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MARDI 12 MAI 202076E ANNÉE– NO 23432
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
LE REGARD DE PLANTU
LA NOUVELLE PHASE D’UNE CRISE APPELÉE À DURER▶ Le déconfinement,aux effets très perceptibles, lundi 11 mai,dans certainstransports parisiens,est un test majeurface à l’épidémie▶ La découverte denouveaux foyers dansdes départementsde l’Ouest, jusquelàépargnés, inciteà la vigilance▶ Alors que la loiprorogeant l’étatd’urgence sanitaireétait en attente de promulgation, lundi, « LeMonde » a enquêté surle fichage des maladeset des « cas contacts »▶ Du port du masqueà la façon de consommer, cette reprise annonce de profondes évolutions sociétalesPAGES 2 À 18
AnalyseLe macronismeà rude épreuveface à l’épidémie de Covid19PAGE 29
CultureLa réouverture sous conditions des « petits musées »PAGE 24
HorizonsLa grippe de Hongkong (19681970), grande oubliée de l’histoirePAGE 23
Les enseignants doutent de pouvoir reprendre en main les élèves qui ont le plus de difficultés. Le retour à l’école reposant sur le volontariat, il y a peu de chances qu’ils s’y rendentPAGE 12
EducationLes décrocheurs pourrontilsêtre rattrapés ?
La modernisation de l’armement des navires français, vendus il y a plus de vingtcinq ans à Taïwan, reste une pomme de discorde avec PékinPAGE 19
DiplomatieLes frégates de Taïwan irritent à nouveau la Chine
A la station FranklinRoosevelt, à Paris, à 7 h 55, le 11 mai. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE »
Aggravation des inégalités hommesfemmesen france comme ailleurs, les périodes de confinement ont contribué à exacerber les inégalités de genre, que ce soit à la maison ou face à l’emploi. De nombreuses femmes se plaignent d’avoir à assumer l’essentiel de la gestion du quotidien : repas, école à la maison, soutien apporté aux proches… Pour celles passées en télétravail – et qui le resteront peutêtre encore des se
maines, voire plusieurs mois – lesjournées ressemblent souvent àdes marathons chronométrés.
La situation des mères célibataires inquiète particulièrement. Rien qu’en France, où les femmesreprésentent 83 % des parentsisolés, 430 000 familles monoparentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pourgarde d’enfants. Pour elles, la reprise des activités est d’autant
plus compliquée à gérer que la réouverture des écoles s’annoncechaotique par endroits.
Les inégalités hommesfemmes sont également criantes enmatière d’emploi. Dans beaucoup de pays, cette crise a un impact majeur dans les secteurs trèsféminisés (tourisme, hôtellerierestauration…) et laisse craindre de graves conséquences sociales.
PAGE 14
La crise sanitaire a provoqué un véritable électrochoc dans les hôpitaux et totalement changé la façon de voir des soignantsPAGE 5
SantéLes hôpitauxse sont réinventés dans l’urgence
Droit communautaire Bruxelles envisage de sanctionner Berlin▶ La présidente de laCommission européenne a annoncé le10 mai qu’elle pourrait lancer « une procédure d’infraction »contre l’Allemagne
▶ Les juges constitutionnels de Karlsruheavaient exigé le 5 maique la BCE justifieson programme derachat de dettesPAGES 20-21
ROYAUME-UNILe pays le plus touché d’Europe (32 000 morts) sort du confinement à petits pasPAGE 6
AFRIQUESelon deux anthropologues, l’Europe devrait davantage s’inspirer des expériences africainesPAGE 31
TOURISMELe licenciement de 1 900 salariés de la plateforme de location de logements Airbnb illustre les graves difficultés du secteurPAGE 15
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PAGE 32
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2 | CORONAVIRUS MARDI 12 MAI 20200123
« L’illustration de ce qu’on ne veut pas vivre »Des groupements de cas sont apparus après des réunions familiale ou professionnelle dans le SudOuest
bordeaux correspondance
C’ est un scénario quiavait été majoritairement évité en NouvelleAquitaine, ré
gion qui se targuait, à la veille du déconfinement progressif, d’être la moins touchée de France par le Covid19. Deux clusters − ou cas groupés − ont été détectés ces derniers jours et pris en charge par l’agence régionale de santé (ARS).Le premier dans le village d’EgliseNeuvedeVergt, à proximité dePérigueux, en Dordogne, et le second à Chauvigny, dans la Vienne.Si plusieurs cas ont été identifiéset isolés, aucun n’a pour l’heure nécessité d’hospitalisation. Dimanche 10 mai, quatre salariés ont à leur tour été testés positifsdans une entreprise de l’agroalimentaire, cette fois en Vendée.
Le 24 avril, une messe est célébrée en mémoire d’un homme de51 ans, « qui n’est pas décédé du Covid », précise Michel Laforcade, directeur général de l’ARS de NouvelleAquitaine. L’enterrement qui suit réunit les proches du défunt, visiblement dans la limitede vingt personnes, comme le veulent les règles du confinement. Mais, à l’issue des obsèques, d’autres proches de la famille les auraient rejoints.
Quelques jours plus tard, unmembre de la famille se présente chez un médecin de la maison de santé pluriprofessionnelle de Vergt. Le 30 avril, il est déclaré positif au Covid19. Et comme pour chaque foyer épidémique, l’ARS doit agir rapidement. Le lendemain, cinq personnes de la famille sont également dépistées. Les tests se révèlent positifs, et elles sont immédiatement isolées. Au total, en remontant les « cascontacts » de toutes les personnesconcernées, 127 ont été dépistées, et 9 testées positives.
Le fils du défunt se défend, expliquant avoir respecté les consignessanitaires. Si certains de ses dixfrères et sœurs ont fait le déplacement de la Suisse et du Portugal, ilraconte, dans l’édition du 9 mai deSud Ouest, que tous « ont fait très
attention à respecter les gestes barrières tout au long de la journée ».« Nous étions vingt à l’intérieur de l’édifice. Tous gantés, masqués etassis à un mètre minimum les unsdes autres. La cérémonie a été célébrée par une paroissienne. Elle a duré une vingtaine minutes en toutet pour tout. » Et le jeune hommede 31 ans balaie les accusations faisant état d’une réunion de familleen plus grand nombre à l’issue de la cérémonie.
Si aucun cas ne nécessite d’hospitalisation, le directeur de l’ARS rappelle l’importance des gestes barrières, à l’heure du déconfinement, pour éviter ce genre de scénarios qui pourraient s’avérer ca
tastrophiques, comme à Mulhouse. « Tous ces clusters et ces moments dont on se serait passés peuvent aussi être des moments pédagogiques, qui nous permettent de rappeler à la population que c’est peutêtre maintenant queles gestes barrières sont plus importants que quand vous étiezconfinés. Or, maintenant, vous allez croiser de multiples personnes,dans les moyens de transport, dansvotre entreprise, en tant que client ou si vous êtes commerçant. »
Pour le maire (Les Républicains)de Périgueux, Antoine Audi, premier viceprésident de la communauté d’agglomérations, la couleur verte attribuée à ses départements pourrait envoyer de mauvais signaux auprès des citoyens. « Je suis inquiet depuis que la date du 11 mai a été exprimée, explique l’élu. On a inconsciemment libéré un peu la vigilance des gens, et je trouve d’ailleurs que le fait d’avoirune carte de France en rouge et en vert n’est pas un bon signal. J’aurais préféré qu’il n’y ait que deux couleurs, orange et rouge,pour garder cette vigilance bien présente à l’esprit de chacun. Quand on est en orange, on est en
core à un niveau d’alerte, alorsqu’en vert, on ne l’est plus. » D’ailleurs, les cas groupés deVergt sont, pour lui, « bien la preuve, hélas, que la discipline n’était pas au rendezvous ».
Un sentiment que partage Michel Laforcade. « Tout ça n’a pas fait l’objet d’une analyse, mais on pense qu’il peut y avoir dans l’atmosphère quelque chose de contreproductif, notamment lié au fait que les douze départements sont verts », craint le spécialiste.
« Relâchement »En attendant, le maire de Périgueux, prudent, a décidé − avantcet incident − de ne rouvrir lesécoles qu’à partir du 18 mai, pour « se donner le temps de les désinfecter, de prévenir les parents, quetout soit carré. Ce qui s’est passé à côté de Périgueux, pour moi, c’est juste un feu orange clignotant supplémentaire, qui appelle la vigilance et la discipline de chacun », conclut Antoine Audi. « Il faut qu’on soit très très vigilant, la vieredémarre mais pas comme avant, a déclaré à la presse, vendredi 8 mai, le préfet de la Dordogne, Frédéric Périssat. C’est vrai
ment l’illustration de ce qu’on ne veut pas vivre dans les trois semaines, c’estàdire : relâchement, réunions familiales, enfants, petitsenfants, grandsparents, voisinsvoisines… On se retrouve à une trentaine et, au bout du compte,une seule personne va contaminer un nombre très significatif et, derrière, ça va mobiliser beaucoup de monde » pour remonter et casser la chaîne de contamination.
Dans le département voisin dela Vienne, un autre scénario de cluster dans la commune deChauvigny a suscité l’inquiétude de l’ARS. Dans le collège GérardPhilipe, un membre de la direction, qui avait participé à plu
Le village d’EgliseNeuvedeVergt (Dordogne), où un foyer épidémique a été détecté après les obsèques d’un homme de 51 ans, fin avril. GEORGES GOBET/AFP
« Nous étions vingt à l’intérieur
de l’édifice.Tous gantés,
masqués », se défend le fils dudéfunt d’Eglise-Neuve-de-Vergt
sieurs réunions d’organisation de la rentrée scolaire, a été testé positif au Covid19. L’ARS a immédiatement cherché les cas contactspour procéder au dépistage, le 7 mai, de 19 personnes. « Cela a étéassez facile, avec des professionnels qui nous ont beaucoup aidés. Nous avons demandé aux personnes concernées de rester en quarantaine, même celles dont les tests étaient négatifs, car on sait que si elles viennent éventuellement d’être contaminées le test peut être négatif dans les premières heures ou les premiers jours, donc on le refera si besoin »,avance Michel Laforcade. « Troisautres personnes ont été dépistées positives, portant à quatre le nombre de Covid dans cette communauté éducative », précise l’ARS.
Face à ces deux foyers épidémiques, Michel Laforcade répète de nouveau une phrase qui a ponctué ses déclarations tout au long de la crise sanitaire : « Il faut faire en sorte que le feu de broussaille ne devienne pas un feu de forêt. C’est vraiment la responsabilité citoyenne qui fera la différence, tout dépend de nous. »
claire mayer
Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University Infographie Le Monde
Italie30 560 morts51 décès / 100 000 hab.
Royaume-Uni31 930 morts48 décès / 100 000 hab.
Espagne26 478 morts57 décès / 100 000 hab.
France26 380 morts39 décès / 100 000 hab.
Allemagne7 5499 décès / 100 000 hab.
EN EUROPE... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants
de 100 à 114de 50 à 100de 25 à 50Moins de 25
2 972
22 569
253
18 mars 10 mai
Personneshospitalisées
Nouvelles admissionsjournalières
HOSPITALISATIONS...
2 776
18 mars 10 mai
RÉAMINATION ET SOINSINTENSIFS
DÉCÈS EN FRANCE
depuis le 1er marsdont 16 642 à l’hôpitalet 9 738 en Ehpad
26 380
771
DÉCONFINEMENT
Martinique
Mayotte
La Réunion
Guadeloupe
Guyane
Pariset départements
limitrophes
Les départements classés en rouge :où l’épidémie sévit avec le plusde virulence et où la tensionhospitalière en réanimationest importante
Epidémie de Covid-19 : situation au 10 mai, 14 heures
DORDOGNE
LOTLOT-ET-GARONNE
GIRONDE
CHARENTEHAUTE-VIENNE
25 km
Périgueux
Bergerac
Eglise-Neuve-de-Vergt
« Il faut faire en sorte que le
feu de broussaille ne devienne pasun feu de forêt »
MICHEL LAFORCADEdirecteur général de l’agence
régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine
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*Maintien des prix jusqu’au 31 août 2020 sur 4501 produits Marque Repère par rapport aux prix relevés du 10 au 16 mars 2020 et sur
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Liste des produits disponibles et magasins participants sur www.e.leclerc
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–26QuaiMarcelBoyer–94200Ivry
-sur-Seine,642007991RCSCré
teil.
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4 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
Ce que contiendront les fichiers de suivi des malades
Pour éviter une reprise de l’épidémie, le gouvernement mise sur un système d’identification des personnes atteintes et de leurs « cas contacts », qui repose sur deux nouvelles bases de données médicales : SIDEP et Contact Covid
A lors qu’un long déconfinement débute le 11 mai, lesautorités veulent éviter unereprise de l’épidémie de Covid19, qui a déjà fait plus de26 000 morts en France. Un
pointclé de la stratégie du gouvernement : l’identification rapide de toute personne ayant été proche d’un malade, afin de luifaire passer également un test et, le cas échéant, l’isoler afin qu’elle ne propage pas lamaladie. C’est ce que l’on appelle le suivi des « cas contacts » (ou « contact tracing »).
L’exécutif souhaite, grâce à ce suivi, « identifier rapidement 75 % des personnes infectées », même lorsque ces dernières ne présententpas de symptômes du Covid19, selon une instruction ministérielle en date du 6 mai que LeMonde a pu consulter. L’article 6 de la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire prévoit, pour cela, la mise en place d’un nouveau « système d’information ». Son fonctionnement s’appuie sur deux bases de données médicales spécifiques : les fichiers SIDEP et Contact Covid. Ces bases de données devaient être prêtes dès lundi 11 mai, mais leur mise en œuvre, dans la foulée de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, a pris du retard. Le décret leur donnant naissance sera publié « avant la fin de la semaine », ont expliqué lundi Emmanuel Macron et Edouard Philippedans un communiqué.
SIDEP, pour identifier les malades Le fichier SIDEP – pour « système d’information de dépistage » – est une base nominative quicontiendra l’intégralité des résultats des tests PCR qui seront réalisés à partir du 11 mai. Ces tests permettent de déceler le patrimoine génétique du virus SARSCoV2 dans des prélèvements nasopharyngés. Ces derniers devraient être très nombreux : le gouvernement espère en réaliser 700 000 par semaine. Cette base de données seraremplie par les laboratoires et par tout organisme habilité à réaliser un test au Covid19. SIDEP servira aussi à la surveillance globale de l’épidémie par les autorités sanitaires – mais à partir de données expurgées des éléments identifiants les personnes tels lesnoms, adresses, etc.
Selon plusieurs documents transmis auxlaboratoires par l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (APHP) – qui hébergera la base de données – que nous avons pu consulter, les autorités prévoient aussi que cefichier abonde, de manière « pseudonymisée », le Health Data Hub, la controverséeplateforme d’analyse de données médicales. Mais le but principal du SIDEP est de « déclencher le contacttracing le plus rapidement possible », toujours selon l’un desdocuments de l’APHP.
Contact Covid, pour recenser les contactsdes malades C’est là qu’intervient la seconde base de données, appelée Contact Covid, du nom du « téléservice » élaboré par l’Assurancemaladie. Elle servira aux diffé
rentes équipes chargées du suivi des cas contacts des malades.
Les médecins vont la renseigner dans uneapplication qu’ils utilisent déjà : Amelipro. Une fois avertis du résultat du test qu’ils ont prescrit, euxmêmes ou leur secrétariat demanderont à leurs patients des informations sur les personnes qui partagent leur foyer – et qui risquent donc tout particulièrement de contracter le Covid19. Ces informations seront recueillies par le biais d’un formulaire transmis aux malades.
Les médecins pourront aussi recueillir lescoordonnées et l’identité des personnes hors du foyer avec qui le malade a eu une interaction rapprochée. Ce qui définit un contact rapproché est susceptible d’évoluer,mais consiste, selon le site de l’Assurancemaladie, en des « échanges d’une durée d’au moins quinze minutes sans masques avec un éloignement de moins d’un mètre » sur les dernières quarantehuit heures. Initialement, l’Assurancemaladie prévoyait de rémunérer les médecins en fonction du nombre et de la précision des informations saisies dans le fichier. Mais, le Parlement a supprimé cette possibilité, tout en laissantl’option d’une rémunération fixe.
Ensuite, la balle sera transmise aux personnels de l’Assurancemaladie. Des équipes de suivi des cas contacts – des « brigades » –sont en train d’être constituées dans chaque caisse départementale. Sur toute la France,4 000 salariés de l’Assurancemaladie étaientprêts à prendre leurs postes dès lundi matin,et 2 500 sont mobilisables en cas de besoin, précisait, le 1er mai, Nicolas Revel, le patronde l’Assurancemaladie.
Ces derniers pourront appeler le maladepour étoffer la liste des personnes avec qui il a été en contact rapproché. Seront alors collectées les informations nécessaires à pouvoir les contacter. Puis ces équipes de suivi des cas contacts les solliciteront, principalement par téléphone. Elles pourront les inviter à se confiner chez elles, à réaliser un testou à les orienter vers un soin spécifique. Elles pourront délivrer directement un arrêt de travail, et « évaluer les éventuels besoins d’accompagnement social de ces personnes au cours de leur période d’isolement », selon l’Assurancemaladie. Les personnes enregistrées dans le fichier Contact Covid pourront récupérer gratuitement des masques et réaliser un test sans prescription médicale.
Si les équipes de l’Assurancemaladie neparviennent pas à joindre les cas contacts, elles pourront obtenir l’aide des services mis en place par le préfet, qui peuvent solliciterles services municipaux.
Enfin, les agences régionales de santé (ARS)et Santé publique France utiliseront Contact Covid pour les enquêtes qui pourront être nécessaires lorsque sera infectée une personne évoluant dans un environnement àrisque, lorsque émergera un foyer de contamination important ou lorsqu’on ne parviendra pas à comprendre où et commentun patient a été infecté.
Quel rapport avec l’application StopCovid ? A ce stade, le texte de loi ne concerne pas StopCovid, le projet gouvernemental d’application pour smartphone desuivi de contacts – dont Cédric O espèrequ’elle sortira en juin. Le Parlement a mêmeinscrit formellement dans le texte la possibilité que StopCovid repose sur le nouveau« système d’information » combinant le SIDEP et Contact Covid. L’application, si elle est menée à terme, devrait s’articuler à cesdeux bases de données pour être utile aux équipes de santé chargées du suivi des cascontacts. On peut imaginer, par exemple,que l’application StopCovid suggère à une personne ayant potentiellement côtoyé unmalade d’appeler les équipes de l’Assurancemaladie, afin qu’elles alimentent ensuitele fichier Contact Covid.
Pourquoi ne pas utiliser les fichiers déjàexistants ? De nombreux fichiers médicaux existent déjà. « Les systèmes d’informationexistants ne permettent pas le recensement des cas confirmés à destination d’un dispositif de tracing ni de mettre en œuvre le tracing luimême », expliquait l’étude d’impact du projet de loi publié le 2 mai. Les bases de données SIDEP et Contact Covid seront, de fait, le socle technique d’un nouveau « systèmed’information » spécifique à l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie.
Seratil possible de ne pas y figurer ? PourContact Covid comme pour le SIDEP, les modalités exactes du droit de refus à ce que des données personnelles y figurent – que prévoit sous certaines conditions le droit européen – seront déterminées par décret.
Cependant, selon les documents que nousavons pu consulter, certaines données figureront obligatoirement dans le SIDEP : lenom, le sexe, la date de naissance, l’adresse, le numéro de téléphone du malade, mais aussi son type de résidence (habitat individuel, personne hospitalisée…) et d’activité(professionnel de santé ou non). D’autres
données, comme la date d’apparition despremiers symptômes, l’adresse électroniqueou le lieu de naissance, pourront ne pas être versées au fichier. Enfin, les patients pourront s’opposer à ce que leurs données soient utilisées à des fins de recherche dans le cadredu Health Data Hub.
Pourquoi ces fichiers ? Sans fichier, difficilede faire un suivi exhaustif des cas contacts,et de pouvoir contacter des malades supposés. Or, cette technique apparaît comme un instrument incontournable dans la luttecontre la pandémie. Le conseil scientifique leconfirme tout au long de sa note du 20 avril sur les conditions du déconfinement.
En effet, le SARSCov2, le virus qui cause lamaladie Covid19, est très contagieux. Une étude de l’Institut Pasteur a établi que chaque malade, en France et avant le confinement, contaminait 3,3 personnes. Un nombre croissant et concordant d’études scientifiques tend à montrer que cette forte contagiosité pourrait s’expliquer par le fait queles malades sont contagieux juste avant deprésenter des symptômes : c’est commecela que le virus continue son chemin à travers des personnes qui ne savent pas encorequ’elles sont malades. Ces fichiers vont servir à les identifier.
Combien de temps seront conservées lesdonnées ? La loi de prorogation de l’étatd’urgence sanitaire prévoit que les donnéesne seront conservées que pendant troismois. Cette question sera abordée – et peutêtre précisée – par le décret qui créera les deux fichiers.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a déjà prévenu qu’elle serait vigilante sur cette durée deconservation, et a déjà plaidé pour que certaines données soient effacées au plus vite.« Certaines données liées à des enquêtes achevées » autour d’un patient contaminé« devraient être supprimées dans un délai assez bref, bien avant la fin de l’épidémie », a
CE QUI DÉFINIT UN CONTACT RAPPROCHÉ
CONSISTE EN DES « ÉCHANGES D’UNE DURÉE D’AU MOINS QUINZE MINUTES, SANS MASQUES,
AVEC UN ÉLOIGNEMENT
DE MOINS D’UN MÈTRE » SUR
LES DERNIÈRES 48 HEURES
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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 5
préconisé la présidente de la CNIL aux députés, le 5 mai. La loi adoptée le 9 mai par leParlement prévoit du reste que la créationdes fichiers soit subordonnée à un avis« conforme » de la CNIL.
Qui aura accès à ces données ? Les données issues des fichiers SIDEP et ContactCovid seront accessibles aux agents et salariés du ministère de la santé, des organismes nationaux et locaux de l’Assurancemaladie, des agences régionales de santé,mais aussi de ceux des établissements etdes médecins prenant en charge les personnes concernées et les laboratoires réalisant les tests. L’ensemble des salariés ou membres de ces organismes n’auront, en revanche, pas accès à toutes les données des deuxfichiers. Un décret doit préciser exactementqui, au sein de ces organismes, aura accès àquel type de données.
Quels débats ces fichiers soulèventils ?La Commission nationale consultative
des droits de l’homme s’est dite « particulièrement inquiète » au sujet de ces deux fichiers, qui portent, selon elle, « une atteinte
conséquente au respect de la vie privée ». Al’Assemblée nationale, l’opposition a déjà tenté de les supprimer purement et simplement du projet de loi. Certains estimentqu’ils constituent d’importantes entorses au secret médical. D’une part parce que les médecins devront obligatoirement recenser une partie des cas contacts d’un malade ;d’autre part parce que les deux fichierspourront être consultés par des personnesqui ne sont pas des personnels soignants ausens strict du terme.
Sur le premier point, si les médecins devront demander à leur patient qui partage leur lieu de vie, l’identification des « personnes contacts à risque élevé de contaminationhors du foyer » reposera « sur la base du volontariat », a précisé l’instruction interministérielle du 6 mai. Sur ce sujet, l’ordre des médecins a demandé plusieurs garanties, tout comme l’Académie de médecine.
Sur le second point, le directeur de l’Assurancemaladie a assuré, dans Les Echos, que ses personnels étaient soumis au secret médical comme les médecins. La loi prévoitune peine d’un an de prison et d’uneamende de 15 000 euros pour toute personne qui compromettrait la confidentialité des données collectées.
Une autre limite soulevée concerne l’ajoutde cas contacts au fichier Contact Covid sans leur consentement. Cela renvoie en fait àl’une des difficultés intrinsèques du suivi de contact : pour avertir une personne qu’elle apeutêtre le virus, il faut disposer de ses coordonnées. Mais comme elle ne sait pas qu’ellerisque d’être malade, difficile de lui demander son accord sans justement disposer deses coordonnées (et donc de les recenserdans un fichier). Pour tenter de circonscriretoutes ces inquiétudes, le Parlement a ajouté au texte la création d’un « Comité de contrôle et de liaison Covid19 » pour évaluer la pertinence de ces dispositifs numériques ainsi que la transmission régulière au Parlement d’un rapport et d’un avis de la CNIL.
martin untersinger
LA COMMISSION NATIONALE
CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME
ESTIME QUE CES DEUX FICHIERS PORTENT « UNE ATTEINTE CONSÉQUENTE
AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE »
Une sortie du métro, à Paris, lundi 11 mai. AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »
Hôpitaux : la fin d’une parenthèse hors normesContraintes suspendues, coopération accrue, renforts… La crise a permis aux soignants de se concentrer sur l’intérêt des patients
A vec près de 100 000 patients atteints du Covid19 pris en charge de
puis le 1er mars, l’hôpital public a subi en quelques semaines un « électrochoc » qui l’a obligé à se réinventer dans l’urgence. A l’heure de la décrue, les personnelshospitaliers décrivent cette période comme une « parenthèse extraordinaire », certes « douloureuse », « stressante » et « fatigante », mais où furent possibles un « formidable bouillonnement d’idées » et un « fonctionnement miraculeux », selon les termes de plusieurs d’entre eux.
« Les personnels ont goûté à autrechose. Il y a eu de l’invention et de l’autonomisation, ça a complètement changé la façon de voir leur métier », selon François Salachas, neurologue à la PitiéSalpêtrière etmembre du Collectif interhôpitaux (CIH). « Nous obtenions tout ce que nous demandions, jamais nous n’entendions parler de finance. Je me suis demandé s’il s’agissait d’un miracle ou d’un mirage », a raconté Hélène Gros, médecin au service des maladies infectieuses de l’hôpital RobertBallanger, à AulnaysousBois (SeineSaintDenis), le 5 mai, lors d’une conférence de presse du CIH.
C’est donc avec appréhensionque les soignants voient cette parenthèse se refermer, les mesures du « plan massif d’investissement et de revalorisation » en faveur de l’hôpital, promis par Emmanuel Macron, le 25 mars, à Mulhouse, n’étant toujours pas connues. Jeudi 7 mai, des membres du CIH ont défilé en blouse blanche dans les couloirs de l’hôpital RobertDebré, à Paris, l’un d’eux portait une pancarte sur laquelle était écrit : « Pas de retour à l’anormal ».
Des besoins satisfaitsA l’hôpital, tout le monde a en têteles propos tenus par le chef del’Etat lors de son allocution solennelle du 12 mars. « Le gouvernement mobilisera tous les moyensfinanciers nécessaires pour porterassistance, pour prendre en chargeles malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte. » Un feu vertprésidentiel immédiatement répercuté sur le terrain. Dès le début, « les barrières financières ont sauté. On (…) a dit : “Ce sera oui à tout” », selon un directeur médical de crise à l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (APHP).
Si la pénurie d’équipements deprotection, comme les masques ou les surblouses, a suscité la colère dans de nombreux établissements, d’autres besoins ont été immédiatement satisfaits. « Toute l’année, notre référente logistique se bat pour avoir le moindre matériel, là elle m’a dit : “C’est open bar !” J’ai pu commander ce dont j’ai besoin, comme des stéthoscopes, des thermomètres… alors même que le budget mensuel alloué avait été dépassé », relate Claire GuilParis, infirmière au CHU de Nantes.
« Etonnamment, tout pouvait secommander en urgence », renchérit Florence Pinsard. Sept ans que cette cadre en gériatrie au centre hospitalier de Pau demandait en vain des thermomètres sans contact. « On a presque dit “vive le Co
vid19 !” » , lancetelle. Le 28 avril, la Fédération hospitalière de France a chiffré entre 600 millions et 900 millions d’euros le surcoût de la crise pour les hôpitaux publics. Une cadre supérieure d’un hôpital de l’APHP rappelle toutefois que de nombreux matériels (pousseseringues, respirateurs, etc.) ont été obtenus grâce la solidarité privée, notamment d’associations comme Protège ton soignant.
Dans certains hôpitaux, la criseest survenue dans une situation tendue en ce qui concerne les effectifs de personnels. Faute decandidats, il manquait, par exemple, près de 900 infirmiers début mars dans les 39 établissements de l’APHP, entraînant la fermeture de plusieurs centaines de lits.
La suspension des activitéshors Covid non urgentes a d’abord permis de réquisitionnerdu personnel supplémentaire.Dans le GrandEst ou en IledeFrance, des renforts – payés enmoyenne à l’APHP 30 % de plusque les titulaires, selon nos informations – sont en outre venus d’autres régions moins exposées.« En trois jours, on a pu recruter uncollègue de Rouen pour nousaider à monter un système permettant de surveiller en continu lasaturation des patients dans lesecteur Covid de pneumologie, avec l’aide de sociétés privées quiont prêté de l’appareillage », explique Thomas Gille, pneumologue à l’hôpital Avicenne, à Bobigny (SeineSaintDenis). Beaucoup de soignants sont aussi venus travailler en intérim.
Alors que les hôpitaux redémarrent leur activité sans rapport avecle Covid19, les personnels titulaires s’inquiètent de voir repartir ceseffectifs. « Ce ne sont pas des moyens exceptionnels. Ils sont justeà peine à la hauteur de ce qu’il faudrait le reste du temps pour s’occuper des malades nonCovid », estime Mme Pinsard. « Alors qu’ils se sont souvent plu chez nous, ces renforts ne veulent pas rester, ils nous disent qu’ils ne peuvent pas se logerà Paris. Les conditions ne sont pas là pour qu’ils se disent que ça vaut le coup de revenir », regrette une cadre supérieure d’un grand hôpital de l’APHP.
Les médecins hospitaliers saluent le changement de discours de leur direction pendant ces quelques semaines. « D’habitude, on nenous parle que de tarification d’activité, de rentabilité, de fermeture de lits, d’augmentation de l’activité et de réduction du personnel. Là,
d’un seul coup il n’était plus question de tout ça, mais de l’intérêt des malades », relève Isabelle Simon, pneumologue au Centre hospitalier de CompiègneNoyon (Oise). « On a eu l’impression d’être libérés,comme si on avait ouvert une portede prison », a fait valoir, le 5 mai, Agnès Hartemann, la chef du service de diabétologie de la PitiéSalpêtrière, à Paris.
Au cours de cette période où illeur a fallu gérer un afflux massif et soudain de patients atteints du Covid19, les personnels hospitaliers disent avoir retrouvé le sensde leur métier. « On arrivait à une saturation de cet hôpitalentreprise avec des tableaux Excel et desalignements de chiffres pour taper sur les médecins en leur disant : “Vous ne travaillez pas assez” », résume François Braun, chef du service des urgences du centre hospitalier régional de MetzThionville (Moselle) et président dusyndicat SAMUUrgences de France. « C’est une parenthèse où on a pu faire notre métier commeon aurait envie de le faire tous les jours », ajoute Mme GuilParis.
S’ils se sont sentis enfin écoutés,les médecins ont aussi eu le sentiment de reprendre l’organisation des services en main, avec les paramédicaux, et de ne plus se voir imposer des schémas directeurs d’organisation. « On a redécouvert les vertus de la gestion locale, décentralisée, ça va être difficile pour toutle monde de revenir en arrière quand le siège central va resserrer la bride », souligne le docteur Gille.
Concurrence évaporéeLa crise a vu se dessiner une synergie inédite à l’hôpital. L’arrêt de toutes les activités programmées aconduit tout le corps médical à se concentrer sur un objectif commun. La concurrence entre médecins, entre disciplines, entre personnels médicaux et paramédicaux, entre seniors et internes, s’est subitement évaporée, relèvent de nombreux soignants.
« C’était comme une grande famille qui se retrouve, la glace qui se brise, des distanciations et hiérarchies qui n’existent plus, il y avait plus d’attention pour les brancardiers, les infirmières, les aidessoignants… C’est ce qui nous a permis de tenir, alors qu’on était dans l’œil du cyclone », décrit la docteure Simon, à Compiègne, le premier centre hospitalier, avec celui de Creil, à avoir accueilli des patients atteints du Covid19.
A l’hôpital, une question est danstous les esprits : à quoi ressemblera l’« aprèsCovid » ? « Le temps n’est plus aux tergiversations », a mis en garde le professeur JeanLuc Jouve, chirurgien orthopédiste à Marseille, lors de la conférence de presse du CIH. « Notre système a pu résister à cette vague en laissant l’hôpital à genoux. Il ne résistera pas à des vagues successives », atil fait valoir, en rappelant que « les personnels hospitaliers ont besoin d’une revalorisation immédiate » et qu’il n’y a eu, selon lui,jusqu’à présent, « aucune annonce gouvernementale qui permette d’avoir un véritable espoir ».
françois béguinet élisabeth pineau
« NOUS OBTENIONS TOUT CE QUE NOUS
DEMANDIONS, JAMAIS NOUS N’AVONS ENTENDU PARLER DE FINANCE. JE ME SUIS DEMANDÉ S’IL
S’AGISSAIT D’UN MIRACLE OU D’UN MIRAGE »
HÉLÈNE GROSmédecin
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6 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
Le RoyaumeUni se déconfine en ordre disperséJugeant la décision hâtive, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ne procéderont pas aux réouvertures
londres correspondante
I l fut l’un des derniers payseuropéens à se confiner, le23 mars, et il affiche désormais le plus lourd bilan offi
ciel du continent (32 000 décès duCovid19). Le RoyaumeUni se« déconfine » à son tour, mais àtout petits pas, et en ordre dispersé. Dimanche 10 mai, dans un discours très attendu, le premierministre, Boris Johnson, a annoncé une sortie du déconfinement en trois phases, conditionnées à l’évolution de la pandémie,notamment au niveau du R0, le taux de transmission du virus (nombre de personnes qu’un malade contamine en moyenne).
Cet indicateur désormais essentiel des politiques antiCovid, serait entre « 0,5 et 0,9 », a précisé Boris Johnson (s’il dépasse 1, l’épidémie est de nouveau en forte expansion). En conséquence, dès mercredi 13 mai, les Britanniques seront autorisés à sortir autant qu’ils le veulent pour prendre l’air ou faire de l’exercice – ils n’avaientdroit qu’à une sortie quotidienne d’une heure jusqu’à présent. « Vous allez pouvoir prendre des bains de soleil dans vos parcs, prendre la voiture pour une autre destination, et même faire du sport, mais uniquement avec des membres de votre foyer. »
Les golfs et terrains de tennispourraient donc rouvrir dans lesjours qui viennent, les plages devraient être accessibles. Par ailleurs, « tous ceux qui ne peuventpas travailler de chez eux, dans la construction ou les usines, parexemple, doivent être encouragésactivement à retourner au travail », si possible « en voiture, à pied ou à vélo », a encore précisé
Boris Johnson. Pour les autres, le télétravail va rester la norme. Ettout le monde devra continuer àrespecter les règles de « distanciation sociale » : deux mètres au RoyaumeUni. Attention aux contrevenants : la police britannique a jusqu’à présent eu la main plutôt légère – quelques milliers d’amendes ont été infligées –mais le niveau des contraventions va augmenter, a menacé M. Johnson.
Pour la réouverture des écoles etdes magasins (hors alimentation), il faudra attendre « au plus tôt » le 1er juin. Et encore : pour ce qui est des établissements scolaires, seules les crèches et les écoles primaires sont concernées, avec en priorité les premier et sixième niveaux(équivalents de la grande section de maternelle et du CM2). Les lycéens (de 16 à 18 ans) pourront retourner dans leurs établissements, mais seulement pour des rencontres avec leurs professeurs. Pour les autres, la classe ne reprendra qu’à la rentrée de septembre.
Tensions avec l’EcosseEnfin, « au plus tôt en juillet », toujours si le R0 et le nombre de nouvelles infections le permettent, certains espaces publics et une partie du secteur de l’hôtellerie pourraient rouvrir, ainsi que les cinémas, ou les restaurants disposant d’une large terrasse, par exemple, mais probablement niles pubs, où la distanciation sociale paraît impossible à mettreen œuvre, ni les coiffeurs ou les bars à ongles. Les étrangers arrivant par avion pourraient être mis en quarantaine.
« Tout cela est conditionné à desgrands si… », a conclu M. Johnson, 55 ans, qui est tombé gravement malade du Covid19 en avril. Il arepris son poste à Downing Streetfin avril et devait recommencer lejogging dès lundi 11 mai, selon le Sunday Times.
Downing Street, qui affectionneles slogans en trois temps, a par ailleurs abandonné le percutant « Stay at home, save lives, protectthe NHS » (« restez à la maison, sauvez des vies, protégez le NHS »,le système national de santé), pour un « Stay alert, control the vi
rus, save lives » (« restez en alerte,contrôlez le virus, sauvez des vies »). Ce changement d’injonction a provoqué de fortes tensions dimanche avec les troisautres nations du royaume (en plus de l’Angleterre) : l’Irlande duNord, le Pays de Galles et surtout l’Ecosse. Toutes trois ont des compétences propres en matière sanitaire ou scolaire, mais avaient jusqu’à présent suivi Westminster dans l’entrée en confinement.
Dimanche, peu avant l’allocution de M. Johnson, Nicola Sturgeon, la première ministre écossaise, a jugé « vague et imprécis » le nouveau slogan de DowningStreet. « Pour le moment », lesEcossais sont donc invités à « rester à la maison » mais aurontquand même le droit de sortirplus d’une fois par jour pour fairede l’exercice. Le gouvernement gallois et l’exécutif nordirlandais vont en rester, eux aussi, au« Stay at home ».
Mme Sturgeon avait laissé entendre ces derniers jours qu’en Ecossenotamment, le R0 serait plus élevé qu’en Angleterre (entre 0,7 et 1 selon une estimation du 8 mai). Dans ce pays de 5,4 millions d’habitants, 1 857 personnes testées positives au Covid étaient décédées dimanche. Mais le bilan côté anglais est également dramatique (presque 29 000 décès). Le gouver
nement Johnson voudraitil aller trop vite en besogne ?
Il est vrai que l’aile droite du Particonservateur pousse à un déconfinement plus rapide. La semaine dernière, le député brexiter Steve Baker fustigeait un confinement « absurde, dystopique et tyrannique ». « Le Parti conservateur a décidé qu’il détestait le confinement. Nous ne pouvons le reprocher au premier ministre, alors nous avons décidé d’accuser ses conseillers », insiste un autre élu, dans l’hebdomadaire Spectator, faisant référence aux « unes » rageuses de la presse de droite, début mai, ayant conduit à la démission de l’épidémiologiste star Neil Ferguson. Il avait enfreint les règles du confinement et accueilli sa « maîtresse »chez lui, avait accusé le Telegraph.
« Ce soir, le premier ministredonne l’impression de dire à des millions de gens : “retournez au travail”, sans un plan clair sur lesmesures de sécurité à adopter nicomment éviter les transports en commun, a dénoncé, pour sa part,Keir Starmer, le leader des travaillistes, principal parti d’opposition au gouvernement. Ce dont le pays avait besoin ce soir, c’étaitde clarté et de consensus. Nousn’avons eu ni l’un ni l’autre. »
Malgré la pire mortalité d’Europe, une entrée probablementtrop tardive en confinement et
un manque de préparation flagrant, les Britanniques ont jusqu’à présent soutenu Boris Johnson. Son taux d’opinions favorables reste avantageux (58 % dessondés estimaient que le gouvernement gérait « très bien » ou « plutôt bien » la pandémie, selonl’institut YouGov, le 1er mai). Et les mesures de confinement ont été plutôt bien respectées, en dépitd’un certain relâchement leweekend des 9 et 10 mai, à la faveur d’un temps radieux. Les Britanniques se sont pressés commejamais dans les parcs, et le Grand Londres avait presque un petit airde normalité printanière.
Vontils suivre les nouvelles injonctions du gouvernement ? Les prévisions d’une catastrophe économique à venir ont beau être affolantes (la Banque d’Angleterre a alerté sur la plus grave récession pour le pays depuis trois cents
ans), les quelques études disponibles montrent une grande prudence des Britanniques à « sortir » du confinement. Ils ne sont en particulier pas pressés de renvoyer leurs enfants à l’école. Selon l’institut YouGov, 82 % des sondés le 7 mai se disaient capables de supporter un confinement jusqu’à début juin.
« Perte de temps »Leur confiance dans le gouvernement Johnson va aussi dépendre de sa capacité à déployer une stratégie efficace de tests et traçage duvirus. M. Johnson l’a à peine évoquée dimanche. Et pour cause : elle n’est pas prête. La capacité de tests au niveau national a atteintenviron 100 000 tests par jour, mais le gouvernement n’a toujours pas arrêté son choix d’architecture pour la future application de traçage des cas de Covid (centralisée ou décentralisée).
« Avoir une capacité journalièrede tests ne suffit pas pour faire une stratégie. Quant à l’application, elle aurait dû être pensée enavance, quand on avait l’exempledes pays asiatiques sous nos yeux.Le RoyaumeUni a perdu beaucoup de temps depuis fin janvier »,regrette Gabriel Scally, professeur de santé publique à l’université de Bristol.
cécile ducourtieux
Possibilité de mise en quarantaine pour les arrivées en avionLes voyageurs venant de France devraient être exemptés d’un confinement de quatorze jours imposé lors de l’entrée sur le sol britannique
londres correspondante
B oris Johnson a esquissé,dans son discours dimanche 10 mai, la possibilité
d’une mise en quarantaine pour les « arrivées en avion dans lepays » : « il sera bientôt temps » deles imposer, a souligné le premier ministre britannique, afin d’éviter « des réinfections depuis l’étranger ». Pour nombre d’épidémiologistes, une telle mesuremettrait fin à une aberration en termes de santé publique.
Paradoxalement, le pays duBrexit est l’un des très rares enEurope à n’avoir instauré aucuncontrôle à ses frontières, dans lesports, les gares et les aéroports,ne tirant pas parti de son statutd’île pour contrer l’épidémie.
Aucun contrôle de température n’a, par exemple, été mis en placeau terminal Eurostar de la garede SaintPancras, ni à Heathrow,principal aéroport du pays, où letrafic aérien a considérablementchuté, mais où il arrivait encorequotidiennement 15 000 personnes de l’étranger par des volscommerciaux.
Vérifier les températures etmettre en quarantaine les passagers présentant des signes d’infection, en plein pic épidémique,aurait un effet marginal sur le niveau de l’épidémie dans le pays, aà plusieurs reprises justifié Patrick Vallance, le conseiller scientifique en chef du gouvernement. Mais ces dernières semaines, le ton a changé : DowningStreet ne cachait plus qu’avec le
ralentissement de l’épidémie,l’option d’une quarantaine pourrait s’imposer.
Celleci devrait être de quatorzejours à l’arrivée sur le sol britannique. Dans des hôtels réquisitionnés ou au domicile des personnes concernées si elles en ont
un au RoyaumeUni ? Le gouvernement devrait apporter desprécisions dans les prochainsjours. A ce stade, cependant, lesvoyageurs venant de France devraient être exemptés, selon uncommuniqué commun rendupublic par Downing Street et l’Elysée dimanche soir.
Des mesures de quarantaineentre les deux pays ne sont pas pour autant écartées : Boris Johnson et Emmanuel Macron, quise sont concertés au téléphonedimanche, « ont parlé de la nécessité de contrôler le risque de nouvelles transmissions venues del’étranger » et « ont accepté de travailler ensemble à prendre desmesures aux frontières appropriées (…). Toute mesure [d’uncôté de la frontière] serait prise
en concertation et sur une baseréciproque », ajoute le communiqué, précisant qu’un groupe detravail francobritannique va être mis en place pour assurercette consultation bilatérale.
« Dommages incommensurables »Qu’elle concerne ou pas laFrance, la quarantaine affole déjàles agences de voyages et lescompagnies aériennes desservant le RoyaumeUni, qui voientles perspectives d’une reprise rapide du trafic s’évanouir. AirlinesUK, le lobby du secteur aérien britannique (British Airways, easyJet, etc.), a alerté dimanche, réclamant de nouvelles mesuresde soutien à une filière en chute libre. La quarantaine va « tuer lesvoyages internationaux vers et
depuis le RoyaumeUni, et causerdes dommages incommensurables à l’aviation et à l’économie britanniques, expliquait l’association dans le Sunday Times du10 mai. Personne ne va partir envacances (…) et les voyagesd’affaires vont être sévèrement limités. »
Quant aux Britanniques,grands adeptes des vacances ausoleil en France, en Espagne et enItalie, ils vont devoir « redécouvrir Blackpool », soulignait lequotidien dominical, faisant référence à une station balnéaire archétypique du nordouest de l’Angleterre, avec son zoo, sa jetéeet sa fausse tour Eiffel, délaissée depuis l’avènement des compagnies low cost.
c. du.
Les Britanniques,grands adeptes
des vacances ausoleil en France,
en Espagne et enItalie, vont devoir
« redécouvrir Blackpool »
A Hartley Wintney, dans le Hampshire, en Angleterre, pendant l’allocution de Boris Johnson, dimanche 10 mai. ADRIAN DENNIS/AFP
Malgré la pire mortalité
d’Europe, les Britanniques ontjusqu’à présentsoutenu Boris
Johnson
« Ce dont le paysavait besoin,
c’était de clarté etde consensus.
Nous n’avons euni l’un ni l’autre »
KEIR STARMERchef de file des travaillistes
LE CONTEXTE
TROIS PHASESDès le 13 maiLes Britanniques peuvent sortir autant qu’ils le veulent, à condi-tion de respecter la distanciation de deux mètres. Tous ceux qui ne peuvent faire du télétravail sont invités à retourner au tra-vail en évitant si possible les transports en commun.Au plus tôt le 1er juinSeules les crèches et quelques ni-veaux en primaire devraient rou-vrir, et les collèges et lycées rester fermés jusqu’en septembre.Au plus tôt le 1er juilletCertains espaces publics et des restaurants ou hôtels pourraient rouvrir à condition de faire res-pecter la distanciation sociale.
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8 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
A lors que le déconfinement progressif dupays a commencélundi 11 mai, la loi pro
rogeant l’état d’urgence sanitaire, adoptée définitivement samedi9 mai, n’a pas pu être promulguéeà temps. Le Conseil constitutionnel, qui a reçu pas moins de quatre saisines – du président de la République, du président du Sénat, de plus de 60 députés et de plus de 60 sénateurs – ne devait rendre sa décision que dans la journée de lundi.
En conséquence, selon un communiqué commun de l’Elysée et de Matignon publié dans la nuit de dimanche à lundi, certaines dispositions législatives, telles que la limitation des déplacements dans un rayon de 100 kilomètres ou l’accès réservé dans les transports en commun aux personnes justifiant d’une attestation de travail, entreront en vigueur seulement lorsque la loiaura été validée par le Conseil constitutionnel. « Il est fait appel au sens de la responsabilité des Français pour qu’elles soient respectées d’ici là. Il était en tout état de cause prévu qu’elles devaient faire l’objet d’une période de tolérance », indique le communiqué.
Les autres dispositions de la loiont fait l’objet d’un décret temporaire publié au Journal officiel du 11 mai. Il autorise la fin du confinement et les sorties du domicile sans limitation, tout en rendant obligatoire le port du masque dans les transports collectifs. Il liste également les départements classés en zone verte ou en zone rouge et les commerces autorisés à reprendre leur activité. Le tempsest venu, donc, de jeter les attestations de déplacement dérogatoires et de sortir les masques.
Inquiétudes des mairesL’adoption dans l’urgence de cette loi qui prolonge l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet,et non jusqu’au 24 juillet, commele prévoyait le texte initial dugouvernement, n’aura pas étésans soulever de vifs débats.Deux points ont été particulièrement controversés : la question de la responsabilité pénale des élus dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et la mise enplace d’un système d’information permettant d’identifier lespersonnes infectées ou présentant un risque d’infection.
Il n’aura pas fallu moins de quatre heures, samedi, pour qu’unecommission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et de sept sénateurs, parvienne à s’accorder sur un texte commun,finalement approuvé par 252 voix
contre 87 au Sénat et par 450 voixcontre 84 à l’Assemblée nationale.Les voix contre venant essentiellement des parlementaires socialistes, communistes et « insoumis », et d’une douzaine de députés Les Républicains.
Répondant aux inquiétudes exprimées par de nombreux maires, relayées par plusieurs associationsd’élus, qui craignaient que leur responsabilité soit engagée si un élève ou un membre du personnelétait contaminé par le SARScoV2, le Sénat avait introduit, contre l’avis du gouvernement, un article modifiant sensiblement le droit actuel pour offrir une protection juridique renforcée aux élus. Selonla rédaction du Sénat, nul ne pouvait voir sa responsabilité pénale engagée pour avoir exposé quelqu’un à un risque de contamination à moins d’avoir agi « intentionnellement », « par imprudence ou négligence » ou « en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative ».
Le premier ministre, EdouardPhilippe, avait clairement indiqué qu’il était défavorable à un régime visant à atténuer la responsabilité pénale des décideurs.L’Assemblée nationale avait supprimé la disposition introduite par le Sénat. La proposition présentée par les députés de La République en marche et du MoDempréservait le cadre actuel, régi par l’article 1213 du code pénal, issude la loi du 10 juillet 2000 qui encadre la notion de délit non inten
tionnel, tout en précisant que sonapplication devait tenir compte, « en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits ». Unemanière d’inviter les juges à faire preuve de discernement, ce qui ne changeait pas grandchose àl’affaire puisque, dans les faits, comme l’a rappelé la ministre de la justice, Nicole Belloubet, « lejuge apprécie toujours la situationin concreto, au cas par cas », en tenant compte des circonstances.
« Fichage généralisé »Le texte de compromis adopté par la CMP prévoit que « l’article 1213 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ». En réalité, ça ne mange pas de pain,
mais ça rassure ceux qui voulaientl’être, même s’il n’est pas fait explicitement référence aux maires dans cette formulation. Et ça permet à la majorité sénatoriale de droite, à quelques encablures du prochain renouvellement sénatorial, de se poser en défenseuse attentionnée des élus locaux, qui sont aussi ses électeurs.
Autre point ayant donné lieu àde vigoureux échanges, la création d’un système d’information pour identifier les personnes infectées par le coronavirus et leurs contacts. D’aucuns y voyaient unrisque d’atteinte aux libertés individuelles, un « fichage généralisé »de la population. Le texte élaboré par la CMP prévoit un encadrement strict des données recueillies et de leur partage. Entout état de cause, les mesures dérogatoires autorisant la créationde ce système d’information s’appliqueront, au maximum, pour une durée de six mois à compterde la fin de l’état d’urgence sani
taire. Les données collectées,quant à elles, ne pourront êtreconservées plus de trois mois.
Surtout, elles ne pourront passervir de base juridique en vue du développement ou du déploiement d’une application sur mobile du type « StopCovid », et seront anonymisées en ce qui concerne leur utilisation pour la surveillance épidémiologique. Un comité de contrôle, intégrant quatre parlementaires, est instauré, et le gouvernement adressera tous les trois mois au Parlement un rapport détaillé de ces mesures, complété par un avis public de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Comme l’indique le communiqué de l’Elysée et de Matignon, undécret en Conseil d’Etat, après avis de la CNIL, devrait être pris « avant la fin de la semaine » pour autoriser, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel,ce système d’information.
patrick roger
Le long cheminement de la responsabilité pénale des élusDepuis 1994 et les prémices de la loi Fauchon, la protection des élus, qui vient d’être modifiée par les parlementaires, fait polémique
N ous sommes en 1994. AChaumont, un maire aété condamné pour
n’avoir pas fait preuve de la vigilance requise à la suite du rejet, par le réseau communal, de purindéversé par des agriculteurs. En IlleetVilaine, un autre a été condamné pour tapage nocturne en raison des nuisances sonores provenant d’une salle polyvalente municipale. En Provence, des maires ont été mis en examenà la suite d’accidents survenuslors d’une manifestation taurine. En Alsace, le maire de MorsbronnlesBains a été condamné pour la pollution provoquée par une station d’épuration défectueuse, alors qu’il avait engagé les travaux de réparation. Le présidentde l’Association des maires de
France (AMF), le sénateur JeanPaul Delevoye, constate que « la mise en responsabilité personnelledes maires, si elle n’est pas devenuehabituelle ou normale, est en trainde devenir fréquente ».
Le 14 décembre 1995, une proposition de loi présentée par Pierre Fauchon, sénateur centriste deLoiretCher, est adoptée au Sénat.Elle crée un nouvel article du codepénal, l’article 1213, qui instaure la notion de délit non intentionnel, afin d’offrir une protection juridique aux élus dont la responsabilité est engagée sans qu’unefaute puisse leur être reprochée. Le nouvel article, tel qu’il est rédigé par le Sénat, précise qu’« il n’ya point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Cependant, estil ajouté, « lorsque la loi
le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». Comme le noteM. Fauchon, la confiance faite aux élus « leur impose d’être exemplaires, on ne saurait pour autant exiger d’eux d’être infaillibles ». Soupçonné de vouloir « blanchir »les élus, y compris dans des affaires de corruption ou d’ingérence, le texte ne prospérera pas.
Travail de réécriture24 novembre 1999 : le premier ministre, Lionel Jospin, intervient devant le congrès de l’AMF, toujours présidée par M. Delevoye.Devant six mille élus, il annonce qu’il engagera « rapidement » une réforme de la responsabilité pénale des élus, en y intégrant les
préconisations d’une propositionde loi déposée par M. Fauchon.
Cette dernière est adoptée, le27 janvier 2000, au Sénat, mais il faudra attendre début avril pourqu’elle arrive devant l’Assemblée. Entretemps, des voix, dont celle du président de l’Assemblée nationale, Laurent Fabius, se sontélevées pour critiquer l’imprécision du texte en discussion. Voire pour y déceler « une forme d’amnistie anticipée » alors qu’approche la perspective du procès dans l’affaire du sang contaminé.
Sous la houlette de René Dosière, député socialiste de l’Aisneet rapporteur du texte à l’Assemblée, s’engage un long travail de réécriture et, surtout, de conviction. « L’élaboration du texte définitif s’est avérée particulièrement
délicate, raconte M. Dosière. Il fallait convaincre l’opinion publiquequ’il ne s’agissait pas d’un régimede faveur pour les élus locaux. »
La proposition de loi donne lieuà de multiples réécritures et allersretours. Le 29 juin 2000, le texte est définitivement adopté, àl’unanimité, par les deux Chambres, mettant ainsi un terme à un parcours parlementaire pour le moins cahotant. Il deviendra laloi du 10 juillet 2000, dite « loi Fauchon », mais qu’il serait plus approprié d’appeler « loi FauchonDosière ».
Avant qu’il ne soit complété lorsde l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le 11 mai, l’article 1213 du code pénal issu de cette loi était ainsi rédigé : « Il n’y a point de crime ou de
délit sans intention de le commettre. (…) Les personnes physiquesqui n’ont pas causé directement ledommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommageou qui n’ont pas pris les mesurespermettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence oude sécurité prévue par la loi ou lerèglement, soit commis une fautecaractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.Il n’y a point de contravention encas de force majeure. » Un équilibre qui, jusqu’à présent, a fait la preuve de sa pertinence.
p.rr
Débat sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, à l’Assemblée nationale, vendredi 8 mai. THOMAS SAMSON/AFP
Certaines dispositions législatives
n’entreront en vigueur qu’après
validation par le Conseil
constitutionnel
L’état d’urgence sera prolongé jusqu’au 10 juilletResponsabilité pénale des élus, données personnelles… le Conseil constitutionnel devait examiner le texte lundi
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10 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
Chômage en hausse : un déconfinement sous pression à Pôle emploiLes 900 sites recevant du public vont rouvrir leurs portes à partir du 18 mai, mais une grande partie des agents resteront en télétravail
L’ heure de la reprise approche pour Pôle emploi.Fermées au public depuis
la deuxième quinzaine de marsen raison de l’épidémie de Covid19, les agences de l’opérateurpublic vont, de nouveau, recevoirdes chômeurs à partir du 18 mai.Une réouverture des portes quidoit s’effectuer graduellement,afin de protéger la santé des usagers et des salariés. A partir dulundi 11 mai, les quelque 900 sites
de l’établissement ayant vocation à recevoir des demandeursd’emploi doivent consacrer unesemaine à la préparation des lieux : marquage au sol, réception des équipements sanitaires, définition du nombre maximumde personnes pouvant être présentes simultanément dans leslocaux, etc.
L’objectif est de ne « prendreaucun risque », comme l’a expliqué Jean Bassères, le directeur gé
néral, dans un entretien au Figarodu jeudi 7 mai.
Durant la période de confinement, de 25 000 à 30 000 agents,sur un effectif légèrement supérieur à 50 000, avaient poursuivileurs missions depuis leur domicile, afin de traiter les emails etles coups de fil. Beaucoup d’entreeux vont continuer à procéder ainsi, le télétravail restant prioritaire, au moins à court terme.
Dans un premier temps, les activités « réalisées physiquementen agence » seront réservées auxsituations qui le nécessitent : accès aux bornes en libreserviceet au matériel des zones d’accueil (photocopieuse, scanner)afin de permettre au demandeurd’emploi, qui le souhaite, des’inscrire ou de mettre à jour sondossier ; échange en têteàtête siceluici est réclamé par le chômeur ou par l’entreprise quicherche à embaucher, etc.
Chaque venue in situ s’effectuera sur rendezvous, sauf pourles urgences, liées, en particulier,à l’indemnisation. Jusqu’à débutjuin, « les premiers entretiens consécutifs à une inscription en lignecontinueront à se faire (…) par té
léphone », a précisé M. Bassères.Les salariés de Pôle emploi qui vont regagner leur poste, serontéquipés en masques et en gel hydroalcoolique. Ceux postésjuste après les entrées disposeront même de visières, et les bureaux d’entretien individuel seront dotés de séparateurs enPlexiglas. Tous ces aménagements obéissent à un « plan dedéconfinement », qui doit être présenté, mardi, devant le comité social et économique (CSE)central, l’instance de représentation du personnel.
« Nous sommes très inquiets »Les syndicats implantés au seinde l’opérateur public sont surleurs gardes, à quelques jours de cette « rentrée ». « La reprise d’activité en agence doit intervenirdans le strict respect des conditions de sécurité, affirme DavidVallaperta (CFDT). Le processusen cours est quand même rapide, nous aimerions que le calendriersoit un peu “détendu”, en consacrant le mois de mai à la préparation du déconfinement. » A ses yeux, il convient « d’analyser les activités qui nécessitent d’être re
prises en “présentiel” et celles quipeuvent être assurées en télétravail ». « Il s’agit d’une réflexion à mener dans le cadre du dialogue social », soulignetil, en jugeant« plus réaliste de prévoir le retour effectif des missions sur site àcompter du 1er juin ».
Nathalie Potavin (CGT) insiste,elle aussi, pour que le redémarrage se déroule en veillant à lasanté « des usagers et des agents »et en « garantissant la délivrance de l’offre de services ». « Noussommes très inquiets », confie, pour sa part, Christine Brouh (SNUFSU), en évoquant notamment le cas d’un collègue travaillant dans le ValdeMarne,
qui semble être mort du Covid19. L’inspection du travail,saisie par des élus du personnel,a recommandé que ce décès soitconsidéré comme étant imputable au service. Pôle emploi a refusé, au motif que les causes dela contamination ne sont pas connues, selon Mme Brouh – etd’autres sources syndicales. Ladirection générale, qui ne souhaite pas commenter cette affaire, indique qu’elle « accompagne la famille » du défunt et les« collaborateurs » employés dansla même agence que celuici. Defaçon plus globale, Mme Brouh regrette que les syndicats n’aient pas été davantage associés en amont à l’élaboration du document soumis au CSE.
Audelà du déconfinement,Marc Brzostowski (FO) exprime également de l’appréhension surla suite, « avec la charge de travailà absorber », du fait de l’augmentation du chômage, qui s’annonce massive. D’après lui, l’opérateur est d’ores et déjà en butte à« un problème d’effectifs » : celuici risque de redoubler d’intensité dans les mois à venir.
bertrand bissuel
A Mayotte, tous les ingrédients de l’« embrasement »Le seul territoire français encore confiné a passé la barre des mille cas de Covid19, dans un contexte social tendu
mayotte correspondant
T oute la France a commencé, lundi 11 mai, sondéconfinement progressif. Toute sauf un
département insulaire de l’océanIndien : Mayotte. En raison d’« une circulation élevée de l’épidémie sur le territoire, la prolongation du confinement à Mayotteest nécessaire », explique le préfet, JeanFrançois Colombet. L’îleconcentre près de la moitié descas de l’outremer.
Selon le dernier bulletin publiédimanche par l’agence régionalede santé (ARS), la barre symbolique du millier de personnes atteintes par le SARSCoV2 a été franchie : 1 023 cas avaient été officiellement recensés – contre650 le dimanche précédent –,46 personnes sont hospitalisées,dont 9 en réanimation – parmilesquelles une en réanimationnéonatale –, et l’île déplore 11 décès. L’ARS annonce que le pic del’épidémie est attendu autour du20 mai. A cette situation explosive s’ajoutent les 3 600 cas dedengue, avec 16 morts répertoriés depuis le début de l’année.
Mayotte souffre depuis des années d’être un immense désertmédical, avec 18 médecins deville pour les 279 000 habitants officiellement recensés parl’Insee. En intégrant les médecins du centre hospitalier deMayotte (CHM), cela représenteprès de 80 médecins pour100 000 habitants, contre 324 enmétropole. Or, l’essentiel desmoyens du CHM est concentrésur la maternité qui, avec prèsde 10 000 naissances par an, accueille surtout des femmesoriginaires des îles voisines des Comores. Près de 75 % des naissances sont le fait de femmes en
situation irrégulière. La population mahoraise est ainsi constituée pour moitié de clandestins vivant dans des bidonvilles.Cette situation génère tous lesingrédients pour un risqued’« embrasement épidémique »,s’alarme la directrice de l’ARS deMayotte, Dominique Voynet.
La mise à disposition de masques périmés et la distributionchaotique de colis alimentaires,au début de la période de confinement, ont provoqué de nombreux attroupements, accélérant la contamination, tandisque des centaines de personness’agglutinaient devant les stationsservice pour acheter du pétrole lampant nécessaire à l’éclairage ou à la cuisine.
Les mouringués, sorte de combats de boxe proches de la capoeira brésilienne, organisés lessoirs de ramadan, rassemblant des centaines de spectateurs et dégénérant souvent en bataillesrangées contre les forces de l’ordre, ont fini de mettre de l’huilesur le feu de la contagion.
Le commissaire de police JeanMarie Cavier a ainsi été blessé le2 mai au cours d’une opérationde maintien de l’ordre public àTsoundzou, au sud de Mamoudzou, la préfecture, qui a mobilisé trois pelotons de gendarmerie après un mouringué. Face àune pluie de pierres, plus de400 grenades lacrymogènes ontdû être utilisées.
Jeunes armés de machettesLa faim et le désordre entraînentune explosion de violence. Lespillages de plusieurs magasins,les bandes de dizaines de jeunes,armés de machettes, de barres defer, agressant les passants, cambriolant les domiciles, ont fini derévolter les Mahorais. Le Collectif
des citoyens de Mayotte s’est insurgé contre cette situation, et des groupes de citoyens vigilantsont de nouveau été mis en placepour surveiller les rues la nuit.Leur précédente mobilisation remontait aux manifestationscontre l’insécurité qui avaientabouti à des barrages et au blocage de l’île durant plus de quarante jours en mars et avril 2018.
Les fortes inquiétudes régulièrement mises en avant par le député Mansour Kamardine (Les Républicains), qui parlait déjàde « bombe à retardement », refont surface. « Ces violences viennent fragiliser le moral des Mahorais dégradé ces derniers temps par les risques sismiques, et maintenant par la crise sanitaire », prévient Ali Nizary, président de l’Union des associations familia
les. Sur Facebook, le groupe Infodélinquance Mayotte a rassemblé plus de 2 000 personnes enquelques jours. « Protégeonsnous de la délinquance sous toutes ses formes à Mayotte », explique son descriptif.
En parallèle se sont mises enplace des « ligues de défense citoyennes ». La présentation duprojet, qui rassemble plus de400 membres actifs dans les17 communes de l’île, explique :
« La délinquance à Mayotte n’estplus supportable. L’heure est venue de mettre de côté toutes lesidées qui nous divisent et de nousunir tous ensemble contre le délinquant. Notre objectif n’est pasde remplacer les forces de l’ordre ou l’Etat, mais, pour notre sécurité, si l’Etat ne fait pas son travail,c’est de notre responsabilité et devoir de nous défendre, nous, nosproches et nos biens. »
« Je ne peux pas cautionner cela,martèle Philippe Leclercq, quicommande la gendarmerie deMayotte, dans le quotidien FlashInfos Mayotte. Ce phénomène estrécurrent. En 2018, il s’est passéexactement la même chose. » Unepétition en ligne demande quesoit déclaré dans le 101e département l’« état d’urgence sécuritaire », ce qui permettrait « le ren
forcement des mesures de luttecontre les violences urbaines,contre l’immigration clandestine(…) et le renforcement des effectifspermettant de garantir la sécuritédes biens et des personnes ennombre suffisant afin de maintenir l’ordre public et garantir la sécurité publique ». Elle a recueilli 1 800 signatures en moins de vingtquatre heures.
Sentiment d’oubli et d’abandonSur le plan économique, la situation est tout aussi délicate :824 très petites entreprises ontpu bénéficier d’une aide de1 500 euros, tandis que 1 300 entreprises ont sollicité le soutienau chômage partiel pour12 500 salariés.
A Mayotte, la population a lesentiment d’être oubliée, abandonnée, isolée. Les liaisons aériennes ont été coupées avec l’extérieur depuis le 17 mars. La compagnie Air Austral, qui assuraitdes liaisons hebdomadaires directes avec la métropole, a maintenu un pont aérien avec deux vols hebdomadaires, uniquement pour le personnel médicalet le fret depuis La Réunion, et a ainsi pu acheminer 115 tonnes,dont 10 tonnes de colis postaux.Il n’est pas prévu de réouverture
de lignes avant le 12 juin. Le portehélicoptères Mistral était attendu le 11 mai au port de Longoni avec plus de 550 tonnes de fret, dans le cadre du plan « Résilience ». A son bord : 800 palettesde médicaments, de gel hydroalcoolique, d’eau, de nourriture etdes véhicules civils, dont un hélicoptère qui pourra servir auxévacuations sanitaires.
Les autorités tentent tant bienque mal de faire face à cette situation. La ministre des outremer,Annick Girardin, a confirmé vendredi l’envoi d’une centaine de personnels médicaux et des modules de l’hôpital militaire decampagne qui avait été positionné à Mulhouse, dans le département du HautRhin.
Le préfet et le président du conseil départemental, SoibahadineIbrahim Ramadani, ont prévuune distribution de masques lundi matin, à Kawéni, au pieddes bidonvilles. Mais, coincés entre le confinement, la violence,les dizaines de milliers de clandestins sans ressources et la propagation inquiétante de la dengue et du Covid19, qui engorgent un système de santé déjà exsangue, les Mahorais ne saventplus que faire.
laurent canavate
Cabanes en tôle, où manquent eau courante et électricité, à Kahani, le 1er avril. FAID SOUHAILI/AFP
Mayotte souffredepuis des
années d’être undésert médical,
avec 18 médecinsde ville pour
279 000 habitants
Reprise de la formation professionnelleContraints de suspendre leur activité à la mi-mars en raison de la crise sanitaire, les centres de formation des apprentis (CFA) et les centres de formation continue peuvent de nouveau ac-cueillir, depuis lundi 11 mai. Les établissements sont autorisés à rouvrir leurs portes « à condition de respecter pleinementle protocole de déconfinement », comme l’a précisé, le 7 mai, la ministre du travail, Muriel Pénicaud. Ce document contient des recommandations destinées à pro-téger la santé des personnes ; il sera complété par un « guide métier » spécifique, afin de conseiller les centres de formation sur les mesures à prendre contre le risque de contamination. Le redémarrage des enseignements était très « attendu » car la re-lance économique du pays requiert « un investissement massif dans le développement des compétences », estime la Fédération de la formation professionnelle, l’une des principales organisa-tions patronales du secteur.
Chaque venue en agence
s’effectuera surrendez-vous, sauf pour les
urgences, liées,en particulier,
à l’indemnisation
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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 11
Municipales : gauche et Verts veulent tenter l’unionPS, PCF, Génération.s et EELV discutent de fusions pour faire barrage à LRM, à la droite et à l’extrême droite
L e calendrier électoralreste dans un flou persistant. C’est le 23 mai – jourde la remise du rapport
scientifique sur la situation sanitaire – que l’on devrait connaître la date du report des élections municipales. Les étatsmajors sont donc encore dans l’incertitude. La gauche et les écologistes, sortis en position favorable dansplusieurs grandes villes lors du premier tour le 15 mars, entendent bien conserver cet avantage. Problème : aucun scénario n’est possible tant que l’on ne sait pas sion recommence le scrutin dansson entier ou si le second tour est le seul à être reporté. Début avril, le premier ministre, Edouard Phi
lippe, avait évoqué un décalage « peutêtre en octobre », même si l’hypothèse d’un vote le 21 juin n’était pas totalement écartée.
Si le confinement et la crise dueau coronavirus ont mis au second plan les municipales, les réunions concernant la pandémie se sont multipliées et ont permis de renforcer les liens entre les différentesformations, à l’exception de La France insoumise (LFI), qui sembletoujours faire cavalier seul. « Tant que l’on ne sait pas la date, on ne discute pas », résume Martine Billard, l’une des responsables du comité électoral du mouvement. Une position peu surprenante dans la mesure où LFI rechigne à entrer dans des stratégies d’union
de la gauche. Les mélenchonistes avaient privilégié un soutien aux « initiatives citoyennes », le plus loin des partis possible.
Dans le reste de la gauche, beaucoup espèrent que les résultats dupremier tour joué en mars soient préservés. Le Conseil d’Etat avait rendu un avis contraire, mais certains espèrent qu’il change d’avis :« Compte tenu de l’urgence, il peut habiller juridiquement une décision. Sinon ce serait dire aux gens qu’ils se sont déplacés pour rien le 15 mars », remarque FrançoisLamy, membre de la direction duParti socialiste (PS), qui souligneaussi les difficultés financièresque pourraient rencontrer certains candidats à repartir pour une campagne complète. Une position largement partagée par les autres formations.
Pas de consigne nationaleAu siège du PS, on craint, en cas denouvelles élections, que la compétition et les divisions à gauche reprennent de plus belle. Car unechose est sûre : aucun des partis n’est en capacité de gagner seul. Reste donc à imaginer des scénarios d’alliance permettant de remporter des mairies. « Nous avonsmaintenu le contact avec les forcesde gauche. Nous avons convenu denous revoir une fois le calendrier fixé, explique Ian Brossat, le porteparole du Parti communiste. Maisla consigne n’a pas bougé : on veut toujours faire gagner la gauche contre la droite et l’extrême droite. » Les socialistes sont sur lamême longueur d’onde et pen
sent que les discussions d’union sont sur la bonne voie. « La photographie de l’influence de chacun a été prise le 15 mars et on sait que lesdiscussions vont avoir lieu avec lepoids réel de chacun dans les communes », explique Pierre Jouvet, secrétaire national aux relations extérieures.
Du côté d’Europe EcologieLesVerts (EELV), on s’apprête aussi à discuter : « On n’a pas de position officielle, mais ce qui se dégage est de pouvoir voter le plus tôt possible si la situation sanitaire le permet. La vie démocratique ne doitpas passer après tout le reste. Les équipes en place prennent des décisions importantes alors que leur légitimité politique est faible. Et outre ces décisions d’urgence, ils ne feront rien d’autre », explique ainsi Bruno Bernard, le « M. Elections » d’EELV. Pas de Yalta, où l’onse partageait les villes, mais « deséchanges avec tout le monde », reconnaît M. Bernard.
A EELV, le principe est celui de lasubsidiarité : c’est le local qui décide de sa stratégie. Il ne devrait
donc pas y avoir de consigne nationale pour intimer aux candidats de s’allier avec les listes de gauche. Cependant, les écolossemblent plus ouverts qu’avant lepremier tour. « Dans les principales villes, on travaille à des listes defusion, même à Paris ! C’est la logique, qu’on soit arrivé devant ouderrière, on veut battre La République en marche, la droite et l’extrême droite », résume M. Bernard. « Des rassemblements peuvent se faire pour soutenir des listes qui mettent l’écologie au cœurde leur programme », temporise un peu Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV. Dans leur raisonnement, le premier tour du scrutin a servi de primaire.
La direction du PS s’inquiète cependant des velléités des équipes locales d’EELV de se maintenirpour jouer le point avec les socialistes arrivés juste devant eux. Une crainte partagée à Génération.s : « La décision la plus sage est de geler les rapports de force et de s’allier avec une liste d’union à la proportionnelle des pourcentages obtenus en mars. Sinon certains vont tenter de se refaire la cerise », prévient Guillaume Balas, coordinateur du mouvementcréé par Benoît Hamon.
Pour lui comme pour OlivierFaure, il faut donc afficher une volonté nationale. « Il faut un accordpermettant de ne pas rejouer la division et de constituer un bloc social écolo qui permettra de préparer la suite », plaide le numéro un socialiste. Les étatsmajors savent que la lassitude gagne les troupes
qui ont l’impression de jouer un remake de L’Histoire sans fin.
Mais entre la théorie et la pratique, la différence peut être grandesur le terrain. Et certaines villes cristallisent les tensions entre les différentes formations. La plus symbolique est celle du Havre.Dans la ville d’Edouard Philippe, c’est la liste PCFLFI – conduite parle député communiste JeanPaulLecoq – qui est qualifiée au second tour et qui a de bonnes chances de vaincre le premier ministre. Mais la fusion avec la liste PSEELV (8,3 % des suffrages) semble mal partie, tant les deux camps ne parviennent pas à s’entendre. Au siège du PS, on redouteaussi que certains barons locaux, comme à Lille et Dijon, refusentl’alliance avec des partenaires qui sont partis contre eux en mars.
Reste une inconnue : la dynamique électorale après une crise sanitaire et économique historique où les gens avaient autre chose entête que les élections municipales. Cependant, c’est justement dans cette période que s’est révélée l’importance du rôle du maire.« Ils ont été en première ligne, la prime aux sortants que l’on a constatée le 15 mars va être renforcée, explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion del’IFOP. Il y a surtout un renforcement du contraste avec l’Etat central qui a navigué à vue. Quelle quesoit la sensibilité politique des maires sortants, le contexte est porteurpour eux. »
abel mestreet sylvia zappi
Au PS, on craint, en cas de nouvelles élections,
que les divisionsà gauche
reprennent de plus belle
« Extrémistes violents » : LFI condamne les propos de PécresseLe ton est monté, dimanche, entre Valérie Pécresse, la présidente (ex-LR) de la région Ile-de-France, et La France insoumise (LFI). Mme Pécresse a, en effet, critiqué « les réseaux de La France insou-mise et, autour, un certain nombre d’extrémistes violents », où selon elle on trouverait « des personnes qui cherchent à déstabiliser la so-ciété française et les institutions ». Elle a également ajouté : « On les a vus mettre le feu dans des établissements scolaires, on les a vus caillasser dans le centre de toutes les métropoles. » Le député des Bouches-du-Rhône et leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, a ré-pondu dans une série de Tweet qualifiant, entre autres, l’ex-LR d’« ignoble politicienne ». Il a été suivi par tous ses lieutenants. LFI a publié un communiqué condamnant « fermement » les propos de l’ex-ministre du budget. « La France insoumise a toujours condamné les violences, partout et qui que ce soit qui les provoque. Même quand il s’agit du préfet Lallement et du ministre Castaner, écrit le mouvement populiste. [Mme Pécresse] se rend coupable par ces propos d’injures scandaleuses à l’égard de notre mouvement politi-que, qui n’a cessé depuis le début de la crise du coronavirus d’être dans une attitude constructive et propositionnelle. »
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12 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
Le défi de la lutte contre le décrochage scolaireAprès le confinement, les enseignants s’interrogent sur leur capacité à récupérer les élèves le plus en difficulté
L es décrocheurs reprendrontils, cette semaine,le chemin des classes ?Alors que la lutte contre
les difficultés scolaires est brandie par le gouvernement comme le meilleur argument en faveur du déconfinement « progressif » des écoles à partir du 11 mai, denombreux enseignants en doutent. « Rattraper » les décrocheursrelève de la gageure, voire du paradoxe : si le retour à l’école est « volontaire » – comme l’a précisé le gouvernement à de nombreuses reprises –, sur quelles bases se fonder pour aller chercher ces enfants et convaincre leurs familles ?
Depuis quelques jours, les écoles tentent d’identifier les élèves« décrocheurs ou à risque de décrochage », selon l’expression utilisée dans la circulaire de reprise del’éducation nationale, publiée le4 mai. Encore fautil savoir ce que l’on entend par décrocheur. Quisont ces 4 % d’élèves – soit 500 000 enfants – « sous le radar » depuis presque deux mois ?Combien d’entre eux se trouveront vraiment parmi le 1,5 milliond’élèves attendus dans les écoles cette semaine ? « Il y a plusieurs cas de figure, souligne un directeur d’école primaire en éducation prioritaire (REP +) de Nanterre, qui a souhaité garder l’anonymat. Certaines familles sont volontaires et ont compris que leurs enfants avaient besoin de revenir. » Son école élémentaire de300 élèves en compte environ une quarantaine.
Viennent ensuite les enfants« en difficulté » que les parents hésitent à renvoyer en classe, parcrainte du virus. Ceuxlà sont les plus nombreux – une soixantaine, sur tous les niveaux. Il y a enfin « ceux dont on a très peu de nouvelles » et qui n’ont pas travaillé pendant le confinement. Ledirecteur a compté une trentaine d’élèves, les cas les plus « pressants », puisque ces enfants sont àla fois décrocheurs et difficiles à joindre. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons. « Pendant le confinement, on est parfois alléstoquer au domicile des parents pour vérifier que tout allait bien », se souvient le directeur. L’assistante sociale du collège voisin, « où sont scolarisés les grands frères et sœurs », est aussi d’une aide précieuse.
A cette difficulté s’en ajouteune autre : de l’avis des ensei
gnants, élus et associations deparents d’élèves ayant mené des recensions dans les écoles et desenquêtes locales, le choix de renvoyer les enfants en classe estfortement corrélé à l’origine sociale des familles. C’est dans lesquartiers populaires de la ville etles réseaux REP + que les parentssont les plus réticents. Selon ledernier baromètre Datacovid avec l’institut Ipsos, 49 % des parents d’élèves envisagent de renvoyer leurs enfants à l’école élémentaire. Mais si 43 % des parents seulement l’envisagent pour l’école maternelle, ils sont52 % parmi les CSP +.
« Malheureusement, c’est dansles quartiers populaires que les théories du complot circulent le plus, déplore Damien Berthilier, adjoint chargé de l’éducation à la mairie de Villeurbanne (Rhône).On a aussi constaté que certaines familles allophones avaient mal compris les règles du confinement.Ils pensaient qu’ils n’avaient pas le droit de sortir du tout et ont gardé les enfants à l’intérieur en permanence. Dans ces familles, la craintede retourner en classe est forte. »
« Je compte les jours ! »L’équation se complique donc un peu plus : non seulement les élèves décrocheurs sont difficiles à joindre par définition, mais ils ont aussi de plus fortes chances d’être issus d’une famille où lacrainte du virus est importante,« même s’il ne faut pas associer quartiers populaires et décrochage », prévient Damien Berthillier : « Ici, les écoles du réseau prioritaire sont celles qui ont gardéle meilleur lien avec les familles,parce que les enseignants sont habitués à ce travail de suivi des enfants éloignés de l’école. »
Pour Emilie, enseignante de CE1dans une école « socialement mixte » de Marseille, le calcul est simple. Sur sa « petite liste » dequinze élèves qu’elle sent en diffi
culté et « aimerait revoir », quatreont pour l’instant prévu de revenir en classe. Emilie compte quatre autres enfants « qui ont clairement décroché », dont un vit dans un camp de Roms et deux en foyer d’accueil d’urgence. Pour le petit Rom, Emilie est en contact avec une association de terrain.« C’est très compliqué, les parents ont peur de remettre le petit àl’école. Les travailleurs sociaux essaient de les convaincre, mais je nesuis pas sûre que ça marchera. »
Quant aux enfants du foyer,l’enseignante est à michemin. « Une des mamans a accepté. De toute façon, le petit ne lui a pas laissé le choix. Il m’a dit “Maîtresse,je compte les jours !” » Mais une autre famille hésite, par peur du virus. « On sait que les enfants ont passé des semaines enfermés avec des frères et sœurs plus jeunes qui sautent partout et les réveillent la nuit », s’inquiète l’enseignante.
La méthode consiste alors à rassurer les parents en douceur, enleur parlant d’abord du strictprotocole sanitaire qui régit laréouverture : bureaux espacés
d’un mètre, port du masque pourles enseignants s’ils doivent s’approcher, désinfection régulière des locaux… « Il faut donner quelques éléments tangibles sur l’hygiène, pour rassurer, et en mêmetemps avoir un discours de confiance, juge Emilie. En expliquantqu’on va pouvoir s’occuper des enfants, en petits groupes. On leurdit aussi qu’il ne faut pas que lefossé se creuse davantage. Lesmamans savent bien qu’ils ont besoin d’aide. »
« Ne pas se rater »Mais, pour Emilie comme pour d’autres, une question reste en suspens : « Jusqu’à quel point doisje aller ? interroge l’enseignante. Qu’estce qu’on fera si les mamans nous confient les petits à reculons et nous le reprochent ensuite ? » Certaines écoles ont carrément choisi de ne pas tenter de « convaincre » les familles. « Je refuse de prendre une telle responsabilité », indique ainsi une directrice d’école rurale de l’Orne, qui souhaite rester anonyme.
A Villeurbanne, l’adjoint à l’édu
cation voudrait « ne pas se rater »sur l’étape du déconfinement scolaire, qui doit permettre de « recréer un lien de confiance avec les familles », rappelle Damien Berthilier : « Et pour ça, il ne faut pas qu’on soit obligés de reculer ensuite. » Nombreux sont donc les enseignants qui ont choisi d’avancer « très progressivement »– seuls 50 % d’entre eux se trouveront d’ailleurs « physiquement » dans les écoles cette semaine. Emilie envisage de proposer aux parents de remettre leurs enfants quelques jours, « pour voir comment ça se passe ». Alors que nombre de familles sont toujours
dans une stratégie « attentiste », cette approche est approuvée par le ministre de l’éducation, JeanMichel Blanquer. Le 6 mai, devantles députés de la mission d’information Covid, il affirmait : « Quand les familles verront que çase passe bien pour d’autres (…), je pense que la confiance viendra. »
Reste la question des apprentissages. Comment les enfants enquestion, s’ils reviennent àl’école, pourrontils « reprendrepied » ? Pour les enseignants habitués aux publics fragiles, cedéfi n’est pas une nouveauté. Lesdécrocheurs du confinement ontsouvent le profil de ces enfantspour qui « les étés sont longs »,ceux qui ont le plus « désappris »à la rentrée de septembre, à qui ilfaut redonner l’habitude de « se concentrer sur une tâche ».« L’école, ce n’est pas seulement le travail scolaire. C’est aussi parleravec les copains, avec la maîtresse. C’est tout cela qu’il faudra réapprendre », rappelle ainsiEmilie. En somme, réapprendre àêtre un élève.
violaine morin
L’école à la maison, amplificateur des inégalités socialesUne enquête nationale menée depuis le 2 avril révèle les dimensions pédagogique et matérielle des différences entre foyers
C omment les familles s’approprientelles les supports d’apprentissage re
çus de la part des enseignantspar la voie d’un email ou d’une plateforme pédagogique ? Comment certaines familles fontelles autrement et avec quelles ressources ? Pour comprendre les effets de la crise sanitaire actuelle sur les inégalités scolaires, une enquête sociologique sur « l’école à la maison » est menéedepuis le 2 avril auprès des parents d’élèves. A ce jour, près de 30 000 réponses sont parvenuesà Romain Delès, et Filippo Pirone, enseignantschercheurs ensociologie à l’université de Bordeaux, qui ont contacté l’ensemble des 64 000 établissementsscolaires français.
A travers 120 items, le questionnaire établit d’abord le profil socioéconomique du foyer, ses conditions de logement et d’accès au numérique. Suivent desinformations sur l’expérience del’école à la maison, les ressources
pédagogiques dont les parentsdisposent et les pratiques concrètes d’accompagnement scolaire de leurs enfants. « Malgré letravail des enseignants, la distance matérielle fait obstacle àl’explicitation des attendus, des consignes, des savoirs engagésdans les exercices scolaires »,constatent d’ailleurs d’embléeles sociologues.
Opérations implicitesLe temps consacré à la classe à la maison va « contre l’intuition », estime l’étude : les classes populaires passent 3 h 16 par jour enmoyenne à l’accompagnement scolaire contre 3 h 13 pour les classes moyennes, 3 h 07 pour les classes supérieures et 2 h 58 pour les parents exerçant le métier d’enseignant. « Ce résultat contribue à remettre en cause certaines représentations spontanées sur la mobilisation des parents de classes populaires et rejoint les travaux dela sociologue Séverine Kakpo sur la pratique des devoirs à la mai
son, observent Romain Delès et Fillippo Pirone. Il n’y a donc pasd’abandon scolaire des familles populaires. »
En s’intéressant aux techniquespédagogiques utilisées par les parents, l’enquête établit que les familles populaires adoptent « despratiques d’accompagnement plus directes, plus cadrantes, plusimpositives, qui remplissent les attendus formels, visibles des consignes scolaires ». Elles déclarent plus que les autres surveiller quel’enfant suive les consignes (88 %contre 84 % chez les classes supé
rieures), faire réciter la leçon(87 % contre 81 %), faire des exercices en rapport avec la leçon (90 % contre 86 %). « Ces activités favorisent l’acquittement de la tâche scolaire, la réalisation descommandes scolaires dans leursaspects formels », commententles auteurs de l’étude.
Mais ces façons de faire la classeà la maison « ne pénètrent pas dans la machine pédagogique », poursuivent Romain Delès et Filippo Pirone. « Comme le montrent les travaux sur le rapport ausavoir, portés notamment par Patrick Rayou et Stéphane Bonnéry [professeurs en sciences de l’éducation à ParisVIII], le savoir scolaire repose sur un certain nombre de nondits, et en particulier sur des opérations intellectuelles implicites », nécessitant de décoder les consignes, d’en saisir les sousentendus ou objectifs d’apprentissages sousjacents.
Sur ces aspectslà, la hiérarchies’inverse : « On a demandé aux parents s’ils donnaient des exercices
en rapport indirect avec la leçon :46 % des classes populaires déclarent le faire, contre 49 % des classes supérieures. De plus, 27 % desclasses supérieures déclarent donner à leurs enfants des exercicescomplexes, nécessitant des acquis présents dans d’autres matières, contre 23 % des familles populaires », détaillent les sociologues.Dans un même ordre d’idées, les classes supérieures mobilisent plus volontiers des supportsd’apprentissages alternatifs à ceux proposés par les enseignants (25 % contre 19 %).
Approche imparfaiteSe pose donc la question de l’appropriation effective des contenus scolaires, relèvent les chercheurs qui comptent prolonger leur enquête quantitative par des entretiens (téléphoniques ou de visu) et des observations ethnographiques dans un projet de recherche en réponse à l’appel à projets Covid19 lancé par l’Agencenationale de la recherche.
Les dimensions matérielles desinégalités d’accompagnementde la scolarité des enfants sontprégnantes, même si cette enquête en ligne ne permet encorequ’une approche imparfaite decette problématique. 11,4 % desfamilles populaires déclarent avoir une connexion qui pose problème, contre 7,9 % des familles de catégories sociales supérieures. En outre, 24,3 % des parents d’origine modeste jugentleur équipement informatique etleur accès Internet insuffisantspour répondre au travail del’école à la maison, contre 17 % des familles plus aisées.
Cet écart est encore plus visibledans le sentiment de compétence informatique, soulignentRomain Delès et Filippo Pirone :« 45 % des classes supérieures se sentent tout à fait capables de répondre aux exigences techniquesnumériques de l’école à la maison,contre seulement 31 % des classespopulaires. »
soazig le nevé
11,4 % des familles populaires
déclarent avoirune connexion
qui pose problème
Dans une école de ClairefontaineenYvelines (Yvelines), jeudi 7 mai. FRANCK FIFE/AFP
Depuis quelquesjours, les écoles
tentent d’identifier
les élèves « décrocheurs
ou à risque de décrochage »
Les élèves décrocheurs du
confinement ontsouvent le profil
de ces enfants pour qui « les étés
sont longs »
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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 13
Les militaires soulagés de pouvoir à nouveau recruterL’armée de terre doit trouver 16 000 jeunes en 2020, alors que les incorporationsd’avril et de mai n’ont pas eu lieu
I ls avaient été fermés à la mimars en raison du confinement : les centres d’informa
tion et de recrutement des forces armées (Cirfa) rouvrent leurs portes lundi 11 mai. Il était plus quetemps : « Chaque mois qui passesans recrutement, c’est l’équivalentd’un régiment de l’armée de terre qui manque à l’appel », soit de l’ordre de 1 000 soldats de moins qu’attendu pour renouveler les rangs, avait souligné le 5 mai la ministre des armées, Florence Parly, dans le journal 20 Minutes. Dans cette institution fondée surla jeunesse, qui embauche et débauche plus de 20 000 personnes par an, tout retard a des conséquences négatives en chaîne.
Dans l’armée de terre, la plusnombreuse, la réouverture des Cirfa est particulièrement attendue : en 2020, ses régiments doivent trouver 16 000 recrues– pour 26 000 contrats nouveaux au total au ministère, dont 3 500 dans l’armée de l’air et autant dans la marine. Avril et mai resteront dans l’histoire comme des mois sans incorporations. Les prochaines, à partir de juin, devront être gonflées pour rattraperle retard.
Sous-officiers démarchés« Des mesures vont être prises pour lisser la bosse du Covid », résume le colonel Benoît Brûlon, porteparole de l’armée de terre. « Nous n’étions pas en retard sur le plan de recrutement », mais c’est « une préoccupation », reconnaîtil. Des liens ont été maintenus par Internet avec les jeunesqui avaient déjà eu un premier contact avec les recruteurs avant le confinement, mais ces contactsne suffiront pas à les retenir tous.
Des prolongations de contratvont être proposées aux militaires en poste (qui sont à 70 %en CDD). Des primes seront offertes pour tenter de fidéliserceux qui auraient eu envie de retourner à la vie civile. Le chef d’étatmajor, Thierry Burkhard,souhaite même « réengager » des
soldats qui ont quitté les rangsdepuis moins de deux ans. Seront notamment démarchés dessousofficiers, échelon qui manque cruellement dans les régiments. Mais aussi des spécialistes, sur des métiers fortement déficitaires, comme les mécaniciens pour les hélicoptères. Lacrise économique qui s’annonce pourrait toutefois avoir un effetpositif, en ramenant des jeunesne trouvant pas de débouchés vers l’institution militaire, estimeton au siège parisien des armées de Balard.
Avec 100 000 soldats et officiers, l’armée de terre ne peut déjàplus fonctionner sans ses24 000 réservistes. Avant même le lancement de l’opération de soutien à la lutte contre l’épidémie, « Résilience », un appel auxforces de réserve avait été lancé « pour se préparer à tenir dans ladurée ». Un millier de volontaires ont répondu, et environ 400 ont pu être employés dans des missions logistiques, auprès des hôpitaux ou de la population française (transport de masques, livraison de repas, etc.). A titre decomparaison, quelque 200 réservistes viennent en renfort l’été dans l’opération « Sentinelle », quand les permissions et les mutations dégarnissent les rangs.
Selon les informations duMonde, l’armée de terre a mis3 000 militaires au service desmissions Covid. Une partie de ces effectifs, sur décision des préfets, a été ponctionnée sur ceuxde l’opération antiterroriste« Sentinelle ».
nathalie guibert
Les forces de l’ordre devront contrôler les transports en IledeFranceUne note de la Préfecture de police communiquée samedi donne les instructions aux policiers pour le déconfinement. Les syndicats dénoncent un « manque d’anticipation »
L es directives de la préfecture de police de Paris ontété communiquées, sa
medi 9 mai, aux forces de l’ordremobilisées en IledeFrance à compter du 11 mai dans le cadre du déconfinement, comme enatteste une note du préfet de police, Didier Lallement. Des instructions « tardives », souligneGrégory Joron, secrétaire généraldu syndicat majoritaire SGP policeFO, qui relève un « manque d’anticipation » des autorités compétentes et des « mesures prises dans l’urgence », alors quela Préfecture de police de Parisestime à 1,5 million le nombre devoyageurs qui pourraient utiliserles transports en commun dèslundi 11 mai.
Jeudi 7 mai, lors de la présentation du plan de déconfinement, Christophe Castaner, le ministrede l’intérieur, restait encore évasif sur la question de l’intervention des forces de l’ordre dans lestransports franciliens, réclaméepar la présidente de la région IledeFrance, Valérie Pécresse (Les Républicains, LR). Le ministre indiquait seulement que « 20 000policiers et gendarmes » pourraient être mobilisés sur l’ensemble du territoire, « en renfort » des agents assermentés de la SNCF et de la RATP qui sont « enpremière ligne pour faire respecter les règles sanitaires ».
La note du préfet de police deParis expose les mesures du dispositif de sécurisation des trans
ports « très conséquent » qui estmis en place en IledeFrance, auminimum toute la semaine du11 mai. JeanBaptiste Djebbari, secrétaire d’Etat aux transports, a précisé au micro du « Grand Jury RTLLe FigaroLCI », dimanche 10 mai, que 1 000 membres des forces de l’ordre sont mobilisés, dans cette région, pour gérerles flux de voyageurs.
Un cadre juridique incertainAu total, 61 gares et stations situées dans les départements de la grande couronne sont concernées par ce « dispositif de sécurisation », et 103 gares situées à Paris ou dans les départements limitrophes. La note indique qu’àcompter du 11 mai, les forces del’ordre sont « déployées sur tousles accès des gares et stations, dans les halls des gares et danstoutes les zones situées avant lestripodes, de manière à empêchertoute concentration des usagerset pouvoir veiller au respect de ladistanciation physique ».
En clair, sont mis en place desfiltrages en amont de l’accès auxquais, afin d’éviter les attroupements, en particulier au niveaudes portiques de sécurité et autour des points de distributionde masques.
Néamoins, la tâche des forcesde l’ordre dans les transports en commun risque d’être sévèrement compliquée par le contextede confusion juridique dans lequel débute ce déconfinement.
Dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel sur la loide prorogation de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement a dû prendre à la hâte, dansla nuit de dimanche à lundi, undécret temporaire avec entée envigueur immédiate, donnant àplusieurs mesuresphares du déconfinement – dont le port dumasque obligatoire dans lestransports – un cadre juridique.
Les policiers pourront donccontrôler le port du masque –son nonrespect constitue,comme l’atteste la note du préfetLallement, une « contraventionde 4e classe sanctionnée par uneamende de 135 euros » – dès lundi.En revanche, l’absence d’attestation de l’employeur dans lestransports, aux heures de pointe,n’est pas mentionnée dans ce décret. Le gouvernement se résoutà en appeler à la « responsabilitédes Français », qui ne pourront sevoir dresser une contraventionpour défaut d’attestation que
lorsqu’un texte réglementaireaura été publié au Journal officiel.
Avant les dernières annoncesdu gouvernement, une policièreaffectée dans un commissariatde la grande couronne parisienne résumait déjà : « Avec lesnouvelles règles du déconfinement, c’est sûr qu’il va y avoirbeaucoup d’incompréhensions, etprobablement des couacs sur le terrain. » De son côté, la Préfecture de police de Paris tente d’anticiper, avec la mise en placed’une cellule de crise visant notamment à « gérer les difficultésrencontrées ».
Une mesure qui inquièteJugée controversée, une dernièremesure devrait continuer d’inquiéter ses détracteurs dans laperspective de situations tendues dans les transports : l’extension du pouvoir de verbalisationaux agents de la SNCF et de laRATP, aux adjoints de sécurité dela police nationale et aux réservistes de la police et de la gendarmerie, votée par le Parlementdans le cadre de la loi prorogeantl’état d’urgence sanitaire. Despersonnels moins habitués auxverbalisations. Lors des débatsparlementaires, le sénateur de laManche Philippe Bas (LR) s’était interrogé sur le fait de « donner des pouvoirs dérogatoires dudroit commun à des personnesqui ne sont pas formées pourl’exercer ».
juliette bénézit
Détention provisoire : la décision d’un juge redevient nécessaireLe projet de loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire rétablit le débat contradictoire, suspendu le 26 mars par une circulaire de la chancellerie
L es oreilles de la ministrede la justice, Nicole Belloubet, ont sifflé à l’Assemblée nationale et au
Sénat. Le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire adoptésamedi 10 mai par les deux assemblées met fin aux dispositions sur la détention provisoireintroduites par la chancelleriedans l’ordonnance de procédure pénale du 25 mars. Les sénateursse sont rangés, lors de la commission mixte paritaire de samedi,aux amendements introduits par les députés sur ce sujet.
L’article premier de la loi, initialement limité à deux lignes pour prolonger l’état d’urgence sanitaire a changé de physionomieavec des amendements de LaetitiaAvia (La République en marche, LRM, Paris) adoptés dans un large consensus. Il rétablit ainsi dès le11 mai le débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention en matière de prolongation de la détention provisoire.
Tenant compte des difficultésde fonctionnement des tribunaux à l’heure du confinement, l’ordonnance prise au nom del’état d’urgence sanitaire avait prévu un allongement de deux à six mois selon les situations des durées maximales de détention provisoire. L’objectif était d’éviter des remises en liberté automatiques de détenus.
La directrice des affaires criminelles et des grâces avait fait savoir, dès le 26 mars, par voie de circulaire, que la prolongation deplein droit des durées maximales de ces détentions ne nécessitait
pas la décision d’un juge. Une interprétation qui avait fait bondir des magistrats, des avocats et des professeurs de droit, mais validée par le Conseil d’Etat et queMme Belloubet n’a pas cessé de défendre contre un feu de critiques. « C’est la première fois depuis la loi des suspects de 1793 que l’on ordonne que des gens restent en prison sans l’intervention d’un juge »,constatait Louis Boré, président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
De plus, selon cette fameuse circulaire du 26 mars, la prolongation s’appliquait aux mandats dedépôt en cours, même s’ils n’avaient pas atteint pendant la période de confinement la durée totale autorisée par le code deprocédure pénale. Un pataquèsque le gouvernement s’apprêtait à corriger dès le 8 avril, en inscrivant à son ordre du jour de nouvelles dispositions pénales par ordonnance… avant de se raviser. Lemal était fait. Actuellement, quelque 17 000 personnes sont en détention provisoire ordonnées en cours d’instruction ou en attented’un procès.
« La prolongation automatiquede la détention provisoire était une grave erreur. Nous y mettonsfin. La crise actuelle peut amener à modifier le droit, mais elle nedoit pas l’emporter sur les principes, surtout quand des alternatives existent », a ainsi commentéla députée (LRM, Vald’Oise) Naïma Moutchou lors des débatsen commission des lois. PourMme Avia, il s’agit de rappeler« l’exigence d’un débat contradictoire devant le juge avec un avocat lorsqu’il s’agit de la privation de liberté de personnes présuméesinnocentes ».
« Large consensus »Si les députés de droite comme degauche, avec ceux de la majorité, ont manifesté leur inquiétude surces dispositions de l’état d’urgence sanitaire les 15 et 16 avrillors des auditions organisées par la commission des lois, il aura fallu attendre la fin du confinement pour qu’ils y touchent. « Un large consensus s’était dégagé au sein de la commission pour faire comprendre que les ordonnancesavaient peutêtre dépassé ce que nous avions en tête au moment ounous avions habilité le gouvernement à légiférer, en tout cas en ce qui concerne l’allongement deplein droit des délais de détentionsprovisoire », a reconnu le 6 mai enforme de confession l’exjuge Laurence Vichnievsky, députée (MoDem, PuydeDôme).
Comme pour effacer cette parenthèse en matière de garantie des droits, les députés ont introduit une « clause de revoyure », se
lon le mot de Mme Avia, pour les personnes dont la détention provisoire aura été prolongée de six mois sans débat pendant le confinement. La loi instaure l’obligation d’une audience contradictoire devant le juge d’ici troismois pour ces personnes mises en cause dans des dossiers criminels. A défaut, « la personne est remise en liberté », précise le texte.
L’Assemblée a même voté unautre amendement de Mme Avia en séance prévoyant que toutepersonne dont la détention provisoire a été automatiquement prolongée pendant cette période devra être reçue par son juge d’instruction dans les deux mois. « Il s’agit de redonner tout son sens et son objectif à la détention provisoire, à savoir poursuivre l’instruction », a justifié la députée.
Prenant le contrepied de la circulaire du ministère de la justice,le projet de loi amendé ajoute queles prolongations de détention provisoire intervenues de plein droit depuis le 25 mars n’ont paspour effet de prolonger la duréemaximale de ces détentions.
Les apparences sont sauves etces dispositions n’ont rien d’une rébellion contre le gouvernement. Ces amendements ont été élaborés en concertation avec le ministère de la justice et la garde des sceaux leur a apporté publiquement son soutien. Certes. Mais cela jette rétrospectivement une lumière particulièrementcrue sur les mesures exorbitantesque Mme Belloubet a défendues pendant sept semaines.
jeanbaptiste jacquin
« La prolongationautomatique de
la détention provisoire était
une grave erreur »
NAÏMA MOUTCHOUdéputée LRM du Val-d’Oise
Le non-respectdu port du
masque, c’est une« contravention
de 4e classe sanctionnée
par une amende de 135 euros »
Des prolongations de contrat vontêtre proposées
aux militaires enposte (qui sont à 70 % en CDD)
RECTIFICATIFUne erreur a été commise dans l’article intitulé « Les comptes de l’assurancemaladie mis à mal par le Covid19 » (Le Monde du 23 avril). Pouvaient bénéficier d’un arrêt de travail, jusqu’au 30 avril, ceux qui gardaient leurs enfants, ainsi que les salariés vulnérables ou cohabitant avec une personne vulnérable, et non pas ceux qui s’occupaient d’une personne vulnérable.
JUSTICEFraude au travail détaché : le procès de Terra Fecundis repousséLe procès de la société de travail temporaire espagnole Terra Fecundis, qui devait comparaître devant le tribunal correctionnel de Marseille à partir du lundi 11 mai pour une fraude massive au travail détaché, a été repoussé. Il s’agit d’une des plus grosses affaires de dumping social jugées en France.
FAIT DIVERSLoire : des croix gammées taguées sur les locaux d’une radio localeLes locaux de la radio associative Radio d’ici, à SaintJulienMolinMolette (Loire), ont été vandalisés dimanche par des individus revendiquant leur appartenance au nazisme et à la
mouvance suprémaciste. « Outre des croix gammées, ils ont peint en rouge sur les murs l’inscription 14/88, symbole d’appartenance à la mouvance des suprémacistes blancs », a déclaré David Charmatz, le procureur de la République de SaintEtienne. – (AFP.)
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110, Esplanade du Général deGaulle – 92931 La Défense Cedex ( RCSParis 414 108 708), succursale de QBEInsurance (Europe) Limited, PlantationPlace dont le siège social est à 30 FenchurchStreet, London EC3M 3BD, fait savoir que,les garanties financières dont bénéficiait la :
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14 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
La crise amplifie les inégalités de genreTélétravail, repas, école à la maison… la pandémie n’a pas contribué à une répartition plus équitable des tâches
L e soulagement fut decourte durée. Lorsque,une semaine après le début du confinement, son
conjoint ingénieur est passé auchômage partiel, Cécile espérait qu’il l’aide à la maison. « Il en fait un peu plus depuis que nous sommes tous les deux en télétravail, raconte cette mère de deux garçons en maternelle. Mais je continue degérer l’essentiel : les courses, les repas, les devoirs, le jardin, les profs, les angoisses des proches… »
La journée, elle peine à se concentrer sur son travail. « Quand je souligne l’inconfort de ma situation, il demande de quoi je me plains. » Au fil des jours, l’incompréhension s’est installée dans leur couple. Trop souvent, elle a lesentiment que son compagnonsousestime la charge de travail supplémentaire pesant sur ses épaules. « Je sacrifie ma carrière,mon temps, confietelle. Et je tombe d’épuisement pendant qu’il regarde des séries. »
Marathon ultrachronométréPlus de boulot, plus de stress, plusde fatigue : dans bien des foyers, les femmes, surtout lorsqu’ellessont mères, racontent la même histoire. Bien sûr, la crise liée à lapandémie n’est pas vécue de la même façon par tous les couples − et dans certains, elle a favorisé ledialogue. « Mais si l’on pouvait espérer que les hommes assignés àdomicile prennent la mesure dupoids des tâches domestiques etacceptent de les partager davantage, les premières enquêtes sur le sujet semblent indiquer que cette prise de conscience n’a pas vraiment eu lieu », observe la philosophe féministe Camille FroidevauxMetterie. « Au contraire, leconfinement a plutôt exacerbé lesinégalités déjà présentes à la maison et face à l’emploi », ajoute Marie Becker, spécialiste des questions liées à l’égalité professionnelle au cabinet Accordia.
En 2019, 87,4 % des Françaisesen couple avec enfants consacraient au moins une heure parjour à la cuisine et au ménage,d’après l’Institut européenpour l’égalité des genres (EIGE), contre 25,5 % seulement des hommes dans la même situation.
Et la crise risque d’aggraver encore les écarts, s’alarme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),dans un récent rapport.
La situation est particulièrement délicate pour les mères célibataires. En France, elles représentent l’écrasante majorité des parents isolés (83 %). Or, ces dernières semaines, 430 000 familles monoparentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pour garde d’enfants à cause de la fermeture des écoles, selon l’Observatoire françaisdes conjonctures économiques(OFCE). Pour elles, la reprise sera d’autant plus complexe que la réouverture des classes s’annonce chaotique.
Pour celles passées en télétravail – et qui le resteront plusieurs semaines encore –, le quotidien s’est bien souvent transformé en marathon ultrachronométré.Surtout lorsqu’il y a des enfants.Là encore, l’interruption des classes a exacerbé les inégalités déjà en place. Et ce, quel que soit le milieu social : selon l’EIGE, 43,4 % des femmes peu diplômées consacraient déjà, avant la crise, au moins une heure par jour au soin des enfants, contre 25,6 % des hommes peu diplômés. Et la proportion monte à respectivement 51,8 % et 28,7 % au sein des couples très qualifiés.
« Lever, école, déjeuner, école,goûter, jeux : je commence à travailler vraiment à 21 heures, jusqu’à 1 heure du matin, témoigne ainsi Charlotte, à la tête d’une agence de communication à Marseille, et mère de trois enfants de2, 6 et 9 ans. Il n’y a jamais de pause, je suis comme en lévitation.
Et si, un jour, je m’effondrais d’un coup ? » Son conjoint en fait pourtant plus qu’avant. « Mais, commesouvent, c’est loin de suffire à éponger le surplus des tâches, multipliées par deux dans cecontexte », souligne Coline Charpentier, professeure d’histoire en SeineSaintDenis. « Surtout : les hommes qui en font plus ont tendance à privilégier les courses à l’extérieur, qui leur permettent de sortir du foyer », notent Hugues Champeaux et Francesca Marchetta, chercheurs à l’université ClermontAuvergne, auteursd’une étude à paraître sur le sujet.
Il y a quelques mois, ColineCharpentier a créé le compte Instagram « T’as pensé à ? », consacréà la charge mentale. Depuis le début de la pandémie, elle est submergée de témoignages de mèresépuisées de jongler entre devoirs, cuisine et conférences Zoom. « La gestion des repas et du domestique a pris des proportions démesurées, et la plupart des femmes se sont vite résignées à en assumerl’essentiel », expliquetelle.
Et pour cause : dans nos représentations, ces tâches relèvent encore bien trop de qualités supposément féminines. Y compris
aux yeux de beaucoup de femmes, qui peinent parfois à solliciter l’aide de leur compagnon. Et à se libérer du mythe de la superwoman, capable d’assurer sur tousles fronts, sans ciller.
A cet égard, le télétravail joue unrôle ambigu. « Il est à la fois un levier et un frein pour l’égalité des sexes dans l’emploi », analyse la sociologue Christine CastelainMeunier, auteure de L’Instinct paternel, plaidoyer en faveur des nouveaux pères (Ed. Larousse). Pourcertaines, c’est indiscutable : il apporte une flexibilité bienvenue. « Je gagne deux heures par jour surles transports, je perds moins de temps à la machine à café », se réjouit Chloé, assistante administrative en AuvergneRhôneAlpes.Autant de « précieuses minutes » qu’elle peut consacrer à ses enfants, son travail ou son bienêtre.
Question financièrePour d’autres, le télétravail atourné au mauvais piège. « Mon employeur m’en demande plus, mais lorsqu’il faut se décoller de l’ordinateur pour s’occuper de nosfilles de 2 et 6 ans, mon conjoint nebouge pas, prétextant que je suis plus “efficace” que lui, confie Na
tacha, responsable communication à Paris. Résultat : j’ai le sentiment de tout faire à moitié et je culpabilise beaucoup. »
Contrairement aux idées reçues, le télétravail, comme leshoraires flexibles, tend à renforcer la division classique des tâches au sein des couples, montrent les travaux de la sociologueYvonne Lott, de la fondation derecherche HansBöcklerStiftung, créée par des syndicats allemands. « Les hommes exploitent majoritairement cette flexibilité pour travailler plus, tandisque les femmes l’utilisent plutôt pour mieux combiner le pro et le perso », confirme Blandine Mol
« Il n’y a jamaisde pause, je suis
comme en lévitation. Et si,
un jour, je m’effondrais ? »
CHARLOTTEresponsable d’une agence
de communication
lard, spécialiste du sujet à l’EIGE.Au risque que cela creuse encoreplus les écarts de salaires.
Or la question financière, souvent latente, est l’un des nœuds duproblème. Selon l’Insee, les revenus de l’homme sont plus élevés que ceux de la femme dans les trois quarts des couples. Résultat : lorsqu’il faut choisir, c’est souvent l’activité du premier que les foyerscherchent à préserver. « Nous sommes tous les deux indépendants, mais lui gagne un peu plus, raconteSandrine, agente commerciale en IledeFrance. Du coup, j’ai spontanément réduit mon activité pour m’occuper de nos trois enfants. » Mais elle était loin d’imaginer, mimars, que le confinement dureraitaussi longtemps.
La nuit, elle dort peu, angoisséepar la reprise, qui s’annonce plus dure pour elle. D’autant que, comme beaucoup, elle ignore quand ses enfants pourront vraiment reprendre le chemin de l’école et du collège. « La récession ne fait que commencer, et elle sera violente, conclutelle avec lassitude. J’ai peur des conséquencesqu’un déséquilibre financier durable aura sur notre couple. »
marie charrel
jusqu’où, dans le sillage de la pandémie et des mesures prises pour l’endiguer, l’activité vatelle s’effondrer ? Combien de faillites, quelles séquelles sur le marché du travail ? A l’heure où l’Europe entame un déconfinement prudent, les incertitudes sont encore nombreuses. Les économistes s’accordent néanmoins sur un point : jusqu’ici, cette crise affecte les femmes avec une intensité particulière en Europe, et d’une façon différente des précédentes récessions. « D’abord, parce qu’elles représentent près de 70 % du personnel soignant, ce qui les expose plus fortement au virus, tandisqu’elles effectuent la plus grosse part du travail domestique », détaille l’Organisation decoopération et de développement économiques (OCDE), dans une récente note.
Surtout, l’arrêt partiel des économies et lafermeture des frontières ont frappé de plein fouet les services, en particulier le tourisme, l’hôtellerierestauration et les petits commerces. Or, ces secteurs sont particulièrement féminins : en France, 84 % desemployés de l’hôtellerie, 64 % des vendeursen magasin ou encore, 57 % des serveurs sont des femmes, selon l’Institut européen
pour l’égalité des genres (EIGE), lié à la Commission de Bruxelles. « En cela, cette crise esttrès différente de celle de 2008, qui avaientpénalisé en premier lieu les emplois industriels et la construction, plus masculins, alorsque les services avaient mieux résisté », analyse Matthias Doepke, économiste à l’université Northwestern, à Chicago (EtatsUnis), coauteur d’une étude sur le sujet.
Responsabilités familiales plus élevéesEn outre, « les femmes sont plus vulnérablesaux pertes de revenus liées à la crise », souligne l’OCDE. Notamment parce qu’elles affichent un taux de pauvreté plus élevé – 14,5 % en France, contre 13,7 % pour les hommes – et un patrimoine financier moindre. De plus, elles ont souvent plus dedifficultés à retrouver un emploi après unlicenciement lorsqu’elles assument des responsabilités familiales plus élevées.
C’est particulièrement le cas dans lespays du sud de l’Europe, où les politiques d’austérité menées dans la foulée de lacrise de 2008 ont réduit les budgets consacrés aux services publics, dont ceux dela petite enfance. Un héritage qui, dans la
récession déclenchée par la pandémie, risque de nuire un peu plus encore aux perspectives d’emploi des femmes.
« Une grande partie des inégalités degenre sur le marché du travail sont le résultat d’une répartition inégale des tâches domestiques, détaille Blandine Mollard, à l’EIGE. Ainsi, une femme sur dix dans l’Union européenne travaille à temps partielou est inactive du fait de responsabilités familiales, contre un homme sur cent seulement. » En Europe, ajoutetelle, le maintien à domicile des personnes âgées est favorisé dans une large mesure, en raison dela meilleure qualité de vie qu’il offre – et deson moindre coût pour la communauté. Or, la crise du Covid19 et la remise en cause de la gestion de la pandémie dans lesmaisons de retraite pourraient convaincre des familles de retirer leurs anciens de ces établissements, s’inquiète Mme Mollard. Aurisque que cette charge repose sur les épaules des femmes. Aujourd’hui, 33 % desFrançaises de 50 à 64 ans s’occupent d’une personne âgée à domicile, contre 20 % des hommes du même âge.
m. c.
Les femmes plus exposées à la perte d’emploi qu’en 2008
« Les hommes ont tendance
à privilégier lescourses, qui leur
permettent desortir du foyer »
HUGUES CHAMPEAUX ET FRANCESCA MARCHETTA
chercheurs
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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 15
Airbnb licencie un quart de ses salariésLa plateforme de location de logements coupe dans ses effectifs et se cherche un nouveau modèle
san francisco correspondante
E n mars 2017, Airbnb étaitl’une des superlicornesde Californie avec unevalorisation de 31 mil
liards de dollars. L’année 2020 devait être celle de l’introduction enBourse de la société cofondée, en 2008, par Brian Chesky, à San Francisco. Frappé par la pandémie, le fleuron de l’économie du partage a vu sa valeur tomber à18 milliards fin mars, et l’ouverture du capital au public reportée à des jours meilleurs.
Le 4 mai, 1 900 employés se sontvu signifier leur licenciement. La date des départs a été fixée au lundi 11 mai pour donner le tempsaux salariés « de se dire au revoir »,a expliqué M. Chesky, le PDG. Dans un long message au personnel, ce dernier, 38 ans, a fait part de sa tristesse d’avoir dû se résoudre à se séparer de 25 % des effectifs. « Je suis vraiment navré. Sachez que ce n’est pas votre faute. »
Assistance psychologiqueAu début de l’année, la plateforme avait 7 millions de listings de logements dans le monde etenregistrait plus de 50 millions de visites mensuelles (contre 14 millions pour son concurrentVRBO). Pour 2020, le fondateur a indiqué s’attendre à un chiffre d’affaires « moitié moindre que celui de 2019 » (évalué à 4,8 milliards). « Nous ne savons pasquand les voyages reprendront, écritil. Lorsque ce sera le cas, le monde du voyage aura changé. »
Les salariés ont été traités avecune « compassion » jugée exemplaire par la presse. Ils partent avec quatorze semaines de salaire (et une semaine supplémentaire par année d’ancienneté), quatre mois d’assistance psychologiqueet douze mois de couverture santé, un soulagement dans un pays où l’assurance dépend de l’employeur. Ils ont pu conserver
leur MacBook, contrairement aux employés licenciés fin mars par Bird, la startup de la trottinette électrique, priés de réexpédier leur ordinateur par la poste. Ils pourront exercer leurs stockoptions, si tant est que la plateformes’introduise un jour en Bourse, mais la fortune risque de ne pas être tout à fait à la hauteur de leurs espérances précoronavirus.
Airbnb a également publié surson site un « annuaire des talents » dans lequel ceux qui cherchent un nouvel emploi ont pu poster quelques lignes de CV. Laplupart des licenciés proviennentdu siège de San Francisco, de Montréal, de Portland (Oregon) ;cinq étaient installés en Chine. Nombre d’entre eux sont issus dumarketing ou du service clients, mais la liste peut aussi se lire comme le témoignage d’une époque dorée − et révolue. Maria Herrera était chargée de rendre le séjour des VIP aussi mémorable quepossible, « sur mesure, jusqu’au plus petit détail ». Charlie Mastoloni contribuait au lobbying : il revendique avoir fait échec au passage d’une loi limitant la duréedes locations à court terme sur la côte californienne…
Mimars, la compagnie a emprunté 2 milliards de dollars et réduit ses investissements dans le logement de luxe et le secteur hôtelier. Elle a lancé une certification « nettoyage » pour les hôtes qui devront être formés aux pratiques de décontamination, faute de quoi ils devront observer une période de latence de trois jours entre les locataires. Elle a inauguré un service, conçu sur le modèle des « expériences » − visites guidées, gastronomie − qui étaient proposées aux touristes, à côté des logements. Distanciation oblige, il s’agit d’expériences par visioconférence. Pour 24 dollars,on peut louer une heure de mime avec Ivan Bacciocchi, le directeur de l’Ecole internationale de mime
corporel dramatique, en direct de Paris. Pour 22 dollars, cuisiner à la maison avec une famille marocaine. Pour 48 dollars, suivre en direct Lucas Hixson, le cofondateur de l’ONG Clean Futures Fund dans sa distribution de nourritureaux chiens de Tchernobyl…
« Nos racines »L’exstartup qui a déstabilisé l’industrie hôtelière et contribué à la gentrification et à l’augmentation des prix de l’immobilier dans les grandes villes du monde se cherche un nouveau modèle.« Les gens voudront des options plus près de chez eux, plus sûres et plus abordables, assure M. Cheskydans son message. Ils aspireront également à retrouver le contact humain dont ils semblent avoirété privés. » Airbnb a grandi dansl’après crise financière de 2008,quand l’économie du « partage » a permis à nombre de victimes dela récession de trouver des sources de revenus inédites. « Nous
devons revenir à nos racines, poursuit le fondateur, dont le canapé, à San Francisco, avait servi à l’époque de cobaye à la plateforme. Nos bases : des personnescomme vous et moi qui ouvrent les portes de leur logement et proposent des expériences. »
Mais Airbnb va devoir d’abordaffronter la bronca qui s’est développée parmi les hôtes. Ceuxci s’estiment lésés par la politiquede remboursement des clients,décidée mimars par la plateforme et révisée une demidouzaine de fois depuis. Alors que les conditions d’annulation sont statutairement laissées aux hôtes,Airbnb a préempté les arrangements individuels et instauréune politique globale prévoyantle remboursement des clients ayant annulé leur séjour entre le 1er avril et le 31 mai, en raison des mesures de confinement. Les hôtes qui espéraient négocier directement avec les clients des reports de séjour et conserver une
partie des avances, conformément à leurs propres conditions d’annulation, s’estiment floués.
Airbnb a créé un fonds de250 millions de dollars, Superhost Relief Fund, pour aider les logeurs. Mais la colère n’a pas diminué. Certains ont créé leurpropre site de réservation. Un avocat du Michigan, Enrico Schaefer, a entrepris de monter une action en nom collectif, estimant qu’Airbnb a fait perdre 1 milliard de dollars aux propriétaires et que la compensation est
minime. La plateforme s’est engagée à payer 25 % du montant que ceuxci auraient touché en cas d’annulation. Un hôte qui aurait du percevoir 400 dollars au terme de ses propres conditions d’annulation se verra défrayer de 100 dollars.
L’effondrement des locationsrisque de provoquer la faillite de nombre de propriétaires qui se sont endettés pour mettre des locations sur les listings, attirés par une promesse d’argent facile. On est loin des chambres chez l’habitant des débuts : deux tiers des Américains offrant des logements entiers gèrent au moins deux propriétés. Autre effet prévisible, sur les activités périphériques : ménage, aménagement del’intérieur, concierges, photographes. Le Wall Street Journal a chiffré à quelque 650 000 le nombrede personnes qui gravitentautour des platesformes de location entre particuliers.
corine lesnes
« Quand les voyages
reprendront, lemonde du voyage
aura changé »BRIAN CHESKYPDG d’Airbnb
Elon Musk se rebiffeet veut « libérer » Tesla
L e bouillant Elon Musk n’est pas de ces pères qui prennentun congé parental. Cinq jours après la naissance de sonsixième enfant − un sixième garçon −, le PDG de Tesla a
menacé le 9 mai de quitter la Californie si les autorités continuent à lui interdire de rouvrir l’usine de Fremont, près de San Francisco, où sont fabriquées ses voitures électriques.
Sur son fil Twitter, suivi par 33,9 millions de personnes, l’entrepreneur s’en est pris au comportement « absurde et irrationnel sur le plan médical » des responsables de la santé publique du comté. Alors qu’il avait décidé de relancer vendredi 8 mai la production des Tesla, à l’arrêt depuis le 23 mars, ceuxci lui ont ordonné de s’abstenir et d’attendre le déconfinement, prévu le 18 mai. « Cette violation des libertés constitutionnelles par des officiels non élus doit cesser », a tonné Elon Musk, en menaçant dedélocaliser le siège de la société au Nevada voisin, ou au Texas, le grand rival de la Californie. Avec 20 000 employés − dont
10 000 à Fremont, Tesla est la première entreprise manufacturière duGolden State. « Si nous conservonsmême une quelconque activité à Fremont, cela dépendra de la manièredont Tesla est traitée à l’avenir », a explosé l’entrepreneur. Toujours surTwitter, l’élue démocrate de l’Assemblée de Californie Lorena Gonzalez arecommandé au milliardaire d’aller« se faire f… ». Critiquée pour son langage, elle a expliqué sa frustration :
« La Californie a lourdement subventionné une compagnie qui a toujours méprisé la sécurité des travailleurs, été antisyndicats etessayé de faire pression sur les fonctionnaires. »
Depuis le début de la crise du coronavirus, Elon Musk, 48 ans,ne décolère pas, notamment contre le fait que Tesla n’ait pas étéreconnu comme un acteur « essentiel » de l’économie. Présentant les résultats trimestriels aux actionnaires, il a traité de « fascistes » les mesures de confinement, rejoignant les rangs despartisans de Donald Trump qui réclament la « libération » desEtats où la réouverture de l’économie n’a pas encore été autorisée. Le milliardaire au teeshirt « Occupy Mars » et sa compagne,la chanteuse grunge Grimes, risquent d’avoir un autre motif de se plaindre. Le nom de leur bébé − X Æ A12 Musk (prononcez Ex Ash A Twelve) − a peu de chances d’être agréé par l’état civil…
c. ls. (à san francisco)
LE PDG DE TESLA A TRAITÉ DE « FASCISTES » LES MESURES DE CONFINEMENT
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AVECNOSEXPERTS,PRÉPARONSENSEMBLE
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1ÈRE CHAÎNE ÉCO DE FRANCE
SÉBASTIEN COUASNON - LAURE CLOSIER - ANTHONY MOREL - KARINE VERGNIOL - FRÉDÉRIC SIMOTTEL - STEPHANIE COLEAU - DAVID DELOS - EMMANUEL LECHYPREGUILLAUME PAUL - CÉDRIC DECOEUR - GUILLAUME SOMMERER - CHRISTOPHE JAKUBYSZYN - HEDWIGE CHEVRILLON - NICOLAS DOZE - PAULINE TATTEVIN - BENAOUDA ABDEDDAÏM
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16 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
Consommer dans le monde d’aprèsLa crise économique, qui s’ajoute à la crise sanitaire, n’affecte pas tous les Français à égalité. L’état d’espritet les comportements des consommateurs sortent durablement modifiés de l’épreuve du Covid19et dessine une France coupée en deux
File d’attente de clients pour s’approvisionner chez un producteur local, à Paris,le 17 avril. XAVIER TESTELIN
DOSSIER
E n ce 11 mai, date de réouverturedes commerces non alimentaires et de nombreux services,l’envie des Français de rompreavec le confinement est sansdoute aussi forte que le besoin
d’une coupe de cheveux. « Les carnets de rendezvous des 60 000 salons de coiffure, dont ceux de nos adhérents, se sont remplis dès les annonces du premier ministre », confirmeton à l’Union nationale des entreprises de coiffure, l’un des principaux syndicats de la profession. Mais il n’y a pas que la longueur des franges qui a changé en l’espace de deux mois. L’état d’esprit et les comportements des consommateurs sortent durablement modifiés de cette épreuve.
Après s’être recentrés sur euxmêmes,avoir fait leurs courses à distance et, pourcertains, passé leurs journées en jogging devant la télé, « les gens vontils revenir dansnos magasins ? », s’interroge Emmanuel LeRoch, le délégué général de Procos. Cette fédération regroupe plus de 300 enseignes spécialisées et leurs 60 000 points de vente, notamment dans la mode boudée par 90 % des consommateurs, en dépit des nombreux sites de vente en ligne restés actifs pendant les fermetures. Et qu’en seratil,dans les mois à venir, dans la restauration, letransport, le tourisme, ou la culture ?
« FAILLES ET FRACTURES »D’emblée, c’est un pays coupé en deux qui reprend aujourd’hui le chemin des magasins. Verts ou rouges, les départements restent plus ou moins sous cloche. La crise économique, qui s’ajoute à la crise sanitaire, n’affecte pas tous les Français à égalité. Elleprive d’emploi ou place en chômage partiel plus de 12 millions de personnes depuis la mimars. Malgré les soutiens de l’Etat, 31 % des Français déclarent que leurs revenus personnels en sortent impactés, selon une enquête de l’institut Kantar, réalisée miavril. Avant même l’irruption du Covid19 dans leur quotidien, un tiers des ménages avaitdéjà du mal à joindre les deux bouts.
« Très vite, on va retomber dans les failles etles fractures que l’on connaissait », a alerté il ya quelques jours, sur la chaîne Public Sénat,le politologue Jérôme Fourquet, à l’origine dela notion d’« Archipel français ». France de la fin du mois ou France de la fin du monde, tout le monde ne tirera pas les mêmes enseignements de cette crise dans sa consommation, ditil. Un retour sur terre brutal.
La bulle du confinement a enfermé chacunderrière sa grille de lecture, analyse Philippe Moati, cofondateur de L’Observatoire sociétéet consommation (Obsoco). « La période que
nous venons de vivre, propice à l’introspection, a renforcé l’envie de changer de pratiques chez ceux qui étaient déjà engagés surcette voie. Mais ceux qui ont à gérer unebaisse de revenus seront moins enclins à refaire le monde. » Le voudraientils d’ailleurs ? Car, pour les plus démunis, la sociologue Jeanne Lazarus l’a montré, consommer peut sembler être la seule façon de faire partie de la société.
Dans un pays officiellement entré en récession, il faut en tout cas se préparer au pire. Lecocktail de distanciation physique et d’incertitude va empoisonner la consommation pour au moins six mois, selon l’économiste JeanPaul Betbeze. « Qu’il s’agisse d’une collection de vêtements printempsété non vendue ou de sorties au restaurant ou au cinéma non effectuées, une bonne partie de ce qui n’a pas été consommé est définitivement perdue, et je ne crois pas du tout à des phénomènes dedépenses de revanche ou de rattrapage, comme en Chine. » L’institut d’études Xerfi
évoque un possible décrochage des dépensesdes ménages de 7,5 % (en euros constants)en 2020. Du jamaisvu en temps de paix.
Pendant le confinement, l’alimentaire estle seul poste à avoir progressé au sein de lademande intérieure, inférieure d’un tiers àla normale. Impossible d’en tirer des conclusions hâtives toutefois. A chaque crise, la société de consommation est décriée par lecorps social, jusqu’à professer sa fin, rappelle une étude du Crédoc, parue fin 2015,sur les représentations de la consommationen période de sortie de crise économique,mais dont le propos reste d’actualité. Evidemment, il n’en est rien.
En revanche, « ces ruptures accélèrent desmodes de consommation, en phase avec lesévolutions sociétales », souligne Pascale Hébel, un des auteurs de ces travaux. C’estainsi qu’ont émergé les comportements deconsommation « engagée » en 1993, ou la consommation « responsable et raisonnée »en 2013. Cette fois, la diffusion du télétravail
pourrait constituer un levier de changement important.
A long terme, le rôle d’incubateur joué parle confinement ne fait néanmoins pas de doute pour l’anthropologue Fanny Parise. « Le fait d’essayer de nouvelles pratiques, de réaliser que ce n’est pas aussi compliqué qu’on le pensait, et de les répéter à plusieurs reprises permet leur diffusion progressive »,explique cette spécialiste de la consommation. Elle analyse les comportements de 6 000 personnes, dans l’Hexagone et enSuisse, depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. De nombreux rituels partagésautour de la famille et du logement ont alorsfédéré la population.
« EQUIPEMENTS D’INVESTISSEMENT »Bien manger et prendre soin de soi a occupé une bonne partie des journées des « consommateurs confinés ». La cuisine est revenue à sa place originelle, au centre du foyer, et le sport a motivé près de la moitié des individus. En même temps que machines à pain et yaourtières ressortaient des placards, lesvélos d’appartement remontaient de la cave. On a également investi dans ce type de produits. Chez Decathlon, 30 % des commandes en ligne ont porté sur ces « équipements d’investissement », incluant aussi vélos pour l’extérieur, tapis de course, tables de pingpong, ou encore trampolines. Le signe d’un souci, plus profond, de rester en forme.
Car, sans surprise, la santé s’impose désormais parmi les premières préoccupations des Français, avec l’environnement et l’éco
FRANCE DE LA FINDU MOIS OU FRANCE
DE LA FIN DU MONDE, TOUT LE MONDENE TIRERA PAS
LES MÊMES ENSEIGNEMENTS DE CETTE CRISE DANS
SA CONSOMMATION
depuis qu’elle a changé de secteur, Jia Shu se sert la ceinture : cette ancienne agente de voyage, qui organisait des séjours sur mesure pour la classe moyenne supérieure chinoise, s’est trouvée face à un mur après l’explosion de l’épidémie de coronavirus. Après le blocage de la Chine, c’est le monde entier qui fait face à la pandémie, plombant les perspectives du tourisme international pour l’année. Faute de projets, Jia Shu, 26 ans, a trouvé un travail d’employée dans une compagnie d’assurances. « C’est une industrie à laquelle je ne connais rien. Le travail est fastidieux et compliqué », avouetelle. Surtout, il est moins bien payé : « Avant, j’avais d’importants bonus en fonction de mes résultats. Maintenant, j’ai juste assez pour le quotidien, mais je ne metsrien de côté. Je ne pourrai pas partir en vacances. »
Comme Jia Shu, des centaines de millions de Chinois ont vu leurs revenus réduits. Après avoir chuté de 19 % au premier trimestre, entre confinement et perte de pouvoir d’achat, la consommation risque bien de ne pas voir de rebond sur le reste de l’année.D’après une étude trimestrielle de la banque centrale, les ménages chinois ont épargné 6,6 % de plus
sur les trois premiers mois de l’année qu’à la même période en 2019. Près de neuf Chinois sur dix estiment que leur salaire va baisser cette année, contre seulement un sur dix en décembre 2019.
Bons d’achats aux ménagesUne catastrophe, alors que 60 % du PIB chinois dépend désormais de la consommation intérieure.Pour y remédier, la Chine n’a pour l’instant annoncé que des mesures modestes : les autoritéslocales ont distribué des bons d’achats aux ménages pour tenter de les inciter à dépenser. Des subventions à l’achat de véhicules électriques, qui devaient prendre fin en 2020, vont être prolongéesde deux ans, alors que le secteur automobile est endétresse : les ventes de voitures ont chuté de 42 % au premier trimestre.
Pour le reste, les autorités ont recours auxvieilles méthodes qui leur ont permis de soutenirla croissance ces dix dernières années : les investissements dans les infrastructures, train à grandevitesse en tête. Mais c’est au prix d’un endettement sans pareil pour un pays déjà très bien doté
en infrastructures. Par conséquent, on peut s’interroger sur l’utilité de lancer des milliers de chantiers supplémentaires.
Pour Michael Pettis, professeur de finance à l’université de Pékin, la solution serait d’améliorer la répartition des revenus pour libérer la consommation. « En Chine, les ménages ne gardent que très peu de ce qu’ils produisent au plan national : on est à peine à plus de 50 %, contre 60 % à 80 % en Europeou aux EtatsUnis. Ils ne sont pas payés suffisamment pour consommer tout ce qu’ils produisent. »
Il faudrait donc augmenter la part du revenu national que reçoivent les ménages, notamment enrenforçant la couverture sociale pour libérer lesbas de laines que les Chinois garnissent pour faireface à d’éventuelles dépenses de santé. « Mais pouraugmenter la part des ménages, il faut la prendre àquelqu’un : je ne vois que les riches, et les gouvernements locaux comme possibilités, or, ce sont deux groupes très puissants politiquement », conclutMichael Pettis.
simon leplâtre(shanghaï, correspondance)
Les Chinois continuent de se serrer la ceinture
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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 17
nomie. Tous les produits et services liés aubienêtre et à la santé vont donc être plébiscités. Dans l’alimentation par exemple, leCrédoc observe déjà le renforcement de toutce qui contribue à la « fortification nutritionnelle », des poulets nourris au grain aux compléments alimentaires en passant par les probiotiques.
De nombreux ménages conserveront sansdoute le réflexe d’acheter local et en circuit court, une tendance qui était déjà dans l’air du temps. Pauline Vaysse en est convaincue, elle qui a accéléré l’ouverture de sa Ruche qui dit oui à La MagdelainesurTarn (HauteGaronne). Depuis le 15 avril, date de sa première livraison, elle constate une attente forte « de produits frais et de qualité », issus de producteurs de sa région afin de les soutenir. Au niveau national, La Ruche qui dit oui fait le même constat, après le gain de 37 000 clients ces dernières semaines s’ajoutant à ses 160 000 membres actifs.
PRATIQUES NUMÉRIQUESMais s’il est un domaine où il n’y aura pas deretour en arrière, c’est bien celui des pratiques numériques, après la percée opérée parcertaines platesformes d’ecommerce et de services dématérialisés. Un sondage de l’institut CSA est révélateur à cet égard : fin mars,les Français plaçaient Amazon et Netflix en tête des marques non alimentaires qu’ils jugeaient les plus utiles, aux côtés de La Poste.
Sur les réseaux sociaux, on a aussi vu desgrands chefs s’inviter chez les Français pour des ateliers cuisine en direct, des profs de yoga faire cours à leurs élèves, des artistes se produire depuis leur domicile. Surfant sur denombreux outils de communication à distance, des agents immobiliers ont fait visiterdes appartements, des concessionnaires auto ont montré l’intérieur des voitures, des vendeurs ont pu conseiller leurs produits… Pour le sociologue Rémy Oudghiri, directeur général de Sociovision, « tous ces services et expériences permises par le digital, un phénomène assez marginal jusqu’ici, pourraient receler un vaste potentiel d’innovation pour raviver le désir des consommateurs, ou ouvrir un nouveau champ d’activités monétisables ».
Ce concentré d’explorations collectives,réalisé en quelques semaines, continuerad’infuser dans la société postCovid. La notion de ce qui est essentiel ou pas, brandiepar le gouvernement pour maintenir oumettre à l’arrêt des pans entiers d’activités,risque de parasiter durablement notre rapport à la consommation, affirme Fanny Parise. Dans l’immédiat, il peut nourrir un« sentiment de culpabilité ou une crainte du regard des autres ». A plus long terme, elle sedemande si « consommer sera encore perçucomme une fin, ou davantage comme un moyen ».
L’arbitrage entre la possession et l’usagetournerait alors de plus en plus à l’avantagede ce dernier. La location, l’achat d’occasion,ou les pratiques de partage remplacent deplus en plus souvent la dépense dans deplus en plus de domaines. Cela se vérifie dans des domaines aussi divers que le vêtement, l’électroménager ou l’automobile,même si ce symbole de la consommationmatérielle depuis les années 1950 pourraitprendre pour un temps une belle revanchegrâce au virus.
On le constate en Chine, où les ventesd’automobiles remontent en flèche après avoir stoppé net pendant deux mois. LesFrançais envisagent à nouveau de se déplacer, notamment en voiture. La baisse de prixdes carburants, un habitacle protecteur et la variété des services développés autour du« drive » les y encouragent. Le succès de ce mode de livraison des achats du quotidienl’illustre, comme l’attestent les embouteillages spontanés qui se sont formés pour accéder, sans quitter le siège de sa voiture, aux burgers d’un restaurant McDonald’s de SeineetMarne rouvert mimars. Le retour des cinémasparcs d’antan pointe déjà son nez.
Tout le monde n’enfourchera donc pas, dujour au lendemain, un vélo, ou ne se convertira pas au bio. Pas d’emballement du moinschez Philippe Lapalut, coresponsable du Grand Panier Bio de MareuillèsMeaux (SeineetMarne), « la clientèle est changeante ».
S’il a attiré, pour des raisons assez diverses, 20 % de personnes qu’il ne connaissait pas depuis le 17 mars, il ne pense conserver que 5 % à 10 % de clients en plus dans la durée.
Dans les prochains mois, les ménagesdans leur ensemble continueront sansdoute à consacrer l’essentiel de leurs ressources à la consommation courante, écritPatrick Artus, le chef économiste de Natixis.Mais ce ne sera plus à n’importe quel prix,comme c’était le cas dans la crainte des pé
Une consommation anémiée aujourd’hui et incertaine demain
SOURCES : INSEE, BANQUE DE FRANCE, OFCE, KANTAR, NIELSEN, XERFI Infographie : Marianne Boyer, Maxime Mainguet
Du fait du con�nement, une lourde chute de la consommation, sauf dans l’alimentaire
Di�érence* entre la consommation en France �n avril 2020 et la normale
Evolution des ventes de produits alimentaires entre la semaine du 20 au 26avril 2020 et la semaine correspondante en 2019
Di�érence* entre la consommation en France �n avril 2020 et la normale, en %
*estimation
dont :produits issus de l’industrie – 36 %
services marchands – 32 %
Ensemble – 33 %
Parmi les produits issus de l’industrie : l’alimentaire, porté par le drive et l’e-commerce, est le seul gagnant
Livraison à domicile : + 117 %Drive : + 81 %Magasins de proximité : + 20 %
Supermarchés de moins de 2 000 m2 : + 10 %plus de 2 000 m2 : + 8 %
Magasins hard discount : – 5 %Hypermarchés demoins de 7 500 m2 : – 5 %plus de 7 500 m2 : – 10 %
Denrées alimentaires et boissons
+ 9 %
– 49 %– 75 %
– 62 %
– 92 %
Energie, eau, déchets, produits des industries extractives
Equipements électriques,
électroniques, informatiques...
Cokéfaction,ra�inage(pétrole)
Autresproduits
industrielsMatériels
de transport
0 %
Finances et assurances0 %
Immobilier
Information,communication
Activités scienti�ques, techniques et services administratifs
0 %– 11 %
– 56 %Autres services
– 79 %Commerce
– 79 %
Hébergement et restauration– 89 %
Transports et entreposage
– 82 %
Di�érence* entre la consommation en France �n avril 2020 et la normale
Dans les services, le commerce et l’hébergement-restauration fortement touchés
L’épargne accumulée durant le con�nement rend possible une reprise rapide de la consommation...
C’est, en milliards d’euros, le total des sommes épargnées par les Français durant le con�nement, selon l’OFCE.
Le rythme de réinsertion de cette manne dans l’économie conditionnera en partie la relance.
55
5,919,6
Sommes placées sur leur compte en banque par les ménagesfrançais, en milliards d’euros
Moyenne mensuelle janvier 2017-février 2020 Mars 2020
C’est, en avril, l’ampleur de la baisse de l’indice mensuel de con�ance des ménages calculé par l’Insee.
C’est la plus forte chute enregistrée depuis la création de l’indicateur, en 1972.
des Français déclarent que leurs revenus ont déjà été a�ectés par la crise
Prévisions d’évolution annuelle de la consommation selon Xer�, en %
+ 0,9
2018 2019 2020 2021
+ 1,2
– 7,4
+ 8,1
– 8 points
31 %
... mais celle-ci reste incertaine, du fait du manque de con�ance des ménages
« LA PÉRIODEQUE NOUS VENONS
DE VIVRE A RENFORCÉ L’ENVIE
DE CHANGER DE PRATIQUES CHEZ
CEUX QUI ÉTAIENT DÉJÀ ENGAGÉS
SUR CETTE VOIE »PHILIPPE MOATI
cofondateur de l’Obsoco
face au puissant amazon, le 17 mars, alors qu’il baisse pour huit semaines le rideau de sa librairie,47 degrés Nord, située au cœur de Mulhouse (HautRhin), Frédéric Versolato est loin d’imaginer la façon inédite dont sa clientèle va l’aider à passer lecap. C’est un confrère qui lui suggère, début avril, d’aller faire un tour sur une plateforme gratuite de soutien aux commerces et artisans. Le principe est simple : une fois inscrit, il s’agit de proposer en lignedes bons d’achats. Le client les échangera en livres après la réouverture. « En moins de trois semaines, nous avons réuni plus de 8 000 euros, un montant colossal puisque cela représente un cinquième de nosventes mensuelles », se réjouit Frédéric Versolato.
Des milliers de commerçants indépendants ontréussi de la sorte à engranger, comme lui, de quoi payer une partie de leur loyer ou de leurs charges. « On pouvait craindre qu’Amazon n’en profite pourrafler la mise », souligne Erwan Simon, le fondateur de Sauve ton commerce, un site parmi la dizaine à
avoir volé au secours des boutiques de quartier lorsdu confinement. Nombreux sont ceux qui ont soutenu bistrots et restaurants, toujours fermés, où ils ont leurs habitudes. Comme ce Parisien, désormais à la tête d’une cagnotte de 1 000 euros dans un caféboulangerie proche de l’école de ses enfants. Il souhaite offrir café et croissant aux autres parents à larentrée, raconte Mathieu Maure, à l’origine, avec son épouse, de l’initiative Sauvons nos commerces.
L’ampleur de la solidarité a dépassé toutes les espérances de Jonathan Cholet. Il a grandi audessus de la boutique de charcuterietraiteur de ses parents, à SaintNazaire (LoireAtlantique) et – commeErwan Simon – c’est son métier habituel que d’aiderdes commerçants à se faire connaître. Fin avril, lesite Soutiencommerçantsartisans avait venduplus de 2 millions d’euros de bons d’achat. Sauve ton commerce se rapprochait du million, et Sauvonsnoscommerces.org des 200 000 euros, entreautres exemples. Un succès amplifié par le soutien
des collectivités locales. Le boucheàoreille a fait le reste. Mais après le 11 mai, que deviendront ces belles initiatives, mise sur pied dans l’urgence, souvent en quelques jours ?
Les sommes récoltées, comme la chaleur desmessages d’accompagnement, prouvent « l’utilité de ces platesformes », juge Mathieu Maure. Il est frappé par « la force de la communauté des commerçants, qui ont poussé leur offre par le digital ou parune simple affichette sur leur devanture ». Convaincu qu’il serait dommage d’éteindre la lumière, il réfléchit donc au modèle économique de l’après. « Les petits commerces qui n’étaient pas dans unelogique digitale ont compris que c’était la suite », conclut, de son côté, Erwan Simon, qui comptepoursuivre son site gratuit, grâce à la participation de collectivités locales. « Même le propriétaire d’uncommerce de couteaux en Corse, âgé de 82 ans, m’a contacté », s’émerveilletil.
n. ba.
Sur Internet, le soutien au commerce local fait un carton
nuries. « Tout le monde achetait français quand on ne trouvait rien d’autre, mais beaucoup ne pourront pas manger de tomates sans la production marocaine, moinschère », relèveton chez Système U. Répondre à la fois aux attentes des plus défavorisés et à ceux qui aspirent à consommerautrement relève, selon le distributeur, d’unexercice délicat.
Bien conscient de cette ligne de fracture,Bercy cherche à concilier fin du mois et fin
du monde. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, promet pour l’automne un plan de relance verte. Il s’agira notamment de convaincre les Français de réinjecter dans l’économie leur épargne, dont le bas de laine de largement plus de 50 milliards d’euros constitué pendant le confinement. Il y a pourtantfort à parier que la population restera attentiste, selon Sociovision. Fin 2019, « la peur de l’avenir était déjà au plus haut ».
nadine bayle
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18 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123
En Alsace, un fabricant de masques naît dans une usine en plan socialBarral va recourir aux salariés « prêtés » par l’équipementier automobile Mahle Behr
L à où tant d’entreprises textiles ont été décimées par laconcurrence étrangère, une
nouvelle vient de naître en Alsace,Barral, qui produira dans les prochains jours des masques grandpublic en fibres synthétiques pourles conseils départementaux desHautRhin et BasRhin. Ceuxci en ont commandé 3,7 millions d’ici à fin juin pour les distribuer aux habitants. La première machine estarrivée le 6 mai, trois autres serontlivrées d’ici à juillet. Cette entreprise a été lancée à toute vitesse à l’initiative du Pôle textile Alsace. Elle est créée par six industriels dece Pôle qui, avec leurs propres deniers et l’aide d’une banque, y ont investi plus de 3,5 millions d’euros. « Une usine normale se monte en six mois, nous, on a mis 50 jours, se félicite Benoit Basier,président de Barral, du Pôle et de la corderie MeyerSansboeuf, basée à Guebwiller (HautRhin).
100 % recyclables et françaisMimars, une trentaine d’ateliers et d’entreprises membres du Pôle textile s’étaient convertis à la fabrication de masques. « Barral ne leur prendra pas du travail car lademande est énorme, précise M. Basier. Puis, au fur et à mesure que l’économie repartira, ils vontreprendre leurs activités initiales, dans le linge de maison, dans lesteeshirts de clubs de foot, etc. »
M. Basier aime à dire que Barralse veut « une entreprise à responsabilité sociale, sociétale et environnementale ». Elle fabrique un masque lavable (40 fois pour le moment), 100 % recyclable et 100 % français. Et est en train de s’implanter au cœur d’une autre usine,dont elle loue des locaux et qui ne cesse de perdre des emplois : l’équipementier automobile Mahle Behr France, à Rouffach (HautRhin). La filiale du groupe allemand en est à son troisième plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)
depuis 2013. Cette fois, 236 emplois sur 619 vont être supprimés.
Pour compléter l’histoire, Barral,acronyme de « barrière », comme masque barrière, et « Alsace », qui à terme produira 4 millions de masques par semaine, fera travailler des salariés volontaires de Mahle Behr, actuellement en activité partielle, selon une convention de prêt de personnel à but non lucratif. Ce qui permettra à cessalariés, dont le revenu est de 84 %de leur salaire net, d’en percevoir 100 %. « Si on peut permettre à un territoire de conserver des emplois, autant le faire, c’est dans nos valeurs », indique M. Basier, adepte d’un « capitalisme qui a du sens ». Ilaurait, en outre, été compliqué de recruter en plein confinement.
Pour Mahle Behr, « qui n’y gagnerien sur le plan commercial », comme le dit Philippe Engelbert, directeur de l’usine, cette opération permet de « limiter la casse sociale ». même si les salariés qui auront fait l’objet du prêt « ne seront pas prioritaires », précise M. Basier. Ce projet « ne réduira pas » les suppressions chez Mahle Behr, avertit M. Engelbert. « Je regrette qu’il n’y ait aucun lien entre ce projet et le PSE, il aurait fallu qu’un reclassement soit possible », pointe Denis Pieczynski, délégué UNSA au Comité social et économique (CSE) de Mahle Behr. « C’est toujours de l’emploi créé ici plutôt qu’en Chine », se réjouit, elle, SabineStuder, secrétaire CFDT du CSE.
francine aizicoviciA Marseille, dans la tour CMA CGM, un déconfinement très encadré350 des 2 300 salariés du siège de l’armateur sont volontaires pour reprendre le travail lundi
marseille correspondant
C omment déconfiner unetour de 32 étages où travaillent quotidiennement
2 300 salariés et quelques centaines de prestataires ? Le siège mondial de la CMA CGM, dont la silhouette signée Zaha Hadid trône sur le port industriel de Marseille,est un cas épineux avec ses dix ascenseurs, ses 45 000 mètres carrés climatisés de bureaux en openspace et de salles de réunion, son restaurant de 300 couverts, son auditorium et sa salle de sport.
« Dans les trois premières semaines, nous allons faire les choses de façon très progressive et pour ce lundi, je peux dire que la tour est prête », assure Thierry Billion, secrétaire général de la CMA CGM. Prête, mais dans un premier temps, pour un format très réduit : 350 personnes rentrerontlundi 11 mai et uniquement, assure l’entreprise, sur la base du volontariat. « Nous avons sollicitéles célibataires et les personnes sans enfants, explique encore M. Billion, qui rappelle que ses collaborateurs − 38 ans demoyenne − sont souvent de jeunes parents. Beaucoup de nos salariés souhaitaient déjà revenir, ila fallu faire des choix. »
Le plan de déconfinement a étéprésenté dans deux messages vidéo à tous les collaborateurs. Mardi 5 mai, les syndicats l’ontdécouvert in situ. Voies d’entréeet de sortie séparées, prise de
température à l’arrivée, masqueobligatoire fourni quotidiennement en deux exemplaires par l’entreprise, présence maximalede quatre personnes par ascenseur contrôlée par badge et caméra… Dans les espaces ouverts, les rares salariés s’installeront en quinconce pour ne pas être face àface. Les salles de réunion restentfermées, l’entreprise privilégiantencore les vidéoconférences, y compris entre personnes présentes dans la tour.
Nouvelle philosophieLes habituels lieux de convivialité, comme le café connecté ou le gymnase, ne seront pas accessibles. Quant au restaurant d’entreprise, il ouvre avec une formule unique de repas et l’obligation de manger à une seule personne par table. Chaque salarié, une fois sonrepas fini, collera un sticker à sa place pour que celleci soit nettoyée avant qu’une autre personne ne puisse s’asseoir.
« Dans nos discussions, plus quela peur du virus, ce sont toutes ces contraintes sanitaires qui génèrent une anxiété à l’idée de retourner dans la tour », témoigne unesalariée du siège marseillais, mère de famille en télétravail depuis la mimars. Sondée jeudi 5 mars par la direction de sa branche, elle a refusé de se porter volontaire pour reprendre en présentiel. Et espère ne pas avoir à le faire avant septembre. « Je suis efficace de chez moi et l’idée de por
ter un masque toute la journée ne m’inspire pas. Pas plus que de me retrouver à huit sur un étage où il ya habituellement une centaine depersonnes ou de manger touteseule à une table », redoutetelle.
« Dans la maison, on est dans laconfiance du cercle familial. Ceuxqui rentrent vont devoir se rééduquer. Etre en distanciation, ne passe toucher, ça va être compliqué », prévoit déjà Thierry Billion, qui a demandé qu’une signalétique imposante soit installée pour rappeler règles et gestes barrières.
A ce jour, la CMA CGM enregistre 980 cas de Covid19 sur ses 110 000 collaborateurs à traversle monde. Le siège, lui, n’a officiellement connu qu’un seul cas positif. Une contamination qui aentraîné la fermeture partielle dela tour, quelques jours avant leconfinement national. D’autressalariés racontent avoir ensuitedéclenché la maladie à leur do
micile. Sans savoir s’ils ont été touchés au travail ou dansd’autres circonstances.
Jusqu’à juin, le plan de relanceprévoit que 150 collaborateurs supplémentaires rentrent chaquelundi. « C’est la tendance, maisnous serons extrêmement vigilants et prendrons le maximum de précautions pour que tout lemonde se sente serein. S’il faut stabiliser le nombre de salariés, nous aurons cette souplesse », promet Thierry Billion. Audelà du déconfinement, le premier transporteur mondial de conteneurs entend tirer des leçons de la crise. Un plan de réorganisation quisonne comme une nouvelle philosophie du travail est lancé. « Six pages de décisions à mettre en fonction d’ici septembre », assure le secrétaire général du groupe.
Avec, au premier plan, une montée en puissance du télétravail, rendu en partie obligatoire dans certains secteurs, une digitalisation accrue de l’entreprise, ens’appuyant notamment sur la pépinière de startup, ZeBox, que le groupe a lancé en janvier 2018. L’idée de réduire les déplacements internationaux est également sur la table. « Sur les huit semaines du confinement, nousavons eu des visioconférences avecles responsables de nos 160 agences mondiales et cela a très bienfonctionné, insiste Thierry Billion.La question se pose aujourd’hui : pourquoi voyager autant ? »
gilles rof
Incertitudes et inquiétudess’accumulent à « La Provence »Le groupe de presse craint les conséquences de la liquidation des sociétés de Bernard Tapie, prononcée par le tribunal de commerce de Bobigny
A ux questions sans réponses classiques (Yauratil de la neige àNoël ? Quand cesse
ronsnous de craindre le Covid19 ?), les salariés de La Provence en ont ajouté une nouvelle,fin avril, qui leur est propre :quand auronsnous un nouveaupropriétaire ?
La veille du 1er mai, le tribunalde commerce de Bobigny a placéles sociétés de Bernard Tapie enliquidation judiciaire, le groupeGBT d’un côté, et la Financière etImmobilière Bernard Tapie(FIBT) de l’autre ; leur vente estcensée permettre à l’ancien homme d’affaires, âgé de 77 ans,de rembourser ses dettes, soit plus de 400 millions d’euros accordés en 2008 lors de l’arbitragede son litige avec le Crédit lyonnais. Les 89 % des parts qu’il détient au capital du groupe depresse marseillais pourraientdonc, le cas échéant, contribuerau règlement de la facture. Bernard Tapie a fait appel de la décision de justice, mais celuici n’estpas suspensif.
« Autonome »Lors d’un comité social et économique (CSE) extraordinaire,mardi 5 mai, la direction s’est efforcée de calmer les inquiétudes : « La Provence n’est pas en sauvegarde, pas en redressement judiciaire, et pas en liquidation. Nous avons des partenaires, des clientset des prestataires, et il ne faut pas nous mettre en défaut avec une mauvaise communication. » JeanChristophe Serfati, le PDG du groupe, ajoute : « La Provence est
autonome. Elle a les moyens deson exploitation. Il n’y a pas d’inquiétude particulière à avoir. »
Les ennuis de l’ancien présidentde l’OM et éternelle vedette locale,qui se bat contre un cancer métastasé, n’ont aucune incidence sur les aides financières accordées par l’Etat dans le cadre de la crise du Covid19, et le paiement des salaires est assuré, insistetil : « Ce qui nous occupe davantage, c’est la sortie du confinement. » De dix, le nombre d’éditions quotidiennes est tombé à quatre ces dernières semaines, et des salariés ont été mis en chômage partiel.
« Cette décision ne manquerapas d’avoir un impact sur le fonctionnement actuel et sur l’avenirplus ou moins lointain de La Provence », s’est toutefois instantanément alarmé le Syndicat national des journalistes (SNJ), majoritaire à la rédaction. Oui, mais quand ? « On n’est qu’au début duprocessus, et l’on n’est pas maîtredu jeu », regrette Eric Espanet, délégué syndical CGCJournalistes,qui n’espère pas « y voir plus clair » avant l’automne, si tant estqu’un liquidateur judiciaire aitété nommé d’ici là. C’est ce der
nier, en effet, qui devra évaluerles actifs du groupe et choisir, lemoment venu, un éventuel nouvel actionnaire. « Non seulement la mise en liquidation est toute récente, mais l’appel de Bernard Tapie risque de ralentir la procédure,ajoute un élu SNJ. On part sur unepériode d’incertitudes qui va durer un ou deux ans. »
Promesses d’investissementUn délai qui laisse largement letemps d’échafauder des hypothèses. Qui, si Bernard Tapie devait, malgré tous ses efforts, seséparer de La Provence ? « Avecune diffusion payante comprise entre 80 000 et 100 000 exemplaires par jour, et dans une situation économique qui est difficilepour toute la presse, La Provence fait plus envie que pitié », veutcroire Jérôme Lorent, le secrétaire du CSE de l’entreprise. Des promesses d’investissementn’auraient toutefois pas été tenues, et le SNJ a rappelé, dans untract, avoir « toujours regrettél’obstination de Bernard Tapie à ne pas faire face à ses obligations,quitte à menacer la pérennité denotre entreprise ».
A Marseille, tous les regards setournent vers Xavier Niel, fondateur de Free et actionnaire à titreindividuel du groupe Le Monde,qui détient, via sa holding NJJ, lesderniers 11 % du capital. Puisqu’ilest déjà propriétaire à 100 %, depuis février, du groupe NiceMatin (NiceMatin, VarMatin, MonacoMatin), « il semble y avoirun bon sens économique et géographique pour celui qui pourraitavoir l’ambition de créer un grand
groupe de presse », avance Eric Espanet.
A ce jour, cependant, les salariés de La Provence ne l’ont jamais rencontré, pas plus qu’Anthony Maarek, directeur généralde NJJ, PDG de NiceMatin et administrateur à La Provence. Contacté, Xavier Niel n’a pas fait decommentaires. « C’est une hypothèse, mais il y en a d’autres »,pointe un salarié, qui redoute davantage l’appétit d’entrepreneurs locaux : « En tant que journalistes, cela reviendrait à nous passer les menottes », assuretil.
La liberté éditoriale de la rédaction ne serait déjà pas entière, rappellent d’ailleurs des journalistes. Au printemps, un éditorial de FranzOlivier Giesbert, laudateur pour Martine Vassal, présidenteLR du département et candidate à la mairie de Marseille, avait provoqué un tollé. « On n’a jamais vu unetelle mainmise de la direction surl’éditorial, gronde une journaliste. Ça ne pourra pas être pire avec un autre actionnaire. »
Mais, comme le dit la chanson,il arrive que dans le Sud, « le tempsdure longtemps » ; a fortiori lorsqu’il s’agit des démêlés judiciaires de Bernard Tapie. A telle enseigne, estime un observateur, qu’un changement au capital de La Provence interviendrait plus vraisemblablement « dans le cadre d’une succession » que dans toute autre circonstance. En attendant, c’est les conséquenceséconomiques liées à la crise sanitaire, baisse des ventes et effondrement de la publicité, qu’il faudra dépasser.
aude dassonville
« « On n’est qu’au début
du processus, et l’on n’est pasmaître du jeu »
ERIC ESPANET délégué syndical CGC-
Journalistes
« Dans la maison,on est dans
la confiance du cercle familial.Ceux qui rentrent
vont devoir se rééduquer »
THIERRY BILLIONsecrétaire général
de la CMA CGM
« C’est toujoursde l’emploi
créé ici plutôt qu’en Chine »
SABINE STUDERsecrétaire CFDT du CSE
de Mahle Behr
En ces temps de déconfinement prudent, tous les magasins rêvent d’ouvrir leurs portes. Mais ils devront filtrer les accès pour respecter la distanciation sociale. Pour le magasin Europe, comme pour l’américain, ce sera pareil. Les échanges vont reprendre, mais l’exubérance libertaire n’est plus de saison. Les EtatsUnis veulent limiter leurs achats chinois et les Européens invoquent l’écologie et le social.
Frères ennemisDepuis quelques jours circule une étrange lettre dans les ministères européens. Son contenu, dévoilé par le Financial Times, n’étonnera pas les observateurs français puisqu’elle reprend des éléments déjà avancés publiquement par le président Macron. Elle suggère de conditionner les tarifs douaniers appliqués aux marchandises débarquant sur son territoire au respect de règles environnementales et sociales. Et reprend même l’idée, suggérée par la Commission européenne, dès décembre 2019, d’une taxe carbone aux frontières du continent.Le plus surprenant n’est donc pas l’originalité de ces propositions à l’adresse des gouvernements que
ses deux signataires. A côté de la signature de JeanBaptiste Lemoyne, le secrétaire d’Etat français au commerce extérieur, figure en effet celle de Sigrid Kaag, son homologue néerlandaise. Les frères ennemis de la zone euro en croisade pour une mondialisation plus raisonnée, voilà qui est inédit. Depuis le début de l’année, le pays de Colbert et celui qui a inventé la Bourse et les multinationales croisent le fer sur le budget européen, puis sur l’aide à l’Italie. Sans parler des rivalités autour du sort d’Air FranceKLM.
Cette alliance de deux pays dirigés par des leaders libéraux mais opportunistes confirme le changement de ton de l’Europe sur le commerce international, sous la pression des opinions. Les derniers accords de libreéchange avaient déjà essuyé de vives critiques jusque dans leurs rangs. Même des grandes entreprises européennes réclament désormais que, en échange de normes environnementales de plus en plus sévères, elles ne soient pas pénalisées par une concurrence extracommunautaire qui ne les respecterait pas. L’idée de démondialisation s’installe doucement dans les esprits.
PERTES & PROFITS | COMMERCE par philippe escande
Pays-Bas - France,l’alliance inédite
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0123MARDI 12 MAI 2020 INTERNATIONAL | 19
Paris et Pékin butent sur les frégates de TaïwanLe marché de modernisation des navires taïwanais par une société française irrite la Chine
C e devait être une remontrance à sens unique, une façon pour ladiplomatie française de
marquer une ligne rouge. L’entretien entre le secrétaire général du Quai d’Orsay, François Delattre, etl’ambassadeur de Chine à Paris,Lu Shaye, organisé le 14 avril par téléphone en raison du confinement, avait été suivi par un communiqué du ministre des affaires étrangères. « J’ai fait connaître clairement ma désapprobation de certains propos récents à l’ambassadeur de la République populaire de Chine en France lors de sa convocation », avait expliqué JeanYves Le Drian. En cause : la publication d’une série de tribunesanonymes jugées injurieuses, liées à la crise sanitaire, sur le site de la représentation chinoise à Paris. Mais la conversation n’a pasété du tout à sens unique.
Selon les informations duMonde, l’ambassadeur Lu Shaye,qui fut maire adjoint de Wuhan en 20142015, a reconnu un simple quiproquo. Il s’en est pris une nouvelle fois à la presse indépendante et a même profité de l’occasion pour repartir à l’offensive surun sujet très sensible : Taïwan. Encore en cause, les frégates vendues à la marine taïwanaise par ThomsonCSF (aujourd’hui Thales) en 1991, longtemps au cœur d’un feuilleton judiciaire enFrance. Contactée, l’ambassade de Chine n’a pas répondu à nosquestions, se contentant d’un long texte sur la souveraineté chinoise inaliénable sur Taïwan et les « activités séparatistes » de sesautorités. De même, le Quai d’Orsay n’a pas souhaité s’exprimer sur ce dossier sensible, alors que l’acheminement de masques en provenance de Chine demeure une priorité du gouvernement.
Comme elle l’a confirmé débutavril, la marine taïwanaise a décidé de moderniser le système dit
« DAGAIE MK 2 » à bord de ses six frégates Lafayette, afin de les équiper de nouveaux missiles leurres, pour tromper les navires adverses. Ce marché a été attribué à la société française DCIDESCO,branche de la DCI (Défense conseilinternational), pour un montant d’environ 25 millions d’euros. DCI est l’opérateur du ministère des armées à l’étranger. Dans la doctrine militaire adoptée par Taïwan, la défense maritime occupe une place déterminante, en cas d’attaque chinoise. L’acquisition de technologies de pointe est un souci constant, dès lors qu’en quantité, l’île ne fait pas le poids face aux capacités adverses.
Protestation officielle de Pékin« Les frégates de construction française ayant été livrées à Taïwan il ya plus de vingtcinq ans, des mises à niveau sont certainement justifiées, explique Drew Thompson, chercheur à la Lee Kuan Yew School of Public Policy, à l’université nationale de Singapour. Ces mises à niveau dans la guerre électronique sont cruciales pour les grandes platesformes navales taïwanaises parce qu’elles renforcent leurs capacités de survie. Les grands navires sont des cibles importantes. » Spécialiste de la Chine, Drew Thompson estime que le recours à une société française est « pragmatique », dès lors
que l’industrie militaire taïwanaise ne dispose pas du savoirfaire pour fabriquer ces technologies de pointe. Il s’agit aussi de diversifier les formes de collaboration, pour éviter de compterexclusivement sur les EtatsUnis et leurs équipements anciens.
« Taïwan montre sa satisfactionpour ce succès diplomatique etnon militaire, souligne le sénateurAlain Richard, président du groupe d’échanges et d’études SénatTaïwan et ancien ministre socialiste de la défense dans le gouvernement Jospin (19972002). Pour 25 millions, il ne s’agit nullement de fournir la dernière génération de missiles, mais d’assurer une maintenance. De toute façon, chaque fois qu’on bouge d’un millimètre, le Quai d’Orsay argumente pour en faire le moins possible, en mettant en avant le déséquilibre des intérêts et le coût trop élevé d’un désaccord avec les Chinois. »
En mai 2018, Alain Richard avaitconduit une délégation sénatoriale à Taïwan. Les responsables locaux lui avaient alors parlé de la modernisation des frégates. Un dossier qui l’a longtemps poursuivi : l’exministre avait été entendu comme témoin par les jugesdans le cadre de l’enquête sur la vente des navires français en 1991. L’enquête se conclura par un nonlieu général en 2008, les magistrats ne parvenant pas à identifier
les circuits des rétrocommissions alléguées. Cette saga rend d’autantplus complexes les contacts militaires entre la France et Taïwan.
L’île aimerait que l’opération demise à niveau soit une première étape, avant d’autres livraisons. C’est la crainte de la Chine, vigilante et agressive. Fin avril 2019, Pékin avait émis une protestation officielle auprès de la France, car lafrégate de surveillance Vendémiaire avait, selon elle, « franchi illégalement » le détroit de Taïwan en pénétrant dans « les eaux territoriales chinoises ». Côté français, on avait voulu minimiser l’incident, en évoquant une circulation en eaux internationales. En janvier, la réélection de la présidente Tsai Ingwen à la tête de Taïwan a été perçue comme un camouflet par Pékin, après les mouvements de protestation à Hongkong. Dans la foulée, les accusations formulées à l’endroit du Parti communiste chinois au sujet de la propagation du Covid19 ont exacerbé les postures nationalistes.
« Pékin a militarisé la mer deChine du Sud et continue de nous envoyer des navires de guerre pourtester nos lignes de défense, explique François ChihChung Wu, le représentant de Taïwan enFrance. Cette agressivité sert à montrer que, malgré la crise sanitaire, Taïwan est à eux, dans leur esprit. Mais je ne crois pas que
cette politique soit un succès. Elle renforce la solidarité au sein de lapopulation de Taïwan, et elle nous permet de gagner de nouveaux soutiens aux EtatsUnis, au Japon, en Australie ou en Europe. »
« Il n’y a qu’une seule Chine »Défiant à nouveau Pékin, lesEtatsUnis ont lancé une véritablecampagne diplomatique afin de promouvoir l’idée d’une participation de Taïwan aux travaux de l’Organisation mondiale de lasanté (OMS). Le 31 mars, un appel publié sur le site de L’Obs, signé notamment par 72 parlementaires français, faisait la même demande, en louant la gestionexemplaire de Taïwan dans lacrise. « La ligne des présidents français est constante : pas d’initiative publique de montée du sta
tut international de Taïwan », rappelle toutefois le sénateur Alain Richard, l’un des signataires.
« Cela fait longtemps que Taïwanest exclu de l’OMS pour des raisonspolitiques », relevait le ministre dela santé taïwanais, Chen Shihchung, dans une tribune publiée par Le Monde le 29 avril. La représentation chinoise à Paris a publiéun nouveau texte sur son site, le5 mai, pour mettre en cause cette tribune. Mais c’est surtout du côtéaméricain que les soutiens à la cause taïwanaise irritent la Chine.
Le 1er mai, dans un Tweet, la représentation des EtatsUnis aux Nations unies faisait savoir que le fait d’« empêcher Taïwan d’entrer à l’ONU est un affront non seulement au peuple taïwanais fier, mais aux principes de l’ONU ». La réponse de Pékin arrivait le lendemain : « Il n’y a qu’une seule Chine dans le monde. » Mesures d’intimidation, y compris militaires, côté chinois, contre multiplication des gestes symboliques en faveur de Taïwan, côté américain.
Le destin de l’île, isolée sur unplan diplomatique, est l’un des terrains de la grande explicationsinoaméricaine. La France, elle,essaie de préserver ses canaux de communication avec la Chine,tout en développant ses liens, autres que politiques, avec Taïwan. Une ligne de crête.
piotr smolar
L’Iran tire par erreur contre un de ses navires dans le golfe d’OmanDixneuf personnes sont mortes à bord du « Konarak », un bâtiment de soutien logistique, visé accidentellement lors d’un exercice militaire
L’ incident est un nouveaucoup dur pour les forcesarmées iraniennes. La
marine de la République islamique a visé par erreur, dimanche10 mai, un de ses propres vaisseaux lors d’un exercice militaire.Les détails du déroulement nesont pas encore connus maislundi, une déclaration officiellefaisait état de 19 morts et de 15 blessés à bord du Konarak, un bâtiment de soutien logistique. Vraisemblablement provoqué par une erreur de tir à bord de lafrégate Jamaran, dont l’équipages’exerçait au lancement de missiles dans le golfe d’Oman, le Konarak aurait été touché en lieu et place d’une cible d’entraînement dont il était trop proche.
Le ciblage accidentel du Konarak par un autre bâtiment de la marine iranienne intervient alorsque Téhéran a mis en avant au cours de ces derniers mois l’accroissement de ses capacités de production d’équipements militaires. L’Iran a enregistré d’authentiques réussites comme le lancement, fin avril, d’un satellite militaire, démontrant ainsi sa maîtrise de certaines technologies nécessaires et la productionde missiles balistiques intercontinentaux. L’incident de dimanche représente toutefois un échec cuisant. Il implique en effet le Jamaran, un navire symbolisant les efforts déployés par la République islamique pour renforcer ses capacités militaires maritimes de
manière autonome, sans dépendre de technologies étrangèresauxquelles le régime de sanctionsdont elle fait l’objet lui interdit l’accès. Equipé de missiles antinavires Nour, le Jamaran avait été inauguré par le Guide de la révolution islamique, Ali Khamenei, enpersonne, en 2010.
Crédibilité des autorités atteinte« Les Iraniens entretiennent l’idée qu’ils peuvent construire leurs infrastructures de défense seuls et le Jamaran est à cet égard leur chefd’œuvre dans le domaine maritime », indique Fabian Hinz, spécialiste des forces armées iraniennes au Centre JamesMartin pour les études sur la nonprolifération. Il estime que l’équipage du
navire pouvait être occupé à tester un nouveau missile antinavired’une portée supérieure aux systèmes utilisés actuellement par lamarine iranienne, une innovation récemment évoquée par desresponsables militaires iraniens.
Le nouvel incident meurtrier arrive quatre mois après la destruction par la défense antiaérienne iranienne d’un avion de ligne d’Ukraine International Airlines audessus de Téhéran, provoquantla mort des 176 passagers. L’appareil civil avait été pris par un opérateur pour un missile de croisière adverse approchant de la capitale de la République islamique. La catastrophe s’était produite quelques heures après un tir de missiles balistiques iraniens contre les
forces américaines stationnées sur la base d’Ain alAssad, en Irak. Cette frappe, dont le degré de sophistication avait marqué les esprits des observateurs, intervenait en représailles à l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani dans un tir de drone américain, le 3 janvier, à Bagdad.
Si la mort de l’officier, qui étaitdevenu la figure de proue et lesymbole de l’action extérieure de l’Iran dans la région, avait provoqué un bref moment de communion nationale, l’attitude desautorités à la suite de la destruction du Boeing ukrainien, dontles passagers étaient majoritairement iraniens ou d’origine iranienne, avait alors durement atteint la crédibilité des autorités.
Après avoir masqué la vérité, les gardiens de la révolution, armée idéologique du régime et auteursdu tir meurtrier, avaient été forcés de reconnaître leurs responsabilités. Quelques semaines plus tard, l’ampleur de l’épidémiede Covid19 dans le pays était àson tour cachée à la population,le pays devenant bientôt le principal foyer régional du virus. Précipité de crises en crises, l’Iran esttoujours visé par la politique de « pression maximale » décidéepar l’administration Trump, dontles sanctions unilatérales corsètent l’économie du pays, entravent l’action de ses autorités etpèsent sur le quotidien des Iraniens ordinaires.
allan kaval
« L’agressivité dela Chine sert à montrer que,
malgré la crisesanitaire, Taïwan
est à eux »FRANÇOIS CHIH-CHUNG WU
représentant de Taïwan en France
« Empêcher Taïwan d’entrer
à l’ONU est un affront aux
principes de l’ONU », a tweetéla représentation
des Etats-Unis aux Nations unies
L’ambassadeur européen en Chine critiqué pour avoir accepté la censureL’UE a reconnu le 8 mai que son ambassadeur en Chine « n’a pas pris la bonne décision » en acceptant la publication d’une version censurée par Pékin d’une tribune cosignée par les 27 ambassa-deurs européens. Dans le texte saluant les 45 ans de relations di-plomatiques sino-européennes, paru dans le China Daily, organe officiel en anglais, une référence à l’origine chinoise du Covid-19 a été effacée. Le diplomate, le Français Nicolas Chapuis, a mal-gré tout approuvé la publication, sans en référer à Bruxelles. « Si l’ambassadeur a en effet décidé de son propre chef d’accepter la censure, alors il n’est pas fait pour le job et doit partir », a dé-claré le président de la délégation du Parlement européen sur les relations avec la Chine, Reinhard Bütikofer, au site Politico. Une porte-parole de la diplomatie européenne, Virginie Battu-Henriksson, a expliqué que M. Chapuis avait été « pressé par le temps » et conservait la confiance de Bruxelles.
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20 | international MARDI 12 MAI 20200123
L’Allemagne face aux institutions de l’UELa Commission menace Berlin de poursuites après l’arrêt de la Cour de Karlsruhe contre la BCE et la CJUE
telle procédure contre un Etatmembre : en 2018, contre la France, après une décision duConseil d’Etat sur un sujet fiscal.Paris a finalement dû se résoudre à appliquer la décision de la Cour de Luxembourg.
« Les juges constitutionnels allemands ne sont pas des nationalistes. Mais ils ont une conception très stricte de l’articulation entre ledroit national et le droit européen.Il s’agit là de quelque chose de très philosophique, qui tient à ce qu’estla République fédérale d’Allemagne », explique un diplomate. Déjà amenés à émettre des réserves sur le traité de Maastricht, en 1993, ou sur celui de Lisbonne, en 2009, les juges de Karlsruhen’étaient cependant jamais allésaussi loin dans leur mise en causede la primauté du droit européen.OutreRhin, jamais la critique d’un arrêt de la CJUE n’avait étéaussi sévère.
La matière – la politique monétaire de la BCE – est incontestablement un sujet très sensible enAllemagne. Gros épargnants, lescitoyens allemands se jugent lésés par cette politique qui, depuis dix ans, est responsable dubas niveau des taux d’intérêt. « Ilest également vrai que, ces dernières années, la CJUE est allée deplus en plus loin dans l’interprétation des traités, ce qui crée des débats juridiques dans plusieurspays, dont Karlsruhe s’est fait ici la voix », commente un spécialiste du sujet.
Pour Mme von der Leyen, l’affaire est complexe. D’un côté, illui faut montrer que l’Allemagnene bénéficie pas d’un traitementde faveur, alors que plusieursmembres de l’UE, comme la Pologne, sont tentés de contester laprimauté du droit européen. Del’autre, elle doit à tout prix éviterde braquer les juges allemands, car cela risquerait de les mettre dans de mauvaises dispositions
pour trouver une solution au sujet de la BCE, à laquelle ils ont accordé trois mois pour s’expliquersur sa politique, avant de déciderquoi faire. Et, dans les conditionsactuelles, où l’Europe traverse lapire récession de son histoire en raison de la pandémie de Covid19, ce serait malvenu. « Laprésidente de la Commission doitmaîtriser les Etats membres etlaisser à la BCE une chance detrouver une solution. Pas facile »,commente un diplomate.
Recentrer le débatCôté allemand, les premières réactions aux menaces de Mme von der Leyen montrent que cellesci sont plutôt une bonne nouvelle pour Angela Merkel. Au sein de l’Union chrétienne démocrate (CDU), le parti de la chancelière,l’arrêt de la Cour de Karlsruhe avait surtout permis d’entendre les contempteurs habituels de la BCE et de son programme d’achat de dettes, lancé en 2015 – à l’instar
de Wolfgang Schäuble, alors ministre des finances et aujourd’hui président du Bundestag. « Les institutions indépendantes, qui ne sont pas contrôlées ni légitimées sur le plan démocratique, doivent agir dans le strict cadre de leurmandat et ne pas essayer d’étendreleurs prérogatives. De ce point de vue, le jugement de la Cour constitutionnelle est difficilement contestable », a déclaré M. Schäuble, vendredi, à la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).
Pour Mme Merkel et son gouvernement, l’intervention de Mme von der Leyen peut permettre de recentrer le débat autour dela question de l’articulation entre droit national et droit européen, et ainsi d’éviter qu’il ne se polarise sur le rôle de la BCE, qui divisela grande coalition de la chancelière allemande, non seulemententre sociauxdémocrates (SPD) et conservateurs (CDUCSU), mais au sein même de ces derniers. Un débat, en somme, plus
juridique que politique, et donc potentiellement plus consensuel.
Les commentaires suscités, dimanche, à la suite de la sortie de Mme von der Leyen vont dans ce sens, tant du côté de la CDU que des sociauxdémocrates.
Une opportunité pour l’AfDSaluée par les Verts, pour qui Mme von der Leyer est allée « aussi loin qu’elle pouvait » en évoquant une possible procédure d’infraction, selon l’expression de l’eurodéputé Sven Giegold, l’initiative de la présidente de la Commissionpourrait ainsi contribuer à resserrer les rangs de la majorité de Mme Merkel, ce qui n’est pas sans importance alors que l’Allemagne s’apprête, le 1er juillet, à occuper la présidence tournante de l’UE.
En pleine crise du coronavirus,dans un contexte d’instabilité propre à réveiller les égoïsmes nationaux, un tel débat comporte néanmoins des risques. A commencer par celui d’une su
renchère populiste, et pas seulement dans les démocraties « illibérales » d’Europe centrale. Peu audible depuis le début de l’épidémie, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a ainsi très vite compris le profit qu’il pouvait tirer de l’arrêt de la Cour de Karlsruhe, qui lui permetde revenir à ce qu’il était au moment de sa création en 2013, à savoir un parti antieuro opposé au sauvetage budgétaire des Etats enfaillite, avant tout obsédé par la défense de l’orthodoxie libéraleallemande. Un créneau que tente aujourd’hui d’incarner l’eurodéputé Jörg Meuthen, le coprésident de l’AfD, qui, dimanche, a accusé Mme von der Leyen de ne « pas respecter la Constitution allemande », expliquant que la présidente de la Commission devrait« avoir honte d’imaginer de pouvoir lancer une procédure d’infraction contre son propre pays ».
virginie malingreet thomas wieder
B ATA I L L E D E P O U V O I R S E N E U R O P E
L’arrêt allemand complique le maintien à flot de l’Italie par la BCEEn pleine pandémie, Rome est le premier bénéficiaire des interventions de la Banque centrale, dont les marges de manœuvre se réduisent
londres correspondance
I l se passe de drôles de chosessur le marché de la dette italienne depuis le début de la
pandémie. Parfois, le taux des obligations à dix ans grimpe soudainement, indiquant l’inquiétude des investisseurs, avant de redescendre presque aussi vite. « Ça me rappelle les crises du franc des années 1990 : le matin, c’est tendu, puis la Banque de France intervient, ça calme tout le monde quelques heures, et puis ça reprend », dit Gilles Moëc, chef économiste chez Axa. Cette fois, l’intervention ne vient évidemment pas de la Banque de France, mais de la Banque centrale européenne(BCE) : « Le taux des obligations italiennes est sous perfusion »,explique M. Moëc.
Le 18 mars, la BCE a annoncé unimmense « plan pandémie » (Pandemic Emergency Purchase
Programme ; PEPP) de 750 milliards d’euros, qui s’ajoute aux quelque 300 milliards d’euros annoncés au préalable, dans un autreplan appelé « PSPP » (Public Sector Purchase Programme). Cet argent, créé de toutes pièces par la BCE, sert essentiellement à racheter les dettes des Etats. En particulier, les fées monétaires se penchent sur leberceau italien. La troisième économie de la zone euro, dont la dette s’élevait déjà avant la crise à 135 % du PIB, est le premier bénéficiaire de cette intervention.
Combien, exactement, est dépensé pour l’Italie ? La BCE est discrète sur la question. Les statistiques détaillées du PEPP ne seront publiées qu’en juin. Mais celles du PSPP ne laissent aucundoute. En avril, la BCE a acheté11 milliards d’euros de dette italienne, 8,3 milliards de dette française, 4,3 milliards d’espagnoleet… 0,6 milliard d’allemande.
Ces statistiques sont loin d’êtreneutres. Elles prouvent qu’en avril la BCE n’a pas traité les différents pays de la zone euro équitablement. La première économie d’Europe, l’Allemagne, n’a pratiquement pas bénéficié de l’intervention de la Banque centrale. Ce qui vient écorner une des règles debase de l’intervention de la BCE : la« clé de capital ». En principe, chaque pays doit bénéficier de l’intervention de la Banque centrale en fonction du poids de son économie. Techniquement, l’Allemagne a droit à 21 % des efforts de la BCE, la France à 17 %, l’Italie à 14 %
Cette règle est autoimposée, nese trouvant dans aucun traitéeuropéen. Elle a été inventéeen 2015 pour convaincre les fortesréticences internes, lors du lancement du premier plan de rachat de dette. A court terme, la Banquecentrale s’en est toujours arrangée, déviant pendant quelques
semaines ou quelques mois de la clé de capital, avant d’y revenir progressivement. Mais la Courconstitutionnelle allemande est venue compliquer l’affaire mardi 5 mai. Dans leur arrêt, les juges évoquent cette fois explicitement cette règle.
La règle des 33 % de la detteVoyant venir le problème juridique, la BCE s’est partiellement affranchie de la clé de capital en lançant le PEPP en mars. Elle fait valoir qu’il s’agit d’un programme à part, répondant à une circonstance exceptionnelle, et que les règles habituelles ne s’appliquent pas à court terme. Mais l’arrêt de la cour de Karlsruhe risque de faire jurisprudence.
D’autant que les juges inscriventaussi noir sur blanc une deuxièmerègle de base de la BCE : la règle des33 %. En 2015, la Banque centrale s’est engagée à ne pas posséder
plus d’un tiers de la dette d’un pays. A l’époque, cela semblait laisser de la marge. Mais, à force d’intervenir à coups de milliers de milliards d’euros, la limite se rapproche. A ce rythme, la BCE pourrait posséder 31 % de la dette allemande d’ici à la fin de l’année, selon les calculs de Pictet, une banque privée. L’Allemagne est l’un des premiers pays touchés par cette limite, parce qu’elle est peu endettée : mathématiquement, la BCE se retrouve avec une plus large partie de son stock de dette. Le même phénomène se confirmeavec les PaysBas, dont la BCE possède actuellement 28 % de la dette.
Ces limites sont scrutées depuislongtemps par les économistes. D’ici à la fin de l’année, la BCE devrait sans doute les faire sauter d’une manière ou d’une autre. Ellea d’ailleurs prévenu dès le 18 mars qu’elle « envisagerait de les modifier » si cela s’avérait nécessaire.
L’affaire est compliquée, mais juridiquement pas impossible. D’autant que la Cour de justice de l’Union européenne, dans un jugement de 2018, ne parlait pas d’une limite de 33 %, mais de seulement 50 %, ce qui laissait de la marge à la BCE. Les juges constitutionnels allemands, eux, ont préféré retenir la limite d’un tiers.
« Le jugement de Karlsruhe esttrès problématique, poursuitM. Moëc. A moyen terme, cela peut limiter la capacité d’intervention de la BCE. » A moins, poursuitil, que ces problèmes de plus en plus compliqués à résoudre ne poussent les politiques à s’emparer enfin de la question. « L’espoir est que cette crise force à sortir par le haut, avec une mutualisation des dettes. C’est ce qu’il faut faire dans l’absolu. Mais estil crédible de penser obtenir ça dans les trois mois ? Je ne sais pas. »
éric albert
bruxelles bureau européenberlin correspondant
L a Commission européenne, a fait savoirsa présidente, Ursulavon der Leyen, pourrait lancer une procédure d’infraction
contre l’Allemagne. Et c’est à uneurodéputé allemand, l’écologiste Sven Giegold, que celle quifut pendant quatorze ans la ministre d’Angela Merkel a d’abordchoisi de le faire savoir, avant deconfirmer dans un communiqué, dimanche 10 mai, que « l’option d’une procédure d’infraction » était bien sur la table. « LaCommission fera ce qu’elle doitfaire en tant que gardienne destraités », avait, en fin de semaine,déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire à l’économie.
A l’origine de cette menace, leretentissant arrêt de la Cour constitutionnelle allemande qui, le 5 mai, a à la fois critiqué la politique d’aide de la Banque centraleeuropéenne (BCE) à la zone euro et contesté un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) validant l’action del’institut monétaire. Ce faisant, les juges de Karlsruhe se sont attaqués à l’indépendance de la BCEet à la primauté du droit européen sur les droits nationaux.
Matière très sensibleFait extrêmement rare, la CJUE a,dès le lendemain, publié un communiqué de presse rappelant qu’elle est « seule compétente »pour constater qu’un acte d’une institution de l’UE est – ou pas – contraire au droit européen.« Des divergences entre les juridictions des Etats membres quant à la validité de tels actes seraient susceptibles de compromettrel’unité de l’ordre juridique del’Union et de porter atteinte à lasécurité juridique », a ajouté laCour du Luxembourg.
Au sein des VingtSept, plusieurs cours constitutionnellesont déjà été tentées de ne pasmettre en œuvre une décision dela CJUE – en République tchèqueou au Danemark, par exemple.Mais la pression politique a suffi,et la Commission n’a pas lancéde procédure d’infraction contreces deux pays. Une seule fois,l’exécutif européen a lancé une
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles, le 23 avril. OLIVIER HOSLET/POOL/REUTERS
LES JUGES DE KARLSRUHE N’ÉTAIENT JAMAIS ALLÉS AUSSI LOIN DANS LEUR MISE EN CAUSE DE LA PRIMAUTÉ DU DROIT
EUROPÉEN
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0123MARDI 12 MAI 2020 international | 21
A Karlsruhe, des juges audessus de toutLa Cour constitutionnelle est considérée, depuis 1945, comme la garante de la démocratie allemande
ANALYSEberlin correspondant
B erlin, vendredi 8 mai. Al’intérieur de la NeueWache (« nouvelle garde »),
le Mémorial des victimes des guerres et de la tyrannie, cinq gerbes de fleurs sont posées au sol à l’occasion du 75e anniversaire de lafin de la seconde guerre mondiale.Devant chacune, le représentant d’un des cinq « organes constitutionnels » de la République fédérale d’Allemagne : la chancelière Angela Merkel, pour le gouvernement, le président du Bundestag,Wolfgang Schäuble, FrankWalter Steinmeier, le président de la République, Dietmar Woidke, le président du Bundesrat, et Andreas Vosskuhle, le président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Le contraste est saisissant avec lachorégraphie qui a lieu au même moment, à Paris, pour la commémoration de la victoire du 8 mai 1945. Sous l’Arc de triomphe,les représentants des corps constitués sont là également, mais ils sont placés autour d’Emmanuel Macron. Seul à raviver la flamme
du Soldat inconnu, c’est le président qui, en France, est le seul maître de cérémonie.
Trois jours après l’ultimatumlancé par la Cour de Karlsruhe à la Banque centrale européenne (BCE), la présence de son présidentaux commémorations du 8Mai, sur un pied d’égalité avec les représentants des autres « organes constitutionnels », est venue rappeler l’importance d’une institution dont le poids est d’autant plusdifficile à percevoir, vu de France, qu’il reflète deux conceptions radicalement différentes des rapports entre la politique et le droit de chaque côté du Rhin. « En tant que français, il semble évident que
la politique construit le droit, autrement dit que le droit sert avant toutà garantir une vie apaisée dans un cadre général défini par la politique. En Allemagne, on pense volontiers que le droit est audessus de tout », explique l’historien EtienneFrançois, professeur émérite de l’Université libre de Berlin.
Consécration de l’Etat de droitCette primauté du droit dans la culture allemande remonte à la Bulle d’or de 1356, considéré comme le premier document constitutionnel du SaintEmpire romain germanique. Jusqu’à la chute de celuici, en 1806, « le droit fut le langage commun du SaintEmpire : c’est lui qui permettait de trancher les conflits entre les dizaines d’entités qui le composaient, ainsi qu’entre cellesci et l’empereur », rappelle Etienne François. Ce fut le cas lors les guerres de religion. En définissant les règles de coexistence des catholiques et des protestants, la paix d’Augsbourg (1555) et les traités de Westphalie (1648) ont durablement sauvé le SaintEmpire de ses déchirements.Que l’unité de ce dernier ait été
préservée grâce au travail des juristes aide à comprendre pourquoile droit a toujours joui d’une place éminente en Allemagne.
Le XIXe siècle n’a rien changé àla donne. Née sur les ruines du SaintEmpire après la chute deNapoléon Ier, la Confédérationgermanique (18151870) voit l’affirmation d’un nouveau principe,celui de « l’Etat de droit » (Rechtsstaat), dont le sens est parfois mal compris en France. « Pour les Français, aujourd’hui, l’Etat de droit ne se conçoit pas indépendamment de la démocratie. En Allemagne, quand la notion a été forgée, c’était le contraire, explique Yoan Vilain, maître de conférences à l’université Humboldt, à Berlin. Dans l’Allemagne non démocratique du XIXe siècle, leRechtsstaat était ce qui garantissait l’autonomie de l’individu. D’oùla figure centrale du juge dans l’Etat de droit : en l’absence de démocratie, c’est lui qui protège les droits des citoyens face à l’Etat. »
Après 1945, le traumatismelaissé par le nazisme parachève cette consécration de l’Etat de droit. Tirant les leçons de la République de Weimar (19191933), qui n’avait pu empêcher l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les fondateurs dela République fédérale décident dedoter celleci d’une juridiction suprême afin de garantir la constitutionnalité des lois autant que les doits fondamentaux : c’est la mission de la Cour constitutionnelle, créée en 1951 et basée à Karlsruhe, à 300 kilomètres de Bonn, le centre du pouvoir politique.
Soixantedix ans plus tard, l’institution jouit d’un prestige considérable. A la différence du Conseil
constitutionnel français, dont lesmembres sont nommés par les présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat, les seize juges de Karlsruhe sontélus pour moitié par le Bundestag et le Bundesrat à la majorité des deux tiers, ce qui les expose moinsaux soupçons de collusions.
Des juges figures familièresD’autres raisons expliquent la popularité dont jouit la Cour de Karlsruhe, régulièrement consacrée dans les sondages comme l’institution la plus respectée du pays. L’une tient à sa visibilité médiatique, liée à la publicité de sesdécisions, rendues par ses juges en robe rouge devenus des figuresfamilières des journaux télévisés. L’autre à la qualité de ses arrêts, dont les motivations dépassentparfois une centaine de pages.
Dans une Allemagne où le droitest « quasiment sacralisé », selon l’expression d’Etienne François, les jugements de la Cour de Karlsruhe sont rarement contestés. Il en fut ainsi en 2017, quand elle a exigé la légalisation d’un « troisième sexe » sur les registres de naissance, à côté des mentions
« masculin » et « féminin ». Ou en février dernier, quand elle a censuré une loi interdisant le suicide assisté. Saluées par le camp progressiste, ces deux décisions ont été accueillies par un silence gêné par les conservateurs. Comme si l’intervention des juges de Karlsruhe avait suffi à mettre fin à des années de débats houleux.
« On ne mesure pas la légitimitéqu’ont, aux yeux des Allemands, lesdécisions prises à Karlsruhe, mêmequand elles touchent directement la vie politique », observe Yoan Vilain, qui cite l’interdiction du Parti communiste allemand, en 1956, qui permet d’interdire les partis qui « tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique (…) ou à mettreen péril l’existence de la Républiquefédérale », une telle décision « serait inimaginable de la part des juges constitutionnels français », insiste l’universitaire.
Dans un pays qui a appris à considérer le droit comme le garant de la démocratie ou, au contraire, comme le gardefou des excès de celleci, peu de responsables politiques osent monter au front pourcontester les décisions de la Cour de Karlsruhe. C’est ce qui explique les commentaires prudents que suscite son jugement sur la BCE chez ceux qui ont pourtant toutesles raisons de s’inquiéter de ses conséquences sur l’avenir de l’euro. Une prudence qui n’est guère étonnante dans un pays où le débat sur le « gouvernement des juges » ne se pose pas, au pointque l’expression ellemême, rappelle Yoan Vilain, n’a « pas d’équivalent en allemand ».
thomas wieder
Budapest et Varsovie se réjouissent de la décision des juges allemandsLes dirigeants hongrois et polonais, accusés de violer l’Etat de droit, pourraient s’inspirer de la mise en cause de la justice européenne
vienne, varsovie correspondants
U n des jugements les plusimportants de l’histoirede l’Union européenne »
pour le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki. « Un jugement extrêmement important » pour la ministre hongroise de la justice, Judit Varga. Ce n’est pas unhasard : les deux capitales d’Europe centrale, qui se sont illustrées ces dernières années pour leur multiplication des atteintes à l’Etat de droit, ont salué dans les mêmes termes le jugement de la Cour de Karlsruhe. A Varsovie comme à Budapest, les gouvernements ont dû essuyer ces dernières années de nombreux jugements défavorables de la Cour dejustice de l’Union européenne (CJUE) censurant par exemple leurs réformes contestées en matière de justice ou de politique d’immigration.
Jusqu’ici, la Hongrie et la Pologne ont été forcées de respecter ces décisions de crainte de lourdessanctions et surtout de la menace implicite de sortie de l’UE en cas denonrespect des verdicts, ce qu’on a été jusqu’à nommer le risque d’un « Polexit juridique » à Varsovie ces derniers mois. Le gouvernement ultraconservateur du parti Droit et justice a en effet menacé plusieurs fois de ne pas respecter les jugements de la Cour de Luxembourg contre ses réformesprévoyant la mise en retraite d’office de magistrats ou l’introduction d’un corps disciplinaire aux ordres du gouvernement.
Le jugement allemand montre« que les traités ont été rédigés parles Etats et qu’ils déterminent les limites de compétences des institutions de l’UE », estime M. Morawiecki dans un texte envoyé à laFrankfurter Allgemeine Zeitung.
Le risque a été immédiatementidentifié par Vera Jourova, la viceprésidente de la Commission européenne chargée de l’Etat de droit. « Les jugements de la CJUE sont contraignants pour tous lestribunaux nationaux. On m’a reproché cette semaine en Pologne de ne le dire que pour la Pologne, mais je le dis clairement : ce principe est valable pour tous les Etats membres », atelle répondu au même quotidien qui l’interrogeait sur l’arrêt allemand.
Coup dur pour les opposantsLa décision de la Cour allemande constitue un coup dur pour les opposants aux réformes judiciaires en Pologne. « C’est pour nous un signal très inquiétant en provenanced’Allemagne, souligne Krystian Markiewicz, président de l’association des juges polonais Iustitia, qui a été en première ligne de la lutte contre les réformes gouvernementales. Nous continuerons à défendre la position que le droit de l’UE est bafoué en Pologne, ce que la Cour de Luxembourg a plusieursfois confirmé. » Pour M. Markiewicz, il existe un risque que le Tribunal constitutionnel polonais, qui est actuellement « souscontrôle total et aux ordres de la majorité », puisse vouloir s’opposer à la CJUE au sujet des normes en matière d’Etat de droit.
Contrairement à la Pologne, laHongrie de Viktor Orban a, elle,jusqu’ici appliqué sans discuter lesdécisions de Luxembourg. Mais la décision de Karlsruhe montre « qu’il appartient aux Etats membres de rejeter ou d’annuler les décisions d’organes de l’UE interférant dans leur souveraineté », se réjouit Miklos Szantho, directeur du très progouvernemental Centre pour les droits fondamentaux de Budapest et président de la fondation qui détient tous les médias propouvoir en Hongrie. « Cela peut être un outil puissant contre les forces politiques et judiciaires qui essayent d’élargir le champ du droit européen et d’établir un superEtat fédéral » face « à la ligne souverainiste qui découle de la formulation originelle des traités », estimetil.
Le ton est totalement différentau Conseil supérieur de la magistrature, un organe indépendant qui conteste plusieurs réformes deM. Orban devant la Cour de Luxembourg. « La Cour constitutionnelle hongroise, constituée de gens nommés par le gouvernement, pourrait dire la même chose que Karlsruhe », craint Viktor Vadasz, son porteparole. Or les réformes judiciaires polonaises et hongroises ont été la plupart du temps retoquées par la CJUE, au nom d’une vision assez extensive des traités européens, à l’image de son jugement sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne critiqué par la Cour allemande. Pour M. Vadasz, il faut sortir de ce risque juridique « en élaborant une directive qui définit précisément ce que doit être l’indépendance de la justice dans les Etats membres ». En clair, en faisant de l’Etat de droit une véritablecompétence européenne.
jeanbaptiste chastandet jakub iwaniuk
LA COUREST RÉGULIÈREMENT PLÉBISCITÉE DANS
LES SONDAGES COMME L’INSTITUTION LA PLUS
RESPECTÉE DU PAYS
« ON NE MESURE PASLA LÉGITIMITÉ QU’ONT,
AUX YEUX DES ALLEMANDS,LES DÉCISIONS PRISES
À KARLSRUHE »YOAN VILAIN
maître de conférences à l’université Humboldt, à Berlin
« C’est pour nousun signal très inquiétant en provenance
d’Allemagne »KRYSTIAN MARKIEWICZ
président de l’Association desjuges polonais Iustitia
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22 |carnet MARDI 12 MAI 20200123
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BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES▶ JeanClaude Juncker,président de la Commission européenne,et Boris Johnson,premierministrebritannique, ont annoncé, à Bruxelles,jeudi 17octobre, avoirconclu un accord surla sortie du Royaume
1ÉDITORIALAMER COMPROMISPOUR L’EUROPE
la décision en juin 2016 desla sortie du RoyaumeUni de l’UE▶ Approuvé par lesVingtSept, le textedoit encore être validé, samedi, par unParlement britannique qui resteextrêmement divisé
Britanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, acquise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmodalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avait été vendu aux électeurs.Mais, face à lamenace
DIMANCHE 27 - LUNDI 28 OCTOBRE 201975E ANNÉE– NO23264
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L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ
Chômage: l’espoir d’une amélioration durable▶ Au troisième trimestre,le nombre de demandeursd’emploi sans aucune activité a diminué de 0,4%,selon les chiffres publiésvendredi 25octobre
▶ Le reflux du nombrede chômeurs se confirmedoucement. Il s’agitdu quatrième trimestrede baisse. Sur un an, ladécrue est nette, à – 2,4%
▶ Ces résultats font écho àla bonne santé dumarchédu travail. Jeudi, le réseaudes Urssaf a fait étatd’une «augmentationsoutenue» des CDI
▶ Lamontée en régime duplan gouvernemental deformation contribue aussià cette baisse, encore fragile dans une conjonctureinternationale incertaine
▶ L’exécutif et samajoritéjugent atteignablel’objectif d’un taux dechômage ramené à 7%à la fin du quinquennatPAGE 10
CHILI AUX SOURCESDE LA COLÈRE▶ Lemouvement de contestation quidénonce les inégalités sociales a connu unemobilisation historique à Santiago vendrediPAGE 4
Géopolitique Le rêve briséd’autonomie des Kurdes
TURQUIE
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▶ L’offensive turquedans le NordEst syrienmarque un coup d’arrêtau projet politique dupeuple apatridePAGES 16 À 19
Lubrizol Corse
IRAK
SYRIE
1 ÉDITORIAL
ÉTERNELS LAISSÉSPOURCOMPTEPAGE 30
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de 500 journalistes partout dans le monde
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Anniversaire de décès
Le président de l’université de Strasbourg,
Le directeur de l’institut du travail de Strasbourg,
Le doyen de la faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
François BABINET,ancien professeurd’histoire du droit,
François Babinet est entré à l’institut du travail en 1957. Il en fut directeur de 1975 à 1983. Il a consolidé l’institut et l’a intégré encore davantage dans l’université. Nous garderons tous à l’esprit sa détermination sans faille et son ouverture d’esprit. Il fut ensuite doyen de la faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg (1985-1990). Son décanat manifesta son engagement pour la faculté. Il termina sa carrière à l’université d’Orléans où il exerça de nombreuses responsabilités.
Tous ses collègues et anciens
élèves de l’université de Strasbourg présentent leurs plus sincères condoléances à son épouse, Michèle ainsi qu’à toute sa famille.
Villefranche-sur-Mer.
Le docteur Patrice Boquet,son mari,
Bertrand et Vincent,ses fils,
Noémie et Carl,ses petits-enfants,
Chantal et Ghislaine,ses sœurs, ont la douleur d’annoncer le décès de
Geneviève BOQUET,née BOURBEAU,
survenu le dimanche 3 mai 2020,dans sa quatre-vingt-deuxième année.
« Elle était si jolieje ne peux l’oublier. »Alain Barrière, 1963.
Villa des Roses,06230 Villefranche-sur-Mer.16, rue Linné,75005 Paris.Route du Port,56370 Le Logeo. [email protected]
Louis-Patrice, Hervé, et Vincent,ses enfantset leurs conjoints,
Ses huit petits-enfantset leurs conjoints
Et ses cinq arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Françoise BUGEAT,née OGEE,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Elle sera inhumée dans la stricte intimité, le 13 mai à Donzenac (Corrèze), aux côtés de son époux,
Lucien.
Mme Nicole Cherchi,son épouse,
Catherine et Agnès,ses filles,
Louis,son gendre,
Nicolas,son petit-fils,
Pierre Cherchi,son neveu,
Ses neveux et nièces, ont la tristesse de faire part du décès de
M. Lucien CHERCHI,ENS Saint-Cloud 1946,
professeur éméritede l’université de Bourgogne,
survenu le 2 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quinzième année.
Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale.
Magdeleine Cocrelle,son épouse,
Fabienne et Florence Cocrelle,ses filles,
Gérard Hovakimian,son gendre,
Timothée et Chloé Hovakimian,ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès de
Gérard COCRELLE,ENA promotion « 18 juin »,
chevalierde la Légion d’honneur,
officierdans l’ordre national du Mérite,
survenu à Paris, des suites du Covid-19, le 23 avril 2020, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Un service religieux a été célébré en l’église Saint-François-Xavier, à Paris 7e et les obsèques ont eu lieu dans l’intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Cocrelle,5, rue Albert de Lapparent,75007 Paris.
Cyrille Zeldine,Nathalie Zeldine,
ses enfants, font part du rappel à Dieu, le 27 avril 2020, dans sa soixante-dix-huitième année, de
Mme Laurence GAUDIBERT,anciennement ZELDINE.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le jeudi 14 mai, à 10 h 30, en l’église Notre-Dame de Versailles.
L’inhumation aura lieu dans la
sépulture familiale, au cimetière de Lézigneux (Loire).
Lyon.
Camille et Sophie,Victor et Alice,
ses enfants,Claire,
sa petite-fille, ont la tristesse d’annoncer le décès de
Mme Elisabeth GENTY.
Une cérémonie d’hommage aura lieu quand les conditions le permettront.
Ni fleurs ni couronnes, mais une donation à l’association « échanges Birmanie ».
PF Chaboud,Tél. : 04 78 29 87 17.
Michèle Goubet, née Réal,son épouse,
Philippe et Nathalie Goubet,Sophie Migairou et Cyril Maury,
ses enfants et leurs conjoints,Pierre, Elisa, Etienne, Marion et
Clara,ses petits-enfants,
Maryse Dubo,sa sœur, ont la grande tristesse d’annoncer le décès de
Michel GOUBET,agrégé d’histoire,ancien professeur
au lycée Pierre de Fermatde Toulouse,
survenu le 6 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quatrième année.
Villaines-en-Duesmois. Christine Graffin,
son épouse,Juliette, Ambroise, Clémence,
Matthieu et Camille,ses enfants,
Jeanne, Lou, Gustavo, Gabriel, Jonas, Marco, Marius, Rita, Georges et Lisa,ses petits-enfants,
Brigitte, Cécile et Roselyne,ses sœurs, ont la tristesse de faire part du décès de
Philippe GRAFFIN, survenu le 5 mai 2020.
Toute sa tribu lui souhaite un bon voyage.
Lyon. Le docteur Jean-Matthieu Jaboulay,
son fils,Me Louis Jaboulay-Helfre,
son petit-fils, ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Madeleine LaureJABOULAY,
survenu à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Compte tenu des restrictions sanitaires, ses obsèques auront lieu dans l’intimité familiale.
Ses enfants,Ses petits-enfantsEt l’ensemble de la famille,
ont l’immense tristesse de faire part du décès de
Marcel KURZ,géomètre honoraire
de l’Institut géographique national,
survenu le 24 avril 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.
Compte tenu de la situation sanitaire, ses obsèques se dérouleront dans la plus stricte intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Aix. Tanger. Abidjan. Saint-Jo. Bonifacio.
Ahmed TRIQUI,né le 13 septembre 1953,
à Oujda (Maroc).
Fidèle lecteur du Monde, tu nous as quittés le 11 mai 2019.
Tu nous manques Frérot !
La famille de
M. Jean LE DÛ,professeur émérite
de breton et de celtique,Centre de recherches
bretonnes et celtiques,université de Bretagne occidentale,
a la douleur d’annoncer son décès le 6 mai 2020, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
Un hommage civil lui sera rendu après la levée des restrictions de mouvement.
Rémy et Luz Morizet,Bernard et Imogen Morizet,Catherine Morizet,François et Florence Morizet,
ses enfants,Ses neuf petits-enfants
et leurs conjoints,Ses trois arrière-petits-enfantsEt toute la famille,
ont l’immense tristesse de faire part du décès de
Jacques MORIZET,ambassadeur de France,
commandeurde la Légion d’honneur,
commandeurde l’ordre national du Mérite,
croix de guerre 1939-1945,médaille des évadés,
croix du combattant volontaire1939-1945,
survenu à Paris, le 29 avril 2020, à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.
L’inhumation a eu lieu le jeudi 7 mai, à Saint-Colomb-de-Lauzun (Lot-et-Garonne), dans l’intimité familiale.
Une cérémonie religieuse sera
célébrée ultérieurement en sa mémoire.
Monique Shearer, son épouse,
Alexandre et Katia, Emmanuel,ses enfants,
Victor, Faustine, Alice, Pierre, Pénélope,ses petits-enfants
Ainsi que XénaEt toute sa famille de France
et de Nouvelle-Zélande, ont la très grande tristesse de faire part du décès de
David SHEARER, survenu à Paris, le 7 mai 2020,à l’âge de soixante-treize ans.
La crémation aura lieu dans l’intimité familiale, le 18 mai.
Une cérémonie sera organisée dès
que les circonstances le permettront.
La famille remercie très chaleureusement le docteur Gueugneau qui l’a accompagné tout au long de sa maladie ainsi que le docteur Angelergues et le personnel du service oncologie de l’hôpital de la Croix-Saint-Simon.
Raoul Sicsic,son époux,
Pierre et Elisabeth Sicsic-Kremp,son fils et sa belle-fille,
Paul, Aude et Christophe, Hélène,ses petits-enfants,
Julia,son arrière-petite-fille,
Les familles Guillaumou, Scherrer, Darmon, Sicsic, Drighes, Kremp, Houchard, ont la grande tristesse de faire part du décès de
Annie SICSIC,née GUILLAUMOU,
pharmacienne, survenu le 7 mai 2020,dans sa quatre-vingt-douzième année.
Les obsèques auront lieu dans l’intimité familiale et elle reposera à Rieux-Minervois (Aude).
200, boulevard Malesherbes,75017 Paris.
Remerciements
La Fondation AGESrend hommage
à ses généreux donateurs.
En désignant notre fondation,reconnue d’utilité publique,
comme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne des personnes
âgées dépendantes, souvent isolées et vulnérables, et à soutenir
leurs aidants à domicile et en ehpad.Leur mémoire restera à jamais
ancrée dans nos souvenirs.Nous ne les oublierons jamais.
Fondation AGES75, allée Gluck - BP 2147
68060 Mulhouse Cedex.www.fondation-ages.org/
Communication diverse
La Fédération des Aveuglesde France
rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.
En désignant notre association
comme bénéficiairede leur patrimoine,
ils contribuent à améliorerla vie quotidienne
des personnes aveugleset malvoyantes.
Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.
Nous ne les oublierons jamais.
Fédération des Aveuglesde France,
6, rue Gager Gabillot,75015 Paris.
Tél. : 01 44 42 91 91.
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0123MARDI 12 MAI 2020 horizons | 23
Grippe de Hongkong, la pandémie oubliéeEntre 1968 et 1970, une épidémie partie d’Asie frappe une partie de la planète. En France, elle fait plus de 30 000 morts. Cet épisode, très peu médiatisé, n’a pas marqué les mémoires
D es patients qui arrivent àl’hôpital déjà cyanosés, crachant une mousse sanguinolente. Des malades sinombreux que les lits nesuffisent plus. Des gens
atteints d’œdème pulmonaire aigu, dontl’état se dégrade à toute vitesse et que l’on intube à même les couloirs. Des cadavresrelégués à la hâte dans une pièce en longueur, au fond des locaux de réanimation. Des corps, enfin, qui s’entassent sur des civières, si vite que les services mortuaires ne peuvent les évacuer au fur et à mesure. Et, au milieu de tout cela, des soignants sans gants,sans masques, sauf pour les gestes invasifs.
Ce tableau terrifiant renvoietil à l’épidémiede Covid19 ? Au scénario d’un film catastrophe ? Non. L’homme qui évoque tout cela, Pierre Dellamonica, est un professeur d’infectiologie à la retraite. Il a luimême vécu ces scènes du temps où il était externe à l’hôpital EdouardHerriot de Lyon, durant l’hiver 19691970. C’est là, dans le secteur de réanimation médicale des urgences, pavillon P, qu’il a vu lesravages causés par la pandémie connue sous le nom de « grippe de Hongkong ».
Derrière cette appellation exotique se cache un virus né en Asie, dont les premiers effets se sont fait sentir dans l’ancienne colonie britannique. De type H3N2, cette grippe asillonné la planète entre 1968 et début 1970,laissant dans son sillage au moins 1 millionde morts. Or, en France, où elle a tout de même tué entre 30 000 et 35 000 personnesen deux mois (dont 25 000 en décembre 1969), l’épidémie est très rapidementtombée dans un oubli stupéfiant, y comprischez les médecins. Curieuse amnésie, sourced’un léger vertige : remonter vers cette époque, pourtant pas si lointaine, donnel’impression de changer de monde, commesi la perception de la maladie, de la mort etdu risque en général avait profondémentmuté en un demisiècle.
Même face au coronavirus actuel, il a falluquelque temps pour voir émerger du passé cequi fut la dernière pandémie grippale duXXe siècle. Les regards se sont d’abord tournés vers une histoire bien plus éloignée poury chercher points d’appui ou matière à penser. On a ainsi évoqué la peste noire, du XIVe
au XVIIIe siècle, ou encore la grippe dite« espagnole », en 1918. Mais sur celle de Hongkong, curieusement, presque rien. Sans unexcellent article de Corinne Bensimon, paru dans Libération en décembre 2005 et republié en mars de cette année, qui s’en seraitsouvenu en dehors des savants ? La mémoirede cette pandémie remontant à la fin des années 1960 s’est si bien perdue qu’il a fallu attendre l’apparition du SRAS, en 2003, pour que deux chercheurs, Antoine Flahault et AlainJacques Valleron, fassent le compte desvictimes françaises grâce aux fichiers demortalité conservés par l’Inserm.
Sujet de malentendusContrairement à celle de 1918, cette grippelà préférait les personnes âgées. « 90 % desdécès concernaient des personnes de plus de 65 ans », détaille Antoine Flahault, professeurde santé publique à Genève. La France de1969 étant bien plus jeune que celle de 2020, on peut imaginer ce qu’aurait donné cetteépidémie avec une pyramide des âges semblable à la nôtre. « Mathématiquement, il y aurait eu deux à trois fois plus de morts », estime le professeur Joël Coste, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études.
Les statistiques montrent aussi que le virusa touché le pays en deux fois. Après un premier tour de piste sans grandes conséquences, durant l’hiver 19681969, il repasse violemment à l’attaque l’hiver suivant. Entretemps, il a sans doute connu un glissement antigénique, autrement dit une modification de sa structure. D’abord convaincus qu’ils ont affaire à un virus H2N2, les chercheurs ont aussi mis du temps à comprendrequ’il s’agissait en fait d’un H3N2, virus encoreinconnu. Quoi qu’il en soit, Pasteur et Mérieux, principaux fabricants français de vaccins, n’ont pas jugé bon d’inclure la souche de Hongkong dans leurs vaccins. Au boutdu compte, ceuxci ne serviront donc pas à grandchose. Ce qui n’empêche pas les Lyonnais de se ruer vers les sérums en décembre 1969. « Les étudiants en médecine ont étéréquisitionnés pour vacciner en plein air, sesouvient le professeur Dellamonica. Les gens faisaient la queue devant des tables installées rue Pasteur, une artère du quartier des facultés, fermée à la circulation pour l’occasion. »
Pendant ce temps, la grippe engendre unebelle pagaille. Le 17 décembre 1969, une note
au directeur général de la santé informe, par exemple, que le département du Tarn, très touché, enregistre 25 % de malades dans les familles, 30 % d’absents dans les écoles, 20 % dans les administrations, 17 % dans l’industrie, 18 % dans les autres secteurs d’activité. Une semaine plus tôt, un article de FranceSoirindiquait que 15 % des cheminots étaient malades. Rien de tout cela, pourtant, n’est prisau sérieux par la presse. La plupart du temps, celleci se contente d’entrefilets anodins, de conseils pratiques ou de billets rigolards. « L’épidémie de grippe qui s’étend, comme chaque année, sur l’Europe n’est ni grave ni nouvelle », liton dans Le Monde du 18 décembre 1969. Quinze jours plus tard, dans son édition de la SaintSylvestre, le journal se moque de l’Angleterre, très atteinte, en décrivant une contrée où tout semble partir en quenouille,même les boîtes de striptease.
Il faut dire qu’à l’époque, personne neconnaît le nombre de victimes. « En 1968, les registres de l’Inserm mettaient deux ans avantde produire les statistiques sur les causes de décès », note Antoine Flahault. Du reste,même si ces morts avaient été comptabilisées plus vite, combien auraient été attribuées à la grippe ? « On était moins pointilleux », assure Pierre Dellamonica. De nos jours encore, les certificats de décès ne portent pas toujours la mention « grippe », loin de là, rappelle M. Flahault : « La grippe saisonnière fait en moyenne 6 000 morts. Or, sur ce nombre, seuls 430 certificats porteront la mention de cette pathologie. » Pour tous les autres, la grippe aura sans doute été une cause de décès, mais pas suffisamment directe pour figurer sur les documents.
« On ne disposait d’aucun outil de surveillance épidémique en temps réel », insiste Antoine Flahault. A l’époque, l’Organisation mondiale de la santé s’appuie bien sur un
réseau d’observation de la grippe mis en place dès sa création, en 1947, mais, à l’échellenationale, la myopie le dispute au désordre.Même la « grippe asiatique » de 19571958,pourtant ravageuse avec ses 30 000 morts dans l’Hexagone et ses 2 millions à travers le monde, n’avait pas suscité la création d’unsystème de veille sanitaire spécifique.
Pionnier du vaccin antigrippal français etprofesseur à l’Institut Pasteur, dont il a été le « M. Grippe » jusqu’en 1995, Claude Hannoun raconte avoir longtemps fonctionné avec, en tout et pour tout, un petit groupe de douze généralistes chargés de lui envoyer des prélèvements. C’est lui qui, dans les années suivantla crise de 19691970, mettra en place la première unité « grippe » de l’Institut Pasteur, puis participera à l’organisation d’un dispositif moderne de vigilance et d’alerte.
Le virus de Hongkong, il s’en souvient bienpour l’avoir luimême contracté lors d’un colloque international à Téhéran, en septembre 1968. « Sur 900 congressistes, 70 % sonttombés malades et, bien sûr, le colloque atourné en capilotade. Ce sont probablement des Japonais qui avaient apporté la grippe aveceux. » L’hiver suivant, l’épidémie sévira aux EtatsUnis, mais guère en Europe, du moins dans un premier temps. Comment se faitil que les scientifiques européens n’aient pas, à leur retour d’Iran, disséminé le mal en rentrant chez eux ? Impossible de le savoir. Le virus grippal est un animal sauvage, imprévisible, mais qui « rate plus souvent son coup qu’il ne le réussit », précise le professeur Hannoun.
Un an plus tard, malheureusement, le virusarrive à ses fins. Or l’Etat n’entreprend rien pour freiner l’épidémie. S’il s’était agi de lapeste, on aurait sans doute agi autrement,mais la grippe, quelle importance ? Contrairement à d’autres, cette pathologie ne véhicule pas de peurs ni de répulsions particulières. « En 1918, on a rapporté à la grippe espagnole des morts de la tuberculose, considéréecomme une maladie honteuse », explique Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique. Le mot luimême est un sujet de malentendus. L’influenza, autre nom de la grippe, qui a donné le terme anglais flu, vientd’un vocable italien de la Renaissance, quidésignait la mode. La grippe, c’est donc ce quetout le monde attrape.
Dès lors, constate Claude Hannoun, « lesgrandes épidémies de grippe ont tendance àêtre vite oubliées. Même celle de 1918, alors que pratiquement toutes les familles étaient
touchées ». Aujourd’hui encore, « au moindre rhume, on parle de grippe », remarque Norbert Gualde, professeur d’immunologie à BordeauxII. Les analogies faites par certains entre le Covid19 et une « grippette », au débutde l’épidémie actuelle, confirment que cette banalisation a la vie dure. Mais, en 1968, c’était pire. « Beaucoup de gens considéraient alors qu’il était presque normal de mourir decette maladie », observe Claude Hannoun. Il faut dire qu’à la fin des années 1960, les accidents de la route et le tabac faisaient un carnage, eux aussi, sans que la population s’en émeuve outre mesure. La santé publiquen’est alors pas un vrai sujet, ou pas tout à fait.
A la charnière de deux mondesVue en perspective, la grippe de Hongkongse situe donc à la charnière entre deux mondes. L’un, façonné par les catastrophes, et notamment la guerre, qui relativisait la perception du risque. L’autre, déjà entré dansune modernité où les progrès scientifiquesfiniront par rendre la mort de moins enmoins tolérable. En 1969, les premières unités de réanimation médicale ont ainsi fait leur apparition depuis seulement quinze ans. « Même s’ils n’étaient pas aussi perfectionnés que ceux de maintenant, nous avionsdéjà des respirateurs de marque Engström »,rappelle Pierre Dellamonica. Autrement dit,des appareils mis au point en 1952, desquelssont dérivés les respirateurs utilisés de nosjours pour lutter contre le Covid19. Enfin,une partie des maladies graves avaient été vaincues, note l’anthropologue Frédéric Keck : « On s’était débarrassés de la tuberculose, de la variole, de la rage et on commençait à maîtriser le vaccin contre la rougeole.Les maladies infectieuses semblaient alors un fléau réservé au tiersmonde. »
D’après ce chercheur, il faut attendre letournant des années 1980 pour que cette pathologie ne soit plus considérée comme un mal bénin. « La révolution néolibérale,née dans ces annéeslà, suppose que les genstravaillent tout le temps. Or, même dans son étymologie, la grippe est ce qui arrête un système. Avec la grève, elles ont des fonctions semblables, l’une naturelle et l’autre sociale : elles paralysent l’économie. » Depuis ce fameux hiver 19691970, on avait fini par croire que plus aucune pandémie n’entraverait jamais l’économie. C’était compter sansle Covid19, qui, lui, s’offre le luxe de gripperle monde entier.
raphaëlle rérolle
Au Sir Alfred Jones Memorial Hospital, à Garston, dans la banlieue de Liverpool, en décembre 1969. MIRRORPIX/LEEMAGE
« BEAUCOUP DE GENS
CONSIDÉRAIENT ALORS QU’IL ÉTAIT PRESQUE NORMAL
DE MOURIR DE CETTE MALADIE »
CLAUDE HANNOUNprofesseur
à l’Institut Pasteur
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24 |culture MARDI 12 MAI 20200123
La réouverture des musées, problème de tailleSeuls autorisés à rouvrir le 11 mai, les « petits » établissements mettent en place des mesures de protection sanitaire
D ans une circulaire auxpréfets du mercredi6 mai, le premier ministre a précisé les con
ditions du déconfinement. Pour ce qui concerne les musées, ils pourront rouvrir à partir du11 mai, du moins les « petits musées », c’estàdire « des lieux à rayonnement local », dont les préfets doivent arrêter la liste en liaison avec les collectivités et les directions régionales des affaires culturelles. Doit être également examinée la possibilité de mettre en place un système de réservation obligatoire. Des musées, oui, mais sur rendezvous. « Demeureront fermés (…) les grands muséeset lieux patrimoniaux » qui peuvent entraîner des déplacements importants du public.
Edouard Philippe maintientdonc sa distinction vague entre petits et grands musées, comme le Louvre (10 millions de visiteurs annuels) ou le Centre Pompidou, où on étudie « de nouveaux dispositifs d’accueil et de médiationadaptés alliant un système de jauge réduite, la réservation de créneaux horaires et l’aménagement des espaces permettant d’optimiser et de fluidifier la circulation des flux ». Ce dernier point semblantplus important, au fond, que la surface du bâtiment en mètres carrés : il s’agit de pouvoir s’y déplacer sans se croiser, et en respectant des distances de sécurité. Un grand musée, ou un petit qui ne serait doté que d’un seul escalier, paraissent devoir être éliminés.
Le Petit Palais, à ParisC’est ce que confirme une note d’AnneSolène Rolland, directrice du service des musées de France, qui précise qu’« il n’existe aucun critère pour définir un petit musée : la seule question est celle de l’autorisation locale de déconfinement. Siles autorités sanitaires estiment que la situation locale est sous contrôle, si le département dans lequel vous vous situez est en “zone verte”, alors un dialogue sera entamé entre l’Etat déconcentré et les tutelles pour voir ce qui peut rouvrirou non, dans un souci de ne rouvrir que des structures dont le public estlocal et ne se déplace pas de loin ou en transports, et de n’ouvrir que des structures qui peuvent mettre en œuvre des mesures barrières et protéger visiteurs et agents. »
Christophe Leribault dirige le Petit Palais (mais grand musée, avec 1 million de visiteurs par an) et va profiter du déconfinement, le 11 mai, pour mettre son établissement « en ordre de bataille » sans trop savoir quand il ouvrira : « Tout
d’abord, préparer en amont l’accueil progressif du personnel, qui sera nécessaire pour envisager notre réouverture ensuite au public ; préparer les réaménagements des accueils et comptoirs du public, soncheminement, gérer les jauges autorisées, boucler aussi les finitions de l’exposition “La Force du dessin, chefsd’œuvre de la collection Prat” que l’on a hâte de pouvoirmontrer enfin – les dessins étant aux murs depuis la mimars ! »
La Ville de Paris a annoncé son intention de rouvrir ceux des musées dont elle a la charge et qui peuvent l’être, dès le 16 juin. Le Petit Palais en fait partie, comme le MuséeBourdelle, le Musée de la Libération de ParisMusée du généralLeclercMusée JeanMoulin, le Muséede la Vie romantique, la Maison de Balzac, le Musée Cernuschi et les Catacombes. Le Musée d’art moderne de Paris et le Musée CognacqJay devraient ouvrir en juillet. La Fondation Giacometti annonce son ouverture le 15 mai
avec la prolongation de l’exposition « A la recherche des œuvres disparues » et une « résidence d’artiste » avec Douglas Gordon. A la Fondation Cartier, le directeur, Hervé Chandès, est plus prudent : « Le 11 mai, nous remettrons simplement en route les équipes, mais toujours avec une bonne partie en télétravail, pour préparer la réouverture au public que nous souhaitons dès que possible, dans les meilleuresconditions d’accueil des publics et du personnel sur site. » Si la question de l’ouverture ne se pose pas au centre d’art du Jeu de paume, à
Paris, en raison de travaux, son directeur, Quentin Bajac, espère pouvoir ouvrir son antenne au châteaude Tours, sachant que « c’est la mairie qui prendra cette décision ». Au BAL, centre d’art spécialisé dans l’image dans le 18e arrondissement, la directrice, Diane Dufour, explique les défis que pose la réouverture, malgré son espace réduit : « Nous avons prévu d’ouvrir seulement le 1er juillet. Car réorganiser lacirculation est compliqué dans notre lieu, qui comprend une librairie et un restaurant, qui lui doit rester fermé. Le principe du BAL c’est d’êtreune maison, rouvrir un morceau sans l’autre est un problème. »
Finalement, le 11 mai, on peine àtrouver un musée ouvert dans la capitale, à part… le musée de l’Illusion, espace ludique plein de cassetêtes visuels, accessible sur réservation.
JeanLouis Andral, directeur duMusée Picasso d’Antibes, pourrait considérer qu’il a un « petit musée » : pour des raisons de sécurité,
sa jauge en temps « T » est limitéeà 219 personnes à la fois. Néanmoins, il vise plutôt une réouverture en juin : « Il nous faut ce délai pour nous équiper correctement. Il est par exemple impossible en ce moment de trouver le Plexiglas nécessaire à la protection des agents au guichet. Nous devons également établir un marquage au sol, pour matérialiser les distances de sécurité. Après quoi, nous organiserons une circulation pour que les visiteurs ne se croisent pas, et le port du masque sera obligatoire. »
Réduire la jaugeAnnabelle Ténèze, directrice du FRACMusée des Abattoirs, à Toulouse, se dit prête à baisser la jauge« si cela nous permet d’ouvrir dans de bonnes conditions sanitaires ». A Colmar, le Musée Unterlinden est aussi prêt à la réduire, en n’admettant qu’une centaine de visiteurs à la fois et contraints à un plan de circulation imposé, si cela est nécessaire à une réouverture.
Pour ses 75 ans, Keith Jarrett offre un solo inéditLe titre, « Answer Me, My Love », joué en rappel à Budapest, en 2016, a été mis en ligne par le label du légendaire pianiste américain
MUSIQUE
K eith Jarrett, pianiste, compositeur, multiinstrumentiste, né à Allentown
(Pennsylvanie) le 8 mai 1945, vientde fêter ses 75 ans. Pour l’occasion,le label ECM, dirigé par Manfred Eicher, publie en ligne un inédit au piano solo. Il s’agit d’un rappel,en fin de récital à Budapest, le 4 juillet 2016 : Answer Me, My Love… A vos machines ! Inutile de préciser que votre très peu geek serviteur a fait sauter plusieurs fois la sienne, le grillepain, plusle secteur du NordEst parisien, sans pouvoir dénicher ces 4 minutes 29 de bonheur.
Par chance, le 8 mai, FranceMusique les a diffusées au cours d’une journée fleuve : quatre heu
res trente consacrées au « Jarrettclassique », à l’« essentiel », au « lyrique », plus deux concerts en solo(Japon, novembre 1976). Mirabellesur le pudding : les 9 et 10 mai, le producteur Jérôme Badini (« Les Légendes du jazz ») déniche un récital inédit dans les archives de l’INA (JuanlesPins, le25 juillet 1979). A vos podcasts !
Pour mémoire : Keith Jarrettprend sa première leçon de pianoà 3 ans. Premier concert à 7. La légende est lancée. Plus tard, iljoue avec Roland Kirk, les Jazz Messengers d’Art Blakey, CharlesLloyd… Détestant se répéter, infatigable, abondant, il dessine en diverses configurations (avecCharlie Haden, Jan Garbarek,Dewey Redman…) une avantgarde qui vous cloue ou clive.
Plus ces récitals de pure solitudeà trois : lui, le piano, le public…
Premier solo publié, Facing You(ECM, 1972). Un an plus tard, Solo concerts : Bremen/Lausanne (coffret ECM, 1973, les préférés). Dans sa monographie (Keith Jarrett, Actes Sud, 2019), JeanPierre Jackson recense tous les albums publiés en solo par l’ange du bizarre (p. 100101). Imprenable sur la discographie, il reste rare sur l’acte, l’engagement physique, la scène.
Rêve éveillé et fulgurancesExercice spirituel autant qu’athlétique, saut dans l’inconnu, le soloest, pour Keith Jarrett, son terrain de grand jeu. Surprise : le Köln Concert (ECM, 1975) est l’un des disques, toutes catégories, les plusvendus de tous les temps. Tel un
archéologue d’opérette, on n’a rien à dire des envoûtés du prophète ; encore moins des méchants qui tiennent ce joyau pour quelque musique de salle d’attente chez le dentiste. Dieu sait pourtant s’il a connu des claviersqui eussent eu besoin d’un (bon) dentiste… Notamment celui du Caméléon (Paris 6e), dont il dynamitait les nuits, en 1969, avec AldoRomano et JeanFrançois « J.F. » JennyClark. Brève pensée pour ces trois touristes qui se sont trouvées là, la nuit où Keith n’a pas lâché la batterie – Aldo avait un gigplus loin –, avec J.F. et Gus Nemethaux contrebasses…
La gloire et Manfred Eicher venus, il se fait exigeant. Normal. On le prend pour chichiteux, diva bonne pour le divan. Pour l’avoir
entendu en scène près de 207 fois depuis 1966 (avec Charles Lloyd à JuanlesPins, grand choc), onn’en revient toujours pas. Dès qu’on l’a vu en solo à New York (1973) et Antibes (1974), on a su.Pur amour de la musique, engagement total, corpsesprit, rêveéveillé, passages à vide, fulgurances, magie psychique…
Depuis le blues, le ragtime et lestride, jusqu’à demain matin, le piano solo est un monde parallèle… D’Earl Hines (1928) à MartialSolal, en passant par Duke Ellington, Mary Lou Williams, George Shearing, Thelonious Monk, Irène Schweizer, Dollar Brand ou Cecil Taylor, drôle d’aventure… Aujourd’hui, les nouveaux venus commencent par là. Ce n’est pas forcément une bonne idée…
Antoine Hervé, compositeur,pianiste, inégalable donneur de « Leçons de jazz », tient Jarrett pour« le Liszt du XXIe siècle ». Ajoutons Chopin. Inconnue de l’équation : le séminariste arménien Georges Gurdjieff, compositeur, mystique à mitemps, téméraire meneur d’âmes. Oui, celuilà même qui colorait – ce qui lui vaudra pas mal d’ennuis – les petits moineaux à l’aniline… Keith Jarrett (grand lecteur de philosophie, d’ésotérisme, de sciencefiction et de littérature scientifique) a enregistré ses Hymnes sacrés en 1980. Ceci fera l’objet du 80e anniversaire.
francis marmande
Answer Me, My Love, par Keith Jarrett, à écouter sur toutes les platesformes musicales.
Au Musée de l’illusion, on met en place les autocollants des mesures barrières à respecter en vue de la réouverture. Paris, le 7 mai. RAFAEL YAGHOBZADEH
« Il n’existeaucun critère pour définir
un petit musée »ANNE-SOLÈNE ROLLANDdirectrice du service des
musées de France
D’autres pensent être dans lesclous et ont annoncé leur ouverture prochaine. C’est le cas du Musée du Hiéron, à ParayleMonial (SaôneetLoire), dès le 13 mai. AReims, les champagnes Pommery, qui organisent des expositions d’art contemporain dans leurs caves, ouvriront dès le 11. Dans la même ville, le Musée municipal de SaintRémi ouvrirale 25. A Rodez, le Musée Soulages annonce sa réouverture le 21 mai.
A titre de comparaison, l’Allemagne a rouvert ses musées le 4 mai, la Suisse le fera le 12, l’Italie et la Belgique le 18, avec des dispositifs de sécurité et un système de préréservation limité aux visiteurs individuels et aux familles. Les Français pourront toujours se consoleren visitant les galeries d’art puisqu’elles font partie des commerces, qui rouvriront le 11 mai. Et contrairement à bien des musées, leur accès est gratuit.
harry bellet, claire guillotet emmanuelle jardonnet
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RÉALISÉE PAR ALAN POUL ET DAMIEN CHAZELLE LAURÉAT D’UN OSCAR®MUSIQUE DE GLEN BALLARD SCÉNARIO DE JACK THORNE
UNE MINI-SÉRIE NETFLIX
“ DAMIEN CHAZELLE LÀ OÙON NE L’ATTEND PAS ”
L’EXPRESS DIX
“ MAGNIFIQUEMENT FILMÉEET MISE ENMUSIQUE ”
LE FIGARO
“ CRU, INATTENDU, À REBOURS DES CLICHÉS ”L’EXPRESS DIX
DISPONIBLE DÈS MAINTENANT
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26 |télévision MARDI 12 MAI 20200123
HORIZONTALEMENT
I. Met la tête et le corps en mouve-ment. II. La Fontaine s’est approvi-sionné à sa source. Suivie au plus près. III. La chouette ou le hibou, mais pas l’effraie. Le premier dans notre grand découpage. IV. Supporte le cor, sans le supporter. Sur la portée. Ou-verture de gamme. V. Aide à la presse. Fait dans la complexité. VI. Sur place. Eaux des Pyrénées. VII. Remplacée par l’euro. Entraîne à diriger. A donc fait du tort. VIII. Monnaie romaine. Grande voie. Convient parfaitement. IX. Chants autour du feu. Suivre et ne pas discuter. X. N’a rien à cacher et ne veut rien cacher.
VERTICALEMENT
1. Nous sortira de la sinistrose am-biante. 2. Envoyer paître ailleurs. 3. Mise en couche collective. Jeune sortie. 4. Suit à distance. L’Irlande des poètes. 5. Même étrangère, elle est bien de chez nous. Bien arrivés. 6. Noire, chez Hergé. Un peu de sport. 7. Douillettement préparé. Refus au palais. 8. Pour une bonne fermeture. Homme politique suisse. 9. Fait tout à moitié. Entraîne vers la victoire. Dé-coration britannique. 10. Grecque. De Corfou ou de Leucade. 11. Tombe froidement. Rapproche solidement. 12. A elle de bien gérer la maison.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 110
HORIZONTALEMENT I. Radoucissant. II. Eventé. Pavie. III. Gin. Ils. Réel. IV. Rotulien. Usé. V. En. Hébreux. VI. Scat. Ages. Le. VII. Sal. Eté. Usât. VIII. Irait. Sertir. IX. Ogives. Spa. X. Non-existence.
VERTICALEMENT 1. Régression. 2. Avion-cargo. 3. Dent. Alain. 4. On. UHT. Ive. 5. Utile. Etex. 6. Célibat. Si. 7. Serges. 8. SP. Née. Est. 9. Sar. Usurpe. 10. Aveux. Stan. 11. Nies. Lai. 12. Télémétrie.
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GRILLE N° 20 - 111PAR PHILIPPE DUPUIS
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Tres facileCompletez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 a 9.
Chaque chiffre ne doit
etre utilise qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
carre de neuf cases.
N° 61MAI 2020
& CIVILISATIONS
CRASSUSL’HOMMELEPLUSRICHEDEROME
MOYENÂGELAPESTENOIRETRANSFORMELESMENTALITÉS
LINCOLNLE PRÉSIDENTPRÉFÉRÉ DESAMÉRICAINS
CHAQUEMOISUNPRÉSIDENT
L’AN 40QUAND TOUT SEMBLAIT PERDU
&CIVILISATIO
NS
Chaque mois,un voyage à traversle temps et les grandescivilisations à l’originede notre monde
CHEZ VOTREMARCHAND DE JOURNAUX
M A R D I 1 2 M A I
TF121.05 Harry Potter et l’ordre du PhénixFilm de David Yates. Avec Daniel Radcliffe, Emma Watson (RU-EU, 2007, 150 min).23.35 Les ExpertsSérie. Avec Ted Danson (EU, 2012).
France 221.05 Les pouvoirs extraordinaires du corps humainMagazine présenté par Michel Cymes et Jamy Gourmaud.23.30 Le Défi des transclassesDocumentaire de Jean-Louis Saporito (Fr., 2019, 60 min).
France 321.05 TandemSérie. Avec Astrid Veillon, Stéphane Blancafort (Fr., 2019).0.30 Mort à SarajevoFilm de Danis Tanovic. Avec Snezana Vidovic (Fr.-Bosnie, 2016, 85 min).
Canal+21.00 SibylFilm de Justine Triet. Avec Virginie Efira, Gaspard Ulliel (Fr., 2019, 100 min).22.40 AcusadaFilm de Gonzalo Tobal. Avec Lali Esposito, Gael Garcia Bernal (Mex., 2018, 110 min).
France 520.55 Effondrement ? Sauve qui peut le mondeDocumentaire d’Alfred de Montesquiou et Julien Blanc-Gras (Fr., 2020, 70 min).22.50 C dans l’airMagazine présenté par Caroline Roux.
Arte20.50 L’irrésistible ascension d’AmazonDocumentaire de David Carr Brown (All., 2018, 90 min).22.20 L’alcool, l’intoxication globaleDocumentaire d’Andreas Pichler (All., 2019, 90 min).
M621.05 Les Bodin’s : Grandeur nature en tournéeSpectacle enregistré à Nantes en avril 2019.23.50 Au cœur des Bodin’sDocumentaire d’Eric Le Roch (Fr., 2018, 70 min).
Sigmund Freud, le rêve, l’esprit et la lettreDavid Teboul réalise un portrait intime du père de la psychanalyse par le truchement de sa correspondance
ARTE.TVÀ LA DEMANDE
DOCUMENTAIRE
A u moment où Netflixmettait en ligne la série Freud, d’une vulgarité et d’un ridicule
consternants, Arte proposait la première diffusion d’un documentaire, Sigmund Freud, un juifsans Dieu (2019), de David Teboul, évoquant avec subtilité, intimitéet élégance visuelle la figure du« père de la psychanalyse ».
David Teboul n’est pas un documentariste, mais un cinéaste qui fait des documentaires : on ne trouve jamais dans ses films(longs et silencieux) de ces clichésdevenus l’ordinaire du genre : sommaire de début, scènes de docufiction et intervenants « sachants » s’adressant aux « apprenants » (pour reprendre un lexique récemment apparu).
Processus de libre associationSes deux premiers documentaires, consacrés au travail feutré et silencieux d’un grand couturier,Yves Saint Laurent, le temps retrouvé et Yves Saint Laurent, 5 avenue Marceau 75116 Paris (2002), donnaient le ton et le tempo qu’on retrouvera dans la plupart de ses contributions. Notammentdans le magnifique Bardot, la méprise (2013), sorte de mausolée
prémortem offert à l’actrice recluse et retorse qui prend l’allured’une nature morte avec personnage absent. Dans ce film, David Teboul parlait à la première personne, d’une voix lancinante, laissant Bulle Ogier incarner la plumede l’actrice dans ses Mémoires. Dans Bania (2005), le cinéaste filmait une scène coite et moite, celle de bains publics de l’URSS et
ses corps nus qu’on découvrait meurtris à travers la vapeur.
Il y eut aussi la rencontre avecSimone Veil. D’abord méfiante, celleci se laissa convaincre par l’angle d’approche – finalement signifiant – de son chignon (sic !), ainsi qu’en témoigne le cinéaste dans une tribune publiée dans Le Monde du 7 juillet 2017. On se souvient des images et des paroles ter
ribles prononcées dans Simone Veil, une histoire française (2004), mais aussi des bavardages rigolards, sur le lit de Simone, avec uneautre rescapée des camps, Marceline LoridanIvens, clope au bec. Plus tard, les propos de Simone Veil – et ceux de Marceline – serontrecueillis par David Teboul dans le poignant livre illustré L’Aube à Birkenau (Les Arènes, 2019).
Sigmund Freud… fait parler Freudet ses proches par le truchement de sa correspondance, lue par des acteurs connus – Mathieu Amalric(Freud), Isabelle Huppert (Anna, safille, qu’il psychanalysera), Catherine Deneuve (Marie Bonaparte, qui se considérait comme sa fille et sera sa traductrice en France) et Jeanne Balibar (Lou AndreasSalomé), etc. Avec le ton savamment neutre de Denis Podalydès en voixconductrice de ce contrepoint épistolier composé de missives parfois rares, voire inédites en français.
Ainsi, la vraie vie rêvée de Freudse reconstruitelle, sans peser, sans encombrer de jargon psychanalytique, par le croisement des échanges de lettres qui révèlent le sens de l’intimité affectueuse d’unpère, d’un époux, d’un ami amoureux forcément déçu et blessé, d’un juif qui questionne sa judéité.
A ce propos, que David Tebouldit avoir conçu selon le processus de la libre association, s’ajoute lesoutien d’un continuum d’images d’archives, parfois rares et en couleurs, qui montrent notamment Freud dans ses tout derniers jours, à Londres, en 1939, où les nazis l’avaient chassé.
renaud machart
Sigmund Freud, un juif sans Dieu, documentaire de David Teboul (Fr., 2019, 1 h 37)..
Sigmund Freud et sa fille Anna (à droite), qu’il a psychanalysée. LES FILMS D’ICI/ARTE
Un documentaire questionne sur la méritocratieJeanLouis Saporito recueille les témoignages de personnes passées du monde « d’en bas » au monde « d’en haut »
FRANCE 2MARDI 12 - 23 H 30
DOCUMENTAIRE
I ls ne se sentent jamais vraiment tout à fait à leur place.Ils ont déployé beaucoup d’ef
forts pour franchir la « frontière » et passer dans un autre monde. Ilsont déjoué les règles de la reproduction sociale et travaillent dansun autre milieu, nimbé de prestige car perçu comme le monde« d’en haut », par rapport à celuide leurs origines, populaires et/ou immigrées.
Leur parcours suscite souventles compliments et l’admiration ;mais tous ressentent une forme d’illégitimité, de culpabilité, voirede trahison, et un tiraillement incessant entre deux milieux, deux personnalités. C’est le « défi des transclasses », qu’interrogeavec sensibilité le documentariste JeanLouis Saporito.
Une aventure collective« On ne peut pas s’autoriser unéchec quand on voit sa mèreporter pendant treize ans le mêmepantalon usé », expose sans
misérabilisme, la philosophe et professeure à la Sorbonne Chantal Jacquet, égalementauteure d’ouvrages sur le sujet(La Fabrique des transclasses,PUF, 2018). Mais pas question des’émerveiller des trajectoirescomplexes des personnages de cefilm, parmi lesquels la proviseuredu lycée SaintLouis à Paris, Chantal Collet, l’ancienneministre de l’éducation nationaleNajat VallaudBelkacem ou encore le député européen EdouardMartin, si ce n’est pour direl’importance des rencontres et
des relations humaines pour accomplir ce qui reste encorel’exception.
Au fil des témoignages apparaissent plutôt des problèmespolitiques : la question du mériteet de sa réelle accessibilité à tous ;celle de nourrir des ambitions lorsque les modèles n’existentpas ; la dévalorisation courantede certaines catégories demétiers – dont on s’accordeactuellement à dire qu’elles sontpourtant essentielles – et decertains codes au profit de ceuxde « l’élite ».
Le choix de témoignages aussinombreux, qui, certes, n’ont pastous la même force, consolide lepropos du film qui fait avant toutdu changement de classe socialeune aventure collective, loin desclichés du selfmademan. Unregret toutefois : la retenue dont fait preuve le documentariste surla question du racisme lorsqu’elleémerge.
mouna el mokhtari
Infrarouge. Le défi des transclasses, de JeanLouis Saporito (France, 2020, 53 min).
V O T R ES O I R É E
T É L É
0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
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0123MARDI 12 MAI 2020 disparitions | 27
5 DÉCEMBRE 1932 Nais-sance à Macon (Etat de Géorgie)1951 Premiers enregistre-ments1955 Révélation avec la chanson « Tutti Frutti »1957 Décide d’arrêter le rock pour se consacrer à Dieu1958-1959 « Whole Lotta Shakin’Goin’On »et « Good Golly Miss Molly » sont publiéspar sa maison de disques1964 Retour au rock avec l’album « Little Richard Is Back »1977 Reprendses activités de prêcheurANNÉES 1980 Nouveau retour au rock’n’roll2014 Derniers concerts aux Etats-Unis2020 Mort à l’âgede 87 ans
Little RichardChanteur américain
J e suis l’architecte du rock’n’roll, l’initiateur, celui qui le personnifie. » Cettephrase tirée d’un entretien avec AndyGill dans le mensuel musical britannique Mojo de décembre 1999, Little Ri
chard l’a souvent prononcée. Avec des variantes, mais toujours pour affirmer son importance dans les premiers temps du rock’n’roll dans les années 1950. Au même titre que Chuck Berry (19262017), Jerry Lee Lewis, Fats Domino (19282017), Bo Diddley (19282008), Carl Perkins (19321998) et Elvis Presley (19351977).
Homme de spectacle, tout en extravaganceet débordement d’énergie, le chanteur et pianiste Little Richard est mort, samedi 9 mai, àl’âge de 87 ans, a annoncé son fils, Danny Jones Penniman, au magazine Rolling Stone. Lacause de son décès est encore inconnue. Ilavait connu un premier succès avec la chanson Tutti Frutti, publiée fin 1955.
Né le 5 décembre 1932 à Macon, dans l’Etatde Géorgie, Richard Penniman est l’un des douze enfants (sept garçons et cinq filles)d’une famille où le quotidien est régi par de stricts préceptes moraux. Ce qui n’empêche pas son père, maçon, de vendre de l’alcool decontrebande et de s’occuper d’un club de laville. Petit, de constitution fragile, avec unevoix assez aiguë qu’il garde après la puberté,le jeune Richard Penniman reçoit vite le surnom de Little Richard lorsqu’il commence à chanter au sein d’une formation familiale degospel dans les églises.
A l’âge de 13 ans, il est chassé de chez lui etrecueilli par des voisins. Il expliquera plus tard que c’était en raison de ses manières efféminées et d’une attirance naissante pour les garçons. Little Richard se dira, selon lesépoques, homosexuel, hétérosexuel ou bisexuel. Il travaille un temps avec un prétendu médecin ambulant, chargé d’attirerles gogos en chantant, participe à plusieurs formations de rhythm’n’blues. En 1950, ilrencontre le chanteur Billy Wright, dit le « Prince du blues » dont la coupe de cheveux bouffante, la fine moustache, les longues vestes et pantalons larges brillants inspireront sa propre apparence.
Un timbre un rien criardLe parrainage de Wright lui permet de signerun contrat avec la compagnie RCA Records. Seule la chanson Every Hour, en 1951, aura unpetit écho. Un blues basique auquel Little Richard donne un peu d’originalité par son déploiement vocal, timbre un rien féminin, un rien criard. Il apprend des rudiments depiano, instrument qu’il aborde avec une attaque rythmique très marquée venue du boogiewoogie. Sa signature au même titre que sa voix.
En février 1952, son père est assassiné devant son club. Little Richard trouve un emploi de plongeur et, le weekend, chante dansdivers groupes. C’est avec The Upsetters, quesa réputation de sensation scénique gagne de l’ampleur. Il joue debout devant son piano, se démène, transforme le chant en hurlement. Devenu célèbre, il ne sera pas rare qu’il grimpe sur son piano, finisse ses concerts torse nu.
La compagnie phonographique SpecialtyRecords, à Los Angeles, s’intéresse à lui. Uneséance d’enregistrement est organisée à lamiseptembre 1955 à La NouvelleOrléans, avec les musiciens du pianiste et chanteurFats Domino. C’est lors d’une pause que Little Richard aurait proposé Tutti Frutti, qu’il avait l’habitude d’interpréter depuisdes années. La chanson débute par une suited’onomatopées, « A wop/Bop a loo bop/A lop/Bam boom ». Rien à voir, dans la versionoriginale, avec le dessert glacé. Ce tutti fruttilà est un terme d’argot qui désigne un homosexuel, la chanson est explicite : « TuttiFrutti, good booty/If it don’t fit, don’t force it », en français : « Tutti Frutti, chouette popotin/Si ça n’entre pas, ne force pas ».
Pour l’enregistrement, le « good booty »devient « aw rooty », déformation argotiquede « all right », le narrateur évoque désormais deux filles, Sue et Daisy, qui certes savent s’y prendre, mais dans un texte tout ensousentendus. On le doit à la parolière Dorothy LaBostrie (19282007), qui l’aurait rédigé sur place et en quelques minutes. Cettedernière indiquera que cette histoire detexte salace a été inventée aprèscoup, pourpermettre à Little Richard de cosigner le texte, et que la chanson était telle quelle dèsl’origine.
Quoi qu’il en soit, le 45tours est publié ennovembre 1955 et Tutti Frutti grimpe à la deuxième place des classements « rhythm & blues » aux EtatsUnis. Suivront, en près detrois ans, pour Little Richard, ses principaux
En 1972. MICHAEL PUTLAND/DALLE
succès et l’essentiel de son répertoire. Enmars 1956, c’est Long Tall Sally, numéro 1 « rhythm & blues » comme Rip It Up (juin 1956) et Lucille (février 1957), par ailleursnuméro 6 du « Top 100 », sa meilleure entréedans ce classement général.
Autres classiques, Ready Teddy, She’s Got Itet The Girl Can’t Help It, qu’il interprète dans la comédie musicale du même nom réalisée en 1956 par Frank Tashlin (19131972) – dans laquelle apparaissent aussi Eddie Cochran (19381960), Fats Domino et Gene Vincent (19351971) –, Send Me Some Lovin’, JennyJenny, Keep A Knockin’… A peu près toujourssur le même modèle, avec le piano qui emporte la mélodie, un court solo de saxophone précédé d’un cri de Richard.
Prêches et gospelsEn octobre 1957, lors d’une tournée en Australie avec Vincent et Cochran, Little Richard annonce, après des visions de catastrophes,qu’il abandonne les turpitudes du rock’n’rollpour se consacrer à Dieu. Specialty Recordspubliera jusqu’en 1959 plusieurs enregistrements réalisés avant ce retrait. Parmi lesquels She Knows How To Rock, Whole Lotta Shakin’Goin’On (Little Richard a accepté de les enregistrer à son retour d’Australie), GoodGolly Miss Molly, Hey, Hey, Hey, Hey !, DirectlyFrom My Heart To You (à son répertoire depuis 1952) et Kansas City.
Fin 1957, il prend des cours de théologie etde comptabilité et rencontre Ernestine Harvin, qui sera son épouse de 1959 à 1963. Ilcommence à prêcher à partir de début 1958et ne veut plus enregistrer que des chantstraditionnels de gospel ou des compositions témoignant de sa foi. Plusieurs albums paraîtront, dont The King of The Gos
pel Singers, pour Mercury, réédité en 1965sous le titre It’s Real.
A l’automne 1962, Little Richard acceptetoutefois de venir tourner en Europe enmême temps que le chanteur de soul SamCooke (19311964). Aux airs de gospel, il mêle des versions encore un peu sages deses succès.
A l’automne 1963, lors d’une autre tournéeeuropéenne, il se montre plus énergique. Il enregistre à la minovembre un programme pour la chaîne de télévision régionale britannique Granada. Cheveux courts, cravate, costume sobre, accompagné du groupe Sounds Incorporated, il termine en sueur et en chemise. L’émission « It’s Little Richard » est diffusée le 8 janvier 1964, puis vendue dans plusieurs pays dont les EtatsUnis.
Little Richard Is Back, sera le titre de l’album de son retour au rock. Précédé par le45tours Bama Lama Bama Loo (copie deTutti Frutti), qui sort chez Specialty enavril 1964, il est publié en août 1964 par lacompagnie VeeJay, avec une nouvelle version de Whole Lotta Shakin’Goin’On. LittleRichard Greatest Hits pour VeeJay, en 1965,contient douze succès d’antan réenregistrés, dont Tutti Frutti, Long Tall Sally, Lucille… En octobre 1965, la ballade soul I Don’tKnow What You’ve Got (But It’s Got Me), deDon Covay (19362015), sera son dernier titre à entrer à une place correcte, la douzième, dans les classements « rhythm & blues » aux EtatsUnis.
La quinzaine d’albums qui suivront pourdiverses compagnies phonographiques sontsoit des enregistrements de concerts soit desdisques en studio avec souvent d’énièmes nouvelles versions, à peine différentes, de ses tubes. Se distinguent dans cette discogra
phie The Explosive Little Richard, chez Okeh,en janvier 1967, dans une orientation soul,comme The Rill Thing, pour Reprise Records en août 1970, et Right Now, pour United Superior Records en 1973.
Tout en paillettes et soieriesA défaut de disques marquants, il reste un spectaculaire homme de scène, dynamique et rageur. Sa coupe de cheveux prendra à partir du début des années 1970 des proportions « pompadouriennes », ses costumes sont de plus en plus tout en paillettes et soieries brillantes. Il joue généralement avec des orchestres de bonne qualité.
En 1977, alors que son alcoolisme, sa consommation de cocaïne puis d’héroïne a pris des proportions inquiétantes, Little Richard se soigne et reprend ses activités de prêcheur. Il enregistre un disque de chants de gospel en 1979. Au milieu des années 1980, ilconcilie sa foi et la pratique du rock’n’roll. Il enregistre même un disque de chansons pour enfants façon rock’n’roll, Shake It AllAbout, publié en 1992 pour le label de la compagnie Walt Disney.
Moins vaillant à partir du milieu des années 1990, mais encore en voix, il continuede jouer surtout aux EtatsUnis – sa dernière venue en Europe remonte à 2005. Uneopération à la hanche gauche, en novembre 2009, le contraint à rester sur une chaisedevant son piano. Ladite chaise étant d’un doré éclatant, car Little Richard se devait encore de tenir son rang. Et, si ses derniers concerts remontent à 2014, il apparaissait encore sur scène à l’occasion, pour témoigner de sa foi dans des églises et des émissions de télévision.
sylvain siclier
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28 |styles MARDI 12 MAI 20200123
« il faut créer des barrières physiquesen évitant le tuel’amour »Comment repenser le monde d’après, celui où la distanciation sociale sera la règle ? Les réponses du designer Patrick Jouin, qui propose notamment une nouvelle architecture intérieure pour hôtels et restaurants
ENTRETIEN
A uteur des premières stations Vélib’, des dernièresSanisettes parisiennes et detout l’équipement des futu
res gares du Grand Paris Express, le designer Patrick Jouin propose des dispositifs « pragmatiques » pour le retourdes usagers dans l’espace public, à l’approche du déconfinement.
Comment pensezvous que l’on puisse restaurer la confiance des citoyens qui vont retrouver l’espace public ?
On ne reviendra pas au tempsd’avant le Covid19 : on a mangé notrepain blanc et c’est un constat sidérant àl’échelle de la planète. Le temps que la pandémie soit jugulée, un vaccintrouvé, il y a une longue période trouble à gérer. Il faut réviser nos pratiques au quotidien. Quand on voyait desAsiatiques se promener dans Parisavec des masques, on pensait qu’ils seprotégeaient de nous. Alors que c’esteux – peutêtre enrhumés – qui essayaient de nous préserver. C’est un geste de politesse, ancré dans la cultureasiatique, qu’il va falloir adopter.
A l’entrée des magasins et des cafés, ilfaut instaurer un nouveau rituel selon lequel les clients seront accueillis avec l’utilisation de gel hydroalcoolique, cette denrée rare. Et, sur leur parcours, les usagers des transports en commundevront trouver des distributeurs de ceproduit. Gel, écrans de plastique, machines de distribution de masques… il
faudra voir cet arsenal pour y croire, et retrouver le chemin du centreville et des boutiques.
Vous avez porté à l’Elysée, avec le chef Alain Ducasse, des mesures concrètes qui pourraient permettre la réouverture des restaurants et bistrots. Quelles sontelles ?
Avec Alain Ducasse, avec qui je collabore depuis plus de vingt ans, du PlazaAthénée à Paris jusqu’au tout nouveaurestaurant Blue à Bangkok, j’ai travaillé sur des dispositifs de distanciation sociale qui soient acceptablespour les bistrotiers, les restaurateurset leur clientèle. Il a présenté mes dessins lors d’une rencontre du présidentMacron avec un groupe de professionnels de la restauration et de l’hôtellerie, vendredi 24 avril, et j’étais probablement le seul designer invité par ce truchement !
L’idée est qu’il faut avoir plusqu’une simple distance entre les tables pour installer la confiance : il fautrecréer une architecture intérieureavec des barrières physiques les plusélégantes et légères possibles, pouréviter le tuel’amour ou perdre l’âmedes lieux. Nous sommes dans le design de bon sens, presque un nondesign, afin que tout le monde puisse sel’approprier.
Nous avons donc nettement délimitédes espaces pour les convives par desparavents « faits maison », mobiles ettranslucides. Ils respecteront des dimensions imposées par les autoritéssanitaires. Les matériaux, eux, se doi
vent d’être très bon marché et faciles à mettre en œuvre par le personnel. Lesparavents peuvent être simplement réalisés avec des châssis de peintre sur lesquels est tendu ou accroché du film transparent « cristal », celui des fleuristes. On peut imaginer que le cadre soit fait aussi à partir de branchages, plus poétiques. Chaque établissementmontrerait ainsi sa créativité.
Vous préconisez du « fait maison », mais pourquoi pas la 3D, vous qui avez fait appel à elle dès 2004 avec la chaise Solid, entrée dans les plus grands musées ?
Ce que nous avons esquissé, c’est unpeu la petite robe noire de Chanel oula chaise Leggera de Gio Ponti : quelques traits dans l’espace, tout en légèreté, mais un accessoire indispensable. Il faut inventer un design de la distanciation sociale qui soit pragmatique. Le designer se doit aujourd’hui d’être humble, pugnace, pratique. Caroui, pour la première fois, on n’a pasaccès au matériau idéal. Nous sommes confinés. Le Plexiglas dont on faitles visières de protection est en rupture de stock et coûteux. Et l’imprimante 3D ne va pas assez vite et n’estpas assez efficace. L’alternative estdonc de se tourner notamment vers ces rouleaux de film acétate qu’utilisent les fleuristes.
On se trouve alors devant un autreproblème, écologique. Il va falloir impliquer la filière recyclage, puisquec’est une quantité énorme de matière plastique qu’il va falloir jeter régulièrement, pour des raisons d’hygiène. Dans cette crise, l’accumulation desquestions est vertigineuse.
Avezvous aussi pensé à la façon dont le service doit s’opérer ?
Oui, il faut inventer de nouvelles pratiques, car la distanciation sociale doit être de mise entre le personnel de cuisine, celui de salle et les clients euxmêmes. En premier lieu, le nombre de couverts admissibles est calculé enfonction de la surface de la salle, et cette jauge pourra varier avec l’évolution de la pandémie. Reste que la distance minimale à respecter est de 5 mètres carrés : c’estàdire que chaque individu devrait pouvoir tourner sur luimême les bras écartés sans un quidamdans son sillage.
Pour deux personnes, j’ai prévuqu’une table d’appoint serve de mise à distance avec le serveur. Il va déposer
les assiettes et chaque convive se servira luimême. Au cas où une fourchette tomberait, ce qui ne manquerapas d’arriver, on y a mis des couverts desecours. Il n’y a plus de menus réutilisables. Et quand deux convives le souhaitent, on peut disposer entre eux un écran transparent. J’ai dessiné un centre de table constitué d’un cerclage vide pour y accrocher une feuille de film cristal. On peut imaginer de le piquer dans un pot de terre, ou d’utiliser un autre plastique très fin, dont on faitles classeurs transparents. Autant dedispositifs que je mets à dispositionsur mon site et sur le réseau social professionnel Linkedin.
Et quid des grandes tablées ?Un repas d’affaires de dix personnes,
cela paraît aujourd’hui très compliqué à organiser. Nous réfléchissons à mettre les convives en ligne côte à côte, plutôt qu’autour d’une grande table. Tous ces scénarios, nous allons les tester dans un restaurant d’Alain Ducasse,début mai. Cette installation prototypeva permettre d’organiser au mieux le ballet des serveurs et les gestes qu’il convient d’avoir. C’est une méthodepropre au design que de maquetter, tester et corriger, jusqu’aux gestes naturels, pour que le tout soit bien pensé,intelligent et pratique.
Vous êtes en train de dessiner ce qui pourrait être le premier hôpital de l’aprèsCovid19, celui du Grand ParisNord, prévu à SaintOuen en 2028. Comment le pensezvous à l’aune de cette pandémie ?
L’actualité nous montre à quel pointles soignants sont cruciaux. Cela rend plus viscéral le projet que je porte avec Architecture Studio et Artelia. L’hôpital est un espace de travail tellementtechnique que l’on peut oublier qu’il doit aussi être agréable, voire réconfortant pour le personnel, de façon à attirer de nouvelles vocations. De mêmepour les patients.
Notre cheval de bataille est de misersur la qualité de vie pour tous les usagers de l’hôpital, celui qui soigne etqui est soigné, celui qui nettoie et répare… Mais nous sommes, ici, en compétition avec trois autres candidats, dont les fameux architectes italien Renzo Piano et néerlandais Rem Koolhaas : vous comprendrez que je reste discret !
propos recueillis parvéronique lorelle
« ON SE TROUVE DEVANT UN AUTRE PROBLÈME,
ÉCOLOGIQUE. IL VA FALLOIR IMPLIQUER
LA FILIÈRE RECYCLAGE, PUISQUE C’EST
UNE QUANTITÉ ÉNORMEDE MATIÈRE PLASTIQUE QU’IL VA FALLOIR JETER RÉGULIÈREMENT, POUR
DES RAISONS D’HYGIÈNE »
Patrick Jouin, designer. BENOÎT LINERO
Dispositifde distanciationsociale pour caféset restaurants,présenté à Emmanuel Macron le 24 avril.PATRICK JOUIN
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0123MARDI 12 MAI 2020 IDÉES | 29
Emmanuel Macron face au Covid-19 : la revanche des passions tristesLe président a cristallisé contre lui depuis deux ans un rejet tenace. Si le mouvement des « gilets jaunes » avait ébranlé les ressorts du macronisme, l’épidémie de Covid19 les fait voler en éclats. A l’inverse de ses homologues européens, la crise sanitaire ne lui a pas permis de redresser la barre
ANALYSE
La France est la patrie des autocuiseurs à vapeur. Elle en fut l’inventrice, puisque Denis Papin mit aupoint, en 1679, le premier appareilde ce type, muni d’une soupape desécurité et d’un couvercle bloqué
par une traverse à vis. Elle en est la championne depuis que, en 1953, sa « SuperCocotte » a fait de la Société d’emboutissage de Bourgogne, plus connue sous son sigle SEB, le leader mondial de ce secteur. Mieux, depuis des lustres, la France ellemême est uneCocotteMinute. Régulièrement, sous l’effetde températures excessives ou d’expérimentations hasardeuses, la marmite nationale produit de brusques ébullitions politiques ou sociales voire, si le couvercle est malajusté, de brutales révolutions.
Audelà des précautions imposées par lasituation sanitaire, on comprend donc l’extrême prudence avec laquelle le gouvernement amorce la sortie des deux mois de confinement imposés au pays pour enrayer la pandémie de Covid19. Le ministre de la santé, Olivier Véran, le disait le 3 mai : « Si le confinement est bien respecté jusqu’au bout, le couvercle aura été mis sur la casserole del’épidémie et nous pourrons déconfiner progressivement dans les meilleures conditions. » Comme chacun sait, il convient de soulever la soupape délicatement pour laisser s’échapper la vapeur emmagasinée,avant de desserrer le couvercle.
Affaire de doigté, donc. Et tout autant deconfiance dans le manipulateur. Le premier ministre ne s’y est pas trompé, le 28 avril devant l’Assemblée nationale : « Aucun plan ne permettra d’endiguer l’épidémie si les Français n’y croient pas. » Or, quoi qu’il dise et fasse et parfois même à cause de ce queministres et président disent et font, les Français n’y croient guère.
Incurie et mensongeC’est la première singularité nationale. Contrairement à ce que l’on constate dans les pays comparables touchés par le virus, unenette majorité de Français – de 60 % à 62 % selon les enquêtes récentes d’Ipsos, d’Elabeou de l’Ifop – ne sont pas satisfaits de l’action du gouvernement contre l’épidémie et ne lui font pas confiance pour gérer efficacement la sortie du confinement. Pour une raison simple : plus de 70 % pensent qu’il sera incapable de rendre effectives les mesures qu’il a annoncées, qu’il s’agisse de la distribution de masques autant que de besoinou de la réalisation de centaines de milliers de tests de dépistage.
Cette défiance à l’égard des responsablespolitiques en général et des gouvernants en particulier n’est pas une découverte. Elles’est enracinée profondément dans l’esprit des Français depuis deux décennies, au fildes présidences de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Quelles qu’aient été les circonstances, chacun fut jugé infidèle à ses promesses et impuissant à résoudre les problèmes du pays.
Passé l’élan de sa victoire, EmmanuelMacron n’a pas fait mieux. Au contraire, il a cristallisé contre lui depuis deux ans un rejet puissant, tenace, souvent vindicatif. Al’inverse de ses homologues européens, la crise sanitaire ne lui a pas permis de redresser la barre. Si l’on excepte un bref réflexe légitimiste à la mimars, il ne se trouve désormais qu’un Français sur trois ou à peine plus pour lui faire confiance.
C’est un capital d’autant plus maigre quedeux erreurs majeures ont, d’emblée, profondément choqué l’opinion publique : chacun a compris que les discours officiels sur l’inefficacité des masques ne servaient qu’à occulter leur pénurie et personne n’a compris pourquoi l’on décrétait brusque
QUANT AUX« PREMIERS DE
CORDÉE », ILS SONT ÉCLIPSÉS PAR LES
PREMIERS DE CORVÉE, SOIGNANTS,
CAISSIÈRES OU ÉBOUEURS, CES
NOUVEAUX « HÉROS » DE LA NATION
ment la mise sous cloche de l’économie nationale un samedi soir tout en maintenant, le lendemain, le premier tour des élections municipales. D’où les accusations d’incurie et de mensonge. Et un degré saisissantde suspicion à l’endroit du gouvernement : 51% des Français pensent qu’il cache desinformations aux citoyens sur l’épidémie.
A la défiance s’ajoute la colère, autresingularité nationale dont on a mesuré laviolence, à l’automne 2018, avec le mouvement des « gilets jaunes ». Selon le baromètre annuel de Sciences Po, 56 % des Français assurent éprouver de la colère à l’égard de la politique du gouvernement. Certes, cette enquête a été réalisée fin janvierdébut février, en pleine bataille sur la réforme des retraites. Or la crise sanitaire n’y a rienchangé. Selon une enquête complémentairemenée entre le 2 et le 7 avril, ce sentiment reste partagé par 53 % des personnes interrogées. Confinée depuis deux mois, la colèrecontinue manifestement à bouillonnerdans la société française.
Le cimetière des illusions perduesIl est peu probable qu’elle s’apaise dans les mois à venir, au vu de la vertigineuse dépression économique qui s’annonce : leproduit intérieur brut va chuter d’environ9 % en 2020, soit une récession trois fois plussévère qu’en 2009, au plus fort de la crise financière. Dans l’immédiat, pour éviter l’explosion du chômage et des faillites en cascade, le gouvernement a déployé un impressionnant filet de sécurité : il a, en quelque sorte, nationalisé les salaires de 12 millions de Français en chômage technique et les comptes d’exploitation de 1 million d’entreprises, commerçants et artisans. Une telle prodigalité ne sera pas tenable très longtemps. Ajouté à l’anxiété sanitaire, le traumatisme social à venir n’est pas de nature à calmer les esprits. C’est un euphémisme.
Défiance, suspicion, ressentiment, colère :la revanche des « passions tristes » est donc cinglante. Ces passions tristes que fustigeait le candidat Macron dans son livreprogramme Révolution (XO, 2016) et qu’il se faisait fort de chasser, au bénéfice de « nos grandes passions joyeuses, pour la liberté, l’Europe, le savoir, l’universel ». Ce n’est pas lelieu, ici, d’entrer dans les subtilités de Spinoza, auquel le futur président faisait référence. Mais une évidence s’impose : le mouvement des « gilets jaunes » avaitébranlé les ressorts du macronisme, l’épidémie de Covid19 les fait voler en éclats.
Il ne s’agit pas seulement de la « transformation profonde » du pays dont Emmanuel Macron avait fait sa grande ambition et le moteur de son action. Après celle des institutions, on peut sans risque prédire que la réforme emblématique des retraites va rejoindre le cimetière des illusions perdues. Audelà, c’est la philosophie même du chef de l’Etat qui est invalidée par la crise
actuelle. « Il faut en finir avec la Républiqueinefficace », lançaitil, conquérant, auxparlementaires réunis en congrès à Versailles le 3 juillet 2017.
Ce discours inaugural avait érigé le « devoird’efficacité » en principe cardinal du quinquennat. Et, plus encore, le principe d’« effectivité, c’estàdire l’application concrète, tangible, visible des principes qui nous guident ». Le pouvoir exécutif peut, à juste titre, plaiderque la catastrophe sanitaire était aussi imprévisible qu’exceptionnelle. Il n’en est pas moins comptable, selon ses propres termes, des « failles », des « ratés », des « insuffisances » et des « faiblesses de notre logistique » qu’il n’a pas su prévenir.
Champion de l’efficacité, il se voulait aussile chantre de « l’émancipation » de chacun ;le voilà confronté à une exigence massive deprotection collective. Il revendiquait crânement la verticalité du pouvoir central et n’a pas pris de gants, depuis trois ans, pour renvoyer les collectivités locales dans leur pré carré ; le voilà contraint d’appeler à l’aidemaires, conseils départementaux et régionaux pour mieux gérer la crise au plus près du terrain. Quant aux « premiers de cordée », hier portés au pinacle, ils sont aujourd’huiéclipsés par les premiers de corvée, soignants, caissières ou éboueurs, ces nouveaux « héros » de la nation.
Enfin, et c’est peutêtre le choc le plusbrutal, ce jeune président convaincu que « ledestin de la France est d’embrasser la modernité » et qui portait haut son « optimisme volontaire » doit aujourd’hui faire face, avec cette pandémie, à la crise la plus anxiogène et archaïque qui soit. Privatisée, laïcisée et comme aseptisée par la médecine depuis des décennies, la mort s’était effacée de notre imaginaire collectif ; elle resurgitsoudain comme une réalité imprévisible,terriblement contagieuse et pour l’instantnon maîtrisable par la science.
Se réinventerBref, le projet sur lequel, bon gré malgré,Emmanuel Macron a été élu il y a trois ans est désormais caduc. Il en est évidemmentconscient. Dès le 12 mars, il appelait à « interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grandjour, interroger les faiblesses de nos démocraties ». Le 16 mars, il l’admettait sans détour : « Beaucoup de certitudes, de convictions seront balayées, remises en cause ».
Le 13 avril, enfin, évoquant l’« ébranlementque nous vivons », il concluait son discourspar cette apostrophe en forme de mantrapour les semaines et les mois à venir : « Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – moi le premier ». Saisissante contrition de la part d’un homme qui, trois ans auparavant, voulait redonner sens à la politique, précisément en laréidéologisant.
Se réinventer, donc. C’estàdire espérerque la crise actuelle, comme une ardoise magique, lui permette de s’offrir une pagevierge où tracer un nouveau dessein. Lequel préfigurerait, peuton penser, l’architecture d’une candidature en 2022 et la perspective d’un second mandat. Le pari est énorme.
Réussir pareille mue suppose, là encore,que les Français y croient si peu que ce soit. Or il est une règle toujours vérifiée sous laVe République : l’image d’un président se cristallise en tout début de mandat – et de façon indélébile. Six mois après leur entrée à l’Elysée, Jacques Chirac était le menteur,Nicolas Sarkozy le frimeur, François Hollande l’amateur. Et aujourd’hui, Macron l’arrogant. Cruel et caricatural, sans aucun doute. Mais c’est ainsi. Un seul, François Mitterrand, réussit à se métamorphoser, devenant le héraut de la « France unie » aprèsavoir été celui de la gauche anticapitaliste.
Nul doute qu’Emmanuel Macron chercheà s’en inspirer. En attestent ses appels répétés, depuis deux mois, à « l’union sacrée » et la « cohésion » du pays ; sans oublier « l’unionnationale », ce leurre qui ne fut posé que pour se donner le beau rôle et réserver aux oppositions le mauvais, celui de la divisionnationale. La référence mitterrandienne est plus explicite encore sur le site Internet de laprésidence de la République dont la page d’accueil s’ouvre sur cette injonction : « Découvrez les visages de la France unie face à la crise ». Suit la présentation par de courtes vidéos d’une dizaine de citoyens, médecin, militaire, pharmacien, chef d’entreprise,prestataire, militants associatif ou bénévole du service civique, édifiants symboles de la mobilisation et de la solidarité.
Mais, outre qu’une telle conversion relèverait du « miracle de la foi » comme le notait avec un humour grinçant Régis Debray dansun récent entretien au Journal du dimanche, l’actuel président ne dispose pas des atoutsde son lointain prédécesseur. A sa stature, son expérience et ses talents hors norme de prestidigitateur, Franços Mitterrand avait ajouté le bénéfice d’une cohabitation de combat avec Jacques Chirac. Elle lui permitde poser gravement en père de la nation tout en multipliant coups de griffes et embuscades contre le gouvernement de droite. Dans les mois à venir, Emmanuel Macron risque fort de se trouver dans la situation exactement inverse : confronté à l’urgence sanitaire persistante et économique grandissante, harcelé par des oppositions acharnées à l’affaiblir et sommé de tous côtés derendre des comptes sur sa gestion de la crise.
Il reste que le chef de l’Etat n’a guère d’alternative. Aussi mince soit sa consistance et sa crédibilité, cette stratégie de la France unie est son seul espoir de sortir de cettecrise par le haut. Et non par la porte.
gérard courtois(ancien directeur
éditorial au « monde »)
SIX MOIS APRÈS LEUR ENTRÉE À
L’ÉLYSÉE, JACQUES CHIRAC ÉTAIT LE MENTEUR,
NICOLAS SARKOZY LE FRIMEUR,
FRANÇOIS HOLLANDE
L’AMATEUR. ET AUJOURD’HUI,
MACRON L’ARROGANT
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30 | idées MARDI 12 MAI 20200123
Le confinement a ouvert des désirs sonores respectueux des santés humaine, animale et environnementale,
relève l’écologue et acousticien Jérôme Sueur, soutenu par un collectif de biologistes et de physiciens
Le confinement de notre sociétélié à la pandémie de Covid19a créé des conditions environnementales exceptionnelles. Ladiminution de l’activité humaine a réduit le bruit de nos
machines et les sons dérangeants de nosrues. Par effet de contraste, ce quasisilence humain met en valeur les sons de la nature et souligne la nocivité desbruits que nous générons en situation« normale ». Le confinement ouvre pourle jour d’après des désirs sonores respectueux des santés humaine, animale et environnementale.
Le bruit est une forme de pollution, aumême titre que la pollution de l’air, del’eau, du sol. Notre société produit denombreux déchets sonores : bruit destransports terrestres et aériens, desconstructions, de l’industrie, de l’agriculture et des loisirs. Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé considèrele bruit comme l’un des principaux risques environnementaux pour notre santé. Les bruits peuvent en effet êtretoxiques : ils fragilisent notre systèmeauditif, perturbent notre sommeil, affectent notre concentration et nos apprentissages, modifient nos systèmes endocrinien et cardiovasculaire. Ainsi, près de onze mois de vie en bonne santé enmoyenne par Francilien seraient perdussur une vie entière.
Le bruit induit des effets délétères analogues chez les animaux. Le bruit masque les communications sonores animales, empêchant le transfert des informations essentielles sur l’identité, laprésence, le statut des individus. En milieu marin, le bruit naval et de l’exploitation offshore cause notamment les échouages de mammifères marins. Lebruit induit un stress chez les organismes jouant un rôle essentiel dans le fonctionnement des écosystèmes comme les décomposeurs de matière organique, les pollinisateurs ou les disperseurs de
graines, conduisant à des effets écologiques globaux. Le bruit appauvrit la qualité des paysages sonores naturels en prenant le pas sur les sons d’origines animale et végétale. Le bruit est donc unepollution aux conséquences multiples etmultiéchelles dont le coût social dépasse très largement celui estimé pour les hommes, qui s’élevait en 2016 à57 milliards d’euros par an en France.
Difficultés auditives transitoiresLe bruit est la part non désirée de nos envies d’expansion, de déplacements, de consommation. Or, le confinement acontraint ces envies, et s’est ainsi installée dans nos sociétés une forme de silence. Les observatoires acoustiques misen place notamment en régions parisienne et lyonnaise montrent une réduction drastique de ce superflu sonore pouvant aller jusqu’à 10 dB, soit des sons deux à trois fois moins forts. Les nuisances sonores de l’activité navale ont également diminué en lien avec la réduction de 30 % du trafic maritime mondial.
Cependant, le confinement modifie lecadre de notre espace sonore puisque nous restons dans notre sphère privée et ne partageons plus l’espace public. Le bruit de voisinage intérieur ou extérieurdes machines de bricolage ou de jardinage n’a pas disparu et sa perception est parfois exacerbée, puisque le bruit du dehors ne masque plus les sons du dedans. Le silence du confinement n’est donc pas un silence absolu, qui d’ailleurs n’est pas désiré, mais un silence en partie habité par les autres et par les sons de la nature qui se révèlent aujourd’hui.
Sur terre comme sous mer, les vocalisations animales prennent une nouvelle place dans notre quotidien. Le chant des oiseaux, le vol des insectes, le bruissementdes arbres nous parviennent de nouveau. Les sons de la nature, qui ne sont pas plus intenses ou plus nombreux mais simplement plus discernables, ont des effets réparateurs sur notre santé. Ils favorisent l’agrément des lieux pouvant rendre un habitat difficile – centreville, parking de supermarché, aire d’autoroute – plus agréable. Il en est de même pour les animaux – des mouches aux baleines – qui n’ont pas connu une telle situation depuis deux cents ans. La réduction de notre bruit implique très probablement une réduction du stress, un gain d’énergie, une meilleure reproduction, une préservation des fonctions écologiques.
Cette situation unique nous questionne sur notre rapport au bruit. Voulonsnous retourner vers un mondebruyant ? Comment résonnera le jour d’après ? Le bruit est l’expression de la
force individuelle, comme le démontrele bruit des véhicules : plus nous faisonsde bruit, plus nous nous pensons puissants. Si nous choisissons l’option économiquement logique mais écologiquement irresponsable « business asusual », nous retrouverons une situation acoustique dégradée, polluée et sanitairement mauvaise.
Pour beaucoup d’entre nous, cettepause sensorielle est une expérience rare.Les études menées en sciences de l’audition suggèrent que l’importance quenous donnons inconsciemment à certaines informations lorsque nous écoutons un paysage sonore, naviguons ou suivons une conversation sera certainement affectée lors du déconfinement, et que nombre d’entre nous feront l’expérience de difficultés auditives transitoires. Cela pourrait se traduire par des erreurs d’interprétation des sons écoutés, un effort d’écoute accru au quotidien et une plus grande fatigue.
Que faire pour éviter le retour du bruit ?Le traitement de la pollution sonore est ardu : nos oreilles n’ont pas de paupières et, à l’évidence, il n’existe ni déchetteries ni recycleries sonores. La lutte contre le bruit est difficile car le son n’a pas de limites, pas de frontières, que celles de ses propriétés physiques. Les isolants phoniques sont une aide indéniable, mais leproblème est la source du bruit, nos machines et nos propres comportementsparfois inadaptés.
Nous pensons que l’amélioration denos environnements sonores se fera surtout par une réduction des bruits de nos machines, un usage plus raisonné de cellesci, une augmentation des sons de la nature et une meilleure écoute de l’autre.
Les nouvelles lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé invitentexpressément les instances publiques àmettre en œuvre sans attendre des actions opérationnelles pour réduire le bruit dans l’environnement. En milieu marin, des normes ont été installées progressivement, et des solutions existentpuisque les bateaux et les sousmarinspeuvent être furtifs. Les gouvernements ne doivent pas seulement inciter à la mise en place de ces normes mais fairerespecter et renforcer la législation.
Nos moteurs à explosion sont bruyants.Le passage à l’électrique ou à des modesde déplacement doux peut contribuer à réduire une partie du bruit en ville. En tout cas, il est évident que le bruit de nos moteurs, notamment des nouvelles générations de deuxroues, ne doit plus êtreun argument de vente. Les constructeurs doivent réfléchir à la valeur silence deleurs véhicules et promouvoir des véhi
cules moins bruyants. Notre comportement doit aussi changer en adoptant une conduite douce. La réduction du bruit passera également par une réduction des trafics de toutes formes. C’est là un véritable défi, sachant que nos mouvementscollectifs seront contraints par la distanciation sanitaire. Le maintien du télétravail pourra aider à résoudre le problème.
Redonner de la place à la natureLa nature, notamment en ville, présente un double avantage acoustique. D’un côté, les plantes, des façades ou des espaces végétalisés par exemple, peuventcontribuer à modifier l’ambiance sonoreextérieure, grâce aux propriétés d’absorption de leur substrat. D’un autre côté, redonner de la place à la nature, c’est apporter des sons des animaux etde la végétation dont les bienfaits psychoacoustiques sont reconnus. La nature peut contribuer à la réduction dubruit et à la diffusion de sons agréables,une forme de musique apaisante gratuite. Introduire la nature dans les zonesartificialisées, effort relativement peucoûteux, ne peut donc qu’améliorer notre environnement sonore.
Il est aussi essentiel de réduire nos déchets sonores en promouvant les écogestes peu bruyants. En ville, il s’agit tout simplement de préférer la marche, le véloou toute alternative à l’utilisation d’un véhicule thermique. Dans les habitations,c’est limiter l’usage des robots, utiliserdes modes d’écoute individuels de la musique aux heures tardives. A la campagne,c’est aussi repenser son rapport à lanature jardinée en lui laissant plus de liberté et donc en réduisant les défrichages, les tontes et les tailles bruyantes.
Cette crise nous a appris à porter unmasque pour ne pas nuire à l’autre en casd’infection, elle nous a appris à garder nos distances physiques pour éviter lapropagation du virus, elle doit nous apprendre à protéger l’autre de toute intrusion sonore, en anticipant les conséquences de la propagation de nos bruits. Il fautavoir conscience que la présence d’autres êtres humains autour de nous sera symbole de renaissance, de vie, à condition derespecter l’espace de chacun.
Avec cette crise sanitaire, il faut allerplus vite et plus loin : les régulations desactivités humaines doivent être cohérentes, menées de front pour l’ensemblede nos activités économiques terrestres,aériennes et marines, en les inscrivanttoutes dans un réel développement durable. Nous devons renforcer nos politiques publiques et nos comportements individuels pour ne pas aller vers la cacophonie totale où ni les êtres humains niles animaux ne pourraient s’entendre,au propre comme au figuré. Seule uneapproche similaire à l’initiative OneHealth, qui croise les problématiques desantés humaine, animale et environnementale, nous permettra de vivre un jour d’après apaisé.
Jérôme Sueur est écologue et acousticien, maître de conférences à l’Institut systématique évolution biodiversité au Muséum national d’histoire naturelle de Paris ;Avec le soutien de : Olivier Adam, professeur de bioacousti-que à Sorbonne Université ; Paul Avan, physicien et médecin à l’Institut de l’audition, centre de l’Institut Pasteur ; Marion Burgess, University of New South Wales en Australie ; David Ecotière, chercheur au Cerema, directeur adjoint de l’Unité mixte de recherche en acoustique environnementale ; Catherine Lavandier, professeure en acoustique architecturale et environnementale à Cergy Paris Université ; Christian Lorenzi, professeur en psychologie expérimentale à l’Ecole normale supérieure (ENS) à Paris ; Fanny Mietlicki, directrice de Bruitparif ; Jean-Dominique Polack, spécialiste d’acoustique et professeur à Sorbonne Université
LE CHANT DES OISEAUX, LE VOL DES INSECTES,LE BRUISSEMENT DES ARBRES NOUS PARVIENNENT DE NOUVEAU. LES SONS DE LA NATURE ONT DES EFFETS RÉPARATEURS
Cette crisedoit nous apprendre
à protéger l’autrede toute
intrusion sonore
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0123MARDI 12 MAI 2020 idées | 31
Qu’avons-nous appris des expériences africaines en matièrede lutte contre le VIH/sida ou Ebola ? Pas grand-chose…Les débats africains sur la santé publique sont riches d’enseignements et devraient être médités en France, estiment les anthropologues Marc-Eric Gruénais et Josiane Tantchou
En 1978, sous l’égide del’Organisation mondialede la santé, tous les Etatsreprésentés au sein des
Nations unies s’accordaient sur une déclaration, connue sous l’intitulé de « Déclaration d’Alma Ata » sur les soins de santé primaires. Elle remettait en question l’approche hospitalocentrée qui avait prévalu jusqu’alorspour faire face aux problèmes de santé dans les pays dits « du Sud », en privilégiant la prévention. En 2020, face à la pandémie liée au Covid19, qu’avonsnous retenu de cette prise de position remontant à plus de quarante ans ? Pas grandchose.
Les données rapportées surla pandémie sont principalement hospitalières, on ne parleque des « soignants » principalement hospitaliers – desquels il nesaurait être question de remettre en cause le mérite – en mettanten avant les soins, tandis queles hésitations autour du portdu masque sont illustratives de l’absence d’une culture de prévention.
Dans les années 1980, la planèteétait confrontée à la flambée épidémique liée au VIH ; en
l’absence de traitement, la question du recours au dépistage comme moyen de préventiondans les pays dits « du Sud », et enAfrique en particulier, fut débattue. Les partisans de la nécessité de connaître son statut sérologique grâce au dépistage pour prévenir l’expansion de l’épidémiel’emportèrent alors. Les personnels de santé étaient invités à proposer systématiquement un test du VIH à leurs patients, tandis que les associationsproposaient des tests et organisaient des campagnes de dépistage destinées au grand public.Les tests étaient précédés d’un« conseil » pour les faire accepteren expliquant les avantages pour soi et son entourage.
Quarante ans plus tard, face àla pandémie liée au Covid19,qu’avonsnous retenu de cette stratégie qui n’a jamais été remise cause ? Pas grandchose.
Les retards pour équiper lemaximum de structures en testsde dépistage, le silence sur une dotation en tests d’associationss’occupant des populations lesplus vulnérables sont illustratifsde l’absence d’une prise en compte des expériences passées.
Toujours dans les années 1980,et toujours à propos du VIH/sida sur le continent africain, on enjoignait aux personnels de santé d’utiliser systématiquementdes gants pour prendre en charge les patients dans des zones à forte prévalence. Mais ils n’avaient pas toujours à disposition des gants etprenaient quand même en charge des patients en toute méconnaissance de leur statut sérologique, on critiquait leur désinvolture, leur ignorance des risques, on ne les applaudissait pas.
En 2020, en France, face à lapandémie liée au Covid19,qu’avonsnous retenu de cesprises de risque identifiées et problématisées depuis une quarantaine d’années ? Pas grandchose.
Manque de recul historiqueA la fin des années 2010, et en particulier en 2016, alors que l’épidémie d’Ebola sévissait enAfrique de l’Ouest (Guinée, Liberia, Sierra Leone notamment), les soignants africains payaient un très lourd tributen prenant en charge des patients infectés par le virus. Les familles étaient alors contraintes, après que les corps des défunts furent enterrés sans protocole,d’accepter de procéder à desenterrements dits « sécurisés », pour être présents au moment del’inhumation, sans s’exposer au risque d’infection.
Moins d’une décennie plustard, en France, face à la pandémie liée au Covid19, qu’avonsnous retenu de ces dispositions ? Pas grandchose.
L’information sanitaire est unvrai cassetête. Les chiffres n’ontpas de valeur absolue et défini
tive, mais relative, voire indicative, et rapportée à leurs conditions de recueil. De quoi une personne estelle morte ? Comment peuton identifier les causes d’une infection en l’absence de tests appropriés ?
Dans les pays dits « du Sud »,et les pays africains en particulier, il est d’usage de critiquer la qualité de l’information sanitaire (personnel non formé, absence de confirmation sérologique, formulaire non adapté ou indisponible…) pour arguer dela validité relative des statistiques sanitaires.
En 2020, en France, face à lapandémie liée au Covid19, on a tardé à inclure les données provenant des Ehpad dans les statistiques. Les « causes de la mort » en effet ne sont guère standardisées : comment faire la différence entre un décès lié à une pneumopathie et un décès lié au Covid19 en l’absence d’un test pratiqué lorsqu’il y a un décès à domicile ? Les analyses provenant par exemple de l’Insee se multiplient pour inviter à la prudence à propos de l’interprétation des données surtout hospitalières. Qu’avonsnous appris
des critiques, quant à la qualité del’information sanitaire produitepar les établissements de santé sur le continent africain ? Pas grandchose.
Face à ces quelques rappels(d’autres l’ont fait avant nous, dans d’autres domaines), on ne peut qu’être interpellé par lesdébats dominants actuels quimanquent de recul historique et qui ne prennent pas en compte les réflexions qui ont irrigué les débats de santé publique sur le continent africaindepuis au moins une quarantaine d’années, et conduit à desmesures efficaces.
L’Afrique a des leçons à donnerà la France.
Marc-Eric Gruénais est anthropologue à l’université de Bordeaux ; Josiane Tantchou est anthropologue au CNRS. Tous deux sont chercheurs à l’unité de recherche Les Afriques dans le monde, spécialistes des systèmes de santé en Afrique
David Le Breton Le port du masque défigure le lien socialDerrière la nécessité sanitaire de nous protéger, nous perdrons notre singularité et le plaisir de regarder les autres, relève le sociologue
La crise sanitaire bouleverse en profondeur nos rites d’interaction. Lesgestes barrières mettent à distancele corps de l’autre en rendant sus
pecte une présence trop rapprochée, et davantage encore la poignée de main ou la bise, qui imposent un contact. Le déconfinement n’éliminera pas la poignée de main, qui est d’un usage trop courant. Certes, dans un premier temps, il la limitera, mais sans en venir à bout car après tout, en cas de doute, il est loisible de se laver les mains. Une fois la menace disparue, la poignée de main reprendra ses droits. De même la distance sociale s’effacera. La bise est plus compromise, dans la mesure où elle impose une proximité des visages et une difficulté plus grande à effacer les traces du contact en cas de crainte d’une éventuelle contagion.Et puis, la bise s’accompagne souventd’une incertitude (une fois, deux fois, trois, quatre ?), et elle impose une intimitéqui n’est pas toujours de mise.
Mais plus encore, nos échanges quotidiens seront mis à mal par le port du masque qui uniformise les visages en les rendant anonymes et défigure le lien social. Après le déconfinement, le masque sera obligatoire dans les transportsen commun et vivement conseillé dans l’exercice professionnel en contact avecles autres, voire dans les commerces ou dans la rue. Cette dissimulation du visage ajoutera au brouillage social et à la fragmentation de nos sociétés. Derrière les masques, nous perdons notre singularité, mais aussi une part de l’agrément
de l’existence de regarder les autresautour de nous. En termes d’interaction, nous entrons dans une phase de liminalité, c’estàdire d’entredeux, où les codes manquent, et il faudra les réinventer.
Voie royale de l’individualitéDans nos sociétés contemporaines, le visage est le lieu de la reconnaissance mutuelle. A travers sa nudité, nous sommes reconnus, nommés, jugés, assignés à un sexe, à un âge, une couleur de peau, nous sommes aimés, méprisés, ou anonymes, noyés dans l’indifférence de la foule. Entrer dans la connaissance d’autrui implique de lui donner à voir et àcomprendre un visage nourri de sens et de valeur, et faire en écho de son propre visage un lieu égal de signification et d’intérêt. La réciprocité des échanges au sein du lien social implique l’identification et la reconnaissance mutuelle des visages, support essentiel de la communication.
Les mimiques indiquent la résonancede nos paroles, elles sont des régulateurs de l’échange. L’unicité du visage répondà celle de l’individu, artisan du sens et des valeurs de son existence, autonome
et responsable de ses choix. Nul espace du corps n’est plus approprié pour marquer la singularité de l’individu et lasignaler socialement. La valeur à la fois sociale et individuelle qui distingue levisage du reste du corps se traduit dans les jeux de l’amour par l’attention dont ilest l’objet de la part des amants. Mais ilen va de même de la contemplation denos proches : le visage est le chiffrerayonnant de leur présence.
Le visage est signification, traduisantsous une forme vivante et énigmatique l’absolu d’une différence individuelle pourtant infime. Ecart infinitésimal, il invite à comprendre le mystère qui se tient là, à la fois si proche et si insaisissable. L’étroitesse de la scène du visage n’est en rien une entrave à la multitude des combinaisons. Une infinité de formes etd’expressions naissent d’un alphabet d’une simplicité déconcertante : des mimiques, un regard, un front, des lèvres, un nez, etc. Le visage relie à une communauté sociale et culturelle par le façonnement des traits et de l’expressivité, ses mimiques et ses mouvements renvoient à une symbolique sociale, maisil trace une voie royale pour démarquer l’individu et traduire son unicité.
Un sentiment propice à la transgressionPlus une société accorde de l’importance à l’individualité, plus grandit la valeur du visage. Légitime au plan de lasanté publique dans le contexte ducoronavirus, le masque abîme les relations sociales et prive de l’agrément duvisage des autres. Le prix à payer estconsidérable en matière de lien social, même s’il est nécessaire.
Sans visage pour l’identifier, n’importequi a la possibilité de faire n’importe quoi, la confiance en sera sans douteébranlée. Un individu masqué devient
invisible. Nul ne saurait le reconnaître. Le front et les yeux ne suffisent pas pour l’identifier dans une foule où chacun porte le même masque. Pour fonder lelien social, la singularité des traits estessentielle afin d’assumer sa présence « face » aux autres.
Un monde sans visage, dilué dans lamultiplicité des masques, serait un monde sans coupables, mais aussi sansindividus. Roger Caillois évoquait autrefois le masque en disant laconiquementde lui qu’il est « ce qui reste du bandit ».On peut en effet penser que le port dumasque facilite les rapports de force, leharcèlement, les incivilités. L’effacement du visage grâce à ce stratagème entraîne un sentiment propice à latransgression, au transfert de personnalité. Il libère des contraintes de l’identitéet laisse s’épanouir les tentations quel’individu a coutume de refouler, ouqu’il découvre à la faveur de cette expérience où il n’a plus de comptes à rendreà son visage. Il n’a plus à craindre de nepouvoir se regarder en face et de répondre de ses actes puisqu’il dérobe son visage à son attention et à celle des autres.
Cette banalisation du masque, quiinduit un anonymat généralisé, est unerupture anthropologique infiniment plus lourde de sens que la mise en question de la poignée de main ou de labise. Même le sourire ne les remplacera pas, puisqu’il n’y aura provisoirement plus de visage.
David Le Breton est professeur de sociologie à l’université de Strasbourg. Il a notamment écrit « Des visages. Essai d’anthropologie » (Métailié, 2003)
UN MONDE SANS VISAGE, DILUÉ DANS LA MULTIPLICITÉ DES MASQUES, SERAIT UN MONDE SANS COUPABLES, MAIS AUSSI SANS INDIVIDUS
EN 1978, SOUS L’ÉGIDE DE L’OMS,LA « DÉCLARATION D’ALMA ATA » PRIVILÉGIAITLA PRÉVENTION DANS LES PAYSDITS « DU SUD »
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32 |0123 MARDI 12 MAI 20200123
L es travailleurs de l’ombrevontils retrouver l’ombre ? Les premiers de corvée demeurer à la traîne
des « premiers de cordée », portés au pinacle par Emmanuel Macron ? Le startupeur éclipser denouveau l’éboueur ? Le coronavirus finira par disparaître. Resteront ces jours de souffrance collective et ces mots de reconnaissance tombés d’en haut pour féliciter, comme le président de la République, ceux qui ont « tenu » le pays au pire de l’épidémie. Des hommes – et surtout des femmes – que « nos économies reconnaissent et rémunèrent simal » : aidessoignants, livreurs,chauffeurs, caissières, manutentionnaires, aides à domicile, auxiliaires de vie, agents d’entretien…
La reconnaissance des Françaisleur est acquise, à l’unanimité dessondages. Ils les ont même élevés au rang de « héros du quotidien », comme pour se débarrasser de lavilaine culpabilité de les avoirtrop longtemps ignorés. A l’unisson de M. Macron, et dans un folélan d’empathie, ils ont adopté l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La distinction sociale ne peut être fondée que surl’utilité commune. » Quelle bonne fortune, quand ces millions de personnes souffraient jusqu’à présent d’un discrédit social,pensant parfois exercer « un mauvais emploi » jusqu’à en perdre l’estime de soi !
Tout espoir de revalorisationestil perdu ? Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, propose de « revoir les classifications professionnelles » et de « mieux prendre en compte certaines compétences, liées à une utilité sociale élevée ». Lepremier syndicat français ne parle plus de pouvoir d’achat, comme laCGT et FO, mais de « pouvoir de vivre », comme les écologistes et Nicolas Hulot, qui défend aussi une « revalorisation des métiers vitaux ». La sociologue Dominique Méda insiste sur la reconnaissance du rôle central des femmes.Le libéral Alain Minc, inoxydable conseiller du prince, plaide pour un « Grenelle des bas salaires », autrement dit une grandmesse à la mode d’antan.
BipolarisationTrois obstacles de taille risquent pourtant de doucher les espoirsdes soutiers de l’économie. Le premier est imposé par la situation. Des entreprises de toutes tailles sortent étrillées par deux mois d’arrêt d’activité. Avec la fin progressive du financement du chômage partiel (30 milliardsd’euros) prévue le 1er juin, elles entrent dans la zone de tous les dangers. Il faut s’attendre à des faillites et à une envolée du chômage en 2020 et 2021. Le premier trimestre en a donné un avantgoût : le secteur privé a accusé une perte nette de 453 000 emplois. Pour le patronat, qui parle de « travailler plus », la relance de l’activité est plus urgente que la hausse des bas salaires de ceux qui étaient « au front ».
Le deuxième obstacle est inscritdans le système économique. A moins de le repenser, il resteralargement fondé sur la productivité, qui rémunère mieux les emplois à valeur ajoutée que le travail peu qualifié, même à forte
utilité sociale. Jusque dans les années 1970, le grand « déversement » historique de la force detravail des champs vers les usines, et des usines vers les services, décrit par Alfred Sauvy, a été source de progrès social. L’économiste en a conclu que la machine ne tue pas le travail et qu’« il existetoujours une solution de pleinemploi ». Mais quel emploi ?
Sa mort, en 1990, coïncide avecle début d’une bipolarisation du marché du travail : d’un côté, des personnes qualifiées dans les nouvelles technologies, la finance, le droit ou la santé ; de l’autre, des travailleurs peu ou pas formés, et sans perspective de progression professionnelle, dans l’aide à la personne, la logistique, le commerce ou l’hôtellerierestauration.Au milieu, les catégories intermédiaires, qui tournent autour du salaire net médian (1 800 euros) et qui ont formé la classe moyenne souvent issue des classes populaires, se sont atrophiées, éliminées par la technologie.
Cette fracture creuse les inégalités de salaires, amplifiées par la concentration croissante des patrimoines. Au sein des pays riches de l’OCDE, le salaire par tête dans les services domestiques s’élève àun peu plus de la moitié (54 %) du salaire moyen de l’industrie et à 40 % de celui perçu dans les nouvelles technologies, qui gagnent à grande vitesse tous les secteurs de l’industrie et des services. Ce qui n’empêche pas la prolifération des« boulots à la con », inutiles voire néfastes, décrits par l’anthropologue américain David Graeber dansBullshit Jobs (Les Liens qui libèrent,2018). Parfois bien payés, ceux qui les occupent « souffrent d’un terrible manque de sens, couplé à un sentiment d’inutilité sociale ».
Le troisième obstacle est le plusdifficile à franchir : changer le regard que les élites politiques et économiques, et une partie de la société, portent sur ceux qui ont « tenu » la France. Répondre à leursattentes, c’est les connaître et les reconnaître. M. Macron a invité lesFrançais à « se réinventer ». « Moi le premier », atil dit. En estil capable ? L’historien Gérard Noiriel note que, dans son livreprogramme, Révolution, le futur président accorde « une large place à l’histoire, mais aucune aux classes populaires », sources de problèmes, « les seules ressources étant plutôt du côté de la classe moyenneéduquée, soit son propre milieu ».
Le président peutil les reconnaître et même davantage : leur accorder une compréhension bienveillante, comme le sociologue Pierre Sansot a su le faire dans Les Gens de peu (PUF, 1991) ?« L’expression me plaît, écritil. Elleimplique de la noblesse (…). Sans doute vautil mieux manifester dela grandeur dans le peu que demeurer indécis, épais, risible, incapable d’un beau geste dans l’aisance. » Ces genslà ne télétravaillent pas, rivés à leur ordinateur. Ils étalent encore moinsleurs états d’âme de confinés dans les gazettes depuis leur appartement parisien ou leur résidence normande. Ils manifestent,humblement, leur « grandeur » à hauteur d’homme.
C hi va piano va sano », dit l’adage italien pour conseiller la lenteur à quiveut atteindre son but. La prudence
s’impose à l’évidence dans l’activation des politiques de déconfinement qui, comme en France à partir du lundi 11 mai, sont mises en œuvre dans de nombreux pays après une éprouvante période de confinement. La diminution de la mortalité due au Covid19 et l’apaisement de la tension sur les hôpitaux permettent dedesserrer l’étau. Le creusement des inégalités sociales et scolaires, le risque de dépression collective et la nécessité de la repriseéconomique l’exigent.
Pourtant, à l’heure où chacun aimeraittourner la page, il est clair que nous en sommes loin, tant sont nombreuses les incerti
tudes qui subsistent sur le comportement du SARSCoV2 et sur notre capacité à enrayer l’épidémie autrement que par des mesures de confinement. Ni le mode précis de contamination ni l’intensité exacte de sa circulation ne sont connus. Pas plus que l’importance des enfants dans la transmission du virus, ou le rôle de la température ambiante dans son activité. Même la fameuse « distance de sécurité » entre individus n’est pas certaine. Alors que l’Italie ou le RoyaumeUni recommandent 2 mètres, l’Allemagne se contente de 1,5 mètre et la France de 1mètre, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.
De nombreux pays du monde parviennentdes messages d’avertissement : nouveaux foyers de contamination en Chine, à Wuhan et près de la frontière russe ; réapparition de l’infection dans des bars de nuit de Séoul(Corée du Sud) ; flambée de nouveaux cas en Russie et au Brésil, pays qui pourrait devenir en juin le nouvel épicentre de la pandémie ; augmentation en Allemagne du « taux de reproduction » qui mesure la vitesse de contagion ; nouvelles alertes en France dans la Vienne et en Dordogne. Partout, la reprise dela vie sociale, des échanges, de la circulation et la réouverture des frontières se présentent comme de terribles défis.
Nous vivons « sur une fine couche deglace », a résumé justement la chancelière allemande Angela Merkel. Les opinions pu
bliques, inquiètes de la possible survenue d’autres vagues épidémiques, alarmées par ces nouvelles du monde pour le moins incertaines, tirent les dirigeants vers la prudence. Ainsi, 76 % Français pensent que le déconfinement « doit être mené lentement », selon un sondage Ifop. Au RoyaumeUni, le remplacement du slogan « restez à la maison » par un énigmatique « restez vigilants » annoncé dimanche par lepremier ministre britannique, Boris Johnson, alors que le pays enregistre la pire mortalité d’Europe, fait grincer des dents.
Jamais les responsables politiques, soustoutes les latitudes et quelle que soit leurobédience, n’ont eu à gérer au même moment une agression aussi pernicieuse etimprévisible, dont les seules parades connues, en paralysant l’activité, risquent de multiplier les ravages. Raison de plus pour prendre le temps d’écouter humblement les citoyens et tout faire pour gagner ou conserver leur confiance. Raison de plus pour travailler dès maintenant à tirer les leçons – sur l’organisation des systèmes de santé et de gestion internationale des pandémies, sur la place des travailleurs de« première ligne » dans la société, sur les chaînes d’approvisionnement, entre autres– d’une crise inédite avec laquelle nous allons devoir vivre durablement, qu’il s’agisse de son impact sanitaire ou de ses dégâts économiques.
ÉCONOMIE | CHRONIQUEpar jeanmichel bezat
L’éboueur et le startupeur
NOTRE SYSTÈME RÉMUNÈRE MIEUX LES
EMPLOIS À VALEUR AJOUTÉE QUE CEUX À
FORTE UTILITÉ SOCIALETirage du Monde daté dimanche 10lundi 11 mai : 164 352 exemplaires
LE TEMPS LONG DU DÉCONFINEMENT, UN DÉFI MONDIAL
ILS NE TÉLÉTRAVAILLENT PAS,
NI N’ÉTALENT LEURS ÉTATS D’ÂME DANS LES
GAZETTES DEPUIS LEUR RÉSIDENCE
NORMANDE
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