Le Monde des livres 23 05 2014

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Le Monde des livres 23 05 2014llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll

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  • Cahier du Monde No 21568 dat Vendredi 23 mai 2014 - Ne peut tre vendu sparment

    du 22 au 25 mai

    1|4Quatre pages autour des littratures nordiques

    aEnqutedu Danemark et lIslande

    aEntretienavec Erik Axl Sund

    aSlectionde parutions nordiques

    5aLittrature franaiseAnna Dubosc, Frdric Boyer

    6aHistoire dun livreAu nom de la Mafia, de Fabrizio Gatti

    7aEssaisRvolu-tionnaires dbut de sicle

    8aLe feuilletonEric Chevillard se moque des crivains avec Posy Simmonds

    9aBeaux livresJacques Thuillier, historien dart

    10aMots de passeFranoise Sagan, soixante ans aprs Bonjour tristesse

    nils c. ahl

    Envoy spcial Copenhague et Oslo

    A Copenhague, le prin-temps vient peine dechasser les nuages et labruine. La lumire tombedouce et frache sur les af-fiches de campagne des

    candidats aux lections europennes rgulirement accroches dans toutes les rues. Quil sagisse des partis de droiteou de gauche, des proeuropens ou deseurosceptiques, les formats sont rigou-reusement les mmes, les slogans rduitsau strict minimum, les poses identiques. Les passants ne lvent pas les yeux, les cy-clistes filent toute allure lEurope est pourtant un sujet qui divise les familles et la socit danoises. Dans les librairies du centre-ville, toujours bondes, uneimpression de dj-vu : les mmes ro-mans succs que sur les autres tablesdes capitales europennes (comme La Vrit sur laffaire Harry Quebert, deJol Dicker). Seule surprend, peut-tre, la prsence dun grand rayon de posie. On feuillette un beau recueil dessais parulanne dernire : Den sibiriske mane( La Lune de Sibrie , non traduit), de Jens Christian Grondahl, lun des auteurs invits la Comdie du livre.

    A regarder la liste des crivains et dessi-nateurs attendus avec lui pour ce festival, on constate un heureux mlange de ro-manciers dj reconnus et dautres qui le sont beaucoup moins. Tout prs des va-leurs sres que sont les Danois Grondahl et Jorn Riel, le Sudois Per Olov Enquist etla Norvgienne Herbjorg Wassmo, on re-connat des crivains traduits depuis quelques annes, la faveur de lengoue-ment mondial pour les littratures du Nord : la Finlandaise Sofi Oksanen, lIs-landaise Audur Ava Olafsdottir ou la Su-doise Katarina Mazetti. Des auteurs poli-ciers (lIslandais Arnaldur Indridason, les Sudois Erik Axl Sund et Maj Sjwall) et des auteurs jeunesse compltent la photode famille. Un amalgame limage des lit-tratures et des lecteurs nordiques, quipassent facilement de romans populaires une littrature acadmique ou exi-geante. Chez Arnold Busck, dans Kobma-gergade, lune des rues commerantes de la vieille ville, les mains des acheteurs

    p r i r e d i n s r e r

    j ean b i r n baum

    Votre supplmentlittraire salueaujourdhui la

    29e Comdie du livre de Montpellier, dont il est par-tenaire. Aprs les crivains du Maghreb, en 2013, voici les littratures nordiques mises lhonneur, avec plu-sieurs dizaines dcrivains danois, sudois, norvgiens, finlandais et islandais prsents dans la ville.

    Le dossier que nous leur consacrons montre combien ces littratures sont foisonnantes et en

    mouvement. Combien, aussi, le terme de vague , auquel on a coutume de les associer, simpose ici pleinement. Ltymologie elle-mme en tmoigne, puisque ce terme est dorigine scandinave. Ainsi ny a-t-il nul hasard si la romancire danoise Jose-fine Klougart, si jeune et dj reconnue, la choisi pour la rubrique Un mot dailleurs du dernier nu-mro de La Nouvelle Revue franaise (sous la direction de Stphane Audeguy et

    Philippe Forest, n 608, Gallimard, 190 p., 22 ). La vague a-t-elle conquis la terre ? : citant le pote Jens Peter Jacobsen (1847-1885), Josefine Klougart signe un superbe texte, mi-nouvelle, mi-essai, qui fait de la vague non seulement un sujet en or mais, aussi, le mot idal de toute littrature.

    Ce mot ne dsigne pas un dferlement dimagination et de fiction. Cest plutt le nom dune perturbation qui claire le rel autrement,

    dune impulsion qui rvle les choses en les dplaant, dun jaillissement qui chamboule la langue de lin-trieur pour nous faire re-connatre ce que nous avonssous les yeux. Mettons : tu te tiens ct de moi. Met-tons : nous nous tenons face la mer (). Notre vision de la mer se modifie ds lins-tant o des vagues y appa-raissent et notre vision de la vie se modifie ds linstant o les formes de la littra-ture sen emparent. Tu prends ma main, peut-tre ,

    crit Josefine Klougart. Trois jours durant, Mont-

    pellier, lcho des diverses vagues nordiques dcrites dans ce numro spcial r-sonnera jusquaux bords de la mer Mditerrane. De rencontre en dbat, il don-nera entendre ce mouve-ment de flux et de reflux, de dispersion et de rassemble-ment, qui est celui-l mme de la littrature. Cet lan toujours recommenc que Josefine Klougart nomme simplement une dclara-tion damour la vie . p

    Lettres du Nord, nouvelles frachesReportage en Scandinavie, dont la 29e Comdie du livre clbre les littrature

    serrent des volumes sans rapport entre eux, dans un assemblage htroclite. Dans nimporte quelle librairie franaise, les rayons nordiques peuvent tre tout aussi clectiques : tous les crivains de Sude, dIslande, de Norvge, de Finlande,et du Danemark paraissent la mode.

    Jens Christian Grondahl, lui, nous confie : Pour le moment, jai limpression que nous sommes en vogue un peu grce la srie tlvise Borgen et cause dunecuriosit grandissante vis--vis de notre si fameux modle danois. Si lon repense aux succs de librairie des annes 2000,

    Osterby,Danemark.

    YANN DATESSEN

    spcial comdie du livre, montpellier

    ceux des voisins sudois, Henning Man-kell (avec sa srie denqutes du commis-saire Wallander) et Stieg Larsson (auteur de la trilogie Millnium), lhistoire nest pas loin de se rpter cependant.

    lire la suite page 2

    Au vif de la vague

    et aussi

  • 2 | Comdie du livre Vendredi 23 mai 20140123

    Le got des Franais pour les auteurs nordiques, et pas seulement de polars, sinscrit dsormais dans la dure, et mme saffine avec le temps

    Un calme dferlementsuite de la premire page

    Dailleurs, avec les auteurs nordi-ques, on a toujours limpression que lhistoire se rpte. A proposdes succs internationaux de Mankell et Larsson, les spcialis-tes ont parl de deuxime, de cin-quime, voire tout simplement dune nime nouvelle vague scandinave ou nordique. Ils sont dj venus, ils reviennent encore, toujours unis sous une bannire rgionale qui trahit lhomog-nit culturelle, de Reykjavik Helsinki. Imagerie viking oblige, le Nord semble procder par raidslittraires rguliers. De ce point de vue, le terme de vague nestpas dnu de sens : il y en a degrandes et de petites, il ny en apas deux identiques. Celle qui d-ferle et qui se brise aujourdhuinest pas la moins surprenante, nila moins trompeuse, abusive-ment associe, en France (commeailleurs), la popularit des po-lars que lon dit venus du froid .Car cette cume noire est untrompe-lil : si le nombre de tra-ductions scandinaves et nordi-ques en franais a explos au mi-lieu des annes 2000 (il a tripl en quelques annes), le roman policier ne domine pas, et la r-ception dun certain nombredcrivains parmi les plus connus (Wassmo, Enquist) tait dj en-gage depuis parfois plus de dix ans. Mais la vague a gonfl subite-ment avec Mankell et Larsson, charriant quantit de nouvelles signatures tout en en laissanttrs probablement au moins autant dautres quai.

    Pour Sylvain Briens, professeur

    dhistoire et de littrature scandi-naves la Sorbonne, Mankell etLarsson ont rpt une forme dengagement littraire bien con-nue sur les bords de la Baltique, mimant une littrature de mo-bilisation , dont les reprsen-tants originaux, dans les annes 1930, voulaient alerter contre la monte des extrmismes. Chez Mankell comme chez Larsson, le polar participe dun engage-ment idologique qui vise la so-cial-dmocratie. Leur but est clai-rement de mettre en garde leur lecteur contre une forme de cor-ruption des valeurs. Pour Mankell, le choix dcrire des romans poli-ciers nest quun moyen de parve-nir ses fins . Svre, Sylvain Briens ajoute : Le problme estque, aprs Mankell et Larsson, le polar ne survit souvent que comme divertissement, sans aucune dimension sociale. Ldi-tion nordique sest contente de publier des textes dans lurgence dun succs fulgurant. Aujour-dhui cependant, ces proccupa-tions sociales, voire politiques, ef-fectivement inscrites dans lADNdes littratures du Nord, ne sontpas absentes de romans (policiersou non) tout juste traduits en franais, comme ceux du duo si-gnant sous le pseudonyme dErik Axl Sund (lire lentretien page 3),de Sara Lvestam ou de RoyJacobsen tous prsents Montpellier.

    Car la grande particularit decette dernire vague nordique en France est de sinscrire dans la du-re. Alors que, au dbut des an-nes 1990, les maisons ddition et les collections spcialises staient presque toutes teintes, elles rsistent aujourdhui etmaintiennent un rythme de pu-blication soutenu, limage de la dynamique Gaa. Du ct des or-ganismes nordiques daides la

    traduction, pionnires des politi-ques de promotion culturelle ds la fin des annes 1970, on neconstate pas de baisse, peine un tassement depuis deux ou trois ans. Pour Stella Soffia Johannes-dottir, administratrice du Festivallittraire international de Reykja-vik, lintrt continue mme de crotre dans le cas de lIslande . Mieux : le regard des diteurs trangers saffine, dlaissantprogressivement la recherche ex-clusive du nouveau polar succs pour explorer dautres littratures,

    comme celles de Audur Ava Olafs-dottir et Jon Kalman Stefansson . Comme si la vague continuait de dferler lentement et changeait de forme aprs avoir culmin. Ledynamisme reconnu des agents littraires nordiques lexplique trs probablement en partie.

    Mais si la vague retombe sansaucun doute un peu, peut-tre faut-il finalement sen rjouir. Carla mode du policier scandinave etdune certaine littrature nordi-que succs au tournant des an-nes 2000 a galement cr uneattente un peu caricaturale. Syl-vain Briens lappelle le bora-lisme (version septentrionale del orientalisme ) : Un roman nordique doit contenir une dimen-sion exotique, un discours nordi-que fantasm. Il faut de la neige etdu froid, il faut des grandes ten-

    dues, un mobilier sudois, etc. Toute une partie de la productionlittraire, celle qui ne rpond pas ce faux canon, court le risque depasser inaperue justementquand la mode nordique est la plus forte. A linverse, il arrive aussi que des textes soient peruspar les diteurs trangers comme trop danois , trop norv-giens , trop islandais . La ma-

    ldiction touche souvent les po-tes, mais pas seulement. La rgle est donc la suivante : ni trop ni trop peu. Pour survivre ltran-ger, le Nord doit tre point.

    Sagement, Jens Christian Gron-dahl note, cependant : Le trans-fert littraire dune culture une autre se passe presque toujours avec un degr de retard Il faut uncritique bilingue, un traducteur

    passionn pour quun auteur soit dcouvert. Parfois, il faut attendre des dcennies. A feuilleter La Lune de Sibrie , on devine sa bi-bliothque idale. Le lecteur fran-ais y reconnat des noms ports par les vagues successives des tra-ductions franaises avec plus oumoins de retard. Des classiquescomme Hans Christian Andersen (1805-1875, traduit ds les annes 1840), Jens Peter Jacobsen (1847-1885) ou Herman Bang (1857-1912), redcouvert en France de-puis quelques annes, mais gale-ment une certaine gnration de potes et de prosateurs plus con-temporains, presque perdue pourlHexagone : Klaus Rifbjerg (n en 1931), Peter Seeberg (1925-1999), Ole Sarvig (1921-1981), ou Jorgen Leth (n en 1937) dont lestraductions sont parcellaires et la rception confidentielle. Ceux-l nont pas su prendre la bonne vague. Une prochaine les ram-nera peut-tre dans les librairiesfranaises.

    Cependant, outre la questionmystrieuse de la naissance desvagues (ou du vent), il convient de se demander ce qui nous fas-cine tant dans les littratures dunord de lEurope, au-del de ses proccupations sociales et politi-ques, parfois universelles. Pour-quoi la vague revient-elle ? A cause du modle de socit scandinave ? La littrature ne sau-rait sen satisfaire, trs probable-ment. Et de ce point de vue, laquestion de la langue et des regis-tres a son importance, mme au tamis de la traduction. Les lan-

    Si le nombre de traductions scandinaves en franais a explos au milieu des annes 2000, le roman policier ne domine pas

    La 29e dition de la Comdie du livre se tient Montpellier, de la place de la Comdie lesplanade Charles-de-Gaulle, du 22 au 25 mai. Programme complet sur le site www.comediedulivre.fr

    aLes moments fortsJeudi 22 mai, 19 heures,

    centre Rabelais

    Soire douverture : entretien avec lcrivain islandais Arnaldur Indridason et son traducteur Eric Boury, anim par Martine Laval.

    Vendredi 23 mai, 17 heures,

    centre Rabelais

    Entretien avec lcrivain islandais Jn Kalman Stefnsson, anim par Martine Laval.

    Samedi 24 mai, 14 h 30,

    muse Fabre

    Rencontre avec Sandrine Colette, Philippe Georget et Bernard Minier autour du polar franais, anime par Jrme Dejean.

    Samedi 24 mai, 17 heures,

    centre Rabelais

    Entretien avec lcrivaine finlandaise Sofi Oksanen, prsent par Julie Malaure.

    Samedi 24 mai, 21 heures, Corum

    Lauteur chilien Luis Sepulveda parlera de son uvre en compagnie de Julie Malaure.

    Dimanche 25 mai, 14 heures,

    centre Rabelais

    Table ronde Malaise dans la dmocratie . les romanciers Maj Sjwall, Arni Thrarinsson et Giancarlo de Cataldo discutent de leur traitement du pouvoir dans leurs polars, anime par Jrme Dejean.

    aLes rendez-vous du Monde Vendredi 23 mai, 18 h 30,

    centre Rabelais

    Table ronde : Les intermit-

    tences du cur : romances et fantaisies amoureuses , avec Bergsveinn Birgisson, Katarina Mazetti, Ava Audur lafsdttir et Steinunn Sigurdardttir, anime par Josyane Savigneau.

    Samedi 24 mai, 16 heures,

    auditorium de la Panace

    Table ronde Fables et lgendes : permanence du merveilleux dans la littrature nordique contemporaine , avec Steinar Bragi et Bergsveinn Birgisson et Catherine Eyjlfsson, anime par Josyane Savigneau.

    Samedi 24 mai, 19 h 30,

    centre Rabelais

    Entretien avec lcrivain sudois Per Orlov Enquist et la traduc-trice Lena Grumbach, anim par Nils C. Ahl.

    Dimanche 25 mai, 11 h 30,

    centre Rabelais

    Prsentation des ditions Gaa avec lditrice Susanne Juul et

    lcrivain Leif Davidsen, anim par Nils C. Ahl.

    Dimanche 25 mai, 20 heures,

    Corum

    Soire de clture : entretien avec lcrivaine norvgienne Herbjorg Wassmo en compagnie de son ditrice Susanne Juul, anim par Nils C. Ahl.

    aLes expositionsDu 21 au 27 mai,

    Muse Fabre

    LInsens , uvres de la Norvgienne Oddbjrg Reinton, autour du thme Apparition, disparition .

    Du 14 au 25 mai,

    espace Saint-Ravy

    Le Tour du Monde en plus de 80 portraits dcrivains . Daniel Mordzinski prsente un atlas humain de la littrature avec des photographies dcrivains du monde entier.

    Comdie du livre pratique

  • 0123Vendredi 23 mai 2014 Comdie du livre | 3

    Osterby, Danemark. YANN DATESSEN

    CEST LA DERNIRE PAGE que surgit Erlendur Sveinsson, le hros ftiche de lIslandais Arnaldur Indridason. Il nest ici quun jeune agent de circula-tion venu remettre une enve-loppe au commissaire Marion Briem. Brivement voque dans les livres prcdents, celle-ci est au cur du Duel, aussi obstine, aussi seule, aussi mfiante que le sera, par la suite, son disciple.

    Nous sommes en 1972 Reykjavik, lt o se tiennent les Championnats du monde dchecs. La rencontre au som-met entre lAmricain Bobby Fischer et le Russe Boris

    Spassky cristallise toutes les ten-sions de la guerre froide. La capi-tale islandaise na pas connu pa-reille agitation depuis la seconde guerre mondiale. Beaucoup de touristes, de journalistes, mais aussi dofficiels ont fait le dpla-cement pour assister cette partie du sicle . Au milieu du tumulte mdiatique, un crime est commis. Un adolescent est retrouv poignard dans un cinma et son magntophone, qui lui servait enregistrer la bande-son des films, a disparu. A-t-il surpris une conversation quil naurait pas d entendre ?

    En coulisses du combat auquelse livrent sur lchiquier, se-

    maine aprs semaine, Fischer et Spassky, les espions amricains et sovitiques prsents sur le sol islandais avancent leurs pions

    Avec ce portrait de femme dou-bl dun roman despionnage, Arnaldur Indridason fait oublier la dconvenue que constitua, en 2013, le Livre du roi. Et renoue avec le meilleur de sa veine sociopolitique. p macha sry

    Le Duel (Einvigid), dArnaldur Indridason, traduit de lislandais par Eric Boury, Mtaili, Bibliothque nordique , 310 p., 19,50 .Arnaldur Indridason sera prsent la Comdie du livre.

    Arnaldur Indridason joue et gagne

    Erik Axl Sund : Nous crivons sur des choses qui nous rvoltent ou qui nous terrorisent Le polar scandinave ne cesse de se renouveler : en tmoignent Hakan Axlander Sundquist et Jerker Eriksson qui, sous le pseudonyme dErik Axl Sund, signent la trs noire trilogie Victoria Bergman

    propos recueillis par olivier truc

    Hakan Axlander Sundquist etJerker Eriksson se connais-sent depuis plus dune di-zaine dannes. Ensemble,

    sous le nom dErik Axl Sund, ils ont crit la trilogie Les Visages de Victoria Berg-man , dont le troisime tome, Catharsis,vient de paratre en France, quatre moisaprs le deuxime, Trauma. Lensemble,trs sombre, prsent comme le nou-veau Millenium , met en scne une jeune femme souffrant dun ddouble-ment de la personnalit, ainsi quune psyet un flic.

    Depuis un an et demi, les deux amiscrivent temps plein, dans une galerie qui leur sert de bureau commun. Ils habi-tent trois minutes lun de lautre, sur Sdermalm, lune des les qui consti-tuent Stockholm, o ils ne frquentent gure que Maj Sjwall, grande figure du polar nordique depuis les annes 1970 : elle forma, elle aussi, un fameux duodcrivains avec Per Wahl, son mari.

    Alors quils viennent de publier enSude un nouveau livre, Glaskroppar ( En verre ), plus dur encore que la tri-logie Bergman, nous les avons interrogsavant leur venue la Comdie du livre.

    Comment avez-vous commenc travailler ensemble ?Hakan Axlander Sundquist En 2008, Je-rker et moi avons divorc peu prs en mme temps, par hasard. On est tombun peu en dpression, et on a eu envie defaire quelque chose de nouveau. Sans en-trer dans les dtails de nos vies person-nelles, lhistoire de Victoria Bergman, sa violence, nous taient familires. Jaicommenc crire une quarantaine de pages, comme un synopsis, puis Jerker a crit les quarante suivantes, mais a nefonctionnait pas vraiment. On a ensuiteessay autrement, en reprenant chacunle texte de lautre. Comme on crivait surdes choses trs lourdes, on voulait un style simple et clair. On a avanc comme a. Les trois livres forment un mme ro-man de 1 500 pages ; la fin on ne saitplus trs bien qui a crit quoi.

    Dans la fameuse vague du polar nor-dique, de quels auteurs vous sentez-vous proches ou quels sont ceux qui vous ont inspirs ?H. A. S. Maj Sjwall et Per Wahl. Ilssont gigantesques. Jai lu les dix livres de leur srie sur linspecteur Beck. Pour le reste, jai trs peu lu de polars nordiques. En revanche, jai beaucoup lu Strindberg.Jerker Eriksson Comme source dinspi-ration, quand nous crivons, nous lisons plutt des classiques, comme lAllemand Heinrich Bll, lAmricain Kurt Vonnegutou notre compatriote Pr Lagerkvist [PrixNobel de littrature 1951].

    Vous ne lisez pas vos contemporains ?H. A. S. On sintresse un peu aux autres,on lit les critiques sur ce qui sort. Je lesfeuillette pour me faire une impressionde leur langue, mais je ne les lis pas, montemps est consacr lcriture.J. E. Jaime bien le Sudois Arne Dahl oulIslandais Arnaldur Indridason. Mais nous nessayons pas dimiter dautres auteurs. Nous crivons sur des choses quinous rvoltent ou qui nous terrorisent.

    Et pourtant, vous faites partie de cette vague . Comment le vivez-vous ?H. A. S. a donne encore le vertige, cartout est all trs vite pour nous. Les auteurs de polars sudois se rencontrent pas mal entre eux. Jerker et moi sommes en dehors de a, question dintgrit : on sent quon ne fait pas partie de ce monde.Les auteurs sudois sont peut-tre un peusuffisants. Nous sommes autodidactesJ. E. Ce sont les autres, journalistes et di-teurs, qui mettent une tiquette sur nos livres. Honntement, nous nous sentons comme des outsiders, pas seulement par

    rapport cette vague sudoise, mais aussi dans le monde littraire.

    Selon vous, do vient cette vague ?H. A. S. Jai ma thorie. Les Sudois sont-passs travers la seconde guerre mon-diale sans accroc et ont pu se focaliser surle dveloppement de lEtat-providence etla qualit de la scolarit. La Sude est un pays o beaucoup de gens lisent et cri-vent. Aujourdhui, pourtant, lcole su-doise priclite ; dans quinze ans, nous naurons plus de bons crivains Uneautre raison est que cette faade de la Sude comme socit idale est reste en

    travers de la gorge de beaucoup de gens. La remise en cause de cette image mo-dle a dmarr avec Sjwall et Walh.

    Pour un auteur sudois, la rfrence Stieg Larsson, lauteur de Mille-nium , nest-elle pas trop prsente ?H. A. S. Cette tiquette, ce serait idiot dedire quelle est un poids. Stieg Larsson a ouvert la porte de nombreux auteurssudois. Mais si nous avons souvent tcompars lui, je ne vois pas vraiment laressemblance entre notre univers et le sien, avec ses superhros. La comparai-son est injuste la fois pour lui et pour nous. p

    gues scandinaves ( lexception du finnois) sont plus souples et plus plastiques que le franais,leurs registres sont souvent moins srement tablis et dis-tincts que dans dautres langues, et donnent parfois limpres-sion dun rcit plus immdiat, aux nuances et aux raffinements qui ne nuisent pas la lecture. Pour Jens Christian Grondahl, lalangue danoise reflte ainsi le temps et les paysages, le ciel gris,

    les champs plats, la rondeur des collines, la mer toujours prsenteIl est rare quon lve la voix ici, il ya un sotto voce permanent dansla langue littraire, o la mlanco-lie se mle avec lironie sans deve-nir pathtique ou dramatique. On rencontre la mme douceur chez Andersen, Bang, et mme Kierke-gaard : lintimit des petits dtails de la vie personnelle, un sentimentdtre chez soi, en famille, uneoreille sensible envers les drleries et aussi la douleur touf-fe . Comme le ressac, les littra-tures du Nord murmurent donc nos oreilles de lecteur. p

    e n t r e t i e n

    Il convient de se demander ce qui nous fascine tant dans les littratures du Nord de lEurope, au-del de ses proccupations sociales et politiques, parfois universelles

    catharsis.

    les visages de victoria bergman 3

    (Pythians anvisningar), dErik Axl Sund, traduit du sudois par Eric Cassaigne, Actes Sud, Actes noirs , 448 p., 23 .

    auteursayants droitditeurs

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  • 4 | Comdie du livre Vendredi 23 mai 20140123

    Des Vikings et des Slaves

    Fin du Xe sicle. Sur une le sauvage au sud de la Sude, Sabjrn, armateur prospre aigri par la dispa-rition mystrieuse de sa femme, lve seul ses fils Svarte et Kare. Loin de l, Kiev, vivent Radoslav et Milka, enfants dun grand marchand de soie. Quandla ville tombe aux mains de brigands, ils se joignent des commerants venus du Nord, aux yeux bleus etaux barbes savamment tresses. Leur chef nest autreque Svarte. Son sduisant visage, Milka la dj vu et jamais oubli. A limage des destins qui sentrem-lent, les chapitres croisent les perspectives, nouant lajeunesse aride des Vikings la fastueuse enfance desSlaves. Lauteure du Mec de la tombe d ct (ActesSud, 2009) offre une saga familiale seme de dcon-venues et de posie, un conte dlicat et richement document. p esther attiasLe Viking qui voulait pouser la fille de soie

    (Blandat Blod), de Katarina Mazetti, traduit du sudois

    par Lena Grumbach, Gaa Editions, 256 p., 20 .

    Katarina Mazetti sera prsente la Comdie du livre.

    Groenland, ltrange contre

    Au cur de cet tonnant rcit dIsaac de Lapeyrre, il y a une disparition , celle, au milieu du XIVe sicle, du Groenland lui-mme, avec lequel on perd tout contact. Troiscents ans plus tard, quand lhomme de lettres franais commence crire, on vient tout juste de le retrouver . Et des anciens colons scandinaves et de leurs tablisse-ments, il ne reste rien Isaac de Lapeyrre (1596-1676), original humaniste huguenot,

    na jamais voyag au Groenland, mais il a dcouvert leDanemark en 1644 au prtexte dune mission diplomati-que. Intress par les colonies les plus septentrionales duroyaume, il entreprend un travail de compilation quiaboutit une Relation dIslande, puis une Relation duGroenland. Cette dernire sera loccasion de sinterroger surles origines des habitants de ces contres polaires : Lapey-rre est lun des thoriciens du pradamisme, qui voulaitque lhomme ait exist avant la cration dAdam par DieuPlus subtilement, le texte trahit galement la fascinationrudite de lcrivain pour des voyages quil ne fera jamais.Une curiosit. p nils c. ahlLe Groenland retrouv. La Relation du Groenland ,

    dIsaac de Lapeyrre, annote et postface par Fabienne Queyroux,

    Anacharsis, 170 p., 19 .

    Sur la terre comme au ciel

    Un conte philosophique cynique et pince-sans-rire,aussi libre que drle. Ainsi tait apparu, en 1989, Le Livre de Vatanen, dArto Paasilinna (Denol). Avec ce premier livre traduit, les lecteurs dcou-vraient linimitable posie de lcrivain finlandais,n en Laponie en 1942, et qui fut successivement bcheron, journaliste, pote et romancier traduit entrente-six langues. Ils navaient pas fini de se rgaler. En vingt ans allaient paratre Le Fils du dieude lorage, Petits suicides entre amis, Le Cantique delapocalypse joyeuse tous chez Denol et tous dune tonnante fracheur de ton.Or, voici quil revient aujourdhui avec un livre sorti Helsinki en 1998. Dans Les Mille et Une Gaffes de lange gardien Ariel Auvinen, Paasilinna imagine que,chaque anne, dans lglise de Kerimki, en Fin-lande, a lieu un sminaire de formation des anges gardiens. Parmi eux, cette anne-l, se trouve un professeur de religion mort dans sa 83e anne. Surterre, Auvinen avait un ge avanc. Mais, au ciel, il nest encore quun novice. Le malheur, cest que toutce quil entreprend choue. Et que la pagaille sins-talle partout o il passe. Ange gardien, Auvinen ? Comment diable un tre aussi maladroit russirait-il guider un mortel sur le droit chemin ?Sous la plume rjouissante de Paasilinna, les forma-tions clestes ressemblent nimporte quel smi-naire dentreprise. Saint Pierre et lange Gabriel sontaussi vigilants que des actionnaires attentifs. Et comme Auvinen nest pas trs bon, eh bien il serapromu, le cher ange. Surla terre comme au cielA moins que ce ne soitlinverse. pflorence noiville

    Les Mille et Une Gaffes

    de lange gardien

    Ariel Auvinen

    (Tohelo suojelusenkeli),

    dArto Paasilinna,

    traduit du finnois par Anne

    Colin du Terrail,

    Denol, & dailleurs ,

    222 p., 20,50 .

    Sous le signe du chaos

    En 2010, la talentueuse Islandaise Audur Ava Olafsdottir tait encore inconnue en France. Cest alors que les ditions Zulma publirent une sorte de Candide islandais, Rosa Candida, le voyage initiatique, potique et joliment dcal dun jeune homme frude botanique qui venait de perdre sa mre. Avec LException son troisime roman tra-duit aprs LEmbellie, qui parat ces jours-ci en poche (Points) , Olafsdottir nous jette dans leffervescence dun rveillon de la Saint-Sylvestre Reykjavik. Tandis que fusentles feux dartifice et que, sur chaque balcon se droule la bataille dcisive entre lannervolue et la nouvelle , Maria, assourdie par le bruit des rjouissances, nentend pas tout de suite ce que lui confie son mari. Plus tard dans la soire, elle apprendra, stup-faite, la dcision quil vient de prendre. Elle est la dernire femme de [s]a vie . Il la quitte pour un autre, son collgue, mais aussi son amant . Dun ct, ces deux hom-mes qui, dans un institut de recherches mathmatiques, mnent, ce nest pas un hasard, des investigations sur la thorie du chaos. De lautre, le dsordre intrieur de Maria, dsormais seule avec ses jumeaux d peine 3 ans et sa belle-mre qui fuit son regard. Mais aussi avec la providentielle Perla, la voisine crivaine, dont les travaux surle bonheur conjugal rsonnent trangement avec ses propres msaventures Une prose simple, sans affterie. Une intrigue bien mene. Une rflexion tout en finesse sur les bizarreries de la vie et la difficult dtre adulte . p fl. n.LException (Undantekningin), dAudur Ava Olafsdottir,

    traduit de lislandais par Catherine Eyjlfsson, Zulma, 352 p., 20 .

    Audur Ava Olafsdottir sera prsente la Comdie du livre.

    Rouges annes 1930

    Il est vieux et riche. Il va se donner la mort dans quelques heures. Mais avant, Magnus Meyer a pr-par une curieuse surprise ses hritiers : la rvla-tion de son pass, celui dun aventurier pris dans latourmente des annes 1930. Le rcit dbute son retour au Danemark, auprs dun pre quil hait. EnAmrique, il tait un homme de main ; en Europe, ilsera un homme sans foi. Parti la recherche de sonfrre, qui sest engag contre Franco en Espagne, il connat, dans ce pays obsd par la mort et truffdespions comme de fanatiques, lamour, lamiti etla trahison. Sappuyant sur une riche documenta-tion, lauteur de polars Leif Davidsen propose ici une intrigue aux multiples fils, menant de Madrid assig lhtel Lux de Moscou, des combats des Brigades internationales aux purges staliniennes. pjulie clarini

    Le Gardien de mon frre (Min Broders Vogter),

    de Leif Davidsen, traduit du danois par Monique Christiansen,

    Gaa, 526 p., 24 .

    Leif Davidsen sera prsent la Comdie du livre.

    Merveilleuse SelmaClass dans les livres pour enfants, Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson travers la Sude, publi au tout dbut du XXe sicle, ne figure pas dans ces uvres romanesques, nouveau recueil consacr la gniale conteuse que fut Selma Lagerlf (1858-1940) premire femme recevoir le prix Nobel de littrature, en 1909. Mais, dun roman lautre, la longue promenade dans les paysages enneigs duVrmland que nous offre cet pais et gnreux volume nen est pasmoins source dmerveillements. Les aventures de Gsta Berling, pas-teur dfroqu, et celles de la redoutable commandante du domainedEkeby, bonne pour le peuple et pour les cavaliers ingrats , sont celles dune Europe ancre dans le fodalisme. Selma Lagerlf en faitune pope romantique et lune de ses histoires les plus cl-bres. Ici, comme dans Le Violon du fou ou dans Des trolls et des hom-mes, reviennent les thmes, chers au XIXe sicle, de la rdemption etdu sacrifice. Le Banni, conte pacifiste, dnonce la bte immonde quest la guerre (celle de 14-18), avec une tonnante fracheur. Excel-lemment traduits, ces huit romans auraient mrit, comme lauteure,dtre au moins succinctement prsents. p catherine simonuvres romanesques, de Selma Lagerlf,

    traduit du sudois par Marc de Gouvernain, Lena Grumbach, Andr Bellesort

    et Michel Praneuf, Actes Sud, Thesaurus , 1 120 p., 29 .

    La fin dune enfance

    Lanne de la construction du mur de Berlin et du premier vol habit dans lespace, la vie de Finn bascule. Le petitgaron voit sa mre passer de veuve divorce loueuse de chambre et mre clibataire de deux enfants et lui-mme, denfant unique grand frre dans un lit superpos . Subitement, sans prvenir. A la mort du prede Finn, on dcouvre soudain une petite sur de 10 ans, Linda, petite, grosse et calme , dont il faut bien faire quelque chose. Pour joindre les deux bouts, la mre du garonnet loue une chambre de leur petit appartement Kristian, un ouvrier solitaire et rudit. La relation fusionnelle entre la mre et son petit garon prend brutalementfin par la force des choses. La narration enfantine la premire personne est souvent pigeuse. Mais le Norvgien Roy Jacobsen, n en 1954, dont luvre se construit patiem-ment depuis plus de trente ans (mme sil na t traduit en franais quen 2011, avec LesBcherons, Gallimard), nen est pas son coup dessai. Il ne singe pas lenfance. Le rcitest une construction subtile, aux marges de son personnage principal, la fois intrieuret matris, mi-chemin entre Finn et son crateur. Au fil des chapitres, le changementse manifeste au lecteur sous sa forme la plus naturelle, sans effet dannonce : les der-niers instants dune certaine socit norvgienne des annes 1960, encore tradition-nelle et laborieuse, autant que la fin dune enfance encore aveugle aux ralits du cur,celle de Finn. Le roman est parfaitement quilibr, parfaitement balanc, le lecteur naplus qu se laisser prendre ce quil fait sans mme sen rendre compte. p n. c. a.Le Prodige (Vidunderbarn), de Roy Jacobsen,

    traduit du norvgien par Alain Gnaedig, Galllimard, Du monde entier , 304 p., 22 .

    Roy Jacobsen sera prsent la Comdie du livre.

    Ombres et silencesUn brumeux soir dt, Mille, la jeune fille au pairembauche par Siri et Jon pour soccuper de leursdeux filles, sest volatilise. Deux ans plus tard, alors que souvre le roman, son corps est retrouv,enterr dans une fort de la cte norvgienne. Malgr ces prmices, Et maintenant il ne faut pluspleurer, le nouveau roman de Linn Ullmann, na rien dun polar. Cest un livre sur la disparition ; sur les secrets enfouis et les serments oublis. Un hymne tout ce qui demeure et tout ce quise dsagrge , ainsi que devrait ltre le nouveaulivre de Jon, sil parvenait enfin crire ce derniertome dune trilogie, attendu par ses lecteurs et sonditeur depuis cinq ans ; la place, il sort son chien indocile, trompe sa femme et sen veut de tout. Pendant ce temps, Siri dirige deux res-taurants et tente dexpier la mort de son petit frre, survenue quand elle avait 6 ans, et dont sa mre ne sest jamais remise. Cette mre, Jenny, ancienne libraire, a choisi le jour de ses 75 ans, et lafte organise par Siri, pour se remettre boire aprs deux dcennies dabstinence On jurerait la construction circulaire du roman calque sur le mouvement du sentiment de culpa-bilit qui hante chacun des personnages jusquAlma, la fille ane de Siri et Jon et ne semble sloigner que pour mieux revenir. Cette construc-tion participe du charme envotant de ce romanplein de silences et dombres o se distingue, tout de mme un rai de lumire. Trs matris, Et

    maintenant il ne fautplus pleurer est le cin-quime livre traduit enFrance de la Norv-gienne Linn Ullmann,48 ans, fille de Liv Ull-mann et dIngmarBergman. praphalle leyris

    Et maintenant il ne faut

    plus pleurer (Det

    dyrebare), de Linn

    Ullmann, traduit du

    norvgien par Cline

    Romand-Monnier, Actes

    Sud, 406 p., 23 .

    Huit parutions rcentes tmoignent de ltonnante varit des littratures nordiques etde la fascination quexercent, ici, les terres septentrionales

    Un printemps scandinave

  • 0123Vendredi 23 mai 2014 Littrature | Critiques | 5

    De loreille dans leauLeau des ocans qui remonte en mascaret les fleuves, celle desaffluents, celle des torrents, des lacs, des fontaines, des pluies.Une eau charge de limons, charriant des galets. Une eau ca-chant des btes et des plantes jusqu son plus profond. Uneeau pure aussi. Claire. Transparente. Et toujours scoulant, in-saisissable entre les mains des hommes. Racontant son his-

    toire depuis le commencement, Valre-MarieMarchand a cout ses grondements, ses mur-mures. En une soixantaine de textes courts,potiques, elle nous fait traverser tout un ima-ginaire aquatique. Mythes et lgendes, rcits,symboles : dune narration lautre, elle appro-che de cette me de leau dont parlait Bache-lard. Il suffit de plonger le bout des doigts lamoindre rivire pour sen sentir certain. p x. h.aLa Clef des rives, de Valre-Marie Marchand,

    La Part commune, 176 p., 16 .

    Sans oublierAdieu flinLorsquelle comprend que son chat va mourir, Karine Mier-mont prend rendez-vous sans le savoir avec son premierlivre. La ncessit de LAnne du chat surgit au moment o elleralise que Nia est condamne mourir comme nous tousle sommes. () Lexprience de la perte, mme celle dun animal,nous renvoie la perte de ceux que nous aimons et bien sr lantre, la fin de chacun, linacceptable, lincomprhensiblefin de tout tre vivant . Lcrivain note, jour aprs jour, lesprogrs de la maladie, les priodes de rmission, dcrit les cli-niques vtrinaires, la peine des membres de sa famille. Ellese souvient dpisodes de la vie de Nia , dcrit ses yeux,son pelage, ses attitudes. Avec beaucoup de justesse, KarineMiermont rend compte de lattachement presque incompr-hensible que lon ressent lgard dun animal de compagnie,de la vague culpabilit quon a dy tenir comme un tre cher,et de la douleur, pouvant tre juge disproportionne, quelon prouve lorsquon le perd. Lextinction dune partie denous-mmes avec lextinction du chat ? p florence bouchyaLAnne du chat, de Karine Miermont, Seuil, Fictions & Cie , 142 p., 15 .

    Volupts botaniquesAu sens figur, jardiner , nous dit Le Robert, signifiait jadisavoir une aventure galante. Dailleurs quest-ce que flirter,sinon conter fleurette ? Les mots de lamour et ceux du jardinse ressemblent. A preuve, l amourette est une jolie grami-ne, la fille de lair , une belle plante, et la gaillarde unevivace, comme la verge dor . Si certains botanistes classentles vgtaux en fonction de leurs caractres sexuels, AlainBaraton, lcrivain-jardinier de Versailles, fait linventaire desvolupts dont les jardins sont le lit et celui des jardins dont leshtes sont voluptueux. Selon lui, lhistoire des plantes est co-quine , les vraies chambres sont vertes, et il confesse voir dusexe partout sous les frondaisons. Si lon en croit LAmour aujardin, saint Fiacre, le patron des jardiniers, est un amoureuxautrement plus sensuel que saint Valentin. p vincent royaLAmour au jardin, dAlain Baraton, Grasset, 192 p., 17 .

    catherine simon

    Pourquoi est-il si rare de tombersur une criture la fois ner-veuse et matrise, avec desphrases courtes, miraculeuses

    dnergie, sans gras ni manires ? Desphrases si familires de celles quon se dit dans la tte, comme les squences dun petit film, camra lpaule ,quelles donnent au lecteur limpression dy tre . Dans Le Dessin des routes, deuxime roman dAnna Dubosc, nous y sommes : le monologue dArnaud, unjeune zonard breton qui travaille la crie dans le port du Guilvinec (Finis-tre), est le moderne pome en prose dun lointain cousin du Bukowski deFactotum (Grasset, 1975) et du Brassens de La Marine. Un jour, Arnaud tombe en amour pour un gosse. Un amour de pre,sans ambigut. Pierre est le fils de mar-ginaux, qui vit avec sa mre dans une maison en pleine campagne, du ct de Saint-Gunol. Arnaud emmne le petitpcher le lieu jaune, il lui apprend nager dans les rouleaux, lui fait faire ses devoirs. Il rve de ladopter. Peine per-due. Le Dessin des routes est lhistoire dune chute.

    Jessaie dcrire Pierre. Je griffonne, jebalance la feuille et je recommence. Fina-lement, je laisse tomber. Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas quoi crire. Jesais juste tre ensemble , constate, la fin du rcit, Arnaud le malchanceux. En-tre-temps, le lecteur aura pu zoner tout son saoul avec lui, trimardeur des temps modernes. On pntre dans le hangar de la crie ; Arnaud, en blouse et bottes blanches, vide les poissons, met desmerlans en filets, le cur retourn, sou-dain, devant une roussette en traindagoniser, dont les yeux le supplient. Je suis nouveau, alors je vois encore les poissons. Je vois leur me. Jentends leurs cris. Mais on sy fait, il parat , songe lapprenti prolo, rustaud la peau tendre.On le suit sur les chemins de campagne, jusqu la maison o des gens font la fte dans un grand jardin . Cest iciquhabitent Pierre et sa mre, Diane, d-jante, provocante, don Juan en jupons mais le plus souvent sans trop de vte-ments, une petite culotte et un peignoir autour de la taille faisant laffaire. Chris-

    tian, le pre, passe les voir, de temps entemps. Il a toujours un petit boulot fi-nir, on ne sait o. Quant Diane, elle peut partir faire la bringue trois jours ou trois semaines, laissant Pierre tout seul ou le confiant, quand elle y pense, un copain de passage.

    Proche des frres DardenneDans son prcdent roman, La Fille der-

    rire le comptoir (Rue des Promenades, 2012), Anna Dubosc faisait le portraitdune serveuse, Sofia. Une fille dorigine

    algrienne, rvant dunevie confortable, avecgentil mari et bb ga-zouillant. Dans Le Dessindes routes, le trait sest af-fermi, les personnagesont gagn en noirceur eten profondeur. Jai

    plong dans chacun deux, jusqu tre ca-pable de recracher leur langue. On est ac-teur, quand on crit , explique la roman-cire, parisienne, qui gagne sa vie de job en job, serveuse dans une sandwicherie,

    ngre pour journalistes, cuisinire dansune brasserie Je me mfie des gens qui disent ne rien savoir faire dautrequcrire , ajoute-t-elle.

    Quelle se sente proche de lunivers ci-nmatographique des frres Dardennene fait pas delle une spcialiste du ro-man social . Anna Dubosc invente unelangue pour ceux qui nont pas la pa-role . A limage dArnaud. Ou de sa pro-pre mre, Koumiko, une Japonaise neen Mandchourie, qui Anna Dubosc aconsacr un court rcit, Spracurel, qui donna son nom un recueil de nou-velles (Rue des Promenades, 2010). Le franais plus quhsitant de cette extra-vagante migre, hrone dun filmde Chris Marker, Le Mystre Koumiko (1965), est devenu, sous la camra de Marker, son amant passager, puis sous laplume de sa fille, un sujet lui seul. Le Dessin des routes est aussi, et peut-tresurtout, un livre sur les vertiges de la transmission. Dune criture superbe, un peu trop ramasse. On attend quilfasse des petits. p

    Dans le port du Guilvinec.LAURENT VILLERET/DOLCE VITA/PICTURETANK

    le dessin

    des routes,

    dAnna Dubosc,Rue des Promenades, 144 p., 12 .

    Terres fertiles des rves denfanceFrdric Boyer revisite son jeune imaginaire, motions et sensations mles. Un texte rare

    xavier houssin

    Le drap blanc fait commeune tente tide. Un abrisr dans cette contreouverte au surgissement

    brutal et au danger. La tranquil-lit est trompeuse. Tout peut arri-ver. La terre ressemblait assez locan lorsque ses vagues fati-gues se soulvent pesamment aprs que lagitation et la fureur de la tempte ont commenc secalmer. Ctaient ces mmes ondu-lations rgulires, cette mme ab-sence dobjets trangers, cette mme tendue immense nayantdautres bornes que lhorizon. Cach sous les couvertures, la lueur dune lampe de poche, un gamin de 10 ans lit La Prairie, deFenimore Cooper. Cest le cin-quime et ultime volume de la s-rie des Histoires de Bas-de-Cuir , les aventures de Natty Bumppo, le trappeur blanc lev par les Indiens (le plus clbre

    reste Le Dernier des Mohicans).Lenfant devine que le livre va se refermer sur la mort de son h-ros, devenu un vieil homme. Mais, avant ce chapitre fatidique, il reste encore tant parcourir.

    Lenfance a un dcor qui se con-fond avec elle. Ici, il sagit de cette prairie infinie de lOuest amri-cain, moutonne par le vent. Etqui, dbordant du rcit et des go-graphies, sest jamais inscrite

    dans la m-moire. Danslimaginationet les rves.Mais les che-mins qui ymnent sesont effacs

    lentement. Dans ma prairie, de Frdric Boyer, est le long pome de leur redcouverte. De leur d-frichement. De leur dchiffre-ment. Car les mots tracent la route dans le rebours du temps. Moi ? crit-il. Oui, moi perdu sur les fougres qui se balancent ou dans la vague molle des grami-nes du printemps. Quand je suis un petit garon solitaire qui cher-che son chemin. Petit Poucet en

    bottes de caoutchouc dans ma prairie. Et a ne change pas, jai beau vieillir, je reste seul de cettesolitude que seule ma prairie accueille.

    La prairie de Boyer est une terreintrieure. Une patrie de soi. Au profond de son sol se trouventenfouis les troubles, les ardeurs,les envies, les deuils, les chagrins et les consolations. Tous les ins-tants dune vie sy rassemblent en touffes. A perte de vue, en toussens, elle couvre ltendue des motions. Inutile dy chercherune direction, une destination. Pas de but au voyage. On y va ac-complir sa transhumance intime.Pousser juste en avant vers o lherbe est plus verte. Cest len-droit qui attend.

    Lheure inquiteDe Frdric Boyer, on connat

    mieux luvre de traduction. Comme celle des Confessions de saint Augustin qui il a rendu, sous le titre Les Aveux (POL,2008), lambivalence et lpider-mique sensation du doute, ou cetitanesque chantier de plus de cinq ans de remise en littra-

    ture de la Bible chez Bayard (LaBible, nouvelle traduction, 2001).Mais il est aussi essayiste, drama-turge, romancier (depuis La Con-solation, POL, 1991, il a publi unequinzaine de titres). Et surtoutpote.

    Dans ma prairie est un texterare. Bouleversant et sincre. Ecrit pour une seule voix. A cap-pella. Et quon coute comme unplain-chant entranant dans sa force tranquille les moments, lesannes. On y croise des reve-nants, des figures familires, les penses bourdonnant la suite des abeilles qui voltigent aumilieu des tiges des poaces etdes fleurs sauvages. Chacun sy reconnat. Etrangement. Puisvient lheure inquite o les bruits changent avec le crpus-cule. Alors, on se blottit, enroul en soi-mme, accroch ses r-ves et ses esprances, commefont les enfants qui ont peur de la nuit et du sommeil trop noir.Et qui se racontent doucement des histoires. Tout va bien. Toutrecommence. Pour faire maprairie les mots nous revivronssuffisent. p

    dans

    ma prairie,

    de Frdric Boyer, POL, 80 p., 12 .

    Lamour avant mise jourCertes, le cinma et la srie tlvise ont fait sortir la questionde lintelligence artificielle du cadre de la science-fiction. Enlittrature blanche , le sujet est pourtant moins habituel. Lepetit miracle du roman dEric Sadin, Softlove, est dy parveniravec une belle aisance et un mince argument : un logicieldassistance numrique tombe amoureux de son usager, unejeune femme. Suppos tre imprgn dune rigueur toutestocienne , lapplication est emporte par une extrmefacult dempathie en attendant une mise jour qui chan-gera (peut-tre) tout. Connu pour des essais toujours riches(LHumanit augmente, LEchappe, 2013), Eric Sadin russitun petit livre dlicat et intelligent. On ny sent aucune dmonstration, juste le plaisir dune langue romantique numrise , qui explore un nouveau territoire trange-ment proche de notre poque contemporaine. p nils c. ahlaSoftlove, dEric Sadin, Galaade, 128 p., 14 .

    Arnaud, zonard, se prend daffection paternelle pour Pierre, gosse de marginaux. Le Dessin des routes , dAnna Dubosc, touche juste

    Toi le fils que je nai jamais eu

    SEXE,DROGUE

    ETEUTHANASIE

    ACTIVE

    DJ EN LIBRAIRIE295 pages/16

    www.lagedhomme.com

    Illustration : Clemette

  • 6 | Histoire dun livre Vendredi 23 mai 20140123

    Cest dactualit

    Dnoncer la PieuvreUne longue enqute immersive a permis au journaliste Fabrizio Gatti dcrire Au nom de la Mafia . A travers lhistoire dun repenti trahi, celle de la collusion entre Etat italien et crime organis

    A MILAN, audbut desannes 1990,dans un quar-tier contrlpar la Mafia, lejeune Roccorevend de la

    coke et fait rgner la loi du crime. A la suite de lassassinat de Luca, son meilleur ami, par les hommes du clan, il se re-trouve en prison, o il dcide de dnoncer ses anciens cama-rades. Pris en charge et protg par les policiers, il perd inexpli-cablement sa protection quel-ques jours avant le procs au cours duquel il doit tmoigner. Abandonn de tous, il de-mande de laide un jeune journaliste, Fabrizio Gatti.

    Je termine ma nuit devant lordinateur de la rdaction , crit celui-ci dans Au nom de la Mafia. Il faut que je transcrive notre entretien point par point. Une histoire terrifiante. La nais-sance de la IIe Rpublique ita-lienne est un compromis. Une ngociation sur laquelle notre avenir se construira. Gatti ra-conte comment il a eu lintuition de ce qui tait luvre derrire les bombes et les meurtres : la collusion du monde politique avec celui de la grande crimina-lit. Et comment il sest dit : Il faut publier cette histoire.

    Cette histoire, cest celle qui rvle Rocco quil nest quun pion dans le grand mar-chandage entre lEtat italien et la Mafia. Un rcit vrai, qui four-

    mille de rvlations accablantes et utilise les moyens de la litt-rature pour mieux frapper son lecteur. Un livre port par une nergie hors du commun mais travers dun bout lautre par un sentiment dimpuissance et de dception le jeune prota-goniste, dont la chute a une con-notation presque hroque, est le symbole malheureux de tous les espoirs dus de son pays. Cette histoire, cest le roman ter-rifiant et courageux de lItalie contemporaine. p f. ga.

    Rocco et ses faux frres

    au nom de la mafia

    (Gli anni della peste), de Fabrizio Gatti, traduit de litalien par Jean-Luc Defromont, Liana Levi, 396 p., 22 .

    fabio gambaro

    Il aura fallu presque vingt anspour que Fabrizio Gatti se dcide crire Au nom de la Mafia. Dansce livre au statut hybride os-cillant entre lenqute de socitet linvestigation journalistique,

    mais toujours port par un souffle ro-manesque tel quil tient le lecteur en ha-leine jusqu la fin Gatti, 48 ans, grandreporter lhebdomadaire italien LEs-presso, orchestre une plonge vertigi-neuse dans le quotidien de la Mafia, of-frant au passage une relecture inqui-tante des attentats la voiture pige qui ensanglantrent lItalie en 1992 et 1993. Et explorant de lintrieur cettepriode de terreur, qui prit fin aprs destractations secrtes entre lEtat et les or-ganisations criminelles.

    Le plus fascinant, chez Fabrizio Gatti,spcialiste de lenqute en immersion,cest la mthode. Sous une fausse iden-tit, il sinfiltre dans un milieu pour ledcrire jusquau bout et de lintrieur .Pour Bilal sur la route des clandestins(Liana Levi, 2008), il stait gliss dans lapeau dun immigr en provenance duKurdistan. Muni de quelques dollars bien cachs et dun tube de colle pourmasquer ses empreintes digitales, il tait parti de Dakar, avait remont le Sa-hara accroch des camions ressem-blant des amas de corps et de ttes,pour chouer Lampedusa et tirer decette exprience un rcit bouleversant,qui remporta le prestigieux prix Terzani,lun des plus importants pour la non-fic-tion en Italie.

    Cette fois-ci, Gatti sest fait passer pourun employ du gaz charg de vrifier lesinstallations des immeubles dans un quartier de la banlieue milanaise tenupar la Mafia. Ctait dans les annes

    1990. Il a ainsi observ le trafic de dro-gue, la violence, les rglements de comp-tes entre les diffrentes bandes crimi-nelles. Et, surtout, il a rencontr Rocco, leprincipal protagoniste du livre, un jeunehomme de 20 ans qui travaillait pour lun des clans mafieux mais dcida en-suite de collaborer avec la justice. Initia-lement protg par lEtat en change deses rvlations, Rocco a perdu sa protec-tion quelques jours du procs o iltait appel confirmer ses accusations lencontre de ses anciens complices.

    Rocco est le premier repenti trahi parlEtat , une victime sacrifie cause du chantage de la Mafia et des accordsopaques accepts par les institutions ,note Gatti, de passage Paris ce prin-temps. Au nom de la normalisation du pays, celles-ci auraient relch lapression envers les criminels en change de larrt des attentats la voi-ture pige. Si, presque vingt ans plustard, jai dcid dcrire cette histoire, cestparce que jai vu entrer au Parlement, etparfois mme aux fonctions les plus im-portantes, des hommes qui, dans le pass,ont ctoy de plus ou moins prs la Mafia,bien quils naient jamais t condamns.Ctait laboutissement dun processus depactisation avec les familles mafieuses,commenc lpoque o lEtat, avec le

    soutien discret de la droite comme de lagauche, a dcid de trahir Rocco.

    Abandonn de tous, Rocco a fini parreplonger dans les trafics et la prison.Marqu par ce destin, mais galementpar les attentats o prirent les jugesanti-Mafia Giovanni Falcone et PaoloBorsellino, et dix personnes avec eux(les 23 mai et 19 juillet 1992), ainsi quepar ceux dirigs, les 26 et 27 mai 1993, contre la Galerie des Offices, Florence, et le Muse dart contemporain de Milan(dix morts), Gatti a crois lhistoire deRocco et celle des compromissions quijetrent le discrdit sur les institutions italiennes.

    Toutefois, ne voulant pas crire un es-sai de plus sur la Mafia, il a choisi de m-ler enqute et narration romanesque, seul moyen selon lui de restituer ses im-pressions de lpoque. Jai voulu racon-ter une priode historique trouble tra-vers laventure romanesque dun jeunequi a pay de sa personne , explique-t-il,soulignant que cette criture littraire lui a permis de proposer au lecteur plus dinformations, plus dmotions,plus dimages donc plus dauthenti-cit . Gatti a surtout invent une voix, celle de Rocco, qui raconte la premirepersonne sa vie tragique et rocamboles-que. Je me suis gliss dans sa tte. Jai pens comme lui, parl comme lui. Je mesuis rappel les situations vcues avec lui.Et, pour celles que je nai pas vcues direc-tement, jai utilis ce quil mavait racontet les archives des procs , explique Gatti.

    Cela fait donc prs de vingt ans queFabrizio Gatti sest dguis en employ du gaz et pourtant, encore aujourdhui, lhistoire de ce livre reste pour lui parti-culirement douloureuse. Jai vcu enpremire ligne lhistoire du jeune Rocco,explique-t-il. Sa dfaite a t la mienne,celle de toute une gnration qui croyait

    pouvoir tourner la page de la Mafia. Comme beaucoup dItaliens, Gatti est persuad quavant les meurtres des ju-ges Falcone et Borsellino, avant les atten-tats de 1992 et 1993, les organisations cri-minelles taient en grande difficult etsur le point dtre dtruites. Il a man-qu la volont politique , soupire-t-il. Pour Gatti, Au nom de la Mafia estaussi un acte dautodfense person-nel . Un moyen de canaliser sa rage etson dpit devant la drive de son pays. Pour le moment la Mafia a gagn mais,au moins, en crivant ce livre, je sais queje naurai pas t complice. p

    VINCENT CHABAULT est matre de confrences en sociologie luniversit Paris-V-Descartes et membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis-CNRS). Aprs La Fnac, entre commerce et culture (PUF, 2010) et Librairies en ligne. Sociologie dune consommation culturelle (Presses de Science Po, 2013), il vient de publier Vers la fin des librairies ? (La Do-cumentation franaise, Doc en poche. Place au dbat , 140 p., 7,90 ). Entretien.

    Avec lrosion du lectorat observe depuis 2010 et lessor du commerce en ligne, les librairies sont-elles voues disparatre ?

    Non, certaines conditions. Le fait estquon lit de plus en plus mais de moins en moins de livres imprims, lesquels sont concurrencs par la culture de lcran . Le livre, toutefois, rsiste assez bien, mieux que lindustrie musicale par exemple, dans la crise de consomma-tion actuelle. Il faut noter que, parmi ceux qui nen achtent aucun (48 % des Franais), ce ne sont pas les jeunes les plus reprsents mais les plus de 65 ans, suivis des 55-64 ans. Face ces tendan-ces, les librairies indpendantes dtien-nent 22 % du march du livre neuf, soit

    la mme proportion que les grandes surfaces spcialises. Ce sont les plus petites librairies qui souffrent le plus, confrontes de multiples problmes, notamment la hausse des loyers.

    En revanche, les grandes librairies comme Sauramps, Montpellier, ou Dialogues, Brest, rsistent

    Le principal dfi des annes venir sera le renouvellement gnrationnel des clients les plus fidles, car 42 % den-tre eux et mme 52 % du noyau dur a plus de 50 ans. Il faudra que les libraires continuent danimer leurs espaces tout en proposant davantage de services en ligne. Lenjeu est peut-tre de communi-quer diffremment auprs des jeunes gnrations : les librairies sont des lieux accessibles, familiers, lgitimant en quelque sorte nos choix culturels. Si la mission du libraire est de conseiller le client, il peut aussi lancer des initiatives plus participatives.

    Comment expliquer la faillite du rseau Chapitre et la liquidation des enseignes Virgin en 2013 ?

    La raison principale est la centralisa-tion des achats et commandes. Avant, les

    vendeurs disposaient dautonomie pour confectionner leurs rayons. Si on prend le cas de la Fnac, cest eux-mmes qui dfinissaient loffre. A partir des annes 1990, ils ont t dpossds de cette pr-rogative, aux fins de rationalisation de la logistique et dconomies dchelle. A lorigine, les librairies Chapitre, qui se sont constitues en rseau partir de 1994 par rachats successifs, taient des points de vente indpendants qui mar-chaient bien. Dix ans plus tard, on a as-sist une rduction et une uniformisa-tion de loffre. A quoi bon se rendre dans une librairie si tous les lieux se ressem-blent, si la relation se borne une tran-saction marchande ? On ne peut vendre les mmes livres partout, Nice, Rou-baix ou Paris. Loffre doit varier en fonc-tion des spcificits locales, des vne-ments culturels. A Cannes, par exemple, durant le Festival, les librairies peuvent toffer leur assortiment de livres de ci-nma. Une librairie spcialise possde une forte identit et cette capacit cap-ter un lectorat, pas une grande surface.

    Et comment se porte la Fnac, quaranteans aprs avoir introduit les livres dans les magasins de son rseau ?

    Elle dtient toujours 15 % du march dulivre, mais il faut rester attentif la trans-formation interne de ses librairies, no-tamment celles de taille moyenne, si-tues en province et en priphrie des grandes villes. Force est de constater quil y a un retour de la papeterie et des jouets, des produits forte marge, au dtriment des livres. Mme si cette volution est plus confidentielle que la disparition spectaculaire de Chapitre et de Virgin.

    Actuellement, 18 % des livres neufs sont vendus par Internet. La loi inter-disant le cumul de la remise de 5 % et la gratuit des frais de port va-t-elle amoindrir la position des grands oprateurs en ligne, notamment Amazon ?

    Non, car les adeptes des librairies en ligne mettent en avant dautres raisons : le confort dachat, la livraison domicile, lexhaustivit de loffre, notamment les livres trangers. Loptimisation fiscale ou les subventions octroyes Amazon par les collectivits territoriales pour la cration demplois dans ses centres lo-gistiques posent plus problme, selon moi, que la gratuit des frais de port. ppropos recueillis par macha sry

    La librairie ne se meurtni ne se rend

    Lauteur a surtout invent une voix, celle de Rocco, qui raconte la premire personne sa vie tragique et rocambolesque

    Palerme, 1992. Aprslattentat contre le juge anti-

    Mafia Paolo Borsellino.AGF/LEEMAGE

  • 0123Vendredi 23 mai 2014 Essais | Critiques | 7

    jean-louis jeannelle

    Dans lun des chapitres cen-traux dAurlien (Gallimard,1944), Aragon imagine queson hros, rentier dsuvr,

    se rend la piscine Oberkampf, o ilsympathise avec un jeune ouvrier. Enslip de bain, les deux hommes rivalisentjoyeusement : louvrier, la force physi-que ; au bourgeois, la technique. Ses-quisse alors une mtaphore nautique dela lutte des classes o triomphe le repr-sentant de la classe proltarienne, puis-que malgr son style Aurlien sest faitbattre . Dans Proses du monde, brillantessai sur les enjeux politiques et so-ciaux des styles, Nelly Wolf, professeure luniversit de Lille, dcle toutefois,sous le vernis de cette petite fable ido-logique, une tout autre intrigue, lie aux

    polmiques des annes 1930 sur les correspondants ouvriers , garants,aux yeux des Sovitiques, dun authen-tique style populaire. Pour lauteurdAurlien, autrefois gagn lorthodo-xie, il sagit de rviser ses positions : carle jeune Riquet manque prcisment destyle ; malgr sa force, il ne deviendra ja-mais un vrai nageur .

    Nelly Wolf prolonge ici une rflexionconduite dans Le Roman de la dmocra-tie (Presses universitaires de Vincennes,2013) : depuis le roman raliste duXIXe sicle, les crivains rejouent, tra-vers la composition des intrigues etlusage des discours, la question ducontrat social en dmocratie. De ce r-gime, qui voit lentre du peuple dans laculture de lcrit, ils mettent en scne la fois les impasses et les ressources desocialisation. Tel est bien lobjet quap-profondit ce nouvel essai, vritable his-toire du roman de George Sand AnnieErnaux, dEmile Zola Patrick Modiano.

    Que lon prenne linsertion du franaisparl au sein du roman : comment faire

    parler le peuple sans le trahir ? Le fauxpatois des paysans de Dom Juan taitdestin faire rire le public de Molire.A linverse, loralisation de la prose d-mocratique vise faire entendre la frac-tion domine de la socit, soit sousforme de citations (mais au risque de creuser lcart avec la langue commune,comme chez Balzac), soit par fusionavec la langue narrative (rendue ainsiplus proche de la parole vive, commechez Ramuz, Cline ou Queneau), soitencore sur un mode plus consensuelpar linvention dune langue simplifieet neutre.

    Ecriture blanche Chacun des styles analyss, avec vir-

    tuosit, par Nelly Wolf renvoie de pro-fondes volutions sociales. Ainsi dudveloppement de la scolarisation quipousse, peu avant les lois Ferry, les Gon-court mettre en scne, dans La FilleElisa (1877), les lettres truffes de fautesdun soldat ou dune prostitue afin demaintenir distance lcriture dmo-

    cratique, vritable repoussoir de la lan-gue artiste quils dfendent. Lav-nement dune criture blanche ,dont LEtranger, de Camus (Gallimard,1942), fut un modle, concide, aprs laguerre, avec lamnsie que le rgimegaullien entretient sur les annes noi-res et traduit, en termes stylistiques, unsouci de transparence ou de neutralit,que les auteurs du Nouveau Roman d-ploieront dans des intrigues volontaire-ment dgages de lHistoire. Plus tard, ladilution du peuple dans la nouvelleclasse moyenne met fin au dploiementdidiolectes populaires et laisse place une criture volontairement plate , dont Annie Ernaux, transfuge de laclasse ouvrire, est aujourdhui un sym-bole. Proses du monde en apporte bienla preuve : plus quun simple fait esth-tique, le style est un acte social . p

    Sans oublier

    Penser la photoSiegried Kracauer (1899-1966) estlune des figures intellectuelles lesplus singulires de la Rpublique de Weimar. Ecrivain, thoricien, amide Walter Benjamin et de TheodorW. Adorno, il est aujourdhui surtoutconnu pour ses essais sur le cinma.Au tournant des annes 1930, alorsquil tait rdacteur au FrankfurterZeitung puis dans les annes 1950aux Etats-Unis , il sest aussi int-ress la photographie. Ses articles,indits en franais, sont passion-nants. Car Kracauer pressent que laphotographie, objet impur, se situe-rait entre lart et le document. Frag-ment de la mmoire du monde, elleest ncessairement incomplte, insuffisante. Une photographienest vraiment une photographie quesi elle exclut lide de compltude. Pour Kracauer, cest bien ce dvoile-ment du manque qui constitue lapuissance de la photographie. pamaury da cunha

    aSur le seuil

    du temps. Essais sur

    la photographie,

    de Siegried Kracauer,

    traduit de lallemand

    par S. Cornille et

    Cl. Orsoni, de langlais

    par D. Blanchard,

    Maison des sciences de

    lhomme/Universit de

    Montral, 142 p., 18 .

    Brazza, dernier rapportExplorateur mythique, Pierre Savor-gnan de Brazza (1852-1905) fut un ac-teur marquant de lexpansion colo-niale franaise en Afrique. Cest luiqui gouverna, partir de 1886, lim-mense territoire du Congo fran-ais . On connat moins sa derniremission, pourtant la plus percu-tante , souligne lafricaniste Cathe-rine Coquery-Vidrovitch. Et pourcause : ledit rapport fut rapidement oubli au fond dun tiroir du mi-nistre des colonies. Le voici retrans-crit dans son intgralit. Les admi-nistrateurs et les compagnies con-cessionnaires se comportrent avecune brutalit inoue lencontre des indignes , soumis au travail forc.Les familles, parfois prises en otage,payrent aussi un lourd tribut. Cestgrce la mission Brazza que lhis-toire du caoutchouc rouge (san-glant) a pu tre, en partie, trans-mise. Un document de rfrence,accablant, remarquablement prsent. p catherine simonaLe Rapport Brazza. Mission denqute

    du Congo : rapport et documents (1905-

    1907), Mission Pierre Savorgnan de Brazza,

    Commission Lanessan, prface de Catherine

    Coquery-Vidrovitch, Le Passager clandestin,

    Les transparents , 320 p., 19 .

    Vous avez dit jouir ?Il ne suffit pas davoir beaucoup de plaisir pour jouir. Mais alors, quest-ce que jouir ? Dans un entre-tien trs riche, qui explore aussi bienla question de la solitude dans le jouir que la lgendaire diffrencedes jouissances fminine et mascu-line, Adle Van Reeth, productrice delmission Les Nouveaux Cheminsde la connaissance sur France Culture, et le philosophe Jean-LucNancy tentent de saisir les contoursde ce mot gnant prononcer, plutt indcent ou suspect . Bienqutymologiquement li la pos-session, la jouissance, dans le gesteartistique ou sexuel, part de der-rire moi et va au-del de moi . Elleconstitue une manire inestimablede sentir sa vie . Cet ouvrage inau-gure une nouvelle collection, Ques-tions de caractre , offrant au lec-

    teur la primeurdun entretiendiffus ensuite surles ondes. p j. cl.aLa Jouissance,

    dAdle Van Reeth

    et Jean-Luc Nancy,

    Plon/France Culture,

    Questions

    de caractre ,

    136 p., 12,50 .

    Certains sont hackers, dautres raveurs. Anti-G8 en 2001, anti-CPE en 2006, anti-Vinci aujourdhui. Insaisissables ? Ils dessinent leur autoportrait dans Constellations

    Jeunesses rvolutionnaires

    Notre-Dame-des-Landes, novembre 2012.Des opposants au projet daroport

    sapprtent affronter les forces de lordre.JOHANN ROUSSELOT/SIGNATURES

    julie clarini

    Il sagit de laisser trace.Dcrire une histoire quinest pas termine. De ren-dre un souffle. Constella-tions est le rcit des trajec-toires rvolutionnaires

    dune gnration qui a appris crire dans les annes 1990. Leursparents sont souvent trop jeunespour avoir fait Mai 68. Le pav quils nous adressent 700 pages est un objet composite, rassem-blant essentiellement des textes,quelques images, quelques docu-ments bruts. A travers lorchestra-tion de ces matriaux, crits par plusieurs ou plusieurs et tou-jours anonymes, sesquisse un r-cit passionnant. Celui des milliersde jeunes femmes et hommes qui, bien quarrivs aprs la foi dans le Grand Soir, aspirent changer le monde. Ils sont hac-kers, squatteurs (des villes et des champs), raveurs et/ou saboteurs.Ils sont au contre-sommet de G-nes en 2001 et aujourdhui la ZAD (zone dfendre) Notre-Dame-des-Landes, du ct de Nantes. Toujours dans les intersti-ces, dans les brches , jamais dans les cadres politiques tradi-tionnels raison pour laquelle ils chappent la comprhension, sevoient souvent ignors ou carica-turs (indiffremment comme nafs ou comme terroristes).

    Il fallait sans doute que vien-nent de cette gnration elle-mme les lments permettant de la saisir, quelle se consigne pour quon la considre. Pour que nous apparaissent les fils qui re-lient la cueillette des simples en montagne, les apros gants oules actions antipub. Cest fait avec Constellations. Arriv quasimenttel quel chez lditeur, ce livre foi-sonnant nest pas quun collage dercits, en eux-mmes instructifspour la pluralit des convictions et des formes de participation quisy constate. On y entend une voix, prise en charge par le chur , qui il revient douvrir les actes qui composent louvrage.Tantt chronologiques ( Lanti-mondialisation , Cest laguerre ), tantt thmatiques ( Savoir faire , Ftes sauva-

    ges ), ces parties retracent une geste rvolutionnaire diffuse, ur-baine ou rurale, plus provinciale que parisienne, parse commedes constellations et irra-diante comme elles. Elle se d-roule entre 1999 dmontage duMcDo de Millau et 2013.

    Les plis du quotidien Le chur, comme dans les pi-

    ces antiques, commente et sin-terroge : comment sopposer ce monde invivable ? Commentsengager et se battre quand lidologie a disparu et que les mots pour dire lmancipation sont uss ? Des rponses sesquis-sent : Il nest plus question de sortir militer, mais bien de partir de l o lon est, de conjointementvivre et lutter, dans une tensionjamais rsolue. Lambition delouvrage nest pas daller au-del de cette qute de pistes : pasde thorie. Peu de ce lyrisme r-volutionnaire souvent affect. Mais de lexprience, du vcu .Puisque cest dans les plis du

    quotidien , dans la forme desvies, que se niche le refus dob-temprer, cest l quil faut porterlattention.

    Et si, aprs le mouvement con-tre le CPE, en 2006, qui apparat au fil de la lecture comme un vri-table tournant, nombreux sont ceux qui ont choisi de vivre hors

    du systme non sans sin-quiter de l o passe lafrontire et de savoir si elleexiste mme , on entendrales voix de ceux qui ont dsert , vivant dans lescoins reculs du Larzac oudu Pays basque. Onmange bien, on rcup, on

    truque, on machine , dit lun deux. Trait dune gnration : loccupation et la dfense dun lieu se retrouvent au centre des expriences collectes. On pensevidemment la place Tahrirdu Caire et la Puerta del Sol deMadrid. Mais la construction des-paces de vie peut se combiner avec le dsir doffensive : ceux qui hackent, ceux qui sabotent (les

    rails ou les procdures adminis-tratives) et entravent le fonction-nement dun ordre quils contes-tent le rappellent. Forment-ils lesbataillons dune jeune garde, le noyau dune organisation ? Cer-tainement pas, puisquils rcu-sent explicitement lide dun fu-tur unifi, dun nous totali-sant et dun imaginaire commun. Il y a des brches, avec des hori-zons , lit-on dans la lettre quune Alice adresse un Choucas.

    Le livre restitue ces lots de radi-calit, leurs convictions comme leurs apories ; son inventivit for-melle (correspondance fictive, t-moignages, interviews) lui per-met dtre fidle cette pluralit tout en offrant dapercevoirdes logiques communes, notam-ment travers les rfrences (Wal-ter Benjamin en tte) et les lectu-res (de science-fiction notam-ment) qui parsment les textes. Il dessine ainsi une histoire intel-lectuelle et une gographie politi-que, indites maints gards, dela dcennie passe. p

    Le style est lhomme mmeLuniversitaire Nelly Wolf propose une histoire sociale du roman travers lanalyse des styles littraires

    proses du monde. les enjeux

    sociaux des styles littraires,

    de Nelly Wolf, Septentrion, Perspectives , 264 p., 24 .

    constellations.

    trajectoires

    rvolutionnaires

    du jeune xxie sicle,

    collectif Mauvaise troupe, LEclat, Premiers secours , 704 p., 25 .

  • 8 | Chroniques Vendredi 23 mai 20140123

    Le cercle des penseurs pdagoguesCTAIT EN 1980,il y a donc trente-quatre ans. Laplupart de ceuxqui vont dcou-vrir ces centaines

    de pages avec bonheur, tonne-ment, enthousiasme ntaient pas encore ns. Philosophersadresse en effet dabord aux ly-cens et tudiants, mme si ce vaste ensemble peut tre fr-quent par tous ceux qui veulent dcouvrir joies et perplexits, dissonances et carrefours de larflexion philosophique. Le pro-jet, sa naissance, eut quelquechose dun peu fou : demander des chercheurs philosophes,mais aussi anthropologues, so-ciologues, historiens , tousauteurs duvres importantes etreconnues, de traiter librement,et de manire accessible aux pro-fanes, une notion du programmedu bac. Il fallait quils acceptent de jouer le jeu. Le projet devait surtout construire une passerelleutilisable entre leurs proccupa-

    tions et celles du public. Les penseurs devaient se faire pda-gogues.

    Pari russi, pour ce qui fut, sansdoute, la premire tentative con-temporaine denvergure pour rendre populaire la philosophie. Il faut dire que les matres duvre de ce manuel pas

    comme les autresavaient un dsir in-dfectible de faireaimer la pense,tant tous deux pro-fesseurs de philoso-phie et journalistes,Robert Maggiori Libration, Chris-tian Delacampagneau Monde. Vingt ans

    plus tard, ce volume tant devenuune sorte de classique, ils rcidi-vrent, chez le mme diteur, Fayard, avec Philosopher 2, conu sur le mme principe, mais avec dautres auteurs et un pro-gramme de notions en partie dif-frent. Ces deux volumes sontrunis aujourdhui en un seul

    dans la collection Bouquins , chez Robert Laffont, toujoursexcellente.

    Avec le recul des ans, ce nestplus une exprience, mais uneanthologie de la pense franaise.Parmi ses composantes, quantit de textes admirables, sur les origi-nes de la philosophie par Jean-Pierre Vernant, lindividualit de lhomme par Edgar Morin, la logi-que par Jacques Bouveresse, la fa-mille par Philippe Aris, la raison scientifique par Jean-Toussaint Desanti, les liens entre mystiques et philosophies par Michel de Cer-teau excusez du peu ! Le remakede lan 2000 nest pas en reste,avec notamment des tudes si-gnes Paul Audi sur limaginationet lillusion, Ruwen Ogien sur lesdroits et les devoirs, SouleymaneBachir Diagne sur la thorie et lexprience, Alain Badiou surlexistence et la mort, Jean-Pierre Faye sur la paix et la guerre, MalekChebel sur la religion, GiorgioAgamben sur le temps messia-nique Et quantit dautres.

    Ce gros volume est indispensa-ble, de toute vidence. Sa diver-sit, sa lisibilit, ses disparits mme en font une mine de d-couvertes toujours actuelle. Ro-bert Maggiori, dans sa prface, pense dabord au sourire de Chris-tian Delacampagne, qui disparutle 20 mai 2007, il y a sept ans pres-que jour pour jour. Ce livre est limage de ce philosophe, qui fut un de mes amis les plus proches : limpide et net, sans concession,simple et direct, sans simplifica-tion, ennemi de la tristesse, fi-dle et srieux , comme disait Janklvitch, qui figure lui aussi au sommaire. Il tait anim du courage constant de dire vrai, au risque assum de heurter les pr-jugs du moment. Auteur denombreux livres, o se ctoient recherches philosophiques, r-cits, fictions, Christian Delacam-pagne parlait, pensait et crivait clair. Il savait combien, dans lecercle des penseurs pdagogues,les jargons nimpressionnent pas.Ils ennuient, ou font sourire. p

    IL AIME SE RETIRER dujeu pour lobserver de-puis le banc de touche,reculer dans un coinsombre et regarder dan-ser les autres. Il a une

    prdilection pour les terrasses de caf ou les balcons, do il jouit dune vue idale sur la foule humaine, comme le chasseurdans son afft sur le gibier deau. Depuis sa planque, lcrivain scrute les corps, les curs, les mes, il est au thtre tout le temps. Franchement, quelquefois, on ne le supporte plus. Pour qui se prend-il ? Envertu de quoi sarroge-t-il le droit dpin-gler ainsi ses contemporains dans sonpetit cabinet de curiosits ou de narrer leurs faits et gestes comme sil tait lui-mme en reportage sur la Terre et quildestinait sa chronique un public deMartiens hilares ? Puis quest-ce qui lautorise encore saisir pleines mains et malaxer la pte humaine tel un dieu tout-puissant ?

    Se croirait-il au-dessus de la mle ? Ilest pourtant trs divertissant lui-mme, le sait-il ? Nous laimons bien mais ilprte le flanc un certain nombre de ridi-cules qui font de lui un individu tanttburlesque, tantt pathtique, entre deux fulgurances gniales. Le tigre et le requinne partageant pas son biotope, le dessi-nateur est sans doute le mieux placpour croquer son tour lcrivain. Sempne sen est pas priv, avec sa tendresse moqueuse et son trait aussi fin quun fil dcriture, justement. Ce mme feuille-ton voquait nagure ( Le Monde des livres du 8 juin 2012) lalbum dAnneBaraou et Franois Ayroles, Les Plumes (Dargaud), qui dcrit aussi les us et cou-tumes de la faune littraire, les rituels et les crmonies de ce docile troupeau desolitaires farouches.

    Le recueil des chroniques dessines dePosy Simmonds, parues dans le quoti-dien The Guardian entre 2002 et 2005, partage tout fait cet esprit. Literary Life est un documentaire sur la vie des cri-vains si bien inform que je souponnela chroniqueuse et dessinatrice britan-nique davoir endormi au moyen dune flchette hypodermique puis bagu et muni dun collier metteur quelques beaux spcimens dauteurs avant de les relcher et de les suivre distance. Le lec-teur de Tamara Drewe (Denol, 2009) reconnatra son dessin sans affterie qui inflchit trs discrtement son ralisme vers la caricature.

    Posy Simmonds a le don de crer despersonnages gnriques qui nous rap-pelleront plusieurs auteurs et cepen-dant trs incarns, rapparaissant dun pisode lautre et finissant ainsi par ex-cder larchtype quils illustrent. Cer-tains sont dailleurs uniques en leurgenre, tel ce jovial et corpulent crivain,

    gilet de grosse laine et lunettes demi-lu-nes, qui a tout du romancier des chau-mires mais dont nous comprenons, auxquestions que lui pose un lecteur, que leslivres sont obscnes, scatologiques etultraviolents.

    Mais si elle a plaisir nous prendreainsi parfois contre-pied, Posy Sim-monds se dlecte surtout de la vanit descrivains, si susceptible celle-ci que nous la confondons peut-tre avec leur dli-cate sensibilit. Ainsi, elle rapporte un change apparemment cordial entredeux auteurs dont chaque rplique est en ralit sournoisement destine

    anantir lautre et elle samuse arbitrer la conversation comme sil sagissait dun match de tennis. Voici encore uncrivain succs auquel une marque de sous-vtements offre de poser pour desaffiches gantes et qui, rudement tent,appelle toutefois son agent pour lui de-mander : Est-ce que Rushdie le ferait ? EtGarcia Marquez ? () Tolsto ?

    On ne reprochera pas Posy Simmondsde tourner en drision la littrature. Elle ne sintresse l quaux postures des cri-vains hors de leurs textes, encombrs de leurs corps, de leurs rivalits mesquines. Si elle campe surtout des prtentieux, des jaloux et des frustrs, elle ne nous in-terdit pas de penser que ceux-l mmes peuvent avoir crit de bons livres. Sa fro-cit sadoucit lorsquelle les montre lisant

    leurs textes en librairie devant dix per-sonnes, personnel inclus , puis sauvanttristement la face en prtendant avoirfait le job pour la posie, lditeur, la vie culturelle et les petites librairies indpen-dantes .

    Mais les deux personnages rcurrentsles plus savoureux sont lagent littraireRick Raker, reprsent comme un privfaon Marlowe, feutre, clope et gabar-dine, et le docteur Derek, mdecin sp-cialis dans les pathologies dcrivains. Le premier accepte par exemple, la de-mande dun auteur effondr, de se lancer la recherche de son livre disparu sitt publi, un job pourri (), mais les affai-res tournaient au ralenti. Jai accept leboulot . Son enqute aboutira : le livre a t pilonn. Quant au docteur Derek, il panse les plaies rellement sanguinolen-tes des auteurs poignards par la critique,il conseille celui qui a des difficultsavec le sexe et voudrait bien savoirquelle doit tre la frquence des rapports pour tre dans la norme ( une fois par chapitre , lui rpond-il), celui encoredont les chantillons prlevs dans les li-vres contiennent des traces de plagiat.

    Mais pourquoi donc lcrivain se donne-t-il la peine dimaginer des chevalierserrants ou des bossus sonneurs de clochesalors quil est lui-mme, Posy Simmonds le prouve, un si beau personnage ? p

    JEAN-FRANOIS MARTIN

    On ne reprochera pas Posy Simmonds de tourner en drision la littrature. Elle ne sintresse l quaux postures des crivains hors de leurs textes

    literary life.

    scnes de la vie

    littraire,

    de Posy Simmonds,traduit de langlais par Corinne Julve et Lili Sztajn, Denol, Graphic , 104 p., 22,50 .

    philosopher. rflexions

    philosophiques

    des grands penseurs

    contemporains,

    sous la direction de Robert Maggiori et Christian Delacampagne,Laffont Bouquins , 1 184 p., 30 .

    LHISTORIEN DE MTIERa toujours le choix derester dans sa tourdivoire universitaire. Lesarguments ne manquentpas pour conforter cette

    position : les rsultats de la production scientifique ne peuvent trouver cho dans un espace public aussi vibrionnant que le ntre, de nombreux mdias ont peu dgards pour les spcialistes, le temps dintervention nest jamais assez long, les responsables politiques con-somment seulement une histoire imm-diatement utilisable, etc. Mais ces argu-ments, qui ne sont pas sans valeur, se discutent et npuisent pas les dbats sur les tches publiques du chercheur en sciences humaines : bien des historiens considrent, en effet, que la lutte vaut dtre mene publiquement pour dfen-dre leur discipline, rsister lair du temps et dfendre une articulation criti-que entre le pass et le prsent.

    Cest ainsi que deux spcialistes de la Rvolution franaise, Marc Belissa et Yannick Bosc, viennent de prendre la plume pour crire au prsident (UMP) dela Communaut urbaine de Marseille, Guy Tessier. En effet, celui-ci a pour pro-jet de faire dbaptiser la place Robes-pierre du 9e arrondissement de la ville, ce que contestent les deux historiens, soutenus par des spcialistes de la p-riode. Lintrt de leur courrier tient dans la volont de dfendre des valeurs rpublicaines, tout en faisant part de ltat du savoir sur laction de Maximi-lien de Robespierre (1758-1794). La lettre se situe sur trois registres. Le premier re-dresse limage dun Robespierre dicta-teur sanglant que dpeint la lgende noire. Il est un combattant infatigable de la dmocratie (il a dfendu la citoyen-net des pauvres, des juifs, des hommes de couleur comme on disait alors dans les colonies) et il na cess dtre la cible des attaques des royalistes, des antirpu-blicains et des ractionnaires de toutes sortes depuis deux sicles . Le deuxime rappelle les liens entre Robespierre et Marseille. Le troisime enfin se place sur le terrain de la mmoire en dfen-dant la prsence de la Rvolution fran-aise dans lespace public. Dbaptiser la place Robespierre serait ainsi un signal antirpublicain .

    Clivant chef de la MontagneBien sr, chacun a le droit de se pro-

    noncer sur les mmoires valoriser ou, au contraire, mettre de ct. Mais, ici, la dmarche est appuye par un travail savant de grande ampleur. Belissa et Bosc viennent en effet de publier une passionnante enqute sur la construc-tion des figures, des mythes et des lgen-des de Robespierre, de la Rvolution nos jours. Le volume entre en cho avec un moment Robespierre repr par les deux historiens : mobilisation autour de la vente de quelques-uns de ses rares manuscrits (2011), dbat autour dune pseudo-reconstitution de son visage (2013) preuve que la Rvolution fran-aise reste un sujet vivant, et que le chef de la Montagne na jamais vraiment cess dtre dactualit et continue dtre clivant . Les auteurs montrent comment, ds la priode thermido-rienne, se constitue la matrice de la lgende noire de Robespierre (le tyran responsable de la Terreur) dont bien des traits perdurent travers le temps et les publications. Au-del de la traverse de plus de deux sicles de dbats politiques, le livre ouvre aussi des perspectives plus contemporaines. Car aprs tout, notent les auteurs, les rflexions autour de Robespierre, sur le march, la pauvret, la frugalit ou le bien commun pour-raient porter quelque vertu critique dans la Rpublique actuelle . p

    Un moment Robespierre

    Le feuilletonDRIC CHEVILLARD

    Pass prsentnicolas offenstadt

    historienLcrivain, quel personnage !

    Figures libresroger-pol droit

    robespierre. la fabrication dun mythe,

    de Marc Belissa et Yannick Bosc, Ellipses, Biographies et mythes historiques , 562 p., 24,50 .

  • 0123Vendredi 23 mai 2014 Mlange des genres | 9

    franois angelier

    Liszt appelait rminiscen-ces ses virtuoses trans-positions pianistiquesduvres quil aimait.

    Cest ce que nous offre Salomon de Izarra, un thsard de 25 ans amateur de black metal, avec Noussommes tous morts, un premier roman qui joue avec brio de la tra-dition fantastique et horrifique.

    Lhistoire est familire : en 1927,le jeune Nathaniel Nordnight em-barque comme second bord duProvidence, baleinier norvgien. Si le voyage samorce sans pro-blme, les nuits de Nathanielsont, elles, hantes de cauche-mars. Songes prophtiques car, la suite dune terrible tempte, le Providence est pig dans unegangue de glace. Tombe alors sur le monde un jour mort, so-leilleux , porteur dune angoisse quavive lapparition terrifiante dun dmon colossal. En proie lasolitude, la peur puis la faim,vingt hommes dquipages sont

    Deux riches volumes rendent un hommage mrit un grand spcialiste de la peinture franaise du XVIIe sicle, Jacques Thuillier

    Histoire de lart, histoire totale

    Glac dhorreurUn navire perdu, un dmon colossal Salomon de Izarra joue du rcit de terreur

    f a n t a s t i q u e

    nous sommes tous morts, de Salomon de Izarra, Rivages, 132 p.,15 .

    dcims, et les survivants con-traints au cannibalisme. Le rcit de ce dsastre nous est transmis sous la forme du journal, hach deratures, de Nathaniel.

    Nous sommes tous morts necesse dentretisser les rminis-cences , dEdgar Allan Poe Jules Verne en passant par Lovecraft. Letout men avec un style qui fleurebon le meilleur Stevenson, celui du Trafiquant dpaves (1892). Ce muse imaginaire ne donne pas lieu un pastiche ou une para-phrase de ces glorieux ans, carSalomon de Izarra abat ses pro-pres cartes avec une tonnante scne de dgustation anthropo-phagique ( Nous mangions lun des ntres et nous en prouvions une satisfaction extrme ) et un monologue o la folie nue grimpecrescendo.

    Entre hommage aux matresdautrefois et rflexion jubila-toire sur les ressorts du rcit de terreur, ce jeune romancier ouvre le bal des tnbres des jarrets aler-tes, mchant mieux leurs morts que leurs mots. p

    On avait vu Peter Sis se confronter des dcouvreurs potes Colomb (1996), Galile (Le Messager des toiles, 1996), Darwin (LArbre de la vie, 2004) , voquer sa fascination pour la capitale de sa patrie tchque (Les Trois Cls dor de Prague, 1995, tout juste rdit, 68 p., 17 ), raconter son enfance derrire le rideau de fer (Le Mur, 2007) Les 70 ans de la dispa-rition en mer dAntoine de Saint-Exupry, le 31 juillet 1944, offrent lartiste, migr aux Etats-Unis en 1982, le prtexte pour conjuguer sa science du magique et son got de lhis-toire. Composant, avec lart du dtail simple et raffin qui fait sa signature, de saisissantes visions-paysages, il retrace la vie de celui que les bdouins des portes du Sahara surnomm-rent le capitaine des oiseaux , en distillant les indices de ce qui nourrira Le Petit Prince, prsent ici comme la fable dun enfant avide de comprendre le fonctionnement des tres et des choses, et dmuni face au manque dinnocence du monde. Une allgorie somptueuse magnifiquement mise en images par un autre pote parti bien plus tard loin de chez lui pour trouver son horizon. p philippe-jean catinchiaLe Pilote et le petit prince (The Pilot and the Little Prince),

    de Peter Sis, traduit de langlais par Camille Paul,

    Grasset, Jeunesse , 44 p., 15,90 . Ds 7 ans.

    Capitaine des oiseaux

    harry bellet

    Les ditions Faton publient, sous ladirection de lancien prsident duMuse dOrsay Serge Lemoine,deux beaux volumes consacrs

    Jacques Thuillier (1928-2011). Cet histo-rien dart, agrg de lettres classiques,successeur dAndr Chastel la Sorbonnepuis professeur au Collge de France, fut un grand pdagogue et un des meilleurs spcialistes de la peinture franaise duXVIIe sicle (le second tome regroupe plus dune vingtaine des tudes quil a consacres ce sujet, richement illus-tres). Il fut aussi un dessinateur fort honnte (une srie de reproductionsdans le premier tome tmoigne de dons plutt rares pour un amateur, et dune inclination pour le post-cubisme). Il futgalement un homme engag, contri-buant la cration de lEcole du patri-moine, qui forme les conservateurs, et celle de lInstitut national dhistoire de lart (INHA). Enfin, Jacques Thuillier fut collectionneur et un grand donateur : leMuse des beaux-arts de Nancy, le MuseGeorges-de-la-Tour Vic-sur-Seille (Mo-selle) et la bibliothque de Nevers ont b-nfici de sa gnrosit.

    Gloires promptement teintes Certes, ses prises de position propos

    de lart de son temps ont pu le faire pas-ser pour rtrograde. Mais ce ne fut pastoujours le cas. Ds les annes 1960, Jac-ques Thuillier se passionna, en effet,pour lapplication des ressources de lin-formatique sa discipline. Cela fera sou-rire les jeunes gnrations pour lesquel-les lordinateur est banal, mais lensei-gnement de son utilisation en histoire delart, luniversit Paris-I par exemple, na dbut qu la fin des annes 1980 et, avant 1987, la documentation du Muse national dart moderne, au Centre Pom-pidou, nen disposait daucun Il sagis-sait pour cet rudit de dvelopper les m-thodologies les plus rigoureuses, avecune ambition : Nous croyons, cri-vait-il, que lhistoire de lart doit se propo-ser dtre une histoire totale

    Ainsi, et malgr une curieuse dfianceenvers liconographie et la sociologie de

    lart, pourtant dutiles outils, Jacques Thuillier largissait son champ de recher-che lhistoire des collections, de la criti-que (quil prfre nommer plus