Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    MERCREDI 13 AVRIL 201672E  ANNÉE – NO 22159

    2,40 €  – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR ―

    FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

     Algérie200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA,  Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €,  Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA,  Slovénie 2,70 €,  Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF,  Tunisie 2,80 DT,  Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA

    CDD : Valls fâche le patronat sans calmer les jeunes▶ Pour se concilier la jeu-nesse opposée à la « loi tra-vail », Manuel Valls a prisle risque de s’aliéner le pa-tronat en annonçant lundila surtaxation des CDD

    ▶ La CGPME dénonce « uncoup de poignard dansle dos ». Le Medef fustigela création d’« une nou-velle taxe pour chaqueproblème rencontré »

    ▶ La CFDT regrette que« la loi vienne interférerdans la négociation »,alors que les partenairessociaux négocient la nou-velle convention Unedic

    ▶ De leur côté, les étu-diants de l’UNEF appellenttoujours à manifester,jeudi 28 avril,aux côtés des syndicatsLI RE LE C A HI ER ÉC O PA G E 4

    QUANDLA DGSEESPIONNAITLE RIVALDE GUÉANT

    Les deux candidatsde droite, à Boulogne-Billancourt, le27 mai 2012. THOMAS SAMSON/AFP

    ▶ Le futur députéThierry Solèrea été surveillé par laDGSE, lors des légis-latives de 2012 dansles Hauts-de-Seine

    ▶ Il se présentaitcontre ClaudeGuéant, alorsministre de l’inté-

    rieur, qui démenttoute responsabilitédans cette affaire

    FRANCE - LI RE PA G E 8

    LA CROIX-ROUGEMANIPULÉEle cabinet Mossack Fonsecaproposait à ses clients de dissi-muler leur fortune dans unefondation au nom de la Croix-Rouge, qui n’en savait rien.

    « Comme les banques sontaujourd’hui tenues d’obtenirdes informations sur les bénéfi-

    ciaires économiques finaux, écrivait le cabinet panaméen ,nous avons mis en place cettestructure désignant l’Interna-tional Red Cross. Comme ça,c’est plus simple. »

    Le Comité international de laCroix-Rouge (CICR) a décou-vert la supercherie avec stupé-faction. Le nom du WWF, quilutte pour la protection de lanature, a également étéusurpé.

    LI RE PA G E 7

    Panamapapers

    SCIENCE & MÉDECINE▶ Alimentation :la guerre del’étiquetageet les pressionsde l’industrie▶ Vers des tests

    ADN pour tousSUPPLÉMENT

    Cahier du «Monde »N o221 59daté Mercredi13 avril2016 - Ne peut être venduséparément

    Médecine:destestsADNpourtous?Enretarddansledomaineduséquençageàhautdébit,laFranceprévoitdedéployerlagénomiquemédicale

    danssonsystèmedesoins.Quelssontlesbénéficesattendusetquelssontlesrisques?Décodage.PA G E S 4- 5

    Lemésencéphaled’AlphaGoS

    ienmarsdernierAlanTuring,lepèredel’infor-matique,avaitassistéautournoientreAlphaGo,leprogrammedeGoogleDeepMind,etLeeSedol,lechampionsud-coréen,ilauraitcertai-

    nementpusedireque,malgrésavictoireécrasante,AlphaGon’estpasencoreprèsdecomprendrecequeSedolaressentiàl’issuedesadéfaite.Ensera-t-ilcapa-bleunjour?Pourl’instant,l’intelligenced’AlphaGos’estattachéeàreconnaîtredesformescomposéesdepetitespierresnoiresetblanchesposéessurunegrille,etnonlesémotionsquisedessinentsurunvisagehumain.Maisl’étenduedesdéfisquepourrarelevercetypedelogicielsembletrèslarge,carAlphaGonemisepasquesurlarapiditéetlamémoirepourparcourirlesmillionsd’optionsstockéesdanssesarbresdedécision.Aladifférencedesprécédentesgénérationsdelogicielsconçuspouraffronterlesgrandsmaîtresinternationaux,onl’aéquipédeméthodesd’appren-tissageinspiréesdecellesutiliséesparlecerveaubiologiqueetdontlerôleaétédécisifdanssonsuccès.

    L’intelligenceartificielles’intéressedepuislongtempsauxprocessusd’apprentissagenaturelspourrésoudre

    desproblèmesdifficilesdereconnaissanceetdeclassi-fication.Undialogues’estd’ailleurstisséaufildesansentrelemondedumachinelearning(«apprentissageautomatique»)etlesneurosciencesthéoriquesetex-périmentales.Leschercheursdecesdivershorizonssesontpenchésnotammentsurl’apprentissageparren-forcement.Cemécanismeestbienconnudescompor-tementalistes.Ils’agitdel’établissement,paressaiseterreurs,d’associationsentreuncontexteouunétatan-técédentetuneactiondevantaboutiràunnouvelétat.

    C’estcequipermetàunratdelaboratoired’appren-drelecheminconduisantaumorceaudefromagedansunlabyrinthe.Leprocessuspeutêtremodélisépardesalgorithmesprobabilistesquivisentàproduiredesprédictionsoptimalesd’étatsfuturs.L’opérateurquirenforcel’association(entrelepointd’entréedanslelabyrintheetlaséquencededéplacement)estunsignald’erreurdeprédictionderécompense.Cesignalestmaximallorsquel’actiongénèresapremièrerécompense(lemorceaudefromage)etchangedyna-miquementaveclarépétitiondelamêmeactionsuiviedelamêmerécompense.Orplusieurséquipes,

    dontcelledeWolframSchultz,del’universitédeCambridge,ontmontréquedesneuronesdumé-sencéphalequiutilisentladopaminecommeneuro-transmetteurémettentprécisémentcetypedesignalchezdesanimauxentraind’effectuerdestâchesd’apprentissage.Cesneuronesfontpartied’unréseaudestructurescérébralesincluantaupremierchef lesganglionsdelabaseetdontl’importancedanslesprocessusdemotivationetd’apprentissageparren-forcementaétédémontréepournotreespèceaussi.

    Lastratégieemployéepourentraînerlesréseauxdeneuronesartificielsd’AlphaGoaconsistéàluiinculquerd’aborduneconnaissancefinedujeuparappren-tissagesupervisé.Puisàutiliserl’apprentissageparrenforcementpourqu’ilapprennetoutseul–danslestermesmêmesdufondateurdeDeepMindDemisHassabis–àorientersesactionsversleseulobjectif valide:gagnerdesparties.EngreffantunsystèmederécompenseàAlphaGo,sescréateursmontrentainsique,insilico(d’aprèsmodèleinformatique)comme invivo,l’évolutiondel’intelligenceconserveetrecyclelesmécanismeslesplusarchaïques.p

    STÉPHANE KIEHL

    PORTRAITVÉRONIQUE IZARD

    OULE SENSDESMATHSPAGE 7

    ANTIQUITÉLA ROUTE D’HANNIBAL TRAHIE

    PARLE CROTTIN DE CHEVAL→PAGE 3

    LOBBYSCOMMENT L’INDUSTRIE FREINE

    L’ÉTIQUETAGE ALIMENTAIRE→PAGE 2

    carte blanche

    AngelaSirigu

     Neuroscientifique,directricedel’Institutdesciencecognitive Marc-Jeannerod,départementneuroscience(CNRS-universitéLyon-I)

    France Télévisions Crise ouverte

    entre Michel Field et la rédaction

    L e directeur exécutif chargéde l’information de FranceTélévisions aurait retiré, àla demande de l’Elysée, deuxnoms de la liste des six Françaisqui devaient interroger FrançoisHollande, jeudi 14 avril . Si Mi-chel Field admet avoir effective-ment écarté ces deux témoins, ilaffirme en avoir pris la décisionseul. L’ancien journaliste estégalement accusé d’avoir en-

    voyé le « conducteur » de l’émis-sion à l’Elysée.

    Une polémique qui intervientaprès la participation de M. Fielddimanche à une émission de Ca-nal+, au cours de laquelle il amultiplié les provocations àl’égard de la rédaction de FranceTélévisions. Le directeur de l’in-formation a depuis reconnu« des maladresses ».

    →  LI RE LE C A HI ER ÉC O PA G E 8

    TRISTAN PAVIOT / FRANCE TV

    Le livre « Rose Marine » raconte l’offensivede Marine Le Pen auprès de la communautéhomosexuelle. Près du tiers des couples gaymariés ont voté FN aux régionalesLI RE PA G E 9

    PolitiqueLe FN séduit l’électorat gay

    Economie« Partenariatstratégique » entreVivendi et la FnacLI RE LE C A HI ER ÉC O PA G E 3

    CultureLe tableau dansle grenier est-ilbien un Caravage ?LI RE PA G E 1 7

    Pédophilie : l’Eglise de Francedemande pardon aux victimes

    par MGR  GEORGES PONTIER

    L’archevêque de Marseilleexprime son « écouterespectueuse » et sa « demandede pardon », au nom de la Con-férence des évêques de FranceLI RE D ÉB A TS P. 2 0 ET P. 1 1

    1 ÉDITORIAL

    LE TÊTE-À-QUEUEDE LA « LOI TRAVAIL »LI RE PA G E 2 2

    Roscoe Arbuckle, le créa-teur de « Fatty » (« PetitGros »), est l’un des grandsgénies du burlesque amé-ricain des années 1920.Trois de ses filmsressortent en salles.CULTURE  - LI RE PA G E 1 4

    Cinéma« Fatty »,le rival oubliéde Charlot   art

    brussels

    Tour & Taxis

    From Discovery to Rediscovery

    22 – 24 avril

    Vernissage 21 avril

    www.artbrussels.com

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    beyrouth - correspondant

    La trêve en Syrie n’a jamaisautant ressemblé à unsimple bout de papier.Alors que les négocia-

    tions entre belligérants doiventreprendre mercredi 13 avril àGenève, le niveau de violence, quiavait sensiblement baissé depuisla proclamation de la cessationdes hostilités le 27 février, est re-parti en flèche.

    La reprise des opérations terres-tres concerne surtout le nord dupays, notamment Alep, dont loya-listes et insurgés se disputent lecontrôle depuis bientôt quatre

    ans. Le largage de barils explosifssur la deuxième ville de Syrie,l’une des tactiques emblémati-ques de la répression aveugle or-chestrée par le régime de BacharAl-Assad, a recommencé diman-che 10 avril, après un mois et demide répit. Le même jour, le premierministre syrien, Waël Al-Halki, adéclaré que les troupes progou-vernementales se préparaient àdonner l’assaut aux quartiers re-belles d’Alep, avec l’aide de l’avia-tion russe. « Le cessez-le-feu est sur le point de s’effondrer », s’est alar-mée Bassma Kodmani, responsa-ble de l’opposition syrienne, dans Le  Journal du dimanche.

    Opposition sceptique

    Soucieux de ne pas être mis en ac-cusation à Genève, Moscou s’estpermis de contredire son allié.

    Lundi, le général Sergueï Rudskoï,membre de l’état-major russe, a af-firmé que les opérations en coursautour d’Alep ne visent qu’à proté-ger les lignes de ravitaillement dessecteurs occidentaux sous con-trôle du régime, menacées, selonlui, par le déploiement, en lisièrede la métropole, de 10 000 com-battants du Front Al-Nosra, labranche syrienne d’Al-Qaida, ex-clue, tout comme l’organisationEtat islamique (EI), de l’accord decessation des hostilités parrainépar les Etats-Unis et la Russie.

    Ce démenti de Moscou n’a pasrassuré l’opposition syrienne,

    sceptique sur la capacité duKremlin à modérer à long termel’ardeur guerrière de BacharAl-Assad. A la mi-février, avant de

    se rallier à la trêve sous la pressionde son protecteur russe, le prési-dent syrien avait proclamé qu’ilambitionnait de reconquérir l’in-tégralité du territoire syrien, nonseulement les portions sous la fé-rule des djihadistes, mais aussicelles aux mains des rebelles.

    C’est cependant à l’initiative duFront Al-Nosra que les combatsont repris, il y a une dizaine dejours. Le 1er avril, ses combattants,en partenariat avec d’autres bri-

    gades rebelles, s’étaient emparésde la colline d’Al-Eis, un secteurstratégique, au sud d’Alep, quisurplombe l’autoroute vers Da-mas. Depuis cette date, les affron-tements font rage avec les trou-pes prorégime, menées par lesmiliciens du Hezbollah libanaiset des forces spéciales de l’arméerégulière iranienne, récemmentdépêchées de Téhéran. Selon lachaîne de télévision libanaiseAl-Mayadine, des colonnes dechars et de troupes équipées delance-roquettes multiples ont étérécemment vues se dirigeantvers Alep.

    A l’intérieur de la ville, de vio-

    lents combats ont opposé ces der-niers jours les rebelles aux forceskurdes, retranchées dans le quar-tier de Cheikh Maksoud, situé enlisière de la route de Castello, ledernier axe de ravitaillement desinsurgés. En représailles à des tirsde snipers sur cette artère vitale,les rebelles ont bombardé la zonekurde au mortier, faisant des vic-times civiles. Dans les montagnesdu djebel Akrad, au nord-ouest, etdans la plaine du Ghab, au nord de

    Hama, les violences sont égale-ment reparties à la hausse. Cessecteurs, qui commandent l’accèsà la plaine côtière, une région es-sentielle à la survie du régime As-sad, étaient déjà le théâtre decombats acharnés avant la procla-mation de la trêve.

    Pour le Front Al-Nosra, ce nou-vel embrasement constitue unebonne nouvelle. La reprise desmanifestations pacifiques antiré-gime et le regain de mobilisationpopulaire, permis par la relativeaccalmie depuis la fin février,contrariaient les plans de cegroupe. Dans la province d’Idlib(nord-ouest), qu’ils s’efforcent de

    transformer à petits pas en leurémirat, les djihadistes avaient étéexpulsés de rassemblementsprorévolution qu’ils tentaient debriser.

    Harcèlement des zones rebelles

    « Nosra a entamé à la mi-mars un processus de discussions destiné àconvaincre les groupes d’opposi-tion de reprendre le combat contrele régime, soutient Charles Lister,analyste au Middle East Institute.

    Les débris d’unavion du régimesyrien, abattule 5 avril par leFront Al-Nosra,dans la régiond’Al-Eis, dansle nord du pays.OMAR HAJ KADOUR/AFP

    Pour les

    djihadistes du

    Front Al-Nosra,

    le nouvel

    embrasement

    constitue

    une bonne

    nouvelle

    autres formations rebelles faitque de nombreux civils ont ététués dans ces frappes menéessous couvert de lutte contre lesdjihadistes.

    L’une des violations les plus fla-grantes de la trêve est survenue le31 mars, lorsque l’aviation sy-rienne a pilonné la ville de DeirAs-Safir, dans la Ghouta, la ban-lieue orientale de Damas, tuant33 personnes, dont 12 enfants.« Lerégime veut éliminer toute formede vie dans les zones libérées, c’est son objectif de long terme, accuseAdelkader, un militant révolu-tionnaire, joint par Skype à l’inté-rieur d’Alep.  Il n’attendait qu’une

    excuse pour repartir à l’assaut. »L’opposition aurait tout à perdred’un effondrement définitif de latrêve. Profitant du gel des frontsavec le régime, des brigades rebel-les ont en effet repris une ving-taine de villages aux djihadistesde l’EI au nord d’Alep. Mais, lundi,signe de leur résilience, les djiha-distes ont lancé une contre-offen-sive et récupéré une partie du ter-rain perdu.p

    benjamin barthe

    l’émissaire de l’onu  pour la Syrie,Staffan de Mistura, n’hésite pas à quali-fier de « cruciale » la nouvelle phase depourparlers qui doit s’ouvrir mercredi13 avril, à Genève. Les discussions vont,

    en effet, « se concentrer sur la transition politique, sur la gouvernance et sur les principes constitutionnels », a précisélundi, lors d’un passage à Damas, le maî-tre d’œuvre de ces négociations indirec-tes. Jamais jusqu’ici les représentants durégime et ceux de l’opposition n’ontparlé autour de la même table. Mais ceredémarrage risque d’être lent.

    Si l’opposition sera présente dès mer-credi, la délégation de Damas n’arriveraque deux ou trois jours plus tard àcause… d’élections législatives qui se tien-nent, mercredi, dans les zones contrôléespar le régime. En décidant de reprendreles pourparlers ce jour-là, M. de Misturaaffiche clairement son refus de prendre

    en compte un tel scrutin verrouillé par lepouvoir. La négociation est aussi mena-cée par l’intensification des affronte-ments sur le terrain et le risque d’unenouvelle offensive sur Alep qui mettent à

    rude épreuve la trêve imposée depuis le27 février. « Ce sont des provocations vi-sant à pousser l’opposition à la faute et àquitter les négociations, mais ses princi- paux dirigeants politiques sont conscientsde ce risque », souligne-t-on à Paris.

    La précédente phase des négociations,entre le 14 et le 24 mars, s’était achevéesans avancées majeures. M. de Misturaavait néanmoins remis aux deux déléga-tions un texte synthétisant en douzepoints les principes communs qu’ellesavaient acceptés, tels l’intégrité territo-riale syrienne et la souveraineté du pays,la lutte contre le terrorisme, le retour desréfugiés et même un quota de 30 % defemmes en politique. Mais aucune men-

    tion n’était faite du sort du président Ba-char Al-Assad, ni même de la créationd’une autorité de transition, qui restentles principaux points de blocage de ceprocessus parrainé par Moscou et

    Washington. Se référant aux engage-ments des conférences de Genève I et deGenève II et de la résolution 2254 duConseil de sécurité de l’ONU de décem-bre 2015 préconisant « une gouvernancecrédible inclusive et non sectaire », l’oppo-sition, avec le soutien de Paris et théori-quement de Washington, exige la miseen route du processus de transition.

    « Le régime veut gagner du temps »

    « Cela implique une autorité de transi-tion dotée des pleins pouvoirs, y comprisceux du président Assad »,  précise Bas-sma Kodmani, porte-parole du HautComité des négociations représentantl’opposition.

    Pour le régime, c’est hors de question,comme le rappelait encore, début avril,M. Assad dans une interview à l’agencerusse Sputnik : « Rien dans la Constitutionsyrienne, ni dans aucune autre, ne corres-

     pond à un“organe de transition”. C’est undiscours illogique et inconstitutionnel (…). C’est pourquoi la solution est celle d’un gouvernement d’union nationale qui pré- parera la nouvelle Constitution. » Damasy intégrerait quelques opposants triéssur le volet. « Des discussions sur une nou-velle Constitution sont un moyen pour lerégime d’éluder le sujet principal – la créa-tion d’une autorité de transition – et de gagner du temps alors qu’il reprend lesbombardements sur les populations civi-les avec des bari ls d’explosif »,  accuseMme Kodmani, qui dénonce « l’impuis-sance de la mission américano-russe char- gée de la surveillance du cessez-le-feu ». p

    marc semo

    Un nouveau cycle de négociations s’ouvre à Genève

    La trêve en Syrie plus fragile que jamaisLes combats ont repris à Alep, la deuxième ville du pays, à la veille de nouvelles discussions à Genève

    Rakka

    Deir ez-Zor

    Homs

    Hama

    Idlib

    SYRIE

    TURQUIE

    IRAK

    JORD.

    IRAK

    LIBAN

    Damas

    Alep

    100 km

     Les combats au sud d’Alep repré-sentent une victoire dans ses ef- forts visant à saper le processus politique et à rétablir des condi-

    tions plus favorables à sa stratégiede long terme en Syrie. »Mais le regain de violences a

    aussi été alimenté par le harcèle-ment constant des zones rebellespar les forces prorégime. Si lesopérations terrestres avaient qua-siment cessé entre le 27 février etl’attaque du 1er avril sur Al-Eis, lesbombardements aériens, eux,n’avaient fait que décliner. L’en-chevêtrement des positions duFront Al-Nosra avec celles des

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    0123MERCREDI 13 AVRIL 2016 international | 3

    Pour l’OTAN, c’est le som-met de tous les pièges

    possibles, ceux de la divi-sion, de la surenchère ou

    de la fuite en avant. A Varsovie, les8 et 9 juillet, les 28 Etats membresde l’Alliance atlantique devront af-fronter des questions lourdesqu’ils avaient mises de côté cesdernières années. Comment ré-pondre à la pression exercée parVladimir Poutine aux portes del’Europe ? Et plus précisément :face à une Russie qui a remisl’arme nucléaire au cœur de sadoctrine sécuritaire en promet-tant de l’employer dans des « guer-res locales », que vaut la dissuasionportée par les « P3 », les trois puis-sances dotées que sont les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ?

    Redevenu incontournable, le su-jet avait opposé la France à sespartenaires, l’Allemagne notam-

    ment, au sommet de Lisbonne de2010, dominé par les projets amé-ricains de bouclier anti-missile,que certains voyaient comme unsubstitut à la dissuasion nu-cléaire. Lors des sommets de Chi-cago en 2012, concentré sur le plande sortie d’Afghanistan, et du Paysde Galles en 2014, focalisé sur leréarmement conventionnel del’OTAN, la question de la stratégienucléaire avait été maintenue àl’arrière-plan.

    « Le poutinisme va durer »

    Les conclusions de la réunion deVarsovie, la première à se tenirdans un pays de l’ex-bloc soviéti-que, sont très loin d’être écrites,mais les réflexions sont lancéesdans les cercles d’experts. « Nousavons depuis 2010 une stratégie quiignore tout simplement la menace

    russe et le sujet nucléaire a disparudu langage de l’OTAN », a résumélundi 11 avril Brad Roberts, ex-con-seiller du ministère américain dela défense lors du premier mandatde Barack Obama, qui intervenaitlors d’une réunion organisée auCERI-Sciences Po à Paris. A Varso-vie, juge cet expert, « le débat cen-tral sera de savoir s’il faut ou non

    une réponse symétrique à la pos-ture nucléaire russe ».

    Ne rien faire serait envoyer unmessage politique de fa iblesse ;trop en faire reviendrait à diviserdavantage l’Alliance. Une discus-sion entre les P3 pour renforcer ladissuasion en Europe s’impose,ajoute M. Roberts, car « nous pou-vons prévoir un scénario princi- pal : Poutine, ou plutôt le pouti-nisme, cette “nouvelle normalité”,va durer ».

    Face à des scénarios plus locaux,plus complexes d’emploi del’arme nucléaire, les pays del’OTAN doivent repenser leursstratégies en évitant deux pièges,estime, côté français, Nicolas Ro-che, directeur de la stratégie à ladivision des applications militai-res du Commissariat à l’énergieatomique (CEA) : « Celui d’unenouvelle guerre froide sur le thème

    “même problèmes, mêmes solu-tions”, et celui d’une rupture avecles concepts développés par le passé, qui peuvent être utiles. » La« dissuasion élargie », concept quela France n’apprécie guère quandil relativise la place de l’arme nu-cléaire, mais aussi la « guerre nu-cléaire limitée », que Moscou envi-sage avec l’emploi possible d’ar-mes tactiques, doivent faire l’ob-jet de réflexions renouvelées.

    L’Alliance   « doit être plus con- fiante dans ses valeurs et sa capa-cité d’adaptation », estime KoriSchake, une ancienne responsabledu Conseil de sécurité nationaleaméricain sous la présidence deGeorge W. Bush. Moscou« sait tirer  parti d’une position faible : la Russiese repose sur ses armes nucléairesen raison de son incapacité à se re- poser sur ses armes conventionnel-

    les », l’écart étant trop grand avec lapuissance américaine dans ce do-maine. Cette spécialiste admet quel’OTAN « n’a pas répondu »  auxmanœuvres russes en Géorgie ouen Ukraine. Mais elle tempère lescraintes des Etats baltes et de la Po-logne, convaincus que la Russiepourrait les envahir en quarante-huit heures : « Je ne pense pas que

    les Russes seraient gagnants dansune stratégie d’escalade. »

    La stratégie russe est pensée entrois étapes, corrige Brad Roberts :« Créer un fait accompli en pensantque nous ne serons pas prêts à payer le prix d’un retour à la situa-tion antérieure. Puis séparer les al-liés européens des Etats-Unis en les faisant réfléchir au coût addition-nel d’une riposte commune. Et si

    l’OTAN était toujours décidée à res-taurer la souveraineté d’un de sesmembres, menacer d’une attaquenucléaire et conventionnelle. » Dans ses guerres locales, Moscouimpose une « asymétrie d’enjeux » :l’arme nucléaire sert à convaincreque ses intérêts vitaux sont encause, en Crimée ou ailleurs, ce quin’est pas le cas de l’OTAN.

    La voie diplomatique est la seulesolution pour les pays baltes, es-time Beatrice Heuser, professeurà l’université de Reading auRoyaume-Uni : « La Russie essaiele jeu de la guerre froide, il faut cas-ser la perception de cette confron-

    tation. » Pour éviter le risque d’unmalentendu qui dégénérerait enescalade militaire, les membresde l’Alliance « doivent réaffirmerles “trois non” inscrits dans l’acteOTAN-Russie de 1 997 », défend-elle : pas de besoin, pas d’inten-tion, pas de plan pour déployerdes armes nucléaires et des trou-pes aux frontières avec la Russie.

    « Assurer la crédibilité »« Les armes nucléaires étaient plusau cœur de la dissuasion pendantla guerre froide, et les sanctions éco-nomiques sont ce qui a le mieux fonctionné en Ukraine », juge Mal-colm Chalmers, du Royal UnitedServices Institute (RUSI) de Lon-dres. Lui préconise d’investir dansles capacités « anti-accès » (par

    exemple les systèmes anti-missi-les) et de renforcer les coopéra-tions avec la Suède et la Finlande.

    La voie moyenne à laquelle estcontrainte l’OTAN n’est pas aisée.A Varsovie, il faudra afficher lapoursuite des mesures de « réas-surance » des alliés de l’est et desengagements de long terme, es-time Kori Schake : « Pour assurerla crédibilité de notre dissuasion,

    nous devons déjà déployer des ar-mes dans les pays où nous noussommes engagés à le faire, dépen-ser 2 % de notre PIB pour la dé- fense, et être sûrs que nous nousdéfendrons selon nos principes. »Au premier rang desquels la soli-darité entre tous, prévue à l’arti-cle 5 du traité de Washington.p

    nathalie guibert

    Kerryévoque la venue d’Obama à HiroshimaLe président américain pourrait faire le déplacement après le sommet du G7, organisé au Japon

    tokyo - correspondance

    Après John Kerry, BarackObama ? La possibilitéd’une visite à Hiroshima

    du président américain semble sepréciser au lendemain de celle deson secrétaire d’Etat. Présent les10 et 11 avril dans la première villeayant subi un bombardementatomique pour la réunion deschefs de la diplomatie des pays duG7, M. Kerry a déposé des fleursdevant le cénotaphe érigé enhommage aux victimes du6 août 1945, avant de visiter lemusée dédié à la catastrophe.

    John Kerry s’est dit « profondé-ment ému » devant la« puissance »du lieu. « Cela nous rappelle avec force et dureté que nous avons nonseulement l’obligation de mettreun terme à la menace des armesnucléaires, a-t-il écrit dans le Livre

    d’or du musée , mais aussi quenous devons tout faire pour éviter la guerre ». Ancien combattant dela guerre du Vietnam, M. Kerryreste favorable à toute politiquefavorisant le désarmement.

    Après sa visite au musée, il a en-couragé M. Obama à faire le dépla-cement dans cette ville du sud-ouest du Japon. « Tout le mondedevrait venir à Hiroshima, a-t-ildéclaré. Un jour, j’espère que le pré-sident fera partie de ce “tout lemonde”.»  Du point de vue japo-nais, de tels propos semblentconfirmer la venue de M. Obama,même si M. Kerry a pris soin de

    préciser que la décision dépendde multiples facteurs, notam-ment d’un « agenda complexe ».

    Selon plusieurs sources, dontl’édition du 9 avril duWashington Post, une telle visite pourrait avoirlieu après le sommet du G7 quisera organisé les 26 et 27 mai au Ja-pon. M. Obama passerait quel-ques heures à Hiroshima, où ilprononcerait un discours. Côtéjaponais, on laisse déjà entendreque des responsables des servicessecrets sont attendus sur place

    avant la fin avril pour évaluer lasécurité du site.

    Plusieurs éléments plaidentpour cette visite. Dès sa premièreannée de mandat, Barack Obamaavait affiché l’ambition d’œuvrerpour un monde sans arme nu-cléaire. Le discours envisagé à Hi-roshima reprendrait les thèmesde celui prononcé à Pragueen 2009, l’une de ses premièresgrandes allocutions sur la politi-que étrangère, lorsque le diri-geant américain avait appelé à enfinir avec les armes nucléaires.

    La question des arsenaux ato-miques a occupé une place im-

    portante dans les discussions des

    ministres du G7, qui ontégalement abordé les tensions enAsie de l’Est depuis le dernier es-sai nucléaire nord-coréen, et dé-noncé « toute action intimidantecoercitive ou provocatrice unilaté-rale qui pourrait altérer le statuquo et faire monter les tensions » ,une référence à la situation enmer de Chine qui a suscité lacolère de Pékin.

    Dans la « déclaration d’Hi-roshima » adoptée à la fin des en-tretiens, ils constatent les « sérieuxdéfis » qui menacent la « commu-nauté internationale, au niveau ré- gional et mondial dans le domainede la non-prolifération et du désar-mement » et s’engagent notam-ment pour « le désarmement nu-cléaire et la non-prolifération, la sû-reté nucléaire » et « les usages pacifiques de l’énergie nucléaire ».

    Marquer les esprits

    Le sommet du G7 de mai devraitêtre la dernière venue au Japon deM. Obama en tant que président.Il pourrait vouloir marquer les es-prits en appelant de nouveau de-puis Hiroshima à l’abandon desarmes nucléaires mais irait-il jus-qu’à présenter des excuses ? Laquestion ne semble pas évoquée.D’après l’entourage de John Kerry,qui a été interrogé à ce sujet, ni legouvernement japonais ni lesassociations de « hibakushas », lessurvivants du bombardementatomique, n’insistent sur ce point.

    Très engagés pour la suppres-

    sion des armes nucléaires, leshibakushas comptent surtout surla venue de responsables de paysdotés de telles armes pour qu’ilsconstatent les effets de cesbombes et s’engagent pour unavenir dénucléarisé.

    M. Obama avait évoqué dès2009 la possibilité de se rendre àHiroshima. « Je serais honoré d’yêtre invité »,  avait-il déclaré. Enseptembre de la même année,selon les documents diplomati-ques révélés par WikiLeaks, legouvernement japonais avaitjugé « prématuré »  pourM. Obama de profiter d’une vi-site au Japon deux mois plus tardpour se rendre à Hiroshima.

    La décision de M. Obama restesuspendue aux réactions auxEtats-Unis à la visite de M. Kerry.Les déclarations du camp républi-

    cain et des vétérans sont redou-tées, en pleine campagne pour laprésidentielle de novembre.

    La venue de Barack Obamapourrait être considérée commede la faiblesse par un camp peuenclin à la  « diplomatie de larepentance ».

    Selon un sondage abondam-ment repris par la pressejaponaise, près de 60 % desAméricains considèrent toujoursque le recours à la bombeatomique a permis d’accélérer lafin de la guerre et d’épargner lavie de nombreux soldats.p

    philippe mesmer

    Des soldatslettons lorsd’un exercicede l’OTAN, enoctobre 2014.INTS KALNINS/

    REUTERS

    La dissuasion nucléaire au menu de l’OTANFace à la Russie, le sommet de Varsovie, en juillet, abordera des sujets stratégiques écartés ces dernières années

    La Russie livrerait desmissiles S-300 à l’IranLe contrat de 700 millions d’euros, jusqu’alorssuspendu, porte sur un système antiaérien

    L a Russie a-t-elle commencéà livrer les premiers élé-ments de son système demissiles antiaériens S-300 à l’Iran,qui les attend depuis près de neufans ? Le vice-premier ministrerusse Dimitri Rogozine a con-firmé le début de ce processusdans un entretien à la radio Echode Moscou, lundi 11 avril. « Nousagissons en conformité avec lestermes du contrat. Ils paient, nousvendons. Nous avons déjà com-mencé », a-t-il déclaré, refusant depréciser quels éléments pour-raient avoir déjà été expédiés,comme d’entrer dans le détail lo-gistique de l’opération.

    L’Iran maintient quant à lui

    l’ambiguïté sur cette livraison,que la Russie a annoncée commeimminente à plusieurs reprisesdepuis un an. Un porte-parole duministère des affaires étrangèresiranien avait annoncé lundi le dé-but d’une « première phase », alorsque des vidéos non authentifiéesde convois militaires pour partiebâchés, filmées par des automo-bilistes, avaient circulé dans lamatinée sur le réseau social Tele-gram. Israël s’était vivement op-posé à la livraison de ces missilesdurant la crise nucléaire. Les auto-rités américaines, également cri-tiques quant à ce contrat d’arme-

    ment, ont déclaré par le passéavoir intégré depuis longtemps lalivraison de S-300 à l’Iran dansleurs plans militaires.

    La Russie avait suspendu ce con-trat de 800 millions de dollars(700 millions d’euros) en septem-bre 2010, peu après le vote de la ré-solution 1929 du Conseil de sécu-rité de l’ONU, qui visait à restrein-dre les livraisons d’armes à Téhé-ran, en pleine crise nucléaireiranienne. L’Iran avait saisi la Courinternationale d’arbitrage à Ge-nève en réclamant 4 milliards dedollars. Lundi, Dimitri Rogozine aestimé que la livraison annoncéedevait mettre fin à ce contentieux.

    Le président russe, Vladimir

    Poutine, avait relancé le contratpar décret en avril 2015, immédia-tement après la conclusion d’unaccord intérimaire sur le nucléaireiranien entre Téhéran et le groupe« G5 + 1 » (Etats-Unis, Russie,France, Royaume-Uni, Chine et Al-lemagne), qui ouvrait la voie à l’ac-cord définitif adopté en juillet àVienne. Ce dernier a permis la le-vée d’une large part des sanctionséconomiques internationalesadoptées contre le pays depuis dixans, et laissé espérer à l’Iran la pos-sibilité de moderniser son maté-riel militaire vieillissant.p

    louis imbert

    « Tout le monde

    devrait venirà Hiroshima »

    JOHN KERRY 

    secrétaire d’Etatdes Etats-Unis

    « Nous avons,

    depuis 2010,

    une stratégie

    qui ignore

    tout simplement

    la menace russe »

    BRAD ROBERTS

    ex-conseillerde Barack Obama

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    4 | international MERCREDI 13 AVRIL 20160123

    La jeunessesud-coréenne

    cherche sa placeen politiqueLa campagne des législatives n’a pasrépondu au désarroi des plus jeunes

    tokyo - correspondance

    Des droits, dont celui devivre leur vie. Tel estce qu’une trentaine dejeunes réclamaient

    lors d’un rassemblement, lesamedi 9 avril, à Gwanghwamun,à deux pas de la mairie de Séoul.

    « Nous voulons l’abaissement del’ âge du droit de vote de 19 à 18 ans,a précisé au  Monde  Gonghyun(pseudonyme), leader de l’asso-ciation de défense des droits desjeunes Asunaro et très actif sur lesréseaux sociaux.  Nous voulonsaussi le droit de participer à desactivités politiques. »  A quatrejours des législatives du 13 avril,c’est un modeste rassemblement.Mais le mécontentement de lajeunesse sud-coréenne se mani-feste plutôt en ligne.

    Si les collégiens et lycéens ontparticipé au mouvement pour ladémocratie dès les années 1960,toute activité politique, ou adhé-sion à un parti, leur est interdite.Participer à des mouvements degrève peut empêcher de trouverun travail. « C’est écrit dans les rè- glements des écoles », précise Gon-

    ghyun, qui a abandonné des étu-des à la prestigieuse université deSéoul par opposition au systèmeéducatif et qui a passé plus d’unan en prison pour avoir refusé defaire son service militaire.

    « Si on ne fait pas attention, tout a l’air paisible,  estime ce jeunehomme aux cheveux longs et auxpetites lunettes rondes.  Maisbeaucoup de collégiens et de ly-céens ne sont aujourd’hui pas sa-tisfaits de leur vie, ils s’affirment etabandonnent leurs études. »

    De fait, le militant constate, de-puis une dizaine d’années, unevolonté croissante d’exprimer des

    opinions politiques, en partieparce que les gouvernementssuccessifs semblent brider de plusen plus les libertés. Le présidentconservateur Lee Myung-bak(2008-2013) et l’actuelle diri-geante, Park Geun-hye, égale-ment conservatrice, ne cessent derenforcer les législations considé-

    rées comme liberticides. Ainsi dela loi contre le terrorisme, votéeen mars et qui donne de nou-veaux pouvoirs au service natio-nal de renseignement (NIS),souvent critiqué pour sa proxi-mité avec la mouvance conserva-trice et pour son ingérence dans lavie politique du pays.

    Des punitions physiques

    L’administration Park veut parailleurs modifier les contenus desmanuels scolaires, les trouvanttrop « à gauche », voire ostensible-ment « pro-Nord-Coréens ». Lecamp conservateur critiquenotamment la présentation de laguerre de Corée (1950-1953) ou del’idéologie nord-coréenne isola-tionniste dite du « juche ». « Nousne pouvons pas enseigner à nosenfants une histoire biaisée »,

    martèle le premier ministreHwang Kyo-ahn.

    Ces débats irritent les jeunes. Ilss’ajoutent pour eux à des problè-mes de fond, à commencer par lesdiscriminations envers les élèvesen échec scolaire, les homo-sexuels, ou encore selon le niveaude richesse. Le mécontentementse fait entendre contre un sys-tème qui oblige à passerquinze heures par jour en cours.« Nous étudions comme des fous »,regrette un élève du lycée pourgarçons Hongil de Mokpo (sud-ouest), qui dénonce la persistancedes punitions physiques malgré

    société. Selon un sondage de dé-cembre 2015, du quotidien  Han-kyoreh, 22,8 % des jeunes dans lavingtaine veulent quitter le pays.Ils se disent las d’une sociétéhyperconcurrentielle. Beaucoupn’hésitent plus à parler d’un « HellJoseon » (« Enfer de Joseon », dunom de la dernière dynastie ayantrégné dans la péninsule, entre1392 et 1910).

    Les aspirations à une viemeilleure des jeunes ne semblentguère préoccuper les candidatsaux législatives, ouvrant peu deperspectives d’amélioration. Lacampagne s’est focalisée sur les

    questions économiques, mais ellea surtout été marquée par les dé-chirements au sein des grandesformations.

    Côté majorité, le Parti Saenuride Park Geun-hye s’est divisé surle choix des candidats. MmePark avoulu imposer ses fidèles, s’alié-nant une partie de son camp. S’ilespérait la majorité absolue des300 sièges de l’Assemblée natio-nale, le Saenuri ne table plus quesur 135 élus, contre 152 dans l’As-semblée sortante. De quoi pertur-ber les ambitions de la présidenteà un an et demi de la fin de sonmandat. Le tapage orchestré

    autour de l’annonce, le 11 avril, dela défection d’un officier des ren-seignements nord-coréens et, le8 avril, pour celle de treize em-ployés d’un restaurant nord-co-réen de Chine pourrait ainsi avoirvisé à redorer l’image du Saenuri.

    La situation n’est guère plus fa-vorable pour l’opposition. Placé àla tête d’une structure chargée depréparer le scrutin pour le partiMinjoo par son président, MoonJae-in, Kim Jong-in, un économisteayant pris ses distances avec lecamp conservateur après avoir tra-vaillé avec le président autoritaireChun Doo-hwan (en poste de 1981

    à 1988), puis avoir contribué à lavictoire de Park Geun-hye en 2012,a suscité de vifs débats dans leparti. « Il ne pense qu’au pouvoir »,lui reproche-t-on en interne.

    Ce rejet profite aux partis plusmarginaux. Le Parti du peuple,créé en janvier par Ahn Cheol-soo,un homme d’affaires ayant faitfortune dans les nouvelles tech-nologies et qui a rompu avec leparti Minjoo, pourrait créer la sur-prise. Les derniers sondages luiaccordaient 16 % des intentionsde vote, une progression de sixpoints en un mois.p

    philippe mesmer

    Affiches des candidats aux élections législatives dans le centre de Séoul, le 8 avril. KIM HONG-JI/REUTERS

    l’interdiction officielle, et l’ab-sence de droits, comme celuid’avoir des cheveux longs. « Nousn’avons aucun bon souvenir de nos

    années d’adolescence. »La lassitude est accentuée par la

    difficulté à trouver un emploi. LaCorée du Sud est confrontée à untaux de chômage des jeunes enhausse, à 12,5 % en février. Cettesituation accentue la mise encause du système scolaire qui per-mettait autrefois à tout diplôméd’université de s’insérer facile-ment dans la vie active, ce quijustifiait l’investissementconsenti par les familles. Ellesconsacrent jusqu’à 10 % de leursrevenus à l’éducation.

    Ce désarroi incite à militer et ali-mente une forme de rejet de la

    La grogne se fait

    entendre contre

    un système

    qui oblige

    à passer

    quinze heures

    par jour en cours

    La junte militaire thaïe traqueles bols rouges

    bangkok - correspondant

    L a façon originale dont l’ancien premierministre thaïlandais Thaksin Shinawa-tra, déposé par l’armée en 2006, envoieses vœux, vient d’être contrecarrée avec unepresque comique célérité par la junte militaireau pouvoir alors que se préparent les festivitésde Songkran, marquant le passage à la nou-velle année dans le calendrier bouddhiste.

    Réaction qui a consisté, une fois de plus, à« surréagir » à une provo-cation somme toute asseznégligeable de l’ex-chef dugouvernement et bêtenoire du palais, de l’arméeet des principales institu-

    tions : Thaksin avait faitenvoyer, comme chaqueannée, des bols de couleursang de bœuf, celle dumouvement des « chemi-ses rouges » qui l’avaient

    jadis soutenu après son éviction ; bols quiservent à s’asperger mutuellement d’eau,comme le veut la tradition durant les troisjours que durent les fêtes du Nouvel An thaï(du 13 au 15 avril).

    La phrase écrite sur les bols a été interprétéecomme un message politique par les galon-nés au pouvoir, qui ont aussi renversé en 2014le gouvernement de Yingluck Shinawatra,petite sœur de Thaksin : « La situation est  peut-être chaude, mais vous pourrez vous ra-

     fraîchir grâce à l’eau contenue dans les bols. » La réaction ne s’est pas fait attendre : le 3 avril,les militaires ont effectué une descente cheztrois anciens députés du Pheu Thaï, le parti deThaksin, confisquant quelque 8 000 bols !

    Tout aussi absurde et moins cocasse est l’in-culpation pour « sédition » d’une dame de57 ans, Theerawan Charoensuk : son « crime »est d’avoir diffusé sur Facebook une photod’elle devant le portrait de Thaksin et de Yin-gluck à côté du fameux bol rouge… Elle risquesept ans de prison.

    Le premier ministre, le général PrayuthChan-ocha, a estimé que montrer de tellesphotos est un acte condamnable. « N’est-ce pas un soutien apporté à un homme qui aenfreint la loi et a fui ? », s’est-il exclamé. Thak-

    sin Shinawatra est en exil à Dubaï depuis2008. Il était poursuivi pour abus de pouvoiret corruption. Il a été condamné à deux ans deprison par contumace et n’est jamais revenuen Thaïlande.

    La dernière opération d’autopromotion del’ex-premier ministre intervient alors que lessignes de durcissement du régime se multi-plient : dernier exemple en date, l’annoncepar le chef de la junte que les militaires à par-tir du grade de sous-lieutenant seront désor-mais investis de pouvoirs de police. Ils aurontainsi le droit d’effectuer des fouilles chezl’habitant sans mandat et de prendre des déci-sions individuelles « pour anticiper ou empê-cher » que se commettent des crimes. p

    bruno philip

    LA PHRASEÉCRITE SURLES BOLS A ÉTÉ

    INTERPRÉTÉECOMME UN MES-SAGE POLITIQUE

    R OYAUME-UNIPlusieurs responsablespolitiques publientleur dclaration d’impôtDans la foulée du premierministre David Cameron, plu-sieurs responsables politi-ques britanniques ont publié

    leur déclaration d’impôt,

    lundi 11 avril. Il s’agit notam-ment de son ministre des fi-nances George Osborne, dumaire de Londres Boris John-son, et du chef de l’opposi-tion travailliste JeremyCorbyn. Le premier ministre

    avait publié la sienne en ré-

    ponse au scandale autour deses parts dans une sociétéoffshore détenue par sonpère. – (AFP.)

    MAR OCDeux homosexuelsrelâchs par la justiceLa justice marocaine a décidélundi 11 avril de remettre enliberté deux hommescondamnés pour homo-sexualité en première ins-tance, après avoir été agressésdébut mars. La cour d’appelde Beni Mellal a relâché lapremière victime et la tribu-nal de première instance acondamné la seconde à qua-tre mois de prison avec sursispour « déviance sexuelle ».Deux de leurs agresseurs ontété condamnés à 4 et 6 mois

    de prison ferme. – (AFP.)

     YÉMENLes combats continuentmalgr la trêveDes combats entre forcesloyalistes et rebelles pro-ira-niens ont éclaté dans la nuitdu lundi 11 au mardi 12 avrildans certaines régions duYémen, malgré un cessez-le-feu décrété depuis dimanchesoir. « La cessation des hostili-tés semble tenir globale-ment », a toutefois estimélundi un porte-parole del’ONU. – (AFP.)

    LE CONTEXTE

    ÉLECTIONSLe scrutin législatif du mercredi13 avril doit permettre de dési-gner les 300 élus de l’Assembléenationale sud-coréenne, dont253 à la majorité et 47 à la pro-portionnelle. Au total, 944 can-didats, dont seulement 100femmes, sont en lice pour unmandat de quatre ans. Le scru-tin s’annonce serré et menaced’entraver l’action de la prési-

    dente Park Geun-hye, à moinsde deux ans de la fin de sonmandat. Son ambition de réfor-mer la Constitution l’a incitée àtout faire pour imposer les can-didats les plus fidèles. Cette ré-forme semble désormais im-possible à réaliser, l’appui desdeux tiers des parlementairesétant nécessaire pour la faireadopter.

    Mercredi 13avrilà 20h30

     JulienDRAYInvité de

    Emission politique présentée par Frédéric HAZIZAAvec :Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN etYaël GOOSZ

    sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhoneet iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.

    www.lcpan.fr

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    0123MERCREDI 13 AVRIL 2016 international | 5

    Le processus de destitution de « Dilma » a commencéL’ancien président Lula s’est jeté dans la bataille pour éviter l’impeachment, voté lundi en commission

    Sao Paulo - correspondante

    Pour sauver sa prési-dente, il a convoqué Zolaet son « J’accuse… ! » JoséEduardo Cardozo a pris

    un ton solennel pour dénoncer cequi représente à ses yeux une at-taque faite à la démocratie brési-lienne : la menace d’impeach-ment (procédure de mise en accu-sation et de destitution) de DilmaRousseff pour un motif, selon lui,fallacieux. « Il n’y a pas eu faute, iln’y a pas eu crime (…). L’histoire ne pardonnera pas les auteurs et coauteurs d’une violation de l’Etatde droit », a plaidé l’ancien minis-tre de la justice, qui assurait la dé-fense de la présidente brésilienne.

    Son éloquence n’aura pas suffi àconvaincre la majorité dessoixante-cinq membres de lacommission chargée d’analyser la

    procédure lancée contre DilmaRousseff, accusée d’avoir embelliles comptes publics. Lundi 11 avril,trente-huit ont voté en faveur desa destitution, vingt-sept contre.

    La première étape du processusvisant à éloigner du pouvoir laprésidente, membre du Parti destravailleurs (PT, gauche), avant lafin de son second mandat, estdonc franchie. Sans surprise. Lesproches de Mme Rousseff et de sonmentor, l’ex-président Luiz InacioLula da Silva (2003-2010), n’atten-daient guère un vote favorable.

    Les militants du PT fondentmaintenant leurs espérances sur

    le vote en assemblée plénière dela Chambre des députés, prévuentre vendredi 15 et dimanche17 avril. « Nous avons plus que desespoirs, l’impeachment est désor-mais improbable ! », assure-t-on àl’Institut Lula. Pour démettre laprésidente, une majorité des deuxtiers des députés est requise, soit342 voix, avant le vote au Sénat. Ace jour, selon le décompte du quo-tidien  Estado de Sao Paulo,298 députés seraient en faveur dudépart de la présidente contre 119.Reste une petite centaine d’indé-cis devenus l’objet de toutes lesconvoitises.

    Postes à pourvoir

    Depuis des semaines, Lula, ardentdéfenseur de Dilma Rousseff,tente de les convaincre de rester

    fidèles au PT. Encore auréolé del’héritage économique et socialde ses deux mandats, l’anciensyndicaliste aurait, selon lapresse, installé son QG à l’HôtelRoyal Tulip de Brasilia, non loinde l’Alvorada, la résidence deDilma Rousseff. « Un bunker. Onlaisse son téléphone à l’entrée, et les premiers mots de Lula aupr èsde ses invités sont : “Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?” », croitsavoir une source à Brasilia. Là dé-fileraient devant l’ancien prési-dent les députés perplexes ou op-

    portunistes auxquels seraient of-ferts ici un poste au sein du futur

    gouvernement, là une promessed’amendement favorable à leurcirconscription… « On entre dansle dur. Ça devient très cru », affirmecette même source.

    Charmeur, habile tacticien, Lulaprofite, notamment, de l’appeld’air laissé par le Parti du mouve-ment démocratique brésilien.Sentant le vent tourner, la forma-tion centriste a décidé fin marsd’abandonner le PT, son ancienallié. Les postes qu’il occupait hiersont à pourvoir. Le pouvoir depersuasion de l’ancien ouvriermétallurgiste semble porter desfruits, redonnant espoir aux pro-ches la présidente, que certainsavaient tôt fait d’enterrer. « Cechangement de perspective, on ledoit à Lula,  explique-t-on dansl’entourage de la présidente. Il a

    des qualités personnelles que n’a pas Dilma Rousseff. »L’ancien président a d’autant

    plus de force qu’en dépit des soup-

    çons de corruption et malgré l’af-faire « Lava Jato », cette enquête

    sur le scandale des appels d’offrestruqués du groupe pétrolier Pe-trobras qui entache son parti, ilreste un homme populaire. Selonun sondage de l’institut Data-folha, réalisé les 7 et 8 avril, Lulaobtiendrait entre 21 % et 22 % desscrutins, devant ou juste derrièrela candidate écologiste MarinaSilva (entre 19 % et 23 %), lors de laprésidentielle de 2018.

    « Lula représente plus que le PT. Les Brésiliens votent pour une per-sonne, et Lula incarne encore une présidence marquée par la crois-sance économique et le progr ès so-cial », observe Cristiano Noronha,vice-président du cabinet d’analy-ses politiques Arko Advice. L’ex-président profite aussi d’un pay-sage politique o, hormisMme Silva, aucun protagoniste

    n’échappe vraiment au discréditlié à la multiplication des affaires.Fin négociateur politique à

    Brasilia, Lula cherche aussi à char-

    mer l’homme de la rue ; dans leNordeste, à Fortaleza, o il s’estrendu en début de mois, comme àRio de Janeiro, lundi, o l’ancienprésident s’est mêlé aux artisteset intellectuels qui, tels le chan-teur Chico Buarque, le soutien-nent solidement.

    Le septuagénaire se démènepour sauver sa protégée et blan-chir son image et celle du parti. Il

    accuse des médias d’être aux or-dres d’une élite déterminée à dé-molir le défenseur des plus dé-munis. Il dénonce une justice qui,

    dans l’enquête « Lava Jato », ometses ennemis politiques au moins

    aussi corrompus. Il dénonce, en-fin, un « coup d’Etat »  contre ladémocratie, mené par le biaisd’un impeachment fondé sur unprétexte.

    « Dilma Rousseff n’a peut-être pas commis de crime. Mais les dé- putés ne la jugeront pas d’un point de vue juridique, mais politi-que », admet Ricardo Barros, dé-puté du Parti progressiste, qui re-fuse de donner son avis avantque ne se prononce sa formation,alliée jusqu’ici au gouvernement.« Lula est venu au secours de Dilma. Cela a un côté positif, maisaussi un aspect négatif : cela mon-tre que la présidente est incapableet peut inciter les députés à vou-loir l’éloigner »,  pense AntonioImbassahy, député de l’opposi-tion du Parti de la social-démo-

    cratie brésilienne. L’avenir àcourt terme de la présidente sejouera dimanche.p

    claire gatinois

    Le pouvoir

    de persuasionde Lula semble

    porter ses fruits,

    redonnant espoir

    aux proches

    de la présidente

    Migrants : tensions entre

    la Grèce et la MacédoineDes violences Idomeni entre police etréfugiés virent l’incident diplomatique

    athènes - correspondance

    L a situation est restée ten-due lundi 11 avril dans lecamp d’Idomeni, à la fron-tière gréco-macédonienne. Di-manche, des migrants ont tentéde détruire une partie du grillagequi sépare la Grèce de la Macé-doine et ont jeté des pierres et di-vers projectiles sur des policiersmacédoniens, qui ont répliquépar des tirs de gaz lacrymogène etde grenades assourdissantes. Se-lon l’ONG Médecins sans frontiè-

    res (MSF) présente dans le camp,plus de 300 personnes ont été se-courues pour des problèmes res-piratoires et une trentained’autres pour des blessures cau-sées par des balles en caoutchouc.

    Ces scènes de violence en rasecampagne ont vite fait le tour desréseaux sociaux, soulevant unevague d’indignation générale.Dans la journée de lundi, l’événe-ment a dégénéré en crise diploma-tique entre la Grèce et son voisin.Le premier ministre Alexis Tsiprasa dénoncé des actions « honteu-ses », estimant que « viser à coupsde lacrymogène des personnes nonarmées ne constituant pas une me-nace était indigne d’un Etat sou-haitant appartenir à l’Europe ».

    Activistes européens

    De son côté, la Macédoine a repro-

    ché à la police grecque sa passivitéface à la tentative des migrants deforcer la frontière. Des vidéosmontrant des policiers macédo-niens intervenant du côté grec dela barrière ont aussi provoquéune vive polémique en Grèce. Legouvernement grec affirme tou-tefois que la frontière se trouvantà plus de deux mètres des barbe-lés, les forces macédoniennesn’ont à aucun moment violé leterritoire grec.

    La question reste d’autant plussensible qu’Athènes et Skopje sontengagés dans un conflit larvé de-puis 1991 autour de l’appellation

    de Macédoine. Pour les Grecs, laMacédoine est une région deGrèce, et aucun autre pays ne peuts’approprier ce nom. Ils ne recon-naissent leur voisin que sous l’ap-pellation ARYM, pour AncienneRépublique yougoslave de Macé-doine. Les relations entre les deuxpays se sont de nouveau enveni-mées depuis février, lorsque laMacédoine a unilatéralement dé-cidé de fermer sa frontière, blo-quant plus de 52 000 migrants surle sol grec, dont plus de 12 000 àIdomeni.

    Alors que, ces derniers mois, lesefforts combinés des bénévoles,de la police d’Idomeni et des asso-ciations humanitaires avaient per-mis de limiter les affrontementsdans le camp, l’arrivée depuis plu-sieurs semaines de centaines d’ac-tivistes européens opposés à lanotion de frontière a changé ladonne. Pour la deuxième fois enmoins d’un mois, des tracts inci-tant les migrants à forcer la fron-tière ont été distribués. La pre-mière fois, c’était le 15 mars, lors-que des centaines de migrantsétaient parvenus à entrer en Ma-cédoine en franchissant une ri-vière en crue, avant d’être rame-nés manu militari à Idomeni par lapolice macédonienne. Trois per-sonnes avaient péri noyées.

    « L’irresponsabilité de ceux quiinstrumentalisent la détresse des

    réfugiés à des fins politiques estcoupable et nous cherchons les res- ponsables », affirme une sourcepolicière. Mais les autorités grec-ques ne contrôlent désormais plusle camp. Le gouvernement an-nonce depuis longtemps son éva-cuation en privilégiant les départsvolontaires vers d’autres camps dunord du pays. Mais la grande majo-rité des réfugiés refuse de partir etveut croire ces donneurs de fauxespoirs qui leur promettent qu’enforçant les barrières, ils réussirontà convaincre l’Europe d’ouvrir denouveau ses frontières.p

    adéa guillot

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    Batailles et polémiques autour des nouveaux OGMLa France doit prendre position sur la réglementation des nouvelles techniques d’ingénierie génétique

    Q ue sont les « nou-veaux OGM » ?

    Doit-on les régle-menter ? Le peut-onseulement ? Présen-

    tent-ils des risques spécif iques ?Et, si oui, comment les évaluer ?Ces questions comptent actuelle-ment parmi les plus brûlantes surl’utilisation des biotechnologiesdans l’agriculture, et pourraientbien faire exploser le Haut Con-seil des biotechnologies (HCB).Après avoir émis, en début d’an-née, un avis controversé sur ces« nouveaux OGM » – jugé par sesdétracteurs trop favorable aux in-térêts industriels –, l’institutionchargée d’éclairer la décision pu-blique sur l’ingénierie génétiqueest plongée dans la crise.

    Lundi 11 avril, l’un des vice-prési-dents du comité économique,éthique et social (CEES) du HCB,

    Patrick de Kochko, par ailleurscoordinateur du réseau Semencespaysannes, a ainsi annoncé sadémission – nouvel épisode d’unpsychodrame qui dure depuis ledébut d’année. Une semaine plustôt, l’institution devait ajournerson assemblée générale après quehuit organisations de la sociétécivile (Les Amis de la Terre, Semen-ces paysannes, France Nature En-vironnement, Confédération pay-sanne, etc.) eurent appelé à mani-fester devant l’école Agro-Paris Tech, où la réunion devait setenir. Ces mêmes ONG siégeaientencore, quelques semaines aupa-ravant, au sein du CEES de l’institu-tion, avant qu’elles ne suspendentavec fracas, fin février, leur partici-pation à ses travaux…

    Au cœur de la discorde, un indé-mêlable imbroglio sur la nature

    d’un texte, rendu le 4 février par lecomité scientifique (CS) de l’insti-tution, sur ces fameux « nou-veaux OGM ». Ceux-ci ouvre ntdes perspectives inédites d’amé-lioration des cultures. Ils sont ob-tenus grâce à de nouvelles techni-ques (dites « new plant breeding

    techniques », ou NPBT) qui per -mettent de modifier le génomed’une plante sans recourir à l’in-troduction d’un gène extérieur.Ils échappent ainsi au statut juri-dique des OGM.

    Au cœur de la polémique

    Pour l’heure, explique Guy Kastler,de la Confédération paysanne, la

    Commission européenne a de-mandé aux Etats membres « d’ap- pliquer jusqu’ à nouvel ordre la régle-mentation OGM à toutes les plantesissues des NPBT ».  « Aujourd’hui,poursuit M. Kastler, les directives [liées aux OGM] s’appliquent donctoujours, malgré le lobbying forcenéde l’industrie qui souhaite qu’ellesne s’appliquent plus ». Si tel était lecas, ces « nouveaux OGM » échap-peraient aux procédures d’évalua-tion des risques, d’autorisation,d’étiquetage, de suivi… ainsi qu’à lamauvaise image dont pâtissent lesOGM en Europe.

    Pour l’heure, Bruxelles n’a pasencore pris de décision, mais cel-le-ci ne saurait trop tarder. Elle serafondée sur la position des Etatsmembres. Et celle de la France

    s’appuiera sur l’avis du HCB… avisdont l’élaboration et le statut sontau cœur de la polémique.

    « Ce texte a d’abord été présenté le 16 décembre [2015], en réunion ducomité scientifique, comme unesimple note de synthèse, mais ils’est avéré ensuite qu’il aurait le sta-tut d’avis officiel, transmis au gou-vernement », raconte Yves Ber-

    theau, chercheur (INRA) au Mu-séum national d’histoire natu-relle, alors membre du comité. OrM. Bertheau juge le texte de piètrequalité scientifique et de parti pris.

    En particulier les effets des mo-difications non intentionnelles dugénome des plantes (dits « effetshors cible ») y sont, selon lui, insuf-fisamment abordés. En outre, letexte rendu estime qu’une partimportante de ces « nouveauxOGM » ne serait pas distinguabledes variétés conventionnelles, de-vrait être considérée comme telleset être du coup « exemptée d’éva-luation des risques ». Ce queconteste également M. Bertheauqui demande alors la possibilité depublier un avis divergent, annexéà ce qui est devenu un avis officiel

    du HCB. Cette possibilité lui est re-fusée, au motif que les divergen-ces en question n’avaient pas étédiscutées en séance.

    Le chercheur rétorque que l’or-dre du jour de celle-ci n’évoquaitpas la discussion d’un avis officiel,mais d’une simple note de syn-thèse. Il dénonce un « détourne-ment de procédure » et donne alorssa démission mi-février, mettantle feu aux poudres. Une semaineplus tard, huit ONG, parmi les tren-te-trois organisations siégeant auCEES, suspendaient leur participa-tion aux travaux du HCB.

    Signe d’un certain inconfort sursa nature juridique, le texte du co-mité scientifique a ensuite cesséd’être présenté comme un « avis »par le site Web du HCB, maiscomme un simple « rapport pro-visoire », rangé sous l’onglet « pu-blications ». Trop tard ? « Vous ne pouvez pas ignorer qu’entre-temps le gouvernement a pris sa

    décision sur la base de cette noteintermédiaire tronquée », écrit Pa-trick de Kochko dans sa lettre dedémission à la présidence duHCB. Répondant à deux ques-tions parlementaires au gouver-nement, Ségolène Royal, la mi-nistre de l’environnement, et Sté-phane Le Foll, le ministre del’agriculture, ont ainsi chacun ré-pondu, courant mars, en citantles conclusions du comité scien-tifique du HCB.

    De son côté, Christine Noiville, laprésidente du HCB, récuse touteforme de censure et précisequ’une nouvelle étape du travailscientifique sur le sujet est encours. « Dans un souci d’apaise-ment, j’ai proposé à Yves Bertheaude publier finalement sa position

    divergente, mais il a refusé »,ajoute Mme Noiville. L’intéressé ré-pond qu’il n’est plus membre ducomité scientifique du HCB. « De plus, ajoute-t-il, rien ne prévoit la publication d’une position diver- gente annexée à un rapport provi-soire, puisque c’est le nouveaustatut de ce texte. »

    La polémique en cours pèse sur

    l’image du HCB, institution crééeen 2009 qui tente de faire tra-vailler ensemble les organisa-tions de la société civile, des scien-tifiques et les représentants del’industrie et de l’agriculture pourdévelopper à l’intention des pou-voirs publics une expertise sur lesbiotechnologies.  « Je regrette queles ONG aient suspendu leur parti-cipation aux travaux du HCB, car elles apportent beaucoup à la ré- flexion,  dit Mme  Noiville. Cepen-dant, je crains que le HCB soit uti-lisé à ses dépens par certains pour faire caisse de résonance, et attirerl’attention sur une question qui plonge certaines organisationsdans le désarroi. » p

    angela bolis

    et stéphane foucart

    La population des tigres sauvages est en hausse3 890 félins vivraient dans leur habitat naturel. Un chiffre en augmentation pour la première fois depuis cent ans

    C e genre de bonne nou-velle est tellement rarequ’il mérite qu’on s’y at-tarde. Après plus d’un siècle dedéclin, la population de tigressauvages est pour la premièrefois en augmentation. Selon lesdonnées compilées par le Fondsmondial pour la nature (WWF) etle Global Tiger Forum, on comp-terait aujourd’hui 3 890 tigres vi-vant dans leur habitat naturel.

    En 2010, lors du dernier recense-ment, on dénombrait 3 200 indi-vidus.

    « C’est principalement en Russie,au Bhoutan, au Népal et en Indeque la population est en hausse », aprécisé, lundi 11 avril dans uncommuniqué, Ginette Hemley, lavice-présidente du WWF. Ces chif-fres s’expliquent par la créationd’aires protégées et de patrouillesantibraconnage. « Ils doivent ce- pendant être pris avec précau-tion »,  nuance Renaud Fulconis,directeur de l’ONG françaiseAwely, des animaux et des hom-mes, qui lutte contre le commerce

    illégal de tigres. « Ils peuvent en ef- fet être le résultat de l’améliorationdes méthodes de comptage. »

    Stéphane Ringuet, responsabledu  programme Traffic au WWF,un réseau de surveillance du com-merce de la faune et de la floresauvages, souligne la difficulté durecensement. « Le comptage se fait à l’échelle nationale. Des équi- pes sur le terrain vont voir destigres directement et noter leurs

    caractéristiques, ou vont placer des caméras pièges, chercher desempreintes ou des excréments, quivont leur permettre ensuite d’ex-traire des informations et réperto-rier les félins », explique le spécia-liste. Un travail sur plusieurs an-nées, qui dépend de la bonne vo-lonté des Etats mais qui aide aussià définir les zones à protéger.

    « Cet inventaire permet de re-marquer les points de passageimportants des tigres, où il est donc nécessaire de créer des airessurveillées et contrôlées », détailleM. Ringuet. En 2015, l’Inde adécidé de créer trois nouvelles

    réserves, encouragée par un rap-

    port faisant état de l’accroisse-ment de la population de tigresdans le pays.

    Dans les années 1900,100 000 tigres vivaient dans lanature. Aujourd’hui, le félin estclassé « en voie d’extinction » surla liste rouge de l’Union interna-tionale pour la conservation de lanature. Répartis dans 13 pays(Bangladesh, Bhoutan, Birmanie,Cambodge, Chine, Inde, Indoné-sie, Laos, Malaisie, Népal, Russie,Thaïlande et Vietnam), les fauvessont principalement menacéspar le braconnage et le com-merce illégal.

    Depuis près d’un millénaire, lefélin inspire la médecine tradi-tionnelle chinoise. « Toutes les parties du tigre sont utilisées, caron lui prête des vertus médicina-les en réalité fausses »,  expliqueRenaud Fulconis . Le « vin de ti-gre », tiré des os de l’animal, seraitaphrodisiaque, les griffes et lesdents soigneraient la fièvre et lesinsomnies, les globes oculaires etla bile combattraient l’épilepsie,

    le cerveau serait bon contre lafatigue et les boutons.

    « Compétition »

    En Chine et au Vietnam, les nou-velles élites politiques et éco-nomiques s’arrachent l’animal etornent leurs salons de têtes de fé-lin. « Pour les acheteurs, c ’est unanimal puissant, le consommer et l’avoir en décoration fait état deleur propre puissance »,  poursuitM. Fulconis. Pourtant, depuis1981, la Chine a adhéré à laConvention sur le commerce in-ternational des espèces de fauneet de flore sauvages menacées

    d’extinction. Créée en 1975, laCites bannit tout échange de« produits de tigres ».

    Autre menace, l’augmentationdes activités humaines. Les zonesd’habitat du fauve se sont drasti-quement réduites depuis plu-sieurs années : en cause, la défo-restation, l’exploitation minièreet la création de réseaux routiers.Selon le WWF, les tigres ont vu93 % de leur habitat naturel dispa-

    raître en un siècle. « La pres sionurbaine est très forte, assureM. Fulconis. Il y a une compétitionintenable entre les humains quiviennent faire paître leurs ani-maux ou couper du bois et la pré-sence des tigres. »

    La réduction de la forêt a aussifait baisser le nombre de proiesdes félins. Pour aller chercher dequoi se nourrir, les tigres se rap-prochent de plus en plus des villa-ges et des communautés locales.En représailles, ils sont générale-ment capturés ou tués, puis ven-dus sur le marché noir.p

    aurélie sipos

    Au début

    du XXe siècle,

    100 000 tigres

    vivaient

    à l’état sauvage

    dans le monde

    « Je regrette

    que les ONG aient

    suspendu leur

    participation aux

    travaux du Haut

    Conseil des

    biotechnologies »CHRISTINE NOIVILLE

    président du HCB

    LEXIQUE

    NPBTLes nouvelles techniques d’amé-lioration des plantes (new plantbreeding techniques, ou NPBT)regroupent des méthodes d’in-génierie génétique distinctes dela transgenèse (l’ajout d’un gèneétranger dans la plante).

    MUTAGENÈSEElle consiste à faire muter artifi-ciellement une plante afin de sé-lectionner les variétés mutantesaux propriétés recherchées. Destechniques d’édition du génome(comme CRISPR/Cas9) permet-tent de modifier directement lesgènes d’une variété. D’autres

    méthodes dites « épigénétiques »conduisent à augmenter ou à ré-duire le niveau d’expression d’ungène de la plante.

    CISGENÈSEElle consiste à intégrer à uneplante un gène issu d’une espèceapparentée et susceptible de secroiser naturellement avec elle.

    NUCLÉAIRELe Luxembourg pour lafermeture de CattenomLe premier ministre luxem-bourgeois, Xavier Bettel,a déclaré, lundi 11 avril, quele Grand-Duché était prêt à« s’engager financièrement » pour la fermeture de la cen-trale nucléaire de Cattenom(Moselle). « Le site de Catte-nom nous fait peur », a-t-il ex-pliqué, affirmant qu’en cas deproblème, cette centrale nu-cléaire – quatre réacteurs misen service entre 1987 et1992 – « rayerait le Grand-

     Duché de la carte». – (AFP.)

    ÉTATS-UNIS

    L’espérance de vie varieen fonction des villesSelon une étude publiée,lundi 11 avril, dans The Journalof the American Medical Asso-ciation, l’espérance de viepour les Américains les pluspauvres atteint 79,5 ans NewYork ou 78,3 Miami (Floride),mais n’est que de 74,6 ans Indianapolis (Indiana) ou 74,8 Detroit (Michigan). Un desfacteurs serait chercher ducôté des politiques sanitaireslocales (ou leur absence),telles l’interdiction de fumerou la lutte contre l’obésité.

    Ces « nouveaux

    OGM »

    échapperaient

    aux procédures

    d’évaluation des

    risques, de suivi,

    d’étiquetage…

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    La Croix-Rouge est dans lemonde entier un sym-bole de neutralité, d’indé-pendance et d’intégrité.

    Or, l’identité du Comité interna-tional de la Croix-Rouge (CICR),fondé en 1863 à Genève et basé enSuisse, a été utilisée pour cacherde l’argent sale. C’est ce que révè-lent les « Panama papers » : de scentaines d’hommes d’affairesont abusé de la réputation de l’or-ganisation humanitaire pour res-ter au-dessus de tout soupçon.« C’est un risque énorme pour leCICR », s’est indigné son prési-dent, Peter Maurer, en apprenant

    l’ampleur de l’usurpation.Le prestataire de services offs-hore Mossack Fonseca en a mêmefait un gros business. La firme pa-naméenne met à disposition deses clients deux fondations : laBrotherhood Foundation et laFaith Foundation, qui peuventêtre utilisées pour détenir les ac-tions de sociétés offshore. Parcequ’une telle fondation, qui n’a pasd’actionnaires, permet de mas-quer qui se cache derrière uncompte bancaire.

    « Comme ça, c’est plus simple »

    Ce service a eu un franc succès.Près de 500 sociétés utilisentl’une de ces fondations. MossackFonseca a même préparé un certi-ficat « généralement utilisé dansces cas-là », explique une em-ployée dans un e-mail de 2008.

    Elle précise que le document dési-gne « l’organisation humanitairenommée The International RedCross »  comme bénéficiaire de laFaith Foundation. Un documentdu 10 mars 2011 contient même lavéritable adresse du CICR : « 19,avenue de la Paix, CH — 1202 Ge-neva, Switzerland ».

    Un autre courriel de la firme livrebenoîtement la raison du mon-tage : « Comme les banques et lesinstituts financiers sontaujourd’hui tenus d’obtenir des in- formations sur les bénéficiaires éco-nomiques finaux, il est devenu diffi-cile pour nous de ne pas divulguerl’identité de ceux de la Faith Foun-dation. C’est pourquoi nous avonsmis en place cette structure dési- gnant l’International Red Cross.Comme ça, c’est plus simple. »

    C’est effectivement plus simple.Et Mossack Fonseca indique qu’iln’avait pas l’obligation d’informerla Croix-Rouge du rôle qu’elle

    jouait malgré elle.« Selon la législa-tion de Panama, les bénéficiairesd’une fondation peuvent être utili-sés sans le savoir, indique un em-ployé dans une note interne. Celasignifie que la Croix-Rouge interna-tionale n’a pas conscience de cet ar-rangement. »  Les « Panama pa-pers » prouvent que ce système aété utilisé à plusieurs reprises pourcacher des avoirs recherchés, ou del’argent soupçonné d’être le pro-duit d’activités criminelles.

    Le montage a notamment servià détourner des dizaines de mil-lions de dollars de fonds publicsen Argentine. En 2013, des journa-listes locaux mettent au jour unréseau de corruption autour del’ancien président Nestor Kirch-ner et de Cristina Fernandez deKirchner, qui a succédé à son marien 2007 et quitté ses fonctionsen 2015. Le couple présidentielaurait notamment blanchi65 millions de dollars (57 millionsd’euros) au Nevada en utilisant ungrand nombre de sociétés de Mos-sack Fonseca, selon le procureurargentin en charge du dossier.

    Ces sociétés offshore ont un

    point commun : elles sont contrô-lées par deux sociétés-écrans, Al-dyne Limited et Garins Limited,enregistrées par la firme pana-méenne aux Seychelles. Sur le pa-pier, ces sociétés appartiennent àla Faith Foundation, et donc à laCroix-Rouge. Dans une déposi-tion devant la justice américaine,une employée de Mossack Fon-seca affirme que ces deux sociétés« n’appartiennent en fait à per-sonne ». C’est formellement exact,

    car les fondations à Panama n’ontpas besoin d’un propriétaire, justede bénéficiaires.

    Le CICR tombe des nues

    Le stratagème a aussi rendu ser-vice à l’actuel président des Emi-rats arabes unis. En 2005, CheikhKhalifa bin Zayed Nahyan voulaitacquérir des maisons dans lesquartiers les plus huppés de Lon-dres. La Banque d’Ecosse lui a ac-cordé un prêt sans intérêt de291 millions de livres sterling (en-viron 360 millions d’euros). Maisc’est la société Mayfair Commer-cial Limited, enregistrée par Mos-sack Fonseca aux îles Vierges bri-

    tanniques et appartenant à untrust du cheikh, qui a acheté les lo-gements. Mayfair est reliée à tra-vers plusieurs sociétés offshore àla Faith Foundation.

    Enfin, Elena Baturine, l’épousede l’ancien maire de Moscou etl’une des femmes les plus richesde Russie, poursuit en justice unde ses anciens associés, qui luiaurait soustrait environ 100 mil-lions d’euros, un dossier en litigedevant la justice londonienne.En 2008, Mme Baturine a versé plu-sieurs dizaines de millionsd’euros à une société appartenantà son partenaire pour un projet

    immobilier. Plus de 13 millionsd’euros ont transité par les comp-tes de trois sociétés de MossackFonseca aux îles Vierges, géréespar le bureau d’une fiduciaire ge-nevoise. On retrouve dans les« Panama papers » 5 de ces 13 mil-lions d’euros, redirigés ailleurs,notamment vers Chypre, sousforme d’intérêts.

    La fiduciaire de Genève a jouéun rôle central. Pour dissimuler lepropriétaire des trois sociétés

    qu’elle gérait – et plus de 200autres créées par ses soins –, elle acréé une fondation à Panama avecde pseudo-actionnaires, qui jouele même rôle que la Faith Founda-tion et lui est liée.

    L’organisation humanitaire n’aévidemment aucun contrôle surces sociétés. Les Conventions deGenève, dont le CICR est déposi-taire, interdisent d’ailleurs expli-citement toute réappropriationde son nom. Les Etats signatairesont le devoir de s’assurer que lesConventions sont respectées, lePanama a ratifié ces Conventionsen 1956. Le CICR est évidemmenttombé des nues. « Nous feronstout ce qui est en notre pouvoir  pour mettre fin à une telle usurpa-tion, promet son président, PeterMaurer.  Il n’y a pratiquementaucune marque au monde qui ait 

    autant besoin d’être protégée quecelle du CICR. Si nous nous retrou-vions associés à une société offs-hore d’une faction en guerre, jen’ose imaginer à quoi nous pour-rions être mêlés. »

    Mossack Fonseca s’est contentéde répondre : « Vos allégations se-lon lesquelles nous fournissons desactionnaires avec des structures(…) destinées à cacher l’identité des propriétaires réels sont sans fon-dement. » p

    catherine boss

    et christian brönnimann

    « le matin dimanche » (suisse)

    (adaptation « le monde »)

    La Croix-Rouge victime d’une usurpationPour cacher les vrais détenteurs de comptes bancaires, Mossack Fonseca utilisait le nom de l’organisation

    la forte renommée du wwf,  le WorldWildlife Fund, l’organisation qui lutte pourla protection de la nature, est elle aussi uti-lisée pour dissimuler les petits secrets offs-hore.  « Nous employons généralement leWorld Wildlife Fund comme bénéficiaire. (…) Mais vous pouvez utiliser quelqu’und’autre »,  propose aimablement le cabinetMossack Fonseca à un client.

    Cet aveu de la société panaméenne setrouve dans un mémorandum décrivant lefonctionnement de la Charitable andGoodwill Foundation, une autre fondationcontrôlée par Mossack Fonseca. Comme laCroix-Rouge, le WWF, évidemment, n’estau courant de rien. Les montages sont entout point similaires.

    Sauf que, parfois, le système se grippe defaçon imprévue. En 2013, par exemple, unclient français veut dissoudre sa société en-registrée sur les îles Vierges britanniques.

    Un faux en écritures, en somme

    Cela fait déjà presque dix ans qu’il l’utilisepour gérer un compte en banque, sur le-quel se trouvent environ 3 millionsd’euros, chez HSBC à Genève. Le respect del’anonymat semble sa priorité absolue.Non seulement le Français inscrit le WorldWildlife Fund comme bénéficiaire de sa so-ciété, mais il signe aussi un e-mail destiné àHSBC et au cabinet Mossack Fonseca avecle pseudonyme « L’Oiseau ». Mais, pourliquider sa société, il a eu besoin de la si-

    gnature du bénéficiaire apparent, c’est-à-dire du WWF, sur trois formulaires. Il a dé-cidé d’aller au plus simple, et de signer lui-même, « pour et au nom du World Wildlife Fund ». Un faux en écritures, en somme.

    « Nous ne savions pas que notre nométait employé par des fondations à Pa-nama et nous n’avons jamais donné notreaccord », s’indigne Maria Boulos, direc-trice des opérations du WWF. L’organisa-tion craint que la nouvelle nuise à sa répu-tation et, indirectement, à la protection del’environnement. « Nous examinons lesdifférentes actions juridiques possibles pour éviter que de tels agissements fraudu-leux se perpétuent. » p

    c. bs et c. bn

    L’identité du WWF a aussi été détournée

    « Il n’y a

    pratiquement

    aucune marque

    au monde qui

    ait autant besoin

    d’être protégée »

    PETER MAURER

    président du CICR

    Coordonnées par le Consor-tium international des journalistes d’investiga-tion (ICIJ),  Le Monde et 108autres rédactions dans76 pays ont eu accès à unemasse d’informations inédi-tes qui mettent en lumière le

    monde opaque de la financeoffshore et des paradis fis-caux.

    Les 11,5 millions de fichiersproviennent des archives ducabinet panaméen MossackFonseca, spécialiste de la do-miciliation de sociétés off-shore, entre 1977 et 2015.Il s’agit de la plus grossefuite d’informations jamaisexploitée par des médias.

    Les « Panama papers » révè-lent qu’outre des milliersd’anonymes, de nombreuxchefs d’Etat, des milliardai-res, des grands noms dusport, des célébrités ou despersonnalités sous le coupde sanctions internationalesont recouru à des montages

    offshore pour dissimulerleurs actifs.

    Ce qu’il fautsavoir

    Des membres de l a Croix-Rouge débarquent de l’aide médicale d’un avion Sanaa, au Yémen. KHALED ABDULLAH ALI AL MAHDI / REUTERS

    Le montage

    a notamment

    servi à détourner

    des dizaines

    de millions

    de dollars

    de fonds publics

    en Argentine

  • 8/17/2019 Le Monde 3 en 1 Du Mercredi 13 Avril 2016

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    Comment la DGSE a surveillé Thierry SolèreLe téléphone et les mails du candidat contre Claude Guéant lors des législatives de 2012 ont été espionnés

    Thierry Solère était dansune situation pour lemoins difficile en 2012.Premier adjoint à Boulo-

    gne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine, il avait été démis de sonmandat à cause d’un vif désaccordavec le député et maire Pierre-Christophe Baguet. Lorsquecelui-ci décide de ne pas se repré-senter aux élections législatives,Thierry Solère tente sa chance.Contre Claude Guéant, à la foisancien ministre de l’intérieur, sou-tenu par l’ancien maire et investipar l’UMP.

    Thierry Solère est alors exclu del’UMP mais bat de justesse l’ex-mi-nistre en juin 2012. Défait, ClaudeGuéant dénonce « les mensonges »de son rival et « les procédés peu ré- publicains ». Or, Le Monde a pu éta-

    blir que des moyens de la Directiongénérale de la sécurité extérieure(DGSE, le renseignement exté-rieur) ont été utilisés, hors de toutcontrôle, pour surveiller M. Solère,candidat dissident.

    Depuis, député de la 9e circons-cription des Hauts-de-Seine et vi-ce-président du conseil régionald’Ile-de-France, Thierry Solère estdevenu, à droite, un personnageincontournable, chargé d’organi-ser la primaire des Républicainspour désigner le candidat à l’élec-tion présidentielle de 2017. Et iljuge à son tour cette surveillanceclandestine, avec les moyens del’Etat, peu républicaine.

    Dérives

    Ses téléphones et son adresse In-ternet ont en effet été espionnésdès son exclusion de l’UMP, le

    20 mars 2012. La surveillance n’aété interrompue qu’après la dé-couverte fortuite de son existencepar la direction technique de laDGSE. L’arrêt de la collecte de don-nées personnelles n’a pas mis finpour autant à la surveillance. Unhaut responsable de la DGSE aalors convoqué un lieutenant-co-lonel, chef d’un très confidentielservice de la direction des opéra-tions opérant sur le sol français. Illui a demandé de mettre en placeune « surveillance physique » ducandidat. La démarche était suffi-samment inhabituelle pour que lemilitaire insiste pour que la de-mande soit renouvelée devant sonsupérieur. Le haut responsable apréféré laisser tomber.

    Mais la « surveillance technique »des données de Thierry Solère a

    laissé des traces. Des membres dela direction technique de la DGSEen ont eu connaissance. « Par pru-dence », dit l’un d’eux, les preuvesdes recherches informatiques ontété conservées. Depuis 2008, la di-rection technique des services tra-vaille en effet avec un outil puis-sant, qui permet à la DGSE, commela NSA américaine, de collecter en

    masse et de stocker des données decommunications. Seule maître desa conception et de son développe-ment, la direction technique a lesmoyens de remonter la piste detoutes les requêtes.

    « On a découvert par hasard lasurveillance sur Thierry Solère, ex-plique un ancien membre de la di-rection technique.  Mais l’enjeu,

     pour nous, dépassait ce seul cas in-dividuel : il fallait protéger cet outil,en danger si l’on s’apercevait qu’ilétait utilisé à ces fins. » A cette épo-que, la direction technique a déjàpris conscience des dérives. Elle esten effet engagée dans un bras defer interne sur l’usage que fontquotidiennement des ordinateursles 400 à 500 officiers de la direc-tion du renseignement qui inter-ceptent les communications de

    Français – ce qui leur est interdit.L’alerte a été donnée après la dé-couverte, quelques semaines plustôt, de la surveillance d’un cadredu Commissariat à l’énergie ato-mique (CEA) – par malchance unancien collègue du directeur tech-nique de la DGSE, Bernard Barbier.« On savait qu’ils se connaissaient.On a prévenu le patron qui a convo-

    qué l’officier de la direction du ren-seignement », se souvient l’un desagents. Indignée par cet écart, la di-rection technique fait cesser l’in-terception sauvage sur le cadre duCEA. Et entreprend discrètementune recherche sur les autres sur-veillances. C’est ainsi qu’elletombe sur Thierry Solère.

    Ces désaccords internes à laDGSE ont donné lieu à de vivestensions. La direction du rensei-gnement jure qu’elle a besoin decette liberté de manœuvre. PascalFourré, le magistrat attaché à laDGSE, prend parti pour la direc-tion technique, et milite aussipour que ces interceptions sur lescitoyens français ne puissent plusêtre faites « en premier rang »,c’est-à-dire sans être soumises à laCommission nationale de con-

    trôle des interceptions de sécurité(CNCIS). Erard Corbin de Man-goux, directeur de la DGSE, tran-che en faveur de la direction tech-nique et de M. Fourré. A la fin del’été 2012, l’unité informatiquecentrale de la direction techniqueest équipée de filtres censés empê-cher d’inscrire des identifiantsfrançais « en premier rang ».

    Au sujet de Thierry Solère, peuaprès la fin de la surveillance deses communications, le chef à laDGSE du service des « chambresd’hôtels » – spécialisé dans le vold’informations étrangères sur leterritoire français – est approchépar un haut hiérarque de la DGSE.Qui lui demande, « pour rendreservice » de« prendre en compte unopposant politique à un maire dedroite dans les Hauts-de-Seine ».

    « Il faut un témoin »

    Pour les services,  « prendre encompte »  signifie procéder à unesurveillance physique et collecterdes données personnelles partous les moyens. Le chef des« chambres d’hôtels » a proposéd’en parler à son supérieur direct,et le haut responsable n’a pas in-

    sisté. On ne lui a pas dit qui il fallaitespionner, mais il n’était pas diffi-cile de faire le lien avec le conflitpublic de M. Solère et M. Guéant àBoulogne-Billancourt.

    Claude Guéant, alors ministre del’intérieur, avait annoncé le 26 dé-cembre 2011 qu’il était candidat.« Ce jour-là, se souvient M. Solère,ilm’a téléphoné pour qu’on se voie. Il

    savait que je voulais me présenter. Le rendez-vous a eu lieu au minis-tère le 4 janvier en présence d’Hu-

     gues Moutouh, son conseiller policeet services de renseignement. »  Larencontre est tendue. « Ils m’ont

     fait comprendre que si je me reti-rais, je pourrais y trouver moncompte, ce qui était pour moi horsde propos. »  Interrogé, HuguesMoutouh justifie sa présence par

    « la réputation sulfureuse de M. So-lère ». « Dans ce genre de cas, il fautun témoin, ajoute-t-il.  Nous vou-lions savoir s’il voulait faire duchantage. »  M. Moutouh, qui tra-vaille aujourd’hui pour le groupeGuy Dauphin Environnement, n’apas fourni plus de précisions.

    Claude Guéant, de son côté, nietoute l’affaire :« Cela ne me dit stric-

    Thierry Solère, lors de la campagne des législatives en juin 2012, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).LUDOVIC/REA

    tement rien, et c’est opposé à mes principes. Jamais je n’ai fait de de-mande en ce sens à qui que ce soit.

     J’étais ministre de l’intérieur et à cetitre je n’avais aucune autorité surla DGSE. » L’ancien directeur de laDGSE, Erard Corbin de Mangoux,aujourd’hui conseiller maître à laCour des comptes, a qualifié de« hautement fantaisistes »  ces in-formations, avant d’ajouter : « Jen’ai jamais reçu d’ordre pour enquê-ter sur M. Thierry Solère et je n’ai ja-mais agi sous une quelconque pres-sion politique à cette période. »

    Enfin, M. Moutouh dément toutrôle dans cette affaire et estimeque « l’utilisation des moyens de la

     DGSE pour aider M. Guéant contre M. Solère n’aurait pas été accepta-ble ». Il ajoute cependant, « sur leterrain des p