MARDI 19 MAI 202076E ANNÉE– NO 23438
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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
LE REGARD DE PLANTU
LA CHINE SUR LA SELLETTE DEVANT L’OMS▶ L’Organisation mondialede la santé (OMS) tiendrapar visioconférence,lundi 18 et mardi 19 mai,sa 73e assemblée annuelle,en pleine pandémie
▶ Une centaine d’Etatsmembres, dont ceuxde l’Union européenne,réclament une évaluationde « la riposte sanitairecoordonnée par l’OMS »
▶ C’est un échec pourPékin, qui voulait éviterla mise en place d’une enquête indépendante sur levirus et la mention du rôlede Taïwan dans la crise
▶ La démission du directeur général de l’organisation ne devrait cependantpas être à l’ordre du jouravant que la pandémiemondiale ne soit maîtrisée
▶ L’accès « universel,rapide et équitable » à unvaccin devrait être désormais considéré comme« un bien public mondial »PAGES 2-3
BRÉSIL : BOLSONARO IGNORE LA CATASTROPHE
Au cimetière de Fortaleza, dans l’Etat du Ceara, au nordest du Brésil, le 7 mai. JARBAS OLIVEIRA/AFP
▶ Le Brésil a le plus fort taux de contamination du monde ;le virus pourrait tuer 190 000 personnes d’ici trois mois▶ Une trentaine de demandes de destitution du présidentJair Bolsonaro ont été déposées au Parlement
PAGE 6
GÉNÉRALISTESUne semaine après la fin du confinement, les médecins observent un relâchement de la vigilance PAGE 4
ENSEIGNEMENTLes universités réfléchissent déjà à la rentrée des futurs étudiants de la « génération Covid » PAGE 10
AUTOMOBILELes équipementiers français sur le fil du rasoir, fragilisés par le manque de liquiditésP. 14 ET CHRONIQUE P. 29
CONFORAMALe groupe d’ameublement voit son avenir suspendu à l’octroi d’un prêt garanti par l’EtatPAGE 15
MarieAlice Dibon, 53 ans, était féministe, cultivée, docteure en pharmacie. Elle est tombée amoureuse d’un chauffeur de taxi, qui n’a pas supporté qu’elle veuille le quitter.Il a jeté son corps dans l’Oise le 19 avril 2019HORIZONS – PAGES 20-21
FéminicidesVie et mort d’une femme sous emprise
L’association SOS Homophobie s’alarme d’une hausse inquiétante et régulière des actes homophobes, des chiffres que confortent les statistiques du ministère de l’intérieurPAGE 11
HomophobieEn 2019, le nombre de victimes a augmenté de 36 %
AllemagneA Stuttgart, les profils hétéroclites des opposants aux mesures CovidPAGE 5
IsraëlUn gouvernement après cinq cents jours de campagne PAGE 13
EntretienVallaudBelkacem : « La souveraineté n’est pas le souverainisme »PAGE 7
Rwanda Finde cavale pourle génocidaire Félicien Kabugal’homme d’affaires rwandais, âgé de 84 ans, a été arrêté à Asnières (HautsdeSeine), samedi16 mai, après vingtsix ans de cavale. Félicien Kabuga est l’un desderniers grands responsables du génocide rwandais de 1994, qui a tué près de 800 000 personnes.
Proche de la nomenklatura dupouvoir hutu, il est accusé d’avoirfinancé les massacres de Tutsi, d’avoir fait livrer 581 tonnes demachettes du Kenya et d’avoir créé la radiotélévision des Mille Collines, qui a constamment appelé aux tueries.
C’est par le biais des téléphonesportables de ses enfants que les enquêteurs sont remontés jusqu’à Kabuga, qui vivait discrètement sous un nom d’emprunt.
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PolitiqueRemaniement, dissolution, référendum : les pistes de MacronPAGE 8
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2 | CORONAVIRUS MARDI 19 MAI 20200123
Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, en 2017, à Genève.DENIS BALIBOUSE/REUTERS
C ontrairement à d’autres institutions internationales quiont reporté la réunion de leurinstance souveraine, l’Organisation mondiale de la santé(OMS) tiendra bien sa 73e as
semblée annuelle − l’Assemblée mondiale dela santé (AMS) −, lundi 18 et mardi 19 mai, dans des conditions particulières. La pandémie de Covid19 qui continue de se propager,notamment dans les Amériques, en Europe de l’Est et en Afrique, oblige à une réunion virtuelle, dans un format très raccourci parrapport aux dix jours habituels.
Elle examinera en particulier une résolution sur la réponse au Covid19 promue par l’Union européenne qui pourrait rassembler jusqu’à une centaine d’Etats membres. Le texte aborde la question de l’accès équitable aux technologies, médicaments et vaccins contre le SARSCoV2, mais demande également « au plus tôt » une « évaluation indépendante de la riposte sanitaire internationale coordonnée par l’OMS » face au Covid19.
« L’AFRIQUE EST DE PLUS EN PLUS ATTEINTE »Il n’était pas acquis d’avance que l’AMSpuisse se tenir. « C’est un gros défi pour nous,car il y a des questions techniques et de sécurité, notamment afin de nous prémunir contre des tentatives de piratage dans le systèmeinformatique qui serait utilisé lors des votes », explique Bernhard Schwartländer, chef de cabinet à l’OMS.
Plus de 4,5 millions de cas et plus de300 000 morts sont déjà à déplorer, selon lesdonnées de l’institution. « La pandémie esttoujours en phase d’expansion. Il y a une stabilisation en Europe de l’Ouest, mais la courbeest ascendante en Europe de l’Est ; elle est en expansion en Asie du SudEst et diminue dansla région Pacifique. La maladie est en haussedans les Amériques : les pays d’Amérique sont de plus en plus touchés et les EtatsUnis constituent actuellement l’épicentre de la pandémie. Enfin, l’Afrique est de plus en plus atteinte », résume Ibrahima Socé Fall, sousdirecteur général chargé des interventionsdans les situations d’urgence à l’OMS.
L’OMS a déjà mis en place une aide matérielle à 135 pays à revenu faible ou intermédiaire dans le cadre d’un consortium rassemblant, outre les institutions du système onusien, des ONG, des donateurs et desagences de financement. Il négocie entre autres des achats d’équipements de protection personnelle, de tests diagnostiques et de produits médicaux.
Cela ne saurait suffire à permettre à tousles pays touchés d’avoir accès simultanément aux tests diagnostiques, aux médicaments et, plus tard, aux vaccins, à mesurequ’ils seront disponibles. Pour cela, les Etats membres de l’OMS doivent s’accorder sur cette question essentielle. « Le débat sur l’accès aux technologies et produits de santé est plus que jamais important. Cette pandémie nous apprend qu’à moins que tout le monde,partout, dispose des moyens de se maintenir en bonne santé, le virus reviendra et nous connaîtrons une deuxième, une troisième vague, met en garde Bernhard Schwartländer. C’estpour cela que nous lançons un “appel à l’action” pour l’accès aux outils médicaux afin qu’ils soient au plus vite disponibles. »
C’est l’un des axes majeurs d’une résolution qui sera proposée lors de la seconde journée de cette AMS. L’Union européenne en a pris l’initiative et l’Allemagne, la Finlande et la France en ont rédigé le premier jetfin mars. Début mai, une version a été adoptée par l’UE et ses Etats membres, ainsi que par neuf autres pays, dont l’Australie, la NouvelleZélande et le RoyaumeUni. A présent, plus d’une centaine de pays sur les 194 Etats membres que compte l’OMS s’y sont ralliés et non des moindres : la Russie, l’Inde, neufpays d’Amérique latine, le Japon, le Canada ou encore la Corée du Sud.
La résolution a fait l’objet de compromis.Elle « demande l’accès universel, rapide etéquitable et la juste distribution de tous les produits et de toutes les technologies de santé essentiels de qualité, sûrs, efficaces etabordables, y compris les éléments qui lesconstituent et leurs précurseurs, nécessairesà la riposte contre la pandémie de Covid19,en en faisant une priorité mondiale, et l’éli
mination urgente des obstacles injustifiés à cet accès dans le respect des dispositions destraités internationaux pertinents ». Le textefait référence aux « flexibilités » prévuesdans les accords de l’Organisation mondialedu commerce sur la propriété intellectuelle,qui autorisent la délivrance par les Etats de licences de production pour des produits desanté brevetés.
La résolution cite la notion de « bien publicmondial » mais uniquement concernant le « rôle d’une vaccination à grande échelle » contre le Covid19. Concernant la mise au point et la production des « produits de diagnostic, des traitements, des médicaments etdes vaccins sûrs, efficaces, de qualité et abordables pour la riposte » au Covid19, le texterappelle les « mécanismes existants de mise en commun volontaire de brevets et d’octroivolontaire de licences de brevets pour faciliterun accès rapide, équitable et économiquement abordable à ces produits ».
Pour les rendre disponibles pour tous,partout en même temps, « tous les médicaments, tests de diagnostic, vaccins et autresproduits de santé en lien avec la pandémiedevraient être considérés comme des bienspublics mondiaux, comme l’a clairement exprimé le secrétaire général des Nations uniesle 24 avril dernier. La résolution aurait dûêtre plus ambitieuse », affirme German Velasquez, conseiller spécial sur la politiquede santé au South Centre, une organisationintergouvernementale des pays en développement. « Cette crise doit aussi être l’occasion de réinventer l’OMS en la rendant plus forte et plus indépendante, dotée d’instruments pour faire appliquer ses résolutions »,estime M. Velasquez.
L’ONG Knowledge Ecology International(KEI) a regretté, par la voix de son directeur James Love, un affaiblissement de la résolution par rapport à une version proposée par plusieurs pays, dont le Canada etle Botswana, qui faisait référence à des licences ouvertes. « Pas de monopoles pendant une pandémie, voilà ce que devrait êtrele message », résume James Love sur le site de son organisation.
Comme KEI, Ellen’t Hoen, directrice du centre de ressources Medicines Law & Policy, s’estréjouie de l’annonce, le 15 mai, par le directeurgénéral de l’OMS et les présidents du CostaRica et du Chili, du lancement, fin mai, d’une plateforme de mise en commun de connaissances et de propriété intellectuelle pour les produits de santé contre le Covid19 existantsou nouveaux afin de fournir des biens publicsmondiaux pour tous. Elle rappelait cependant dans la revue Nature Medicine, le 7 mai :« Il y a de quoi être légitimement préoccupé de voir l’industrie pharmaceutique chercher à protéger ses intérêts économiques dans cette crise au détriment de l’accès universel. »
UNE PIERRE DANS LE JARDIN DE LA CHINELa résolution proposée par l’Union européenne prie par ailleurs le directeur généralde l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de« continuer à collaborer étroitement avecl’Organisation mondiale de la santé animale(OIE), l’Organisation des Nations unies pourl’alimentation et l’agriculture (FAO) et lespays » afin d’identifier la source du SARSCoV2. Le texte évoque à ce propos « des missions scientifiques et des missions de collaboration sur le terrain ». Une pierre dans lejardin de la Chine.
Les réseaux sociaux relayent des attaquescontre Tedros Adhanom Ghebreyesus, accusé d’avoir asservi l’OMS à la Chine, et des appels à sa démission. L’AMS ne devrait cependant pas être le cadre d’une telle mise encause, alors que la pandémie continue defaire rage. Comme le demande la résolution promue par l’UE, la façon dont la direction de l’OMS a conduit la riposte au Covid19 seraévaluée de manière impartiale et indépendante. Cela n’aura vraisemblablement lieu qu’une fois la pandémie maîtrisée, pour ne pas ajouter une crise organisationnelle à la crise sanitaire mondiale. Sans compter qu’au vu de la manière dont bon nombre de gouvernements prêtent le flanc à la critiquedans la gestion de l’épidémie en cours surleur territoire, leur latitude pour donner des leçons d’exemplarité semble limitée.
paul benkimoun
LES RÉSEAUX SOCIAUX RELAYENT
DES ATTAQUES CONTRE TEDROS
ADHANOM GHEBREYESUS,
ACCUSÉ D’AVOIR ASSERVI L’OMS À LA CHINE. L’ASSEMBLÉE
NE DEVRAIT CEPENDANT PAS ÊTRE
LE CADRE D’UNE TELLE MISE EN CAUSE
La pandémie au cœur de la session de l’OMSL’accès pour tous aux outils médicaux est l’un des enjeux majeurs de l’assemblée annuelle de l’institution
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0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 3
Le lancement d’une enquête sur le virus place Pékin sur la défensiveDeux sujets sensibles pour la Chine, une demande d’évaluation indépendante de la crise et le statut de Taïwan, doivent être discutés à l’OMS
pékin correspondant
C’ est un échec pour Pékin. Les deux sujets quela Chine voulait éviter
de voir émerger lors de l’assemblée annuelle de l’Organisationmondiale de la santé (OMS) qui setient – par visioconférence – à partir de lundi 18 mai seront au centre des débats : le lancement d’une enquête indépendante sur le Covid19 et la place à accorder à Taïwan au sein de cette organisation qui se veut mondiale.
Attaquée quotidiennement parles EtatsUnis qui l’accusent de mentir tant sur l’origine du virus que sur l’ampleur de la crise sanitaire en Chine, Pékin va donc se retrouver sur la défensive. Un échec pour sa diplomatie qui, depuis fin février, insiste, au contraire, sur samaîtrise de la pandémie et l’aide que le pays apporte au reste du monde pour essayer de contenir celleci. Le président Xi Jinping devrait prendre la parole au cours decette assemblée annuelle.
Ce ne sont pas les EtatsUnis, peuenclins au multilatéralisme, qui sont à l’offensive sur une enquête indépendante sur le virus, mais l’Australie. Selon la presse australienne, 62 pays soutiendraient sa motion réclamant que l’OMS lance « aussi tôt que cela est approprié » une évaluation « impartiale,indépendante et complète » de la réponse internationale à la pandémie. Une formulation que soutiendraient les Européens et qui serait donc plus large et moins accusatrice que l’enquête initialement prévue par l’Australie surl’origine du virus. Outre l’Union européenne et l’Australie, des paysaussi différents que le Canada, la NouvelleZélande, l’Inde, la Russie, la Turquie, l’Ukraine, le Brésil, l’Indonésie et le Japon l’auraient approuvée.
Enquête « scientifique et juste »Face à ce texte, la Chine est mal à l’aise. S’il refuse obstinément d’être mis en accusation, ce pays, qui affirme soutenir le multilatéralisme, ne peut balayer d’un revers de main une enquête de l’OMS, une organisation dont il ne cesse de chanter les louanges. Ses représentants aux Nations unies font donc valoir qu’à leurs yeux, « le moment n’est pas approprié ». Ce qui importe, c’est de combattre le virus, « jusqu’à la victoire finale ».
Lundi, l’éditorial du GlobalTimes, quotidien nationaliste, était d’ailleurs inhabituellementnuancé. Insistant sur le rôle joué par l’Union européenne plutôt que par l’Australie dans le textesoumis à l’OMS, le journal affirmeque « la Chine ne s’opposera pas à une enquête scientifique sur l’origine du virus ». Mais elle y met plusieurs conditions : « D’abord elledevrait être menée par l’OMS plutôt que par un pays ou une organisation régionale. Deuxièmement
l’enquête a besoin d’être scientifique et juste. Il faut y inclure nonseulement les éléments relatifs à laChine mais aussi ceux relatifs aux EtatsUnis et aux autres pays. »
La réponse initiale de la Chine àl’Australie – ce pays aimablementqualifié de « chewinggum qui colle à la chaussure » par les nationalistes chinois – avait été tout aussi ambiguë. Officiellement, c’est pour des raisons sanitaires que Pékin a annoncé mardi 12 maisuspendre les importations de quatre producteurs qui, ensemble, fournissaient environ 35 % des exportations australiennes de bœuf vers la Chine. Mais le China Daily lie les deux affaires. Lamotion lancée par l’Australie étaitvue par le quotidien communiste comme « une campagne de diffamation initiée par les EtatsUnis contre la Chine au nom d’une enquête internationale sur l’originedu nouveau coronavirus ».
« Casus belli »S’il semble que la Chine se soit faitune raison sur le lancement de cette enquête, il en va tout autrement du deuxième thème : la présence de Taïwan à l’assemblée de l’OMS. Pour le Global Times, il s’agit tout simplement d’une « farce ». Pour la Chine, cette île de 23 millions d’habitants n’est qu’une « province chinoise ». Les pays occidentaux n’y ontd’ailleurs pas un « ambassadeur »,mais un « représentant ». Lorsque l’île a été présidée, de 2008 à 2016,par le Kouomintang (KMT), parti favorable à un rapprochement avec la Chine, Pékin avait acceptéen 2009 que Taïwan jouisse du statut d’observateur à l’OMS.
Mais depuis l’élection en 2016 àla présidence de Tsai Ingwen, issue du Parti démocrate progressiste, formation proindépendantiste, la Chine rejette une telle participation. Problème : Taïwan a, de l’avis général, remarquablement bien géré cette crise. Malgrésa proximité géographique avec la Chine continentale, l’île est parvenue, sans confinement, àn’avoir que sept décès. Soutenuepar les EtatsUnis, Taïwan a su utiliser la crise à son profit, utilisant,comme Pékin, une « diplomatiedes masques », mais sans déployer une propagande qui, infine, s’est révélée contreproductive pour le régime communiste.
La presse taïwanaise n’a pasmanqué de relever le 13 mai que lesmasques désormais arborés par certains dirigeants américains, notamment Jared Kushner, gen
dre et conseiller de Donald Trump,portaient discrètement l’inscription « made in Taïwan ». Selon le ministère des affaires étrangèrestaïwanais, 29 pays, dont les EtatsUnis, l’Australie, le Canada, le Japon et la NouvelleZélande, souhaitent que Taïwan puisse à nouveau bénéficier du statut d’observateur. Plus d’une centaine de parlementaires européens ont signé une lettre allant dans le mêmesens. Pour Le Quotidien du peuple du lundi 18 mai, ceux qui plaident pour une telle participation de « la zone de Taïwan » à l’OMS « trans
forment une question sanitaire en politique ».
Sachant qu’il s’agit pour Pékind’un casus belli, l’Union européenne n’a pas franchi le pas. Dans une tribune publiée ceweekend par plusieurs journaux européens, dont Le Monde, Josep Borrell, haut représentant pour la politique étrangère et la sécurité de l’Union européenne, ne faitpas référence à Taïwan. Il juge que« les maîtres mots de la relation entre l’UE et la Chine devraient êtrela confiance, la transparence et la réciprocité ». Il y qualifie certes à
nouveau la Chine de « rival systémique dans la promotion d’autres systèmes de gouvernance », mais également de « partenaire avec lequel l’UE partage des objectifs étroitement intégrés ».
Reste que la Chine qui, ces dernières années, était parvenue à isoler Taïwan politiquement – seule une poignée de petits pays des Caraïbes et du Pacifique ainsi que le Vatican continuent de reconnaître l’île – ne peut que constater que Taïwan a acquis une nouvelle légitimité internationale.
frédéric lemaître
Aide matérielle aux pays vulnérablesOutre les recommandations techniques, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fournit, en collaboration avec le Programme ali-mentaire mondial, une aide matérielle aux pays touchés par le Co-vid-19. L’OMS participe aussi à un consortium d’achats qui négocie l’accès aux équipements de protection, aux tests de diagnostic et aux produits de santé. Depuis le début de la pandémie, 135 pays à revenu faible ou intermédiaire ont pu ainsi être approvisionnés. Cinq millions de matériels de protection personnels ont déjà été envoyés et d’autres livraisons vont suivre. L’OMS a aussi fait parve-nir 1,5 million de tests à 129 pays et 2 millions de tests PCR sont prêts à être expédiés dans 135 pays, tandis que 3 600 oxygénateurs ont été fournis à 40 pays considérés comme vulnérables.
Taïwan a su utiliser la crise
à son profit, sans déployer
une propagandequi s’est révélée
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Les représentantsde Pékin à l’ONU
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4 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123
BILAN QUOTIDIEN
« Les gens baissent la garde trop vite »Une semaine après la fin du confinement, les généralistes constatent un relâchement de la vigilance
L ors de la première vaguede l’épidémie de Covid19, les médecins généralistes, moins visibles
que le personnel hospitalier qui a pris en charge les situations lesplus aiguës, se sont eux aussi retrouvés en première ligne. Avec lalevée du confinement, le 11 mai, laprofession est donc particulièrement attentive aux risques de rebond épidémique.
Entre l’apparition des premierssymptômes de la maladie – généralement de trois à cinq jours, la période d’incubation peut s’étendre jusqu’à quatorze jours –, laconsultation et le résultat des tests, ils ne s’attendent pas à percevoir les premiers effets du déconfinement « avant le 20 ou le 21 mai », précise Jacques Battistoni, président de MG France, le premier syndicat de généralistes.« Il ne faudra pas se tranquilliser à bon compte en constatant à la finde la première semaine qu’il n’y a pas eu de changement », prévient le généraliste d’Ifs (Calvados).
Les généralistes représentent lepremier maillon de la chaîne de« traçage » des personnes malades et de celles ayant été en contact avec ces dernières, mise en place pour empêcher la propagation du virus. Si un patient est testé positif, ils sont invités à enavertir l’Assurancemaladie en remplissant un fichier informatique, baptisé « Contact Covid ».Avec l’accord du patient, le médecin traitant peut y enregistrer les coordonnées des personnes de son entourage en contact rapproché avec lui depuis quarantehuit heures avant l’apparition dessymptômes. Le dispositif a démarré mercredi 13 mai, dès la publication du décret d’applicationau Journal officiel. Les généralistesespèrent ainsi suivre au jour le jour l’évolution de l’épidémie etpouvoir déceler une montée en puissance des cas positifs.
Un « trou dans la raquette »« C’est une grosse différence avec la première vague, où on n’avaitpas de visibilité faute de tests », insiste Guilaine KiefferDesgrippes, présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) – qui représente les médecins libéraux – du GrandEst,dont la capacité affichée est de70 000 tests par jour. Les patientsprésentant des symptômes typiques de la maladie, mais testésnégatifs, n’entrent pas en revanche dans ce système de traçage. « On regrette ce trou dans la raquette, car nos confrères saventaujourd’hui reconnaître un patient Covid, par exemple s’il perdle goût et l’odorat brutalement,poursuit la généraliste strasbourgeoise. On connaît bien la maladie parce qu’on l’a vue en grand nombre dans nos cabinets… »
Depuis le déconfinement, elleet ses confrères du GrandEst
constatent tout juste « un frémissement », en voyant revenir despatients symptomatiques qu’ils ne voyaient plus depuis quinze jours – mais en raison de leur précocité, ne les attribuent pas de façon certaine aux nouvelles conditions de circulation. « En Champagne, l’activité Covid reprend defaçon accrue, tandis que dans leBasRhin, le HautRhin et la Moselle, la reprise est plus lente », détaille Guilaine KiefferDesgrippes. Dans le GrandEst, 181 cas positifs ont été enregistrés les 13 et 14 mai dans le fichier Contact Covid ainsi que 450 cas contacts.
Dans son dernier bulletin,Santé publique France estimeque le nombre de nouveaux patients testés positifs au SARS
réclament un test sérologique,qui permet de détecter les anticorps produits à la suite d’une infection. « Ils vont être comptabilisés comme des nouveaux casalors qu’ils n’en sont pas véritablement », souligne JeanPaul Hamon, président de la Fédérationdes médecins de France (FMF) etgénéraliste à Clamart (HautsdeSeine), tout en se disant « surprisque peu de Français dans la rue mettent des masques. Les gensbaissent la garde trop vite ».
Pathologies chroniques négligéesC’est aussi le constat partagé parplusieurs de ses confrères. Certains voient désormais des patients se présenter en consultation sans aucune protection,contrairement aux réflexes prisdurant le confinement. « J’en aimême deux qui m’ont dit, lundi :“Ah bon, vous avez encore unmasque et une blouse, docteur ?”Parce qu’ils sont libérés du confinement, les gens se croient délivrés du virus, déplore XavierMarcTudor, généraliste à Nantes. Il faut reprendre toute la pédagogie à zéro. » Pour la plupartde ces praticiens, le port du masque devrait être systématiquedans l’espace public.
Dans les régions classées « vertes », la vigilance est de mise chezles médecins libéraux, qui craignent d’assister à une banalisa
tion du risque. « Notre objectif,c’est de mieux contenir une éventuelle deuxième vague. Mais pourça, il faut que les mesures de déconfinement soient bien appliquées, résume Maurice Bensoussan, président de l’URPS pourl’Occitanie. Le reconfinement, c’est un risque que personne ne souhaite. » Contrairement auxdeux mois qui viennent des’écouler, les capacités de test sont aujourd’hui présentées comme suffisantes. Pour le département de la HauteGaronne,par exemple, elle est de 7 000 parjour. « Pour la première semaineet celle qui s’annonce, c’est presque surdimensionné », commente Maurice Bensoussan.
Les médecins généralistes concèdent une autre préoccupation :depuis quelques jours, ils voientdéferler dans leurs cabinets unevague de pathologies chroniques
négligées durant le confinement. « Si s’ajoute à celleci unedeuxième vague de cas de Covid, ça va être extrêmement difficile àgérer », estime JeanPaul Ortiz,président de la Confédérationdes syndicats médicaux français(CMSF), premier syndicat chezles médecins libéraux. « Les journées sont pleines à nouveau, certains patients n’étaient pas venusdepuis trois ou quatre mois, il fautabsolument les revoir pour réajuster les traitements et les bilans.Et puis, il y a tous les traumatisésdu confinement, des gens qui ont plongé dans l’alcool, la dépression… Je ne vois pas comment onva faire pour gérer potentiellement deux vagues en mêmetemps », abonde Xavier MarcTudor, à Nantes.
D’autant que, dans des régionsclassées en rouge, comme le GrandEst et l’IledeFrance, ons’inquiète de nouvelles pénuries de matériel. « On n’est pas prêts, car il nous manque des masques FFP2 et qu’on n’a plus de désinfectant, on s’interroge sur la possibilité de continuer à recevoir les patients, témoigne Sébastien Bogajewski, à Montreuil. On en est à sedire “advienne que pourra”. EnSeineSaintDenis, on ne tiendrapas, si cette deuxième vaguearrive, on est au bord du craquagemoral. »
élisabeth pineau
Un médecin généraliste dans son cabinet, à Wittelsheim (HautRhin), le 11 mai.JEAN-FRANCOIS FREY/MAXPPP
CoV2 ayant consulté un médecingénéraliste entre le 4 et le 10 maiest inférieur à 2 950 sur tout leterritoire, contre 94 810 au plusfort de la crise, entre les 23 et 29 mars. « Depuis lundi, il n’y a pasvraiment de retour de l’activité Covid, ça a plutôt tendance à être le calme plat, relève Sébastien Bogajewski, administrateur du centre médical CroixdeChavaux, àMontreuil (SeineSaintDenis). Ily a toujours un flux de personnesdiagnostiquées, mais très faible par rapport à ce qu’il a été. »
Les généralistes interrogés observent une autre tendance depuis le début de la semaine : denombreux patients ayant développé des symptômes de la maladie durant le confinement leur
Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University Infographie Le Monde
Italie31 908 morts53 décès / 100 000 hab.
Royaume-Uni34 716 morts52 décès / 100 000 hab.
Espagne27 563 morts59 décès / 100 000 hab.
France28 108 morts42 décès / 100 000 hab.
Allemagne7 962 morts10 décès / 100 000 hab.
EN EUROPE... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants
de 50 à 97de 25 à 50Moins de 25
2 972
19 361
152
18 mars 17 mai
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Martinique
Mayotte
La Réunion
Guadeloupe
Guyane
Pariset départements
limitrophes
Les départements classés en rouge :où l’épidémie sévit avec le plusde virulence et où la tensionhospitalière en réanimationest importante
Epidémie de Covid-19 : situation au 17 mai, 14 heures
« Parce qu’ils sontlibérés du
confinement,les gens se
croient délivrésdu virus »
XAVIER MARC-TUDORgénéraliste à Nantes
Hausse significative des décès en EhpadPlus de 28 000 personnes sont mortes en lien avec le Covid-19 en France depuis le 1er mars, dont 483 dans les vingt-quatre derniè-res heures, selon le décompte transmis dimanche 17 mai par le ministère de la santé. Ce bilan quotidien – le plus élevé de ces dernières semaines, alors que les hospitalisations et les admissi-ons en réanimation continuent de baisser – est essentiellement dû aux décès en Ehpad et autres établissements médico-sociaux (+ 429 par rapport à samedi, contre + 54 à l’hôpital). Selon la di-rection générale de la santé, cette hausse importante résulterait d’une « actualisation des données transmises par les ARS [agences régionales de santé] à Santé publique France », l’agence sanitaire nationale. Ces derniers jours, les chiffres des décès en Ehpad avaient fait l’objet de plusieurs corrections a posteriori, témoi-gnant de la difficulté à collecter et faire remonter ces données.
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0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 5
A Stuttgart, la fronde contre l’« Etat policier »La ville allemande est l’un des principaux foyers d’une contestation hétéroclite contre les restrictions
REPORTAGEstuttgart (allemagne)
envoyé spécial
A 10 euros le teeshirtbarré du mot « Grundgesetz » (« Loi fondamentale »), la jeune
femme est prête à craquer. Mais son compagnon préfère l’autre modèle, celui où est écrit : « Ne laisse pas sa chance à [Bill] Gates ! »Ils n’achèteront ni l’un ni l’autre, mais repartiront avec un tract. Dessus : une photo de trois pions, un noir, un rouge et un jaune, les couleurs du drapeau allemand. Et cette phrase : « Qui s’endort en démocratie, se réveille en dictature. »
Samedi 16 mai. C’est la premièrefois qu’Ahmed Aydin, 27 ans et chauffagiste à Mannheim, vient àStuttgart vendre ses teeshirts.Depuis miavril, cette ville d’habitude paisible, au cœur d’une des régions les plus prospères d’Allemagne, est devenue l’un des principaux foyers de protestation
contre les restrictions mises enœuvre par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre le Covid19. Cinquante personnes le premier samedi, 5 000 deux semaines plus tard. Des rassemblements également à Berlin, Munich, Hambourg, Leipzig… « Les gens commencent à comprendre qu’on se sert de ce virus pour nous priver de nos droits fondamentaux », explique Ahmed, pour qui le temps est venu d’« entrer en résistance » afin de « sauverce qu’il reste de la démocratie ».
Autour de lui, certains ne semblent même plus partager cet espoir. Günter Klein, par exemple. Lunettes fumées et bob sur la tête,ce sexagénaire venu de Nuremberg trouve qu’« on marche sur la tête avec ce virus pas beaucoupplus méchant qu’une grippe ». Pourquoi manifester maintenant, alors que le pays se déconfine à vitesse accélérée depuis le 20 avril ? « A cause du masque ! », répondil. « Ce sont les esclaves qui
masquent leurs visages, pas leshommes libres. On est en train de basculer dans la dictature, voiredans le fascisme. Il faut que l’Allemagne se réveille ! Et c’est bien que tous ces gens si différents qui sont là en aient conscience ! »
Hippie et crânes rasésSur ce point, difficile de dire le
contraire. Rien que dans unrayon d’une vingtaine de mètres,on aperçoit un adolescent en culotte de peau brandir une banderole remerciant Jésus de sauver des vies ; une hippie opposée auxvaccins ; des crânes rasés agitantdes drapeaux allemands ; unhommesandwich prônant d’uncôté la « démocratie » et dénonçant de l’autre la « Merkelature » ;un immigré chinois faisant de lapublicité pour son atelier de méditation en expliquant que legouvernement de Xi Jinping a« créé le coronavirus pour le répandre à l’étranger et dominerle monde » ; mais aussi un couple
de « gilets jaunes » sirotant des bières à côté d’une liste de revendications : fin totale des restrictions de déplacement et d’activité, pas d’application de traçage des malades du Covid19, pas de port du masque obligatoire, pasde certificat d’immunité.
Assis par terre au milieu de cettefoule malgré tout respectueusedes règles de distanciation physique, Michaela et Luca ont l’airun peu perdu. Agée de 46 ans, la mère n’a pas l’habitude de manifester. A 19 ans, son fils non plus,sauf pour la légalisation du cannabis. « Ni de droite ni de gauche »,ils reconnaissent que c’est « un peu bizarre » de se retrouver auxcôtés de « pas mal d’extrémistes », alors que l’office fédéral de police criminelle, évoquant ces rassemblements qui se multiplient dans le pays, a accusé l’extrême droite d’« instrumentaliser la situationpour sa propre propagande ».
Mais ils ont décidé de passeroutre, exaspérés d’entendre dire
que ceux qui protestent contre les mesures du gouvernement sont des « conspirationnistes », des « extrémistes » voire des « débiles qui sefont manipuler ». « Qu’il y ait des radicaux ici, bien sûr, et il y a plein de choses avec lesquelles je ne serai jamais d’accord avec eux », explique Luca. « Mais aujourd’hui, ce qui compte, c’est que nous défendions nos droits fondamentaux, ceux qu’on est en train de perdre commenos grandsparents les ont perdus dans les années 1930 », poursuitil.
Lesquels ? « Le droit de penser autrement, d’aller au restaurant, des’asseoir sur la cuvette des toilettes !Même ça, on ne peut plus, au nom de la lutte contre le virus », s’indigne Michaela. « A ce qu’il paraît, ils veulent rouvrir les bars à chicha avant les salles de sport. C’est scandaleux », l’interrompt son fils.
Autour du quadrilatère réservéaux manifestants, un espace calculé pour 5 000 personnes et solidement ceinturé par la police,d’autres groupes plus épars sillonnent le reste de la vaste esplanade. Certains distribuentdes tracts pour le parti de gaucheDie Linke, d’autres se présententcomme des militants antifa. C’est le cas de Max Guttmann,24 ans, venu « pour ne pas laisserà l’extrême droite le monopole dela défense des libertés fondamentales et de la dénonciation del’Etat policier ». « Plus on attend,plus ce sera dur de récupérer cequ’on a perdu », ditil.
thomas wieder
L’Office fédéralde police criminelle
a accusél’extrême droite
d’« instrumentaliserla situation
pour sa propre propagande »
Inquiète pour le tourisme, la Grèce rouvre ses plagesLes citadins se sont rués sur le littoral en essayant de respecter les distances de sécurité
athènes correspondance
D ès 8 heures du matin cesamedi 16 mai, FidankaMilano est à son poste
devant le guichet de la plage aménagée de Vouliagmeni, à 18 km ausud d’Athènes. Gantée, masque entissu noir sur le nez, elle doit faire le décompte du nombre de personnes qui entrent et qui sortent. La plage de sable fin, qui s’étend sur 650 mètres de long, peut en temps normal accueillir jusqu’à 3 000 personnes, mais en raison des mesures de distanciation imposées par le gouvernement à cause de l’épidémie due au coronavirus, seules 1 500 personnes peuvent se trouver sur le site.
Pour la première fois depuis le23 mars, date à laquelle le confinement avait été déclaré en Grèce, les plagistes, restaurants ou barspossédant des transats et parasols sur les 515 rivages du pays ontpu reprendre le travail ce weekend, plus tôt que prévu en raison des températures caniculaires frôlant les 38 degrés.
A midi, la structure de Vouliagmeni est déjà pleine à craquer etne peut plus recevoir qu’une dizaine de personnes en plus. « Jesuffoque sous mon masque, c’est très fatigant de travailler dans ces conditions, mais nous devons respecter la réglementation pour rassurer tout le monde. Ce premier jour est un test pour toute la saison ! », confie Fidanka. Le personnel s’active partout, les chaises longues sont aspergées de spraydès qu’un client part, le sol est lissé à l’aide d’un râteau.
Trente personnes travaillentdans l’établissement, près d’unedizaine de personnes en plus ontété embauchées pour répondreaux mesures imposées par lacrise sanitaire. Dans un mégaphone, les règles à respecter sontrappelées régulièrement aux citadins en balade. « Nous devonspermettre aux Athéniens de profiter de la fraîcheur de la mer, maispour la protection de tous les visiteurs, il faut appliquer des mesures de distanciation, c’estàdire au moins 4 mètres de séparation entre les parasols, et pas plus de40 personnes sur 1 000 m² », explique Christos Petsas, directeurde la concession, appartenant àl’agence grecque gérant les propriétés publiques.
Inquiet, Christos prévoit une« baisse de 80 % des vacanciersétrangers venant sur la rivieraathénienne cet été ». « Mais après cette première journée réussie, nous pourrons dire aux touristesqu’il n’y a pas de risques à venir envacances en Grèce », espère le quadragénaire.
Assis sur un transat, où il a disposé avec précaution sa serviette bleue, Iasonas Papadopoulos jubile de pouvoir prendre son premier bain de mer de l’année. « Nous sommes restés confinés pendant longtemps, nous avons limité les dégâts puisque nous n’avons eu que peu de morts dans notre pays [163 morts au 17 mai]. Mais, maintenant, nous voulons revivre, profiter à nouveau de nos beaux rivages », confie le jeune homme, qui a payé un ticket de 5 euros pour profiter « jusqu’au coucher de soleil avec ses amis ».
Mais derrière son sourire, Iasonas est angoissé. Lui, comme toute sa famille, travaille dans letourisme : « Si les touristes étrangers ne viennent pas cet été, beaucoup d’entre nous risquent de perdre leur emploi. »
D’après le Fonds monétaire international, la Grèce devrait enregistrer en 2020 un recul de son PIB de 10 %, et le taux de chômagepourrait aussi franchir la barre des 20 % cette année.
Reprise des vols intérieursFace à ces prévisions dramatiques, le gouvernement grec veut tout faire pour relancer la machine, dans un pays où le tourisme pèse pour plus de 20 % du PIB. Plusieurs lignes maritimes etaériennes vont reprendre progressivement durant le mois. Dès lundi, les Grecs pourront se déplacer dans toute la Grèce continentale, en Crète ou sur l’île d’Eubée.
Les vols intérieurs reprennentaussi alors que certaines compagnies aériennes ont programmé dès le mois de mai des vols depuiset vers d’autres villes européennes. Le premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, a promis jeudi de « trouver un moyen de faire revenir les gens en toute sécurité ».« Nous sommes ouverts à ce que lasaison démarre le 1er juillet, (…) nous voulons, cet été, avoir unegrande part du gâteau du tourisme en Europe », atil ajouté.
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6 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123
Le Brésil de plus en plus désarmé face au coronavirusLa pandémie, minimisée par le président, a tué au moins 16 000 personnes, d’après le dernier bilan
rio de janeiro correspondant
I ls ont tué ma mère ! » PaulaRibeiro, 34 ans, parle depuisvingt minutes sans s’arrêter. Un flot de paroles, en
trecoupées de larmes de désespoir, mais aussi d’une rage féroce. Le 22 avril, cette habitantede Manaus, plus grande ville d’Amazonie et épicentre de l’épidémie de Covid19 au Brésil, aperdu sa maman. Victime de lacrise due au nouveau coronavirus et de l’effondrement dusystème de santé du pays.
« Dona » Amalia avait 53 ans.Diabétique, souffrant d’hypertension, elle tombe malade à la fin mars. Douleurs, fièvre, fatigue, puis toux et difficultés respiratoires : les symptômes classiques du Covid19. « Mais les médecins que nous avons appelés, comme les hôpitaux, ont refusé de la tester oude la prendre en charge. Ils nousont dit : “Il y a trop de monde, rentrez à la maison. Ne venez qu’en cas d’urgence” », raconte Paula.
Le 22 avril, l’état d’Amalia empire. Elle suffoque, agonise. « J’ai appelé le SAMU au secours, maisils étaient déjà débordés. » Paniquée, la famille embarque la mère dans une voiture et l’amèneaux urgences de l’hôpital NiltonLins. Mais cette unité, ouverte spécialement pour les maladesdu Covid19, ne reçoit que des patients envoyés par d’autres hôpitaux. Les infirmiers hésitent à ouvrir la porte à une patiente qu’ils croient déjà morte.
L’épidémie en pleine explosionCris, hurlements, pleurs. Après dix minutes, Amalia, inconsciente, est prise en charge. « Elle est décédée deux heures plus tard et ils ne l’ont même pas testée. Surson certificat de décès, il y a écrit “cause indéterminée”, s’insurgePaula Ribeiro. Si elle avait été prise en charge à temps, on auraitpu la sauver. C’est révoltant. Ce quiest arrivé à ma mère, ça peutarriver à n’importe qui ici. »
Alors qu’une partie du mondese déconfine, l’épidémie due au Covid19 est en pleine explosion au Brésil. Au 17 mai, le pays comptait officiellement 241 000 cas positifs, davantage qu’en Espagne ou en Italie. Le nombre de décèsdépasse désormais les 16 000 et a
doublé en une dizaine de jours,avec la plus forte mortalité quotidienne enregistrée en dehors des EtatsUnis. Et le pic n’est attendu que pour le mois de juin…
Tous les chercheurs sont alarmistes. Prenez ceux du centre Covid19 Brasil : selon eux, lepays pourrait en réalité compter entre 2,5 et 3,4 millions de cas positifs, soit 15 fois plus que leschiffres officiels. Pour l’ImperialCollege de Londres, le Brésil possède le plus fort taux de contagion au monde, avec un R0 de 2,8– chaque personne malade va infecter à son tour en moyenne2,8 nouvelles personnes. Alarmiste, l’université de Washington prévoit, quant à elle, jusqu’à193 000 victimes d’ici au moisd’août dans le pays.
Face au drame en cours, eten l’absence de réponse du gouvernement de Jair Bolsonaro, les autorités locales ont décidé dedurcir le ton. Dans le Nordeste,les villes de Fortaleza, Sao Luis etRecife ont décrété un confinement strict de la population. ARio de Janeiro et Sao Paulo, leport du masque est désormais obligatoire. Certaines localitésinstaurent des couvrefeux,d’autres des « barrières sanitaires » à l’entrée de la ville. Mais tout cela est confus et malappliqué : 43 % de la populationbrésilienne ne respecte aucunconfinement.
Une ville fait pourtant figured’exemple : Niteroi, grande cité de500 000 habitants, située face à Rio de Janeiro, de l’autre côté de lagrande et belle baie de Guanabara. Ici, les autorités locales ontmis le paquet, et ce depuis le début : confinement strict avec police dans la rue, masqueobligatoire, désinfection du
d’occupation des lits en soinsintensifs destinés aux patientsatteints du Covid19 dépasse déjà70 % dans au moins 9 des 27 Etatsde la fédération brésilienne, avecdes pics à 96 % dans le Pernambouc (Nordeste) ou 100 % àRoraima (Amazonie).
Retard dans les acquisitionsLe Brésil est désarmé. Il manque de munitions, de généraux mais aussi de soldats : mal équipés, malprotégés, 116 membres du personnel de santé brésilien seraientdéjà morts du Covid19 depuis ledébut de l’épidémie. Selon leministère de la santé, près de 200 000 ont présenté des symptômes de la maladie : autant de médecins et d’infirmiers, souvent mis en quarantaine, qui risquent de cruellement manquer au moment du pic.
Pour ne rien arranger, l’ouverture de nouveaux lits ou l’acquisi
tion d’équipements ont pris un retard monumental, victimes d’une bureaucratie insensée et depratiques souvent louches. Dans l’Etat de Rio, seuls 4 des 9 hôpitaux de campagne promis par les autorités locales ont été ouverts. Certains tirent avantage du chaos.Le 7 mai, l’ancien soussecrétaireà la santé de l’Etat, Gabriel Neves, a ainsi été mis en prison, avectrois personnes, tous soupçonnésd’avoir profité de la surfacturation de respirateurs achetés par larégion, pour un montant évalué àprès de 800 000 euros.
Au départ, le Brésil disposaitpourtant de plusieurs atoutspour faire face à la pandémie : uneindustrie pharmaceutique robuste, une expérience des épidémies tropicales, et surtout le« SUS », ce système de santé publicgratuit et universel, chéri par la population. « Mais ses ressources sont très limitées, il est chronique
ment sousfinancé, explique Miguel Lago, directeur de l’Institut d’études pour les politiques de santé (IEPS). Le Brésil investit l’équivalent de 4 % de son PIB dansla santé, contre 8 % à 10 % pour despays comme la France ou l’Allemagne, aux systèmes comparables. »
Selon l’IEPS, dans 72 % des régions du Brésil, le nombre de litsde soins intensifs du SUS est inférieur aux recommandations minimales de l’Organisation mondiale de la santé (10 pour 100 000 habitants). « Dans ce contexte, les autorités localesn’auront pas d’autre choix que depasser des contrats avec les services de santé privés, mieux dotés », explique M. Lago. Cela aura un coût : près de 10 milliards d’euros selon les pires scénarios envisagés. « Le drame, on y est déjà. Ce qu’il faut éviter maintenant, c’est ledésastre », conclut M. Lago.
bruno meyerfeld
Hôpital de campagne GilbertoNovaes, à Manaus (Amazonas), le 14 avril. EDMAR BARROS/AP
Jair Bolsonaro s’enfonce dans le déni et la crise politiqueAu Parlement, une trentaine de demandes en destitution ont été déposées contre le chef de l’Etat brésilien
rio de janeiro correspondant
I l n’aura pas tenu un mois.Vendredi 15 mai, le ministrede la santé brésilien, Nelson
Teich, a finalement jeté l’éponge et présenté sa démission. « La vie est faite de choix et aujourd’hui j’ai fait celui de partir », atil déclaré, lors d’une brève conférencede presse, se contentant de quelques mots de remerciement à l’endroit de ses assistants et du président Jair Bolsonaro.
Derrière la sobriété du départ,c’est pourtant le feu qui couve. Voire l’incendie. Depuis plusieursjours, à l’image de son populaire prédécesseur Luiz HenriqueMandetta, Nelson Teich s’était retrouvé en conflit ouvert avec le chef de l’Etat. Effacé, confus, corseté par les militaires, il était pourtant loin de faire de l’ombre àJair Bolsonaro. Mais les divergences étaient trop fortes, entre un ministre recommandant le confinement et un président prônant la réouverture généralisée du pays (et qui n’avait, dimanche,toujours pas nommé de successeur à ce portefeuille pourtantcrucial alors que la pandémie de
Covid19 a touché 241 000 personnes et fait 16 122 morts).
A nouveau, dimanche, JairBolsonaro a salué, face au palaisdu Planalto, à Brasilia, une petite foule de partisans, protestantcontre les mesures de confinement décrétées dans une majorité des Etats fédérés du pays.Mais, une fois n’est pas coutume, muni d’un masque et se tenant àdistance, l’incontrôlable chef de l’Etat a employé un ton plus consensuel qu’à son habitude,prônant le respect de la Constitution et de l’Etat de droit.
Ton apocalyptiqueEstce l’effet de la pression ? En pleine épidémie due au coronavirus, Jair Bolsonaro est empêtré dans une crise politique, sur fond de multiples affaires judiciaires.La plus grave et la plus urgente concerne la procédure lancée par le procureur général de la République, Augusto Aras, afin de déterminer la véracité des accusations lancées par l’exministre de la justice Sergio Moro. Ce dernieraffirme que le président auraittenté d’interférer dans les enquêtes de la police fédérale afin de
protéger sa famille, visée par plusieurs enquêtes.
La crise se joue aussi sur le terrain politique. Une trentaine dedemandes en destitution ont été déposées auprès du président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia. Le départ de Jair Bolsonaro est réclamé par le Parti des travailleurs (PT, gauche) de Lula, mais aussi par des mouvements de droite conservatrice, tel le Mouvement Brésil libre (MBL), très actif lors de la destitution de Dilma Rousseff en 2016. Afin d’éviter unesortie de route, le chef de l’Etat négocie une alliance avec les petits partis dits du « centrao », ventre mou du Parlement brésilien, quicomptent monnayer cher leur soutien, en échange de ministèreset de directions d’administration.
Contesté chaque soir par desconcerts de casseroles, JairBolsonaro conserve néanmoins une base fidèle dans l’opinion.Plusieurs enquêtes d’opinion récentes le donnent en tête des intentions de vote au premier tour, en cas d’élection présidentielle. Le pays demeure très divisé : 48 % de la populationdemeurent opposés à une procé
dure d’impeachment quand 45 %y seraient favorables, selon l’Institut Datafolha. Surtout : plus d’un Brésilien sur cinq ferait systématiquement confiance aux déclarations du président, quiqualifiait jusque récemment la pandémie de « petit rhume »,d’« hystérie » ou de doux « rêve ».
Se voulant champion des chômeurs et des petits patrons, JairBolsonaro a concentré son discours ces derniers jours sur lacrise économique, avec un tonvolontiers apocalyptique. « Il va[bientôt] manquer de l’argent pour payer les fonctionnaires ! », a
til menacé le 14 mai, décrivant la même semaine un climat de « guerre » au sein du pays. « Il faut rouvrir, nous allons mourir de faim ! », a prévenu le président,exhortant les chefs d’entreprisede la capitale économique SaoPaulo à « jouer dur » pour forcer les autorités locales à rouvrir l’ensemble des commerces.
« Ceux qui doivent rester à lamaison, ce sont les plus âgés et les plus vulnérables », approuve la députée Bia Kicis, fidèle de Jair Bolsonaro et soutien des manifestations anticonfinement, organisées chaque semaine à Brasilia. « Aucune base scientifique nepermet de dire que le confinement protège contre le virus », soutientelle, affirmant avoir « entenduplein de médecins le dire » et balayant toute critique à l’encontredu président. « Il est accusé de crimes qu’il n’a pas commis ou qu’il aurait pu commettre : on est dans Minority Report ! », ditelle.
Pour s’attirer les faveurs de sespartisans très mobilisés, le président a donc naturellement jointla parole aux actes. Le 11 mai, il ajoutait par décret les salons de coiffure et les salles de sport dans
la liste des activités essentielles pouvant demeurer ouvertes malgré la pandémie (une mesure qui n’a pas été suivie d’effet, la plupart des gouverneurs refusant de l’appliquer). Le 14, M. Bolsonaro publiait une mesure provisoireexemptant les agents publics dela responsabilité de leurs actespendant la pandémie, les fonctionnaires ne peuvent être punis que pour fraude ou « erreurgrossière ». Un texte jugé anticonstitutionnel par bien des experts, et qui pourrait bénéficier au chef de l’Etat luimême.
Dans le même temps, Jair Bolsonaro ne s’est pas privé d’afficher son grand mépris pour la pandémie et son indifférence crasse àl’égard des victimes. Le 9 mai, alors que le Brésil dépassait la barre des 10 000 morts, Jair Bolsonaro s’offrait ainsi une virée en JetSki sur le grand lac Paranoa de Brasilia. Deux jours plus tard, il participait à une cérémonie de lever de drapeau, refusant de mettre en berne la bannière nationale,à l’inverse du Congrès et du Tribunal suprême fédéral, en hommage aux morts du Covid19.
b. me.
Plus d’un Brésilien sur cinqferait confiance
aux déclarationsdu président, quiqualifiait jusqu’à
récemment la pandémie de
« petit rhume »
trottoir, réquisition des hôtels,distribution d’une aide d’urgence aux plus modestes, achats de 40 000 tests, fermeture des écoles, parcs, plages et commerces…
Et tout ça marche : Niteroi necomptait au 17 mai que 65 victimes, avec un taux de mortalité de5,7 %, deux fois inférieur à celui deRio (qui déplore 1 841 décès). « Ce sont les résultats de trente ans debonne gestion », explique le mairede Niteroi, Rodrigo Neves (Partidémocrate travailliste, PDT, centre gauche), pas peu fier de sonbilan en matière de santé oud’éducation. Le Brésil est en trainde devenir l’épicentre mondial du coronavirus, poursuit l’édile. Je n’ai aucun doute sur le fait que notre exemple va être suivi et qued’autres villes vont prendre des mesures plus strictes. »
Mais n’estil pas déjà trop tard ?Selon les relevés du quotidien Folha de S. Paulo, le taux
Alarmiste, l’université
de Washingtonprévoit jusqu’à193 000 morts
d’ici au mois d’août dans
le pays
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0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 7
« Une forme de nouvelle lutte des classes se joue »Najat VallaudBelkacem revient sur la gestion de la crise par le gouvernement et les débats qui agitent la gauche
ENTRETIEN
A ujourd’hui directriceFrance de l’ONG One,l’ancienne ministre del’éducation nationale
Najat VallaudBelkacem plaidepour un retour à une souveraineté économique sans tomber dans le souverainisme.
Quel regard portezvous sur l’action du gouvernement contre le Covid19 ?
Si le caractère inédit de la criseconduit à tempérer certaines critiques, on a quand même vu une pratique du pouvoir assez solitaire, parfois opaque et manquant d’humilité. Le manque de transparence dans l’information publique, la faiblesse de la délibération collective ont fini par créer une suspicion dont les tergiversations sur les masques et les tests sont symptomatiques. Ce n’est pas sain,car ça amoindrit la portée des politiques publiques et la confiance dans l’action étatique.
Mais cette crise a aussi éclairéune certaine vision du monde du gouvernement qui n’a pris conscience qu’avec beaucoup de retard des ravages humains et sociaux. Longtemps une sorte d’angle mort a semblé recouvrir les familles enserrées dans des logements inadaptés, les files d’attentedevant l’aide alimentaire, les étudiants confinés en cité universitaire sans job ni perspectives, les enfants sans cantine privés du seul repas équilibré de leur journée, les intermittents, les chômeurs non indemnisés…
Il y a quand même la mise en place du chômage partiel…
Certes, et c’est une bonne chosepour ceux qui ont un emploi ; pour les autres il y a comme un impensé. Prenez l’attestation de sortie téléchargeable sur Internet : les autorités ont oublié que la fracture numérique empêchait énormément de gens d’y accéder et queplus de 2 millions de Français souffrent d’illettrisme. Même chose avec le refus de la gratuité des masques quand on sait combien cela pèse dans le budget d’une famille qui est à 10 euros près.
La pratique solitaire du pouvoir est induite par la Ve République…
On a un problème structurel enFrance avec le présidentialismequi infantilise le peuple et déresponsabilise le Parlement. Les monologues d’un homme seul dans un bureau doré dont on attend tout, la difficulté des maires à faire entendre les spécificités locales et les expertises de terrain, le poids de la bureaucratie… Il y aun problème d’organisation du pouvoir qui appelle une réforme institutionnelle majeure. Ce travers est renforcé par l’insuffisance systématique de concertation avec les corps intermédiaires propre à ce gouvernement.
Quelles seraient les mesures d’urgence à prendre pour amortir cette crise ?
Des bombes à retardement sociales sont en train de se fabriquer qu’il faut désamorcer dès maintenant. Des milliers de Français risquent de ne plus pouvoir payer leur loyer et leurs charges : il faut créer un fonds de solidarité pour les soulager et adresser des aides exceptionnelles au déconfinement aux familles en grande difficulté, au moins 800 euros pour uncouple avec un enfant. Le gouvernement doit faire table rase des réformes adoptées comme celle des retraites qui affaiblissent notre système de protection sociale. Renoncer à la celle de l’assurancechômage qui a fragilisé des milliers de demandeurs d’emploi et prolonger l’indemnisation des chômeurs qui arrivent en fin de droits. Enfin, il faut passer aux ac
tes rapidement sur la revalorisation des métiers dont on a vu la valeur en même temps que la pauvreté des salaires.
Les violences contre les femmes ont augmenté durant le confinement. La gravité du problème atelle été prise en compte ?
La plupart des mesures nécessaires sont déjà dans la loi. Le problème c’est leur application. On le voit avec les ordonnances de protection ou l’éviction du conjointviolent, plus encore quand la justice est quasi à l’arrêt. La crise auramontré qu’il ne faut pas lésiner en matière de moyens de protection des victimes. Il y a seulementtrois mois, les associations réclamaient un plan de 1 milliard d’euros. J’espère que la légitimitéde leur appel apparaîtra aux pouvoirs publics. Le confinementaura au moins été utile à la prise de conscience de ces violences et du rôle que chacun de nous, comme témoin, peut jouer.
Fautil un patriotisme économique comme certains le préconisent ?
Patriotisme économique oui.Pour le reste, ce n’est pas au moment où on affronte une crise globale qu’il faut s’en remettre au chacun pour soi, chacun chez soi. On restera dans un monde d’interdépendances, n’allons pas fantasmer la frontière comme un geste barrière. La souveraineté, oui encore, mais comme une capacité à décider, faire des choix, reprendre le contrôle, pas comme un nationalisme borné qui d’ailleurs nulle part n’a fait ses preuves de bonne gestion dans la crise.
Les propositions d’Arnaud Montebourg sur la souveraineté industrielle vous paraissentelles adéquates ?
Je ne crois pas diverger avec luien disant que la souveraineté n’estpas le souverainisme ni le nationalisme. Oui la crise a mis en évidence la vulnérabilité de nos Etats face à une mondialisation sans règles. Il faut mettre fin à une forme d’impuissance publique en organisant notre indépendance stratégique sur quelques secteurs choisis, la relocalisation de productions essentielles et de bassins d’emploi, nos approvisionnements… Etre lucide aussi : la Francene pourra avoir seule une souveraineté dans tous les domaines, donc repenser nos coopérations européennes. Retrouver de la souveraineté suppose enfin de nous donner des moyens pour affronter les deux défis majeurs que sontla lutte contre les inégalités et le changement climatique, ce qui veut dire maîtriser et utiliser la fiscalité ou le conditionnement des aides d’Etat aux entreprises…
N’estce pas compliqué quand on a participé au quinquennat Hollande, qui a une responsabilité dans la fermeture de lits d’hôpital et la gestion des stocks de masques, de porter votre discours ?
L’hôpital et les soignants ont faitdes efforts considérables depuis dix ans. On arrive au bout d’un système devenu insoutenable. Nous yavons notre part de responsabilité et il faut le reconnaître, comme d’autres avant et après. L’hôpital a besoin de moyens nouveaux et d’un changement de modèle. Quant au quinquennat passé, si on
doit instruire son procès, il faut le faire à charge et à décharge, voir ses insuffisances et ses réussites.
Comme quoi par exemple ?Comment s’en serait sortie
l’éducation nationale si on n’avaitpas embauché 60 000 professeurs supplémentaires ? Si nousvoulons être constructifs à gauche et offrir des perspectives, reconnaissons les avancées et apprenons des erreurs.
La gauche peutelle être l’alternative à un duel MacronLe Pen ?
Ce duel est une stratégie choisiepar les deux protagonistes, c’est aussi une facilité pour les médias. Mais le premier tour des élections municipales [le 15 mars] a dessiné un autre visage politique, avec unegauche bien présente dans les territoires et surtout une imbrication de la question sociale et de l’écologie politique dans ses réponses. Bref, la démonstration que la gauche peut penser le futur
sans abandonner le présent où se nichent les vies dures. C’est le fait politique majeur.
L’écologie serait le débouché naturel des partis de gauche ?
L’enjeu n’est pas tant de reconstruire la gauche que de traduire concrètement ses idéaux en réponses aux défis du moment, au service de ceux qui en ont besoin. Beaucoup d’échanges ont lieu à gauche en ce moment qui peuventposer, à terme, les bases d’une fédération dans laquelle les partis
conservent leurs différences mais forment, quand il le faut, un mur de volonté commune. C’est de celaque naîtra l’alternative.
Voulezvous jouer un rôle dans ces débats ?
La crise a mis en lumière les défaillances de nos sociétés. C’est dans ce monde, avec ses contradictions et ses tensions, que l’on doit agir. Pas avec des incantations prophétiques sur le monde d’après. On est tous d’accord à gauche : on veut une société plus juste, qui ne soit pas sans liens et qui ne détruise pas la nature. Laquestion est le chemin à prendrepour que ce monde se réalise. Il faudra construire des rapports deforces politiques, faire preuve d’inventivité. Mais surtout entendre ceux que la crise a rendus visibles, qui maintiennent la société en vie.Avec cette épreuve, on les aura vusmais je ne suis pas sûre qu’on les ait entendus. Ils ont pourtanténormément à nous apprendre.
« Beaucoup d’échanges ont
lieu à gauche ence moment, quipeuvent poser,
à terme, les basesd’une fédération »
Il faut quelqu’un pour porter ces combats, notamment lors des élections. Y pensezvous ?
Je ne veux pas parler à leur place !Il faut donner la parole à ces laisséspourcompte que le mouvement des « gilets jaunes » avait révélés, parce que ce sont leurs aspirations et leurs compétences qui nous aideront à tracer ce chemin. C’est une forme de nouvelle lutte des classes qui se joue là. Ensuite, on ne peut pas s’arrêter au constat des fractures, l’enjeu est de les réparer. On a vu pendant le confinement une formidable envie de cohésion, d’être utile. Il faut s’appuyer sur ce désir, dès maintenant.Mais l’erreur à ne pas commettre serait de tout ramener à une question de personnes quand il y aun tel besoin de réhabiliter la confiance dans un projet. Gardonsnous des jeux qui ont affaiblila qualité du débat politique.
propos recueillis parabel mestre
et sylvia zappi
« Des bombes à retardement sociales sont en train de se
fabriquer, qu’ilfaut désamorcerdès maintenant »
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8 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123
Remaniement, dissolution…le jeu de pistede MacronL’Elysée réfléchit à divers scénarios institutionnels pour « l’après »
D epuis son arrivée àl’Elysée, il y a trois anspresque jour pour jour,Emmanuel Macron le
répète à l’envi : il a été élu pour appliquer son programme. Un mantra destiné à le distinguer de ses prédécesseurs, accusés d’avoir peuou prou renié leurs promesses, mais aussi à lui éviter les godilles de l’exercice du pouvoir. « En aucun cas, je ne changerai de politique, assurait encore le chef de l’Etat en septembre 2018. Je me suisengagé à procéder aux transformations que notre pays, depuis des décennies, avait évitées par le petit jeudu tictac de droite et de gauche ou par les lâchetés. (…) Notre priorité n’est pas de durer, mais de faire. »
Dixhuit mois plus tard, Emmanuel Macron doit le constater : le programme de 2017 est tout ou partie caduc, bousculé par l’épidémie de Covid19 et ses conséquences. La réforme des retraites a été suspendue, celle des institutions est à l’arrêt, l’équilibre budgétaire n’est plus qu’un vœu pieux… Le chef de l’Etat l’a dit lors de ses dernières allocutions : il va changer. « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, atil expliqué le 12 mars. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture. » « Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées (…). Le jour d’après (…) ne serapas un retour au jour d’avant », atil ajouté, le 16 mars, promettant de tirer « toutes les conséquences » de la crise du Covid19.
Renforcer la majoritéMais que se passetil quand on change de programme en cours demandat ? L’onction de l’élection précédente suffitelle ? Fautil légitimer par un autre moyen le virement de bord ? Depuis quelques semaines, ces questions agitent le pouvoir. « Si on sort de la crise par un virage keynésianoenvironnemental, le président aura un problème de légitimité et devra repasser par le peuple », estime un proche du chef de l’Etat. Pour le moment, aucune décision n’a été prise. Mais Emmanuel Macron y
travaille. « Le déconfinement étant engagé, le président va commencerà empoigner pleinement l’anticipation et se projeter sur l’après, y compris politique », assure l’Elysée.
Sur le papier, le président dispose de plusieurs solutions institutionnelles. La plus évidente est la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections législatives. Certains élus y voient l’occasion derenforcer la majorité, émoussée par les départs, et de donner une assise à l’acte III. Mais la plupart l’envisagent avec réticence. « Dans un moment où on appelle les partisà la responsabilité, ouvrir une période électorale, c’est figer le pays », estime un poids lourd de la majorité. « Il y a déjà quatre élections prévues d’ici à 2022 [le second tour des municipales, les départementales, les régionales et les sénatoriales]. Difficile d’en ajouter une autre à moins d’être en campagne permanente », met en garde Roland Lescure, député La République en marche (LRM) des Français de l’étranger.
Le précédent de 1997, qui avait vuJacques Chirac perdre les élections législatives après avoir dissous l’Assemblée, l’obligeant à une cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin, est aussi dans les esprits. « Le souvenir de Villepin est un repoussoir, il y a un côté apprenti sorcier », reconnaît un proche du chef de l’Etat. D’autres, plus radicaux, y voient au contraire une opportunité pour 2022. « Aucun présidentn’a jamais été réélu sous la Ve République hors période de cohabitation. Il ne faut pas écarter cette solution », souligne un ministre, tout en reconnaissant que M. Macron n’est « pas d’un tempérament à co
habiter ». « Le président est capable de prendre son risque, c’est ce qui fait sa force », note Marie Lebec, députée (LRM) des Yvelines.
Plus classique, un remaniementdu gouvernement est évoqué avecinsistance. Pour l’aile gauche de la majorité, ce serait l’occasion de débarquer Edouard Philippe, jugé trop à droite. Mais à la condition de raconter une autre histoire. « Si on met Bruno Le Maire à Matignon, cela change quoi pour les Français ? », s’interroge un élu.« Un remaniement n’est qu’une demisolution, car il n’y a pas de légitimité du peuple. Ou alors il faudrait que le virage soit vraiment incarné », abonde un proche du locataire de l’Elysée. Les noms deYannick Jadot et de Xavier Bertrand sont évoqués parmi d’autres. « Mais le président pourrait aussi bien faire tout son mandat avec Philippe, tout va dépendredu projet défini à la sortie de la crise », relativise un autre.
L’idée d’un gouvernement decoalition, réunissant des membres de chaque famille politique hors le Rassemblement national, est toujours portée par certains élus. « Notre pays mérite cela, estime Matthieu Orphelin, député(exLRM) de MaineetLoire. Semettre d’accord sur un projet clairde coalition pour deux ans, quelque chose à l’allemande, permettrait de réembarquer les citoyens.Et cela n’empêcherait pas chacunde présenter ses options en 2022. »Daniel CohnBendit, qui échange avec M. Macron, travaille à cette hypothèse. Mais l’idée semble difficile à mettre en œuvre tantles oppositions y sont hostiles.
Troisième solution, le référendum. Dès avant le Covid19, Emmanuel Macron l’avait envisagé, pour que les Français s’expriment sur les propositions de la convention citoyenne pour le climat.L’idée prendrait d’autant plus de sens pour dessiner l’acte III. Lehic ? La Constitution ne permetpas de poser n’importe quellequestion. « Il faut que cela portesur un objet juridiquement ciblé. On ne peut pas faire approuver unepolitique générale », précise un cadre de LRM. De même, impossiblede poser des questions à plusieursréponses, comme le font les Suisses lors des votations.
Gagner du tempsMais c’est surtout la nature plébiscitaire du référendum qui fait hésiter le pouvoir. Depuis la démission du général de Gaulle en 1969, après une consultation où le non l’avait emporté, les politiques se méfient de cet objet.« Les Français ont pris l’habitude de répondre à une question qui ne leur était pas posée. Cela peut être le prétexte à une nouvelle vague dégagiste », craint un stratège deLRM, évoquant l’échec de Matteo Renzi, obligé de démissionneren 2016 après que les Italiens ontrefusé de réduire le nombre de parlementaires.
Reste une quatrième hypothèse,moins spectaculaire mais moins risquée : réunir les députés et lessénateurs en Congrès à Versailles, où le chef de l’Etat prononcerait un grand discours sur l’après. C’était la solution choisie par Nicolas Sarkozy en 2009, lors de la crise financière, et par François
Hollande en 2015, après les attentats de Paris. Lors de son élection,Emmanuel Macron avait promis de se rendre chaque été devant les parlementaires, pour rendre compte de son action. Mais sa dernière visite remonte au 10 juillet 2018, celle prévue l’an dernier ayant été annulée à la suite du grand débat.
Cette solution a l’avantage pourl’exécutif de rester en terrain connu et de gagner du temps.« Cela permettrait de dire où nous voulons aller, avant que les Français partent en vacances, tout en sedonnant quelques mois pour les décisions », confie un soutien. Seul bémol : la Constitution ne permet pas au Parlement d’approuver par un vote un discours de politique générale du président. Seuls les sujets constitutionnels peuvent donner lieu à consultation. « Répondre à la crise par un Meccano institutionnel, je nesuis pas sûr que ce soit ce que les Français attendent », met en gardeun macroniste. « Une déclaration de politique générale du premier ministre suivie par un vote à l’Assemblée, serait déjà une premièreétape », avance Roland Lescure.
En l’absence de consensus surl’outil institutionnel, certains préconisent de multiplier les débats au Parlement, en s’appuyant sur l’article 501 créé par la réforme constitutionnelle de 2008. Utilisé lors de la présentation du plan de déconfinement, il permet au gouvernement de faire une déclaration à l’Assemblée ou au Sénat,suivie d’un débat et éventuellement d’un vote, sans engager sa responsabilité. « C’est un format collectif qui permet de faire vivre ledébat, d’associer davantage les oppositions, on est moins dans le vertical », énumère un conseiller, qui parie sur une prolifération de 501.« On peut avoir des débats suivis d’un vote sur des sujets non législatifs, comme la rénovation énergétique des bâtiments, cela permettrait de créer du consensus », veutcroire Roland Lescure.
A moins que le chef de l’Etat nesorte de son chapeau une solutioninédite, comme l’a été le grand débat au moment de la crise des « gilets jaunes ». « Cela avait été unefaçon pour le président de légitimer une évolution de sa politique, une réussite », se félicite l’Elysée. « On pourrait imaginer quatre ou cinq débats avec des citoyens, des élus, des associations… Un formatplus resserré, pour se projeter sur l’après, où le président viendrait convaincre les Français », suggère Marie Lebec. « Le président aime penser “out of the box” [hors dessentiers battus], une autre solution pour se légitimer par le bas n’est pas à exclure », acquiesce un proche. Seule condition : se décider vite. Car le temps presse.
cédric pietralunga
Pour l’aile gauchede la majorité,
un remaniementserait l’occasion
de débarquer Edouard Philippe,jugé trop à droite
Emmanuel Macron, lors de la commémoration de la bataillede Montcornet, à La VilleauxBoislèsDizy (Aisne), le 17 mai. FRANCOIS LO PRESTI/AFP
Dans l’Aisne, le président cherche à s’inspirer du général de GaulleLors de la commémoration de la bataille de Montcornet, dimanche, Emmanuel Macron a mis en valeur « l’esprit de résistance »
la villeauxboislèsdizy(aisne) envoyé spécial
L es champs de betteraveset d’oignons s’étendent àperte de vue, horizon seule
ment crevé par la ronde des éoliennes. Une stèle, surmontée de latourelle d’un char d’assaut, a été érigée au milieu de ce paysage aride, le long d’une étroite route decampagne qui relie La VilleauxBoislèsDizy et ClermontlesFermes, deux villages des confins de l’Aisne, au nord de Laon. Elle commémore la mémoire des combattants de la 4e division cuirassée qui, en mai 1940, « tentèrent désespérément d’arrêter l’invasion allemande », comme dit le message gravé dans la pierre. Le nom de leur commandant est inscrit, lui aussi : « colonel de Gaulle ».
Emmanuel Macron est venu célébrer, en ce dimanche 17 mai, la mémoire de celui qui, « ici même, sur les champs de bataille de l’Aisne,rencontra son destin ». Il y a quatrevingts ans jour pour jour, Charlesde Gaulle, alors inconnu du grand public, freinait l’avancée des Panzer allemands lors de la bataille de Montcornet, du nom d’un village voisin. « Au moment même où l’ombre de la résignation et du renoncement s’étendait sur notre pays, l’esprit de la résistance se leva », souligne Emmanuel Macron, derrière son pupitre, au milieu des champs. De Gaulle, unefois devenu président, résuma la chose d’une formule lors d’une visite à Montcornet, le 12 juin 1964 : « L’espérance avait jailli. »
Cette commémoration était inscrite de longue date sur l’agenda
de l’Elysée, mais elle a bien failli ne pas se tenir pour cause d’épidémie due au coronavirus. Espérée comme une grande réunion populaire, prélude à « l’année de Gaulle », qui voit se succéder le 80e anniversaire del’appel du 18Juin, le 130e anniversaire de la naissance et le 50e anniversaire de la mort du Général, cette journée d’hommage a dû être ramenée à des proportions plus modestes. Pas de foule en liesse sur les bords de la route,juste quelques élus et descendants de combattants, placés à unmètre les uns des autres.
Dans son discours, EmmanuelMacron n’a pas fait référence directement à la crise sanitaire qui secoue la France, ni aux polémiques qui assaillent l’Etat et le gouvernement sur leur imprépa
ration à y faire face. Mais le locataire de l’Elysée n’a eu de cesse quede louer « l’invincible espérance [qui] a jailli dans le cœur d’un homme », comme une réponse à ceux qui lui reprochent de promettre « les jours heureux » avant même d’avoir gagné la « guerre » contre le Covid19.
Querelles d’héritageIl a surtout cherché à mettre en valeur « l’esprit de résistance » qui, selon lui, anime ses compatriotes. Cette détermination à se relever, « qui jamais ne meurt, même quand le pays est vaincu », Emmanuel Macron veut même en faire un mantra pour l’aprèscoronavirus. Explicite, il prévient : « De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle sait son destin, quand elle se tient unie, qu’elle
cherche la voix de la cohésion au nom d’une certaine idée de la France. » Un écho au slogan « la France unie » que le chef de l’Etat promeut depuis plusieurssemaines pour tenter de répondre à la crise.
Pendant ce tempslà, le président de la région HautsdeFrance,Xavier Bertrand, écoute, le visage à moitié recouvert par un masqueremonté jusque sur le haut du nez.Personne n’en porte autour de lui. Dans une tribune au Journal du dimanche publiée le matin même, l’ancien du parti Les Républicains se réclame du général de Gaulle, lui aussi, mais pour mieux critiquer en creux Emmanuel Macron.« Pour de Gaulle, un chef ne doit pas parler en permanence, à tort et à travers. Il doit mener son pays d’une main ferme sans se préoccu
per de sa popularité et être capabled’assumer seul les bonnes décisions », écritil.
Dans ses Lettres, notes et carnets,le général de Gaulle, pour sa part, cherchait à puiser dans la mémoire de la bataille de Montcornet une leçon d’espoir. « Avec les morceaux épars, on peut faire quelque chose de puissant, pour peu qu’on les rassemble – ce fut là toute l’histoire de notre 4e division cuirassée », écrivaitil. Mais cet homme sans cesse tiraillé par le démon de la dépression ajoutait à ce constat une conclusion plus sombre : « Nous sommes un pays qui passe sa vie à traverser des drames et à en tirer de temps en tempsdes leçons sans que toujours malheureusement ces leçons suffisent à éviter le drame suivant. »
olivier faye
« Un référendumpeut être
le prétexte à unenouvelle vague
dégagiste », craint un stratège
de LRM
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0123MARDI 19 MAI 2020 coronavirus | 9
Duel à droite pour la tête des HautsdeSeineLes maires Georges Siffredi et Eric Berdoati s’affrontent pour succéder à Patrick Devedjian, mort du Covid19
A près Charles Pasqua,Nicolas Sarkozy et Patrick Devedjian, quisera le prochain patron
des HautsdeSeine, l’un des départements les plus riches de France ? Un mois et demi après la mort brutale de Patrick Devedjian,emporté par le Covid19 à l’âge de 75 ans, deux hommes sont sur les rangs pour lui succéder à la présidence du conseil départemental. Deux maires de droite, réélus dès le premier tour des municipales demars : Georges Siffredi, l’homme fort de ChâtenayMalabry, et Eric Berdoati, celui de SaintCloud.
L’élection, d’abord bloquée parl’état d’urgence sanitaire, aura finalement lieu le 25 mai, selon la convocation envoyée vendredi 15 mai. Mais l’affaire se jouera en réalité un peu auparavant, lors de la réunion des élus de droite qui dominent largement le conseil, avec 38 membres sur 46. « On s’expliquera entre nous, on votera aubesoin, puis on présentera un seul candidat lors de la séance publique,à laquelle participent les élus de gauche », explique un pilier du département. « Cela s’annonce assez serré, aucun candidat ne s’impose », évalue un autre. « Et pour une fois, cela va se jouer sur le fond,les idées pour l’évolution du département », pronostique JeanDidier Berger, le maire Les Républicains (LR) de Clamart.
L’enjeu est d’importance. LesHautsdeSeine ne constituent pastout à fait un département commeun autre. Paris mis à part, c’est à la fois le plus petit du pays, et celui
dont les habitants déclarent les plus hauts revenus : près de 43 000 euros en moyenne par foyer, deux fois plus que dans la SeineSaintDenis voisine. Avec la Défense, de nombreuses grandes entreprises y sont présentes. Le budget du département est l’un des plus élevés de l’Hexagone.
Politiquement, enfin, il s’agitd’une forteresse de droite, avec desfigures comme André Santini à IssylesMoulineaux, Patrick Balkany et son épouse Isabelle à LevalloisPerret, ou Patrick Ollier à RueilMalmaison. Une poignée de communes défavorisées est néanmoins dirigée par la gauche, notamment communiste, et La République en marche (LRM) a réalisé une percée importante lors des législatives de 2017.
« Revoir la ligne politique »Lorsque Patrick Devedjian est mort, rien n’était prévu pour sa succession. « Il laissait planer le doute sur son éventuelle candidature à une réélection en mars 2021 et, dans l’immédiat, nous étions focalisés sur les municipales », témoigne un maire. Dans l’urgence, c’estson premier viceprésident, Georges Siffredi, qui assure l’intérim.
Peu connu du grand public, ceCorse né à Marseille, fidèle de Charles Pasqua puis de Patrick Devedjian, ambitionnait jusqu’alors de finir plutôt sa carrière comme sénateur. Mais quarante jours d’intérim lui ont donné l’envie de s’installer durablement dans le fauteuil de président du département. Jusqu’en mars 2021, terme
du mandat. Et audelà, pour un mandat de plus. « Si je suis élu, j’aurai neuf mois pour démontrer à mes collègues que leur confiance n’est pas usurpée », confietil.
A 63 ans, Georges Siffredi a pourlui une certaine légitimité. C’est unmaire apprécié, qui entame son cinquième mandat d’affilée à la mairie de ChâtenayMalabry, une commune de 33 000 habitants. Propulsé aux commandes du département en pleine crise sanitaire, il estime avoir agi efficacement : achats de masques, aide aux travailleurs pauvres, etc. « Son plan “Covid” de 80 millions d’euros tient la route », opine PierreChristophe Baguet, le maire (LR) de BoulogneBillancourt, la plus grande commune du département. Surtout, Georges Siffredi semble l’héritier le plus naturel de Patrick Devedjian, son « ami de trentehuit ans », dont il a été le suppléantà l’Assemblée, et le bras droit dans le département. « Il s’agit d’être dans la continuité », ditil.
Avant de se lancer, Georges Siffredi a pris soin de sonder les poidslourds du conseil, en particulier PierreChristophe Baguet, qui envisageait d’être candidat. « Il était inenvisageable qu’on se déchire, alors que nous étions tous deux trèsproches de Patrick Devedjian, relate le maire de Boulogne. On s’est mis d’accord. Je le soutiens, et je serai son premier viceprésident. »
Dans l’idéal, le président par intérim aurait aimé se retrouver seul candidat. Mais la droite desHautsdeSeine reste diverse. En 2017, pas moins de cinq listes conduites par des LR étaient en
concurrence pour les sénatoriales ! Aujourd’hui, Eric Berdoati, 55 ans, ne compte pas s’effacer. Luiaussi paraît légitime, puisque cetexLR désormais sans étiquette préside le groupe de droite au seindu conseil départemental. Et il souhaite porter une vision différente de celle de Georges Siffredi. « Cette épidémie et la crise économique massive qui nous attend vont tout bouleverser, estime le maire de SaintCloud. Se glisser dans les chaussons de Patrick Devedjian et recommencer comme avant, ce n’est pas la solution. Il faut revoir la ligne politique. »
A ses yeux, trois correctifs s’imposent. D’abord, le conseil desHautsdeSeine s’est sans doute un peu dispersé, en s’engageant notamment dans de grands projets culturels. « Vu les circonstances, il faut revenir à nos missions fondamentales, la santé, le social, l’éducation », plaide Eric Berdoati.Ensuite, « la crise va coûter cher aux communes, et le département
L’élection, d’abordbloquée par
l’état d’urgencesanitaire,
aura finalementlieu le 25 mai
doit les aider davantage », ajoutetil. Enfin, il préconise de stopper la fusion envisagée avec les Yvelines. « Ce projet était une astuce de Patrick Devedjian pour contrer la menace de suppression des départements et torpiller la montée enpuissance de la métropole, analysetil. Aujourd’hui, on peut continuer les coopérations engagées avec les Yvelines, mais fusionner n’est plus nécessaire. »
Sur plusieurs points, les deuxcandidats ne sont à dire vrai pas si éloignés. Georges Siffredi entend lui aussi accentuer les dépenses sociales, et renforcer le lien avec lescommunes. Dans son plan d’urgence, n’atil pas décidé de leur verser 10 euros par habitant ? Sur la fusion avec les Yvelines, en revanche, le maire de ChâtenayMalabry se montre un peu plus positif. « Ce projet, on l’a tous voté, on vacontinuer à avancer, ditil. Après mars 2021, il appartiendra à la nouvelle majorité de trancher. »
denis cosnard
Le droit du travailde nouveau assoupliDes règles sociales dans les entreprisesont été modifiées pour répondre à la crise
L e droit du travail n’en finitpas de se relâcher au contact du coronavirus. Ven
dredi 15 mai, les députés ontadopté le projet de loi « portant diverses dispositions liées à la crise sanitaire », qui assouplit, temporairement, des règles encadrant les relations entre patrons et salariés. Tout comme les mesures prises, fin mars, pour alléger– provisoirement, là encore – les contraintes sur la durée du travail,ces changements sont justifiés par la nécessité de permettre aux entreprises de s’adapter aux conséquences de la récession.
L’une des principales modifications porte sur les renouvellements de contrats à durée déterminée (CDD) et de contrats de travail temporaire (CTT). Leur nombre pourra être fixé par une « convention d’entreprise » et dépasser celui prévu par l’accord de branche (ou, à défaut, par la loi, s’il n’y a pas d’accord de branche). Cette nouvelle règle s’appliquera aux contrats conclus jusqu’au 31 décembre 2020. Il s’agit de « prolonger les relations de travail »qui ont été suspendues, notamment en raison du recours au chômage partiel, a expliqué, vendredi,Marc Fesneau, le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui défendait l’amendement gouvernemental contenant cette disposition. Le but est de « maintenir les compétences indispensables à lareprise de l’activité », atil ajouté.
« Aucun garde-fou »La démarche a suscité des réserves au sein la majorité. Le député (La République en marche, HautsdeSeine) Jacques Maire a indiqué,lors des débats dans l’Hémicycle, qu’il serait préférable de laisser la
primauté aux accords de branche.Des représentants de la gauchesont intervenus pour dénoncerune mesure synonyme, à leurs yeux, de précarité accrue : « Ontombe du niveau de la loi à celui del’entreprise, sans aucun gardefou, ouvrant ainsi la voie à une formede dumping », s’est indigné Pierre Dharréville, élu communiste desBouchesduRhône. Ce dispositif est voté « parce que le Medef vous l’a demandé », a estimé Loïc Prud’homme (La France insoumise, Gironde).
Autre évolution controversée :le comité social et économique (CSE) – qui a, peu à peu, remplacé le comité d’entreprise – pourra utiliser une partie de son budget de fonctionnement (pas plus dela moitié) « au financement desactivités sociales et culturelles » proposées aux salariés. Cette capacité d’initiative, qui résulted’un amendement porté par Cendra Motin (LRM, Isère), est donnée « à titre exceptionnel (…), jusqu’à l’expiration d’un délai de sixmois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ». L’objectif est « d’apporter un soutien matériel supplémentaire » aux travailleurs.
La mesure a été très critiquée,en particulier par plusieurs syndicats. « C’est n’importe quoi !!! », alancé Laurent Berger, vendredi, sur le réseau social Twitter. Le secrétaire général de la CFDT craint que les CSE soient privés de ressources pour commander des expertises sur « l’emploi » etla « santé au travail ». Force ouvrière, pour sa part, a déploréqu’une telle décision soit arrêtée« sans consultation préalable desorganisations syndicales ».
bertrand bissuel
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10 | coronavirus MARDI 19 MAI 20200123
L’université s’inquiète pour la « génération Covid »Les établissements réfléchissent déjà à l’organisation de la rentrée avec des étudiants fragilisés
A dmis, refusé, en attente… Il ne reste quequelques heures auxlycéens avant de dé
couvrir les réponses à leurs vœux d’orientation dans l’enseignement supérieur, sur la plateformed’admission Parcoursup, mardi 19 mai à 17 heures.
Le confinement n’a pas bousculé la procédure, qui concerne950 000 élèves de terminale, étudiants en réorientation et reprised’études. Mais les universités se préparent à l’arrivée de cettegénération marquée par la crisedu Covid19 avec de nombreuses interrogations. « Parcoursup étaitpeutêtre la seule chose prêtepour le Covid », résume en riant Aurelle Levasseur, enseignantechercheuse qui a examiné 3 379 candidatures pour la licenced’administration économique et sociale (AES) de l’université SorbonneParisNord.
Au cœur des dossiers des candidats figurent les notes obtenues au lycée, jusqu’au deuxième trimestre de terminale, qui a puavoir lieu, avant le début du confinement. La suppression desépreuves finales du bac n’a pasposé de problème non plus :ces résultats n’étaient déjà paspris en compte dans la procédurede sélection.
Ici ou là, on rapporte des évolutions à la marge, comme en médecine. « Nous avions l’habitudede lire l’ensemble des lettres demotivation, rapporte Djillali Annane, doyen à Versailles. Cela n’apas été possible cette année, alorsqu’une grosse partie de nos effectifs est mobilisée sur la luttecontre la pandémie. » Un logiciel fonctionnant par motsclés aremplacé l’œil humain.
Hausse des candidaturesSeul changement de taille : lesécoles qui organisaient des concours d’entrée postbac, comme les Sciences Po, ont remplacé leursépreuves par une sélection sur dossier. Ainsi, 2 000 formations ont révisé dans l’urgence leur manière de sélectionner, d’après le ministère de l’enseignement supérieur, sur les 15 000 filières proposées sur la plateforme.
« Ce maintien de la procéduredans un calendrier inchangé permet de donner un cadre commun et de la stabilité aux lycéens », soutient Jérôme Teillard, chargé du dossier Parcoursup au ministère. Et de maintenir la rentrée en septembre : les dates « ne seront pas décalées », a affirmé FrédériqueVidal, la ministre de l’enseignement supérieur, dans un entretien au Parisien le 7 mai.
L’inquiétude est cependant fortedans les établissements. Comment accueillir ces jeunes qui ont arrêté leur année de lycée le 16 mars ? Plus de trois mois de cours en moins, sans lien social au lycée, pas de rite initiatique du bac, et le tout avec une rentrée qui promet d’être bousculée.
« Nous avons demandé aux établissements de prévoir que les cours magistraux puissent êtreofferts à distance », a indiquéFrédérique Vidal. L’annonce n’apas surpris grand monde, mais samise en musique, avec le maintien probable de règles sanitaires et de distanciation physique strictes, promet un cassetête dans des établissements aux amphisrégulièrement bondés.
L’enseignement supérieur a encore vu croître les candidatures : 50 000 inscrits de plus cette annéesur la plateforme, qui accueille dans le même temps un millier de formations en plus. Parmi eux,
20 000 élèves de terminale supplémentaires scolarisés en France ont ainsi confirmé des vœux − ils sont 658 000 au total. « Et il y a de fortes chances de voir plus de lycéens que d’habitude décrocher le bac [avec les nouvelles modalités en contrôle continu], pointe JulienGossa, maître de conférences à l’IUT de Strasbourg. Le taux d’éviction, jusqu’ici d’environ 10 %, pourrait être moindre… »
« La rentrée est un énorme soucipour nous, reconnaît Aurore
Chaigneau, doyenne de la faculté de droit à Nanterre, où l’amphi de prérentrée accueille quelque 1 000 étudiants chaque année. Nous n’avons aucune consigne claire du ministère, il faut organiser des réunions en urgence. » Oùsituer la « barre » maximale de l’effectif autorisé à venir ? Quid des pratiques sportives en filière Sciences et techniques des activités physiques et sportives(Staps) ? En informatique, comment gérer des salles de travaux pratiques en permanence remplies avec des groupes qui passent sur les mêmes claviers, à moins d’un mètre de distance ? Les questions sont sans fin.
C’est une « rentrée 2020 à hautrisque » avec le danger de « sacrifierune génération entière d’étudiants », alerteton dans les rangs syndicaux du SnesupFSU, où l’on appelle déjà à un effort budgétaire d’ampleur. A l’université RennesII comme ailleurs, c’est un
système d’alternance entre des cours « en présentiel » et « à distance » qui est en réflexion. « Nous sommes déjà au maximum de l’utilisation de nos locaux, souligne Olivier David, président de l’université de sciences humaines bretonne. On ne pourra pas dédoublernos enseignements en plus petits groupes, en termes de ressources humaines, ce n’est pas possible. » Même les travaux dirigés, logiquement en effectifs réduits, vont devoir fonctionner avec des « rotations », pour respecter les règles de distanciations, prévoitil.
« Non-sens pédagogique »Chez les universitaires, l’injonction au « distanciel » est loin de faire l’unanimité. Doyen de la faculté de droit de Reims (Marne),Julien Boudon a fait ses calculs : entre les cours magistraux à distance, qui représentent près desdeux tiers de ses enseignements,et les travaux dirigés en rotation, ses futurs étudiants de licence se retrouveraient avec moins de 20 % de cours en « présentiel »… « Je m’y refuse, c’est un nonsens pédagogique, tempêtetil. Qu’onarrête de nous vendre cet enseignement soidisant hybridecomme une solution, c’est unleurre motivé par des considérations budgétaires, il faut trouverd’autres solutions. Pourquoi ne pas repousser la rentrée, le temps d’apaiser les craintes ? »
C’est une population « plus fragile » qui va arriver sur les bancsuniversitaires, après avoir quittéle lycée en mars, pointe Françoise Lambert, du syndicat SGENCFDT.Le passage à l’université constituedéjà un moment difficile pour de nombreux lycéens, avec des taux d’échec importants. « Le décalage sera encore plus lourd, ça risque d’être l’hécatombe », craint l’enseignantechercheuse de Poitiers.
Des dispositifs pour comblerles lacunes doivent être envisagés en classes préparatoires ou en BTS, avec des heures d’enseignement supplémentaires, plaideton au Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN). « Les manques ne seront pas les mêmespartout », note Philippe Vincent, à la tête du syndicat.
Dans les universités, où les effectifs étudiants sont plus fournis et les moyens financiers trèscontraints, l’opération promet d’être ardue. « On a déjà prévu desremises à niveau pour nos étudiants de deuxième et troisièmeannées de licence, décrit un enseignantchercheur. Mais il en faudrait aussi pour ces jeunes quiarriveront en première année. »
Dans les disciplines scientifiques, le programme du lycée a toute son importance pour suivre ensuite à la fac.
« Chez nous, la plupart des matières, ils ne les suivent pas au lycée, rassure néanmoins Didier Delignières, professeur en Staps à Montpellier. Je n’ai pas d’inquiétude sur le niveau, ce ne sont pas trois mois de cours qui vont changer ce qu’ils sont, ils récupéreront sans problème. » C’est moins la question des prérequis que celle de l’acquisition de « l’autonomie », qui fait dire à son collègue Olivier Oudar, viceprésident à l’université Sorbonne ParisNord, qu’il faudra « cibler ces néoentrants pour les accueillir en priorité ».
« La rentrée se prépare maintenant, mais c’est très difficile dansun contexte où nous essayonsdéjà de boucler les examens de nos étudiants… », souligne Gabriel GalvezBehar, doyen de la faculté des humanités à Lille, qui compte 6 700 étudiants. « D’unpoint de vue pédagogique, leséquipes seront bien sûr attentives au fait que ces bacheliers ont eu une fin d’année problématique,mais cela devra aller plus loin,ditil. Nous vivons une crise qui estaussi morale, intellectuelle ; le rôlede l’université est d’armer les étudiants dans leur réflexion. »
camille stromboni
« Derrière la fracture numérique, c’est la ségrégation sociale »A la tête de Sorbonne Université, Jean Chambaz plaide pour que l’enseignement « présentiel » ne soit pas sacrifié
ENTRETIEN
P our Jean Chambaz, leprésident de Sorbonne Université – mastodonte pari
sien de 55 000 étudiants en lettres, médecine, sciences et ingénierie –, qui travaille au développement d’un enseignement « hybride », entre cours en présentiel et cours à distance, « tout ne peut se faire à distance ».
Comment envisagezvous la rentrée en septembre, avec de nouveaux étudiants qui auront fini leur année de lycée le 16 mars et des règles sanitaires strictes ?
Le retour de ces jeunes à une viesociale et collective me paraît indispensable le plus rapidementpossible. Dans le respect des con
ditions sanitaires, bien sûr, notre priorité sera de les accueillir pour leur remettre le pied à l’étrier correctement. On ne peut se passer d’un vrai « contact » avec eux à larentrée, tout ne peut pas se faire « à distance ».
Il nous faudra les former auxpratiques universitaires et aux outils, puis les accompagner avecdes modules de tutorat et de remédiation. Derrière ce qu’on appelle pudiquement la fracture numérique pour les étudiants, ce n’est rien d’autre que la ségrégation sociale que l’on voit à l’œuvre.
Nous ne pouvons pas y remédier pleinement, mais il faut àtout prix l’atténuer, pour donner des chances réelles aux jeunes demilieux modestes de réussir leursétudes. Ainsi, pour ceux qui en auront besoin, sur critères so
ciaux, nous allons mettre en placeun welcome pack [pack de bienvenue], avec les équipements nécessaires pour travailler correctement à distance.
Etesvous prêt à déployer un enseignement à distance plus généralisé, notamment pour les cours magistraux, comme le prévoit le gouvernement ?
Nous y travaillons. Mais il nes’agit pas juste de remplacer le cours en amphi par des cours en ligne. C’est un enseignement « hybride » que nous construisons, ce qui nécessite du temps et une réflexion pédagogique. Cela suppose un mix entre le « distanciel » et le « présentiel ».
L’essentiel, c’est de réussir à mobiliser nos équipes, qui sont déjà éprouvées par le confinement,
avec un basculement du jour au lendemain dans un enseignementtotalement à distance. L’enjeu est de transformer l’expérience accumulée en une démarche organiséeet construite. Nous ne partons pas de rien, et nous revoyons nos lignes budgétaires pour renforcer les moyens des studios de fabrication et pour recruter davantage d’ingénieurs pédagogiques.
Il y a aussi une question d’infrastructure numérique. Si nous som
mes aujourd’hui sur Zoom [application de visioconférence] ou d’autres outils dont la France n’a pas la maîtrise, c’est parce qu’au bout de trois jours de confinement Renater, le réseau national public et sécurisé, a fait pschitt.
Que retirezvous de cette crise ?C’est avant tout la démonstra
tion de l’efficacité incroyable du service public. A l’hôpital, bien sûr,mais aussi à l’université, qui ne s’est jamais arrêtée. Le fait d’être un opérateur public nous a permisde jouer notre rôle. On voit à quel point cela est précieux en entendant nos collègues britanniques qui demandent une aide de l’Etat de plusieurs milliards d’euros, sous peine de ne pouvoir rouvrir.
Plutôt que de parler du monded’après, qui ne sera pas différent
« On ne pourrapas dédoubler nos
enseignementsen plus
petits groupes »OLIVIER DAVIDprésident de l
’université Rennes-II
LES DATES
19 mai Les réponses des forma-tions du supérieur interviennent à partir du mardi 19 mai, à 17 heures. Les candidats accep-tent ou refusent les propositions qu’ils reçoivent dans un flux continu, libérant ainsi des places pour d’autres. Ils ont au départ cinq jours pour répondre à une proposition, puis trois jours à partir du 24 mai. Cette phase s’achève le 17 juillet.
16 juin La phase complémentaire va s’ouvrir plus tôt que les années précédentes. Elle permet aux candidats n’étant pas satisfaits des réponses reçues ou n’ayant eu aucune proposition favorable de postuler dans les formations qui ont encore des places vacantes, jusqu’au 13 septembre.
8 juillet Au lendemain des résultats du bac, les lycéens sans proposition peuvent sollici-ter l’aide d’une commission d’accès à l’enseignement supérieur dans leur académie, pour trouver une formation.
du monde d’avant, il faut parler desolutions nouvelles. Il ne faudra pas oublier l’importance de ce modèle social. Ce ne sont pas les solutions néolibérales du monde d’hier qui nous ont permis de sortir de la crise, mais ce sont plutôt elles qui nous ont menés dans le mur. De même, ce ne sont pas les seuls « premiers de cordée », mais l’ensemble des acteurs qui ont permis de faire tourner la machine.
Pour l’enseignement commepour la recherche, une recapitalisation du secteur est indispensable. La crise devrait nous permettre de laisser derrière nous la vision « darwinienne » et l’approche « inégalitaire » prônés par certains. La future loi de programmation pluriannuelle de la recherche ne pourra pas être la même.
propos recueillis par c. st.
« Le fait d’êtreun opérateur public nous a
permis de jouernotre rôle »
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0123MARDI 19 MAI 2020 france | 11
LGBTphobie : forte hausse des témoignagesde victimesL’association SOS Homophobie relève une augmentation de 26 %. Du jamaisvu depuis 2013
U ne hausse « inquiétante ». Dans sondernier rapport annuel, présenté lundi
18 mai, l’association SOS Homophobie s’alarme de l’augmentation de 26 % du nombre de témoignages reçus en 2019, sur saligne d’écoute téléphonique et son site Internet.
L’association, qui lutte contreles discriminations liées àl’orientation sexuelle, a recueilli en 2019 2 396 témoignages, concernant 1 899 situations. « Cettehausse illustre un double mouvement : à la fois une prise deparole accrue des victimes, quisont encouragées à témoigneret veulent signaler des actes qu’elles ne laissent désormais plus passer, et aussi la persistance des actes et propos LGBTphobes dansla société française », considèreJérémy Falédam, coprésidentde l’association.
La grande majorité de ceux etcelles qui ont composé le numéro de sa permanence téléphonique ont été confrontés enpremier lieu au rejet de leur entourage (72 % des cas rapportés).Les autres situations portent sur des cas de discriminations,de diffamation, du harcèlement,
des menaces, des agressions physiques et/ou sexuelles, de dégradations, d’outing (révélation del’homosexualité d’une personnesans son consentement) maisaussi de licenciements… Dans quasiment la moitié des cas, desinsultes accompagnaient les actes et propos dénoncés.
« Visibilité interdite »Fait notable, l’expression de lahaine sur Internet a connu un bond de 56 % par rapport à l’année précédente − 596 cas en 2019contre 383 en 2018. Une « explosion » qui s’explique notamment,selon les auteurs du rapport, parle contexte politique, marqué parle débat autour de l’ouverture dela procréation médicalementassistée (PMA) aux couples de
lesbiennes. « Tout au long de l’année, sur les réseaux sociaux etdans de nombreux médias, la parole a été donnée aux tenantsd’une famille traditionnelle et conservatrice qui refusent que les personnes LGBT accèdent àune égalité des droits », regrette Jérémy Falédam.
L’association dresse d’ailleursle parallèle avec la déferlante homophobe ayant accompagnél’adoption de la loi ouvrant lemariage aux couples de mêmesexe. L’année 2019 figure ainsi enseconde place, après 2013, dans lesignalement d’actes LGBTphobes
depuis la création de son rapportannuel. Et ceci alors que le projetde loi de bioéthique, voté en première lecture, doit encore retourner à l’Assemblée nationale pourêtre adopté définitivement.
En 2018, SOS Homophobie soulignait une hausse « spectaculaire » des cas de lesbophobie. Consciente d’être sollicitée majoritairement par des hommes pour diverses raisons, l’association a décidé d’affiner son analyse des situations dénoncées pardes femmes lesbiennes, de l’ordrede 300 spécifiquement en 2019.
Il en ressort que ces dernières,quand elles s’affichent en couple,risquent davantage d’être agressées que leurs homologuesmasculins. Ainsi, 58 % des agressions visant des femmes lesbiennes dans l’espace public surviennent quand elles sont en couple, contre 22 % pour les hommes. Cette forte proportion s’explique notamment par leur plusforte vulnérabilité. « Des actesanodins pour des couples hétérosexuels, comme se tenir la main,marcher côte à côte, se serrer dansles bras ou s’embrasser dans larue, deviennent une vraie prise derisque pour un couple de femmes », relève le rapport, en dénonçant une « visibilité interdite pour les lesbiennes ».
Autre tendance observée en2019 : la forte augmentation d’agressions physiques rapportées par des personnes transgenres (+ 130 % par rapport àl’année précédente). A l’image dela hausse globale des témoignages, l’augmentation de ce segment reflète à la fois le refusdes hommes et des femmes transgenres de tolérer ces violences, mais aussi la grande crispation d’une partie de la société face à ces derniers.
Un tournantLes temps ont bien changé depuis dix ans et l’apparition,en 2009, du chapitre « transphobie » dans l’étude annuelle del’association. A l’époque, 15 per
« Se tenir la main,marcher côte à
côte, s’embrasserdans la rue,
deviennent uneprise de risquepour un couple
de femmes », relève le rapport
sonnes seulement avaient appelé la ligne téléphonique pour témoigner. « En 2020, c’est presque quatorze fois plus de cas detransphobie qui nous ont été signalés », relève l’association.
Les images extrêmement relayées sur les réseaux sociaux del’agression de Julia, femmetransgenre insultée et frappée le31 mars 2019 place de la République, à Paris, en marge d’un rassemblement contre le régime algérien d’Abdelaziz Bouteflika, ont marqué un tournant récemment. « Le cas de Julia, mais aussicelui de Maël, un étudiant transagressé à Besançon, ont permis àplus de personnes transgenresde se sentir légitimes de parler de ce qu’elles vivent », expliqueM. Falédam, qui salue aussi« l’émergence de figures médiatiques plus visibles comme l’humoriste Océan ».
Il n’empêche que, selon le responsable associatif, « tout ce qui dévie de la norme risque encore d’être la cible de l’intolérance », avec des conséquences qui peuvent être lourdes. Ainsi, l’isolement, la dépression, et plus largement l’expression d’un mal de vivre guettent les victimes deLGBTphobies, en particulier lesplus jeunes, s’alarme le rapport.
solène cordier
en 2019, le ministère de l’intérieur a recensé 1 870 personnes victimes d’infractions à caractère homophobe outransphobe, principalement des injures ou agressions,soit une hausse de 36 %. Elles étaient 1 380 en 2018, déjà enaugmentation de 33 % par rapport à l’année précédente.« C’est une hausse tendancielle et progressive, qu’on observedepuis trois ans », rappelle Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine antiLGBT (Dilcrah).
Il avance deux phénomènes, l’un n’excluant pas l’autre,pour l’expliquer. « On a une homophobie profondément ancrée dans la société, avec des phénomènes de rejet qui sont liésà l’octroi de davantage de droits pour les personnes LGBT, comme le mariage. Mais en parallèle, ces chiffres illustrentaussi le travail des associations qui accompagnent les victimeset les encouragent à porter plainte. » Reste que ces statistiquessont loin de refléter l’ampleur des actes homophobes, un grand nombre de victimes renonçant encore bien souvent àalerter les forces de l’ordre. « Ces chiffres s’inscrivent dans uncontexte plus large de progression des actes de haine et des extrémismes identitaires », relève le ministère de l’intérieur, qui salue dans son communiqué la « meilleure sensibilisationdes forces de l’ordre » aux LGBTphobies, notamment grâce autravail de l’association Flag !
Plan d’urgenceDans le détail, les violences − physiques et sexuelles −concernent 28 % des plaintes. Les injures et les outrages représentent, eux, 33 % des infractions enregistrées, indique le service de statistiques du ministère de l’intérieur. « On anotamment relevé beaucoup de menaces et d’insultes en lignelors de l’adoption en première lecture du projet de loi ouvrantla procréation médicalement assistée aux couples de femmeslesbiennes », précise M. Potier. Du côté du secteur associatif,le constat est partagé, comme en témoigne la recrudescencede signalements enregistrés en 2019 par l’association SOSHomophobie, attribuée en partie au contexte politique.
De même qu’en 2018, les victimes qui poussent la porte descommissariats et des gendarmeries sont majoritairementdes hommes (75 %) et assez jeunes : 62 % sont âgés de moinsde 35 ans. « La géographie des plaintes, avec 36 % des infractions survenues dans des aires urbaines supérieures à 200 000 habitants, prouve que l’homophobie touche tout leterritoire », ajoute Frédéric Potier.
Le phénomène s’est d’ailleurs vérifié récemment, en période de confinement. Les associations luttant pour les droits des personnes homosexuelles ont été contactéespar des jeunes se trouvant en situation de danger dansleurs familles, en raison de leur orientation sexuelle. Pour yremédier, les pouvoirs publics ont annoncé un plan d’urgence, doté de 300 000 euros. Depuis, une quarantainede jeunes ont été mis à l’abri grâce à un système de nuitées hôtelières, déployé sur tout le territoire. Un dispositifd’urgence qui sera maintenu jusqu’au 10 juillet, date de la finde l’état d’urgence sanitaire.
s. cr
Les chiffres officiels grimpent aussi nettement en 2019
Autre tendanceobservée : la forte
augmentation (+ 130 %)
d’agressions rapportées pardes personnes
transgenres
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12 | INTERNATIONAL MARDI 19 MAI 20200123
Fin de cavale pour le génocidaire KabugaL’homme d’affaires, l’un des grands responsables de la tragédie du Rwanda, a été arrêté samedi, à Asnières
RÉCITla haye, johannesburg
correspondants
S on seul nom ne fera plustrembler. Aucune mortmystérieuse et violentene frappera ceux ou celles
lancés à sa poursuite. Nulle théoriesur les protections secrètes dont il a, ou pas, bénéficié, ne pourra plus fleurir. Félicien Kabuga, recherché pour son rôle central dans le génocide commis au Rwanda, d’avril à juillet 1994, n’est plus qu’un petit homme en mauvaise santé de 84 ans, qui vivait sous une identitéd’emprunt et a été arrêté dans un appartement à Asnières (HautsdeSeine), samedi 16 mai, au termede vingtsix ans de cavale et de deux mois de confinement en France. Le vieillard a, d’une certaine façon, été trahi par ce qu’il nepouvait ni corrompre ni effrayer : le temps, mais aussi le Covid19, qui l’a obligé à rester confiné dans son immeuble, de peur d’être contaminé. Et, au final, un regain d’intérêt pour sa personne.
L’homme d’affaires rwandaisétait établi en France « depuis plusieurs années », sous une identité d’emprunt, selon une source judiciaire à La Haye. Il était jusqu’ici l’un des derniers grands responsables du génocide rwandais encore en liberté, et en vie. En tant que « financier du génocide », il était aussi le plus recherché. Dans les prochains jours, une audience devrait se tenir devant la chambre des mises en accusation à Paris. Félicien Kabuga aura la possibilité decontester son arrestation. Il devrait être ensuite transféré à la prison du « Mécanisme » à La Haye, lajuridiction chargée des dossiers dits « résiduels » des tribunaux pénaux internationaux, comme le TPIR (en charge des acteurs du génocide rwandais) qui était établià Arusha, en Tanzanie, et a fermé ses portes en 2015.
Lors de sa première comparution, il dira s’il plaide coupable ou non coupable. Mais décideratil ensuite de lever le voile sur les complicités dont il a bénéficié
pendant deux décennies ? « Cette arrestation ramène à la surface bien des questions demeurées sans réponse depuis vingtsix ans, estime le spécialiste du Rwanda et expert du TPIR, le sociologue André Guichaoua. L’évacuation de douze membres de la famille Kabuga par l’ambassade de France à Kigali le 12 avril 1994, son séjour en Europe à partir de juillet 2007 avec son gendre pour y être hospitalisé et opéré pendant plus d’un mois, ses déménagements entre l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et peutêtre la Suisse au moins jusqu’en novembre, sans qu’apparemment aucun pays ne souhaita récupérer cet hôte encombrant. » Comme tous les procès devant la justice internationale, celuilàdevrait durer plusieurs années.
Un « rêve » de procureur« Chaque procureur [du TPIR] a rêvé d’avoir Kabuga, constate Thierry Cruvellier, qui a suivi les procès et les enquêtes de ce tribunal en Tanzanie. Ce rêve, c’est aussi celui qui a échappé jusqu’ici à tous les procureurs de juridictions consacrées aux grands crimes de masse : toucher les financiers. » Le rôle de Félicien Kabuga dans le « crime des crimes », qui a provoqué la mort de 800 000 personnes, était sans doute plus large encore que cette fonction. En tant que membre de la nomenklatura du pouvoir hutu de l’époque, il a noué, dès les années 1980, des alliances au plus haut du pouvoir duprésident Juvénal Habyarimana, grâce à son entregent et aux mariages de ses enfants. Une de ses filles avait épousé JeanPierre, le premier fils du couple Habyarimana ; une autre, l’un des hauts responsables du groupe de miliciens Interahamwe. L’une de ses sœurs était la conjointe du ministre du plan, Augustin Ngirabatware, qui a joué un rôle importantdans le génocide.
Pas autant, toutefois, que celuide son beaupère. Félicien Kabuga,fils de paysans pauvres du nord duRwanda, a peutêtre commencé dans la vie « en vendant des paniers », comme l’affirmait l’une de ses filles lors d’un témoignage au TPIR. Après le colportage, il avait
étendu dans ce cas ses activités avec succès au thé, au commerce de gros, puis à l’importexport, nouant des liens politiques au plus haut de l’Etat. Il a ensuite jouéun rôle de premier plan dans la radicalisation du pouvoir, puis dans le détournement de fonds publics en vue de la préparation des massacres, et, enfin, des tentativespour reprendre le pouvoir par les armes au Rwanda. Il était visé par un mandat d’arrêt émis par le TPIR depuis 1997. Le département d’Etat américain avait offert, depuis 2002, une récompense de 5 millions de dollars (4,6 millions d’euros), pour toute information permettant son arrestation. Pour avoir tenté de l’attirer dans un piège et de toucher le pactole, une personne au moins, un journalisteaffairiste, a été tuée au Kenya. Inversement, payer sa protection auprès de responsables a dû être extrêmement coûteux, d’autant que Félicien Kabuga était aussi fiché par Interpol. Mais l’homme d’affaires, sans doute fort riche, avait toujours échappé de justesse à ses poursuivants. Des protections lui ont permis d’y échapper pendant longtemps au Kenya, avant que sa cavale ne le mène en Europe et, finalement, en France. Puis « tout s’est accéléré il y a deux mois », indique, à Paris, l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH).
C’est, selon des sources concordantes, le suivi par le biais de leurs téléphones portables des mouvements de ses enfants qui a permis aux enquêteurs d’identifier un immeuble banal, à Asnières, vers lequel tous semblaient converger. Thierry Cruvellier, observateur de longue date de la justice du génocide, sur laquelle il a écrit l’ouvrage
de référence (Le Tribunal des vaincus, Calmann Lévy, 2006), note : « Depuis quelques années, Kabuga n’était plus du tout dans le radar. Il a fallu que l’année passée, le procureur [du Mécanisme], Serge Brammertz, remette l’accent sur lui pour que les recherches reprennent. Et enréactivant ce dossier froid, il semblequ’il a été localisé, au fond, avec desmoyens très simples. »
Dans le passé, cela n’avait pas étésuffisant. Fin novembre 1999, une vingtaine d’hommes de la brigade antiterroriste enfonçaient, à l’aube, la porte d’un petit appartement du 13e arrondissement de Paris. Ils y trouvaient l’un de ses fils. Des documents étaient saisis. Dans la foulée, les comptes de cinqdes treize enfants de l’homme d’affaires avaient été gelés, ainsi que celui du couple Kabuga. Augustin Ngirabatware, son gendre, qui disposait d’amitiés solidesau Quai d’Orsay, avait été alerté et s’était envolé quelques jours plus tôt vers Libreville.
Il ne sera finalement arrêtéqu’en 2007 en Allemagne, près de Francfort, alors qu’il y organisait en secret une opération chirurgicale que devait subir son beaupère. M. Kabuga avait alorséchappé aux agents de la police allemande et à ceux du TPIR. Maisentre des protecteurs « toujoursplus gourmands », et la détermination de Carla Del Ponte, sa cavale était devenue plus compliquée. Sa reddition auprès du TPIR avait même été annoncée. A tort. Sa dernière arrestation ratée remontait à Noël 2018. Lors du décès de son épouse, en Belgique, les enquêteurs du Mécanisme s’étaient déguisés, espérant repérer le fugitif dans le cortège. Ilsavaient été rapidement débusqués. Encore un échec.
La cavale de l’homme d’affaires,longtemps, semble avoir été protégée au plus haut niveau, notamment au Kenya, où le président de l’époque, Daniel arap Moi, était unallié. Le pouvoir rwandais utilisait d’ailleurs, à l’aube du génocide, le Kenya pour y acheminer des machettes – 581 tonnes dans l’annéeprécédant les massacres –, avec Kabuga en artisan de cette activité. Lorsque commencent les
tueries, dans la nuit du 6 avril 1994, l’homme d’affaires est à la manœuvre au Rwanda. Installé à Gisenyi, dans le nord du pays, il prend part à la création du Fonds de défense nationale (FDN),un organe au cœur de la machine génocidaire. L’entrepreneur contrôle les comptes des entreprisesd’Etat, dont les recettes seront directement allouées aux « frais de restauration » des tueurs ou à l’achat d’armes, et serviront de trésor de guerre. Le FDN se consacre aussi à ce qu’on appellerait aujourd’hui « la narration » des massacres en cours. Déjà, en 1993, constatant que la mobilisation de la population pour effectuer des massacres s’effectue d’autant mieux qu’on l’accompagne de chansons et de plaisanteries scabreuses, l’idée était venue de créerune radio à l’ambiance musicale déchaînée : la Radiotélévision libre des Mille Collines (RTLM), dont Félicien Kabuga est l’un des fondateurs et principaux responsables.
Lorsque le régime s’effondre devant l’avancée de la rébellion tutsi,qui mettra fin aux massacres, le « financier » s’envole vers la Suisse,n’y obtient pas l’asile, et est expulsé vers le Zaïre de Mobutu, autre vieil allié. C’est sur le territoire de la future République démocratique du Congo (RDC) que seréorganisent les génocidaires, noyés dans une foule de civils massés dans des camps le long de la frontière avec le Rwanda. L’ambiance est terrible. Une épidémie de choléra s’y déclare. Félicien Kabuga préfère s’envoler vers le Kenya, sans doute avec une fortune conséquente. Il est loin d’avoir abandonné le combat.
Des photos des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda de 1994, au Mémorial du génocide de Kigali, en avril 2019. BEN CURTIS/AP
Lors du décès de son épouse, en
Belgique, les enquêteurs s’étaientdéguisés, espérant
repérer le fugitif dans le cortège. Encore un échec
Dans les années 2000, une rébellion hutu se réorganise dans l’est de la RDC pour revenir au Rwanda « terminer le travail », c’estàdire achever d’exterminer les Tutsi. Lesrebelles se dispersent sur un arc deplus d’un millier de kilomètres, vivent dans des zones reculées, exploitent des minerais, font des enfants. De loin, ils ressemblent aux combattants perdus d’une guerre terminée. En réalité, une coordination unit leurs mouvements. Depuis le Kenya, de jeunes combattants rejoignent même « la forêt », comme ils disent. Certains viennent du quartier de Kayole, à Nairobi, où s’est organisée une communauté de Rwandais hutu. Une de nos sources, originaire de ce milieu, détaillait alors l’organisation de l’aide aux combattants dans la lointaine forêt congolaise.
Guerre sans fin, sans pardonDes camions de marchandises étaient affrétés dans la capitale kényane, chargés de biens et de jeunes hommes. Ils prenaient la direction du sud, descendaient à travers la Tanzanie, passaient en Zambie, où ils trouvaient d’autres groupes prorebelles installés en Afrique australe, puis contournaient la pointe sud du lac Tanganyika pour se diriger vers les Kivu, dans l’est de la RDC. Un long voyage, et une logistique à toute épreuve. Au retour, les camions amenaient de sacs de minerai, notamment de coltan, dont les prix avaient alors flambé.
La figure tutélaire qui organisaitalors ces trafics, dont la programmation se discutait dans des villas cossues de Nairobi, notamment dans le complexe résidentiel de Runda, n’était autre que Félicien Kabuga. Plus de dix ans après la findu génocide, alors que beaucoup de responsables du régime de 1994avaient été arrêtés, vivotaient dans la clandestinité ou étaient morts sous des identités d’emprunt, Félicien Kabuga continuait de participer à cette guerre sans fin, sans pardon, sans autre espoir que celui de reprendre le contrôle du Rwanda, les armes à la main. L’homme du génocide total.
stéphanie maupas et jeanphilippe rémy
C’est par le suivi des téléphones desenfants de Kabugaque les enquêteurs
ont identifié un immeuble banal,
à Asnières
LE PROFIL
Félicien KabugaFélicien Kabuga, 84 ans, fut l’une des pièces maîtresses du génocide des Tutsi, au Rwanda, en 1994, en mettant sa fortune et ses réseaux au service du fi-nancement des tueries, selon l’acte d’accusation. Son entrée dans le sérail fut définitivement scellée lorsque, en 1993, une de ses filles épousa le fils aîné du président Juvénal Habyarimana. Il crée le Fonds de défense nationale, qui devait servir à l’achat d’armes, notamment de machettes, pour les milices hutu Interahamwe. Félicien Kabuga était par ailleurs président du Comité d’initiative de la triste-ment célèbre Radio-télévision libre des Mille Collines qui pro-pageait l’idéologie hutu extré-miste et des discours d’incitation à la haine contre les Tutsi. Il est également accusé d’avoir direc-tement supervisé les massacres commis par les Interahamwe de Gisenyi (nord-ouest) et de Kimironko, un quartier de Kigali. En 1994, il était réputé l’homme le plus riche de son pays. Sa réussite était telle qu’un paysan aisé était surnommé « Kabuga ».
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0123MARDI 19 MAI 2020 international | 13
A Sarajevo, protestations contre une cérémonie prooustachie en CroatieZagreb, qui préside l’UE, a organisé un hommage aux soldats du régime pronazi
P our la première fois en Europe depuis 1945, un paysexerçant la présidence de
l’Union européenne (UE) a organisé un événement marquant de facto une sympathie pour l’ère nazie. La Croatie, actuellement présidente pour six mois du Conseil de l’UE, a honoré, samedi 16 mai, à Zagreb et Sarajevo, la mémoire dessoldats de l’Etat oustachi croate pronazi, tués par le mouvement de résistance yougoslave en 1945.
La « commémoration de Bleiburg » a généralement lieu dans cevillage de Carinthie, en Autriche, où des vaincus oustachis ont été faits prisonniers et exécutés par les partisans communistes à la fin de la seconde guerre mondiale. A l’origine une manifestation confidentielle, elle est devenue, depuis l’indépendance de la Croatie en 1991, un point de ralliement des nationalistes croates et de néonazis européens. Vienne ayantcette année interdit le rassemblement pour cause d’épidémie de Covid19, le Parlement croate a décidé d’organiser les célébrations dans un cimetière de Zagreb et, avec l’appui de l’Eglise catholique et de l’Union démocratique croate (HDZ, nationaliste) de Bosnie, dans la cathédrale de Sarajevo.
Si ce genre de commémorationest récurrent en Croatie depuis trente ans, l’annonce de la messe célébrée par l’archevêque de Sarajevo, le cardinal Vinko Puljic, a profondément choqué les habitants de la capitale de BosnieHerzégovine. Depuis des semaines, des organisations antifascistes et des représentants des communautés juive, serbe et rom, principales victimes de la terreur nazie entre 1941et 1945, ont dénoncé l’organisation de l’événement, rejoints par les partis bosniaques musulmans.
Cinq mille personnes sont descendues samedi dans les rues de laville, à l’heure où la messe était célébrée devant une vingtaine de prêtres. La manifestation a commencé dans le quartier de Marijin Dvor, où le dernier crime oustachi a été commis en mars 1945 (la pendaison publique de 55 militants antifascistes), et s’est achevée devant la Flamme éternelle, un monument célébrant la libération de Sarajevo le 6 avril 1945.
Les Sarajéviens ont scandé« Mort au fascisme, liberté au peuple ! », le slogan de la Yougoslavie. « C’est la réponse de la Sarajevo citoyenne, libre et antifasciste à ceux qui essayent de célébrer les criminels de guerre », a déclaré l’organisateur de la manifestation, Nijaz Skenderagic, président de l’Association des antifascistes.
La manifestation avait pourles Sarajéviens un parfum de 5 avril 1992 lorsque, à la veille de la guerre de Bosnie, ils étaient descendus dans les rues en chantant les mêmes slogans afin de clamer leur droit de vivre ensemble. A l’époque, la menace venait des nationalistes serbes, qui allaient assiéger la ville durant près de quatreans. « J’ai eu peur que cette messe soit cette fois un piège des nationalistes croates pour mettre de nouveau le feu aux poudres, déclare l’intellectuel sarajévien Haris Pasovic, organisateur du Festival des arts et de la politique. Heureusement, il n’y a eu aucune violence. Sarajevo a démontré, comme pendant le siège, que l’esprit de la civilisation et la volonté de vivre ensemble est l’essence de la ville. »
Le silence de l’UESi l’ambassadeur américain à Sarajevo s’est ému, « l’année du 75e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale et du 25e anniversaire de la fin de la guerre de Bosnie », d’une commémoration s’apparentant à du « révisionnisme », leplus étonnant est sans doute l’absence de réaction de l’Union européenne. Ni Bruxelles, ni aucune capitale européenne, ni les délégations et ambassades à Sarajevo ne se sont émus que le pays présidantl’UE honore les oustachis.
La seule voix à s’élever fut cellede la commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic. La diplomate a mis en garde contre « le risque de glorification de ceux qui ont soutenu le régime oustachi pronazi, complice de la mort de centaines demilliers d’êtres humains » et contre ce qui pourrait être « un choc allantcontre les efforts de réconciliation » dans la région. Mais Mme Mijatovic,ellemême sarajévienne, ne représente pas l’Europe politique.
rémy ourdan
Iran : cinq ans de prison pour la FrancoIranienne Fariba AdelkhahLa France réclame la libération de la chercheuse arrêtée en juin 2019, en même temps que son compagnon, Roland Marchal, relâché en mars
A près presque un an de détention « provisoire » dansla prison d’Evin à Téhé
ran, la chercheuse francoiranienne Fariba Adelkhah, 61 ans, a été condamnée à cinq ans de prison, a annoncé samedi 16 mai son avocat, Saïd Dehghan. La justice iranienne a retenu contre l’anthropologue les charges de « rassemblements et collusion en vue d’agir contre la sécurité nationale » et « propagande » contre la République islamique. Pour cette dernière accusation, la FrancoIranienne a été condamnée à un an de prison, mais, si la sentence est confirmée en appel, elle purgera lapeine la plus longue.
La France a condamné cette décision de justice, réclamant la libération immédiate de la chercheuse. Samedi, dans un communiqué, le ministre des affaires étrangères, JeanYves Le Drian, adénoncé une condamnation « politique », qui n’était « fondée suraucun élément sérieux ou faitétabli ». Téhéran ne reconnaît pas
la double nationalité de ses citoyens. De ce fait, cette spécialistedu chiisme et chercheuse au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris n’a pas pu, pour l’instant, bénéficier de l’assistance consulaire de l’ambassade de France à Téhéran.
« Condamnation illégale »Son avocat, Saïd Dehghan, espérait une libération conditionnelle. Pour lui, la condamnation de Fariba Adelkhah est « une déception ». Me Dehghan, qui compte faire appel, avait réussi à prouver l’innocence de sa cliente concernant deux autres accusations, « espionnage » et « trouble à l’opinion publique ». « Pour nous, cette condamnation est illégale, expliquetil. Dans le texte du verdict, il n’y a même pas une ligne de mon plaidoyer. »
Fariba Adelkhah a été arrêtée enIran en juin 2019 alors qu’elle menait des études sur le clergé dans la ville religieuse de Qom. Son compagnon, le chercheur
français Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique de l’Est, avait été interpellé au même moment qu’elle, à l’aéroport de TéhéranImam Khomeyni, alors qu’il s’apprêtait à passer des vacances en Iran avec Mme Adelkhah. Accusé devouloir « porter atteinte à la sécurité nationale » et de « collusion avec un Etat étranger », Roland Marchal a été finalement libéré enmars, sans qu’aucun verdict ne soit prononcé à son encontre.
Parmi les analystes, l’hypothèsela plus répandue est que l’Iran cherche à utiliser Mme Adelkhah
pour faire libérer un de ses diplomates, Assadollah Assadi, incarcéré en Belgique. Il est accusé d’avoir été impliqué dans l’attentat déjoué contre un rassemblement en 2018 à Villepinte de l’Organisation des moudjahidin du peuple, ennemis jurés de Téhéran.
L’Iran a, par le passé, utiliséles détenus iraniens ayant une autre nationalité comme monnaie d’échange dans ses négociations avec l’Occident.
De fait, la libération de RolandMarchal a été concomitante avec celle, en France, d’un ingénieur iranien, Jalal Rohollahnejad. Arrêté en février à Nice, ce dernier risquait une extradition vers les EtatsUnis, qui l’accusent d’avoir cherché à exporter du matériel technologique malgré l’embargo américain contre Téhéran.
L’Iran détient au moins une dizaine d’étrangers et d’Iraniens possédant une double nationalité ou un droit de séjour permanent dans un pays occidental. Les EtatsUnis, le RoyaumeUni, l’Australie,
l’Autriche et la Suède sont parmi les pays concernés.
Depuis l’épidémie du Covid19en Iran (le pays le plus touché au MoyenOrient, avec officiellement 6 988 morts), les inquiétudes sont vives quant à l’état de santé de Fariba Adelkhah, affaiblie après une grève de la faim de presque cinquante jours, jusqu’en février. Elle a été jugée en mars devant le tribunal révolutionnaire deTéhéran par le juge Abolghasem Salavati, connu pour ses verdicts sévères contre les opposants.
Inquiétudes pour la rechercheL’issue d’un appel est très incertaine : les tribunaux concernés sont plutôt politiques et peu de condamnations ont connu un allégement ou une annulation de peine en seconde instance. « Mais nous avons toujours de l’espoir quant à une libération », explique l’avocat de Fariba Adelkhah. « Le but de l’Iran est de manière générale l’échange des prisonniers comme Fariba Adelkhah contre
les citoyens iraniens détenus à l’étranger, explique un connaisseur en Iran des dossiers politicosécuritaires, qui préfère rester anonyme. Dans le cas de Fariba Adelkhah, il est probable que la chercheuse soit relâchée contre la libération d’un Iranien détenu en Europe, mais qu’elle soit empêchée de retourner en France, au moins pour quelque temps, pour que l’affaire perde de son importance. »
Du fait de sa condamnation, lesinquiétudes sont vives au sein des milieux de la recherche liée à l’Iran. « La situation, notamment, des chercheurs dans le domaine dessciences humaines qui collaborent avec les universités à l’étranger devient très compliquée, soutient ununiversitaire iranien en France qui préfère garder l’anonymat. Les chercheurs qui ont besoin des sources académiques en Iran ou de mener des études de terrain dans ce pays doivent, au moins à court terme, attendre ou même changer leur sujet de recherche. »
ghazal golshiri
Nouveau gouvernement en Israël après 500 jours de campagneLa coalition d’« urgence », censée d’abord se concentrer sur la crise due au Covid19, associe Benyamin Nétanyahou à son rival, Benny Gantz
jérusalem correspondant
L e plus vaste gouvernement de l’histoire d’Israëla prêté serment, dimanche 17 mai : pas moins de
trentesix ministres et seize viceministres s’y serrent. Il fallait bien ça pour respecter l’accord conclu par Benyamin Nétanyahou et son « premier ministre d’alternance », Benny Gantz, au terme d’une campagne qui s’est étirée sur plus de 500 jours, à travers trois scrutins législatifs, depuis avril 2019.
M. Gantz prend le ministère dela défense et prévoit de succéder à M. Nétanyahou à la tête du gouvernement dans dixhuit mois. Cet accord complexe, miné par le manque de confiance entre les deux hommes, a été ancré par les parlementaires dans la Loi fondamentale le 7 mai. Dans la pratique, il faitcraindre la paralysie : sur quoi s’entendre, comment avancer ?
« La population veut un gouvernement d’unité, et c’est ce qu’elle obtient aujourd’hui », a affirmé M. Nétanyahou dimanche, avant d’annoncer la date prévue de la passation des pouvoirs à son partenaire : le 17 novembre 2021. Durant les six premiers mois, leur gouvernement se veut modestement d’« urgence » : il est censé gérer presque exclusivement les contrecoups de l’épidémie de Covid19, qui a mis un million d’Israéliens au chômage, soit près d’un quart de la force de travail.
La moitié des portefeuilleséchoient à M. Gantz et à ses alliés, en dépit de leur faible poids à la Knesset (dixsept sièges sur cent vingt). Le général Gantz, qui a affirmé une nouvelle fois son sens de la « responsabilité » dimanche, y voit un accord « équilibré ». Ses
proches se font fort d’encadrer le premier ministre jusqu’au passage de relais, en premier lieu au sein du ministère de la justice, dont ils prennent la direction. Le procès pour corruption, fraude et abus de confiance de M. Nétanyahou doit s’ouvrir dès le 24 mai.
Aucune chance que le nouveauministre de la justice, Avi Nissenkorn, n’annonce un nouveau report de l’audience, comme l’avait fait son prédécesseur, Amir Ohana, dès le début de l’épidémie. Mais le diable est dans les détails. M. Ohana obtient en retour le ministère de la sécurité publique. Il y nommera plusieurs hauts fonctionnaires de police, dont les postes demeuraient vacants, à l’heure où des enquêteurs de police serontappelés à témoigner devant les juges de M. Nétanyahou.
« Gâchis » de deniers publicsL’expartenaire de M. Gantz à la direction du mouvement Bleu Blanc, Gabi Ashkenazi, obtient les affaires étrangères. Mais on imagine mal comment cet exchef d’étatmajor de l’armée pourrait échapper au sort de ses prédécesseurs, éclipsés par M. Nétanyahou,qui tend à incarner seul la diplomatie israélienne. D’autant que le premier ministre a rappelé auprès de lui plusieurs poids lourds du métier, dont l’ambassadeur à Washington, Ron Dermer. Le Parti travailliste, héritier des fondateursde l’Etat d’Israël, en 1948, réduit à deux députés, se joint à cet équipage, Amir Peretz obtenant le ministère de l’économie.
Parmi les alliés du premier ministre, le manque d’air au sommetde l’Etat se fait également sentir. Il a suscité, jeudi, une rébellion ouverte au sein de son parti, le Likoud, qui a repoussé de quarantehuit heures la formation du gouvernement. Pour ne pas trop s’aliéner ses barons, M. Nétanyahou a dû découper des portefeuilles en tranches, en créer de toutes pièces, à l’intitulé vague, organiser des rotations à leur tête et expédier les alliés les moins indispensables en ambassade à l’étranger – ainsi, l’exministre de la sécurité publique, Gilad Erdan, cumulera les postes d’ambas
sadeur à Washington et auprès desNations unies, à New York.
Le libéral Yaïr Lapid, exallié deM. Gantz et leader d’une opposition désunie, sans aucun dénominateur commun, a beau jeu de dénoncer « un gâchis » de deniers publics. Il souligne qu’Israël comptera bientôt plus de ministres que de malades du Covid19 sous respirateur. Finalement, c’est un gouvernement de fidèles que M. Nétanyahou verrouille autour de lui. Yuli Edelstein, exprésident de la Knesset, qui a tenu le Parlement au moment crucial où son parti y était minoritaire, obtient le ministère de la santé.
Il est remplacé par Yariv Levin,l’un des artisans de l’accord avec M. Gantz. Miri Regev, voix tonitruante dans les médias, obtient leportefeuille des transports. L’ultraorthodoxe Yaakov Litzman, qui a démissionné du ministère de la santé en avril, sous le feu des critiques, obtient sans difficulté celui du logement, cher à ses électeurs. Le maintien des partis ultraorthodoxes au gouvernement devrait permettre à ceuxci de faire barrage aux promesses de campagne de M. Gantz. Ce dernier avait ambitionné, un temps, de modifier les rapports entre le domaine religieux et l’Etat, en réduisant l’exemption de service militaire dont bénéficient les étudiants en yeshiva (école religieuse).
Parmi les rebelles et les déçus dela droite, Gideon Saar, qui avait osése présenter contre M. Nétanyahou durant les primaires du parti, en décembre 2019, demeure simple parlementaire. Plus grave : les alliés de Yamina, alliance de la droite ultranationaliste et religieuse (cinq sièges), manquent à
l’appel. L’un des leurs, le rabbin Rafi Peretz, a fait défection pour prendre le ministère chargé de Jérusalem. Mais, après des mois passés à multiplier les serments d’allégeance, le ministre de la défense,Naftali Bennett, est débarqué, et Ayelet Shaked, exministre de la justice et éternelle étoile montante, est oubliée. Accusant M. Nétanyahou de leur avoir « coupé les ailes », ils promettent de le presser sur sa droite, en attendant sa fin.
Gage donné à cette droite religieuse, Tzipi Hotovely, relais apprécié des colons au sein du Likoud, obtient le portefeuille des « implantations » pour quelques mois – elle est appelée par la suite àl’ambassade israélienne de Londres. Dimanche, Mme Hotovely a été prompte à affirmer à la presse que ce gouvernement annexerait enfin des territoires palestiniens en Cisjordanie, entre les mois de juillet et de septembre.
« Processus historique »L’annexion, qui romprait avec le régime d’occupation militaire en vigueur depuis les conquêtes de 1967, est le seul acte politique qu’autorise l’accord de M. Gantz etM. Nétanyahou dans les six premiers mois de leur gouvernement, en dehors de la lutte contre le virus. Dimanche, dans un discours à la Knesset, M. Nétanyahou a rappelé ses alliés ultranationalistes à contribuer à ce projet.
« Le temps est venu pour quiconque croit à nos droits sur la terre d’Israël de se joindre à un gouvernement que je dirige pour mettre en œuvre ensemble un processus historique », affirmaitil. En visite à Jérusalem, mercredi, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, s’était abstenu d’encourager l’allié israélien à appliquer trop vite le « plan Trump » pour le ProcheOrient, révélé en janvier, qui ouvrela voie à l’annexion. M. Pompeo s’était contenté d’affirmer qu’une telle décision relevait de la souveraineté israélienne, avant de s’entretenir avec M. Gantz. Le général est, quant à lui, rétif à l’annexion, comme l’essentiel de l’appareil sécuritaire israélien. Il n’en a pas dit mot dimanche.
louis imbert
L’annexion des territoires
palestiniens est leseul acte politique
qu’autorise l’accord dans les
six premiers moisde gouvernement
Très peu de condamnations
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seconde instance
M. Nétanyahou adû découper desportefeuilles en
tranches, en créer de toutes
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14 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MARDI 19 MAI 20200123
Le cri d’alarme des équipementiers automobilesAu moment de devoir redémarrer, la filière est au bord de l’asphyxie du fait d’un manque de liquidités
I l se présente parfois comme« la Jeanne Calment du décolletage ». Roger Pernat,75 ans dont cinquante ans
de mécanique de précision dans la vallée de l’Arve, entre Genève etChamonix (HauteSavoie), en avu passer des crises, du choc pétrolier de 1973 à l’effondrement financier de 20082009. Mais cellelà, le président du groupe Pernat – 90 millions d’euros de chiffre d’affaires, 500 employés – lui aura fait baisser la tête comme à un boxeur qui aurait pris un coupsévère à l’estomac. « Cela ne fait que commencer, commentetil.On peut s’attendre à des effets detrésorerie mortels pour les entreprises qui ne sont pas bordées decash. Il y aura de la casse. »
La casse, c’estàdire la cessationde paiement, le tribunal de commerce, la liquidation, le chômage… La casse, elle a déjà commencé, avec la mise en redressement judiciaire, le 11 mai, de Novares, spécialiste des piècesplastiques, 12 000 salariés, unchiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros, brûlant 4 millions d’eurospar jour, incapable d’honorer ses factures et qui, désormais, attend son repreneur pour la fin mai.
Ils sont ainsi des dizaines de patrons de la filière amont de l’automobile française, dirigeants de petites, moyennes et parfois assez grandes entreprises, à mal dormir la nuit. Au moins 120 sociétés, représentant 72 000 emplois si on s’en tient aux seuls adhérents de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), qui fédère les équipementiers.
Audelà des mastodontes quesont Faurecia, Valeo ou Plastic Omnium, se cachent de belles réussites industrielles françaises méconnues : Lisi Automotive(fixation mécanique), ARaymond (solutions d’assemblage), Le Bé
lier (pièces d’aluminium), Punch (boîtes de vitesses), GMD (pièces métalliques et plastiques), des plasturgistes comme Plastivaloire, ou Akwel, qui se propose de reprendre Novares. Ces sociétés oscillent entre 0,5 et 1,5 milliard d’euros de ventes. Elles ont créé des milliers d’emplois. Elles se sont développées hors de France.Et, aujourd’hui, elles souffrent.
« La chute de notre chiffre d’affaires est vertigineuse en avril, constate François Liotard, directeurgénéral de Lisi Automotive, avec − 80 % ou − 90 % dans certains sites français. C’est irréel. Ce sont desmagnitudes qui n’ont pas de précédent. Quant à la reprise de mai, ellereste faible, avec 40 % des volumeshabituels. » « Jusqu’ici, ces entreprises vivaient avec les factures de janvierfévrier et sans besoin defonds de roulement, puisque l’activité était à l’arrêt et que le chômage partiel avait pris le relais, explique Marc Mortureux, directeurgénéral de la Plateforme automobile (PFA), l’entité publique quicoordonne les entreprises du secteur. Mais, en juin, nous entrons dans une période très dangereuse. L’absence des factures de mars etavril va se faire sentir au moment où il faut de l’argent pour le redémarrage. Beaucoup de sociétés vont être étranglées. »
La situation est d’autant pluscritique que certains fournisseurs étaient fragilisés par la transformation environnementale de l’industrie, sommés depasser des motorisations thermiques vers les motorisations électriques. « Dans la vallée del’Arve, mes collègues et moi avonsbeaucoup investi sur des projets de moteur hybride et nous noussommes beaucoup endettés »,souligne M. Pernat.
« Stocks énormes »Dans ce contexte délicat, les faillites des uns peuvent accélérer celles des autres. « Novares est un de nos clients, souligne M. Liotard. Heureusement, nous avons une assurancecrédit. Mais, en ce moment, de plus en plus d’équipementiers perdent leur assurancecrédit. Cela fait entrer le secteurdans une zone de risque avec desdéfaillances en cascade. »
Si les acteurs se félicitent unanimement des mesures actuelles desoutien à l’économie (chômagepartiel, report de charges, prêts garantis), ils réclament tous une sortie très progressive de ces dispositifs. Et, surtout, ils appellent àun plan de soutien rapide et massif à l’achat automobile. Une nouvelle prime à la casse. « Nous sommes bien aidés par le gouvernement, mais, là, on a un besoin urgent de retravailler », résume
A La RochesurYon, les « Michelin » plus très sereins sur leur avenirAprès la fermeture de l’usine du groupe, beaucoup étaient confiants sur leur reclassement. La crise sanitaire et économique les a rattrapés
la rochesuryon correspondant
J eanLouis Divet demande à cequ’on le rappelle plus tarddans la journée. « J’ai un rendezvous en visioconférence
avec le cabinet Altedia, il ne fautpas que je le rate. A 50 ans, si jeveux retrouver du boulot, je dois me donner à 100 %. » Le reclassement, cet ancien responsabled’équipe connaît. « C’était en 1993,lors de la fermeture d’un atelier de l’usine de Tours. Je suis passé d’un site Michelin à un autre. Aujourd’hui, c’est différent, on parle d’un arrêt total d’activité. »
Communiquée le 10 octobre 2019, la fermeture de l’usine de La RochesurYon prendra effet fin 2020. Un coup de massuepour les 619 salariés du dernierfleuron français de confection depneus poids lourds, rapidementatténué par la promesse d’unbassin d’emplois vendéen comme amortisseur à ces centai
nes de licenciements annoncés. A tel point que 78,7 % des ouvriersse sont prononcés à 96,1 % en faveur de négociations dans le cadre d’un plan de sauvegarde del’emploi (PSE). Sept mois et une double crise sanitaire et économique plus tard, ce reclassements’avère bien plus compliqué àmener que prévu.
« Ça a bougé », reconnaît Laurent Bador, délégué central CFDT, qui a pourtant fait le déplacement depuis Clermont pour acter, le 13 mai, quatre nouvellespromesses d’embauche en CDI.« La réalité, nuance Nicolas Robert, de SUD Michelin, c’est que, sur les vingt CDI déjà engagés, la majorité a soit été repoussée, soit transformée en CDD. » Contactés, certains des salariés concernés n’ont pas souhaité donner suite à nos sollicitations. « Le contexte étant ce qu’il est, je préfère ne pasme griller », a fini par déclarer un« exMichelin ».
Paralysées par une situationéconomique fortement dégradée,la majorité des 24 000 entreprisesrecensées par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Vendée ont cumulé près de 400 millions d’euros d’aides et de reports de crédits. « Des chiffres qui permettent de mesurer l’ampleur des dégâts », a réagi Arnaud Ringeard,président de la CCI, lors de la présentation d’une enquête réalisée
auprès de 2 115 entrepreneurs vendéens, entre le 29 avril et le 11 mai.
Anticipant le recours massifau chômage partiel (au mois d’avril, 26,4 millions d’heures de travail ont été autorisées pour 60 000 salariés vendéens) et lesproblèmes de trésorerie à venir, laCGT s’est rapidement inquiétéedu respect des règles du PSE auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
« Inégalité de traitement »« Ce confinement va diminuer letemps de recherche d’emploi oude formation », prédisait AntonyGuilloteau. Interrogé au lendemain du déconfinement, le délégué CGT confirme qu’« il est difficile de se projeter, les formations prévues en mars ayant étédécalées sine die ».
Pour JeanLouis Divet, « il y aclairement eu inégalité de traite
ment entre les salariés. Pour répondre aux demandes d’Altedia, il fallait s’équiper en logiciels informatiques, dit encore le salariéaux vingtneuf ans d’ancienneté. Un investissement difficile pour beaucoup. »
C’est notamment le cas de WillyPalierne. « Pour être candidat, j’aibesoin d’engager rapidement unevalidation des acquis de mes trente années en tant que contrôleur qualité, mais les logiciels demandés sont bien trop chers. » « Avant la reprise du 11 mai et lapossibilité de pouvoir revenir se former sur le site, deux fois deuxheures par semaine, il n’était pastrès difficile à la direction de proposer gratuitement des supports informatiques avec un mot depasse commun », tempête Antony Guilloteau.
« Nous n’avons pas laissé les salariés seuls, répond la direction deMichelin. Pendant la période de confinement, ils ont bénéficié de
quatrevingtcinq entretiens à distance avec le cabinet Altedia. » Face à « l’inquiétude de certains,compte tenu du contexte », cettedernière a pourtant refusé la demande du comité social et économique d’allonger la durée de congé de reclassement des salariés, au motif « qu’ils ont, au minimum, jusqu’à septembre 2021pour retrouver un emploi ».
Bénéficiant toujours de l’arrêtindemnisé, la majorité des « Michelin » réfléchit encore à sa reconversion, 52 ont choisi la mobilité interne et une centaine les mesures d’âge. Quant aux 70 ayant opté pour le congé sanssolde et un travail dans l’agroalimentaire ou la plaisance, « ilssont passés de 2 000 euros ausmic », dit Antony Guilloteau, quianticipe déjà une hausse des demandes de reclassement, notamment sur le site Michelinvoisin de Cholet.
pierreyves bulteau
A l’usine Renaultde Flins (Yvelines),le 6 mai.GONZALO FUENTES/REUTERS
« La chute de notre chiffre
d’affaires est vertigineuse
en avril »FRANÇOIS LIOTARD directeur généralde Lisi Automotive
Alain Martineau, le PDG de GMD. « Il y a des stocks énormes dansles concessions, indique ClaudeCham, le président de la FIEV. Il faut absolument vider ce tuyau eten profiter pour rajeunir un parc qui a plus de dix ans d’âge moyen. C’est pourquoi nous plaidons pourun plan qui irait audelà des seuls véhicules neufs. » « Il faut un plan coup de fouet pour regarnir lescarnets de commandes », ajoute M. Liotard. « Faisons au plus vite pour éviter l’effet d’attentisme », complète Roger Pernat.
Tous ne sont pas forcémentd’accord sur la nature écologique du plan de relance : « Il doit s’inscrire dans l’actuelle trajectoireCO2 », estime François Liotard.« Evitons qu’il soit trop spécifique, sinon il ne servira à rien, préfère M. Pernat. Si, en plus, on tape sur lavoiture traditionnelle, on va être totalement à genoux. »
éric béziat
« Il est difficilede se projeter,les formations
prévuesen mars ayant
été décaléessine die »
ANTONY GUILLOTEAUdélégué CGT
Fiat Chrysler négocie un emprunt de 6,3 milliards d’euros avec RomeLe constructeur italo-américain Fiat Chrysler (FCA) est en discus-sions pour contracter un emprunt – 6,3 milliards d’euros au plus – garanti par l’Etat italien, a annoncé l’entreprise, samedi 16 mai. Cette facilité de crédit de trois ans, négociée avec la banque Intesa Sanpaolo, est destinée à aider le constructeur ainsi que ses 10 000 fournisseurs, petits ou moyens, à passer le cap de la crise due au Covid-19. FCA, qui est engagé dans un processus de fusion avec le français PSA, est le second grand industriel automobile à demander un soutien financier étatique après Renault, qui attend, en France, la garantie de l’Etat pour 5 milliards d’euros de prêts.
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0123MARDI 19 MAI 2020 économie & entreprise | 15
L’avenir de Conforama suspendu à l’octroi d’un prêt garanti par l’EtatLe groupe d’ameublement ne peut pas financer sa restructuration
D ans le secteur de laconsommation, FnacDarty l’a eu (500 millions d’euros), Casto
rama et Brico Dépôt, propriété de Kingfisher, viennent de l’obtenir (600 millions d’euros), la Cafom, propriétaire d’Habitat et de Venteunique.com, aussi, mais pas Alinéa, qui a annoncé son placement en redressement judiciaire, samedi 16 mai. Conforama, lui, attend toujours l’obtention duprêt garanti par l’Etat (PGE) de320 millions d’euros, selon nos informations, sollicité il y a plusieurs semaines.
La dernière réunion sous l’égidedu Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI),avec les quatre banques qui ont accompagné sa restructuration en 2019 (Crédit du Nord, LCL,HSBC et BNP), vendredi 15 mai, n’apas débloqué la situation. Pour le distributeur français de produits d’ameublement, la situation estde plus en plus tendue. Sans cet apport financier, il risque, dans les prochaines semaines, la mise en redressement judiciaire.
Après le scandale financier lié àdes irrégularités comptables de son actionnaire principal, legroupe Steinhoff, en 2017, Conforama avait été pris dans une tempête financière qui a abouti, en juillet 2019, à un vaste plan de restructuration : 32 magasins Conforama en France fermés en 2020, et
10 Maison Dépôt, entraînant la suppression de 1 900 emplois – sur quelque 9 000 en France. Un plan de sauvegarde de l’emploi(PSE) avait été mis en place pour accompagner le départ des salariés et la fermeture des magasinsprogrammée en trois vagues, à partir du 15 avril.
Quelques acquéreurs pour lesmagasins s’étaient même présentés, comme But et Lidl. Depuis, les résultats financiers commençaient à s’améliorer. Le chiffre d’affaires a progressé de 1 % au quatrième trimestre 2019, par rapportà 2018, et la tendance se poursuivait jusqu’en février. « On était sur la voie du retour de la rentabilité, avec une trésorerie positive depuis le mois d’octobre. Le Covid19 nous a fait sortir de la trajectoire », explique la direction de Conforama.
Depuis plusieurs semaines, celleci négocie avec difficulté cet apport financier. L’Etat a même accepté d’augmenter sa garantie
à 90 %, au lieu de 80 % dans d’autres dossiers, pour que le prêtsoit bouclé. Rien n’y a fait. L’une des quatre banques, BNP, ayant même séché la dernière réunion,vendredi 15 mai, organisée par leCIRI. « Et HSBC semble moins intéressée à soutenir des investissements français, indique Jacques MosséBiaggini, délégué syndicalcentral FECFO. Avec l’augmentation de l’engagement de l’Etat, c’estdifficilement compréhensible. »
But se dit prêt à investirOr, sans ce prêt, outre une mise à mal de la situation financière del’entreprise, pas de financement du plan social pour les salariés. Un emprunt de 110 millions d’euros précédemment contracté, conditionné à plusieurs indicateurs financiers du groupe,devait permettre de financer les conditions négociées avec lessyndicats. « C’est le serpent qui se mord la queue ! », se désoleM. MosséBiaggini. Certains salariés ayant déjà quitté l’entreprise, environ 1 500 personnes sont encore concernées. « Les propositions de reclassement internes devaient être envoyées à partir du 11 mai, et les premières notifications de licenciement devaient partir début juin. Tout est gelé », poursuit le syndicaliste.
Rien de signé non plus du côtédes acheteurs potentiels des magasins. But s’est retiré des négo
ciations au début de l’année, refusant de reprendre en l’état,comme la loi le prévoit, les contrats de travail des salariés. L’enseigne a également envoyé début mai, comme l’a révélé Le Parisien, « une marque d’intérêt sur une sélection d’actifs qui ne correspondni aux intérêts des salariés, ni àceux de la filière », indique la direction de Conforama.
Alors qu’aujourd’hui le patronde But se dit prêt à investir, selon leFigaro, de 200 millions à 300 millions d’euros dans son concurrent,Conforama est méfiant, rappelant qu’il y a un an, des discussions de rapprochement entre les deux enseignes avaient échoué, car l’entreprise n’avait jamais reçu d’offre ferme de la part de But.
« Le plan A est toujours d’obtenirle PGE, et le plan B serait la mise enredressement judiciaire, et on travaillera alors à un plan de continuité. D’ici là, si But formulait une offre acceptable, nous l’étudierons », assure la direction.
Pour le moment, Conforama n’arouvert que 19 magasins en libreservice sur 182. Entre les magasinsdevant fermer définitivement etles autres, la situation est compliquée pour l’ensemble des salariés,qui « sont plongés dans l’insécurité quant à la viabilité de leur entreprise et la pérennité de leur emploi », s’inquiétait, samedi, la CGT dans un communiqué.
cécile prudhomme
Le plan de restructuration
prévoit la suppression
de 1 900 emplois,sur quelque
9 000 en France
Donald Trump n’est pas un geek, c’est un promoteur immobilier. Ce qui intéresse le président américain, c’est la transaction du moment, pas les conjectures sur le futur des technologies. Pourtant, dans la guerre qu’il mène actuellement pour abattre l’équipementier télécoms chinois Huawei, il est en train de modifier en profondeur l’organisation du hightech mondial et son avenir. C’est le sens de l’avertissement adressé au fabricant taïwanais Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) de ne plus fournir Huawei en puces haut de gamme, qu’il est l’un des seuls au monde à savoir fabriquer.
Si, aujourd’hui, un smartphoneest plus puissant qu’un superordinateur des années 1980, c’est grâce à la progression continue de la capacité de calcul des puces électroniques. L’un des fondateurs d’Intel, Gordon Moore, avait constaté que, à prix constant, le nombre de transistors insérables sur une puce doublait tous les deux ans. Ce qu’on a appelé la « loi de Moore » se vérifie depuis près de quarante ans. Elle est au fondement de la révolution des microordinateurs, puis, aujourd’hui, des smartphones et, derrière, des usines géantes qui gèrent le trafic Internet mondial.
Cette loi empirique a été renduepossible par une organisation mondiale qui a poussé les entreprises à la spécialisation. En 1987, le SinoAméricain Morris Chang
fonde TSMC, avec comme objectif de produire des puces pour tous ceux qui le souhaitent. En se concentrant sur la production, il a pu, grâce aux effets d’échelle, déjouer ce que ne dit pas la loi de Moore : chaque génération de puces nécessite une nouvelle usine deux fois plus chère que la précédente. Quelques centaines de millions de dollars dans les années 1990, plus de 10 milliards aujourd’hui. TSMC, qui investit 16 milliards de dollars (14,8 milliards d’euros) par an, ne vend rien sous sa propre marque, contrairement à Samsung. Il est donc le plus demandé, d’Apple à Huawei, mais aussi par tous les électroniciens américains comme Qualcomm, Broadcom ou Nvidia, qui ont préféré se concentrer sur la conception.
Spécialisation des tâchesCette spécialisation des tâches au niveau mondial est clé dans l’avènement de la société de l’information, qui nous permet à tous de télétravailler en visioconférence. On pensait que la loi de Moore buterait sur les limites physiques de la finesse de gravure des puces, qui se rapproche de l’épaisseur d’un brin d’ADN. Ce sera peutêtre finalement la politique, qui, en limitant la spécialisation des acteurs et la taille de leur marché mondial, et donc la rentabilité d’opérations aussi coûteuses, aura raison de cette période exceptionnelle dans l’histoire mondiale des technologies.
PERTES & PROFITS | TSMCpar philippe escande
Donald Trumpcontre la loi de Moore
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16 | économie & entreprise MARDI 19 MAI 20200123
Le télétravail pour tous ?L’expérience du confinement a validé la possible extension du travail à distance pour certains métiers. Des barrières sont tombées et les contraintes sont mieux connues. Les employeurs pensent désormais à des modes d’organisation alliant travail chez soi et dans l’entreprise
Une famille parisienne se partage un ordinateur en télétravail durant le confinement. BRUNO LÉVY
DOSSIER
J’ ai appelé mon directeur à 8 heures. On a créé un Skype et on partage le même bureau. J’appuiesur un bouton, il voit ce que jevois », raconte Elise Geinet, responsable commerciale installéeà Bordeaux dans sa cuisine, « car
la pièce est grande ». Le télétravail était le quotidien d’Elise avant le Covid19, il l’estpendant et le sera probablement après. Leministère du travail a estimé à 30 % (7 millions de personnes) la part de la population active susceptible de travailler à distance– davantage dans les grandes entreprises que dans les petites. Fin mars, un salariésur quatre était en télétravail, selon une enquête de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Et alors même qu’un tiers des employeurs n’y étaient pas favorables avant la pandémie, plus de 90 % d’entre eux l’ont misen place. Qu’en resteratil dans l’organisation du travail de l’aprèscrise sanitaire ?
Le premier atout de cette expérience horsnorme est d’avoir mis en place ce qui semblait irréalisable. L’idée même de travaillerà distance était jugée incompatible dans des secteurs entiers de l’industrie ou des services, comme la banque. « Il n’y avait pasdu tout de télétravail dans le réseau [d’agences bancaires] pour des raisons de sécurité essentiellement, explique Philippe Fournil, délégué CGT de la Société générale. Avec lacrise sanitaire, ce qui était impossible pendant des années est devenu un peu possible,et on a été équipés. » Même scénario pourles services informatiques du géant du conseil Accenture, qui n’avaient pas accès au télétravail pour des raisons de sécurité etd’infrastructure.
Certains métiers (cardiologue, député) oucertaines activités (la gestion de projets) excluaient également le travail à distance. Depuis mars 2020, tous les médecins consultent à distance, les commissions parlementaires et les auditions d’experts se tiennenten visioconférence, les informaticiens travaillent à domicile et les projets collectifs avancent, même à l’international. « Remettresur les rails un projet qui se développe en Asiesans se rendre sur place paraissait inconcevable », reconnaît Vinciane Beauchene, directrice associée au Boston Consulting Group. Cela ne l’est plus désormais. Y com
pris en « mode agile » : « Des équipes techniques qui doivent sortir des produits en mode itératif sur des boucles très courtes (on teste,on adapte) ne travaillaient qu’en présentiel, les chercheurs ont réussi à continuer à distance. La généralisation du télétravail nous a permis de repousser la frontière de ce qu’on croyait impossible », résume Julien Fanon, consultant associé chez Accenture.
« PAS UNE FIN EN SOI »Le télétravail ne va pas pour autant devenir la règle de l’après11 mai. Lors de sa présentation du plan de déconfinement progressif, le28 avril, le premier ministre, Edouard Philippe, a rappelé que « nous allons devoir vivreavec le virus » et a demandé aux entreprises de maintenir le télétravail « partout où c’est possible » durant cette période. Mais lesdeux tiers des postes ne sont pas compatibles avec le travail à distance, indique le ministère du travail. Et même si « on est capables d’œuvrer en télétravail, certains trouvent
que c’est compliqué. Le télétravail crée del’isolement et une certaine fatigue, car on est tout le temps au téléphone. Le lien social n’estpas le même et il y a encore des choses qu’on n’arrive pas à faire », remarque Hélène Gemähling, DRH de Nespresso France. Depuis la mimars, nombreux sont les salariés qui ont pris conscience de la perte de lien social, tentant de reproduire en visioconférence tout ce qui ressemble au côté informelde la machine à café.
L’urgence de la situation a poussé les entreprises à repenser l’activité à 100 % en télétravail. PSA en a déjà conclu qu’à l’avenir ce serait la référence pour les activités nonliées à la production. La présence sur site nesera plus que « d’une journée à une journéeet demie par semaine en moyenne » pour lessalariés dans le tertiaire, le commercial et la recherchedéveloppement, a précisé le DRH,Xavier Chéreau. Dans l’incertitude du moment, les entreprises envisagent plus généralement de renforcer la place du télétravail
dans l’organisation par hybridation. « Le télétravail n’est pas une fin en soi, relève Olivier Girard, le président FranceBeneluxd’Accenture. Quand on ne sera plus en crise sanitaire, on ne restera sans doute pas à 30 %de l’économie française en télétravail, mais l’organisation du travail sera devenue hybride, avec du télétravail et du présentiel.Les discussions pour aller plus loin dans lesaccords [de télétravail, en place depuis 2010]étaient ouvertes avant le coronavirus et vont se poursuivre. »
Introduit dans le code du travail depuis laloi Warsmann II du 22 mars 2012, le télétravail n’est plus l’apanage des seuls cadres.Dans la dernière enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer), 61 % des télétravailleurs étaient cadres. « Il va y avoir un rééquilibrage entre le travail en présentiel et le télétravail, explique JeanCharles Voisin, DRH de Jungheinrich France, un fournisseurd’équipements industriels, spécialiste duchariot élévateur. Fin 2018, nous avions signéun accord de quatre jours par mois de télétravail exclusivement pour les cadres [25 % des 1 200 salariés], parce qu’ils étaient équipés. En24 heures, 50 % de l’effectif a dû télétravailler. On a paramétré tous les ordinateurs fixes de l’entreprise pour être utilisés à distance, et ça a marché. Pour l’“après”, on étudie l’extensiondu télétravail aux autres catégories de personnel, et les moyens matériels nomades (portables, téléphones…) à leur fournir. »
Les entreprises ont en effet dû se penchersur la question de l’équipement du télétravailleur. Chez Nespresso, le télétravail était déjà une pratique courante pour lesfonctions support (300 personnes sur un effectif de 1 400), à raison de deux jours par semaine. « On souhaitait étendre le télétravail au centre relation client de Lyon [170 sala
« LE LIEN SOCIAL N’EST PAS LE MÊME
ET IL Y A ENCORE DES CHOSES
QU’ON N’ARRIVE PAS À FAIRE »
HÉLÈNE GEMÄHLINGDRH de Nespresso
France
à en croire coronawork.fr, plus de 4 personnes sur 5 souhaitent continuer à télétravailler après la sortie de crise. Projet collaboratif, ce site a été lancé par six spécialistes de l’analyse de données pour mesurer etcomprendre l’impact de la mise en télétravail confiné de plus de 5 millionsde personnes. Entrepreneurs, ingénieurs ou sociologues, ils ont élaboré un questionnaire qui a récolté plus de1 540 réponses depuis le 16 mars. Lesdonnées brutes dressent une typologie des télétravailleurs.
L’expérience du travail à distanceest suffisamment positive pour que
60 % des répondants affirment vouloir télétravailler davantage quand la situation sera redevenue normale, car leurs conditions de travail se sont améliorées pendant le confinement.
Plus efficaces et plus concentrésS’ils disent travailler plus qu’avant, ilsaffirment aussi être plus efficaces et plus concentrés. Ils font égalementplus d’activité physique que lesautres. Ils envisagent de télétravailler une fois de temps en temps (44,3 %), le plus possible (14 %), voire tous les jours (1,7 %). Et 25,5 % souhaitent télétravailler « autant qu’avant ».
Les adeptes sont pour plus de 45 %des néotélétravailleurs. Ils ne pratiquaient jamais, ou exceptionnellement, le télétravail avant le confinement et souhaitent télétravailler au moins un jour par semaine. Ils sont engrande majorité employés et de professions intermédiaires. Les cadres et professions intellectuelles supérieures, qui représentaient 60 % des télétravailleurs avant la crise, souhaitentcontinuer autant sinon plus. Les aspirants au télétravail se répartissentégalement entre hommes et femmes.
En revanche, l’âge est un critère clivant. Seuls 14,5 % des télétravailleurs
interrogés refusent de continuer, mais ils sont 20,6 % chez les 1829 ans.Les plus jeunes, qu’on aurait pu croire plus adeptes du télétravail car désireux d’être libres de s’organiser et aguerris au numérique, réclament leur bureau. Ce pourcentage monte à 28,7 % pour les jeunes célibataires et à 36,1 % pour les jeunes femmes. Le besoin d’être en relation avec les autres et avec son manageur, alors que l’on commence sa carrière professionnelle, est important. Le lieu de travail reste un espace de sociabilité et derencontres essentiel pour les jeunes.
sophy caulier
Les jeunes étonnamment plus réticents
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0123MARDI 19 MAI 2020 économie & entreprise | 17
riés], où seuls les cadres télétravaillaient. Le confinement a accéléré la mise en œuvre, témoigne Hélène Gemähling. Tout le monde était déjà équipé d’ordinateurs et de casques. Mais certains sont venus chercher leur fauteuil ergonomique. Et au bout d’un mois de confinement, nous avons de nouvelles demandes de salariés qui souhaitent venir chercher leur fauteuil de bureau. »
« ACCÉLÉRATION CULTURELLE »A une autre échelle, chez Engie ou à la Société générale, le matériel a été fourni pendant le confinement. « On a acheté des portables pour le réseau (…). On a fait un stresstest grandeur nature. On a fait confiance aux staffs et on a eu raison », déclarait Caroline Guillaumin, la DRH du groupe Société générale, en téléconférence avec les syndicats, le 14 avril. Chez Engie, « le fait d’avoir à équiper 55 000 salariés pour interagir en télétravail a montré que tout cela était efficace pour tout le monde, constate de son côté Pierre Deheunynck, le DRH du groupe. On avait un niveaude maturité [numérique] intermédiaire, validé par un accord d’entreprise à deux jourspar semaine, et des salariés, comme les manageurs, pas très enthousiastes. Nous avons fait bouger le management. Des freins ont étélevés. » Dans le plan de continuité qui suivra le plan de reprise, le groupe envisage d’accorder une plus grande place au télétravail. « Certains salariés ont constaté que finalement, le télétravail, c’est pas si mal », résume M. Deheunynck.
Mais « le télétravail est bien plus que dutravail à distance, c’est un sujet culturel et de méthode. Ça remet le rôle de l’équipe en exergue, qui forge d’autres méthodologies », estime Olivier Girard. Accélération de l’acculturation numérique, acquisition de compétences techniques, autonomisation dessalariés : « En quelques semaines, on a réalisé cinq ans d’accélération culturelle », développe Julien Fanon.
Au jour le jour, les manageurs ont appris àfaire des réunions plus courtes, mieux organisées dans l’ordre du jour et la prise de parole, et à décider plus vite. « Les ateliers de créativité duraient deux heures minimum en présentiel. On a tout réinventé pour découperen séances de vingtcinq ou cinquantecinq minutes maximum, afin de pouvoir faire une pause entre chaque, car au téléphone, une
Sources : Insee, Dares, Fondation Jean-Jaurès, Kantar, Malako�-HumanisInfographie : Philippe Da Silva, Maxime Mainguet
Informationet communication
Activités �nancièreset d’assurance
Activités immobilières
Activités scienti�queset techniques, services
administratifs de soutien
Fabrication d’équipementsélectroniques, informatiques.
Fabrication de machines
Fabrication de matérielsde transport
Enseignement, santéet action sociale
Fabrication d’autresproduits industriels
Commerce et réparationautomobile
Transports et entreposage
Fabrication de denréesalimentaires, de boissons
et de produits à base de tabac
Industries extractives,énergie, eau, gestion
des déchets et dépollutionConstruction
Hébergement et restauration
Part des salariés en télétravail entre les 23 et 27 mars 2020 selon les secteurs, en %
63,1
55,3
41,5
38,2
36,6
29,7
22,6
21,5
18,5
15,4
12,6
11,8
11,7
5,8
Secteurs où le télétravailest souvent possible et qui étaient déjà les plus enclins à le pratiquer avant le con�nement.
Secteurs dans lesquels peu de salariés peuvent télétravailler. Durant le con�nement, ceux-ci sont donc le plus souvent au chômage partiel.
En 2017 (ensemble des entreprises)
3,1 % régulièrement (au moins 1 jour par semaine)
Depuis le début du con�nement (entreprises de plus de 10 salariés)
25,3 %*
3 salariés sur 10 exercent un métier dans lequel le télétravail est a priori possible.
* Le chi�re pour l’ensemble des entreprises privées, qui inclurait donc celles de moins de 10 salariés, est probablement un peu moins élevé, ces dernières utilisant légèrement moins le télétravail. Toutefois, il resterait largement au-dessus du chi�re de 2017.
+ 4,2 % occasionnellement
Salariés du privé pratiquant le télétravail :
De 10 à 49 salariés
De 50 à 249 salariés
De 250 à 499 salariés
500 salariés et plus
De 10 à 19 salariés
De 20 à 49 salariés
De 50 à 99 salariés
De 100 à 249 salariés
De 250 à 499 salariés
500 salariés et plus
Employés OuvriersCadres
Selon la taille de l’entrepriseSelon le statut
En 2017 (secteurs privé et public)
Fin mars (secteur privé)
0,21,411,1
7023 8
Employés OuvriersCadres
2,3
3,6
2,5
4,5
18,2
20,3
22,9
26,7
28,1
28,6
Part des salariés en télétravail régulier, en %
Part des salariés télétravaillant durant le con�nement voulant prolonger l’expérience après
« Diriez-vous que vos conditions de télétravail sont… »
Très satisfaisantes
Assez satisfaisantes
Peu satisfaisantes
RégulièrementPonctuellement
Pas du tout satisfaisantes
25 16
3241
3
56
Une pratique plébiscitée, mais qui concerne surtout les cadres
Une expérience satisfaisante qu’une partie des salariés souhaiteraient reconduire
Le con�nement a fait exploser le recours au télétravail Une progression généralisée mais massive pour les acteurs et secteurs les plus habitués
« LES ENTREPRISES ONT PRIS
CONSCIENCE QUE LE TÉLÉTRAVAIL
RENFORCE LA NÉCESSITÉ D’AVOIR UNE STRATÉGIE ET
UNE VISION CLAIRE DE SES PRIORITÉS »
VINCIANE BEAUCHENEdirectrice associée au
Boston Consulting Group
quand, du jour au lendemain, plusieurs millions d’employés et d’agents de collectivités se sont retrouvés à travailler depuis leur domicile, les cybercriminels se sont frottéles mains. Dès les premiers jours du confinement, les utilisateurs se sontprécipités sur les applications de visioconférence. Le nombre de réunions organisées chaque jour sur Zoom est ainsi passé de 10 millions endécembre 2019 à 300 millions finavril… Mais utiliser une telle application sans avoir activé ou non les différents paramètres expose aux fuites de données, à la présence de participants non invités et à l’enregistrement des échanges. Rapidement accusée de ne pas chiffrer les réunions et de faire transiter certains échanges par des serveurs en Chine, l’application a été interdite par nombre d’entreprises, et même d’Etats. Elle a été corrigée depuis. Mais si l’on ne tient pas à voir ses discussions entre collègues exploitées par des inconnus
malveillants, mieux vaut consulter la politique de confidentialité.
Les données personnelles et professionnelles sont d’autant plus à risque que beaucoup d’employés ont commencé à télétravailler sur l’ordinateurde la maison. « Les logiciels y sont rarement mis à jour, il y a donc un risque lorsqu’on les autorise à accéder auxserveurs des entreprises », remarque Gérôme Billois, associé cybersécuritéet confiance numérique au cabinet deconseil Wavestone, sauf pour les entreprises qui ont déjà migré une partie des applications dans le cloud. Les logiciels de messagerie, les documents et les données sont alors accessibles en ligne sans passer par le système informatique de l’organisation.
« Le collaborateur est le premier rempart de l’entreprise, il faut lui faire adopter les bonnes pratiques », affirme Stéphane Tournadre, responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) du groupe Servier. Le laboratoire a montré à ses salariés com
ment l’application de suivi du Covid19 sur la carte du monde, largement diffusée sur les smartphones, servaiten fait à exfiltrer les données des mobiles… « Cet exemple dans l’environnement personnel leur a fait mesurer ce qu’il peut se passer dans le monde professionnel. » Et pour éviter que des données sur les savoirfaire industriels ou de recherche s’égarent, Servier a tout simplement proscrit le papier pour ceux qui travaillent à domicile. Les assistantes ont créé les procédures d’utilisation de la solutioncollaborative Teams, adoptée par toute l’entreprise.
« Remettre tout cela en ordre »Les rançongiciels qui visent les particuliers se sont aussi multipliés depuisla mimars. Ces logiciels malveillantschiffrent les fichiers de l’ordinateur puis exigent une rançon pour délivrerla clé de déchiffrement. « Mais il s’agit de faibles montants, et les risques neportent pas directement sur les don
nées », constate Jérôme Notin, directeur général du site public Cybermalveillance.gouv.fr. Pour se protéger, il faut faire des sauvegardes régulières du contenu de son ordinateur.
Enfin, les dérogations accordéespendant le confinement ont créé de nouveaux risques. Ainsi, il a falluautoriser des collaborateurs à télécharger des logiciels sur leur ordinateur professionnel pour piloter leursimprimantes à domicile ou pour accéder à certaines applications. Pour cela, l’administrateur du système informatique donne au compte de l’employé des « privilèges » qui lui permettent de faire des choses qu’il n’a pas ledroit de faire d’habitude. « Il faudra remettre tout cela en ordre quand les employés reviendront au bureau », insiste Gérôme Billois. Faute de quoiles cybercriminels n’auront qu’à utiliser discrètement ces portes grandes ouvertes vers le système d’information pour se servir.
so. c.
Alerte sur la confidentialité des entreprises
muniquer plus, beaucoup plus, pour asseoir les nouveaux canaux de circulation de l’information, s’assurer que chacun sache à qui s’adresser pour travailler « normalement », et, bien sûr, suivre l’état de santé physique etmentale des salariés. « La visio aide à déceler les salariés piégés dans le surtravail », assure Virginie Jourdan, DRH de Dalibo, une petite entreprise de services.
« COORDINATION NARRATIVE »La visibilité doit être reconstruite, « car lesmécanismes de coordination ne se reproduisent pas automatiquement en télétravail »,ajoute Vinciane Beauchene. Les priorités de l’entreprise doivent être explicitées pour éviter que chacun, derrière son ordinateur,n’avance en ordre dispersé. Le sociologueJean Pralong, qui a suivi 317 télétravailleurs durant dix ans, a mis en évidence la « coordination narrative » propre au télétravail, la capacité à se rendre visible là où on n’est pas, àfaire parler de soi ou à faire entendre au ma
réunion de plus de deux heures n’est pas possible. Après le confinement, je pense qu’on aura convaincu beaucoup de monde qu’iln’est plus besoin d’aller à Rouen pour tenir unatelier de créativité », poursuit le consultant associé chez Accenture. Mais « c’est quandmême formidable de se retrouver en réunion. On reprendra l’avion et on se resserrera lesmains », relativise Olivier Girard. Chez Engie aussi, « la pratique des voyages va évoluer », affirme Pierre Deheunynck, après avoir constaté qu’il a été possible de réunir plus de2 500 salariés en même temps et à distance.
La crise liée au Covid19 a créé un véritableélectrochoc. « Les entreprises ont pris conscience qu’audelà de l’outil et de la capacité à l’utiliser, le télétravail renforce la nécessité d’avoir une stratégie et une vision claire de sespriorités et la capacité à la communiquer »,explique Vinciane Beauchene. L’importance de la communication dans la vie de l’entreprise aura été un des premiers enseignements de cette période particulière. Com
nageur ce qu’on fait et avec quelles contraintes, au lieu de laisser l’interrelation se faire toute seule. « Quand la petite de 6 ans arrive en pleine visioconférence, ça dit ce que fait le salarié, et ça crée de la sympathie. En visioconférence, il y a des gens qui prennent plus ou moins la parole. Le télétravail valorise des salariés et en met d’autres dans l’ombre, ce nesont pas forcément les mêmes que dans l’organisation. Des travailleurs loyaux peuventêtre mis en difficulté ou devenir invisibles », alerte le sociologue.
Enfin, la généralisation soudaine du télétravail a mis en exergue l’importance du collectif pour l’entreprise, en apportant uneconnaissance plus fine des équipes. Grâceaux différents outils mis en place pour cette période, chacun a pu se rendre compte du contexte dans lequel travaille l’autre. « Cette période a confirmé l’engagement des collaborateurs, résume Hélène Gemähling. Il fautbâtir làdessus. »
anne rodier
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18 | économie & entreprise MARDI 19 MAI 20200123
montréal correspondance
L es chapiteaux jaune etblanc sont toujours dressés sur le VieuxPort deMontréal. Le Cirque du
Soleil devait y lancer en fanfare, le 22 avril, son nouveau spectacle de performances acrobatiquesSous un même ciel. Mais l’images’est figée, ces chapiteaux sontaujourd’hui vides de toute activité et de tout public.
Car, au premier jour de l’arrivéede la pandémie de Covid19 au Canada, toutes les représentations ont été annulées, comme l’ont étécelles des 44 spectacles produitsdans le monde entier, de Las Vegas à Hangzhou, de Lyon à Moscou, de TelAviv à Melbourne.Cette mise à l’arrêt annoncée, le19 mars, par la direction du cirque, a entraîné la mise à pied immédiate de 4 679 de ses employés, soit 95 % de ses effectifs. Depuis, le géant québécois duspectacle vivant, fondé en 1984par l’excracheur de feu devenumillionnaire Guy Laliberté, vacille et craint pour sa survie.
La crise entraînée par la pandémie a révélé la grande fragilité financière de ce qui était pourtant considéré comme un mastodonte culturel : depuis la vente, en 2015, par Guy Laliberté de l’essentiel de ses parts au fondstexan TPG Capital (60 %), au chinois Fosun Capital Group (20 %) et à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), quipasse de 10 % à 20 % des parts, le cirque traîne une dette estimée à900 millions de dollars américains (832 millions d’euros). Quelques jours après le début de la crise, l’agence de notation américaine Moody’s soulignait « un risque de défaillance élevé d’ici à lafin de l’année » : l’arrêt des ventes de billets, dont le cirque tire l’essentiel de ses ressources, le prive, jusqu’à nouvel ordre, de toute possibilité d’honorer jusqu’auxintérêts de sa dette.
Fin mars, Reuters dévoile quel’entreprise « étudie plusieurs options pour restructurer son endettement, et n’exclut pas d’être contrainte de se placer en faillite ». Les grandes manœuvres commen
cent pour tenter qui de sauver labelle marque au bord de l’asphyxie, qui d’en profiter pour la récupérer. Les trois actionnairesoffrent une bulle d’oxygène enconsentant un prêt exceptionnel de 50 millions de dollars, mais toutes les options sont désormaissur la table : injecter de l’argentfrais des investisseurs actuels, recapitaliser l’entreprise avec de nouveaux partenaires ou la vendre. Le Cirque du Soleil mandate la Banque du Canada pour explorer tous les scénarios.
Québecor, le conglomérat de télécoms et de médias contrôlé par le magnat Pierre Karl Péladeauest, à ce jour, le seul à être sorti dubois en affichant, début mai, par voie de communiqué « sa détermination à participer au sauvetage (…) de cet ambassadeur du talent québécois ». Une sortie publique contrainte, car, si une proposition de rachat a bien été formulée au cirque près d’un mois auparavant, elle était restéeconfidentielle.
Québecor intéresséC’est un article paru dans Le Journal de Montréal, propriété deQuébecor, qui déclenche les hostilités : il y est révélé que le rachat par la CDPQ mifévrier, justeavant la crise, des 10 % que Guy Laliberté possédait encore dans le Cirque, s’est fait par une transaction avec une société établie aux îles Caïmans, un paradis fiscal.
Le Cirque du Soleil, qui finira parreconnaître les faits, soupçonne le patron de Québecor de vouloir dénigrer l’entreprise avant de la racheter au rabais, il met en demeure le groupe de Pierre KarlPéladeau (« PKP ») de cesser d’écrire des articles à son sujet. « PKP » parle de « manœuvres navrantes », mais confirme, dans la foulée, l’intérêt qu’il porte à l’entreprise affaiblie.
De son bureau vitré, au 13e étagede la tour Québecor, Pierre Karl Péladeau pourrait presque apercevoir les chapiteaux du cirque.Dans un entretien accordé au Monde, celui qui se présente comme « un fier Québécois » – il s’est d’ailleurs aventuré en politique, en 2015, en tant que chef du
Parti québécois – assure qu’il a à cœur de maintenir à Montréal cet« emblème du patrimoine culturel du pays ». Jouer sur la fibre patriotique, quand le gouvernement du Québec répète qu’une solution « àla québécoise » aurait sa préférence, ne saurait nuire.
« Au fil des acquisitions de Québecor [notamment le câbloopérateur Videotron], nous avons prouvé que nous étions des entrepreneurs, pas des financiers, notre objectif est bien d’assurer la pérennité du cirque », prometil également. Une pierre dans le jardin des actionnaires actuels, en majorité des fonds d’investissementétrangers. Enfin, interrogé sur lastratégie de redressement envisagée, son directeur financier ayant suggéré que la compagnie devrait
sans doute resserrer son activitésur les spectacles rentables, soit les six grands shows actuels de Las Vegas, et quatre autres en Chine, au Mexique, en Allemagneet en Floride, Pierre Karl Péladeau se veut rassurant visàvis des milliers d’employés du cirque.
Discussions enlisées« Il faut assurer les marchés financiers du sérieux de notre gestion, expliquetil, mais la créativitédes artistes du cirque, je suis le premier à savoir qu’on ne la trouve pas au supermarché du coin ! Ce sont eux le véritable “actif” de l’entreprise. » Le grand patron se ditmême prêt à accueillir à brasouverts, pour un éventuel « partenariat », Guy Laliberté, qui, dans une lettre publique, a confié
qu’il hésitait à « sauter dans l’arène » pour sauver du gouffreson ancienne compagnie.
A ce jour, les discussions formelles entre Québecor et Le Cirque duSoleil sont enlisées, le premier refusant de signer une clause deconfidentialité exigée par le second pour lui donner accès à sescomptes. Une dizaine d’investisseurs se seraient, en revanche, déjà signalés pour participer auprocessus de recapitalisation oude rachat du cirque, qui s’ouvriraofficiellement au début du mois de juin. Une frénésie qui contraste avec la réalité des activités actuelles du cirque : personne nesait aujourd’hui quand on pourra de nouveau acheter un billet etprofiter du spectacle.
hélène jouan
L’agroalimentaire fortement secoué par le coronavirusL’arrêt de la restauration collective a fortement pesé sur l’activité du secteur, et notamment sur les TPE et les PME
P as de déconfinement pourles entreprises agroalimentaires. Et pour cause,
elles n’ont jamais fermé boutique,et leurs équipes sont restées sur lepont pendant toute la période demise sous cloche pour participerà la chaîne d’approvisionnementdes Français. Une chaîne qui atenu, malgré de multiples tensions. S’il est encore tôt pour tirer un bilan complet de l’incidencede la crise du coronavirus sur ce secteur industriel, l’Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) a souhaité faire un coup de sonde dans ses rangspour évaluer le moral des troupes.Elle a publié les résultats de ce baromètre, mardi 12 mai.
Un échantillon restreint de 602entreprises, sur un total de 17 723recensées dans ce secteur, a répondu au questionnaire. Il en ressort qu’en moyenne les sondées ont vu leur chiffre d’affairesfondre de 22 % sur la période du confinement. Un résultat quipeut paraître contreintuitif, quand chacun garde en mémoireles cohues d’acheteurs compulsifs soucieux de faire des réservesdans les allées des supermarchés.Mais ce chiffre ne reflète pas, à luiseul, une réalité très contrastée.
« Il y a une très grande hétérogénéité de résultats par secteurs et par taille d’entreprise », reconnaîtStéphane Dahmani, directeur économie à l’ANIA, et d’ajouter :« Les TPE et les PME sont les plustouchées : 80 % à 90 % d’entre ellesaffirment être confrontées à une baisse de chiffre d’affaires. »
Sans surprise, les petites entreprises qui écoulaient leur production dans la restauration commerciale, dans les cantines ou hors des rayons libreservice des supermarchés ont pris deplein fouet l’arrêt net de ces canaux de distribution. A l’imagedes PME fabriquant des fromagesAOP. Ou des entreprises vinicoles, avec des chutes entre 50 % et 70 % de leur activité.
De même, certains aliments ontété délaissés au profit d’autres,alors que les Français, cloîtrés chez eux, changeaient leurs habitudes alimentaires. Ainsi, selon l’institut Nielsen, les ventes defarine ont bondi de 125 %, quand à l’inverse celles de champagne,confiseries ou chewinggumsétaient en berne, affichant un repli de près de moitié. Les sandwichs ont aussi été délaissés, alorsque les œufs étaient plébiscités. Dans ce contexte très chahuté,
tout le monde n’était pas logé à la même enseigne.
Les grands groupes agroalimentaires, de part leur fort ancragedans les enseignes de distribution, ont pu bénéficier du report des achats des Français. Et, parfois, en étant présents sur plusieurs catégories de produits, lisser les effets négatifs. La publication des résultats trimestriels des entreprises cotées, même si ellen’intègre que le début de la crise, àpartir de mimars, donne quelques indications.
« Reconstituer les stocks »Grâce à l’appétit des consommateurs pour les conserves, par exemple, Bonduelle a bénéficié d’une progression de son chiffre d’affaires de 12,7 % au premier trimestre. Une hausse quasi identique chez le fromager Bel sur cette période. Grâce à la bonne performance des produits laitiers et des laits infantiles, Danone a, lui, affiché une hausse de 3,7 % de son chiffre d’affaires. Le leader mondial de l’agroalimentaire, Nestlé, a vu ses ventes progresser de 4,3 %, un niveau de croissance qu’il n’avait pas connu depuis cinq ans.
Parmi les contreexemples, Pernod Ricard, dont le chiffre d’affai
res a plongé de 14,5 % entre janvier et mars. Une évolution qui illustre la chute de la commercialisation des alcools, quand restaurants, bars et aéroportssont fermés. Toutefois, beaucoup de groupes cotés, même s’ils affichent des croissances d’activité, ont suspendu leurs prévisions de résultats pour l’année 2020. Laréorganisation de la productionpour répondre à la demande et satisfaire aux exigences renforcéesde sécurité sanitaire, la hausse du coût du transport et de la logistique aux premiers temps du confinement, les incertitudes sur le pouvoir d’achat des consommateurs touchés par la crise économique qui pourrait découler decelle du Covid19, mettent les marges sous pression.
« Tant que la restauration commerciale et collective reste fermée, même si les exportations ont repris, nous avons des problématiques de gestion de marché. Nous restons dans un mode de fonctionnement dégradé », affirme Dominique Chargé, président de Coop de France, le bras armé des coopératives agricoles françaises. « Il faut reconstituer les stocks à la foischez les industriels et dans lagrande distribution, pendant l’été.
Les gens en production sont sur lesgenoux. Il y a des opérations demaintenance à gérer, des lignes de production à réorganiser. Je nevois pas de retour à la normale avant octobre », analyse RichardPanquiault, directeur général del’Institut de liaisons des entreprises de consommation (ILEC), qui défend les intérêts des groupes degrande consommation.
« Il y a un moratoire depuis le23 mars entre l’industrie agroalimentaire et la grande distribution pour ne pas appliquer les pénalitésliées au taux de service [la probabilité attendue de ne pas être en rupture de stock]. En effet, le taux de service a été dégradé par la surdemande. Nous sommes inquiets, car des enseignes commencent à reparler de ces pénalités après le 11 mai », explique M. Chargé.
Il demande également que ladiscussion s’ouvre pour savoir comment répercuter les surcoûts que l’industrie a dû encaisser pendant la crise. Après une période de« paix des braves » pour éviter la crise alimentaire, le sujet des relations commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs, au cœur de la loi Egalim, va trèsvite revenir sur la table.
laurence girard
Lors d’une représentation du spectacle « Crystal » du Cirque du Soleil, à Riga, en Lettonie, le 15 janvier. INTS KALNINS/REUTERS
L’arrêt des spectacles,
en raison de la pandémie,
a entraîné la miseà pied immédiate
de 4 679 des employés du
cirque, soit 95 %des effectifs
Le Cirque du Soleil, affaibli et convoitéL’entreprise québécoise, endettée à hauteur de 900 millions de dollars, est l’objet de grandes manœuvres
AÉRIENEmirates Airlines envisage de supprimer 30 000 postesEmirates Airlines envisage la suppression de 30 000 postes, soit 30 % de ses effectifs, a affirmé l’agence Bloomberg, dimanche 17 mai. La compagnie de Dubaï a déjà réduit de 25 % à 50 % les salaires de ses employés pour une période de trois mois.
CONJONCTURELa Fed refuse d’assimiler la crise actuelle à la Grande DépressionJerome Powell, le patron de la Reserve fédérale (Fed, banque centrale américaine), estime que la crise provoquée par la pandémie de Covid19 présente « des différences fondamentales » avec la Grande Dépression. Mais M. Powell a jugé qu’un pic du taux de chômage à 20 % ou 25 % est probable, et que la chute du PIB des EtatsUnis au deuxième trimestre sera « facilement dans les 20 % ou 30 % ».
Le Japon en récessionAprès un deuxième trimestre d’affilée de baisse du PIB sur la période janviermars, le Japon est entré en récession. Le PIB a reculé de 0,9 % au premier trimestre de l’année par rapport au dernier trimestre de 2019, selon les chiffres publiés, lundi 18 mai, par Tokyo.
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LES COUCOUSDU NUMÉRIQUEC’est quoiton code?Ils squattent allègrement vosabonnements Netflix et Spotify.Le pire, c’est que c’est vousqui leur avez donné accèsà vos comptes
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« La cause des Kurdes nous concerne »
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES▶ JeanClaude Juncker,président de la Commission européenne,et Boris Johnson,premierministrebritannique, ont annoncé, à Bruxelles,jeudi 17octobre, avoirconclu un accord surla sortie du RoyaumeUni de l’UE▶ Approuvé par lesVingtSept, le textedoit encore être validé, samedi, par unParlement britannique qui resteextrêmement divisé▶ La pierre d’achoppement demeure le
1ÉDITORIALAMER COMPROMISPOUR L’EUROPE
la décisionen juin 2016 desBritanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, acquise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmodalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avait été vendu aux électeurs.Mais, face à lamenaced’un «no deal», il représentelamoinsmauvaise façon de
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Britanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, acquise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmodalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avai avai a it été vendu aux électeurs.Mais, face à lamenace
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L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ
Chômage: l’espoir d’une amélioration durable▶ Au troisième trimestre,le nombre de demandeursd’emploi sans aucune activité a diminué de 0,4%,selon les chiffres publiésvendredi 25octobre
▶ Le reflux du nombrede chômeurs se confirmedoucement. Il s’agitdu quatrième trimestrede baisse. Sur un an, ladécrue est nette, à – 2,4%
▶ Ces résultats font écho àla bonne santé dumarchédu travail. Jeudi, le réseaudes Urssaf a fait étatd’une «augmentationsoutenue» des CDI
▶ Lamontée en régime duplan gouvernemental deformation contribue aussià cette baisse, encore fragile dans une conjonctureinternationale incertaine
▶ L’exécutif et samajoritéjugent atteignablel’objectif d’un taux dechômage ramené à 7%à la fin du quinquennatPAGE 10
CHILI AUX SOURCESDE LA COLÈRE▶ Lemouvement de contestation quidénonce les inégalités sociales a connu unemobilisation historique à Santiago vendrediPAGE 4
LubrizolDes défaillanc
CorseClaude Cho at
Géopolitique Le rêve briséd’autonomie des Kurdes
TURQUIE
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SYRIE
1 ÉDITORIAL
ÉTERNELS LAISSÉSPOURCOMPTEPAGE 30
▶ L’offensive turquedans le NordEst syrienmarque un coup d’arrêtau projet politique dupeuple apatridePAGES 16 À 19
Lubrizol CorseCorseCor
IRAK
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ÉTERNELS LAISSÉSPOURCOMPTEPAGE 30
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Caroline VERDURE-RIMAUDet Yohan RIMAUD
partagent avecGabriel,
la joie d’annoncer la naissance de
Amédée,
le 8 mai 2020, à Besançon.
Décès
Magdeleine Cocrelle,son épouse,
Fabienne et Florence Cocrelle,ses filles,
Gérard Hovakimian,son gendre,
Timothée et Chloé Hovakimian,ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décèsde
Gérard COCRELLE,ENA promotion « 18 juin »,
chevalierde la Légion d’honneur,
officierdans l’ordre national duMérite,
survenu à Paris, des suites duCovid-19, le 23 avril 2020, à l’âge dequatre-vingt-neuf ans.
Un service religieux a été célébréen l’église Saint-François-Xavier,Paris 7e et les obsèques ont eu lieudans l’intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Cocrelle,5, rue Albert-de-Lapparent,75007 Paris.
Le cabinet d’avocats Duclos,Thorne, Mollet-Viéville & Associés
a la tristesse d’annoncer le décès de
Jean-Pierre DUCLOS,avocat et fondateur du cabinet.
Ses associés, anciens et actuelscollaborateurs et salariés présententleurs plus sincères condoléancesà son épouse, Jacqui, à son fils,Sébastien, ainsi qu’à toute sa famille.
Harjeet Singh Gill,sonmari,
Eric et Julie,Anila et Jean-Guillaume,Sandrine, Jaspal, Nilam,Aalia, Ishaan
ses enfants et ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Danielle GILL,née GUÉGAN,enseignante,germaniste,
docteur en linguistique,traductrice du pendjabi,
survenu le 23 avril 2020, à Paris,à l’âge de quatre-vingts ans.
Ses obsèques ont eu lieu le 7 mai.
Elle repose au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Un hommage lui sera rendu dèsque les circonstances le permettront.
Michèle Goubet,née Réal,son épouse,
Philippe et Nathalie Goubet,Sophie Migairou et Cyril Maury,
ses enfants et leurs conjoints,Pierre, Elisa, Etienne, Marion et
Clara,ses petits-enfants,
Maryse Dubo,sa sœur,
ont la grande tristesse d’annoncerle décès de
Michel GOUBET,agrégé d’histoire,ancien professeur
au lycée Pierre-de-Fermatde Toulouse,
survenu le 6mai 2020,dans sa quatre-vingt-quatrième année.
Villaines-en-Duesmois.
Christine Graffin,son épouse,
Juliette, Ambroise, Clémence,Matthieu et Camille,ses enfants,
Jeanne, Lou, Gustavo, Gabriel,Jonas, Marco, Marius, Rita, Georgeset Lisa,ses petits-enfants,
Brigitte, Cécile et Roselyne,ses sœurs,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Philippe GRAFFIN,
survenu le 5 mai 2020.
Toute sa tribu lui souhaite un bonvoyage.
Sa famille,Ses amis,Ses camarades,
sont dans la peine après le décès de
Pierre GRANET,éducateur à l’Éducation surveillée,ouvrier du livre lecteur-correcteur
aux éditions Gallimard,militant trotskyste anticapitaliste,
militant de la solidaritéinternationale,syndicaliste,
faucheur volontaireet manifestant anti-nucléaire,
féministe en paroles et en actes,père et grand-père dévoué,
foudroyé par une crise cardiaquedans sa soixante et onzième année,le samedi 2 mai 2020, en find’après-midi.
Homme de livres et de luttes,il avait la conviction qu’un autremonde est possible.
Le soleil brillera toujours.
Des dons peuvent être adressésau Conseil démocratique kurdeen France, à Droit au logement,à La Terre en commun.
Un hommage sera organisél’année prochaine.
Marie Jarreau,son épouse,
Mathilde Jarreau,sa fille,
Félix et Gaspard Megret,ses beaux-fils,
Patrick Jarreau,son frère,
Pierre-Henri et Marie-Pia Jarreau,son frère et sa belle-sœur,
Sophie et Philippe Demange,sa sœur et son beau-frère,
Joachim et Cristina, Arthur, Hugo,Ysé, Esther, Solal,ses neveux et nièces,
ont la très grande tristesse de fairepart du décès de
Philippe JARREAU,journaliste,
ancien rédacteur en chef photodu Journal du Dimanche,
survenu le 13 mai 2020.
Les obsèques auront lieu dansl’intimité familiale au cimetière duMontparnasse, Paris 14e.
Ni fleurs ni couronnes.
Ce avis tient lieu de faire-part.
Paris.
Monette Aïdan,sa sœur,
René et Gérard Maruani,ses frèreset leurs épouses, Eva et Nicole,
Albert, Audrey et Didier Aïdan,Estelle Nahum, Anna et JuliaMaruani,ses nièces et ses neveux,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Georges William BrahamMARUANI,
né le 26mai 1943,
survenu le 8mai 2020.
Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité familiale le 10mai.
Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.
Pierre Martin,président,
Le bureau nationalde l’Association nationale desanciens combattants et ami(e)s de laRésistance (ANACR),
ont appris avec très grande tristessele décès de
Mme Cécile ROL-TANGUY,lieutenant FFI
(Forces françaises de l’intérieur),médaillée de la Résistance,
croix du combattant volontairede la Résistance,grand officier
de la Légion d’honneur,grand’croix
de l’ordre national duMérite,présidente de l’ANACR.
survenu le 8mai 2020,à l’âge de cent un ans,
Compagne de vie et de lutte ducolonel Henri Rol-Tanguy, ellerestera pour l’Histoire un exemplede l’engagement des femmes dans laRésistance et de la fidélité à sesvaleurs.
(Le Monde du 10-11 mai.)
Monique Shearer,son épouse,
Alexandre et Katia, Emmanuel,ses enfants,
Victor, Faustine, Alice, Pierre,Pénélope,ses petits-enfants
Ainsi que XénaEt toute sa famille de France et
de Nouvelle-Zélande,
ont la très grande tristesse de fairepart du décès de
David SHEARER,
survenu à Paris, le 7 mai 2020,à l’âge de soixante-treize ans.
La crémation a eu lieu dansl’intimité familiale, ce 18 mai.
Une cérémonie sera organisée dèsque les circonstances le permettront.
La famille remercie trèschaleureusement le docteurGueugneau qui l’a accompagné toutau long de sa maladie ainsi quele docteur Angelergues et lepersonnel du service oncologiede l’hôpital de la Croix-Saint-Simon.
Raoul Sicsic,son époux,
Pierre et Elisabeth Sicsic-Kremp,son fils et sa belle-fille,
Paul, Aude et Christophe, Hélène,ses petits-enfants,
Julia,son arrière-petite-fille,
Les familles Guillaumou, Scherrer,Darmon, Sicsic, Drighes, Kremp,Houchard,
ont la grande tristesse de faire partdu décès de
Annie SICSIC,née GUILLAUMOU,
pharmacienne,
survenu le 7 mai 2020,dans sa quatre vingt douzième année.
Famille Sicsic,200, boulevard Malesherbes,75017 Paris.
Remerciements
Le samedi 28mars 2020,
Maurice CERISOLA,
succombait à une crise cardiaquechez lui, à l’Île de la Réunion qu’ilaimait tant.
Marie-Pascaleet ses enfants,
Anne-Sophie, Thomas, Adeline,Charlotte et Timothée,
remercient chaleureusement tousceux, si nombreux, qui lui ontrendu de si beaux témoignages ethommages, à l’image de l’hommeprofondément bon et généreux qu’ilétait.
Son esprit, sa foi et son sourirecontinueront d’illuminer nos vies.
Irène et Olivier Berton,Antoinette et Gilles Teisseire,
ses sœurs et beaux-frèresEt toute sa famille,
remercient tous ceux et celles quise sont associés à leur peine lors dudécès de
Francis TROUSSELIER,
survenu le 26mars 2020.
Anniversaire de décès
Le jeudi 19 mai 2011.
Michel PRIGENT,président du directoire
des Presses Universitaires de France,
nous quittait à l’âge de soixante ans.
Nous ne l’oublions pas.
La Fédération des Aveuglesde France
rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.
En désignant notre associationcomme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne
des personnes aveugleset malvoyantes.
Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.
Nous ne les oublierons jamais.
Fédération des Aveuglesde France,
6, rue Gager-Gabillot,75015 Paris.
Tél. : 01 44 42 91 91.
Communication diverse
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par téléphone et/ou par internetceux qui souffrent de solitude,demal-être et peuvent avoir
des pensées suicidaires.
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sur toute la France.L’écoute peut sauver des vies
et enrichir la vôtre !Choix des heures d’écoute,
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20 |horizons MARDI 19 MAI 20200123
Vie et mort d’une femme sous empriseMarieAlice Dibon, 53 ans, a été tuée par son compagnon en avril 2019, au terme d’une relation toxique dont ses proches décryptent aujourd’hui le mécanisme
S ur sa page Facebook, MarieAliceDibon avait choisi une poignée demots pour se résumer : « Free birdand happy nerd ». Voilà commentelle se voyait et se présentait auxautres : « Oiseau libre et passion
née de sciences ». Audessus de la phrase enanglais, sa photo : la cinquantaine, cheveux milongs teints en blanc, les traits fins, lesourire impeccable. Seules quelques rides d’expression, au coin des yeux et sur les joues,esquissaient joliment le passage du temps. Quand ses proches évoquent aujourd’hui cette consultante en biotechnologies de 53 ans, les qualificatifs flatteurs se succèdent : « Cultivée », « brillante », « sociable », « féministe convaincue »… « “Free bird”, c’était elle,confirme Hélène de Ponsay, sa sœur. Ce n’étaitpas quelqu’un qui se laissait enfermer dans une cage. » Un mot, en revanche, ne vient pas spontanément : « Victime ».
Le 22 avril 2019, le corps de MarieAliceDibon a été retrouvé, recroquevillé dans un grand sac de voyage flottant dans l’Oise, près de la base de loisirs de CergyPontoise, au nordouest de Paris. Luciano Meridda,66 ans, son compagnon, s’est enfui en Italie après l’avoir empoisonnée puis jetée à l’eau, faisant d’elle la cinquante et unième victime de féminicide en France cette annéelà. Trois semaines plus tard, le 10 mai, il s’est suicidé.
Les mécanismes psychologiques en jeudans cette histoire – de la séduction au conditionnement en passant par le dénigrement,les « signaux faibles » observés par l’entourage et l’impossibilité de sortir d’une relationtoxique – dessinent par touches un phénomène au cœur des féminicides que Le Mondea étudiés : l’emprise. La famille et les amis de MarieAlice Dibon en décrivent les rouages sans forcément utiliser le mot. La psychiatre MarieFrance Hirigoyen, auteure de Femmessous emprise (éd. de Noyelles, 2005), a recoursà la « fable de la grenouille » pour mieux comprendre cette notion aux mille nuances, si insaisissable que le code pénal luimême ne la définit pas : « Si on la plonge dans l’eau bouillante, la grenouille va s’échapper d’unbond. Mais si la température grimpe petit à petit, elle ne va pas prendre conscience du danger et finira par mourir ébouillantée. »
Pour MarieAlice Dibon, tout a donc commencé par une rencontre aux allures deconte de fées, au début des années 2000. Elle habite alors entre les EtatsUnis et la France, et doit se rendre chez sa sœur, en banlieue parisienne. Dans le taxi, le chauffeur a posé un bouquin sur le siège passager. Il lit souvent, entre deux clients. MarieAlice, elle aussi, dévore les livres. La conversation s’engage. Le chauffeur lui laisse sa carte de visite. Il s’appelle Luciano Meridda, approche la cinquantaine. Venu d’Italie alors qu’il était encore enfant, il se présente comme un autodidacte curieux, issu d’un milieu modeste.
RENCONTRE AVEC « UN TYPE INCROYABLE »« Quand elle est arrivée chez nous, elle était surun nuage, se remémore Hélène de Ponsay. Elle venait de rencontrer un type incroyable. Il était chauffeur de taxi et lisait je ne sais quel roman médiéval ou de la poésie qu’elle était entrain de lire aussi. » MarieAlice et Luciano serevoient. Elle a connu un premier mariagejeune, en 1989, une installation aux EtatsUnis l’année d’après, puis un divorce, sept ans plus tard, sans enfant. Des histoires sentimentales compliquées ensuite – « avec des hommes impossibles », selon une amie –, notamment avec un Belge, qu’elle a aidé àsortir de l’alcoolisme. Luciano, lui, dit se reconstruire après une rupture difficile. « C’est divorcée et sans boulot qu’elle l’a rencontré, raconte Sandie Jaidane, l’une des amies de MarieAlice. Elle avait besoin de beaucoupd’affection, d’amour. Il a comblé ses vides. »
Elevée au sein d’une famille plutôt bourgeoise de la région lyonnaise, fille de profsd’allemand, MarieAlice est titulaire d’un doctorat en pharmacie. Luciano, lui, n’a pasfait de longues études et aime à répéter qu’il s’est bâti à la force du poignet et du volant. Dans l’entourage de MarieAlice, le coupledétonne. Elle le sait, et s’amuse parfois de l’étonnement que cela provoque, peutêtre pour ne pas s’en agacer. « Elle aimait bien lestrucs insolites, ça lui plaisait plutôt d’être avecquelqu’un que les autres trouvaient inapproprié, pas dans sa gamme, souligne Marc Anselme, un ami consultant expatrié à Sacramento (EtatsUnis). C’était quelqu’un quiaimait bien tailler son propre chemin. »
Au gré de conférences et de rendezvousprofessionnels, la consultante en biotechnologies alterne les séjours de deux mois enFrance et aux EtatsUnis. En Californie, elle a acheté un petit chalet près du lac Tahoe, un écrin de nature où elle aime se ressourcer, àtrois heures de route au nordest de San Francisco. A ses retours en France, « Lulu » vient la chercher, en taxi et costume. Ils viventdans un appartement qu’il possède à Courbevoie, dans les HautsdeSeine. « A l’époque,
ma sœur passe beaucoup de temps aux EtatsUnis et, quand elle rentre au pays, ils se retrouvent, avec plaisir je pense, décrit Hélène dePonsay à propos des premières années ducouple. Luciano devient une donnée stable dans sa vie, une sorte de point d’ancrage. »
Où qu’elle se déplace en France, il arrive.Laure de La Guéronnière, une amie de trenteans de MarieAlice, se rappelle de « ce côté “j’ai mon chevalier servant”, parce que, effectivement, il présente bien, est chauffeur classeaffaires. Mais ça devient pesant, au fil dutemps ». Même quand ils ne sont pas sur le même continent, le téléphone les relie. Ils s’appellent plusieurs fois par jour. C’est plutôt lui qui appelle, d’ailleurs. LucianoMeridda aime dire à ses connaissances qu’ilfréquente une brillante scientifique francoaméricaine. « Il avait besoin de se faire mousser, analyse Laure de La Guéronnière. MarieAlice lui apportait cette mousse, ce côté unpeu plus glamour, peutêtre, que la réalité de sa vie quotidienne. » Mais Luciano se montre « possessif », « jaloux », se souviennent diverstémoins. Certains s’étonnent de son côtémacho, voire xénophobe.
La phase de séduction n’a duré qu’untemps. Marc Anselme évoque une relationsentimentale ressemblant à « une collectionde problèmes ». Comme d’autres, il necomprend pas ce que son amie trouve à Luciano. Lors d’une balade dans la natureavec MarieAlice, le sujet arrive, presque par hasard : « On discutait, en forêt, de notre
compagnon ou compagne idéale. MarieAliceme décrit quelqu’un. Je lui dis : “Tu me parlesde quelqu’un d’ingénieux, d’intelligent, mais ce n’est pas du tout Luciano.” Ça la vexe. Elle avait un caractère assez fort, je me fais engueuler. Quand elle me parlait de lui, je n’arrivais plus à suivre son raisonnement. Commes’il y avait une main invisible qui la faisait dévier de sa rationalité habituelle. »
D’autres proches ont, eux aussi, l’impression que MarieAlice n’est plus la même en compagnie de Luciano. Petite femme énergique, la soixantaine, Bathsheba Mashleen,une amie américaine, relate une autre anecdote marquante, un voyage en France, il y a quelques années. Avec son compagnon,MarieAlice et Luciano, ils avaient décidé d’aller une semaine visiter les environs deCognac, en Charente. Mais, une fois sur place, Luciano ne sort plus de sa voiture, refuse les promenades. Au milieu du séjour,MarieAlice annonce qu’elle doit le raccompagner à Paris. Bathsheba ne comprend pas :« Je lui ai même dit quelque chose comme : “Ce n’est pas très féministe, comme comportement, et je sais que tu l’es pourtant.” Maiselle n’a pas répondu. Elle a juste lancé : “Je dois rentrer avec lui.” Ce jourlà, j’ai pensé qu’il y avait deux MarieAlice. Et que l’une d’elles était manipulée par lui. »
« Manipulée », ou simplement amoureuse ?Toujours estil que MarieAlice fait preuved’une grande mansuétude face au premiergros mensonge de son compagnon. Alors
qu’il s’était présenté comme divorcé, elle apprend plusieurs mois après leur rencontre qu’il est encore marié. Du reste, l’appartement de Courbevoie où ils habitent appartient en partie à sa femme, domiciliée dans l’ouest de la France et avec laquelle il ne vit plus. Ce n’est pas Luciano qui le lui révèle,mais son épouse, qui appelle les parents deMarieAlice. Au passage, celleci découvreégalement qu’il a des enfants.
LA PHASE DE « CONDITIONNEMENT »Nous sommes alors au milieu des années 2000. Disputes et moments de tension s’enchaînent. MarieAlice n’en parle pas trop à son entourage. « Je savais des choses par bribes, témoigne Catherine Sallenave, l’une de ses confidentes, qui habite Los Angeles. Elle n’aimait pas s’étendre sur le sujet. Mais, une fois ou deux, elle m’avait dit : “Tu sais, Lucianoest supermacho.” Elle m’avait raconté que, dans leur appartement, sur le plancher en bois, le soleil avait éclairé un peu de poussière.Luciano s’était énervé en lui reprochant d’être une très mauvaise ménagère. » Même si MarieAlice sait le remettre à sa place, le mécanisme de l’emprise opère peu à peu, commeun piège qui se referme.
A sa mère, MarieAlice annonce un jour autéléphone qu’il « a levé la main » sur elle. Ellen’ira pas jusqu’à dire qu’il l’a frappée. A derares amies, elle confie qu’il l’a giflée, maisqu’elle a passé outre. Son attitude interpelleson entourage. Elle, la femme au caractère
« J’AI PENSÉ QU’IL Y AVAIT DEUX MARIEALICE
ET QUE L’UNE D’ELLES
ÉTAIT MANIPULÉE PAR LUI »
BATHSHEBA MASHLEENune amie de Marie-Alice
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affirmé, qui ne se laisse pas dicter saconduite, a parfois des réactions inhabituelles. Hélène, sa sœur, se souvient ainsi d’unincident, qui a eu lieu au détour d’une discussion banale. « On devise gaiement sur noshistoires de sœurs, et là MarieAlice perdcomplètement sa contenance et s’affole : “J’aioublié d’acheter du pain !” » Hélène s’enamuse : « Pas grave, tu iras plus tard, ou Luciano peut en rapporter. » MarieAlice insiste : « Tu ne te rends pas compte, il aimevraiment que je le lui prépare. J’achète du pain frais, je coupe des tranches, je les mets au congélateur, comme ça, le lendemain, ilpeut se faire ses petites tartines grillées… »Hélène est estomaquée : « Je ne reconnaissais pas ma sœur. On ne nous a pas élevéescomme ça. » Avec le recul, elle estime que« rentrer dans la maniaquerie de Luciano,dans ces espèces de routines qui s’imposent,c’était entrer dans son système de contrôle ».
Ainsi s’est mise en place, après l’étape de séduction, la phase de « conditionnement » décrite par la psychiatre MarieFrance Hirigoyen. Les barrières critiques de MarieAlice cèdent. La femme rationnelle excuse des comportements qu’elle aurait jugés intolérables s’ils avaient concerné ses amies. « Le fait que l’on soit d’une grande intelligence et que l’on rationalise tout, ça aide à rationaliser l’intolérable, analyse sa sœur Hélène. Quand Luciano était méchant avec elle et qu’on lui en faisait la remarque, MarieAlice trouvait une explicationrationnelle. Elle pouvait dire, par exemple : “Il n’a pas été assez aimé quand il était petit. Il n’a pas eu la chance qu’on a eue d’avoir des parentsqui nous ont aimées, qui nous ont poussées à faire des études, qui nous les ont payées.” » Au sein du couple, le froid succède au chaud. Son compagnon semble orchestrer la perte de repères. Après chaque dispute, il se fait prévenant. « Elle me montrait un bracelet ou un collier en me disant : “C’est lui qui me l’a offert. C’est toujours pareil : à chaque fois qu’on s’engueule et que je menace de le quitter, il devient tout gentil, fait des efforts. Mais ça ne dure pas” », se rappelle Sandie Jaidane, l’amie de MarieAlice. Après une énième crise, il lui promet de divorcer. Il ne le fera jamais.
Les mois passent. Cette « main invisible »dont parle Marc Anselme empêche à plusieurs reprises MarieAlice de rompre. Elle ypense pourtant depuis longtemps, en parle
à certains proches. Mais la perspective luidonne des scrupules. « Lulu » n’avaitil pasété là quand elle traversait une période difficile ? N’avaitil pas perdu plusieurs kilos unedes fois où elle lui a annoncé qu’elle envisageait la séparation ? « Sa culpabilité la rendait aveugle, estime Sandie Jaidane. Elle me disait souvent : “Je culpabilise de ne plusl’aimer, de ne plus le désirer, de ne pas avoirenvie de finir mes jours avec lui alors qu’ilsera bientôt à la retraite.” »
DÉCIDÉE À ROMPRELuciano ne se prive pas d’alimenter ce sentiment de culpabilité, lui répétant à l’envi qu’ilne peut pas vivre sans elle, qu’il se laisseramourir si elle part. Sa possessivité est prisepour de l’amour. « C’est valorisant, un homme qui vous dit que, sans vous, il ne peutpas vivre, observe Laure de La Guéronnière. Peutêtre que ça vient titiller quelque chose deprofond qui est ce besoin d’attention, de reconnaissance. » Fin 2018, MarieAlice semblevraiment décidée à rompre. Elle prendmême un appartement à Paris. Mais l’un desfils de Luciano, Simon, a de graves problèmes de santé. Elle remet ses projets à plus tard. « Voyant le père en complet désarroi, enpanique devant ce qui était arrivé à son fils,elle est retournée à ses côtés, comme unebonne épouse, pour le soutenir, analyse Hélène. Elle était toujours là pour le pire, elle n’a juste jamais eu le meilleur. »
Début 2019, Laure de La Guéronnièreconseille à son amie de consulter unepsychologue. Une étape nécessaire dans le processus de rupture qu’elle a décidé d’entreprendre. Ce travail avec la psychologue, et le fait qu’elle envisage de construire sa vie avecun autre homme, Rob, rencontré il y a quelques années, l’encourage à aller au bout desa démarche. Avec l’espoir que celleci soit douce. Ne pas faire trop de mal à Luciano, leprotéger encore. « Elle avait peur pour lui, pasde lui, constate Laure. Même quand on luiassurait : “Il te fait du chantage affectif”, elle ne voulait pas l’entendre. »
MarieAlice voit d’abord un homme perdu,trop dépendant d’elle. Devant ses amis, sa famille, elle persiste à le défendre. Sandiel’appelle pour lui signaler qu’il s’est montréprêt à la séduire pour lui soutirer des informations concernant leur couple ? Marie
Alice préfère en rire. Puis, face à l’insistance de son amie, « elle a répondu : “Je le rends vraiment malheureux, tu te rends compte detout ce qu’il est obligé de faire ?” Au lieu decomprendre que c’était quelqu’un de dangereux, elle culpabilisait encore davantage de lerendre manipulateur à cause d’elle, et non parce qu’il était effectivement manipulateur ». Luciano continue de l’appeler régulièrement quand elle est aux EtatUnis, et même en France, quand elle n’est pas avec lui, pour savoir où elle se trouve, et avec qui.Il veut tout savoir de ses sorties.
Jusqu’au bout, il gardera le contrôle sur elle.Hélène, sa sœur, ressasse ainsi le douloureuxsouvenir de son cinquantième anniversaire,au printemps 2019. Pour l’occasion, elle avait proposé à sa sœur de venir dormir chez elle,dans un quartier résidentiel de Louveciennes(Yvelines), après la fête. Durant la soirée, les invités voient une MarieAlice rayonnante. Jusqu’à un appel imprévu de Luciano, qui décide de venir. « A partir de son arrivée, elle a été moins joyeuse. Elle a moins dansé, ils se sont isolés. » Ce soirlà, impuissante, Hélène avu sa sœur s’éclipser. « Il a abrégé la fête parson besoin de gâcher son bonheur, de la garder pour lui. Elle est allée chercher ses affaires dans la chambre, elle est repartie avec son baluchon et son boulet. » « Avec du recul, complète Laure de La Guéronnière, je me rends compte qu’elle était sa chose. »
« ARMÉE SOCIALEMENT »Grande lectrice, MarieAlice achète pourtant des ouvrages sur les relations toxiques. Elle offre même à son amie Catherine Sallenave un livre de MarieFrance Hirigoyen intituléLe Harcèlement moral, la violence perverse auquotidien (Syros, 1998). Avaitelle repéré cepassage dans lequel la psychiatre souligneque le processus d’emprise « n’est possibleque par la trop grande tolérance du partenaire » ? Une tolérance qui peut s’expliquer, écrit l’auteure, par « l’acceptation d’un rôle de personne réparatrice du narcissisme de l’autre, une sorte de mission où elle aurait à sesacrifier ». MarieAlice s’estelle un temps sentie concernée par cet autre passage, où la psychiatre écrit que « les victimes se défendent mal, surtout si elles se croient à l’initiativede la séparation, ce qui est souvent le cas, leur culpabilité les porte à se montrer généreuses,
espérant ainsi échapper à leur persécuteur » ? Sandie Jaidane constate : « Elle était lucidepour les autres, naïve pour ellemême. » MarieAlice fantasmait une rupture en douceur, sans trop de heurts. « Elle était dans cet état d’espritlà : arriver à le quitter en lui faisant lemoins de mal possible pour pouvoir garderdes relations apaisées avec lui et envisager la suite dans des conditions sereines », analyse sasœur Hélène. Après le drame, pour la famille et les amis, tout est devenu plus clair : les stratégies de contrôle, la relation toxique, l’emprise. Mais, sur le moment, le constat était bien plus difficile à établir. « MarieAlice, en théorie, est armée socialement, relève Laurede La Guéronnière. C’est une femme indépendante, intelligente. Elle n’est pas menacée physiquement tous les jours, elle n’est pas battue et n’a rien d’une victime. » Sa mère, JacquelineDibon, n’a jamais envisagé une issue violente. « Je l’aurais vue arriver avec des coups dans la figure, je n’aurais pas demandé sonavis : je serais allée à la police tout de suite. Dèsqu’elle était loin de lui, elle était joyeuse. Maisquand je revois les photos d’elle maintenant, sur beaucoup, j’ai l’impression qu’il y a un œil qui pleure et un œil qui rit. »
LA « RÉAPPROPRIATION »Le 19 avril 2019, un vendredi, MarieAlice arendezvous avec « Rob », avec qui elle se projette un futur. Sans prévenir, elle ne s’y rend pas, ce qui ne lui ressemble pas. Elle qui est siprésente sur les réseaux sociaux, si active surson téléphone, voilà qu’elle ne répond plus aux messages de son entourage. Sa sœurHélène, inquiète, tente vainement de l’appeler. Elle joint Luciano Meridda, qui évite de répondre aux questions et affirme ignorer où se trouve MarieAlice. En réalité, quelques heures plus tôt, dans la nuit du 18 au 19 avril, dans son nouvel appartement de Puteaux (HautsdeSeine), il lui a fait avaler des somnifères, avant de la tuer en l’étouffant.
Dans la journée du 19, Luciano demande àson fils Simon, 31 ans, de le rejoindre à Puteaux. Pour toute explication, il affirme avoirfait « une connerie ». Les deux hommes placent le corps dans une malle métallique. « Ons’est dit ensuite qu’on ne ferait rien aujourd’hui et que le mieux à faire, c’était de quitter les lieux, expliquera Simon Meriddaaux enquêteurs. Il m’a dit de partir travailler et qu’on trouverait une solution demain. » Luciano luimême travaille cette aprèsmidilà au volant de son taxi, comme si de rien n’était, laissant le corps de MarieAlice chezlui. Le soir, il va dormir chez l’une de ses maîtresses. Le lendemain matin, il rejoint son domicile et retrouve Simon. Après avoir sortile cadavre de la malle, ils l’enferment dans ungrand sac de voyage, qu’ils emportent dans le coffre de la voiture du jeune homme. Ilstentent d’abord de l’enterrer dans une forêt,mais n’y parviennent pas. Leur véhiculeétant embourbé, ils doivent même appelerune dépanneuse à la rescousse. Ils décidentalors de balancer le sac dans l’Oise, où il sera repêché deux jours plus tard.
Luciano s’enfuit en Italie, d’où il téléphoneà son fils. Sans jamais s’étendre sur les raisons de son acte contre MarieAlice, il affirme vouloir se suicider. Le jeune homme cherche à l’en dissuader : « Je lui ai dit qu’il n’était pas doué avec la mort et qu’il finirait paraplégique et condamné », a déclaré ce dernier devant les enquêteurs. Son père a toutde même fini par se tuer en se jetant sous uncamion dans le nord de l’Italie. Seul Simon Meridda, mis en examen pour recel de cadavre, sera donc jugé dans cette affaire, pour laquelle il encourt deux ans de prison.
Le procès permettratil d’en savoir davantage sur les circonstances exactes de la mort de MarieAlice ? Luciano avait fait disparaîtreson téléphone, qui n’a jamais été retrouvé, etn’a laissé derrière lui aucune lettre d’explication. « Il a fait ça parce qu’elle avait vraimentdû lui faire comprendre que c’était fini, pour de bon, avance Catherine Sallenave. Et lui s’estdit : “Si je ne peux pas t’avoir, personne net’aura.” » Ultime étape de l’emprise, celle de la« réappropriation ». Simon Meridda a indiqué aux enquêteurs que son père, « jusqu’audernier moment », ne lui avait jamais avoué ne plus être avec MarieAlice.
Sur sa page Facebook, le 7 mars 2019, celleci avait changé sa photo de profil, nouvelle coupe et cheveux teints en blanc. Lescouleurs sombres « durcissent le visage, c’estmieux de préférer la lumière », commentaitelle, tout en déplorant que le blanc soit associé à la vieillesse. « Ce qui doit poser problème à de nombreux hommes, c’est qu’avec l’âge, les femmes gagnent en assurance et en pouvoir d’agir », rebondissait une connaissance. MarieAlice semblait d’accord et citaitSimone de Beauvoir : « Une femme qui n’apas peur des hommes leur fait peur. » En titrede sa photo, elle avait écrit : « Time for change. » Luciano Meridda ne lui en a pasdonné la possibilité.
yann bouchez
MarieAlice Dibon (page de gauche) a été étouffée par son compagnon, qui a mis son corps dans un sac de voyage et l’a jeté dans l’Oise. Sa sœur Hélène (cicontre, le 21 février) et ses amis, parmi lesquels Laure de La Guéronnière (cidessous), la décrivent comme une femme « cultivée », « sociable », « féministe convaincue ». PHOTOS CAMILLE GHARBI POUR « LE MONDE »
« DÈS QU’ELLE ÉTAIT LOIN DE LUI,
ELLE ÉTAIT JOYEUSE. MAIS QUAND
JE REVOIS LES PHOTOS,
J’AI L’IMPRESSION QU’IL Y A UN ŒIL
QUI PLEURE ET UN ŒIL QUI RIT »
JACQUELINE DIBONla mère de Marie-Alice
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22 | CULTURE MARDI 19 MAI 20200123
ChaumontsurLoire revoit la vie en vertLe château et ses jardins, le parc et ses installations, ainsi que le festival international, ont ouvert samedi 16 mai, pour le plaisir des visiteurs de la région
REPORTAGEchaumontsurloire
(loiretcher) envoyée spéciale
L e traditionnel tapis vertn’a pas été déroulé cetteannée. La simple réouverture, samedi 16 mai,
du domaine de ChaumontsurLoire (LoiretCher) était en soi unévénement : elle a à la fois remplacé l’inauguration de la programmation d’art contemporain, qui devait être lancée fin mars, et celle du Festival international des jardins, rendezvous très attendu du début du mois demai. Une réouverture pas si évidente que ça quand on considèrel’envergure des lieux : 32 hectares de parc, jardins et bâtiments historiques, en premier lieu le château et ses écuries, à rendre conformes au protocole sanitaire dudéconfinement.
Dès 10 heures, une fois passé lecontrôle des billets – qu’il est conseillé d’acheter en ligne pour éviter tout contact –, tout en respectant les distances de sécurité, les premiers visiteurs munis d’unmasque, obligatoire dans les espaces intérieurs, ont pu reconquérir les lieux, pour le moment accessibles aux seuls résidents dufameux périmètre de 100 km.
« Les Parisiens représentent habituellement une partie importante des visiteurs, mais nous avons la chance de nous trouverau cœur de la région CentreVal deLoire, entre Tours et Orléans », confie Chantal ColleuDumond,la directrice des lieux. Ancienneconseillère culturelle à Bucarest,Rome et Berlin, cette passionnéed’art et de jardins a pris les rênes de cet établissement régional et patrimonial en 2007, en associantune saison d’art contemporain auFestival international des jardins, qui préexistait.
« Journée test »On croise une famille de Tours, qui a appris la réouverture la veille à la radio. « On a besoin d’espaces de nature après le confinement, et on se doutait qu’il n’y aurait pas grand mondeaujourd’hui, c’est parfait. D’habitude, on se déplace le nez au vent, là, avec le fléchage du parcours et un sens de circulation, c’est plus cadré, mais ça reste très agréable. »
La matinée est très calme, le soleil radieux. Une parfaite « journée test » pour redémarrer et amorcer un retour à la normale dans ce département en zone verte, qui attend un assouplissement à partir du 2 juin. « Les visiteurs étrangers représentent en général 25 % de la fréquentation, contre 50 % pour Chambord. Nous espérons qu’il y aura un phénomène de compensation avec davantage de public français cette année », détaille la directrice, qui arpentele domaine en voiturette.
Un couple matinal reconnaît venir d’audelà des 100 km réglementaires : « Nous arrivons de LoireAtlantique, mais pour des raisons professionnelles, avec un justificatif ! Après, on profite de cedéplacement pour venir à Chaumont, où nous venons en toutessaisons depuis une quinzaine d’années, parce que c’est un lieu magique, plein de surprises, notamment grâce à l’art. Et ça fait un bienénorme de sortir du monde virtuel dans lequel le confinement nous avait plongés. »
La réalisatrice et scénariste Coline Serreau, l’une des marraines du festival cette année, est venueen voisine, et en famille. « Je viens 3, 4, 5, 6 fois par an ! Non seulementparce que j’habite à 500 mètres, et que les restaurants y sont fort bons,mais surtout parce que Chantal ColleuDumond fait un travail incroyable : c’est une super gestionnaire, elle a un goût d’acier et c’est une immense jardinière. Personne ne le sait, mais c’est elle qui conçoit tous les espaces interstitiels des jardins. Elle aime produire de la beauté pour les gens, de tous horizons ou classes sociales. Il y a ici un esprit de liberté, et une luxuriancequi n’est jamais manucurée. »
Amatrice d’art contemporain, elle vient aussi y faire des découvertes : « Chantal n’oublie jamais les femmes artistes. L’art fait par des femmes n’est ni mieux ni moins bien, seulement moins visible, or, il offre des regards sur le monde qu’il faut montrer. »
C’est devenu une des caractéristiques de Chaumont : présenter à la fois le travail d’artistes reconnus(d’El Anatsui à Andy Goldsworthy ou NilsUdo) et celui d’artistes plus dans l’ombre. Largement méconnue, Marinette Cueco, dont les herbiers abstraits et les dentelles de végétaux révèlent jusqu’à la beauté nacrée des peaux d’ail ou d’oignon, fait ainsi l’objet d’une exposition dans le château. Comme les deux têtes d’affiche dela saison de la saison, Pascal Convert et Giuseppe Penone.
Un joyeux biotopeLe premier a reconstitué la bibliothèque de la princesse de Broglie, qui avait brûlé dans le châteauen 1957, avec des ouvrages en verre, où de vrais livres, encore visibles en transparence, ont été encapsulés et en partie calcinés par la matière en fusion. « Un paradoxal retour des livres par le feu », résume la directrice. Autre production pour Chaumont, autretravail sur la mémoire : l’artiste a retrouvé des souches d’arbres abattus pour creuser des tranchées pendant la première guerremondiale. Des souches, rebuts généralement restés sur place, qu’ila peintes en noir et installées, racines vers le ciel, dans le parc historique, comme un étrange cimetière à la mémoire des soldats tombés.
Quant à Penone, il ouvre le parcours avec une nouvelle œuvre enextérieur, conclut son exposition de dessins (inédits) par une sculpture, Respirare l’ombra (« respirer l’ombre »), poumons en feuilles de laurier dorées, qui résonne de façon frappante en cette période de Covid19.
La qualité vibratoire de la naturese dégage de nombreuses œuvresde l’année, des toiles de Philippe Cognée – qui a sorti l’urbain de son cadre pour laisser la place auxbroussailles, champs et forêts – jusqu’aux tableaux de cristaux deLéa Barbazanges ou à la poutre deplumes d’Isa Barbier, dont les fré
missements font contrepoint auxobstruantes poutres de l’installation de Jannis Kounellis, l’une desnombreuses pièces des éditions précédentes ayant pris racine dans l’écrin chaumontais.
Côté festival, sur la vingtaine dejardins présentés cette année, le plus singulier est une sorte de jardincicatrice où la nature, comestible ou toxique, recompose unjoyeux biotope au milieu de vestiges industriels et urbains, où leplan d’eau relève de l’infiltration marécageuse. Il s’agit du Jardin dela résilience, d’Eric Lenoir, paysagiste, pépiniériste et auteur du Petit traité du jardin punk : apprendre à désapprendre (Terre vivante,2018), invité en « carte verte ».
Depuis 2012, l’ajout d’un parc de10 hectares permet de créer des jardins permanents en écho aux
« Tout le monde est un peu sorti du cadre dans cette période »Chantal ColleuDumont, directrice du domaine de Chaumont, explique comment les équipes se sont réorganisées face au confinement
ENTRETIEN
A la tête de l’établissementrégional et patrimonialdepuis 2007, où elle a
créé une saison d’art contemporain, Chantal ColleuDumont compte sur le retour des visiteurs cet été pour compenser le manque d’entrées dû aux deux mois de confinement.
La période de confinement a été très active à Chaumont, malgré la fermeture…
Annoncé à dix jours de l’ouverture de la programmation artistique, le coup d’arrêt a été brutal,mais nous avons immédiatement élaboré un plan d’attaque,car la période entre le 15 mars et le 15 avril, c’est le cœur des plan
tations et la finalisation du Festival des jardins. Les gens étaienttétanisés d’angoisse, il a fallu beaucoup rassurer en interne, mais aussi les équipes de concepteurs de jardins invitées. Nousavons réussi à convaincre les unset les autres de venir à tour derôle et en toute sécurité, avec dutravail en plein air et des masques fournis par la région. Nousne savions pas quand nous pourrions rouvrir, mais nous étionsdéterminés à être prêts pour le1er mai.
C’est un tour de force. Comment vous êtesvous organisés ?
Nous avons tenté d’être à la foistrès rigoureux et très réactifs. Pour faire face, les équipes ont étéformidables et polyvalentes : nos
jardiniers ont planté à la place desconcepteurs, des médiateursnous ont aidés à désherber des cours du château et des écuries, par exemple. Tout le monde est un peu sorti du cadre dans cettepériode exceptionnelle ! Et le coup de feu a été décisif les quinzederniers jours, alors même qu’il y a eu une tempête. Nous avons pu réaliser tous les jardins sauf trois, deux sont juste décalés, un est reporté à l’an prochain.
Rouvrir tôt étaitil vital pour le domaine ?
Deux mois, c’est une interruption massive à cette saison, d’habitude d’une incroyable effervescence. Chaumont est un grandvaisseau, avec 80 permanents, et jusqu’à 160 l’été avec les saison
niers. Rouvrir le plus tôt possibleétait la priorité car nous nousautofinançons à hauteur de 75 %. Il fallait absolument redémarrer pour que Chaumont ait un avenir. Pour fonctionner, nous devons gagner 8 millions d’eurospar an, or, à la mimars, juste avant le lancement de la saison, nous en étions à 180 000 euros.
Nos sources de revenus sont labilletterie, avec 500 000 visiteurs par an, nos deux boutiques, quiont rouvert, nos deux restaurants, qui restent pour l’instant fermés mais qui proposeront bientôt des paniersrepas, et les ateliers et formations, qui restenten suspens. Les deux mois deconfinement correspondent à unmanque à gagner d’à peu près1 million d’euros.
Etesvous pleinement rassurée ?Nous avons eu l’autorisation
préfectorale mercredi 13 mai à 19 heures, et annoncé, jeudi 14, l’ouverture pour le samedi 16. Nous avons communiqué, bien sûr, mais nous ne voulions pas non plus un afflux massif les premiers jours, on a besoin de rester prudents et de se roder avec les protocoles sanitaires. Peutêtre prolongeronsnous un peu la saison d’art pour compenser lesdeux mois de fermeture. Maisoui, nous sommes soulagés, car on devrait éviter la catastrophe.
Cet épisode pandémique auratil un impact sur le positionnement de Chaumont ?
Cette 29e édition du festival, intitulée « Les Jardins de la terre, re
tour à la terre mère », a une thématique très écologique. Elleavait été choisie dès l’été dernier,avec l’idée de retrouver une relation harmonieuse avec la terre etla nature en proposant des solutions face à l’exploitation industrielle et à la destruction de labiodiversité, comme le retour à des techniques agricoles ancestrales ou le recyclage. Le contextede la pandémie est venu rappelerque la destruction des écosystèmes rapproche dangereusement l’homme de la vie sauvage, parexemple des pangolins. Celanous renforce dans notre volonté de célébrer la relation del’homme à la nature, dont il a besoin et qu’il doit respecter poursurvivre.
propos recueillis par e. j.
Une famille visite les jardins du domaine de ChaumontsurLoire (LoiretCher), samedi 16 mai. En arrièreplan, « La Constellation du fleuve », de Christian Lapie. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »
La réalisatrice et scénariste
Coline Serreau,l’une des
marraines du festival, cette
année, est venueen voisine
et en famille
grandes civilisations de jardins. Après les jardins chinois, japonaisou anglais, la nouveauté cette année est un jardin sudafricain, àdécouvrir juste avant la sortie.
La fréquentation s’est raisonnablement intensifiée au fil de l’aprèsmidi : quand, à la mêmepériode, le domaine draine quotidiennement environ 2 000 personnes, cette première journée aura attiré un peu plus de 200 visiteurs. Le pont de l’Ascension, le weekend prochain, s’annonced’ores et déjà beaucoup plus chargé.
emmanuelle jardonnet
Domaine de ChaumontsurLoire, ouvert tous les jours de 10 heures à 19 heures. Tarifs : 19 €, 12 € et 6 € en tarif réduit, passe famille, passes annuels.
Penone ouvre le parcours
avec une nouvelle œuvre
en extérieur et conclut son exposition de
dessins inéditspar une sculpture
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0123MARDI 19 MAI 2020 culture | 23
Jérôme Bel et son laboratoire de création à distanceDepuis le 16 mars, le chorégraphe fait travailler des élèves de l’Ensemble chorégraphique chez eux
DANSE
A u début, c’était assezénigmatique, alorsmême que ça avait l’airtrès simple à exécuter.
Danser comme dans une fête ou setirer sur la peau du ventre, ça n’a l’air de rien à première vue, et pourtant ! » Voix claire, Zoé De Sousa,21 ans, étudiante au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, se livretranquillement. Depuis lundi 16 mars, elle participe, avec lestreize préprofessionnels de l’Ensemble chorégraphique, à un laboratoire de création à distance piloté par le chorégraphe Jérôme Bel. « Ce télétravail par mail avec Jérôme n’a évidemment rien à voir avec le rapport direct en studio, mais il permet une introspection et une réflexion sur ce qu’est un interprète en danse », ajoutetelle.
Crise sanitaire oblige, mille etune stratégies se déploient pour faire travailler les danseurs chez eux. Dès le début du confinement,le pôle des études chorégraphiques dirigé par Cédric Andrieux a réagi en proposant aux 126 élèves, âgés de 14 à 22 ans, un cadre de cours en ligne, de la fiche technique à la préparation physique, avec un volume horaire quasiment identique à celui qui existait.
Pour l’Ensemble chorégraphique, en première année de master autour de la question du répertoire, une collaboration avecJérôme Bel était programmée, quia été adaptée au contexte. « Il s’agit de développer un processus de recherche en tête à tête avecchacun des étudiants à travers desvidéos et des mails, précise Cédric Andrieux. C’est tout un autre mode de pensée de la danse qui apparaît, plus conceptuelle. Il y aeu un petit moment de panique audépart, en particulier, du côté descinq interprètes classiques qui sont habitués à reproduire un vocabulaire et pas à ce qu’on leur pose des questions, mais tout s’est mis en marche depuis. »
Concrètement, Jérôme Bel a envoyé à chaque élève quatre extraits de ses pièces dont la « dansede la peau », du spectacle JérômeBel (1995), dans lequel les interprètes nus se malaxent le corps, etLet’s Dance, jet clubbing sur letube de David Bowie, de The Show
Must Go on (2001)… Objectif : interpréter librement ses morceaux choisis en envoyant le résultat sur vidéo. Parallèlement, il leur a demandé d’écrire un texteautoportrait. « Cette méthode n’est pas très nouvelle pour moi, précise Jérôme Bel. Pour des raisons écologiques, j’ai décidé, il y aun an, que ni ma compagnie nimoi ne prendrions plus l’avion
pour nos déplacements, ce qui m’a permis de tester certaines répétitions à distance. J’ai créé deux versions du spectacle Isadora Duncansimultanément, une à Paris et une à New York, par Skype. Nous avonstransmis plusieurs pièces du répertoire de la compagnie récemmentà Taipei et à Miami sans avoir à nous déplacer. Tout cela grâce auxvidéos, aux transcriptions sur papier et aux téléconférences. »
« Se retourner la peau »Pour de tout jeunes danseurs, habitués à la pratique en groupe, cette méthode de recherche oblige à secouer sa pratique. Chacun devant son ordinateur, la réception des images et consignes n’a pas toujours été évidente. Certains ont mis du temps à répondre et à envoyer leurs ima
ges. « Nous faisons ensemble desexpériences, ensemble nous tâtonnons », précise Bel, qui s’adapte aurythme des participants.
« J’étais assez déstabilisée au départ par cette proposition », confieMarie Albert, 21 ans. Tandis queZoé De Sousa s’est sentie « perdue,paralysée même ». « Et puis, j’ai digéré et me suis lancée, poursuitelle. C’est assez violent de se retourner la peau comme le font les interprètes de Jérôme Bel. Je n’osaispas et je me demandais aussi dansquelle pièce me filmer, comment aborder la nudité ? J’ai décidé de le faire dans ma baignoire… »
Marie Albert, elle, a improviséen short et le buste nu. « En fait, j’ai peu à peu réalisé qu’il cherche lecorps de tout le monde sans démonstration. Il faut d’abord être simple, modeste, le plus sincère
possible dans ce qu’on fait. Je découvre grâce à cet atelier comment les outils techniques doivent servir à bon escient et commentaussi ne pas subir sa formation. »
Le passage à l’écriture et à l’autobiographie s’est aussi révélé uncap crucial. Se retrouver tout jeune vingtenaire à retourner lescouches de sa vie, de son désir de danse, en se dévoilant pour dénicher les mots de ses émotions, ne tombe pas direct sur le clavier.
« Etre confinée et plonger dansun état introspectif n’a pas été facile, reconnaît Marie Albert. Je n’aipas beaucoup d’expérience, alors j’ai parlé de mes débuts dans ladanse, à La Réunion, où j’ai habité jusqu’à 17 ans. J’ai écrit de manière très sobre. Les retours rapides, quasiment du jour au lendemain, de Jérôme, qui est très honnête,
très cash, m’aident beaucoup à avancer, mais je n’ai pas encorefini. » Quant à Zoé De Sousa, elleen est à la « quarantième version » de son texte et a été profondément remuée par cette recherche.« C’est la première fois que je mepenchais sur moimême et j’ai toutdonné jusqu’à mes côtés sombres,confietelle. Mais j’ai aussi réalisé que si j’adore donner en tant que danseuse, il est nécessaire de fixer des limites à ce que l’on veut offrir au chorégraphe. »
Alors que le confinement entame le moral, fait vivre des hautset des bas émotionnels, ces échanges profonds et prenants ont bouleversé les participants. Zoé De Sousa poursuit : « Cela m’a permis de faire un bilan sur des choses pas faciles de ma vie et de réaliser que la danse est vraiment ma porte de secours, mon ticket d’intégration, et maintenant j’ensuis sûre. » « Mais comment envisager aujourd’hui cet avenir de ladanse ?, s’inquiète Marie Albert. Jerêvais de grandes choses, de tourner dans le monde entier et je commence aujourd’hui à repenser mesdésirs à d’autres échelles. »
Quant à Jérôme Bel, il se déclare« ébranlé par l’énergie et la fragilitémêlées de ces jeunes gens ». « Cette rencontre qui s’est précipitée sans avoir suivi les codes habituels de lasociabilité entre le chorégraphe etles danseurs, cette incertitude, cette vulnérabilité que nous éprouvons tous en ce moment font que le travail prend une dimensioninattendue. Il en ressort une infiniedélicatesse ainsi qu’un abandon poignant de la part des interprètes. » Le labo se terminera lundi15 juin en attendant un rendezvous, en chair et en os, à la rentréede septembre.
rosita boisseau
Les danseurs de la compagnie Batsheva lancent leur festival en ligneJusqu’au 24 mai, ils réalisent depuis chez eux, à TelAviv, cours, performances et concerts
FESTIVAL
S e serrer les coudes, mutualiser ses ressources. Pour lapremière fois, le rendez
vous annuel Batsheva DancersCreate, créé en 2003 à TelAviv etprésentant des créations inédites des interprètes de la troupeisraélienne Batsheva, basculedans le numérique. Jusqu’au24 mai, sur un site ouvert pourl’occasion, le nouveau festivalBatsheva Creates Online déploiera un programme quotidien de cours, performances etconcerts réalisés de chez eux parles 28 membres des deux groupes de la Batsheva : la Compagnieet le Young Ensemble.
« C’est la première fois que nouscollaborons tous ensemble, précisent les danseurs Ben Green etEtay Axelroad, deux des quatre responsables de l’opération, avec Guy Davidson et Danai Porat. Nous avons commencé à penser à ce rendezvous dès le 1er avril, au début du confinement. Dans le
contexte du Covid19, il était important de combiner nos forcesdans une entreprise commune. Nous avons toujours des plannings différents, et il est rare que nous soyons tous disponibles au même moment. »
Moyens du bordAutant donc en profiter, non seulement pour se maintenir en forme, mais pour faire pulser sa créativité. Et sur ce terrain, les interprètes furieusement virtuoses et inventifs de la Batsheva nemanquent pas de munitions. Chacun chez soi, entre la cuisine,la chambre, la douche et l’entréede l’immeuble, un menu apéritifa été concocté, comme le met joliment en scène la bandeannonce réalisée par César Brodermann sur le site de la manifestation.« Nous avons choisi, en raison de lacrise sanitaire, le thème des limites, qu’elles soient spatiales ou intimes, poursuit Ben Green. Chacun travaille avec son téléphone portable ou une webcaméra. »
Moyens du bord, donc, pour unplongeon dans les conditions de vie de chacun, dont celles d’un livreur à vélo à TelAviv. A la renverse sur la balustrade de son petit balcon, la chorégraphe YardenBareket se réveille en mesurantson aire de jeu pour mieux basculer dans un bon rock qui fouette.Avigail Shafrir et Yoni Simon ont transformé leur toit en miniplage avec fauteuils pliants et piscine gonflable, ça éclabousse sur un mambo de Perez Prado. « Il y aura évidemment des solos et des
duos, lorsque les danseurs confinent en couple, mais aussi unecréation de groupe à distance en live sur Facebook, ajoute Etay Axelroad. Une galerie virtuellepour le public sera ouverte pour y envoyer photos, dessins, poèmes. »
Une dizaine de propositions seront mises en ligne quotidiennement jusqu’au 24 mai, en accès libre, et disponibles pendant vingtquatre heures « Nous avons lachance, ici, de continuer à être payés par la compagnie dirigéepar Ohad Naharin, et le festival est aidé financièrement par le fonds Michael Sela pour l’aide aux jeunestalents de la Batsheva », soulignent Ben Green et Etay Axelroad.Une excellente nouvelle dans un contexte mondial où la plupartdes danseurs, en particulier les indépendants, se retrouvent actuellement sans emploi ni soutien.
r. bu.
Batsheva Creates Online, jusqu’au 24 mai, Batshevacreates.com
Une dizaine de propositions
seront disponibles
quotidiennementpendant vingt-quatre heures
et en accès libre
« The Show Must Go On » (2001), de Jérôme Bel. MUSSACCHIO LANIELLO
« Nous faisons ensemble
des expériences,ensemble nous
tâtonnons »JÉRÔME BELchorégraphe
« C’est toutun autre mode
de penséede la danse
qui apparaît, plusconceptuelle »
CÉDRIC ANDRIEUX,responsable du pôle
des études chorégraphiques
RECTIFICATIFContrairement à ce que nous avons écrit dans l’article « A SaintOuen et à Caen, on aspire à un changement de programme », dans l’édition du Monde datée du 15 mai, la décision de construire le futur hôpital Grand Paris Nord sur la parcelle de 41 000 m2 actuellement occupée par uneancienne usine de pièces détachées du groupe PSA Citroën, à SaintOuen (SeineSaintDenis), plutôt que sur un terrain plus vaste de la ZAC des Docks voisine, n’a pas été prise par William Delannoy, le maire (UDI) de SaintOuen, mais par l’APHP. Le terrain de la ZAC des Docks avait été validé par la ville lors de la signature d’un protocole d’accord en décembre 2016. Une étude a ensuite révélé que la zone des Docks se situait en zone inondable. L’Etat et l’APHP ont alors décidé, à la suite de l’annonce de la fermeture de l’usine PSA Citroën, d’établir l’hôpital sur cette parcelle.
LITTÉRATURELa ville de Nancy maintient son salon Le Livre sur la placePremier salon national de la rentrée littéraire, Le Livre sur la place se tiendra bien au
mois de septembre à Nancy, mais avec d’importants aménagements. Laurent Hénart, le maire (MR) de la ville, candidat à sa réélection, a annoncé que la 42e édition de la manifestation aura lieu « sous une forme différente » et sans son habituel chapiteau. Le festival, qui devait initialement avoir lieu les 11, 12 et 13 septembre, devrait se poursuivre les weekends suivants, jusqu’à la mioctobre. « L’idée est d’échelonner les lectures, rencontres et dédicaces sur plusieurs weekends, avec des jauges de salles beaucoup plus faibles », a expliqué M. Hénart, précisant qu’une sorte de « village » serait mis en place dans le centreville. – (AFP.)
MUSIQUELe Festival de La Chaise-Dieu est annuléLa 54e édition du Festival de musique de La ChaiseDieu (HauteLoire), prévue initialement du 20 au 30 août, n’aura pas lieu en raison du Covid19. Le conseil d’administration de l’association Festival de La ChaiseDieu a considéré que les conditions n’étaient pas réunies pour assurer le bon déroulement et la sécurité des 20 000 visiteurs attendus. – (AFP.)
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24 |styles MARDI 19 MAI 20200123
Ecran total pour les fashion weeksFini les personnalités au pied des podiums, les photographes et les happy few à la sortie des défilés. Après Londres, c’est au tour de Paris et de Milan de décréter que leurs semaines de la mode se dérouleront en ligne. Avec un nouveau défi : maintenir un calendrier officiel
MODE
C ondamnée à exister àtravers des écrans en période de confinement,la mode restera digitale
dans les semaines à venir. Quelques jours après que la LondonFashion Week a indiqué qu’elledeviendra totalement digitale, la Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM), qui organise la puissante fashion week de Paris, lui emboîte le pas. Le 6 mai,elle a annoncé la tenue d’un événement 100 % numérique, quiaura lieu du 9 au 13 juillet.
Pour compléter le tableau, laChambre nationale de la mode italienne (CNMI), l’organisateurde la fashion week milanaise, adécrété, le même jour, que sa session se tiendra également en ligne, et dans la foulée (du 14 au 17 juillet). Voici donc venue unesaison sans carton d’invitation ni premier rang, sans photographes de street style, ni salut final sousles applaudissements.
Pour Paris comme pour Milan, ils’agira de présenter au travers de films et divers contenus (photos,
livestreaming, séminaires en ligne, etc.) les collections homme printempsété 2021 et les précollections printempsété 2021. Uneinitiative qui n’allait pas de soi il ya peu. « Dans la mode, la réunion physique de la fashion week est un repère : un rituel où se retrouveune communauté. Sa digitalisation briserait l’unité de lieu et l’amoindrirait en termes de sensations et d’émotions », jugeait Pascal Morand, le président exécutif
de la FHCM, devant un groupe de journalistes français, le 18 septembre 2019. Six mois quasiment jour pour jour avant le confinement de la France. Depuis, une pandémie mondiale, assortie de déplacements limités, de frontières fermées et de vols aériens suspendus, a balayé les certitudes et contraint le système de la mode à faire preuve de souplesse.
Dès février, Milan avait franchiune première étape avec le projet
« China, We Are With You » : la retransmission de ses défilés en ligne pour les professionnels chinois empêchés de se rendre à l’étranger. « Plus de 25 millions depersonnes ont ainsi pu assister virtuellement » à ces parades, se félicite la CNMI. Cette fois, les platesformes numériques de juillet représentent, comme le résume laCNMI, « une réponse concrète au besoin de promotion et de business exprimé par les marques ».
Car, en mode comme ailleurs, lanature a horreur du vide. Et, simaisons et créateurs n’ont pas pour l’instant publiquementréagi aux annonces de Paris et de Milan, ils devraient profiter duterrain d’exposition offert, carconvaincre journalistes et surtout acheteurs de l’intérêt d’une collection reste un prérequis pour espérer vendre des vêtements ensuite.
Saint Laurent fera bande à partSi, pour juillet, les programmes restent à découvrir, on sait déjà que les jeunes labels recevront uncoup de pouce. Milan s’engage à financer la production de leurscontenus. Paris les mettra en lumière dans Sphere, un showroomréservé, rendu virtuel. Mais, pour parvenir à faire de leurs événements numériques un succès, les organisateurs devront prendre soin de composer un calendrier divers. Paris, notamment, a une réputation à tenir en termes devariété de son offre de mode masculine, qui mélange généralement créateurs pointus (GmbH,Botter, Sankuanz), valeurs montantes (Hed Mayner, JW Anderson, Alyx), fidèles habitués (PaulSmith, Raf Simons, Dries Van Noten) et poids lourds (Louis Vuitton, Dior Men, Hermès).
Autre défi pour les fédérations :conserver leur autorité pour sélectionner les participants et attribuer les horaires des défilés, même s’ils ont lieu en ligne. Le27 avril, Saint Laurent a décrété son émancipation du calendrier officiel pour l’année 2020. Au même moment, en Italie, un coupd’éclat similaire est venu d’Ermenegildo Zegna, qui a déclaré prévoir un événement « phygital » (contraction de physique et digital) de son côté.
Les semaines de la mode dejuillet seront aussi une façon degarder la main pour éviter que lesmarques ne fassent toutes bandeà part. Milan s’est d’ailleurs empressé de préciser que le fameux coup de com « phygital » de Zegna, rattrapé à la volée, figurerait dans les clous du calendrier officiel. De son côté, la FHCM rappelle dans son communiqué que « le principe du calendrier officielest maintenu ».
Pour participer à une fashionweek dématérialisée, chaque griffe doit se repenser ; les designers réfléchir à de nouveauxformats pour présenter leurs
collections ; les directeurs de casting faire une croix sur les mannequins étrangers qui ne pourront pas voyager ; les stylistes et coiffeurs sublimer des silhouettes destinées à n’être vues qu’àtravers un écran ; les constructeurs de décors apprendre à bricoler des mises en scène purement virtuelles. Les professionnels qui forment un microcosmecosmopolite resteront, quant àeux, cloîtrés dans leurs pays.
Conséquences ? Les chiffres démontrant la puissance incontestée de la fashion week de Paris– 5 000 participants, 5 000 postesen équivalent temps plein, 440 millions de chiffre d’affairesannuel grâce aux retombées économiques, selon une étuderéalisée en 2016 par l’Institutfrançais de la mode et le cabinetQuadrat Etudes – pourraient pâlir… A l’inverse, les acteurs qui devraient en profiter sont lesentreprises du numérique. Lescanaux de communication de Google, Facebook et Microsoft (tels qu’Instagram, Facebook,YouTube, LinkedIn…) seront d’ailleurs partenaires de Londreset de Milan (Paris n’a pas encoreprécisé les siens).
Le principe même de défilé demode physique, lancé en 1858 parCharles Frederick Worth, se retrouve cette saison, pour la première fois de son histoire, éclipséau profit du digital. Comme un rituel mis en sommeil. Rien de neuf, minimisent depuis quelques jours les connaisseurs, enrappelant le défilé Helmut Lang automnehiver 1998, que l’Autrichien avait montré à travers unevidéo, accessible sur Internet et sur CDRom. Un « grand succès », se remémorait le designer dansun entretien à WWD paru le5 mai. Renouvelée en 2001, l’expérience n’avait pourtant pasété jugée pertinente par les concurrents, qui ne l’ont pas imitée. Jusqu’à ce qu’ils n’y soient contraints et forcés par une crise sanitaire mondiale.
valentin pérez
Les designers doivent réfléchir
à de nouveauxformats pour
présenter leurs collections
Défilé automnehiver 20202021 de Junko Shimada , à Paris, le 3 mars. KRISTY SPAROW/GETTY IMAGES
Et le logo du NHS devint coolTeeshirts, casquettes, pulls… les trois lettres en blanc sur fond bleu du National Health Service, le système public de santé britannique, se portent fièrement outreManche. Et même les marques de streetwear s’y sont mises
C rise sanitaire ou non, onn’a encore vu aucun Français porter un teeshirt
imprimé d’un sigle de l’Assurancemaladie ou de l’APHP. Au RoyaumeUni, il est difficile de faire plus cool, ces joursci, qu’un vêtement à la gloire du National Health Service (NHS), le système de santé publique du pays.
Les Britanniques sont très attachés à ce service qui, depuis sa création, en 1945, représente un enjeu politique constant – ce n’estpas un hasard si, depuis son arrivée au poste de premier ministre, en juillet 2019, Boris Johnson n’a cessé de clamer que le Brexit et le NHS étaient les deux priorités de son gouvernement.
Aucun d’entre eux n’ignore sonlogo, aussi emblématique que celui du métro de Londres : les trois lettres en blanc sur fond bleu (police Frutiger en gras italique sur
bleu Pantone 300, pour être précis). Un sigle iconique dont la création remonte aux années 1990.« Nos études montrent que notre logo est instantanément reconnuet suscite une réaction affective positive basée sur la confiance, sur unsentiment de sûreté et de fiabilité »,peuton lire sur la page du site du NHS consacrée à ce qui est présenté comme l’un des symboles « les plus appréciés d’Angleterre ». Et voilà que la tempête Covid19, et ses plus de 230 000 cas confirmés au RoyaumeUni à l’heure oùl’on écrit, enfonce le clou.
« Stay at home » chez RixoCes dernières semaines, une pléiade de marques britanniquesont lancé des produits exclusifsdestinés à soutenir financièrement l’organisation : teeshirtsimprimés d’un cœur chez Chinti& Parker, de la mention « Stay at
home » chez Rixo ou d’un lettrage arcenciel chez Marks& Spencer, casquette chez Blacksmith, pull aux poignets multicolores chez Mint Velvet, colliergravé d’un dessin de deux mainsen train d’applaudir (le personnel soignant) chez le joaillierMissoma… Et surtout, des labelsde streetwear se sont emparés dufameux logo.
Ainsi, la marque Sports Banger aressorti un sweatshirt déjà célèbre en GrandeBretagne, sur lequel coexistent les sigles du NHS et de Nike : un modèle originellement lancé en 2015 en faveur desjeunes médecins anglais, dont les bénéfices servent aujourd’hui à livrer des repas dans les servicesde soins intensifs de plusieurs hôpitaux londoniens.
Le fondateur de la marque,Jonny Banger, a déclaré avoir récolté près de 100 000 livres ster
ling (114 000 euros) en trois ventes en ligne d’une demiheure chacune, les premiers vendredis soir de cette période de crise.
Même esprit chez Palace Skateboards, qui est peu ou prou considéré comme l’équivalent anglais de la marque newyorkaise Su
preme : sa capsule de sweats et teeshirts aux couleurs du NHS,entièrement conçue au profit deceluici, a été lancée en ligne le1er mai et épuisée en l’espace de…deux minutes.
Moins attendu, mais tout aussi« street », le label de musique Ori
gins Sound s’est associé à la graphiste Victoria Boyle pour créerdes écharpes inspirées de celles des supporteurs de clubs defoot, à ceci près que l’équipe iciencouragée est celle des soignants : moyennant 19,99 livres(22,80 euros), on peut se procurerl’un des deux modèles au choixportant l’inscription « Social distancing » (« distanciation sociale ») ou « Wash your hands » (« Lavezvous les mains ») et lelogo le plus cool de tous les services de santé du monde au revers.Logo qui, audelà des actions caritatives liées à la pandémie actuelle, est tellement ancré dansle lexique iconographique du RoyaumeUni qu’il suffit de se rendre sur des platesformes comme Etsy, TeePublic ou RedBubble pour se procurer un teeshirt qui en soit frappé.
Bref, arborer le sigle du NHS estplus en vue que jamais chez lesAnglais branchés : il faut dire, entre parenthèses, qu’audelà de labonne cause, la vibration 90’s deson graphisme s’accorde à merveille avec la tendance nostalgique du moment.
théodora aspart
Les bénéfices de la vente de ces teeshirts servent à livrer des repas dans les services de soins intensifs. SPORTS BANGER
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CHARLES LECLERC
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26 |télévision MARDI 19 MAI 20200123
HORIZONTALEMENT
I. Un peu d’abandon qui entraîne le désordre. II. Arrive après le Qua-trième et fut assassiné par son oncle Richard III. Chaîne d’Asie mineure. III. Militaire avant de prendre la plume. Toujours grand dans l’accom-pagnement. IV. Evite la surpopula-tion. V. A la fin de l’office. Ses affaires sont toujours importantes. Choix personnel. VI. Petits bassins. Mis de côté. VII. Appréciation. Née au XXe siècle, elle n’a pas connu le sui-vant. Des cailloux dans les déserts. VIII. Belle centaurée des champs et des prés. Préposition. Donné dans la fosse. IX. Article. Déplaçai en force. X. Expérimenteraient.
VERTICALEMENT
1. Pourra donc rester propre. 2. Flexibles et plus faciles à l’emploi. 3. Chargées de senteurs marines. 4. Bosser dur. Tendit la main. 5. Pos-sessif. Touché physiquement et mo-ralement. 6. Retirés du monde. En fin de journée. 7. Une petite part de gray. En fin de cortège avant de passer à l’action. 8. D’un auxiliaire. Contesta. 9. Lettres de retard. Fait toujours cou-rir le monde. Mesure prise ailleurs. 10. De la récupération sous vos pieds. Entre deux lisières. 11. Avant Tokyo. Doit ses emmanchures à un lord. 12. Tendait avec force.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 116
HORIZONTALEMENT I. Groupuscules. II. Recruteur. Ré. III. Ale. Religion. IV. Viager. Tends. V. Igné. Ise. CEA. VI. Listent. Niet. VII. Lé. Au. Agis. VIII. Oud. Sade. Apo. IX. NSOE. Mention. X. Sécurisantes.
VERTICALEMENT 1. Gravillons. 2. Religieuse. 3. Océans. Doc. 4. Ur. Geta. Eu. 5. Pure. Eus. 6. Utérin. Ami. 7. Sel. Stades. 8. Cuite. Gêna. 9. Urge. Ni. Tn. 10. Incisait. 11. Erodée. Poe. 12. Sensations.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
GRILLE N° 20 - 117PAR PHILIPPE DUPUIS
SUDOKUN°20117
6
9 8 1 5
5 3
4 1
9 3 6 7 8 4
7 8
2 6 4 9
9 5 2 4 6Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
4 1 6 3 5 9 8 7 2
5 2 3 1 8 7 9 4 6
9 7 8 4 6 2 5 3 1
1 9 7 5 3 8 2 6 4
6 5 4 7 2 1 3 9 8
3 8 2 9 4 6 1 5 7
7 4 9 2 1 3 6 8 5
8 3 1 6 7 5 4 2 9
2 6 5 8 9 4 7 1 3
Tres facileCompletez toute la
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Chamanes, druides,guérisseuses…
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TF121.05 Harry Potter et le prince de sang-mêléFilm de David Yates. AvecDaniel Radcliffe, Emma Watson, Rupert Grint (RU-EU, 2009, 170 min).23.55 Les ExpertsSérie. Avec Ted Danson,Marg Helgenberger (EU, 2011).
France 221.00 Cash InvestigationMagazine présenté par Elise Lucet.23.15 MénopauséesDocumentaire de Joëlle Oosterlinck (Fr., 2019, 55 min).
France 321.05 TandemSérie. Avec Astrid Veillon,Stéphane Blancafort (Fr., 2020).22.50 TandemSérie. Avec Astrid Veillon (Fr., 2017).
Canal+21.05 Portrait de la jeune filleen feuFilm de Céline Sciamma.Avec Adèle Haenel, Noémie Merlant (Fr., 2019, 119 min).23.00 PerdrixFilm d’Erwan Le Duc.Avec Swann Arlaud, Maud Wyler(Fr., 2019, 100 min).
France 520.50 Recettes pour un monde meilleur : mieux mangerpour changer le futurDocumentaire de Benoît Bringer(Fr., 2020, 70 min).22.45 C dans l’airMagazine présentépar Caroline Roux.
Arte20.50 Corée, une guerre sans finDocumentaire de John Maggio(Fr., 2020, 90 min).22.20 Permis de tueraux PhilippinesDocumentaire de Marc Wiese(All., 2019, 90 min).
M621.05 L’InvitationPièce d’Hadrien Raccah, enregistrée au Théâtre de la Madeleine, à Paris, en 2020.22.45 Le FusiblePièce de Sylvain Meyniac, enregistrée aux Bouffes parisiens en 2017.
La vie selon Zoey est une comédie musicaleAustin Winsberg marie habilement un scénario de soap opera avec des moments chantés et dansés
WARNER TVMARDI 19 - 20 H 55
SÉRIE
Z oey a beau être unecodeuse d’élite, employéepar une firme hightechétablie près du port de
San Francisco, elle n’en est pas moins un fossile vivant, une héroïne vertueuse et traditionnelle comme on en voyait il y a très longtemps sur le grand écran, ou le petit, quand celuici était encorecathodique. De ce contraste, à la limite de l’oxymore, entre l’environnement numérique et les figures éprouvées du drame et de la comédie familiale, Austin Winsberg, le créateur de Zoey et son incroyable playlist, fait bon usage, façonnant un microcosme rassurant et souvent charmant, dans lequel l’inédit est systématiquement tempéré par des situations et des personnages familiers.
Comme on est à San Francisco,la série s’ouvre sur un séisme. Le tremblement de terre surprend Zoey (Jane Levy) au moment où elle est étendue dans le tube d’un appareil à IRM. Hypocondriaque, elle se croit atteinte d’une maladie cérébrale. Claustrophobe, elle tempère sa phobie en écoutant de la musique grâce à une plateforme de streaming pendant l’examen. Quand le sol retrouve un peude stabilité, la jeune femme s’aper
çoit que, non seulement son cerveau a téléchargé l’intégralité du répertoire de la plateforme, mais que les chansons ainsi accumulées surgissent au gré de l’humeur des gens qui l’entourent, qui se mettent, à leur insu, à chanter et à danser. Elle est bien sûr la seule à pouvoir les entendre.
De ce moment, vers la fin dupremier épisode (sur les quatre visionnés), la vie de Zoey n’est plus seulement un soap opera, mais aussi une comédie musicale, dont
les numéros s’appuient sur lestitres les plus classiques du répertoire pop (Help, True Colors, I Got The Music in Me…). Ces momentschantés et dansés scandent l’itinéraire chahuté de la codeuse.
Version gentiment satiriqueAu travail, cette enfant prodige doit convaincre sa patronne (Lauren Graham) que ses dons ne l’empêcheront pas d’être une bonne manageuse ; elle est par ailleurs prise entre deux collègues – le clas
sique binôme chouette copain/séduisant nouveau venu (Skylar Astin/John Clarence Stewart) ; à la maison – un immeuble des beaux quartiers –, elle devient la gardienne de la psyché de ses voisins, dont elle perçoit les tracas à traversces chansons, à commencer par Mo (Alex Newell, ancien élève de Glee), garçon au genre fluide. Et chez ses parents, il lui faut soutenirsa mère (Mary Steenburgen) face à la maladie neurodégénérative qui frappe son père (Peter Gallagher).
Les dialogues dispensent habilement les notations contemporaines, présentant une versiongentiment satirique du mondede la tech, ici bien moins cruelque la jungle sans pitié de la Silicon Valley. Le scénario n’hésitejamais à flirter avec le mélodrame, mais là où This Is Usoffre une succession de crises paroxystiques, les personnagesde Zoey et son incroyable playlisttrouvent refuge dans la musiqueet la danse.
Ce n’est pas que ces numérossoient des sommets de la comédie musicale, mais ils sont mis en scène avec une simplicité et un entrain communicatifs. Il n’y a pas de leçons profondes à tirer de ces moments de pur divertissement, si ce n’est, premièrement, que Jane Levy est une parfaite girl next door (« fille d’à côté ») qu’on aimerait voir dans un rôle plus exigeant, et, deuxièmement, qu’il ne faut jamais sortir de chez soi sans une provision de chansons qui transformerontle quotidien en une succession demoments hollywoodiens.
thomas sotinel
Zoey et son incroyable playlist, créé par Austin Winsberg. Avec Jane Levy, Skylar Astin, Alex Newell, Peter Gallagher, Mary Steenburgen, John Clarence Stewart (EU, 2020, 12 × 42 min).
Jane Levydans le rôlede Zoey. WARNER TV
Des « recettes » pour préserver notre santé et la planèteCe documentaire édifiant place notre assiette au centre d’actions accessibles à tous pour changer le futur
FRANCE 5MARDI 19 - 20 H 50
DOCUMENTAIRE
N os enfants grandissentdans un monde où toutest accessible au moindre
coût. Des tomates en hiver, des fraises en automne (…). Leur assiette est le résultat et la cause d’un système devenu fou. » Qui peut encore en douter ? Mais si « notre alimentation est la principale coupable », insiste le professeur suédoisJohan Rockström, elle en est également la solution : « Notre assiette
est le levier le plus puissant pour rendre notre planète vivante. »
Exrédacteur en chef de « CashInvestigation », Benoît Bringer invite le téléspectateur chez ceux qui n’ont attendu ni la crise sanitaire ni les directives étatiques pour agir, imposer le bio dans leurcantine, éradiquer le gaspillage alimentaire, recycler… Parfois depuisplus de dix ans. Leur retour d’expérience est passionnant. Sans éluder les difficultés, ils démontrent que leurs « recettes » sont bonnes, rentables, même à grandeéchelle. Et ça, c’est nouveau.
Pour vous mettre en appétit, citons MouansSartoux (AlpesMaritimes), qui a monté une ferme biologique après la crise de la vache folle, en 2008, pour les cantines de la commune. Contre toute attente, le 100 % bio sera atteint en quatre ans. A GrandeSynthe (Nord), où un tiers des habitantsvit sous le seuil de pauvreté, un repas bio est fourni à ceux qui en ont besoin grâce aux fermes urbaines installées par la commune.
A NeuvillesurOise (Vald’Oise),l’exploitation maraîchère de Laurent Berrurier permet d’aborder le
surcoût, à l’achat, du bio, pour montrer comment il peut êtrecompensé par la réduction du gaspillage. Des chiffres interpellent : 1,3 milliard d’aliments sont jetés chaque année, soit un tiersde la production mondiale. « Si legaspillage alimentaire était un pays, il serait le 3e producteur degaz à effet de serre au monde. »
A l’autre bout de la chaîne, Stephan Martinez n’a pas non plus attendu le feu vert des pouvoirs publics pour fonder Moulinot Compost. Ses vingtcinq camions collectent plus de 1 000 tonnes de
déchets par mois avant de les fairedigérer par des vers de terre.
Réalistes, rentables, ces recettesn’oublient pas que, pour séduire, elles doivent être source de plaisir. Au Plaza Athénée – 3 étoiles –, le chef Alain Ducasse fait rimer trèshaute gastronomie et cuisine sans viande. Il en est persuadé : « L’effet tache d’huile d’olive est plus fort que le pouvoir politique. »
catherine pacary
Recettes pour un monde meilleur, de Benoît Bringer (Fr., 2020, 70 min).
V O T R ES O I R É E
T É L É
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0123MARDI 19 MAI 2020 IDÉES | 27
La pandémie de Covid19 nous rappelleà quel point l’avenir nous échappe.
Mais elle ouvre ainsi la possibilitéd’une véritable révolution de l’esprit,
expliquent le philosophe et l’essayiste
Depuis quelques années, les alertes répétées des scientifiquesquant à la crise écologique provoquée par la démesure technique et économique des sociétésindustrialisées et les multiples
crises minant la démocratie laissaient entrevoir la possibilité d’un effondrement. Aussi une révolution de l’esprit paraissaitelle déjà indispensable. Sans elle, il ne semblait pas envisageable de rompre avec les logiques du calcul et de la production, au sens où le calcul conduit à sortir de ce qu’Aristote visait comme la quête dela bonne vie – par l’amélioration réfléchiede ce qui existe – et à rechercher l’augmentation, l’accroissement…
Cette fuite en avant dans tous les domaines de l’économie, qui caractérise le capitalisme depuis son essor et s’accompagne d’inégalités croissantes, mettait endanger la survie de cette même humanitéet celle de la biodiversité. Rien n’était jouéd’avance, mais il n’était pas déraisonnable de penser que la mort, si nous n’y prenions pas garde, pourrait avoir le dernier mot. Pourtant, la conscience de ce dangerne permettait pas de commencer à mettre en œuvre un redressement de latrajectoire. Comme s’il n’était pas possible d’imaginer, autrement que sous le régime de l’utopie, une révolution économique et sociale. Quand bien même, comme on l’avait vu avec les « gilets jaunes », l’aggravation de la situation dans des pays pourtant parmi les plus riches portait dans ses flancs un potentiel de révolte et de soulèvement de plus en plusdifficile à contenir.
Menace de mortStopper la machine à court terme, etmême à moyen terme, semblait impossible : c’était irreprésentable. Personne ne pouvait sérieusement le penser, à moins de faire abstraction de la complexité deseffets en retour d’une telle décision. A l’inconnu qui était devant nous, le présent si imparfait, si potentiellement catastrophique, semblait préférable pour la majorité, d’autant que, depuis quelquesannées, les esquisses de solutions un temps envisagées se révélaient problématiques, voire impraticables, durablement (qu’on songe aux biocarburants,aux éoliennes, voire au biomimétisme).
L’horizon du changement semblait devoir constamment reculer, à mesure même que l’on se rapprochait du mur de la catastrophe. En ce sens, pardelà une« lutte des classes » réelle mais assourdie, malgré les velléités de renverser le « système », une absence générale de volonté de s’engager dans l’inconnu de la « transition » écologique laissait au capitalisme leloisir de poursuivre sa route. Traduction postmoderne de « l’esprit d’un monde sansesprit » que stigmatisait Marx.
La pandémie, à laquelle personne oupresque n’était préparé, est venue tousnous prendre à revers. Brutalement, ce quisemblait inimaginable, un virus, l’a fait ad
venir : la « machine », le « système » si souvent incriminé, mais jamais démonté, est presque à l’arrêt. La menace de mort, parcequ’elle s’est soudain terriblement rapprochée, nous a fait préférer la survie à la poursuite de notre trajectoire « capitaliste », car, soudain, le prix à payer immédiatement à la mort semble exorbitant, au point de nous voiler les conséquences futures de la suspension planétaire d’une grande partie de la vie économique. Conséquences dont on pressent pourtant dès aujourd’hui qu’elles vont être gigantesques socialement, économiquement, politiquement, géopolitiquement,et qu’elles pourraient faire plus qu’ébranler le système : amorcer son effondrement.
Il a pu sembler, dans les débuts de lapandémie, que les démocraties contemporaines étaient particulièrement fragiles et peu efficaces dans la lutte contre le virus, tandis que des régimes autoritaireset des sociétés moins individualistes obtenaient de meilleurs résultats. Cinqmois après le début « officiel » du Covid19, tous les régimes, quels qu’ils soient, sont menacés par l’effondrement de la machine mondiale. Les interdépendances sont telles que nul pays, si grand et si puissant soitil, ne peut se sauvertout seul. Cette évidence, cependant, cèdeencore le pas devant l’aveuglement deségoïsmes nationaux. La coopération et la solidarité internationale font défaut,comme si chaque pays pouvait rester indemne du drame des autres… Tous savent pourtant qu’il n’en est rien.
En effet, une chose reste inchangée,avant comme après la survenue du virus :les humains choisissent le proche contre le lointain, de même qu’ils choisissent le présent contre l’avenir. Choix désespéré,au sens où il rend manifeste une impossibilité d’espérer, c’estàdire de croire à un avenir autre que la reconduction du présent et de ses modalités. Ce qui ne se trouve pas dans le champ de vision est comme sans existence, sinon sous une forme fantasmatique qu’il est tentant et facile d’agiter pour désigner des coupables supposés et des boucs émissaires.
L’impossibilité d’espérer et la tentationde pointer des coupables résultent largement de l’expérience terriblement provocante que nous fait faire le virus. Alorsque depuis le milieu du XIXe siècle, l’ignorance avait reculé à marche forcée sous
l’effet d’une accélération des connaissances scientifiques dans tous les domaines, le virus, la pandémie et leurs conséquences sont l’illustration criante et effrayantedes limites de la puissance que ces savoirsconfèrent, alors que les progrès de la technique qui en résultent ont pu nous faire croire que la maîtrise de notre destin personnel et collectif était à portée de main.
L’illusion de l’infini de cette puissancerésiste encore à plusieurs constats pourtant très inquiétants. Le premier est celui des dégâts environnementaux de cette puissance incapable d’autolimitation :pillage et pollution des ressources naturelles, destruction de la biodiversité,dérèglement climatique. Le second, c’est la somme des effets en retour des progrèstechniques, comme le vieillissement de la population, le renchérissement ducoût de la santé, les menaces sur les libertés que fait peser l’intelligence artificielle,la consommation croissante d’énergiequi résulte des effets démultiplicateursdes derniers outils technologiques aux usages toujours plus intenses. Le constat sans doute le moins connu, c’est le vertige des questions que la science se pose àellemême lorsqu’elle établit que ses progrès les plus pointus la placent au bord d’un nonsavoir abyssal : la représentation de la science comme maîtrise d’unréel unique se dissipe…
Extrême incertitudeLe virus – par sa nouveauté, sa vitesse de circulation, par les surprises qu’il nous réserve quant à ses modes d’action sur l’organisme, et, surtout, par cette caractéristique si particulière qui fait qu’unepartie des personnes qu’il infecte sont des porteurs asymptomatiques – nous place dans une situation d’extrême incertitude. Il a, en quelque sorte, collé la possibilité de la mort sous nos yeux, nous plaçant devant l’impensable et l’inconnu par excellence. Ce n’est pas simplement la finitude de l’existence qui nous est difficilement supportable, c’est le nonsavoir face auquel nous nous trouvons. Le suspens que nous nous sommes imposé par le confinement, pour tenterde conjurer la mort, nous a fait sortir detoutes les trajectoires que nous pouvions baliser par le calcul.
Le futur – au sens de ce que nous projetions à partir des données du présent – sedérobe désormais pour nous laisser faceà l’incertain radical de l’àvenir, dont nous n’avons pas la maîtrise. Le « gouvernement par les nombres » – pour reprendre les termes du juriste Alain Supiot – se trouve mis en échec, presque congédié, par le « retour » de la mort comme horizon ineffaçable.
Le retour du religieux, sous des formesfondamentalistes, millénaristes, hystériques ou piétistes, ces dernières années, a sans doute été la traduction de l’inquiétude diffuse devant un monde dont la complexification rendait à beaucoup le futur insaisissable. Au nonsavoir qui se
profilait, ce retour du religieux opposait la croyance. Ce qui survient se trouveainsi sous l’empire d’une volonté transcendante à laquelle on se confie.
Il n’empêche que cela survient. La catastrophe de la pandémie est là. L’inconnu de tous les dérèglements que produit le virus dans les organismes, non seulement individuels, mais aussi sociaux, économiques, politiques et internationaux, nous met radicalement en demeure non pas de croire en ceci ou cela, mais d’oser prendre le risque de vivre en situation de nonsavoir – ce qui ne veut pas dire renoncer à penser ni à connaître,mais le faire dans la conscience que si nous prenons en charge notre destin,nous ne pouvons en être totalement lesmaîtres, ni individuellement ni collectivement. Cette prise de risque passe par la disponibilité à l’inconnu qui vient.
Production du sensQuand le futur déraille, quand la projection du présent ne tient plus, la vie nepeut que se tourner vers l’àvenir en serisquant à ses incertitudes. Il n’est plus iciquestion de croyance mais de foi, définie comme ce consentement à l’incertitudequi pose que la vie ne peut que se risquer à vivre. Pour soimême, pour les générations suivantes qui, à leur tour, se verrontmises au défi du nonsavoir radical de la mort, qui ne peut être surmonté autrement que par la transmission de la vie, et non par la course à la prolongation des existences individuelles.
En nous plaçant en ce lieu, le virusouvre la possibilité d’une véritable révolution de l’esprit, au cœur de laquelle est posée la question de notre capacité à nous accommoder collectivement de la nonmaîtrise absolue de notre histoire. La démocratie, avec toutes ses limites et ses imperfections, est à vrai dire le seul régime qui puisse donner un corps politique à cet acte de foi radicalement laïc.
Elle est née de l’effondrement des régimes de « certitudes » théocratiques et del’impasse dans laquelle se trouvaient des régimes despotiques ou tyranniques. Elle est une tentative de trouver comment entrer ensemble – en peuple – dans l’avenir. Non qu’elle soit capable de produire les calculs et les projections qui permettraient de résorber l’inconnu, le nonsavoir. Ce qu’elle peut offrir – et elle seule –, c’est le partage à voix égales du poids dela finitude et du nonsavoir.
Enoncé ainsi, cela semble accablant.Cela ne l’est pas si ce partage démocratique s’accompagne, comme Athènes l’avait compris, de la seule productiondont l’infini soit supportable, celle du sens, par les arts, par la pensée, par l’esprit, par l’amour… en sorte que la conscience du caractère tragique de l’existence nous conduise à nous considérerles uns les autres avec empathie, puisque nous affrontons le même effondrement,la même incertitude. Or c’est en définitive l’effondrement qui nous fonde.
Jean-Luc Nancy, philosophe,et Jean-François Bouthors, essayiste, ont coécrit « Démocratie ! Hic et nunc » (Editions Francois Bourin, 2019)
CE N’EST PAS SIMPLEMENT LA FINITUDE DE L’EXISTENCE QUI NOUS EST DIFFICILEMENT SUPPORTABLE, C’EST LE NON-SAVOIR FACE AUQUEL NOUS NOUS TROUVONS
Jean-Luc Nancy et Jean-François Bouthors
Seule la démocratiepeut nous permettre
de nous accommoderde la non-maîtrise
de notre histoire
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28 | idées MARDI 19 MAI 20200123
Anna Tcherkassof Le port du masque oblige à inventer de nouveaux modes d’expression des émotionsLa généralisation du masque dans l’espace public transforme nos relations sociales, estime la chercheuse en psychologie, et nous oblige à inventer de nouveaux langages non verbaux pour nous faire comprendre
ENTRETIEN
Anna Tcherkassof, docteure en psychologie et maîtresse de conférences à l’université de Grenoble,s’intéresse tout particulièrement
au processus de reconnaissance des expressions faciales et à la communication non verbale des émotions. Elle est notamment l’auteure de l’ouvrage Les Emotions et leurs expressions (Presses universitaires de Grenoble, 2008).
Quels changements l’usage du masque dans les espaces publics peutil entraîner dans nos échanges ?
Avec un masque, les informationstransmises par plus de la moitié du visagedeviennent invisibles. Or ces expressions sont importantes pour exprimer nos émotions et faciliter les interactions sociales. Elles appartiennent à ce qu’on appelle la communication non verbale, qui se traduit par des gestes, des postures, ladistance entre les interlocuteurs et, bien sûr, par ces expressions faciales quijouent un rôle considérable dans noséchanges. Afficher ses émotions, c’est le
plus souvent vouloir faire passer un message, même s’il existe des exceptions. Ces informations apportent à nos propos uneforme de ponctuation qui permet de les clarifier, lever d’éventuelles ambiguïtés.Elles jouent le même rôle dans une conversation que les émoticônes ajoutéesdans les échanges de SMS pour signifierque l’on plaisante ou que l’on est surpris, et éviter ainsi les malentendus.
Quelles peuvent être les conséquences de cette diminution des expressions ?
Le port du masque ne va pas changerdirectement nos comportements dansles espaces publics où l’on est déjà peuexpressif en temps habituel et peu attentif aux émotions des autres, en tout cas dans les grandes villes. Là où la situation peut devenir plus compliquée, c’est lorsqu’on a besoin d’interagir avec autrui, surtout en maintenant la distanciation sociale, qui n’est pas habituelle dans une relation normale.
Des problèmes de communicationpeuvent survenir et donner lieu à des malentendus, un risque de mésinterpré
tation. Cela peut, par exemple, renforcer le sentiment de peur de l’autre, déjà présent avec l’épidémie. Il devient plus difficile de rassurer la personne en utilisant le code du sourire que tout le mondeconnaît comme l’expression de l’apaisement, en dehors même de tout contexte joyeux. Les échanges sont altérés, ils deviennent plus compliqués.
Comment pouvonsnous remplacer les expressions du bas du visage ?
En Occident, nous sollicitons beaucouples muscles du bas du visage pour communiquer, ce qui n’est pas le cas d’autres cultures. Le port du masque nous oblige à inventer de nouveaux langages non verbaux, des modes d’expression de nos émotions qui passent par des gestes avecles mains, une accentuation des expressions de la partie haute du visage. Par exemple, en sollicitant plus activement les muscles de l’orbiculaire de l’œil, qui servent à plisser ou écarquiller les yeux, ou le muscle frontal qui permet de lever ou de froncer les sourcils. Un sourire s’exprime aussi avec les yeux.
Au Japon, où l’on a l’habitude d’accentuer l’expression du haut du visage selon des codes bien définis, la position des sourcils joue un rôle important de communication non verbale. D’ailleurs, les émoticônes japonaises mobilisent peu lesexpressions de la bouche et restent surtout centrées sur les yeux et les sourcils. De fait, les personnes de culture asiatique sont moins réticentes que nous à porter des masques et nous avons sans
doute beaucoup à apprendre de leur expérience.
Pendant longtemps, on a pensé que l’expression des émotions était universelle. Vous insistez de votre côté sur l’importance de la dimension culturelle. Qu’en estil ?
La classification des émotions reposedepuis les travaux du psychologue américain Paul Ekman à la fin du XXe siècle sur une liste de seize sentiments, dont lesprincipaux sont la tristesse, la joie, la colère, le dégoût, la peur et la surprise. Pour Ekman, chacune de ces émotions correspond à une expression du visage universelle. Mais de nombreuses observationsmontrent aujourd’hui que l’expressiondes émotions reste très déterminée par laculture. Dans certaines sociétés, on necomprend pas ce que signifie « rougir de honte » par exemple, alors que pour nous, cette expression semble naturelle.
Les émotions qui s’affichent sur lesvisages relèvent d’un apprentissage quicommence dès l’enfance et continue de s’opérer tout au long de la vie. En Asie, l’affichage en public d’émotions positives est largement encouragé, tandis que l’expression d’émotions négatives est bannie. Les émotions peuvent être canalisées, voire réprimées ou bien encouragées et renforcées selon notreéducation, notre milieu.
Vous montrez qu’il existe des différences d’expression des émotions liées au genre. De quelles façons ?
Ces différences sont ancrées dans notreculture qui oppose la raison aux émotions depuis la Grèce antique. La raisoncaractérise les personnes réfléchies, capables de masquer leurs émotionspour prendre des décisions, et qui peuvent, de ce fait, appartenir à l’élite dominante. Les émotions caractérisentau contraire les faibles et sont souvent associées aux femmes.
Aujourd’hui encore, l’éducation émotionnelle des filles et des garçons conduit à intérioriser ces pratiques. On encourage les garçons à réprimer l’expression d’émotions qui pourraient laisser transparaître une faiblesse – « un homme ne pleure pas ». Leur sont autorisées les émotions qui expriment la domination, comme par exemple lacolère. Les femmes, au contraire, peuvent afficher leur peur, mais ne doivent pas exprimer leur colère. Elles sont en outre éduquées à prendre soin et à rassurer l’autre par un visage avenant – « unefemme doit être souriante ».
De ce point de vue, le port du masqueaura peutêtre plus de conséquencespour les femmes que pour les hommes. Derrière un masque, le sourire devient inutile. Pour autant, je ne pense pas qu’il pourra libérer les femmes de cetteinjonction implicite qui leur est faite. Elleest tellement intériorisée que le port dumasque les obligera très probablement à trouver d’autres moyens d’accentuerleur expressivité prosociale.
propos recueillis parclaire legros
Stéphanie Hennette-Vauchez Ce n’est pas cacher son visage qui pose problème, mais certaines formes de dissimulation
Couvrir son visage était encore il y a peu en France associé à la radicalité religieuse ou politique. Le masque sanitaire montre que ce geste peut prendre un autre sens, ce qui n’est pas sans incidence sur la façon dont on fabrique la loi, note la juriste
S’il est une ironie profonde de la crise liée auCovid19, c’est que les normes comportementales qu’il nous est aujourd’hui enjoint d’adopter (ne pas serrer la main, porter
un masque…) tendaient, il y a peu encore, à êtreprésentées comme d’immanquables signes de « radicalisation ». La dissimulation du visage, notamment, a pu être lue comme le signe infaillible deformes « à combattre » de radicalisation, tant religieuse (loi du 11 octobre 2010 interdisant le voile intégral) que politique (loi anticasseurs du10 avril 2019 pénalisant la dissimulation du visage aux abords des manifestations). Cette pénalisationde la dissimulation du visage a ainsi construit lamusulmane portant le niqab ou le black block (pourfaire court) comme figures antinomiques de la res publica. Or ces deux figures contrastent fortementavec le sens aujourd’hui donné au port du masquedans le cadre de la lutte contre le Covid19.
Le masque chirurgical est justifié et anobli par sonrôle éminent de santé publique : il permet de seprotéger soimême, mais aussi de protéger les autres et de prendre part au nécessaire effort collectif pour briser les chaînes de contamination. Plus avant, à mesure que se diffuse le modèle du masque réutilisable en tissu, il devient supportsymbolique. Il n’en est pas de meilleur exempleque celui véhiculé par le masque couleur bleunuit bordé d’un liseré bleublancrouge porté,mardi 5 mai, par le président Emmanuel Macron envisite dans une école. Un masque ainsi « décoré »sied, sans aucun doute, à la sobriété et au symbolisme de la fonction présidentielle ; mais plusavant, le masque aux couleurs du drapeau entend véhiculer un puissant message l’associant au boncomportement citoyen, à la réalisation en actes des valeurs républicaines : liberté, égalité et, surtout, fraternité.
Une fragilisation de l’interdiction du niqab ?Fautil alors considérer que la République ne se vitplus à visage découvert ? Fautil désormais avoir une lecture asymétrique de la dissimulation du visage, tantôt insulte, tantôt célébration des valeurs républicaines ? En un mot : le masque comme élément de la réponse au Covid19 vientil fragiliserl’interdiction du voile intégral ? Certainement pas.
D’ailleurs, la loi du 11 octobre 2010 prescrit certes que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », mais elle réserve aussitôt l’hypothèse d’une dissimulationcommandée par des raisons de santé (mais aussi pour des raisons professionnelles, ou encore liées à la pratique de certains arts et sports).
En revanche, le masque fragilise le discours prenant largement appui sur les travaux du philosophe Emmanuel Levinas (19061995), et notammentsur l’importance qu’il accorde au visage dans touterelation éthique, que nombre des promoteurs de l’interdiction du voile intégral avaient cru pouvoirarticuler : étaitce vraiment la nécessité de la visibilité du visage pour toute expérience authentiquede l’altérité et donc de l’interaction sociale (message philosophique bientôt condensé dans lestandard juridique du « vivreensemble ») qui justifiait l’interdiction du niqab ? Le signe que constitue
« masque Covid19 » oblige à répondre par la négative. Qu’il soit ou non orné de lisérés aux couleurs nationales, le masque antiCovid révèle quece n’est pas, en tant que telle, la dissimulation du visage qui pose problème, mais seulement certaines formes spécifiques de sa dissimulation – notamment celles qui sont associées, dans la Francecontemporaine, à la « pratique radicale » de l’islamou à certaines formes de la radicalité politique.
En d’autres termes, le masque de protection contre le Covid 19 nous donne une robuste leçon de sémiotique : il révèle que la dissimulation du visage ne veut rien dire, ou peut vouloir dire tant de chosesdifférentes que cela revient au même. Le ralliement généralisé au masque comme outil de la préservation de la santé publique nous révèle que nousconstruisons sans cesse le sens prêté à telle ou telle forme de voilement ou de dissimulation du visage. Le signe n’a pas de sens en soi ; celuici est nécessairement et largement coconstruit par le regardde l’observateur. En un sens, seule compte la signification que nous lui prêtons.
Fétichisation du signeUne telle leçon invite à réfléchir sur les modes de fabrication de la loi, et du droit, notamment parcequ’il est difficilement contestable qu’une large partdes réponses juridiques apportées aux questions de laïcité et de liberté religieuse depuis une quinzaine d’années repose sur une forte fétichisation du signe. Depuis que la loi du 15 mars 2004 a interdit aux élèves de l’enseignement public le port de« signes ou tenues par lesquels [ils] manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », nombre d’autorités scolaires mais aussi juridictionnelles ont été placées en position de juger et qualifier toutes sortes de signes : bandanas, jupes trop longues, bonnets de laine trop couvrants… ont ainsi
été au cœur de décisions disciplinaires d’exclusionet de procédures contentieuses. Ce sont par la suited’autres « signes » qui ont été saisis par le droitcomme porteurs de significations inadmissibles :le niqab, bien sûr, depuis la loi de 2010 ; mais aussipar exemple le refus de serrement de main, qui apu être qualifié de « défaut d’assimilation » valantretrait de la nationalité française.
Mais, si le signe est toujours simultanémentcoconstruit par le regard de l’observateur et interprète, n’y atil pas quelque chose comme une erreur de méthode dans le fait, pour des règles dedroit, de fétichiser des références à des « signes », dont on présuppose (et impose) une définition valable toujours et partout – depuis ceux qui manifesteraient toujours « ostensiblement » une appartenance religieuse à ceux qui « seraient destinés à dissimuler le visage » et porteraient de ce fait mêmeatteinte au vivreensemble ?
C’est cette erreur de méthode que révèle l’impossibilité, que nous percevons tous intuitivement, de transposer au masque Covid les raisonnements applicables aux dissimulations interdites du visage. Dans un état du débat national sur la laïcité qui fonctionne souvent par anathèmes, cette déstabilisation sociale et politique du sens même que nous prêtons à la dissimulation du visage donnel’occasion de suggérer que le débat gagnerait à prendre la mesure de cette difficulté d’abord sémiotique.Si le signe, en luimême, ne veut rien dire, qui peut l’interpréter, et comment ? Le croyant estil le seul à pouvoir faire sens de ses propres choix ? Et, sinon, comment assurer une coconstruction de sens inclusive et délibérative ? Une décennie de tensions sur les dimensions excluantes et discriminantes de certaines itérations contemporaines de la laïcitémérite d’être prise au sérieux.
Stéphanie Hennette-Vauchez est professeure de droit public à l’université Paris Ouest-Nanter-re-La Défense/Institut universitaire de France.
LE MASQUE AUX COULEURS DU DRAPEAU FRANÇAIS PORTÉ PAR M. MACRON ENTEND VÉHICULER UN PUISSANT MESSAGE L’ASSOCIANT AU BON COMPORTEMENT CITOYEN
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0123MARDI 19 MAI 2020 0123 | 29
C onformément aux préconisations du Conseilnational de la Résistance (CNR), une ordon
nance prononçait, il y a soixantequinze ans, la dissolution de la Société anonyme des usines Renaultpour la transformer en régie.Cette nationalisation sanctionnait son actionnaire unique, Louis Renault, accusé d’avoir collaboré pendant la guerre avec l’Allemagne. Charles de Gaulle l’écrit dans ses Mémoires, l’idée était de « placer sous la coupe de l’Etat “l’usine pilote” par excellence ».
Renault a mis des décenniespour redevenir une entreprise presque comme les autres. La privatisation en 1996, puis l’alliance nouée avec Nissan en 1999, avaient pu faire croire que la parenthèse ouverte par le Général deGaulle se refermait, même si, encore récemment, les 15 % du capital conservés par l’Etat ont contribué à entretenir une ambiguïté sur le rôle des pouvoirs publics.
La crise liée à la pandémie de Covid19 pourrait faire repartir le balancier de l’histoire en sens inverse. Renault renationalisé ? On n’en est pas encore là, même si la référence au CNR et à de Gaulle esttrès en vogue à l’Elysée. Toutefois, le constructeur se trouve dans unesituation telle qu’on imagine mal son futur sans une intervention exceptionnelle de l’Etat, allant bien audelà des 5 milliards d’euros de prêt garanti qui sont sur le point d’être débloqués.
Tous les indicateurs étaient déjàau rouge avant la pandémie. Les dernières années de la présidencede Carlos Ghosn ont été marquées par son manque de vigilance sur la gestion du groupe et la nomination d’une direction générale déficiente. Avant d’êtreévincée, celleci a multiplié les erreurs, qui vont se payer comptantdans les mois à venir.
Dès février, pressé de s’expliquer sur la façon dont il comptait se redresser, le constructeur avait promis pour mai un plan de2 milliards d’euros d’économies.A quelques jours de l’échéance, les spéculations vont bon train pour savoir où tailler dans le vif etcomment ces décisions seront financées. Surtout, le niveau de l’effort, fixé avant la pandémie, pourrait se révéler insuffisant.Depuis cette annonce, le marché automobile s’est effondré et tout indique que le rebond sera poussif. L’allemand Volkswagen (VW), qui avait fait repartir ses chaînesde production dès la fin avril,vient de décider de les interrompre de nouveau, faute de clients.
Si tous les constructeurs se trouvent face à une équation compliquée, pour Renault le défi est titanesque. Sur le plan du bilan comptable, d’abord. La participation du constructeur français dans son partenaire Nissan est inscrite dans ses comptes pour 21 milliards d’euros, alors que ces 43 % ne valent plus que 5,5 milliards. Leréajustement s’annonce douloureux. La valorisation en Bourse de la firme au losange est désormaisinférieure au montant du prêt garanti par le gouvernement. Après avoir brûlé plus de 5 milliardsd’euros de cash au premier trimestre, la situation risque de se tendre un peu plus au deuxième.Les investisseurs institutionnels se détournant, l’Etat devient la seule bouée de sauvetage crédible.
Côté recettes, les perspectivessont tout aussi sombres. Commenous l’annoncions dès le 26 novembre 2019, la gamme va brutalement s’atrophier avec le nonrenouvellement de Twingo, Mégane, Koleos, Scenic, Talisman etEspace. Un nouveau SUV électrique va soulager l’usine de Douai, mais pas avant 2022. Après avoir perdu l’assemblage de la Clio, Flins et ses 4 000 salariés risquentde se retrouver sans aucune production à cette date, avec la fin de vie de la Zoe, qui n’a pas de remplaçante, et l’arrêt programmé de la Micra sur ce site.
Dans la tourmente, on aurait puimaginer que le salut vienne de l’alliance avec le japonais. Mais on a de plus en plus l’impression d’assister à la dérive des continents, avec deux entreprises contraintes de se focaliser sur leurs propres difficultés, plutôt que de s’épauler. Nissan souhaite se concentrer sur le Japon, la Chine et les EtatsUnis, trois marchés où Renault est absent. Le groupe japonais est également en train de faire une croix sur le diesel, dont le fournisseur exclusif était la firme au losange, fragilisant ainsi le site de Cléon.
L’usine sudcoréenne de Renaultn’est plus viable depuis que Nissana délocalisé les quelques modèles qui y étaient fabriqués. Quant à la plateforme commune de la Mégane, elle ne sera pas renouvelée. Des annonces sur une relance de l’Alliance sont prévues les 27 et 28 mai, mais beaucoup en interne s’interrogent sur leur portée.
Décisions douloureusesDifficulté supplémentaire pour Renault, son nouveau directeurgénéral, Luca de Meo, arrive bien tard dans la tempête. Son exemployeur, VW, lui ayant imposéune clause de nonconcurrence, ila dû repousser sa prise de fonctions à cet été. Le groupe se retrouve donc obligé de réduire lavoilure sans que le nouveau capitaine ait pu fixer le cap.
Pour complexifier le tout, le losange se retrouve sous la surveillance d’un Etat qui envisage deconditionner son aide à une relocalisation de la production en France. L’exigence risque de virer au cassetête. Les voitures fabriquées en Amérique du Sud sont exclusivement vendues sur place. Cela n’aurait aucun sens économique de leur faire traverser l’Atlantique. La gamme Dacia, assemblée en Roumanie ou au Maroc, conçue sur un modèle low cost, perdrait leur compétitivité une fois rapatriée dans l’Hexagone. La Twingo, produite en Slovénie, va s’arrêter. Reste la Clio, fabriquée enTurquie, mais l’écart de coût, supérieur à 10 %, obligerait Renault à la vendre à perte si ce modèle regagnait les usines françaises.
L’Etat risque de ne pas avoir lechoix : accompagner des décisions douloureuses en recapitalisant l’entreprise. En 1947, trois ans après le décès du fondateur dans sa cellule à Fresnes (ValdeMarne), le général de Gaulle avait déclaré : « Il n’y a aucune raisonque Renault reste perpétuellementnationalisé du moment que Louis Renault est mort » (Charles de Gaulle, Eric Roussel, Gallimard,2002). La crise actuelle pourraitrelancer le débat.
I l y a, à n’en pas douter, quelque chose depourri au royaume du Brésil, où le président, Jair Bolsonaro, peut affirmer sans
barguigner que le coronavirus est une « grippette » ou une « hystérie » née de l’« imagination » des médias. Quelque chosede pourri, lorsqu’il prend des bains de foule,exhorte les autorités locales à abandonner les restrictions et prétend que l’épidémie« commence à s’en aller », alors que les cimetières du pays enregistrent un nombre record d’enterrements. Quand son ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo, pourfend le « comunavirus », affirmant que la pandémie est le résultat d’un complotcommuniste. Quand le ministre de la santé, Nelson Teich, démissionne le 15 mai, quatre semaines après sa nomination à ce porte
feuille crucial, pour « divergences de vues », le jour où le pays atteint 240 000 cas confirmés et plus de 16 000 morts.
Pour beaucoup, les heures sombres quetraverse le Brésil, désormais cinquième nation la plus touchée par la pandémie,rappellent celles de la dictature militaire, quand le pays était soumis à la peur et àl’arbitraire. Avec une différence de taille :alors que les généraux revendiquaientla défense d’une démocratie attaquée, selon eux, par le communisme, le Brésil de Bolsonaro habite un monde parallèle, un théâtre de l’absurde où les faits et laréalité n’existent plus. Dans cet universsous tension, nourri de calomnies, d’incohérences et de provocations mortifères,l’opinion se polarise sur une nuée d’idées simples mais fausses.
Le déni entretenu par le pouvoir dissuade la moitié de la population de se confiner, tandis que les appels à la distanciation physique lancés par les professionnels de santé, les gouverneurs et lesmaires ne sont que modérément suivis.L’activité économique doit continuer àtout prix, affirme Bolsonaro, qui peine surtout à prendre la mesure de la pandémie tout en faisant un calcul politique insensé : les effets dévastateurs de la crise seront attribués à ses opposants, espèretil.
Officier subalterne exclu de l’armée etobscur député d’extrême droite, raillé par
ses pairs pendant trois décennies, Bolsonaro n’avait rien d’un homme d’Etat. Arrivéau pouvoir, rongé par la rancœur et la nostalgie brune, l’excapitaine de réserve n’a cessé de sonner la charge contre le « système » honni. Une posture qui, en période de pandémie aiguë, provoque le chaos sanitaire et sème la mort.
A force de tricher avec les faits, les gouvernants populistes finissent par croire à leurs propres mensonges. On le voitailleurs dans le monde. Mais ici, dans ce pays sorti voici à peine vingtcinq ans de ladictature, où la démocratie reste fragile,voire dysfonctionnelle, le fait de politiser ainsi une crise sanitaire à outrance est totalement irresponsable.
Avec un socle de 25 % d’électeurs, Bolsonaro sait que sa marge de manœuvre est étroite. Certains évoquent aujourd’hui lescénario d’un coup de force institutionnel.Devant la foule venue le soutenir à Brasilia, le président a d’ailleurs clairementlaissé entendre, le 3 mai, que, en cas d’enquête de la Cour suprême contre lui ou sesproches, il ne respecterait pas la décisiondes juges. Après avoir pratiqué le négationnisme historique en vantant la dictature,nié l’existence des incendies en Amazonieet la gravité de la pandémie de Covid19, Bolsonaro et sa tentation autoritaire risquent d’entraîner le pays dans une dangereuse fuite en avant.
LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS SE DÉTOURNANT, L’ÉTAT
DEVIENT LA SEULE BOUÉE DE SAUVETAGE
CRÉDIBLE POUR RENAULT
ÉCONOMIE | CHRONIQUEpar stéphane lauer
Renault : d’unenationalisation à l’autre
LUCA DE MEO, NOUVEAU DIRECTEUR GÉNÉRAL,
ARRIVE BIEN TARDDANS LA TEMPÊTE
Tirage du Monde daté dimanche 17 lundi 18 mai : 150 881 exemplaires
LA DANGEREUSE FUITE EN AVANT DE BOLSONARO
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En regard des conséquences liées à la crise sanitaire, la MAIF, Le Monde et Rue des Ecoles offrent à toutesles lycéennes et tous les lycéens le téléchargement de ces hors-série : revisersonbac.com
Pas d’épreuves cette année ?Faites quand même vos preuves !
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