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MARDI 12 MAI 2020 76 E ANNÉE– N O 23432 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA LE REGARD DE PLANTU LA NOUVELLE PHASE D’UNE CRISE APPELÉE À DURER Le déconfinement, aux effets très percep- tibles, lundi 11 mai, dans certains transports parisiens, est un test majeur face à l’épidémie La découverte de nouveaux foyers dans des départements de l’Ouest, jusque-là épargnés, incite à la vigilance Alors que la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire était en attente de pro- mulgation, lundi, « Le Monde » a enquêté sur le fichage des malades et des « cas contacts » Du port du masque à la façon de consom- mer, cette reprise annonce de profondes évolutions sociétales PAGES 2 À 18 Analyse Le macronisme à rude épreuve face à l’épidémie de Covid-19 PAGE 29 Culture La réouverture sous conditions des « petits musées » PAGE 24 Horizons La grippe de Hong- kong (1968-1970), grande oubliée de l’histoire PAGE 23 Les enseignants doutent de pouvoir reprendre en main les élèves qui ont le plus de difficultés. Le re- tour à l’école reposant sur le volontariat, il y a peu de chances qu’ils s’y rendent PAGE 12 Education Les décrocheurs  pourront-ils être rattrapés ? La modernisation de l’armement des navires français, vendus il y a plus de vingt-cinq ans à Taïwan, reste une pomme de discorde avec Pékin PAGE 19 Diplomatie Les frégates de Taïwan irritent à nouveau la Chine A la station Franklin-Roosevelt, à Paris, à 7 h 55, le 11 mai. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE » Aggravation des inégalités hommes-femmes en france comme ailleurs, les périodes de confinement ont contribué à exacerber les inégali- tés de genre, que ce soit à la mai- son ou face à l’emploi. De nom- breuses femmes se plaignent d’avoir à assumer l’essentiel de la gestion du quotidien : repas, école à la maison, soutien ap- porté aux proches… Pour celles passées en télétravail – et qui le resteront peut-être encore des se- maines, voire plusieurs mois – les journées ressemblent souvent à des marathons chronométrés. La situation des mères céliba- taires inquiète particulièrement. Rien qu’en France, où les femmes représentent 83 % des parents isolés, 430 000 familles monopa- rentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pour garde d’enfants. Pour elles, la re- prise des activités est d’autant plus compliquée à gérer que la réouverture des écoles s’annonce chaotique par endroits. Les inégalités hommes-fem- mes sont également criantes en matière d’emploi. Dans beau- coup de pays, cette crise a un im- pact majeur dans les secteurs très féminisés (tourisme, hôtellerie- restauration…) et laisse craindre de graves conséquences sociales. PAGE 14 La crise sanitaire a provo- qué un véritable électro- choc dans les hôpitaux et totalement changé la fa- çon de voir des soignants PAGE 5 Santé Les hôpitaux se sont réinventés dans l’urgence Droit communautaire Bruxelles envisage de sanctionner Berlin La présidente de la Commission euro- péenne a annoncé le 10 mai qu’elle pour- rait lancer « une pro- cédure d’infraction » contre l’Allemagne Les juges constitu- tionnels de Karlsruhe avaient exigé le 5 mai que la BCE justifie son programme de rachat de dettes PAGES 20-21 ROYAUME-UNI Le pays le plus touché d’Europe (32 000 morts) sort du confinement à petits pas PAGE 6 AFRIQUE Selon deux anthropolo- gues, l’Europe devrait davantage s’inspirer des expériences africaines PAGE 31 TOURISME Le licenciement de 1 900 salariés de la plate-forme de location de logements Airbnb illustre les graves difficultés du secteur PAGE 15 PRENDRE LE TEMPS, UN DÉFI MONDIAL PAGE 32 1 ÉDITORIAL L’abus de journées pyjama nuit gravement à votre matelas Dans nos magasins parisiens, des offres exceptionnelles sur les plus grandes marques : André Renault, Bultex, Dunlopillo, Duvivier, Emma, Epéda, Mérinos, Simmons,Tempur,Treca... Espace Topper Enfin libre de changer de literie ! Canapés, armoires lits, dressings, mobilier contemporain : toutes nos adresses sur www.topper.fr LITERIE PARIS 15 e • 7J/7 • 9H30-20H 66 rue de la Convention, 01 40 59 02 10, M° Boucicaut, parking gratuit © LITERIE PARIS 12 e • 7J/7 • 10H-19H 56-60 cours de Vincennes, 01 43 41 80 93 M° Pte de Vincennes / Nation UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 12 05 2020

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Page 1: Le Monde - 12 05 2020

MARDI 12 MAI 202076E ANNÉE– NO 23432

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

LE REGARD DE PLANTU

LA NOUVELLE PHASE D’UNE CRISE APPELÉE À DURER▶ Le déconfinement,aux effets très percep­tibles, lundi 11 mai,dans certainstransports parisiens,est un test majeurface à l’épidémie▶ La découverte denouveaux foyers dansdes départementsde l’Ouest, jusque­làépargnés, inciteà la vigilance▶ Alors que la loiprorogeant l’étatd’urgence sanitaireétait en attente de pro­mulgation, lundi, « LeMonde » a enquêté surle fichage des maladeset des « cas contacts »▶ Du port du masqueà la façon de consom­mer, cette reprise annonce de profondes évolutions sociétalesPAGES 2 À 18

AnalyseLe macronismeà rude épreuveface à l’épidémie de Covid­19PAGE 29

CultureLa réouverture sous conditions des « petits musées »PAGE 24

HorizonsLa grippe de Hong­kong (1968­1970), grande oubliée de l’histoirePAGE 23

Les enseignants doutent de pouvoir reprendre en main les élèves qui ont le plus de difficultés. Le re­tour à l’école reposant sur le volontariat, il y a peu de chances qu’ils s’y rendentPAGE 12

EducationLes décrocheurs  pourront­ilsêtre rattrapés ?

La modernisation de l’armement des navires français, vendus il y a plus de vingt­cinq ans à Taïwan, reste une pomme de discorde avec PékinPAGE 19

DiplomatieLes frégates de Taïwan irritent à nouveau la Chine

A la station Franklin­Roosevelt, à Paris, à 7 h 55, le 11 mai. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE »

Aggravation des inégalités hommes­femmesen france comme ailleurs, les périodes de confinement ont contribué à exacerber les inégali­tés de genre, que ce soit à la mai­son ou face à l’emploi. De nom­breuses femmes se plaignent d’avoir à assumer l’essentiel de la gestion du quotidien : repas, école à la maison, soutien ap­porté aux proches… Pour celles passées en télétravail – et qui le resteront peut­être encore des se­

maines, voire plusieurs mois – lesjournées ressemblent souvent àdes marathons chronométrés.

La situation des mères céliba­taires inquiète particulièrement. Rien qu’en France, où les femmesreprésentent 83 % des parentsisolés, 430 000 familles monopa­rentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pourgarde d’enfants. Pour elles, la re­prise des activités est d’autant

plus compliquée à gérer que la réouverture des écoles s’annoncechaotique par endroits.

Les inégalités hommes­fem­mes sont également criantes enmatière d’emploi. Dans beau­coup de pays, cette crise a un im­pact majeur dans les secteurs trèsféminisés (tourisme, hôtellerie­restauration…) et laisse craindre de graves conséquences sociales.

PAGE 14

La crise sanitaire a provo­qué un véritable électro­choc dans les hôpitaux et totalement changé la fa­çon de voir des soignantsPAGE 5

SantéLes hôpitauxse sont réinventés dans l’urgence

Droit communautaire Bruxelles envisage de sanctionner Berlin▶ La présidente de laCommission euro­péenne a annoncé le10 mai qu’elle pour­rait lancer « une pro­cédure d’infraction »contre l’Allemagne

▶ Les juges constitu­tionnels de Karlsruheavaient exigé le 5 maique la BCE justifieson programme derachat de dettesPAGES 20-21

ROYAUME-UNILe pays le plus touché d’Europe (32 000 morts) sort du confinement à petits pasPAGE 6

AFRIQUESelon deux anthropolo­gues, l’Europe devrait davantage s’inspirer des expériences africainesPAGE 31

TOURISMELe licenciement de 1 900 salariés de la plate­forme de location de logements Airbnb illustre les graves difficultés du secteurPAGE 15

PRENDRE LE TEMPS, UN DÉFI MONDIAL

PAGE 32

1É D I T O R I A L

L’abus dejournées pyjamanuit gravementà votre matelas

Dans nos magasins parisiens,des offres exceptionnelles sur les plusgrandes marques : André Renault,Bultex, Dunlopillo, Duvivier, Emma, Epéda,Mérinos, Simmons,Tempur,Treca...

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Page 2: Le Monde - 12 05 2020

2 | CORONAVIRUS MARDI 12 MAI 20200123

« L’illustration de ce qu’on ne veut pas vivre »Des groupements de cas sont apparus après des réunions familiale ou professionnelle dans le Sud­Ouest

bordeaux ­ correspondance

C’ est un scénario quiavait été majoritaire­ment évité en Nou­velle­Aquitaine, ré­

gion qui se targuait, à la veille du déconfinement progressif, d’être la moins touchée de France par le Covid­19. Deux clusters − ou cas groupés − ont été détectés ces der­niers jours et pris en charge par l’agence régionale de santé (ARS).Le premier dans le village d’Egli­se­Neuve­de­Vergt, à proximité dePérigueux, en Dordogne, et le se­cond à Chauvigny, dans la Vienne.Si plusieurs cas ont été identifiéset isolés, aucun n’a pour l’heure nécessité d’hospitalisation. Di­manche 10 mai, quatre salariés ont à leur tour été testés positifsdans une entreprise de l’agroali­mentaire, cette fois en Vendée.

Le 24 avril, une messe est célé­brée en mémoire d’un homme de51 ans, « qui n’est pas décédé du Co­vid », précise Michel Laforcade, di­recteur général de l’ARS de Nou­velle­Aquitaine. L’enterrement qui suit réunit les proches du dé­funt, visiblement dans la limitede vingt personnes, comme le veulent les règles du confine­ment. Mais, à l’issue des obsè­ques, d’autres proches de la fa­mille les auraient rejoints.

Quelques jours plus tard, unmembre de la famille se présente chez un médecin de la maison de santé pluriprofessionnelle de Vergt. Le 30 avril, il est déclaré po­sitif au Covid­19. Et comme pour chaque foyer épidémique, l’ARS doit agir rapidement. Le lende­main, cinq personnes de la fa­mille sont également dépistées. Les tests se révèlent positifs, et el­les sont immédiatement isolées. Au total, en remontant les « cascontacts » de toutes les personnesconcernées, 127 ont été dépistées, et 9 testées positives.

Le fils du défunt se défend, expli­quant avoir respecté les consignessanitaires. Si certains de ses dixfrères et sœurs ont fait le déplace­ment de la Suisse et du Portugal, ilraconte, dans l’édition du 9 mai deSud Ouest, que tous « ont fait très

attention à respecter les gestes bar­rières tout au long de la journée ».« Nous étions vingt à l’intérieur de l’édifice. Tous gantés, masqués etassis à un mètre minimum les unsdes autres. La cérémonie a été célé­brée par une paroissienne. Elle a duré une vingtaine minutes en toutet pour tout. » Et le jeune hommede 31 ans balaie les accusations fai­sant état d’une réunion de familleen plus grand nombre à l’issue de la cérémonie.

Si aucun cas ne nécessite d’hos­pitalisation, le directeur de l’ARS rappelle l’importance des gestes barrières, à l’heure du déconfine­ment, pour éviter ce genre de scé­narios qui pourraient s’avérer ca­

tastrophiques, comme à Mul­house. « Tous ces clusters et ces moments dont on se serait passés peuvent aussi être des moments pédagogiques, qui nous permet­tent de rappeler à la population que c’est peut­être maintenant queles gestes barrières sont plus im­portants que quand vous étiezconfinés. Or, maintenant, vous al­lez croiser de multiples personnes,dans les moyens de transport, dansvotre entreprise, en tant que client ou si vous êtes commerçant. »

Pour le maire (Les Républicains)de Périgueux, Antoine Audi, pre­mier vice­président de la commu­nauté d’agglomérations, la cou­leur verte attribuée à ses départe­ments pourrait envoyer de mau­vais signaux auprès des citoyens. « Je suis inquiet depuis que la date du 11 mai a été exprimée, explique l’élu. On a inconsciemment libéré un peu la vigilance des gens, et je trouve d’ailleurs que le fait d’avoirune carte de France en rouge et en vert n’est pas un bon signal. J’aurais préféré qu’il n’y ait que deux couleurs, orange et rouge,pour garder cette vigilance bien présente à l’esprit de chacun. Quand on est en orange, on est en­

core à un niveau d’alerte, alorsqu’en vert, on ne l’est plus. » D’ailleurs, les cas groupés deVergt sont, pour lui, « bien la preuve, hélas, que la discipline n’était pas au rendez­vous ».

Un sentiment que partage Mi­chel Laforcade. « Tout ça n’a pas fait l’objet d’une analyse, mais on pense qu’il peut y avoir dans l’at­mosphère quelque chose de con­tre­productif, notamment lié au fait que les douze départements sont verts », craint le spécialiste.

« Relâchement »En attendant, le maire de Péri­gueux, prudent, a décidé − avantcet incident − de ne rouvrir lesécoles qu’à partir du 18 mai, pour « se donner le temps de les désin­fecter, de prévenir les parents, quetout soit carré. Ce qui s’est passé à côté de Périgueux, pour moi, c’est juste un feu orange clignotant sup­plémentaire, qui appelle la vigi­lance et la discipline de chacun », conclut Antoine Audi. « Il faut qu’on soit très très vigilant, la vieredémarre mais pas comme avant, a déclaré à la presse, ven­dredi 8 mai, le préfet de la Dordo­gne, Frédéric Périssat. C’est vrai­

ment l’illustration de ce qu’on ne veut pas vivre dans les trois semai­nes, c’est­à­dire : relâchement, réu­nions familiales, enfants, petits­enfants, grands­parents, voisins­voisines… On se retrouve à une trentaine et, au bout du compte,une seule personne va contaminer un nombre très significatif et, der­rière, ça va mobiliser beaucoup de monde » pour remonter et casser la chaîne de contamination.

Dans le département voisin dela Vienne, un autre scénario de cluster dans la commune deChauvigny a suscité l’inquiétude de l’ARS. Dans le collège Gérard­Philipe, un membre de la direc­tion, qui avait participé à plu­

Le village d’Eglise­Neuve­de­Vergt (Dordogne), où un foyer épidémique a été détecté après les obsèques d’un homme de 51 ans, fin avril. GEORGES GOBET/AFP

« Nous étions vingt à l’intérieur

de l’édifice.Tous gantés,

masqués », se défend le fils dudéfunt d’Eglise-Neuve-de-Vergt

sieurs réunions d’organisation de la rentrée scolaire, a été testé posi­tif au Covid­19. L’ARS a immédia­tement cherché les cas contactspour procéder au dépistage, le 7 mai, de 19 personnes. « Cela a étéassez facile, avec des profession­nels qui nous ont beaucoup aidés. Nous avons demandé aux person­nes concernées de rester en qua­rantaine, même celles dont les tests étaient négatifs, car on sait que si elles viennent éventuelle­ment d’être contaminées le test peut être négatif dans les premiè­res heures ou les premiers jours, donc on le refera si besoin »,avance Michel Laforcade. « Troisautres personnes ont été dépistées positives, portant à quatre le nom­bre de Covid dans cette commu­nauté éducative », précise l’ARS.

Face à ces deux foyers épidémi­ques, Michel Laforcade répète de nouveau une phrase qui a ponc­tué ses déclarations tout au long de la crise sanitaire : « Il faut faire en sorte que le feu de broussaille ne devienne pas un feu de forêt. C’est vraiment la responsabilité ci­toyenne qui fera la différence, tout dépend de nous. »

claire mayer

Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University Infographie Le Monde

Italie30 560 morts51 décès / 100 000 hab.

Royaume-Uni31 930 morts48 décès / 100 000 hab.

Espagne26 478 morts57 décès / 100 000 hab.

France26 380 morts39 décès / 100 000 hab.

Allemagne7 5499 décès / 100 000 hab.

EN EUROPE... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants

de 100 à 114de 50 à 100de 25 à 50Moins de 25

2 972

22 569

253

18 mars 10 mai

Personneshospitalisées

Nouvelles admissionsjournalières

HOSPITALISATIONS...

2 776

18 mars 10 mai

RÉAMINATION ET SOINSINTENSIFS

DÉCÈS EN FRANCE

depuis le 1er marsdont 16 642 à l’hôpitalet 9 738 en Ehpad

26 380

771

DÉCONFINEMENT

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

Pariset départements

limitrophes

Les départements classés en rouge :où l’épidémie sévit avec le plusde virulence et où la tensionhospitalière en réanimationest importante

Epidémie de Covid-19 : situation au 10 mai, 14 heures

DORDOGNE

LOTLOT-ET-GARONNE

GIRONDE

CHARENTEHAUTE-VIENNE

25 km

Périgueux

Bergerac

Eglise-Neuve-de-Vergt

« Il faut faire en sorte que le

feu de broussaille ne devienne pasun feu de forêt »

MICHEL LAFORCADEdirecteur général de l’agence

régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine

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Page 3: Le Monde - 12 05 2020

*Maintien des prix jusqu’au 31 août 2020 sur 4501 produits Marque Repère par rapport aux prix relevés du 10 au 16 mars 2020 et sur

8112 produits Sélection d’Expert et Tissaia par rapport aux prix relevés du 3 au 16 mars 2020 dans les centres E.Leclerc en France, Corse

comprise, hors île de La Réunion, hors produits en catalogue. Sous réserve d’une évolution de la réglementation applicable à ces produits.

Liste des produits disponibles et magasins participants sur www.e.leclerc

GALEC

–26QuaiMarcelBoyer–94200Ivry

-sur-Seine,642007991RCSCré

teil.

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Page 4: Le Monde - 12 05 2020

4 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

Ce que contiendront les fichiers de suivi des malades

Pour éviter une reprise de l’épidémie, le gouvernement mise sur un système d’identification des personnes atteintes et de leurs « cas contacts », qui repose sur deux nouvelles bases de données médicales : SI­DEP et Contact Covid

A lors qu’un long déconfine­ment débute le 11 mai, lesautorités veulent éviter unereprise de l’épidémie de Co­vid­19, qui a déjà fait plus de26 000 morts en France. Un

point­clé de la stratégie du gouvernement : l’identification rapide de toute personne ayant été proche d’un malade, afin de luifaire passer également un test et, le cas échéant, l’isoler afin qu’elle ne propage pas lamaladie. C’est ce que l’on appelle le suivi des « cas contacts » (ou « contact tracing »).

L’exécutif souhaite, grâce à ce suivi, « identi­fier rapidement 75 % des personnes infectées », même lorsque ces dernières ne présententpas de symptômes du Covid­19, selon une ins­truction ministérielle en date du 6 mai que LeMonde a pu consulter. L’article 6 de la loi pro­longeant l’état d’urgence sanitaire prévoit, pour cela, la mise en place d’un nouveau « sys­tème d’information ». Son fonctionnement s’appuie sur deux bases de données médica­les spécifiques : les fichiers SI­DEP et Contact Covid. Ces bases de données devaient être prêtes dès lundi 11 mai, mais leur mise en œuvre, dans la foulée de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, a pris du retard. Le décret leur donnant naissance sera publié « avant la fin de la semaine », ont expliqué lundi Emmanuel Macron et Edouard Philippedans un communiqué.

SI­DEP, pour identifier les malades Le fi­chier SI­DEP – pour « système d’information de dépistage » – est une base nominative quicontiendra l’intégralité des résultats des tests PCR qui seront réalisés à partir du 11 mai. Ces tests permettent de déceler le pa­trimoine génétique du virus SARS­CoV­2 dans des prélèvements nasopharyngés. Ces derniers devraient être très nombreux : le gouvernement espère en réaliser 700 000 par semaine. Cette base de données seraremplie par les laboratoires et par tout orga­nisme habilité à réaliser un test au Covid­19. SI­DEP servira aussi à la surveillance globale de l’épidémie par les autorités sanitaires – mais à partir de données expurgées des éléments identifiants les personnes tels lesnoms, adresses, etc.

Selon plusieurs documents transmis auxlaboratoires par l’Assistance publique­Hôpi­taux de Paris (AP­HP) – qui hébergera la base de données – que nous avons pu con­sulter, les autorités prévoient aussi que cefichier abonde, de manière « pseudonymi­sée », le Health Data Hub, la controverséeplate­forme d’analyse de données médica­les. Mais le but principal du SI­DEP est de « déclencher le contact­tracing le plus rapi­dement possible », toujours selon l’un desdocuments de l’AP­HP.

Contact Covid, pour recenser les contactsdes malades C’est là qu’intervient la seconde base de données, appelée Contact Covid, du nom du « téléservice » élaboré par l’Assurance­maladie. Elle servira aux diffé­

rentes équipes chargées du suivi des cas contacts des malades.

Les médecins vont la renseigner dans uneapplication qu’ils utilisent déjà : Amelipro. Une fois avertis du résultat du test qu’ils ont prescrit, eux­mêmes ou leur secrétariat de­manderont à leurs patients des informa­tions sur les personnes qui partagent leur foyer – et qui risquent donc tout particulière­ment de contracter le Covid­19. Ces informa­tions seront recueillies par le biais d’un for­mulaire transmis aux malades.

Les médecins pourront aussi recueillir lescoordonnées et l’identité des personnes hors du foyer avec qui le malade a eu une in­teraction rapprochée. Ce qui définit un con­tact rapproché est susceptible d’évoluer,mais consiste, selon le site de l’Assurance­maladie, en des « échanges d’une durée d’au moins quinze minutes sans masques avec un éloignement de moins d’un mètre » sur les dernières quarante­huit heures. Initiale­ment, l’Assurance­maladie prévoyait de ré­munérer les médecins en fonction du nom­bre et de la précision des informations sai­sies dans le fichier. Mais, le Parlement a sup­primé cette possibilité, tout en laissantl’option d’une rémunération fixe.

Ensuite, la balle sera transmise aux person­nels de l’Assurance­maladie. Des équipes de suivi des cas contacts – des « brigades » –sont en train d’être constituées dans chaque caisse départementale. Sur toute la France,4 000 salariés de l’Assurance­maladie étaientprêts à prendre leurs postes dès lundi matin,et 2 500 sont mobilisables en cas de besoin, précisait, le 1er mai, Nicolas Revel, le patronde l’Assurance­maladie.

Ces derniers pourront appeler le maladepour étoffer la liste des personnes avec qui il a été en contact rapproché. Seront alors col­lectées les informations nécessaires à pou­voir les contacter. Puis ces équipes de suivi des cas contacts les solliciteront, principale­ment par téléphone. Elles pourront les invi­ter à se confiner chez elles, à réaliser un testou à les orienter vers un soin spécifique. El­les pourront délivrer directement un arrêt de travail, et « évaluer les éventuels besoins d’accompagnement social de ces personnes au cours de leur période d’isolement », selon l’Assurance­maladie. Les personnes enregis­trées dans le fichier Contact Covid pourront récupérer gratuitement des masques et réa­liser un test sans prescription médicale.

Si les équipes de l’Assurance­maladie neparviennent pas à joindre les cas contacts, el­les pourront obtenir l’aide des services mis en place par le préfet, qui peuvent solliciterles services municipaux.

Enfin, les agences régionales de santé (ARS)et Santé publique France utiliseront Contact Covid pour les enquêtes qui pourront être nécessaires lorsque sera infectée une per­sonne évoluant dans un environnement àrisque, lorsque émergera un foyer de conta­mination important ou lorsqu’on ne par­viendra pas à comprendre où et commentun patient a été infecté.

Quel rapport avec l’application Stop­Covid ? A ce stade, le texte de loi ne con­cerne pas StopCovid, le projet gouverne­mental d’application pour smartphone desuivi de contacts – dont Cédric O espèrequ’elle sortira en juin. Le Parlement a mêmeinscrit formellement dans le texte la possi­bilité que StopCovid repose sur le nouveau« système d’information » combinant le SI­DEP et Contact Covid. L’application, si elle est menée à terme, devrait s’articuler à cesdeux bases de données pour être utile aux équipes de santé chargées du suivi des cascontacts. On peut imaginer, par exemple,que l’application StopCovid suggère à une personne ayant potentiellement côtoyé unmalade d’appeler les équipes de l’Assuran­ce­maladie, afin qu’elles alimentent ensuitele fichier Contact Covid.

Pourquoi ne pas utiliser les fichiers déjàexistants ? De nombreux fichiers médicaux existent déjà. « Les systèmes d’informationexistants ne permettent pas le recensement des cas confirmés à destination d’un disposi­tif de tracing ni de mettre en œuvre le tracing lui­même », expliquait l’étude d’impact du projet de loi publié le 2 mai. Les bases de don­nées SI­DEP et Contact Covid seront, de fait, le socle technique d’un nouveau « systèmed’information » spécifique à l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie.

Sera­t­il possible de ne pas y figurer ? PourContact Covid comme pour le SI­DEP, les mo­dalités exactes du droit de refus à ce que des données personnelles y figurent – que pré­voit sous certaines conditions le droit euro­péen – seront déterminées par décret.

Cependant, selon les documents que nousavons pu consulter, certaines données figu­reront obligatoirement dans le SI­DEP : lenom, le sexe, la date de naissance, l’adresse, le numéro de téléphone du malade, mais aussi son type de résidence (habitat indivi­duel, personne hospitalisée…) et d’activité(professionnel de santé ou non). D’autres

données, comme la date d’apparition despremiers symptômes, l’adresse électroniqueou le lieu de naissance, pourront ne pas être versées au fichier. Enfin, les patients pour­ront s’opposer à ce que leurs données soient utilisées à des fins de recherche dans le cadredu Health Data Hub.

Pourquoi ces fichiers ? Sans fichier, difficilede faire un suivi exhaustif des cas contacts,et de pouvoir contacter des malades suppo­sés. Or, cette technique apparaît comme un instrument incontournable dans la luttecontre la pandémie. Le conseil scientifique leconfirme tout au long de sa note du 20 avril sur les conditions du déconfinement.

En effet, le SARS­Cov­2, le virus qui cause lamaladie Covid­19, est très contagieux. Une étude de l’Institut Pasteur a établi que cha­que malade, en France et avant le confine­ment, contaminait 3,3 personnes. Un nom­bre croissant et concordant d’études scien­tifiques tend à montrer que cette forte con­tagiosité pourrait s’expliquer par le fait queles malades sont contagieux juste avant deprésenter des symptômes : c’est commecela que le virus continue son chemin à tra­vers des personnes qui ne savent pas encorequ’elles sont malades. Ces fichiers vont ser­vir à les identifier.

Combien de temps seront conservées lesdonnées ? La loi de prorogation de l’étatd’urgence sanitaire prévoit que les donnéesne seront conservées que pendant troismois. Cette question sera abordée – et peut­être précisée – par le décret qui créera les deux fichiers.

La Commission nationale de l’informati­que et des libertés (CNIL) a déjà prévenu qu’elle serait vigilante sur cette durée deconservation, et a déjà plaidé pour que cer­taines données soient effacées au plus vite.« Certaines données liées à des enquêtes achevées » autour d’un patient contaminé« devraient être supprimées dans un délai as­sez bref, bien avant la fin de l’épidémie », a

CE QUI DÉFINIT UN CONTACT RAPPROCHÉ 

CONSISTE EN DES « ÉCHANGES D’UNE DURÉE D’AU MOINS QUINZE MINUTES, SANS MASQUES, 

AVEC UN ÉLOIGNEMENT 

DE MOINS D’UN MÈTRE » SUR 

LES DERNIÈRES 48 HEURES

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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 5

préconisé la présidente de la CNIL aux dé­putés, le 5 mai. La loi adoptée le 9 mai par leParlement prévoit du reste que la créationdes fichiers soit subordonnée à un avis« conforme » de la CNIL.

Qui aura accès à ces données ? Les don­nées issues des fichiers SI­DEP et ContactCovid seront accessibles aux agents et sala­riés du ministère de la santé, des organis­mes nationaux et locaux de l’Assurance­maladie, des agences régionales de santé,mais aussi de ceux des établissements etdes médecins prenant en charge les person­nes concernées et les laboratoires réalisant les tests. L’ensemble des salariés ou mem­bres de ces organismes n’auront, en revan­che, pas accès à toutes les données des deuxfichiers. Un décret doit préciser exactementqui, au sein de ces organismes, aura accès àquel type de données.

Quels débats ces fichiers soulèvent­ils ?La Commission nationale consultative

des droits de l’homme s’est dite « particuliè­rement inquiète » au sujet de ces deux fi­chiers, qui portent, selon elle, « une atteinte

conséquente au respect de la vie privée ». Al’Assemblée nationale, l’opposition a déjà tenté de les supprimer purement et simple­ment du projet de loi. Certains estimentqu’ils constituent d’importantes entorses au secret médical. D’une part parce que les médecins devront obligatoirement recen­ser une partie des cas contacts d’un malade ;d’autre part parce que les deux fichierspourront être consultés par des personnesqui ne sont pas des personnels soignants ausens strict du terme.

Sur le premier point, si les médecins de­vront demander à leur patient qui partage leur lieu de vie, l’identification des « person­nes contacts à risque élevé de contaminationhors du foyer » reposera « sur la base du vo­lontariat », a précisé l’instruction interminis­térielle du 6 mai. Sur ce sujet, l’ordre des mé­decins a demandé plusieurs garanties, tout comme l’Académie de médecine.

Sur le second point, le directeur de l’Assu­rance­maladie a assuré, dans Les Echos, que ses personnels étaient soumis au secret mé­dical comme les médecins. La loi prévoitune peine d’un an de prison et d’uneamende de 15 000 euros pour toute per­sonne qui compromettrait la confidentia­lité des données collectées.

Une autre limite soulevée concerne l’ajoutde cas contacts au fichier Contact Covid sans leur consentement. Cela renvoie en fait àl’une des difficultés intrinsèques du suivi de contact : pour avertir une personne qu’elle apeut­être le virus, il faut disposer de ses coor­données. Mais comme elle ne sait pas qu’ellerisque d’être malade, difficile de lui deman­der son accord sans justement disposer deses coordonnées (et donc de les recenserdans un fichier). Pour tenter de circonscriretoutes ces inquiétudes, le Parlement a ajouté au texte la création d’un « Comité de contrôle et de liaison Covid­19 » pour évaluer la perti­nence de ces dispositifs numériques ainsi que la transmission régulière au Parlement d’un rapport et d’un avis de la CNIL.

martin untersinger

LA COMMISSION NATIONALE 

CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME 

ESTIME QUE CES DEUX FICHIERS PORTENT « UNE ATTEINTE CONSÉQUENTE 

AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE »

Une sortie du métro, à Paris, lundi 11 mai. AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »

Hôpitaux : la fin d’une parenthèse hors normesContraintes suspendues, coopération accrue, renforts… La crise a permis aux soignants de se concentrer sur l’intérêt des patients

A vec près de 100 000 pa­tients atteints du Co­vid­19 pris en charge de­

puis le 1er mars, l’hôpital public a subi en quelques semaines un « électrochoc » qui l’a obligé à se réinventer dans l’urgence. A l’heure de la décrue, les personnelshospitaliers décrivent cette pé­riode comme une « parenthèse ex­traordinaire », certes « doulou­reuse », « stressante » et « fati­gante », mais où furent possibles un « formidable bouillonnement d’idées » et un « fonctionnement miraculeux », selon les termes de plusieurs d’entre eux.

« Les personnels ont goûté à autrechose. Il y a eu de l’invention et de l’autonomisation, ça a complète­ment changé la façon de voir leur métier », selon François Salachas, neurologue à la Pitié­Salpêtrière etmembre du Collectif inter­hôpi­taux (CIH). « Nous obtenions tout ce que nous demandions, jamais nous n’entendions parler de fi­nance. Je me suis demandé s’il s’agissait d’un miracle ou d’un mi­rage », a raconté Hélène Gros, mé­decin au service des maladies in­fectieuses de l’hôpital Robert­Bal­langer, à Aulnay­sous­Bois (Seine­Saint­Denis), le 5 mai, lors d’une conférence de presse du CIH.

C’est donc avec appréhensionque les soignants voient cette pa­renthèse se refermer, les mesures du « plan massif d’investissement et de revalorisation » en faveur de l’hôpital, promis par Emmanuel Macron, le 25 mars, à Mulhouse, n’étant toujours pas connues. Jeudi 7 mai, des membres du CIH ont défilé en blouse blanche dans les couloirs de l’hôpital Robert­De­bré, à Paris, l’un d’eux portait une pancarte sur laquelle était écrit : « Pas de retour à l’anormal ».

Des besoins satisfaitsA l’hôpital, tout le monde a en têteles propos tenus par le chef del’Etat lors de son allocution solen­nelle du 12 mars. « Le gouverne­ment mobilisera tous les moyensfinanciers nécessaires pour porterassistance, pour prendre en chargeles malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte. » Un feu vertprésidentiel immédiatement ré­percuté sur le terrain. Dès le dé­but, « les barrières financières ont sauté. On (…) a dit : “Ce sera oui à tout” », selon un directeur médi­cal de crise à l’Assistance publi­que­Hôpitaux de Paris (AP­HP).

Si la pénurie d’équipements deprotection, comme les masques ou les surblouses, a suscité la co­lère dans de nombreux établisse­ments, d’autres besoins ont été immédiatement satisfaits. « Toute l’année, notre référente logistique se bat pour avoir le moindre maté­riel, là elle m’a dit : “C’est open bar !” J’ai pu commander ce dont j’ai be­soin, comme des stéthoscopes, des thermomètres… alors même que le budget mensuel alloué avait été dé­passé », relate Claire Guil­Paris, in­firmière au CHU de Nantes.

« Etonnamment, tout pouvait secommander en urgence », renché­rit Florence Pinsard. Sept ans que cette cadre en gériatrie au centre hospitalier de Pau demandait en vain des thermomètres sans con­tact. « On a presque dit “vive le Co­

vid­19 !” » , lance­t­elle. Le 28 avril, la Fédération hospitalière de France a chiffré entre 600 mil­lions et 900 millions d’euros le surcoût de la crise pour les hôpi­taux publics. Une cadre supé­rieure d’un hôpital de l’AP­HP rap­pelle toutefois que de nombreux matériels (pousse­seringues, res­pirateurs, etc.) ont été obtenus grâce la solidarité privée, notam­ment d’associations comme Pro­tège ton soignant.

Dans certains hôpitaux, la criseest survenue dans une situation tendue en ce qui concerne les ef­fectifs de personnels. Faute decandidats, il manquait, par exem­ple, près de 900 infirmiers début mars dans les 39 établissements de l’AP­HP, entraînant la ferme­ture de plusieurs centaines de lits.

La suspension des activitéshors Covid non urgentes a d’abord permis de réquisitionnerdu personnel supplémentaire.Dans le Grand­Est ou en Ile­de­France, des renforts – payés enmoyenne à l’AP­HP 30 % de plusque les titulaires, selon nos infor­mations – sont en outre venus d’autres régions moins exposées.« En trois jours, on a pu recruter uncollègue de Rouen pour nousaider à monter un système per­mettant de surveiller en continu lasaturation des patients dans lesecteur Covid de pneumologie, avec l’aide de sociétés privées quiont prêté de l’appareillage », ex­plique Thomas Gille, pneumolo­gue à l’hôpital Avicenne, à Bobi­gny (Seine­Saint­Denis). Beau­coup de soignants sont aussi ve­nus travailler en intérim.

Alors que les hôpitaux redémar­rent leur activité sans rapport avecle Covid­19, les personnels titulai­res s’inquiètent de voir repartir ceseffectifs. « Ce ne sont pas des moyens exceptionnels. Ils sont justeà peine à la hauteur de ce qu’il fau­drait le reste du temps pour s’occu­per des malades non­Covid », es­time Mme Pinsard. « Alors qu’ils se sont souvent plu chez nous, ces ren­forts ne veulent pas rester, ils nous disent qu’ils ne peuvent pas se logerà Paris. Les conditions ne sont pas là pour qu’ils se disent que ça vaut le coup de revenir », regrette une cadre supérieure d’un grand hôpi­tal de l’AP­HP.

Les médecins hospitaliers sa­luent le changement de discours de leur direction pendant ces quel­ques semaines. « D’habitude, on nenous parle que de tarification d’ac­tivité, de rentabilité, de fermeture de lits, d’augmentation de l’activité et de réduction du personnel. Là,

d’un seul coup il n’était plus ques­tion de tout ça, mais de l’intérêt des malades », relève Isabelle Simon, pneumologue au Centre hospita­lier de Compiègne­Noyon (Oise). « On a eu l’impression d’être libérés,comme si on avait ouvert une portede prison », a fait valoir, le 5 mai, Agnès Hartemann, la chef du ser­vice de diabétologie de la Pitié­Sal­pêtrière, à Paris.

Au cours de cette période où illeur a fallu gérer un afflux massif et soudain de patients atteints du Covid­19, les personnels hospita­liers disent avoir retrouvé le sensde leur métier. « On arrivait à une saturation de cet hôpital­entre­prise avec des tableaux Excel et desalignements de chiffres pour taper sur les médecins en leur disant : “Vous ne travaillez pas assez” », ré­sume François Braun, chef du ser­vice des urgences du centre hos­pitalier régional de Metz­Thion­ville (Moselle) et président dusyndicat SAMU­Urgences de France. « C’est une parenthèse où on a pu faire notre métier commeon aurait envie de le faire tous les jours », ajoute Mme Guil­Paris.

S’ils se sont sentis enfin écoutés,les médecins ont aussi eu le senti­ment de reprendre l’organisation des services en main, avec les para­médicaux, et de ne plus se voir im­poser des schémas directeurs d’or­ganisation. « On a redécouvert les vertus de la gestion locale, décen­tralisée, ça va être difficile pour toutle monde de revenir en arrière quand le siège central va resserrer la bride », souligne le docteur Gille.

Concurrence évaporéeLa crise a vu se dessiner une syner­gie inédite à l’hôpital. L’arrêt de toutes les activités programmées aconduit tout le corps médical à se concentrer sur un objectif com­mun. La concurrence entre méde­cins, entre disciplines, entre per­sonnels médicaux et paramédi­caux, entre seniors et internes, s’est subitement évaporée, relè­vent de nombreux soignants.

« C’était comme une grande fa­mille qui se retrouve, la glace qui se brise, des distanciations et hiérar­chies qui n’existent plus, il y avait plus d’attention pour les brancar­diers, les infirmières, les aides­soi­gnants… C’est ce qui nous a permis de tenir, alors qu’on était dans l’œil du cyclone », décrit la docteure Si­mon, à Compiègne, le premier centre hospitalier, avec celui de Creil, à avoir accueilli des patients atteints du Covid­19.

A l’hôpital, une question est danstous les esprits : à quoi ressem­blera l’« après­Covid » ? « Le temps n’est plus aux tergiversations », a mis en garde le professeur Jean­Luc Jouve, chirurgien orthopé­diste à Marseille, lors de la confé­rence de presse du CIH. « Notre sys­tème a pu résister à cette vague en laissant l’hôpital à genoux. Il ne ré­sistera pas à des vagues successi­ves », a­t­il fait valoir, en rappelant que « les personnels hospitaliers ont besoin d’une revalorisation im­médiate » et qu’il n’y a eu, selon lui,jusqu’à présent, « aucune annonce gouvernementale qui permette d’avoir un véritable espoir ».

françois béguinet élisabeth pineau

« NOUS OBTENIONS TOUT CE QUE NOUS 

DEMANDIONS, JAMAIS NOUS N’AVONS ENTENDU PARLER DE FINANCE. JE ME SUIS DEMANDÉ S’IL 

S’AGISSAIT D’UN MIRACLE OU D’UN MIRAGE »

HÉLÈNE GROSmédecin

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Page 6: Le Monde - 12 05 2020

6 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

Le Royaume­Uni se déconfine en ordre disperséJugeant la décision hâtive, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ne procéderont pas aux réouvertures

londres ­ correspondante

I l fut l’un des derniers payseuropéens à se confiner, le23 mars, et il affiche désor­mais le plus lourd bilan offi­

ciel du continent (32 000 décès duCovid­19). Le Royaume­Uni se« déconfine » à son tour, mais àtout petits pas, et en ordre dis­persé. Dimanche 10 mai, dans un discours très attendu, le premierministre, Boris Johnson, a an­noncé une sortie du déconfine­ment en trois phases, condition­nées à l’évolution de la pandémie,notamment au niveau du R0, le taux de transmission du virus (nombre de personnes qu’un ma­lade contamine en moyenne).

Cet indicateur désormais essen­tiel des politiques anti­Covid, se­rait entre « 0,5 et 0,9 », a précisé Bo­ris Johnson (s’il dépasse 1, l’épidé­mie est de nouveau en forte ex­pansion). En conséquence, dès mercredi 13 mai, les Britanniques seront autorisés à sortir autant qu’ils le veulent pour prendre l’air ou faire de l’exercice – ils n’avaientdroit qu’à une sortie quotidienne d’une heure jusqu’à présent. « Vous allez pouvoir prendre des bains de soleil dans vos parcs, pren­dre la voiture pour une autre desti­nation, et même faire du sport, mais uniquement avec des mem­bres de votre foyer. »

Les golfs et terrains de tennispourraient donc rouvrir dans lesjours qui viennent, les plages de­vraient être accessibles. Par ailleurs, « tous ceux qui ne peuventpas travailler de chez eux, dans la construction ou les usines, parexemple, doivent être encouragésactivement à retourner au tra­vail », si possible « en voiture, à pied ou à vélo », a encore précisé

Boris Johnson. Pour les autres, le télétravail va rester la norme. Ettout le monde devra continuer àrespecter les règles de « distancia­tion sociale » : deux mètres au Royaume­Uni. Attention aux con­trevenants : la police britannique a jusqu’à présent eu la main plu­tôt légère – quelques milliers d’amendes ont été infligées –mais le niveau des contraven­tions va augmenter, a menacé M. Johnson.

Pour la réouverture des écoles etdes magasins (hors alimentation), il faudra attendre « au plus tôt » le 1er juin. Et encore : pour ce qui est des établissements scolaires, seu­les les crèches et les écoles primai­res sont concernées, avec en prio­rité les premier et sixième niveaux(équivalents de la grande section de maternelle et du CM2). Les ly­céens (de 16 à 18 ans) pourront re­tourner dans leurs établisse­ments, mais seulement pour des rencontres avec leurs professeurs. Pour les autres, la classe ne repren­dra qu’à la rentrée de septembre.

Tensions avec l’EcosseEnfin, « au plus tôt en juillet », tou­jours si le R0 et le nombre de nou­velles infections le permettent, certains espaces publics et une partie du secteur de l’hôtellerie pourraient rouvrir, ainsi que les cinémas, ou les restaurants dispo­sant d’une large terrasse, par exemple, mais probablement niles pubs, où la distanciation so­ciale paraît impossible à mettreen œuvre, ni les coiffeurs ou les bars à ongles. Les étrangers arri­vant par avion pourraient être mis en quarantaine.

« Tout cela est conditionné à desgrands si… », a conclu M. Johnson, 55 ans, qui est tombé gravement malade du Covid­19 en avril. Il arepris son poste à Downing Streetfin avril et devait recommencer lejogging dès lundi 11 mai, selon le Sunday Times.

Downing Street, qui affectionneles slogans en trois temps, a par ailleurs abandonné le percutant « Stay at home, save lives, protectthe NHS » (« restez à la maison, sauvez des vies, protégez le NHS »,le système national de santé), pour un « Stay alert, control the vi­

rus, save lives » (« restez en alerte,contrôlez le virus, sauvez des vies »). Ce changement d’injonc­tion a provoqué de fortes ten­sions dimanche avec les troisautres nations du royaume (en plus de l’Angleterre) : l’Irlande duNord, le Pays de Galles et surtout l’Ecosse. Toutes trois ont des com­pétences propres en matière sani­taire ou scolaire, mais avaient jus­qu’à présent suivi Westminster dans l’entrée en confinement.

Dimanche, peu avant l’allocu­tion de M. Johnson, Nicola Stur­geon, la première ministre écos­saise, a jugé « vague et imprécis » le nouveau slogan de DowningStreet. « Pour le moment », lesEcossais sont donc invités à « res­ter à la maison » mais aurontquand même le droit de sortirplus d’une fois par jour pour fairede l’exercice. Le gouvernement gallois et l’exécutif nord­irlan­dais vont en rester, eux aussi, au« Stay at home ».

Mme Sturgeon avait laissé enten­dre ces derniers jours qu’en Ecossenotamment, le R0 serait plus élevé qu’en Angleterre (entre 0,7 et 1 se­lon une estimation du 8 mai). Dans ce pays de 5,4 millions d’ha­bitants, 1 857 personnes testées po­sitives au Covid étaient décédées dimanche. Mais le bilan côté an­glais est également dramatique (presque 29 000 décès). Le gouver­

nement Johnson voudrait­il aller trop vite en besogne ?

Il est vrai que l’aile droite du Particonservateur pousse à un déconfi­nement plus rapide. La semaine dernière, le député brexiter Steve Baker fustigeait un confinement « absurde, dystopique et tyranni­que ». « Le Parti conservateur a dé­cidé qu’il détestait le confinement. Nous ne pouvons le reprocher au premier ministre, alors nous avons décidé d’accuser ses conseillers », insiste un autre élu, dans l’hebdo­madaire Spectator, faisant réfé­rence aux « unes » rageuses de la presse de droite, début mai, ayant conduit à la démission de l’épidé­miologiste star Neil Ferguson. Il avait enfreint les règles du confi­nement et accueilli sa « maîtresse »chez lui, avait accusé le Telegraph.

« Ce soir, le premier ministredonne l’impression de dire à des millions de gens : “retournez au travail”, sans un plan clair sur lesmesures de sécurité à adopter nicomment éviter les transports en commun, a dénoncé, pour sa part,Keir Starmer, le leader des tra­vaillistes, principal parti d’oppo­sition au gouvernement. Ce dont le pays avait besoin ce soir, c’étaitde clarté et de consensus. Nousn’avons eu ni l’un ni l’autre. »

Malgré la pire mortalité d’Eu­rope, une entrée probablementtrop tardive en confinement et

un manque de préparation fla­grant, les Britanniques ont jus­qu’à présent soutenu Boris John­son. Son taux d’opinions favora­bles reste avantageux (58 % dessondés estimaient que le gouver­nement gérait « très bien » ou « plutôt bien » la pandémie, selonl’institut YouGov, le 1er mai). Et les mesures de confinement ont été plutôt bien respectées, en dépitd’un certain relâchement leweek­end des 9 et 10 mai, à la fa­veur d’un temps radieux. Les Bri­tanniques se sont pressés commejamais dans les parcs, et le Grand Londres avait presque un petit airde normalité printanière.

Vont­ils suivre les nouvelles in­jonctions du gouvernement ? Les prévisions d’une catastrophe éco­nomique à venir ont beau être af­folantes (la Banque d’Angleterre a alerté sur la plus grave récession pour le pays depuis trois cents

ans), les quelques études disponi­bles montrent une grande pru­dence des Britanniques à « sortir » du confinement. Ils ne sont en particulier pas pressés de ren­voyer leurs enfants à l’école. Selon l’institut YouGov, 82 % des sondés le 7 mai se disaient capables de supporter un confinement jus­qu’à début juin.

« Perte de temps »Leur confiance dans le gouverne­ment Johnson va aussi dépendre de sa capacité à déployer une stra­tégie efficace de tests et traçage duvirus. M. Johnson l’a à peine évo­quée dimanche. Et pour cause : elle n’est pas prête. La capacité de tests au niveau national a atteintenviron 100 000 tests par jour, mais le gouvernement n’a tou­jours pas arrêté son choix d’archi­tecture pour la future application de traçage des cas de Covid (cen­tralisée ou décentralisée).

« Avoir une capacité journalièrede tests ne suffit pas pour faire une stratégie. Quant à l’applica­tion, elle aurait dû être pensée enavance, quand on avait l’exempledes pays asiatiques sous nos yeux.Le Royaume­Uni a perdu beau­coup de temps depuis fin janvier »,regrette Gabriel Scally, profes­seur de santé publique à l’univer­sité de Bristol.

cécile ducourtieux

Possibilité de mise en quarantaine pour les arrivées en avionLes voyageurs venant de France devraient être exemptés d’un confinement de quatorze jours imposé lors de l’entrée sur le sol britannique

londres ­ correspondante

B oris Johnson a esquissé,dans son discours diman­che 10 mai, la possibilité

d’une mise en quarantaine pour les « arrivées en avion dans lepays » : « il sera bientôt temps » deles imposer, a souligné le pre­mier ministre britannique, afin d’éviter « des réinfections depuis l’étranger ». Pour nombre d’épi­démiologistes, une telle mesuremettrait fin à une aberration en termes de santé publique.

Paradoxalement, le pays duBrexit est l’un des très rares enEurope à n’avoir instauré aucuncontrôle à ses frontières, dans lesports, les gares et les aéroports,ne tirant pas parti de son statutd’île pour contrer l’épidémie.

Aucun contrôle de température n’a, par exemple, été mis en placeau terminal Eurostar de la garede Saint­Pancras, ni à Heathrow,principal aéroport du pays, où letrafic aérien a considérablementchuté, mais où il arrivait encorequotidiennement 15 000 per­sonnes de l’étranger par des volscommerciaux.

Vérifier les températures etmettre en quarantaine les passa­gers présentant des signes d’in­fection, en plein pic épidémique,aurait un effet marginal sur le ni­veau de l’épidémie dans le pays, aà plusieurs reprises justifié Pa­trick Vallance, le conseiller scien­tifique en chef du gouverne­ment. Mais ces dernières semai­nes, le ton a changé : DowningStreet ne cachait plus qu’avec le

ralentissement de l’épidémie,l’option d’une quarantaine pour­rait s’imposer.

Celle­ci devrait être de quatorzejours à l’arrivée sur le sol britan­nique. Dans des hôtels réquisi­tionnés ou au domicile des per­sonnes concernées si elles en ont

un au Royaume­Uni ? Le gouver­nement devrait apporter desprécisions dans les prochainsjours. A ce stade, cependant, lesvoyageurs venant de France de­vraient être exemptés, selon uncommuniqué commun rendupublic par Downing Street et l’Elysée dimanche soir.

Des mesures de quarantaineentre les deux pays ne sont pas pour autant écartées : Boris Jo­hnson et Emmanuel Macron, quise sont concertés au téléphonedimanche, « ont parlé de la néces­sité de contrôler le risque de nou­velles transmissions venues del’étranger » et « ont accepté de tra­vailler ensemble à prendre desmesures aux frontières appro­priées (…). Toute mesure [d’uncôté de la frontière] serait prise

en concertation et sur une baseréciproque », ajoute le communi­qué, précisant qu’un groupe detravail franco­britannique va être mis en place pour assurercette consultation bilatérale.

« Dommages incommensurables »Qu’elle concerne ou pas laFrance, la quarantaine affole déjàles agences de voyages et lescompagnies aériennes desser­vant le Royaume­Uni, qui voientles perspectives d’une reprise ra­pide du trafic s’évanouir. AirlinesUK, le lobby du secteur aérien britannique (British Airways, ea­syJet, etc.), a alerté dimanche, ré­clamant de nouvelles mesuresde soutien à une filière en chute libre. La quarantaine va « tuer lesvoyages internationaux vers et

depuis le Royaume­Uni, et causerdes dommages incommensura­bles à l’aviation et à l’économie britanniques, expliquait l’asso­ciation dans le Sunday Times du10 mai. Personne ne va partir envacances (…) et les voyagesd’affaires vont être sévèrement limités. »

Quant aux Britanniques,grands adeptes des vacances ausoleil en France, en Espagne et enItalie, ils vont devoir « redécou­vrir Blackpool », soulignait lequotidien dominical, faisant ré­férence à une station balnéaire archétypique du nord­ouest de l’Angleterre, avec son zoo, sa jetéeet sa fausse tour Eiffel, délaissée depuis l’avènement des compa­gnies low cost.

c. du.

Les Britanniques,grands adeptes

des vacances ausoleil en France,

en Espagne et enItalie, vont devoir

« redécouvrir Blackpool »

A Hartley Wintney, dans le Hampshire, en Angleterre, pendant l’allocution de Boris Johnson, dimanche 10 mai. ADRIAN DENNIS/AFP

Malgré la pire mortalité

d’Europe, les Britanniques ontjusqu’à présentsoutenu Boris

Johnson

« Ce dont le paysavait besoin,

c’était de clarté etde consensus.

Nous n’avons euni l’un ni l’autre »

KEIR STARMERchef de file des travaillistes

LE CONTEXTE

TROIS PHASESDès le 13 maiLes Britanniques peuvent sortir autant qu’ils le veulent, à condi-tion de respecter la distanciation de deux mètres. Tous ceux qui ne peuvent faire du télétravail sont invités à retourner au tra-vail en évitant si possible les transports en commun.Au plus tôt le 1er juinSeules les crèches et quelques ni-veaux en primaire devraient rou-vrir, et les collèges et lycées rester fermés jusqu’en septembre.Au plus tôt le 1er juilletCertains espaces publics et des restaurants ou hôtels pourraient rouvrir à condition de faire res-pecter la distanciation sociale.

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Page 7: Le Monde - 12 05 2020

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Page 8: Le Monde - 12 05 2020

8 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

A lors que le déconfine­ment progressif dupays a commencélundi 11 mai, la loi pro­

rogeant l’état d’urgence sanitaire, adoptée définitivement samedi9 mai, n’a pas pu être promulguéeà temps. Le Conseil constitution­nel, qui a reçu pas moins de qua­tre saisines – du président de la République, du président du Sé­nat, de plus de 60 députés et de plus de 60 sénateurs – ne devait rendre sa décision que dans la journée de lundi.

En conséquence, selon un com­muniqué commun de l’Elysée et de Matignon publié dans la nuit de dimanche à lundi, certaines dispositions législatives, telles que la limitation des déplace­ments dans un rayon de 100 kilo­mètres ou l’accès réservé dans les transports en commun aux per­sonnes justifiant d’une attesta­tion de travail, entreront en vi­gueur seulement lorsque la loiaura été validée par le Conseil constitutionnel. « Il est fait appel au sens de la responsabilité des Français pour qu’elles soient res­pectées d’ici là. Il était en tout état de cause prévu qu’elles devaient faire l’objet d’une période de tolé­rance », indique le communiqué.

Les autres dispositions de la loiont fait l’objet d’un décret tempo­raire publié au Journal officiel du 11 mai. Il autorise la fin du confi­nement et les sorties du domicile sans limitation, tout en rendant obligatoire le port du masque dans les transports collectifs. Il liste également les départements classés en zone verte ou en zone rouge et les commerces autorisés à reprendre leur activité. Le tempsest venu, donc, de jeter les attesta­tions de déplacement dérogatoi­res et de sortir les masques.

Inquiétudes des mairesL’adoption dans l’urgence de cette loi qui prolonge l’état d’ur­gence sanitaire jusqu’au 10 juillet,et non jusqu’au 24 juillet, commele prévoyait le texte initial dugouvernement, n’aura pas étésans soulever de vifs débats.Deux points ont été particulière­ment controversés : la question de la responsabilité pénale des élus dans le cadre de l’état d’ur­gence sanitaire, et la mise enplace d’un système d’informa­tion permettant d’identifier lespersonnes infectées ou présen­tant un risque d’infection.

Il n’aura pas fallu moins de qua­tre heures, samedi, pour qu’unecommission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et de sept sénateurs, parvienne à s’accorder sur un texte commun,finalement approuvé par 252 voix

contre 87 au Sénat et par 450 voixcontre 84 à l’Assemblée nationale.Les voix contre venant essentiel­lement des parlementaires socia­listes, communistes et « insou­mis », et d’une douzaine de dépu­tés Les Républicains.

Répondant aux inquiétudes ex­primées par de nombreux maires, relayées par plusieurs associationsd’élus, qui craignaient que leur res­ponsabilité soit engagée si un élève ou un membre du personnelétait contaminé par le SARS­coV­2, le Sénat avait introduit, contre l’avis du gouvernement, un article modifiant sensiblement le droit actuel pour offrir une protection juridique renforcée aux élus. Selonla rédaction du Sénat, nul ne pou­vait voir sa responsabilité pénale engagée pour avoir exposé quel­qu’un à un risque de contamina­tion à moins d’avoir agi « inten­tionnellement », « par imprudence ou négligence » ou « en violation manifestement délibérée d’une me­sure de police administrative ».

Le premier ministre, EdouardPhilippe, avait clairement indi­qué qu’il était défavorable à un ré­gime visant à atténuer la respon­sabilité pénale des décideurs.L’Assemblée nationale avait sup­primé la disposition introduite par le Sénat. La proposition pré­sentée par les députés de La Répu­blique en marche et du MoDempréservait le cadre actuel, régi par l’article 121­3 du code pénal, issude la loi du 10 juillet 2000 qui en­cadre la notion de délit non inten­

tionnel, tout en précisant que sonapplication devait tenir compte, « en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scienti­fiques au moment des faits ». Unemanière d’inviter les juges à faire preuve de discernement, ce qui ne changeait pas grand­chose àl’affaire puisque, dans les faits, comme l’a rappelé la ministre de la justice, Nicole Belloubet, « lejuge apprécie toujours la situationin concreto, au cas par cas », en te­nant compte des circonstances.

« Fichage généralisé »Le texte de compromis adopté par la CMP prévoit que « l’article 121­3 du code pénal est applicable en te­nant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont dispo­sait l’auteur des faits dans la situa­tion de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ». En réalité, ça ne mange pas de pain,

mais ça rassure ceux qui voulaientl’être, même s’il n’est pas fait expli­citement référence aux maires dans cette formulation. Et ça per­met à la majorité sénatoriale de droite, à quelques encablures du prochain renouvellement sénato­rial, de se poser en défenseuse at­tentionnée des élus locaux, qui sont aussi ses électeurs.

Autre point ayant donné lieu àde vigoureux échanges, la créa­tion d’un système d’information pour identifier les personnes in­fectées par le coronavirus et leurs contacts. D’aucuns y voyaient unrisque d’atteinte aux libertés indi­viduelles, un « fichage généralisé »de la population. Le texte élaboré par la CMP prévoit un encadre­ment strict des données re­cueillies et de leur partage. Entout état de cause, les mesures dé­rogatoires autorisant la créationde ce système d’information s’ap­pliqueront, au maximum, pour une durée de six mois à compterde la fin de l’état d’urgence sani­

taire. Les données collectées,quant à elles, ne pourront êtreconservées plus de trois mois.

Surtout, elles ne pourront passervir de base juridique en vue du développement ou du déploie­ment d’une application sur mo­bile du type « StopCovid », et se­ront anonymisées en ce qui concerne leur utilisation pour la surveillance épidémiologique. Un comité de contrôle, intégrant qua­tre parlementaires, est instauré, et le gouvernement adressera tous les trois mois au Parlement un rap­port détaillé de ces mesures, com­plété par un avis public de la Com­mission nationale de l’informati­que et des libertés (CNIL).

Comme l’indique le communi­qué de l’Elysée et de Matignon, undécret en Conseil d’Etat, après avis de la CNIL, devrait être pris « avant la fin de la semaine » pour autoriser, sous réserve de la déci­sion du Conseil constitutionnel,ce système d’information.

patrick roger

Le long cheminement de la responsabilité pénale des élusDepuis 1994 et les prémices de la loi Fauchon, la protection des élus, qui vient d’être modifiée par les parlementaires, fait polémique

N ous sommes en 1994. AChaumont, un maire aété condamné pour

n’avoir pas fait preuve de la vigi­lance requise à la suite du rejet, par le réseau communal, de purindéversé par des agriculteurs. En Ille­et­Vilaine, un autre a été condamné pour tapage nocturne en raison des nuisances sonores provenant d’une salle polyva­lente municipale. En Provence, des maires ont été mis en examenà la suite d’accidents survenuslors d’une manifestation taurine. En Alsace, le maire de Morsbronn­les­Bains a été condamné pour la pollution provoquée par une sta­tion d’épuration défectueuse, alors qu’il avait engagé les tra­vaux de réparation. Le présidentde l’Association des maires de

France (AMF), le sénateur Jean­Paul Delevoye, constate que « la mise en responsabilité personnelledes maires, si elle n’est pas devenuehabituelle ou normale, est en trainde devenir fréquente ».

Le 14 décembre 1995, une propo­sition de loi présentée par Pierre Fauchon, sénateur centriste deLoir­et­Cher, est adoptée au Sénat.Elle crée un nouvel article du codepénal, l’article 121­3, qui instaure la notion de délit non intention­nel, afin d’offrir une protection ju­ridique aux élus dont la responsa­bilité est engagée sans qu’unefaute puisse leur être reprochée. Le nouvel article, tel qu’il est ré­digé par le Sénat, précise qu’« il n’ya point de crime ou de délit sans in­tention de le commettre ». Cepen­dant, est­il ajouté, « lorsque la loi

le prévoit, il y a délit en cas d’im­prudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la per­sonne d’autrui ». Comme le noteM. Fauchon, la confiance faite aux élus « leur impose d’être exem­plaires, on ne saurait pour autant exiger d’eux d’être infaillibles ». Soupçonné de vouloir « blanchir »les élus, y compris dans des affai­res de corruption ou d’ingérence, le texte ne prospérera pas.

Travail de réécriture24 novembre 1999 : le premier mi­nistre, Lionel Jospin, intervient devant le congrès de l’AMF, tou­jours présidée par M. Delevoye.Devant six mille élus, il annonce qu’il engagera « rapidement » une réforme de la responsabilité pé­nale des élus, en y intégrant les

préconisations d’une propositionde loi déposée par M. Fauchon.

Cette dernière est adoptée, le27 janvier 2000, au Sénat, mais il faudra attendre début avril pourqu’elle arrive devant l’Assemblée. Entre­temps, des voix, dont celle du président de l’Assemblée na­tionale, Laurent Fabius, se sontélevées pour critiquer l’impréci­sion du texte en discussion. Voire pour y déceler « une forme d’am­nistie anticipée » alors qu’appro­che la perspective du procès dans l’affaire du sang contaminé.

Sous la houlette de René Do­sière, député socialiste de l’Aisneet rapporteur du texte à l’Assem­blée, s’engage un long travail de réécriture et, surtout, de convic­tion. « L’élaboration du texte défi­nitif s’est avérée particulièrement

délicate, raconte M. Dosière. Il fal­lait convaincre l’opinion publiquequ’il ne s’agissait pas d’un régimede faveur pour les élus locaux. »

La proposition de loi donne lieuà de multiples réécritures et al­lers­retours. Le 29 juin 2000, le texte est définitivement adopté, àl’unanimité, par les deux Cham­bres, mettant ainsi un terme à un parcours parlementaire pour le moins cahotant. Il deviendra laloi du 10 juillet 2000, dite « loi Fauchon », mais qu’il serait plus approprié d’appeler « loi Fau­chon­Dosière ».

Avant qu’il ne soit complété lorsde l’examen du projet de loi pro­rogeant l’état d’urgence sanitaire, le 11 mai, l’article 121­3 du code pé­nal issu de cette loi était ainsi ré­digé : « Il n’y a point de crime ou de

délit sans intention de le commet­tre. (…) Les personnes physiquesqui n’ont pas causé directement ledommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommageou qui n’ont pas pris les mesurespermettant de l’éviter, sont res­ponsables pénalement s’il est éta­bli qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obli­gation particulière de prudence oude sécurité prévue par la loi ou lerèglement, soit commis une fautecaractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gra­vité qu’elles ne pouvaient ignorer.Il n’y a point de contravention encas de force majeure. » Un équili­bre qui, jusqu’à présent, a fait la preuve de sa pertinence.

p.rr

Débat sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, à l’Assemblée nationale, vendredi 8 mai. THOMAS SAMSON/AFP

Certaines dispositions législatives

n’entreront en vigueur qu’après

validation par le Conseil

constitutionnel

L’état d’urgence sera prolongé jusqu’au 10 juilletResponsabilité pénale des élus, données personnelles… le Conseil constitutionnel devait examiner le texte lundi

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Page 9: Le Monde - 12 05 2020

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10 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

Chômage en hausse : un déconfinement sous pression à Pôle emploiLes 900 sites recevant du public vont rouvrir leurs portes à partir du 18 mai, mais une grande partie des agents resteront en télétravail

L’ heure de la reprise appro­che pour Pôle emploi.Fermées au public depuis

la deuxième quinzaine de marsen raison de l’épidémie de Co­vid­19, les agences de l’opérateurpublic vont, de nouveau, recevoirdes chômeurs à partir du 18 mai.Une réouverture des portes quidoit s’effectuer graduellement,afin de protéger la santé des usa­gers et des salariés. A partir dulundi 11 mai, les quelque 900 sites

de l’établissement ayant voca­tion à recevoir des demandeursd’emploi doivent consacrer unesemaine à la préparation des lieux : marquage au sol, récep­tion des équipements sanitaires, définition du nombre maximumde personnes pouvant être pré­sentes simultanément dans leslocaux, etc.

L’objectif est de ne « prendreaucun risque », comme l’a expli­qué Jean Bassères, le directeur gé­

néral, dans un entretien au Figarodu jeudi 7 mai.

Durant la période de confine­ment, de 25 000 à 30 000 agents,sur un effectif légèrement supé­rieur à 50 000, avaient poursuivileurs missions depuis leur domi­cile, afin de traiter les e­mails etles coups de fil. Beaucoup d’entreeux vont continuer à procéder ainsi, le télétravail restant priori­taire, au moins à court terme.

Dans un premier temps, les ac­tivités « réalisées physiquementen agence » seront réservées auxsituations qui le nécessitent : ac­cès aux bornes en libre­serviceet au matériel des zones d’ac­cueil (photocopieuse, scanner)afin de permettre au demandeurd’emploi, qui le souhaite, des’inscrire ou de mettre à jour sondossier ; échange en tête­à­tête sicelui­ci est réclamé par le chô­meur ou par l’entreprise quicherche à embaucher, etc.

Chaque venue in situ s’effec­tuera sur rendez­vous, sauf pourles urgences, liées, en particulier,à l’indemnisation. Jusqu’à débutjuin, « les premiers entretiens con­sécutifs à une inscription en lignecontinueront à se faire (…) par té­

léphone », a précisé M. Bassères.Les salariés de Pôle emploi qui vont regagner leur poste, serontéquipés en masques et en gel hydroalcoolique. Ceux postésjuste après les entrées dispose­ront même de visières, et les bu­reaux d’entretien individuel se­ront dotés de séparateurs enPlexiglas. Tous ces aménage­ments obéissent à un « plan dedéconfinement », qui doit être présenté, mardi, devant le co­mité social et économique (CSE)central, l’instance de représenta­tion du personnel.

« Nous sommes très inquiets »Les syndicats implantés au seinde l’opérateur public sont surleurs gardes, à quelques jours de cette « rentrée ». « La reprise d’ac­tivité en agence doit intervenirdans le strict respect des condi­tions de sécurité, affirme DavidVallaperta (CFDT). Le processusen cours est quand même rapide, nous aimerions que le calendriersoit un peu “détendu”, en consa­crant le mois de mai à la prépara­tion du déconfinement. » A ses yeux, il convient « d’analyser les activités qui nécessitent d’être re­

prises en “présentiel” et celles quipeuvent être assurées en télétra­vail ». « Il s’agit d’une réflexion à mener dans le cadre du dialogue social », souligne­t­il, en jugeant« plus réaliste de prévoir le retour effectif des missions sur site àcompter du 1er juin ».

Nathalie Potavin (CGT) insiste,elle aussi, pour que le redémar­rage se déroule en veillant à lasanté « des usagers et des agents »et en « garantissant la délivrance de l’offre de services ». « Noussommes très inquiets », confie, pour sa part, Christine Brouh (SNU­FSU), en évoquant notam­ment le cas d’un collègue tra­vaillant dans le Val­de­Marne,

qui semble être mort du Co­vid­19. L’inspection du travail,saisie par des élus du personnel,a recommandé que ce décès soitconsidéré comme étant imputa­ble au service. Pôle emploi a re­fusé, au motif que les causes dela contamination ne sont pas connues, selon Mme Brouh – etd’autres sources syndicales. Ladirection générale, qui ne sou­haite pas commenter cette af­faire, indique qu’elle « accompa­gne la famille » du défunt et les« collaborateurs » employés dansla même agence que celui­ci. Defaçon plus globale, Mme Brouh re­grette que les syndicats n’aient pas été davantage associés en amont à l’élaboration du docu­ment soumis au CSE.

Au­delà du déconfinement,Marc Brzostowski (FO) exprime également de l’appréhension surla suite, « avec la charge de travailà absorber », du fait de l’augmen­tation du chômage, qui s’an­nonce massive. D’après lui, l’opé­rateur est d’ores et déjà en butte à« un problème d’effectifs » : ce­lui­ci risque de redoubler d’in­tensité dans les mois à venir.

bertrand bissuel

A Mayotte, tous les ingrédients de l’« embrasement »Le seul territoire français encore confiné a passé la barre des mille cas de Covid­19, dans un contexte social tendu

mayotte ­ correspondant

T oute la France a com­mencé, lundi 11 mai, sondéconfinement pro­gressif. Toute sauf un

département insulaire de l’océanIndien : Mayotte. En raison d’« une circulation élevée de l’épi­démie sur le territoire, la prolon­gation du confinement à Mayotteest nécessaire », explique le pré­fet, Jean­François Colombet. L’îleconcentre près de la moitié descas de l’outre­mer.

Selon le dernier bulletin publiédimanche par l’agence régionalede santé (ARS), la barre symboli­que du millier de personnes at­teintes par le SARS­CoV­2 a été franchie : 1 023 cas avaient été of­ficiellement recensés – contre650 le dimanche précédent –,46 personnes sont hospitalisées,dont 9 en réanimation – parmilesquelles une en réanimationnéonatale –, et l’île déplore 11 dé­cès. L’ARS annonce que le pic del’épidémie est attendu autour du20 mai. A cette situation explo­sive s’ajoutent les 3 600 cas dedengue, avec 16 morts réperto­riés depuis le début de l’année.

Mayotte souffre depuis des an­nées d’être un immense désertmédical, avec 18 médecins deville pour les 279 000 habitants officiellement recensés parl’Insee. En intégrant les méde­cins du centre hospitalier deMayotte (CHM), cela représenteprès de 80 médecins pour100 000 habitants, contre 324 enmétropole. Or, l’essentiel desmoyens du CHM est concentrésur la maternité qui, avec prèsde 10 000 naissances par an, accueille surtout des femmesoriginaires des îles voisines des Comores. Près de 75 % des nais­sances sont le fait de femmes en

situation irrégulière. La popula­tion mahoraise est ainsi consti­tuée pour moitié de clandestins vivant dans des bidonvilles.Cette situation génère tous lesingrédients pour un risqued’« embrasement épidémique »,s’alarme la directrice de l’ARS deMayotte, Dominique Voynet.

La mise à disposition de mas­ques périmés et la distributionchaotique de colis alimentaires,au début de la période de confi­nement, ont provoqué de nom­breux attroupements, accélé­rant la contamination, tandisque des centaines de personness’agglutinaient devant les sta­tions­service pour acheter du pé­trole lampant nécessaire à l’éclai­rage ou à la cuisine.

Les mouringués, sorte de com­bats de boxe proches de la ca­poeira brésilienne, organisés lessoirs de ramadan, rassemblant des centaines de spectateurs et dégénérant souvent en bataillesrangées contre les forces de l’or­dre, ont fini de mettre de l’huilesur le feu de la contagion.

Le commissaire de police Jean­Marie Cavier a ainsi été blessé le2 mai au cours d’une opérationde maintien de l’ordre public àTsoundzou, au sud de Mamou­dzou, la préfecture, qui a mobi­lisé trois pelotons de gendarme­rie après un mouringué. Face àune pluie de pierres, plus de400 grenades lacrymogènes ontdû être utilisées.

Jeunes armés de machettesLa faim et le désordre entraînentune explosion de violence. Lespillages de plusieurs magasins,les bandes de dizaines de jeunes,armés de machettes, de barres defer, agressant les passants, cam­briolant les domiciles, ont fini derévolter les Mahorais. Le Collectif

des citoyens de Mayotte s’est in­surgé contre cette situation, et des groupes de citoyens vigilantsont de nouveau été mis en placepour surveiller les rues la nuit.Leur précédente mobilisation re­montait aux manifestationscontre l’insécurité qui avaientabouti à des barrages et au blo­cage de l’île durant plus de qua­rante jours en mars et avril 2018.

Les fortes inquiétudes réguliè­rement mises en avant par le dé­puté Mansour Kamardine (Les Républicains), qui parlait déjàde « bombe à retardement », re­font surface. « Ces violences vien­nent fragiliser le moral des Maho­rais dégradé ces derniers temps par les risques sismiques, et main­tenant par la crise sanitaire », pré­vient Ali Nizary, président de l’Union des associations familia­

les. Sur Facebook, le groupe Infodélinquance Mayotte a rassem­blé plus de 2 000 personnes enquelques jours. « Protégeons­nous de la délinquance sous tou­tes ses formes à Mayotte », expli­que son descriptif.

En parallèle se sont mises enplace des « ligues de défense ci­toyennes ». La présentation duprojet, qui rassemble plus de400 membres actifs dans les17 communes de l’île, explique :

« La délinquance à Mayotte n’estplus supportable. L’heure est ve­nue de mettre de côté toutes lesidées qui nous divisent et de nousunir tous ensemble contre le dé­linquant. Notre objectif n’est pasde remplacer les forces de l’ordre ou l’Etat, mais, pour notre sécu­rité, si l’Etat ne fait pas son travail,c’est de notre responsabilité et de­voir de nous défendre, nous, nosproches et nos biens. »

« Je ne peux pas cautionner cela,martèle Philippe Leclercq, quicommande la gendarmerie deMayotte, dans le quotidien FlashInfos Mayotte. Ce phénomène estrécurrent. En 2018, il s’est passéexactement la même chose. » Unepétition en ligne demande quesoit déclaré dans le 101e départe­ment l’« état d’urgence sécuri­taire », ce qui permettrait « le ren­

forcement des mesures de luttecontre les violences urbaines,contre l’immigration clandestine(…) et le renforcement des effectifspermettant de garantir la sécuritédes biens et des personnes ennombre suffisant afin de mainte­nir l’ordre public et garantir la sé­curité publique ». Elle a recueilli 1 800 signatures en moins de vingt­quatre heures.

Sentiment d’oubli et d’abandonSur le plan économique, la situa­tion est tout aussi délicate :824 très petites entreprises ontpu bénéficier d’une aide de1 500 euros, tandis que 1 300 en­treprises ont sollicité le soutienau chômage partiel pour12 500 salariés.

A Mayotte, la population a lesentiment d’être oubliée, aban­donnée, isolée. Les liaisons aé­riennes ont été coupées avec l’ex­térieur depuis le 17 mars. La com­pagnie Air Austral, qui assuraitdes liaisons hebdomadaires di­rectes avec la métropole, a main­tenu un pont aérien avec deux vols hebdomadaires, unique­ment pour le personnel médicalet le fret depuis La Réunion, et a ainsi pu acheminer 115 tonnes,dont 10 tonnes de colis postaux.Il n’est pas prévu de réouverture

de lignes avant le 12 juin. Le por­te­hélicoptères Mistral était at­tendu le 11 mai au port de Lon­goni avec plus de 550 tonnes de fret, dans le cadre du plan « Rési­lience ». A son bord : 800 palettesde médicaments, de gel hydroal­coolique, d’eau, de nourriture etdes véhicules civils, dont un héli­coptère qui pourra servir auxévacuations sanitaires.

Les autorités tentent tant bienque mal de faire face à cette situa­tion. La ministre des outre­mer,Annick Girardin, a confirmé ven­dredi l’envoi d’une centaine de personnels médicaux et des mo­dules de l’hôpital militaire decampagne qui avait été posi­tionné à Mulhouse, dans le dé­partement du Haut­Rhin.

Le préfet et le président du con­seil départemental, SoibahadineIbrahim Ramadani, ont prévuune distribution de masques lundi matin, à Kawéni, au pieddes bidonvilles. Mais, coincés en­tre le confinement, la violence,les dizaines de milliers de clan­destins sans ressources et la pro­pagation inquiétante de la den­gue et du Covid­19, qui engor­gent un système de santé déjà ex­sangue, les Mahorais ne saventplus que faire.

laurent canavate

Cabanes en tôle, où manquent eau courante et électricité, à Kahani, le 1er avril. FAID SOUHAILI/AFP

Mayotte souffredepuis des

années d’être undésert médical,

avec 18 médecinsde ville pour

279 000 habitants

Reprise de la formation professionnelleContraints de suspendre leur activité à la mi-mars en raison de la crise sanitaire, les centres de formation des apprentis (CFA) et les centres de formation continue peuvent de nouveau ac-cueillir, depuis lundi 11 mai. Les établissements sont autorisés à rouvrir leurs portes « à condition de respecter pleinementle protocole de déconfinement », comme l’a précisé, le 7 mai, la ministre du travail, Muriel Pénicaud. Ce document contient des recommandations destinées à pro-téger la santé des personnes ; il sera complété par un « guide métier » spécifique, afin de conseiller les centres de formation sur les mesures à prendre contre le risque de contamination. Le redémarrage des enseignements était très « attendu » car la re-lance économique du pays requiert « un investissement massif dans le développement des compétences », estime la Fédération de la formation professionnelle, l’une des principales organisa-tions patronales du secteur.

Chaque venue en agence

s’effectuera surrendez-vous, sauf pour les

urgences, liées,en particulier,

à l’indemnisation

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Page 11: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 11

Municipales : gauche et Verts veulent tenter l’unionPS, PCF, Génération.s et EELV discutent de fusions pour faire barrage à LRM, à la droite et à l’extrême droite

L e calendrier électoralreste dans un flou persis­tant. C’est le 23 mai – jourde la remise du rapport

scientifique sur la situation sani­taire – que l’on devrait connaître la date du report des élections municipales. Les états­majors sont donc encore dans l’incerti­tude. La gauche et les écologistes, sortis en position favorable dansplusieurs grandes villes lors du premier tour le 15 mars, enten­dent bien conserver cet avantage. Problème : aucun scénario n’est possible tant que l’on ne sait pas sion recommence le scrutin dansson entier ou si le second tour est le seul à être reporté. Début avril, le premier ministre, Edouard Phi­

lippe, avait évoqué un décalage « peut­être en octobre », même si l’hypothèse d’un vote le 21 juin n’était pas totalement écartée.

Si le confinement et la crise dueau coronavirus ont mis au second plan les municipales, les réunions concernant la pandémie se sont multipliées et ont permis de ren­forcer les liens entre les différentesformations, à l’exception de La France insoumise (LFI), qui sembletoujours faire cavalier seul. « Tant que l’on ne sait pas la date, on ne discute pas », résume Martine Billard, l’une des responsables du comité électoral du mouvement. Une position peu surprenante dans la mesure où LFI rechigne à entrer dans des stratégies d’union

de la gauche. Les mélenchonistes avaient privilégié un soutien aux « initiatives citoyennes », le plus loin des partis possible.

Dans le reste de la gauche, beau­coup espèrent que les résultats dupremier tour joué en mars soient préservés. Le Conseil d’Etat avait rendu un avis contraire, mais cer­tains espèrent qu’il change d’avis :« Compte tenu de l’urgence, il peut habiller juridiquement une déci­sion. Sinon ce serait dire aux gens qu’ils se sont déplacés pour rien le 15 mars », remarque FrançoisLamy, membre de la direction duParti socialiste (PS), qui souligneaussi les difficultés financièresque pourraient rencontrer cer­tains candidats à repartir pour une campagne complète. Une po­sition largement partagée par les autres formations.

Pas de consigne nationaleAu siège du PS, on craint, en cas denouvelles élections, que la com­pétition et les divisions à gauche reprennent de plus belle. Car unechose est sûre : aucun des partis n’est en capacité de gagner seul. Reste donc à imaginer des scéna­rios d’alliance permettant de rem­porter des mairies. « Nous avonsmaintenu le contact avec les forcesde gauche. Nous avons convenu denous revoir une fois le calendrier fixé, explique Ian Brossat, le porte­parole du Parti communiste. Maisla consigne n’a pas bougé : on veut toujours faire gagner la gauche contre la droite et l’extrême droite. » Les socialistes sont sur lamême longueur d’onde et pen­

sent que les discussions d’union sont sur la bonne voie. « La photo­graphie de l’influence de chacun a été prise le 15 mars et on sait que lesdiscussions vont avoir lieu avec lepoids réel de chacun dans les com­munes », explique Pierre Jouvet, secrétaire national aux relations extérieures.

Du côté d’Europe Ecologie­LesVerts (EELV), on s’apprête aussi à discuter : « On n’a pas de position officielle, mais ce qui se dégage est de pouvoir voter le plus tôt possi­ble si la situation sanitaire le per­met. La vie démocratique ne doitpas passer après tout le reste. Les équipes en place prennent des dé­cisions importantes alors que leur légitimité politique est faible. Et outre ces décisions d’urgence, ils ne feront rien d’autre », explique ainsi Bruno Bernard, le « M. Elec­tions » d’EELV. Pas de Yalta, où l’onse partageait les villes, mais « deséchanges avec tout le monde », re­connaît M. Bernard.

A EELV, le principe est celui de lasubsidiarité : c’est le local qui dé­cide de sa stratégie. Il ne devrait

donc pas y avoir de consigne na­tionale pour intimer aux candi­dats de s’allier avec les listes de gauche. Cependant, les écolossemblent plus ouverts qu’avant lepremier tour. « Dans les principa­les villes, on travaille à des listes defusion, même à Paris ! C’est la logi­que, qu’on soit arrivé devant ouderrière, on veut battre La Républi­que en marche, la droite et l’ex­trême droite », résume M. Ber­nard. « Des rassemblements peu­vent se faire pour soutenir des lis­tes qui mettent l’écologie au cœurde leur programme », temporise un peu Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV. Dans leur raison­nement, le premier tour du scru­tin a servi de primaire.

La direction du PS s’inquiète ce­pendant des velléités des équipes locales d’EELV de se maintenirpour jouer le point avec les socia­listes arrivés juste devant eux. Une crainte partagée à Généra­tion.s : « La décision la plus sage est de geler les rapports de force et de s’allier avec une liste d’union à la proportionnelle des pourcenta­ges obtenus en mars. Sinon cer­tains vont tenter de se refaire la ce­rise », prévient Guillaume Balas, coordinateur du mouvementcréé par Benoît Hamon.

Pour lui comme pour OlivierFaure, il faut donc afficher une vo­lonté nationale. « Il faut un accordpermettant de ne pas rejouer la di­vision et de constituer un bloc so­cial écolo qui permettra de prépa­rer la suite », plaide le numéro un socialiste. Les états­majors savent que la lassitude gagne les troupes

qui ont l’impression de jouer un remake de L’Histoire sans fin.

Mais entre la théorie et la prati­que, la différence peut être grandesur le terrain. Et certaines villes cristallisent les tensions entre les différentes formations. La plus symbolique est celle du Havre.Dans la ville d’Edouard Philippe, c’est la liste PCF­LFI – conduite parle député communiste Jean­PaulLecoq – qui est qualifiée au se­cond tour et qui a de bonnes chances de vaincre le premier mi­nistre. Mais la fusion avec la liste PS­EELV (8,3 % des suffrages) sem­ble mal partie, tant les deux camps ne parviennent pas à s’en­tendre. Au siège du PS, on redouteaussi que certains barons locaux, comme à Lille et Dijon, refusentl’alliance avec des partenaires qui sont partis contre eux en mars.

Reste une inconnue : la dynami­que électorale après une crise sa­nitaire et économique historique où les gens avaient autre chose entête que les élections municipa­les. Cependant, c’est justement dans cette période que s’est révé­lée l’importance du rôle du maire.« Ils ont été en première ligne, la prime aux sortants que l’on a cons­tatée le 15 mars va être renforcée, explique Jérôme Fourquet, direc­teur du département opinion del’IFOP. Il y a surtout un renforce­ment du contraste avec l’Etat cen­tral qui a navigué à vue. Quelle quesoit la sensibilité politique des mai­res sortants, le contexte est porteurpour eux. »

abel mestreet sylvia zappi

Au PS, on craint, en cas de nouvelles élections,

que les divisionsà gauche

reprennent de plus belle

« Extrémistes violents » : LFI condamne les propos de PécresseLe ton est monté, dimanche, entre Valérie Pécresse, la présidente (ex-LR) de la région Ile-de-France, et La France insoumise (LFI). Mme Pécresse a, en effet, critiqué « les réseaux de La France insou-mise et, autour, un certain nombre d’extrémistes violents », où selon elle on trouverait « des personnes qui cherchent à déstabiliser la so-ciété française et les institutions ». Elle a également ajouté : « On les a vus mettre le feu dans des établissements scolaires, on les a vus caillasser dans le centre de toutes les métropoles. » Le député des Bouches-du-Rhône et leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, a ré-pondu dans une série de Tweet qualifiant, entre autres, l’ex-LR d’« ignoble politicienne ». Il a été suivi par tous ses lieutenants. LFI a publié un communiqué condamnant « fermement » les propos de l’ex-ministre du budget. « La France insoumise a toujours condamné les violences, partout et qui que ce soit qui les provoque. Même quand il s’agit du préfet Lallement et du ministre Castaner, écrit le mouvement populiste. [Mme Pécresse] se rend coupable par ces propos d’injures scandaleuses à l’égard de notre mouvement politi-que, qui n’a cessé depuis le début de la crise du coronavirus d’être dans une attitude constructive et propositionnelle. »

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Page 12: Le Monde - 12 05 2020

12 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

Le défi de la lutte contre le décrochage scolaireAprès le confinement, les enseignants s’interrogent sur leur capacité à récupérer les élèves le plus en difficulté

L es décrocheurs repren­dront­ils, cette semaine,le chemin des classes ?Alors que la lutte contre

les difficultés scolaires est bran­die par le gouvernement comme le meilleur argument en faveur du déconfinement « progressif » des écoles à partir du 11 mai, denombreux enseignants en dou­tent. « Rattraper » les décrocheursrelève de la gageure, voire du pa­radoxe : si le retour à l’école est « volontaire » – comme l’a précisé le gouvernement à de nombreu­ses reprises –, sur quelles bases se fonder pour aller chercher ces en­fants et convaincre leurs fa­milles ?

Depuis quelques jours, les éco­les tentent d’identifier les élèves« décrocheurs ou à risque de décro­chage », selon l’expression utili­sée dans la circulaire de reprise del’éducation nationale, publiée le4 mai. Encore faut­il savoir ce que l’on entend par décrocheur. Quisont ces 4 % d’élèves – soit 500 000 enfants – « sous le ra­dar » depuis presque deux mois ?Combien d’entre eux se trouve­ront vraiment parmi le 1,5 milliond’élèves attendus dans les écoles cette semaine ? « Il y a plusieurs cas de figure, souligne un direc­teur d’école primaire en éduca­tion prioritaire (REP +) de Nan­terre, qui a souhaité garder l’ano­nymat. Certaines familles sont vo­lontaires et ont compris que leurs enfants avaient besoin de reve­nir. » Son école élémentaire de300 élèves en compte environ une quarantaine.

Viennent ensuite les enfants« en difficulté » que les parents hé­sitent à renvoyer en classe, parcrainte du virus. Ceux­là sont les plus nombreux – une soixan­taine, sur tous les niveaux. Il y a enfin « ceux dont on a très peu de nouvelles » et qui n’ont pas tra­vaillé pendant le confinement. Ledirecteur a compté une trentaine d’élèves, les cas les plus « pres­sants », puisque ces enfants sont àla fois décrocheurs et difficiles à joindre. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons. « Pendant le confinement, on est parfois alléstoquer au domicile des parents pour vérifier que tout allait bien », se souvient le directeur. L’assis­tante sociale du collège voisin, « où sont scolarisés les grands frè­res et sœurs », est aussi d’une aide précieuse.

A cette difficulté s’en ajouteune autre : de l’avis des ensei­

gnants, élus et associations deparents d’élèves ayant mené des recensions dans les écoles et desenquêtes locales, le choix de ren­voyer les enfants en classe estfortement corrélé à l’origine so­ciale des familles. C’est dans lesquartiers populaires de la ville etles réseaux REP + que les parentssont les plus réticents. Selon ledernier baromètre Datacovid avec l’institut Ipsos, 49 % des pa­rents d’élèves envisagent de ren­voyer leurs enfants à l’école élé­mentaire. Mais si 43 % des pa­rents seulement l’envisagent pour l’école maternelle, ils sont52 % parmi les CSP +.

« Malheureusement, c’est dansles quartiers populaires que les théories du complot circulent le plus, déplore Damien Berthilier, adjoint chargé de l’éducation à la mairie de Villeurbanne (Rhône).On a aussi constaté que certaines familles allophones avaient mal compris les règles du confinement.Ils pensaient qu’ils n’avaient pas le droit de sortir du tout et ont gardé les enfants à l’intérieur en perma­nence. Dans ces familles, la craintede retourner en classe est forte. »

« Je compte les jours ! »L’équation se complique donc un peu plus : non seulement les élè­ves décrocheurs sont difficiles à joindre par définition, mais ils ont aussi de plus fortes chances d’être issus d’une famille où lacrainte du virus est importante,« même s’il ne faut pas associer quartiers populaires et décro­chage », prévient Damien Ber­thillier : « Ici, les écoles du réseau prioritaire sont celles qui ont gardéle meilleur lien avec les familles,parce que les enseignants sont ha­bitués à ce travail de suivi des en­fants éloignés de l’école. »

Pour Emilie, enseignante de CE1dans une école « socialement mixte » de Marseille, le calcul est simple. Sur sa « petite liste » dequinze élèves qu’elle sent en diffi­

culté et « aimerait revoir », quatreont pour l’instant prévu de reve­nir en classe. Emilie compte qua­tre autres enfants « qui ont claire­ment décroché », dont un vit dans un camp de Roms et deux en foyer d’accueil d’urgence. Pour le petit Rom, Emilie est en contact avec une association de terrain.« C’est très compliqué, les parents ont peur de remettre le petit àl’école. Les travailleurs sociaux es­saient de les convaincre, mais je nesuis pas sûre que ça marchera. »

Quant aux enfants du foyer,l’enseignante est à mi­chemin. « Une des mamans a accepté. De toute façon, le petit ne lui a pas laissé le choix. Il m’a dit “Maîtresse,je compte les jours !” » Mais une autre famille hésite, par peur du virus. « On sait que les enfants ont passé des semaines enfermés avec des frères et sœurs plus jeunes qui sautent partout et les réveillent la nuit », s’inquiète l’enseignante.

La méthode consiste alors à ras­surer les parents en douceur, enleur parlant d’abord du strictprotocole sanitaire qui régit laréouverture : bureaux espacés

d’un mètre, port du masque pourles enseignants s’ils doivent s’ap­procher, désinfection régulière des locaux… « Il faut donner quel­ques éléments tangibles sur l’hy­giène, pour rassurer, et en mêmetemps avoir un discours de con­fiance, juge Emilie. En expliquantqu’on va pouvoir s’occuper des en­fants, en petits groupes. On leurdit aussi qu’il ne faut pas que lefossé se creuse davantage. Lesmamans savent bien qu’ils ont be­soin d’aide. »

« Ne pas se rater »Mais, pour Emilie comme pour d’autres, une question reste en suspens : « Jusqu’à quel point dois­je aller ? interroge l’ensei­gnante. Qu’est­ce qu’on fera si les mamans nous confient les petits à reculons et nous le reprochent en­suite ? » Certaines écoles ont car­rément choisi de ne pas tenter de « convaincre » les familles. « Je re­fuse de prendre une telle responsa­bilité », indique ainsi une direc­trice d’école rurale de l’Orne, qui souhaite rester anonyme.

A Villeurbanne, l’adjoint à l’édu­

cation voudrait « ne pas se rater »sur l’étape du déconfinement scolaire, qui doit permettre de « recréer un lien de confiance avec les familles », rappelle Damien Berthilier : « Et pour ça, il ne faut pas qu’on soit obligés de reculer ensuite. » Nombreux sont donc les enseignants qui ont choisi d’avancer « très progressivement »– seuls 50 % d’entre eux se trouve­ront d’ailleurs « physiquement » dans les écoles cette semaine. Emilie envisage de proposer aux parents de remettre leurs enfants quelques jours, « pour voir com­ment ça se passe ». Alors que nom­bre de familles sont toujours

dans une stratégie « attentiste », cette approche est approuvée par le ministre de l’éducation, Jean­Michel Blanquer. Le 6 mai, devantles députés de la mission d’infor­mation Covid, il affirmait : « Quand les familles verront que çase passe bien pour d’autres (…), je pense que la confiance viendra. »

Reste la question des apprentis­sages. Comment les enfants enquestion, s’ils reviennent àl’école, pourront­ils « reprendrepied » ? Pour les enseignants ha­bitués aux publics fragiles, cedéfi n’est pas une nouveauté. Lesdécrocheurs du confinement ontsouvent le profil de ces enfantspour qui « les étés sont longs »,ceux qui ont le plus « désappris »à la rentrée de septembre, à qui ilfaut redonner l’habitude de « se concentrer sur une tâche ».« L’école, ce n’est pas seulement le travail scolaire. C’est aussi parleravec les copains, avec la maî­tresse. C’est tout cela qu’il faudra réapprendre », rappelle ainsiEmilie. En somme, réapprendre àêtre un élève.

violaine morin

L’école à la maison, amplificateur des inégalités socialesUne enquête nationale menée depuis le 2 avril révèle les dimensions pédagogique et matérielle des différences entre foyers

C omment les familles s’ap­proprient­elles les sup­ports d’apprentissage re­

çus de la part des enseignantspar la voie d’un e­mail ou d’une plate­forme pédagogique ? Com­ment certaines familles font­el­les autrement et avec quelles res­sources ? Pour comprendre les ef­fets de la crise sanitaire actuelle sur les inégalités scolaires, une enquête sociologique sur « l’école à la maison » est menéedepuis le 2 avril auprès des pa­rents d’élèves. A ce jour, près de 30 000 réponses sont parvenuesà Romain Delès, et Filippo Pi­rone, enseignants­chercheurs ensociologie à l’université de Bor­deaux, qui ont contacté l’ensem­ble des 64 000 établissementsscolaires français.

A travers 120 items, le question­naire établit d’abord le profil so­cio­économique du foyer, ses conditions de logement et d’ac­cès au numérique. Suivent desinformations sur l’expérience del’école à la maison, les ressources

pédagogiques dont les parentsdisposent et les pratiques con­crètes d’accompagnement sco­laire de leurs enfants. « Malgré letravail des enseignants, la dis­tance matérielle fait obstacle àl’explicitation des attendus, des consignes, des savoirs engagésdans les exercices scolaires »,constatent d’ailleurs d’embléeles sociologues.

Opérations implicitesLe temps consacré à la classe à la maison va « contre l’intuition », es­time l’étude : les classes populai­res passent 3 h 16 par jour enmoyenne à l’accompagnement scolaire contre 3 h 13 pour les clas­ses moyennes, 3 h 07 pour les clas­ses supérieures et 2 h 58 pour les parents exerçant le métier d’en­seignant. « Ce résultat contribue à remettre en cause certaines repré­sentations spontanées sur la mo­bilisation des parents de classes populaires et rejoint les travaux dela sociologue Séverine Kakpo sur la pratique des devoirs à la mai­

son, observent Romain Delès et Fillippo Pirone. Il n’y a donc pasd’abandon scolaire des familles populaires. »

En s’intéressant aux techniquespédagogiques utilisées par les pa­rents, l’enquête établit que les fa­milles populaires adoptent « despratiques d’accompagnement plus directes, plus cadrantes, plusimpositives, qui remplissent les at­tendus formels, visibles des consi­gnes scolaires ». Elles déclarent plus que les autres surveiller quel’enfant suive les consignes (88 %contre 84 % chez les classes supé­

rieures), faire réciter la leçon(87 % contre 81 %), faire des exer­cices en rapport avec la leçon (90 % contre 86 %). « Ces activités favorisent l’acquittement de la tâ­che scolaire, la réalisation descommandes scolaires dans leursaspects formels », commententles auteurs de l’étude.

Mais ces façons de faire la classeà la maison « ne pénètrent pas dans la machine pédagogique », poursuivent Romain Delès et Fi­lippo Pirone. « Comme le mon­trent les travaux sur le rapport ausavoir, portés notamment par Pa­trick Rayou et Stéphane Bonnéry [professeurs en sciences de l’édu­cation à Paris­VIII], le savoir sco­laire repose sur un certain nombre de non­dits, et en particulier sur des opérations intellectuelles im­plicites », nécessitant de décoder les consignes, d’en saisir les sous­entendus ou objectifs d’appren­tissages sous­jacents.

Sur ces aspects­là, la hiérarchies’inverse : « On a demandé aux pa­rents s’ils donnaient des exercices

en rapport indirect avec la leçon :46 % des classes populaires décla­rent le faire, contre 49 % des clas­ses supérieures. De plus, 27 % desclasses supérieures déclarent don­ner à leurs enfants des exercicescomplexes, nécessitant des acquis présents dans d’autres matières, contre 23 % des familles populai­res », détaillent les sociologues.Dans un même ordre d’idées, les classes supérieures mobilisent plus volontiers des supportsd’apprentissages alternatifs à ceux proposés par les ensei­gnants (25 % contre 19 %).

Approche imparfaiteSe pose donc la question de l’ap­propriation effective des conte­nus scolaires, relèvent les cher­cheurs qui comptent prolonger leur enquête quantitative par des entretiens (téléphoniques ou de visu) et des observations ethno­graphiques dans un projet de re­cherche en réponse à l’appel à pro­jets Covid­19 lancé par l’Agencenationale de la recherche.

Les dimensions matérielles desinégalités d’accompagnementde la scolarité des enfants sontprégnantes, même si cette en­quête en ligne ne permet encorequ’une approche imparfaite decette problématique. 11,4 % desfamilles populaires déclarent avoir une connexion qui pose problème, contre 7,9 % des fa­milles de catégories sociales su­périeures. En outre, 24,3 % des parents d’origine modeste jugentleur équipement informatique etleur accès Internet insuffisantspour répondre au travail del’école à la maison, contre 17 % des familles plus aisées.

Cet écart est encore plus visibledans le sentiment de compé­tence informatique, soulignentRomain Delès et Filippo Pirone :« 45 % des classes supérieures se sentent tout à fait capables de ré­pondre aux exigences techniquesnumériques de l’école à la maison,contre seulement 31 % des classespopulaires. »

soazig le nevé

11,4 % des familles populaires

déclarent avoirune connexion

qui pose problème

Dans une école de Clairefontaine­en­Yvelines (Yvelines), jeudi 7 mai. FRANCK FIFE/AFP

Depuis quelquesjours, les écoles

tentent d’identifier

les élèves « décrocheurs

ou à risque de décrochage »

Les élèves décrocheurs du

confinement ontsouvent le profil

de ces enfants pour qui « les étés

sont longs »

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0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 13

Les militaires soulagés de pouvoir à nouveau recruterL’armée de terre doit trouver 16 000 jeunes en 2020, alors que les incorporationsd’avril et de mai n’ont pas eu lieu

I ls avaient été fermés à la mi­mars en raison du confine­ment : les centres d’informa­

tion et de recrutement des forces armées (Cirfa) rouvrent leurs por­tes lundi 11 mai. Il était plus quetemps : « Chaque mois qui passesans recrutement, c’est l’équivalentd’un régiment de l’armée de terre qui manque à l’appel », soit de l’or­dre de 1 000 soldats de moins qu’attendu pour renouveler les rangs, avait souligné le 5 mai la ministre des armées, Florence Parly, dans le journal 20 Minutes. Dans cette institution fondée surla jeunesse, qui embauche et dé­bauche plus de 20 000 personnes par an, tout retard a des consé­quences négatives en chaîne.

Dans l’armée de terre, la plusnombreuse, la réouverture des Cirfa est particulièrement atten­due : en 2020, ses régiments doi­vent trouver 16 000 recrues– pour 26 000 contrats nouveaux au total au ministère, dont 3 500 dans l’armée de l’air et autant dans la marine. Avril et mai reste­ront dans l’histoire comme des mois sans incorporations. Les prochaines, à partir de juin, de­vront être gonflées pour rattraperle retard.

Sous-officiers démarchés« Des mesures vont être prises pour lisser la bosse du Covid », ré­sume le colonel Benoît Brûlon, porte­parole de l’armée de terre. « Nous n’étions pas en retard sur le plan de recrutement », mais c’est « une préoccupation », recon­naît­il. Des liens ont été mainte­nus par Internet avec les jeunesqui avaient déjà eu un premier contact avec les recruteurs avant le confinement, mais ces contactsne suffiront pas à les retenir tous.

Des prolongations de contratvont être proposées aux militai­res en poste (qui sont à 70 %en CDD). Des primes seront of­fertes pour tenter de fidéliserceux qui auraient eu envie de re­tourner à la vie civile. Le chef d’état­major, Thierry Burkhard,souhaite même « réengager » des

soldats qui ont quitté les rangsdepuis moins de deux ans. Se­ront notamment démarchés dessous­officiers, échelon qui man­que cruellement dans les régi­ments. Mais aussi des spécialis­tes, sur des métiers fortement déficitaires, comme les mécani­ciens pour les hélicoptères. Lacrise économique qui s’annonce pourrait toutefois avoir un effetpositif, en ramenant des jeunesne trouvant pas de débouchés vers l’institution militaire, esti­me­t­on au siège parisien des ar­mées de Balard.

Avec 100 000 soldats et offi­ciers, l’armée de terre ne peut déjàplus fonctionner sans ses24 000 réservistes. Avant même le lancement de l’opération de soutien à la lutte contre l’épidé­mie, « Résilience », un appel auxforces de réserve avait été lancé « pour se préparer à tenir dans ladurée ». Un millier de volontaires ont répondu, et environ 400 ont pu être employés dans des mis­sions logistiques, auprès des hô­pitaux ou de la population fran­çaise (transport de masques, li­vraison de repas, etc.). A titre decomparaison, quelque 200 réser­vistes viennent en renfort l’été dans l’opération « Sentinelle », quand les permissions et les mu­tations dégarnissent les rangs.

Selon les informations duMonde, l’armée de terre a mis3 000 militaires au service desmissions Covid. Une partie de ces effectifs, sur décision des pré­fets, a été ponctionnée sur ceuxde l’opération antiterroriste« Sentinelle ».

nathalie guibert

Les forces de l’ordre devront contrôler les transports en Ile­de­FranceUne note de la Préfecture de police communiquée samedi donne les instructions aux policiers pour le déconfinement. Les syndicats dénoncent un « manque d’anticipation »

L es directives de la préfec­ture de police de Paris ontété communiquées, sa­

medi 9 mai, aux forces de l’ordremobilisées en Ile­de­France à compter du 11 mai dans le cadre du déconfinement, comme enatteste une note du préfet de po­lice, Didier Lallement. Des ins­tructions « tardives », souligneGrégory Joron, secrétaire généraldu syndicat majoritaire SGP poli­ce­FO, qui relève un « manque d’anticipation » des autorités compétentes et des « mesures prises dans l’urgence », alors quela Préfecture de police de Parisestime à 1,5 million le nombre devoyageurs qui pourraient utiliserles transports en commun dèslundi 11 mai.

Jeudi 7 mai, lors de la présenta­tion du plan de déconfinement, Christophe Castaner, le ministrede l’intérieur, restait encore éva­sif sur la question de l’interven­tion des forces de l’ordre dans lestransports franciliens, réclaméepar la présidente de la région Ile­de­France, Valérie Pécresse (Les Républicains, LR). Le ministre in­diquait seulement que « 20 000policiers et gendarmes » pour­raient être mobilisés sur l’en­semble du territoire, « en ren­fort » des agents assermentés de la SNCF et de la RATP qui sont « enpremière ligne pour faire respec­ter les règles sanitaires ».

La note du préfet de police deParis expose les mesures du dis­positif de sécurisation des trans­

ports « très conséquent » qui estmis en place en Ile­de­France, auminimum toute la semaine du11 mai. Jean­Baptiste Djebbari, se­crétaire d’Etat aux transports, a précisé au micro du « Grand Jury RTL­Le Figaro­LCI », diman­che 10 mai, que 1 000 membres des forces de l’ordre sont mobili­sés, dans cette région, pour gérerles flux de voyageurs.

Un cadre juridique incertainAu total, 61 gares et stations si­tuées dans les départements de la grande couronne sont concer­nées par ce « dispositif de sécuri­sation », et 103 gares situées à Pa­ris ou dans les départements li­mitrophes. La note indique qu’àcompter du 11 mai, les forces del’ordre sont « déployées sur tousles accès des gares et stations, dans les halls des gares et danstoutes les zones situées avant lestripodes, de manière à empêchertoute concentration des usagerset pouvoir veiller au respect de ladistanciation physique ».

En clair, sont mis en place desfiltrages en amont de l’accès auxquais, afin d’éviter les attroupe­ments, en particulier au niveaudes portiques de sécurité et autour des points de distributionde masques.

Néamoins, la tâche des forcesde l’ordre dans les transports en commun risque d’être sévère­ment compliquée par le contextede confusion juridique dans le­quel débute ce déconfinement.

Dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel sur la loide prorogation de l’état d’ur­gence sanitaire, le gouverne­ment a dû prendre à la hâte, dansla nuit de dimanche à lundi, undécret temporaire avec entée envigueur immédiate, donnant àplusieurs mesures­phares du dé­confinement – dont le port dumasque obligatoire dans lestransports – un cadre juridique.

Les policiers pourront donccontrôler le port du masque –son non­respect constitue,comme l’atteste la note du préfetLallement, une « contraventionde 4e classe sanctionnée par uneamende de 135 euros » – dès lundi.En revanche, l’absence d’attesta­tion de l’employeur dans lestransports, aux heures de pointe,n’est pas mentionnée dans ce dé­cret. Le gouvernement se résoutà en appeler à la « responsabilitédes Français », qui ne pourront sevoir dresser une contraventionpour défaut d’attestation que

lorsqu’un texte réglementaireaura été publié au Journal officiel.

Avant les dernières annoncesdu gouvernement, une policièreaffectée dans un commissariatde la grande couronne pari­sienne résumait déjà : « Avec lesnouvelles règles du déconfine­ment, c’est sûr qu’il va y avoirbeaucoup d’incompréhensions, etprobablement des couacs sur le terrain. » De son côté, la Préfec­ture de police de Paris tente d’an­ticiper, avec la mise en placed’une cellule de crise visant no­tamment à « gérer les difficultésrencontrées ».

Une mesure qui inquièteJugée controversée, une dernièremesure devrait continuer d’in­quiéter ses détracteurs dans laperspective de situations ten­dues dans les transports : l’exten­sion du pouvoir de verbalisationaux agents de la SNCF et de laRATP, aux adjoints de sécurité dela police nationale et aux réser­vistes de la police et de la gendar­merie, votée par le Parlementdans le cadre de la loi prorogeantl’état d’urgence sanitaire. Despersonnels moins habitués auxverbalisations. Lors des débatsparlementaires, le sénateur de laManche Philippe Bas (LR) s’était interrogé sur le fait de « donner des pouvoirs dérogatoires dudroit commun à des personnesqui ne sont pas formées pourl’exercer ».

juliette bénézit

Détention provisoire : la décision d’un juge redevient nécessaireLe projet de loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire rétablit le débat contradictoire, suspendu le 26 mars par une circulaire de la chancellerie

L es oreilles de la ministrede la justice, Nicole Bel­loubet, ont sifflé à l’As­semblée nationale et au

Sénat. Le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire adoptésamedi 10 mai par les deux as­semblées met fin aux disposi­tions sur la détention provisoireintroduites par la chancelleriedans l’ordonnance de procédure pénale du 25 mars. Les sénateursse sont rangés, lors de la commis­sion mixte paritaire de samedi,aux amendements introduits par les députés sur ce sujet.

L’article premier de la loi, initia­lement limité à deux lignes pour prolonger l’état d’urgence sani­taire a changé de physionomieavec des amendements de LaetitiaAvia (La République en marche, LRM, Paris) adoptés dans un large consensus. Il rétablit ainsi dès le11 mai le débat contradictoire de­vant le juge des libertés et de la dé­tention en matière de prolonga­tion de la détention provisoire.

Tenant compte des difficultésde fonctionnement des tribu­naux à l’heure du confinement, l’ordonnance prise au nom del’état d’urgence sanitaire avait prévu un allongement de deux à six mois selon les situations des durées maximales de détention provisoire. L’objectif était d’éviter des remises en liberté automati­ques de détenus.

La directrice des affaires crimi­nelles et des grâces avait fait sa­voir, dès le 26 mars, par voie de circulaire, que la prolongation deplein droit des durées maximales de ces détentions ne nécessitait

pas la décision d’un juge. Une in­terprétation qui avait fait bondir des magistrats, des avocats et des professeurs de droit, mais validée par le Conseil d’Etat et queMme Belloubet n’a pas cessé de dé­fendre contre un feu de critiques. « C’est la première fois depuis la loi des suspects de 1793 que l’on or­donne que des gens restent en pri­son sans l’intervention d’un juge »,constatait Louis Boré, président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

De plus, selon cette fameuse cir­culaire du 26 mars, la prolonga­tion s’appliquait aux mandats dedépôt en cours, même s’ils n’avaient pas atteint pendant la période de confinement la durée totale autorisée par le code deprocédure pénale. Un pataquèsque le gouvernement s’apprêtait à corriger dès le 8 avril, en inscri­vant à son ordre du jour de nou­velles dispositions pénales par or­donnance… avant de se raviser. Lemal était fait. Actuellement, quel­que 17 000 personnes sont en dé­tention provisoire ordonnées en cours d’instruction ou en attented’un procès.

« La prolongation automatiquede la détention provisoire était une grave erreur. Nous y mettonsfin. La crise actuelle peut amener à modifier le droit, mais elle nedoit pas l’emporter sur les princi­pes, surtout quand des alternati­ves existent », a ainsi commentéla députée (LRM, Val­d’Oise) Naïma Moutchou lors des débatsen commission des lois. PourMme Avia, il s’agit de rappeler« l’exigence d’un débat contradic­toire devant le juge avec un avo­cat lorsqu’il s’agit de la privation de liberté de personnes présuméesinnocentes ».

« Large consensus »Si les députés de droite comme degauche, avec ceux de la majorité, ont manifesté leur inquiétude surces dispositions de l’état d’ur­gence sanitaire les 15 et 16 avrillors des auditions organisées par la commission des lois, il aura fallu attendre la fin du confine­ment pour qu’ils y touchent. « Un large consensus s’était dégagé au sein de la commission pour faire comprendre que les ordonnancesavaient peut­être dépassé ce que nous avions en tête au moment ounous avions habilité le gouverne­ment à légiférer, en tout cas en ce qui concerne l’allongement deplein droit des délais de détentionsprovisoire », a reconnu le 6 mai enforme de confession l’ex­juge Lau­rence Vichnievsky, députée (Mo­Dem, Puy­de­Dôme).

Comme pour effacer cette pa­renthèse en matière de garantie des droits, les députés ont intro­duit une « clause de revoyure », se­

lon le mot de Mme Avia, pour les personnes dont la détention pro­visoire aura été prolongée de six mois sans débat pendant le confi­nement. La loi instaure l’obliga­tion d’une audience contradic­toire devant le juge d’ici troismois pour ces personnes mises en cause dans des dossiers crimi­nels. A défaut, « la personne est re­mise en liberté », précise le texte.

L’Assemblée a même voté unautre amendement de Mme Avia en séance prévoyant que toutepersonne dont la détention provi­soire a été automatiquement pro­longée pendant cette période de­vra être reçue par son juge d’ins­truction dans les deux mois. « Il s’agit de redonner tout son sens et son objectif à la détention provi­soire, à savoir poursuivre l’instruc­tion », a justifié la députée.

Prenant le contre­pied de la cir­culaire du ministère de la justice,le projet de loi amendé ajoute queles prolongations de détention provisoire intervenues de plein droit depuis le 25 mars n’ont paspour effet de prolonger la duréemaximale de ces détentions.

Les apparences sont sauves etces dispositions n’ont rien d’une rébellion contre le gouverne­ment. Ces amendements ont été élaborés en concertation avec le ministère de la justice et la garde des sceaux leur a apporté publi­quement son soutien. Certes. Mais cela jette rétrospectivement une lumière particulièrementcrue sur les mesures exorbitantesque Mme Belloubet a défendues pendant sept semaines.

jean­baptiste jacquin

« La prolongationautomatique de

la détention provisoire était

une grave erreur »

NAÏMA MOUTCHOUdéputée LRM du Val-d’Oise

Le non-respectdu port du

masque, c’est une« contravention

de 4e classe sanctionnée

par une amende de 135 euros »

Des prolongations de contrat vontêtre proposées

aux militaires enposte (qui sont à 70 % en CDD)

RECTIFICATIFUne erreur a été commise dans l’article intitulé « Les comptes de l’assurance­maladie mis à mal par le Covid­19 » (Le Monde du 23 avril). Pouvaient bénéfi­cier d’un arrêt de travail, jus­qu’au 30 avril, ceux qui gar­daient leurs enfants, ainsi que les salariés vulnérables ou co­habitant avec une personne vulnérable, et non pas ceux qui s’occupaient d’une personne vulnérable.

JUSTICEFraude au travail détaché : le procès de Terra Fecundis repousséLe procès de la société de travail temporaire espagnole Terra Fe­cundis, qui devait comparaître devant le tribunal correction­nel de Marseille à partir du lundi 11 mai pour une fraude massive au travail détaché, a été repoussé. Il s’agit d’une des plus grosses affaires de dum­ping social jugées en France.

FAIT DIVERSLoire : des croix gammées taguées sur les locaux d’une radio localeLes locaux de la radio associa­tive Radio d’ici, à Saint­Julien­Molin­Molette (Loire), ont été vandalisés dimanche par des in­dividus revendiquant leur ap­partenance au nazisme et à la

mouvance suprémaciste. « Outre des croix gammées, ils ont peint en rouge sur les murs l’inscription 14/88, symbole d’ap­partenance à la mouvance des suprémacistes blancs », a déclaré David Charmatz, le procureur de la République de Saint­Etienne. – (AFP.)

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678

DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense– Tour A – 110, Esplanade du Général deGaulle – 92931 La Défense Cedex ( RCSParis 414 108 708), succursale de QBEInsurance (Europe) Limited, PlantationPlace dont le siège social est à 30 FenchurchStreet, London EC3M 3BD, fait savoir que,les garanties financières dont bénéficiait la :

SARL ADDYS’IMMO40 GRAND RUE67130 WISCHES

SIREN : 829825223depuis le 01 Juin 2017 pour ses acti-vités de : TRANSACTIONS SANSPERCEPTION DE FONDS, Ont cesséesau 31 DECEMBRE 2019. Les créanceséventuelles se rapportant à ces opérationsdevront être produites dans les trois moisde cette insertion à l’adresse de l’Etablis-sement garant sis Cœur Défense – TourA – 110, Esplanade du Général de Gaulle– 92931 La Défense Cedex. Il est préciséqu’il s’agit de créances éventuelles et quele présent avis ne préjuge en rien du paie-ment ou du non-paiement des sommes dueset ne peut en aucune façon mettre en causela solvabilité ou l’honorabilité de la SociétéADDYS’IMMO

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Page 14: Le Monde - 12 05 2020

14 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

La crise amplifie les inégalités de genreTélétravail, repas, école à la maison… la pandémie n’a pas contribué à une répartition plus équitable des tâches

L e soulagement fut decourte durée. Lorsque,une semaine après le dé­but du confinement, son

conjoint ingénieur est passé auchômage partiel, Cécile espérait qu’il l’aide à la maison. « Il en fait un peu plus depuis que nous som­mes tous les deux en télétravail, ra­conte cette mère de deux garçons en maternelle. Mais je continue degérer l’essentiel : les courses, les re­pas, les devoirs, le jardin, les profs, les angoisses des proches… »

La journée, elle peine à se con­centrer sur son travail. « Quand je souligne l’inconfort de ma situa­tion, il demande de quoi je me plains. » Au fil des jours, l’incom­préhension s’est installée dans leur couple. Trop souvent, elle a lesentiment que son compagnonsous­estime la charge de travail supplémentaire pesant sur ses épaules. « Je sacrifie ma carrière,mon temps, confie­t­elle. Et je tombe d’épuisement pendant qu’il regarde des séries. »

Marathon ultrachronométréPlus de boulot, plus de stress, plusde fatigue : dans bien des foyers, les femmes, surtout lorsqu’ellessont mères, racontent la même histoire. Bien sûr, la crise liée à lapandémie n’est pas vécue de la même façon par tous les couples − et dans certains, elle a favorisé ledialogue. « Mais si l’on pouvait es­pérer que les hommes assignés àdomicile prennent la mesure dupoids des tâches domestiques etacceptent de les partager davan­tage, les premières enquêtes sur le sujet semblent indiquer que cette prise de conscience n’a pas vrai­ment eu lieu », observe la philoso­phe féministe Camille Froide­vaux­Metterie. « Au contraire, leconfinement a plutôt exacerbé lesinégalités déjà présentes à la mai­son et face à l’emploi », ajoute Ma­rie Becker, spécialiste des ques­tions liées à l’égalité profession­nelle au cabinet Accordia.

En 2019, 87,4 % des Françaisesen couple avec enfants consa­craient au moins une heure parjour à la cuisine et au ménage,d’après l’Institut européenpour l’égalité des genres (EIGE), contre 25,5 % seulement des hommes dans la même situation.

Et la crise risque d’aggraver en­core les écarts, s’alarme l’Organi­sation de coopération et de déve­loppement économiques (OCDE),dans un récent rapport.

La situation est particulière­ment délicate pour les mères céli­bataires. En France, elles repré­sentent l’écrasante majorité des parents isolés (83 %). Or, ces der­nières semaines, 430 000 fa­milles monoparentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pour garde d’enfants à cause de la fermeture des écoles, selon l’Observatoire françaisdes conjonctures économiques(OFCE). Pour elles, la reprise sera d’autant plus complexe que la réouverture des classes s’an­nonce chaotique.

Pour celles passées en télétra­vail – et qui le resteront plusieurs semaines encore –, le quotidien s’est bien souvent transformé en marathon ultrachronométré.Surtout lorsqu’il y a des enfants.Là encore, l’interruption des classes a exacerbé les inégalités déjà en place. Et ce, quel que soit le milieu social : selon l’EIGE, 43,4 % des femmes peu diplô­mées consacraient déjà, avant la crise, au moins une heure par jour au soin des enfants, contre 25,6 % des hommes peu diplô­més. Et la proportion monte à res­pectivement 51,8 % et 28,7 % au sein des couples très qualifiés.

« Lever, école, déjeuner, école,goûter, jeux : je commence à tra­vailler vraiment à 21 heures, jus­qu’à 1 heure du matin, témoigne ainsi Charlotte, à la tête d’une agence de communication à Mar­seille, et mère de trois enfants de2, 6 et 9 ans. Il n’y a jamais de pause, je suis comme en lévitation.

Et si, un jour, je m’effondrais d’un coup ? » Son conjoint en fait pour­tant plus qu’avant. « Mais, commesouvent, c’est loin de suffire à éponger le surplus des tâches, multipliées par deux dans cecontexte », souligne Coline Char­pentier, professeure d’histoire en Seine­Saint­Denis. « Surtout : les hommes qui en font plus ont ten­dance à privilégier les courses à l’extérieur, qui leur permettent de sortir du foyer », notent Hugues Champeaux et Francesca Mar­chetta, chercheurs à l’univer­sité Clermont­Auvergne, auteursd’une étude à paraître sur le sujet.

Il y a quelques mois, ColineCharpentier a créé le compte Ins­tagram « T’as pensé à ? », consacréà la charge mentale. Depuis le dé­but de la pandémie, elle est sub­mergée de témoignages de mèresépuisées de jongler entre devoirs, cuisine et conférences Zoom. « La gestion des repas et du domesti­que a pris des proportions déme­surées, et la plupart des femmes se sont vite résignées à en assumerl’essentiel », explique­t­elle.

Et pour cause : dans nos repré­sentations, ces tâches relèvent encore bien trop de qualités sup­posément féminines. Y compris

aux yeux de beaucoup de fem­mes, qui peinent parfois à sollici­ter l’aide de leur compagnon. Et à se libérer du mythe de la superwo­man, capable d’assurer sur tousles fronts, sans ciller.

A cet égard, le télétravail joue unrôle ambigu. « Il est à la fois un le­vier et un frein pour l’égalité des sexes dans l’emploi », analyse la sociologue Christine Castelain­Meunier, auteure de L’Instinct pa­ternel, plaidoyer en faveur des nou­veaux pères (Ed. Larousse). Pourcertaines, c’est indiscutable : il ap­porte une flexibilité bienvenue. « Je gagne deux heures par jour surles transports, je perds moins de temps à la machine à café », se ré­jouit Chloé, assistante adminis­trative en Auvergne­Rhône­Alpes.Autant de « précieuses minutes » qu’elle peut consacrer à ses en­fants, son travail ou son bien­être.

Question financièrePour d’autres, le télétravail atourné au mauvais piège. « Mon employeur m’en demande plus, mais lorsqu’il faut se décoller de l’ordinateur pour s’occuper de nosfilles de 2 et 6 ans, mon conjoint nebouge pas, prétextant que je suis plus “efficace” que lui, confie Na­

tacha, responsable communica­tion à Paris. Résultat : j’ai le senti­ment de tout faire à moitié et je culpabilise beaucoup. »

Contrairement aux idées re­çues, le télétravail, comme leshoraires flexibles, tend à renfor­cer la division classique des tâ­ches au sein des couples, mon­trent les travaux de la sociologueYvonne Lott, de la fondation derecherche Hans­Böckler­Stif­tung, créée par des syndicats al­lemands. « Les hommes exploi­tent majoritairement cette flexi­bilité pour travailler plus, tandisque les femmes l’utilisent plutôt pour mieux combiner le pro et le perso », confirme Blandine Mol­

« Il n’y a jamaisde pause, je suis

comme en lévitation. Et si,

un jour, je m’effondrais ? »

CHARLOTTEresponsable d’une agence

de communication

lard, spécialiste du sujet à l’EIGE.Au risque que cela creuse encoreplus les écarts de salaires.

Or la question financière, sou­vent latente, est l’un des nœuds duproblème. Selon l’Insee, les reve­nus de l’homme sont plus élevés que ceux de la femme dans les trois quarts des couples. Résultat : lorsqu’il faut choisir, c’est souvent l’activité du premier que les foyerscherchent à préserver. « Nous som­mes tous les deux indépendants, mais lui gagne un peu plus, raconteSandrine, agente commerciale en Ile­de­France. Du coup, j’ai sponta­nément réduit mon activité pour m’occuper de nos trois enfants. » Mais elle était loin d’imaginer, mi­mars, que le confinement dureraitaussi longtemps.

La nuit, elle dort peu, angoisséepar la reprise, qui s’annonce plus dure pour elle. D’autant que, comme beaucoup, elle ignore quand ses enfants pourront vrai­ment reprendre le chemin de l’école et du collège. « La récession ne fait que commencer, et elle sera violente, conclut­elle avec lassi­tude. J’ai peur des conséquencesqu’un déséquilibre financier dura­ble aura sur notre couple. »

marie charrel

jusqu’où, dans le sillage de la pandé­mie et des mesures prises pour l’endiguer, l’activité va­t­elle s’effondrer ? Combien de faillites, quelles séquelles sur le marché du travail ? A l’heure où l’Europe entame un déconfinement prudent, les incertitudes sont encore nombreuses. Les économistes s’accordent néanmoins sur un point : jus­qu’ici, cette crise affecte les femmes avec une intensité particulière en Europe, et d’une façon différente des précédentes ré­cessions. « D’abord, parce qu’elles représen­tent près de 70 % du personnel soignant, ce qui les expose plus fortement au virus, tandisqu’elles effectuent la plus grosse part du tra­vail domestique », détaille l’Organisation decoopération et de développement écono­miques (OCDE), dans une récente note.

Surtout, l’arrêt partiel des économies et lafermeture des frontières ont frappé de plein fouet les services, en particulier le tou­risme, l’hôtellerie­restauration et les petits commerces. Or, ces secteurs sont particu­lièrement féminins : en France, 84 % desemployés de l’hôtellerie, 64 % des vendeursen magasin ou encore, 57 % des serveurs sont des femmes, selon l’Institut européen

pour l’égalité des genres (EIGE), lié à la Com­mission de Bruxelles. « En cela, cette crise esttrès différente de celle de 2008, qui avaientpénalisé en premier lieu les emplois indus­triels et la construction, plus masculins, alorsque les services avaient mieux résisté », ana­lyse Matthias Doepke, économiste à l’uni­versité Northwestern, à Chicago (Etats­Unis), coauteur d’une étude sur le sujet.

Responsabilités familiales plus élevéesEn outre, « les femmes sont plus vulnérablesaux pertes de revenus liées à la crise », souli­gne l’OCDE. Notamment parce qu’elles affi­chent un taux de pauvreté plus élevé – 14,5 % en France, contre 13,7 % pour les hommes – et un patrimoine financier moindre. De plus, elles ont souvent plus dedifficultés à retrouver un emploi après unlicenciement lorsqu’elles assument des responsabilités familiales plus élevées.

C’est particulièrement le cas dans lespays du sud de l’Europe, où les politiques d’austérité menées dans la foulée de lacrise de 2008 ont réduit les budgets consa­crés aux services publics, dont ceux dela petite enfance. Un héritage qui, dans la

récession déclenchée par la pandémie, ris­que de nuire un peu plus encore aux pers­pectives d’emploi des femmes.

« Une grande partie des inégalités degenre sur le marché du travail sont le résul­tat d’une répartition inégale des tâches domestiques, détaille Blandine Mollard, à l’EIGE. Ainsi, une femme sur dix dans l’Union européenne travaille à temps partielou est inactive du fait de responsabilités fa­miliales, contre un homme sur cent seule­ment. » En Europe, ajoute­t­elle, le main­tien à domicile des personnes âgées est fa­vorisé dans une large mesure, en raison dela meilleure qualité de vie qu’il offre – et deson moindre coût pour la communauté. Or, la crise du Covid­19 et la remise en cause de la gestion de la pandémie dans lesmaisons de retraite pourraient convaincre des familles de retirer leurs anciens de ces établissements, s’inquiète Mme Mollard. Aurisque que cette charge repose sur les épau­les des femmes. Aujourd’hui, 33 % desFrançaises de 50 à 64 ans s’occupent d’une personne âgée à domicile, contre 20 % des hommes du même âge.

m. c.

Les femmes plus exposées à la perte d’emploi qu’en 2008

« Les hommes ont tendance

à privilégier lescourses, qui leur

permettent desortir du foyer »

HUGUES CHAMPEAUX ET FRANCESCA MARCHETTA

chercheurs

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Page 15: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 15

Airbnb licencie un quart de ses salariésLa plate­forme de location de logements coupe dans ses effectifs et se cherche un nouveau modèle

san francisco ­ correspondante

E n mars 2017, Airbnb étaitl’une des superlicornesde Californie avec unevalorisation de 31 mil­

liards de dollars. L’année 2020 de­vait être celle de l’introduction enBourse de la société cofondée, en 2008, par Brian Chesky, à San Francisco. Frappé par la pandé­mie, le fleuron de l’économie du partage a vu sa valeur tomber à18 milliards fin mars, et l’ouver­ture du capital au public reportée à des jours meilleurs.

Le 4 mai, 1 900 employés se sontvu signifier leur licenciement. La date des départs a été fixée au lundi 11 mai pour donner le tempsaux salariés « de se dire au revoir »,a expliqué M. Chesky, le PDG. Dans un long message au person­nel, ce dernier, 38 ans, a fait part de sa tristesse d’avoir dû se résou­dre à se séparer de 25 % des effec­tifs. « Je suis vraiment navré. Sa­chez que ce n’est pas votre faute. »

Assistance psychologiqueAu début de l’année, la plate­forme avait 7 millions de listings de logements dans le monde etenregistrait plus de 50 millions de visites mensuelles (contre 14 millions pour son concurrentVRBO). Pour 2020, le fondateur a indiqué s’attendre à un chiffre d’affaires « moitié moindre que ce­lui de 2019 » (évalué à 4,8 mil­liards). « Nous ne savons pasquand les voyages reprendront, écrit­il. Lorsque ce sera le cas, le monde du voyage aura changé. »

Les salariés ont été traités avecune « compassion » jugée exem­plaire par la presse. Ils partent avec quatorze semaines de salaire (et une semaine supplémentaire par année d’ancienneté), quatre mois d’assistance psychologiqueet douze mois de couverture santé, un soulagement dans un pays où l’assurance dépend de l’employeur. Ils ont pu conserver

leur MacBook, contrairement aux employés licenciés fin mars par Bird, la start­up de la trottinette électrique, priés de réexpédier leur ordinateur par la poste. Ils pourront exercer leurs stock­op­tions, si tant est que la plate­formes’introduise un jour en Bourse, mais la fortune risque de ne pas être tout à fait à la hauteur de leurs espérances précoronavirus.

Airbnb a également publié surson site un « annuaire des ta­lents » dans lequel ceux qui cher­chent un nouvel emploi ont pu poster quelques lignes de CV. Laplupart des licenciés proviennentdu siège de San Francisco, de Montréal, de Portland (Oregon) ;cinq étaient installés en Chine. Nombre d’entre eux sont issus dumarketing ou du service clients, mais la liste peut aussi se lire comme le témoignage d’une épo­que dorée − et révolue. Maria Her­rera était chargée de rendre le sé­jour des VIP aussi mémorable quepossible, « sur mesure, jusqu’au plus petit détail ». Charlie Masto­loni contribuait au lobbying : il re­vendique avoir fait échec au pas­sage d’une loi limitant la duréedes locations à court terme sur la côte californienne…

Mi­mars, la compagnie a em­prunté 2 milliards de dollars et ré­duit ses investissements dans le logement de luxe et le secteur hô­telier. Elle a lancé une certifica­tion « nettoyage » pour les hôtes qui devront être formés aux prati­ques de décontamination, faute de quoi ils devront observer une période de latence de trois jours entre les locataires. Elle a inau­guré un service, conçu sur le mo­dèle des « expériences » − visites guidées, gastronomie − qui étaient proposées aux touristes, à côté des logements. Distanciation oblige, il s’agit d’expériences par visioconférence. Pour 24 dollars,on peut louer une heure de mime avec Ivan Bacciocchi, le directeur de l’Ecole internationale de mime

corporel dramatique, en direct de Paris. Pour 22 dollars, cuisiner à la maison avec une famille maro­caine. Pour 48 dollars, suivre en direct Lucas Hixson, le cofonda­teur de l’ONG Clean Futures Fund dans sa distribution de nourritureaux chiens de Tchernobyl…

« Nos racines »L’ex­start­up qui a déstabilisé l’in­dustrie hôtelière et contribué à la gentrification et à l’augmenta­tion des prix de l’immobilier dans les grandes villes du monde se cherche un nouveau modèle.« Les gens voudront des options plus près de chez eux, plus sûres et plus abordables, assure M. Cheskydans son message. Ils aspireront également à retrouver le contact humain dont ils semblent avoirété privés. » Airbnb a grandi dansl’après crise financière de 2008,quand l’économie du « partage » a permis à nombre de victimes dela récession de trouver des sour­ces de revenus inédites. « Nous

devons revenir à nos racines, poursuit le fondateur, dont le ca­napé, à San Francisco, avait servi à l’époque de cobaye à la plate­forme. Nos bases : des personnescomme vous et moi qui ouvrent les portes de leur logement et pro­posent des expériences. »

Mais Airbnb va devoir d’abordaffronter la bronca qui s’est déve­loppée parmi les hôtes. Ceux­ci s’estiment lésés par la politiquede remboursement des clients,décidée mi­mars par la plate­forme et révisée une demi­dou­zaine de fois depuis. Alors que les conditions d’annulation sont sta­tutairement laissées aux hôtes,Airbnb a préempté les arrange­ments individuels et instauréune politique globale prévoyantle remboursement des clients ayant annulé leur séjour entre le 1er avril et le 31 mai, en raison des mesures de confinement. Les hô­tes qui espéraient négocier direc­tement avec les clients des re­ports de séjour et conserver une

partie des avances, conformé­ment à leurs propres conditions d’annulation, s’estiment floués.

Airbnb a créé un fonds de250 millions de dollars, Supe­rhost Relief Fund, pour aider les logeurs. Mais la colère n’a pas di­minué. Certains ont créé leurpropre site de réservation. Un avocat du Michigan, Enrico Schaefer, a entrepris de monter une action en nom collectif, esti­mant qu’Airbnb a fait perdre 1 milliard de dollars aux proprié­taires et que la compensation est

minime. La plate­forme s’est en­gagée à payer 25 % du montant que ceux­ci auraient touché en cas d’annulation. Un hôte qui aurait du percevoir 400 dollars au terme de ses propres condi­tions d’annulation se verra dé­frayer de 100 dollars.

L’effondrement des locationsrisque de provoquer la faillite de nombre de propriétaires qui se sont endettés pour mettre des lo­cations sur les listings, attirés par une promesse d’argent facile. On est loin des chambres chez l’habi­tant des débuts : deux tiers des Américains offrant des loge­ments entiers gèrent au moins deux propriétés. Autre effet pré­visible, sur les activités périphéri­ques : ménage, aménagement del’intérieur, concierges, photogra­phes. Le Wall Street Journal a chif­fré à quelque 650 000 le nombrede personnes qui gravitentautour des plates­formes de loca­tion entre particuliers.

corine lesnes

« Quand les voyages

reprendront, lemonde du voyage

aura changé »BRIAN CHESKYPDG d’Airbnb

Elon Musk se rebiffeet veut « libérer » Tesla

L e bouillant Elon Musk n’est pas de ces pères qui prennentun congé parental. Cinq jours après la naissance de sonsixième enfant − un sixième garçon −, le PDG de Tesla a

menacé le 9 mai de quitter la Californie si les autorités conti­nuent à lui interdire de rouvrir l’usine de Fremont, près de San Francisco, où sont fabriquées ses voitures électriques.

Sur son fil Twitter, suivi par 33,9 millions de personnes, l’en­trepreneur s’en est pris au comportement « absurde et irration­nel sur le plan médical » des responsables de la santé publique du comté. Alors qu’il avait décidé de relancer vendredi 8 mai la production des Tesla, à l’arrêt depuis le 23 mars, ceux­ci lui ont ordonné de s’abstenir et d’attendre le déconfinement, prévu le 18 mai. « Cette violation des libertés constitutionnelles par des of­ficiels non élus doit cesser », a tonné Elon Musk, en menaçant dedélocaliser le siège de la société au Nevada voisin, ou au Texas, le grand rival de la Californie. Avec 20 000 employés − dont

10 000 à Fremont, Tesla est la pre­mière entreprise manufacturière duGolden State. « Si nous conservonsmême une quelconque activité à Fre­mont, cela dépendra de la manièredont Tesla est traitée à l’avenir », a ex­plosé l’entrepreneur. Toujours surTwitter, l’élue démocrate de l’Assem­blée de Californie Lorena Gonzalez arecommandé au milliardaire d’aller« se faire f… ». Critiquée pour son lan­gage, elle a expliqué sa frustration :

« La Californie a lourdement subventionné une compagnie qui a toujours méprisé la sécurité des travailleurs, été anti­syndicats etessayé de faire pression sur les fonctionnaires. »

Depuis le début de la crise du coronavirus, Elon Musk, 48 ans,ne décolère pas, notamment contre le fait que Tesla n’ait pas étéreconnu comme un acteur « essentiel » de l’économie. Présen­tant les résultats trimestriels aux actionnaires, il a traité de « fas­cistes » les mesures de confinement, rejoignant les rangs despartisans de Donald Trump qui réclament la « libération » desEtats où la réouverture de l’économie n’a pas encore été autori­sée. Le milliardaire au tee­shirt « Occupy Mars » et sa compagne,la chanteuse grunge Grimes, risquent d’avoir un autre motif de se plaindre. Le nom de leur bébé − X Æ A­12 Musk (prononcez Ex Ash A Twelve) − a peu de chances d’être agréé par l’état civil…

c. ls. (à san francisco)

LE PDG DE TESLA A TRAITÉ DE « FASCISTES » LES MESURES DE CONFINEMENT

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Page 16: Le Monde - 12 05 2020

16 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

Consommer dans le monde d’aprèsLa crise économique, qui s’ajoute à la crise sanitaire, n’affecte pas tous les Français à égalité. L’état d’espritet les comportements des consommateurs sortent durablement modifiés de l’épreuve du Covid­19et dessine une France coupée en deux

File d’attente de clients pour s’approvisionner chez un producteur local, à Paris,le 17 avril. XAVIER TESTELIN

DOSSIER

E n ce 11 mai, date de réouverturedes commerces non alimen­taires et de nombreux services,l’envie des Français de rompreavec le confinement est sansdoute aussi forte que le besoin

d’une coupe de cheveux. « Les carnets de ren­dez­vous des 60 000 salons de coiffure, dont ceux de nos adhérents, se sont remplis dès les annonces du premier ministre », confirme­t­on à l’Union nationale des entreprises de coiffure, l’un des principaux syndicats de la profession. Mais il n’y a pas que la longueur des franges qui a changé en l’espace de deux mois. L’état d’esprit et les comportements des consommateurs sortent durablement modifiés de cette épreuve.

Après s’être recentrés sur eux­mêmes,avoir fait leurs courses à distance et, pourcertains, passé leurs journées en jogging de­vant la télé, « les gens vont­ils revenir dansnos magasins ? », s’interroge Emmanuel LeRoch, le délégué général de Procos. Cette fé­dération regroupe plus de 300 enseignes spécialisées et leurs 60 000 points de vente, notamment dans la mode boudée par 90 % des consommateurs, en dépit des nom­breux sites de vente en ligne restés actifs pendant les fermetures. Et qu’en sera­t­il,dans les mois à venir, dans la restauration, letransport, le tourisme, ou la culture ?

« FAILLES ET FRACTURES »D’emblée, c’est un pays coupé en deux qui reprend aujourd’hui le chemin des maga­sins. Verts ou rouges, les départements res­tent plus ou moins sous cloche. La crise éco­nomique, qui s’ajoute à la crise sanitaire, n’affecte pas tous les Français à égalité. Elleprive d’emploi ou place en chômage partiel plus de 12 millions de personnes depuis la mi­mars. Malgré les soutiens de l’Etat, 31 % des Français déclarent que leurs revenus per­sonnels en sortent impactés, selon une en­quête de l’institut Kantar, réalisée mi­avril. Avant même l’irruption du Covid­19 dans leur quotidien, un tiers des ménages avaitdéjà du mal à joindre les deux bouts.

« Très vite, on va retomber dans les failles etles fractures que l’on connaissait », a alerté il ya quelques jours, sur la chaîne Public Sénat,le politologue Jérôme Fourquet, à l’origine dela notion d’« Archipel français ». France de la fin du mois ou France de la fin du monde, tout le monde ne tirera pas les mêmes ensei­gnements de cette crise dans sa consomma­tion, dit­il. Un retour sur terre brutal.

La bulle du confinement a enfermé chacunderrière sa grille de lecture, analyse Philippe Moati, cofondateur de L’Observatoire sociétéet consommation (Obsoco). « La période que

nous venons de vivre, propice à l’introspec­tion, a renforcé l’envie de changer de prati­ques chez ceux qui étaient déjà engagés surcette voie. Mais ceux qui ont à gérer unebaisse de revenus seront moins enclins à re­faire le monde. » Le voudraient­ils d’ailleurs ? Car, pour les plus démunis, la sociologue Jeanne Lazarus l’a montré, consommer peut sembler être la seule façon de faire partie de la société.

Dans un pays officiellement entré en réces­sion, il faut en tout cas se préparer au pire. Lecocktail de distanciation physique et d’incer­titude va empoisonner la consommation pour au moins six mois, selon l’économiste Jean­Paul Betbeze. « Qu’il s’agisse d’une col­lection de vêtements printemps­été non ven­due ou de sorties au restaurant ou au cinéma non effectuées, une bonne partie de ce qui n’a pas été consommé est définitivement perdue, et je ne crois pas du tout à des phénomènes dedépenses de revanche ou de rattrapage, comme en Chine. » L’institut d’études Xerfi

évoque un possible décrochage des dépensesdes ménages de 7,5 % (en euros constants)en 2020. Du jamais­vu en temps de paix.

Pendant le confinement, l’alimentaire estle seul poste à avoir progressé au sein de lademande intérieure, inférieure d’un tiers àla normale. Impossible d’en tirer des conclu­sions hâtives toutefois. A chaque crise, la so­ciété de consommation est décriée par lecorps social, jusqu’à professer sa fin, rap­pelle une étude du Crédoc, parue fin 2015,sur les représentations de la consommationen période de sortie de crise économique,mais dont le propos reste d’actualité. Evi­demment, il n’en est rien.

En revanche, « ces ruptures accélèrent desmodes de consommation, en phase avec lesévolutions sociétales », souligne Pascale Hé­bel, un des auteurs de ces travaux. C’estainsi qu’ont émergé les comportements deconsommation « engagée » en 1993, ou la consommation « responsable et raisonnée »en 2013. Cette fois, la diffusion du télétravail

pourrait constituer un levier de change­ment important.

A long terme, le rôle d’incubateur joué parle confinement ne fait néanmoins pas de doute pour l’anthropologue Fanny Parise. « Le fait d’essayer de nouvelles pratiques, de réaliser que ce n’est pas aussi compliqué qu’on le pensait, et de les répéter à plusieurs reprises permet leur diffusion progressive »,explique cette spécialiste de la consomma­tion. Elle analyse les comportements de 6 000 personnes, dans l’Hexagone et enSuisse, depuis le début de l’état d’urgence sa­nitaire. De nombreux rituels partagésautour de la famille et du logement ont alorsfédéré la population.

« EQUIPEMENTS D’INVESTISSEMENT »Bien manger et prendre soin de soi a occupé une bonne partie des journées des « con­sommateurs confinés ». La cuisine est reve­nue à sa place originelle, au centre du foyer, et le sport a motivé près de la moitié des indi­vidus. En même temps que machines à pain et yaourtières ressortaient des placards, lesvélos d’appartement remontaient de la cave. On a également investi dans ce type de pro­duits. Chez Decathlon, 30 % des commandes en ligne ont porté sur ces « équipements d’investissement », incluant aussi vélos pour l’extérieur, tapis de course, tables de ping­pong, ou encore trampolines. Le signe d’un souci, plus profond, de rester en forme.

Car, sans surprise, la santé s’impose désor­mais parmi les premières préoccupations des Français, avec l’environnement et l’éco­

FRANCE DE LA FINDU MOIS OU FRANCE 

DE LA FIN DU MONDE, TOUT LE MONDENE TIRERA PAS

LES MÊMES ENSEIGNEMENTS DE CETTE CRISE DANS 

SA CONSOMMATION

depuis qu’elle a changé de secteur, Jia Shu se sert la ceinture : cette ancienne agente de voyage, qui organisait des séjours sur mesure pour la classe moyenne supérieure chinoise, s’est trouvée face à un mur après l’explosion de l’épidémie de coronavi­rus. Après le blocage de la Chine, c’est le monde en­tier qui fait face à la pandémie, plombant les pers­pectives du tourisme international pour l’année. Faute de projets, Jia Shu, 26 ans, a trouvé un travail d’employée dans une compagnie d’assurances. « C’est une industrie à laquelle je ne connais rien. Le travail est fastidieux et compliqué », avoue­t­elle. Surtout, il est moins bien payé : « Avant, j’avais d’im­portants bonus en fonction de mes résultats. Mainte­nant, j’ai juste assez pour le quotidien, mais je ne metsrien de côté. Je ne pourrai pas partir en vacances. »

Comme Jia Shu, des centaines de millions de Chi­nois ont vu leurs revenus réduits. Après avoir chuté de 19 % au premier trimestre, entre confinement et perte de pouvoir d’achat, la consommation risque bien de ne pas voir de rebond sur le reste de l’année.D’après une étude trimestrielle de la banque cen­trale, les ménages chinois ont épargné 6,6 % de plus

sur les trois premiers mois de l’année qu’à la même période en 2019. Près de neuf Chinois sur dix esti­ment que leur salaire va baisser cette année, contre seulement un sur dix en décembre 2019.

Bons d’achats aux ménagesUne catastrophe, alors que 60 % du PIB chinois dé­pend désormais de la consommation intérieure.Pour y remédier, la Chine n’a pour l’instant an­noncé que des mesures modestes : les autoritéslocales ont distribué des bons d’achats aux ména­ges pour tenter de les inciter à dépenser. Des sub­ventions à l’achat de véhicules électriques, qui de­vaient prendre fin en 2020, vont être prolongéesde deux ans, alors que le secteur automobile est endétresse : les ventes de voitures ont chuté de 42 % au premier trimestre.

Pour le reste, les autorités ont recours auxvieilles méthodes qui leur ont permis de soutenirla croissance ces dix dernières années : les inves­tissements dans les infrastructures, train à grandevitesse en tête. Mais c’est au prix d’un endette­ment sans pareil pour un pays déjà très bien doté

en infrastructures. Par conséquent, on peut s’in­terroger sur l’utilité de lancer des milliers de chan­tiers supplémentaires.

Pour Michael Pettis, professeur de finance à l’uni­versité de Pékin, la solution serait d’améliorer la ré­partition des revenus pour libérer la consomma­tion. « En Chine, les ménages ne gardent que très peu de ce qu’ils produisent au plan national : on est à peine à plus de 50 %, contre 60 % à 80 % en Europeou aux Etats­Unis. Ils ne sont pas payés suffisam­ment pour consommer tout ce qu’ils produisent. »

Il faudrait donc augmenter la part du revenu na­tional que reçoivent les ménages, notamment enrenforçant la couverture sociale pour libérer lesbas de laines que les Chinois garnissent pour faireface à d’éventuelles dépenses de santé. « Mais pouraugmenter la part des ménages, il faut la prendre àquelqu’un : je ne vois que les riches, et les gouverne­ments locaux comme possibilités, or, ce sont deux groupes très puissants politiquement », conclutMichael Pettis.

simon leplâtre(shanghaï, correspondance)

Les Chinois continuent de se serrer la ceinture

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Page 17: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 coronavirus | 17

nomie. Tous les produits et services liés aubien­être et à la santé vont donc être plébis­cités. Dans l’alimentation par exemple, leCrédoc observe déjà le renforcement de toutce qui contribue à la « fortification nutri­tionnelle », des poulets nourris au grain aux compléments alimentaires en passant par les probiotiques.

De nombreux ménages conserveront sansdoute le réflexe d’acheter local et en circuit court, une tendance qui était déjà dans l’air du temps. Pauline Vaysse en est convaincue, elle qui a accéléré l’ouverture de sa Ruche qui dit oui à La Magdelaine­sur­Tarn (Haute­Garonne). Depuis le 15 avril, date de sa pre­mière livraison, elle constate une attente forte « de produits frais et de qualité », issus de producteurs de sa région afin de les sou­tenir. Au niveau national, La Ruche qui dit oui fait le même constat, après le gain de 37 000 clients ces dernières semaines s’ajou­tant à ses 160 000 membres actifs.

PRATIQUES NUMÉRIQUESMais s’il est un domaine où il n’y aura pas deretour en arrière, c’est bien celui des prati­ques numériques, après la percée opérée parcertaines plates­formes d’e­commerce et de services dématérialisés. Un sondage de l’ins­titut CSA est révélateur à cet égard : fin mars,les Français plaçaient Amazon et Netflix en tête des marques non alimentaires qu’ils ju­geaient les plus utiles, aux côtés de La Poste.

Sur les réseaux sociaux, on a aussi vu desgrands chefs s’inviter chez les Français pour des ateliers cuisine en direct, des profs de yoga faire cours à leurs élèves, des artistes se produire depuis leur domicile. Surfant sur denombreux outils de communication à dis­tance, des agents immobiliers ont fait visiterdes appartements, des concessionnaires auto ont montré l’intérieur des voitures, des vendeurs ont pu conseiller leurs produits… Pour le sociologue Rémy Oudghiri, directeur général de Sociovision, « tous ces services et expériences permises par le digital, un phéno­mène assez marginal jusqu’ici, pourraient re­celer un vaste potentiel d’innovation pour ra­viver le désir des consommateurs, ou ouvrir un nouveau champ d’activités monétisables ».

Ce concentré d’explorations collectives,réalisé en quelques semaines, continuerad’infuser dans la société post­Covid. La no­tion de ce qui est essentiel ou pas, brandiepar le gouvernement pour maintenir oumettre à l’arrêt des pans entiers d’activités,risque de parasiter durablement notre rap­port à la consommation, affirme Fanny Pa­rise. Dans l’immédiat, il peut nourrir un« sentiment de culpabilité ou une crainte du regard des autres ». A plus long terme, elle sedemande si « consommer sera encore perçucomme une fin, ou davantage comme un moyen ».

L’arbitrage entre la possession et l’usagetournerait alors de plus en plus à l’avantagede ce dernier. La location, l’achat d’occasion,ou les pratiques de partage remplacent deplus en plus souvent la dépense dans deplus en plus de domaines. Cela se vérifie dans des domaines aussi divers que le vête­ment, l’électroménager ou l’automobile,même si ce symbole de la consommationmatérielle depuis les années 1950 pourraitprendre pour un temps une belle revanchegrâce au virus.

On le constate en Chine, où les ventesd’automobiles remontent en flèche après avoir stoppé net pendant deux mois. LesFrançais envisagent à nouveau de se dépla­cer, notamment en voiture. La baisse de prixdes carburants, un habitacle protecteur et la variété des services développés autour du« drive » les y encouragent. Le succès de ce mode de livraison des achats du quotidienl’illustre, comme l’attestent les embouteilla­ges spontanés qui se sont formés pour accé­der, sans quitter le siège de sa voiture, aux burgers d’un restaurant McDonald’s de Sei­ne­et­Marne rouvert mi­mars. Le retour des cinémas­parcs d’antan pointe déjà son nez.

Tout le monde n’enfourchera donc pas, dujour au lendemain, un vélo, ou ne se conver­tira pas au bio. Pas d’emballement du moinschez Philippe Lapalut, coresponsable du Grand Panier Bio de Mareuil­lès­Meaux (Sei­ne­et­Marne), « la clientèle est changeante ».

S’il a attiré, pour des raisons assez diverses, 20 % de personnes qu’il ne connaissait pas depuis le 17 mars, il ne pense conserver que 5 % à 10 % de clients en plus dans la durée.

Dans les prochains mois, les ménagesdans leur ensemble continueront sansdoute à consacrer l’essentiel de leurs res­sources à la consommation courante, écritPatrick Artus, le chef économiste de Natixis.Mais ce ne sera plus à n’importe quel prix,comme c’était le cas dans la crainte des pé­

Une consommation anémiée aujourd’hui et incertaine demain

SOURCES : INSEE, BANQUE DE FRANCE, OFCE, KANTAR, NIELSEN, XERFI Infographie : Marianne Boyer, Maxime Mainguet

Du fait du con�nement, une lourde chute de la consommation, sauf dans l’alimentaire

Di�érence* entre la consommation en France �n avril 2020 et la normale

Evolution des ventes de produits alimentaires entre la semaine du 20 au 26avril 2020 et la semaine correspondante en 2019

Di�érence* entre la consommation en France �n avril 2020 et la normale, en %

*estimation

dont :produits issus de l’industrie – 36 %

services marchands – 32 %

Ensemble – 33 %

Parmi les produits issus de l’industrie : l’alimentaire, porté par le drive et l’e-commerce, est le seul gagnant

Livraison à domicile : + 117 %Drive : + 81 %Magasins de proximité : + 20 %

Supermarchés de moins de 2 000 m2 : + 10 %plus de 2 000 m2 : + 8 %

Magasins hard discount : – 5 %Hypermarchés demoins de 7 500 m2 : – 5 %plus de 7 500 m2 : – 10 %

Denrées alimentaires et boissons

+ 9 %

– 49 %– 75 %

– 62 %

– 92 %

Energie, eau, déchets, produits des industries extractives

Equipements électriques,

électroniques, informatiques...

Cokéfaction,ra�inage(pétrole)

Autresproduits

industrielsMatériels

de transport

0 %

Finances et assurances0 %

Immobilier

Information,communication

Activités scienti�ques, techniques et services administratifs

0 %– 11 %

– 56 %Autres services

– 79 %Commerce

– 79 %

Hébergement et restauration– 89 %

Transports et entreposage

– 82 %

Di�érence* entre la consommation en France �n avril 2020 et la normale

Dans les services, le commerce et l’hébergement-restauration fortement touchés

L’épargne accumulée durant le con�nement rend possible une reprise rapide de la consommation...

C’est, en milliards d’euros, le total des sommes épargnées par les Français durant le con�nement, selon l’OFCE.

Le rythme de réinsertion de cette manne dans l’économie conditionnera en partie la relance.

55

5,919,6

Sommes placées sur leur compte en banque par les ménagesfrançais, en milliards d’euros

Moyenne mensuelle janvier 2017-février 2020 Mars 2020

C’est, en avril, l’ampleur de la baisse de l’indice mensuel de con�ance des ménages calculé par l’Insee.

C’est la plus forte chute enregistrée depuis la création de l’indicateur, en 1972.

des Français déclarent que leurs revenus ont déjà été a�ectés par la crise

Prévisions d’évolution annuelle de la consommation selon Xer�, en %

+ 0,9

2018 2019 2020 2021

+ 1,2

– 7,4

+ 8,1

– 8 points

31 %

... mais celle-ci reste incertaine, du fait du manque de con�ance des ménages

« LA PÉRIODEQUE NOUS VENONS 

DE VIVRE A RENFORCÉ L’ENVIE 

DE CHANGER DE PRATIQUES CHEZ 

CEUX QUI ÉTAIENT DÉJÀ ENGAGÉS 

SUR CETTE VOIE »PHILIPPE MOATI

cofondateur de l’Obsoco

face au puissant amazon, le 17 mars, alors qu’il baisse pour huit semaines le rideau de sa librairie,47 degrés Nord, située au cœur de Mulhouse (Haut­Rhin), Frédéric Versolato est loin d’imaginer la fa­çon inédite dont sa clientèle va l’aider à passer lecap. C’est un confrère qui lui suggère, début avril, d’aller faire un tour sur une plate­forme gratuite de soutien aux commerces et artisans. Le principe est simple : une fois inscrit, il s’agit de proposer en lignedes bons d’achats. Le client les échangera en livres après la réouverture. « En moins de trois semaines, nous avons réuni plus de 8 000 euros, un montant colossal puisque cela représente un cinquième de nosventes mensuelles », se réjouit Frédéric Versolato.

Des milliers de commerçants indépendants ontréussi de la sorte à engranger, comme lui, de quoi payer une partie de leur loyer ou de leurs charges. « On pouvait craindre qu’Amazon n’en profite pourrafler la mise », souligne Erwan Simon, le fondateur de Sauve ton commerce, un site parmi la dizaine à

avoir volé au secours des boutiques de quartier lorsdu confinement. Nombreux sont ceux qui ont sou­tenu bistrots et restaurants, toujours fermés, où ils ont leurs habitudes. Comme ce Parisien, désormais à la tête d’une cagnotte de 1 000 euros dans un café­boulangerie proche de l’école de ses enfants. Il sou­haite offrir café et croissant aux autres parents à larentrée, raconte Mathieu Maure, à l’origine, avec son épouse, de l’initiative Sauvons nos commerces.

L’ampleur de la solidarité a dépassé toutes les es­pérances de Jonathan Cholet. Il a grandi au­dessus de la boutique de charcuterie­traiteur de ses pa­rents, à Saint­Nazaire (Loire­Atlantique) et – commeErwan Simon – c’est son métier habituel que d’aiderdes commerçants à se faire connaître. Fin avril, lesite Soutien­commerçants­artisans avait venduplus de 2 millions d’euros de bons d’achat. Sauve ton commerce se rapprochait du million, et Sau­vonsnoscommerces.org des 200 000 euros, entreautres exemples. Un succès amplifié par le soutien

des collectivités locales. Le bouche­à­oreille a fait le reste. Mais après le 11 mai, que deviendront ces belles initiatives, mise sur pied dans l’urgence, sou­vent en quelques jours ?

Les sommes récoltées, comme la chaleur desmessages d’accompagnement, prouvent « l’utilité de ces plates­formes », juge Mathieu Maure. Il est frappé par « la force de la communauté des commer­çants, qui ont poussé leur offre par le digital ou parune simple affichette sur leur devanture ». Con­vaincu qu’il serait dommage d’éteindre la lumière, il réfléchit donc au modèle économique de l’après. « Les petits commerces qui n’étaient pas dans unelogique digitale ont compris que c’était la suite », conclut, de son côté, Erwan Simon, qui comptepoursuivre son site gratuit, grâce à la participation de collectivités locales. « Même le propriétaire d’uncommerce de couteaux en Corse, âgé de 82 ans, m’a contacté », s’émerveille­t­il.

n. ba.

Sur Internet, le soutien au commerce local fait un carton

nuries. « Tout le monde achetait français quand on ne trouvait rien d’autre, mais beaucoup ne pourront pas manger de toma­tes sans la production marocaine, moinschère », relève­t­on chez Système U. Répon­dre à la fois aux attentes des plus défavori­sés et à ceux qui aspirent à consommerautrement relève, selon le distributeur, d’unexercice délicat.

Bien conscient de cette ligne de fracture,Bercy cherche à concilier fin du mois et fin

du monde. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, promet pour l’automne un plan de relance verte. Il s’agira notamment de con­vaincre les Français de réinjecter dans l’éco­nomie leur épargne, dont le bas de laine de largement plus de 50 milliards d’euros cons­titué pendant le confinement. Il y a pourtantfort à parier que la population restera atten­tiste, selon Sociovision. Fin 2019, « la peur de l’avenir était déjà au plus haut ».

nadine bayle

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Page 18: Le Monde - 12 05 2020

18 | coronavirus MARDI 12 MAI 20200123

En Alsace, un fabricant de masques naît dans une usine en plan socialBarral va recourir aux salariés « prêtés » par l’équipementier automobile Mahle Behr

L à où tant d’entreprises tex­tiles ont été décimées par laconcurrence étrangère, une

nouvelle vient de naître en Alsace,Barral, qui produira dans les pro­chains jours des masques grandpublic en fibres synthétiques pourles conseils départementaux desHaut­Rhin et Bas­Rhin. Ceux­ci en ont commandé 3,7 millions d’ici à fin juin pour les distribuer aux ha­bitants. La première machine estarrivée le 6 mai, trois autres serontlivrées d’ici à juillet. Cette entre­prise a été lancée à toute vitesse à l’initiative du Pôle textile Alsace. Elle est créée par six industriels dece Pôle qui, avec leurs propres de­niers et l’aide d’une banque, y ont investi plus de 3,5 millions d’euros. « Une usine normale se monte en six mois, nous, on a mis 50 jours, se félicite Benoit Basier,président de Barral, du Pôle et de la corderie Meyer­Sansboeuf, ba­sée à Guebwiller (Haut­Rhin).

100 % recyclables et françaisMi­mars, une trentaine d’ateliers et d’entreprises membres du Pôle textile s’étaient convertis à la fa­brication de masques. « Barral ne leur prendra pas du travail car lademande est énorme, précise M. Basier. Puis, au fur et à mesure que l’économie repartira, ils vontreprendre leurs activités initiales, dans le linge de maison, dans lestee­shirts de clubs de foot, etc. »

M. Basier aime à dire que Barralse veut « une entreprise à responsa­bilité sociale, sociétale et environ­nementale ». Elle fabrique un mas­que lavable (40 fois pour le mo­ment), 100 % recyclable et 100 % français. Et est en train de s’im­planter au cœur d’une autre usine,dont elle loue des locaux et qui ne cesse de perdre des emplois : l’équipementier automobile Ma­hle Behr France, à Rouffach (Haut­Rhin). La filiale du groupe alle­mand en est à son troisième plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)

depuis 2013. Cette fois, 236 em­plois sur 619 vont être supprimés.

Pour compléter l’histoire, Barral,acronyme de « barrière », comme masque barrière, et « Alsace », qui à terme produira 4 millions de masques par semaine, fera tra­vailler des salariés volontaires de Mahle Behr, actuellement en acti­vité partielle, selon une conven­tion de prêt de personnel à but non lucratif. Ce qui permettra à cessalariés, dont le revenu est de 84 %de leur salaire net, d’en percevoir 100 %. « Si on peut permettre à un territoire de conserver des emplois, autant le faire, c’est dans nos va­leurs », indique M. Basier, adepte d’un « capitalisme qui a du sens ». Ilaurait, en outre, été compliqué de recruter en plein confinement.

Pour Mahle Behr, « qui n’y gagnerien sur le plan commercial », comme le dit Philippe Engelbert, directeur de l’usine, cette opéra­tion permet de « limiter la casse so­ciale ». même si les salariés qui auront fait l’objet du prêt « ne se­ront pas prioritaires », précise M. Basier. Ce projet « ne réduira pas » les suppressions chez Mahle Behr, avertit M. Engelbert. « Je re­grette qu’il n’y ait aucun lien entre ce projet et le PSE, il aurait fallu qu’un reclassement soit possible », pointe Denis Pieczynski, délégué UNSA au Comité social et écono­mique (CSE) de Mahle Behr. « C’est toujours de l’emploi créé ici plutôt qu’en Chine », se réjouit, elle, SabineStuder, secrétaire CFDT du CSE.

francine aizicoviciA Marseille, dans la tour CMA CGM, un déconfinement très encadré350 des 2 300 salariés du siège de l’armateur sont volontaires pour reprendre le travail lundi

marseille ­ correspondant

C omment déconfiner unetour de 32 étages où tra­vaillent quotidiennement

2 300 salariés et quelques centai­nes de prestataires ? Le siège mon­dial de la CMA CGM, dont la sil­houette signée Zaha Hadid trône sur le port industriel de Marseille,est un cas épineux avec ses dix as­censeurs, ses 45 000 mètres car­rés climatisés de bureaux en openspace et de salles de réunion, son restaurant de 300 couverts, son auditorium et sa salle de sport.

« Dans les trois premières semai­nes, nous allons faire les choses de façon très progressive et pour ce lundi, je peux dire que la tour est prête », assure Thierry Billion, se­crétaire général de la CMA CGM. Prête, mais dans un premier temps, pour un format très ré­duit : 350 personnes rentrerontlundi 11 mai et uniquement, as­sure l’entreprise, sur la base du volontariat. « Nous avons sollicitéles célibataires et les personnes sans enfants, explique encore M. Billion, qui rappelle que ses collaborateurs − 38 ans demoyenne − sont souvent de jeu­nes parents. Beaucoup de nos sa­lariés souhaitaient déjà revenir, ila fallu faire des choix. »

Le plan de déconfinement a étéprésenté dans deux messages vi­déo à tous les collaborateurs. Mardi 5 mai, les syndicats l’ontdécouvert in situ. Voies d’entréeet de sortie séparées, prise de

température à l’arrivée, masqueobligatoire fourni quotidienne­ment en deux exemplaires par l’entreprise, présence maximalede quatre personnes par ascen­seur contrôlée par badge et ca­méra… Dans les espaces ouverts, les rares salariés s’installeront en quinconce pour ne pas être face àface. Les salles de réunion restentfermées, l’entreprise privilégiantencore les vidéoconférences, y compris entre personnes présen­tes dans la tour.

Nouvelle philosophieLes habituels lieux de convivia­lité, comme le café connecté ou le gymnase, ne seront pas accessi­bles. Quant au restaurant d’entre­prise, il ouvre avec une formule unique de repas et l’obligation de manger à une seule personne par table. Chaque salarié, une fois sonrepas fini, collera un sticker à sa place pour que celle­ci soit net­toyée avant qu’une autre per­sonne ne puisse s’asseoir.

« Dans nos discussions, plus quela peur du virus, ce sont toutes ces contraintes sanitaires qui génè­rent une anxiété à l’idée de retour­ner dans la tour », témoigne unesalariée du siège marseillais, mère de famille en télétravail de­puis la mi­mars. Sondée jeudi 5 mars par la direction de sa bran­che, elle a refusé de se porter vo­lontaire pour reprendre en pré­sentiel. Et espère ne pas avoir à le faire avant septembre. « Je suis ef­ficace de chez moi et l’idée de por­

ter un masque toute la journée ne m’inspire pas. Pas plus que de me retrouver à huit sur un étage où il ya habituellement une centaine depersonnes ou de manger touteseule à une table », redoute­t­elle.

« Dans la maison, on est dans laconfiance du cercle familial. Ceuxqui rentrent vont devoir se réédu­quer. Etre en distanciation, ne passe toucher, ça va être compliqué », prévoit déjà Thierry Billion, qui a demandé qu’une signalétique im­posante soit installée pour rappe­ler règles et gestes barrières.

A ce jour, la CMA CGM enregis­tre 980 cas de Covid­19 sur ses 110 000 collaborateurs à traversle monde. Le siège, lui, n’a offi­ciellement connu qu’un seul cas positif. Une contamination qui aentraîné la fermeture partielle dela tour, quelques jours avant leconfinement national. D’autressalariés racontent avoir ensuitedéclenché la maladie à leur do­

micile. Sans savoir s’ils ont été touchés au travail ou dansd’autres circonstances.

Jusqu’à juin, le plan de relanceprévoit que 150 collaborateurs supplémentaires rentrent chaquelundi. « C’est la tendance, maisnous serons extrêmement vigi­lants et prendrons le maximum de précautions pour que tout lemonde se sente serein. S’il faut sta­biliser le nombre de salariés, nous aurons cette souplesse », promet Thierry Billion. Au­delà du décon­finement, le premier transpor­teur mondial de conteneurs en­tend tirer des leçons de la crise. Un plan de réorganisation quisonne comme une nouvelle phi­losophie du travail est lancé. « Six pages de décisions à mettre en fonction d’ici septembre », assure le secrétaire général du groupe.

Avec, au premier plan, une mon­tée en puissance du télétravail, rendu en partie obligatoire dans certains secteurs, une digitalisa­tion accrue de l’entreprise, ens’appuyant notamment sur la pé­pinière de start­up, ZeBox, que le groupe a lancé en janvier 2018. L’idée de réduire les déplace­ments internationaux est égale­ment sur la table. « Sur les huit se­maines du confinement, nousavons eu des visioconférences avecles responsables de nos 160 agen­ces mondiales et cela a très bienfonctionné, insiste Thierry Billion.La question se pose aujourd’hui : pourquoi voyager autant ? »

gilles rof

Incertitudes et inquiétudess’accumulent à « La Provence »Le groupe de presse craint les conséquences de la liquidation des sociétés de Bernard Tapie, prononcée par le tribunal de commerce de Bobigny

A ux questions sans ré­ponses classiques (Yaura­t­il de la neige àNoël ? Quand cesse­

rons­nous de craindre le Co­vid­19 ?), les salariés de La Pro­vence en ont ajouté une nouvelle,fin avril, qui leur est propre :quand aurons­nous un nouveaupropriétaire ?

La veille du 1er mai, le tribunalde commerce de Bobigny a placéles sociétés de Bernard Tapie enliquidation judiciaire, le groupeGBT d’un côté, et la Financière etImmobilière Bernard Tapie(FIBT) de l’autre ; leur vente estcensée permettre à l’ancien homme d’affaires, âgé de 77 ans,de rembourser ses dettes, soit plus de 400 millions d’euros ac­cordés en 2008 lors de l’arbitragede son litige avec le Crédit lyon­nais. Les 89 % des parts qu’il dé­tient au capital du groupe depresse marseillais pourraientdonc, le cas échéant, contribuerau règlement de la facture. Ber­nard Tapie a fait appel de la déci­sion de justice, mais celui­ci n’estpas suspensif.

« Autonome »Lors d’un comité social et écono­mique (CSE) extraordinaire,mardi 5 mai, la direction s’est ef­forcée de calmer les inquiétudes : « La Provence n’est pas en sauve­garde, pas en redressement judi­ciaire, et pas en liquidation. Nous avons des partenaires, des clientset des prestataires, et il ne faut pas nous mettre en défaut avec une mauvaise communication. » Jean­Christophe Serfati, le PDG du groupe, ajoute : « La Provence est

autonome. Elle a les moyens deson exploitation. Il n’y a pas d’in­quiétude particulière à avoir. »

Les ennuis de l’ancien présidentde l’OM et éternelle vedette locale,qui se bat contre un cancer métas­tasé, n’ont aucune incidence sur les aides financières accordées par l’Etat dans le cadre de la crise du Covid­19, et le paiement des sa­laires est assuré, insiste­t­il : « Ce qui nous occupe davantage, c’est la sortie du confinement. » De dix, le nombre d’éditions quotidien­nes est tombé à quatre ces derniè­res semaines, et des salariés ont été mis en chômage partiel.

« Cette décision ne manquerapas d’avoir un impact sur le fonc­tionnement actuel et sur l’avenirplus ou moins lointain de La Pro­vence », s’est toutefois instanta­nément alarmé le Syndicat natio­nal des journalistes (SNJ), majori­taire à la rédaction. Oui, mais quand ? « On n’est qu’au début duprocessus, et l’on n’est pas maîtredu jeu », regrette Eric Espanet, dé­légué syndical CGC­Journalistes,qui n’espère pas « y voir plus clair » avant l’automne, si tant estqu’un liquidateur judiciaire aitété nommé d’ici là. C’est ce der­

nier, en effet, qui devra évaluerles actifs du groupe et choisir, lemoment venu, un éventuel nou­vel actionnaire. « Non seulement la mise en liquidation est toute ré­cente, mais l’appel de Bernard Ta­pie risque de ralentir la procédure,ajoute un élu SNJ. On part sur unepériode d’incertitudes qui va du­rer un ou deux ans. »

Promesses d’investissementUn délai qui laisse largement letemps d’échafauder des hypo­thèses. Qui, si Bernard Tapie de­vait, malgré tous ses efforts, seséparer de La Provence ? « Avecune diffusion payante comprise entre 80 000 et 100 000 exem­plaires par jour, et dans une situa­tion économique qui est difficilepour toute la presse, La Provence fait plus envie que pitié », veutcroire Jérôme Lorent, le secré­taire du CSE de l’entreprise. Des promesses d’investissementn’auraient toutefois pas été te­nues, et le SNJ a rappelé, dans untract, avoir « toujours regrettél’obstination de Bernard Tapie à ne pas faire face à ses obligations,quitte à menacer la pérennité denotre entreprise ».

A Marseille, tous les regards setournent vers Xavier Niel, fonda­teur de Free et actionnaire à titreindividuel du groupe Le Monde,qui détient, via sa holding NJJ, lesderniers 11 % du capital. Puisqu’ilest déjà propriétaire à 100 %, de­puis février, du groupe Nice­Ma­tin (Nice­Matin, Var­Matin, Mo­naco­Matin), « il semble y avoirun bon sens économique et géo­graphique pour celui qui pourraitavoir l’ambition de créer un grand

groupe de presse », avance Eric Es­panet.

A ce jour, cependant, les sala­riés de La Provence ne l’ont ja­mais rencontré, pas plus qu’An­thony Maarek, directeur généralde NJJ, PDG de Nice­Matin et ad­ministrateur à La Provence. Con­tacté, Xavier Niel n’a pas fait decommentaires. « C’est une hypo­thèse, mais il y en a d’autres »,pointe un salarié, qui redoute da­vantage l’appétit d’entrepre­neurs locaux : « En tant que jour­nalistes, cela reviendrait à nous passer les menottes », assure­t­il.

La liberté éditoriale de la rédac­tion ne serait déjà pas entière, rap­pellent d’ailleurs des journalistes. Au printemps, un éditorial de Franz­Olivier Giesbert, laudateur pour Martine Vassal, présidenteLR du département et candidate à la mairie de Marseille, avait provo­qué un tollé. « On n’a jamais vu unetelle mainmise de la direction surl’éditorial, gronde une journaliste. Ça ne pourra pas être pire avec un autre actionnaire. »

Mais, comme le dit la chanson,il arrive que dans le Sud, « le tempsdure longtemps » ; a fortiori lors­qu’il s’agit des démêlés judiciai­res de Bernard Tapie. A telle ensei­gne, estime un observateur, qu’un changement au capital de La Provence interviendrait plus vraisemblablement « dans le ca­dre d’une succession » que dans toute autre circonstance. En at­tendant, c’est les conséquenceséconomiques liées à la crise sani­taire, baisse des ventes et effon­drement de la publicité, qu’il fau­dra dépasser.

aude dassonville

« « On n’est qu’au début

du processus, et l’on n’est pasmaître du jeu »

ERIC ESPANET délégué syndical CGC-

Journalistes

« Dans la maison,on est dans

la confiance du cercle familial.Ceux qui rentrent

vont devoir se rééduquer »

THIERRY BILLIONsecrétaire général

de la CMA CGM

« C’est toujoursde l’emploi

créé ici plutôt qu’en Chine »

SABINE STUDERsecrétaire CFDT du CSE

de Mahle Behr

En ces temps de déconfinement prudent, tous les magasins rê­vent d’ouvrir leurs portes. Mais ils devront filtrer les accès pour respecter la distanciation sociale. Pour le magasin Europe, comme pour l’américain, ce sera pareil. Les échanges vont reprendre, mais l’exubérance libertaire n’est plus de saison. Les Etats­Unis veulent limiter leurs achats chinois et les Européens invoquent l’écologie et le social.

Frères ennemisDepuis quelques jours circule une étrange lettre dans les ministères européens. Son contenu, dévoilé par le Financial Times, n’étonnera pas les observateurs français puisqu’elle reprend des éléments déjà avancés publiquement par le président Macron. Elle suggère de conditionner les tarifs douaniers appliqués aux marchandises débarquant sur son territoire au respect de règles environnemen­tales et sociales. Et reprend même l’idée, suggérée par la Commission européenne, dès décembre 2019, d’une taxe car­bone aux frontières du continent.Le plus surprenant n’est donc pas l’originalité de ces propositions à l’adresse des gouvernements que

ses deux signataires. A côté de la signature de Jean­Baptiste Le­moyne, le secrétaire d’Etat fran­çais au commerce extérieur, fi­gure en effet celle de Sigrid Kaag, son homologue néerlandaise. Les frères ennemis de la zone euro en croisade pour une mon­dialisation plus raisonnée, voilà qui est inédit. Depuis le début de l’année, le pays de Colbert et celui qui a inventé la Bourse et les mul­tinationales croisent le fer sur le budget européen, puis sur l’aide à l’Italie. Sans parler des rivalités autour du sort d’Air France­KLM.

Cette alliance de deux pays diri­gés par des leaders libéraux mais opportunistes confirme le chan­gement de ton de l’Europe sur le commerce international, sous la pression des opinions. Les der­niers accords de libre­échange avaient déjà essuyé de vives criti­ques jusque dans leurs rangs. Même des grandes entreprises européennes réclament désor­mais que, en échange de normes environnementales de plus en plus sévères, elles ne soient pas pénalisées par une concurrence extracommunautaire qui ne les respecterait pas. L’idée de démondialisation s’installe doucement dans les esprits.

PERTES & PROFITS | COMMERCE par philippe escande

Pays-Bas - France,l’alliance inédite

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Page 19: Le Monde - 12 05 2020

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Paris et Pékin butent sur les frégates de TaïwanLe marché de modernisation des navires taïwanais par une société française irrite la Chine

C e devait être une re­montrance à sens uni­que, une façon pour ladiplomatie française de

marquer une ligne rouge. L’entre­tien entre le secrétaire général du Quai d’Orsay, François Delattre, etl’ambassadeur de Chine à Paris,Lu Shaye, organisé le 14 avril par téléphone en raison du confine­ment, avait été suivi par un com­muniqué du ministre des affaires étrangères. « J’ai fait connaître clairement ma désapprobation de certains propos récents à l’ambas­sadeur de la République populaire de Chine en France lors de sa con­vocation », avait expliqué Jean­Yves Le Drian. En cause : la publi­cation d’une série de tribunesanonymes jugées injurieuses, liées à la crise sanitaire, sur le site de la représentation chinoise à Paris. Mais la conversation n’a pasété du tout à sens unique.

Selon les informations duMonde, l’ambassadeur Lu Shaye,qui fut maire adjoint de Wuhan en 2014­2015, a reconnu un sim­ple quiproquo. Il s’en est pris une nouvelle fois à la presse indépen­dante et a même profité de l’occa­sion pour repartir à l’offensive surun sujet très sensible : Taïwan. En­core en cause, les frégates ven­dues à la marine taïwanaise par Thomson­CSF (aujourd’hui Tha­les) en 1991, longtemps au cœur d’un feuilleton judiciaire enFrance. Contactée, l’ambassade de Chine n’a pas répondu à nosquestions, se contentant d’un long texte sur la souveraineté chi­noise inaliénable sur Taïwan et les « activités séparatistes » de sesautorités. De même, le Quai d’Or­say n’a pas souhaité s’exprimer sur ce dossier sensible, alors que l’acheminement de masques en provenance de Chine demeure une priorité du gouvernement.

Comme elle l’a confirmé débutavril, la marine taïwanaise a dé­cidé de moderniser le système dit

« DAGAIE MK 2 » à bord de ses six frégates Lafayette, afin de les équi­per de nouveaux missiles leurres, pour tromper les navires adver­ses. Ce marché a été attribué à la société française DCI­DESCO,branche de la DCI (Défense conseilinternational), pour un montant d’environ 25 millions d’euros. DCI est l’opérateur du ministère des armées à l’étranger. Dans la doc­trine militaire adoptée par Taïwan, la défense maritime oc­cupe une place déterminante, en cas d’attaque chinoise. L’acquisi­tion de technologies de pointe est un souci constant, dès lors qu’en quantité, l’île ne fait pas le poids face aux capacités adverses.

Protestation officielle de Pékin« Les frégates de construction fran­çaise ayant été livrées à Taïwan il ya plus de vingt­cinq ans, des mises à niveau sont certainement justi­fiées, explique Drew Thompson, chercheur à la Lee Kuan Yew School of Public Policy, à l’univer­sité nationale de Singapour. Ces mises à niveau dans la guerre élec­tronique sont cruciales pour les grandes plates­formes navales taïwanaises parce qu’elles renfor­cent leurs capacités de survie. Les grands navires sont des cibles im­portantes. » Spécialiste de la Chine, Drew Thompson estime que le recours à une société fran­çaise est « pragmatique », dès lors

que l’industrie militaire taïwa­naise ne dispose pas du savoir­faire pour fabriquer ces technolo­gies de pointe. Il s’agit aussi de di­versifier les formes de collabora­tion, pour éviter de compterexclusivement sur les Etats­Unis et leurs équipements anciens.

« Taïwan montre sa satisfactionpour ce succès diplomatique etnon militaire, souligne le sénateurAlain Richard, président du groupe d’échanges et d’études Sé­nat­Taïwan et ancien ministre so­cialiste de la défense dans le gou­vernement Jospin (1997­2002). Pour 25 millions, il ne s’agit nulle­ment de fournir la dernière géné­ration de missiles, mais d’assurer une maintenance. De toute façon, chaque fois qu’on bouge d’un milli­mètre, le Quai d’Orsay argumente pour en faire le moins possible, en mettant en avant le déséquilibre des intérêts et le coût trop élevé d’un désaccord avec les Chinois. »

En mai 2018, Alain Richard avaitconduit une délégation sénato­riale à Taïwan. Les responsables lo­caux lui avaient alors parlé de la modernisation des frégates. Un dossier qui l’a longtemps pour­suivi : l’ex­ministre avait été en­tendu comme témoin par les jugesdans le cadre de l’enquête sur la vente des navires français en 1991. L’enquête se conclura par un non­lieu général en 2008, les magis­trats ne parvenant pas à identifier

les circuits des rétrocommissions alléguées. Cette saga rend d’autantplus complexes les contacts mili­taires entre la France et Taïwan.

L’île aimerait que l’opération demise à niveau soit une première étape, avant d’autres livraisons. C’est la crainte de la Chine, vigi­lante et agressive. Fin avril 2019, Pékin avait émis une protestation officielle auprès de la France, car lafrégate de surveillance Vendé­miaire avait, selon elle, « franchi il­légalement » le détroit de Taïwan en pénétrant dans « les eaux terri­toriales chinoises ». Côté français, on avait voulu minimiser l’inci­dent, en évoquant une circulation en eaux internationales. En jan­vier, la réélection de la présidente Tsai Ing­wen à la tête de Taïwan a été perçue comme un camouflet par Pékin, après les mouvements de protestation à Hongkong. Dans la foulée, les accusations formu­lées à l’endroit du Parti commu­niste chinois au sujet de la propa­gation du Covid­19 ont exacerbé les postures nationalistes.

« Pékin a militarisé la mer deChine du Sud et continue de nous envoyer des navires de guerre pourtester nos lignes de défense, expli­que François Chih­Chung Wu, le représentant de Taïwan enFrance. Cette agressivité sert à montrer que, malgré la crise sani­taire, Taïwan est à eux, dans leur esprit. Mais je ne crois pas que

cette politique soit un succès. Elle renforce la solidarité au sein de lapopulation de Taïwan, et elle nous permet de gagner de nouveaux soutiens aux Etats­Unis, au Japon, en Australie ou en Europe. »

« Il n’y a qu’une seule Chine »Défiant à nouveau Pékin, lesEtats­Unis ont lancé une véritablecampagne diplomatique afin de promouvoir l’idée d’une partici­pation de Taïwan aux travaux de l’Organisation mondiale de lasanté (OMS). Le 31 mars, un appel publié sur le site de L’Obs, signé notamment par 72 parlementai­res français, faisait la même de­mande, en louant la gestionexemplaire de Taïwan dans lacrise. « La ligne des présidents français est constante : pas d’ini­tiative publique de montée du sta­

tut international de Taïwan », rap­pelle toutefois le sénateur Alain Richard, l’un des signataires.

« Cela fait longtemps que Taïwanest exclu de l’OMS pour des raisonspolitiques », relevait le ministre dela santé taïwanais, Chen Shih­chung, dans une tribune publiée par Le Monde le 29 avril. La repré­sentation chinoise à Paris a publiéun nouveau texte sur son site, le5 mai, pour mettre en cause cette tribune. Mais c’est surtout du côtéaméricain que les soutiens à la cause taïwanaise irritent la Chine.

Le 1er mai, dans un Tweet, la re­présentation des Etats­Unis aux Nations unies faisait savoir que le fait d’« empêcher Taïwan d’entrer à l’ONU est un affront non seule­ment au peuple taïwanais fier, mais aux principes de l’ONU ». La réponse de Pékin arrivait le lende­main : « Il n’y a qu’une seule Chine dans le monde. » Mesures d’inti­midation, y compris militaires, côté chinois, contre multiplica­tion des gestes symboliques en fa­veur de Taïwan, côté américain.

Le destin de l’île, isolée sur unplan diplomatique, est l’un des terrains de la grande explicationsino­américaine. La France, elle,essaie de préserver ses canaux de communication avec la Chine,tout en développant ses liens, autres que politiques, avec Taïwan. Une ligne de crête.

piotr smolar

L’Iran tire par erreur contre un de ses navires dans le golfe d’OmanDix­neuf personnes sont mortes à bord du « Konarak », un bâtiment de soutien logistique, visé accidentellement lors d’un exercice militaire

L’ incident est un nouveaucoup dur pour les forcesarmées iraniennes. La

marine de la République islami­que a visé par erreur, dimanche10 mai, un de ses propres vais­seaux lors d’un exercice militaire.Les détails du déroulement nesont pas encore connus maislundi, une déclaration officiellefaisait état de 19 morts et de 15 blessés à bord du Konarak, un bâtiment de soutien logistique. Vraisemblablement provoqué par une erreur de tir à bord de lafrégate Jamaran, dont l’équipages’exerçait au lancement de missi­les dans le golfe d’Oman, le Kona­rak aurait été touché en lieu et place d’une cible d’entraînement dont il était trop proche.

Le ciblage accidentel du Kona­rak par un autre bâtiment de la marine iranienne intervient alorsque Téhéran a mis en avant au cours de ces derniers mois l’ac­croissement de ses capacités de production d’équipements mili­taires. L’Iran a enregistré d’au­thentiques réussites comme le lancement, fin avril, d’un satellite militaire, démontrant ainsi sa maîtrise de certaines technolo­gies nécessaires et la productionde missiles balistiques interconti­nentaux. L’incident de dimanche représente toutefois un échec cui­sant. Il implique en effet le Jama­ran, un navire symbolisant les ef­forts déployés par la République islamique pour renforcer ses ca­pacités militaires maritimes de

manière autonome, sans dépen­dre de technologies étrangèresauxquelles le régime de sanctionsdont elle fait l’objet lui interdit l’accès. Equipé de missiles antina­vires Nour, le Jamaran avait été inauguré par le Guide de la révolu­tion islamique, Ali Khamenei, enpersonne, en 2010.

Crédibilité des autorités atteinte« Les Iraniens entretiennent l’idée qu’ils peuvent construire leurs in­frastructures de défense seuls et le Jamaran est à cet égard leur chef­d’œuvre dans le domaine ma­ritime », indique Fabian Hinz, spé­cialiste des forces armées iranien­nes au Centre James­Martin pour les études sur la non­proliféra­tion. Il estime que l’équipage du

navire pouvait être occupé à tes­ter un nouveau missile antinavired’une portée supérieure aux sys­tèmes utilisés actuellement par lamarine iranienne, une innova­tion récemment évoquée par desresponsables militaires iraniens.

Le nouvel incident meurtrier ar­rive quatre mois après la destruc­tion par la défense antiaérienne iranienne d’un avion de ligne d’Ukraine International Airlines au­dessus de Téhéran, provoquantla mort des 176 passagers. L’appa­reil civil avait été pris par un opéra­teur pour un missile de croisière adverse approchant de la capitale de la République islamique. La ca­tastrophe s’était produite quel­ques heures après un tir de missi­les balistiques iraniens contre les

forces américaines stationnées sur la base d’Ain al­Assad, en Irak. Cette frappe, dont le degré de so­phistication avait marqué les es­prits des observateurs, intervenait en représailles à l’assassinat du gé­néral iranien Ghassem Soleimani dans un tir de drone américain, le 3 janvier, à Bagdad.

Si la mort de l’officier, qui étaitdevenu la figure de proue et lesymbole de l’action extérieure de l’Iran dans la région, avait provo­qué un bref moment de commu­nion nationale, l’attitude desautorités à la suite de la destruc­tion du Boeing ukrainien, dontles passagers étaient majoritaire­ment iraniens ou d’origine ira­nienne, avait alors durement at­teint la crédibilité des autorités.

Après avoir masqué la vérité, les gardiens de la révolution, armée idéologique du régime et auteursdu tir meurtrier, avaient été for­cés de reconnaître leurs respon­sabilités. Quelques semaines plus tard, l’ampleur de l’épidémiede Covid­19 dans le pays était àson tour cachée à la population,le pays devenant bientôt le prin­cipal foyer régional du virus. Pré­cipité de crises en crises, l’Iran esttoujours visé par la politique de « pression maximale » décidéepar l’administration Trump, dontles sanctions unilatérales corsè­tent l’économie du pays, entra­vent l’action de ses autorités etpèsent sur le quotidien des Ira­niens ordinaires.

allan kaval

« L’agressivité dela Chine sert à montrer que,

malgré la crisesanitaire, Taïwan

est à eux »FRANÇOIS CHIH-CHUNG WU

représentant de Taïwan en France

« Empêcher Taïwan d’entrer

à l’ONU est un affront aux

principes de l’ONU », a tweetéla représentation

des Etats-Unis aux Nations unies

L’ambassadeur européen en Chine critiqué pour avoir accepté la censureL’UE a reconnu le 8 mai que son ambassadeur en Chine « n’a pas pris la bonne décision » en acceptant la publication d’une version censurée par Pékin d’une tribune cosignée par les 27 ambassa-deurs européens. Dans le texte saluant les 45 ans de relations di-plomatiques sino-européennes, paru dans le China Daily, organe officiel en anglais, une référence à l’origine chinoise du Covid-19 a été effacée. Le diplomate, le Français Nicolas Chapuis, a mal-gré tout approuvé la publication, sans en référer à Bruxelles. « Si l’ambassadeur a en effet décidé de son propre chef d’accepter la censure, alors il n’est pas fait pour le job et doit partir », a dé-claré le président de la délégation du Parlement européen sur les relations avec la Chine, Reinhard Bütikofer, au site Politico. Une porte-parole de la diplomatie européenne, Virginie Battu-Henriksson, a expliqué que M. Chapuis avait été « pressé par le temps » et conservait la confiance de Bruxelles.

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Page 20: Le Monde - 12 05 2020

20 | international MARDI 12 MAI 20200123

L’Allemagne face aux institutions de l’UELa Commission menace Berlin de poursuites après l’arrêt de la Cour de Karlsruhe contre la BCE et la CJUE

telle procédure contre un Etatmembre : en 2018, contre la France, après une décision duConseil d’Etat sur un sujet fiscal.Paris a finalement dû se résou­dre à appliquer la décision de la Cour de Luxembourg.

« Les juges constitutionnels alle­mands ne sont pas des nationalis­tes. Mais ils ont une conception très stricte de l’articulation entre ledroit national et le droit européen.Il s’agit là de quelque chose de très philosophique, qui tient à ce qu’estla République fédérale d’Allema­gne », explique un diplomate. Déjà amenés à émettre des réser­ves sur le traité de Maastricht, en 1993, ou sur celui de Lisbonne, en 2009, les juges de Karlsruhen’étaient cependant jamais allésaussi loin dans leur mise en causede la primauté du droit européen.Outre­Rhin, jamais la critique d’un arrêt de la CJUE n’avait étéaussi sévère.

La matière – la politique moné­taire de la BCE – est incontesta­blement un sujet très sensible enAllemagne. Gros épargnants, lescitoyens allemands se jugent lé­sés par cette politique qui, de­puis dix ans, est responsable dubas niveau des taux d’intérêt. « Ilest également vrai que, ces der­nières années, la CJUE est allée deplus en plus loin dans l’interpréta­tion des traités, ce qui crée des dé­bats juridiques dans plusieurspays, dont Karlsruhe s’est fait ici la voix », commente un spécia­liste du sujet.

Pour Mme von der Leyen, l’af­faire est complexe. D’un côté, illui faut montrer que l’Allemagnene bénéficie pas d’un traitementde faveur, alors que plusieursmembres de l’UE, comme la Po­logne, sont tentés de contester laprimauté du droit européen. Del’autre, elle doit à tout prix éviterde braquer les juges allemands, car cela risquerait de les mettre dans de mauvaises dispositions

pour trouver une solution au su­jet de la BCE, à laquelle ils ont ac­cordé trois mois pour s’expliquersur sa politique, avant de déciderquoi faire. Et, dans les conditionsactuelles, où l’Europe traverse lapire récession de son histoire en raison de la pandémie de Co­vid­19, ce serait malvenu. « Laprésidente de la Commission doitmaîtriser les Etats membres etlaisser à la BCE une chance detrouver une solution. Pas facile »,commente un diplomate.

Recentrer le débatCôté allemand, les premières réac­tions aux menaces de Mme von der Leyen montrent que celles­ci sont plutôt une bonne nouvelle pour Angela Merkel. Au sein de l’Union chrétienne démocrate (CDU), le parti de la chancelière,l’arrêt de la Cour de Karlsruhe avait surtout permis d’entendre les contempteurs habituels de la BCE et de son programme d’achat de dettes, lancé en 2015 – à l’instar

de Wolfgang Schäuble, alors mi­nistre des finances et aujourd’hui président du Bundestag. « Les ins­titutions indépendantes, qui ne sont pas contrôlées ni légitimées sur le plan démocratique, doivent agir dans le strict cadre de leurmandat et ne pas essayer d’étendreleurs prérogatives. De ce point de vue, le jugement de la Cour consti­tutionnelle est difficilement con­testable », a déclaré M. Schäuble, vendredi, à la Frankfurter Allge­meine Zeitung (FAZ).

Pour Mme Merkel et son gouver­nement, l’intervention de Mme von der Leyen peut permet­tre de recentrer le débat autour dela question de l’articulation entre droit national et droit européen, et ainsi d’éviter qu’il ne se pola­rise sur le rôle de la BCE, qui divisela grande coalition de la chance­lière allemande, non seulemententre sociaux­démocrates (SPD) et conservateurs (CDU­CSU), mais au sein même de ces der­niers. Un débat, en somme, plus

juridique que politique, et donc potentiellement plus consensuel.

Les commentaires suscités, di­manche, à la suite de la sortie de Mme von der Leyen vont dans ce sens, tant du côté de la CDU que des sociaux­démocrates.

Une opportunité pour l’AfDSaluée par les Verts, pour qui Mme von der Leyer est allée « aussi loin qu’elle pouvait » en évoquant une possible procédure d’infrac­tion, selon l’expression de l’euro­député Sven Giegold, l’initiative de la présidente de la Commissionpourrait ainsi contribuer à resser­rer les rangs de la majorité de Mme Merkel, ce qui n’est pas sans importance alors que l’Allemagne s’apprête, le 1er juillet, à occuper la présidence tournante de l’UE.

En pleine crise du coronavirus,dans un contexte d’instabilité propre à réveiller les égoïsmes nationaux, un tel débat com­porte néanmoins des risques. A commencer par celui d’une su­

renchère populiste, et pas seule­ment dans les démocraties « illi­bérales » d’Europe centrale. Peu audible depuis le début de l’épidé­mie, le parti d’extrême droite Al­ternative pour l’Allemagne (AfD) a ainsi très vite compris le profit qu’il pouvait tirer de l’arrêt de la Cour de Karlsruhe, qui lui permetde revenir à ce qu’il était au mo­ment de sa création en 2013, à sa­voir un parti anti­euro opposé au sauvetage budgétaire des Etats enfaillite, avant tout obsédé par la défense de l’orthodoxie libéraleallemande. Un créneau que tente aujourd’hui d’incarner l’eurodé­puté Jörg Meuthen, le coprési­dent de l’AfD, qui, dimanche, a ac­cusé Mme von der Leyen de ne « pas respecter la Constitution al­lemande », expliquant que la pré­sidente de la Commission devrait« avoir honte d’imaginer de pou­voir lancer une procédure d’infrac­tion contre son propre pays ».

virginie malingreet thomas wieder

B ATA I L L E   D E   P O U V O I R S   E N   E U R O P E

L’arrêt allemand complique le maintien à flot de l’Italie par la BCEEn pleine pandémie, Rome est le premier bénéficiaire des interventions de la Banque centrale, dont les marges de manœuvre se réduisent

londres ­ correspondance

I l se passe de drôles de chosessur le marché de la dette ita­lienne depuis le début de la

pandémie. Parfois, le taux des obligations à dix ans grimpe sou­dainement, indiquant l’inquié­tude des investisseurs, avant de redescendre presque aussi vite. « Ça me rappelle les crises du franc des années 1990 : le matin, c’est tendu, puis la Banque de France in­tervient, ça calme tout le monde quelques heures, et puis ça re­prend », dit Gilles Moëc, chef éco­nomiste chez Axa. Cette fois, l’in­tervention ne vient évidemment pas de la Banque de France, mais de la Banque centrale européenne(BCE) : « Le taux des obligations ita­liennes est sous perfusion »,explique M. Moëc.

Le 18 mars, la BCE a annoncé unimmense « plan pandémie » (Pan­demic Emergency Purchase

Programme ; PEPP) de 750 mil­liards d’euros, qui s’ajoute aux quelque 300 milliards d’euros an­noncés au préalable, dans un autreplan appelé « PSPP » (Public Sector Purchase Programme). Cet argent, créé de toutes pièces par la BCE, sert essentiellement à racheter les dettes des Etats. En particulier, les fées monétaires se penchent sur leberceau italien. La troisième éco­nomie de la zone euro, dont la dette s’élevait déjà avant la crise à 135 % du PIB, est le premier bénéfi­ciaire de cette intervention.

Combien, exactement, est dé­pensé pour l’Italie ? La BCE est discrète sur la question. Les statis­tiques détaillées du PEPP ne se­ront publiées qu’en juin. Mais cel­les du PSPP ne laissent aucundoute. En avril, la BCE a acheté11 milliards d’euros de dette ita­lienne, 8,3 milliards de dette fran­çaise, 4,3 milliards d’espagnoleet… 0,6 milliard d’allemande.

Ces statistiques sont loin d’êtreneutres. Elles prouvent qu’en avril la BCE n’a pas traité les différents pays de la zone euro équitable­ment. La première économie d’Europe, l’Allemagne, n’a prati­quement pas bénéficié de l’inter­vention de la Banque centrale. Ce qui vient écorner une des règles debase de l’intervention de la BCE : la« clé de capital ». En principe, cha­que pays doit bénéficier de l’inter­vention de la Banque centrale en fonction du poids de son écono­mie. Techniquement, l’Allemagne a droit à 21 % des efforts de la BCE, la France à 17 %, l’Italie à 14 %

Cette règle est auto­imposée, nese trouvant dans aucun traitéeuropéen. Elle a été inventéeen 2015 pour convaincre les fortesréticences internes, lors du lance­ment du premier plan de rachat de dette. A court terme, la Banquecentrale s’en est toujours arran­gée, déviant pendant quelques

semaines ou quelques mois de la clé de capital, avant d’y revenir progressivement. Mais la Courconstitutionnelle allemande est venue compliquer l’affaire mardi 5 mai. Dans leur arrêt, les juges évoquent cette fois explicite­ment cette règle.

La règle des 33 % de la detteVoyant venir le problème juridi­que, la BCE s’est partiellement af­franchie de la clé de capital en lan­çant le PEPP en mars. Elle fait va­loir qu’il s’agit d’un programme à part, répondant à une circons­tance exceptionnelle, et que les rè­gles habituelles ne s’appliquent pas à court terme. Mais l’arrêt de la cour de Karlsruhe risque de faire jurisprudence.

D’autant que les juges inscriventaussi noir sur blanc une deuxièmerègle de base de la BCE : la règle des33 %. En 2015, la Banque centrale s’est engagée à ne pas posséder

plus d’un tiers de la dette d’un pays. A l’époque, cela semblait lais­ser de la marge. Mais, à force d’in­tervenir à coups de milliers de mil­liards d’euros, la limite se rappro­che. A ce rythme, la BCE pourrait posséder 31 % de la dette alle­mande d’ici à la fin de l’année, se­lon les calculs de Pictet, une ban­que privée. L’Allemagne est l’un des premiers pays touchés par cette limite, parce qu’elle est peu endettée : mathématiquement, la BCE se retrouve avec une plus large partie de son stock de dette. Le même phénomène se confirmeavec les Pays­Bas, dont la BCE pos­sède actuellement 28 % de la dette.

Ces limites sont scrutées depuislongtemps par les économistes. D’ici à la fin de l’année, la BCE de­vrait sans doute les faire sauter d’une manière ou d’une autre. Ellea d’ailleurs prévenu dès le 18 mars qu’elle « envisagerait de les modi­fier » si cela s’avérait nécessaire.

L’affaire est compliquée, mais juri­diquement pas impossible. D’autant que la Cour de justice de l’Union européenne, dans un ju­gement de 2018, ne parlait pas d’une limite de 33 %, mais de seu­lement 50 %, ce qui laissait de la marge à la BCE. Les juges constitu­tionnels allemands, eux, ont pré­féré retenir la limite d’un tiers.

« Le jugement de Karlsruhe esttrès problématique, poursuitM. Moëc. A moyen terme, cela peut limiter la capacité d’interven­tion de la BCE. » A moins, pour­suit­il, que ces problèmes de plus en plus compliqués à résoudre ne poussent les politiques à s’empa­rer enfin de la question. « L’espoir est que cette crise force à sortir par le haut, avec une mutualisation des dettes. C’est ce qu’il faut faire dans l’absolu. Mais est­il crédible de penser obtenir ça dans les trois mois ? Je ne sais pas. »

éric albert

bruxelles ­ bureau européenberlin ­ correspondant

L a Commission euro­péenne, a fait savoirsa présidente, Ursulavon der Leyen, pour­rait lancer une procé­dure d’infraction

contre l’Allemagne. Et c’est à uneurodéputé allemand, l’écolo­giste Sven Giegold, que celle quifut pendant quatorze ans la mi­nistre d’Angela Merkel a d’abordchoisi de le faire savoir, avant deconfirmer dans un communi­qué, dimanche 10 mai, que « l’op­tion d’une procédure d’infrac­tion » était bien sur la table. « LaCommission fera ce qu’elle doitfaire en tant que gardienne destraités », avait, en fin de semaine,déclaré Paolo Gentiloni, le com­missaire à l’économie.

A l’origine de cette menace, leretentissant arrêt de la Cour cons­titutionnelle allemande qui, le 5 mai, a à la fois critiqué la politi­que d’aide de la Banque centraleeuropéenne (BCE) à la zone euro et contesté un jugement de la Cour de justice de l’Union euro­péenne (CJUE) validant l’action del’institut monétaire. Ce faisant, les juges de Karlsruhe se sont at­taqués à l’indépendance de la BCEet à la primauté du droit euro­péen sur les droits nationaux.

Matière très sensibleFait extrêmement rare, la CJUE a,dès le lendemain, publié un com­muniqué de presse rappelant qu’elle est « seule compétente »pour constater qu’un acte d’une institution de l’UE est – ou pas – contraire au droit européen.« Des divergences entre les juridic­tions des Etats membres quant à la validité de tels actes seraient susceptibles de compromettrel’unité de l’ordre juridique del’Union et de porter atteinte à lasécurité juridique », a ajouté laCour du Luxembourg.

Au sein des Vingt­Sept, plu­sieurs cours constitutionnellesont déjà été tentées de ne pasmettre en œuvre une décision dela CJUE – en République tchèqueou au Danemark, par exemple.Mais la pression politique a suffi,et la Commission n’a pas lancéde procédure d’infraction contreces deux pays. Une seule fois,l’exécutif européen a lancé une

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles, le 23 avril. OLIVIER HOSLET/POOL/REUTERS

LES JUGES DE KARLSRUHE N’ÉTAIENT JAMAIS ALLÉS AUSSI LOIN DANS LEUR MISE EN CAUSE DE LA PRIMAUTÉ DU DROIT 

EUROPÉEN

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Page 21: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 international | 21

A Karlsruhe, des juges au­dessus de toutLa Cour constitutionnelle est considérée, depuis 1945, comme la garante de la démocratie allemande

ANALYSEberlin ­ correspondant

B erlin, vendredi 8 mai. Al’intérieur de la NeueWache (« nouvelle garde »),

le Mémorial des victimes des guerres et de la tyrannie, cinq ger­bes de fleurs sont posées au sol à l’occasion du 75e anniversaire de lafin de la seconde guerre mondiale.Devant chacune, le représentant d’un des cinq « organes constitu­tionnels » de la République fédé­rale d’Allemagne : la chancelière Angela Merkel, pour le gouverne­ment, le président du Bundestag,Wolfgang Schäuble, Frank­Walter Steinmeier, le président de la Ré­publique, Dietmar Woidke, le pré­sident du Bundesrat, et Andreas Vosskuhle, le président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Le contraste est saisissant avec lachorégraphie qui a lieu au même moment, à Paris, pour la commé­moration de la victoire du 8 mai 1945. Sous l’Arc de triomphe,les représentants des corps consti­tués sont là également, mais ils sont placés autour d’Emmanuel Macron. Seul à raviver la flamme

du Soldat inconnu, c’est le prési­dent qui, en France, est le seul maî­tre de cérémonie.

Trois jours après l’ultimatumlancé par la Cour de Karlsruhe à la Banque centrale européenne (BCE), la présence de son présidentaux commémorations du 8­Mai, sur un pied d’égalité avec les repré­sentants des autres « organes constitutionnels », est venue rap­peler l’importance d’une institu­tion dont le poids est d’autant plusdifficile à percevoir, vu de France, qu’il reflète deux conceptions ra­dicalement différentes des rap­ports entre la politique et le droit de chaque côté du Rhin. « En tant que français, il semble évident que

la politique construit le droit, autre­ment dit que le droit sert avant toutà garantir une vie apaisée dans un cadre général défini par la politi­que. En Allemagne, on pense volon­tiers que le droit est au­dessus de tout », explique l’historien EtienneFrançois, professeur émérite de l’Université libre de Berlin.

Consécration de l’Etat de droitCette primauté du droit dans la culture allemande remonte à la Bulle d’or de 1356, considéré comme le premier document constitutionnel du Saint­Empire romain germanique. Jusqu’à la chute de celui­ci, en 1806, « le droit fut le langage commun du Saint­Empire : c’est lui qui permettait de trancher les conflits entre les dizai­nes d’entités qui le composaient, ainsi qu’entre celles­ci et l’empe­reur », rappelle Etienne François. Ce fut le cas lors les guerres de reli­gion. En définissant les règles de coexistence des catholiques et des protestants, la paix d’Augsbourg (1555) et les traités de Westphalie (1648) ont durablement sauvé le Saint­Empire de ses déchirements.Que l’unité de ce dernier ait été

préservée grâce au travail des ju­ristes aide à comprendre pourquoile droit a toujours joui d’une place éminente en Allemagne.

Le XIXe siècle n’a rien changé àla donne. Née sur les ruines du Saint­Empire après la chute deNapoléon Ier, la Confédérationgermanique (1815­1870) voit l’af­firmation d’un nouveau principe,celui de « l’Etat de droit » (Rechtss­taat), dont le sens est parfois mal compris en France. « Pour les Français, aujourd’hui, l’Etat de droit ne se conçoit pas indépen­damment de la démocratie. En Al­lemagne, quand la notion a été forgée, c’était le contraire, expli­que Yoan Vilain, maître de confé­rences à l’université Humboldt, à Berlin. Dans l’Allemagne non dé­mocratique du XIXe siècle, leRechtsstaat était ce qui garantis­sait l’autonomie de l’individu. D’oùla figure centrale du juge dans l’Etat de droit : en l’absence de dé­mocratie, c’est lui qui protège les droits des citoyens face à l’Etat. »

Après 1945, le traumatismelaissé par le nazisme parachève cette consécration de l’Etat de droit. Tirant les leçons de la Répu­blique de Weimar (1919­1933), qui n’avait pu empêcher l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les fondateurs dela République fédérale décident dedoter celle­ci d’une juridiction su­prême afin de garantir la constitu­tionnalité des lois autant que les doits fondamentaux : c’est la mis­sion de la Cour constitutionnelle, créée en 1951 et basée à Karlsruhe, à 300 kilomètres de Bonn, le centre du pouvoir politique.

Soixante­dix ans plus tard, l’ins­titution jouit d’un prestige consi­dérable. A la différence du Conseil

constitutionnel français, dont les­membres sont nommés par les présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat, les seize juges de Karlsruhe sontélus pour moitié par le Bundestag et le Bundesrat à la majorité des deux tiers, ce qui les expose moinsaux soupçons de collusions.

Des juges figures familièresD’autres raisons expliquent la po­pularité dont jouit la Cour de Karlsruhe, régulièrement consa­crée dans les sondages comme l’institution la plus respectée du pays. L’une tient à sa visibilité mé­diatique, liée à la publicité de sesdécisions, rendues par ses juges en robe rouge devenus des figuresfamilières des journaux télévisés. L’autre à la qualité de ses arrêts, dont les motivations dépassentparfois une centaine de pages.

Dans une Allemagne où le droitest « quasiment sacralisé », selon l’expression d’Etienne François, les jugements de la Cour de Karlsruhe sont rarement contes­tés. Il en fut ainsi en 2017, quand elle a exigé la légalisation d’un « troisième sexe » sur les registres de naissance, à côté des mentions

« masculin » et « féminin ». Ou en février dernier, quand elle a cen­suré une loi interdisant le suicide assisté. Saluées par le camp pro­gressiste, ces deux décisions ont été accueillies par un silence gêné par les conservateurs. Comme si l’intervention des juges de Karlsruhe avait suffi à mettre fin à des années de débats houleux.

« On ne mesure pas la légitimitéqu’ont, aux yeux des Allemands, lesdécisions prises à Karlsruhe, mêmequand elles touchent directement la vie politique », observe Yoan Vilain, qui cite l’interdiction du Parti communiste allemand, en 1956, qui permet d’interdire les partis qui « tendent à porter at­teinte à l’ordre constitutionnel libé­ral et démocratique (…) ou à mettreen péril l’existence de la Républiquefédérale », une telle décision « se­rait inimaginable de la part des ju­ges constitutionnels français », in­siste l’universitaire.

Dans un pays qui a appris à con­sidérer le droit comme le garant de la démocratie ou, au contraire, comme le garde­fou des excès de celle­ci, peu de responsables poli­tiques osent monter au front pourcontester les décisions de la Cour de Karlsruhe. C’est ce qui explique les commentaires prudents que suscite son jugement sur la BCE chez ceux qui ont pourtant toutesles raisons de s’inquiéter de ses conséquences sur l’avenir de l’euro. Une prudence qui n’est guère étonnante dans un pays où le débat sur le « gouvernement des juges » ne se pose pas, au pointque l’expression elle­même, rap­pelle Yoan Vilain, n’a « pas d’équi­valent en allemand ».

thomas wieder

Budapest et Varsovie se réjouissent de la décision des juges allemandsLes dirigeants hongrois et polonais, accusés de violer l’Etat de droit, pourraient s’inspirer de la mise en cause de la justice européenne

vienne, varsovie ­ correspondants

U n des jugements les plusimportants de l’histoirede l’Union européenne »

pour le premier ministre polo­nais, Mateusz Morawiecki. « Un ju­gement extrêmement important » pour la ministre hongroise de la justice, Judit Varga. Ce n’est pas unhasard : les deux capitales d’Eu­rope centrale, qui se sont illus­trées ces dernières années pour leur multiplication des atteintes à l’Etat de droit, ont salué dans les mêmes termes le jugement de la Cour de Karlsruhe. A Varsovie comme à Budapest, les gouverne­ments ont dû essuyer ces derniè­res années de nombreux juge­ments défavorables de la Cour dejustice de l’Union européenne (CJUE) censurant par exemple leurs réformes contestées en ma­tière de justice ou de politique d’immigration.

Jusqu’ici, la Hongrie et la Polo­gne ont été forcées de respecter ces décisions de crainte de lourdessanctions et surtout de la menace implicite de sortie de l’UE en cas denon­respect des verdicts, ce qu’on a été jusqu’à nommer le risque d’un « Polexit juridique » à Varso­vie ces derniers mois. Le gouver­nement ultra­conservateur du parti Droit et justice a en effet me­nacé plusieurs fois de ne pas res­pecter les jugements de la Cour de Luxembourg contre ses réformesprévoyant la mise en retraite d’of­fice de magistrats ou l’introduc­tion d’un corps disciplinaire aux ordres du gouvernement.

Le jugement allemand montre« que les traités ont été rédigés parles Etats et qu’ils déterminent les li­mites de compétences des institu­tions de l’UE », estime M. Mo­rawiecki dans un texte envoyé à laFrankfurter Allgemeine Zeitung.

Le risque a été immédiatementidentifié par Vera Jourova, la vice­présidente de la Commission européenne chargée de l’Etat de droit. « Les jugements de la CJUE sont contraignants pour tous lestribunaux nationaux. On m’a re­proché cette semaine en Pologne de ne le dire que pour la Pologne, mais je le dis clairement : ce prin­cipe est valable pour tous les Etats membres », a­t­elle répondu au même quotidien qui l’interro­geait sur l’arrêt allemand.

Coup dur pour les opposantsLa décision de la Cour allemande constitue un coup dur pour les op­posants aux réformes judiciaires en Pologne. « C’est pour nous un si­gnal très inquiétant en provenanced’Allemagne, souligne Krystian Markiewicz, président de l’asso­ciation des juges polonais Iustitia, qui a été en première ligne de la lutte contre les réformes gouver­nementales. Nous continuerons à défendre la position que le droit de l’UE est bafoué en Pologne, ce que la Cour de Luxembourg a plusieursfois confirmé. » Pour M. Mar­kiewicz, il existe un risque que le Tribunal constitutionnel polo­nais, qui est actuellement « souscontrôle total et aux ordres de la majorité », puisse vouloir s’oppo­ser à la CJUE au sujet des normes en matière d’Etat de droit.

Contrairement à la Pologne, laHongrie de Viktor Orban a, elle,jusqu’ici appliqué sans discuter lesdécisions de Luxembourg. Mais la décision de Karlsruhe montre « qu’il appartient aux Etats mem­bres de rejeter ou d’annuler les déci­sions d’organes de l’UE interférant dans leur souveraineté », se réjouit Miklos Szantho, directeur du très pro­gouvernemental Centre pour les droits fondamentaux de Buda­pest et président de la fondation qui détient tous les médias pro­pouvoir en Hongrie. « Cela peut être un outil puissant contre les for­ces politiques et judiciaires qui es­sayent d’élargir le champ du droit européen et d’établir un super­Etat fédéral » face « à la ligne souverai­niste qui découle de la formulation originelle des traités », estime­t­il.

Le ton est totalement différentau Conseil supérieur de la magis­trature, un organe indépendant qui conteste plusieurs réformes deM. Orban devant la Cour de Luxembourg. « La Cour constitu­tionnelle hongroise, constituée de gens nommés par le gouverne­ment, pourrait dire la même chose que Karlsruhe », craint Viktor Vadasz, son porte­parole. Or les ré­formes judiciaires polonaises et hongroises ont été la plupart du temps retoquées par la CJUE, au nom d’une vision assez extensive des traités européens, à l’image de son jugement sur la politique mo­nétaire de la Banque centrale européenne critiqué par la Cour allemande. Pour M. Vadasz, il faut sortir de ce risque juridique « en élaborant une directive qui définit précisément ce que doit être l’indé­pendance de la justice dans les Etats membres ». En clair, en fai­sant de l’Etat de droit une véritablecompétence européenne.

jean­baptiste chastandet jakub iwaniuk

LA COUREST RÉGULIÈREMENT PLÉBISCITÉE DANS

LES SONDAGES COMME L’INSTITUTION LA PLUS 

RESPECTÉE DU PAYS

« ON NE MESURE PASLA LÉGITIMITÉ QU’ONT,

AUX YEUX DES ALLEMANDS,LES DÉCISIONS PRISES

À KARLSRUHE »YOAN VILAIN

maître de conférences à l’université Humboldt, à Berlin

« C’est pour nousun signal très inquiétant en provenance

d’Allemagne »KRYSTIAN MARKIEWICZ

président de l’Association desjuges polonais Iustitia

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Page 22: Le Monde - 12 05 2020

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1ÉDITORIALAMER COMPROMISPOUR L’EUROPE

la décision en juin 2016 desla sortie du Royaume­Uni de l’UE▶ Approuvé par lesVingt­Sept, le textedoit encore être va­lidé, samedi, par unParlement britanni­que qui resteextrêmement divisé

Britanniques de quitter l’UEreprésente une régressionpour le continent et traduitun échec collectif. Mais, ac­quise à 51,9%, elle doit êtrerespectée. L’accord sur lesmo­dalités de ce départ, conclujeudi 17 octobre à Bruxelles,prévoit une rupture nette, unBrexit plus dur que celui, flou,qui avait été vendu aux élec­teurs.Mais, face à lamenace

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L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ

Chômage: l’espoir d’une amélioration durable▶ Au troisième trimestre,le nombre de demandeursd’emploi sans aucune acti­vité a diminué de 0,4%,selon les chiffres publiésvendredi 25octobre

▶ Le reflux du nombrede chômeurs se confirmedoucement. Il s’agitdu quatrième trimestrede baisse. Sur un an, ladécrue est nette, à – 2,4%

▶ Ces résultats font écho àla bonne santé dumarchédu travail. Jeudi, le réseaudes Urssaf a fait étatd’une «augmentationsoutenue» des CDI

▶ Lamontée en régime duplan gouvernemental deformation contribue aussià cette baisse, encore fra­gile dans une conjonctureinternationale incertaine

▶ L’exécutif et samajoritéjugent atteignablel’objectif d’un taux dechômage ramené à 7%à la fin du quinquennatPAGE 10

CHILI AUX SOURCESDE LA COLÈRE▶ Lemouvement de contestation quidénonce les inégalités sociales a connu unemobilisation historique à Santiago vendrediPAGE 4

Géopolitique Le rêve briséd’autonomie des Kurdes

TURQUIE

SYRIE

▶ L’offensive turquedans le Nord­Est syrienmarque un coup d’arrêtau projet politique dupeuple apatridePAGES 16 À 19

Lubrizol Corse

IRAK

SYRIE

1 ÉDITORIAL

ÉTERNELS LAISSÉS­POUR­COMPTEPAGE 30

Soutenez une rédaction

de 500 journalistes partout dans le monde

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Anniversaire de décès

Le président de l’université de Strasbourg,

Le directeur de l’institut du travail de Strasbourg,

Le doyen de la faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

François BABINET,ancien professeurd’histoire du droit,

François Babinet est entré à l’institut du travail en 1957. Il en fut directeur de 1975 à 1983. Il a consolidé l’institut et l’a intégré encore davantage dans l’université. Nous garderons tous à l’esprit sa détermination sans faille et son ouverture d’esprit. Il fut ensuite doyen de la faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg (1985-1990). Son décanat manifesta son engagement pour la faculté. Il termina sa carrière à l’université d’Orléans où il exerça de nombreuses responsabilités.

Tous ses collègues et anciens

élèves de l’université de Strasbourg présentent leurs plus sincères condoléances à son épouse, Michèle ainsi qu’à toute sa famille.

Villefranche-sur-Mer.

Le docteur Patrice Boquet,son mari,

Bertrand et Vincent,ses fils,

Noémie et Carl,ses petits-enfants,

Chantal et Ghislaine,ses sœurs, ont la douleur d’annoncer le décès de

Geneviève BOQUET,née BOURBEAU,

survenu le dimanche 3 mai 2020,dans sa quatre-vingt-deuxième année.

« Elle était si jolieje ne peux l’oublier. »Alain Barrière, 1963.

Villa des Roses,06230 Villefranche-sur-Mer.16, rue Linné,75005 Paris.Route du Port,56370 Le Logeo. [email protected]

Louis-Patrice, Hervé, et Vincent,ses enfantset leurs conjoints,

Ses huit petits-enfantset leurs conjoints

Et ses cinq arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Françoise BUGEAT,née OGEE,

à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

Elle sera inhumée dans la stricte intimité, le 13 mai à Donzenac (Corrèze), aux côtés de son époux,

Lucien.

Mme Nicole Cherchi,son épouse,

Catherine et Agnès,ses filles,

Louis,son gendre,

Nicolas,son petit-fils,

Pierre Cherchi,son neveu,

Ses neveux et nièces, ont la tristesse de faire part du décès de

M. Lucien CHERCHI,ENS Saint-Cloud 1946,

professeur éméritede l’université de Bourgogne,

survenu le 2 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quinzième année.

Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale.

Magdeleine Cocrelle,son épouse,

Fabienne et Florence Cocrelle,ses filles,

Gérard Hovakimian,son gendre,

Timothée et Chloé Hovakimian,ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès de

Gérard COCRELLE,ENA promotion « 18 juin »,

chevalierde la Légion d’honneur,

officierdans l’ordre national du Mérite,

survenu à Paris, des suites du Covid-19, le 23 avril 2020, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

Un service religieux a été célébré en l’église Saint-François-Xavier, à Paris 7e et les obsèques ont eu lieu dans l’intimité.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Mme Cocrelle,5, rue Albert de Lapparent,75007 Paris.

Cyrille Zeldine,Nathalie Zeldine,

ses enfants, font part du rappel à Dieu, le 27 avril 2020, dans sa soixante-dix-huitième année, de

Mme Laurence GAUDIBERT,anciennement ZELDINE.

La cérémonie religieuse sera

célébrée le jeudi 14 mai, à 10 h 30, en l’église Notre-Dame de Versailles.

L’inhumation aura lieu dans la

sépulture familiale, au cimetière de Lézigneux (Loire).

[email protected]

Lyon.

Camille et Sophie,Victor et Alice,

ses enfants,Claire,

sa petite-fille, ont la tristesse d’annoncer le décès de

Mme Elisabeth GENTY.

Une cérémonie d’hommage aura lieu quand les conditions le permettront.

Ni fleurs ni couronnes, mais une donation à l’association « échanges Birmanie ».

PF Chaboud,Tél. : 04 78 29 87 17.

Michèle Goubet, née Réal,son épouse,

Philippe et Nathalie Goubet,Sophie Migairou et Cyril Maury,

ses enfants et leurs conjoints,Pierre, Elisa, Etienne, Marion et

Clara,ses petits-enfants,

Maryse Dubo,sa sœur, ont la grande tristesse d’annoncer le décès de

Michel GOUBET,agrégé d’histoire,ancien professeur

au lycée Pierre de Fermatde Toulouse,

survenu le 6 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quatrième année.

Villaines-en-Duesmois. Christine Graffin,

son épouse,Juliette, Ambroise, Clémence,

Matthieu et Camille,ses enfants,

Jeanne, Lou, Gustavo, Gabriel, Jonas, Marco, Marius, Rita, Georges et Lisa,ses petits-enfants,

Brigitte, Cécile et Roselyne,ses sœurs, ont la tristesse de faire part du décès de

Philippe GRAFFIN, survenu le 5 mai 2020.

Toute sa tribu lui souhaite un bon voyage.

[email protected]

Lyon. Le docteur Jean-Matthieu Jaboulay,

son fils,Me Louis Jaboulay-Helfre,

son petit-fils, ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Madeleine LaureJABOULAY,

survenu à l’âge de quatre-vingt-treize ans.

Compte tenu des restrictions sanitaires, ses obsèques auront lieu dans l’intimité familiale.

Ses enfants,Ses petits-enfantsEt l’ensemble de la famille,

ont l’immense tristesse de faire part du décès de

Marcel KURZ,géomètre honoraire

de l’Institut géographique national,

survenu le 24 avril 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.

Compte tenu de la situation sanitaire, ses obsèques se dérouleront dans la plus stricte intimité.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Aix. Tanger. Abidjan. Saint-Jo. Bonifacio.

Ahmed TRIQUI,né le 13 septembre 1953,

à Oujda (Maroc).

Fidèle lecteur du Monde, tu nous as quittés le 11 mai 2019.

Tu nous manques Frérot !

La famille de

M. Jean LE DÛ,professeur émérite

de breton et de celtique,Centre de recherches

bretonnes et celtiques,université de Bretagne occidentale,

a la douleur d’annoncer son décès le 6 mai 2020, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Un hommage civil lui sera rendu après la levée des restrictions de mouvement.

[email protected]

Rémy et Luz Morizet,Bernard et Imogen Morizet,Catherine Morizet,François et Florence Morizet,

ses enfants,Ses neuf petits-enfants

et leurs conjoints,Ses trois arrière-petits-enfantsEt toute la famille,

ont l’immense tristesse de faire part du décès de

Jacques MORIZET,ambassadeur de France,

commandeurde la Légion d’honneur,

commandeurde l’ordre national du Mérite,

croix de guerre 1939-1945,médaille des évadés,

croix du combattant volontaire1939-1945,

survenu à Paris, le 29 avril 2020, à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.

L’inhumation a eu lieu le jeudi 7 mai, à Saint-Colomb-de-Lauzun (Lot-et-Garonne), dans l’intimité familiale.

Une cérémonie religieuse sera

célébrée ultérieurement en sa mémoire.

Monique Shearer, son épouse,

Alexandre et Katia, Emmanuel,ses enfants,

Victor, Faustine, Alice, Pierre, Pénélope,ses petits-enfants

Ainsi que XénaEt toute sa famille de France

et de Nouvelle-Zélande, ont la très grande tristesse de faire part du décès de

David SHEARER, survenu à Paris, le 7 mai 2020,à l’âge de soixante-treize ans.

La crémation aura lieu dans l’intimité familiale, le 18 mai.

Une cérémonie sera organisée dès

que les circonstances le permettront.

La famille remercie très chaleureusement le docteur Gueugneau qui l’a accompagné tout au long de sa maladie ainsi que le docteur Angelergues et le personnel du service oncologie de l’hôpital de la Croix-Saint-Simon.

[email protected]

Raoul Sicsic,son époux,

Pierre et Elisabeth Sicsic-Kremp,son fils et sa belle-fille,

Paul, Aude et Christophe, Hélène,ses petits-enfants,

Julia,son arrière-petite-fille,

Les familles Guillaumou, Scherrer, Darmon, Sicsic, Drighes, Kremp, Houchard, ont la grande tristesse de faire part du décès de

Annie SICSIC,née GUILLAUMOU,

pharmacienne, survenu le 7 mai 2020,dans sa quatre-vingt-douzième année.

Les obsèques auront lieu dans l’intimité familiale et elle reposera à Rieux-Minervois (Aude).

200, boulevard Malesherbes,75017 Paris.

Remerciements

La Fondation AGESrend hommage

à ses généreux donateurs.

En désignant notre fondation,reconnue d’utilité publique,

comme bénéficiairede leur patrimoine,

ils contribuent à améliorerla vie quotidienne des personnes

âgées dépendantes, souvent isolées et vulnérables, et à soutenir

leurs aidants à domicile et en ehpad.Leur mémoire restera à jamais

ancrée dans nos souvenirs.Nous ne les oublierons jamais.

Fondation AGES75, allée Gluck - BP 2147

68060 Mulhouse Cedex.www.fondation-ages.org/

Communication diverse

La Fédération des Aveuglesde France

rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.

En désignant notre association

comme bénéficiairede leur patrimoine,

ils contribuent à améliorerla vie quotidienne

des personnes aveugleset malvoyantes.

Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.

Nous ne les oublierons jamais.

Fédération des Aveuglesde France,

6, rue Gager Gabillot,75015 Paris.

Tél. : 01 44 42 91 91.

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Page 23: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 horizons | 23

Grippe de Hongkong, la pandémie oubliéeEntre 1968 et 1970, une épidémie partie d’Asie frappe une partie de la planète. En France, elle fait plus de 30 000 morts. Cet épisode, très peu médiatisé, n’a pas marqué les mémoires

D es patients qui arrivent àl’hôpital déjà cyanosés, cra­chant une mousse sangui­nolente. Des malades sinombreux que les lits nesuffisent plus. Des gens

atteints d’œdème pulmonaire aigu, dontl’état se dégrade à toute vitesse et que l’on intube à même les couloirs. Des cadavresrelégués à la hâte dans une pièce en lon­gueur, au fond des locaux de réanimation. Des corps, enfin, qui s’entassent sur des civiè­res, si vite que les services mortuaires ne peu­vent les évacuer au fur et à mesure. Et, au milieu de tout cela, des soignants sans gants,sans masques, sauf pour les gestes invasifs.

Ce tableau terrifiant renvoie­t­il à l’épidémiede Covid­19 ? Au scénario d’un film catastro­phe ? Non. L’homme qui évoque tout cela, Pierre Dellamonica, est un professeur d’infec­tiologie à la retraite. Il a lui­même vécu ces scènes du temps où il était externe à l’hôpital Edouard­Herriot de Lyon, durant l’hiver 1969­1970. C’est là, dans le secteur de réanimation médicale des urgences, pavillon P, qu’il a vu lesravages causés par la pandémie connue sous le nom de « grippe de Hongkong ».

Derrière cette appellation exotique se ca­che un virus né en Asie, dont les premiers ef­fets se sont fait sentir dans l’ancienne colo­nie britannique. De type H3N2, cette grippe asillonné la planète entre 1968 et début 1970,laissant dans son sillage au moins 1 millionde morts. Or, en France, où elle a tout de même tué entre 30 000 et 35 000 personnesen deux mois (dont 25 000 en décem­bre 1969), l’épidémie est très rapidementtombée dans un oubli stupéfiant, y comprischez les médecins. Curieuse amnésie, sourced’un léger vertige : remonter vers cette époque, pourtant pas si lointaine, donnel’impression de changer de monde, commesi la perception de la maladie, de la mort etdu risque en général avait profondémentmuté en un demi­siècle.

Même face au coronavirus actuel, il a falluquelque temps pour voir émerger du passé cequi fut la dernière pandémie grippale duXXe siècle. Les regards se sont d’abord tour­nés vers une histoire bien plus éloignée poury chercher points d’appui ou matière à pen­ser. On a ainsi évoqué la peste noire, du XIVe

au XVIIIe siècle, ou encore la grippe dite« espagnole », en 1918. Mais sur celle de Hong­kong, curieusement, presque rien. Sans unexcellent article de Corinne Bensimon, paru dans Libération en décembre 2005 et repu­blié en mars de cette année, qui s’en seraitsouvenu en dehors des savants ? La mémoirede cette pandémie remontant à la fin des années 1960 s’est si bien perdue qu’il a fallu attendre l’apparition du SRAS, en 2003, pour que deux chercheurs, Antoine Flahault et Alain­Jacques Valleron, fassent le compte desvictimes françaises grâce aux fichiers demortalité conservés par l’Inserm.

Sujet de malentendusContrairement à celle de 1918, cette grippe­là préférait les personnes âgées. « 90 % desdécès concernaient des personnes de plus de 65 ans », détaille Antoine Flahault, professeurde santé publique à Genève. La France de1969 étant bien plus jeune que celle de 2020, on peut imaginer ce qu’aurait donné cetteépidémie avec une pyramide des âges sem­blable à la nôtre. « Mathématiquement, il y aurait eu deux à trois fois plus de morts », estime le professeur Joël Coste, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études.

Les statistiques montrent aussi que le virusa touché le pays en deux fois. Après un pre­mier tour de piste sans grandes conséquen­ces, durant l’hiver 1968­1969, il repasse vio­lemment à l’attaque l’hiver suivant. Entre­temps, il a sans doute connu un glissement antigénique, autrement dit une modifica­tion de sa structure. D’abord convaincus qu’ils ont affaire à un virus H2N2, les cher­cheurs ont aussi mis du temps à comprendrequ’il s’agissait en fait d’un H3N2, virus encoreinconnu. Quoi qu’il en soit, Pasteur et Mérieux, principaux fabricants français de vaccins, n’ont pas jugé bon d’inclure la sou­che de Hongkong dans leurs vaccins. Au boutdu compte, ceux­ci ne serviront donc pas à grand­chose. Ce qui n’empêche pas les Lyon­nais de se ruer vers les sérums en décem­bre 1969. « Les étudiants en médecine ont étéréquisitionnés pour vacciner en plein air, sesouvient le professeur Dellamonica. Les gens faisaient la queue devant des tables installées rue Pasteur, une artère du quartier des facul­tés, fermée à la circulation pour l’occasion. »

Pendant ce temps, la grippe engendre unebelle pagaille. Le 17 décembre 1969, une note

au directeur général de la santé informe, par exemple, que le département du Tarn, très touché, enregistre 25 % de malades dans les familles, 30 % d’absents dans les écoles, 20 % dans les administrations, 17 % dans l’indus­trie, 18 % dans les autres secteurs d’activité. Une semaine plus tôt, un article de France­Soirindiquait que 15 % des cheminots étaient malades. Rien de tout cela, pourtant, n’est prisau sérieux par la presse. La plupart du temps, celle­ci se contente d’entrefilets anodins, de conseils pratiques ou de billets rigolards. « L’épidémie de grippe qui s’étend, comme cha­que année, sur l’Europe n’est ni grave ni nou­velle », lit­on dans Le Monde du 18 décem­bre 1969. Quinze jours plus tard, dans son édi­tion de la Saint­Sylvestre, le journal se moque de l’Angleterre, très atteinte, en décrivant une contrée où tout semble partir en quenouille,même les boîtes de strip­tease.

Il faut dire qu’à l’époque, personne neconnaît le nombre de victimes. « En 1968, les registres de l’Inserm mettaient deux ans avantde produire les statistiques sur les causes de décès », note Antoine Flahault. Du reste,même si ces morts avaient été comptabili­sées plus vite, combien auraient été attri­buées à la grippe ? « On était moins poin­tilleux », assure Pierre Dellamonica. De nos jours encore, les certificats de décès ne por­tent pas toujours la mention « grippe », loin de là, rappelle M. Flahault : « La grippe saison­nière fait en moyenne 6 000 morts. Or, sur ce nombre, seuls 430 certificats porteront la mention de cette pathologie. » Pour tous les autres, la grippe aura sans doute été une cause de décès, mais pas suffisamment directe pour figurer sur les documents.

« On ne disposait d’aucun outil de sur­veillance épidémique en temps réel », insiste Antoine Flahault. A l’époque, l’Organisation mondiale de la santé s’appuie bien sur un

réseau d’observation de la grippe mis en place dès sa création, en 1947, mais, à l’échellenationale, la myopie le dispute au désordre.Même la « grippe asiatique » de 1957­1958,pourtant ravageuse avec ses 30 000 morts dans l’Hexagone et ses 2 millions à travers le monde, n’avait pas suscité la création d’unsystème de veille sanitaire spécifique.

Pionnier du vaccin antigrippal français etprofesseur à l’Institut Pasteur, dont il a été le « M. Grippe » jusqu’en 1995, Claude Hannoun raconte avoir longtemps fonctionné avec, en tout et pour tout, un petit groupe de douze généralistes chargés de lui envoyer des prélè­vements. C’est lui qui, dans les années suivantla crise de 1969­1970, mettra en place la pre­mière unité « grippe » de l’Institut Pasteur, puis participera à l’organisation d’un disposi­tif moderne de vigilance et d’alerte.

Le virus de Hongkong, il s’en souvient bienpour l’avoir lui­même contracté lors d’un col­loque international à Téhéran, en septem­bre 1968. « Sur 900 congressistes, 70 % sonttombés malades et, bien sûr, le colloque atourné en capilotade. Ce sont probablement des Japonais qui avaient apporté la grippe aveceux. » L’hiver suivant, l’épidémie sévira aux Etats­Unis, mais guère en Europe, du moins dans un premier temps. Comment se fait­il que les scientifiques européens n’aient pas, à leur retour d’Iran, disséminé le mal en ren­trant chez eux ? Impossible de le savoir. Le vi­rus grippal est un animal sauvage, imprévisi­ble, mais qui « rate plus souvent son coup qu’il ne le réussit », précise le professeur Hannoun.

Un an plus tard, malheureusement, le virusarrive à ses fins. Or l’Etat n’entreprend rien pour freiner l’épidémie. S’il s’était agi de lapeste, on aurait sans doute agi autrement,mais la grippe, quelle importance ? Contrai­rement à d’autres, cette pathologie ne véhi­cule pas de peurs ni de répulsions particuliè­res. « En 1918, on a rapporté à la grippe espa­gnole des morts de la tuberculose, considéréecomme une maladie honteuse », explique Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique. Le mot lui­même est un sujet de malentendus. L’influenza, autre nom de la grippe, qui a donné le terme anglais flu, vientd’un vocable italien de la Renaissance, quidésignait la mode. La grippe, c’est donc ce quetout le monde attrape.

Dès lors, constate Claude Hannoun, « lesgrandes épidémies de grippe ont tendance àêtre vite oubliées. Même celle de 1918, alors que pratiquement toutes les familles étaient

touchées ». Aujourd’hui encore, « au moindre rhume, on parle de grippe », remarque Nor­bert Gualde, professeur d’immunologie à Bordeaux­II. Les analogies faites par certains entre le Covid­19 et une « grippette », au débutde l’épidémie actuelle, confirment que cette banalisation a la vie dure. Mais, en 1968, c’était pire. « Beaucoup de gens considéraient alors qu’il était presque normal de mourir decette maladie », observe Claude Hannoun. Il faut dire qu’à la fin des années 1960, les acci­dents de la route et le tabac faisaient un car­nage, eux aussi, sans que la population s’en émeuve outre mesure. La santé publiquen’est alors pas un vrai sujet, ou pas tout à fait.

A la charnière de deux mondesVue en perspective, la grippe de Hongkongse situe donc à la charnière entre deux mon­des. L’un, façonné par les catastrophes, et notamment la guerre, qui relativisait la per­ception du risque. L’autre, déjà entré dansune modernité où les progrès scientifiquesfiniront par rendre la mort de moins enmoins tolérable. En 1969, les premières uni­tés de réanimation médicale ont ainsi fait leur apparition depuis seulement quinze ans. « Même s’ils n’étaient pas aussi perfec­tionnés que ceux de maintenant, nous avionsdéjà des respirateurs de marque Engström »,rappelle Pierre Dellamonica. Autrement dit,des appareils mis au point en 1952, desquelssont dérivés les respirateurs utilisés de nosjours pour lutter contre le Covid­19. Enfin,une partie des maladies graves avaient été vaincues, note l’anthropologue Frédéric Keck : « On s’était débarrassés de la tubercu­lose, de la variole, de la rage et on commen­çait à maîtriser le vaccin contre la rougeole.Les maladies infectieuses semblaient alors un fléau réservé au tiers­monde. »

D’après ce chercheur, il faut attendre letournant des années 1980 pour que cette pathologie ne soit plus considérée comme un mal bénin. « La révolution néolibérale,née dans ces années­là, suppose que les genstravaillent tout le temps. Or, même dans son étymologie, la grippe est ce qui arrête un sys­tème. Avec la grève, elles ont des fonctions semblables, l’une naturelle et l’autre sociale : elles paralysent l’économie. » Depuis ce fa­meux hiver 1969­1970, on avait fini par croire que plus aucune pandémie n’entrave­rait jamais l’économie. C’était compter sansle Covid­19, qui, lui, s’offre le luxe de gripperle monde entier.

raphaëlle rérolle

Au Sir Alfred Jones Memorial Hospital, à Garston, dans la banlieue de Liverpool, en décembre 1969. MIRRORPIX/LEEMAGE

« BEAUCOUP DE GENS 

CONSIDÉRAIENT ALORS QU’IL ÉTAIT PRESQUE NORMAL 

DE MOURIR DE CETTE MALADIE »

CLAUDE HANNOUNprofesseur

à l’Institut Pasteur

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Page 24: Le Monde - 12 05 2020

24 |culture MARDI 12 MAI 20200123

La réouverture des musées, problème de tailleSeuls autorisés à rouvrir le 11 mai, les « petits » établissements mettent en place des mesures de protection sanitaire

D ans une circulaire auxpréfets du mercredi6 mai, le premier mi­nistre a précisé les con­

ditions du déconfinement. Pour ce qui concerne les musées, ils pourront rouvrir à partir du11 mai, du moins les « petits mu­sées », c’est­à­dire « des lieux à rayonnement local », dont les pré­fets doivent arrêter la liste en liaison avec les collectivités et les directions régionales des affaires culturelles. Doit être également examinée la possibilité de mettre en place un système de réserva­tion obligatoire. Des musées, oui, mais sur rendez­vous. « Demeure­ront fermés (…) les grands muséeset lieux patrimoniaux » qui peu­vent entraîner des déplacements importants du public.

Edouard Philippe maintientdonc sa distinction vague entre petits et grands musées, comme le Louvre (10 millions de visiteurs annuels) ou le Centre Pompidou, où on étudie « de nouveaux dispo­sitifs d’accueil et de médiationadaptés alliant un système de jauge réduite, la réservation de cré­neaux horaires et l’aménagement des espaces permettant d’optimi­ser et de fluidifier la circulation des flux ». Ce dernier point semblantplus important, au fond, que la surface du bâtiment en mètres carrés : il s’agit de pouvoir s’y dé­placer sans se croiser, et en respec­tant des distances de sécurité. Un grand musée, ou un petit qui ne serait doté que d’un seul escalier, paraissent devoir être éliminés.

Le Petit Palais, à ParisC’est ce que confirme une note d’Anne­Solène Rolland, directrice du service des musées de France, qui précise qu’« il n’existe aucun critère pour définir un petit musée : la seule question est celle de l’auto­risation locale de déconfinement. Siles autorités sanitaires estiment que la situation locale est sous contrôle, si le département dans le­quel vous vous situez est en “zone verte”, alors un dialogue sera en­tamé entre l’Etat déconcentré et les tutelles pour voir ce qui peut rouvrirou non, dans un souci de ne rouvrir que des structures dont le public estlocal et ne se déplace pas de loin ou en transports, et de n’ouvrir que des structures qui peuvent mettre en œuvre des mesures barrières et protéger visiteurs et agents. »

Christophe Leribault dirige le Pe­tit Palais (mais grand musée, avec 1 million de visiteurs par an) et va profiter du déconfinement, le 11 mai, pour mettre son établisse­ment « en ordre de bataille » sans trop savoir quand il ouvrira : « Tout

d’abord, préparer en amont l’ac­cueil progressif du personnel, qui sera nécessaire pour envisager no­tre réouverture ensuite au public ; préparer les réaménagements des accueils et comptoirs du public, soncheminement, gérer les jauges autorisées, boucler aussi les fini­tions de l’exposition “La Force du dessin, chefs­d’œuvre de la collec­tion Prat” que l’on a hâte de pouvoirmontrer enfin – les dessins étant aux murs depuis la mi­mars ! »

La Ville de Paris a annoncé son in­tention de rouvrir ceux des mu­sées dont elle a la charge et qui peu­vent l’être, dès le 16 juin. Le Petit Pa­lais en fait partie, comme le MuséeBourdelle, le Musée de la Libéra­tion de Paris­Musée du général­Le­clerc­Musée Jean­Moulin, le Muséede la Vie romantique, la Maison de Balzac, le Musée Cernuschi et les Catacombes. Le Musée d’art mo­derne de Paris et le Musée Co­gnacq­Jay devraient ouvrir en juillet. La Fondation Giacometti annonce son ouverture le 15 mai

avec la prolongation de l’exposi­tion « A la recherche des œuvres disparues » et une « résidence d’ar­tiste » avec Douglas Gordon. A la Fondation Cartier, le directeur, Hervé Chandès, est plus prudent : « Le 11 mai, nous remettrons simple­ment en route les équipes, mais tou­jours avec une bonne partie en télé­travail, pour préparer la réouver­ture au public que nous souhaitons dès que possible, dans les meilleuresconditions d’accueil des publics et du personnel sur site. » Si la ques­tion de l’ouverture ne se pose pas au centre d’art du Jeu de paume, à

Paris, en raison de travaux, son di­recteur, Quentin Bajac, espère pou­voir ouvrir son antenne au châteaude Tours, sachant que « c’est la mai­rie qui prendra cette décision ». Au BAL, centre d’art spécialisé dans l’image dans le 18e arrondisse­ment, la directrice, Diane Dufour, explique les défis que pose la réou­verture, malgré son espace réduit : « Nous avons prévu d’ouvrir seule­ment le 1er juillet. Car réorganiser lacirculation est compliqué dans no­tre lieu, qui comprend une librairie et un restaurant, qui lui doit rester fermé. Le principe du BAL c’est d’êtreune maison, rouvrir un morceau sans l’autre est un problème. »

Finalement, le 11 mai, on peine àtrouver un musée ouvert dans la capitale, à part… le musée de l’Illu­sion, espace ludique plein de casse­têtes visuels, accessible sur réser­vation.

Jean­Louis Andral, directeur duMusée Picasso d’Antibes, pourrait considérer qu’il a un « petit mu­sée » : pour des raisons de sécurité,

sa jauge en temps « T » est limitéeà 219 personnes à la fois. Néan­moins, il vise plutôt une réouver­ture en juin : « Il nous faut ce délai pour nous équiper correctement. Il est par exemple impossible en ce moment de trouver le Plexiglas né­cessaire à la protection des agents au guichet. Nous devons égale­ment établir un marquage au sol, pour matérialiser les distances de sécurité. Après quoi, nous organi­serons une circulation pour que les visiteurs ne se croisent pas, et le port du masque sera obligatoire. »

Réduire la jaugeAnnabelle Ténèze, directrice du FRAC­Musée des Abattoirs, à Tou­louse, se dit prête à baisser la jauge« si cela nous permet d’ouvrir dans de bonnes conditions sanitaires ». A Colmar, le Musée Unterlinden est aussi prêt à la réduire, en n’ad­mettant qu’une centaine de visi­teurs à la fois et contraints à un plan de circulation imposé, si cela est nécessaire à une réouverture.

Pour ses 75 ans, Keith Jarrett offre un solo inéditLe titre, « Answer Me, My Love », joué en rappel à Budapest, en 2016, a été mis en ligne par le label du légendaire pianiste américain

MUSIQUE

K eith Jarrett, pianiste, com­positeur, multi­instru­mentiste, né à Allentown

(Pennsylvanie) le 8 mai 1945, vientde fêter ses 75 ans. Pour l’occasion,le label ECM, dirigé par Manfred Eicher, publie en ligne un inédit au piano solo. Il s’agit d’un rappel,en fin de récital à Budapest, le 4 juillet 2016 : Answer Me, My Love… A vos machines ! Inutile de préciser que votre très peu geek serviteur a fait sauter plusieurs fois la sienne, le grille­pain, plusle secteur du Nord­Est parisien, sans pouvoir dénicher ces 4 mi­nutes 29 de bonheur.

Par chance, le 8 mai, FranceMusique les a diffusées au cours d’une journée fleuve : quatre heu­

res trente consacrées au « Jarrettclassique », à l’« essentiel », au « ly­rique », plus deux concerts en solo(Japon, novembre 1976). Mirabellesur le pudding : les 9 et 10 mai, le producteur Jérôme Badini (« Les Légendes du jazz ») déniche un récital inédit dans les archi­ves de l’INA (Juan­les­Pins, le25 juillet 1979). A vos podcasts !

Pour mémoire : Keith Jarrettprend sa première leçon de pianoà 3 ans. Premier concert à 7. La légende est lancée. Plus tard, iljoue avec Roland Kirk, les Jazz Messengers d’Art Blakey, CharlesLloyd… Détestant se répéter, infa­tigable, abondant, il dessine en diverses configurations (avecCharlie Haden, Jan Garbarek,Dewey Redman…) une avant­garde qui vous cloue ou clive.

Plus ces récitals de pure solitudeà trois : lui, le piano, le public…

Premier solo publié, Facing You(ECM, 1972). Un an plus tard, Solo concerts : Bremen/Lausanne (cof­fret ECM, 1973, les préférés). Dans sa monographie (Keith Jarrett, Ac­tes Sud, 2019), Jean­Pierre Jackson recense tous les albums publiés en solo par l’ange du bizarre (p. 100­101). Imprenable sur la dis­cographie, il reste rare sur l’acte, l’engagement physique, la scène.

Rêve éveillé et fulgurancesExercice spirituel autant qu’athlé­tique, saut dans l’inconnu, le soloest, pour Keith Jarrett, son terrain de grand jeu. Surprise : le Köln Concert (ECM, 1975) est l’un des disques, toutes catégories, les plusvendus de tous les temps. Tel un

archéologue d’opérette, on n’a rien à dire des envoûtés du pro­phète ; encore moins des mé­chants qui tiennent ce joyau pour quelque musique de salle d’at­tente chez le dentiste. Dieu sait pourtant s’il a connu des claviersqui eussent eu besoin d’un (bon) dentiste… Notamment celui du Caméléon (Paris 6e), dont il dyna­mitait les nuits, en 1969, avec AldoRomano et Jean­François « J.­F. » Jenny­Clark. Brève pensée pour ces trois touristes qui se sont trou­vées là, la nuit où Keith n’a pas lâ­ché la batterie – Aldo avait un gigplus loin –, avec J.­F. et Gus Nemethaux contrebasses…

La gloire et Manfred Eicher ve­nus, il se fait exigeant. Normal. On le prend pour chichiteux, diva bonne pour le divan. Pour l’avoir

entendu en scène près de 207 fois depuis 1966 (avec Charles Lloyd à Juan­les­Pins, grand choc), onn’en revient toujours pas. Dès qu’on l’a vu en solo à New York (1973) et Antibes (1974), on a su.Pur amour de la musique, enga­gement total, corps­esprit, rêveéveillé, passages à vide, fulguran­ces, magie psychique…

Depuis le blues, le ragtime et lestride, jusqu’à demain matin, le piano solo est un monde paral­lèle… D’Earl Hines (1928) à MartialSolal, en passant par Duke Elling­ton, Mary Lou Williams, George Shearing, Thelonious Monk, Irène Schweizer, Dollar Brand ou Cecil Taylor, drôle d’aventure… Aujourd’hui, les nouveaux venus commencent par là. Ce n’est pas forcément une bonne idée…

Antoine Hervé, compositeur,pianiste, inégalable donneur de « Leçons de jazz », tient Jarrett pour« le Liszt du XXIe siècle ». Ajoutons Chopin. Inconnue de l’équation : le séminariste arménien Georges Gurdjieff, compositeur, mystique à mi­temps, téméraire meneur d’âmes. Oui, celui­là même qui co­lorait – ce qui lui vaudra pas mal d’ennuis – les petits moineaux à l’aniline… Keith Jarrett (grand lec­teur de philosophie, d’ésotérisme, de science­fiction et de littérature scientifique) a enregistré ses Hym­nes sacrés en 1980. Ceci fera l’objet du 80e anniversaire.

francis marmande

Answer Me, My Love, par Keith Jarrett, à écouter sur toutes les plates­formes musicales.

Au Musée de l’illusion, on met en place les autocollants des mesures barrières à respecter en vue de la réouverture. Paris, le 7 mai. RAFAEL YAGHOBZADEH

« Il n’existeaucun critère pour définir

un petit musée »ANNE-SOLÈNE ROLLANDdirectrice du service des

musées de France

D’autres pensent être dans lesclous et ont annoncé leur ouver­ture prochaine. C’est le cas du Mu­sée du Hiéron, à Paray­le­Monial (Saône­et­Loire), dès le 13 mai. AReims, les champagnes Pom­mery, qui organisent des exposi­tions d’art contemporain dans leurs caves, ouvriront dès le 11. Dans la même ville, le Musée municipal de Saint­Rémi ouvrirale 25. A Rodez, le Musée Soulages annonce sa réouverture le 21 mai.

A titre de comparaison, l’Allema­gne a rouvert ses musées le 4 mai, la Suisse le fera le 12, l’Italie et la Belgique le 18, avec des dispositifs de sécurité et un système de préré­servation limité aux visiteurs in­dividuels et aux familles. Les Fran­çais pourront toujours se consoleren visitant les galeries d’art puis­qu’elles font partie des commer­ces, qui rouvriront le 11 mai. Et contrairement à bien des musées, leur accès est gratuit.

harry bellet, claire guillotet emmanuelle jardonnet

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Page 25: Le Monde - 12 05 2020

RÉALISÉE PAR ALAN POUL ET DAMIEN CHAZELLE LAURÉAT D’UN OSCAR®MUSIQUE DE GLEN BALLARD SCÉNARIO DE JACK THORNE

UNE MINI-SÉRIE NETFLIX

“ DAMIEN CHAZELLE LÀ OÙON NE L’ATTEND PAS ”

L’EXPRESS DIX

“ MAGNIFIQUEMENT FILMÉEET MISE ENMUSIQUE ”

LE FIGARO

“ CRU, INATTENDU, À REBOURS DES CLICHÉS ”L’EXPRESS DIX

DISPONIBLE DÈS MAINTENANT

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Page 26: Le Monde - 12 05 2020

26 |télévision MARDI 12 MAI 20200123

HORIZONTALEMENT

I. Met la tête et le corps en mouve-ment. II. La Fontaine s’est approvi-sionné à sa source. Suivie au plus près. III. La chouette ou le hibou, mais pas l’effraie. Le premier dans notre grand découpage. IV. Supporte le cor, sans le supporter. Sur la portée. Ou-verture de gamme. V. Aide à la presse. Fait dans la complexité. VI. Sur place. Eaux des Pyrénées. VII. Remplacée par l’euro. Entraîne à diriger. A donc fait du tort. VIII. Monnaie romaine. Grande voie. Convient parfaitement. IX. Chants autour du feu. Suivre et ne pas discuter. X. N’a rien à cacher et ne veut rien cacher.

VERTICALEMENT

1. Nous sortira de la sinistrose am-biante. 2. Envoyer paître ailleurs. 3. Mise en couche collective. Jeune sortie. 4. Suit à distance. L’Irlande des poètes. 5. Même étrangère, elle est bien de chez nous. Bien arrivés. 6. Noire, chez Hergé. Un peu de sport. 7. Douillettement préparé. Refus au palais. 8. Pour une bonne fermeture. Homme politique suisse. 9. Fait tout à moitié. Entraîne vers la victoire. Dé-coration britannique. 10. Grecque. De Corfou ou de Leucade. 11. Tombe froidement. Rapproche solidement. 12. A elle de bien gérer la maison.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 110

HORIZONTALEMENT I. Radoucissant. II. Eventé. Pavie. III. Gin. Ils. Réel. IV. Rotulien. Usé. V. En. Hébreux. VI. Scat. Ages. Le. VII. Sal. Eté. Usât. VIII. Irait. Sertir. IX. Ogives. Spa. X. Non-existence.

VERTICALEMENT 1. Régression. 2. Avion-cargo. 3. Dent. Alain. 4. On. UHT. Ive. 5. Utile. Etex. 6. Célibat. Si. 7. Serges. 8. SP. Née. Est. 9. Sar. Usurpe. 10. Aveux. Stan. 11. Nies. Lai. 12. Télémétrie.

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GRILLE N° 20 - 111PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­111

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8 1 7 5 2 4 3 6 9

2 6 4 1 3 9 7 8 5

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N° 61MAI 2020

& CIVILISATIONS

CRASSUSL’HOMMELEPLUSRICHEDEROME

MOYENÂGELAPESTENOIRETRANSFORMELESMENTALITÉS

LINCOLNLE PRÉSIDENTPRÉFÉRÉ DESAMÉRICAINS

CHAQUEMOISUNPRÉSIDENT

L’AN 40QUAND TOUT SEMBLAIT PERDU

&CIVILISATIO

NS

Chaque mois,un voyage à traversle temps et les grandescivilisations à l’originede notre monde

CHEZ VOTREMARCHAND DE JOURNAUX

M A R D I   1 2   M A I

TF121.05 Harry Potter et l’ordre du PhénixFilm de David Yates. Avec Daniel Radcliffe, Emma Watson (RU-EU, 2007, 150 min).23.35 Les ExpertsSérie. Avec Ted Danson (EU, 2012).

France 221.05 Les pouvoirs extraordinaires du corps humainMagazine présenté par Michel Cymes et Jamy Gourmaud.23.30 Le Défi des transclassesDocumentaire de Jean-Louis Saporito (Fr., 2019, 60 min).

France 321.05 TandemSérie. Avec Astrid Veillon, Stéphane Blancafort (Fr., 2019).0.30 Mort à SarajevoFilm de Danis Tanovic. Avec Snezana Vidovic (Fr.-Bosnie, 2016, 85 min).

Canal+21.00 SibylFilm de Justine Triet. Avec Virginie Efira, Gaspard Ulliel (Fr., 2019, 100 min).22.40 AcusadaFilm de Gonzalo Tobal. Avec Lali Esposito, Gael Garcia Bernal (Mex., 2018, 110 min).

France 520.55 Effondrement ? Sauve qui peut le mondeDocumentaire d’Alfred de Montesquiou et Julien Blanc-Gras (Fr., 2020, 70 min).22.50 C dans l’airMagazine présenté par Caroline Roux.

Arte20.50 L’irrésistible ascension d’AmazonDocumentaire de David Carr Brown (All., 2018, 90 min).22.20 L’alcool, l’intoxication globaleDocumentaire d’Andreas Pichler (All., 2019, 90 min).

M621.05 Les Bodin’s : Grandeur nature en tournéeSpectacle enregistré à Nantes en avril 2019.23.50 Au cœur des Bodin’sDocumentaire d’Eric Le Roch (Fr., 2018, 70 min).

Sigmund Freud, le rêve, l’esprit et la lettreDavid Teboul réalise un portrait intime du père de la psychanalyse par le truchement de sa correspondance

ARTE.TVÀ LA DEMANDE

DOCUMENTAIRE

A u moment où Netflixmettait en ligne la sé­rie Freud, d’une vulga­rité et d’un ridicule

consternants, Arte proposait la première diffusion d’un docu­mentaire, Sigmund Freud, un juifsans Dieu (2019), de David Teboul, évoquant avec subtilité, intimitéet élégance visuelle la figure du« père de la psychanalyse ».

David Teboul n’est pas un docu­mentariste, mais un cinéaste qui fait des documentaires : on ne trouve jamais dans ses films(longs et silencieux) de ces clichésdevenus l’ordinaire du genre : sommaire de début, scènes de docufiction et intervenants « sa­chants » s’adressant aux « appre­nants » (pour reprendre un lexi­que récemment apparu).

Processus de libre associationSes deux premiers documentai­res, consacrés au travail feutré et silencieux d’un grand couturier,Yves Saint Laurent, le temps re­trouvé et Yves Saint Laurent, 5 ave­nue Marceau 75116 Paris (2002), donnaient le ton et le tempo qu’on retrouvera dans la plupart de ses contributions. Notammentdans le magnifique Bardot, la mé­prise (2013), sorte de mausolée

pré­mortem offert à l’actrice re­cluse et retorse qui prend l’allured’une nature morte avec person­nage absent. Dans ce film, David Teboul parlait à la première per­sonne, d’une voix lancinante, lais­sant Bulle Ogier incarner la plumede l’actrice dans ses Mémoires. Dans Bania (2005), le cinéaste fil­mait une scène coite et moite, celle de bains publics de l’URSS et

ses corps nus qu’on découvrait meurtris à travers la vapeur.

Il y eut aussi la rencontre avecSimone Veil. D’abord méfiante, celle­ci se laissa convaincre par l’angle d’approche – finalement si­gnifiant – de son chignon (sic !), ainsi qu’en témoigne le cinéaste dans une tribune publiée dans Le Monde du 7 juillet 2017. On se sou­vient des images et des paroles ter­

ribles prononcées dans Simone Veil, une histoire française (2004), mais aussi des bavardages rigo­lards, sur le lit de Simone, avec uneautre rescapée des camps, Marce­line Loridan­Ivens, clope au bec. Plus tard, les propos de Simone Veil – et ceux de Marceline – serontrecueillis par David Teboul dans le poignant livre illustré L’Aube à Bir­kenau (Les Arènes, 2019).

Sigmund Freud… fait parler Freudet ses proches par le truchement de sa correspondance, lue par des acteurs connus – Mathieu Amalric(Freud), Isabelle Huppert (Anna, safille, qu’il psychanalysera), Cathe­rine Deneuve (Marie Bonaparte, qui se considérait comme sa fille et sera sa traductrice en France) et Jeanne Balibar (Lou Andreas­Sa­lomé), etc. Avec le ton savamment neutre de Denis Podalydès en voixconductrice de ce contrepoint épistolier composé de missives parfois rares, voire inédites en français.

Ainsi, la vraie vie rêvée de Freudse reconstruit­elle, sans peser, sans encombrer de jargon psycha­nalytique, par le croisement des échanges de lettres qui révèlent le sens de l’intimité affectueuse d’unpère, d’un époux, d’un ami amou­reux forcément déçu et blessé, d’un juif qui questionne sa judéité.

A ce propos, que David Tebouldit avoir conçu selon le processus de la libre association, s’ajoute lesoutien d’un continuum d’ima­ges d’archives, parfois rares et en couleurs, qui montrent notam­ment Freud dans ses tout der­niers jours, à Londres, en 1939, où les nazis l’avaient chassé.

renaud machart

Sigmund Freud, un juif sans Dieu, documentaire de David Teboul (Fr., 2019, 1 h 37)..

Sigmund Freud et sa fille Anna (à droite), qu’il a psychanalysée. LES FILMS D’ICI/ARTE

Un documentaire questionne sur la méritocratieJean­Louis Saporito recueille les témoignages de personnes passées du monde « d’en bas » au monde « d’en haut »

FRANCE 2MARDI 12 - 23 H 30

DOCUMENTAIRE

I ls ne se sentent jamais vrai­ment tout à fait à leur place.Ils ont déployé beaucoup d’ef­

forts pour franchir la « frontière » et passer dans un autre monde. Ilsont déjoué les règles de la repro­duction sociale et travaillent dansun autre milieu, nimbé de pres­tige car perçu comme le monde« d’en haut », par rapport à celuide leurs origines, populaires et/ou immigrées.

Leur parcours suscite souventles compliments et l’admiration ;mais tous ressentent une forme d’illégitimité, de culpabilité, voirede trahison, et un tiraillement incessant entre deux milieux, deux personnalités. C’est le « défi des transclasses », qu’interrogeavec sensibilité le documenta­riste Jean­Louis Saporito.

Une aventure collective« On ne peut pas s’autoriser unéchec quand on voit sa mèreporter pendant treize ans le mêmepantalon usé », expose sans

misérabilisme, la philosophe et professeure à la Sorbonne Chantal Jacquet, égalementauteure d’ouvrages sur le sujet(La Fabrique des transclasses,PUF, 2018). Mais pas question des’émerveiller des trajectoirescomplexes des personnages de cefilm, parmi lesquels la proviseuredu lycée Saint­Louis à Paris, Chantal Collet, l’ancienneministre de l’éducation nationaleNajat Vallaud­Belkacem ou en­core le député européen EdouardMartin, si ce n’est pour direl’importance des rencontres et

des relations humaines pour accomplir ce qui reste encorel’exception.

Au fil des témoignages appa­raissent plutôt des problèmespolitiques : la question du mériteet de sa réelle accessibilité à tous ;celle de nourrir des ambitions lorsque les modèles n’existentpas ; la dévalorisation courantede certaines catégories demétiers – dont on s’accordeactuellement à dire qu’elles sontpourtant essentielles – et decertains codes au profit de ceuxde « l’élite ».

Le choix de témoignages aussinombreux, qui, certes, n’ont pastous la même force, consolide lepropos du film qui fait avant toutdu changement de classe socialeune aventure collective, loin desclichés du self­made­man. Unregret toutefois : la retenue dont fait preuve le documentariste surla question du racisme lorsqu’elleémerge.

mouna el mokhtari

Infrarouge. Le défi des transclasses, de Jean­Louis Saporito (France, 2020, 53 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Page 27: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 disparitions | 27

5 DÉCEMBRE 1932 Nais-sance à Macon (Etat de Géorgie)1951 Premiers enregistre-ments1955 Révélation avec la chanson « Tutti Frutti »1957 Décide d’arrêter le rock pour se consacrer à Dieu1958-1959 « Whole Lotta Shakin’Goin’On »et « Good Golly Miss Molly » sont publiéspar sa maison de disques1964 Retour au rock avec l’album « Little Richard Is Back »1977 Reprendses activités de prêcheurANNÉES 1980 Nouveau retour au rock’n’roll2014 Derniers concerts aux Etats-Unis2020 Mort à l’âgede 87 ans

Little RichardChanteur américain

J e suis l’architecte du rock’n’roll, l’initia­teur, celui qui le personnifie. » Cettephrase tirée d’un entretien avec AndyGill dans le mensuel musical britanni­que Mojo de décembre 1999, Little Ri­

chard l’a souvent prononcée. Avec des va­riantes, mais toujours pour affirmer son im­portance dans les premiers temps du rock’n’roll dans les années 1950. Au même ti­tre que Chuck Berry (1926­2017), Jerry Lee Lewis, Fats Domino (1928­2017), Bo Diddley (1928­2008), Carl Perkins (1932­1998) et Elvis Presley (1935­1977).

Homme de spectacle, tout en extravaganceet débordement d’énergie, le chanteur et pia­niste Little Richard est mort, samedi 9 mai, àl’âge de 87 ans, a annoncé son fils, Danny Jo­nes Penniman, au magazine Rolling Stone. Lacause de son décès est encore inconnue. Ilavait connu un premier succès avec la chan­son Tutti Frutti, publiée fin 1955.

Né le 5 décembre 1932 à Macon, dans l’Etatde Géorgie, Richard Penniman est l’un des douze enfants (sept garçons et cinq filles)d’une famille où le quotidien est régi par de stricts préceptes moraux. Ce qui n’empêche pas son père, maçon, de vendre de l’alcool decontrebande et de s’occuper d’un club de laville. Petit, de constitution fragile, avec unevoix assez aiguë qu’il garde après la puberté,le jeune Richard Penniman reçoit vite le sur­nom de Little Richard lorsqu’il commence à chanter au sein d’une formation familiale degospel dans les églises.

A l’âge de 13 ans, il est chassé de chez lui etrecueilli par des voisins. Il expliquera plus tard que c’était en raison de ses manières ef­féminées et d’une attirance naissante pour les garçons. Little Richard se dira, selon lesépoques, homosexuel, hétérosexuel ou bi­sexuel. Il travaille un temps avec un pré­tendu médecin ambulant, chargé d’attirerles gogos en chantant, participe à plusieurs formations de rhythm’n’blues. En 1950, ilrencontre le chanteur Billy Wright, dit le « Prince du blues » dont la coupe de cheveux bouffante, la fine moustache, les longues vestes et pantalons larges brillants inspire­ront sa propre apparence.

Un timbre un rien criardLe parrainage de Wright lui permet de signerun contrat avec la compagnie RCA Records. Seule la chanson Every Hour, en 1951, aura unpetit écho. Un blues basique auquel Little Ri­chard donne un peu d’originalité par son dé­ploiement vocal, timbre un rien féminin, un rien criard. Il apprend des rudiments depiano, instrument qu’il aborde avec une at­taque rythmique très marquée venue du boogie­woogie. Sa signature au même titre que sa voix.

En février 1952, son père est assassiné de­vant son club. Little Richard trouve un em­ploi de plongeur et, le week­end, chante dansdivers groupes. C’est avec The Upsetters, quesa réputation de sensation scénique gagne de l’ampleur. Il joue debout devant son piano, se démène, transforme le chant en hurlement. Devenu célèbre, il ne sera pas rare qu’il grimpe sur son piano, finisse ses concerts torse nu.

La compagnie phonographique SpecialtyRecords, à Los Angeles, s’intéresse à lui. Uneséance d’enregistrement est organisée à lami­septembre 1955 à La Nouvelle­Orléans, avec les musiciens du pianiste et chanteurFats Domino. C’est lors d’une pause que Little Richard aurait proposé Tutti Frutti, qu’il avait l’habitude d’interpréter depuisdes années. La chanson débute par une suited’onomatopées, « A wop/Bop a loo bop/A lop/Bam boom ». Rien à voir, dans la versionoriginale, avec le dessert glacé. Ce tutti frut­ti­là est un terme d’argot qui désigne un ho­mosexuel, la chanson est explicite : « TuttiFrutti, good booty/If it don’t fit, don’t force it », en français : « Tutti Frutti, chouette po­potin/Si ça n’entre pas, ne force pas ».

Pour l’enregistrement, le « good booty »devient « aw rooty », déformation argotiquede « all right », le narrateur évoque désor­mais deux filles, Sue et Daisy, qui certes sa­vent s’y prendre, mais dans un texte tout ensous­entendus. On le doit à la parolière Do­rothy LaBostrie (1928­2007), qui l’aurait ré­digé sur place et en quelques minutes. Cettedernière indiquera que cette histoire detexte salace a été inventée après­coup, pourpermettre à Little Richard de cosigner le texte, et que la chanson était telle quelle dèsl’origine.

Quoi qu’il en soit, le 45­tours est publié ennovembre 1955 et Tutti Frutti grimpe à la deuxième place des classements « rhythm & blues » aux Etats­Unis. Suivront, en près detrois ans, pour Little Richard, ses principaux

En 1972. MICHAEL PUTLAND/DALLE

succès et l’essentiel de son répertoire. Enmars 1956, c’est Long Tall Sally, numéro 1 « rhythm & blues » comme Rip It Up (juin 1956) et Lucille (février 1957), par ailleursnuméro 6 du « Top 100 », sa meilleure entréedans ce classement général.

Autres classiques, Ready Teddy, She’s Got Itet The Girl Can’t Help It, qu’il interprète dans la comédie musicale du même nom réalisée en 1956 par Frank Tashlin (1913­1972) – dans laquelle apparaissent aussi Eddie Cochran (1938­1960), Fats Domino et Gene Vincent (1935­1971) –, Send Me Some Lovin’, JennyJenny, Keep A Knockin’… A peu près toujourssur le même modèle, avec le piano qui em­porte la mélodie, un court solo de saxo­phone précédé d’un cri de Richard.

Prêches et gospelsEn octobre 1957, lors d’une tournée en Aus­tralie avec Vincent et Cochran, Little Richard annonce, après des visions de catastrophes,qu’il abandonne les turpitudes du rock’n’rollpour se consacrer à Dieu. Specialty Recordspubliera jusqu’en 1959 plusieurs enregistre­ments réalisés avant ce retrait. Parmi les­quels She Knows How To Rock, Whole Lotta Shakin’Goin’On (Little Richard a accepté de les enregistrer à son retour d’Australie), GoodGolly Miss Molly, Hey, Hey, Hey, Hey !, DirectlyFrom My Heart To You (à son répertoire de­puis 1952) et Kansas City.

Fin 1957, il prend des cours de théologie etde comptabilité et rencontre Ernestine Har­vin, qui sera son épouse de 1959 à 1963. Ilcommence à prêcher à partir de début 1958et ne veut plus enregistrer que des chantstraditionnels de gospel ou des composi­tions témoignant de sa foi. Plusieurs al­bums paraîtront, dont The King of The Gos­

pel Singers, pour Mercury, réédité en 1965sous le titre It’s Real.

A l’automne 1962, Little Richard acceptetoutefois de venir tourner en Europe enmême temps que le chanteur de soul SamCooke (1931­1964). Aux airs de gospel, il mêle des versions encore un peu sages deses succès.

A l’automne 1963, lors d’une autre tournéeeuropéenne, il se montre plus énergique. Il enregistre à la mi­novembre un programme pour la chaîne de télévision régionale britan­nique Granada. Cheveux courts, cravate, cos­tume sobre, accompagné du groupe Sounds Incorporated, il termine en sueur et en che­mise. L’émission « It’s Little Richard » est dif­fusée le 8 janvier 1964, puis vendue dans plu­sieurs pays dont les Etats­Unis.

Little Richard Is Back, sera le titre de l’al­bum de son retour au rock. Précédé par le45­tours Bama Lama Bama Loo (copie deTutti Frutti), qui sort chez Specialty enavril 1964, il est publié en août 1964 par lacompagnie Vee­Jay, avec une nouvelle ver­sion de Whole Lotta Shakin’Goin’On. LittleRichard Greatest Hits pour Vee­Jay, en 1965,contient douze succès d’antan réenregis­trés, dont Tutti Frutti, Long Tall Sally, Lu­cille… En octobre 1965, la ballade soul I Don’tKnow What You’ve Got (But It’s Got Me), deDon Covay (1936­2015), sera son dernier ti­tre à entrer à une place correcte, la dou­zième, dans les classements « rhythm & blues » aux Etats­Unis.

La quinzaine d’albums qui suivront pourdiverses compagnies phonographiques sontsoit des enregistrements de concerts soit desdisques en studio avec souvent d’énièmes nouvelles versions, à peine différentes, de ses tubes. Se distinguent dans cette discogra­

phie The Explosive Little Richard, chez Okeh,en janvier 1967, dans une orientation soul,comme The Rill Thing, pour Reprise Records en août 1970, et Right Now, pour United Su­perior Records en 1973.

Tout en paillettes et soieriesA défaut de disques marquants, il reste un spectaculaire homme de scène, dynamique et rageur. Sa coupe de cheveux prendra à partir du début des années 1970 des propor­tions « pompadouriennes », ses costumes sont de plus en plus tout en paillettes et soie­ries brillantes. Il joue généralement avec des orchestres de bonne qualité.

En 1977, alors que son alcoolisme, sa con­sommation de cocaïne puis d’héroïne a pris des proportions inquiétantes, Little Richard se soigne et reprend ses activités de prê­cheur. Il enregistre un disque de chants de gospel en 1979. Au milieu des années 1980, ilconcilie sa foi et la pratique du rock’n’roll. Il enregistre même un disque de chansons pour enfants façon rock’n’roll, Shake It AllAbout, publié en 1992 pour le label de la com­pagnie Walt Disney.

Moins vaillant à partir du milieu des an­nées 1990, mais encore en voix, il continuede jouer surtout aux Etats­Unis – sa der­nière venue en Europe remonte à 2005. Uneopération à la hanche gauche, en novem­bre 2009, le contraint à rester sur une chaisedevant son piano. Ladite chaise étant d’un doré éclatant, car Little Richard se devait en­core de tenir son rang. Et, si ses derniers concerts remontent à 2014, il apparaissait encore sur scène à l’occasion, pour témoi­gner de sa foi dans des églises et des émis­sions de télévision.

sylvain siclier

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Page 28: Le Monde - 12 05 2020

28 |styles MARDI 12 MAI 20200123

« il faut créer des barrières physiquesen évitant le tue­l’amour »Comment repenser le monde d’après, celui où la distanciation sociale sera la règle ? Les réponses du designer Patrick Jouin, qui propose notamment une nouvelle architecture intérieure pour hôtels et restaurants

ENTRETIEN

A uteur des premières sta­tions Vélib’, des dernièresSanisettes parisiennes et detout l’équipement des futu­

res gares du Grand Paris Express, le de­signer Patrick Jouin propose des dispo­sitifs « pragmatiques » pour le retourdes usagers dans l’espace public, à l’ap­proche du déconfinement.

Comment pensez­vous que l’on puisse restaurer la confiance des citoyens qui vont retrouver l’espace public ?

On ne reviendra pas au tempsd’avant le Covid­19 : on a mangé notrepain blanc et c’est un constat sidérant àl’échelle de la planète. Le temps que la pandémie soit jugulée, un vaccintrouvé, il y a une longue période trou­ble à gérer. Il faut réviser nos pratiques au quotidien. Quand on voyait desAsiatiques se promener dans Parisavec des masques, on pensait qu’ils seprotégeaient de nous. Alors que c’esteux – peut­être enrhumés – qui es­sayaient de nous préserver. C’est un geste de politesse, ancré dans la cultureasiatique, qu’il va falloir adopter.

A l’entrée des magasins et des cafés, ilfaut instaurer un nouveau rituel selon lequel les clients seront accueillis avec l’utilisation de gel hydroalcoolique, cette denrée rare. Et, sur leur parcours, les usagers des transports en commundevront trouver des distributeurs de ceproduit. Gel, écrans de plastique, ma­chines de distribution de masques… il

faudra voir cet arsenal pour y croire, et retrouver le chemin du centre­ville et des boutiques.

Vous avez porté à l’Elysée, avec le chef Alain Ducasse, des mesures concrètes qui pourraient permettre la réouverture des restaurants et bistrots. Quelles sont­elles ?

Avec Alain Ducasse, avec qui je colla­bore depuis plus de vingt ans, du PlazaAthénée à Paris jusqu’au tout nouveaurestaurant Blue à Bangkok, j’ai tra­vaillé sur des dispositifs de distancia­tion sociale qui soient acceptablespour les bistrotiers, les restaurateurset leur clientèle. Il a présenté mes des­sins lors d’une rencontre du présidentMacron avec un groupe de profession­nels de la restauration et de l’hôtelle­rie, vendredi 24 avril, et j’étais proba­blement le seul designer invité par ce truchement !

L’idée est qu’il faut avoir plusqu’une simple distance entre les ta­bles pour installer la confiance : il fautrecréer une architecture intérieureavec des barrières physiques les plusélégantes et légères possibles, pouréviter le tue­l’amour ou perdre l’âmedes lieux. Nous sommes dans le de­sign de bon sens, presque un non­de­sign, afin que tout le monde puisse sel’approprier.

Nous avons donc nettement délimitédes espaces pour les convives par desparavents « faits maison », mobiles ettranslucides. Ils respecteront des di­mensions imposées par les autoritéssanitaires. Les matériaux, eux, se doi­

vent d’être très bon marché et faciles à mettre en œuvre par le personnel. Lesparavents peuvent être simplement réalisés avec des châssis de peintre sur lesquels est tendu ou accroché du film transparent « cristal », celui des fleuris­tes. On peut imaginer que le cadre soit fait aussi à partir de branchages, plus poétiques. Chaque établissementmontrerait ainsi sa créativité.

Vous préconisez du « fait maison », mais pourquoi pas la 3D, vous qui avez fait appel à elle dès 2004 avec la chaise Solid, entrée dans les plus grands musées ?

Ce que nous avons esquissé, c’est unpeu la petite robe noire de Chanel oula chaise Leggera de Gio Ponti : quel­ques traits dans l’espace, tout en légè­reté, mais un accessoire indispensa­ble. Il faut inventer un design de la dis­tanciation sociale qui soit pragmati­que. Le designer se doit aujourd’hui d’être humble, pugnace, pratique. Caroui, pour la première fois, on n’a pasaccès au matériau idéal. Nous som­mes confinés. Le Plexiglas dont on faitles visières de protection est en rup­ture de stock et coûteux. Et l’impri­mante 3D ne va pas assez vite et n’estpas assez efficace. L’alternative estdonc de se tourner notamment vers ces rouleaux de film acétate qu’utili­sent les fleuristes.

On se trouve alors devant un autreproblème, écologique. Il va falloir im­pliquer la filière recyclage, puisquec’est une quantité énorme de matière plastique qu’il va falloir jeter régulière­ment, pour des raisons d’hygiène. Dans cette crise, l’accumulation desquestions est vertigineuse.

Avez­vous aussi pensé à la façon dont le service doit s’opérer ?

Oui, il faut inventer de nouvelles pra­tiques, car la distanciation sociale doit être de mise entre le personnel de cui­sine, celui de salle et les clients eux­mê­mes. En premier lieu, le nombre de couverts admissibles est calculé enfonction de la surface de la salle, et cette jauge pourra varier avec l’évolu­tion de la pandémie. Reste que la dis­tance minimale à respecter est de 5 mè­tres carrés : c’est­à­dire que chaque in­dividu devrait pouvoir tourner sur lui­même les bras écartés sans un quidamdans son sillage.

Pour deux personnes, j’ai prévuqu’une table d’appoint serve de mise à distance avec le serveur. Il va déposer

les assiettes et chaque convive se ser­vira lui­même. Au cas où une four­chette tomberait, ce qui ne manquerapas d’arriver, on y a mis des couverts desecours. Il n’y a plus de menus réutili­sables. Et quand deux convives le sou­haitent, on peut disposer entre eux un écran transparent. J’ai dessiné un cen­tre de table constitué d’un cerclage vide pour y accrocher une feuille de film cristal. On peut imaginer de le pi­quer dans un pot de terre, ou d’utiliser un autre plastique très fin, dont on faitles classeurs transparents. Autant dedispositifs que je mets à dispositionsur mon site et sur le réseau social pro­fessionnel Linkedin.

Et quid des grandes tablées ?Un repas d’affaires de dix personnes,

cela paraît aujourd’hui très compliqué à organiser. Nous réfléchissons à met­tre les convives en ligne côte à côte, plutôt qu’autour d’une grande table. Tous ces scénarios, nous allons les tes­ter dans un restaurant d’Alain Ducasse,début mai. Cette installation prototypeva permettre d’organiser au mieux le ballet des serveurs et les gestes qu’il convient d’avoir. C’est une méthodepropre au design que de maquetter, tester et corriger, jusqu’aux gestes na­turels, pour que le tout soit bien pensé,intelligent et pratique.

Vous êtes en train de dessiner ce qui pourrait être le premier hôpital de l’après­Covid­19, celui du Grand Paris­Nord, prévu à Saint­Ouen en 2028. Comment le pensez­vous à l’aune de cette pandémie ?

L’actualité nous montre à quel pointles soignants sont cruciaux. Cela rend plus viscéral le projet que je porte avec Architecture Studio et Artelia. L’hôpi­tal est un espace de travail tellementtechnique que l’on peut oublier qu’il doit aussi être agréable, voire réconfor­tant pour le personnel, de façon à atti­rer de nouvelles vocations. De mêmepour les patients.

Notre cheval de bataille est de misersur la qualité de vie pour tous les usa­gers de l’hôpital, celui qui soigne etqui est soigné, celui qui nettoie et ré­pare… Mais nous sommes, ici, en com­pétition avec trois autres candidats, dont les fameux architectes italien Renzo Piano et néerlandais Rem Kool­haas : vous comprendrez que je reste discret !

propos recueillis parvéronique lorelle

« ON SE TROUVE DEVANT UN AUTRE PROBLÈME, 

ÉCOLOGIQUE. IL VA FALLOIR IMPLIQUER

LA FILIÈRE RECYCLAGE, PUISQUE C’EST

UNE QUANTITÉ ÉNORMEDE MATIÈRE PLASTIQUE QU’IL VA FALLOIR JETER RÉGULIÈREMENT, POUR 

DES RAISONS D’HYGIÈNE »

Patrick Jouin, designer. BENOÎT LINERO

Dispositifde distanciationsociale pour caféset restaurants,présenté à Emmanuel Macron le 24 avril.PATRICK JOUIN

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Page 29: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 IDÉES | 29

Emmanuel Macron face au Covid-19 : la revanche des passions tristesLe président a cristallisé contre lui depuis deux ans un rejet tenace. Si le mouvement des « gilets jaunes » avait ébranlé les ressorts du macronisme, l’épidémie de Covid­19 les fait voler en éclats. A l’inverse de ses homologues européens, la crise sanitaire ne lui a pas permis de redresser la barre

ANALYSE

La France est la patrie des autocui­seurs à vapeur. Elle en fut l’inven­trice, puisque Denis Papin mit aupoint, en 1679, le premier appareilde ce type, muni d’une soupape desécurité et d’un couvercle bloqué

par une traverse à vis. Elle en est la cham­pionne depuis que, en 1953, sa « Super­Co­cotte » a fait de la Société d’emboutissage de Bourgogne, plus connue sous son sigle SEB, le leader mondial de ce secteur. Mieux, de­puis des lustres, la France elle­même est uneCocotte­Minute. Régulièrement, sous l’effetde températures excessives ou d’expéri­mentations hasardeuses, la marmite natio­nale produit de brusques ébullitions politi­ques ou sociales voire, si le couvercle est malajusté, de brutales révolutions.

Au­delà des précautions imposées par lasituation sanitaire, on comprend donc l’ex­trême prudence avec laquelle le gouverne­ment amorce la sortie des deux mois de confinement imposés au pays pour enrayer la pandémie de Covid­19. Le ministre de la santé, Olivier Véran, le disait le 3 mai : « Si le confinement est bien respecté jusqu’au bout, le couvercle aura été mis sur la casserole del’épidémie et nous pourrons déconfiner progressivement dans les meilleures condi­tions. » Comme chacun sait, il convient de soulever la soupape délicatement pour lais­ser s’échapper la vapeur emmagasinée,avant de desserrer le couvercle.

Affaire de doigté, donc. Et tout autant deconfiance dans le manipulateur. Le premier ministre ne s’y est pas trompé, le 28 avril de­vant l’Assemblée nationale : « Aucun plan ne permettra d’endiguer l’épidémie si les Fran­çais n’y croient pas. » Or, quoi qu’il dise et fasse et parfois même à cause de ce queministres et président disent et font, les Français n’y croient guère.

Incurie et mensongeC’est la première singularité nationale. Con­trairement à ce que l’on constate dans les pays comparables touchés par le virus, unenette majorité de Français – de 60 % à 62 % selon les enquêtes récentes d’Ipsos, d’Elabeou de l’Ifop – ne sont pas satisfaits de l’ac­tion du gouvernement contre l’épidémie et ne lui font pas confiance pour gérer efficace­ment la sortie du confinement. Pour une raison simple : plus de 70 % pensent qu’il sera incapable de rendre effectives les mesu­res qu’il a annoncées, qu’il s’agisse de la dis­tribution de masques autant que de besoinou de la réalisation de centaines de milliers de tests de dépistage.

Cette défiance à l’égard des responsablespolitiques en général et des gouvernants en particulier n’est pas une découverte. Elles’est enracinée profondément dans l’esprit des Français depuis deux décennies, au fildes présidences de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Quelles qu’aient été les circonstances, cha­cun fut jugé infidèle à ses promesses et im­puissant à résoudre les problèmes du pays.

Passé l’élan de sa victoire, EmmanuelMacron n’a pas fait mieux. Au contraire, il a cristallisé contre lui depuis deux ans un re­jet puissant, tenace, souvent vindicatif. Al’inverse de ses homologues européens, la crise sanitaire ne lui a pas permis de redres­ser la barre. Si l’on excepte un bref réflexe légitimiste à la mi­mars, il ne se trouve désormais qu’un Français sur trois ou à peine plus pour lui faire confiance.

C’est un capital d’autant plus maigre quedeux erreurs majeures ont, d’emblée, profondément choqué l’opinion publique : chacun a compris que les discours officiels sur l’inefficacité des masques ne servaient qu’à occulter leur pénurie et personne n’a compris pourquoi l’on décrétait brusque­

QUANT AUX« PREMIERS DE 

CORDÉE », ILS SONT ÉCLIPSÉS PAR LES 

PREMIERS DE CORVÉE, SOIGNANTS, 

CAISSIÈRES OU ÉBOUEURS, CES 

NOUVEAUX « HÉROS » DE LA NATION

ment la mise sous cloche de l’économie nationale un samedi soir tout en mainte­nant, le lendemain, le premier tour des élec­tions municipales. D’où les accusations d’in­curie et de mensonge. Et un degré saisissantde suspicion à l’endroit du gouvernement : 51% des Français pensent qu’il cache desinformations aux citoyens sur l’épidémie.

A la défiance s’ajoute la colère, autresingularité nationale dont on a mesuré laviolence, à l’automne 2018, avec le mouve­ment des « gilets jaunes ». Selon le baromè­tre annuel de Sciences Po, 56 % des Français assurent éprouver de la colère à l’égard de la politique du gouvernement. Certes, cette enquête a été réalisée fin janvier­début février, en pleine bataille sur la réforme des retraites. Or la crise sanitaire n’y a rienchangé. Selon une enquête complémentairemenée entre le 2 et le 7 avril, ce sentiment reste partagé par 53 % des personnes inter­rogées. Confinée depuis deux mois, la colèrecontinue manifestement à bouillonnerdans la société française.

Le cimetière des illusions perduesIl est peu probable qu’elle s’apaise dans les mois à venir, au vu de la vertigineuse dépression économique qui s’annonce : leproduit intérieur brut va chuter d’environ9 % en 2020, soit une récession trois fois plussévère qu’en 2009, au plus fort de la crise fi­nancière. Dans l’immédiat, pour éviter l’ex­plosion du chômage et des faillites en cas­cade, le gouvernement a déployé un impressionnant filet de sécurité : il a, en quel­que sorte, nationalisé les salaires de 12 mil­lions de Français en chômage technique et les comptes d’exploitation de 1 million d’en­treprises, commerçants et artisans. Une telle prodigalité ne sera pas tenable très long­temps. Ajouté à l’anxiété sanitaire, le trauma­tisme social à venir n’est pas de nature à cal­mer les esprits. C’est un euphémisme.

Défiance, suspicion, ressentiment, colère :la revanche des « passions tristes » est donc cinglante. Ces passions tristes que fustigeait le candidat Macron dans son livre­pro­gramme Révolution (XO, 2016) et qu’il se fai­sait fort de chasser, au bénéfice de « nos grandes passions joyeuses, pour la liberté, l’Europe, le savoir, l’universel ». Ce n’est pas lelieu, ici, d’entrer dans les subtilités de Spinoza, auquel le futur président faisait référence. Mais une évidence s’impose : le mouvement des « gilets jaunes » avaitébranlé les ressorts du macronisme, l’épidé­mie de Covid­19 les fait voler en éclats.

Il ne s’agit pas seulement de la « transfor­mation profonde » du pays dont Emmanuel Macron avait fait sa grande ambition et le moteur de son action. Après celle des insti­tutions, on peut sans risque prédire que la réforme emblématique des retraites va re­joindre le cimetière des illusions perdues. Au­delà, c’est la philosophie même du chef de l’Etat qui est invalidée par la crise

actuelle. « Il faut en finir avec la Républiqueinefficace », lançait­il, conquérant, auxparlementaires réunis en congrès à Ver­sailles le 3 juillet 2017.

Ce discours inaugural avait érigé le « devoird’efficacité » en principe cardinal du quin­quennat. Et, plus encore, le principe d’« effec­tivité, c’est­à­dire l’application concrète, tan­gible, visible des principes qui nous guident ». Le pouvoir exécutif peut, à juste titre, plaiderque la catastrophe sanitaire était aussi im­prévisible qu’exceptionnelle. Il n’en est pas moins comptable, selon ses propres termes, des « failles », des « ratés », des « insuffisan­ces » et des « faiblesses de notre logistique » qu’il n’a pas su prévenir.

Champion de l’efficacité, il se voulait aussile chantre de « l’émancipation » de chacun ;le voilà confronté à une exigence massive deprotection collective. Il revendiquait crâne­ment la verticalité du pouvoir central et n’a pas pris de gants, depuis trois ans, pour renvoyer les collectivités locales dans leur pré carré ; le voilà contraint d’appeler à l’aidemaires, conseils départementaux et régio­naux pour mieux gérer la crise au plus près du terrain. Quant aux « premiers de cordée », hier portés au pinacle, ils sont aujourd’huiéclipsés par les premiers de corvée, soi­gnants, caissières ou éboueurs, ces nou­veaux « héros » de la nation.

Enfin, et c’est peut­être le choc le plusbrutal, ce jeune président convaincu que « ledestin de la France est d’embrasser la moder­nité » et qui portait haut son « optimisme volontaire » doit aujourd’hui faire face, avec cette pandémie, à la crise la plus anxiogène et archaïque qui soit. Privatisée, laïcisée et comme aseptisée par la médecine depuis des décennies, la mort s’était effacée de notre imaginaire collectif ; elle resurgitsoudain comme une réalité imprévisible,terriblement contagieuse et pour l’instantnon maîtrisable par la science.

Se réinventerBref, le projet sur lequel, bon gré malgré,Emmanuel Macron a été élu il y a trois ans est désormais caduc. Il en est évidemmentconscient. Dès le 12 mars, il appelait à « in­terroger le modèle de développement dans le­quel s’est engagé notre monde depuis des dé­cennies et qui dévoile ses failles au grandjour, interroger les faiblesses de nos démocra­ties ». Le 16 mars, il l’admettait sans détour : « Beaucoup de certitudes, de convictions se­ront balayées, remises en cause ».

Le 13 avril, enfin, évoquant l’« ébranlementque nous vivons », il concluait son discourspar cette apostrophe en forme de mantrapour les semaines et les mois à venir : « Sa­chons sortir des sentiers battus, des idéolo­gies, nous réinventer – moi le premier ». Saisissante contrition de la part d’un homme qui, trois ans auparavant, voulait re­donner sens à la politique, précisément en laréidéologisant.

Se réinventer, donc. C’est­à­dire espérerque la crise actuelle, comme une ardoise magique, lui permette de s’offrir une pagevierge où tracer un nouveau dessein. Lequel préfigurerait, peut­on penser, l’architecture d’une candidature en 2022 et la perspective d’un second mandat. Le pari est énorme.

Réussir pareille mue suppose, là encore,que les Français y croient si peu que ce soit. Or il est une règle toujours vérifiée sous laVe République : l’image d’un président se cristallise en tout début de mandat – et de façon indélébile. Six mois après leur entrée à l’Elysée, Jacques Chirac était le menteur,Nicolas Sarkozy le frimeur, François Hol­lande l’amateur. Et aujourd’hui, Macron l’ar­rogant. Cruel et caricatural, sans aucun doute. Mais c’est ainsi. Un seul, François Mit­terrand, réussit à se métamorphoser, deve­nant le héraut de la « France unie » aprèsavoir été celui de la gauche anticapitaliste.

Nul doute qu’Emmanuel Macron chercheà s’en inspirer. En attestent ses appels répé­tés, depuis deux mois, à « l’union sacrée » et la « cohésion » du pays ; sans oublier « l’unionnationale », ce leurre qui ne fut posé que pour se donner le beau rôle et réserver aux oppositions le mauvais, celui de la divisionnationale. La référence mitterrandienne est plus explicite encore sur le site Internet de laprésidence de la République dont la page d’accueil s’ouvre sur cette injonction : « Dé­couvrez les visages de la France unie face à la crise ». Suit la présentation par de courtes vidéos d’une dizaine de citoyens, médecin, militaire, pharmacien, chef d’entreprise,prestataire, militants associatif ou bénévole du service civique, édifiants symboles de la mobilisation et de la solidarité.

Mais, outre qu’une telle conversion relève­rait du « miracle de la foi » comme le notait avec un humour grinçant Régis Debray dansun récent entretien au Journal du dimanche, l’actuel président ne dispose pas des atoutsde son lointain prédécesseur. A sa stature, son expérience et ses talents hors norme de prestidigitateur, Franços Mitterrand avait ajouté le bénéfice d’une cohabitation de combat avec Jacques Chirac. Elle lui permitde poser gravement en père de la nation tout en multipliant coups de griffes et em­buscades contre le gouvernement de droite. Dans les mois à venir, Emmanuel Macron risque fort de se trouver dans la situation exactement inverse : confronté à l’urgence sanitaire persistante et économique gran­dissante, harcelé par des oppositions achar­nées à l’affaiblir et sommé de tous côtés derendre des comptes sur sa gestion de la crise.

Il reste que le chef de l’Etat n’a guère d’al­ternative. Aussi mince soit sa consistance et sa crédibilité, cette stratégie de la France unie est son seul espoir de sortir de cettecrise par le haut. Et non par la porte.

gérard courtois(ancien directeur

éditorial au « monde »)

SIX MOIS APRÈS LEUR ENTRÉE À 

L’ÉLYSÉE, JACQUES CHIRAC ÉTAIT LE MENTEUR, 

NICOLAS SARKOZY LE FRIMEUR, 

FRANÇOIS HOLLANDE 

L’AMATEUR. ET AUJOURD’HUI, 

MACRON L’ARROGANT

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Page 30: Le Monde - 12 05 2020

30 | idées MARDI 12 MAI 20200123

Le confinement a ouvert des désirs sonores respectueux des santés humaine, animale et environnementale,

relève l’écologue et acousticien Jérôme Sueur, soutenu par un collectif de biologistes et de physiciens

Le confinement de notre sociétélié à la pandémie de Covid­19a créé des conditions environ­nementales exceptionnelles. Ladiminution de l’activité hu­maine a réduit le bruit de nos

machines et les sons dérangeants de nosrues. Par effet de contraste, ce quasi­si­lence humain met en valeur les sons de la nature et souligne la nocivité desbruits que nous générons en situation« normale ». Le confinement ouvre pourle jour d’après des désirs sonores respec­tueux des santés humaine, animale et environnementale.

Le bruit est une forme de pollution, aumême titre que la pollution de l’air, del’eau, du sol. Notre société produit denombreux déchets sonores : bruit destransports terrestres et aériens, desconstructions, de l’industrie, de l’agri­culture et des loisirs. Depuis 2018, l’Orga­nisation mondiale de la santé considèrele bruit comme l’un des principaux ris­ques environnementaux pour notre santé. Les bruits peuvent en effet êtretoxiques : ils fragilisent notre systèmeauditif, perturbent notre sommeil, affec­tent notre concentration et nos appren­tissages, modifient nos systèmes endo­crinien et cardio­vasculaire. Ainsi, près de onze mois de vie en bonne santé enmoyenne par Francilien seraient perdussur une vie entière.

Le bruit induit des effets délétères ana­logues chez les animaux. Le bruit mas­que les communications sonores anima­les, empêchant le transfert des informa­tions essentielles sur l’identité, laprésence, le statut des individus. En mi­lieu marin, le bruit naval et de l’exploita­tion offshore cause notamment les échouages de mammifères marins. Lebruit induit un stress chez les organis­mes jouant un rôle essentiel dans le fonc­tionnement des écosystèmes comme les décomposeurs de matière organique, les pollinisateurs ou les disperseurs de

graines, conduisant à des effets écologi­ques globaux. Le bruit appauvrit la qua­lité des paysages sonores naturels en pre­nant le pas sur les sons d’origines ani­male et végétale. Le bruit est donc unepollution aux conséquences multiples etmulti­échelles dont le coût social dé­passe très largement celui estimé pour les hommes, qui s’élevait en 2016 à57 milliards d’euros par an en France.

Difficultés auditives transitoiresLe bruit est la part non désirée de nos envies d’expansion, de déplacements, de consommation. Or, le confinement acontraint ces envies, et s’est ainsi instal­lée dans nos sociétés une forme de si­lence. Les observatoires acoustiques misen place notamment en régions pari­sienne et lyonnaise montrent une réduc­tion drastique de ce superflu sonore pou­vant aller jusqu’à 10 dB, soit des sons deux à trois fois moins forts. Les nuisan­ces sonores de l’activité navale ont égale­ment diminué en lien avec la réduction de 30 % du trafic maritime mondial.

Cependant, le confinement modifie lecadre de notre espace sonore puisque nous restons dans notre sphère privée et ne partageons plus l’espace public. Le bruit de voisinage intérieur ou extérieurdes machines de bricolage ou de jardi­nage n’a pas disparu et sa perception est parfois exacerbée, puisque le bruit du de­hors ne masque plus les sons du dedans. Le silence du confinement n’est donc pas un silence absolu, qui d’ailleurs n’est pas désiré, mais un silence en partie habité par les autres et par les sons de la nature qui se révèlent aujourd’hui.

Sur terre comme sous mer, les vocalisa­tions animales prennent une nouvelle place dans notre quotidien. Le chant des oiseaux, le vol des insectes, le bruissementdes arbres nous parviennent de nouveau. Les sons de la nature, qui ne sont pas plus intenses ou plus nombreux mais simple­ment plus discernables, ont des effets ré­parateurs sur notre santé. Ils favorisent l’agrément des lieux pouvant rendre un habitat difficile – centre­ville, parking de supermarché, aire d’autoroute – plus agréable. Il en est de même pour les ani­maux – des mouches aux baleines – qui n’ont pas connu une telle situation depuis deux cents ans. La réduction de notre bruit implique très probablement une ré­duction du stress, un gain d’énergie, une meilleure reproduction, une préservation des fonctions écologiques.

Cette situation unique nous ques­tionne sur notre rapport au bruit. Vou­lons­nous retourner vers un mondebruyant ? Comment résonnera le jour d’après ? Le bruit est l’expression de la

force individuelle, comme le démontrele bruit des véhicules : plus nous faisonsde bruit, plus nous nous pensons puis­sants. Si nous choisissons l’option éco­nomiquement logique mais écologi­quement irresponsable « business asusual », nous retrouverons une situa­tion acoustique dégradée, polluée et sanitairement mauvaise.

Pour beaucoup d’entre nous, cettepause sensorielle est une expérience rare.Les études menées en sciences de l’audi­tion suggèrent que l’importance quenous donnons inconsciemment à certai­nes informations lorsque nous écoutons un paysage sonore, naviguons ou sui­vons une conversation sera certaine­ment affectée lors du déconfinement, et que nombre d’entre nous feront l’expé­rience de difficultés auditives transitoi­res. Cela pourrait se traduire par des er­reurs d’interprétation des sons écoutés, un effort d’écoute accru au quotidien et une plus grande fatigue.

Que faire pour éviter le retour du bruit ?Le traitement de la pollution sonore est ardu : nos oreilles n’ont pas de paupières et, à l’évidence, il n’existe ni déchetteries ni recycleries sonores. La lutte contre le bruit est difficile car le son n’a pas de li­mites, pas de frontières, que celles de ses propriétés physiques. Les isolants phoni­ques sont une aide indéniable, mais leproblème est la source du bruit, nos ma­chines et nos propres comportementsparfois inadaptés.

Nous pensons que l’amélioration denos environnements sonores se fera sur­tout par une réduction des bruits de nos machines, un usage plus raisonné de cel­les­ci, une augmentation des sons de la nature et une meilleure écoute de l’autre.

Les nouvelles lignes directrices de l’Or­ganisation mondiale de la santé invitentexpressément les instances publiques àmettre en œuvre sans attendre des actions opérationnelles pour réduire le bruit dans l’environnement. En milieu marin, des normes ont été installées pro­gressivement, et des solutions existentpuisque les bateaux et les sous­marinspeuvent être furtifs. Les gouvernements ne doivent pas seulement inciter à la mise en place de ces normes mais fairerespecter et renforcer la législation.

Nos moteurs à explosion sont bruyants.Le passage à l’électrique ou à des modesde déplacement doux peut contribuer à réduire une partie du bruit en ville. En tout cas, il est évident que le bruit de nos moteurs, notamment des nouvelles gé­nérations de deux­roues, ne doit plus êtreun argument de vente. Les constructeurs doivent réfléchir à la valeur silence deleurs véhicules et promouvoir des véhi­

cules moins bruyants. Notre comporte­ment doit aussi changer en adoptant une conduite douce. La réduction du bruit passera également par une réduction des trafics de toutes formes. C’est là un vérita­ble défi, sachant que nos mouvementscollectifs seront contraints par la distan­ciation sanitaire. Le maintien du télétra­vail pourra aider à résoudre le problème.

Redonner de la place à la natureLa nature, notamment en ville, présente un double avantage acoustique. D’un côté, les plantes, des façades ou des espa­ces végétalisés par exemple, peuventcontribuer à modifier l’ambiance sonoreextérieure, grâce aux propriétés d’ab­sorption de leur substrat. D’un autre côté, redonner de la place à la nature, c’est apporter des sons des animaux etde la végétation dont les bienfaits psy­cho­acoustiques sont reconnus. La na­ture peut contribuer à la réduction dubruit et à la diffusion de sons agréables,une forme de musique apaisante gra­tuite. Introduire la nature dans les zonesartificialisées, effort relativement peucoûteux, ne peut donc qu’améliorer no­tre environnement sonore.

Il est aussi essentiel de réduire nos dé­chets sonores en promouvant les écoges­tes peu bruyants. En ville, il s’agit tout simplement de préférer la marche, le véloou toute alternative à l’utilisation d’un véhicule thermique. Dans les habitations,c’est limiter l’usage des robots, utiliserdes modes d’écoute individuels de la mu­sique aux heures tardives. A la campagne,c’est aussi repenser son rapport à lanature jardinée en lui laissant plus de liberté et donc en réduisant les défricha­ges, les tontes et les tailles bruyantes.

Cette crise nous a appris à porter unmasque pour ne pas nuire à l’autre en casd’infection, elle nous a appris à garder nos distances physiques pour éviter lapropagation du virus, elle doit nous ap­prendre à protéger l’autre de toute intru­sion sonore, en anticipant les conséquen­ces de la propagation de nos bruits. Il fautavoir conscience que la présence d’autres êtres humains autour de nous sera sym­bole de renaissance, de vie, à condition derespecter l’espace de chacun.

Avec cette crise sanitaire, il faut allerplus vite et plus loin : les régulations desactivités humaines doivent être cohé­rentes, menées de front pour l’ensemblede nos activités économiques terrestres,aériennes et marines, en les inscrivanttoutes dans un réel développement du­rable. Nous devons renforcer nos politi­ques publiques et nos comportements individuels pour ne pas aller vers la caco­phonie totale où ni les êtres humains niles animaux ne pourraient s’entendre,au propre comme au figuré. Seule uneapproche similaire à l’initiative OneHealth, qui croise les problématiques desantés humaine, animale et environne­mentale, nous permettra de vivre un jour d’après apaisé.

Jérôme Sueur est écologue et acousticien, maître de conférences à l’Institut systématique évolution biodiversité au Muséum national d’histoire naturelle de Paris ;Avec le soutien de : Olivier Adam, professeur de bioacousti-que à Sorbonne Université ; Paul Avan, physicien et médecin à l’Institut de l’audition, centre de l’Institut Pasteur ; Marion Burgess, University of New South Wales en Australie ; David Ecotière, chercheur au Cerema, directeur adjoint de l’Unité mixte de recherche en acoustique environnementale ; Catherine Lavandier, professeure en acoustique architecturale et environnementale à Cergy Paris Université ; Christian Lorenzi, professeur en psychologie expérimentale à l’Ecole normale supérieure (ENS) à Paris ; Fanny Mietlicki, directrice de Bruitparif ; Jean-Dominique Polack, spécialiste d’acoustique et professeur à Sorbonne Université

LE CHANT DES OISEAUX, LE VOL DES INSECTES,LE BRUISSEMENT DES ARBRES NOUS PARVIENNENT DE NOUVEAU. LES SONS DE LA NATURE ONT DES EFFETS RÉPARATEURS

Cette crisedoit nous apprendre

à protéger l’autrede toute

intrusion sonore

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Page 31: Le Monde - 12 05 2020

0123MARDI 12 MAI 2020 idées | 31

Qu’avons-nous appris des expériences africaines en matièrede lutte contre le VIH/sida ou Ebola ? Pas grand-chose…Les débats africains sur la santé publique sont riches d’enseignements et devraient être médités en France, estiment les anthropologues Marc-Eric Gruénais et Josiane Tantchou

En 1978, sous l’égide del’Organisation mondialede la santé, tous les Etatsreprésentés au sein des

Nations unies s’accordaient sur une déclaration, connue sous l’intitulé de « Déclaration d’Alma Ata » sur les soins de santé primaires. Elle remettait en ques­tion l’approche hospitalo­centrée qui avait prévalu jusqu’alorspour faire face aux problèmes de santé dans les pays dits « du Sud », en privilégiant la préven­tion. En 2020, face à la pandémie liée au Covid­19, qu’avons­nous retenu de cette prise de posi­tion remontant à plus de qua­rante ans ? Pas grand­chose.

Les données rapportées surla pandémie sont principale­ment hospitalières, on ne parleque des « soignants » principale­ment hospitaliers – desquels il nesaurait être question de remettre en cause le mérite – en mettanten avant les soins, tandis queles hésitations autour du portdu masque sont illustratives de l’absence d’une culture de prévention.

Dans les années 1980, la planèteétait confrontée à la flambée épidémique liée au VIH ; en

l’absence de traitement, la ques­tion du recours au dépistage comme moyen de préventiondans les pays dits « du Sud », et enAfrique en particulier, fut débat­tue. Les partisans de la nécessité de connaître son statut sérologi­que grâce au dépistage pour pré­venir l’expansion de l’épidémiel’emportèrent alors. Les person­nels de santé étaient invités à proposer systématiquement un test du VIH à leurs patients, tandis que les associationsproposaient des tests et organi­saient des campagnes de dépis­tage destinées au grand public.Les tests étaient précédés d’un« conseil » pour les faire accepteren expliquant les avantages pour soi et son entourage.

Quarante ans plus tard, face àla pandémie liée au Covid­19,qu’avons­nous retenu de cette stratégie qui n’a jamais été remise cause ? Pas grand­chose.

Les retards pour équiper lemaximum de structures en testsde dépistage, le silence sur une dotation en tests d’associationss’occupant des populations lesplus vulnérables sont illustratifsde l’absence d’une prise en compte des expériences passées.

Toujours dans les années 1980,et toujours à propos du VIH/sida sur le continent africain, on enjoignait aux personnels de santé d’utiliser systématiquementdes gants pour prendre en charge les patients dans des zones à forte prévalence. Mais ils n’avaient pas toujours à disposition des gants etprenaient quand même en charge des patients en toute méconnais­sance de leur statut sérologique, on critiquait leur désinvolture, leur ignorance des risques, on ne les applaudissait pas.

En 2020, en France, face à lapandémie liée au Covid­19,qu’avons­nous retenu de cesprises de risque identifiées et problématisées depuis une quarantaine d’années ? Pas grand­chose.

Manque de recul historiqueA la fin des années 2010, et en particulier en 2016, alors que l’épidémie d’Ebola sévissait enAfrique de l’Ouest (Guinée, Liberia, Sierra Leone notam­ment), les soignants africains payaient un très lourd tributen prenant en charge des pa­tients infectés par le virus. Les fa­milles étaient alors contraintes, après que les corps des défunts furent enterrés sans protocole,d’accepter de procéder à desenterrements dits « sécurisés », pour être présents au moment del’inhumation, sans s’exposer au risque d’infection.

Moins d’une décennie plustard, en France, face à la pandé­mie liée au Covid­19, qu’avons­nous retenu de ces dispositions ? Pas grand­chose.

L’information sanitaire est unvrai casse­tête. Les chiffres n’ontpas de valeur absolue et défini­

tive, mais relative, voire indica­tive, et rapportée à leurs condi­tions de recueil. De quoi une per­sonne est­elle morte ? Comment peut­on identifier les causes d’une infection en l’absence de tests appropriés ?

Dans les pays dits « du Sud »,et les pays africains en particu­lier, il est d’usage de critiquer la qualité de l’information sanitaire (personnel non formé, absence de confirmation sérologique, formulaire non adapté ou in­disponible…) pour arguer dela validité relative des statis­tiques sanitaires.

En 2020, en France, face à lapandémie liée au Covid­19, on a tardé à inclure les données pro­venant des Ehpad dans les statis­tiques. Les « causes de la mort » en effet ne sont guère standar­disées : comment faire la diffé­rence entre un décès lié à une pneumopathie et un décès lié au Covid­19 en l’absence d’un test pratiqué lorsqu’il y a un décès à domicile ? Les analyses prove­nant par exemple de l’Insee se multiplient pour inviter à la pru­dence à propos de l’interpré­tation des données surtout hos­pitalières. Qu’avons­nous appris

des critiques, quant à la qualité del’information sanitaire produitepar les établissements de santé sur le continent africain ? Pas grand­chose.

Face à ces quelques rappels(d’autres l’ont fait avant nous, dans d’autres domaines), on ne peut qu’être interpellé par lesdébats dominants actuels quimanquent de recul historique et qui ne prennent pas en compte les réflexions qui ont ir­rigué les débats de santé pu­blique sur le continent africaindepuis au moins une quaran­taine d’années, et conduit à desmesures efficaces.

L’Afrique a des leçons à donnerà la France.

Marc-Eric Gruénais est anthropologue à l’université de Bordeaux ; Josiane Tantchou est anthropologue au CNRS. Tous deux sont chercheurs à l’unité de recherche Les Afriques dans le monde, spécialistes des systèmes de santé en Afrique

David Le Breton Le port du masque défigure le lien socialDerrière la nécessité sanitaire de nous protéger, nous perdrons notre singularité et le plaisir de regarder les autres, relève le sociologue

La crise sanitaire bouleverse en pro­fondeur nos rites d’interaction. Lesgestes barrières mettent à distancele corps de l’autre en rendant sus­

pecte une présence trop rapprochée, et davantage encore la poignée de main ou la bise, qui imposent un contact. Le déconfinement n’éliminera pas la poi­gnée de main, qui est d’un usage trop cou­rant. Certes, dans un premier temps, il la limitera, mais sans en venir à bout car après tout, en cas de doute, il est loisible de se laver les mains. Une fois la menace disparue, la poignée de main reprendra ses droits. De même la distance sociale s’effacera. La bise est plus compromise, dans la mesure où elle impose une proxi­mité des visages et une difficulté plus grande à effacer les traces du contact en cas de crainte d’une éventuelle contagion.Et puis, la bise s’accompagne souventd’une incertitude (une fois, deux fois, trois, quatre ?), et elle impose une intimitéqui n’est pas toujours de mise.

Mais plus encore, nos échanges quoti­diens seront mis à mal par le port du masque qui uniformise les visages en les rendant anonymes et défigure le lien social. Après le déconfinement, le mas­que sera obligatoire dans les transportsen commun et vivement conseillé dans l’exercice professionnel en contact avecles autres, voire dans les commerces ou dans la rue. Cette dissimulation du vi­sage ajoutera au brouillage social et à la fragmentation de nos sociétés. Derrière les masques, nous perdons notre singu­larité, mais aussi une part de l’agrément

de l’existence de regarder les autresautour de nous. En termes d’interaction, nous entrons dans une phase de limina­lité, c’est­à­dire d’entre­deux, où les co­des manquent, et il faudra les réinventer.

Voie royale de l’individualitéDans nos sociétés contemporaines, le visage est le lieu de la reconnaissance mutuelle. A travers sa nudité, nous som­mes reconnus, nommés, jugés, assignés à un sexe, à un âge, une couleur de peau, nous sommes aimés, méprisés, ou ano­nymes, noyés dans l’indifférence de la foule. Entrer dans la connaissance d’autrui implique de lui donner à voir et àcomprendre un visage nourri de sens et de valeur, et faire en écho de son propre visage un lieu égal de signification et d’in­térêt. La réciprocité des échanges au sein du lien social implique l’identification et la reconnaissance mutuelle des visages, support essentiel de la communication.

Les mimiques indiquent la résonancede nos paroles, elles sont des régulateurs de l’échange. L’unicité du visage répondà celle de l’individu, artisan du sens et des valeurs de son existence, autonome

et responsable de ses choix. Nul espace du corps n’est plus approprié pour mar­quer la singularité de l’individu et lasignaler socialement. La valeur à la fois sociale et individuelle qui distingue levisage du reste du corps se traduit dans les jeux de l’amour par l’attention dont ilest l’objet de la part des amants. Mais ilen va de même de la contemplation denos proches : le visage est le chiffrerayonnant de leur présence.

Le visage est signification, traduisantsous une forme vivante et énigmatique l’absolu d’une différence individuelle pourtant infime. Ecart infinitésimal, il in­vite à comprendre le mystère qui se tient là, à la fois si proche et si insaisissable. L’étroitesse de la scène du visage n’est en rien une entrave à la multitude des com­binaisons. Une infinité de formes etd’expressions naissent d’un alphabet d’une simplicité déconcertante : des mi­miques, un regard, un front, des lèvres, un nez, etc. Le visage relie à une com­munauté sociale et culturelle par le façonnement des traits et de l’expressi­vité, ses mimiques et ses mouvements renvoient à une symbolique sociale, maisil trace une voie royale pour démarquer l’individu et traduire son unicité.

Un sentiment propice à la transgressionPlus une société accorde de l’impor­tance à l’individualité, plus grandit la valeur du visage. Légitime au plan de lasanté publique dans le contexte ducoronavirus, le masque abîme les rela­tions sociales et prive de l’agrément duvisage des autres. Le prix à payer estconsidérable en matière de lien social, même s’il est nécessaire.

Sans visage pour l’identifier, n’importequi a la possibilité de faire n’importe quoi, la confiance en sera sans douteébranlée. Un individu masqué devient

invisible. Nul ne saurait le reconnaître. Le front et les yeux ne suffisent pas pour l’identifier dans une foule où chacun porte le même masque. Pour fonder lelien social, la singularité des traits estessentielle afin d’assumer sa présence « face » aux autres.

Un monde sans visage, dilué dans lamultiplicité des masques, serait un monde sans coupables, mais aussi sansindividus. Roger Caillois évoquait autre­fois le masque en disant laconiquementde lui qu’il est « ce qui reste du bandit ».On peut en effet penser que le port dumasque facilite les rapports de force, leharcèlement, les incivilités. L’efface­ment du visage grâce à ce stratagème entraîne un sentiment propice à latransgression, au transfert de personna­lité. Il libère des contraintes de l’identitéet laisse s’épanouir les tentations quel’individu a coutume de refouler, ouqu’il découvre à la faveur de cette expé­rience où il n’a plus de comptes à rendreà son visage. Il n’a plus à craindre de nepouvoir se regarder en face et de répon­dre de ses actes puisqu’il dérobe son vi­sage à son attention et à celle des autres.

Cette banalisation du masque, quiinduit un anonymat généralisé, est unerupture anthropologique infiniment plus lourde de sens que la mise en question de la poignée de main ou de labise. Même le sourire ne les rempla­cera pas, puisqu’il n’y aura provisoire­ment plus de visage.

David Le Breton est professeur de sociologie à l’université de Strasbourg. Il a notamment écrit « Des visages. Essai d’anthropologie » (Métailié, 2003)

UN MONDE SANS VISAGE, DILUÉ DANS LA MULTIPLICITÉ DES MASQUES, SERAIT UN MONDE SANS COUPABLES, MAIS AUSSI SANS INDIVIDUS

EN 1978, SOUS L’ÉGIDE DE L’OMS,LA « DÉCLARATION D’ALMA ATA » PRIVILÉGIAITLA PRÉVENTION DANS LES PAYSDITS « DU SUD »

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Page 32: Le Monde - 12 05 2020

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L es travailleurs de l’ombrevont­ils retrouver l’om­bre ? Les premiers de cor­vée demeurer à la traîne

des « premiers de cordée », portés au pinacle par Emmanuel Ma­cron ? Le startupeur éclipser denouveau l’éboueur ? Le coronavi­rus finira par disparaître. Reste­ront ces jours de souffrance col­lective et ces mots de reconnais­sance tombés d’en haut pour féli­citer, comme le président de la République, ceux qui ont « tenu » le pays au pire de l’épidémie. Des hommes – et surtout des femmes – que « nos économies re­connaissent et rémunèrent simal » : aides­soignants, livreurs,chauffeurs, caissières, manuten­tionnaires, aides à domicile, auxi­liaires de vie, agents d’entretien…

La reconnaissance des Françaisleur est acquise, à l’unanimité dessondages. Ils les ont même élevés au rang de « héros du quotidien », comme pour se débarrasser de lavilaine culpabilité de les avoirtrop longtemps ignorés. A l’unis­son de M. Macron, et dans un folélan d’empathie, ils ont adopté l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du ci­toyen de 1789 : « La distinction so­ciale ne peut être fondée que surl’utilité commune. » Quelle bonne fortune, quand ces millions de personnes souffraient jusqu’à présent d’un discrédit social,pensant parfois exercer « un mauvais emploi » jusqu’à en per­dre l’estime de soi !

Tout espoir de revalorisationest­il perdu ? Laurent Berger, secré­taire général de la CFDT, propose de « revoir les classifications profes­sionnelles » et de « mieux prendre en compte certaines compétences, liées à une utilité sociale élevée ». Lepremier syndicat français ne parle plus de pouvoir d’achat, comme laCGT et FO, mais de « pouvoir de vivre », comme les écologistes et Nicolas Hulot, qui défend aussi une « revalorisation des métiers vi­taux ». La sociologue Dominique Méda insiste sur la reconnais­sance du rôle central des femmes.Le libéral Alain Minc, inoxydable conseiller du prince, plaide pour un « Grenelle des bas salaires », autrement dit une grand­messe à la mode d’antan.

BipolarisationTrois obstacles de taille risquent pourtant de doucher les espoirsdes soutiers de l’économie. Le premier est imposé par la situa­tion. Des entreprises de toutes tailles sortent étrillées par deux mois d’arrêt d’activité. Avec la fin progressive du financement du chômage partiel (30 milliardsd’euros) prévue le 1er juin, elles en­trent dans la zone de tous les dan­gers. Il faut s’attendre à des failli­tes et à une envolée du chômage en 2020 et 2021. Le premier tri­mestre en a donné un avant­goût : le secteur privé a accusé une perte nette de 453 000 em­plois. Pour le patronat, qui parle de « travailler plus », la relance de l’activité est plus urgente que la hausse des bas salaires de ceux qui étaient « au front ».

Le deuxième obstacle est inscritdans le système économique. A moins de le repenser, il resteralargement fondé sur la producti­vité, qui rémunère mieux les emplois à valeur ajoutée que le travail peu qualifié, même à forte

utilité sociale. Jusque dans les an­nées 1970, le grand « déverse­ment » historique de la force detravail des champs vers les usi­nes, et des usines vers les servi­ces, décrit par Alfred Sauvy, a été source de progrès social. L’écono­miste en a conclu que la machine ne tue pas le travail et qu’« il existetoujours une solution de plein­em­ploi ». Mais quel emploi ?

Sa mort, en 1990, coïncide avecle début d’une bipolarisation du marché du travail : d’un côté, des personnes qualifiées dans les nou­velles technologies, la finance, le droit ou la santé ; de l’autre, des travailleurs peu ou pas formés, et sans perspective de progression professionnelle, dans l’aide à la personne, la logistique, le com­merce ou l’hôtellerie­restauration.Au milieu, les catégories intermé­diaires, qui tournent autour du salaire net médian (1 800 euros) et qui ont formé la classe moyenne souvent issue des classes populai­res, se sont atrophiées, éliminées par la technologie.

Cette fracture creuse les inégali­tés de salaires, amplifiées par la concentration croissante des pa­trimoines. Au sein des pays riches de l’OCDE, le salaire par tête dans les services domestiques s’élève àun peu plus de la moitié (54 %) du salaire moyen de l’industrie et à 40 % de celui perçu dans les nou­velles technologies, qui gagnent à grande vitesse tous les secteurs de l’industrie et des services. Ce qui n’empêche pas la prolifération des« boulots à la con », inutiles voire néfastes, décrits par l’anthropolo­gue américain David Graeber dansBullshit Jobs (Les Liens qui libèrent,2018). Parfois bien payés, ceux qui les occupent « souffrent d’un terri­ble manque de sens, couplé à un sentiment d’inutilité sociale ».

Le troisième obstacle est le plusdifficile à franchir : changer le re­gard que les élites politiques et économiques, et une partie de la société, portent sur ceux qui ont « tenu » la France. Répondre à leursattentes, c’est les connaître et les reconnaître. M. Macron a invité lesFrançais à « se réinventer ». « Moi le premier », a­t­il dit. En est­il capa­ble ? L’historien Gérard Noiriel note que, dans son livre­pro­gramme, Révolution, le futur pré­sident accorde « une large place à l’histoire, mais aucune aux classes populaires », sources de problè­mes, « les seules ressources étant plutôt du côté de la classe moyenneéduquée, soit son propre milieu ».

Le président peut­il les recon­naître et même davantage : leur accorder une compréhension bienveillante, comme le sociolo­gue Pierre Sansot a su le faire dans Les Gens de peu (PUF, 1991) ?« L’expression me plaît, écrit­il. Elleimplique de la noblesse (…). Sans doute vaut­il mieux manifester dela grandeur dans le peu que demeurer indécis, épais, risible, in­capable d’un beau geste dans l’aisance. » Ces gens­là ne télétra­vaillent pas, rivés à leur ordina­teur. Ils étalent encore moinsleurs états d’âme de confinés dans les gazettes depuis leur ap­partement parisien ou leur rési­dence normande. Ils manifestent,humblement, leur « grandeur » à hauteur d’homme.

C hi va piano va sano », dit l’adage ita­lien pour conseiller la lenteur à quiveut atteindre son but. La prudence

s’impose à l’évidence dans l’activa­tion des politiques de déconfinement qui, comme en France à partir du lundi 11 mai, sont mises en œuvre dans de nombreux pays après une éprouvante période de confinement. La diminution de la morta­lité due au Covid­19 et l’apaisement de la tension sur les hôpitaux permettent dedesserrer l’étau. Le creusement des inégali­tés sociales et scolaires, le risque de dépres­sion collective et la nécessité de la repriseéconomique l’exigent.

Pourtant, à l’heure où chacun aimeraittourner la page, il est clair que nous en som­mes loin, tant sont nombreuses les incerti­

tudes qui subsistent sur le comportement du SARS­CoV­2 et sur notre capacité à en­rayer l’épidémie autrement que par des me­sures de confinement. Ni le mode précis de contamination ni l’intensité exacte de sa cir­culation ne sont connus. Pas plus que l’im­portance des enfants dans la transmission du virus, ou le rôle de la température am­biante dans son activité. Même la fameuse « distance de sécurité » entre individus n’est pas certaine. Alors que l’Italie ou le Royau­me­Uni recommandent 2 mètres, l’Allema­gne se contente de 1,5 mètre et la France de 1mètre, conformément aux recommanda­tions de l’Organisation mondiale de la santé.

De nombreux pays du monde parviennentdes messages d’avertissement : nouveaux foyers de contamination en Chine, à Wuhan et près de la frontière russe ; réapparition de l’infection dans des bars de nuit de Séoul(Corée du Sud) ; flambée de nouveaux cas en Russie et au Brésil, pays qui pourrait devenir en juin le nouvel épicentre de la pandémie ; augmentation en Allemagne du « taux de re­production » qui mesure la vitesse de conta­gion ; nouvelles alertes en France dans la Vienne et en Dordogne. Partout, la reprise dela vie sociale, des échanges, de la circulation et la réouverture des frontières se présen­tent comme de terribles défis.

Nous vivons « sur une fine couche deglace », a résumé justement la chancelière allemande Angela Merkel. Les opinions pu­

bliques, inquiètes de la possible survenue d’autres vagues épidémiques, alarmées par ces nouvelles du monde pour le moins in­certaines, tirent les dirigeants vers la pru­dence. Ainsi, 76 % Français pensent que le déconfinement « doit être mené lente­ment », selon un sondage Ifop. Au Royau­me­Uni, le remplacement du slogan « res­tez à la maison » par un énigmatique « res­tez vigilants » annoncé dimanche par lepremier ministre britannique, Boris John­son, alors que le pays enregistre la pire mortalité d’Europe, fait grincer des dents.

Jamais les responsables politiques, soustoutes les latitudes et quelle que soit leurobédience, n’ont eu à gérer au même mo­ment une agression aussi pernicieuse etimprévisible, dont les seules parades con­nues, en paralysant l’activité, risquent de multiplier les ravages. Raison de plus pour prendre le temps d’écouter humblement les citoyens et tout faire pour gagner ou conserver leur confiance. Raison de plus pour travailler dès maintenant à tirer les le­çons – sur l’organisation des systèmes de santé et de gestion internationale des pan­démies, sur la place des travailleurs de« première ligne » dans la société, sur les chaînes d’approvisionnement, entre autres– d’une crise inédite avec laquelle nous al­lons devoir vivre durablement, qu’il s’agisse de son impact sanitaire ou de ses dégâts économiques.

ÉCONOMIE  |   CHRONIQUEpar jean­michel bezat

L’éboueur et le startupeur

NOTRE SYSTÈME RÉMUNÈRE MIEUX LES 

EMPLOIS À VALEUR AJOUTÉE QUE CEUX À 

FORTE UTILITÉ SOCIALETirage du Monde daté dimanche 10­lundi 11 mai : 164 352 exemplaires

LE TEMPS LONG DU DÉCONFINEMENT, UN DÉFI MONDIAL

ILS NE TÉLÉTRAVAILLENT PAS, 

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