances acrobatiquesSous un même ciel. Mais l’images’est figée, ces chapiteaux sontaujourd’hui vides de toute acti­vité et de tout public.

Car, au premier jour de l’arrivéede la pandémie de Covid­19 au Ca­nada, toutes les représentations ont été annulées, comme l’ont étécelles des 44 spectacles produitsdans le monde entier, de Las Ve­gas à Hangzhou, de Lyon à Mos­cou, de Tel­Aviv à Melbourne.Cette mise à l’arrêt annoncée, le19 mars, par la direction du cir­que, a entraîné la mise à pied im­médiate de 4 679 de ses em­ployés, soit 95 % de ses effectifs. Depuis, le géant québécois duspectacle vivant, fondé en 1984par l’ex­cracheur de feu devenumillionnaire Guy Laliberté, va­cille et craint pour sa survie.

La crise entraînée par la pandé­mie a révélé la grande fragilité fi­nancière de ce qui était pourtant considéré comme un masto­donte culturel : depuis la vente, en 2015, par Guy Laliberté de l’es­sentiel de ses parts au fondstexan TPG Capital (60 %), au chi­nois Fosun Capital Group (20 %) et à la Caisse de dépôt et place­ment du Québec (CDPQ), quipasse de 10 % à 20 % des parts, le cirque traîne une dette estimée à900 millions de dollars améri­cains (832 millions d’euros). Quel­ques jours après le début de la crise, l’agence de notation améri­caine Moody’s soulignait « un ris­que de défaillance élevé d’ici à lafin de l’année » : l’arrêt des ventes de billets, dont le cirque tire l’es­sentiel de ses ressources, le prive, jusqu’à nouvel ordre, de toute possibilité d’honorer jusqu’auxintérêts de sa dette.

Fin mars, Reuters dévoile quel’entreprise « étudie plusieurs op­tions pour restructurer son endet­tement, et n’exclut pas d’être con­trainte de se placer en faillite ». Les grandes manœuvres commen­

cent pour tenter qui de sauver labelle marque au bord de l’as­phyxie, qui d’en profiter pour la récupérer. Les trois actionnairesoffrent une bulle d’oxygène enconsentant un prêt exceptionnel de 50 millions de dollars, mais toutes les options sont désormaissur la table : injecter de l’argentfrais des investisseurs actuels, re­capitaliser l’entreprise avec de nouveaux partenaires ou la ven­dre. Le Cirque du Soleil mandate la Banque du Canada pour explo­rer tous les scénarios.

Québecor, le conglomérat de té­lécoms et de médias contrôlé par le magnat Pierre Karl Péladeauest, à ce jour, le seul à être sorti dubois en affichant, début mai, par voie de communiqué « sa déter­mination à participer au sauve­tage (…) de cet ambassadeur du ta­lent québécois ». Une sortie publi­que contrainte, car, si une propo­sition de rachat a bien été formulée au cirque près d’un mois auparavant, elle était restéeconfidentielle.

Québecor intéresséC’est un article paru dans Le Jour­nal de Montréal, propriété deQuébecor, qui déclenche les hos­tilités : il y est révélé que le rachat par la CDPQ mi­février, justeavant la crise, des 10 % que Guy La­liberté possédait encore dans le Cirque, s’est fait par une transac­tion avec une société établie aux îles Caïmans, un paradis fiscal.

Le Cirque du Soleil, qui finira parreconnaître les faits, soupçonne le patron de Québecor de vou­loir dénigrer l’entreprise avant de la racheter au rabais, il met en demeure le groupe de Pierre KarlPéladeau (« PKP ») de cesser d’écrire des articles à son sujet. « PKP » parle de « manœuvres na­vrantes », mais confirme, dans la foulée, l’intérêt qu’il porte à l’en­treprise affaiblie.

De son bureau vitré, au 13e étagede la tour Québecor, Pierre Karl Péladeau pourrait presque aper­cevoir les chapiteaux du cirque.Dans un entretien accordé au Monde, celui qui se présente comme « un fier Québécois » – il s’est d’ailleurs aventuré en politi­que, en 2015, en tant que chef du

Parti québécois – assure qu’il a à cœur de maintenir à Montréal cet« emblème du patrimoine culturel du pays ». Jouer sur la fibre patrio­tique, quand le gouvernement du Québec répète qu’une solution « àla québécoise » aurait sa préfé­rence, ne saurait nuire.

« Au fil des acquisitions de Qué­becor [notamment le câblo­opé­rateur Videotron], nous avons prouvé que nous étions des entre­preneurs, pas des financiers, notre objectif est bien d’assurer la péren­nité du cirque », promet­il égale­ment. Une pierre dans le jardin des actionnaires actuels, en majo­rité des fonds d’investissementétrangers. Enfin, interrogé sur lastratégie de redressement envisa­gée, son directeur financier ayant suggéré que la compagnie devrait

sans doute resserrer son activitésur les spectacles rentables, soit les six grands shows actuels de Las Vegas, et quatre autres en Chine, au Mexique, en Allemagneet en Floride, Pierre Karl Péladeau se veut rassurant vis­à­vis des milliers d’employés du cirque.

Discussions enlisées« Il faut assurer les marchés finan­ciers du sérieux de notre gestion, explique­t­il, mais la créativitédes artistes du cirque, je suis le pre­mier à savoir qu’on ne la trouve pas au supermarché du coin ! Ce sont eux le véritable “actif” de l’en­treprise. » Le grand patron se ditmême prêt à accueillir à brasouverts, pour un éventuel « par­tenariat », Guy Laliberté, qui, dans une lettre publique, a confié

qu’il hésitait à « sauter dans l’arène » pour sauver du gouffreson ancienne compagnie.

A ce jour, les discussions formel­les entre Québecor et Le Cirque duSoleil sont enlisées, le premier re­fusant de signer une clause deconfidentialité exigée par le se­cond pour lui donner accès à sescomptes. Une dizaine d’investis­seurs se seraient, en revanche, déjà signalés pour participer auprocessus de recapitalisation oude rachat du cirque, qui s’ouvriraofficiellement au début du mois de juin. Une frénésie qui con­traste avec la réalité des activités actuelles du cirque : personne nesait aujourd’hui quand on pourra de nouveau acheter un billet etprofiter du spectacle.

hélène jouan

L’agroalimentaire fortement secoué par le coronavirusL’arrêt de la restauration collective a fortement pesé sur l’activité du secteur, et notamment sur les TPE et les PME

P as de déconfinement pourles entreprises agroali­mentaires. Et pour cause,

elles n’ont jamais fermé boutique,et leurs équipes sont restées sur lepont pendant toute la période demise sous cloche pour participerà la chaîne d’approvisionnementdes Français. Une chaîne qui atenu, malgré de multiples ten­sions. S’il est encore tôt pour tirer un bilan complet de l’incidencede la crise du coronavirus sur ce secteur industriel, l’Association nationale des industries agroali­mentaires (ANIA) a souhaité faire un coup de sonde dans ses rangspour évaluer le moral des troupes.Elle a publié les résultats de ce ba­romètre, mardi 12 mai.

Un échantillon restreint de 602entreprises, sur un total de 17 723recensées dans ce secteur, a ré­pondu au questionnaire. Il en ressort qu’en moyenne les son­dées ont vu leur chiffre d’affairesfondre de 22 % sur la période du confinement. Un résultat quipeut paraître contre­intuitif, quand chacun garde en mémoireles cohues d’acheteurs compul­sifs soucieux de faire des réservesdans les allées des supermarchés.Mais ce chiffre ne reflète pas, à luiseul, une réalité très contrastée.

« Il y a une très grande hétérogé­néité de résultats par secteurs et par taille d’entreprise », reconnaîtStéphane Dahmani, directeur économie à l’ANIA, et d’ajouter :« Les TPE et les PME sont les plustouchées : 80 % à 90 % d’entre ellesaffirment être confrontées à une baisse de chiffre d’affaires. »

Sans surprise, les petites entre­prises qui écoulaient leur pro­duction dans la restauration commerciale, dans les cantines ou hors des rayons libre­service des supermarchés ont pris deplein fouet l’arrêt net de ces ca­naux de distribution. A l’imagedes PME fabriquant des fromagesAOP. Ou des entreprises vinico­les, avec des chutes entre 50 % et 70 % de leur activité.

De même, certains aliments ontété délaissés au profit d’autres,alors que les Français, cloîtrés chez eux, changeaient leurs habi­tudes alimentaires. Ainsi, selon l’institut Nielsen, les ventes defarine ont bondi de 125 %, quand à l’inverse celles de champagne,confiseries ou chewing­gumsétaient en berne, affichant un re­pli de près de moitié. Les sand­wichs ont aussi été délaissés, alorsque les œufs étaient plébiscités. Dans ce contexte très chahuté,

tout le monde n’était pas logé à la même enseigne.

Les grands groupes agroalimen­taires, de part leur fort ancragedans les enseignes de distribu­tion, ont pu bénéficier du report des achats des Français. Et, par­fois, en étant présents sur plu­sieurs catégories de produits, lis­ser les effets négatifs. La publica­tion des résultats trimestriels des entreprises cotées, même si ellen’intègre que le début de la crise, àpartir de mi­mars, donne quel­ques indications.

« Reconstituer les stocks »Grâce à l’appétit des consomma­teurs pour les conserves, par exemple, Bonduelle a bénéficié d’une progression de son chiffre d’affaires de 12,7 % au premier tri­mestre. Une hausse quasi identi­que chez le fromager Bel sur cette période. Grâce à la bonne perfor­mance des produits laitiers et des laits infantiles, Danone a, lui, affi­ché une hausse de 3,7 % de son chiffre d’affaires. Le leader mon­dial de l’agroalimentaire, Nestlé, a vu ses ventes progresser de 4,3 %, un niveau de croissance qu’il n’avait pas connu depuis cinq ans.

Parmi les contre­exemples, Per­nod Ricard, dont le chiffre d’affai­

res a plongé de 14,5 % entre jan­vier et mars. Une évolution qui il­lustre la chute de la commerciali­sation des alcools, quand restaurants, bars et aéroportssont fermés. Toutefois, beaucoup de groupes cotés, même s’ils affi­chent des croissances d’activité, ont suspendu leurs prévisions de résultats pour l’année 2020. Laréorganisation de la productionpour répondre à la demande et sa­tisfaire aux exigences renforcéesde sécurité sanitaire, la hausse du coût du transport et de la logisti­que aux premiers temps du confi­nement, les incertitudes sur le pouvoir d’achat des consomma­teurs touchés par la crise écono­mique qui pourrait découler decelle du Covid­19, mettent les marges sous pression.

« Tant que la restauration com­merciale et collective reste fermée, même si les exportations ont re­pris, nous avons des problémati­ques de gestion de marché. Nous restons dans un mode de fonction­nement dégradé », affirme Domi­nique Chargé, président de Coop de France, le bras armé des coopé­ratives agricoles françaises. « Il faut reconstituer les stocks à la foischez les industriels et dans lagrande distribution, pendant l’été.

Les gens en production sont sur lesgenoux. Il y a des opérations demaintenance à gérer, des lignes de production à réorganiser. Je nevois pas de retour à la normale avant octobre », analyse RichardPanquiault, directeur général del’Institut de liaisons des entrepri­ses de consommation (ILEC), qui défend les intérêts des groupes degrande consommation.

« Il y a un moratoire depuis le23 mars entre l’industrie agroali­mentaire et la grande distribution pour ne pas appliquer les pénalitésliées au taux de service [la probabi­lité attendue de ne pas être en rupture de stock]. En effet, le taux de service a été dégradé par la sur­demande. Nous sommes inquiets, car des enseignes commencent à reparler de ces pénalités après le 11 mai », explique M. Chargé.

Il demande également que ladiscussion s’ouvre pour savoir comment répercuter les surcoûts que l’industrie a dû encaisser pen­dant la crise. Après une période de« paix des braves » pour éviter la crise alimentaire, le sujet des rela­tions commerciales entre agricul­teurs, industriels et distributeurs, au cœur de la loi Egalim, va trèsvite revenir sur la table.

laurence girard

Lors d’une représentation du spectacle « Crystal » du Cirque du Soleil, à Riga, en Lettonie, le 15 janvier. INTS KALNINS/REUTERS

L’arrêt des spectacles,

en raison de la pandémie,

a entraîné la miseà pied immédiate

de 4 679 des employés du

cirque, soit 95 %des effectifs

Le Cirque du Soleil, affaibli et convoitéL’entreprise québécoise, endettée à hauteur de 900 millions de dollars, est l’objet de grandes manœuvres

AÉRIENEmirates Airlines envisage de supprimer 30 000 postesEmirates Airlines envisage la suppression de 30 000 pos­tes, soit 30 % de ses effectifs, a affirmé l’agence Bloom­berg, dimanche 17 mai. La compagnie de Dubaï a déjà réduit de 25 % à 50 % les sa­laires de ses employés pour une période de trois mois.

CONJONCTURELa Fed refuse d’assimiler la crise actuelle à la Grande DépressionJerome Powell, le patron de la Reserve fédérale (Fed, banque centrale américaine), estime que la crise provoquée par la pandémie de Covid­19 pré­sente « des différences fonda­mentales » avec la Grande Dé­pression. Mais M. Powell a jugé qu’un pic du taux de chô­mage à 20 % ou 25 % est pro­bable, et que la chute du PIB des Etats­Unis au deuxième trimestre sera « facilement dans les 20 % ou 30 % ».

Le Japon en récessionAprès un deuxième trimestre d’affilée de baisse du PIB sur la période janvier­mars, le Ja­pon est entré en récession. Le PIB a reculé de 0,9 % au pre­mier trimestre de l’année par rapport au dernier trimestre de 2019, selon les chiffres pu­bliés, lundi 18 mai, par Tokyo.

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Page 19: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 carnet | 19

Société éditrice du « Monde » SAPrésident du directoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirecteur du « Monde », directeur délégué de la publication,membre du directoire Jérôme FenoglioDirecteur de la rédaction Luc BronnerDirectrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise TovoDirection adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre,Benoît Hopquin, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)Directrice éditoriale Sylvie KauffmannRédaction en chef numérique Hélène BekmezianRédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws, Franck Nouchi (Débats et Idées)Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van KoteDirecteur du numérique Julien Laroche-JoubertChef d’édition Sabine LedouxDirectrice du design Mélina ZerbibDirection artistique du quotidien Sylvain PeiraniPhotographie Nicolas JimenezInfographie Delphine PapinDirectrice des ressources humaines du groupe Emilie ConteSecrétaire générale de la rédaction Christine LagetConseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

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1ÉDITORIALAMER COMPROMISPOUR L’EUROPE

la décisionen juin 2016 desBritanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, ac­quise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmo­dalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avait été vendu aux élec­teurs.Mais, face à lamenaced’un «no deal», il représentelamoinsmauvaise façon de

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Chômage: l’espoir d’une amélioration durable▶ Au troisième trimestre,le nombre de demandeursd’emploi sans aucune acti­vité a diminué de 0,4%,selon les chiffres publiésvendredi 25octobre

▶ Le reflux du nombrede chômeurs se confirmedoucement. Il s’agitdu quatrième trimestrede baisse. Sur un an, ladécrue est nette, à – 2,4%

▶ Ces résultats font écho àla bonne santé dumarchédu travail. Jeudi, le réseaudes Urssaf a fait étatd’une «augmentationsoutenue» des CDI

▶ Lamontée en régime duplan gouvernemental deformation contribue aussià cette baisse, encore fra­gile dans une conjonctureinternationale incertaine

▶ L’exécutif et samajoritéjugent atteignablel’objectif d’un taux dechômage ramené à 7%à la fin du quinquennatPAGE 10

CHILI AUX SOURCESDE LA COLÈRE▶ Lemouvement de contestation quidénonce les inégalités sociales a connu unemobilisation historique à Santiago vendrediPAGE 4

LubrizolDes défaillanc

CorseClaude Cho at

Géopolitique Le rêve briséd’autonomie des Kurdes

TURQUIE

IRAK

SYRIE

1 ÉDITORIAL

ÉTERNELS LAISSÉS­POUR­COMPTEPAGE 30

▶ L’offensive turquedans le Nord­Est syrienmarque un coup d’arrêtau projet politique dupeuple apatridePAGES 16 À 19

Lubrizol CorseCorseCor

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1 ÉDITORIAL

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AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Caroline VERDURE-RIMAUDet Yohan RIMAUD

partagent avecGabriel,

la joie d’annoncer la naissance de

Amédée,

le 8 mai 2020, à Besançon.

Décès

Magdeleine Cocrelle,son épouse,

Fabienne et Florence Cocrelle,ses filles,

Gérard Hovakimian,son gendre,

Timothée et Chloé Hovakimian,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décèsde

Gérard COCRELLE,ENA promotion « 18 juin »,

chevalierde la Légion d’honneur,

officierdans l’ordre national duMérite,

survenu à Paris, des suites duCovid-19, le 23 avril 2020, à l’âge dequatre-vingt-neuf ans.

Un service religieux a été célébréen l’église Saint-François-Xavier,Paris 7e et les obsèques ont eu lieudans l’intimité.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Mme Cocrelle,5, rue Albert-de-Lapparent,75007 Paris.

Le cabinet d’avocats Duclos,Thorne, Mollet-Viéville & Associés

a la tristesse d’annoncer le décès de

Jean-Pierre DUCLOS,avocat et fondateur du cabinet.

Ses associés, anciens et actuelscollaborateurs et salariés présententleurs plus sincères condoléancesà son épouse, Jacqui, à son fils,Sébastien, ainsi qu’à toute sa famille.

Harjeet Singh Gill,sonmari,

Eric et Julie,Anila et Jean-Guillaume,Sandrine, Jaspal, Nilam,Aalia, Ishaan

ses enfants et ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Danielle GILL,née GUÉGAN,enseignante,germaniste,

docteur en linguistique,traductrice du pendjabi,

survenu le 23 avril 2020, à Paris,à l’âge de quatre-vingts ans.

Ses obsèques ont eu lieu le 7 mai.

Elle repose au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.

Un hommage lui sera rendu dèsque les circonstances le permettront.

[email protected]

Michèle Goubet,née Réal,son épouse,

Philippe et Nathalie Goubet,Sophie Migairou et Cyril Maury,

ses enfants et leurs conjoints,Pierre, Elisa, Etienne, Marion et

Clara,ses petits-enfants,

Maryse Dubo,sa sœur,

ont la grande tristesse d’annoncerle décès de

Michel GOUBET,agrégé d’histoire,ancien professeur

au lycée Pierre-de-Fermatde Toulouse,

survenu le 6mai 2020,dans sa quatre-vingt-quatrième année.

Villaines-en-Duesmois.

Christine Graffin,son épouse,

Juliette, Ambroise, Clémence,Matthieu et Camille,ses enfants,

Jeanne, Lou, Gustavo, Gabriel,Jonas, Marco, Marius, Rita, Georgeset Lisa,ses petits-enfants,

Brigitte, Cécile et Roselyne,ses sœurs,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Philippe GRAFFIN,

survenu le 5 mai 2020.

Toute sa tribu lui souhaite un bonvoyage.

[email protected]

Sa famille,Ses amis,Ses camarades,

sont dans la peine après le décès de

Pierre GRANET,éducateur à l’Éducation surveillée,ouvrier du livre lecteur-correcteur

aux éditions Gallimard,militant trotskyste anticapitaliste,

militant de la solidaritéinternationale,syndicaliste,

faucheur volontaireet manifestant anti-nucléaire,

féministe en paroles et en actes,père et grand-père dévoué,

foudroyé par une crise cardiaquedans sa soixante et onzième année,le samedi 2 mai 2020, en find’après-midi.

Homme de livres et de luttes,il avait la conviction qu’un autremonde est possible.

Le soleil brillera toujours.

Des dons peuvent être adressésau Conseil démocratique kurdeen France, à Droit au logement,à La Terre en commun.

Un hommage sera organisél’année prochaine.

Marie Jarreau,son épouse,

Mathilde Jarreau,sa fille,

Félix et Gaspard Megret,ses beaux-fils,

Patrick Jarreau,son frère,

Pierre-Henri et Marie-Pia Jarreau,son frère et sa belle-sœur,

Sophie et Philippe Demange,sa sœur et son beau-frère,

Joachim et Cristina, Arthur, Hugo,Ysé, Esther, Solal,ses neveux et nièces,

ont la très grande tristesse de fairepart du décès de

Philippe JARREAU,journaliste,

ancien rédacteur en chef photodu Journal du Dimanche,

survenu le 13 mai 2020.

Les obsèques auront lieu dansl’intimité familiale au cimetière duMontparnasse, Paris 14e.

Ni fleurs ni couronnes.

Ce avis tient lieu de faire-part.

Paris.

Monette Aïdan,sa sœur,

René et Gérard Maruani,ses frèreset leurs épouses, Eva et Nicole,

Albert, Audrey et Didier Aïdan,Estelle Nahum, Anna et JuliaMaruani,ses nièces et ses neveux,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. Georges William BrahamMARUANI,

né le 26mai 1943,

survenu le 8mai 2020.

Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité familiale le 10mai.

Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.

Pierre Martin,président,

Le bureau nationalde l’Association nationale desanciens combattants et ami(e)s de laRésistance (ANACR),

ont appris avec très grande tristessele décès de

Mme Cécile ROL-TANGUY,lieutenant FFI

(Forces françaises de l’intérieur),médaillée de la Résistance,

croix du combattant volontairede la Résistance,grand officier

de la Légion d’honneur,grand’croix

de l’ordre national duMérite,présidente de l’ANACR.

survenu le 8mai 2020,à l’âge de cent un ans,

Compagne de vie et de lutte ducolonel Henri Rol-Tanguy, ellerestera pour l’Histoire un exemplede l’engagement des femmes dans laRésistance et de la fidélité à sesvaleurs.

(Le Monde du 10-11 mai.)

Monique Shearer,son épouse,

Alexandre et Katia, Emmanuel,ses enfants,

Victor, Faustine, Alice, Pierre,Pénélope,ses petits-enfants

Ainsi que XénaEt toute sa famille de France et

de Nouvelle-Zélande,

ont la très grande tristesse de fairepart du décès de

David SHEARER,

survenu à Paris, le 7 mai 2020,à l’âge de soixante-treize ans.

La crémation a eu lieu dansl’intimité familiale, ce 18 mai.

Une cérémonie sera organisée dèsque les circonstances le permettront.

La famille remercie trèschaleureusement le docteurGueugneau qui l’a accompagné toutau long de sa maladie ainsi quele docteur Angelergues et lepersonnel du service oncologiede l’hôpital de la Croix-Saint-Simon.

[email protected]

Raoul Sicsic,son époux,

Pierre et Elisabeth Sicsic-Kremp,son fils et sa belle-fille,

Paul, Aude et Christophe, Hélène,ses petits-enfants,

Julia,son arrière-petite-fille,

Les familles Guillaumou, Scherrer,Darmon, Sicsic, Drighes, Kremp,Houchard,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Annie SICSIC,née GUILLAUMOU,

pharmacienne,

survenu le 7 mai 2020,dans sa quatre vingt douzième année.

Famille Sicsic,200, boulevard Malesherbes,75017 Paris.

Remerciements

Le samedi 28mars 2020,

Maurice CERISOLA,

succombait à une crise cardiaquechez lui, à l’Île de la Réunion qu’ilaimait tant.

Marie-Pascaleet ses enfants,

Anne-Sophie, Thomas, Adeline,Charlotte et Timothée,

remercient chaleureusement tousceux, si nombreux, qui lui ontrendu de si beaux témoignages ethommages, à l’image de l’hommeprofondément bon et généreux qu’ilétait.

Son esprit, sa foi et son sourirecontinueront d’illuminer nos vies.

Irène et Olivier Berton,Antoinette et Gilles Teisseire,

ses sœurs et beaux-frèresEt toute sa famille,

remercient tous ceux et celles quise sont associés à leur peine lors dudécès de

Francis TROUSSELIER,

survenu le 26mars 2020.

Anniversaire de décès

Le jeudi 19 mai 2011.

Michel PRIGENT,président du directoire

des Presses Universitaires de France,

nous quittait à l’âge de soixante ans.

Nous ne l’oublions pas.

La Fédération des Aveuglesde France

rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.

En désignant notre associationcomme bénéficiairede leur patrimoine,

ils contribuent à améliorerla vie quotidienne

des personnes aveugleset malvoyantes.

Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.

Nous ne les oublierons jamais.

Fédération des Aveuglesde France,

6, rue Gager-Gabillot,75015 Paris.

Tél. : 01 44 42 91 91.

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Page 20: Le Monde - 19 05 2020

20 |horizons MARDI 19 MAI 20200123

Vie et mort d’une femme sous empriseMarie­Alice Dibon, 53 ans, a été tuée par son compagnon en avril 2019, au terme d’une relation toxique dont ses proches décryptent aujourd’hui le mécanisme

S ur sa page Facebook, Marie­AliceDibon avait choisi une poignée demots pour se résumer : « Free birdand happy nerd ». Voilà commentelle se voyait et se présentait auxautres : « Oiseau libre et passion­

née de sciences ». Au­dessus de la phrase enanglais, sa photo : la cinquantaine, cheveux mi­longs teints en blanc, les traits fins, lesourire impeccable. Seules quelques rides d’expression, au coin des yeux et sur les joues,esquissaient joliment le passage du temps. Quand ses proches évoquent aujourd’hui cette consultante en biotechnologies de 53 ans, les qualificatifs flatteurs se succèdent : « Cultivée », « brillante », « sociable », « fémi­niste convaincue »… « “Free bird”, c’était elle,confirme Hélène de Ponsay, sa sœur. Ce n’étaitpas quelqu’un qui se laissait enfermer dans une cage. » Un mot, en revanche, ne vient pas spontanément : « Victime ».

Le 22 avril 2019, le corps de Marie­AliceDibon a été retrouvé, recroquevillé dans un grand sac de voyage flottant dans l’Oise, près de la base de loisirs de Cergy­Pontoise, au nord­ouest de Paris. Luciano Meridda,66 ans, son compagnon, s’est enfui en Italie après l’avoir empoisonnée puis jetée à l’eau, faisant d’elle la cinquante et unième victime de féminicide en France cette année­là. Trois semaines plus tard, le 10 mai, il s’est suicidé.

Les mécanismes psychologiques en jeudans cette histoire – de la séduction au condi­tionnement en passant par le dénigrement,les « signaux faibles » observés par l’entou­rage et l’impossibilité de sortir d’une relationtoxique – dessinent par touches un phéno­mène au cœur des féminicides que Le Mondea étudiés : l’emprise. La famille et les amis de Marie­Alice Dibon en décrivent les rouages sans forcément utiliser le mot. La psychiatre Marie­France Hirigoyen, auteure de Femmessous emprise (éd. de Noyelles, 2005), a recoursà la « fable de la grenouille » pour mieux comprendre cette notion aux mille nuances, si insaisissable que le code pénal lui­même ne la définit pas : « Si on la plonge dans l’eau bouillante, la grenouille va s’échapper d’unbond. Mais si la température grimpe petit à petit, elle ne va pas prendre conscience du danger et finira par mourir ébouillantée. »

Pour Marie­Alice Dibon, tout a donc com­mencé par une rencontre aux allures deconte de fées, au début des années 2000. Elle habite alors entre les Etats­Unis et la France, et doit se rendre chez sa sœur, en banlieue parisienne. Dans le taxi, le chauffeur a posé un bouquin sur le siège passager. Il lit sou­vent, entre deux clients. Marie­Alice, elle aussi, dévore les livres. La conversation s’en­gage. Le chauffeur lui laisse sa carte de visite. Il s’appelle Luciano Meridda, approche la cin­quantaine. Venu d’Italie alors qu’il était en­core enfant, il se présente comme un autodi­dacte curieux, issu d’un milieu modeste.

RENCONTRE AVEC « UN TYPE INCROYABLE »« Quand elle est arrivée chez nous, elle était surun nuage, se remémore Hélène de Ponsay. Elle venait de rencontrer un type incroyable. Il était chauffeur de taxi et lisait je ne sais quel roman médiéval ou de la poésie qu’elle était entrain de lire aussi. » Marie­Alice et Luciano serevoient. Elle a connu un premier mariagejeune, en 1989, une installation aux Etats­Unis l’année d’après, puis un divorce, sept ans plus tard, sans enfant. Des histoires senti­mentales compliquées ensuite – « avec des hommes impossibles », selon une amie –, notamment avec un Belge, qu’elle a aidé àsortir de l’alcoolisme. Luciano, lui, dit se re­construire après une rupture difficile. « C’est divorcée et sans boulot qu’elle l’a rencontré, ra­conte Sandie Jaidane, l’une des amies de Marie­Alice. Elle avait besoin de beaucoupd’affection, d’amour. Il a comblé ses vides. »

Elevée au sein d’une famille plutôt bour­geoise de la région lyonnaise, fille de profsd’allemand, Marie­Alice est titulaire d’un doctorat en pharmacie. Luciano, lui, n’a pasfait de longues études et aime à répéter qu’il s’est bâti à la force du poignet et du volant. Dans l’entourage de Marie­Alice, le coupledétonne. Elle le sait, et s’amuse parfois de l’étonnement que cela provoque, peut­être pour ne pas s’en agacer. « Elle aimait bien lestrucs insolites, ça lui plaisait plutôt d’être avecquelqu’un que les autres trouvaient inappro­prié, pas dans sa gamme, souligne Marc An­selme, un ami consultant expatrié à Sacra­mento (Etats­Unis). C’était quelqu’un quiaimait bien tailler son propre chemin. »

Au gré de conférences et de rendez­vousprofessionnels, la consultante en biotechno­logies alterne les séjours de deux mois enFrance et aux Etats­Unis. En Californie, elle a acheté un petit chalet près du lac Tahoe, un écrin de nature où elle aime se ressourcer, àtrois heures de route au nord­est de San Fran­cisco. A ses retours en France, « Lulu » vient la chercher, en taxi et costume. Ils viventdans un appartement qu’il possède à Courbe­voie, dans les Hauts­de­Seine. « A l’époque,

ma sœur passe beaucoup de temps aux Etats­Unis et, quand elle rentre au pays, ils se retrou­vent, avec plaisir je pense, décrit Hélène dePonsay à propos des premières années ducouple. Luciano devient une donnée stable dans sa vie, une sorte de point d’ancrage. »

Où qu’elle se déplace en France, il arrive.Laure de La Guéronnière, une amie de trenteans de Marie­Alice, se rappelle de « ce côté “j’ai mon chevalier servant”, parce que, effec­tivement, il présente bien, est chauffeur classeaffaires. Mais ça devient pesant, au fil dutemps ». Même quand ils ne sont pas sur le même continent, le téléphone les relie. Ils s’appellent plusieurs fois par jour. C’est plutôt lui qui appelle, d’ailleurs. LucianoMeridda aime dire à ses connaissances qu’ilfréquente une brillante scientifique franco­américaine. « Il avait besoin de se faire mous­ser, analyse Laure de La Guéronnière. Marie­Alice lui apportait cette mousse, ce côté unpeu plus glamour, peut­être, que la réalité de sa vie quotidienne. » Mais Luciano se montre « possessif », « jaloux », se souviennent diverstémoins. Certains s’étonnent de son côtémacho, voire xénophobe.

La phase de séduction n’a duré qu’untemps. Marc Anselme évoque une relationsentimentale ressemblant à « une collectionde problèmes ». Comme d’autres, il necomprend pas ce que son amie trouve à Luciano. Lors d’une balade dans la natureavec Marie­Alice, le sujet arrive, presque par hasard : « On discutait, en forêt, de notre

compagnon ou compagne idéale. Marie­Aliceme décrit quelqu’un. Je lui dis : “Tu me parlesde quelqu’un d’ingénieux, d’intelligent, mais ce n’est pas du tout Luciano.” Ça la vexe. Elle avait un caractère assez fort, je me fais en­gueuler. Quand elle me parlait de lui, je n’arri­vais plus à suivre son raisonnement. Commes’il y avait une main invisible qui la faisait dé­vier de sa rationalité habituelle. »

D’autres proches ont, eux aussi, l’impres­sion que Marie­Alice n’est plus la même en compagnie de Luciano. Petite femme éner­gique, la soixantaine, Bathsheba Mashleen,une amie américaine, relate une autre anec­dote marquante, un voyage en France, il y a quelques années. Avec son compagnon,Marie­Alice et Luciano, ils avaient décidé d’aller une semaine visiter les environs deCognac, en Charente. Mais, une fois sur place, Luciano ne sort plus de sa voiture, re­fuse les promenades. Au milieu du séjour,Marie­Alice annonce qu’elle doit le raccom­pagner à Paris. Bathsheba ne comprend pas :« Je lui ai même dit quelque chose comme : “Ce n’est pas très féministe, comme compor­tement, et je sais que tu l’es pourtant.” Maiselle n’a pas répondu. Elle a juste lancé : “Je dois rentrer avec lui.” Ce jour­là, j’ai pensé qu’il y avait deux Marie­Alice. Et que l’une d’elles était manipulée par lui. »

« Manipulée », ou simplement amoureuse ?Toujours est­il que Marie­Alice fait preuved’une grande mansuétude face au premiergros mensonge de son compagnon. Alors

qu’il s’était présenté comme divorcé, elle ap­prend plusieurs mois après leur rencontre qu’il est encore marié. Du reste, l’apparte­ment de Courbevoie où ils habitent appar­tient en partie à sa femme, domiciliée dans l’ouest de la France et avec laquelle il ne vit plus. Ce n’est pas Luciano qui le lui révèle,mais son épouse, qui appelle les parents deMarie­Alice. Au passage, celle­ci découvreégalement qu’il a des enfants.

LA PHASE DE « CONDITIONNEMENT »Nous sommes alors au milieu des années 2000. Disputes et moments de tension s’en­chaînent. Marie­Alice n’en parle pas trop à son entourage. « Je savais des choses par bri­bes, témoigne Catherine Sallenave, l’une de ses confidentes, qui habite Los Angeles. Elle n’aimait pas s’étendre sur le sujet. Mais, une fois ou deux, elle m’avait dit : “Tu sais, Lucianoest supermacho.” Elle m’avait raconté que, dans leur appartement, sur le plancher en bois, le soleil avait éclairé un peu de poussière.Luciano s’était énervé en lui reprochant d’être une très mauvaise ménagère. » Même si Ma­rie­Alice sait le remettre à sa place, le méca­nisme de l’emprise opère peu à peu, commeun piège qui se referme.

A sa mère, Marie­Alice annonce un jour autéléphone qu’il « a levé la main » sur elle. Ellen’ira pas jusqu’à dire qu’il l’a frappée. A derares amies, elle confie qu’il l’a giflée, maisqu’elle a passé outre. Son attitude interpelleson entourage. Elle, la femme au caractère

« J’AI PENSÉ QU’IL Y AVAIT DEUX MARIE­ALICE 

ET QUE L’UNE D’ELLES 

ÉTAIT MANIPULÉE PAR LUI »

BATHSHEBA MASHLEENune amie de Marie-Alice

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Page 21: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 horizons | 21

affirmé, qui ne se laisse pas dicter saconduite, a parfois des réactions inhabituel­les. Hélène, sa sœur, se souvient ainsi d’unincident, qui a eu lieu au détour d’une dis­cussion banale. « On devise gaiement sur noshistoires de sœurs, et là Marie­Alice perdcomplètement sa contenance et s’affole : “J’aioublié d’acheter du pain !” » Hélène s’enamuse : « Pas grave, tu iras plus tard, ou Lu­ciano peut en rapporter. » Marie­Alice in­siste : « Tu ne te rends pas compte, il aimevraiment que je le lui prépare. J’achète du pain frais, je coupe des tranches, je les mets au congélateur, comme ça, le lendemain, ilpeut se faire ses petites tartines grillées… »Hélène est estomaquée : « Je ne reconnais­sais pas ma sœur. On ne nous a pas élevéescomme ça. » Avec le recul, elle estime que« rentrer dans la maniaquerie de Luciano,dans ces espèces de routines qui s’imposent,c’était entrer dans son système de contrôle ».

Ainsi s’est mise en place, après l’étape de sé­duction, la phase de « conditionnement » dé­crite par la psychiatre Marie­France Hiri­goyen. Les barrières critiques de Marie­Alice cèdent. La femme rationnelle excuse des com­portements qu’elle aurait jugés intolérables s’ils avaient concerné ses amies. « Le fait que l’on soit d’une grande intelligence et que l’on ra­tionalise tout, ça aide à rationaliser l’intoléra­ble, analyse sa sœur Hélène. Quand Luciano était méchant avec elle et qu’on lui en faisait la remarque, Marie­Alice trouvait une explicationrationnelle. Elle pouvait dire, par exemple : “Il n’a pas été assez aimé quand il était petit. Il n’a pas eu la chance qu’on a eue d’avoir des parentsqui nous ont aimées, qui nous ont poussées à faire des études, qui nous les ont payées.” » Au sein du couple, le froid succède au chaud. Son compagnon semble orchestrer la perte de re­pères. Après chaque dispute, il se fait préve­nant. « Elle me montrait un bracelet ou un col­lier en me disant : “C’est lui qui me l’a offert. C’est toujours pareil : à chaque fois qu’on s’en­gueule et que je menace de le quitter, il devient tout gentil, fait des efforts. Mais ça ne dure pas” », se rappelle Sandie Jaidane, l’amie de Marie­Alice. Après une énième crise, il lui pro­met de divorcer. Il ne le fera jamais.

Les mois passent. Cette « main invisible »dont parle Marc Anselme empêche à plu­sieurs reprises Marie­Alice de rompre. Elle ypense pourtant depuis longtemps, en parle

à certains proches. Mais la perspective luidonne des scrupules. « Lulu » n’avait­il pasété là quand elle traversait une période diffi­cile ? N’avait­il pas perdu plusieurs kilos unedes fois où elle lui a annoncé qu’elle envisa­geait la séparation ? « Sa culpabilité la ren­dait aveugle, estime Sandie Jaidane. Elle me disait souvent : “Je culpabilise de ne plusl’aimer, de ne plus le désirer, de ne pas avoirenvie de finir mes jours avec lui alors qu’ilsera bientôt à la retraite.” »

DÉCIDÉE À ROMPRELuciano ne se prive pas d’alimenter ce senti­ment de culpabilité, lui répétant à l’envi qu’ilne peut pas vivre sans elle, qu’il se laisseramourir si elle part. Sa possessivité est prisepour de l’amour. « C’est valorisant, un homme qui vous dit que, sans vous, il ne peutpas vivre, observe Laure de La Guéronnière. Peut­être que ça vient titiller quelque chose deprofond qui est ce besoin d’attention, de re­connaissance. » Fin 2018, Marie­Alice semblevraiment décidée à rompre. Elle prendmême un appartement à Paris. Mais l’un desfils de Luciano, Simon, a de graves problè­mes de santé. Elle remet ses projets à plus tard. « Voyant le père en complet désarroi, enpanique devant ce qui était arrivé à son fils,elle est retournée à ses côtés, comme unebonne épouse, pour le soutenir, analyse Hé­lène. Elle était toujours là pour le pire, elle n’a juste jamais eu le meilleur. »

Début 2019, Laure de La Guéronnièreconseille à son amie de consulter unepsychologue. Une étape nécessaire dans le processus de rupture qu’elle a décidé d’entre­prendre. Ce travail avec la psychologue, et le fait qu’elle envisage de construire sa vie avecun autre homme, Rob, rencontré il y a quel­ques années, l’encourage à aller au bout desa démarche. Avec l’espoir que celle­ci soit douce. Ne pas faire trop de mal à Luciano, leprotéger encore. « Elle avait peur pour lui, pasde lui, constate Laure. Même quand on luiassurait : “Il te fait du chantage affectif”, elle ne voulait pas l’entendre. »

Marie­Alice voit d’abord un homme perdu,trop dépendant d’elle. Devant ses amis, sa famille, elle persiste à le défendre. Sandiel’appelle pour lui signaler qu’il s’est montréprêt à la séduire pour lui soutirer des infor­mations concernant leur couple ? Marie­

Alice préfère en rire. Puis, face à l’insistance de son amie, « elle a répondu : “Je le rends vraiment malheureux, tu te rends compte detout ce qu’il est obligé de faire ?” Au lieu decomprendre que c’était quelqu’un de dange­reux, elle culpabilisait encore davantage de lerendre manipulateur à cause d’elle, et non parce qu’il était effectivement manipula­teur ». Luciano continue de l’appeler réguliè­rement quand elle est aux Etat­Unis, et même en France, quand elle n’est pas avec lui, pour savoir où elle se trouve, et avec qui.Il veut tout savoir de ses sorties.

Jusqu’au bout, il gardera le contrôle sur elle.Hélène, sa sœur, ressasse ainsi le douloureuxsouvenir de son cinquantième anniversaire,au printemps 2019. Pour l’occasion, elle avait proposé à sa sœur de venir dormir chez elle,dans un quartier résidentiel de Louveciennes(Yvelines), après la fête. Durant la soirée, les invités voient une Marie­Alice rayonnante. Jusqu’à un appel imprévu de Luciano, qui dé­cide de venir. « A partir de son arrivée, elle a été moins joyeuse. Elle a moins dansé, ils se sont isolés. » Ce soir­là, impuissante, Hélène avu sa sœur s’éclipser. « Il a abrégé la fête parson besoin de gâcher son bonheur, de la gar­der pour lui. Elle est allée chercher ses affaires dans la chambre, elle est repartie avec son ba­luchon et son boulet. » « Avec du recul, com­plète Laure de La Guéronnière, je me rends compte qu’elle était sa chose. »

« ARMÉE SOCIALEMENT »Grande lectrice, Marie­Alice achète pourtant des ouvrages sur les relations toxiques. Elle offre même à son amie Catherine Sallenave un livre de Marie­France Hirigoyen intituléLe Harcèlement moral, la violence perverse auquotidien (Syros, 1998). Avait­elle repéré cepassage dans lequel la psychiatre souligneque le processus d’emprise « n’est possibleque par la trop grande tolérance du parte­naire » ? Une tolérance qui peut s’expliquer, écrit l’auteure, par « l’acceptation d’un rôle de personne réparatrice du narcissisme de l’autre, une sorte de mission où elle aurait à sesacrifier ». Marie­Alice s’est­elle un temps sentie concernée par cet autre passage, où la psychiatre écrit que « les victimes se défen­dent mal, surtout si elles se croient à l’initiativede la séparation, ce qui est souvent le cas, leur culpabilité les porte à se montrer généreuses,

espérant ainsi échapper à leur persécuteur » ? Sandie Jaidane constate : « Elle était lucidepour les autres, naïve pour elle­même. » Ma­rie­Alice fantasmait une rupture en douceur, sans trop de heurts. « Elle était dans cet état d’esprit­là : arriver à le quitter en lui faisant lemoins de mal possible pour pouvoir garderdes relations apaisées avec lui et envisager la suite dans des conditions sereines », analyse sasœur Hélène. Après le drame, pour la famille et les amis, tout est devenu plus clair : les stra­tégies de contrôle, la relation toxique, l’em­prise. Mais, sur le moment, le constat était bien plus difficile à établir. « Marie­Alice, en théorie, est armée socialement, relève Laurede La Guéronnière. C’est une femme indépen­dante, intelligente. Elle n’est pas menacée phy­siquement tous les jours, elle n’est pas battue et n’a rien d’une victime. » Sa mère, JacquelineDibon, n’a jamais envisagé une issue vio­lente. « Je l’aurais vue arriver avec des coups dans la figure, je n’aurais pas demandé sonavis : je serais allée à la police tout de suite. Dèsqu’elle était loin de lui, elle était joyeuse. Maisquand je revois les photos d’elle maintenant, sur beaucoup, j’ai l’impression qu’il y a un œil qui pleure et un œil qui rit. »

LA « RÉAPPROPRIATION »Le 19 avril 2019, un vendredi, Marie­Alice arendez­vous avec « Rob », avec qui elle se pro­jette un futur. Sans prévenir, elle ne s’y rend pas, ce qui ne lui ressemble pas. Elle qui est siprésente sur les réseaux sociaux, si active surson téléphone, voilà qu’elle ne répond plus aux messages de son entourage. Sa sœurHélène, inquiète, tente vainement de l’appe­ler. Elle joint Luciano Meridda, qui évite de ré­pondre aux questions et affirme ignorer où se trouve Marie­Alice. En réalité, quelques heures plus tôt, dans la nuit du 18 au 19 avril, dans son nouvel appartement de Puteaux (Hauts­de­Seine), il lui a fait avaler des som­nifères, avant de la tuer en l’étouffant.

Dans la journée du 19, Luciano demande àson fils Simon, 31 ans, de le rejoindre à Pu­teaux. Pour toute explication, il affirme avoirfait « une connerie ». Les deux hommes pla­cent le corps dans une malle métallique. « Ons’est dit ensuite qu’on ne ferait rien aujourd’hui et que le mieux à faire, c’était de quitter les lieux, expliquera Simon Meriddaaux enquêteurs. Il m’a dit de partir travailler et qu’on trouverait une solution demain. » Luciano lui­même travaille cette après­mi­di­là au volant de son taxi, comme si de rien n’était, laissant le corps de Marie­Alice chezlui. Le soir, il va dormir chez l’une de ses maî­tresses. Le lendemain matin, il rejoint son domicile et retrouve Simon. Après avoir sortile cadavre de la malle, ils l’enferment dans ungrand sac de voyage, qu’ils emportent dans le coffre de la voiture du jeune homme. Ilstentent d’abord de l’enterrer dans une forêt,mais n’y parviennent pas. Leur véhiculeétant embourbé, ils doivent même appelerune dépanneuse à la rescousse. Ils décidentalors de balancer le sac dans l’Oise, où il sera repêché deux jours plus tard.

Luciano s’enfuit en Italie, d’où il téléphoneà son fils. Sans jamais s’étendre sur les rai­sons de son acte contre Marie­Alice, il af­firme vouloir se suicider. Le jeune homme cherche à l’en dissuader : « Je lui ai dit qu’il n’était pas doué avec la mort et qu’il finirait paraplégique et condamné », a déclaré ce der­nier devant les enquêteurs. Son père a toutde même fini par se tuer en se jetant sous uncamion dans le nord de l’Italie. Seul Simon Meridda, mis en examen pour recel de cada­vre, sera donc jugé dans cette affaire, pour la­quelle il encourt deux ans de prison.

Le procès permettra­t­il d’en savoir davan­tage sur les circonstances exactes de la mort de Marie­Alice ? Luciano avait fait disparaîtreson téléphone, qui n’a jamais été retrouvé, etn’a laissé derrière lui aucune lettre d’explica­tion. « Il a fait ça parce qu’elle avait vraimentdû lui faire comprendre que c’était fini, pour de bon, avance Catherine Sallenave. Et lui s’estdit : “Si je ne peux pas t’avoir, personne net’aura.” » Ultime étape de l’emprise, celle de la« réappropriation ». Simon Meridda a indi­qué aux enquêteurs que son père, « jusqu’audernier moment », ne lui avait jamais avoué ne plus être avec Marie­Alice.

Sur sa page Facebook, le 7 mars 2019, cel­le­ci avait changé sa photo de profil, nou­velle coupe et cheveux teints en blanc. Lescouleurs sombres « durcissent le visage, c’estmieux de préférer la lumière », commentait­elle, tout en déplorant que le blanc soit asso­cié à la vieillesse. « Ce qui doit poser pro­blème à de nombreux hommes, c’est qu’avec l’âge, les femmes gagnent en assurance et en pouvoir d’agir », rebondissait une connais­sance. Marie­Alice semblait d’accord et citaitSimone de Beauvoir : « Une femme qui n’apas peur des hommes leur fait peur. » En titrede sa photo, elle avait écrit : « Time for change. » Luciano Meridda ne lui en a pasdonné la possibilité.

yann bouchez

Marie­Alice Dibon (page de gauche) a été étouffée par son compagnon, qui a mis son corps dans un sac de voyage et l’a jeté dans l’Oise. Sa sœur Hélène (ci­contre, le 21 février) et ses amis, parmi lesquels Laure de La Guéronnière (ci­dessous), la décrivent comme une femme « cultivée », « sociable », « féministe convaincue ». PHOTOS CAMILLE GHARBI POUR « LE MONDE »

« DÈS QU’ELLE ÉTAIT LOIN DE LUI, 

ELLE ÉTAIT JOYEUSE. MAIS QUAND 

JE REVOIS LES PHOTOS,

J’AI L’IMPRESSION QU’IL Y A UN ŒIL 

QUI PLEURE ET UN ŒIL QUI RIT »

JACQUELINE DIBONla mère de Marie-Alice

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Page 22: Le Monde - 19 05 2020

22 | CULTURE MARDI 19 MAI 20200123

Chaumont­sur­Loire revoit la vie en vertLe château et ses jardins, le parc et ses installations, ainsi que le festival international, ont ouvert samedi 16 mai, pour le plaisir des visiteurs de la région

REPORTAGEchaumont­sur­loire

(loir­et­cher) ­ envoyée spéciale

L e traditionnel tapis vertn’a pas été déroulé cetteannée. La simple réou­verture, samedi 16 mai,

du domaine de Chaumont­sur­Loire (Loir­et­Cher) était en soi unévénement : elle a à la fois rem­placé l’inauguration de la pro­grammation d’art contempo­rain, qui devait être lancée fin mars, et celle du Festival interna­tional des jardins, rendez­vous très attendu du début du mois demai. Une réouverture pas si évi­dente que ça quand on considèrel’envergure des lieux : 32 hectares de parc, jardins et bâtiments his­toriques, en premier lieu le châ­teau et ses écuries, à rendre con­formes au protocole sanitaire dudéconfinement.

Dès 10 heures, une fois passé lecontrôle des billets – qu’il est con­seillé d’acheter en ligne pour évi­ter tout contact –, tout en respec­tant les distances de sécurité, les premiers visiteurs munis d’unmasque, obligatoire dans les es­paces intérieurs, ont pu recon­quérir les lieux, pour le moment accessibles aux seuls résidents dufameux périmètre de 100 km.

« Les Parisiens représentent ha­bituellement une partie impor­tante des visiteurs, mais nous avons la chance de nous trouverau cœur de la région Centre­Val deLoire, entre Tours et Orléans », confie Chantal Colleu­Dumond,la directrice des lieux. Ancienneconseillère culturelle à Bucarest,Rome et Berlin, cette passionnéed’art et de jardins a pris les rênes de cet établissement régional et patrimonial en 2007, en associantune saison d’art contemporain auFestival international des jardins, qui préexistait.

« Journée test »On croise une famille de Tours, qui a appris la réouverture la veille à la radio. « On a besoin d’es­paces de nature après le confine­ment, et on se doutait qu’il n’y aurait pas grand mondeaujourd’hui, c’est parfait. D’habi­tude, on se déplace le nez au vent, là, avec le fléchage du parcours et un sens de circulation, c’est plus ca­dré, mais ça reste très agréable. »

La matinée est très calme, le so­leil radieux. Une parfaite « jour­née test » pour redémarrer et amorcer un retour à la normale dans ce département en zone verte, qui attend un assouplisse­ment à partir du 2 juin. « Les visi­teurs étrangers représentent en gé­néral 25 % de la fréquentation, con­tre 50 % pour Chambord. Nous es­pérons qu’il y aura un phénomène de compensation avec davantage de public français cette année », détaille la directrice, qui arpentele domaine en voiturette.

Un couple matinal reconnaît ve­nir d’au­delà des 100 km régle­mentaires : « Nous arrivons de Loi­re­Atlantique, mais pour des rai­sons professionnelles, avec un jus­tificatif ! Après, on profite de cedéplacement pour venir à Chau­mont, où nous venons en toutessaisons depuis une quinzaine d’an­nées, parce que c’est un lieu magi­que, plein de surprises, notam­ment grâce à l’art. Et ça fait un bienénorme de sortir du monde virtuel dans lequel le confinement nous avait plongés. »

La réalisatrice et scénariste Co­line Serreau, l’une des marraines du festival cette année, est venueen voisine, et en famille. « Je viens 3, 4, 5, 6 fois par an ! Non seulementparce que j’habite à 500 mètres, et que les restaurants y sont fort bons,mais surtout parce que Chantal Colleu­Dumond fait un travail in­croyable : c’est une super gestion­naire, elle a un goût d’acier et c’est une immense jardinière. Personne ne le sait, mais c’est elle qui conçoit tous les espaces interstitiels des jar­dins. Elle aime produire de la beauté pour les gens, de tous hori­zons ou classes sociales. Il y a ici un esprit de liberté, et une luxuriancequi n’est jamais manucurée. »

Amatrice d’art contemporain, elle vient aussi y faire des découver­tes : « Chantal n’oublie jamais les femmes artistes. L’art fait par des femmes n’est ni mieux ni moins bien, seulement moins visible, or, il offre des regards sur le monde qu’il faut montrer. »

C’est devenu une des caractéris­tiques de Chaumont : présenter à la fois le travail d’artistes reconnus(d’El Anatsui à Andy Goldsworthy ou Nils­Udo) et celui d’artistes plus dans l’ombre. Largement mé­connue, Marinette Cueco, dont les herbiers abstraits et les dentelles de végétaux révèlent jusqu’à la beauté nacrée des peaux d’ail ou d’oignon, fait ainsi l’objet d’une exposition dans le château. Comme les deux têtes d’affiche dela saison de la saison, Pascal Con­vert et Giuseppe Penone.

Un joyeux biotopeLe premier a reconstitué la biblio­thèque de la princesse de Broglie, qui avait brûlé dans le châteauen 1957, avec des ouvrages en verre, où de vrais livres, encore vi­sibles en transparence, ont été en­capsulés et en partie calcinés par la matière en fusion. « Un para­doxal retour des livres par le feu », résume la directrice. Autre pro­duction pour Chaumont, autretravail sur la mémoire : l’artiste a retrouvé des souches d’arbres abattus pour creuser des tran­chées pendant la première guerremondiale. Des souches, rebuts gé­néralement restés sur place, qu’ila peintes en noir et installées, ra­cines vers le ciel, dans le parc his­torique, comme un étrange cime­tière à la mémoire des soldats tombés.

Quant à Penone, il ouvre le par­cours avec une nouvelle œuvre enextérieur, conclut son exposition de dessins (inédits) par une sculp­ture, Respirare l’ombra (« respirer l’ombre »), poumons en feuilles de laurier dorées, qui résonne de façon frappante en cette période de Covid­19.

La qualité vibratoire de la naturese dégage de nombreuses œuvresde l’année, des toiles de Philippe Cognée – qui a sorti l’urbain de son cadre pour laisser la place auxbroussailles, champs et forêts – jusqu’aux tableaux de cristaux deLéa Barbazanges ou à la poutre deplumes d’Isa Barbier, dont les fré­

missements font contrepoint auxobstruantes poutres de l’installa­tion de Jannis Kounellis, l’une desnombreuses pièces des éditions précédentes ayant pris racine dans l’écrin chaumontais.

Côté festival, sur la vingtaine dejardins présentés cette année, le plus singulier est une sorte de jar­din­cicatrice où la nature, comes­tible ou toxique, recompose unjoyeux biotope au milieu de vesti­ges industriels et urbains, où leplan d’eau relève de l’infiltration marécageuse. Il s’agit du Jardin dela résilience, d’Eric Lenoir, paysa­giste, pépiniériste et auteur du Pe­tit traité du jardin punk : appren­dre à désapprendre (Terre vivante,2018), invité en « carte verte ».

Depuis 2012, l’ajout d’un parc de10 hectares permet de créer des jardins permanents en écho aux

« Tout le monde est un peu sorti du cadre dans cette période »Chantal Colleu­Dumont, directrice du domaine de Chaumont, explique comment les équipes se sont réorganisées face au confinement

ENTRETIEN

A la tête de l’établissementrégional et patrimonialdepuis 2007, où elle a

créé une saison d’art contempo­rain, Chantal Colleu­Dumont compte sur le retour des visiteurs cet été pour compenser le man­que d’entrées dû aux deux mois de confinement.

La période de confinement a été très active à Chaumont, malgré la fermeture…

Annoncé à dix jours de l’ouver­ture de la programmation artisti­que, le coup d’arrêt a été brutal,mais nous avons immédiate­ment élaboré un plan d’attaque,car la période entre le 15 mars et le 15 avril, c’est le cœur des plan­

tations et la finalisation du Festi­val des jardins. Les gens étaienttétanisés d’angoisse, il a fallu beaucoup rassurer en interne, mais aussi les équipes de concep­teurs de jardins invitées. Nousavons réussi à convaincre les unset les autres de venir à tour derôle et en toute sécurité, avec dutravail en plein air et des mas­ques fournis par la région. Nousne savions pas quand nous pour­rions rouvrir, mais nous étionsdéterminés à être prêts pour le1er mai.

C’est un tour de force. Comment vous êtes­vous organisés ?

Nous avons tenté d’être à la foistrès rigoureux et très réactifs. Pour faire face, les équipes ont étéformidables et polyvalentes : nos

jardiniers ont planté à la place desconcepteurs, des médiateursnous ont aidés à désherber des cours du château et des écuries, par exemple. Tout le monde est un peu sorti du cadre dans cettepériode exceptionnelle ! Et le coup de feu a été décisif les quinzederniers jours, alors même qu’il y a eu une tempête. Nous avons pu réaliser tous les jardins sauf trois, deux sont juste décalés, un est re­porté à l’an prochain.

Rouvrir tôt était­il vital pour le domaine ?

Deux mois, c’est une interrup­tion massive à cette saison, d’ha­bitude d’une incroyable efferves­cence. Chaumont est un grandvaisseau, avec 80 permanents, et jusqu’à 160 l’été avec les saison­

niers. Rouvrir le plus tôt possibleétait la priorité car nous nousautofinançons à hauteur de 75 %. Il fallait absolument redémarrer pour que Chaumont ait un ave­nir. Pour fonctionner, nous de­vons gagner 8 millions d’eurospar an, or, à la mi­mars, juste avant le lancement de la saison, nous en étions à 180 000 euros.

Nos sources de revenus sont labilletterie, avec 500 000 visiteurs par an, nos deux boutiques, quiont rouvert, nos deux restau­rants, qui restent pour l’instant fermés mais qui proposeront bientôt des paniers­repas, et les ateliers et formations, qui restenten suspens. Les deux mois deconfinement correspondent à unmanque à gagner d’à peu près1 million d’euros.

Etes­vous pleinement rassurée ?Nous avons eu l’autorisation

préfectorale mercredi 13 mai à 19 heures, et annoncé, jeudi 14, l’ouverture pour le samedi 16. Nous avons communiqué, bien sûr, mais nous ne voulions pas non plus un afflux massif les pre­miers jours, on a besoin de rester prudents et de se roder avec les protocoles sanitaires. Peut­être prolongerons­nous un peu la sai­son d’art pour compenser lesdeux mois de fermeture. Maisoui, nous sommes soulagés, car on devrait éviter la catastrophe.

Cet épisode pandémique aura­t­il un impact sur le position­nement de Chaumont ?

Cette 29e édition du festival, in­titulée « Les Jardins de la terre, re­

tour à la terre mère », a une thé­matique très écologique. Elleavait été choisie dès l’été dernier,avec l’idée de retrouver une rela­tion harmonieuse avec la terre etla nature en proposant des solu­tions face à l’exploitation indus­trielle et à la destruction de labiodiversité, comme le retour à des techniques agricoles ances­trales ou le recyclage. Le contextede la pandémie est venu rappelerque la destruction des écosystè­mes rapproche dangereusement l’homme de la vie sauvage, parexemple des pangolins. Celanous renforce dans notre vo­lonté de célébrer la relation del’homme à la nature, dont il a be­soin et qu’il doit respecter poursurvivre.

propos recueillis par e. j.

Une famille visite les jardins du domaine de Chaumont­sur­Loire (Loir­et­Cher), samedi 16 mai. En arrière­plan, « La Constellation du fleuve », de Christian Lapie. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »

La réalisatrice et scénariste

Coline Serreau,l’une des

marraines du festival, cette

année, est venueen voisine

et en famille

grandes civilisations de jardins. Après les jardins chinois, japonaisou anglais, la nouveauté cette an­née est un jardin sud­africain, àdécouvrir juste avant la sortie.

La fréquentation s’est raisonna­blement intensifiée au fil de l’après­midi : quand, à la mêmepériode, le domaine draine quoti­diennement environ 2 000 per­sonnes, cette première journée aura attiré un peu plus de 200 vi­siteurs. Le pont de l’Ascension, le week­end prochain, s’annonced’ores et déjà beaucoup plus chargé.

emmanuelle jardonnet

Domaine de Chaumont­sur­Loire, ouvert tous les jours de 10 heures à 19 heures. Tarifs : 19 €, 12 € et 6 € en tarif réduit, passe famille, passes annuels.

Penone ouvre le parcours

avec une nouvelle œuvre

en extérieur et conclut son exposition de

dessins inéditspar une sculpture

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Page 23: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 culture | 23

Jérôme Bel et son laboratoire de création à distanceDepuis le 16 mars, le chorégraphe fait travailler des élèves de l’Ensemble chorégraphique chez eux

DANSE

A u début, c’était assezénigmatique, alorsmême que ça avait l’airtrès simple à exécuter.

Danser comme dans une fête ou setirer sur la peau du ventre, ça n’a l’air de rien à première vue, et pour­tant ! » Voix claire, Zoé De Sousa,21 ans, étudiante au Conserva­toire national supérieur de musi­que et de danse de Paris, se livretranquillement. Depuis lundi 16 mars, elle participe, avec lestreize pré­professionnels de l’En­semble chorégraphique, à un la­boratoire de création à distance piloté par le chorégraphe Jérôme Bel. « Ce télétravail par mail avec Jérôme n’a évidemment rien à voir avec le rapport direct en studio, mais il permet une introspection et une réflexion sur ce qu’est un in­terprète en danse », ajoute­t­elle.

Crise sanitaire oblige, mille etune stratégies se déploient pour faire travailler les danseurs chez eux. Dès le début du confinement,le pôle des études chorégraphi­ques dirigé par Cédric Andrieux a réagi en proposant aux 126 élèves, âgés de 14 à 22 ans, un cadre de cours en ligne, de la fiche techni­que à la préparation physique, avec un volume horaire quasi­ment identique à celui qui existait.

Pour l’Ensemble chorégraphi­que, en première année de mas­ter autour de la question du ré­pertoire, une collaboration avecJérôme Bel était programmée, quia été adaptée au contexte. « Il s’agit de développer un processus de recherche en tête à tête avecchacun des étudiants à travers desvidéos et des mails, précise Cédric Andrieux. C’est tout un autre mode de pensée de la danse qui apparaît, plus conceptuelle. Il y aeu un petit moment de panique audépart, en particulier, du côté descinq interprètes classiques qui sont habitués à reproduire un vo­cabulaire et pas à ce qu’on leur pose des questions, mais tout s’est mis en marche depuis. »

Concrètement, Jérôme Bel a en­voyé à chaque élève quatre ex­traits de ses pièces dont la « dansede la peau », du spectacle JérômeBel (1995), dans lequel les inter­prètes nus se malaxent le corps, etLet’s Dance, jet clubbing sur letube de David Bowie, de The Show

Must Go on (2001)… Objectif : interpréter librement ses mor­ceaux choisis en envoyant le ré­sultat sur vidéo. Parallèlement, il leur a demandé d’écrire un texteautoportrait. « Cette méthode n’est pas très nouvelle pour moi, précise Jérôme Bel. Pour des rai­sons écologiques, j’ai décidé, il y aun an, que ni ma compagnie nimoi ne prendrions plus l’avion

pour nos déplacements, ce qui m’a permis de tester certaines répéti­tions à distance. J’ai créé deux ver­sions du spectacle Isadora Duncansimultanément, une à Paris et une à New York, par Skype. Nous avonstransmis plusieurs pièces du réper­toire de la compagnie récemmentà Taipei et à Miami sans avoir à nous déplacer. Tout cela grâce auxvidéos, aux transcriptions sur pa­pier et aux téléconférences. »

« Se retourner la peau »Pour de tout jeunes danseurs, ha­bitués à la pratique en groupe, cette méthode de recherche oblige à secouer sa pratique. Chacun devant son ordinateur, la réception des images et consi­gnes n’a pas toujours été évi­dente. Certains ont mis du temps à répondre et à envoyer leurs ima­

ges. « Nous faisons ensemble desexpériences, ensemble nous tâton­nons », précise Bel, qui s’adapte aurythme des participants.

« J’étais assez déstabilisée au dé­part par cette proposition », confieMarie Albert, 21 ans. Tandis queZoé De Sousa s’est sentie « perdue,paralysée même ». « Et puis, j’ai di­géré et me suis lancée, poursuit­elle. C’est assez violent de se re­tourner la peau comme le font les interprètes de Jérôme Bel. Je n’osaispas et je me demandais aussi dansquelle pièce me filmer, comment aborder la nudité ? J’ai décidé de le faire dans ma baignoire… »

Marie Albert, elle, a improviséen short et le buste nu. « En fait, j’ai peu à peu réalisé qu’il cherche lecorps de tout le monde sans dé­monstration. Il faut d’abord être simple, modeste, le plus sincère

possible dans ce qu’on fait. Je dé­couvre grâce à cet atelier com­ment les outils techniques doivent servir à bon escient et commentaussi ne pas subir sa formation. »

Le passage à l’écriture et à l’auto­biographie s’est aussi révélé uncap crucial. Se retrouver tout jeune vingtenaire à retourner lescouches de sa vie, de son désir de danse, en se dévoilant pour déni­cher les mots de ses émotions, ne tombe pas direct sur le clavier.

« Etre confinée et plonger dansun état introspectif n’a pas été fa­cile, reconnaît Marie Albert. Je n’aipas beaucoup d’expérience, alors j’ai parlé de mes débuts dans ladanse, à La Réunion, où j’ai habité jusqu’à 17 ans. J’ai écrit de manière très sobre. Les retours rapides, quasiment du jour au lendemain, de Jérôme, qui est très honnête,

très cash, m’aident beaucoup à avancer, mais je n’ai pas encorefini. » Quant à Zoé De Sousa, elleen est à la « quarantième version » de son texte et a été profondé­ment remuée par cette recherche.« C’est la première fois que je mepenchais sur moi­même et j’ai toutdonné jusqu’à mes côtés sombres,confie­t­elle. Mais j’ai aussi réalisé que si j’adore donner en tant que danseuse, il est nécessaire de fixer des limites à ce que l’on veut offrir au chorégraphe. »

Alors que le confinement en­tame le moral, fait vivre des hautset des bas émotionnels, ces échanges profonds et prenants ont bouleversé les participants. Zoé De Sousa poursuit : « Cela m’a permis de faire un bilan sur des choses pas faciles de ma vie et de réaliser que la danse est vraiment ma porte de secours, mon ticket d’intégration, et maintenant j’ensuis sûre. » « Mais comment envi­sager aujourd’hui cet avenir de ladanse ?, s’inquiète Marie Albert. Jerêvais de grandes choses, de tour­ner dans le monde entier et je com­mence aujourd’hui à repenser mesdésirs à d’autres échelles. »

Quant à Jérôme Bel, il se déclare« ébranlé par l’énergie et la fragilitémêlées de ces jeunes gens ». « Cette rencontre qui s’est précipitée sans avoir suivi les codes habituels de lasociabilité entre le chorégraphe etles danseurs, cette incertitude, cette vulnérabilité que nous éprou­vons tous en ce moment font que le travail prend une dimensioninattendue. Il en ressort une infiniedélicatesse ainsi qu’un abandon poignant de la part des interprè­tes. » Le labo se terminera lundi15 juin en attendant un rendez­vous, en chair et en os, à la rentréede septembre.

rosita boisseau

Les danseurs de la compagnie Batsheva lancent leur festival en ligneJusqu’au 24 mai, ils réalisent depuis chez eux, à Tel­Aviv, cours, performances et concerts

FESTIVAL

S e serrer les coudes, mutua­liser ses ressources. Pour lapremière fois, le rendez­

vous annuel Batsheva DancersCreate, créé en 2003 à Tel­Aviv etprésentant des créations inédi­tes des interprètes de la troupeisraélienne Batsheva, basculedans le numérique. Jusqu’au24 mai, sur un site ouvert pourl’occasion, le nouveau festivalBatsheva Creates Online dé­ploiera un programme quoti­dien de cours, performances etconcerts réalisés de chez eux parles 28 membres des deux grou­pes de la Batsheva : la Compagnieet le Young Ensemble.

« C’est la première fois que nouscollaborons tous ensemble, préci­sent les danseurs Ben Green etEtay Axelroad, deux des quatre responsables de l’opération, avec Guy Davidson et Danai Porat. Nous avons commencé à penser à ce rendez­vous dès le 1er avril, au début du confinement. Dans le

contexte du Covid­19, il était im­portant de combiner nos forcesdans une entreprise commune. Nous avons toujours des plan­nings différents, et il est rare que nous soyons tous disponibles au même moment. »

Moyens du bordAutant donc en profiter, non seu­lement pour se maintenir en forme, mais pour faire pulser sa créativité. Et sur ce terrain, les in­terprètes furieusement virtuoses et inventifs de la Batsheva nemanquent pas de munitions. Chacun chez soi, entre la cuisine,la chambre, la douche et l’entréede l’immeuble, un menu apéritifa été concocté, comme le met joli­ment en scène la bande­annonce réalisée par César Brodermann sur le site de la manifestation.« Nous avons choisi, en raison de lacrise sanitaire, le thème des limi­tes, qu’elles soient spatiales ou inti­mes, poursuit Ben Green. Chacun travaille avec son téléphone porta­ble ou une webcaméra. »

Moyens du bord, donc, pour unplongeon dans les conditions de vie de chacun, dont celles d’un li­vreur à vélo à Tel­Aviv. A la ren­verse sur la balustrade de son pe­tit balcon, la chorégraphe YardenBareket se réveille en mesurantson aire de jeu pour mieux bascu­ler dans un bon rock qui fouette.Avigail Shafrir et Yoni Simon ont transformé leur toit en mini­plage avec fauteuils pliants et pis­cine gonflable, ça éclabousse sur un mambo de Perez Prado. « Il y aura évidemment des solos et des

duos, lorsque les danseurs confi­nent en couple, mais aussi unecréation de groupe à distance en live sur Facebook, ajoute Etay Axelroad. Une galerie virtuellepour le public sera ouverte pour y envoyer photos, dessins, poèmes. »

Une dizaine de propositions se­ront mises en ligne quotidienne­ment jusqu’au 24 mai, en accès li­bre, et disponibles pendant vingt­quatre heures « Nous avons lachance, ici, de continuer à être payés par la compagnie dirigéepar Ohad Naharin, et le festival est aidé financièrement par le fonds Michael Sela pour l’aide aux jeunestalents de la Batsheva », souli­gnent Ben Green et Etay Axelroad.Une excellente nouvelle dans un contexte mondial où la plupartdes danseurs, en particulier les in­dépendants, se retrouvent actuel­lement sans emploi ni soutien.

r. bu.

Batsheva Creates Online, jusqu’au 24 mai, Batshevacreates.com

Une dizaine de propositions

seront disponibles

quotidiennementpendant vingt-quatre heures

et en accès libre

« The Show Must Go On » (2001), de Jérôme Bel. MUSSACCHIO LANIELLO

« Nous faisons ensemble

des expériences,ensemble nous

tâtonnons »JÉRÔME BELchorégraphe

« C’est toutun autre mode

de penséede la danse

qui apparaît, plusconceptuelle »

CÉDRIC ANDRIEUX,responsable du pôle

des études chorégraphiques

RECTIFICATIFContrairement à ce que nous avons écrit dans l’article « A Saint­Ouen et à Caen, on aspire à un changement de programme », dans l’édition du Monde datée du 15 mai, la décision de construire le futur hôpital Grand Paris Nord sur la parcelle de 41 000 m2 actuellement occupée par uneancienne usine de pièces détachées du groupe PSA Citroën, à Saint­Ouen (Seine­Saint­Denis), plutôt que sur un terrain plus vaste de la ZAC des Docks voisine, n’a pas été prise par William Delannoy, le maire (UDI) de Saint­Ouen, mais par l’AP­HP. Le terrain de la ZAC des Docks avait été validé par la ville lors de la si­gnature d’un protocole d’ac­cord en décembre 2016. Une étude a ensuite révélé que la zone des Docks se situait en zone inondable. L’Etat et l’AP­HP ont alors décidé, à la suite de l’annonce de la fermeture de l’usine PSA Citroën, d’établir l’hôpital sur cette parcelle.

LITTÉRATURELa ville de Nancy maintient son salon Le Livre sur la placePremier salon national de la rentrée littéraire, Le Livre sur la place se tiendra bien au

mois de septembre à Nancy, mais avec d’importants amé­nagements. Laurent Hénart, le maire (MR) de la ville, candidat à sa réélection, a annoncé que la 42e édition de la manifestation aura lieu « sous une forme différente » et sans son habituel chapi­teau. Le festival, qui devait initialement avoir lieu les 11, 12 et 13 septembre, devrait se poursuivre les week­ends suivants, jusqu’à la mi­octo­bre. « L’idée est d’échelonner les lectures, rencontres et dédicaces sur plusieurs week­ends, avec des jauges de salles beaucoup plus faibles », a expliqué M. Hénart, précisant qu’une sorte de « village » serait mis en place dans le centre­ville. – (AFP.)

MUSIQUELe Festival de La Chaise-Dieu est annuléLa 54e édition du Festival de musique de La Chaise­Dieu (Haute­Loire), prévue initiale­ment du 20 au 30 août, n’aura pas lieu en raison du Covid­19. Le conseil d’admi­nistration de l’association Festival de La Chaise­Dieu a considéré que les conditions n’étaient pas réunies pour assurer le bon déroulement et la sécurité des 20 000 visi­teurs attendus. – (AFP.)

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Page 24: Le Monde - 19 05 2020

24 |styles MARDI 19 MAI 20200123

Ecran total pour les fashion weeksFini les personnalités au pied des podiums, les photographes et les happy few à la sortie des défilés. Après Londres, c’est au tour de Paris et de Milan de décréter que leurs semaines de la mode se dérouleront en ligne. Avec un nouveau défi : maintenir un calendrier officiel

MODE

C ondamnée à exister àtravers des écrans en pé­riode de confinement,la mode restera digitale

dans les semaines à venir. Quel­ques jours après que la LondonFashion Week a indiqué qu’elledeviendra totalement digitale, la Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM), qui organise la puissante fashion week de Pa­ris, lui emboîte le pas. Le 6 mai,elle a annoncé la tenue d’un évé­nement 100 % numérique, quiaura lieu du 9 au 13 juillet.

Pour compléter le tableau, laChambre nationale de la mode italienne (CNMI), l’organisateurde la fashion week milanaise, adécrété, le même jour, que sa ses­sion se tiendra également en li­gne, et dans la foulée (du 14 au 17 juillet). Voici donc venue unesaison sans carton d’invitation ni premier rang, sans photographes de street style, ni salut final sousles applaudissements.

Pour Paris comme pour Milan, ils’agira de présenter au travers de films et divers contenus (photos,

live­streaming, séminaires en li­gne, etc.) les collections homme printemps­été 2021 et les précol­lections printemps­été 2021. Uneinitiative qui n’allait pas de soi il ya peu. « Dans la mode, la réunion physique de la fashion week est un repère : un rituel où se retrouveune communauté. Sa digitalisa­tion briserait l’unité de lieu et l’amoindrirait en termes de sensa­tions et d’émotions », jugeait Pas­cal Morand, le président exécutif

de la FHCM, devant un groupe de journalistes français, le 18 sep­tembre 2019. Six mois quasiment jour pour jour avant le confine­ment de la France. Depuis, une pandémie mondiale, assortie de déplacements limités, de frontiè­res fermées et de vols aériens sus­pendus, a balayé les certitudes et contraint le système de la mode à faire preuve de souplesse.

Dès février, Milan avait franchiune première étape avec le projet

« China, We Are With You » : la re­transmission de ses défilés en li­gne pour les professionnels chi­nois empêchés de se rendre à l’étranger. « Plus de 25 millions depersonnes ont ainsi pu assister vir­tuellement » à ces parades, se féli­cite la CNMI. Cette fois, les plates­formes numériques de juillet re­présentent, comme le résume laCNMI, « une réponse concrète au besoin de promotion et de busi­ness exprimé par les marques ».

Car, en mode comme ailleurs, lanature a horreur du vide. Et, simaisons et créateurs n’ont pas pour l’instant publiquementréagi aux annonces de Paris et de Milan, ils devraient profiter duterrain d’exposition offert, carconvaincre journalistes et sur­tout acheteurs de l’intérêt d’une collection reste un prérequis pour espérer vendre des vête­ments ensuite.

Saint Laurent fera bande à partSi, pour juillet, les programmes restent à découvrir, on sait déjà que les jeunes labels recevront uncoup de pouce. Milan s’engage à financer la production de leurscontenus. Paris les mettra en lu­mière dans Sphere, un showroomréservé, rendu virtuel. Mais, pour parvenir à faire de leurs événe­ments numériques un succès, les organisateurs devront prendre soin de composer un calendrier divers. Paris, notamment, a une réputation à tenir en termes devariété de son offre de mode mas­culine, qui mélange générale­ment créateurs pointus (GmbH,Botter, Sankuanz), valeurs mon­tantes (Hed Mayner, JW Ander­son, Alyx), fidèles habitués (PaulSmith, Raf Simons, Dries Van No­ten) et poids lourds (Louis Vuit­ton, Dior Men, Hermès).

Autre défi pour les fédérations :conserver leur autorité pour sé­lectionner les participants et at­tribuer les horaires des défilés, même s’ils ont lieu en ligne. Le27 avril, Saint Laurent a décrété son émancipation du calendrier officiel pour l’année 2020. Au même moment, en Italie, un coupd’éclat similaire est venu d’Erme­negildo Zegna, qui a déclaré pré­voir un événement « phygital » (contraction de physique et digi­tal) de son côté.

Les semaines de la mode dejuillet seront aussi une façon degarder la main pour éviter que lesmarques ne fassent toutes bandeà part. Milan s’est d’ailleurs em­pressé de préciser que le fameux coup de com « phygital » de Ze­gna, rattrapé à la volée, figurerait dans les clous du calendrier offi­ciel. De son côté, la FHCM rap­pelle dans son communiqué que « le principe du calendrier officielest maintenu ».

Pour participer à une fashionweek dématérialisée, chaque griffe doit se repenser ; les desi­gners réfléchir à de nouveauxformats pour présenter leurs

collections ; les directeurs de cas­ting faire une croix sur les man­nequins étrangers qui ne pour­ront pas voyager ; les stylistes et coiffeurs sublimer des silhouet­tes destinées à n’être vues qu’àtravers un écran ; les construc­teurs de décors apprendre à bri­coler des mises en scène pure­ment virtuelles. Les profession­nels qui forment un microcosmecosmopolite resteront, quant àeux, cloîtrés dans leurs pays.

Conséquences ? Les chiffres dé­montrant la puissance incontes­tée de la fashion week de Paris– 5 000 participants, 5 000 postesen équivalent temps plein, 440 millions de chiffre d’affairesannuel grâce aux retombées éco­nomiques, selon une étuderéalisée en 2016 par l’Institutfrançais de la mode et le cabinetQuadrat Etudes – pourraient pâlir… A l’inverse, les acteurs qui devraient en profiter sont lesentreprises du numérique. Lescanaux de communication de Google, Facebook et Microsoft (tels qu’Instagram, Facebook,YouTube, LinkedIn…) seront d’ailleurs partenaires de Londreset de Milan (Paris n’a pas encoreprécisé les siens).

Le principe même de défilé demode physique, lancé en 1858 parCharles Frederick Worth, se re­trouve cette saison, pour la pre­mière fois de son histoire, éclipséau profit du digital. Comme un ri­tuel mis en sommeil. Rien de neuf, minimisent depuis quel­ques jours les connaisseurs, enrappelant le défilé Helmut Lang automne­hiver 1998, que l’Autri­chien avait montré à travers unevidéo, accessible sur Internet et sur CD­Rom. Un « grand succès », se remémorait le designer dansun entretien à WWD paru le5 mai. Renouvelée en 2001, l’ex­périence n’avait pourtant pasété jugée pertinente par les concurrents, qui ne l’ont pas imi­tée. Jusqu’à ce qu’ils n’y soient contraints et forcés par une crise sanitaire mondiale.

valentin pérez

Les designers doivent réfléchir

à de nouveauxformats pour

présenter leurs collections

Défilé automne­hiver 2020­2021 de Junko Shimada , à Paris, le 3 mars. KRISTY SPAROW/GETTY IMAGES

Et le logo du NHS devint coolTee­shirts, casquettes, pulls… les trois lettres en blanc sur fond bleu du National Health Service, le système public de santé britannique, se portent fièrement outre­Manche. Et même les marques de streetwear s’y sont mises

C rise sanitaire ou non, onn’a encore vu aucun Fran­çais porter un tee­shirt

imprimé d’un sigle de l’Assuran­ce­maladie ou de l’AP­HP. Au Royaume­Uni, il est difficile de faire plus cool, ces jours­ci, qu’un vêtement à la gloire du National Health Service (NHS), le système de santé publique du pays.

Les Britanniques sont très atta­chés à ce service qui, depuis sa création, en 1945, représente un enjeu politique constant – ce n’estpas un hasard si, depuis son arri­vée au poste de premier ministre, en juillet 2019, Boris Johnson n’a cessé de clamer que le Brexit et le NHS étaient les deux priorités de son gouvernement.

Aucun d’entre eux n’ignore sonlogo, aussi emblématique que ce­lui du métro de Londres : les trois lettres en blanc sur fond bleu (po­lice Frutiger en gras italique sur

bleu Pantone 300, pour être pré­cis). Un sigle iconique dont la créa­tion remonte aux années 1990.« Nos études montrent que notre logo est instantanément reconnuet suscite une réaction affective po­sitive basée sur la confiance, sur unsentiment de sûreté et de fiabilité »,peut­on lire sur la page du site du NHS consacrée à ce qui est pré­senté comme l’un des symboles « les plus appréciés d’Angleterre ». Et voilà que la tempête Covid­19, et ses plus de 230 000 cas confir­més au Royaume­Uni à l’heure oùl’on écrit, enfonce le clou.

« Stay at home » chez RixoCes dernières semaines, une pléiade de marques britanniquesont lancé des produits exclusifsdestinés à soutenir financière­ment l’organisation : tee­shirtsimprimés d’un cœur chez Chinti& Parker, de la mention « Stay at

home » chez Rixo ou d’un let­trage arc­en­ciel chez Marks& Spencer, casquette chez Blacks­mith, pull aux poignets multico­lores chez Mint Velvet, colliergravé d’un dessin de deux mainsen train d’applaudir (le person­nel soignant) chez le joaillierMissoma… Et surtout, des labelsde streetwear se sont emparés dufameux logo.

Ainsi, la marque Sports Banger aressorti un sweat­shirt déjà célè­bre en Grande­Bretagne, sur le­quel coexistent les sigles du NHS et de Nike : un modèle originelle­ment lancé en 2015 en faveur desjeunes médecins anglais, dont les bénéfices servent aujourd’hui à livrer des repas dans les servicesde soins intensifs de plusieurs hô­pitaux londoniens.

Le fondateur de la marque,Jonny Banger, a déclaré avoir ré­colté près de 100 000 livres ster­

ling (114 000 euros) en trois ven­tes en ligne d’une demi­heure chacune, les premiers vendredis soir de cette période de crise.

Même esprit chez Palace Skate­boards, qui est peu ou prou consi­déré comme l’équivalent anglais de la marque new­yorkaise Su­

preme : sa capsule de sweats et tee­shirts aux couleurs du NHS,entièrement conçue au profit decelui­ci, a été lancée en ligne le1er mai et épuisée en l’espace de…deux minutes.

Moins attendu, mais tout aussi« street », le label de musique Ori­

gins Sound s’est associé à la gra­phiste Victoria Boyle pour créerdes écharpes inspirées de celles des supporteurs de clubs defoot, à ceci près que l’équipe iciencouragée est celle des soi­gnants : moyennant 19,99 livres(22,80 euros), on peut se procurerl’un des deux modèles au choixportant l’inscription « Social dis­tancing » (« distanciation so­ciale ») ou « Wash your hands » (« Lavez­vous les mains ») et lelogo le plus cool de tous les servi­ces de santé du monde au revers.Logo qui, au­delà des actions cari­tatives liées à la pandémie ac­tuelle, est tellement ancré dansle lexique iconographique du Royaume­Uni qu’il suffit de se rendre sur des plates­formes comme Etsy, TeePublic ou Re­dBubble pour se procurer un tee­shirt qui en soit frappé.

Bref, arborer le sigle du NHS estplus en vue que jamais chez lesAnglais branchés : il faut dire, en­tre parenthèses, qu’au­delà de labonne cause, la vibration 90’s deson graphisme s’accorde à mer­veille avec la tendance nostalgi­que du moment.

théodora aspart

Les bénéfices de la vente de ces tee­shirts servent à livrer des repas dans les services de soins intensifs. SPORTS BANGER

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Page 25: Le Monde - 19 05 2020

CHARLES LECLERC

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Page 26: Le Monde - 19 05 2020

26 |télévision MARDI 19 MAI 20200123

HORIZONTALEMENT

I. Un peu d’abandon qui entraîne le désordre. II. Arrive après le Qua-trième et fut assassiné par son oncle Richard III. Chaîne d’Asie mineure. III. Militaire avant de prendre la plume. Toujours grand dans l’accom-pagnement. IV. Evite la surpopula-tion. V. A la fin de l’office. Ses affaires sont toujours importantes. Choix personnel. VI. Petits bassins. Mis de côté. VII. Appréciation. Née au XXe siècle, elle n’a pas connu le sui-vant. Des cailloux dans les déserts. VIII. Belle centaurée des champs et des prés. Préposition. Donné dans la fosse. IX. Article. Déplaçai en force. X. Expérimenteraient.

VERTICALEMENT

1. Pourra donc rester propre. 2. Flexibles et plus faciles à l’emploi. 3. Chargées de senteurs marines. 4. Bosser dur. Tendit la main. 5. Pos-sessif. Touché physiquement et mo-ralement. 6. Retirés du monde. En fin de journée. 7. Une petite part de gray. En fin de cortège avant de passer à l’action. 8. D’un auxiliaire. Contesta. 9. Lettres de retard. Fait toujours cou-rir le monde. Mesure prise ailleurs. 10. De la récupération sous vos pieds. Entre deux lisières. 11. Avant Tokyo. Doit ses emmanchures à un lord. 12. Tendait avec force.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 116

HORIZONTALEMENT I. Groupuscules. II. Recruteur. Ré. III. Ale. Religion. IV. Viager. Tends. V. Igné. Ise. CEA. VI. Listent. Niet. VII. Lé. Au. Agis. VIII. Oud. Sade. Apo. IX. NSOE. Mention. X. Sécurisantes.

VERTICALEMENT 1. Gravillons. 2. Religieuse. 3. Océans. Doc. 4. Ur. Geta. Eu. 5. Pure. Eus. 6. Utérin. Ami. 7. Sel. Stades. 8. Cuite. Gêna. 9. Urge. Ni. Tn. 10. Incisait. 11. Erodée. Poe. 12. Sensations.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 20 - 117PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­117

6

9 8 1 5

5 3

4 1

9 3 6 7 8 4

7 8

2 6 4 9

9 5 2 4 6Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

4 1 6 3 5 9 8 7 2

5 2 3 1 8 7 9 4 6

9 7 8 4 6 2 5 3 1

1 9 7 5 3 8 2 6 4

6 5 4 7 2 1 3 9 8

3 8 2 9 4 6 1 5 7

7 4 9 2 1 3 6 8 5

8 3 1 6 7 5 4 2 9

2 6 5 8 9 4 7 1 3

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Chamanes, druides,guérisseuses…

M A R D I   1 9   M A I

TF121.05 Harry Potter et le prince de sang-mêléFilm de David Yates. AvecDaniel Radcliffe, Emma Watson, Rupert Grint (RU-EU, 2009, 170 min).23.55 Les ExpertsSérie. Avec Ted Danson,Marg Helgenberger (EU, 2011).

France 221.00 Cash InvestigationMagazine présenté par Elise Lucet.23.15 MénopauséesDocumentaire de Joëlle Oosterlinck (Fr., 2019, 55 min).

France 321.05 TandemSérie. Avec Astrid Veillon,Stéphane Blancafort (Fr., 2020).22.50 TandemSérie. Avec Astrid Veillon (Fr., 2017).

Canal+21.05 Portrait de la jeune filleen feuFilm de Céline Sciamma.Avec Adèle Haenel, Noémie Merlant (Fr., 2019, 119 min).23.00 PerdrixFilm d’Erwan Le Duc.Avec Swann Arlaud, Maud Wyler(Fr., 2019, 100 min).

France 520.50 Recettes pour un monde meilleur : mieux mangerpour changer le futurDocumentaire de Benoît Bringer(Fr., 2020, 70 min).22.45 C dans l’airMagazine présentépar Caroline Roux.

Arte20.50 Corée, une guerre sans finDocumentaire de John Maggio(Fr., 2020, 90 min).22.20 Permis de tueraux PhilippinesDocumentaire de Marc Wiese(All., 2019, 90 min).

M621.05 L’InvitationPièce d’Hadrien Raccah, enregistrée au Théâtre de la Madeleine, à Paris, en 2020.22.45 Le FusiblePièce de Sylvain Meyniac, enregistrée aux Bouffes parisiens en 2017.

La vie selon Zoey est une comédie musicaleAustin Winsberg marie habilement un scénario de soap opera avec des moments chantés et dansés

WARNER TVMARDI 19 - 20 H 55

SÉRIE

Z oey a beau être unecodeuse d’élite, employéepar une firme high­techétablie près du port de

San Francisco, elle n’en est pas moins un fossile vivant, une hé­roïne vertueuse et traditionnelle comme on en voyait il y a très longtemps sur le grand écran, ou le petit, quand celui­ci était encorecathodique. De ce contraste, à la limite de l’oxymore, entre l’envi­ronnement numérique et les figu­res éprouvées du drame et de la co­médie familiale, Austin Winsberg, le créateur de Zoey et son incroya­ble playlist, fait bon usage, façon­nant un microcosme rassurant et souvent charmant, dans lequel l’inédit est systématiquement tempéré par des situations et des personnages familiers.

Comme on est à San Francisco,la série s’ouvre sur un séisme. Le tremblement de terre surprend Zoey (Jane Levy) au moment où elle est étendue dans le tube d’un appareil à IRM. Hypocondriaque, elle se croit atteinte d’une maladie cérébrale. Claustrophobe, elle tempère sa phobie en écoutant de la musique grâce à une plate­forme de streaming pendant l’exa­men. Quand le sol retrouve un peude stabilité, la jeune femme s’aper­

çoit que, non seulement son cerveau a téléchargé l’intégralité du répertoire de la plate­forme, mais que les chansons ainsi accu­mulées surgissent au gré de l’humeur des gens qui l’entourent, qui se mettent, à leur insu, à chan­ter et à danser. Elle est bien sûr la seule à pouvoir les entendre.

De ce moment, vers la fin dupremier épisode (sur les quatre vi­sionnés), la vie de Zoey n’est plus seulement un soap opera, mais aussi une comédie musicale, dont

les numéros s’appuient sur lestitres les plus classiques du réper­toire pop (Help, True Colors, I Got The Music in Me…). Ces momentschantés et dansés scandent l’iti­néraire chahuté de la codeuse.

Version gentiment satiriqueAu travail, cette enfant prodige doit convaincre sa patronne (Lau­ren Graham) que ses dons ne l’em­pêcheront pas d’être une bonne manageuse ; elle est par ailleurs prise entre deux collègues – le clas­

sique binôme chouette copain/sé­duisant nouveau venu (Skylar Astin/John Clarence Stewart) ; à la maison – un immeuble des beaux quartiers –, elle devient la gar­dienne de la psyché de ses voisins, dont elle perçoit les tracas à traversces chansons, à commencer par Mo (Alex Newell, ancien élève de Glee), garçon au genre fluide. Et chez ses parents, il lui faut soutenirsa mère (Mary Steenburgen) face à la maladie neurodégénérative qui frappe son père (Peter Gallagher).

Les dialogues dispensent habi­lement les notations contem­poraines, présentant une versiongentiment satirique du mondede la tech, ici bien moins cruelque la jungle sans pitié de la Sili­con Valley. Le scénario n’hésitejamais à flirter avec le mé­lodrame, mais là où This Is Usoffre une succession de crises paroxystiques, les personnagesde Zoey et son incroyable playlisttrouvent refuge dans la musiqueet la danse.

Ce n’est pas que ces numérossoient des sommets de la comé­die musicale, mais ils sont mis en scène avec une simplicité et un entrain communicatifs. Il n’y a pas de leçons profondes à tirer de ces moments de pur divertis­sement, si ce n’est, première­ment, que Jane Levy est une par­faite girl next door (« fille d’à côté ») qu’on aimerait voir dans un rôle plus exigeant, et, deuxiè­mement, qu’il ne faut jamais sor­tir de chez soi sans une provision de chansons qui transformerontle quotidien en une succession demoments hollywoodiens.

thomas sotinel

Zoey et son incroyable playlist, créé par Austin Winsberg. Avec Jane Levy, Skylar Astin, Alex Newell, Peter Gallagher, Mary Steenburgen, John Clarence Stewart (EU, 2020, 12 × 42 min).

Jane Levydans le rôlede Zoey. WARNER TV

Des « recettes » pour préserver notre santé et la planèteCe documentaire édifiant place notre assiette au centre d’actions accessibles à tous pour changer le futur

FRANCE 5MARDI 19 - 20 H 50

DOCUMENTAIRE

N os enfants grandissentdans un monde où toutest accessible au moindre

coût. Des tomates en hiver, des frai­ses en automne (…). Leur assiette est le résultat et la cause d’un sys­tème devenu fou. » Qui peut en­core en douter ? Mais si « notre ali­mentation est la principale coupa­ble », insiste le professeur suédoisJohan Rockström, elle en est égale­ment la solution : « Notre assiette

est le levier le plus puissant pour rendre notre planète vivante. »

Ex­rédacteur en chef de « CashInvestigation », Benoît Bringer in­vite le téléspectateur chez ceux qui n’ont attendu ni la crise sani­taire ni les directives étatiques pour agir, imposer le bio dans leurcantine, éradiquer le gaspillage ali­mentaire, recycler… Parfois depuisplus de dix ans. Leur retour d’ex­périence est passionnant. Sans éluder les difficultés, ils démon­trent que leurs « recettes » sont bonnes, rentables, même à grandeéchelle. Et ça, c’est nouveau.

Pour vous mettre en appétit, ci­tons Mouans­Sartoux (Alpes­Ma­ritimes), qui a monté une ferme biologique après la crise de la va­che folle, en 2008, pour les canti­nes de la commune. Contre toute attente, le 100 % bio sera atteint en quatre ans. A Grande­Synthe (Nord), où un tiers des habitantsvit sous le seuil de pauvreté, un re­pas bio est fourni à ceux qui en ont besoin grâce aux fermes ur­baines installées par la commune.

A Neuville­sur­Oise (Val­d’Oise),l’exploitation maraîchère de Lau­rent Berrurier permet d’aborder le

surcoût, à l’achat, du bio, pour montrer comment il peut êtrecompensé par la réduction du gaspillage. Des chiffres interpel­lent : 1,3 milliard d’aliments sont jetés chaque année, soit un tiersde la production mondiale. « Si legaspillage alimentaire était un pays, il serait le 3e producteur degaz à effet de serre au monde. »

A l’autre bout de la chaîne, Ste­phan Martinez n’a pas non plus attendu le feu vert des pouvoirs publics pour fonder Moulinot Compost. Ses vingt­cinq camions collectent plus de 1 000 tonnes de

déchets par mois avant de les fairedigérer par des vers de terre.

Réalistes, rentables, ces recettesn’oublient pas que, pour séduire, elles doivent être source de plaisir. Au Plaza Athénée – 3 étoiles –, le chef Alain Ducasse fait rimer trèshaute gastronomie et cuisine sans viande. Il en est persuadé : « L’effet tache d’huile d’olive est plus fort que le pouvoir politique. »

catherine pacary

Recettes pour un monde meilleur, de Benoît Bringer (Fr., 2020, 70 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

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Page 27: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 IDÉES | 27

La pandémie de Covid­19 nous rappelleà quel point l’avenir nous échappe.

Mais elle ouvre ainsi la possibilitéd’une véritable révolution de l’esprit,

expliquent le philosophe et l’essayiste

Depuis quelques années, les aler­tes répétées des scientifiquesquant à la crise écologique pro­voquée par la démesure techni­que et économique des sociétésindustrialisées et les multiples

crises minant la démocratie laissaient en­trevoir la possibilité d’un effondrement. Aussi une révolution de l’esprit parais­sait­elle déjà indispensable. Sans elle, il ne semblait pas envisageable de rompre avec les logiques du calcul et de la produc­tion, au sens où le calcul conduit à sortir de ce qu’Aristote visait comme la quête dela bonne vie – par l’amélioration réfléchiede ce qui existe – et à rechercher l’aug­mentation, l’accroissement…

Cette fuite en avant dans tous les do­maines de l’économie, qui caractérise le capitalisme depuis son essor et s’accom­pagne d’inégalités croissantes, mettait endanger la survie de cette même humanitéet celle de la biodiversité. Rien n’était jouéd’avance, mais il n’était pas déraisonna­ble de penser que la mort, si nous n’y pre­nions pas garde, pourrait avoir le dernier mot. Pourtant, la conscience de ce dangerne permettait pas de commencer à mettre en œuvre un redressement de latrajectoire. Comme s’il n’était pas possi­ble d’imaginer, autrement que sous le ré­gime de l’utopie, une révolution écono­mique et sociale. Quand bien même, comme on l’avait vu avec les « gilets jau­nes », l’aggravation de la situation dans des pays pourtant parmi les plus riches portait dans ses flancs un potentiel de révolte et de soulèvement de plus en plusdifficile à contenir.

Menace de mortStopper la machine à court terme, etmême à moyen terme, semblait impossi­ble : c’était irreprésentable. Personne ne pouvait sérieusement le penser, à moins de faire abstraction de la complexité deseffets en retour d’une telle décision. A l’inconnu qui était devant nous, le pré­sent si imparfait, si potentiellement ca­tastrophique, semblait préférable pour la majorité, d’autant que, depuis quelquesannées, les esquisses de solutions un temps envisagées se révélaient problé­matiques, voire impraticables, durable­ment (qu’on songe aux biocarburants,aux éoliennes, voire au biomimétisme).

L’horizon du changement semblait de­voir constamment reculer, à mesure même que l’on se rapprochait du mur de la catastrophe. En ce sens, par­delà une« lutte des classes » réelle mais assourdie, malgré les velléités de renverser le « sys­tème », une absence générale de volonté de s’engager dans l’inconnu de la « transi­tion » écologique laissait au capitalisme leloisir de poursuivre sa route. Traduction postmoderne de « l’esprit d’un monde sansesprit » que stigmatisait Marx.

La pandémie, à laquelle personne oupresque n’était préparé, est venue tousnous prendre à revers. Brutalement, ce quisemblait inimaginable, un virus, l’a fait ad­

venir : la « machine », le « système » si sou­vent incriminé, mais jamais démonté, est presque à l’arrêt. La menace de mort, parcequ’elle s’est soudain terriblement rappro­chée, nous a fait préférer la survie à la poursuite de notre trajectoire « capita­liste », car, soudain, le prix à payer immé­diatement à la mort semble exorbitant, au point de nous voiler les conséquences fu­tures de la suspension planétaire d’une grande partie de la vie économique. Conséquences dont on pressent pourtant dès aujourd’hui qu’elles vont être gi­gantesques socialement, économique­ment, politiquement, géopolitiquement,et qu’elles pourraient faire plus qu’ébran­ler le système : amorcer son effondrement.

Il a pu sembler, dans les débuts de lapandémie, que les démocraties contem­poraines étaient particulièrement fragi­les et peu efficaces dans la lutte contre le virus, tandis que des régimes autoritaireset des sociétés moins individualistes ob­tenaient de meilleurs résultats. Cinqmois après le début « officiel » du Co­vid­19, tous les régimes, quels qu’ils soient, sont menacés par l’effondrement de la machine mondiale. Les interdépen­dances sont telles que nul pays, si grand et si puissant soit­il, ne peut se sauvertout seul. Cette évidence, cependant, cèdeencore le pas devant l’aveuglement deségoïsmes nationaux. La coopération et la solidarité internationale font défaut,comme si chaque pays pouvait rester in­demne du drame des autres… Tous sa­vent pourtant qu’il n’en est rien.

En effet, une chose reste inchangée,avant comme après la survenue du virus :les humains choisissent le proche contre le lointain, de même qu’ils choisissent le présent contre l’avenir. Choix désespéré,au sens où il rend manifeste une impossi­bilité d’espérer, c’est­à­dire de croire à un avenir autre que la reconduction du pré­sent et de ses modalités. Ce qui ne se trouve pas dans le champ de vision est comme sans existence, sinon sous une forme fantasmatique qu’il est tentant et facile d’agiter pour désigner des coupa­bles supposés et des boucs émissaires.

L’impossibilité d’espérer et la tentationde pointer des coupables résultent large­ment de l’expérience terriblement provo­cante que nous fait faire le virus. Alorsque depuis le milieu du XIXe siècle, l’igno­rance avait reculé à marche forcée sous

l’effet d’une accélération des connaissan­ces scientifiques dans tous les domaines, le virus, la pandémie et leurs conséquen­ces sont l’illustration criante et effrayantedes limites de la puissance que ces savoirsconfèrent, alors que les progrès de la tech­nique qui en résultent ont pu nous faire croire que la maîtrise de notre destin per­sonnel et collectif était à portée de main.

L’illusion de l’infini de cette puissancerésiste encore à plusieurs constats pour­tant très inquiétants. Le premier est celui des dégâts environnementaux de cette puissance incapable d’autolimitation :pillage et pollution des ressources natu­relles, destruction de la biodiversité,dérèglement climatique. Le second, c’est la somme des effets en retour des progrèstechniques, comme le vieillissement de la population, le renchérissement ducoût de la santé, les menaces sur les liber­tés que fait peser l’intelligence artificielle,la consommation croissante d’énergiequi résulte des effets démultiplicateursdes derniers outils technologiques aux usages toujours plus intenses. Le constat sans doute le moins connu, c’est le ver­tige des questions que la science se pose àelle­même lorsqu’elle établit que ses pro­grès les plus pointus la placent au bord d’un non­savoir abyssal : la représenta­tion de la science comme maîtrise d’unréel unique se dissipe…

Extrême incertitudeLe virus – par sa nouveauté, sa vitesse de circulation, par les surprises qu’il nous réserve quant à ses modes d’action sur l’organisme, et, surtout, par cette caracté­ristique si particulière qui fait qu’unepartie des personnes qu’il infecte sont des porteurs asymptomatiques – nous place dans une situation d’extrême incer­titude. Il a, en quelque sorte, collé la pos­sibilité de la mort sous nos yeux, nous plaçant devant l’impensable et l’inconnu par excellence. Ce n’est pas simplement la finitude de l’existence qui nous est difficilement supportable, c’est le non­sa­voir face auquel nous nous trouvons. Le suspens que nous nous sommes im­posé par le confinement, pour tenterde conjurer la mort, nous a fait sortir detoutes les trajectoires que nous pouvions baliser par le calcul.

Le futur – au sens de ce que nous proje­tions à partir des données du présent – sedérobe désormais pour nous laisser faceà l’incertain radical de l’à­venir, dont nous n’avons pas la maîtrise. Le « gouver­nement par les nombres » – pour repren­dre les termes du juriste Alain Supiot – se trouve mis en échec, presque congédié, par le « retour » de la mort comme hori­zon ineffaçable.

Le retour du religieux, sous des formesfondamentalistes, millénaristes, hystéri­ques ou piétistes, ces dernières années, a sans doute été la traduction de l’inquié­tude diffuse devant un monde dont la complexification rendait à beaucoup le futur insaisissable. Au non­savoir qui se

profilait, ce retour du religieux opposait la croyance. Ce qui survient se trouveainsi sous l’empire d’une volonté trans­cendante à laquelle on se confie.

Il n’empêche que cela survient. La catas­trophe de la pandémie est là. L’inconnu de tous les dérèglements que produit le virus dans les organismes, non seule­ment individuels, mais aussi sociaux, économiques, politiques et internatio­naux, nous met radicalement en de­meure non pas de croire en ceci ou cela, mais d’oser prendre le risque de vivre en situation de non­savoir – ce qui ne veut pas dire renoncer à penser ni à connaître,mais le faire dans la conscience que si nous prenons en charge notre destin,nous ne pouvons en être totalement lesmaîtres, ni individuellement ni collecti­vement. Cette prise de risque passe par la disponibilité à l’inconnu qui vient.

Production du sensQuand le futur déraille, quand la projec­tion du présent ne tient plus, la vie nepeut que se tourner vers l’à­venir en serisquant à ses incertitudes. Il n’est plus iciquestion de croyance mais de foi, définie comme ce consentement à l’incertitudequi pose que la vie ne peut que se risquer à vivre. Pour soi­même, pour les généra­tions suivantes qui, à leur tour, se verrontmises au défi du non­savoir radical de la mort, qui ne peut être surmonté autre­ment que par la transmission de la vie, et non par la course à la prolongation des existences individuelles.

En nous plaçant en ce lieu, le virusouvre la possibilité d’une véritable révo­lution de l’esprit, au cœur de laquelle est posée la question de notre capacité à nous accommoder collectivement de la non­maîtrise absolue de notre histoire. La démocratie, avec toutes ses limites et ses imperfections, est à vrai dire le seul régime qui puisse donner un corps politi­que à cet acte de foi radicalement laïc.

Elle est née de l’effondrement des régi­mes de « certitudes » théocratiques et del’impasse dans laquelle se trouvaient des régimes despotiques ou tyranniques. Elle est une tentative de trouver comment en­trer ensemble – en peuple – dans l’avenir. Non qu’elle soit capable de produire les calculs et les projections qui permet­traient de résorber l’inconnu, le non­sa­voir. Ce qu’elle peut offrir – et elle seule –, c’est le partage à voix égales du poids dela finitude et du non­savoir.

Enoncé ainsi, cela semble accablant.Cela ne l’est pas si ce partage démocrati­que s’accompagne, comme Athènes l’avait compris, de la seule productiondont l’infini soit supportable, celle du sens, par les arts, par la pensée, par l’es­prit, par l’amour… en sorte que la cons­cience du caractère tragique de l’exis­tence nous conduise à nous considérerles uns les autres avec empathie, puisque nous affrontons le même effondrement,la même incertitude. Or c’est en défini­tive l’effondrement qui nous fonde.

Jean-Luc Nancy, philosophe,et Jean-François Bouthors, essayiste, ont coécrit « Démocratie ! Hic et nunc » (Editions Francois Bourin, 2019)

CE N’EST PAS SIMPLEMENT LA FINITUDE DE L’EXISTENCE QUI NOUS EST DIFFICILEMENT SUPPORTABLE, C’EST LE NON-SAVOIR FACE AUQUEL NOUS NOUS TROUVONS

Jean-Luc Nancy et Jean-François Bouthors

Seule la démocratiepeut nous permettre

de nous accommoderde la non-maîtrise

de notre histoire

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Page 28: Le Monde - 19 05 2020

28 | idées MARDI 19 MAI 20200123

Anna Tcherkassof Le port du masque oblige à inventer de nouveaux modes d’expression des émotionsLa généralisation du masque dans l’espace public transforme nos relations sociales, estime la chercheuse en psychologie, et nous oblige à inventer de nouveaux langages non verbaux pour nous faire comprendre

ENTRETIEN

Anna Tcherkassof, docteure en psy­chologie et maîtresse de confé­rences à l’université de Grenoble,s’intéresse tout particulièrement

au processus de reconnaissance des ex­pressions faciales et à la communication non verbale des émotions. Elle est no­tamment l’auteure de l’ouvrage Les Emo­tions et leurs expressions (Presses univer­sitaires de Grenoble, 2008).

Quels changements l’usage du masque dans les espaces publics peut­il entraîner dans nos échanges ?

Avec un masque, les informationstransmises par plus de la moitié du visagedeviennent invisibles. Or ces expressions sont importantes pour exprimer nos émotions et faciliter les interactions so­ciales. Elles appartiennent à ce qu’on ap­pelle la communication non verbale, qui se traduit par des gestes, des postures, ladistance entre les interlocuteurs et, bien sûr, par ces expressions faciales quijouent un rôle considérable dans noséchanges. Afficher ses émotions, c’est le

plus souvent vouloir faire passer un mes­sage, même s’il existe des exceptions. Ces informations apportent à nos propos uneforme de ponctuation qui permet de les clarifier, lever d’éventuelles ambiguïtés.Elles jouent le même rôle dans une con­versation que les émoticônes ajoutéesdans les échanges de SMS pour signifierque l’on plaisante ou que l’on est surpris, et éviter ainsi les malentendus.

Quelles peuvent être les consé­quences de cette diminution des expressions ?

Le port du masque ne va pas changerdirectement nos comportements dansles espaces publics où l’on est déjà peuexpressif en temps habituel et peu atten­tif aux émotions des autres, en tout cas dans les grandes villes. Là où la situation peut devenir plus compliquée, c’est lors­qu’on a besoin d’interagir avec autrui, surtout en maintenant la distanciation sociale, qui n’est pas habituelle dans une relation normale.

Des problèmes de communicationpeuvent survenir et donner lieu à des malentendus, un risque de mésinterpré­

tation. Cela peut, par exemple, renforcer le sentiment de peur de l’autre, déjà pré­sent avec l’épidémie. Il devient plus diffi­cile de rassurer la personne en utilisant le code du sourire que tout le mondeconnaît comme l’expression de l’apaise­ment, en dehors même de tout contexte joyeux. Les échanges sont altérés, ils deviennent plus compliqués.

Comment pouvons­nous remplacer les expressions du bas du visage ?

En Occident, nous sollicitons beaucouples muscles du bas du visage pour com­muniquer, ce qui n’est pas le cas d’autres cultures. Le port du masque nous oblige à inventer de nouveaux langages non verbaux, des modes d’expression de nos émotions qui passent par des gestes avecles mains, une accentuation des expres­sions de la partie haute du visage. Par exemple, en sollicitant plus activement les muscles de l’orbiculaire de l’œil, qui servent à plisser ou écarquiller les yeux, ou le muscle frontal qui permet de lever ou de froncer les sourcils. Un sourire s’exprime aussi avec les yeux.

Au Japon, où l’on a l’habitude d’accen­tuer l’expression du haut du visage selon des codes bien définis, la position des sourcils joue un rôle important de com­munication non verbale. D’ailleurs, les émoticônes japonaises mobilisent peu lesexpressions de la bouche et restent surtout centrées sur les yeux et les sour­cils. De fait, les personnes de culture asia­tique sont moins réticentes que nous à porter des masques et nous avons sans

doute beaucoup à apprendre de leur ex­périence.

Pendant longtemps, on a pensé que l’expression des émotions était universelle. Vous insistez de votre côté sur l’importance de la dimension culturelle. Qu’en est­il ?

La classification des émotions reposedepuis les travaux du psychologue amé­ricain Paul Ekman à la fin du XXe siècle sur une liste de seize sentiments, dont lesprincipaux sont la tristesse, la joie, la co­lère, le dégoût, la peur et la surprise. Pour Ekman, chacune de ces émotions corres­pond à une expression du visage univer­selle. Mais de nombreuses observationsmontrent aujourd’hui que l’expressiondes émotions reste très déterminée par laculture. Dans certaines sociétés, on necomprend pas ce que signifie « rougir de honte » par exemple, alors que pour nous, cette expression semble naturelle.

Les émotions qui s’affichent sur lesvisages relèvent d’un apprentissage quicommence dès l’enfance et continue de s’opérer tout au long de la vie. En Asie, l’affichage en public d’émotions positi­ves est largement encouragé, tandis que l’expression d’émotions négatives est bannie. Les émotions peuvent être canalisées, voire réprimées ou bien encouragées et renforcées selon notreéducation, notre milieu.

Vous montrez qu’il existe des diffé­rences d’expression des émotions liées au genre. De quelles façons ?

Ces différences sont ancrées dans notreculture qui oppose la raison aux émo­tions depuis la Grèce antique. La raisoncaractérise les personnes réfléchies, capables de masquer leurs émotionspour prendre des décisions, et qui peuvent, de ce fait, appartenir à l’élite dominante. Les émotions caractérisentau contraire les faibles et sont souvent associées aux femmes.

Aujourd’hui encore, l’éducation émo­tionnelle des filles et des garçons conduit à intérioriser ces pratiques. On encourage les garçons à réprimer l’ex­pression d’émotions qui pourraient lais­ser transparaître une faiblesse – « un homme ne pleure pas ». Leur sont autori­sées les émotions qui expriment la domination, comme par exemple lacolère. Les femmes, au contraire, peu­vent afficher leur peur, mais ne doivent pas exprimer leur colère. Elles sont en outre éduquées à prendre soin et à rassu­rer l’autre par un visage avenant – « unefemme doit être souriante ».

De ce point de vue, le port du masqueaura peut­être plus de conséquencespour les femmes que pour les hommes. Derrière un masque, le sourire devient inutile. Pour autant, je ne pense pas qu’il pourra libérer les femmes de cetteinjonction implicite qui leur est faite. Elleest tellement intériorisée que le port dumasque les obligera très probablement à trouver d’autres moyens d’accentuerleur expressivité prosociale.

propos recueillis parclaire legros

Stéphanie Hennette-Vauchez Ce n’est pas cacher son visage qui pose problème, mais certaines formes de dissimulation

Couvrir son visage était encore il y a peu en France associé à la radicalité religieuse ou politique. Le masque sanitaire montre que ce geste peut prendre un autre sens, ce qui n’est pas sans incidence sur la façon dont on fabrique la loi, note la juriste

S’il est une ironie profonde de la crise liée auCovid­19, c’est que les normes compor­tementales qu’il nous est aujourd’hui en­joint d’adopter (ne pas serrer la main, porter

un masque…) tendaient, il y a peu encore, à êtreprésentées comme d’immanquables signes de « ra­dicalisation ». La dissimulation du visage, notam­ment, a pu être lue comme le signe infaillible deformes « à combattre » de radicalisation, tant reli­gieuse (loi du 11 octobre 2010 interdisant le voile in­tégral) que politique (loi anticasseurs du10 avril 2019 pénalisant la dissimulation du visage aux abords des manifestations). Cette pénalisationde la dissimulation du visage a ainsi construit lamusulmane portant le niqab ou le black block (pourfaire court) comme figures antinomiques de la res publica. Or ces deux figures contrastent fortementavec le sens aujourd’hui donné au port du masquedans le cadre de la lutte contre le Covid­19.

Le masque chirurgical est justifié et anobli par sonrôle éminent de santé publique : il permet de seprotéger soi­même, mais aussi de protéger les autres et de prendre part au nécessaire effort collec­tif pour briser les chaînes de contamination. Plus avant, à mesure que se diffuse le modèle du masque réutilisable en tissu, il devient supportsymbolique. Il n’en est pas de meilleur exempleque celui véhiculé par le masque couleur bleunuit bordé d’un liseré bleu­blanc­rouge porté,mardi 5 mai, par le président Emmanuel Macron envisite dans une école. Un masque ainsi « décoré »sied, sans aucun doute, à la sobriété et au sym­bolisme de la fonction présidentielle ; mais plusavant, le masque aux couleurs du drapeau entend véhiculer un puissant message l’associant au boncomportement citoyen, à la réalisation en actes des valeurs républicaines : liberté, égalité et, sur­tout, fraternité.

Une fragilisation de l’interdiction du niqab ?Faut­il alors considérer que la République ne se vitplus à visage découvert ? Faut­il désormais avoir une lecture asymétrique de la dissimulation du vi­sage, tantôt insulte, tantôt célébration des valeurs républicaines ? En un mot : le masque comme élé­ment de la réponse au Covid­19 vient­il fragiliserl’interdiction du voile intégral ? Certainement pas.

D’ailleurs, la loi du 11 octobre 2010 prescrit certes que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une te­nue destinée à dissimuler son visage », mais elle ré­serve aussitôt l’hypothèse d’une dissimulationcommandée par des raisons de santé (mais aussi pour des raisons professionnelles, ou encore liées à la pratique de certains arts et sports).

En revanche, le masque fragilise le discours pre­nant largement appui sur les travaux du philoso­phe Emmanuel Levinas (1906­1995), et notammentsur l’importance qu’il accorde au visage dans touterelation éthique, que nombre des promoteurs de l’interdiction du voile intégral avaient cru pouvoirarticuler : était­ce vraiment la nécessité de la visibi­lité du visage pour toute expérience authentiquede l’altérité et donc de l’interaction sociale (mes­sage philosophique bientôt condensé dans le­standard juridique du « vivre­ensemble ») qui justi­fiait l’interdiction du niqab ? Le signe que constitue

« masque Covid­19 » oblige à répondre par la négative. Qu’il soit ou non orné de lisérés aux cou­leurs nationales, le masque anti­Covid révèle quece n’est pas, en tant que telle, la dissimulation du visage qui pose problème, mais seulement certai­nes formes spécifiques de sa dissimulation – no­tamment celles qui sont associées, dans la Francecontemporaine, à la « pratique radicale » de l’islamou à certaines formes de la radicalité politique.

En d’autres termes, le masque de protection con­tre le Covid 19 nous donne une robuste leçon de sé­miotique : il révèle que la dissimulation du visage ne veut rien dire, ou peut vouloir dire tant de chosesdifférentes que cela revient au même. Le ralliement généralisé au masque comme outil de la préser­vation de la santé publique nous révèle que nousconstruisons sans cesse le sens prêté à telle ou telle forme de voilement ou de dissimulation du visage. Le signe n’a pas de sens en soi ; celui­ci est néces­sairement et largement coconstruit par le regardde l’observateur. En un sens, seule compte la signifi­cation que nous lui prêtons.

Fétichisation du signeUne telle leçon invite à réfléchir sur les modes de fabrication de la loi, et du droit, notamment parcequ’il est difficilement contestable qu’une large partdes réponses juridiques apportées aux questions de laïcité et de liberté religieuse depuis une quin­zaine d’années repose sur une forte fétichisation du signe. Depuis que la loi du 15 mars 2004 a inter­dit aux élèves de l’enseignement public le port de« signes ou tenues par lesquels [ils] manifestent os­tensiblement une appartenance religieuse », nom­bre d’autorités scolaires mais aussi juridictionnel­les ont été placées en position de juger et qualifier toutes sortes de signes : bandanas, jupes trop lon­gues, bonnets de laine trop couvrants… ont ainsi

été au cœur de décisions disciplinaires d’exclusionet de procédures contentieuses. Ce sont par la suited’autres « signes » qui ont été saisis par le droitcomme porteurs de significations inadmissibles :le niqab, bien sûr, depuis la loi de 2010 ; mais aussipar exemple le refus de serrement de main, qui apu être qualifié de « défaut d’assimilation » valantretrait de la nationalité française.

Mais, si le signe est toujours simultanémentcoconstruit par le regard de l’observateur et inter­prète, n’y a­t­il pas quelque chose comme une erreur de méthode dans le fait, pour des règles dedroit, de fétichiser des références à des « signes », dont on présuppose (et impose) une définition va­lable toujours et partout – depuis ceux qui manifes­teraient toujours « ostensiblement » une apparte­nance religieuse à ceux qui « seraient destinés à dis­simuler le visage » et porteraient de ce fait mêmeatteinte au vivre­ensemble ?

C’est cette erreur de méthode que révèle l’impossi­bilité, que nous percevons tous intuitivement, de transposer au masque Covid les raisonnements ap­plicables aux dissimulations interdites du visage. Dans un état du débat national sur la laïcité qui fonctionne souvent par anathèmes, cette désta­bilisation sociale et politique du sens même que nous prêtons à la dissimulation du visage donnel’occasion de suggérer que le débat gagnerait à pren­dre la mesure de cette difficulté d’abord sémiotique.Si le signe, en lui­même, ne veut rien dire, qui peut l’interpréter, et comment ? Le croyant est­il le seul à pouvoir faire sens de ses propres choix ? Et, sinon, comment assurer une coconstruction de sens inclusive et délibérative ? Une décennie de tensions sur les dimensions excluantes et discriminantes de certaines itérations contemporaines de la laïcitémérite d’être prise au sérieux.

Stéphanie Hennette-Vauchez est professeure de droit public à l’université Paris Ouest-Nanter-re-La Défense/Institut universitaire de France.

LE MASQUE AUX COULEURS DU DRAPEAU FRANÇAIS PORTÉ PAR M. MACRON ENTEND VÉHICULER UN PUISSANT MESSAGE L’ASSOCIANT AU BON COMPORTEMENT CITOYEN

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Page 29: Le Monde - 19 05 2020

0123MARDI 19 MAI 2020 0123 | 29

C onformément aux pré­conisations du Conseilnational de la Résis­tance (CNR), une ordon­

nance prononçait, il y a soixante­quinze ans, la dissolution de la So­ciété anonyme des usines Renaultpour la transformer en régie.Cette nationalisation sanction­nait son actionnaire unique, Louis Renault, accusé d’avoir col­laboré pendant la guerre avec l’Al­lemagne. Charles de Gaulle l’écrit dans ses Mémoires, l’idée était de « placer sous la coupe de l’Etat “l’usine pilote” par excellence ».

Renault a mis des décenniespour redevenir une entreprise presque comme les autres. La pri­vatisation en 1996, puis l’alliance nouée avec Nissan en 1999, avaient pu faire croire que la pa­renthèse ouverte par le Général deGaulle se refermait, même si, en­core récemment, les 15 % du capi­tal conservés par l’Etat ont contri­bué à entretenir une ambiguïté sur le rôle des pouvoirs publics.

La crise liée à la pandémie de Co­vid­19 pourrait faire repartir le ba­lancier de l’histoire en sens in­verse. Renault renationalisé ? On n’en est pas encore là, même si la référence au CNR et à de Gaulle esttrès en vogue à l’Elysée. Toutefois, le constructeur se trouve dans unesituation telle qu’on imagine mal son futur sans une intervention exceptionnelle de l’Etat, allant bien au­delà des 5 milliards d’euros de prêt garanti qui sont sur le point d’être débloqués.

Tous les indicateurs étaient déjàau rouge avant la pandémie. Les dernières années de la présidencede Carlos Ghosn ont été mar­quées par son manque de vigi­lance sur la gestion du groupe et la nomination d’une direction gé­nérale déficiente. Avant d’êtreévincée, celle­ci a multiplié les er­reurs, qui vont se payer comptantdans les mois à venir.

Dès février, pressé de s’expli­quer sur la façon dont il comptait se redresser, le constructeur avait promis pour mai un plan de2 milliards d’euros d’économies.A quelques jours de l’échéance, les spéculations vont bon train pour savoir où tailler dans le vif etcomment ces décisions seront fi­nancées. Surtout, le niveau de l’ef­fort, fixé avant la pandémie, pourrait se révéler insuffisant.De­puis cette annonce, le marché automobile s’est effondré et tout indique que le rebond sera pous­sif. L’allemand Volkswagen (VW), qui avait fait repartir ses chaînesde production dès la fin avril,vient de décider de les interrom­pre de nouveau, faute de clients.

Si tous les constructeurs se trou­vent face à une équation compli­quée, pour Renault le défi est tita­nesque. Sur le plan du bilan comp­table, d’abord. La participation du constructeur français dans son partenaire Nissan est inscrite dans ses comptes pour 21 mil­liards d’euros, alors que ces 43 % ne valent plus que 5,5 milliards. Leréajustement s’annonce doulou­reux. La valorisation en Bourse de la firme au losange est désormaisinférieure au montant du prêt ga­ranti par le gouvernement. Après avoir brûlé plus de 5 milliardsd’euros de cash au premier tri­mestre, la situation risque de se tendre un peu plus au deuxième.Les investisseurs institutionnels se détournant, l’Etat devient la seule bouée de sauvetage crédible.

Côté recettes, les perspectivessont tout aussi sombres. Commenous l’annoncions dès le 26 no­vembre 2019, la gamme va bruta­lement s’atrophier avec le non­re­nouvellement de Twingo, Mé­gane, Koleos, Scenic, Talisman etEspace. Un nouveau SUV électri­que va soulager l’usine de Douai, mais pas avant 2022. Après avoir perdu l’assemblage de la Clio, Flins et ses 4 000 salariés risquentde se retrouver sans aucune pro­duction à cette date, avec la fin de vie de la Zoe, qui n’a pas de rem­plaçante, et l’arrêt programmé de la Micra sur ce site.

Dans la tourmente, on aurait puimaginer que le salut vienne de l’alliance avec le japonais. Mais on a de plus en plus l’impression d’as­sister à la dérive des continents, avec deux entreprises contraintes de se focaliser sur leurs propres difficultés, plutôt que de s’épauler. Nissan souhaite se concentrer sur le Japon, la Chine et les Etats­Unis, trois marchés où Renault est ab­sent. Le groupe japonais est égale­ment en train de faire une croix sur le diesel, dont le fournisseur exclusif était la firme au losange, fragilisant ainsi le site de Cléon.

L’usine sud­coréenne de Renaultn’est plus viable depuis que Nissana délocalisé les quelques modèles qui y étaient fabriqués. Quant à la plate­forme commune de la Mé­gane, elle ne sera pas renouvelée. Des annonces sur une relance de l’Alliance sont prévues les 27 et 28 mai, mais beaucoup en interne s’interrogent sur leur portée.

Décisions douloureusesDifficulté supplémentaire pour Renault, son nouveau directeurgénéral, Luca de Meo, arrive bien tard dans la tempête. Son ex­em­ployeur, VW, lui ayant imposéune clause de non­concurrence, ila dû repousser sa prise de fonc­tions à cet été. Le groupe se re­trouve donc obligé de réduire lavoilure sans que le nouveau capi­taine ait pu fixer le cap.

Pour complexifier le tout, le lo­sange se retrouve sous la sur­veillance d’un Etat qui envisage deconditionner son aide à une relo­calisation de la production en France. L’exigence risque de virer au casse­tête. Les voitures fabri­quées en Amérique du Sud sont exclusivement vendues sur place. Cela n’aurait aucun sens économi­que de leur faire traverser l’Atlanti­que. La gamme Dacia, assemblée en Roumanie ou au Maroc, con­çue sur un modèle low cost, per­drait leur compétitivité une fois rapatriée dans l’Hexagone. La Twingo, produite en Slovénie, va s’arrêter. Reste la Clio, fabriquée enTurquie, mais l’écart de coût, supé­rieur à 10 %, obligerait Renault à la vendre à perte si ce modèle rega­gnait les usines françaises.

L’Etat risque de ne pas avoir lechoix : accompagner des déci­sions douloureuses en recapitali­sant l’entreprise. En 1947, trois ans après le décès du fondateur dans sa cellule à Fresnes (Val­de­Marne), le général de Gaulle avait déclaré : « Il n’y a aucune raisonque Renault reste perpétuellementnationalisé du moment que Louis Renault est mort » (Charles de Gaulle, Eric Roussel, Gallimard,2002). La crise actuelle pourraitrelancer le débat.

I l y a, à n’en pas douter, quelque chose depourri au royaume du Brésil, où le prési­dent, Jair Bolsonaro, peut affirmer sans

barguigner que le coronavirus est une « grippette » ou une « hystérie » née de l’« imagination » des médias. Quelque chosede pourri, lorsqu’il prend des bains de foule,exhorte les autorités locales à abandonner les restrictions et prétend que l’épidémie« commence à s’en aller », alors que les cime­tières du pays enregistrent un nombre re­cord d’enterrements. Quand son ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo, pourfend le « comunavirus », affirmant que la pandémie est le résultat d’un complotcommuniste. Quand le ministre de la santé, Nelson Teich, démissionne le 15 mai, quatre semaines après sa nomination à ce porte­

feuille crucial, pour « divergences de vues », le jour où le pays atteint 240 000 cas confir­més et plus de 16 000 morts.

Pour beaucoup, les heures sombres quetraverse le Brésil, désormais cinquième nation la plus touchée par la pandémie,rappellent celles de la dictature militaire, quand le pays était soumis à la peur et àl’arbitraire. Avec une différence de taille :alors que les généraux revendiquaientla défense d’une démocratie attaquée, se­lon eux, par le communisme, le Brésil de Bolsonaro habite un monde parallèle, un théâtre de l’absurde où les faits et laréalité n’existent plus. Dans cet universsous tension, nourri de calomnies, d’inco­hérences et de provocations mortifères,l’opinion se polarise sur une nuée d’idées simples mais fausses.

Le déni entretenu par le pouvoir dis­suade la moitié de la population de se con­finer, tandis que les appels à la distancia­tion physique lancés par les profession­nels de santé, les gouverneurs et lesmaires ne sont que modérément suivis.L’activité économique doit continuer àtout prix, affirme Bolsonaro, qui peine surtout à prendre la mesure de la pandé­mie tout en faisant un calcul politique in­sensé : les effets dévastateurs de la crise se­ront attribués à ses opposants, espère­t­il.

Officier subalterne exclu de l’armée etobscur député d’extrême droite, raillé par

ses pairs pendant trois décennies, Bolso­naro n’avait rien d’un homme d’Etat. Arrivéau pouvoir, rongé par la rancœur et la nos­talgie brune, l’ex­capitaine de réserve n’a cessé de sonner la charge contre le « sys­tème » honni. Une posture qui, en période de pandémie aiguë, provoque le chaos sani­taire et sème la mort.

A force de tricher avec les faits, les gou­vernants populistes finissent par croire à leurs propres mensonges. On le voitailleurs dans le monde. Mais ici, dans ce pays sorti voici à peine vingt­cinq ans de ladictature, où la démocratie reste fragile,voire dysfonctionnelle, le fait de politiser ainsi une crise sanitaire à outrance est to­talement irresponsable.

Avec un socle de 25 % d’électeurs, Bolso­naro sait que sa marge de manœuvre est étroite. Certains évoquent aujourd’hui lescénario d’un coup de force institutionnel.Devant la foule venue le soutenir à Brasi­lia, le président a d’ailleurs clairementlaissé entendre, le 3 mai, que, en cas d’en­quête de la Cour suprême contre lui ou sesproches, il ne respecterait pas la décisiondes juges. Après avoir pratiqué le négation­nisme historique en vantant la dictature,nié l’existence des incendies en Amazonieet la gravité de la pandémie de Covid­19, Bolsonaro et sa tentation autoritaire ris­quent d’entraîner le pays dans une dange­reuse fuite en avant.

LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS SE DÉTOURNANT, L’ÉTAT 

DEVIENT LA SEULE BOUÉE DE SAUVETAGE 

CRÉDIBLE POUR RENAULT

ÉCONOMIE | CHRONIQUEpar stéphane lauer

Renault : d’unenationalisation à l’autre

LUCA DE MEO, NOUVEAU DIRECTEUR GÉNÉRAL, 

ARRIVE BIEN TARDDANS LA TEMPÊTE

Tirage du Monde daté dimanche 17 ­ lundi 18 mai : 150 881 exemplaires

LA DANGEREUSE FUITE EN AVANT DE BOLSONARO

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Page 30: Le Monde - 19 05 2020

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