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Mercredi 28 octobre 2015 - 71 e année - N o 22015 - 2,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur : Jérôme Fenoglio Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA L es Israéliens ont les nerfs à vif depuis la série d’atta- ques au couteau par des Pa- lestiniens. D’un point de vue arithmétique, le bilan reste li- mité : 8 juifs tués, contre 55 Pales- tiniens – dont la moitié seule- ment étaient des agresseurs – et a peu de chose à voir avec le nom- bre de victimes de la deuxième Intifada. Mais l’impact psycholo- gique est considérable. Des pères de famille accompagnent désor- mais leur enfant, fusil automati- que en bandoulière, les armure- ries sont dévalisées, on achète pour 300 euros un tee-shirt pare- balles de 4 kg, les hôpitaux pro- posent trois sessions gratuites d’aide psychologique. A Jérusa- lem, la peur s’est installée. p LIRE PAGE 2 JÉRUSALEM LA GRANDE PEUR DES COUTEAUX par piotr smolar LE REGARD DE PLANTU SCIENCE & MÉDECINE BATAILLE AUTOUR DU ROUNDUP, CANCÉROGÈNE PROBABLE SUPPLÉMENT L’ÉGLISE DOIT S’OUVRIR AUX FEMMES LIRE PAGE 25 EUROPE POURQUOI LES FRANÇAIS SONT LES PLUS FRILEUX À L’ÉGARD DES MIGRANTS LIRE PAGES 8-10 ÉTATS-UNIS BEN CARSON, L’OUTSIDER RÉPUBLICAIN LIRE PAGE 6 DIABÈTE LA FIN DU BREVET DU LANTUS, PILULE AMÈRE POUR SANOFI LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 6 La baisse du chômage, fragile espoir de rebond économique En septembre, le chômage a baissé de 0,7 %, diminution la plus impor- tante depuis 2007, pour s’établir à 3,55 millions de demandeurs d’emploi Cette baisse s’explique notamment par le recours croissant aux contrats courts et à temps partiel. Le signe de la « montée de la précarité », selon la CGT La diminution est parti- culièrement significative pour les moins de 25 ans, chez qui le chômage enre- gistre un recul de 2,6 % en un mois Plusieurs indicateurs témoignent d’un frémisse- ment économique. Mais le point noir reste la situation du BTP LIRE PAGE 11 Les cardinaux, le 25 octobre, à Rome, avant la messe papale. ANDREAS SOLARO ! AFP0 UNE FEMME RACONTE LE SYNODE DE L’INTÉRIEUR TÉMOIGNAGE Combien de fois me suis-je répété, au cours de ces trois semaines de synode, pour réfré- ner l’impatience rebelle qui m’assaillait : au bout du compte, ils m’ont invitée – et ils m’ont même laissée parler. Moi, une « féministe historique », pas franchement diplomate ni patiente – ils l’ont sûrement remarqué. Ce qui m’a le plus frappée chez ces cardinaux était leur parfaite ignorance de la gent féminine, leur peu de savoir- faire à l’égard de ces femmes tenues pour inférieures, comme les sœurs, qui généralement leur servaient de domestiques. » L’étonnant récit de Lucetta Sca- raffia, historienne et féministe, qui a siégé au synode parmi les évêques, à Rome. Et n’a jamais eu la langue dans sa poche. p LIRE PAGE 14 Une boîte aux lettres qui envoie des colis, ça méritait bien de faire la Une.

Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

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Page 1: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

Mercredi 28 octobre 2015 ­ 71e année ­ No 22015 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA

L es Israéliens ont les nerfs àvif depuis la série d’atta­ques au couteau par des Pa­

lestiniens. D’un point de vue arithmétique, le bilan reste li­mité : 8 juifs tués, contre 55 Pales­tiniens – dont la moitié seule­ment étaient des agresseurs – et apeu de chose à voir avec le nom­bre de victimes de la deuxième Intifada. Mais l’impact psycholo­

gique est considérable. Des pères de famille accompagnent désor­mais leur enfant, fusil automati­que en bandoulière, les armure­ries sont dévalisées, on achètepour 300 euros un tee­shirt pare­balles de 4 kg, les hôpitaux pro­posent trois sessions gratuites d’aide psychologique. A Jérusa­lem, la peur s’est installée. p

→ LIRE PAGE 2

JÉRUSALEM

LA GRANDE PEURDES COUTEAUX

par piotr smolar

LE REGARD DE PLANTU

SCIENCE & MÉDECINEBATAILLE AUTOURDU ROUNDUP,CANCÉROGÈNEPROBABLE→ SUPPLÉMENT

L’ÉGLISEDOIT S’OUVRIRAUX FEMMES→ LIRE PAGE 25

EUROPEPOURQUOI LES FRANÇAIS SONTLES PLUS FRILEUXÀ L’ÉGARDDES MIGRANTS→ LIRE PAGES 8-10

ÉTATS-UNISBEN CARSON, L’OUTSIDER RÉPUBLICAIN→ LIRE PAGE 6

DIABÈTELA FIN DU BREVET DU LANTUS, PILULE AMÈRE POUR SANOFI→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 6

La baisse du chômage, fragile espoir de rebond économique▶ En septembre, lechômage a baissé de 0,7 %, diminution la plus impor­tante depuis 2007, pour s’établir à 3,55 millionsde demandeurs d’emploi

▶ Cette baisse s’explique notamment par le recours croissant aux contrats courts et à temps partiel. Le signe de la « montée de la précarité », selon la CGT

▶ La diminution est parti­culièrement significative pour les moins de 25 ans, chez qui le chômage enre­gistre un recul de 2,6 %en un mois

▶ Plusieurs indicateurs témoignent d’un frémisse­ment économique. Mais le point noir restela situation du BTP→ LIRE PAGE 11

Les cardinaux,le 25 octobre,

à Rome, avant la messe papale.

ANDREAS SOLARO ! AFP0

UNE FEMME RACONTE LE SYNODE DE L’INTÉRIEURTÉMOIGNAGE

Combien de fois me suis-je répété,au cours de ces trois

semaines de synode, pour réfré-ner l’impatience rebelle qui m’assaillait : au bout du compte, ils m’ont invitée – et ils m’ont même laissée parler. Moi, une « féministe historique », pas franchement diplomate nipatiente – ils l’ont sûrement remarqué. Ce qui m’a le plus frappée chez ces cardinaux était leur parfaite ignorance de la gent féminine, leur peu de savoir-faire à l’égard de ces femmes tenues pour inférieures, comme les sœurs, qui généralement leur servaient de domestiques. »

L’étonnant récit de Lucetta Sca­raffia, historienne et féministe, qui a siégé au synode parmi les évêques, à Rome. Et n’a jamais eu la langue dans sa poche. p

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Une boîte auxlettres qui envoiedes colis,çaméritait biende faire la Une.

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2 | international MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

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En Israël, la grande peur des couteauxFace aux agressions palestiniennes, les Israéliens prennent mille précautions dans leur vie quotidienne

jérusalem - correspondant

L’ancienne gare otto­mane, à Jérusalem, estune bulle. Un lieu de dé-tente familiale, où les

enfants font du vélo et les adultesboivent un verre en terrasse. La gravité de la Ville sainte ne s’im-pose pas sous son chapiteau. Pour-tant, quelque chose a changé à la gare et sur la promenade, le long des anciens rails, prisée par les jog-geurs. Depuis qu’a commencé, dé-but octobre, la vague d’agressions palestiniennes au couteau, les ar-mes ont fait leur apparition. Ce futd’abord, un jour, des militaires enfaction. Puis les soldats disparu-rent, déployés ailleurs, aux en-trées des quartiers arabes de Jéru-salem-Est. Des gardes privés pri-rent le relais. Et voilà que des pèresde famille, des juifs religieux portant la kippa, accompagnent femme et enfants, fusil automati-que à la main ou en bandoulière.

Au cours de ces trois semainesd’angoisse, marquées par des at-taques quotidiennes à l’arme

blanche dans le pays, les Israé-liens ont fait comme d’habitude. Ils ont rehaussé leur plan Vigi-pirate intime : changé les par-cours, évité les lieux publics, pri-vilégié les livraisons de nourri-ture, surveillé les passagers dans les bus. C’est mille petites précau-tions. Tel ce diplomate israélien qui quitte le ministère plus tôtpour conduire sa fille à un rendez-vous. Ou ce couple qui a lancé unegrande rénovation à la maison, il y a quelques mois, mais refuse de faire venir des ouvriers arabespour l’achever, par précaution, àcause des enfants.

Et puis il y a eu des actes de pureviolence en retour, de méprise terrifiante, comme à la gare rou-tière de Beersheva (Sud), le 18 oc-tobre. Un assaillant bédouin a tué un jeune soldat. Un Erythréen,pris pour un complice, a été blessépar balles par un garde de sécuritépuis lynché par des civils.

Ruée dans les magasins d’armes

Directeur du réseau d’aide émo-tionnelle d’urgence ERAN, qui re-pose sur 1 100 volontaires au télé-phone sur tout le territoire, David Koren explique qu’au cours desdix premiers jours de la vague deviolence ERAN a enregistré unehausse d’environ 30 % des appels. « Les Israéliens se disent souvent :on a connu pire. On a grandi dans l’idée qu’il fallait être très fort, dit-il. Là, tout le monde est sur les nerfs, même si les gens ne nousparlent pas forcément des atta-ques elles-mêmes, mais de leurs soucis personnels. »

D’un point de vue sèchementarithmétique, le nombre de victi-mes – 8 morts, contre 57 côté pa-lestinien, dont la moitié sont les agresseurs – n’est en rien compa-rable avec les lourds bilans de laseconde Intifada, au début des an-nées 2000. L’armée fait une ana-lyse plutôt optimiste de la mobili-sation populaire en Cisjordanie,avec un maximum de 5 000 per-sonnes dans les rues. Ils n’étaient

plus que 2 300 le 23 octobre. Aucune dynamique n’est enregis-trée. Mais l’impact psychologique des attaques est considérable, dé-multiplié par la chambre d’écho des réseaux sociaux. « Il y a une peur liée au corps-à-corps, à la proximité physique, au fait que l’agresseur peut surgir de n’im-porte où », souligne la psycho-logue Laurence Kaplan-Dreyfus.

Le sentiment de vulnérabilitéest renforcé par l’objet du crime : un couteau, ustensile banal, mais aussi arme millénaire du meur-tre. En outre, beaucoup s’étaientconvaincus que l’édification de la« barrière de séparation » avec laCisjordanie, d’ailleurs inachevée,leur assurait la tranquillité. Loinde Jérusalem, tant d’Israéliens vi-vent dans le déni de l’occupation et de ses réalités crues.

Dans les magasins d’armement,c’est la ruée. A 78 ans, Shaul Derbytravaille toujours comme mana-geur de la plus vieille armureried’Israël, Lehav, située au sud de Tel-Aviv. « Beaucoup viennent aux infos pour savoir comment obtenirune licence. Seuls des groupes précis peuvent obtenir une arme,

comme les soldats, les officiers de sécurité ou les habitants en Cisjor-danie », explique-t-il. Les règles viennent d’être assouplies. Lemaire de Jérusalem, Nir Barkat, a encouragé tous les détenteurs de permis à sortir équipés. Le pro-duit le plus vendu reste le vapori-sateur à gaz poivré, qui tient dans le sac à main. On innove aussi. Untee-shirt pare-balles pesant 4 kgferait des miracles, pour 300 euros.

D’autres recherchent de l’aide. AJérusalem, le centre pour le traite-ment des traumatismes psycho-logiques à l’hôpital Herzog a annoncé qu’il offrait trois ses-sions gratuites, si nécessaire. Les

demandes d’intervention pourdes groupes se sont multipliées, explique son directeur, Danny Brom. Par exemple, des jeunes femmes pratiquantes faisant leur service civil, présentes lors de l’at-taque à la gare centrale de bus le 14 octobre, ont ressenti le besoin de parler. « Beaucoup de parentsvoulaient aussi savoir ce qu’ils pouvaient dire ou ne pas dire à leurs enfants, dit le psychologue. Les gens expriment une grandeimpuissance, ils disent qu’ils ne peuvent faire autrement qu’allerau travail. »

Familles aux aguets

Le directeur du centre note, toute-fois, qu’après quelques jours derépit, sans attaques à Jérusalem, « les habitants ont naturellement repris le cours de leur vie ». « Il y a quelque chose d’extraordinaire et de purement humain dans cetterésistance à la peur. »

Peu à peu, les familles ressor-tent, mais elles sont aux aguets.Au milieu de la promenade, prèsde la gare ottomane, se trouve lapetite échoppe de Yav Avital. On ne peut pas la manquer. De la mu-

Un civil armédans une rue

de la Vieille Villede Jérusalem,le 23 octobre.

THOMAS COEX/AFP

L’impact

psychologique

des attaques

est démultiplié

par la chambre

d’écho des

réseaux sociaux

sique joyeuse s’en échappe. Lespromeneurs aiment commanderun jus frais au maître des lieux, toujours affable. « On sent la peurdes gens, dit-il. Moi-même, si je m’assois sur le banc, je ne sais pas vers où tourner le dos. Mais les Ara-bes ont le même problème. Ils ont arrêté de sortir. J’en ai entendu qui parlaient anglais, pour passer in-cognito comme des étrangers. »

Yav Avital fait mine de ne pastrop s’émouvoir des conséquen-ces économiques de la peur.« Moi, ça va, je n’ai pas des frais im-menses, souligne-t-il. Mais quand je pense aux restaurateurs quipaient des dizaines de milliers de shekels de loyer par mois… Je ne sais pas comment ils font. » Cer-tains essaient de lancer des initia-tives pour contrer cette désertion des lieux publics, plus forte dans la Ville sainte qu’à Tel-Aviv. De-puis quelques jours, sur Face-book, une page a été créée, inci-tant les habitants de Jérusalem àse prendre en photo dans des res-taurants pour soutenir l’écono-mie locale. Son nom : « Eatifada ». Son succès demeure limité. p

piotr smolar

vingt ans après son assassinat, l’Etat israélien célèbre cette semaine la mémoire d’Yitzhak Rabin. Le point d’orgue sera unegrande manifestation, organisée à Tel-Aviv le 31 octobre. Mais il fallait s’y attendre, l’hé-ritage de ce travailliste à la trajectoire com-plexe, grand militaire devenu symbole de la quête d’une paix négociée avec les Pales-tiniens, fait l’objet de lectures divergentes.

Une cérémonie s’est tenue, lundi 26 oc-tobre à Jérusalem, sur le mont Herzl, là où repose l’ancien premier ministre. Dalia Ra-bin-Pelossof, sa fille, a exprimé sa douleur devant l’évolution de la société israélienne,après l’assassinat. « Depuis, a-t-elle dit, j’ai assisté à des rivières de haine profonde, sombre, déversées dans le discours public. Etce feu, qui consume tout le bien sur sonchemin, est nourri par une incitation

débridée, la même incitation qui a créél’impression qu’il était permis de tuer un premier ministre. »

Le « libérateur de Jérusalem » en 1967

Mais les hauts représentants de l’Etat, eux, n’ont guère parlé du chemin vers la paix. Le président Réouven Rivlin a choisi de rendre hommage au « libérateur de Jérusa-lem » en 1967, Rabin ayant été chef d’état-major pendant la guerre des Six-Jours.« Rabin croyait que toute revendication con-tre notre souveraineté sur Jérusalem était une revendication contre notre présence surnotre terre », a dit M. Rivlin, opposé à l’émergence d’un Etat palestinien.

Accusé par la famille Rabin d’avoir favo-risé en 1995 les appels à la violence contre Yitzhak Rabin, le premier ministre actuel,

Benyamin Nétanyahou, a préféré parler de l’actualité. Il a souligné que « Rabin consi-dérait le terrorisme comme étant détestableet amoral, quelque chose d’injustifiable, ce qui reste vrai aujourd’hui ». Selon lui, « lesPalestiniens ne s’éduquent pas à vouloir la paix, mais plutôt à continuer la violence et le bain de sang ».

Critiqué pour l’inefficacité de sa politiquesécuritaire, M. Nétanyahou multiplie les si-gnes en direction de la droite nationaliste. Ilréfléchit à un retrait du titre de résident auxhabitants arabes de Jérusalem-Est, vivant au-delà de la barrière de séparation. Entre 80 000 et 100 000 personnes seraient con-cernées, à condition que la Cour suprême valide une telle mesure. Elle accentuerait la division de fait de la Ville sainte. p

p. sm. (jérusalem, correspondant)

La droite rend un hommage sélectif à Yitzhak RabinLE CONTEXTE

MÉDIATIONLe secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a tenté une média-tion pour faire baisser la tension autour de l’esplanade des Mos-quées (mont du Temple pour les juifs). Israël a accepté la mise en place d’une surveillance vidéo vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le lieu saint. Mais, lundi 26 octobre, la vice-ministre des affaires étrangères, Tzipi Ho-tovely, a expliqué que son « rêve » était de « voir flotter le drapeau israélien sur le mont du Temple ». Elle a été corrigée par Benyamin Nétanyahou, désireux de calmer la situation.

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Révolution dans la boîte aux lettresLa Poste innove pour simpliier la vie des Français et booster l’e-commerce

Et si l’avenir de l’économie française était dans l’e-commerce ?Avec 700 millions de transactions en ligne en 2014 – soit 15% de plusqu’en 2013 – et 180 000 sites e-marchands actifs d’ici in 2015, le com-merce numérique pèse 60,6 milliards d’euros dans l’Hexagone, lequel sesitue au troisième rang européen derrière le Royaume-Uni et l’Alle-magne. Aujourd’hui, 34,7 millions de Français achètent via Internet, ce

qui représente 79 % des internautes. Ces chifres démontrent la vitalitédu secteur, de même que la coniance des consommateurs.Avec plus d’1 million de colis traités par jour, 15 plateformes dédiées,100 000 entreprises clientes, et le lancement de son nouveau serviced’expédition et de retour gratuit en boîte aux lettres, La Poste donne unnouveau coup d’accélérateur à l’e-commerce en France.

arier sur le commerce enligne. Accélérer la numéri-sation des services postaux.

Resserrer les liens avec sesclients… La Poste innove, et lanceune nouvelle ofre : dès à présent,tous ses usagers peuvent expédierou retourner un Colissimo depuisleur boîte aux lettres. Une mini-révolution particulièrement appréciée

par les e-acheteurs : désormais, ilsn’ont plus la moindre raison d’hé-siter à acheter en ligne par craintedes complications en cas de mau-vais choix, puisqu’ils peuvent re-tourner leur commande sans sortirde chez eux.

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4 | international MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

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A Tripoli, l’impuissance du camp modéréLes discussions au Maroc doivent reprendre pour sortir de l’impasse

tripoli (libye) - envoyé spécial

Nous avons accompli80 % du chemin. »Abderrahman Sewehlipèse et soupèse cha-

cun de ses mots. C’est que l’homme est un acteur clé des ef-forts de paix en Libye. On le devinevite au garde du corps nerveux quine le quitte pas d’une semelle, y compris dans le décor feutré de sa maison de Tripoli. Visage fin enca-dré d’une barbe blanche taillée, M. Sewehli reçoit dans un bureau exigu, mains jointes sur une table couleur acajou et flanqué de l’iné-vitable drapeau libyen.

Personnalité marquante de FajrLibya (« Aube de la Libye »), la coali-tion se réclamant de l’héritage de la révolution anti-kadhafiste, où les Frères musulmans et les com-battants issus de la ville mar-chande de Misrata exercent une influence déterminante, M. Sewe-hli était à Skhirat au Maroc, le 8 oc-tobre, quand le rêve d’une paix li-byenne s’est à nouveau évanoui. Plus d’un an après l’éclatement du-rant l’été 2014 de la guerre civile entre deux camps rivaux issus de la révolution de 2011, l’impasse po-litico-militaire en Libye semble toujours aussi insurmontable.

Processus bloqué

Mais voilà : un mince espoir de-meure avec ces « 20 % » qu’il reste àparcourir, à en croire M. Sewehli. ASkhirat, le chef libyen, figure de Misrata, était membre de la délé-gation du Congrès général natio-nal (CGN), le bras législatif de Fajr Libya. Ce « parlement » basé à Tri-poli défie l’autorité de l’Assemblée élue en juin 2014 en vertu d’un scrutin reconnu par la commu-nauté internationale et vite forcée de se replier à Tobrouk en raison des combats dans la capitale. Pré-sents à Skhirat aux côtés de M. Sewehli, le représentant spécialdes Nations unies pour la Libye, Bernardino Leon, et les délégués

du camp rival de Tobrouk – do-miné par des libéraux, des natio-nalistes et des ex-cadres du régimede Kadhafi – attendaient tous une précieuse nouvelle. Réuni le 7 oc-tobre à Tripoli en session plénière, le CGN était censé rendre publiquela liste de ses candidats aux diffé-rents postes du gouvernement d’union nationale que M. Leon s’efforce de former. Or le CGN a re-fusé ce jour-là de livrer le nom de ses candidats, bloquant ainsi bru-talement le processus.

Motif invoqué : l’accord institu-tionnel auquel ce gouvernement devait être adossé, fruit d’un an de laborieux pourparlers et toujours en attente de signature, ne sem-blait toujours pas acceptable au CGN. Ce dernier réclame de nou-veaux « amendements » lui garan-tissant toute sa place dans le futur partage de pouvoir. Estimant que les négociations n’avaient que trop duré – il espérait conclure le 10 octobre – M. Leon a réagi en dé-crétant les discussions « closes ». Surtout, il a annoncé unilatérale-ment un gouvernement d’union nationale de son choix. Son pari est de poser une première marche sur laquelle une dynamique de ré-conciliation pourrait trouver prise dans un second temps.

Le problème est que M. Leon seheurte à de virulentes résistances autant à Tripoli qu’à Tobrouk. A posteriori, M. Sewehli juge sévère-ment la précipitation de M. Leon. « Il a commis de graves erreurs », dit-il. L’une d’entre elles a été d’ajouter un troisième premier ministre adjoint (censé représen-ter le Sud) aux deux initialement prévus par le projet de compromis(représentant respectivement l’Estet l’Ouest), une modification que M. Sewehli tient pour « une viola-tion de l’accord ». Pour le reste, M. Sewehli ne désespère pas d’inci-ter M. Leon à revoir sa copie afin d’obtenir une véritable parité des pouvoirs entre les deux camps dans les futures institutions – le

franges, se tiennent un groupe de « colombes » partisan d’une si-gnature du projet d’accord de paixen l’état (autour de 15 élus), et un groupe de « durs » faisant de l’obs-truction en exigeant des condi-tions « impossibles à satisfaire » (entre 15 et 20 élus). M. Sewehli dé-finit le bloc central auquel il ap-partient comme « favorable à l’ac-cord de paix » moyennant des« amendements mineurs ». Après avoir été l’une des figures du campdes durs, il s’est modéré ces der-niers mois à l’instar d’autres re-présentants de Misrata, siège ducourant pro-dialogue en Tripoli-taine (Ouest).

Or la difficulté à ses yeux est queles « durs » contrôlent de facto le fonctionnement du CGN. « Une minorité abuse des procédures par-lementaires pour dénier aux autresla possibilité de voter sur l’accord de paix », dénonce M. Sewehli. Ainsi, le CGN a été empêché de vo-ter sur la liste – tant attendue lorsde la fameuse réunion du 7 octo-bre à Skhirat – de ses candidats au gouvernement d’union nationale.Cette politique de la chaise vide constitue une « énorme erreur », déplore M. Sewehli. Il la compare àl’attitude des faucons du camp d’en face, au sein du Parlement de

Tobrouk, qui ont empêché le 19 octobre la tenue d’un vote sur leprojet d’accord. Officiellement, lesFrères musulmans, le groupe le mieux organisé du CGN à Tripoli, soutiennent la démarche de M. Leon, si l’on en croit du moinsles déclarations de leur président Mohamed Sawan. En fait, certains observateurs les soupçonnent de duplicité, un double jeu consis-tant à laisser des élus « indépen-dants » mais liés au parti mener lafronde contre le plan de l’émis-saire de l’ONU.

Fragiles lueurs d’espoir

Comment sortir de l’impasse ? M. Sewehli estime qu’« il n’y a pas d’autres options que de poursuivre les négociations ». Or M. Leon a as-suré que celles-ci étaient closes.« Ce n’est pas à lui de décider d’arrê-ter ou de continuer les discussions, cette décision appartient aux Li-byens », objecte l’élu de Misrata. Une nouvelle réunion est prévue dans les jours qui viennent à Skhi-rat. M. Sewehli a l’intention de s’y rendre. La Libye en crise, plus désa-busée que jamais, n’en finit pas d’attendre quelques fragiles lueursd’espoir en provenance de la petiteville marocaine. p

frédéric bobin

Abderrahman Sewehli, le 22 octobre à Tripoli. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »

projet d’accord lui semblant à ce stade trop « biaisé » en faveur de Tobrouk – ainsi que des garanties que les futures lois ne violeront pas l’« esprit de la révolution ». Il y aenfin la question explosive du sortà réserver au général Khalifa Haf-tar, le chef militaire du camp de To-brouk, loué comme le champion de la « lutte antiterroriste » par ses partisans mais dénoncé comme un « putschiste » par Fajr Libya. « Il nous faut la garantie que Haftar sera évincé au moment précis de la signature de l’accord, réclame M. Sewehli. Or nous n’avons actuel-lement pas cette garantie. »

Dans la configuration présentedu CGN de Tripoli (134 élus),M. Sewehli se classe dans un bloc central majoritaire (qu’il évalue entre 70 et 90 élus). Sur ses

« Sauver la Libye, c’est la boussole qui doit guider les uns et les autres »Ramtane Lamamra, le ministre algérien des affaires étrangères, souligne les risques de déstabilisation régionale

ENTRETIEN

N égociations en Libye, ac-cord d’Alger au Mali, crisesyrienne… En visite à

Paris, lundi 26 octobre, le ministre algérien des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, livre son ana-lyse des crises régionales et du rôlejoué par son pays dans ce contexte.

Un accord inter-libyen peut-il encore être obtenu ?

Je l’espère. Bernardino Leon [mé-diateur de l’ONU], avec le soutien de beaucoup de bonnes volontés dans la région et dans le monde, a travaillé à ce plan, le résultat d’un effort qui s’est étendu sur une an-née. Ce plan n’est sans doute pas parfait, mais c’est une manière de mettre les Libyens ensemble. C’estensuite à eux qu’appartient de trouver une solution permettant de faire franchir à leur pays ce cap difficile. Nous avons signé avec une dizaine d’autres parties – paysarabes, européens, Etats-Unis, UE – un communiqué appelant les Libyens à accepter ce projet d’ac-cord. Derrière cet appel, il y a pour

tous la claire perception du dangerqui réside dans l’absence d’accord.

Qu’est-ce qui bloque ?Les égoïsmes, les incertitudes,

les frustrations, mais ces senti-ments doivent pouvoir laisser la place à un sentiment plus fort : lepatriotisme. Sauver la Libye, c’estla boussole qui doit guider les unset les autres. Je ne veux faire laleçon à personne mais l’heure est grave.

Quel a été le rôle de l’Algérie ?Il a été essentiel. L’Algérie a parlé

à toutes les parties à l’exceptiondes groupes terroristes. L’Algérie aune capacité d’écoute et de ras-semblement. Des Libyens de tou-tes régions, de toutes obédiences politiques sont venus en Algérie,souvent discrètement, parfois of-ficiellement. L’Algérie ne s’ingère pas dans leurs affaires intérieures,elle veut être partie prenante à la solution. Ce message est compris de toutes les forces libyennes.

Si ces négociations n’aboutis-sent pas…

Nous ne voulons pas minimiserles demandes de tel ou tel groupe. Nous disons simplement que tou-tes les demandes, si légitimes soient-elles, ne peuvent pas être satisfaites dans une période de tensions, d’absence de l’Etat, où le terrorisme et le crime organisé en profitent pour s’enraciner, aux dé-pens de la stabilité de la Libye, de son voisinage et de la commu-nauté internationale. Même si le mandat de M. Leon devait se ter-miner sans qu’il y ait un accord dé-finitif, nous souhaitons qu’il n’y ait pas de vide, que l’effort puisse être poursuivi et intensifié, peut-être sous une autre forme mais toujours avec les Nations unies au centre. Nous en avons parlé avec leprésident Hollande, avec Laurent Fabius, et nous sommes sur la même longueur d’onde.

Mali, Libye, Tunisie, quel pays vous inquiète le plus ?

La situation libyenne, surtout sil’absence d’accord devait persis-ter. Elle est dangereuse pour lepeuple libyen, et pour son voisi-nage – la Tunisie, l’Egypte, le Sou-

dan, le Tchad, le Niger et l’Algérie.J’aime à dire que l’Algérie se veut exportateur de paix, de stabilité et de sécurité. Nous faisons des ef-forts colossaux pour limiter si-non éliminer tout risque terro-riste en territoire algérien. Mais lasanctuarisation d’un territoire estquasiment impossible.

Et au Mali ?Au Mali, nous avons un accord.

La visite d’Etat du président ma-lien à Paris la semaine dernière, la conférence qui a eu lieu à l’OCDEmontrent que l’accord commenceà porter ses fruits. Evidemment, il y a des défis : une économie crimi-

nelle s’est installée dans le nord duMali, dont les tenants, alliés à desgroupes terroristes, feront tout pour que cet accord ne soit pas ap-pliqué. Mais le fait que les parties signataires du nord du Mali qui étaient en confrontation ouverte– la coordination des mouve-ments de l’Azawad et la plate-forme – soient arrivées [début oc-tobre] à un accord est un progrèsimportant. Ça contribue à créer une atmosphère favorable à la mise en œuvre de l’accord d’Alger.

Depuis le début des révolu-tions arabes en 2011, comment voyez-vous votre rôle dans la région ?

Qu’il y ait un besoin de réformesprofondes au sein de nombreusessociétés arabes, cela est une don-née acceptée. Que ce genre detransformations puisse épouser les caractéristiques locales, cela tombe sous le sens. Mais lorsqueces aspirations à la réforme sont instrumentalisées par des forces politiques ayant un agenda parti-culier, comme la mouvance sala-fiste, et lorsqu’elles sont mises à

profit par des intérêts étrangers, c’est là que les problèmes se po-sent. La manière dont la situation a été gérée en Libye [en 2011], dontle régime précédent [de Mouam-mar Kadhafi] a été abattu, n’a pas favorisé les efforts de ceux, y compris l’Union africaine, qui s’employaient à promouvoir unetransition inclusive et pacifique. Cela devrait inspirer la réflexiondes uns et des autres au moment où il y a beaucoup de discussions sur la tragédie syrienne. Nous de-vons éviter de refaire les erreursdu passé.

Le principe qui prévaut en Algérie de non-intervention armée en dehors de ses fron-tières est-il tenable ?

C’est un principe bien établi etrespecté par l’Algérie. Cela ne si-gnifie pas que l’Algérie n’a pasd’autres moyens d’action. L’Algé-rie a un réseau d’amitiés et ellecoordonne son action tant au ni-veau de la diplomatie que de sesservices de sécurité. p

propos recueillis par

charlotte bozonnet

« J’aime

à dire que

l’Algérie se veut

exportateur

de paix,

de stabilité

et de sécurité »

Au sein du

Parlement de

Tripoli, un groupe

de « durs » exige

des conditions

« impossibles

à satisfaire »

LE CONTEXTE

PARTITIONLa Libye vit une partition de facto depuis l’été 2014, quand des combats ont éclaté à Tripoli entre deux camps : l’un se re-vendiquant des idéaux de la ré-volution anti-kadhafiste de 2011 avec les Frères musulmans comme force la mieux organi-sée, l’autre rassemblant libé-raux, nationalistes, forces triba-les et ex-cadres du régime de Kadhafi, tous hostiles à l’islam politique. Les premiers domi-nent surtout à l’ouest (la Tripoli-taine), les seconds à l’est (la Cyrénaïque).

DISCUSSIONSDepuis l’éclatement de cette crise, le représentant spécial des Nations unies pour la Libye, le diplomate espagnol Bernardino Leon, s’efforce de sceller la réconciliation autour d’un gouvernement d’union na-tionale. La ville balnéaire maro-caine de Skhirat est le siège de pourparlers.

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Etats-Unis : Ben Carson, l’autre outsider républicainPourfendeur, comme Donald Trump, du « politiquement correct », le chirurgien séduit les électeurs religieux

washington - correspondant

Le dernier candidat en dateà donner la migraine auxresponsables du Parti ré-publicain est un neurochi-

rurgien retiré des blocs opératoi-res, Ben Carson, l’unique candidat afro-américain des primaires. Dans l’ombre du tonitruant ma-gnat de l’immobilier Donald Trump, ce parfait novice en politi-que s’est tranquillement installé à la deuxième place, en termes d’in-tentions de vote, au niveau natio-nal. A la veille du troisième débat opposant les prétendants à l’inves-titure républicaine qui devait se dérouler à Boulder (Colorado), mercredi 28 octobre, il a même pris les devants dans le premier Etat à se prononcer, l’Iowa, Etat ru-ral où son conservatisme et sa reli-giosité font merveille.

Contrairement à l’héritierTrump, Ben Carson a pour lui un parcours propre à inspirer les scé-naristes d’Hollywood, et qui a d’ailleurs déjà fourni la matière à un téléfilm (Gifted Hands, 2009). Né dans les quartiers populaires de Detroit au sein d’une famille dé-saccordée puis séparée, il parvient tout d’abord à modérer un tempé-rament de bagarreur en se plon-geant dans la Bible. Sous la férule d’une mère exigeante, il se lance ensuite à corps perdu dans les étu-des et accède à la prestigieuse uni-versité de Yale. Diplômé en psy-chologie, il se tourne vers la neuro-chirurgie et devient en un temps

record un grand nom de la méde-cine dans un des meilleurs établis-sements des Etats-Unis, l’hôpital Johns-Hopkins de Baltimore.

La notoriété de M. Carson, décoréen 2008 par le président George W.Bush de la plus haute distinction civile américaine, a très vite dé-passé le cadre des milieux hospita-liers. Sa popularité a été dopée par la publication de nombreux livres à succès, dont certains écrits avec son épouse, Candy. Ces ouvrages jalonnent son évolution vers une ambition politique qui s’affirme en 2013. Invité d’honneur d’un ras-semblement annuel de religieux à Washington, le National Prayer Breakfast, il y critique avec viru-lence la politique du président dé-mocrate Barack Obama, assis à quelques mètres de lui.

La foi avant la science

Le lendemain, le Wall Street Jour-nal s’enthousiasme et titre « Ben Carson président ! ». Un an plus tard, le neurochirurgien, qui vient de mettre un terme à ses activités professionnelles, publie One Na-tion (Sentinel), au sous-titre pro-grammatique : « Ce que nous pou-vons tous faire pour sauver l’avenir de l’Amérique ». Le 6 octobre est paru chez le même éditeur A More Perfect Union, vade-mecum pour permettre aux Américains de re-couvrer des libertés constitution-nelles jugées menacées.

Ben Carson fait campagne à samanière : calme et posée. Les inter-minables séances de dédicaces

M. Obama était la pire chose surve-nue aux Etats-Unis « depuis l’escla-vage » et assimilé prison et homo-sexualité, il a exprimé en septem-bre, au mépris de la lettre de la Constitution, son hostilité à ce qu’un musulman accède à la prési-dence des Etats-Unis, puis assuré en octobre que l’extermination des juifs aurait pu être évitée si ces derniers avaient été armés.

Comme pour le magnat de l’im-mobilier, les froncements desourcils provoqués par ces décla-rations hasardeuses ne lui ont pasnui, bien au contraire. Les criti-ques sont apparues à ses soutiens comme autant de preuves d’un

verrouillage idéologique « libé-ral » (au sens anglo-saxon de « progressiste »). De même, il n’a pas souffert de prestations très discrètes lors des deux premiers débats opposant les principaux candidats républicains.

Au sein de l’électorat républi-cain, M. Carson séduit particuliè-rement les électeurs blancs con-servateurs ou religieux (évangéli-ques ou « born-again »), ce qui ex-plique les bons scores prévus dans l’Iowa, et dans une certaine mesure, en Caroline du Sud, autreEtat à se prononcer parmi les pre-miers. Il obtient le meilleur ratio entre les avis favorables et défavo-

rables, même si certaines de sespositions, notamment sur un plus grand contrôle des armes semi-automatiques, sur la hausse du salaire minimum ou sa mé-fiance à l’égard du projet de traité de libre-échange avec des pays ri-verains du Pacifique le placent à lamarge du Grand Old Party. Campésur un trésor de guerre électoral de plus de 30 millions de dollars,(27 millions d’euros) aux deux tiers alimenté par de petits dona-teurs, le neurochirurgien est dé-sormais pris au sérieux. Au pointde s’attirer depuis peu les criti-ques acerbes de M. Trump. p

gilles paris

Devant un car de la campagne de Ben Carson pour la primaire républicaine, le 24 octobre, à Ames, dans l’Iowa. MARK KAUZLARICH/REUTERS

Guatemala : Morales, le comique devenu présidentNovice en politique, il a bénéficié de l’indignation provoquée par des scandales de corruption

E lu haut la main présidentdu Guatemala, le comiqueJimmy Morales a promis

de ne pas faire pleurer ses compa-triotes après les avoir fait rire du-rant vingt ans. Il n’aura pas la tâ-che facile, malgré l’ampleur de sa victoire. Au second tour de l’élec-tion présidentielle, dimanche25 octobre, il a remporté 67 % des suffrages face à l’ancienne pre-mière dame, Sandra Torres.

Près d’un électeur sur deux nes’est pas déplacé, alors que la par-ticipation avait atteint 70 % au

premier tour. Les caisses de l’Etatsont vides, plusieurs ministères, comme celui de la santé, de l’édu-cation ou de l’intérieur, sont en cessation de paiement. La crois-sance est en berne et la dette exté-rieure asphyxie ce pays où 54 % dela population vit dans la pauvreté – 13 % dans l’extrême pauvreté.

« Les détournements de fondscommis par l’ancien président Otto Pérez et sa vice-présidente Roxana Baldetti [tous deux en pri-son, en attente de jugement] n’ontpas seulement représenté le vol de 40 % des recettes douanières, ils ont aussi porté un coup de grâce à la morale fiscale et presque pluspersonne ne veut payer ses im-pôts », note Martin Rodriguez Pel-lecer, le fondateur du site InternetNomada. Avant même ce scan-dale qui a provoqué la chuted’Otto Pérez, la pression fiscalen’était que d’un peu plus de 11 % du produit intérieur brut, la plus basse d’Amérique latine.

Vedette du petit écran et noviceen politique, Jimmy Morales asurfé sur la vague d’indignationpopulaire provoquée par les scan-dales. Crédité de moins de 1 % des intentions de vote il y a six mois, ila fait une percée météorique en seprésentant comme un outsider n’ayant jamais appartenu au sys-tème de partis corrompus qui contrôle le Guatemala depuis leretour à la démocratie en 1985. « Ni corrompu, ni voleur » : utili-sant un langage simple, émailléde facéties et de références aux personnages qui l’ont fait connaî-

tre sur les écrans de télévision, il afait de la lutte contre la corruptionson principal cheval de bataille. Il a promis de renforcer les moyens du ministère public et de renou-veler le mandat de la Commissioninternationale contre l’impunitéau Guatemala (CICIG), une ins-tance créée par l’ONU qui a joué un rôle décisif dans la lutte contrela corruption.

De surprenantes propositions

« Le peuple m’a donné pour man-dat de lutter contre la corruptionqui nous ronge », a-t-il dit lors de sa première conférence de presse après sa victoire. « En donnant l’exemple et en faisant respecter la loi », s’est-il contenté de répondre lorsqu’on l’interrogeait sur lesmesures concrètes pour y parve-nir. Son programme, qui tient en six pages, énonce quelques va-gues mesures sur l’éducation, lasanté et le développement écono-mique. Il s’est prononcé pour une augmentation des royalties payées par les compagnies miniè-res, qui ne sont que de 1 %. Au fil

de la campagne, il a ajouté quel-ques surprenantes propositionscomme la distribution de smart-phones aux écoliers ou le con-trôle de la présence des ensei-gnants par GPS.

Evangéliste et conservateur, ilest partisan de la peine de mort etopposé à l’avortement et au ma-riage gay. Le mystère demeurequant à ses principaux collabora-teurs et à la composition de son gouvernement. Le plus visible est son frère Sammy, qui animait avec lui ses émissions humoristi-ques. Le Front de convergence na-tionale (FCN-Nacion, droite), leparti qui l’a présenté, n’a obtenuque 11 sièges sur les 158 que compte le Parlement. Pour gou-verner, Jimmy Morales devra né-gocier avec les partis tradition-nels dont il a dénoncé la corrup-tion et le clientélisme pendant la campagne. Le FCN a été créé par des membres de l’Association des anciens combattants du Guate-mala (Avemilgua), parmi lesquels figurent des officiers d’extrêmedroite accusés de massacres pen-dant la guerre civile, qui a fait plusde 200 000 morts entre 1960 et 1996. L’un d’eux, le colonel EdgarOvalle Maldonado, qui a été éludéputé, a joué un rôle-clé dans la campagne de Jimmy Morales. Les organisations de défense des droits de l’homme craignent quesa victoire soit un obstacle à leurs efforts pour mettre fin à l’impu-nité des responsables de crimes durant la guerre civile. p

jean-michel caroit

Evangéliste

et conservateur, il

est partisan de

la peine de mort

et opposé

à l’avortement

et au mariage gay

auxquelles il se livre lui permet-tent de solidifier un électorat très conservateur attiré par ce membrerevendiqué de l’Eglise adventiste du septième jour, une chapelle protestante au sein de laquelle of-ficiait son père. Entre la foi du croyant et les constats de la science, le neurochirurgien a tran-ché depuis longtemps au profit de la première.

Pourfendeur comme Trump du« politiquement correct » qui at-tente selon lui à la liberté d’expres-sion, Ben Carson multiplie embar-dées, contre-vérités et approxima-tions. Après avoir jugé que la ré-forme du système de santé de

L’HISTOIRE DU JOURLes Lords volent au secours des pauvres contre David Cameron

londres - correspondant

C ela n’était arrivé que cinq fois depuis 1945 : la Chambredes lords est sortie, lundi 26 octobre, de son rôle consulta-tif traditionnel pour s’opposer à un texte voté par les dé-

putés. Par 289 voix contre 272, les pairs, non élus, ont dit tout lemal qu’ils pensent d’une des réformes phare du gouvernement Cameron : la diminution drastique des « crédits d’impôts » (« tax credits »), prestations sociales destinées à compenser la modicitéet la précarité des salaires et à inciter au retour au travail.

Il s’agit du premier camouflet encaissé par le premier minis-tre conservateur sur sa politique d’austérité, même si ce vote éclabousse d’abord le ministre des finances, George Osborne,dauphin de David Cameron et principal promoteur de la ré-forme destinée à économiser 4,4 milliards de livres sterling (6,1 milliards d’euros) sur les 30 milliards que coûtent ces alloca-tions à l’Etat chaque année. La mesure coûterait en moyenne 1 300 livres par an à trois millions de foyers parmi les plus dé-

munis. Le coup de pouce financieraccordé aux familles de trois enfantset plus doit être supprimé.

Tradition remontant à 1911

En vertu d’une tradition remontant à1911, les Lords n’ont pas le pouvoir debloquer une législation financièrevotée à la Chambre des communes.Mais les pairs ont considéré qu’ilétait possible de passer outre cetusage et voté une motion déposée

par le Labour, qui a reçu l’appui de Lords conservateurs, récla-mant des compensations financières pour les ménages affectéspar les coupes, et un autre texte exigeant le report de la réformejusqu’à la publication d’une étude d’impact.

Le gouvernement a multiplié les pressions avant le vote, me-naçant de limiter leurs pouvoirs par la loi s’ils infligeaient cequ’un proche de la ministre de l’intérieur Theresa May a quali-fié d’« outrage constitutionnel ». La nomination à la Chambre des lords étant à la discrétion du gouvernement, M. Cameronpourrait aussi faire entrer un bataillon de nouveaux pairs à sa botte pour mater la rébellion. p

philippe bernard

LA CHAMBRE DES LORDS S’EST OPPOSÉE À UNE MESURE DE LA POLITI-QUE D’AUSTÉRITÉ

LE PROFIL

Jimmy Morales

Né en 1969 dans une famillepauvre, il vend des bananesau marché avec sa mère aprèsla mort de son père. Dans les an-nées 1990, il se lance dans la pro-duction audiovisuelle et crée un programme humoristique « Mora-lejas ». Il a fait des études dethéologie, de gestion et de sécu-rité stratégique. Il s’est présentésans succès à la mairie de Mixco, deuxième ville du pays, en 2011.

Budget : accord entre le Congrès et la Maison BlancheLa majorité républicaine du Congrès américain et la Maison Blan-che se sont mises d’accord lundi 26 octobre sur un rare compromis budgétaire qui, s’il était adopté, écarterait tout risque de défaut de paiement pour le reste de la présidence de Barack Obama. Les ré-publicains de la Chambre des représentants ont dévoilé peu avant minuit lundi soir une proposition de loi négociée en toute discré-tion depuis plusieurs semaines. L’accord doit maintenant être adopté par la Chambre puis le Sénat dans les prochains jours.

Page 7: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 international & planète | 7

L’UE inquiète de la victoire du PiS en PologneLe parti conservateur s’oppose à un plan de relocalisation des réfugiés

varsovie - envoyé spécial

bruxelles - bureau européen

Dans l’eurosceptismeambiant au sein del’Union européenne(UE), la nouvelle tombe

mal. Le parti conservateur et na­tionaliste polonais Droit et justice (PiS) de l’ancien premier ministre Jaroslaw Kaczynski revient au pou­voir en disposant même d’une majorité absolue. Les deux années de la « république monozygote » des frères jumeaux Kaczynski de 2005 à 2007 n’ont pas laissé d’ex-cellents souvenirs à Bruxelles.

Alors que la crise des migrants

menace ses équilibres, l’UE assisteà une nouvelle victoire d’un parti hostile à sa politique de réparti-tion des réfugiés. « Chaque élec-tion est désormais d’abord mar-quée par cette question, c’est de plus en plus inquiétant », com-mente, sous le sceau de l’anony-mat, un haut fonctionnaire du service diplomatique.

La victoire du PiS devrait con-forter le groupe de Visegrad (Po-logne, Hongrie, Slovaquie, Répu-blique tchèque), hostile au plande « relocalisation » de 160 000personnes, que Varsovie avaitfini par accepter, au grand dam du PiS qui entend bien le remet-tre en question.

« Mme Merkel a critiqué les an-ciens pays de l’Est pour leur man-que de solidarité sur la questiondes réfugiés, explique Marek Ma-gierowski, conseiller diplomati-que du président polonais Andr-zej Duda. En Pologne, commechez les autres membres dugroupe de Visegrad, nous avonsune expérience des décisions pri-ses ailleurs. Nous sommes atta-chés à notre liberté et à notre sou-veraineté. La solidarité ne peutpas être forcée. »

« Avec les déclarations de Kac-zynski sur la menace que représen-teraient les musulmans pour la Po-logne catholique, sa future ententeavec Viktor Orban ne fait pas de doutes », se lamente un haut res-ponsable de la Commission.M. Kaczynski a salué la politique économique nationaliste de M. Orban et le programme du PiS prévoit de reprendre d’entre les mains de groupes européens despans de l’économie polonaise.

La diplomatie bruxelloise craintcependant une surenchère de laPologne qui compliquerait unpeu plus les relations entre l’UE etMoscou. Le PiS reproche à la France et à l’Allemagne d’avoir écarté la Pologne sur la question de l’Ukraine. « Nous ne voulonspas remettre en cause les accordsde Minsk mais nous voulons y par-ticiper pour mettre la pression sur les Russes, affirme M. Magie-rowski, au cabinet du présidentDuda, qui sera en visite à Paris, jeudi 28 octobre. La logique de la Russie est de créer des conflits geléspour éviter que l’Ukraine oud’autres pays de la région rejoi-gnent l’UE et l’OTAN. C’est impor-tant que l’on soit présent, car plu-sieurs pays européens préfére-raient s’entendre avec Moscou. »La question d’une prolongation des sanctions contre Moscou doit se poser en janvier et pourrait en-traîner de nouvelles divisions en-tre les Vingt-Huit, y compris au sein du groupe de Visegrad.

Dans les négociations avec Lon-

dres pour éviter le Brexit, le PiS estun allié naturel des Britanniques. Au Parlement européen, ses élus siègent dans le même groupe que les conservateurs britanniques. Hostile à une Europe fédérale etattaché à la souveraineté natio-nale, Varsovie pourrait être en-core plus encline à venir en aide à Londres. A une nuance près : l’unedes principales revendications de Londres est une limitation de la li-berté de circuler des travailleurseuropéens, qui va affecter en prio-

rité les 800 000 Polonais qui vi-vent au Royaume-Uni. « Sur laquestion de l’immigration polo-naise, nous avons toujours lamême position : nous défendronsnos ressortissants », insiste Marek Magierowski.

« Le PiS a des désirs de change-ment en Europe, mais il y a des fac-teurs objectifs pour les limiter, ex-plique Marcin Zaborowski direc-teur du Centre d’analyse de la po-litique européenne à Varsovie. Lepoint sur lequel ils seront le plus in-transigeants, ce sont les négocia-tions sur le climat. Le charbon enPologne c’est comme le nucléaireen France. »

Le parti nationaliste polonais necherchera pas à jouer les bons élè-ves européens. Mais il évitera de jouer les cancres. Il est bien trop conscient que la Pologne a besoin des fonds européens pour conti-nuer son développement cons-tant depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004. p

alain salles

et jean-pierre stroobants

Jaroslaw Kaczynski, président de Droit et justice (PiS), à Varsovie, le 17 octobre. ALIK KEPLICZ/AP

Un séisme meurtrier ébranle l’Asie du SudLe tremblement de terre de magnitude 7,5 a fait plus de 300 morts au Pakistan et en Afghanistan, dans des régions montagneuses isolées et aux prises avec les talibans

new delhi - correspondance

U n puissant séisme de ma-gnitude 7,5 a frappé l’Asiedu Sud, lundi 26 octobre,

à 13 h 39 heure locale, faisant plusde 300 morts en Afghanistan etau Pakistan, dans des régionsmontagneuses isolées et aux pri-ses avec l’insurrection des tali-bans. Le bilan risque de s’alourdir au cours des prochains jours enraison des moyens de communi-cation coupés et de l’accès difficiledes secours sur place.

« Nous n’avons pas encore toutesles informations sur l’étendue du désastre et les localités les plus af-fectées », expliquait mardi matinCharles Godfrey Byamugisha, le coordinateur en Afghanistan de lacellule de réponse aux désastresnaturels pour le Croissant-Rouge. Les populations affectées vivent dans des hameaux isolés, éloi-gnés des hôpitaux, dans des habi-tations qui ne sont guère résistan-tes aux secousses des tremble-ments de terre. Dans cette région montagneuse, les populationssont désormais sous la menace deglissements de terrain provoqués par le séisme. Les ONG craignentune détérioration de la situationhumanitaire sur place, surtout à l’approche de l’hiver. Des milliers d’habitants ont passé la nuit delundi à mardi dehors dans lacrainte de répliques.

Selon l’Institut américain de

géologie (USGS), l’épicentre du séisme se situait à Jurm, dans les montagnes reculées du Badakh-chan, à l’extrême nord-est de l’Afghanistan, à environ 250 kilo-mètres de la capitale Kaboul. La zone de l’épicentre enregistre en-viron 12 000 habitants, selonl’USGS, mais la région voisine deKunduz, dix fois plus peuplée, aégalement été frappée par de for-tes secousses. Mardi matin, le bi-lan en Afghanistan s’élevait à90 morts dont 12 écolières afgha-nes tuées dans une bousculade provoquée par le séisme. « C’est l’un des séismes les plus puissants qu’ait connu l’Afghanistan aucours des dernières décennies », a déclaré Abdullah Abdullah, le chefde l’exécutif du pays. Dans un message publié sur leur site Inter-net, les talibans invitent les « moudjahidine à offrir leur aideinconditionnelle aux victimes etfaciliter le travail des organisa-tions caritatives ».

Une région très exposée

Au Pakistan, un bilan provisoire faisait état, mardi matin, de 229morts et de centaines de blessés dans des régions tribales et semi-autonomes le long de la frontière avec l’Afghanistan. Le premier mi-nistre pakistanais, Nawaz Sharif, aécourté son séjour à Londres pour revenir au plus vite dans sonpays. L’armée a envoyé sur place plusieurs hélicoptères et équipes

de secouristes. Mais sa tâche ris-que d’être ardue. « Le tremble-ment de terre a frappé de nom-breuses zones rurales, où il est es-sentiel de travailler en partenariatavec des organisations locales, dans la mesure où elles sont lespremières à intervenir dans de tel-les crises », plaide Rashid Javeed, ledirecteur de l’ONG Plan Interna-tional au Pakistan.

Les secousses ont été ressentiesjusqu’en Asie centrale et dans lenord de l’Inde. A New Delhi, le mé-tro a cessé de fonctionner pen-dant quelques heures par mesure de sécurité, et des milliers d’habi-tants ont fui les immeubles pour se réfugier dans la rue. Au Cache-mire, la région indienne la plus touchée par le séisme, le réseau detéléphonie mobile a été coupé et le trafic s’est immobilisé.

La région de l’Hindou Kouch, si-tuée sur la ligne de collision entre les plaques tectoniques indienne

et eurasienne, est particulière-ment exposée aux risques sismi-ques. Il y a six mois, un séisme de magnitude 7,9 a fait près de 9 000 victimes au Népal. La pla-que indienne s’enfonce, comme un coin sur un plan incliné, sous laplaque eurasienne dont elle pro-voque l’élévation. Ce chevauche-ment se poursuit à une vitesse de l’ordre de 2 centimètres par an, ac-cumulant d’énormes tensions qui se libèrent lors d’un séisme. Au cours des quinze dernières an-nées, l’Afghanistan a été frappé parplus de 20 séismes meurtriers.

En 2005, un tremblement deterre de magnitude 7,6, dont l’épi-centre se situait à quelques cen-taines de kilomètres de celui de lundi, avait fait plus de 75 000morts, dont une immense majo-rité au Pakistan, et poussé 3,5 mil-lions de personnes à quitter leur foyer. L’épicentre du séisme delundi, plus profond, à plus de 200 kilomètres sous terre, ne devrait pas avoir causé autant de dégâtsmatériels et humains. « Ce trem-blement de terre était le quaran-tième de l’histoire du Pakistan et l’un des plus puissants », note le quotidien pakistanais The ExpressTribune dans son édition de mardi. Mais de regretter : « Lesautorités ont cependant échoué àmettre en place des protocolesadéquats de prévention contre les désastres naturels. » p

julien bouissou

Les populations

affectées vivent

loin des hôpitaux,

dans des

habitations qui

ne sont guère

résistantes aux

secousses

Mais l’axe Varsovie-Budapest a aussi une limite : la complaisance – insupportable pour un Polonais – affichée par le premier ministre hongrois à l’égard du présidentrusse Vladimir Poutine.

Allié naturel des Britanniques

Kaczynski et le PiS vont imposer un ton différent, plus désagréable aux oreilles de Bruxelles que la re-cherche de compromis perma-nente de Donald Tusk. « Kaczynskiest plus prudent qu’il y a dix ans,quand il s’était mis à dos la Russie et l’Allemagne et avait isolé la Polo-gne. Duda est allé en Allemagne après son élection. On constate aussi qu’ils parlent peu de l’Ukraine », relève AleksanderSmolar, président de la fondation Stefan Batory. « Ils aimeraient réé-quilibrer l’Europe autour d’un axe qui irait des pays baltes à la Bulga-rie, mais c’est une utopie, pour-suit-il. Les Baltes adoptent l’euro etOrban s’est rapproché de Moscou. Et personne ne veut des Polonaiscomme dirigeants. »

LE CONTEXTE

RÉSULTATSDroit et justice (PiS) a remporté les législatives du dimanche 25 octobre avec 37,58 % des suf-frages, a annoncé lundi la com-mission électorale. La Plate-forme civique au pouvoir depuis huit ans obtient 24,09 % des voix. Le mouvement populiste du roc-ker Pawel Kukiz a 8,81 % et le parti Nowoczesna (Moderne) du libéral Ryszard Petru 7,60 %. Le parti paysan PSL se qualifie de justesse avec 5,13 % des voix. Avec 7,55 %, la coalition Gauche unifiée est en deçà du seuil d’éli-gibilité de 8 % pour les coalitions. Elle a été concurrencée par la gauche radicale du Razem (3,62 %). Korwin-Mikke (extrême droite) échoue avec 4,76 %.

MER DE CHINEUn navire américain s’approche d’îlots contrôlés par PékinUn navire de guerre améri-cain s’est approché, mardi 27 octobre, à moins de 12 mil-les d’îlots artificiels construits par Pékin en mer de Chine méridionale, dans l’archipel des Spratleys, disputé par la Malaisie, les Philippines, le Vietnam et Brunei, suscitant une condamnation des auto-rités chinoises, qui ont dé-noncé une « menace pour la souveraineté » du pays. – (AFP.)

CONGOLa nouvelle Constitution approuvéeLe projet de nouvelle Consti-tution permettant au prési-dent congolais, Denis Sassou-Nguesso, de se représenter en 2016 a été approuvé, di-manche 25 octobre, à 92,96 % des suffrages exprimés avec une participation de plus de 72 % au référendum, selon les résultats officiels annoncés mardi 27 octobre. L’opposi-tion a dénoncé une « triche-rie » et des « résultats tripa-touillés ». – (AFP.)

« Le PiS aimerait

rééquilibrer

l’Europe autour

d’un axe qui irait

des pays baltes

à la Bulgarie »

ALEKSANDER SMOLAR

président de la fondationStefan Batory

Le décryptagede l’éco

du lundi au vendredi à 8h10

avec Vincent Giret,

journaliste auMonde

avec

Page 8: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

8 | france MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Migrants : les réticences françaisesSelon une étude menée dans sept pays d’Europe, les Français sont parmi les plus frileux face aux réfugiés

Le diagnostic est posé demanière détaillée et pré-cise : parmi les pays d’Eu-rope occidentale, la

France s’illustre par sa frilosité vis-à-vis de l’accueil des migrants,alors que les arrivées récentes etimportantes ne la concernent pasau premier chef. Tel est le princi-pal enseignement d’une vaste en-quête menée par l’institut de son-dage IFOP dans sept pays euro-péens – France, Allemagne, Gran-de-Bretagne, Italie, Espagne, Pays-Bas et Danemark – pour le comptede la Fondation Jean-Jaurès et dela Fondation européenne d’étu-des progressistes, et dont LeMonde publie les résultats.

Les Français sont les moinsnombreux (54 %, autant que les Britanniques) à considérer que« c’est le devoir de notre pays qued’accueillir des migrants qui fuientla guerre et la misère ». Ils sont 67 % en Espagne, 68 % en Italie et jusqu’à 79 % en Allemagne, paysqui apparaît tout au long de l’étude particulièrement ouvert à l’accueil, même si un mouvementde repli y est nettement percepti-ble entre la fin septembre et la mi-octobre, dates des deux vagues d’enquêtes menées par l’IFOP.

Solution de long terme

Un autre indicateur illustre en-core plus fortement cette frilosité française. Les sondés français sont les seuls à préconiser,comme première solution à lacrise actuelle, un renforcement des contrôles aux frontières (30 %), alors que dans l’ensembledes pays étudiés, les opinions plé-biscitent plutôt « l’aide au déve-loppement et à la stabilisation des pays du sud de la Méditerranée afin de fixer les populations surplace ». La Fondation Jean-Jaurès note d’ailleurs que « bien que lacrise des migrants et son traite-ment médiatique ont essentielle-ment été placés sous le signe de l’urgence, c’est une solution de long terme que les Européens, dansleur majorité, perçoivent commeétant la plus efficace ».

Les opinions européennes sonten revanche beaucoup plus divi-sées sur la question d’une réparti-tion des migrants entre les diffé-rents pays de l’Union. Cette solu-tion, adoptée à Bruxelles au mois de septembre pour un premier contingent de 160 000 deman-deurs d’asile, n’est acceptée que par 48 % des Néerlandais, 46 % des Français et 44 % des Britanni-ques. De façon guère surprenante,l’Allemagne, premier objectif des réfugiés en Europe, et l’Italie, pre-mière porte d’entrée dans l’UEavec la Grèce, plébiscitent cette

option à respectivement 79 % et 77 %. Allemands (86 %) et Italiens (69 %) sont aussi de loin les plus nombreux à considérer que leur pays accueille davantage de mi-grants que les autres pays mem-bres. Ils sont 31 % en France.

La position française peut appa-raître paradoxale, dans le sens où les Français sont parmi les plus nombreux (60 %) à considérer que les migrants arrivés ces der-

niers mois en Europe sont « plutôtdes demandeurs d’asile qui fuient la guerre ou les persécutions ». Ils se placent sur le sujet en deuxième position derrière l’Es-pagne (71 %), alors qu’une majo-rité d’Italiens ou de Néerlandaisconsidèrent ces migrants comme des « migrants économiques qui viennent chercher des conditionsde vie meilleures en Europe ».

Mais, pour la Fondation Jean-

Jaurès, c’est moins un impératifmoral qui détermine les position-nements vis-à-vis de l’accueil que des considérations économiques. Tous les pays, hormis l’Allemagne,doutent de leur capacité finan-cière à accueillir les migrants etsont sceptiques sur les bénéfices d’un tel accueil en termes de croissance économique. 78 % desItaliens, 73 % des Français et 64 % des Espagnols estiment que leur

pays n’a pas les ressources pour accueillir des migrants, contre 31 % des Allemands. Ceux-ci sont également 55 % à voir dans l’ac-cueil des migrants une « opportu-nité » pour l’économie, contre 25 % des Français.

En France, en Italie, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, six sondés sur dix sont d’accord avec l’idée selon laquelle « notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers

« L’extrême droite a imposé l’idée d’une immigration invasive »Pour le chercheur en sciences politiques François Gemenne, il y a en France un gros décalage entre la perception de l’immigration et la réalité

ENTRETIEN

F rançois Gemenne, spécia-liste des flux migratoires,est chercheur en sciences

politiques à l’université de Liège et à Sciences Po Paris. Il met enavant le poids de l’histoire et de l’extrême droite dans la façon dont la France aborde l’accueildes migrants.

Selon l’étude IFOP, face à l’accueil des migrants, la France appartient à un bloc de « refus » au sein de l’Europe, alors même que l’arrivée de migrants ne la concerne pas au premier chef. Est-ce une surprise ?

Ça ne m’étonne pas du tout, lesétudes montrent que c’est enFrance qu’il y a un des plus gros

décalages, si ce n’est le plus gros, entre la perception de l’immigra-tion et la réalité. Ce décalage ren-voie à la confiscation du discours politique et de l’agenda médiati-que par l’extrême droite. Sur cesquestions, elle a réussi à imposerun cadre de pensée négatif, l’idée d’une immigration invasive, ex-trêmement forte et prégnante. EnFrance, on considère que l’immi-gration est un problème à résou-dre. On propose à gauche et à droite des solutions différentes,mais le paradigme de l’immobi-lité – selon lequel, dans un mondeidéal, chacun resterait chez soi – n’est pas remis en cause.

La question migratoire a pris une ampleur inédite depuis quelques mois. La frilosité de

la France y est antérieure ?C’est quelque chose qui est mani-

feste depuis le milieu des années 1980. Je pense par exemple à Lau-rent Fabius, qui dit lorsqu’il est pre-mier ministre : « Le FN pose de bon-nes questions mais apporte de mauvaises réponses. » La gauche accepte que l’agenda sur ces ques-tions lui soit dicté par le FN. La grande victoire de l’extrême droiteest d’ailleurs plus sur cette orienta-tion du débat public que sur le plandes résultats électoraux.

Un autre élément qui explique cesentiment chez les Français relève de l’idée, plus forte qu’ailleurs, d’une sorte d’Etat-nation immua-ble. En Europe, tous les pays ne sont pas des Etats-nations. C’est enFrance que la notion de terroir ré-sonne le plus. C’est le seul pays qui

se définit par sa forme géométri-que. Et tout changement venu de l’extérieur est perçu comme une menace. A l’image de la Grande-Bretagne, la France se vit comme une île et elle a encore du mal à ac-cepter qu’elle soit un pays comme les autres. A l’arrivée, on a, d’un côté, l’Allemagne qui essaye de se projeter comme pays-monde et, de l’autre, la France encore recro-quevillée sur elle-même.

N’y a t-il pas une contradiction entre cette méfiance et l’his-toire française, qui a connu plusieurs vagues migratoires ?

Il est vrai que la France s’est da-vantage façonnée par l’immigra-tion que d’autres pays européens. Et c’est un peu comme si on refu-sait aujourd’hui à la nouvelle im-

migration la possibilité de contri-buer à la société française. Mais il ne faut pas oublier que l’immigra-tion ancienne n’a pas forcément été mieux accueillie. L’image de la France terre d’asile tient large-ment de la légende urbaine. Ça a existé sur des opérations ponc-tuelles, comme les boat people.

L’étude identifie des variables qui structurent les opinions des pays européens, en particu-lier la santé économique et la capacité d’une société à inté-grer de nouveaux étrangers…

L’idée selon laquelle il y a desseuils maximaux pour une bonne intégration socio-économique est un concept politique sans fonde-ment empirique. Les migrants re-présentent une contribution nette

à l’économie d’un pays : ils payent des impôts, ils occupent des em-plois sur des segments délaissés… Même s’il y a un coût d’accueil im-médiat, sur le long terme, en réa-lité, c’est un investissement.

Les Allemands et les Italiens sontdavantage conscients de leur défi-cit démographique et de leur be-soin de main-d’œuvre. Il y a aussi dans ces pays l’effet d’une confron-tation au réel qui a fait naître chez les gens des sentiments d’accueil. Enfin, une des grandes leçons de l’exemple allemand réside dans le fait qu’une décision politique peutentraîner une adhésion avec elle. On oublie que le rôle des politiquesest de convaincre et de précéder lesopinions, plus que de les suivre. p

propos recueillis par

julia pascual

ROYAUME-UNI

FRANCE

ITALIE

46 %

77 %

ALLEMAGNE79 %

ESPAGNE67 %

44 %

PAYS-BAS

DANEMARK

48 %

57 %

154

14,8

4

6,6

29,5

8,7

30,1

EN % DE RÉPONSES FAVORABLES

Etes-vous favorable ou opposé à ce que les migrants qui arrivent sur

les côtes européennes soient répartis dans les di�érents pays

d’Europe et à ce que votre pays en accueille une partie ?

Nombre de demandes d’asile déposéesau 1er semestre 2015EN MILLIERS

Depuis des mois, des migrants arrivent par dizaines de milliers sur les côtes européennes.

Selon vous, quelle action devraient entreprendre les pays de l’Union européenne, en priorité ? % DE RÉPONSES POSITIVES

55

46 4541 39

3529 30

23 21 19 17 158

29 2720 20

161612

Aider au développement des pays du Sud, pour fixer sur place les populations

Renforcer les contrôlesaux frontières et lutter contre l’immigration clandestine

Intervenir militairementen Syrie pour stabiliserla situation

« C’est le devoir de notre pays que d’accueillir des migrants qui

fuient la guerre et la misère » % DE RÉPONSES NÉGATIVES

46 46

3936

33 32

21

Pas du tout d’accord Tout à fait d’accord

Plutôt d’accordPlutôt pas d’accord Plutôt d’accord

35

28

23

14

Pas du tout d’accord Tout à fait d’accord

Plutôt pas d’accord

38

19

2914

« Notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère,

et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas possible » EN %

France Allemagne

Plutôt d’accord

Pas du tout d’accord Tout à fait d’accord

Plutôt pas d’accord

43

26

19

12

Pas du tout d’accord Tout à fait d’accord

Plutôt pas d’accord

42

31

20

7

« Notre pays a les moyens économiques et financiers d’accueillir des migrants » EN %

Plutôt d’accord

Allemagne

France

France

ROYAUME-

UNI

PAYS-BAS DANEMARK ESPAGNE ITALIE ALLEMAGNEFRANCE A D E I P-B R-U F F R-U I P-B D A E F E R-U P-B I D A

En Europe, des opinions publiques divisées

SOURCE : IFOP, « LES EUROPÉENS FACE À LA CRISE DES MIGRANTS ». ENQUÊTE RÉALISÉE DANS SEPT PAYS EUROPÉENS, DU 16 AU 22 SEPTEMBRE 2015

C R I S E D E S M I G R A N T S

Les Français

sont les seuls

à préconiser,

comme première

solution,

un renforcement

des contrôles

aux frontières

Page 9: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 france | 9

Le scepticisme croissant des Allemands sur l’accueil des réfugiésLa politique d’ouverture d’Angela Merkel est davantage soutenue par les électeurs de gauche que par sa base électorale

berlin - correspondant

L undi 26 octobre, Angela Me-rkel était à Nuremberg afinde rencontrer quelques di-

zaines de citoyens, comme elle le fait régulièrement depuis quel-ques mois. Dans cette ville de Ba-vière, la réunion aurait pu être houleuse. Horst Seehofer, prési-dent des chrétiens-sociaux (CSU) et ministre-président de Bavière, n’est-il pas le principal opposant à la politique migratoire de la chan-celière allemande qu’il juge beau-coup trop laxiste ? Il n’en a rien été.

Le public s’est montré parfois in-quiet mais jamais hostile. Un re-traité qui « n’a jamais voté pour » Angela Merkel approuve mêmeson action, pour la première fois de sa vie. Et il a un ami dans la

même situation, précise-t-il.Commentaire mi-figue mi-raisin d’Angela Merkel : « Bon, on estdéjà trois. » Cet échange résumeassez bien la situation qui règne en Allemagne.

« On va y arriver »

Près de deux mois après avoir dé-cidé, début septembre, d’accueillir sans contrôle préalable les réfu-giés qui transitaient par la Hongrieet l’Autriche, Angela Merkel doit faire face non pas à l’hostilité maisau scepticisme croissant des Alle-mands, de moins en moins con-vaincus qu’« on va y arriver », pourreprendre son expression fétiche. Et paradoxalement, la chancelière est davantage soutenue par l’op-position que par sa base électorale.

Le sondage réalisé par l’IFOP

confirme le doute qui envahit peu à peu les Allemands. Lors d’une première enquête, réalisée du 16 au 22 septembre, 79 % d’entre eux étaient favorables à l’accueil de ré-fugiés en Allemagne. Trois semai-nes plus tard (du 12 au 14 octobre), dans une deuxième enquête, ils sont un peu moins nombreux : 75 %. Lorsque l’on entre dans le dé-tail, l’évolution est encore plus nette. Fin septembre, 69 % des Al-lemands jugeaient que leur pays avait les moyens d’accueillir ces ré-fugiés. 55 % pensaient même que c’est une opportunité à saisir. Mi-octobre, chacun de ces deux indi-cateurs a perdu dix points.

72 % des Allemands souhaitenten septembre que les migrants re-partent dans leur pays quand la si-tuation le permettra. Trois semai-

nes plus tard, ils sont 80 % à l’es-pérer. Et le pourcentage de ceuxqui pensent qu’« il y a déjà beau-coup d’étrangers en Allemagne »est passé de 33 % à 44 % entre les deux enquêtes.

Moins ouverts

Qui sont ces Allemands devenussceptiques ? Essentiellement des électeurs de gauche, révèle l’en-quête. En septembre, ils étaientnettement plus ouverts à l’égarddes réfugiés que les chrétiens-dé-mocrates. En octobre, ils le sont encore, mais l’écart s’est réduit. Ainsi, en octobre, 68 % des sympa-thisants de la CDU/CSU pensentque l’Allemagne peut se permet-tre d’accueillir des migrants, soit une baisse de seulement 3 points par rapport à l’enquête précé-

dente. La chute atteint en revan-che 12 points dans l’électorat de gauche (qui approuve encorenéanmoins à 75 %).

Cela correspond à la situationpolitique du pays. Alors que, fin août et début septembre, les diri-geants du Parti social-démocrate(SPD) multipliaient les visites dans les centres d’accueil, leur dis-cours se situe désormais entre ce-lui d’Angela Merkel – on ne peutpas fixer de limite au nombre de réfugiés que l’on accueille – et ce-lui de Horst Seehofer qui préco-nise un contrôle accru aux fron-tières. « Il faut que le nombre de ré-fugiés diminue l’année pro-chaine », jugent désormais lesdirigeants du SPD.

D’ores et déjà la popularité d’An-gela Merkel baisse. Si les élections

législatives avaient lieu le week-end prochain, seuls 36 % des Alle-mands voteraient pour la CDU/CSU. C’est encore dix points de plus que le SPD (stable à 26 %),mais c’est 5 points de moins que lescore obtenu par les conserva-teurs à l’automne 2013. C’estmême le plus mauvais score ob-tenu par Angela Merkel depuis2012. Une chute suffisante pourqu’au sein de la CDU certainscommencent à murmurer queWolfgang Schäuble, ministre des finances et ancien ministre del’intérieur, ferait un très bonchancelier. Néanmoins, selon unsondage paru le 22 octobre, 81 % des électeurs de la CDU souhai-tent qu’Angela Merkel se repré-sente en 2017. p

frédéric lemaître

Débordée, la Slovénie appelle l’UE à l’aide76 000 migrants sont arrivés en une semaine dans le pays. Depuis des mois, les Balkans vivent au rythme des fermetures de frontières, qui génèrent des tensions entre les Etats

REPORTAGE

rigonce (slovénie) - envoyé spécial

D’habitude, jamaispersonne ne passedevant les fenêtresd’Anka. Cette habi-

tante du petit village slovène deRigonce, 200 habitants, occupe la dernière maison de ce cul-de-sac,situé juste avant la frontièrecroate. Derrière, la route s’éva-nouit dans un vaste champboueux et triste en cette saison. Et, au fond, une petite rivière tu-multueuse et glacée marque la sé-paration entre les deux pays.

Tout a changé le 19 octobre,quand les premiers migrants sontarrivés au fond du champ. Désor-mais, ils sont des milliers, hom-mes, femmes, enfants, personnes âgées et même handicapés, à pas-ser jour et nuit devant les fenêtresd’Anka. Même si cette assistante sociale de 42 ans vient chaque soiren famille apporter des vête-ments aux migrants, elle n’est pasrassurée. « Mercredi, je n’ai pas pu aller au travail car ils étaient trop nombreux et je suis un peu in-quiète pour mes trois enfants. »

Depuis que Viktor Orban, le pre-mier ministre hongrois, a décidé de fermer totalement sa clôture antimigrants avec la Croatie, Rigonce est devenu la nouvelle étape de cette route des Balkansqui serpente, au gré des événe-ments, entre la Grèce et l’Allema-gne. En une semaine, plus de 76 000 réfugiés sont entrés en Slovénie, dont une grande partieà Rigonce. Petit pays alpin de deuxmillions d’habitants et à peine 8 000 policiers, la Slovénie a rapi-dement été débordée.

Camp de premier accueil

Dans le champ de Rigonce a étéimprovisé un camp de premier ac-cueil pour les réfugiés qui arriventsouvent avec un simple sac à dos et une couverture offerte par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU. Au milieu des déchets laissés par leurs prédécesseurs, ils attendent ici par centaines d’être évacués par la police et l’armée slovène vers un autre camp. A peine une vague est-elle partie qu’un nouveau groupe arrive deCroatie. Dispersés dans les alen-tours, ces autres camps sont autant de moyens de réguler les flux de migrants en attente d’enre-gistrement dans le commissariatde la ville voisine, Brezice, lui aussitransformé en centre d’accueil.

Mercredi, des migrants avaientmême franchi à la nage la petite rivière glacée qui sépare les deux pays. Les autorités croates et slo-

vènes, qui s’accusent mutuelle-ment d’être responsables de cet épisode, ont depuis amélioré leur coopération, au moins sur le ter-rain. Même s’il faut plusieurs heu-res de marche et d’attente avant d’être enregistré et de pouvoir partir vers l’Autriche, la situationsemble désormais sous contrôle. Les réfugiés descendent du train àla dernière gare croate et sont gui-dés par les policiers locaux versun petit pont, avant d’être immé-diatement accueillis par les forcesde l’ordre slovène.

Des tentes chauffées sont encours d’installation et les réfugiésy sont nourris et soignés si be-soin. Le périple reste toutefois dif-ficile pour les plus fragiles. Quel-que 45 % des migrants entrant en

Slovénie sont des femmes ou des enfants. A la traîne de son groupe,Moustapha, un Irakien de 35 ans, avance très lentement en soute-nant sa mère, âgée de 58 ans, qui marche avec le plus grand mal. « Elle a beaucoup de palpitations cardiaques et c’est difficile, mais la situation est tellement plus dureen Irak », explique cet ortho-pédiste. Il compte sur ses écono-mies pour lui payer dès que possi-ble un taxi. « Le problème est que les policiers nous interdisent demonter dans les voitures. »

Si la situation est meilleure surle terrain, les tensions politiques entre les deux pays restent vives. Les autorités slovènes continuentde reprocher à la Croatie de ne pasréguler les arrivées, tandis que Zagreb reproche à Ljubljana d’êtretrop tatillon en exigeant d’enre-gistrer tous les migrants. « Quand il y a un incendie, on ne respecte pas les feux de circulation », a tem-pêté dimanche le premier minis-tre croate, Zoran Milanovic. En pleine campagne pour se faire réélire lors d’élections législatives prévues le 8 novembre, celui-cifait tout pour que les migrants passent le plus vite et le plus ina-

perçus possible dans son pays. Il espère ainsi contrer une opposi-tion de droite qui promet dedurcir les contrôles à la frontière.

Clôture antimigrants envisagée

Côté slovène, le gouvernementest, lui, critiqué pour avoir sous-estimé la situation. Pour Danica Fink-Hafner, politologue à l’uni-versité de Ljubljana, « il a réagi troptard et avec trop peu d’expérience,d’autant qu’il y a eu beaucoup de changements dans l’administra-tion depuis l’arrivée de l’actuel pre-mier ministre, en 2014 ». « La Slové-nie a rêvé en croyant que les arri-vées se limiteraient à 2 500 mi-grants par jour. Ni la police ni l’armée n’étaient assez préparées. Ila fallu attendre plusieurs jours

pour adapter la loi de défense [afin de permettre le déploiement de l’armée]. Tout cela était pourtantlargement prévisible, il suffisait de lire la presse », abonde Ali Zerdin,éditorialiste au quotidien Delo.

Le premier ministre slovène,Miro Cerar, a finir par appeler l’Eu-rope à l’aide en assurant dépenser770 000 euros par jour pour gérer la crise. Il a même laissé entendre qu’il envisageait la construction d’une clôture antimigrants s’iln’était pas entendu. Une éventua-lité jugée irréalisable vu l’étendue de la frontière entre les deux pays.Lors du minisommet extraordi-naire sur les migrants, organisé àBruxelles, dimanche 25 octobre, les participants ont promis d’en-voyer 400 policiers européens en renfort en Slovénie. « C’est uneétape dans la bonne direction », a salué M. Cerar. Dans les chancelle-ries européennes, on se félicite surtout que ce sommet ait permisaux dirigeants des deux pays – quine se parlaient quasiment plus – de reprendre langue. Ceux-ci sont convenus de se tenir enfin infor-més des mouvements de réfugiéssur leurs territoires. p

jean-baptiste chastand

Des migrants escortés par des policiers et des soldats slovènes, près de Rigonce, lundi 26 octobre. AFP

ou de personnes d’origine étran-gère et accueillir des immigrés sup-plémentaires n’est pas possible ». Cette opinion est minoritaire en Espagne (48 %) et plus encore enAllemagne (33 %).

Un consensus se dégage en re-vanche au niveau européen surl’idée d’un risque d’« appel d’air »en cas d’accueil des migrants « ennombre important ». Cettecrainte concerne entre 70 % et80 % des personnes interrogées.Autre inquiétude largement par-tagée d’un bout à l’autre du con-tinent, entre 64 % (en Allemagne)et 85 % (aux Pays-Bas) des Euro-péens pensent que « parmi les très nombreux migrants qui arri-vent actuellement en Europe setrouvent également des terroris-tes potentiels ».

Clivages traditionnels

Au-delà des différences nationa-les, la prégnance, voire la réactiva-tion des clivages traditionnelsdroite-gauche est l’autre grande conclusion qui s’impose à la lec-ture des résultats de cette en-quête. On observe en moyenne un écart de 30 à 40 points sur laquestion de l’accueil et de la ré-partition entre sympathisants degauche et de droite. En France, les réponses « favorable » atteignent 70 % chez les sympathisants de gauche, contre 29 % chez ceux de droite. L’Allemagne, dirigée par un gouvernement de coalition, se distingue ici encore avec un écart de seulement 18 points. p

benoît vitkine

« Le problème est

que les policiers

nous interdisent

de monter dans

les voitures »

MOUSTAPHA

un réfugié irakien

« Mercredi,

je n’ai pas pu aller

au travail car les

migrants étaient

trop nombreux »

ANKA

habitante de Rigonce

LE CONTEXTE

MÉTHODOLOGIEL’enquête a été réalisée par l’IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation euro-péenne d’études progressis-tes, auprès d’un échantillon de 1 000 à 1 100 personnes par pays. Ces personnes ont été sélectionnées selon la mé-thode des quotas et ont répondu à un questionnaire en ligne entre le 16 et le 22 septembre. L’Allemagne a fait l’objet d’une seconde va-gue du 12 au 14 octobre, mais les chiffres retenus pour com-paraison sont ceux de septem-bre. Les questions utilisent la terminologie « migrants » plu-tôt que celle de « réfugiés ».

Page 10: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

10 | france MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Des centaines d’exilés de Calais placés en rétentionPour désengorger le bidonville, le ministère de l’intérieur disperse des migrants pourtant inexpulsables

C’est un chapitre peuavouable de la crisemigratoire qui s’estouvert la semaine

dernière à Calais. Le 21 octobre,lors de son dernier déplacement dans le bidonville où survivent6 000 migrants, le ministre de l’intérieur n’en a pas touché un mot. Mais, pendant qu’il annon-çait des places en tentes chaufféespour l’hiver, 46 personnes étaientenvoyées par avion mille kilomè-tres plus au sud, dans le centre de rétention administrative (CRA) deNîmes, inaugurant une vague de placements en rétention inéditepar son ampleur et d’une légalité contestable.

Le lendemain, 50 migrants sup-plémentaires ont été envoyés enbus au CRA du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), puis 50 encore le jour d’après, par avion, au CRAde Cornebarrieu, près de Tou-louse. Et 50 autres, le jour suivant,à Rouen.

« Cinquante personnes sont en-core en train d’arriver par avion aujourd’hui à Marseille et on en at-tend autant à Metz. Et 50 de plus au Mesnil, dans la semaine », égrainait, lundi 26 octobre, la Ci-made, l’une des associations quiinterviennent dans ces lieux de privation de liberté.

« On fait notre travail habituel,relativise Marc Del Grande, secré-taire général de la préfecture du Pas-de-Calais. Le rythme est pro-portionnel au flux d’arrivées sur la lande de Calais, qui a été plus im-portant ces dernières semaines. »

David Rohi, un des responsablesde la Cimade, est, lui, stupéfié par ce qu’il considère être un « enfer-mement abusif et illégal ». Il n’est pas le seul à le penser. Le juge des libertés et de la détention de Nî-mes, Jean-Louis Galland, a du mal à en revenir. Ce magistrat, qui a le pouvoir de prolonger ou pas la ré-tention d’un étranger, tandis que le placement décidé par le préfetn’est valable que cinq jours, a été averti la semaine dernière de l’ar-rivée d’une cinquantaine de mi-grants de Calais.

Il a alors joint la préfecture duPas-de-Calais : « Ils m’ont dit : “Nevous inquiétez pas, c’est surtout pour désengorger Calais.” Sous-en-tendu, on les laisse partir au bout de cinq jours. » Or, rappelle le ma-

gistrat, la procédure est stricte-ment encadrée : « On place en dé-tention quand on projette d’orga-niser un départ. On ne peut pas pri-ver quelqu’un de liberté pour le plaisir. » En l’espèce, les migrantsétant originaires de Syrie, d’Afgha-nistan, d’Irak, d’Erythrée ou en-core du Soudan, nul projet de ren-voi à l’horizon.

Interpellé par ce qu’il a consi-déré être un « détournement de pouvoir » et une « privation de li-berté illégale », Jean-Louis Galland a, vendredi 23 octobre, ordonné laremise en liberté des étrangers, avant même l’expiration des cinq jours. Après un appel du parquet,son ordonnance a été retoquée pour vice de compétence. Mais, avant cela, le magistrat dit avoir subi des pressions de sa hiérar-chie : « La présidente du tribunal de Nîmes ne voulait pas que je m’autosaisisse. Elle m’a menacé d’une procédure disciplinaire et ainterdit à ma greffière de venir àl’audience. »

Cet épisode en dit long sur le dé-sarroi dans lequel sont laissés des professionnels face à une politi-que gouvernementale illisible.« Dans cette histoire, les juges sont pris pour des imbéciles », fait re-marquer David Rohi. L’avocate nî-

moise Pascale Chabbert Masson a défendu ces derniers jours douzeSyriens devant le tribunal admi-nistratif. Pour chacun, elle a fait annuler l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui fixait la Syrie comme pays de des-tination. D’après la Cimade, 99,5 %de ces migrants sont libérés.

« Contentieux »

Un chiffre que refuse de confir-mer ou d’infirmer le secrétaire gé-néral de la préfecture, Marc Del Grande : « Je ne vais pas me pro-noncer sur l’efficacité de la chaîne d’éloignement. » Lui défend un principe : « Il n’y a pas de détourne-ment de procédure. Evidemment qu’on ne va pas reconduire des Erythréens et des Syriens. Mais ils peuvent être réadmissibles dansdes pays de l’Union européenne » s’ils y ont le statut de réfugiés ou que leurs empreintes y ont été en-

registrées. D’après les projections établies pour 2015, 1 850 mesures d’éloignement seront exécutées, sur un total de 3 900 OQTF déci-dées par la préfecture.

Léo Claus, coordinateur del’équipe de la Cimade au CRA de Cornebarrieu, voit surtout des migrants reprendre la route deCalais. Une cinquantaine sont ar-rivés à Cornebarrieu le 23 octobre.En guise de comité d’accueil, cejour-là devant le CRA, des mili-tants de Génération identitaire et une banderole sur laquelle était inscrit : « Rentrez chez vous, nousn’avons plus de sous. » A l’intérieurdes bâtiments : « Dix-huit Syriens, huit Afghans, neuf Irakiens, sixErythréens, quatre Soudanais,quatre Iraniens, un Pakistanais »,énumère Léo Claus. D’ici au mi-lieu de semaine, « ils seront remis en liberté et laissés devant la porte du centre. Ils vont remonter dans

des trains pour regagner Calais ».« C’est absurde, ça fait vivre aux

gens des situations traumatisan-tes, répète David Rohi. Ça ne cons-tituera jamais une solution. » C’est pourtant celle pour laquelle a opté le gouvernement, espérantfatiguer jusqu’à la dissuasion cesexilés qui ne veulent pas deman-der l’asile en France. « Les mi-grants qui refusent cette main ten-due, qui poursuivent leurs tentati-ves vaines et dangereuses pour re-joindre le Royaume-Uni s’exposentà une reconduite à la frontière », apromis Bernard Cazeneuve, le21 octobre, à Calais.

Le ministre de l’intérieur parlaitalors de « quelques dizaines de per-sonnes (…) amenées vers des cen-tres de rétention éloignés de Ca-lais ». Les quelques dizaines sontdéjà des centaines. « On pourrait imaginer qu’un contentieux pros-père jusqu’à la Cour européennedes droits de l’homme, imagine David Rohi. Mais c’est d’un règle-ment politique que l’on a besoin. Il faut trouver d’autres solutions, en particulier avec les Britanniques,pour que les gens puissent obtenir l’asile en Angleterre. » p

julia pascual

A Miramas, ville d’accueil de réfugiés, « le plus dur, c’est l’attente »Dans cette commune de 26 000 habitants, le plus important centre de demandeurs d’asile des Bouches-du-Rhône affiche complet

REPORTAGE

miramas (bouches-du-rhône) -

envoyé spécial

I ci, tout le monde sait qu’il y ades réfugiés. Et tout le mondevit avec. » Sans le vouloir,

Thierry Ricard, directeur chargé de l’éducation, de l’enfance et de lajeunesse auprès du maire (PS) de Miramas, va à l’encontre d’un a priori tenace. Les Français ne veu-lent pas des migrants ? Dans cette ville des Bouches-du-Rhône de 26 000 habitants, la solidarité se vit au quotidien. « Cette ville a tou-jours été une terre d’accueil, assureThierry Ricard. Peut-être à cause de son passé communiste… »

Miramas n’est plus rouge depuisplusieurs mandats, mais la petitecommune abrite toujours le plus important centre d’accueil des de-mandeurs d’asile (CADA) des Bou-ches-du-Rhône. Le complexeSaint-Exupéry, deux blocs de bâti-ments bas à l’architecture mas-sive, offre 140 places, prioritaire-ment destinées à des familles. Le site affiche complet en ce début d’automne. Soixante enfants et leurs parents attendent là de voir leur dossier traité par l’Office fran-

çais de protection des réfugiés etapatrides (Ofpra). Ailleurs en ville,des chrétiens d’Irak ont trouvé re-fuge à la paroisse. Des familles sy-riennes qui viennent d’obtenir le statut de réfugiés sont aussi ins-tallées quartier de la Maille, dans des centres provisoires d’héber-gement. « Et nous scolarisons tous les enfants en âge de l’être, précise Thierry Ricard. C’est la loi. »

« La France ? C’est par hasard »

« Les gens sont très gentils ici. Ils es-saient de nous aider. » Au centre social La Carraire, Svetlana suit,deux fois par semaine, le cours de « français langue étrangère » pour adultes. Cette Ukrainienne d’une trentaine d’années peut déjà tenir une conversation. Et sert de tra-ductrice à Enora, sa camarade azé-rie, hébergée, comme elle, avec mari et enfants. « Nous avons dé-cidé de partir parce que nous avi-ons peur de la guerre. Pas pour trouver la vie belle », explique Svet-lana dans son français d’à peine neuf mois. Avec son époux, ingé-nieur dans les télécommunica-tions, et Nikita, leur fils, 7 ans, elle achoisi l’exil. « Pourquoi la France ? C’est par hasard », assure-t-elle.

« Ils ont tous les mêmes histoires,arrivent avec des passeurs sans choisir la destination. Ils ont payé entre 5 000 et 10 000 euros, se sont endettés », raconte Anne-Laure Ci-rilli, la directrice du CADA. Commedans le reste des Bouches-du-Rhône, elle ne constate pas d’af-flux massif à Miramas, juste des changements d’origine : « Syriens et Irakiens commencent à apparaî-tre. Ils remplacent Kosovars et Tchétchènes, majoritaires ces der-nières années au centre. Des fa-milles avec moins d’enfants, aux ni-veaux socioprofessionnels plus éle-vés, qui se retrouvent dans une pré-carité qu’elles n’envisageaient pas. »

Aiman El Kwafi incarne ce nou-veau profil. Il est libyen et parle unanglais châtié. A 47 ans, ce journa-liste, père de trois enfants et ma-

rié à une avocate, reste hébété par sa fuite. Tunis d’abord, puis ce visa, le premier disponible, décro-ché pour Paris. D’où on l’a aiguillévers… Miramas. « Je voulais juste partir, reconnaît-il d’une voix douce. Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi je suis là. Mais, je suisheureux d’avoir sauvé ma fa-mille. » En Libye, il dit que « les isla-mistes ont brûlé [sa] voiture et [son] appartement »… A Miramas, il ne parle pas aux habitants duquartier voisin, souvent des Fran-çais d’origine maghrébine – « Je me méfie », avoue-t-il.

« Ces réfugiés qui ont vécu laguerre sont à la fois rendus fortspar leur contact direct avec la mortet totalement fragilisés, note Ra-nia Meziane, la responsable dupoint d’aide aux étrangers, ser-vice municipal créé en 2008. Par-fois, certains refusent les sorties scolaires parce qu’ils ont peur qu’on enlève leurs enfants. »

Comme Enora ou Svetlana, Ay-man attend la décision de laFrance sur sa demande d’asile. Et vit de l’aide des structures et asso-ciations locales. « Nous, on a l’ha-bitude de travailler, pas de deman-der », se lamente Svetlana, qui ne

comprend pas que la France lui in-terdise d’exercer un emploi. « Les autorisations temporaires de tra-vail sont rares, reconnaît Anne-Laure Cirilli, et pour les deman-deurs, le plus dur à gérer, c’est l’at-tente. L’Etat entend la réduire à six mois, mais aujourd’hui, elle dé-passe souvent deux ans. »

Opposition du FN

Encore articulée autour des voies qui mènent à sa gare de triage, Mi-ramas reste une ville populaire : 46 % de logements sociaux, 17 000 euros de revenu médian an-nuel par foyer et un taux de chô-mage à 13 %. Des indicateurs qui nel’ont pas empêchée de se porter volontaire, à la mi-septembre, pour recevoir sa part des réfugiés que l’Etat s’est engagé à recueillir.

« La pression est terrible sur nous,les élus », reconnaît le maire socia-liste, Frédéric Vigouroux. « Des ré-flexions sur les demandeurs d’asile, je n’en entends pas trop, rebondit Claire Bracq, la responsable du centre communal d’action sociale.Mais une chose est sûre, aujourd’hui, l’opposition munici-pale à Miramas, c’est le FN. » Comme au niveau national, le

« Nous,

on a l’habitude

de travailler, pas

de demander »

SVETLANA

réfugiée ukrainienne

« C’est absurde, ça

fait vivre aux gens

des situations

traumatisantes.

Ça ne constituera

jamais

une solution »

DAVID ROHI

un responsable de la Cimade

Dans la « jungle » de Calais, le 2 octobre. PASCAL ROSSIGNOL/REUTERS

parti de Marine Le Pen fait ici du sujet des migrants une arme poli-tique. « Il faudra m’expliquer com-ment le maire compte en recevoir d’autres alors que nous n’avons pas assez de logements sociaux pour notre population », dit Ange Poggi, conseiller communautaire FN.

Pour Frédéric Vigouroux, le seulpoint d’inquiétude concerne le statut des déboutés. En 2014, ils ont été 39 au CADA Saint-Exupéry.« Quand l’Etat refuse l’asile, la ma-jorité des demandeurs restent ici, assure Claire Bracq. Et nos problè-mes commencent, car nous nepouvons ni leur trouver un loge-ment ni les prendre en charge. Cer-taines familles disparaissent.D’autres s’installent clandestine-ment, dans une précarité totale. »Frédéric Vigouroux ne voitqu’une réponse administrative :« Il faut réduire les délais avant la décision. » Après neuf mois d’at-tente, Svetlana a du mal à retenir ses larmes à cette perspective :« C’est normal que la France prenne du temps. Mais là, c’est trèslong. On apprend le français, on se fait des amis. Aujourd’hui, je ne veux pas imaginer un refus. » p

gilles rof

LE CONTEXTE

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile limite le placement en rétention d’une personne en situation irré-gulière au « temps strictement né-cessaire à son départ » et à condi-tion qu’il existe une « perspective raisonnable d’exécution de la me-sure d’éloignement ». Surtout, « un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont me-nacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipu-lations de l’article 3 » de la Con-vention européenne des droits de l’homme. Celui-ci stipule que « nul ne peut être soumis à la tor-ture ni à des peines ou traite-ments inhumains ou dégra-dants ». Voilà pourquoi la France ne procède pas à des renvois vers la Syrie, l’Irak, l’Erythrée, la Somalie et, sauf rare exception, l’Afghanistan et le Soudan.

C R I S E D E S M I G R A N T S

Page 11: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 france | 11

Chômage : baisse significative en septembreLe nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A a diminué de 23 800. Le plus fort recul mensuel en huit ans

Bien fol qui se fierait auxchiffres du mois de sep-tembre, y voyant le si-gne annonciateur d’une

inversion durable de la courbe tant de fois promise par François Hollande. Il n’empêche que labaisse de 23 800 demandeurs d’emploi de catégorie A enregis-trée en un mois (– 0,7 %) est la plusforte depuis le début du quin-quennat, et même depuis no-vembre 2007. Le tout est de savoirsi cette éclaircie va se prolonger.En quarante et un mois de prési-dence de M. Hollande, ce n’est quela septième fois que le chômage recule dans cette catégorie.

Pour la ministre du travail, My-riam El Khomri, « la tendance est orientée à la baisse puisque, pour la première fois depuis début 2011, le nombre de demandeurs d’em-ploi en catégorie A a reculé surquatre mois ». Un satisfecit un peu hâtif. Quatre mois ne suffi-sent pas à dessiner une tendance. Le nombre de demandeurs d’em-ploi sans activité et tenus de re-chercher une activité, qui avait at-teint un nouveau record en août, s’établit fin septembre à 3 547 800en France métropolitaine. Sur unan, il augmente de 3,1 %.

1 874 900 inscrits

Derrière ce chiffre, toutefois, il im-porte de prendre en considéra-tion le nombre de demandeurs d’emploi de catégories B et C (enactivité réduite) qui, lui, continue d’augmenter. Ainsi, ils sont1 874 900 inscrits à Pôle emploi, soit une hausse de 11,4 % en un an.Une augmentation qui témoigne d’une forte progression des em-plois atypiques, à temps partiel.Ainsi, toutes catégories confon-dues, le nombre de demandeurs d’emploi s’élevait fin septembre à 5 422 700 en France métropoli-taine (+ 5,8 % en un an), et à 5 727 300 en incluant l’outre-mer (+ 5,6 %). A ce total s’ajoutent 688 600 personnes inscrites à

Pôle emploi mais qui ne sont pas tenues de rechercher un emploi, ce qui porte l’ensemble des de-mandeurs d’emploi à 6 111 300 (+ 5,4 %). Il est donc largement trop tôt pour parler d’une inversion.

Les chiffres de septembre mar-quent cependant une améliora-tion marquée chez les jeunes de moins de 25 ans. Leur nombre re-cule de 14 000 en un mois dans la catégorie A. Il s’agit du quatrième mois consécutif de baisse, ce qui porte la diminution à 2,7 % en un an. « Cela prouve l’efficacité de nos dispositifs en faveur de l’emploi des jeunes : emplois d’avenir, Garantiejeunes, contrats de génération, re-lance de l’apprentissage », s’est féli-citée la ministre. Toutefois, là en-core, si l’on inclut les demandeurs de catégories B et C, la variation surun an est de + 1,1 %.

Dans tous les cas, le nombre dedemandeurs d’emploi de plus de 50 ans, lui, continue d’augmenter régulièrement. La hausse est de 8,5 % sur un an pour les deman-deurs de catégorie A et de 9,4 % toutes catégories confondues. Le nombre de chômeurs de longue durée atteint un nouveau record, avec 2 594 900 personnes inscri-tes depuis plus d’un an, soit + 9,9 %en un an. Ils représentent 44,8 % du nombre total d’inscrits, soit 1,9 point de plus qu’un an plus tôt ;63 % des chômeurs âgés de plus de50 ans sont à la recherche d’un em-ploi depuis plus d’un an. L’ancien-neté moyenne d’inscription s’élève à 567 jours. Cette durée s’estallongée de plus de trois mois en trois ans.

Sur ce registre, les différentsplans mis en œuvre par le gouver-nement n’auront pas réussi à por-ter leurs fruits. Seul point positif, le dispositif lancé en 2013 dit des « formations prioritaires », visantà orienter les chômeurs vers des secteurs en tension ayant des dif-ficultés à recruter. Il a bénéficié à 30 000 personnes en 2013,100 000 en 2014, et le président de la République a annoncé que lenombre de formations allait être porté à 150 000 en 2016.

Reste que, malgré cette dynami-que de stabilisation des chiffresdu chômage, les créations d’em-ploi, avec une croissance de l’or-dre de 1 % en 2015 et de 1,2 % pré-vue en 2016, ne suffisent pas à ab-sorber une population active enhausse, du fait d’une démogra-

çois Hollande près de quinze ans pour retrouver le nombre de de-mandeurs d’emploi de 2012 ».

Amorce d’un frémissement

Les conditions sont-elles réuniespour concrétiser dans les pro-chains mois l’amorce d’un frémis-sement que semble annoncer cette forte baisse du mois de sep-

tembre ? Les organisations syndi-cales se montrent prudentes et at-tendent d’abord d’en avoir confir-mation. La CFDT, même si elle y voit « des tendances positives »,souligne toutefois que la reprisede l’emploi « se fait essentielle-ment en contrats courts ». Pour laCGT, « ces chiffres confirment la montée de la précarité ».

L’opposition déplore quant à elle« une fausse éclaircie ». « Malgré l’ouverture des vannes sur les con-trats aidés, malgré la bonne con-joncture économique mondiale, le chômage ne baisse toujours pas », soulignent les députés Cherpion et Woerth, qui jugent que la situa-tion « reste dramatique ». p

patrick roger

phie plus soutenue que dans la plupart des autres pays euro-péens. Dans ses dernières prévi-sions, l’Unedic tablait néanmoins sur une baisse légèrement supé-rieure à 50 000 du nombre de de-mandeurs d’emploi en 2016. A ce rythme, soulignent Gérard Cher-pion et Eric Woerth (députés Les Républicains), « il faudrait à Fran-

L’évolution du chômage sous la présidence de François Hollande

Total des demandeurs d’emploi, en millions de personnes Variation mensuelle du nombre de chômeurs, en milliers de personnes

2,8

3,0

3,2

3,4

3,6

Mai2012

Sept.2012

Janv.2013

Mai2013

Sept.2013

Janv.2014

Mai2014

Sept.2014

Janvier2015

Mai2015

Sept.2015

3,55

2,9

28,4

20

39,937,7

32

41,6

25,5

13,3

47,9

11,2

21,1

40,9

– 0,6

11,813,6

– 32,5

50,6

– 17,8

– 23,8

19,3

1310,2

19,8

4,7

18,5 18,8

11,6

21,5

– 1,8 – 1,9

1,3

26,9

19,5 20

25

14,312,8

15,4 16,2

– 19,1

26,2

SOURCES : INSEE, DARES

DEMANDEURS D’EMPLOI DE CATÉGORIE A EN FRANCE MÉTROPOLITAINE (HORS OUTRE-MER)

Promesse faite,

le 9 septembre, par

François Hollande

d’inverser la courbe

du chômage

« d’ici un an »

Baisse puis

hausse liées à

un problème

de comptage

par SMS, dit

« bug de SFR »

L’engagement

d’inverser

la courbe

du chômage,

repoussé à fin 2013,

n’est pas tenu

Le nombre de

demandeurs

d’emploi en

activité réduite,

lui, continue

d’augmenter

Le PS veut « moderniser » les règles de la présidentielleLa publication intégrale des parrainages figure parmi les mesures préconisées par deux propositions de loi socialistes

T emps de parole, parraina-ges, organisation du vote…A un peu plus de dix-huit

mois de l’élection présidentielle, le temps est venu, selon le groupe so-cialiste de l’Assemblée, de « moder-niser » les règles de ce scrutin. Pource faire, les élus majoritaires, en-traînés par le président PS de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, présentent, mardi 27 octo-bre, deux propositions de lois. Si lecalendrier d’examen n’est pas en-core fixé, le président du groupe, Bruno Le Roux, assure que les me-sures préconisées seront applica-bles pour 2017, si les deux textes sont adoptés.

Rassemblant des recommanda-tions formulées par différents or-

ganes, dont le Conseil constitu-tionnel, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la Commission na-tionale des comptes de campagne et des financements politiques, lespropositions de lois, sans toucher à l’élection du président en elle-même, suggèrent un léger dépous-siérage du dispositif.

En prémisses de chaqueéchéance présidentielle, la ques-tion des 500 « parrainages » d’élus dont a besoin un candidat pour se présenter se repose, notamment à cause de son manque de transpa-rence. Sans changer fondamenta-lement ce système, le texte pro-pose que la liste intégrale des « parrains » soit désormais pu-bliée, et non plus un extrait de

500 personnes tirées au sort, ce qui devrait « conduire à ce que les élus assument leur choix devant leurs électeurs », avance M. Urvoas.

Egalité ou équité

Une fois la campagne lancée, le PS propose d’amender les règles d’ac-cès aux médias audiovisuels. Jus-qu’alors, le Conseil supérieur de l’audiovisuel prévoyait que, lors dela période de campagne dite « in-termédiaire » (entre la publication de la liste des candidats et la veille de la campagne officielle), les mé-dias respectent une égalité des temps de parole et une équité des temps d’antenne (temps de parole et éléments éditoriaux consacrés àun candidat) : à la différence de

l’égalité , l’équité tient compte de lareprésentativité des candidats et de leur implication dans la campa-gne. Déplorant « une source de complications dissuadant certains médias d’organiser des débats entrecandidats », le groupe PS propose d’en venir à l’équité des temps de parole et d’antenne, l’égalité stricten’intervenant que lors de la cam-pagne dite « officielle ».

Concernant les jours de vote, lestextes préconisent d’harmoniser les horaires de fermeture des bu-reaux de vote – qui varient de 18 à 20 heures – à 19 heures. Cela « afin d’éviter la diffusion prématurée de résultats partiels ou de sondages susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin ». Toutefois, l’embargo sur

la divulgation des résultats serait maintenu à 20 heures, « pour em-pêcher que le débat public, en parti-culier dans l’entre-deux-tours, ne s’engage sur la base de données et d’analyses erronées ».

Enfin, pour le contrôle des dé-penses de campagne des candi-dats, le groupe socialiste propose entre autres d’élargir les prérogati-ves de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en lui permettant de renforcer ses moyens d’investigation sur certai-nes dépenses de campagne diffici-les à évaluer, telles que l’impres-sion de documents ou l’organisa-tion de réunions publiques. p

hélène bekmezian

JUSTICE« Air Cocaïne » : les pilotes français « exfiltrés » de République dominicaineLes deux pilotes d’avion français condamnés le 14 août à vingt ans de prison en République dominicaine pour trafic de cocaïne ont bravé l’interdiction de quitter le pays et sont rentrés en France, où ils assurent vou-loir s’en remettre à la justice. « Ils sont en France non pas pour fuir la justice mais pour chercher la justice », a déclaré lundi 26 octobre l’avocat fran-çais de Pascal Fauret et Bruno Odos, Me Jean Reinhart. Les deux pilotes avaient été lais-sés libres en attendant leur procès en appel. Selon BFM-TV, d’anciens agents de la DGSE leur ont fait quitter la République dominicaine par bateau, puis ils ont pris l’avion pour la France depuis une autre île des Antilles.

selon les indicateurs publiés par l’Insee, jeudi 22 octobre, le climat des affai-res s’améliore en France et semble traduireune situation conjoncturelle favorable.

Industrie manufacturière En octobre, lesperspectives générales de production se si-tuent légèrement au-dessus de la moyenne de long terme, malgré une incertitude con-joncturelle. Elles sont quasiment stables dans l’industrie agroalimentaire et se re-dressent dans le secteur des biens d’équipe-ment. En revanche, elles diminuent légère-ment dans l’automobile et les autres maté-riels de transport ainsi que dans les autres industries. Les chefs d’entreprise sont plus nombreux à anticiper une amélioration de la demande globale et, surtout, étrangère. Letaux d’utilisation des capacités de produc-tion reste stable, à 82,5 %. Cependant, de plusen plus d’industriels estiment qu’ils ne pourraient pas produire davantage s’ils re-cevaient plus de commandes. Ils sont moinsnombreux, en revanche, à prévoir des sup-pressions d’emploi dans les mois à venir.

Bâtiment Les entrepreneurs continuentde prévoir une baisse de leur activité et, parconséquent, de leurs effectifs. Les carnets de commandes restent très négatifs. De-puis 2008, le taux d’utilisation des capaci-tés de production est inférieur à samoyenne de long terme. Il était de 84,5 %en octobre. Rien ne permet pour l’heure d’anticiper un retournement de la conjonc-ture dans ce secteur.

Services Le climat des affaires s’améliorenettement. L’indicateur qui le synthétise gagne 3 points en octobre et retrouve son niveau le plus favorable depuis août 2011.Les chefs d’entreprise prévoient une aug-mentation de l’activité pour les prochains mois. Ils sont plus nombreux à prévoir uneaugmentation de leurs effectifs.

Les perspectives d’activité sont orientéesà la hausse dans le transport routier de marchandises, dans les activités immobi-lières, les activités de services administra-tifs ainsi que les activités spécialisées,scientifiques et techniques. En revanche,

l’hébergement et la restauration ainsi quel’information et la communication, mal-gré une quasi-stabilité, restent nettementen dessous de la moyenne de longue pé-riode.

Commerce et réparation automobile Leclimat des affaires y est au plus haut depuissept ans. Les perspectives ne cessent de s’améliorer depuis un an. L’indicateur est désormais nettement supérieur à sa moyenne de long terme. Toutefois, les pré-visions d’emploi évoluent peu.

Pour dynamiser l’activité, le gouverne-ment presse le patronat de respecter sesengagements dans le cadre du pacte de res-ponsabilité. Il rappelle les multiples instru-ments qui ont été mis en œuvre, notam-ment en faveur de l’investissement. Pour leMedef, « il faut désormais continuer à lever les verrous à l’embauche en accélérant les ré-formes indispensables ». L’organisation pa-tronale souligne qu’elle « attend beaucoup de la réforme du code du travail ». p

p. rr

Timide amélioration du climat des affaires, sauf dans le bâtiment

LE CONTEXTE

Selon les dernières données Eurostat publiées le 23 octobre, le taux de chômage en France s’établit à 10,8 % de la popula-tion active. Il a pratiquement re-joint celui de l’ensemble de la zone euro, qui s’élève à 11 %. Seuls l’Espagne (22,2 %), la Croatie (15,5 %), Chypre (15,3 %), le Portugal (12,4 %), l’Italie (11,9 %) et la Slovaquie (11,1 %) ont un taux de chômage plus élevé. Ce sont l’Islande (4,3 %) et l’Allemagne (4,5 %) qui connaissent les plus bas niveaux de chômage.

Page 12: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

12 | france MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

« La réforme du collège va nous demanderun énorme travail »Malgré les appels au boycottage, la formation proposée aux enseignants à la Toussaint a attiré 6 150 volontaires

On l’a accusée de tout :d’être un instrumentde formatage pourfaire passer en force la

réforme du collège, d’instaurer des « petits chefs » qui iraientpropager la « bonne parole » dansleurs établissements… Des syndi-cats réfractaires avaient appelé auboycottage. La formation des en-seignants à la réforme du collège, proposée aux volontaires au dé-but des vacances de la Toussaint,s’est-elle vraiment transformée en un champ de bataille ?

Au ministère de l’éducation na-tionale, l’heure est au bilan. Et ce dernier montre qu’il n’y a pas lieu de parler de fiasco. Au total, 17 aca-démies (sur 30) ont proposé des sessions durant les vacances, la plupart du temps sur un ou deux jours, les 19 et 20 octobre : 6 150 professeurs se sont portés volontaires. « Il y avait un risque, etau final c’est une bonne surprise ; ces formations ont fait le plein », sefélicite-t-on au cabinet de la minis-tre, Najat Vallaud-Belkacem.

Si l’on ajoute à ces volontairesles professeurs qui ont été ou quiseront formés autour des vacan-ces, sur leur temps de travail, ce sont un peu plus de 20 000 ensei-gnants qui auront reçu une for-mation, soit quatre par collège en moyenne. Parallèlement, 5 000 formateurs, inspecteurs et chefs d’établissement ont été formés et « sont prêts à accompagner leséquipes dans la mise en œuvre de la réforme », ajoute le ministère.

La Rue de Grenelle suit de prèsles vagues successives de forma-

tion. L’enjeu est de taille : il s’agitde faire accepter et de préparer laprofession à une réforme qui,dans beaucoup d’endroits, suscitedes inquiétudes, voire une fran­che hostilité. Le but est de donner huit jours de formation, sans troptoucher aux heures de cours des élèves, aux 170 000 enseignantsde collège. Ce avant la rentrée 2016, date d’entrée en vigueur de la réforme. Dès l’été, le ministère avait proposé aux académies d’or-ganiser des formations, rémuné-rées 50 euros par jour, pendant lescongés d’automne, sur la base du volontariat, pour faciliter le calen-drier.

« Vendus »

Inondés ces derniers mois de pro-pos polémiques sur la réforme du collège, les volontaires partici-pant à cette première session sontavant tout venus pour y voir plus clair – quitte, parfois, à passer pour des « vendus » auprès de leurs collègues réfractaires. « On adécortiqué les textes de manière àcomprendre la réforme et ses ob-jectifs », témoigne Aline, une en-seignante qui a tenu à garder l’anonymat et qui a participé aux deux jours de formation, à Vesoul.Dans son académie (Besançon),484 enseignants se sont portés volontaires, issus de 90 % des col-lèges publics et de 100 % des collè-ges privés.

« Je connais des établissementsqui ont refusé d’y aller. Dans mon collège, nous étions cinq volontai-res, poursuit l’enseignante deHaute-Saône. Nous sommes un

établissement d’éducation priori-taire, où les professeurs sont parta-gés entre l’envie que les choseschangent et les craintes de devoirremettre en cause leurs prati-ques. » Au final, Aline se dit rassu-rée. « Je me suis rendu compte que dans cette réforme il y avait beau-coup de choses qu’on faisait déjà, même si j’ai conscience que cela vanous demander un énorme tra-vail ! »

A Vesoul comme ailleurs, lors deces journées, ont alterné réunionsd’information et travaux prati-ques. « La formation a eu un côté informatif d’abord, avant d’ouvrir la réflexion sur les EPI [enseigne-ments pratiques interdisciplinai-res] qu’on allait pouvoir mettre en place, sur la répartition des heures entre EPI et accompagnement per-sonnalisé… », raconte Jérôme Fournier, professeur dans l’acadé-mie de Montpellier et militant au SE-UNSA, un syndicat proré-forme. Dans son collège « au mi-lieu des vignes », huit enseignants se sont portés volontaires. « Chez

nous, la réforme n’effraie pas trop. On fonctionne déjà beaucoup avecdes projets, en interdisciplinarité. Et les syndicats opposés sont peureprésentés. »

Dans les rangs, lors de ces ses-sions, beaucoup de professeurs enthousiastes, mais aussi des sceptiques. « La plupart sem-blaient favorables à la réforme, mais il y avait aussi des gens indé-cis, qui avaient envie de compren-dre ce qui allait se passer », ra-conte Bruno Charles, enseignant spécialisé dans le Nord - Pas-de-Calais et militant du SGEN-CFDT,également proréforme. « Je n’ai croisé qu’un réfractaire venu voir

ce qui se disait. » L’ambiance a été un peu plus tendue dans l’acadé-mie de Versailles, si l’on en croit « Monsieur Samovar », un ensei-gnant blogueur qui fait état, sur son site, de « ricanements » dans l’assemblée, de questions ba-layées par des « on y reviendra »ou « c’est à l’étude »… « Cette ré-forme ne me convainc que très moyennement. J’espérais qu’avec cette réunion je reviendrais sur cer-taines de mes craintes. C’est l’in-verse qui s’est passé », conclut-il.

« Ces journées de formationvont-elles suffire à convaincre ceuxqui n’ont pas envie de changer leurs pratiques ? », s’interroge, de

son côté, Sandrine Dumas, profes-seure à Niort, qui a participé à uneformation à La Rochelle. « Cette réforme, j’ai envie d’y croire. Mais comment va-t-elle pouvoir se met-tre en place dans les collèges où une majorité de professeurs sontdubitatifs, voire hostiles ? Le ris-que, dans ces établissements, c’est qu’on en vienne soit à faire porterla réforme sur quelques volontai-res, soit à réinventer l’existant.Dans les deux cas, ce serait un échec. » Une façon de rappeler que cette réforme, pédagogiquepar nature, ne se fera pas sans les enseignants. p

aurélie collas

L’intersyndicale promet une « guérilla » des profs à la rentréeLa forte inquiétude des enseignants des collèges, hostiles ou non à la réforme, nourrit leur déception vis-à-vis du pouvoir

Q u’ils se situent dans lecamp des « pro » ou des« anti » réforme du col-lège, qu’ils soient ou non

professeurs de latin, de grec ou d’allemand nombre d’ensei-gnants se rejoignent sur un point :l’inquiétude est désormais instal-lée dans bon nombre d’établisse-ments du second degré.

L’opposition ne s’est pas expri-

mée massivement dans la rue lors de la mobilisation du 10 octobre, qui a réuni entre 8 000 et 16 000 manifestants selon les sources. Peut-elle trouver plus d’écho dans les collèges ? C’est ce que vise l’in-tersyndicale menée par le SNES-FSU (majoritaire) et le Snalc, qui a appelé, avant les vacances de la Toussaint, à résister par des « ac-tions locales ». Une « guérilla », pro­

mettent certains, avec des « préa-vis de grève quotidiens » déposés dès la rentrée de la Toussaint et une réunion le 3 novembre, pour donner une suite au mouvement.

Loin des joutes syndicales,même les enseignants qui veulent croire à ce « nouveau collège » pro-mis pour 2016 ne cachent plus leurs doutes. « Si des collègues ré-sistent, s’ils ne veulent pas entrer dans la pédagogie de projet, com-ment feront les autres pour s’inves-tir ? », interroge Emmanuel Picard qui, après seize années en collège, a fait sa première rentrée dans un lycée de l’académie de Toulouse.

Le sabordage, c’est le risque qu’alaissé planer la cosecrétaire géné-rale du SNES-FSU, Frédérique Ro-let, en marge des cortèges le 10 oc-tobre, en prévenant que « si la mi-nistre [Najat Vallaud-Belkacem] s’obstine, la réforme risque de s’étio-ler, de perdre de sa substance ».

« Désamour »

« C’est la première fois que nous sommes confrontés, en un an, à un chamboulement de l’architecture du collège en même temps que des programmes, argumente Fabrice Romanet, enseignant dans un col-lège lyonnais. Demander à un pro-fesseur de revoir simultanément sa pratique et ses contenus, c’est une source d’inquiétude bien au-delà del’intersyndicale… »

L’étape qui s’annonce cet hiver,avec la distribution des moyens d’enseignement aux collèges et ly-cées – la « dotation horaire glo-bale » –, peut exacerber les ten-

sions. « Comment faire des emplois du temps corrects ? Comment créer de l’interdisciplinarité sans prendre des heures aux disciplines, sans lesmettre en rivalité ? », questionne Mickaël Gamrasni, enseignant dans les Hauts­de­Seine.

C’est dans son collège de Ville-neuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) que le candidat François Hollande était venu marteler en mars 2012, deux mois avant son élection à l’Elysée, ses priorités éducatives. Quatre rentrées plus tard, l’enseignant ne cache pas la désillusion qui y règne. « Trop de collègues sont dégoûtés de la prési-dence actuelle », lâche-t-il, même s’il n’impute pas ce « désamour » à la seule politique éducative.

Les instituts de sondage en con-viennent : l’électorat enseignant, traditionnellement acquis à la gauche, entretient une relation quasi passionnelle avec ce gouver-nement qui a mis au cœur de son programme l’école et la jeunesse. Un gouvernement appelé, à deux

mois des élections régionales et aux deux tiers de la mandature, à rendre des comptes. « Le niveau d’impopularité de la ministre de l’éducation est massif », note Fran-çois Kraus, directeur d’études de l’IFOP, citant un sondage – qui avait fait polémique – commandé par l’association réputée de droite SOS Education, et qui octroyait à Najat Vallaud­Belkacem 57 % d’opi­nions défavorables en juin.

« Il y a chez les professeurs de ladéception mais aussi de l’incom-préhension, ils ne se sentent pas partie prenante des réformes, ren­chérit Jean­Daniel Lévy, directeur du département opinion chez Harris Interactive. Dans les urnes, cela peut se traduire par de l’absten-tion plus que par un vote sanction ».

La diversité des slogans anti­ré­forme – ceux de l’intersyndicale croisant ceux de la droite, voire de l’extrême droite – a contribué à la faiblesse des mobilisations (qua-tre, depuis ce printemps). La viru-

« Si des collègues

ne veulent pas

entrer dans la

pédagogie de

projet, comment

feront les autres

pour s’investir ? »

EMMANUEL PICARD

professeur

« Ces journées

de formation

vont-elles suffire

à convaincre ceux

qui n’ont pas

envie de changer

leurs pratiques ? »

SANDRINE DUMAS

professeure à Niort

lence des échanges sur les réseaux sociaux « ne se retrouve pas en salledes profs, témoigne Laurent Frajer-man, de l’institut de recherches de la FSU. On ne s’invective pas dans les établissements mais il y a beau-coup de scepticisme… »

« Une partie du corps professoralest encore dans l’expectative, ana-lyse André D. Robert, un autre spé-cialiste du syndicalisme ensei-gnant. Tous – ou presque – veulent que le collège évolue, poursuit-il. Etpourtant, il n’en faudrait pas beau-coup pour qu’ils basculent dans le camp des “anti” : une erreur de communication, un ton un peu trop autoritaire… » On a déjà frôlé l’embrasement dans l’académie de Toulouse, après qu’un inspec-teur a voulu procéder, début octo-bre, au classement des équipes suivant leur degré d’adhésion à la réforme. Un « fichage » dénoncé par les syndicats. Le rectorat a re-connu une « faute ». p

mattea battaglia

Latin et grec : report des programmes

Le Conseil supérieur des programmes a pris du retard sur l’un des symboles de la fronde contre la réforme du collège : le latin et le grec. Attendus le 15 octobre, les contenus de l’« enseignement de complément » – sorte d’option allégée en sus de l’enseignement pratique interdisciplinaire « langues et cultures de l’Antiquité » – ne sont pas encore arrêtés. Du côté de la Cnarela, coordination de 28 associations œuvrant pour la promotion des langues anciennes, on évoque une échéance « en novembre ». « Mais, sans horaires dé-diés, le latin et le grec resteront la dernière roue du carrosse », assure François Martin, président de la Cnarela. L’option pourra, selon l’ar-rêté publié le 20 mai, être suivie « dans la limite d’une heure hebdo-

madaire en 5e et de deux heures hebdomadaires en 4e et en 3e ».

Mercredi 28 octobre à 20h30

ValériePÉCRESSEInvitée de

Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA

Avec :Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ

sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone

et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.

www.lcpan.fr

Et

Page 13: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 sports | 13

C’est le coup de la der-nière chance. Auterme d’une réu-nion d’urgence par

vidéoconférence, le comité exé-cutif de l’Union des associations européennes de football (UEFA) aofficialisé, lundi 26 octobre, lacandidature de son secrétaire gé-néral Gianni Infantino à la prési-dence de la Fédération internatio-nale de football (FIFA). Cette an-nonce a eu lieu juste avant la clô-ture du dépôt des cinq parrainages de présidents de fédé-ration nécessaires pour briguer la magistrature suprême lors ducongrès électif extraordinaire prévu le 26 février 2016. Dans un communiqué, le comité exécutifs’est dit « ravi que Gianni se pré-sente ». Le numéro 2 de l’UEFA a, lui, assuré qu’il exprimerait ses« idées en temps utile dans un pro-gramme de campagne », axé sur la « réforme de la FIFA ».

Cette décision prise par le gou-vernement de la Confédération européenne est intervenue après que son président Michel Platini, lui aussi candidat mais suspendu quatre-vingt-dix jours par le co-mité d’éthique de la FIFA, a vu sonappel en référé rejeté sur la forme.« Cette décision n’est pas celle [sur le fond] de la commission des re-cours [de la FIFA] qui demeure at-tendue sans qu’aucun calendriern’ait été communiqué à M. Pla-tini », ont assuré les avocats du Français. La candidature du triple Ballon d’or – qui entend saisir leTribunal arbitral du sport le cas échéant – a notamment été mise àl’écart, le temps de sa suspension, par le comité électoral de la FIFA.

« Compromis boiteux »

Dans ce contexte de crise, la dési-gnation de Gianni Infantino, 45 ans et en poste à l’UEFA depuis 2009, comme suppléant de M. Platini relève de la « realpoli-tik ». « Dans la situation actuelle, où la candidature du président Pla-tini est gelée, ce choix est légitime et c’est le meilleur possible, confie au Monde l’Italien GiancarloAbete, troisième vice-présidentde l’UEFA. La candidature d’Infan-tino a été décidée après consulta-tion avec d’autres confédérations et les associations nationales à tra-vers le monde. Elle démontre en particulier que l’UEFA entend jouerdans tous les cas un rôle fonda-mental lors des prochaines élec-tions. Reste le fervent espoir que le président Platini retrouve bientôt son statut de candidat légitime. »

« L’UEFA n’avait pas le choix,abonde Guido Tognoni, ancien conseiller du président de la FIFAJoseph Blatter, lui aussi suspendu quatre-vingt-dix jours par le co-

mité d’éthique. Infantino est unchoix pas très pesant, mais intéres-sant. » Prise avec l’aval de MichelPlatini, cette décision traduit lechaos ambiant qui règne dans les hautes sphères de l’UEFA. « L’Es-pagnol Angel Maria Villar ne peutpas bouger car il fait l’objet d’uneenquête du comité d’éthique de laFIFA. L’Allemand Wolfgang Niers-bach est empêtré dans le scandale de l’attribution à son pays du Mon-dial 2006 et le Néerlandais Mi-chael Van Praag ne veut pas y aller,décrypte un fin connaisseur de la Confédération européenne. A dé-faut de s’entendre sur un candidat,ils ont lancé Infantino pour occu-per le terrain et chauffer la place à Platini. Mais c’est une situation dramatique pour l’UEFA, qui estdans une impasse. »

A voix basse, certains observa-teurs expriment leur scepticisme quant à la « solution administra-tive » qu’incarne Gianni Infan-tino, juriste guère rompu aux jou-tes électorales. Considéré comme un « plan B », M. Infantino a pro-mis au comité exécutif de l’UEFA et au personnel de l’instance qu’il

se retirerait si leur président était in fine blanchi. Le 15 octobre, il avait appelé les « différentes juri-dictions » à prendre une décision définitive sur le cas Platini d’ici àla « mi-novembre ». Entre-temps, l’unité de façade de la Confédéra-tion a explosé et la Fédération an-glaise a suspendu son soutien àl’ex-numéro 10 des Bleus. « Le choix d’Infantino, c’est un compro-mis boiteux, du soap opera, unefarce », pouffe un observateur avisé.

Alors que la FIFA a enregistréhuit candidatures, le numéro 2 italo-suisse de l’UEFA a déposé sesparrainages après le cheikh ba-hreïnien Salman Al-Khalifa,49 ans, patron pro-Platini de la Confédération asiatique (AFC) de-puis 2013. Ce dernier a d’ailleurs mené, ces derniers jours, des trac-tations avec Gianni Infantino afinde nouer une alliance. Dans l’en-tourage du président de l’UEFA, on assure « qu’il serait difficile de demander à la cinquantaine de fé-dérations européennes de voterd’emblée en bloc pour Salman enl’absence d’un représentant du Vieux Continent » en cas de dis-qualification de l’icône.

« Désaccord »

D’autant que le président de l’AFC apparaît comme un dignitairecontroversé. Accusé par plusieurs associations de défense des droitsde l’homme d’avoir contribué à l’incarcération de plusieurs athlè-tes bahreïniens engagés en 2011 dans les manifestations hostilesau pouvoir en place, le cheikh fut un fervent partisan de la candida-

ture du Qatar à l’organisation de la Coupe du monde 2022, dont les conditions d’attribution font ac-tuellement l’objet d’une enquête de la justice suisse. A l’instar de tous les candidats, le quadragé-naire devra, en outre, passer le« contrôle d’intégrité » de la com-mission électorale de la FIFA.

Signe que la candidature deGianni Infantino ne fait pas l’una-nimité au sein de l’UEFA, le prési-dent de la Fédération danoise, Jes-per Moller, a assuré que plusieurs de ses confrères « étaient en dé-saccord avec ce plan B ». « Je necomprends plus rien, s’indigne le patron d’une fédération euro-péenne, agacé par cette stratégied’alliances. C’est évident qu’Infan-tino et l’UEFA sont utilisés par Sal-man ! Je ne comprends pas qu’ilssoient si naïfs. » « La désignation d’Infantino traduit l’abdicationdes fédérations nationales euro-péennes et la faiblesse du comitéexécutif, soupire-t-on aux portesdu siège de l’UEFA, à Nyon. C’est n’importe quoi d’un point de vue stratégique. » p

rémi dupré

Gianni Infantino, un « plan B » à double tranchantLa candidature du discret mais ambitieux secrétaire général de l’UEFA pourrait être une menace pour Michel Platini

PROFIL

D ès l’annonce de la candi-dature de Gianni Infan-tino à la présidence de la

Fédération internationale de foot-ball (FIFA), la cellule de communi-cation de l’Union des associations européennes de football (UEFA) s’est empressée d’envoyer aux journalistes le CV détaillé de son secrétaire général. Il faut dire que le grand public ne connaît pas grand-chose de ce Suisse d’origine italienne au crâne glabre, qui cha-que année supervise le tirage au sort de la Ligue des champions.

Patron de l’administration de laConfédération européenne et bras droit de son président Michel Pla-tini depuis octobre 2009, ce poly-glotte (il parle couramment cinq

langues dont le français) se distin-gue par son sens de l’autodérision et sa propension à apporter des précisions juridiques lors des con-férences de presse tenues par son dirigeant. A 45 ans, le natif de Bri-gue (canton du Valais) passe pour un homme d’appareil, qui a pa-tiemment gravi les échelons de-puis son arrivée à l’UEFA, en 2000. L’ex-directeur des affaires juridi-ques de l’instance continentale a d’abord été l’adjoint du secrétaire général écossais David Taylor (2007-2009) avant de le remplacer auprès de l’ancien capitaine de l’équipe de France.

« Il tuerait sa grand-mère »

« C’est un “yes man” qui accepte tous les caprices de Platini », confie un fin connaisseur de la confédé-

ration. Lieutenant zélé de l’ex-me-neur de jeu des Bleus, Gianni In-fantino a souvent été envoyé aux avant-postes lors des innombra-bles batailles entre la FIFA et l’UEFA. Membre de la commission des réformes de la Fédération in-ternationale, le quadragénaire se trouve en première ligne pour suppléer Platini – lui aussi candi-dat mais suspendu quatre-vingt-dix jours par le comité d’éthique de la FIFA – dans la course à la suc-cession du patron du foot mondialJoseph Blatter. « Si je suis élu, je mè-nerai ce changement, en partena-riat avec tous ceux qui souhaitent voir une FIFA capable de diriger le sport le plus populaire au monde avec dignité et respect », a-t-il dé-claré dans un communiqué sans mentionner son dirigeant.

« Infantino a la crédibilité quicolle au rôle », assure au Monde l’Italien Giancarlo Abete, troi-sième vice-président de l’UEFA. D’autres observateurs voient pourtant d’un mauvais œil la dési-gnation de ce juriste comme « plan B » en cas de disqualifica-tion de Platini. « Il a une ambition démesurée, obsédante, persifle un habitué de la confédération. Il tue-rait sa grand-mère. C’est un auto-crate détesté par le staff de l’UEFA, qui rêve de s’en débarrasser. Nul doute qu’il va faire cette campagne à fond si Platini ne revient pas. »

Certains experts de la confédéra-tion considèrent même cette can-didature comme un signal négatif,voire une menace pour le triple Ballon d’or. « Infantino n’a plus du tout intérêt à ce que Michel re-

vienne, sourit un proche du dos-sier. Il sait qu’il ne sera pas élu à la tête de la FIFA et il formera un ticketavec le cheikh Salman (président de la confédération asiatique et lui aussi candidat) avant de se désister pour ce dernier. Le vrai rêve d’Infan-tino, c’est de remplacer Platini à la tête de l’UEFA. »

Si d’aventure Platini ne pouvaitmaintenir sa candidature, faute d’être blanchi, comment Infantinoorganisera-t-il sa campagne ? « Démissionnera-t-il de son poste de secrétaire général alors que la si-tuation politique de l’UEFA est diffi-cile, et qui financera ses tournées électorales ? », s’interroge un ob-servateur avisé de la confédéra-tion, alors que la course à la prési-dence de la FIFA s’avère indécise. p

r. d.

Gianni Infantino et Michel Platini, en février 2014, à Nice. VALERY HACHE/AFP

« A défaut de

s’entendre sur un

candidat, l’UEFA

a lancé Infantino

pour occuper

le terrain et

chauffer la place

à Platini »

UN FIN CONNAISSEUR

DE L’UEFA

FIFA : le va-tout de PlatiniLe patron de l’UEFA, suspendu, voit son numéro 2 briguer la présidence de la fédération internationale

PATINAGE ARTISTIQUEBruno Massot passe sous pavillon allemandLe Français Bruno Massot va pouvoir désormais patiner sous les couleurs de l’Allema-gne avec la star de la glace en couples, Aliona Savchenko. Il a été libéré, lundi 26 octobre, par la Fédération française des sports de glace, au terme d’un an et demi de blocage.

HANDISPORTSeptième médaille pour la France aux Mondiaux d’athlétismeTimothée Adolphe, troisième du 400 m non-voyant, a ap-porté à la France sa septième médaille lors des Mondiaux d’athlétisme de Doha, lundi 26 octobre. Le bilan tricolore pourrait encore s’améliorer puisque Marie-Amélie Le Fur, déjà titrée au 200 m et à la longueur, s’alignera sur 400 m et 100 m, mercredi et jeudi.

LES CANDIDATS

Michel PlatiniSuspendu jusqu’au 5 janvier, le président de l’UEFA attend une décision de la justice sportive.

Gianni InfantinoSecrétaire général de l’UEFA depuis 2009.

Cheikh SalmanPrésident de la Confédération asiatique de football (AFC) de-puis 2013.

Le prince AliCandidat malheureux face à Joseph Blatter en mai.

Jérôme ChampagneAncien secrétaire général adjoint de la FIFA.

David NakhidEx-capitaine de la sélection nationale de Trinité-et-Tobago.

Musa BilityPrésident de la Fédération de football du Liberia.

Tokyo SexwaleHomme d’affaires sud-africain.

Page 14: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

14 | témoignage MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Lucetta Scaraffia, 67 ans, historienne et féministe italienne, est l’une des 32 femmes invitées à participer au synode des évêques sur la famille, à Rome, du 4 au 25 octobre. Pour « Le Monde », la responsable du supplément Femmes de « L’Osservatore Romano », le quotidien du Vatican, relate de façon piquante ce travail parmi les hommes d’Eglise

lucetta scaraffia

Combien de fois me suis-je ré­pété, au cours de ces trois se­maines de synode, pour réfré­ner l’impatience rebelle quim’assaillait : au bout ducompte, ils m’ont invitée – et ils

m’ont même laissée parler. Moi, une « fémi-niste historique », pas franchement diplomateni patiente – ils l’ont sûrement remarqué.

Pour une femme comme moi, qui a vécuMai 68 et le féminisme, qui a enseigné dansune université d’Etat et participé à des comi-tés et à des groupes de travail en tous genres, cette expérience-là fut vraiment inédite. Parce que, même s’il m’est arrivé, quand j’étais jeune et que les femmes étaient encorerares dans certains milieux culturels et aca-démiques, de me retrouver la seule au milieud’un groupe d’hommes, ces hommes-là au moins s’y connaissaient un peu : ils étaient mariés ou avaient des filles.

Ce qui m’a le plus frappée chez ces cardi-naux, ces évêques et ces prêtres, était leurparfaite ignorance de la gent féminine, leur peu de savoir-faire à l’égard de ces femmestenues pour inférieures comme les sœurs,qui généralement leur servaient de domesti-ques. Pas tous évidemment – j’avais noué, avant même le synode, des liens d’amitiéavec certains d’entre eux –, mais pour l’im-mense majorité, l’embarras éprouvé en pré-sence d’une femme comme moi était palpa-ble, surtout au début. En tout cas, aucun si-gne de cette galanterie habituelle que l’onrencontre encore, notamment chez les hom-mes d’un certain âge – dont ils font partie. Avec la plus grande désinvolture, ils me bar-raient la route dans les escaliers et me pas-saient allègrement devant au buffet durantles pauses-café. Jusqu’à ce qu’un serveur,

ayant pitié de moi, me demande ce que jevoulais boire… Puis, quand nous avons com-mencé à mieux nous connaître, en particu-lier durant les sessions de travail en petitsgroupes, les autres ecclésiastiques m’ont peuà peu témoigné de la sympathie. A leur ma-nière, bien sûr : j’étais considérée comme une mascotte, toujours traitée avec paterna-lisme, même s’il leur arrivait d’avoir mon âge, voire d’être plus jeunes que moi.

Depuis mon arrivée, tout semblait avoir étéconçu pour que je me sente comme une étrangère : malgré mes badges d’accrédita-tion, j’étais soumise à des contrôles inflexi-bles. On tenta même de réquisitionner ma ta-blette et mon téléphone portable. A chaque fois, on me prenait pour une autre : pour une journaliste dans le meilleur des cas ou pour une femme de ménage. Puis ils ont appris à me connaître, et à me traiter avec respect et amabilité. Quand, après trois ou quatre jours,les gardes suisses en uniforme chargés de sur-veiller l’entrée se sont mis au garde-à-vous de-vant moi, j’étais au septième ciel !

« SI ELLES ENTRENT, NOUS SERONS ÉCRASÉS »Ma présence, pourtant, n’était que tolérée : jene « pointais » pas avant chaque séance detravail comme les pères synodaux, je n’avais pas le droit d’intervenir, sinon à la fin, comme on le concédait aux auditeurs, et il nem’était pas non plus permis de voter. Mêmedans les séances en petits groupes. Non seu-lement je n’avais pas le droit de voter, mais il m’était interdit de proposer des modifica-tions au texte soumis au débat. En théorie, jen’aurais même pas dû parler. Mais de tempsà autre, on daignait me demander mon avis ;il m’a fallu du courage, mais j’ai commencé àlever la main et à me faire entendre. A la der-nière réunion, j’ai même réussi à suggérer des modifications ! Bref, tout contribuait à ceque je me sente inexistante.

Chacune de mes interventions tombait àplat. Un jour, j’ai voulu rappeler qu’au dix-neu-vième chapitre de l’Evangile selon saint Mat-thieu, Jésus parlait de « répudiation » et nonpas de « divorce » et que, dans le contexte his-torique qui était le sien, cela signifiait « répu-diation de la femme par le mari ». Aussi l’indis-solubilité que défendait Jésus n’est-elle pas un dogme abstrait, mais une protection accordéeaux plus faibles de la famille : les femmes. Mais ils ont continué à expliquer que Jésus était contre le divorce. J’aurais tout aussi bienpu ne rien dire ; je parlais dans le vide.

J’ai bien essayé de partager mes impres-sions avec les quelques autres femmes pré-sentes au synode, mais elles me regardaient toujours avec étonnement : pour elles, ce trai-tement était tout à fait normal. La plupart n’étaient là qu’en tant que membre d’un cou-ple – au moment des interventions de clô-ture, j’ai entendu d’improbables récits de ma-riages narrés de concert avec le mari. La seuleà échapper à ce climat de démission était unejeune sœur combative qui avait découvert,au cours d’un échange avec le pape, que lesquatre lettres que son association lui avait en-voyées – pour réclamer plus d’espace pour lesreligieuses – n’étaient jamais parvenues au pontife. Je compris que les sœurs, étant nom-breuses, bien plus nombreuses que les reli-gieux, faisaient peur : si elles entrent, me di-sait-on, nous serrons écrasés. Il valait doncmieux faire comme si elles n’existaient pas…

Sous mes yeux curieux et ébahis, l’Eglisemondiale a pris corps et identité. C’est cer-tain, il y a des camps distincts, entre ceux quiveulent changer les choses et ceux qui veu-lent simplement défendre ce qui est. Et l’op-position est très nette. Entre les deux, une sorte de marais, où l’on s’aligne, où l’on ditdes choses vagues et où l’on attend de voir comment va évoluer le débat. Le camp des conservateurs assure aux pauvres fidèles quesuivre les normes n’est pas un fardeau inhu-main parce que Dieu nous aide par sa grâce.Ils ont un langage coloré pour parler des joiesdu mariage chrétien, du « chant nuptial », de « l’Eglise domestique », de « l’Evangile de la fa-mille » – en somme, d’une famille parfaite quin’existe pas, mais dont les couples invités de-vaient témoigner en racontant leur histoire. Peut-être qu’ils y croient. En tout cas, je nevoudrais pas être à leur place.

Il y a plus de nuances dans le camp des pro-gressistes. Les plus audacieux vont jusqu’àparler de femmes et de violence conjugale. Onles distingue facilement parce qu’ils invo-quent sans cesse la miséricorde. Naturelle-ment, les familles parfaites n’ont pas besoin de miséricorde. « Miséricorde » a été le mot-clédu synode : dans les groupes de travail, les uns

luttent pour le supprimer des textes, les autresle défendent avec vigueur et cherchent au con-traire à le multiplier. Au fond, ce n’est pas très compliqué. Je m’étais imaginé une situation théologiquement plus complexe, plus difficileà déchiffrer de l’extérieur.

Mais peu à peu j’ai compris qu’un change-ment profond était à l’œuvre : accepter que lemariage soit une vocation, à l’image de la vie religieuse, est un grand pas en avant. Cela si-gnifie que l’Eglise reconnaît le sens profond del’Incarnation, qui a donné valeur spirituelle à ce qui vient du corps, et donc aussi à la sexua-lité considérée comme un moyen spirituel,que ce soit dans la chasteté ou dans la vie con-jugale. L’insistance sur la vraie intention de la foi, sur la préparation au sacrement est égale-ment très importante : c’en est fini de l’adhé-sion de façade, sans un choix en conscience.Le grand précepte de Jésus, selon lequel seule compte l’intention du cœur, entre progressi-vement dans la vie pratique. Cela veut dire quenous avançons de façon significative dans la compréhension de sa parole. Dans les milliersde polémiques sur la doctrine ou sur la nor-mativité, rien de tel ne semble exister, mais à yregarder de plus près, le changement est per-ceptible, et il est sans aucun doute positif.

UN PEU DE CATÉCHISME AVANT LES NOCESDurant les longues heures de débat, j’ai ob-servé, fascinée, l’élégance des ecclésiastiques : tous « en uniforme », avec leurs soutanes cou-sues de violet ou de rouge, leurs calottes aux mêmes couleurs, et pour certains leurs chapesélaborées avec de longs fils cousus de boutonscolorés. Les Orientaux arborent des coiffes de velours brodées d’or ou d’argent, de hauts cha-peaux noirs ou rouges. Le plus élégant de tousporte une longue tunique violette – je décou-vrirai à la fin qu’il s’agit d’un évêque anglican. Parfois, de loin, un dominicain en tunique blanche est pris pour le pape, qui, démocrati-quement, se joint à nous à la pause-café.

C’est vrai qu’ils viennent de tous les coins dumonde ; en général, les évêques des pays an-ciennement colonisés parlent la langue de l’ancien conquérant : le français, l’anglais, le portugais. Ceux qui viennent d’Europe de l’Estparlent l’italien. Je réalise combien sont nom-breux les évêques en Inde et en Afrique. Cha-cun représente un morceau d’histoire et de réalité, qu’ils parlent de difficultés concrètes ou se contentent de tirades théoriques en fa-veur de la famille.

Et je découvre ainsi que les défenseurs lesplus rigides de la tradition sont ceux-là mê-mes qui vivent dans les pays où la vie est la plus difficile pour les chrétiens, comme les Orientaux, les Slaves ou les Africains. Ceuxqui ont connu les persécutions communistesproposent de résister avec la même rigueur etla même intransigeance aux charmes de lamodernité ; ceux qui vivent dans des pays tourmentés et sanglants où l’identité chré-tienne est menacée pensent que c’est seule-ment en étant ferme sur les règles que l’on peut défendre la religion contre les menacesdont elle fait l’objet.

Hormis quelques exceptions, qui ont mapréférence, tous parlent un langage autoréfé-rentiel, presque toujours incompréhensible pour qui n’appartient pas au petit cercle duclergé : « affectivité » pour dire « sexualité »,« naturel » pour « non modifiable », « sexua-lité mature », « art de l’accompagnement »…Presque tous sont convaincus qu’il suffit de bons cours de préparation au mariage pour surmonter toutes les difficultés et peut-êtreaussi un peu de catéchisme avant les noces.

Du monde réel pourtant, surgissent tant desituations diverses et complexes. En particu-lier la question des mariages mixtes qui se re-trouve partout dans le monde. Les problèmessont multiples et variés, mais il en est un qui surgit dans tous les cas : la religion catholiqueest la seule à poser l’indissolubilité du ma-riage. Et donc les pauvres catholiques se re-trouvent souvent abandonnés et dans l’im-possibilité de se remarier... Combien d’ecclé-siastiques défendent avec fierté leurs fa-milles traditionnelles sans penser que dans la majorité des cas il s’agit de situations qui pénalisent les femmes.

Mais les femmes sont quasi invisibles. Etquand je les évoque dans mes interventions,me plaignant de leur absence alors même qu’il s’agit de débattre de la famille, on me trouve « très courageuse ». Me voilà applau-die, remerciée même parfois ; je suis un peu surprise, puis je comprends qu’en parlant clairement je les ai dispensés de le faire.

Portée par ce flot de sensations contradic-toires – entre la colère suscitée par une évi-dente exclusion et la satisfaction d’être là tout de même –, je ne pouvais m’empêcher depenser qu’il était quand même extraordi-naire, de nos jours, de participer à une assem-blée qui s’ouvre avec le chant du Veni Creator Spiritus et se clôt sur le Te Deum. Mais c’est précisément pour cette raison que je souffreencore plus de l’exclusion injuste que subis-sent les femmes d’une réflexion qui, en prin-cipe, porte sur le rapport de l’humanité dans son ensemble, et donc des hommes et des femmes, avec Dieu. p

GIULIA D’ANNA LUPPO

LES FEMMES SONT QUASI INVISIBLES.

QUAND JE LES ÉVOQUE, ME

PLAIGNANT DE LEUR ABSENCE ALORS

MÊME QU’IL S’AGIT DE DÉBATTRE DE LA

FAMILLE, ON ME TROUVE « TRÈS COURAGEUSE »

Et Dieu bouda la femme

Page 15: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 débats | 15

¶Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’UVSQ-université Paris-Saclay

André Grjebine est directeur de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po

L’enseignement de la laïcité doit maintenir la supériorité de la science sur la croyance

par laurent bouvet etandré grjebine

L e « livret laïcité », que le ministère del’éducation nationale vient d’élabo-rer à l’usage des chefs d’établisse-

ment et des équipes éducatives de l’ensei-gnement public, repose sur une confu-sion entre une vision simplifiée de la laï-cité et le cadre dans lequel elle s’inscrit.

En fait, chaque société est sous-tenduepar une conception du monde qui déter-mine aussi bien l’organisation de la so-ciété que les modes d’appréhension du réel. La société française et bon nombre desociétés occidentales s’inscrivent dans ce que Karl Popper a appelé la société ouverte, c’est-à-dire une société sans dog-mes imposés par des autorités supérieu-res et au sein de laquelle les individus sontlibres de se déterminer. Cela n’implique pas qu’elle soit composée d’incroyants, mais qu’elle ne soit pas fondée sur une croyance non soumise à discussion. C’est donc une société où la religion n’est plus structurante, en ce sens qu’elle ne com-mande plus la forme politique des socié-tés, pas plus qu’elle ne définit le mode d’appréhension du réel.

Par opposition, la société fermée est dé-finie par référence à une révélation. Les in-dividus y sont soumis à des forces magi-ques censées provenir d’une source exté-rieure à la société.

Dans ce cadre, la laïcité fonde la coexis-tence d’individus de croyances différentesau sein d’une même société. Elle suppose la neutralité de l’Etat, en premier lieu de l’éducation nationale publique, par rap-port à chacune d’entre elles. Cette neutra-

lité de l’Etat est parfaitement concevable au niveau des administrations. Elle signi-fie par exemple que l’Etat ne subven-tionne aucun culte ou les subventionne tous. Le problème est plus compliqué en matière d’enseignement dans la mesure où il ne s’agit plus, au sens strict, d’organi-sation, mais bien de réflexion. La sphère de compétence de l’enseignant n’est pas d’ordre administratif, mais intellectuel. Ildoit transmettre des connaissances autant que possible scientifiques et ensei-gner l’esprit critique. Certes, on peut exi-ger des enseignants qu’ils ne se réfèrent pas à une religion ou une idéologie plus qu’à une autre, si ce n’est pour en retracer l’histoire.

Mais, comment enseigner le doute etl’interrogation, clés de voûte de la démar-che scientifique, sans les opposer à une démarche religieuse qui recherche des certitudes et procède par affirmations non démontrées, en prétendant dévoiler la Loi divine ? Quel sens cela aurait-il d’en-seigner le darwinisme dans les écoles àdes enfants qui entendraient l’éloge ducréationnisme dans leur famille ou leur église, leur temple ou leur mosquée et l’in-voqueraient à l’école ? Et donc, comment demander à un enseignant d’exposer la théorie de l’évolution, sans montrer que lecréationnisme doit plus à l’irrationnel qu’à la science ?

« FORMATION DE L’ESPRIT CRITIQUE »

Plus compliquée encore est la tâche assi-gnée à des professeurs quand il s’agit d’enseigner l’histoire des religions sans en discuter les implications. Imagine-t-on un enseignement du catholicisme au Moyen Age qui ne parlerait pas de l’In-quisition, ou une histoire de l’URSS quin’évoquerait pas le goulag ? Une laïcité qui ne s’inscrit pas explicitement dansune société ouverte et ne va pas de pair avec l’accent mis sur la démarche scienti-fique peut-elle être autre chose qu’illu-soire ?

C’est là que le chapitre 4 du livret poseproblème et conduit à s’interroger sur lesmotivations véritables de ses auteurs et donc des autorités qui le distribuent. Mal-gré son titre, « Laïcité et enseignements »,ce chapitre porte moins sur la laïcité quesur la démarche qui doit prévaloir en ma-tière de transmission des connaissances : « Il revient aux chefs d’établissement et di-recteurs d’école de montrer que les savoirs enseignés sont le fruit de la démarche scientifique de l’historien et montrer aux élèves la distinction entre savoir, opinion

ou croyance. Distinction entre croire et sa-voir : ce qui peut être cru ne relève pas de l’enseignement scolaire de l’école laïque mais appartient à la liberté de conscience, de croyance de chacun. » (p. 16). Excellentprélude pour préparer à « la formation del’esprit critique » que la ministre annoncedans son édito comme l’une des ambi-tions d’une « refondation de l’école ».

Malheureusement, il suffit d’unephrase pour qu’on en vienne à se deman-der si les auteurs de ce « livret laïcité » se sont sérieusement interrogés sur les con-ditions d’exercice de la laïcité dans le sys-tème scolaire. Le livret affirme ainsiqu’« il faut pouvoir éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux etdu savoir scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, physique-chimie, etc.), il est essentiel de refuser d’établir une supé-riorité de l’un sur l’autre comme de les met-tre à égalité. » Affirmation qui ne l’empê-che pas de déclarer que « les enseignantsdoivent être en mesure de répondre à desobjections, même lorsque celles-ci sont denature religieuse… Sans se risquer à la comparaison des discours scientifiques etreligieux, il est tout à fait possible de dé-construire l’argument d’un élève comme on le ferait de n’importe quelle objection. »

Mais qui ne voit que ces propositionssont contradictoires. Comment dévelop-per la méthode scientifique sans mettreen évidence les obstacles auxquels elleest confrontée, ni les résultats incompa-rables auxquels elle parvient, c’est-à-diredavantage que sa supériorité, son mono-pole en matière d’acquisition rationnelle de connaissances ?

Ce qui ne signifie évidemment pas quela religion n’ait plus aucune place dans la société, mais qu’elle doit principalementse consacrer aux questions métaphysi-ques, sans déborder sur la sphère de con-naissances qui sont du domaine scientifi-que et qui sont les seules à devoir être en-seignées dans les écoles, y compris quandil s’agit de l’histoire des religions.

Assurer la primauté de la raison est cer-tes un défi difficile pour le système sco-laire. Doit-il pour autant baisser les bras ? Après une longue lutte pour sauvegarder sa prééminence en matière de proclama-tion de la vérité (il a fallu attendre 1992pour que l’Eglise reconnaisse ses erreurs et réhabilite Galilée), l’Eglise a progressi-vement cédé du terrain devant la montéeen puissance de la science. Faut-il tout re-commencer sous prétexte d’assurer la paix sociale ? p

L’absence de spirituel estun problème, pas l’islamContrairement à ce que pensent certains intellectuels, la difficulté de l’intégrationdes musulmans de France ne provientpas de l’affaiblissement de notre modèle national, mais de notre incapacité à proposerà l’homme un accès à ce qui le dépasse

par abdennour bidar

D ans le débat qui vient d’op-poser Alain Finkielkraut àPierre Manent au sujet du

« défi considérable que représente la poussée d’un islam fort dans une na-tion faible », je voudrais faire enten-dre une voix parmi celles de ces in-tellectuels de culture musulmane auxquels on reproche souvent de ne pas prendre assez leurs respon-sabilités. Je souscris entièrement à l’analyse de Pierre Manent, quivient de publier Situation de laFrance (Desclée de Brouwer, 174 p.,15,90 €), lorsqu’il déclare que « le pro-blème le plus alarmant qui assiège la France et l’Europe, c’est une désorien-tation générale, une impuissance croissante à penser et à vouloir un projet commun. L’irruption de l’islam révèle ce problème, l’aggrave sans doute, mais cette désorientation existe indépendamment de l’islam ».

Il faut insister avec M. Manent surle fait que l’islam de France et d’ailleurs ne nous déstabiliserait pas autant si nous n’étions pas devenus si fragiles. Certes l’islam lui-même est profondément en crise, Daech n’étant que le symptôme le plus grave d’un cancer de civilisation qui prolifère à peu près partout sur le corps de l’Oumma.

Cela, une majorité de musulmansrefuse encore de l’entendre, même sid’autres – surtout des femmes et ce n’est pas un hasard – me disent qu’enfin quelqu’un ose crever l’ab-cès. Cette surdité volontaire, cepen-dant, est actuellement la chose du monde la mieux partagée. Car l’Occi-dent éprouve lui aussi les pires diffi-cultés à actualiser sa conscience de soi, c’est-à-dire en l’occurrence à ac-cepter de voir cette réalité en face :ses idéaux magnifiques et indispen-sables, synthétisés dans la Déclara-tion universelle des droits de l’homme, ne suffisent plus à pro-duire des sociétés justes mais lais-sent exploser toutes les inégalités ; etces mêmes valeurs ont perdu toute force d’attraction, de conviction, d’entraînement dans le reste du monde, à commencer du côté de l’is-lam. L’Occident n’a plus les moyens d’être ce « cap » de l’humanité dontJacques Derrida parlait naguère.

RÉGÉNÉRER LES VALEURSIl ne s’agit pas pour autant de renon-cer à ces fameuses valeurs. Mais de toute évidence, il faut maintenant qu’elles soient régénérées au fonde-ment par la contribution de tous les héritages humanistes d’Orient, afin que désormais l’Occident ne soit plus laissé à l’illusion qu’il peut « fa-briquer de l’universel tout seul » pour l’imposer tel quel à la planète. Dans cette perspective, nous devons comprendre que l’islam n’est pas notre ennemi, ni seulement le « ré-vélateur » de notre impuissance nouvelle. Il est celui qui, à travers la conviction farouche de ses fidèles, nous interpelle sur le plan spirituel. Ses barbares djihadistes eux-mêmes,en ce qu’ils remettent au centre du débat planétaire la question du nœud gordien entre la violence et le sacré, nous convoquent à un sursaut d’ordre spirituel.

Tout cela nous somme de recon-naître que nous sommes engagés avec la civilisation islamique dans le même défi crucial : trouver une vie spirituelle qui fonde l’univers éthi-que et politique des droits de l’homme. Nous devons chercher avec elle de nouvelles voies pour ac-tualiser « ce qui en l’homme passe l’homme », comme disait Blaise Pas-cal. C’est-à-dire ? Non pas quelque chose de vague comme une « spiri-tualité » mais une vision de nous-mêmes qui nous élève au-dessus de

notre ego ordinaire et de ses besoins matériels, pour faire justice à nos as-pirations les plus hautes : l’aspira-tion personnelle à nous accomplir au sommet de nos possibilités, l’as-piration collective à axer l’ordre so-cial sur la possibilité offerte à tous d’entreprendre cette quête spiri-tuelle. Donner à chaque être humainles moyens de cultiver sa propre part d’infini : tel est aujourd’hui ce qu’aucune de nos civilisations ne sait plus prendre en charge mais qu’elle laisse à l’abandon, livrant les uns à une terrible solitude dans leur quête, et tous à une inculture spiri-tuelle qui expose les plus fragiles aux séductions du djihadisme !

Même là où le religieux fait son re-tour comme palliatif, l’homme con-temporain n’a plus d’accès à son droit spirituel, d’essence métapoliti-que. C’est la tâche aveugle du sys-tème des droits de l’homme – cet en-semble de droits politiques et sociaux au centre desquels ne se trouve aucune idée de la transcen-dance qui habite le cœur de l’être hu-main. La modernité a entraîné, puis fait s’accélérer sans cesse, une telle mutation de la condition humaine que se sont effondrées toutes les grandes images religieuses et philo-sophiques qui avaient servi pendant des millénaires à nourrir notre cons-cience spirituelle de nous-mêmes et de notre place dans l’univers. Elles n’ont pas été remplacées par des idéaux de liberté d’expression et d’égalité sociale qui sont nécessaires,mais qui ne concernent en nous que l’animal politique et en aucun cas l’animal métaphysique.

Notre crise majeure n’est ni écono-mique, ni financière, ni écologique, ni sociopolitique, ni géopolitique : c’est une crise spirituelle d’absence radicale – dans les élites et dans les masses – de vision d’un sublime dans l’homme qui serait partageable entre tous, athées, agnostiques, croyants. Et s’il y en a un, voilà le vraivisage du totalitarisme aujourd’hui : la conspiration terrible, tyrannique et secrète de toutes les forces intel-lectuelles et sociales qui condam-nent l’être humain à une existence sans aucune verticalité. L’islam ? Avec son sacré rigidifié dans le dog-matisme et le formalisme wahha-bite, il est le frère en miroir de notre Occident au sacré dilué dans le rela-tivisme et le désenchantement gé-néralisé – deux manifestations souf-frantes et impuissantes d’un même aplatissement ou effondrement sur lui-même de l’humain.

Ici en France, une laïcité mal com-prise nous a fait expulser hors du champ public toute recherche en commun d’un souverain bien spiri-tuel… Or, cette laïcité est une chance, si aujourd’hui nous nous en saisis-sons pour chercher tous, avec nos musulmans, dans le respect et la compréhension mutuelle, ce qui en amont de la dignité de la personne humaine la fonde spirituellement. p

¶Abdennour Bidar

est philosophe. Son dernier ouvrage s’intitule « Lettre ouverte au monde musulman » (Les Liens qui libèrent, 64 p., 5,80 €)

Par souci de ne pas heurter les croyants, le « livret laïcité », distribué aux équipes éducatives des écoles, préconise d’éviter la confrontation entre discours religieux et savoir scientifique. Mais seule la raison doit primer

COMMENT DEMANDER À UN ENSEIGNANT

D’EXPOSER LA THÉORIE

DE L’ÉVOLUTIONSANS MONTRER QUE LE CRÉATIONNISME

DOIT PLUS À L’IRRATIONNEL

QU’À LA SCIENCE ?

Feu | par serguei

NOTRE CRISE MAJEURE N’EST

NI ÉCONOMIQUE,NI ÉCOLOGIQUE,

NI GÉOPOLITIQUE : C’EST UNE CRISE

SPIRITUELLE

Page 16: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

16 | éclairages MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE

ANALYSE

philippe ridetrome – correspondant

Il n’est pas au pouvoir comme Syriza enGrèce, ne gouverne pas de grandes vil-les comme Podemos en Espagne, maisen Italie, le Mouvement 5 étoiles (M5S)

continue de grandir inexorablement son-dage après sondage. Alors que d’aucuns pré-disaient la fin imminente de ce « non-parti » après des scores décevants aux électionseuropéennes et régionales, il pèse désormais27 % des intentions de vote, soit 2 points de mieux que son score obtenu aux scrutins lé-gislatif et sénatorial de février 2013, qui luiavait permis de faire élire 163 parlementaires.Dans un contexte de liquéfaction de la droiteitalienne, il apparaît comme la seule alterna-tive au Parti démocrate (centre gauche) deMatteo Renzi et son plus dangereux adver-saire. Les élections municipales, en juin 2016,à Milan, Bologne, Turin, Naples et surtout à Rome, minée par les scandales, devraientconfirmer cet enracinement.

Ce succès ouvre de nouveaux espoirs auxpartisans de Beppe Grillo. Fort à présent de 91députés, 36 sénateurs (une quarantaine deparlementaires ont été exclus ou ont changéd’affiliation), 17 députés européens, 11 maireset un bon millier de conseillers régionaux etmunicipaux, le Mouvement rêve d’exercer lepouvoir. « Si nous remportons la mairie deRome, nous gouvernerons le pays pendant dix

ans », a déclaré l’ancien comique lors d’unrassemblement de militants et d’élus, les 17 et18 octobre à Imola (Emilie-Romagne). « Nous avons su être des opposants, maintenant nousdevons démontrer que nous savons aussi gou-verner, et, si nous parvenons à bien adminis-trer Rome, nous pourrons en faire autant pourle pays », a promis de son côté un député.

Mais un « non-parti » peut-il exercer un vraipouvoir ? Depuis sa naissance en 2008, leM5S se caractérise plus par des mots d’ordreet des valeurs (transparence, légalité, écolo-gie) que par un programme. Post-idéologi-que, il ne se veut ni de droite ni de gauche ; hostile à toute idée de leadership, il professe que « un vaut un » et que la parole du militantde base est aussi précieuse que celle d’un par-lementaire. Il est en revanche doté de règles intangibles : décisions soumises au vote surInternet, nécessité pour ses candidats – dési-gnés eux aussi par les internautes – de ne pasavoir été, lors d’une élection précédente, in-vestis par un autre parti, limitation stricte àdeux mandats consécutifs pour tous les élus quel que soit leur rang, refus des alliancesavec d’autres formations.

La perspective d’exercer un jour les respon-sabilités les plus hautes mettent à mal l’iden-tité du Mouvement et ses principes. Déjà, M. Grillo, 67 ans, a pris un peu de recul. Sil’ancienne vedette de la télévision reste unbon « produit d’appel », il se démode. Son mode d’expression, sa faconde, ses provoca-tions restent liés à l’époque de sa gloire dansles années 1980 et 1990. Son inquiétant

mentor, Gianroberto Casaleggio, qui gère le blog Beppegrillo.it, véritable sismographe du parti, est contesté. Des élus, comme Fede-rico Pizzarotti, le maire de Parme, lui repro-chent un fonctionnement « opaque et clani-que ». L’oukase qui interdisait aux élus de participer aux émissions de télévision, à moins d’en être le seul invité, a été levé. Dé-sormais, les élus 5 étoiles font autantd’audience que le fondateur du Mouvement.Conséquence : il y a près d’un an, arguantd’« un coup de fatigue », M. Grillo a officielle-ment confié les rênes du M5S à un directoirede cinq personnes.

ANTITHÈSE GÉNÉRATIONELLE

C’est dans ce cercle que se retrouvent Luigi DiMaio, 29 ans, vice-président de la chambre des députés, et Alessandro Di Battista, 37 ans, député. Les deux hommes figurent l’avenirdu M5S. Bien peignés, cravate nouée à la li-mite de la strangulation, le verbe sobre etpesé, une tête de gendre idéal, ils semblent être l’antithèse générationnelle et stylistiquede M. Grillo, qui regarde leur évolution avecautant de fierté que d’appréhension. Et s’ilsallaient me jeter dehors ? Le premier apparaîtdésormais dans les sondages à l’égal de M. Renzi ou de Matteo Salvini, le secrétaire fé-déral de la Ligue du Nord ; le second comme un candidat idéal à la mairie de Rome dont il est originaire.

Mais ce mode de sélection des talents n’estpas compatible avec les statuts du Mouve-ment. S’il veut devenir un jour président du

conseil, M. Di Maio devra être désigné par lesquelques dizaines de milliers d’internautesinscrits sur le site Beppegrillo.it. Quant à M. Di Battista, il ne peut devenir maire de Rome, étant déjà député. Pour le Mouvement5 étoiles, le moment est venu de s’interroger :son règlement interne est-il compatible avecla vie politique où les occasions se présententsans qu’on les ait forcément prévues ? « En 2013, a déclaré M. Grillo le 30 août, nousn’étions pas prêts. Nous avons pris un peu toutle monde. Aujourd’hui, le Mouvement pro-gresse en qualité. Il y a encore deux ans, n’im-porte qui y entrait, désormais, ce sont des pro-fessionnels qui nous approchent, des gens qui peuvent apporter vraiment quelque chose. »

Comment faire une place à ces derniers ?Comment éloigner les élus décevants et pro-mouvoir les talents pour engranger de nou-velles victoires ? Comment éliminer lestransfuges attirés par la perspective d’uneréélection ? C’est toute la question qui se poseaujourd’hui au « non-parti ». S’il décide delaisser survivre les plus forts et de condam-ner les plus faibles, il deviendra une forma-tion comme les autres, à même de s’installerau palais Chigi, siège de la présidence du con-seil. S’il s’en tient à ses principes démocrati-ques et participatifs où un candidat connu deses seuls amis et de sa famille peut sortir dulot, il court le risque de ne jamais voir le pou-voir suprême. Peut-on gagner des électionssans perdre son âme ? p

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LE RÈGLEMENT INTERNE DU M5S

EST-IL COMPATIBLE AVEC LA VIE

POLITIQUE OÙ LES OCCASIONS SE PRÉSENTENT SANS QU’ON LES AIT FORCÉMENT

PRÉVUES ?

En Italie, le Mouvement 5 étoiles se prépare à prendre le pouvoir

LETTRE DE NEW YORK | stéphane lauer

A Long Island, la petite maison dans l’ex-camp nazi

Rien ne pourrait laisser supposerqu’ici, à Yaphank, il y a quatre-vingts ans, les rues avaient pournom « Adolf-Hitler » ou « Joseph-

Goebbels ». Ni que, chaque été, cette petitecommune rurale située sur la presqu’île de Long Island, sur la route des vacances des ri-ches New-Yorkais, était décorée de calicots frappés de la croix gammée.

A l’époque, Yaphank et le camp Siegfried nefaisaient qu’un. Comme un rituel, plusieurscentaines de familles prenaient le train de la gare de Penn Station, à Manhattan, le CampSiegfried Special, pour rejoindre ce centre de vacances érigé en 1935 à la gloire du régime nazi par les Amis de la nouvelle Allemagne, une organisation qui prit ensuite le nom deGerman American Bund.

Difficile d’imaginer aujourd’hui qu’à moinsde cent kilomètres de New York, où réside laplus grande communauté juive du monde,des sympathisants nazis se ressourçaient dans ce coin de verdure et de sable. Jusqu’à safermeture en décembre 1941, après la déclara-tion de guerre de l’Allemagne aux Etats-Unis. « Cette organisation n’était pas seulement na-zie ou allemande, explique Ryan Shaffer, his-

torien et professeur à la Stony Brook Univer-sity, c’était aussi une structure américaineavec des racines locales. Alors qu’il mettait en avant la culture germano-américaine, le Bundétait fondamentalement raciste et fasciste. Il afallu attendre des morts et une guerre mon-diale avant que les gens commencent à regar-der ce qui s’est passé dans leur propre arrière-cour », explique-t-il dans un article du LongIsland History Journal.

Ce passé est pourtant en train de resurgirdans le cadre d’un contentieux immobilier. Philip Kneer et sa femme, Patricia, qui habi-tent depuis 1999 dans l’une des petites mai-sons de bois de Yaphank, ont décidé de met-tre les pieds dans le plat. Les règles de la petitecommune ne les avaient pourtant pas gênés au moment de l’achat de leur maison, dont laparticularité est d’être située sur une parcelleappartenant à la German American Settle-ment League. Il leur avait fallu montrer patteblanche à la Ligue : l’entretien s’était déroulé en allemand et le fait que Mme Kneer soit ori-ginaire de Berlin avait sans doute plaidé en safaveur.

A la fin de la guerre, le gouvernement amé-ricain avait saisi le terrain, mais la Ligue par-

vint à le récupérer après une querelle juridi-que. Aujourd’hui, même si chacun est pro-priétaire de sa maison, c’est cette associationqui fixe les règles de vente des biens.

Quand ils décident de mettre en vente leurmaison, les Kneer découvrent par exemple que la Ligue leur interdit de publier une pe-tite annonce et d’apposer un panneau « Avendre ». Seuls les membres de la commu-nauté et leurs amis peuvent donc avoir con-naissance de la disponibilité du bien et s’en porter acquéreur. Un entre-soi qui a fini par créer un voisinage exclusivement blanc et àdominante germanique, constatent lesKneer.

« AGENTS DE L’ÉTRANGER »

Face à ces contraintes, le couple se résout à at-taquer la Ligue en justice, comme l’a révélé leNew York Times. Une plainte a été déposée le 20 octobre devant le tribunal du comté de Suffolk au motif que les règles imposées se-raient discriminatoires et contreviendraient au Fair Housing Act. Cette loi fédérale, votéeen 1968 et signée par le président Lyndon Jo-hnson pendant les émeutes qui suivirentl’assassinat de Martin Luther King, fait partie

du Civil Rights Act. Elle vise justement à pré-venir et à sanctionner les discriminations lors d’une transaction immobilière.

Robert Kessler, le président de la Ligue,conteste toute idée de discrimination et es-time que les règles de copropriété sont mal comprises des gens extérieurs à la commu-nauté, même s’il reconnaît qu’elles sont« obsolètes ».

Mais, comme il le confie au New York Ti-mes : « Les Kneer sont amers simplement parce qu’ils ne parviennent pas à obtenir leprix qu’ils demandent pour leur maison. »

A Yaphank, les traces du passé les plus visi-bles ont été effacées. La rue Adolph-Hitler aété rebaptisée Park Street et l’avenue Joseph-Goebbels s’appelle Northside Avenue. Mais d’autres semblent avoir plus de mal à dispa-raître. « Encore maintenant, affirmeRyan Shaffer, beaucoup de résidents rendent responsables des “agents de l’étranger” de ce qui s’est passé ici et n’arrivent pas à analyser leterrain fertile et la propagande qui a permis àdes Américains de faire partie d’une telle or-ganisation. » p

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LE PASSÉ DE LA COMMUNE DE YAPHANK EST EN TRAIN DE RESURGIR

DANS LE CADRE D’UN

CONTENTIEUX IMMOBILIER

Accueillir l’islam dans une France affaiblie

LIVRE DU JOUR

nicolas weill

La tentation est parfois forte, chez cer-tains croyants musulmans, chrétiensou juifs, de trouver une « solution »au « problème » que serait censée po-

ser l’insertion de l’islam en France, en pas-sant par-dessus la tête de la laïcité à la fran-çaise. Cette même laïcité, érigée en réponseofficielle aux attentats de janvier, laisserait, certes, l’individu libre de ses choix religieux.Mais elle serait incapable de répondre aux be-soins collectifs et identitaires de l’islam.L’ouvrage de Pierre Manent, philosophe, his-torien du libéralisme, de sensibilité conserva-trice et catholique, est révélateur de cette ten-dance qui, par ailleurs, ne se satisfait ni desutopies de « réconciliation abrahamique » nides rêveries historiquement douteuses surl’Andalousie médiévale. L’originalité de la po-sition ici défendue tient avant tout au constatqu’il est vain de chercher à réformer l’islampour l’adapter aux canons occidentaux.

Ce qu’il convient de faire, selon l’auteur,c’est plutôt de prendre l’islam tel qu’il est,

fût-ce au prix d’aménagements a minima. Ilpropose ainsi que les musulmans de France renoncent au voile intégral, à la polygamie,acceptent la liberté de parole, de critique et dedessin sans restriction et surtout prennent en charge leur culte et leur destin français sans plus recourir aux financements étran-gers, que ceux-ci proviennent du Maghreb oudu Golfe.

LA DÉLIAISON SOCIALE

Bien entendu, ce minimum laissera dubitatif.Une partie des féministes ne saurait se satis-faire des concessions suggérées à la Républi-que sur la condition de la femme. Pierre Ma-nent, au risque de choquer, ne recule pas nonplus devant l’essentialisation de la réalité so-ciale que constitue l’islam, sinon difficile à appréhender. Mais que cette démarche abou-tisse à l’idée qu’entre l’islam et l’Occidentexiste un état de « guerre », certes défensive etqui doit se résoudre pacifiquement, ne va pasde soi. Quant aux attentats de janvier, nepeut-on les considérer comme une question de terrorisme et de police, sans nécessaire-ment y voir l’expression extrême et déforméed’une crise provoquée par l’islam en France ?

Du reste, le véritable Adversaire avec ungrand A de Pierre Manent, ici comme dansses précédents ouvrages, ne vient pas del’« extérieur », mais de la déliaison socialedont il fixe le commencement à la dissolu-tion de la France gaullienne et au triomphede l’individualisme démocratique tel qu’il s’exprime à travers l’esprit de Mai 68. L’affai-blissement constant – le déclin – du cadre na-tional au profit de l’Union européenne ou dela mondialisation rendrait la France particu-lièrement inadaptée à relever les défis de l’in-tégration de l’islam.

Dans un univers mental où la seule alterna-tive qui vaille est soit l’« autochtonie » popu-liste, soit le « déracinement » du penser-glo-bal, comment accueillir avec une hospitalité lucide une religion qui, selon Pierre Manent,a vocation à demeurer minoritaire dans un pays au passé catholique ? Il n’est pas sûr quecette nostalgie du cadre national nous y aide vraiment. p

Situation de la FrancePierre ManentDesclée de Brouwer, 174 pages, 15,90 euros

Page 17: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

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18 | disparitions & carnet MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Louis LegrandPédagogue

Pédagogue, penseur del’éducation, Louis Le­grand, mort le 20 octo­bre à Arpajon (Essonne)

à l’âge de 94 ans, fut le concepteuren 1982 d’une ambitieuse ré-forme du collège, bloquée par l’al-liance des conservateurs et du syndicat majoritaire. Autant dire que, dans les débats actuels sur l’éducation, il est resté une réfé-rence pour un camp – celui des pé-dagogues qu’il laisse « orphelins »,selon le mot de Philippe Meirieu –et un antihéros pour l’autre. Sa disparition fait ressurgir avec acuité un épisode-clé des contro-verses liées aux réformes dansl’éducation nationale.

Né le 12 mars 1921 à Belfort(Doubs), Louis Legrand com-mence à enseigner dans des écolesrurales à partir de 1940 et entre-prend des études de philosophie à Besançon. Il passe sa licence à la fin de la guerre et devient profes-seur de philosophie à Vesoul (Hau-te-Saône). Reçu en 1949 au con-cours d’inspecteur du primaire, iloccupe plusieurs postes jus-qu’en 1962, année où il est promu inspecteur d’académie à Belfort. Parallèlement, il soutient en 1958, sous la direction de Paul Ricœur, sa thèse : « Principes philosophi-ques d’une pédagogie de l’explica-tion ». En 1960, il publie Pour une pédagogie de l’étonnement (Dela-chaux et Niestlé), premier d’unedizaine d’ouvrages, parmi lesquelsLes Différenciations de la pédago-gie (PUF poche, 1995) et Les Politi-ques de l’éducation (PUF Que sais-je ?, 1998). Devenu en 1966 di-recteur de recherches à l’Institut pédagogique national, futur Insti-tut national de recherche pédago-gique (INRP), il lance en deux pha-ses successives (1967-1975 et 1977-1980) une opération « collèges ex-périmentaux ».

En 1980, Louis Legrand devientprofesseur à l’université de Stras-bourg en sciences de l’éducation, où il affirme ses conceptions sur la « pédagogie différenciée », comme réponse à l’hétérogénéité des publics scolaires. En 1981, le ministre de l’éducation Alain Sa-vary le charge d’élaborer une ré-forme du collège. Intitulé « Pourun collège démocratique », le « rapport Legrand », rendu en dé-cembre 1982, prône la constitu-tion au sein des établissementsd’ensembles autonomes d’une centaine d’élèves sous la respon-sabilité d’une équipe pédagogi-que. Celle-ci aurait la latitude d’or-ganiser son enseignement, no-tamment en formant des groupestemporaires d’élèves en fonction des besoins, ainsi qu’en « adap-tant » les programmes.

Le rapport préconise un large re-cours à la « pédagogie de projet », impliquant simultanément plu-sieurs disciplines et prévoit un sys-tème de tutorat, où un adulte prend en charge un groupe de 12 à 15 élèves pour les soutenir dans leurs études. Il défend la recon-naissance des enseignements ar-tistiques, technologiques et spor-tifs à égale dignité avec les autres matières et propose une redéfini-tion du service hebdomadaire des enseignants dans le sens d’une présence accrue dans l’établisse-ment : 16 heures de cours pour tous (agrégés compris), 3 heures detutorat et 3 heures de concertation.

A part l’aménagement des pro-grammes, ces dispositions sont encore, trente-trois ans plus tard,celles qu’appliquent les quelques collèges expérimentaux français.Elles ont aussi un air de famille avec l’actuelle réforme du collège, même si celle-ci est beaucoupplus limitée.

Opposition tous azimuts

En 1982, le SNES, principal syndicatdu second degré, lance une in-tense campagne contre la réforme,refusant notamment tout change-ment dans les obligations des en-seignants et dénonçant dans le tu-torat une distorsion du métier vers« l’animation ». Parallèlement, le camp traditionaliste se mobilise dans le champ politique et dans lesmédias sur le thème, promis à un grand avenir, de la « destruction del’école ». La nomination prévue de Louis Legrand comme directeur des collèges est alors bloquée. Alain Savary abandonne la redéfi-nition du service des enseignants et le tutorat, et décide que la réno-vation se fera à partir de la rentrée 1984 sur la base du volontariat des établissements, par tranches de 10 % chaque année.

Louis Legrand, qui se sent trahi,redevient professeur à l’univer-sité de Strasbourg. Nommé mi-nistre de l’éducation en juillet 1984, Jean-Pierre Chevène-ment, réticent envers les réfor-mes pédagogiques, n’annule pasofficiellement la rénovation en-gagée, mais celle-ci ne s’en relè-vera pas. p

luc cédelle

12 MARS 1921 Naissance à Belfort1980 Professeur à l’université de Strasbourg1982 Rend son rapport sur la réforme du collège20 OCTOBRE 2015 Mort à Arpajon (Essonne)

Vers 1945. DR

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AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Juliette Berger,née Chollat-Namy,son épouse,

Ariane, Clémence, Arthus (†),Paul-Eliott,

ses enfants,

Brigitte Berger,sa mère,en union avecClaude Berger (†), X 59,

Georges et Paola Chollat-Namy,ses beaux-parents,

Eric et Florence Lebail,Philippe et Beata Berger,

ses sœur et frère,beau-frère et belle-sœur,

Laure et Laurent Chollat-Namy,Matthieu Chollat-Namy,

ses beaux-frères et belle-sœur,

Marion, Rodolphe, Iris,Romain, Didier, Bruno,Eve, Lucille, Angeline,

ses neveux et nièces,

ont la tristesse de faire part du décès de

Pierre BERGER,X-Ponts 86,

président-directeur générald’Eiffage,

chevalier de la Légion d’honneur,

survenu le 23 octobre 2015,à l’âge de quarante-sept ans.

La cérémonie religieuse aura lieule jeudi 29 octobre, à 11 heures, en labasilique Sainte-Clotilde, Paris 7e.

L’inhumation se fera le samedi31 octobre, au cimetière de Saint-Cannat(Bouches-du-Rhône), dans l’intimité.

Ni leurs ni couronnes.

Des dons sont possibles pour lesApprentis d’Auteuil.

Jean-François Roverato,président du conseil d’administration

Et les membresdu conseil d’administration d’Eiffage,

Max Roche,directeur général

Et les membres du comité exécutif,L’ensemble des salariés du Groupe,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Pierre BERGER,président-directeur général

d’Eiffage

et s’associent à la douleurde sa famille et de ses proches.

La messe de funérailles sera célébréele jeudi 29 octobre 2015, à 11 heures,en la basilique Sainte-Clotilde, Paris 7e.

(Le Monde du 25-26 octobre.)

Lyon. Ivry-sur-Seine.Valence. Belley. Pringy.

André,son époux,

Claire et Blandine,Xavier et Isabelle,Cyrille,

ses enfants et leurs conjoints,Eloi,

son petit-ils,Mme Josette Perrot,Mme Paulette Prémillieu,Mme Janine Giraud,Mme Michèle Dallemagne,

ses sœurs,Familles parentes et alliées,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Mme Suzanne BLANDIN,née FEYDEL.

La cérémonie religieuse aura lieule jeudi 29 octobre 2015, à 10 heures,en l’église Saint-Irénée, Lyon 5e, suiviede l’inhumation au cimetière de Belley(Ain), à 16 heures.

Dons pour le CCFD-Terre Solidaire.

Ses amis et amies

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Michel CAMBIEN,agrégé de l’Université.

La cérémonie civi le aura l ieule mercredi 28 octobre 2015, à 11 heures,au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e,métro Gambetta.

Jean-Michel Besnier,103, rue Villiers-de-l’Isle-Adam,75020 Paris.

Marie-Claude Villedieu,sa sœur,

Pierre et Hania Goutierre,son frère et sa belle-sœur,

Kasper, Julien, Mathilde, Camille,ses enfants,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès de

Jean-Loup GOUTIERRE,survenu à Lyon, le 16 septembre 2015,à l’âge de soixante-treize ans.

Les obsèques ont eu lieu le 19 octobre,dans l’intimité familiale.

[email protected]

Claire Versane-Level,son épouse,

Les familles Level et Wasserman,

ont la grande douleur de faire part du décèsde

Charles LEVEL,auteur, compositeur, interprète,

survenu le 23 octobre 2015,dans sa quatre-vingt-deuxième année.

Les obsèques auront lieu le mercredi28 octobre, à 15 h 15, au cimetière parisiende Bagneux, 45, avenue Marx-Dormoy.

4, square Léon-Blum,92800 Puteaux.

Ouverte au mondeet idèle lectrice du Monde,

Michelle MARTIN,née TRAYNARD,

a tourné la dernière pagele 15 octobre 2015,dans sa cent quatrième année.

Une cérémonie aura lieu vendredi27 novembre, à 14 h 30, au Templed’Annecy.

24, avenue de Chambéry,74000 Annecy.

Le présidentEt les membres

du conseil d’administrationde la FAIDER,

ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 24 octobre 2015, de

FrançoisPERRIN PELLETIER,

X-Mines 49,oficier de la Légion d’honneur,

commandeurde l’ordre national du Mérite,

président d’honneur de la FAIDER.

François Perrin Pelletier s’était consacrédepuis de nombreuses années à la défensedes épargnants, au GAIPARE puis à laFAIDER, qu’il a fondée en 2004.

Nous garderons de lui le souvenird’un homme engagé et dévoué aux causesqu’il défendait.

Toutes nos pensées vont à son épouseet à sa famille.

La messe sera célébrée le mercredi28 octobre, à 14 h 30, en l’église Saint-Ferdinand-des-Ternes, 27, rue d’Armaillé,Paris 17e.

Lyon.

Jean-Michel Moreau,son compagnon,

Hélène Pouilloux-Chassepot,sa ille,son épouxet leurs enfants,

Pierre Jolas,son frère,son épouseet leurs enfants,

Ses amis,

ont la tristesse de faire part du décès de

Alice POUILLOUX,née JOLAS,

à l’âge de soixante-quinze ans.

La cérémonie civile aura lieu le jeudi29 octobre 2015, à 15 h 30, au crématoriumde Lyon.

« Toujours dans nos cœurs veille,douce Alice, du Pays des Merveilles. »

Laurent Richer,son époux,

Marc Richer,son ils,

Thibault et Diane Richer,ses petits-enfants,ont la tristesse de faire part du décès de

Laurence RICHER,

survenu le 24 octobre 2015.L’inhumation aura lieu le mercredi

28 octobre, à 11 heures, au cimetièreancien de Neuilly-sur-Seine, 3, rue Victor-Noir (Hauts-de-Seine).

1 bis, boulevard de la Saussaye,92200 Neuilly-sur-Seine.

Tania Hribar-Sciama,Guillaume et Constance,Yves et Nicole,

ses enfants,leurs conjoints, Elise et Hervé,

Julien et Emily,Mathilde et Ulysse,Miléna, Gaël et Claire,

ses petits-enfants,Jules, Aimy et Jacob,

ses arrière-petits-enfants,ont la profonde tristesse de faire partdu décès, le 18 octobre 2015, de

Michel SCIAMA,(1925-2015),

oficier de la Légion d’honneur,homme de Lettres et de convictions,

résistant, militantde Drancy à Ramallah...

« Celui qui ne bouge pasne sent pas ses chaînes. »

(R. Luxemburg)[email protected]

Cyrille,son époux,

Blanche et Eliott,ses enfants,

Clotilde et Isolde,ses sœurs,

Jacqueline,sa mère,ont la tristesse de faire part du décès de

Aude TESTON,survenu le 23 octobre 2015,à l’âge de cinquante-cinq ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele jeudi 29 octobre, à 15 h 45, en l’égliseSaint-Louis de Garches.

Prière de venir sans fleurs ni tenuenoire à l’exception d’une rose rouge oublanche.

Michel Touret,son époux,

Marie Touret-Ségardet Gabrielle Touret,ses illes,

Olivier Ségard,son gendre,

Barthélemy, Raphaël, Elmire et Azilis,ses petits-enfants

Et sa famille,ont la douleur d’annoncer le décès de

Michèle TOURET,née PRIGENT,

professeur éméritede Littérature française contemporaine,à l’université Rennes 2/Haute-Bretagne,

survenu à son domicile,à l’âge de soixante-douze ans.

Une cérémonie d’hommage aura lieule jeudi 29 octobre 2015, à 11 h 30, en lasalle polyvalente de Montreuil-le-Gast(Ille-et-Vilaine).

Ni leurs ni couronnes.Dons en faveur de la recherche contre

le cancer.Cet avis tient lieu de faire-part.

Les amis du Printemps de septembre,Le Printemps de septembre,L’institut supérieur des arts

de Toulouse,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Anne TRONCHE,

survenu à Toulouse, le 16 octobre 2015

et adressent leurs sincères condoléancesà Philippe Curval, son époux, et à safamille.

Critique, commissaire d’exposition,actrice engagée de l’art contemporain enFrance, sa figure exemplaire nous seralongtemps chère.

L’inhumation aura lieu le mercredi28 octobre, à 11 heures au cimetièredu Montparnasse, Paris 14e.

(Le Monde du 22 octobre.)

On nous prie d’annoncer le décès deDidier VOLATRON,ex-professeur de lycée,

survenu le 24 octobre 2015,dans sa soixante-treizième année.

Un service d’action de grâces seracélébré au Temple de l’Oratoire du Louvre,145, rue Saint-Honoré, Paris 1 er,le mercredi 28 octobre, à 14 h 30, suivide l’inhumation au cimetière parisiende Thiais, division 22.

Ni leurs ni couronnes.Le présent avis tient lieu de faire-part.

Hommage

C’est avec une très grande tristesseque

Ses amis de l’Institut de physiquethéorique de Saclay,

ont appris le décès de leur anciencollègue,

Marcel FROISSART,

survenu le 21 octobre 2015.

Marcel Froissart était un spécialistede la physique des particules. Après destravaux théoriques en début de carrièrequi lui ont valu une grande notoriétéinternationale, il s’était peu à peu tournévers des aspects plus expérimentaux.

Il laisse à l’IPhT le souvenir d’unchercheur extrêmement brillant, auxcontributions marquantes.

L’Institut tout entier s’associe à ladouleur de ses proches.

Colloque

Association Jassim35, rue du Général-Foy, 75008 Paris.

Notre ils Jassim,accompagné d’un guide italien,

a disparu tragiquement,à l’âge de seize ans, dans le massifdu Mont-Blanc, le 9 juillet 2014.

Nous sommes convaincus quel’application de certaines mesures auraitpu épargner sa vie, encore commençante.

Nous avons donc créél’Association Jassim.

Elle a pour objet de « promouvoiret étudier toutes actions

et initiatives qui visent à prévenirles accidents en haute montagne,

en analyser les causes et développerl’esprit de responsabilitéet de discernement des

usagers, pratiquants et acteursde la haute montagne,

à quelque titre que ce soit ».

Si vous êtes intéressés par les objectifset le combat de notre association,

que vous ayez ou non perdu un enfant,un parent ou un proche,

dans des circonstances semblables,rejoignez-nous.

Plus nombreux nous serons, plus nousserons entendus et donc, eficaces.

Nous organisons notre premier colloqueintitulé « Risques et liberté

au Mont-Blanc : état des lieux »,à la Maison de l’Industrie,

4, place Saint-Germain-des-Prés, Paris 6e,le samedi 14 novembre 2015,de 14 heures à 20 heures.

Vous pouvez y participer dans la limitedes places disponibles et vous y inscrire

au préalable à l’adresse mail :[email protected]

La présidente, Samia Brahimi,Tél. : 06 80 21 48 23

et le vice-président Halim Mazouni,Tél. : 06 86 45 03 54.

Page 19: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 culture | 19

Epidémiologie de l’amourLe film de Yorgos Lanthimos étudie une variante, à la fois absurde et vraisemblable, des relations de couple

THE LOBSTER

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Boudleaux Bryant l’aécrit : Love Hurts,« L’amour, ça fait mal ».En moins de trois minu-

tes (interprétées, entre autres, par les Everly Brothers et Linda Rons-tadt), l’auteur-compositeur de mu-sique country entendait cette dou-leur comme la manifestation de la force et de la sincérité du senti-ment amoureux.

Dans The Lobster, Yorgos Lanthi-mos, cinéaste grec établi à Lon-dres, qui signe ici son premier filmen anglais, reprend ce constat à son compte, mais sur le mode du diagnostic. Lanthimos se sert de la combinaison scénario-mise en scène comme d’un scanner des-tiné à révéler ce qui grouille sous l’épiderme des choses : infections, fractures, tumeurs… Le filtre em-ployé, comme dans les précédents films de Lanthimos, Canine (2009)ou Alps (2011), est celui de l’ab-surde. D’une drôlerie irrésistible, avant d’inspirer une tristesse in-consolable, The Lobster, si on se laisse aller à l’expérience, n’est pas un film de tout repos. D’abord, parce que, dans cet univers dé-ment d’une irréprochable logique, tout un chacun souffre.

D’une drôlerie noire et brillante

A commencer par David (Colin Farrell), dont on fait la connais-sance après un prologue profon-dément déstabilisant. Ce quadra-génaire bedonnant (l’acteur irlan-dais s’est transformé en un être d’une médiocrité convaincante) assiste au départ de sa femme, qui le laisse seul avec son chien. Dans le monde où il vit, le célibat est proscrit. En cas de rupture, les con-joints esseulés ont quarante-cinq jours pour retrouver un parte-naire. S’ils échouent, ils sont trans-formés en l’animal de leur choix.

Ses quarante-cinq jours de miseà l’épreuve, David les passe dans un hôtel balnéaire de type britan-nique (tournage en Irlande), oùune équipe d’encadrement me-née par une directrice terrifiante (Olivia Colman, impeccable de froideur enjouée) tente d’incul-quer les rudiments de l’amour à

des désespérés qui voient, pour la plupart, se rapprocher la date de leur métamorphose.

Ce monde n’est pas le nôtre. Onle voit rien qu’à la façon dont les gens parlent, proférant des hor-reurs ou des platitudes sur le même ton monocorde. Les ac-teurs (Ben Whishaw, par exemple, dont le personnage effrayant de tristesse s’est fait dévorer la jambe par un loup qui était, peut-être, sa mère) renoncent à une part de leur humanité pour créer des êtresamputés de certaines fonctions émotionnelles. Sans insister, Lan-thimos et son scénariste, Efthimis Filippou, font admettre que nos

personnalités sont façonnées par les règles sociales, que les traits des personnages du Lobster, qui nous semblent aberrants (comme d’insister pour que l’élu souffre dumême mal que soi – épistaxis ou psychopathie), ne le sont pas plus que les nôtres. Cet exercice de dé-formation du quotidien constitue la première moitié du film de Lan-thimos, elle est d’une drôlerie noire et brillante.

La seconde partie a concentré lescritiques lors de la présentation dufilm, en mai, à Cannes, où il a rem-porté le Prix du jury. Il apparaît, pourtant, que c’est elle qui donne àThe Lobster l’épaisseur charnelle et

émotionnelle sans laquelle le film ne serait qu’un exercice spéculatif un peu vain. Fuyant l’univers car-céral-amoureux de l’hôtel, David rejoint les rangs des singles, des ré-fractaires à la métamorphose, qui survivent dans une forêt voisine. Emmenés par une dirigeante à la volonté de fer (Léa Seydoux), ils se sont fixé des règles qui sont l’en-vers exact de celles qui régissent lereste de la société.

Rigueur glacée

Dans la forêt, la seule activité éroti-que autorisée est la masturbation, et lorsque l’on danse, on le fait en solitaire, des écouteurs sur la tête.

Si la mise en scène garde la même rigueur glacée, avec ses composi-tions millimétrées et ses mouve-ments de caméra au cordeau, le changement de décor, des espaces confinés de l’hôtel aux sous-bois aux contours indéfinissables, an-nonce l’irruption d’un amour, d’un vrai, celui qui naît entre Davidet l’une des réfractaires (Rachel Weisz). Depuis le début du film, une voix off féminine commente les tribulations du personnage principal. Lorsque Rachel Weisz parle pour la première fois, on re-connaît en elle cette narratrice, et l’on comprend que ces deux-là vont se connaître, dans toutes les

acceptions du terme, et que cette rencontre va mettre en danger à la fois l’ordre et le désordre établis.

Malgré le lyrisme d’une bande-son qui puise dans le répertoirede chambre de Beethoven à Sch-nittke, cette idylle ne s’épanouira pas selon les règles de l’horticul-ture amoureuse. Officiel ou clan-destin, éternel ou fugace, l’amour selon Lanthimos est une maladie incurable. p

thomas sotinel

Film irlandais, français et grec de Yorgos Lanthimos. AvecColin Farrell, John C. Reilly, Rachel Weisz, Léa Seydoux (1 h 58).

« Peut-on être heureux tout seul ? »ENTRETIEN

Y orgos Lanthimos n’est pasdu genre à s’attabler pourraconter en détail le scé-

nario – si inventif – de Lobster. Le réalisateur grec, né en 1973, pré-fère les réponses courtes aux grandes analyses, comme s’il vou-lait juste percuter l’air du temps.

Dans « Lobster », on est trans-porté à la fois ailleurs, dans un autre monde, et pourtant en terrain connu…

Ce scénario vient de la vraie vie.La société met une telle pressionsur les célibataires ! Avec mon cos-cénariste Efthymis Filippou, aveclequel j’ai déjà écrit Canine (2009) et Alps (2011), nous sommes partisde ce constat. On observe, onéchange nos impressions, etqu’est-ce qu’on entend ? Que le fait d’être seul est un sentimentd’échec. Qu’il faut vite trouver un partenaire, et cela passe par des stratégies… Ensuite, on pousse les situations à l’extrême. Ça ne nous intéresse pas de montrer la réalité.

Le film va chercher sous le tapis les fausses belles histoires d’amour. Comme ce couple qui dirige « l’hôtel des célibataires »…

Cette scène dit que l’on peutaimer quelqu’un, très sincère-

ment, mais jusqu’à un certain point.

L’histoire entre le personnage principal, Colin Farrell, et Rachel Weisz, semble représen-ter le véritable amour, mais là encore rien n’est sûr…

On a voulu une fin ouverte.Est-ce qu’il va revenir vers elle, s’enfuir ? Le film pose cette ques-tion : est-ce qu’on peut être heu-reux tout seul ?

Pourquoi avez-vous tourné en anglais ?

Pour assurer la meilleure diffu-sion possible du film. Mes précé-dents longs-métrages, Kinetta (2005), Canine (2009), Alps (2011), ont été faits avec peu de moyens. Jevoulais passer à autre chose, avoir la possibilité de faire des choix es-thétiques. Le scénario de Lobster est un objet bizarre et on a eu du mal à le financer. On a donc montéune coproduction internationale entre l’Irlande, l’Angleterre, la Grèce, la France et les Pays-Bas.

Vous vivez désormais à Londres. Quels liens avez-vous gardé avec le cinéma grec ?

Le directeur de la photo et le per-sonnage de la femme sans cœur sont des professionnels grecs. Mal-gré la crise, il y a une grande éner-gie créatrice en Grèce, et des possi-

bilités de coproduction.

Le casting est international, comment avez-vous choisi les comédiens ?

J’ai fait appel à des acteurs quej’aime. Le personnage de Colin Far-rell est tout à la fois vulnérable, drôle, loser, sympathique, char-mant. Je voulais les comédiens telsqu’ils sont, il n’était pas question de les amener à changer, sauf pourle physique de Colin Farrell. Pour ladeuxième partie du film, les résis-tants dans la forêt, j’aurais pu pren-dre un chef de troupe masculin : fi-nalement, c’est Léa Seydoux qui incarne la meneuse, et c’est encoreplus fort, avec son côté solaire.

Vous avez coupé des scènes, pourquoi ?

On avait imaginé par exempleque les enfants de couples séparés soient parqués dans un autre en-droit. On ne vient les chercher que lorsqu’un couple est en crise. Ils servent alors de réparateur. Mais c’était un autre univers, et le film était déjà assez long. Du coup, le rôle des enfants est simplement effleuré. On souhaitait aussi trou-ver un équilibre entre la part qui est expliquée au spectateur, et celle qui est laissée à l’imagination.En résumé, ne pas s’appesantir. p

propos recueillis par

clarisse fabre

.

Léa Seydoux incarne une dirigeante à la main de fer, à la tête des « singles », un groupe qui survit dans une forêt. DESPINA SPYROU/HAUT ET COURT

pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER

NOVEMBRE 2015OUVERTURE DU THÉÂTRE-SÉNART,

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Page 20: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

20 | culture MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Quatre jeunes filles apprivoisent la mort au seuil de la vieLe réalisateur Hirokazu Kore-eda met en scène une histoire de famille,qui est aussi une étude de la cohabitation entre les vivants et les morts

NOTRE PETITE SŒUR

pppv

On peut passer ces deuxheures dans un ravis-sement un peuoublieux : la beauté

des trois jeunes femmes qui ac­cueillent une petite sœur à peine adolescente, qui promet d’être en-core plus ravissante, s’inscrit par-faitement dans l’harmonie des paysages de Kamakura, ville bal-néaire située au sud de Tokyo. D’autant qu’il ne se passe rien de très spectaculaire : les sœurs se disputent un peu, traversent joieset peines d’amour, des personna-ges secondaires s’affirment, s’éva-nouissent, comme dans une sérietélévisée ou un long manga.

Mais, au-delà du plaisir que pro-cure une fiction doucement, habi-lement contée, Hirokazu Kore-edamet en scène autre chose – la co-habitation des morts et des vi-vants. Le thème revient souvent dans le cinéma japonais, sous la forme de films de fantômes ou de méditations lyriques – Kiyoshi Ku-rosawa ou Naomi Kawase. Kore-eda choisit une autre voie, celle dela contemplation minutieuse, lu-cide et empathique du quotidien.

A Kamakura, les jours s’écoulentdans une grande maison an-cienne habitée par Sachi (grande, altière, presque rigide), Yoshino(sensuelle, souple) et Chika (drôle de frimousse, ne tenant pas en place). Leur père vient de mourir, loin de chez elles, longtempsaprès les avoir abandonnées. Ellesfont le voyage pour assister à ses funérailles et rencontrent, là,Suzu, une toute jeune fille, née dudeuxième des trois mariages de leur père. Suzu est tout à fait or-pheline et, comme sur un coup detête (on comprendra le chemine-ment de cette décision au fur et à mesure que sa personnalité se dé-voilera), Sachi lui propose de ve-nir s’installer chez ses trois nou-velles sœurs.

Le fil du scénario refuse les res-sorts usés, qui dressent un nou-veau venu contre les indigènes.La benjamine et ses aînées sontanimées des meilleures inten-tions. D’ailleurs, Suzu s’intègre à merveille, devenant une star del’équipe de football locale, sédui-sant aussi bien les anciens de la ville que ses condisciples.

Mais sa présence force les troissœurs à faire le deuil de leur père,à accepter son infidélité et – para-doxalement – à réévaluer leurs relations avec leur propre mère,avec qui elles ont coupé les ponts.L’adolescente, elle, est sans cesserenvoyée à la faute originelle dupère, qui fait d’elle l’enfant d’unpéché qu’elle croit longtemps inexpiable.

Une grâce infinie

Par ailleurs, chacune des jeunes femmes doit faire face à la mort : l’aînée, qui travaille dans un ser-vice de soins palliatifs, la cadette, qui aide une voisine atteinted’une maladie incurable à régler ses affaires, la troisième, qui doitfaire face au désir de son amant derenouer avec sa passion pour l’al-pinisme. Ces éléments sont arran-gés avec grâce, sans plus d’apprêt

que s’il s’agissait des péripéties sentimentales d’une sitcom villa-geoise.

Cette simplicité n’est que d’ap-parence : chaque situation est mise en scène avec une grâce infi-nie. Un dialogue se termine, et ledernier contrechamp effleure un visage silencieux et pensif ; l’unedes sœurs aspire au départ, et le cadre définit une rue étroite qui monte vers une petite gare ; les sé-quences à l’intérieur de la maison – « le dortoir des filles », dit drôle-ment Suzu – égrènent à l’infini les portraits de groupe, sans jamais épuiser les combinaisons entre les caractères et les physionomies.

Le film se ménage un espacedans le temps que des produc-tions plus imposantes pourraientlui envier : tourné au fil des sai-sons, Notre petite sœur glisse descouleurs automnales à la touf-feur de l’été, en passant par l’ivresse des cerisiers en fleurs. Un an suffit à Kore-eda pour ef-fleurer l’éternité. p

thomas sotinel

Film japonais d’HirokazuKore-eda. Avec Ayase Haruka, Nagasawa Masami, Hirose Suzu, Kaho (2 h 06).

Paco de Lucia, rigoureusement légendéLe parcours tumultueux du guitariste virtuose documenté avec minutie par son fils

PACO DE LUCIA,LÉGENDE DU FLAMENCO

ppvv

C e documentaire au longcours, entrepris en 2010,s’est transformé en mau-

solée à la mort subite de son sujet,Paco de Lucia, le 25 février 2014, à 66 ans. Pour autant, le réalisateur Curro Sanchez Varela n’en a pas fait une simple hagiographie, pro-

posant un portrait rigoureux du guitariste andalou, qui suit pas à pas le parcours tumultueux d’un enfant prodige, adulé dans lemonde entier en même temps qu’il était mis au ban de sa com-munauté d’origine, celle du fla-menco.

Cette rigueur est d’autant plusméritoire que Curro Sanchez Va-rela est le fils de Francisco San-chez Gomez, dit Paco de Lucia. De-

vant sa caméra, le musicien re-vient, dans une série d’entretiens,sur son enfance dans un quartier pauvre d’Algésiras et sur sa con-quête du monde de la musique,bien loin de l’Andalousie.

Meurtre symbolique

On découvre un homme inflexi-ble, qui se livre comme par inad-vertance. Il raconte par exemplecomment il a arraché une guitare

des mains de son père – musicien professionnel –, qui n’arrivait pas à interpréter un passage, lui, l’en-fant qui n’avait jamais touchél’instrument, pour montrer à son géniteur comment ça se jouait. Cen’est pas tant l’exploit qui frappe,que la candeur avec laquelle ce meurtre symbolique est relaté.

C’est la même candeur qui faitdire au guitariste : « Du jour où j’ai eu mon premier million de pesetas,que je l’ai mis à la banque, sans construire d’école en Afrique, sansle répartir entre les autres, je n’ai plus jamais dit publiquement quej’étais de gauche. » Ce discours tranchant est entrecoupé de sé-quences d’archives qui racontent un parcours musical complexe.

Si quelqu’un a su jouer de cettescie nommée « tradition et mo-dernité », c’est Paco de Lucia. Une série de documents passionnants montre la triple nature du fla-menco, à la fois matériau exotiquepour les télévisions étrangères (unextrait de « The Ed Sullivan Show »de 1963), élément, dans une ver-sion domestiquée, d’une identité nationale espagnole à la modefranquiste, et expression pure demusiciens sauvages, surgis d’en-tre les plus pauvres du pays.

Le film montre ensuite les ex-cursions du virtuose à l’extérieur de sa communauté d’origine, ses apparitions dans les émissions de variétés (l’équivalent castillan des shows de Maritie et Gilbert Car-pentier), ses compromissions avec le hit-parade qui lui valent lemépris des maîtres du flamenco, dont le sien propre, Sabicas. Maisaussi les collaborations fécondes avec les grands du jazz-rock, John McLaughlin ou Larry Coryell, San-tana ou Chick Corea. Et même si laforme reste classique, montage d’interviews et d’archives, le film acette singularité, rare pour un do-cumentaire musical, de laisser la musique jouer quand il le faut. p

t. s.

Documentaire espagnol de Curro Sanchez Varela (1 h 32).

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NE K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

(édition abonnés)

pvvv POURQUOI PASLe Dernier Chasseur de sorcièresFilm américain de Breck Eisner (1 h 47).Un chasseur de sorcières (Vin Diesel) reçoit une malédiction : l’immortalité. Huit cents ans plus tard, dans la New York mo-derne, il est toujours là, prisonnier de la routine. Comme ce film d’action distrayant, mais qui ne s’émancipe des sentiers battus qu’au travers d’un travail original sur les décors. p n. lu.

Chu & BlossomFilm américain de Charles Chu et Gavin Kelly (1 h 38).Un étudiant coréen débarque aux USA lors d’un programme d’échange. Le choc est moins piquant que prévu dans ce film dont la tonalité douce-amère et le décalage poétique semblent fanés, malgré des élans politiquement incorrects. p n. lu.

HéritagesDocumentaire libano-français de Philippe Aractingi (1 h 36).Le Libanais Philippe Aractingi a quitté le Liban avec sa famille en 2006, au moment de la guerre avec Israël. Cet exil, constitu-tif de l’identité libanaise, est à l’origine de ce film, modeste et généreux dans son propos, ludique et original dans sa forme, où la grande histoire rejoint celle, intime, de sa famille. p i. r.

LoloFilm français de Julie Delpy (1 h 39).Parisienne branchée, Violette (Julie Delpy) vit seule avec son fils Lolo (Vincent Lacoste) qui se rêve artiste. Lors d’un séjour à Biar-ritz, elle couche avec un brave type pas très fin (Dany Boon) et décide de tenter une vie de couple. C’est compter sans Lolo, ma-nipulateur à tendance incestueuse. La réalisatrice réduit ceux qui lui tournent autour à de simples silhouettes, et se prive des épices qui auraient pu donner de la saveur à son film. p i. r.

RégressionFilm espagnol et canadien d’Alejandro Amenabar (1 h 46).Alejandro Amenaba ressuscite le thriller paranoïaque des an-nées 1990 et revient au suspense psychologique qui fit son succès. Une œuvre de copiste appliqué. p m. ma.

NOUS N’AVONS PAS PU VOIRParanoïa ParkFilm français de Bruno Mercier (1 h 16).

Little Gay BoyFilm britannique d’Anthony Hickling (1 h 12).

Les Nouvelles Aventures… 2 1 001 468 713 2 454 221

Seul sur Mars 1 839 360 560 839 360

Hôtel Transylvanie 2 3 480 296 594 ↑+ 100 % 1 379 503

Le Labyrinthe : la terre… 3 434 968 563 ↓ – 20 % 2 387 383

Pan 1 275 487 489 275 487

Paranormal Activity 5 1 255 436 201 255 436

Mon roi 1 233 797 400 233 797

L’Homme irrationnel 2 188 034 414 ↓ – 31 % 542 721

Belles familles 2 118 023 407 ↓ – 31 % 345 337

Mune : le gardien… 2 110 649 288 ↑ + 46 % 238 928

Nombrede semaines

d’exploitationNombre

d’entrées (1)Nombre

d’écrans

Evolutionpar rapport

à la semaineprécédente

Totaldepuis

la sortie

AP: Avant-premièreSource : Ecran Total

* EstimationPériode du 21 au 25 octobre inclus

Les vacances scolaires font du bien à la fréquentation, comme on aurait pu s’y attendre. Elles font du bien aux Nouvelles Aventures d’Aladin, d’Arthur Benzaquen, et à sa locomotive Kev Adams, qui dament le pion à tous les nouveaux arrivants, en redoublant son million d’entrées obtenu en première semaine. La concurrence n’était, pourtant, pas négligeable, avec de la grosse artillerie spatio-hollywoodienne : Seul sur Mars réussit son entrée en rassemblant 1 400 spectateurs par salle et plus de 800 000 entrées sur son nom. A côté de Pan, placé par la Warner, et de Paranormal Activity 5, poussé par la Paramount, Mon roi, de Maïwenn, est la seule entrée française à se frayer un chemin jusqu’au tableau de tête des dix meilleures entrées, en réalisant une bonne moyenne de 500 spectateurs par copie. Notons, parmi les continuations, un Woody Allen qui a su visiblement conqué-rir le public français, avec plus de 500 000 entrées en deux semaines pour L’Homme irrationnel.

LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE

Kore-eda choisit

la voie de

la contemplation

minutieuse,

lucide

et empathique

du quotidien

E-

CI

MA Vampires en toute intimité

Film néo-zélandais de et avec Jemaine Clement et Taika Waititi (1 h 25)En France, seuls quelques amateurs connaissent le nom de Je-maine Clement. Cet acteur et musicien néo-zélandais fut respon-sable, avec son comparse Bret McKenzie, de l’irrésistible série « Flight of the Conchords » qui racontait sur le mode du docu-mentaire la tentative de conquête de New York par un duo de folk-rock venu de Wellington. Avec Taika Waititi, Jemaine Cle-ments applique, le temps d’un long-métrage, la méthode du mockumentary (« documentaire parodique ») aux vampires, en l’occurrence une communauté échouée dans une bâtisse de la capitale néo-zélandaise. On aurait pu croire ces créatures vidées de substance cinématographique à force de variations. Personne n’avait songé à les filmer comme dans une mauvaise émission de flux, sur une chaîne peu regardante sur la qualité. L’effet co-mique de cette banalisation des terreurs nocturnes est exacerbé par des acteurs professionnels et amateurs qui mettent tout leur sérieux à faire rire. A noter, la mise en ligne d’une version fran-çaise jouée, entre autres, par Fred Testot et Zabou Breitman. Dans ce texte, « Wellington » est remplacé par « Limoges ». p t. s.

Disponible sur les plates-formes de VàD à partir du 30 octobre.

Les informations recueillies à cette occasion sont exclusivement destinées au Monde et à ses partenaires.Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression des données vous concernant (art. 27 de la loi informatique et libertés).

Pour recevoir votre invitation*

valable pour 2 personnes,

téléphonez au 0 892 690 700(0,45 €/mn, hors surcoût éventuel opérateur)

**le mercredi 28 octobre, à partir de 15 heures (pour la soirée du 6 nov)

*** le vendredi 30 octobre, à partir de 15 heures (pour la soirée du 7 nov)

*10 invitations offertes aux premiers appelants, conformément au règlement du jeu.Offre gratuite, sans obligation d’achat, jusqu’à concurrence du nombre de places disponibles. Le règlement du jeu déposé chez Me Augel huissierde justice à Paris, est adressé gratuitement sur demande à : Jeu Les Offres Culturelles du Monde - 80, boulevard Auguste-Blanqui - 75013 Paris.Les demandes de remboursement des frais de participation (selon modalités définies dans le règlement) doivent parvenir à la même adresse.

0123 vous invite…

... A l’Espace Cirque d’AntonyPour assister à la représentation exceptionnelle de

UN DERNIER

POUR LA ROUTEDu Collectif AOC

Vendredi 6 novembre 2015 à 20 heures **Samedi 7 novembre 2015 à 20 heures ***

Page 21: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 culture | 21

LE BOUTON DE NACRE

pppp

Depuis son expatriation(à Cuba, en Espagne,puis en France), consé-cutive au coup d’Etat

d’Augusto Pinochet en 1973, le Chi-lien Patricio Guzman n’a eu de cesse de documenter l’histoire contemporaine de son pays. La tri-logie La Bataille du Chili (1974-1979), réalisée avec la participationde Chris Marker, Le Cas Pinochet (2001) ou Salvador Allende (2004), est constituée de titres de films quiparleront aux cinéphiles, mais aussi à tous ceux qui portent un in-térêt à l’Amérique latine ainsi qu’aux dictatures sanglantes mi-ses en œuvre sur ce continent du-rant la guerre froide.

Pour Guzman lui-même, cet in-lassable accaparement par l’his-toire de son pays était aussi, sans doute, une manière pour l’exilé de revenir par procuration dans le cours d’une histoire, tout à la fois intime et nationale, dont il avait été violemment arraché.

Qui pourra jamais dire, à moinsde l’avoir vécu dans sa chair, ce qu’est ce sentiment de l’exil ? Cet arrachement brutal à soi-même, cette lancinante souffrance de ne plus pouvoir habiter le monde auquel on était destiné, cette habi-tude à prendre de vivre perpétuel-lement ailleurs que chez soi. Cette rupture peut pourtant dévoiler une face solaire : la mise à distancedu nationalisme, la découverte du monde et de soi-même comme al-térité, la célébration plurivoque et universelle de la vie. Si l’on s’en tient à ce que montre son cinéma, on émettra l’hypothèse que Patri-cio Guzman est entré depuis peu dans cette phase solaire, douce, pa-cifiée de l’existence diasporique. Que l’esprit de l’exil le tenaille moins qu’il ne l’inspire, lui insuf-flant une manière différente de re-garder le monde.

Ainsi, depuis Nostalgie de la lu-mière (2010), documentaire chef-d’œuvral réalisé après six ans de silence, Guzman, à près de 70 ans, s’est soudain mis à filmer non plus les choses en soi, dans

leur supposée identité, mais les choses entre elles, dans le rapport sinueux et invisible qu’elles entre-tiennent ensemble au monde, en-tre mémoire de la dictature, re-cherche astronomique et archéo-logie de la civilisation indienne.

C’est donc toujours au Chili quefilme Guzman, mais un Chili dé-sormais référencé non plus seule-ment en termes politiques ou his-toriques, mais encore géographi-ques, anthropologiques, poéti-ques, cosmiques. Du cosmique au cosmologique, il n’y a qu’un pas, que Guzman franchit aujourd’hui avec son nouveau film, Le Bouton de nacre, qui se révèle aussi magni-fique que le précédent.

Ce bouton, objet dérisoire d’unefable documentaire dont le filmretrouverait le fil tragiquement arraché, nous mène très loin vers le Sud, en Patagonie, aux antipo-des du désert d’Atacama où se dé-

roulait Nostalgie de la lumière. Là, à la pointe extrême de l’Amérique latine, se dessine l’entrelacs de l’un des plus grands archipels dumonde avec ses paysages antarcti-ques bleutés, glacés, sublimes et extrêmes ; là se rencontrent aussi les eaux de la mémoire indigène et de la puissance colonisatrice,deux conceptions du mondeorientées l’une vers le respect dumonde et de la vie, l’autre vers laconquête de la puissance et l’épui-sement des ressources. C’est à leur croisée que le réalisateur meten scène un film fluide et concer-tant qui oppose une cosmogonie indienne oubliée à la violence de l’Occident marchant de destruc-tion en destruction.

Alchimie entre science et poésie

Tout cela passe, concrètement, par des histoires, des personnages, deslieux, des photographies, une pen-

sée subtile qui les relie. Une his-toire parmi d’autres : celle de Jemmy Button, l’indigène séduit par un bouton de nacre et ramené à Londres en 1830 par Robert FitzRoy, commandant de la ma-rine royale britannique qui carto-graphia cette région et ouvrit la voie à la colonisation. On lui ensei-gne la langue de la reine mère, on l’habille comme il faut, on lui in-culque les manières, on fait de lui

un gentleman, puis on le renvoie chez lui. C’est évidemment le dé-but de la fin pour sa civilisation, l’affaire ayant coûté à l’Occident le prix d’un bouton de nacre. Ce même type de bouton qu’on re-trouve dans les fonds marins envi-ronnants, agglutinés aux coquilla-ges qui ont colonisé les rails sur lesquels, au temps de Pinochet, on ligotait les opposants pour mieux les engloutir.

Entre ces deux boutons, le filmnous raconte l’histoire d’une ex-termination continue, mais re-donne figure aussi à une vision dumonde scintillante, conçue par des hommes déguisés en esprits (photographies hallucinantes de l’Autrichien Martin Gusinde) qui pensent que les morts se transfor-ment en étoiles. S’y adjoignent les témoignages de quelques rares survivants (Cristina Calderon, der-nière représentante de l’ethnie Ya-

gan), d’un philosophe (Gabriel Sa-lazar), d’un poète (Raul Zurita), d’une artiste (Emma Malig).

Tels ces indiens assassinés quinomadisaient au fil d’une eau qui porte leur mémoire, tels ces cruci-fiés océaniques de l’ère Pinochet transsubstantiés en coquillages nacrés, Patricio Guzman invente pour ce film une alchimie qui ré-concilie la science et la poésie, le rêve et la connaissance. Comme s’il voulait rendre un hommage enretour au plus cinéaste des philo-sophes, Gaston Bachelard, qui avait intitulé comme suit son fas-cinant ouvrage écrit en 1942 : L’Eauet les rêves. Essai sur l’imagination de la matière. p

jacques mandelbaum

Documentaire chilien de Patricio Guzman (1 h 22).Lire l’interview de Patricio Guzman sur Lemonde.fr

Un Amérindien Selk’nam de la Terre de Feu, vers 1930.

COLLECTION MARTIN

GUSINDE/ANTHROPOS-

INSTITUT/SANKT

AUGUSTIN/ALLEMAGNE

Le réalisateur

invente pour ce

film une alchimie

qui réconcilie

la science et la

poésie, le rêve etla connaissance

Du cosmique au cosmologique,il n’y a qu’un pas,

que Guzman franchit

aujourd’hui avecson nouveau film

Le Chili, cet archipel mémorielPatricio Guzman filme avec brio l’histoire de son pays, dans toute sa violence et sa poésie

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Robert Zemeckis, dans le droit-fil des LumièreEn racontant l’exploit du funambule Philippe Petit, le réalisateur renoue avec le miracle originel du cinéma

THE WALK

ppvv

Robert Zemeckis n’a pasbesoin de glisser des pa-radoxes temporels dansses scénarios pour faire

du temps un labyrinthe. The Walk relate un événement très précisé-ment daté, chronométré : le 7 août 1974, le funambule français Phi-lippe Petit a passé trois quarts d’heure sur un fil tendu entre les deux tours du World Trade Center, à New York, dont la construction était à peine achevée.

De ces quarante-cinq minutes, leplus artificieux des cinéastes (dans un entretien accordé il y a une dizaine d’années, il procla-mait son horreur des imprévus, son espoir de voir les images nu-mériques de synthèse supplanter le cinéma optique) a fait un film que l’on n’attendait pas de lui. Un mélange de désuétude dramati-que (grimer l’élocution d’un acteuraméricain d’un fort accent fran-çais, on pensait que ça ne se faisait plus depuis Casablanca) et de mo-dernité technologique (la lecture du générique de fin est recom-mandée : un technicien s’est oc-cupé du face replacement – « rem-placement de visage »), mélange qui prend grâce à l’énergie que fournit une nostalgie rageuse.

Projeté en relief

Ce ne sont pas seulement des tours jumelles disparues que Ze-meckis chante le deuil. Il recrée de toutes pièces un temps où la trans-gression des lois et des règlementspouvait être féconde, où l’inven-tion primait sur l’imitation. A cetteatmosphère très particulière, le metteur en scène ajoute un élé-ment de pur spectacle : projeté en relief, The Walk ramène encore plus loin dans le temps. A 400 mè-tres au-dessus de Lower Manhat-tan, on se retrouve dans la peau d’un spectateur s’écartant pour que le train entrant en gare de La Ciotat ne vous écrase pas. Selon

qu’on est sujet au vertige ou pas, on est terrifié ou exalté.

Dans les rues de Montréal (Qué-bec), Zemeckis a réinventé le Paris de l’après-mai 1968 où un jeune ar-tiste de rue (Joseph Gordon-Levitt) marche sur des fils tendus de plus en plus haut, jusqu’à ce qu’il tende un câble entre les tours de Notre-Dame. Cette reconstitution fera sourire les spectateurs français, quand bien même les plus vieux admireront le travail des décora-teurs et accessoiristes qui ont dé-goté ce qu’il faut de Solex et de Si-

mca pour transformer les rues québécoises en artères parisien-nes. Plus embarrassantes encore, les contorsions des dialogues (le scénario est signé Zemeckis et Christopher Browne) pour faire admettre qu’un jeune Français parle anglais avec son mentor en funambulisme d’origine tchèque (Ben Kingsley) et sa petite amie pa-risienne, Annie (Charlotte Le Bon).

Ces grincements se taisent unefois que le film arrive à New York. On est au temps de Taxi Driver, dans une ville sale et dangereuse

où Philippe Petit recrute un gang de marginaux, comme n’importe quel braqueur de banque. Il s’agit de s’introduire dans l’une des tours, encore en chantier, d’y stoc-ker le matériel puis de l’installer, une routine cinématographique qui, d’habitude, annonce l’exécu-tion d’un casse, et Zemeckis la traite comme telle, en augmentantla pression sur le spectateur.

Plongés dans ce bouillonne-ment, les acteurs, qui peinaient à convaincre pendant leur séjour français, se font plus affûtés. Jo-

seph Gordon-Levitt (à qui in-combe aussi la tâche de narrateur, qu’il accomplit pendant des plans de coupe filmés du sommet de la statue de la Liberté) finit par obte-nir l’autorisation de faire de son personnage un peu plus qu’un gentil lutin.

Si bien que lorsque l’on passe auxchoses sérieuses, le film a déjà pris le rythme indispensable pour em-porter la conviction du spectateur. Le final de The Walk est un miracle d’illusion. Vues d’en bas (par la malheureuse Annie, qui tremble

pour son bien-aimé) ou du som-met, les tours semblent inébranla-bles. Les ultimes efforts pour ten-dre le câble donnent un avant-goût de l’ivresse à venir. On est en-core en pleine nuit, et les lumières de New York sont ce qu’elles étaient il y a quarante ans, puis-qu’elles n’existent que par la vo-lonté de Robert Zemeckis et la grâce des tours de passe-passe nu-mériques qu’il a accumulés dans son répertoire, de Polar Express en Beowulf, auxquels il ajoute ici la troisième dimension.

Si bien que, lorsque, à l’aube, Phi-lippe Petit/Joseph Gordon-Levitt s’élance sur son fil, l’expérience prend un tour mystique. On est à lafois dans la tête du funambule, on voit le monde par ses yeux, tout encontemplant son exploit depuis les airs ou le sol. Respectant la chronologie de l’exploit, Zemeckis le fait aller et venir huit fois entre les tours. Pendant ce temps, le NewYork Police Department dépêche ses meilleurs éléments, et, preuve que le funambule a toujours rai-son, les cops de 1974 se compor-tent comme leurs confrères de la Keystone, soixante ans plus tôt, lorsqu’ils pourchassaient Mack Sennett. Malgré toutes ses imper-fections, The Walk renouvelle ce vieux miracle du cinéma. p

thomas sotinel

Film américain de Robert Zemeckis. Avec Joseph Gordon-Levitt, Charlotte Le Bon (2 h 03). Retrouvez sur LeMonde.fr l’interview de Robert Zemeckis.

A 84 ans, Alain Cavalier monte enfin à chevalLe cinéaste a filmé au plus près l’animal préféré de Bartabas, l’écuyer du Théâtre équestre Zingaro

LE CARAVAGE

pvvv

C avalier rencontre Bartabas.Cette bonne blague. Cen’était pas une fatalité,

mais cela faisait évidemment par-tie de choses qui pouvaient arriver.Résumons la rencontre. Mon pre-mier est un cinéaste de quatre-vingt-quatre printemps, qui a dé-buté dans l’industrie du milieu, y aréussi des films admirables, lui a quand même dit ciao un beau ma-tin, et vaque depuis lors, caméra à la main, à des occupations qui con-sistent pour l’essentiel à donner du cinéma en solo la plus haute idée qu’on puisse se faire d’un art qu’on croyait collectif et qui se ré-vèle si singulier. Mon deuxième,

écuyer quinquagénaire et metteur en scène, ombrageux autant que lumineux, est connu de par le monde pour sa manière unique dedanser avec les chevaux, ce depuis la création du cirque Zingaro sis à Aubervilliers, devenu plus tard Théâtre équestre Zingaro.

Qu’ont ces deux hommes encommun ? Un nom d’emprunt (le premier se nomme Alain Fraissé, le second Clément Marty), qui dit sans doute une certaine pudeur dans le commerce avec les hom-mes. Plus certainement encore, mais cela est lié, un amour immo-déré des bêtes. Toute une petite ménagerie, à bien y regarder, grouille sympathiquement, ten-drement, dans les films d’Alain Ca-valier. Chez Bartabas, le cheval est

évidemment roi. Et c’est bien autour de cet amour-là que sem-blent s’être rencontrés les deux hommes, scellant un pacte de peu de mots pour un film qui en comp-tera encore moins autour de ce commun épanchement.

Là-dessus, allez comprendre,précisément, Le Caravage. Que vient faire le génial Milanais, qui peignait avec la même sombre vio-

lence qu’il tirait l’épée ? Ne cher-chons pas midi à 14 heures, il s’agitdu cheval préféré de Bartabas. Aussi bien, Cavalier y met-il une intention : son personnage est le cheval et non l’écuyer, forme-raient-ils un couple indissociable.

Aliénation et amour

Le Caravage d’une heure dix, sans dialogues, quasi sans paroles, est filmé au plus près (naseau frémis-sant, œil humide, crinière royale, croupe fière, robe lustrée…) et à hauteur constante d’un noble ani-mal assujetti à une volonté esthé-tique. Quelque chose d’indécida-ble ressort à cet égard du film, qui montre à la fois l’aliénation par la-quelle l’homme prive l’animal de sa liberté et le sentiment d’amour

réciproque qui conditionne la beauté des figures auxquelles con-sent l’animal.

Bien sûr, tout cela renvoie, dupoint du vue du filmeur, au rap-port très singulier, farouche et mystique, joueur et écorché, que lui-même entretient à l’endroit de son art. Filmer un personnage dans le cirque du cinéma était de-venu avec le temps, pour Cavalier, un fardeau trop lourd à porter. Fil-mer une personne, comme dans ses magnifiques documentaires sur les petits métiers féminins, il ne le fit jamais qu’avec la crainte etle tremblement qui nous les ren-dent si précieux. A la fin, Alain Ca-valier aura décidé de filmer ce qui le meut et l’entoure, relançant à chaque fois, sur un coup de dés, sa

folle liberté de n’assujettir rien ni personne, en les filmant. Soit une amoureuse invisible, une encyclo-pédie des toilettes publiques, un souvenir intime et déchirant, un acteur jouant pour de faux au pre-mier ministre, une confrontation mythologique avec des jouets d’enfant, un mémorial pour oiseau. Ici, la bête aura dû sentir cela, et léché par reconnaissance l’objectif de la caméra. Cela ne donne peut-être pas un film ma-jeur de Cavalier, mais ce baiser de l’être qu’il n’a pas monté autre-ment qu’en cinéaste devra lui être compté. p

jacques mandelbaum

Film français d’Alain Cavalier (1 h 10).

Un film

sans dialogues,

à hauteur

constante d’un

noble animal

Extrait de « The Walk. Rêver plus haut », de Robert Zemeckis. SONY PICTURES

Le final de

« The Walk », un

prodige d’illusion.

Vues d’en bas ou

du sommet, les

tours semblent

inébranlables

Page 23: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 télévisions | 23

HORIZONTALEMENT

I. Ne posera pas de problème de fonc-

tionnement. II. Merveille du monde

devenue monument funéraire. Court

et plein. III. De plus en plus utilisé

dans le bâtiment. Piquait la pièce

avant de la passer au four. IV. Pa-

tronne italienne. Bout de caramel.

Ne posera pas de problème. V. Sa mé-

thode a laissé passer beaucoup de

monde. Maman d’Horus. VI. Bien

braves. VII. Fait partie de l’ensemble.

La blanche a tendance à rougir très

vite. Dans nos habitudes. VIII. Point.

Récupèrent les cadavres en cave.

Boîte de conserve. IX. A garder pour

soi s’il est bon. Font les malins. X. En-

treprises de démolitions.

VERTICALEMENT

1. Sans prévenir mais a besoin d’être

accompagné. 2. Sur les lots avant de

prendre l’air. 3. Pourra toujours s’al-

longer. Dans les yeux. 4. Préposition.

Epuisai. 5. Masse dure. Ouvre des

possibilités. Amusement anglais.

6. Hebdomadaire féminin. Radeau

pour la réparation. 7. Doit éviter

fuites et évasions. Sur la portée.

8. Souvent suiveur et suivi. Impos-

sible d’aller plus haut. 9. Préfère la

fermer. 10. Dans les poches du mal-

frat. Dans la poche du Nippon.

11. Jeunes baliveaux dans les taillis.

Perdent beaucoup d’eau. 12. Soutenir

au palais. Parties dans la partie.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 253

HORIZONTALEMENT I. Libre-service. II. Enlumineuses. III. Avenue. Ceint.

IV. Dame. RER. STO. V. Eristales. Ru. VI. Ri. Ri. Aérer. VII. Salvatrice. VIII. HB.

Ii. Né. Toi. IX. Iliens. Nurse. X. Persécutions.

VERTICALEMENT 1. Leadership. 2. Invariable. 3. Blêmi. Ir. 4. Runes. Vies.

5. Emu. Traîne. 6. Siérait. Sc. 7. En. El. RN. 8. Recréaient. 9. Vue. Sec. Ui.

10. Isis. Rétro. 11. Centre. OSN. 12. Estourbies.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

GRILLE N° 15 - 254

PAR PHILIPPE DUPUIS

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SADurée de la société : 99 ansà compter du 15 décembre 2000.Capital social : 94.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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UNHORS-SÉRIE

L’ATLASDES

CIVILISATIONS

M E R C R E D I 2 8 O C TO B R E

TF1

20.55 Esprits criminels

Série créée par Jeff Davis.Avec Joe Mantegna, Shemar Moore (EU, saison 10, ép. 18/23 ;S9, ép. 8 et 10/24).23.25 Arrow

Série créée par Andrew Kreisberg, Greg Berlanti et Marc Guggenheim. Avec Stephen Amell(EU-Can., S3, ép. 15 et 16/23).

France 2

20.55 Dix pour cent

Série créée par Fanny Herrero.Avec Julie Gayet, JoeyStarret François Berléand(Fr., 2015, 6 × 55 min, ép. 5 et 6/6).22.40 Dans les yeux d’Olivier

Magazine présentépar Olivier Delacroix.Ils ont brisé l’omerta.

France 3

20.50 Football

Coupe de la Ligue. 16es de finale.22.55 Tous les buts

Canal+

20.55 Hercule

Péplum de Brett Ratner.Avec Dwayne Johnson, Ingrid Bolso Berdal (EU, 2014, 95 min).22.30 The Gambler

Thriller de Rupert Wyatt.Avec Mark Wahlberg(EU, 2014, 110 min).

France 5

20.40 La Maison France 5

Présenté par Stéphane Thebaut.21.40 Silence, ça pousse !

Magazine présenté Stéphane Marie et Caroline Munoz.

Arte

20.55 2 Automnes, 3 hivers

Comédie de Sébastien Betbeder. Avec Vincent Macaigne, Maud Wyler (Fr., 2013, 85 min).22.20 L’Europe des écrivains

La Roumanie de Norman Manea,

Gabriela Adamesteanu, Mircea

Cartarescu et Florin Lazarescu.

Documentaire d’Alexandru Solomon (Fr., 2015, 55 min).

M6

20.55 Le Meilleur Pâtissier

Jeu présenté par Faustine Bollaert.

Arman et Amélie : tout un romanUne histoire d’amour aux accents littéraires, traitée avec distance, élégance et poésie

ARTEMERCREDI 28 – 20 H 55

FILM

Sébastien Betbeder appar-tient à cette nouvelle gé-nération de cinéastes fran-çais plutôt plus fantaisis-

tes et moins budgétés que ce qu’onentend sous ce concept. Une géné-ration de quasi-quadragénaires, vieux jeunes d’une génération éle-vée au lait du chômage et de la dé-brouille, et tirant de cette tension une morale de vie à la fois désin-volte et frénétique.

Pour son troisième long­mé­trage, 2 automnes, 3 hivers, Sébas­tien Betbeder, a confié au tendre, lunaire et excentrique Vincent Ma­caigne le rôle d’Arman, un nom dé-suet pour un personnage contem-porain. Le film ressemble un peu àcela aussi : littéraire, chapitré, il pri-vilégie le commentaire sur le jeu en situation dans la conduite du récit. Il n’en met pas moins en scène la vibration d’une histoire d’aujourd’hui. Un grand charme etune drôlerie émanent de cette fac-ture narrative sophistiquée, réfrac-tée par la multiplicité des supportset des textures d’images.

Décortiquons, pour être clairs,les vingt premières minutes du film. C’est le temps qu’il faut au réalisateur pour former son cou­ple principal. Chacun de leur côté, les protagonistes se présentent. 1.

« Arman » : 33 ans, Parisien sans qualité, métier inintéressant, qui aimerait bien commencer à vivre. 2. « Amélie » : 28 ans, étudiante en histoire de l’art, note l’apparition de ses premières rides, renonce par avance à la chirurgie esthéti-que. 3. « Il faut que quelque chose arrive » : ce sera le début du direct avec une agréable collision de jog-gings, un samedi, au parc des But-tes-Chaumont. Evidemment, Ar-

man y retourne dans l’espoir de la retrouver. Mais rien, ni le diman-che ni le week-end suivant.

Chevalier intrépide

Dans la foulée, on note l’appari-tion de Benjamin au chapitre 5. Qui révèle leur amitié vieille de dixans, nouée aux Beaux­Arts de Bor­deaux. Tandis qu’Arman prend le relais de cette évocation et que leurs témoignages se croisent,

hommage senti, au chapitre 6, à « Eugène Green et Judd Apatow », références cinématographiques de leurs premières années pari­siennes. Le souvenir d’une sortie de salle et d’un café où le garçon ressemblait à Michel Delpech amène à ce merveilleux plan au présent où Arman, traversant nui-tamment le Marais à vélo, écoute àfond Le Chasseur, retrouvé « au fond de son iPod ».

Là-dessus, Arman s’engage dansune ruelle d’où lui sont parvenus des bruits inaccoutumés. Coupe. Raccord sur Amélie qui gâche une soirée avec un ex­boyfriend égo­tiste et insipide dans un bar de Bas­tille. Rentrée morne dans Paris dé­sert, d’un coin duquel surgissent deux jeunes encagoulés avec de mauvaises intentions. Fuite de l’égotiste et irruption d’Arman en chevalier intrépide retrouvant sa belle aux mains des deux brutes.

Début du chapitre 10, Arman sefend devant le tableau d’une « ono-matopée bizarre », et se retrouve le ventre ouvert d’un coup de cou­teau. Dans l’ambulance qui le transporte aux urgences, le visage éperdu d’Amélie penchée au­des­sus de lui suggère qu’une histoire d’amour vient de commencer.

Laquelle se poursuit en suffisam­ment de chapitres pour que le lec­teur puisse avoir envie de la décou­vrir. Il y retrouvera une manière élégante et distanciée, truffal­dienne pour dire le mot, de conter une histoire, mais portée en la cir­constance jusqu’à son point de rupture, par la multiplicité des points de vue et le recours massif àla performativité du langage. p

jacques mandelbaum

2 automnes, 3 hivers,de Sébastien Betbeder. Avec Vincent Macaigne, Maud Wyler, Bastien Bouillon (Fr., 2013, 91 min).

Vincent Macaigne et Maud Wyler. UFO DISTRIBUTION

Les milliards du chômageLe marché des demandeurs d’emploi peut être une aubaine pour des entreprises peu scrupuleuses

D8MERCREDI 28 – 20 H 55

MAGAZINE

C inq millions de Françaissont au chômage. Si, pources personnes sans em-

ploi, cette situation est souvent undrame, pour des milliers d’entre-prises, c’est une aubaine. Ce nu-méro d’« En quête d’actualité » s’intéresse aux millions d’euros que génère l’exploitation du chô-mage. Malgré un titre comme d’habitude accrocheur et un brin démagogique, cette enquête me­

née par les équipes d’Upside Télé­vision se révèle très édifiante sur les pratiques douteuses qu’elle met en lumière et tient en haleine.

Les demandeurs d’emploi repré­sentent un marché qui peut être juteux, quitte parfois à sortir de la légalité. Face aux carences de Pôle emploi à qui seulement 10 % des Français font confiance pour trou-ver un travail, des start-up imagi-nent des astuces pour mettre en relation les demandes et les offres d’emploi ; telle la société rennaise RégionsJob, qui vient de fêter sesquinze ans d’existence. Et qui est

aujourd’hui concurrencée par des nouveaux venus comme Qapa, un site qui permet aux entreprises de dénicher la perle rare grâce à une sélection pointue des candidats.

Arnaques

D’autres plates-formes se posent comme intermédiaires entre par-ticuliers et personnes désireuses de proposer leurs services. Mais c’est Le Bon Coin, connu pour la vente d’objets dont on souhaite se débarrasser, qui devient pour les patrons un bon filon, capable de pourvoir rapidement un poste.

Une solution simple, peu coû-teuse, mais qui favorise des arna-ques.

Les sommes générées par cespratiques ne sont pourtant pas grand-chose par rapport à la fraude commise par des sociétés qui détournent l’argent versé par l’Etat, par le biais des subventions destinées à favoriser l’emploi. Les entreprises vont toucher 20 mil-liards d’euros par an dans le cadre du crédit d’impôt pour la compéti-tivité et l’emploi, mais rien n’obligeles patrons à embaucher et per-sonne ne contrôle l’utilisation de

cet argent. Il en est de même pour les zones franches, créées il y a vingt ans sous le gouvernement Juppé, où les sociétés qui s’y instal-laient étaient supposées fournir un travail à ceux qui vivaient sur place. Pourtant, très peu d’habi­tants de ces quartiers en difficulté ont bénéficié de cette mesure. Cer­tains parlementaires reconnais­sent que les subventions versées aux entreprises ne font l’objet que de rares contrôles et ne servent pasforcément à réduire le nombre de demandeurs d’emploi. p

joël morio

V O T R ES O I R É E

T É L É

Page 24: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

24 | styles MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Y allerEn TGV ou en avion jusqu’à Perpignan, puis TER jusqu’à Collioure (20 min). Retour depuis Figueras en TGV.

VisiterLe Musée Maillol à Banyuls. Ouvert toute l’année sauf lundi (5 €). Museemaillol.com.La maison de Dali à Portlli-gat, près de Cadaquès. Ouverte toute l’année, réser-vation obligatoire (11 €). Puis direction Figueras, à 35 km, pour découvrir l’extravagant Théâtre-Musée Dali, créé par l’artiste lui-même (12 €). Salvador-dali.org.

MarcherAgence spécialisée dans la randonnée, La Balaguère propose des circuits (de 4 à7 jours) en Catalogne, no-tamment Collioure-Cada-quès. Avec un guide (pour éviter de se perdre) ou en li-berté (dans les deux formu-les, sans avoir à porter ses bagages). A partir de 490 €, hôtels compris. Labalaguere.com.

Se logerA Banyuls, Hôtel Les Elmes. Idéalement situé face à la plage, chambres sobres et agréables. Bonne table. A partir de 59 € la chambre double. Hotel-des-elmes.com.A Port de la Selva, Hôtel Porto Cristo. Implanté dans un ancien mas, tout près de la mer. A partir de 110 € la chambre double. Ne pas manquer d’aller au Monter-rey, restaurant associé à l’hô-tel, pour déguster un suquet, savoureux plat catalan, mé-lange de poissons cuits. Hotelportocristo.com.

C A R N E TD E R O U T E

Perpignan

Cadaquès

Banyuls

Llanca

Céret

Figueras

Mont Canigou2 784 m

Mont Canigou2 784 m

ESPAGNE

FRANCE

20 km

Collioure

VOYAGE

Rouge profond, jaune ex-plosif ou multicolore, ilest omniprésent sur lestoiles que Derain et Ma-

tisse ont peintes dans ce petit port catalan. Le clocher de Collioure, qui toise la Méditerranée depuis des siècles, est un irrésistible aimant. Dans une de ses œuvres,

Derain le nomme Le Phare de Col-lioure (1905). Pas juste une méta-phore : ce clocher a été greffé au XVIIesiècle sur un phare du XIIIe.

C’est sur les conseils de Paul Si-gnac, venu à Collioure en 1887, qu’Henri Matisse décide d’y passerl’été 1905, vite rejoint par André Derain. Ils posent leur chevalet surles quais de ce village lumineux, face aux barques à voile des pê-

cheurs d’anchois. Là, ces deux hommes vont révolutionner la peinture du XXe siècle. Rompant avec le pointillisme, leurs toiles fe-ront scandale à Paris au Salon d’automne de la même année. Le mouvement fauve est né.

Les œuvres de Derain sont tou-tes datées de 1905, il ne reviendra pas à Collioure. Matisse y séjour-nera régulièrement jusqu’en 1914. C’est lors de cette dernière visite qu’il peint sa célèbre Porte-fenêtre à Collioure. Un « Chemin du fau-visme » dévoile au visiteur d’aujourd’hui dix-neuf reproduc-tions de tableaux. Un parcours quipermet de flâner de l’enceinte du château royal jusqu’au port, en passant par les petites places et les venelles escarpées.

D’innombrables terrasses

Les fauves ne sont pas les seuls à avoir été inspirés par la lumière ca-talane. Le village de Céret, à trente kilomètres dans les terres, fut fré-quenté, dès 1911, par Picasso et Bra-que. La région compte aussi de cé-lèbres artistes locaux, Aristide Maillol à Banyuls, Salvador Dali à Cadaquès, côté espagnol. Si la voi-ture est le moyen le plus simple de s’y rendre, ce n’est pas le plus beau.Pour vivre une expérience unique,mieux vaut y aller… à pied !

Depuis Collioure jusqu’à Cada-quès, il faut compter environ qua-tre jours. Deux itinéraires sont possibles : par la mer ou par la montagne. Préférer ce dernier, plus majestueux. Le spectacle commence au niveau de la tour Madeloc, à 650 mètres au-dessus de Collioure. La vue est saisissante.Partout, la montagne apparaît zé-brée. Ces lignes sinueuses sont deschemins qui délimitent les in-nombrables terrasses tapissant les coteaux. Depuis des siècles, la main de l’homme a façonné ce paysage pour y cultiver la vigne.

Accroché à la montagne, le vi-gnoble de Banyuls-Collioure cou-vre 1 700 hectares. Ce sont les Tem-pliers, au XIIe siècle, qui ont eu l’idée de cette culture en terrasses. Il s’agissait notamment d’éviter que les fortes pluies ravagent les

coteaux. Des murets de pierre sè-che soutiennent les terrasses. Il y en aurait 6 000 kilomètres, bi-chonnés par les viticulteurs. Le sentier de randonnée suit les crê-tes, dominant les vignes sur plu-sieurs kilomètres. En fin de jour-née, la descente vers Banyuls est detoute beauté. La Salette, petite cha-pelle toute blanche, donne l’illu-sion d’avoir atteint la Grèce.

Le lendemain, l’imposant « mo-nument aux morts pacifiste » rap-pelle que Maillol est un enfant du pays. Le musée qui lui est consacréest implanté à l’écart de Banyuls, dans une ancienne métairie où l’artiste venait régulièrement tra-vailler, dès 1910.

La Méditerranée, on l’observeaussi d’un peu plus haut, depuis lechemin de randonnée qui rejoint l’Espagne à travers le massif des Albères. Une fois la frontière fran-chie, le paysage change sensible-ment. Côté espagnol, les terrasses offrent un tout autre visage : mu-rets effondrés, délimitationsbrouillées, terres en friche. Il y avait pourtant de la vigne, ici aussi. Ravagée à la fin du XIXe siè-cle par le phylloxéra, elle n’a pas été replantée.

Après une nuit à Llança, cité bal-néaire sans intérêt, direction le château de San Salvador de Ver-dera. Pas vraiment pour l’édifice, en ruine, mais pour la vue. Voici, offerts sur un plateau, la côte Ver-meille, le pic du Canigou, le village du Port de la Selva, et la plaine qui s’évade vers Figueras. Au loin, le parc naturel du cap de Creus.

Un objectif atteint le jour sui-vant. En y pénétrant, le visiteur est saisi par le sentiment d’aban-don qui habite cette terre cou-verte par la garrigue et percée de

calanques. Le cliché des plages bé-tonnées est loin, très loin. Le pay-sage semble vouloir rappeler queCosta Brava peut se traduire par« côte sauvage ».

Mais voilà qu’au détour d’un vi-rage apparaît le clocher de l’église de Cadaquès, dominant les mai-sons blanches. En toile de fond, le bleu de la Méditerranée. « Je suis in-séparable de ce ciel, de cette mer, deces rochers. » Pour Salvador Dali, Cadaquès était un point d’ancrage,vital. Enfant, il passait ses vacancesdans ce village lové au fond d’une baie. Un bout du monde relié au reste de l’Espagne par une unique route. Dès 1930, le peintre achète, avec Gala, une cabane de pêcheur àPortlligat, une des criques de Cada-qués. Au fil des années, il ne cesse d’agrandir son refuge. « Je suis lié à jamais à Portlligat, où j’ai défini toutes mes vérités crues et mes raci-nes. Je ne suis chez moi qu’en ce lieu :ailleurs, je campe », confiait l’ar-tiste catalan. Cette magnifique anse peuplée d’îlots constitue le décor d’un des tableaux les plus cé-lèbres du surréaliste : La Persis-tance de la mémoire (1931, sur-nommé « Les Montres molles »). Dali se rendra dans cette maison jusqu’à la mort de Gala, en 1982.

Transformée en musée, la de-meure ne semble pas avoir bougé depuis le départ du maître. Son atelier non plus. Ici, un ours em-paillé, là un christ géant constitué de déchets, plus loin une collec-tion de Bibendum : étourdissant.

Avec Cadaquès, le cap de Creus, àl’extrémité du parc du même nom,est l’autre lieu fétiche de Dali. En-fant, Salvador Dali s’endormait parmi les rochers aux formes étranges, modelées par le temps etle vent. Un paysage brut, lunaire, qui l’a beaucoup inspiré. Le Grand Masturbateur, peint en 1929 : on retrouve sa forme si particulière dans un des rochers de ce cap de Creus. Le Spectre du sex-appeal (1934), Othello rêvant de Venise (1982)… : encore le cap de Creus. En parcourant ce site ensorcelant, les œuvres de Dali ne se révèlent fina-lement pas si « surréalistes ». p

patrice jouêtre

Côté Catalogne espagnole, Cadaquès, patrie chère à Salvator Dali. CARLOS S. PEREYRA/AGEFOTOSTOCK

de matisseà dali, en passant par la montagneCollioure-Cadaquès : une randonnée de quatre jours là où les grands maîtres puisaient leur inspiration

Reproductionde « La Plage

rouge »,de Matisse, avec,

en arrière-plan,l’église Notre-

Dame-des-Angesde Collioure.

NICOLAS

THIBAUT/PHOTONONSTOP

Le vignoble de Banyuls-sur-Mer.GEORGES BARTOLI /DIVERGENCE POUR » LE MONDE »

ENFANT, DALI S’ENDORMAIT PARMI

LES ROCHERS DU CAP DE CREUS. UN PAYSAGE

LUNAIRE QUI L’A INSPIRÉ

www.artsetvie.com

Faire de la culturevotre voyage

IMMATRICULATIONN° : IM075110169

Page 25: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 0123 | 25

Sans tambour ni trompette,mais clairement et distinc-tement, le secrétaire géné-ral de la CFDT a résumé en

quelques phrases l’ambiance délé-tère qui règne en France ces temps-ci. C’était le 19 octobre, lors de la conférence sociale, en pré-sence du président de la Républi-que : « Nous vivons un moment où l’outrance est la condition pour se faire entendre et ne laisse plus de place à une parole construite et combative. Une période où l’inca-pacité de penser l’avenir provoque une angoisse collective, le repli sur soi et la recherche de boucs émissai-res. Lorsque ceux qui devraient ap-porter des solutions préfèrent souf-fler sur les braises d’une colère so-ciale légitime, c’est la violence qui progresse ; et, au final, c’est l’extré-misme qui gagne, porté par une so-ciété inquiète. »

Au-delà de la pique impliciteadressée à la CGT, qui avait décidé de boycotter ce quatrième grand raout social du quinquennat de François Hollande, le propos de Laurent Berger dépassait large-ment le champ syndical et inter-pellait, en réalité, l’ensemble des responsables politiques. A juste ti-tre. Toute « parole construite et combative » semble désormais éclipsée, en effet, par l’« outrance » des mots et des postures. Ou par des jeux tactiques qui, bien sou-vent, vont de pair.

Algarades répétées

En la matière, c’est indubitable-ment la présidente du Front natio-nal qui donne le la. Comme son père, Marine Le Pen provoque comme elle respire. Mais contrai-rement à lui, elle ne se contente pas du tintamarre déclenché par telle ou telle saillie. Elle a fait de cetexercice une arme politique desti-née à discréditer ses adversaires, quels qu’ils soient.

Un jour, devant le Parlementeuropéen, elle récuse le président de la République, qualifié de « vice-chancelier » en présence d’Angela Merkel. Et la formule fait d’autant mieux mouche qu’elle provoque une réponse virulente du chef de l’Etat. Un autre jour, c’est la justice qu’elle défie de manière inédite enrefusant de se rendre à la convoca-tion des juges qui enquêtent – à charge, laissent entendre ses dé-fenseurs – sur le financement de son parti. Cela laisse rêveur sur la manière dont Mme Le Pen serait ga-rante du bon fonctionnement et de l’impartialité de la justice si, d’aventure, elle accédait aux plus hautes fonctions de l’Etat…

La semaine passée, encore, cesont les médias qu’elle a pris pour cible en annulant, à la dernière mi-nute, sa participation à l’émission de France 2 « Des paroles et des ac-tes ». L’affaire a été contée par le menu dans ces colonnes : les ma-ladresses de France Télévisions, lesprotestations conjointes de Nico-las Sarkozy pour Les Républicains et de Jean-Christophe Cambadélis pour le PS devant la place accordéeà la présidente du FN, le prétexte saisi par celle-ci pour claquer la porte (devoir débattre non seule-ment avec des contradicteurs de gauche et de droite, mais aussi avec ses principaux adversaires à l’élection régionale dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie).

« Mascarade », a-t-elle clamé avecemphase en dénonçant, à la fois, « l’arrogance » des médias et « les caprices du système UMPS ». Mais de cette mascarade, de ces algara-des répétées, Mme Le Pen est la pre-mière actrice. Car il faut être sacré-ment culottée pour se prétendre lavictime de médias qui l’invitent plus souvent qu’à son tour, quand bien même elle les traite avec un mépris affiché. Passablement cy-nique, également, pour refuser une séquence de débat avec ses ad-versaires aux régionales de dé-cembre, au motif que ce ne serait pas à son niveau de responsable nationale : comment mieux dé-montrer que ce scrutin local n’est pour elle qu’un tremplin vers la présidentielle et que l’avenir du Nord lui importe moins que le sien propre ? Mais mascarade dia-blement efficace, il faut le recon-naître, puisque cette polémique sur la forme lui a évité tout débat sur le fond, tout en lui garantissantun maximum de publicité.

Car, pendant ce temps-là, quefait le « système » qu’elle fustige et s’emploie à disqualifier ? Eh bien, un peu la même chose, mais à pe-tite échelle. Côté outrance, chacuntrouve les boucs émissaires qu’il peut. Pour Nicolas Sarkozy, ce fu-rent, récemment, les syndicats dont il a réclamé la « remise en cause du monopole de représenta-tion » des salariés, puisque « le dia-logue social ne fonctionne plus enFrance ». L’aveu d’échec est surpre-nant pour un ancien président quiavait, en 2008, modifié les règlesde représentativité, précisément pour renforcer la légitimité syndi-cale. Jean-Christophe Cambadélis, de son côté, a choisi le classique haro sur les médias qui feraient le jeu du Front national, et sur Le Monde en particulier, accusé, rien moins, de vouloir « faire la peaudu PS pour installer une France FN-Républicains » ! Etrange réquisi-toire pour qui vient d’organiser un référendum justement destinéà sonner le tocsin contre la me-nace du FN, et qui n’avait pas be-soin du Monde, il y a un an, pourredouter lui-même la possible mort de la gauche.

Et côté tactique, personne n’esten reste. Chez Les Républicains, un an avant l’échéance, la pri-maire destinée à désigner leur champion pour 2017 aiguise, déjà, une impitoyable concurrence en-tre les candidats et dicte tous les positionnements. A gauche, cha-cun s’emploie à rejeter par avance sur les autres la responsabilité d’un – éventuel – échec aux régio-nales qui viendrait parachever la série de déroutes électorales enre-gistrées depuis trois ans et augu-rerait fort mal de 2017.

Difficile, dans ces conditions, dedévelopper une « pensée cons-truite et combative » et de « penserl’avenir », pour reprendre les for-mules de Laurent Berger. Per-sonne ne peut prétendre que c’estsimple. Encore faudrait-il s’y em-ployer, au-delà des grandes mas-carades et des petites manœuvres. Car personne ne peut ignorer combien c’est vital et urgent. p

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M éthodique et déterminé, lepape François a franchi uneétape de plus dans sa politique

d’ouverture au cours du synode sur la fa-mille, qui vient de s’achever à Rome. Lerapport final de l’assemblée des évêques, adopté samedi 24 octobre, offre aux divor-cés remariés la perspective d’une pleineréintégration dans la vie ecclésiale,comme le souhaitait le souverain pontife.C’est en effet une avancée. L’aile progres-siste de l’Eglise, cependant, attend d’autres avancées de ce pape qui, dès le dé-but de son pontificat, n’a pas eu peur debousculer quelques tabous.

Muni de ce rapport, François peut main-tenant s’atteler librement à la rédactiond’une exhortation post-synodale, son pro-

pre texte magistériel sur la famille. Si le sy-node a ouvert un chemin sur le sort des di-vorcés remariés, il a en revanche passé soussilence la question des homosexuels etcelle de la place des femmes.

L’immobilisme de l’Eglise sur la place desfemmes, qui constituent la moitié de l’hu-manité, est en contradiction avec le dis-cours d’ouverture du pape François. Quel-ques mois après son élection, le souverain pontife s’était exprimé sur cette question, dans un long échange avec les journalistes dans l’avion qui le ramenait, en juillet 2013,de Rio de Janeiro : « Marie est plus impor-tante que les Apôtres, que les évêques, avait-il dit. Une Eglise sans femmes seraitcomme un collège apostolique sans Marie. » « L’Eglise est féminine, mère, et la femme, ce n’est pas seulement la maternité, la mère de famille », avait-il poursuivi, estimant qu’il manquait encore une « théologie de la femme ».

Le pape François avait alors rejeté touteidée d’ordination des femmes à la prêtrise– comme cela se fait par exemple dansl’Eglise anglicane. A ses yeux, « la porte aété fermée par Jean Paul II » : il ne serait donc pas concevable de la rouvrir. Si l’onpeut imaginer que ce point ne puisse se ré-gler sans de longs débats au sommet del’Eglise, il doit être possible, en revanche, d’aménager une meilleure participation des femmes dans une religion qui, sous

l’influence de son chef actuel, se veut plusinclusive, plus samaritaine et plus miséri-cordieuse.

Le récit que nous publions aujourd’hui del’historienne et féministe italienne Lucetta Scaraffia, l’une des 32 femmes (dont une quinzaine invitées avec leur mari, en cou-ple) admises parmi les 90 auditeurs autori-sés à suivre les travaux du synode, illustreavec brio tout le surréalisme de la situationde l’Eglise catholique à cet égard. Voici une assemblée qui se penche sur la famille,mais qui est exclusivement composée d’hommes célibataires. Voici une institu-tion dont la majorité des fidèles sont des femmes, et dont le fonctionnement des pa-roisses repose essentiellement sur les fem-mes, mais où les femmes sont exclues du pouvoir de décision et de la tête des dicastè-res, les ministères constitutifs de la curie romaine au Vatican.

Cette discrimination fondamentale ne re-pose sur aucune base théologique. Vue de l’intérieur comme de l’extérieur, elle est choquante. Le texte du synode autorise les prêtres à faire preuve de « discernement » à l’égard des remariés divorcés. Il est émi-nemment souhaitable que le pape avance sur la voie de l’ouverture qu’il a faite sienne, et fasse également preuve de « dis-cernement » sur les questions de la placedes homosexuels et de celle des femmes ausein de l’Eglise catholique. p

TOUTE « PAROLE CONSTRUITE

ET COMBATIVE » SEMBLE DÉSORMAIS

ÉCLIPSÉE PAR L’« OUTRANCE »

DES MOTS ET DES POSTURES

L’ÉGLISEDOIT S’OUVRIRAUX FEMMES

FRANCE | CHRONIQUEpar gérard courtois

Grande mascarade, petites manœuvres

MARINE LE PEN A FAIT DE SES PROVOCATIONS UNE ARME POLITIQUE

DESTINÉEÀ DISCRÉDITER

SES ADVERSAIRES, QUELS QU’ILS SOIENT

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Cahier du « Monde » No 22015 daté Mercredi 28 octobre 2015 - Ne peut être vendu séparément

BIOTECHNOLOGIES

LES ÉTATS-UNIS PRODIGUES AVECLA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE

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Le Roundup récolte la polémiqueLe classement du glyphosate, principe actif de l’herbicide Roundup, comme « cancérogène probable » par l’OMS, en mars, a eu l’effet d’une bombe.

Aux réactions furieuses de l’influent fabricant Monsanto se sont mêlés les avis étonnamment contradictoires des communautés scientifiques.

P A G E S 4 - 5

Le bricolage du vivant

Les scientifiques ont souvent recours auxmétaphores pour expliquer des conceptsou décrire les processus dont ils étudientles mystères. L’une des métaphores les plus

élégantes et éclairantes pour illustrer de quelle manière les nouveautés apparaissent au cours de l’évolution fut introduite par François Jacob.

En cette saison des prix Nobel, on célèbre cette annéele 50e anniversaire de celui que François Jacob (auteur du fondamental Le Jeu des possibles, Fayard, 1981) reçut, en physiologie ou médecine, avec Jacques Monod et André Lwoff pour leurs travaux sur la régulation de l’expression des gènes. Une découverte qui amèneraFrançois Jacob à s’interroger sur l’origine des gènes et des processus de régulation, et plus largement sur les innovations évolutives. A une idée très finaliste de l’évolution, qui verrait dans toute forme de vie une in-tention, un plan et un but, Jacob opposa, dans un arti-cle de 1977, une tout autre vision. Il compara l’évolution biologique à un bricoleur, recyclant et modifiant des pièces existantes, mais sans plan, ni intention, ni but.

Sans doute marqués par la sophistication des objets

que nos ingénieurs produisent, nous sommes tentés de voir dans la beauté et la perfection des êtres vivants la main d’un ingénieur ; un ingénieur pensant ses créations dans leurs moindres détails et forgeant des composants inédits pour les réaliser. La science, cepen-dant, dresse un tableau bien différent de l’origine des innovations évolutives. Point de créateur-ingénieur, point de projet, peu de perfection et d’ingéniosité dans la construction, ainsi procède l’évolution biologique, qui produit néanmoins des innovations d’une com-plexité incroyable. Comment, alors, ces nouveautés peuvent-elles émerger d’un simple « bricolage » ?

Du neuf avec du vieuxL’évolution est un processus en deux étapes. D’une

part, des variations aléatoires (des mutations) survien-nent, qui modifient par petites touches le matériel génétique existant. Ajoutant ici, retranchant là, recom-binant des composants, ces variations constituent le moteur des nouveautés. Le bricolage imaginé par Jacob illustre parfaitement ce phénomène au niveau généti-que et moléculaire : la plupart des mutations ne créent

pas de composants nouveaux (de nouveaux gènes), mais produisent au hasard de nouvelles interactions entre les gènes existants en modifiant leurs activités. De ces nouvelles configurations émergent de nou-velles instructions génétiques qui donnent naissance à des innovations biologiques. Comme un bricoleur, l’évolution fait essentiellement du neuf avec du vieux, produisant plus rarement de nouveaux composants.

Comme dans la production d’un bricoleur, les nou-veautés évolutives trouvent ou non une utilité. C’est là le deuxième temps de l’évolution, celui où la sélection naturelle élimine peu à peu les bricolages délétères au regard de l’environnement. Ne subsistent que les in-novations qui favorisent la survie ou la reproduction des individus qui les portent, et celles qui sont inutiles mais n’affectent pas les chances de survie.

Si le bricolage évolutif au cœur du vivant est contraireà tous les principes d’ingénierie, il permet de se repré-senter de quelle manière chaotique et non orientée des changements aléatoires modifient le mécanisme bio-logique et produisent ainsi au cours de l’évolution les objets les plus extraordinaires et les plus fascinants. p

Epandage de Roundup sur un champ de maïs, dans l’Illinois, en juin 2010. SETH PERLMAN/AP

PORTRAIT

MARTINE BUNGENER, AU CHEVET DES « OUBLIÉS » DE LA SANTÉ

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MÉDECINE

ÉPILEPSIE :LES SOINS EN CRISE

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c a r t e b l a n c h e

Nicolas Gompel,Benjamin

Prud’hommeGénéticiens,

LMU de Munich, Institut de biologie du développement

de Marseille-Luminy (CNRS)

Page 28: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

2 | 0123Mercredi 28 octobre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | A C T U A L I T É

Alerte sur la prise en charge de l’épilepsien e u r o l o g i e | Alors que près de 1 million de personnes souffrent de cette maladie en France, les acteurs de la santé mettent en garde contre les carences du système de soins, à la veille des Journées françaises de l’épilepsie, du 3 au 6 novembre, à Montpellier

Exploits en cascade sur la sécurité informatiqueDes chercheurs ont démontré, et colmaté, des failles dans des protocoles vitaux de l’Internet

Coup sur coup, la sécuritéd’Internet a tremblé surses bases. Plusieurs sys-tèmes garantissant la sû-

reté des échanges entre machines ont été attaqués. Non par des pira-tes, mais par des chercheurs tout ce qu’il y a de plus académiques. Ces derniers ont trouvé et exploitédes failles dans les protocoles uti-lisés sur le réseau des réseaux quand les communications à un site Web sont chiffrées, comme l’internaute le constate par exem-ple en se connectant à des adres-ses commençant par « https » plu-tôt que par « http ».

Plus précisément, la première at-taque, baptisée Logjam, concerne une phase de dialogue entre ordi-nateurs en vue de chiffrer des messages. La seconde porte sur la signature de ces messages à des fins d’authentification.

L’étude sur Logjam, présentée le13 octobre à Denver (Colorado) par une équipe américano-fran-çaise associant l’Inria, le CNRS, Microsoft, les universités du Mi-chigan et de Pennsylvanie, a reçule Prix du meilleur article de cetteconférence.

Les chercheurs s’en sont pris à unprotocole incontournable appelé Diffie-Hellman, qui permet à deuxpersonnes de partager un nombre secret en échangeant publique-ment d’autres nombres. Magi-que ? Non. Cela fonctionne grâce à une fonction mathématique, qu’il est plus facile d’effectuer dans un sens plutôt que dans l’autre. Il est ainsi « aisé » d’élever un nombre entier à une certaine puissance, mais difficile de retrouver l’expo-sant en ne connaissant que le ré-sultat. Ce problème est connu sousle nom de logarithme discret.

Première étape, les chercheursont « inversé » la fonction mathé-matique difficile et trouvé lesnombres secrets, les « clés », per-mettant de leurrer n’importe quelinterlocuteur. Ils l’ont fait avec desclés de 512 bits (environ 150 chif-fres). Le deuxième exploit a été detrouver une faille qui force les deux parties à utiliser une clé deplus petite taille que celle recom-mandée. Internet, pour rester ac-cessible y compris par de vieilles machines, tolère d’abaisser les garde-fous de sécurité…

La même clé pour 70 000 sitesTroisième étape qui peut sur-

prendre : beaucoup de serveurs utilisent les mêmes grands nom-bres dans ces procédures mathé-matiques. Dès lors, casser une clé ouvre la porte à beaucoup de ma-chines ! 70 000 sites parmi les plus

visités utilisent la même clé, esti-ment les chercheurs. Cela facilitela tâche des attaquants. Pour ré-soudre le problème du logarithme discret, une lourde étape de calculsen amont est nécessaire sur la clé visée. Cette phase prend une se-maine, alors que le casse final de laclé de 512 bits ne prend que quel-ques minutes de calcul. « C’est peut-être comme cela que l’agence américaine NSA a pu déchiffrer des échanges », estime Emmanuel Thomé, coauteur de l’étude à l’In-ria-Nancy. Les chercheurs ont même estimé que, pour des clés deux fois plus grandes que celles qu’ils ont cassées, il en coûterait del’ordre de quelques centaines de millions de dollars « seulement ».

Deuxième pilier à être secouépar la recherche académique : le « hachage ». Derrière ce nom bar-bare se cachent là aussi des fonc-

tions mathématiques qui transfor-ment un fichier fait de longues sé-ries de 0 et de 1 en de plus petites suites faciles à manipuler. Elles sont comme des empreintes digi-tales du fichier initial. Par exemple,les mots de passe ne sont pas stoc-kés en clair dans les serveurs, mais sous forme de « hachés ». Et les connexions sont ainsi « signées » entre ordinateurs.

Créer une fausse signatureayant le même « haché » que lavraie serait catastrophique pour la sécurité. Le 8 octobre Marc Ste-vens (CWI, Pays-Bas), Pierre Karp-man (Inria-Rennes) et Thomas Peyrin (NTU-Singapour) y sont ar-rivés. Plus exactement, ils ont franchi une étape importante dans cette direction, en s’en pre-nant au cœur d’une des fonctions de hachage encore très utilisée, SHA-1. Il existait depuis dix ans

des attaques théoriques sur cel-le-ci, mais elles semblaient irréali-sables. Les chercheurs l’ont fait pour moins de 120 000 dollars (106 000 euros)… « Nous voulionsalerter sur cette faille pour éviter que se reproduise l’histoire de la fonction de hachage précédente, MD5 : son remplacement a pris plus de dix ans, alors que des vulné-rabilités avaient été démontrées »,explique Pierre Karpman.

SHA-1 devrait disparaître au1er janvier 2016 pour certaines procédures, mais son successeur, SHA-2, s’est déjà répandu. Quant àLogjam, des correctifs ont été ap-portés sur les navigateurs pour que des clés de niveaux plus fai-bles que ceux recommandés nesoient pas autorisées. Pour cettefois, les protocoles d’Internet semblent sauvés. p

david larousserie

pascale santi

Erreurs de diagnostic, longs moisd’attente pour obtenir un rendez-vous avec un neurologue, fortes dis-parités de prise en charge sur le ter-ritoire… C’est un cri d’alarme qu’ontlancé mercredi 21 octobre les ac-

teurs de l’épilepsie (sociétés savantes, associa-tions de patients), réunis sous l’égide du Comiténational pour l’épilepsie. A la veille des Jour-nées françaises de l’épilepsie, qui se tiennent du3 au 6 novembre à Montpellier, ils lancent unappel aux pouvoirs publics pour une meilleure prise en charge et un autre regard sur cette af-fection du cerveau.

Qualifiée de « maladie sacrée » dans l’Antiquité,décrite par Hippocrate comme un dérèglement cérébral ou une perte de connaissance dans la médecine de l’Inde antique, l’épilepsie a souvent été associée à des phénomènes surnaturels, puis identifiée au Moyen Age comme « le mal des pos-sédés ». Elle jalonne l’œuvre de Dostoïevski, lui-même atteint de ce qu’il appelait « le grand mal ».

Touchant entre 500 000 et 1 million de per-sonnes en France, dont la moitié d’enfants, l’épi-lepsie est une pathologie multiforme. Une per-sonne peut faire une seule crise dans sa vie ou en avoir vingt par heure. Elles surviennent la plupart du temps de façon imprévisible, pren-nent des formes multiples. C’est une épée de Da-moclès pour les personnes touchées… De quoi s’agit-il ? D’une hypersynchronisation et d’unehyperexcitation d’un nombre important de neurones du cortex cérébral, et ce de manièrerépétée, définit Fabrice Bartolomei (neurologue à l’Institut des neurosciences de Marseille) dans la revue Science & santé de septembre-octobre de l’Inserm. C’est comme un court-circuit.

Imparfaitement connues, les causes peuventêtre liées à la mutation d’un gène ou à des lé-sions cérébrales (privation d’oxygène, AVC, tu-meurs…). On parle de « petit mal » ou de « grand mal ». Le second terme fait référence aux crises convulsives qui marquent les esprits mais qui sont en réalité les moins fréquentes. Les crises « de type absence » surviennent plus souvent, comme le décrit une vidéo de la Fondation fran-çaise pour la recherche sur l’épilepsie. « C’est une

brusque rupture, un grand trou noir, une plongéedans une bulle de silence, etc. », note Véronique Laplane, auteur d’Absente pour cause d’épilepsie (Coëtquen Editions, 2008). Après une neurochi-rurgie en 2007, elle est aujourd’hui partielle-ment guérie. « Ces absences peuvent arriver à tout moment, sans prévenir, en skiant, en con-duisant, en descendant des escaliers… », soulignecette mère de trois enfants, chargée de mission à la Fondation Idée-Institut des épilepsies.

Si 60 à 70 % des patients touchés répondent fa-vorablement au traitement – même s’il faut en essayer plusieurs avant de trouver le plus efficace–, 30 % sont dits pharmacorésistants. Cela signi-fie qu’ils continuent à faire des crises. Dans cer-tains cas, une chirurgie peut être proposée, si la zone touchée n’est pas fonctionnelle. Des exa-mens poussés comme un électroencéphalo-gramme (EEG) associé à une capture vidéo sont nécessaires.

L’enjeu du diagnostic est donc fondamental.Plusieurs études montrent des erreurs diagnosti-ques dans 20 % à 25 % des cas, notamment parce que le médecin est rarement présent au momentde la crise. « Des patients qui ne sont pas épilepti-ques nous sont adressés pour une chirurgie : en gé-néral, ils souffrent de crises psychogènes non épi-leptiques, insiste Vincent Navarro (neurologue à la Pitié-Salpêtrière, à Paris). A l’inverse, on voit despatients arrivés après des années de traitements, qui auraient pu être opérés et sans doute guéris. »

Pis, « lors de passages aux urgences pour leursbébés, des parents se sont entendu dire : “Crise d’épilepsie, allez voir un médecin traitant” », en at-tendant un rendez-vous avec un spécialiste six ou sept mois plus tard, raconte Laïla Ahddar, pré-sidente d’Epilepsie France, qui parle aussi de « parcours du combattant ».

Autre cas : c’est avec sa fille cadette, qui souf-frait de retard mental, que l’épilepsie des trois en-fants (aujourd’hui âgés de 14, 12 et 10 ans) de Vir-

ginia Duvanel a été diagnostiquée. Alors âgée de 3 ans, Avril faisait 20 à 30 crises par heure, indui-sant un comportement agité. Le diagnostic d’« épilepsie de l’absence » est alors posé pour sestrois enfants par un neuropédiatre de l’hôpital Femme Mère Enfant, à Lyon.

Malgré l’importance du diagnostic et d’exa-mens complémentaires, l’EEG, outil essentiel, « est actuellement dans une spirale négative », rapporte le docteur Arnaud Biraben, président de la Ligue française contre l’épilepsie. En clair, « cela rapporte 50 centimes d’euro à un neurolo-gue libéral. Dès lors, nombre d’entre eux s’en sont détournés » et « cela ne rapporte pas non plus beaucoup aux hôpitaux ». Les délais dépassentparfois une année. Or, « l’épileptologie sans EEG, c’est comme conduire la nuit sans phares ».

Les conséquences sont multiples. Car, contrai-rement à une autre idée reçue, on peut mourir après une épilepsie. On compte 33 000 décès en Europe chaque année. En outre, les traitements ont souvent des effets secondaires lourds : ralen-tissement du métabolisme, grande fatigabilité. Sans compter des comorbidités. Pour certains patients, la crainte associée à la probabilité d’unecrise peut conduire à une dépression.

Il est aussi nécessaire d’adapter le traitementaux différentes étapes de la vie. Ainsi, pour lafemme enceinte, la Dépakine (valproate) n’est pas recommandée, en raison du « risque élevé de malformations congénitales » et de risque accru

de troubles neurodéveloppementaux pour les enfants exposés in utero.

Les retentissements de l’épilepsie sont nom-breux, notamment au niveau scolaire. « Rejet, honte, peur, mon fils a souffert du regard des autres et de l’incompréhension du milieu sco-laire », dénonce Virginia Duvanel. La mèred’Emile, âgé de 17 ans, aujourd’hui hospitalisé,dénonce de son côté le manque cruel de structu-res d’accueil, d’écoles spécialisées. « Il nous re-vient la charge d’ouvrir les portes, dit-elle. Malgré quelques lenteurs, notre fils a eu un parcours sco-laire “normal”, jusqu’en seconde, dans un lycée agricole. Mais son état de santé s’est dégradé. »

Pour remédier à ce manque de prise en charge,des initiatives fleurissent, tel l’Institut des épilep-sies (Idée), sorte de plate-forme d’appui située àl’hôpital neurologique de Lyon, axée notam-ment sur la formation des soignants, la recher-che… qui doit être opérationnel en janvier 2016, souligne Marielle Prevos, cadre de santé au cen-tre de lutte contre l’épilepsie de La Teppe (Tain-l’Hermitage), qui insiste sur le rôle-clé des infirmières cliniciennes spécialisées.

Paradoxe : alors que la prise en charge est iné-gale et insuffisante, que la qualité de soins ris-que de se détériorer si rien n’est fait, la recher-che fondamentale sur l’épilepsie avance en France, avec notamment les micropompes, qui visent à injecter des molécules uniquement sur les zones à traiter. p

Dans certains cas,une chirurgie peut être

proposée, si la zone touchée n’est pas fonctionnelle

Image extraite de

« L’Ascension du Haut Mal »,

de David B. (édition

intégrale, L’Association,

384 p., 37 €).

Page 29: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

A C T U A L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 28 octobre 20150123 | 3

NeurologieDes AVC particuliers induits par le cannabisLes liaisons dangereuses entre consom-mation de cannabis et accident vasculaire cérébral (AVC) se précisent. Une étude néo-zélandaise avait estimé, en 2013, que ce risque est plus que dou-blé chez les adeptes de la marijuana. Parallèlement, une augmentation de cesaccidents vasculaires chez les jeunes a été constatée dans de nombreux pays. Une équipe du CHU de Strasbourg apporte une pierre à l’édifice en analy-sant les cas d’AVC survenus entre 2005 et2014 chez les moins de 45 ans. Parmi ces334 patients, 58 étaient fumeurs de can-nabis. Les chercheurs montrent que les AVC dus à une lésion artérielle au niveauintracrânien sont plus fréquents chez les adeptes de cannabis que chez les non-consommateurs : 45 %, contre 4 %.A l’inverse, les fumeurs sont moins ex-posés aux embolies d’origine cardiaqueque l’autre groupe : 14 %, contre 29 %.

> Wolff V. et al., « Journal of the American College of Cardiology », 26 octobre.

AstrophysiqueUne comète alcoolisée et sucrée

Pour la première fois, une équipe inter-nationale a décelé dans la queue d’une comète deux molécules jamais détec-tées auparavant : de l’éthanol et un pré-curseur de sucre, le glycolaldéhyde. Ces molécules complexes contenant deux atomes de carbone n’avaient été repé-rées que dans les voisinages d’étoiles actives. C’est en janvier, dans le panachede la comète Lovejoy (photo), visible à l’œil nu, que les astronomes ont identi-fié ces molécules, grâce à un radiotéles-cope installé en Espagne. Elles devraient,à partir de ces constructions chimiquescomplexes, aider à mieux comprendre le scénario de formation du Système solaire et de l’apparition de la vie.(PHOTO : FABRICE NOËL)

> Biver et al., « Science Advances », 23 octobre.

4 900C’est l’âge approximatif, en années, du plus ancien squelette porteur de la terri-ble bactérie de la peste. Pour faire cette découverte, une équipe danoise a recherché la signature de l’agent patho-gène dans l’ADN de 101 individus d’Europe et d’Asie. Ils l’ont retrouvée dans les dents de sept d’entre eux, qui vivaient entre 2 900 et 950 av. J.-C. Ce faisant, ils reculent de plus de 3 000 ansl’apparition avérée du bacille. Ils préci-sent toutefois que, à cette époque de l’âge du bronze, la bactérie ne disposait pas de la mutation lui permettant de survivre dans l’intestin de la puce, principal vecteur de transmission.

> Rasmussen et al., « Cell », 22 octobre.

PneumologieDes nanotubes de carbone chez des enfants asthmatiquesUne équipe américano-française a détecté des nanotubes de carbone dansles poumons de 64 enfants parisiens asthmatiques. Ces molécules de car-bone sont des tubes longs de quelques centaines de nanomètres (un nanomè-tre vaut un millionième de millimètre)et larges d’une dizaine de nanomètres. Elles font partie de la famille des par-ticules fines de moins de 2,5 micromè-tres, dont l’inhalation augmente le risque de pathologies respiratoires, de cancer du poumon mais aussi de mala-dies cardio-vasculaires. Les chercheurs ont aussi trouvé que ces particules sont identiques à celles dégagées par les véhicules ou présentes dans l’air. Cependant, ils ne peuvent établir pour l’instant de lien entre cette présence et l’asthme des enfants.

> Kolosnjaj-Tabi et al., « BioMedicine », 9 octobre.

Le boom de la biologie synthétiqueb i o t e c h n o l o g i e s | Aux Etats-Unis, les investissements dans l’ingénierie biologique explosent,

sous l’impulsion de la Défense. Mais ceux destinés à la recherche sur les risques associés ne suivent pas

corine lesnes

San Francisco, correspondante

Un soir de septembre,dans les locaux de lasociété d’édition delogiciels Autodesk,sur le Pier 9, à SanFrancisco. Les bu-

reaux sont fermés, mais un petit groupe s’attarde dans la salle de réu-nion donnant sur la baie de San Fran-cisco. Ingénieurs, financiers, étu-diants, ils sont venus assister à un cours d’initiation à la biologie de syn-thèse, la création de matière vivante par les techniques de l’ingénierie. Or-ganisé par SynBioBeta, un réseau d’entreprises et d’investisseurs, ce cours est destiné aux programmeurs et scientifiques d’autres disciplines qui pourraient apporter leur exper-tise à ce domaine en expansion.

Le maître de cérémonie, John Cum-bers, spécialiste de microbiologie cel-lulaire, a quitté la NASA pour s’inves-tir dans la biologie synthétique. L’autre enseignant, le biochimiste Jo-siah Zayner, vient lui aussi de la NASA : il développe des microbes des-tructeurs de plastique en vue d’une expédition spatiale vers Mars.

Au programme : le mécanisme debase de la cellule, les promesses de la biologie (création de matériaux su-per-résistants, comme la soie d’arai-gnée synthétique, de virus permet-tant aux antibiotiques de pénétrer les défenses bactériennes, etc.). Et le fonc-tionnement de Crispr-Cas9, l’outil ré-volutionnaire qui, depuis 2012, offre lapossibilité de modifier facilement legénome. A la fin de la séance, les élè-ves participent à une expérience de modification d’ADN. Ils repartent avecune boîte de Petri contenant une bac-

térie de synthèse censée devenir rouge sous l’effet de la lumière…

Ce cours de vulgarisation n’est pasune exception. Dans la baie de San Francisco, trois laboratoires commu-nautaires proposent enseignement et travaux de groupe à des « citoyens scientifiques » qui s’amusent à ex-traire l’ADN d’une fraise, produire des plantes luminescentes, voire impri-mer des cellules vivantes en 3D. « Ce genre d’initiatives était accueilli avec

scepticisme par l’industrie », dit John Cumbers. Maintenant, les sociétés de biotechnologie voient la participation des « citoyens » d’un autre œil. Aucunene veut s’aliéner le public et devenir le Monsanto de la biologie synthétique.

L’ingénierie de la biologie suscite unengouement croissant dans le secteurprivé américain. En 2005, 45 compa-gnies étaient recensées dans le sec-teur. Elles étaient 103 en 2010 ; 200 en 2014. Les investissements privés se sont élevés à 560 millions de dollars (493 millions d’euros) pour les neuf premiers mois de 2015, indique John Cumbers, soit plus que les investisse-ments combinés pour 2013 et 2014. Et depuis deux ans, note-t-il, les milliar-daires du high-tech « se tournent vers les biotechnologies », de Peter Thiel, cofondateur de PayPal, à Eric Schmidt,de Google, qui a investi à titre privé dans Zymergen, une start-up qui a ro-botisé la fabrication de l’ADN. Le sec-teur public n’est pas absent. Selon un rapport publié en septembre par le projet sur la biologie synthétique du Woodrow Wilson Center, un institut de politiques publiques de Washing-ton, le gouvernement américain a fi-nancé pour 820 millions de dollars de recherches dans le domaine de la bio-logie de synthèse entre 2008 et 2014. Fait nouveau : la Défense a pris le pas dans les investissements sur l’agrono-mie ou la santé.

L’agence du Pentagone

pour la recherche éclipse,

par ses subventions,

le ministère de la santé

ou de l’agriculture

Vue d’artisted’une

modificationgénétique

de séquencesADN selon

la techniqueCrispr-Cas9.

STEPHEN DIXON

t é l e s c o p e

L’agence du Pentagone pour la re-cherche, la Defense Advanced Re-search Projects Agency (Darpa), se taille la part du lion. Avec 100 millionsde dollars de financements pour 2014 (contre pratiquement zéro en 2010), elle éclipse les autres organismes pu-blics tels que la National Science Foundation (NSF), les National Institu-tes of Health (NIH) ou encore le minis-tère de l’agriculture. La Darpa repré-sente maintenant près de 60 % de l’en-semble du financement public dans labiologie de synthèse. En ajoutant l’in-vestissement des autres branches du département de la défense, la propor-tion passe à deux tiers.

Ce déséquilibre inquiète les cher-cheurs. Les domaines dans lesquels la Darpa travaille restent volontaire-ment imprécis ou sont étiquetés se-cret-défense sur les demandes de sub-ventions épluchées par le Wilson Cen-ter. En 2012, la Darpa a lancé le projet « Living Foundries », destiné à faciliter la construction et la production de « briques » d’ADN. Fin septembre, elle a octroyé 32 millions de dollars au la-boratoire de biologie synthétique du Massachusetts Institute of Techno-logy. Objectif : développer « des nou-veaux produits déterminants dans le secteur de la santé humaine, de l’agri-culture et de la chimie » et « servir de mécanisme pour s’attaquer à certains des grands problèmes du monde »…

Les investissements augmentent,mais à sens unique. Corollaire de la militarisation de la recherche, la part de financements publics consacrée à l’étude des risques posés par la biolo-gie de synthèse est de plus en plus fai-ble : moins de 1 % du total. L’éventuel impact des manipulations de l’ADN sur l’environnement ou la santé pu-blique est laissé de côté. De même queles questions éthiques ou juridiques (moins de 1 % des financements pu-blics également). David Rejeski, direc-teur du programme sur la science et l’innovation technologique au WilsonCenter, s’inquiète de ce que les Etats-Unis soient « mal préparés » aux con-séquences de l’afflux de plus de 1 mil-liard de dollars (privé et public con-fondus) dans un secteur aussi jeune.

En juillet, l’administration Obama alancé une mise à jour du cadre juridi-que réglementant les biotechnologies depuis 1992. Le système actuel est trop complexe, a admis John Holdren,le conseiller scientifique de Barack Obama. Le public « ne comprend pas comment la sécurité des produits bio-technologiques est évaluée ». Et les start-up ont du mal à interpréter la ré-glementation pour déterminer si ellesdépendent du département de l’agri-culture, de l’agence pour l’environne-ment (EPA) ou de l’agence pour le mé-dicament (FDA). En Europe aussi, la Commission se demande si elle doit réviser les procédures d’évaluation des plantes « bioaméliorées ».

Le congrès américain a tenu quel-ques auditions. Un projet de loi est à l’étude. Un sommet des principales sociétés savantes américaines, chinoi-ses et britanniques, portant sur l’édi-tion des gènes humains, est prévu en décembre à Washington. Etant donné la sensibilité du sujet (les OGM) et la résistance de la droite chrétienne aux manipulations de tout ce qui touche à la « vie », les experts ne s’attendent pas à des avancées avant l’élection pré-sidentielle de 2016. « Nous sommes dans cette situation étrange où il y a davantage d’argent et une réglementa-tion inadaptée », note David Rejeski.

A ce jour, on dénombre 115 diffé-rents produits et applications issus dela biologie de synthèse, dont environ 50 sont sur le marché ou prêts à un usage commercial, comme les algues génétiquement modifiées, à l’étude à l’EPA, ou le saumon à croissance ra-pide, qui attend depuis plus de quinzeans les autorisations fédérales. Al-gues et poissons vont probablement devoir continuer à patienter, alors que les chercheurs du secteur privé etles « bricoleurs » des labos citoyenspourront continuer à profiter de la confusion qui entoure leur activité. p

« Le public ne sait pas vraiment ce que c’est »

Comme le montrent les OGM,largement acceptés dans lanourriture aux Etats-Unis, lar-

gement récusés en Europe, l’accepta-tion sociale est déterminante vis-à-vis de la biologie de synthèse. Cher-cheuse associée au Woodrow Wilson Center de Washington, Eleonore Pauwels est chargée d’analyser la per-ception du public sur ces questions.

Quelle est l’attitude des Américains vis-à-vis des biotechnologies ?

Selon notre sondage d’avril, 23 % desAméricains (contre 17 % des Européens)ont entendu parler de la biologie de synthèse mais ne savent pas vrai-ment ce que c’est. Faute d’une compré-hension claire, ils retiennent surtout les scénarios de science-fiction. La mo-dification du génome est potentielle-ment intéressante, mais on ne sait pas comment communiquer sur le sujet.

Est-ce la faute des scientifiques ?Il y a un problème de partage de

l’information entre l’intérieur et l’exté-

rieur du labo. Les scientifiques disent : parlons-en le moins possible ; ils ont peur de communiquer sur ce qu’ils font. Sauf Craig Venter [le généticien améri-cain qui a séquencé le premier génome humain], qui préfère créer un choc. Il sait que personne n’arrêtera plus ce qu’il fait.

Le débat part tout de suite sur des scé-narios de dystopie. La modification des cellules reproductrices, les bébés sur mesure… On passe à côté de la ques-tion. Si on modifie le génome humain, quelle part ne sera pas sous contrôle ? Quelle séquence va-t-on modifier qu’on ne voulait pas modifier ? Peut-on conti-nuer tant qu’on n’est pas sûrs qu’on peut arrêter le phénomène de multipli-cation de certaines cellules, qu’on n’est pas sûrs de la façon dont cela va fonc-tionner dans l’écosystème… ? La gestion de l’incertitude se complique du fait qu’on agit dans un milieu en évolution.

Vous mettez en cause le langage…Je m’intéresse à l’usage de la méta-

phore dans la communication scientifi-que. Il y a un discours simplificateur qui

tend à réduire incertitude et complexité. L’ADN est présenté comme un logiciel, la cellule comme un ordinateur program-mable. Dans leur jargon, les scientifiques présentent les cellules comme des horlo-ges. Ils se voient comme des ingénieurs. Ce qui les intéresse, c’est le paradigme de construction, de reconstruction dirigée de la cellule. Mais quand on discute avec eux, ils reconnaissent aussi qu’ils ne comprennent pas grand-chose, qu’il y a beaucoup de mécanismes d’adaptation, de mutation dans la biologie, et qu’il y a sans doute une fonction dans cette in-certitude de la cellule.

En dehors du labo, cette analogie avecle monde informatique pose problème. Elle est simplificatrice et relativement dangereuse. Elle renforce une narration de contrôle sur le système cellulaire, contrôle qui n’est pas réel. Il faut trouver une façon de poser les questions qui per-mette une discussion démocratique sur ce point fondamental : sommes-nous prêts à accueillir une technologie trans-formatrice comme le gene editing ? p

propos recueillis par c. ls

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4 | 0123Mercredi 28 octobre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | É V É N E M E N T

RoundupL’herbicide

qui sème la discordet o x i c o l o g i e

Au printemps, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré le glyphosate « cancérigène probable », ouvrant une bataille rangée autour

d’une substance désormais omniprésente dans l’environnement

stéphane foucart

Dans le sud de laColombie, c’en estfini de la noria desavions militaires etdes longs panachesgris qu’ils laissaientdans leur sillage. Le15 mai, le président

colombien, Juan Manuel Santos, annon-çait l’arrêt de l’un des instruments de luttecontre le narcotrafic les plus controversés d’Amérique latine : l’épandage aérien d’un puissant herbicide, le glyphosate, principeactif du célèbre Roundup, sur les planta-tions illégales de coca. C’était la conclu-sion d’une des plus âpres controverses sa-nitaires et environnementales de ces der-nières années.

Financé depuis la fin des années 1990par les Etats-Unis, le « plan Colombie » fédérait contre lui les populations, les associations environnementalistes et les organisations de défense des droits de l’homme, qui dénonçaient des épanda-ges indiscriminés, des dégâts sur l’agri-culture et le bétail, des atteintes sanitai-res dans les communautés villageoises…L’Equateur voisin voyait aussi d’un très mauvais œil ces pulvérisations massivesqui, au moindre coup de vent, s’invitaientsur son territoire.

Ce ne sont pourtant ni ces protesta-tions, ni les tensions avec le voisin équa-torien, ni une quelconque interruptiondans le financement américain du pro-gramme qui auront eu raison des épan-dages de glyphosate. Mais un texte lapidaire de quatre feuillets, publié le 20 mars dans la revue Lancet Oncology,signé du « groupe de travail chargé des monographies au Centre international de recherche sur le cancer [CIRC] » et annon-çant l’impensable : le classement de lasubstance, par la vénérable agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme « cancérogène probable ».

Les dix-sept scientifiques de onze natio-nalités réunis par le CIRC pour évaluer le célèbre herbicide ignoraient sans doute que leur avis mettrait, en moins de troissemaines, un terme à quinze années de polémiques autour du « plan Colombie ».

En revanche, ils se doutaient qu’ilsallaient créer l’une des plus vastes pani-ques réglementaires de l’histoire récente et déclencher un formidable affron-tement d’experts. « C’est clairement lamère de toutes les batailles, dit un toxico-

logue français qui n’a pas participé à l’évaluation. Le glyphosate, c’est un peu comme ces grandes banques américaines qu’on ne peut pas laisser faire faillite sans casser tout le système : too big to fail. » Dès la publication de l’avis du CIRC, Mon-

santo a diffusé un communiqué inhabi-tuellement agressif, qualifiant le travailde l’agence de « science pourrie » (junk science, dans le texte), exigeant de Mar-garet Chan, directrice générale de l’OMS, qu’elle fasse « rectifier » la classificationdu glyphosate.

Le travail du CIRC jouit toutefois d’unehaute reconnaissance dans la commu-nauté scientifique.

A l’évidence, le glyphosate n’est pas unpesticide comme les autres. Inventé en 1970 par Monsanto, dont le brevet mondial est arrivé à échéance en 1991, c’est le pesticide de synthèse le plus uti-lisé dans le monde. Mais c’est aussi la pierre angulaire de toute la stratégie del’industrie des biotechnologies végétales.Selon les données de l’industrie, environ 80 % des plantes transgéniques actuelle-ment en culture ont été modifiées pour être rendues tolérantes à un herbicide – le glyphosate, en grande majorité. Et ce, afin de permettre un usage simplifié du produit. Celui-ci détruit en effet toutes les adventices (les mauvaises herbes) sans nuire aux plantes transgéniques.

Le développement exponentiel du gly-phosate s’est construit sur l’idée qu’ilétait presque totalement inoffensif pour les humains. « Moins dangereux que le sel de table ou l’aspirine », selon les élé-ments de langage des industriels. C’est dire si l’avis rendu en mars par le CIRC

a fait l’effet d’une bombe. D’autant plusque le glyphosate est précisément en cours de réévaluation au niveau euro-péen. Avant la fin de l’année, l’Unioneuropéenne devra dire si elle réautoriseou non, pour les dix prochaines années, le glyphosate sur son territoire…

Comble de l’embarras : l’Institut fédéralallemand d’évaluation du risque (le Bun-desinstitut für Risikobewertung, ou BfR),chargé de le réévaluer au nom de l’Eu-rope, a rendu en 2014, à l’Autorité euro-péenne de sécurité des aliments (EFSA), un rapport de réévaluation écartant tout potentiel cancérogène et proposant même de relever de 60 % le seuil de sécu-rité actuel ! L’EFSA devait ensuite passer en revue la version préliminaire rendue par le BfR et transmettre un avis positif àla Commission européenne. Le glypho-sate aurait été sans anicroche réautorisé pour une décennie en Europe.

La publication du CIRC a fait voler enéclats cette mécanique.

En France, le ministère de l’écologie asaisi en urgence, le 8 avril, l’Agence natio-nale de sécurité sanitaire de l’alimenta-

Inventé en 1970 par Monsanto,

dont le brevet mondial est

arrivé à échéance en 1991,

c’est le pesticide de synthèse

le plus utilisé dans le monde

Dans une jardinerie du Val-de-Marne, en juin. CHARLES PLATIAU/REUTERS

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É V É N E M E N T | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 28 octobre 20150123 | 5

tion, de l’environnement et du travail(Anses), afin qu’elle rende un avis sur… l’avis du CIRC. Quatre experts français ont été affectés, séance tenante, à l’exa-men des divergences entre le CIRC et le BfR. Quant à ce dernier, il a mis à jour sa réévaluation en tenant compte des conclusions du CIRC et doit la remettreavant la fin octobre à l’EFSA.

A l’agence européenne, basée à Parme(Italie), la situation est source de profond embarras, car c’est elle qui devra, in fine, jouer le rôle d’arbitre et rédiger l’avis défi-nitif à l’intention de la Commission euro-péenne. En fin de compte, l’EFSA, qui cher-che à réparer son image mise à mal par lesaccusations répétées de conflit d’intérêts, a prévu de consulter l’ensemble des agen-ces de sécurité sanitaire européennes avant de se prononcer.

En attendant, on tente de relativiser lesdivergences entre groupes d’experts. « Il faut comprendre que l’avis rendu par le CIRC n’est pas une évaluation du risque, dit-on à l’EFSA. Le CIRC dit que le glypho-sate est un cancérigène probable, et non qu’il représente un risque de cancer pour la population ! » Cependant, le BfR et le CIRC ne s’entendent pas non plus sur les pro-priétés mêmes de la substance. Dans son rapport préliminaire, le BfR jugeait qu’« un échantillon adéquat d’études in vitro et in vivo n’ont pas fourni d’indice de potentiel génotoxique », tandis que le CIRC estime que les données disponibles sont « suffisantes » pour conclure au caractère génotoxique du glyphosate. Notamment grâce à une étude menée sur les commu-nautés villageoises des hauts plateaux colombiens : après les épandages, les taux de lymphocytes anormaux augmentaient chez les sujets analysés.

Comment expliquer de telles divergen-ces ? « Une première raison est la naturedes études qui ont été examinées par lesdeux groupes d’experts, explique Gérard Lasfargues, directeur général adjointde l’Anses. Le BfR a notamment examiné des études conduites par les entreprises qui ne sont pas rendues publiques pour des questions de secret industriel, ce que n’a pas fait le CIRC. » De fait, l’agence de l’OMS ne fonde ses avis que sur des don-nées publiques ou sur des études pu-bliées dans la littérature scientifique, et donc préalablement soumises à la revuepar les pairs (peer review).

Plusieurs ONG, comme Greenpeaceou Corporate Europe Observatory(CEO), sont très critiques sur l’opacité del’évaluation conduite par le BfR prenanten compte des études industrielles ettenues confidentielles. « Le BfR a été tel-lement débordé par le volume des étudessoumises par les entreprises que son tra-vail a surtout consisté à passer en revueles résumés d’études fournies par l’indus-trie », assure-t-on à CEO. En outre, qua-tre des douze experts du comité Pestici-des du BfR – qui n’a pas répondu auxsollicitations du Monde – sont salariéspar des sociétés agrochimiques ou deslaboratoires privés sous contrat avecelles. A l’inverse, les experts du CIRC nesont pas seulement sélectionnés surdes critères de compétence scientifique,mais également sur l’absence stricte deconflits d’intérêts.

Une autre raison des divergences entrele CIRC et le BfR est plus étonnante. « Le CIRC a tenu compte d’études épidémiolo-giques qui ont été écartées par le BfR deson analyse, explique M. Lasfargues. Et le BfR a écarté ces études sur la foi de cer-tains critères, dits “critères de Klimisch”, qui en évaluent la solidité. Mais ce qui pose question est que ces critères sont cen-sés estimer la qualité des études toxicolo-giques, non des études épidémiologiques,et on ne sait pas comment ces critères ont été éventuellement adaptés. »

Plusieurs de ces études épidémiologi-ques prises en compte par le CIRC suggè-rent un risque accru de lymphome non hodgkinien (LNH) – un cancer du sang – chez les travailleurs agricoles exposés au glyphosate. Cependant, l’affaire est loin d’être claire. Ainsi, rappelle une épidé-miologiste française, « les résultats de la grande étude prospective sur la santé des travailleurs agricoles [dite « Agricultural Health Study », menée dans l’Iowa et enCaroline du Nord] n’ont pas permis pas defaire ce lien entre glyphosate et lymphomenon hodgkinien ».

La bataille d’experts en cours ne se ré-duit pas à une opposition entre le CIRC etle BfR… Un autre groupe scientifique constitué par l’Institut national de lasanté et de la recherche biomédicale (Inserm) avait déjà, dans son expertisede 2013 sur les effets sanitaires des pesti-cides, affirmé le caractère génotoxique du glyphosate et suspectait, comme le CIRC, un lien avec le LNH…

D’autres expertises viennent encoreajouter à la confusion. Dans son commu-niqué du 23 mars, Monsanto notait ainsi que le groupe d’experts commun à l’OMS et à l’Organisation des Nations unies pourl’agriculture et l’alimentation sur les pes-ticides – dit « Joint Meeting on Pesticide Residues », ou JMPR – avait, dans son der-nier avis, écarté tout potentiel cancéro-gène du glyphosate. Deux groupes d’ex-perts œuvrant sous l’égide de l’OMS et parvenant à des conclusions opposées, l’affaire faisait un peu désordre.

Selon nos informations, un troisièmegroupe d’experts a été constitué en ur-gence par l’OMS pour… départager lesdeux autres. Le résultat de l’audit, discrè-tement publié courant septembre sur le

site de l’OMS, est cruel pour le JMPR. Ce-lui-ci est critiqué pour n’avoir pas pris en compte certaines études publiées dans lalittérature scientifique et pour n’avoir pas, au contraire du CIRC, tenu compte de « toutes les données utiles » à l’évalua-tion… Le JMPR est enfin sèchement invité à « revoir ses règles internes » et à « refaire l’évaluation complète » du gly-phosate. L’OMS n’a pas répondu aux sol-licitations du Monde.

Là encore, les ONG ont leur interpréta-tion. Dans une lettre adressée, le 16 juin, à la direction générale de l’OMS, une di-zaine d’organisations de défense de l’envi-ronnement (National Resources Defense Council, Friends of the Earth, etc.) rele-vaient les conflits d’intérêts de quatre des huit experts du JMPR qui travaillent régu-lièrement avec l’industrie agrochimique. L’un d’eux avait même été exclu d’un groupe d’experts de l’EFSA – fait inédit – pour avoir omis de déclarer certaines de ses collaborations avec l’industrie…

Le potentiel génotoxique et probable-ment cancérogène attribué au glyphosate n’étonne guère le biologiste Robert Bellé, professeur émérite à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris). « Au contraire, beau-coup de temps a été perdu, déplore ce pion-nier de l’étude des effets du glyphosate. A la fin des années 1990, je cherchais un modèle biologique pour étudier les effets desubstances toxiques sur les mécanismes de cancérogénèse et de tératogénèse au sein de la cellule. » L’équipe du biologiste utilise

des embryons d’oursin pour observer les mécanismes de division cellulaire et la manière dont ils peuvent être perturbés par des polluants. « Nous cherchions une substance très banale et couramment utilisée, présente partout, pour exposer les cellules témoins, raconte M. Bellé. Nous avons choisi de prendre celui qui nous a semblé le plus commun, et donc sans doutele plus étudié : nous avons pris du Roundup,en vente libre. Et ce que nous avons observénous a beaucoup surpris. »

A partir de 2002, l’équipe du biologistefrançais publie une série de résultats mon-

Les travaux du biologiste français Robert Bellé

et de son équipe suggéraient

déjà, il y a près de quinze ans,

que le glyphosate pouvait être

impliqué dans la cancérogenèse

Le glyphosate, c’est le Léviathan de l’industrie phytosanitaire. Loin de se réduire au seul Roundup – le produit phare de Monsanto –, il entre dans la composition de près de 750 produits, commercialisés par plus de 90 fabricants, répartis dans une vingtaine de pays… La production mondiale est montée en flèche ces dernières années un peu partout dans le monde, tirée vers le haut par l’adoption rapide des maïs et autres sojas transgéniques « Roundup ready ». De 600 000 tonnes en 2008, la production mondiale de glyphosate est passée à 650 000 tonnes en 2011, pour atteindre 720 000 tonnes en 2012, selon les données compilées par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Aux Etats-Unis, les quantités épandues ont été multipliées par 20 en l’espace de vingt ans, passant de 4 000 tonnes par an en 1987 à 80 000 tonnes en 2007. En 2011, dans une étude publiée par la revue Environmental Toxicology and Chemistry, l’US Geological Survey annonçait avoir détecté du glyphosate dans les trois quarts des échantillons d’eau de pluie et d’air analysés dans une région de grandes cultures. En France, il s’en épand environ 8 000 tonnes par an. Avec son principal produit de dégradation, l’AMPA, il constitue le produit le plus fréquemment détecté dans les cours d’eau de France métropolitaine.

Un Léviathan de l’industrie phytosanitaire

Un ingrédient essentiel des cultures transgéniquesÉVOLUTION DES ÉPANDAGES SUR LES CULTURES DE SOJA AUX ÉTATS-UNIS (EN KG/HA)

ÉVOLUTION DE LA PART DU SOJA TRANSGÉNIQUE DANS LA PRODUCTION TOTALE

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0,5

1990 2012200520001995

0

Autres herbicidesGlyphosate

% de soja transgénique

Le bénéfice des cultures « Roundup ready » en question

Moins de pesticides, moinsde risques. Au milieu desannées 1990, c’était l’une

des promesses de l’industrie des biotechnologies pour appuyer le développement des cultures trans-géniques rendues tolérantes au glyphosate – le principe actif du célèbre Roundup, l’herbicide phare de Monsanto. Mais deux décennies plus tard, le résultat est mitigé. C’est la conclusion majeure d’une étude conduite par Sylvie Bonny, cher-cheuse à l’INRA, et publiée dans la dernière édition de la revue Environ-mental Management. Un résultat plus mitigé encore après que l’OMS a classé le glyphosate, en mars, comme cancérogène probable.

« Durant les toutes premières an-nées de leur introduction [en 1996], les cultures tolérantes à un herbicide

ont pu induire une réduction des désherbants, écrit Sylvie Bonny. Cependant, la répétition de ces cultu-res et des épandages de glyphosate sans alternance ni diversité suffisantes a contribué, depuis plus de dix ans, à l’apparition de mauvaises herbes résistantes à cette molécule. D’où une augmentation de l’usage du glypho-sate mais aussi d’autres herbicides. »

Mauvaises herbes résistantesEn 1996, aucune espèce d’adventice

– « mauvaise herbe », en agronomie – résistante au glyphosate n’était répertoriée sur le territoire américain. Dix ans plus tard, les agronomes en relevaient huit. Et début 2015, quatorze espèces étaient recensées, et trente-huit Etats touchés.

Sans surprise, la quantité totale dedésherbants utilisée a suivi l’expan-

sion des adventices résistantes. Pour le soja, la dose moyenne totale d’herbicides est passée de 1,35 kg par hectare (kg/ha) en 1996 à 1,1 kg/ha en 2001. En 2012, elle était légère-ment supérieure à 2 kg/ha sur le soja (dont les surfaces sont cultivées à plus de 90 % en variétés tolérantes au glyphosate depuis 2007). « Pour le maïs, l’effet est moins marqué, car l’adoption des variétés tolérantes à un herbicide a été plus lente », précise Sylvie Bonny.

Mais l’impact environnemental et sanitaire des herbicides ne se réduit pas aux quantités épandues. L’Asso-ciation française des biotechnologies végétales estime que le Roundup garde « un meilleur profil toxicologi-que et écotoxicologique que la plu-part des herbicides qu’il remplace », qu’il est bon marché, et qu’il « facilite

les techniques d’implantation des cultures sans labour ».

Comment, aux Etats-Unis, les ac-teurs impliqués font-ils face à cette propagation d’adventices résistantes ? « Les firmes agrochimiques répondent en “empilant” des caractères de résis-tance à d’autres herbicides, explique Yves Dessaux, chercheur (CNRS) à l’Institut de biologie intégrative de la cellule, qui a codirigé en 2012 l’expertise du CNRS et de l’INRA sur le bénéfices et les risques des variétés tolérantes aux herbicides. Mais si ces nouvelles variétés et les herbicides as-sociés sont utilisés comme les variétés tolérantes au glyphosate, c’est-à-dire sans rotation, sans modération et sans réflexion agronomique, on va créer les conditions d’émergence de nouvelles résistances et on ira dans le mur. » p

s. fo.

trant que le Roundup inhibe la division cellulaire et active un « point de contrôle » des dommages de l’ADN – un mé-canisme-clé qui permet d’éviter que des cellules à l’ADN altéré ne se multiplient.

« Lorsqu’on utilise le glyphosate seul, ceseffets disparaissent, car le glyphosate semble incapable de pénétrer dans lacellule, sauf à très hautes doses, explique M. Bellé. Or, il n’est commercialisé que mélangé à des surfactants qui lui permet-tent d’entrer dans les cellules et donc d’êtreefficace. On comprend du coup pourquoile glyphosate ne sera jamais interdit : lestests toxicologiques réglementaires n’ex-périmentent que les effets du principe actif seul… » Un constat étayé depuis une décennie par d’autres travaux, conduits par l’équipe du biologiste français Gilles-Eric Séralini (université de Caen, Criigen),qui a fait du glyphosate l’un de ses chevaux de bataille.

« Au début des années 2000, à deux repri-ses, j’ai reçu la visite de responsables duCNRS à qui j’ai expliqué mes résultats et quiles ont trouvés intéressants et pertinents, raconte M. Bellé, qui ne souhaite pas don-ner l’identité des intéressés pour éviter la polémique. On m’a dit que je pouvais continuer mon travail sur le glyphosate, mais que je ne devais pas communiquer auprès du public, pour ne pas inquiéter les gens. » Ultérieurement, alors que les avis scientifiques des experts étaient favora-bles, toutes les demandes de financementpublic pour approfondir ses travaux sur l’herbicide ont été rejetées.

Les travaux du biologiste français et deson équipe suggéraient donc déjà, il y a près de quinze ans, que le glyphosate pou-vait être impliqué dans la cancérogenèse.

En outre, la monographie du CIRC rap-pelle ce fait surprenant : lorsque, en 1985,la substance est évaluée pour la pre-mière fois par l’Agence de protection de l’environnement américaine, elle estd’emblée classée cancérogène. Les ex-perts américains signalent en effet que les souris exposées au produit ont un ris-que accru de développer un cancer du tu-bule rénal… Des discussions pointues sur la nature de quelques-unes des tu-meurs observées conduiront, quelquesannées plus tard, à considérer ce résultatcomme non significatif.

Malgré ces alertes anciennes, le glypho-sate s’est installé comme le plus sûr des herbicides sur le marché pendant de nombreuses années. La confiance dans le produit a été telle que certains risques sanitaires, sans liens avec le cancer, ontété totalement ignorés.

« Nous savons avec certitude que le gly-phosate est neurotoxique : cela est docu-menté par des études menées sur les ani-maux et aussi par les cas d’intoxication aiguë chez l’homme, dit ainsi Philippe Grandjean, professeur à l’université Harvard, l’un des pionniers de l’étude de l’effet des polluants environnementaux sur le système nerveux central. Or si le gly-phosate a un effet sur le cerveau adulte,nous savons aussi qu’il aura un effet sur le cerveau en développement du jeune enfantou sur le fœtus, par le biais de l’expositiondes femmes enceintes. »

Toute la question est alors de savoir àpartir de quel niveau d’exposition au gly-phosate ces dégâts apparaissent. « Cela,nous ne le savons pas, répond M. Grand-jean. A ma connaissance, il n’y a eu aucuneétude valide, menée selon les standards ré-glementaires, pour évaluer les effets du glyphosate sur le neurodéveloppement. S’agissant du pesticide le plus utilisé dansle monde, cette situation me semble êtreassez problématique. » p

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6 | 0123Mercredi 28 octobre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | R E N D E Z - V O U S

Le handicap en famille

l e d v d

Un documentaire émouvant met en lumière le quotidien des enfants handicapés

sandrine cabut

Petit à petit, les parents qui élèvent unenfant pas comme les autres sortentde l’ombre, racontent leur parcoursdans les médias, des livres, des films…

Intitulé Le Même Monde, le documentaire que vient de réaliser Bertrand Hagenmuller est particulièrement fort et éclairant.

Le réalisateur a partagé l’intimité de deux familles : celles de Théo, autiste, et d’Antoine, polyhandicapé. Au départ, le projet était mo-deste : concevoir un support de présentation de quelques minutes pour Loisirs pluriel, une fédération qui s’est donné pour mission d’of-frir aux enfants avec handicap l’accès à des activités de loisirs et de vacances, « comme les autres et avec ». A l’arrivée, c’est un film de soixante minutes, avec deux émouvants récits croisés qui en disent long sur le combat des parents d’enfants handicapés pour assurer les soins et la vie quotidienne ; accéder à des acti-vités de loisirs, des vacances ; faire reconnaître leurs droits… Face à la caméra, les parents, les frères et sœurs se confient, avec une « rare intensité », comme le souligne le réalisateur.

« Ils sont où ? »« L’enjeu dans notre commune, c’est que les

gens sachent. On veut une ouverture pour éviter le malaise », dit ainsi le père de Théo. « Ils sont où les handicapés ? interroge-t-il, pas beaucoup dans les écoles, ni dans le monde du travail. Mais moins ils seront avec nous, moins on saura être avec eux. »

Le Même Monde est aussi une belle occasionde découvrir les centres de loisirs et de vacan-ces portés par Loisirs Pluriel, qui accueillent enfants avec ou sans handicap. Ici, le vivre-en-semble n’est pas une utopie. « S’ils apprennent la différence en baignant dedans tout petits, elle deviendra naturelle pour eux, et j’espère que ça fera des adultes avec une plus grande ouverture d’esprit », raconte ainsi une femme qui a inscrit son fils « valide » à l’un de ces centres de loisirs singuliers. « Je ne savais pas qu’on pouvait faire autant de choses », sourit de son côté la maman d’un enfant handicapé.

La famille d’Antoine, qui vit près de Grenoble,se démène depuis plusieurs années pour monter une telle structure dans sa région. « On a besoin de bouffées d’air, de solutions à l’échelle de notre temps, pas celui des politiques », souli-gne le père. Mais les autorisations administra-tives se font attendre.

« Si tu es parent d’un enfant handicapé, tu n’aspas les mêmes droits que les autres, et tu es convaincu que c’est normal de ne pas avoir ces mêmes droits. Pour en sortir, il va falloir sollici-ter, quémander, remercier si on te donne quel-que chose. Et pour y arriver, il faut en plus être bon », résume Laurent Thomas, directeur de la fédération Loisirs Pluriel.

Profondément humain, en rien misérabiliste,ce documentaire est à voir de toute urgence. Une jolie occasion, comme l’a vécu lui-même le réalisateur, d’« aborder la question du vivre-ensemble entre handicapés et valides non plus comme une injonction morale, mais comme une expérience partagée, source d’enrichisse-ment pour tous ». p

« Le Même Monde », de Bertrand Hagenmuller. Dates de projection et commande du DVD (12 €) sur www.lemememonde.fr.

Les trois Christ d’Ypsilantisur une de celles qui sont le plus profondément inscrites en nous, la croyance en notre identité person-nelle. Mais, à moins de faire subir à quelques volontaires un lavage de cerveau tel qu’en connaissaient à l’époque certains prisonniers occidentaux retenus dans des prisons chinoises, il était difficile au cher-cheur de remettre en cause l’identité de quiconque et d’en étudier les conséquences. D’où l’idée, pour le moins surprenante, de confronter des schizophrènes se prenant… pour la même personne.

Lorsqu’il décida en 1958 de mettre sur pied cette expérience, Milton Rokeach travaillait dans le Michigan et il envoya des questionnaires à plu-sieurs hôpitaux psychiatriques de cet Etat. Pour s’apercevoir que, sur les quelque 25 000 malades mentaux qui y étaient recensés, « un tout petit nombre seulement souffrait d’identités imaginaires. Il n’y avait aucun Napoléon, aucun César, aucun Khrouchtchev, aucun Eisenhower parmi eux. » Mais il y avait trois Jésus-Christ. Il fut donc décidé de rassembler cette Sainte-Trinité d’un nouveau genre à l’hôpital d’Ypsilanti.

Le 1er juillet 1959, les trois hommes firent connaissance. Il y avait là Joseph Cassel, 58 ans, qui déclara en préam-bule « Je suis Dieu », Clyde Benson (70 ans, « J’ai créé Dieu ») et Leon Gabor (38 ans), surnommé Rex, car il se pré-sentait, en latin, comme « Roi des Rois et Docteur Dieu des Dieux ». « Il est également stipulé sur mon certificat de baptême que je suis la réincarnation de Jésus-Christ de Nazareth », précisa-t-il.

« C’est moi qui suis Lui »Ainsi que l’avait prévu Milton Ro-

keach, chacun s’aperçut qu’il y avait au moins deux Christ de trop dans la salle, ce qui provoqua des disputes violentes (« C’est moi qui suis Lui ! », hurla ainsi Clyde lors de la deuxième réunion), voire des débuts de pugilat où Jésus ne tendait pas spécialement la joue gauche quand on lui mettait une beigne sur la droite. Pourtant, l’équipe de recherche, qui voulait, en créant cette profonde discordance identitaire, déclencher un retour à la réalité chez au moins un des trois malades, en fut pour ses frais. Non seulement le divin trio se mit à éviter le sujet de l’identité, mais chacun élabora un système de défense plus

ou moins sophistiqué pour ne pas se remettre en cause. Ainsi, Joseph Cassel eut cette fulgurance : « Il n’y a qu’un seul Dieu, moi. Clyde et Rex sont des patients dans un hôpital psychia-trique, et le fait qu’ils sont des patients prouve qu’ils sont fous. »

Seul Leon évolua en adoptant un nouveau nom – Juste Pensant Fumier –, en mettant sa tête dans la cuvette des toilettes pour se débarras-ser des « interférences », en écrivant des rapports sur du papier hygiénique, en se mariant avec une femme yeti qu’il appela Dieu… Bref, il allait beau-coup mieux. Cependant, son extrême humilité témoignait qu’au plus pro-fond de lui il ne cessait d’être le Christ.

Les chercheurs eurent beau obligerles trois hommes à parler de religion et à travailler ensemble, voire les manipuler, toutes leurs tentatives échouèrent et l’expérience prit fin au bout de deux ans quand Milton Rokeach quitta le Michigan. Plus de vingt ans après cette expérience folle, il fit son mea culpa en recon-naissant qu’il n’était pas éthique d’in-terférer ainsi dans la vie quotidienne de ces malades et que, ce faisant, lui aussi s’était pris pour Dieu… p

« Sclerocephalus » régénérait ses membres

La salamandre est aujourd’hui le seul tétrapode capable de régénérer ses membres en entier. Elle présente aussi la particularité, lors de son déve-loppement, de faire pousser d’abord ses doigts antérieurs (chez l’homme, le pouce et l’index). Le 26 octobre, un article de Nature montre que ces

caractéristiques étaient déjà présentes chez des tétrapodes comme Sclerocephalus, qui vivaient il y a 290 millions d’années, 80 millions d’années avant l’apparition des premières salamandres. La capacité de régénération se serait perdue puis a été retrouvée sur le chemin de l’évolution. p

Menée par l’AméricainMilton Rokeach (1918-1988) entre 1959 et 1961,c’est une des expérien-

ces de psychologie les plus étranges du XXe siècle. Travaillant sur les croyances qui structurent l’être hu-main, Milton Rokeach s’interrogeait

Films et conférences« La lumière au prisme d’Augustin Fresnel »A l’occasion de l’Année internationale de la lumière, le Musée du Louvre, associé à l’Ecole polytechnique, fête la rencontre entre arts et science. Le 31 octobre, des films aborderont les thèmes de la lumière et de la peinture. Le 2 novembre, des conférences évoqueront, avec notamment deux Prix Nobel, plusieurs facettesde la lumière et de ses relations avec les arts.

> Accès libre aux conférences sur inscription.www.louvre.fr/progtems/2015-annee-internationale-de-la-lumiere.

Agenda

HWA JA GOETZ/MFN

a f f a i r e d e l o g i q u e

improbablologie

Pierre Barthélémy

Journaliste et blogueurPasseurdesciences.blog.lemonde.fr

Page 33: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

R E N D E Z - V O U S | SCIENCE & MÉDECINE | Mercredi 28 octobre 20150123 | 7

Martine Bungener, vouée aux « oubliés » de la santé

p o r t r a i t | Sociologue et économiste, cette directrice de recherche au CNRS a révélé l’importance des « aidants » et des associations

de malades pour le système de soins

Valse des prix des traitements de l’hépatite C

v i e d e s l a b o s

paul benkimoun

L’arrivée des nouveaux traitementsde l’hépatite C, les antiviraux d’actiondirecte (AAD), a été saluée comme unprogrès thérapeutique majeur dans

la prise en charge de cette infection qui tou-cherait 130 à 150 millions de personnes dans le monde (200 000 en France) et provoquerait 500 000 décès annuels (3 000 en France). Cependant, une étude publiée dans Lancet Global Health de novembre montre que leur prix de vente varie considérablement, et pas seulement entre pays à revenu élevé et ceux à revenu faible ou intermédiaire, mais au sein même de ces catégories.

Les AAD entraînent dans 90 % des cas une disparition du virus. Ils sont mieux tolérés que le traitement classique basé sur l’interféron et la ribavarine qui guérissait environ la moitié des patients. Mais les AAD sont très chers : 74 000 euros aux Etats-Unis pour trois mois de traitement et 41 000 euros en France (pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie). Les industriels font valoir leurs coûts de recherche et développement. Dans ce cadre, le groupe Gilead a racheté en 2011 Pharmasset, qui possédait des molécules dont l’une a donné le sofosbuvir (nom commercial : Sovaldi). Le montant de la transaction s’élevait à 9,7 mil-liards d’euros. Pour 2014, les ventes du sofos-buvir se sont élevées à 9,25 milliards d’euros.

« Chaque pays peut savoir que d’autres ont punégocier des tarifs plus avantageux, explique la docteure Isabelle Andrieux-Meyer, conseillère médicale à la Campagne d’accès de Médecins sans frontières (MSF) et coauteure de l’article. Notre questionnaire comportait cinq questions sur l’enregistrement des AAD, leur prix et les ta-rifs préférentiels. Une cinquantaine de membres du réseau travaillant avec l’OMS ont répondu. » L’enquête a porté sur une demi-douzaine d’AAD ou combinaisons d’AAD, avec des infor-mations pour 38 pays : 14 à revenu élevé, 20 à revenu intermédiaire et 4 à revenu faible.

« Des points aberrants »Les laboratoires pratiquent des prix différen-

ciés pour améliorer l’accès dans les pays pau-vres. Pas de surprise, donc, devant l’énorme écart entre le prix du sofosbuvir en Suisse (en-viron 18 500 euros) et celui appliqué en Inde ou au Pakistan (270 euros), ou sur le fait que le daclatasvir (Daklinza, de Bristol-Myers Squibb), vendu un peu moins de 13 500 euros en Alle-magne, coûte 85 fois moins cher en Egypte. En revanche, MSF met au jour de fortes disparités entre pays de niveaux de revenu comparables. Le prix du daclatasvir en Corée du Sud (1 000 euros) est 13 fois plus élevé en Allema-gne, tandis que celui du simeprevir (Olysio, de Janssen) passe de 8 300 euros en Espagne à 13 400 en Australie.

Il existe aussi des « points aberrants » dans lespays à revenu faible ou intermédiaire. La Côte d’Ivoire paie presque 3 fois plus cher le sofos-buvir que l’Inde, malgré un revenu notable-ment plus faible. L’Afrique du Sud acquitte une somme 6 fois plus élevée que le Brésil pour le simeprevir, tout en ayant un revenu plus faible. Gilead vend l’association ledipasvir-sofosbuvir 19 800 euros en Turquie, ce qui est plus cher que dans beaucoup de pays à revenu élevé. Comme l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Iran, le Mexique, le Pérou et l’Ukraine, la Turquie ne fait pas partie des pays où Gilead prévoit de si-gner des licences avec des génériqueurs locaux.

Les négociations se déroulant dans le plus grand secret, différentes hypothèses peuvent être émises sur ces disparités : personnalités appuyant les demandes de l’industriel, habi-leté des négociateurs, contreparties (en France,Gilead reverserait une partie du produit des ventes à partir d’un certain seuil), désir du la-boratoire de soigner son image de marque ou d’occuper un marché…

« Avoir un prix bas est une première étape, mais encore faut-il ensuite que les patients puis-sent le payer », souligne la docteure Andrieux-Meyer. Elle s’inquiète aussi des risques de si-tuation de monopole liés au retard que peuvent avoir les concurrents de Gilead. « Cela donne le sentiment d’être pieds et poings liés à la volonté d’une firme d’aller vite ou non. De très bonnes molécules arrivent sur le marché, mais MSF ne peut pas toujours les utiliser. » Et d’insis-ter : « Les recommandations de traitement de l’hépatite C changent rapidement. Faut-il en êtreréduit à ne recommander que ce qui est finan-cièrement accessible ? » Une question cruciale alors que beaucoup de programmes, outre les hépatites, doivent être étendus. p

florence rosier

Chez Martine Bungener, la cour-toisie naît d’une authentiqueattention à autrui. Un autruiqu’elle sonde dans ses compor-tements de recours aux soins.Qu’elle scrute dans sa diversité

sociale. Et qu’elle écoute, toujours, dans la singularité de son parcours de vie. « Je m’inté-resse aux histoires des gens. » C’est que cette directrice de recherche émérite au CNRS est, à 66 ans, autant sociologue qu’économiste de la santé.

Ce double regard fait l’originalité de sa tra-jectoire. D’autant que ce regard semble aimanté par les « oubliés » du système desanté. Ceux dont les maux ou les difficultés ont longtemps été négligés : les familles quis’occupent d’un proche atteint d’une mala-die mentale, par exemple. Mais aussi ceux dont la place ou les compétences sont long-temps restées méconnues, comme les asso-ciations de patients.

Quel ressort anime donc la chercheuse,dans cette croisade en faveur des personnes vulnérables ? « Au-delà de ma carrière univer-sitaire, j’ai voulu accompagner une transfor-mation sociale en santé. » Après des études secondaires « dans un lycée catho, pas un très bon souvenir », elle entreprend des études d’économie à l’université de Nanterre – un anavant Mai 68 – qu’elle complète très vite par un cursus de sociologie. « La médecine m’in-téressait, mais on m’a dit “ce n’est pas pour les femmes” ! A Nanterre, j’ai découvert un milieutrès vivant, avec de vrais débats. Cela m’a donné des clés pour comprendre un monde que j’ignorais, ayant vécu dans une familletraditionnelle. »

Sa rencontre avec le professeur Emile Levysera déterminante : il crée une option « éco-nomie de la santé », inédite en France. Puis, en 1971, il ouvre une unité de recherche : Mar-tine Bungener sera la première personne qu’ilrecrutera. En 1977, elle entre au CNRS. Des an-nées « exaltantes », à la fois marquées par deréels progrès médicaux et par une croissance massive des dépenses de santé. « Des Cassan-dre commençaient à s’inquiéter. J’ai voulu comprendre ces nouveaux comportements derecours aux soins. Nous avions une fantastiqueliberté de recherche. Je mesure ma chance. »

En 1986, Philippe Lazar, alors directeur del’Inserm, crée un laboratoire consacré à l’ana-lyse sociale de ces transformations dumonde de la santé, le Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, so-ciété (Cermes). Martine Bungener rejointcette structure. Elle contribue à sa vocation pluridisciplinaire avec sa première directrice,Claudine Herzlich. En 1997, elle en prend lesrênes jusqu’en 2009, consolidant l’édifice en recrutant des historiens, des anthropolo-gues… Ce laboratoire est devenu « un des cen-tres les plus importants dans son champ en Europe », selon son site.

« Martine Bungener est d’une génération àqui nous devons beaucoup. Elle a montré la lé-gitimité des sciences sociales dans le champde la santé », témoigne Patrick Castel, 41 ans, sociologue de la médecine (Sciences Po Pa-ris). « Les outils du sociologue sont un atout,confirme-t-elle. Si vous ignorez comment se passe une consultation médicale, par exem-ple, vous ratez des choses. »

« Dans les années 1980, nous étions unevingtaine à développer une approche multi-disciplinaire en santé, se souvient Gérard de Pouvourville, professeur en économie de lasanté à l’Essec. Il s’agissait de croiser nos re-gards en économie, sociologie, psychologie sociale, sciences politiques… » Dans ce petitgroupe, « Martine a été une pionnière ».

La société, relève Martine Bungener, nousenjoint d’être actifs, responsables, mus par laperformance individuelle. Ceux qui ne sont plus capables de répondre à cette injonction se tournent vers le système de santé. D’oùune tension entre deux demandes : l’une est médicale et technique ; l’autre est sociétale, c’est une demande d’accompagnement.« Cette tension, on ne la voit pas d’emblée. Elle conduit à s’interroger. Comment être efficace ?Qu’apporte ici le geste technique ? De quoi ont vraiment besoin les personnes âgées ou han-dicapées mentales, par exemple ? » Vertigi-neuses questions. D’autant que les progrès médicaux nous font vivre longtemps, tou-jours plus nombreux, avec une maladie chro-nique. « Cela a créé d’autres besoins. D’où lamontée des revendications associatives. »

Depuis 2008, elle préside le Groupe de ré-flexion avec les associations de malades(GRAM) de l’Inserm. « Martine a été une despremières à permettre l’interface entre lemonde de la recherche et les patients », se sou-vient Christian Saout, du Collectif interasso-ciatif sur la santé (CISS).

Martine Bungener s’est aussi intéressée à laplace des médecins généralistes dans le sys-tème de soins, par exemple dans la prise en charge des patients souffrant de cancers. Elle aidera beaucoup les généralistes à acquérirune culture scientifique. « Elle a contribué à

développer un vivier de jeunes chercheurs en médecine générale », dit Gérard de Pouvour-ville. Elle sera aussi déléguée à l’intégritéscientifique de l’Inserm.

Un de ses grands apports sera de révélerl’importance de l’engagement silencieux des familles, quand un des leurs souffre d’une af-fection chronique. « Elle a montré comment, sans cette solidarité familiale, le système de santé serait en grande difficulté », relève Chris-tian Saout. Au printemps, Martine Bungener acosigné avec Catherine Le Galès un livre, Alzheimer. Préserver ce qui importe (Presses universitaires de Rennes). Une réflexion sur

l’investissement des familles. « Au-delà de leur polyvalence, ces familles répondent à d’autresattentes, analyse la sociologue. Il s’agit de pré-server des moments où perdure ce qui impor-tait pour la personne avant la maladie. Le Prix Nobel d’économie Amartya Sen a montré la puissance de cette notion de “capabilité” : une façon valorisée d’agir, dans un contexte de li-berté de choix, pour décider ce qu’on préfère. »

« Je l’ai vue accompagner nos réflexions de pa-tients, dit Christian Saout. Elle apporte toujoursson éclairage avec humanité, fraternité, ja-mais d’une façon surplombante. Une façon d’être très pertinente et touchante. » Tous sa-

luent une femme « attentive à l’humain »,« d’une grande capacité d’écoute », « extrême-ment calme et amène, mais aussi très tenace dans ses projets ».

De fait, Martine Bungener dut bataillerferme pour faire entendre la voix des scien-ces humaines et sociales en santé. En 2001, leprofesseur Christian Bréchot, alors directeurgénéral de l’Inserm (il dirige aujourd’hui l’Institut Pasteur), la nommera au Comité d’orientation et de réflexion stratégiques de l’Inserm. « Réfléchie, conviviale et très fiable,elle y a été extrêmement utile. » « C’était une lutte incessante et policée », se souvient-elle, amusée.

Martine Bungener est une singulière al-liance de classicisme et d’anticonformisme, d’aménité et de pugnacité. Son franc-parler est salutaire : « En 1945, l’Assurance-maladie a créé les conditions d’un marché captif. Maiselle laissait aux médecins une grande autono-mie d’action ; et aux patients, la liberté dechoisir leur médecin. Aucun autre pays n’a faitcela ! rappelle-t-elle. Cette révolution est pour-tant passée sous silence par les médecins libé-raux, même par ceux qui avaient exercé avantl’avènement de la Sécurité sociale et qui ont vuleur patientèle et leurs revenus augmenter… » On aurait pu, note-t-elle, mettre en place uneforme de régulation – par l’Etat, les médecinsou les patients. Mais, peu à peu, ce beau sys-tème très libéral s’effrite. « Les médecins vi-vent aujourd’hui les réformes nécessairescomme la fin d’un âge d’or, dont ils n’avaientpas conscience. »

« J’ai beaucoup travaillé pour les pouvoirspublics, qui ont mis quinze ans à reconnaîtrel’importance des familles dans le système desoins, dit-elle. Aujourd’hui je souhaite m’in-vestir plus pour les associations. » p

« Les outils du sociologue sontun atout. Si vous ignorez comment

se passe une consultation médicale, vous ratez tout »

Martine Bungener, directrice de recherche émérite au CNRS. MAGALI DELPORTE POUR « LE MONDE »

Page 34: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

8 | 0123Mercredi 28 octobre 2015 | SCIENCE & MÉDECINE |

SOURCES : KOELMANS ET AL., NATURE COMMUNICATIONS, 3 SEPTEMBRE 2015INFOGRAPHIE : LE MONDE

Temps

(secondes)

Temps

(secondes)

La résistance électrique dérive dans le temps La résistance électrique ne varie pas dans le temps

Résistance électrique

Deux états

de la phase

amorphe

«0» état cristallin

Sept états

de mémoire

di�érents

Résistance électrique

0 10 100 1 000 0 10 100 1 000

Les atomes sont organisés

et o�rent une faible résistance

électrique

Les atomes sont très

désorganisés.

La résistance électrique

est plus forte

2. Lecture

2. Phase amorphe

1. Phase cristalline 1. Ecriture

Mémoire à changement de phase à deux états Mémoire à sept états stables dans le temps

Electrodes

Courant

électrique

Nitrure

de titane

Verre

de chalcogénures

Le courant préfère

passer dans le nitrure

plutôt que dans le verre

Fort courant

électrique

Courant électrique

50 fois plus faible

Création de zones amorphes

plus ou moins grosses

Verre

de chalcogénures

Langage

binaire

Langage

binaire

Courant

électrique

Sous l’e�et

de la température,

une partie du cristal

devient amorphe

« 1 »

« 0 »

On dit que les cordonniers sont tou-jours les plus mal chaussés. AuXXIe siècle, Internet prend très claire-ment la place du cordonnier dansl’optimisation des ressources. Il aug-mente sa propre consommation et

se met à gaspiller ses ressources, alors même qu’il a l’obsession de passer pour un gestionnaire parfait !

Internet souffre aussi d’une seconde contradiction.Il veut connecter tout objet et tout humain, alors quela connectivité dépend très fortement de la richesse du lieu à connecter. Ainsi, nous allons nous re-trouver avec des centres-villes denses, riches et ultra-connectés et des banlieues pauvres sans connexions.L’optimisation des ressources se fera davantage dansles lieux riches. Cela ne fera qu’accroître la fracture déjà existante entre de telles zones.

Revenons sur ces contradictions et les moyens d’ensortir. Les technologies du numérique offrent à une ressource (eau, électricité, air…) l’opportunité de communiquer son état pour la rendre plus « intelli-gente ». Il est alors possible de lui transmettre un besoin ou bien d’adapter ce dernier à la capacité dela ressource.

Ces ressources devenues communicantes ont lafaculté de se connecter à la Toile pour informer ou sefaire exploiter. La consommation d’eau, d’électricité et de nombre d’autres biens peut ainsi être régulée avec une meilleure précision.

Ces progrès considérables ont été rendus possiblesgrâce à Internet, qui permet d’interconnecter toutobjet et tout être humain quelle que soit sa localisa-tion. Toute information relevée quelque part dans le réseau est stockée dans des grands serveurs appelés data centers. Ces derniers ont grossi et sont devenus des entités excessivement gourmandes en énergie. En mai, la Royal Society de Londres a lancé une miseen garde sur la possibilité d’un black-out d’Interneten 2023 et sur l’incapacité de l’alimenter en électri-cité en 2035, s’il continue à grossir de la sorte.

Cette fuite en avant que représente la croissance duvolume d’informations à stocker provient de la faci-lité du numérique à relever et à générer de l’informa-tion, ainsi que de la réussite d’Internet en qualité d’in-frastructure et de couverture. Cet univers connecté ne cesse de croître et atteint une partie importante du monde moderne, au point de pourvoir connecter tout objet ou gadget comme le réfrigérateur, la ba-lance, le compteur électrique ou les lunettes.

Internet devient le réseau de transport de toute in-formation collectée. Tous les acteurs des ressources connectées ont le réflexe d’utiliser Internet pour com-muniquer l’information ou la positionner dans le « nuage », le cloud. Que l’information ait une utilité

globale ou non, elle emprunte des chemins parfois in-terminables pour être stockée et disponible partout. Quel intérêt peut-on trouver à enregistrer les données d’une balance connectée à Paris dans un data center situé en Oregon ? Ce stockage ne peut-il pas se faire localement, auprès de l’utilisateur ?

Quoi de plus logique, après tout, puisque dans tousles domaines de la vie quotidienne nous commen-çons à prendre conscience de la nécessité de con-sommer en local ? Mais Internet tombe dans le piègedu problème qu’il cherche à résoudre. Pour optimi-ser une ressource, il fait véhiculer l’information concernant cette ressource dans le cloud pour la trai-ter. Or, si le demandeur et le serveur de la ressource sont proches, il suffit de le signaler dans la zone où ils se trouvent, sans cette obligation du transportglobal de l’information.

Des solutions techniques commencent à apparaî-tre afin de mettre sur pied cet Internet local et parti-

cipatif. Elles sont très simples. Il suffit de connecter les objets et les humains en direct, sans traverser desclouds ou des data centers. Si l’intérêt des clouds est de banaliser le poste de travail et de retrouver l’infor-mation synchronisée sur tous nos appareils, il existedes solutions d’Internet et de cloud local (notre entreprise, Green Communications, en développe d’ailleurs une). L’idée est d’embarquer les services dela Toile à l’échelle de la maison, du quartier ou au-delà. Combiner le local et le global serait la solution parfaite pour améliorer les performances et la con-sommation énergétique d’Internet.

Par exemple, une personne se connecterait endirect à tous ses objets localement lorsqu’elle setrouve chez elle et, quand elle se trouve à l’extérieur,à l’Internet global. On peut également envisager de fournir un service ponctuel dans des zones denses,

telles que des stades, ou lors d’événements tempo-raires. Car leur couverture nécessite une forte densi-fication du réseau, accompagnée d’une localisation de l’information au plus près des spectateurs et des visiteurs. Avec de telles solutions, on peut envisager une ville intelligente avec une vie de quartier, et des données numériques circulant à l’intérieur de cette zone de proximité, sans traverser les clouds. Cela peut concerner l’échange de services sur un marché,une interactivité entre les locaux et les touristes, et toutes sortes d’animations qui peuvent se dérouler dans un quartier. Ces services sont possibles avec le modèle actuel d’Internet, mais avec un coût énergé-tique prohibitif !

Pour améliorer la connectivité partout et en toutlieu, qu’il soit riche ou pauvre, le modèle économi-que est fondé sur le profit qu’elle peut apporter. C’estainsi que la fibre optique ou l’ADSL ont été installées d’abord dans les zones densément peuplées et à fort potentiel économique. Face à ces contraintes et grâce à la miniaturisation et au développement del’Internet embarqué, il est possible de porter des équipements ou de les installer facilement pour créer un Internet local avec la participation d’un cer-tain nombre d’acteurs ayant un intérêt commun.

Ainsi, dans un quartier, un marché peut créer demanière spontanée un Internet local et participatif, et optimiser les échanges entre acheteurs et ven-deurs sans avoir à passer par un réseau d’infrastruc-tures lourdes fait d’antennes, de clouds et de data centers. Cet Internet sert également à mieux densi-fier un réseau à moindre coût. Il permet de complé-ter l’infrastructure globale par un réseau local, embarqué et efficace, et à un coût marginal.

Il faut donc défendre les initiatives qui commen-cent à émerger, qui sont des solutions distribuées et qui poussent le contenu au plus près de l’utilisa-teur afin qu’il consomme le minimum de ressourcesdu réseau.

D’un point de vue technique et opérationnel, il estplus tentant pour le gestionnaire d’une infrastruc-ture Internet (opérateur, fournisseur d’accès…) d’uti-liser des solutions centralisées. Cependant, la crois-sance extraordinaire de l’utilisation d’Internet nous oblige à penser à distribuer les contenus et à décen-traliser la gestion du réseau. Ces solutions sont plus complexes à réaliser mais indispensables pour lamodernisation d’Internet. p

« Quel intérêt peut-on trouverà enregistrer les données

d’une balance connectée à Paris

dans un data center situé

en Oregon ? Ce stockage

ne peut-il pas se faire localement,

auprès de l’utilisateur ? »

¶Khaldoun Al Agha,

PDG de Green Communications

et professeur détachéde l’université Paris-

Sud (Orsay).

Pour le chercheur Khaldoun Al Agha, fondateur de Green Communications, face à un réseau trop gourmandet mondialisé, l’avenir est à l’optimisation des ressources en connectant les objets et les humains en direct

Déglobaliser Internet| t r i b u n e |

Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]

Un matériau qui ne perd pas la mémoireLa technologie Flash (celle des clés USB ou des cartes d’appareils photo) domine le marché des mémoires informatiques, et la recherche s’efforce de la défier. Les laboratoires d’IBM, à Zurich, viennent ainsi de fabriquer un nouveau système de stockage rapide. Celui-ci repose sur une « vieille » idée, les matériaux à changement de phase, dont la résistance électrique change selon qu’ils sont dans l’état ordonné, c’est-à-dire cristallin, ou dans une phase désordonnée dite « amorphe ». Ces chalcogénures, déjà utilisés dans les CD et DVD optiques, ont servi dans la production de mémoires de 2009 à 2013.La résistance varie selon la taille de la phase amorphe. A chaque valeur peut correspondre un état informatique : 0 ou 1, mais aussi 01 ou 11 ou 00 ou 10, voire 000, 010, 110… Cela augmente la densité d’information stockable. Or, la résistance des états amorphes dérive avec le temps : la mémoire se perd !Les chercheurs d’IBM ont corrigé ce défaut grâce à un second matériau qui découple la lecture et l’écriture. Lors de cette dernière, le courant « contourne » la zone amorphe et ne la perturbe pas, évitant la dérive. « La solution est très astucieuse. Un bémol serait l’écart plus faible entre les différents états, rendant plus délicate la lecture », estime Luca Perniola, responsable du laboratoire mémoires avancées du CEA-Leti à Grenoble. p

david larousserie

Page 35: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

Cahier du « Monde » No 22015 daté Mercredi 28 octobre 2015 - Ne peut être vendu séparément

NUMÉRIQUEPARIS ET BERLIN

SE MOBILISENT POUR

FINANCER LES START-UP

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CONSTRUCTIONLE TANDEM ROVERATO-ROCHE ASSURERA UN INTÉRIM DE QUATRE MOIS À LA TÊTE D’EIFFAGE→ LIRE PAGE 5

PERTES & PROFITS | FNAC-DARTY

Contrat de confiance

La très intello Fédération nationaled’achat des cadres (Fnac) veut se ma-rier avec le premier vendeur de machi-nes à laver de France, Darty. La bour-

geoise du Châtelet avec le gamin de Montreuil.La demande a été faite, mais l’union est loind’être consommée, ni même signée. Darty se fait tirer l’oreille. Inventeur du concept, le groupe exige un contrat de confiance en béton.

Pour emporter le morceau, la Fnac a couchésur le papier les termes de leur futur ménage. Ou plutôt les avantages que retireraient les deux partenaires de leur vie commune. Ce sont les fameuses synergies. Les experts d’EY (ex-Ernst & Young) les ont listées. Economiessur les achats de produits en commun, commeles téléviseurs, regroupement de la logistique, de l’informatique et autres fonctions support.Enfin, regroupement des sièges sociaux et co-tation en Bourse unique. Du grand classique.

Part de risqueAutrement dit, unifier ce qui ne se voit pas mais conserver, en l’état, ce que voit le client :les magasins, les vendeurs, les produits. La moitié des ventes de la Fnac est constituée de « produits techniques », téléviseurs, ordina-teurs, téléphones, également vendus chezDarty. Il y a donc certainement de belles écono-mies à réaliser. Plus de 85 millions d’euros par an, promet la marque jaune et noir.

Pas si simple. Fnac et Darty sont, avec quel-ques autres comme Ikea ou Decathlon, les mar-ques les plus familières des Français. Celles aux-

quelles on pense spontanément pour changer sa télévision ou son réfrigérateur et chez qui onvient parfois flâner pour le plaisir le week-end.

Les mariages comportent toujours une partde risque, surtout s’ils assemblent des person-nalités aux caractères aussi différents. Il suffit de côtoyer l’atmosphère cosy et chaleureuse de la Fnac pour mesurer la distance qui la sé-pare de l’ambiance immaculée et efficace de Darty. Culture et produits bruns d’un côté, cui-sine et grand blanc de l’autre.

Les économistes et les psychologues ont étu-dié depuis longtemps la logique des « apparie-ments asymétriques » entre le prince et la ber-gère. Ils sont porteurs de grandes promesses, decréativité et d’innovation, mais aussi de grandsrisques. Celui de basculer de la complémenta-rité des débuts à l’opposition des personnalités.

Généralement, ces rapprochements sontplus fréquents dans les périodes troublées, où le besoin de changement est plus impérieux. C’est justement le cas aujourd’hui. Le barbare àla porte du commerce de spécialité s’appelle Amazon. Il grignote progressivement toutes les catégories de produits. La Fnac le connaîtpar cœur, cet Américain aux dents longues quimange ses livres et ses disques. Dans un métieren déflation permanente et sans croissance – ilsuffit de voir les rayons télé ou photo pour s’enpersuader – et aux marges squelettiques (2 % dans les bonnes années pour la Fnac), un ma-riage, même arrangé, peut apparaître comme la moins mauvaise des solutions. p

philippe escande

J CAC 40 | 4 878 PTS – 0,38 %

J DOW JONES | 17 623 PTS – 0,13 %

j EURO-DOLLAR | 1,1057

J PÉTROLE | 47,06 $ LE BARIL

J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,83 %

VALEURS AU 27/10 - 9 H 30

Diabète :Sanofi attaqué de toutes parts

C’ est l’insuline la plusvendue dans le mondeet l’un des plus grands

blockbusters de l’histoire de la pharmacie. Le Lantus a rapporté à son fabricant, Sanofi, près de 35 milliards d’euros en dix ans,avec des ventes supérieures à6 milliards en 2014. Au cin-quième rang des médicamentsles plus vendus dans le monde, cet antidiabétique est l’un des pi-liers du groupe français, dont le chiffre d’affaires s’est élevé à 33 milliards d’euros en 2014 et dont les résultats trimestriels se-ront publiés jeudi 29 octobre.

Mais la success story est finie. Auprintemps, le brevet qui proté-geait le principe actif du Lantus – l’insuline glargine – est tombé. La première copie low cost – l’Abasaglar – a été lancée cet été enEurope par l’américain Eli Lilly et l’allemand Boehringer Ingelheim. Commercialisée en Allemagne et au Royaume-Uni, elle est vendue de 15 % à 20 % moins cher que le Lantus et, en France, où elle arri-vera bientôt, la décote sera d’au moins 30 %.

Aux Etats-Unis, où sont réalisésles deux tiers des ventes du Lan-tus, Sanofi a gagné un peu de temps. Après avoir attaqué Eli Lilly en justice pour contrefaçonde brevet, le groupe a conclu un accord avec son concurrent fixant au 15 décembre 2016 le lan-cement du biosimilaire.

chloé hecketsweiler

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33MILLIARDS D’EUROS

C’EST LE CHIFFRE D’AFFAIRES

RÉALISÉ PAR SANOFI EN 2014

Fram a enchaînéles pertes ces dernières années.ULRICH LEBEUF/MYOP

Dépôt de bilan inéluctable pour Fram

▶ Le voyagisteva être placéen redressement judiciaire▶ Fondé en 1949, Fram emploie 670 personnes▶ Le voyagistenégocie sa reprise par Karavel,propriétairede Promovacances

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La Fed toujours plus tirailléeentre hausse des taux et statu quo▶ Le débat fait rage au sein de la banque centrale américaine, dont la décision est attendue mercredi 28 octobre

P our la planète finance, c’est l’évé-nement majeur de la semaine.Mercredi 28 octobre, à l’issue

d’une réunion de deux jours, la Réserve fédérale américaine (Fed, banque cen-trale) dévoilera sa décision d’augmenterou non ses taux directeurs, proches dezéro depuis 2008.

Si les économistes estiment qu’elle de-vrait opter pour le statu quo, chaque motdu communiqué publié mercredi serapesé par les analystes. Ce texte devrait eneffet révéler si la Fed ouvre la porte à unehausse de ses taux lors de sa prochaine réunion, les 15 et 16 décembre, ou si elle lareporte à 2016.

Une décision majeure, car elle aura desrépercussions sur l’ensemble des placesboursières, sur la stabilité financière des pays émergents, et peut-être même sur lavigueur de la reprise mondiale.

Les membres du comité de la banquecentrale (FOMC) semblent en tout cas di-visés. Certains estiment qu’il faut aug-

menter les taux, car les Etats-Unis se trouvent en situation de quasi-plein-em-ploi et parce que l’inflation reste tropbasse. D’autres jugent que le risque d’un ralentissement est actuellement trop im-portant, compte tenu, notamment, de la décélération de la croissance chinoise. p

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Page 36: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

2 | plein cadre MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

LA COMMISSION EUROPÉENNE

A FAILLI À SA MISSION DE GARDIENNE

DES TRAITÉS

bruxelles - bureau européen

Certains ont eu du mal à s’y ré-soudre, mais les 44 eurodépu-tés membres de la commissionspéciale « Taxe » du Parlementeuropéen ont quand même si-gné symboliquement la fin de

leur mission, lundi 26 octobre au soir, à Stras-bourg, en adoptant leur rapport final à 34 voix pour, 3 contre et 7 abstentions. Près d’un an après les révélations « LuxLeaks », ce texte, résultat de huit mois d’enquêtes et d’auditions, ne contient aucune révélation fracassante mais jette à nouveau une lumière crue sur les gros cadeaux fiscaux que nombred’administrations européennes continuent d’offrir aux entreprises, et notamment auxmultinationales.

Il est fondé sur une étude approfondie despratiques de la Belgique, du Luxembourg, duRoyaume-Uni, de l’Irlande, des Pays-Bas et dela Suisse – les « usual suspects », comme on dit à Bruxelles, des pays qui, de longue date, ont mis en place les politiques fiscales les plus moralement contestables.

« USUAL SUSPECTS »Mais le rapport pointe d’abord la responsabi-lité de la Commission européenne. Elle a failli à sa mission de gardienne des traités,alors que les Etats membres de l’Union euro-péenne (UE) ne se tenaient pas informés des accords fiscaux qu’ils signaient avec les mul-tinationales – les fameux « rulings », ou « res-crits » en français –, malgré l’existence de plu-sieurs textes européens les y obligeant (le premier du genre date de 1977…).

Le rapport égrène aussi des recommanda-tions : créer un cadre juridique protecteurdes lanceurs d’alerte qui risquent de perdreleur emploi suite à leurs révélations, imposerle « reporting pays par pays » pour les multi-nationales – il s’agit de la publication de leursprofits filiale par filiale –, établir une même définition de l’assiette de l’impôt pour les so-ciétés partout dans l’UE. Des textes dontl’adoption est bloquée depuis des années parles… « usual suspects ».

Les eurodéputés réclament encore que lacommissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, qui vient de déclarer il-légaux deux rulings – ceux de Starbucks aux Pays-Bas et de Fiat au Luxembourg –, disposede plus de moyens pour éplucher les centai-nes d’autres qui pourraient aussi constituerdes aides d’Etat abusives. La Danoise, qui s’est lancée dans cette croisade avec détermi-nation, dispose d’une dizaine de spécialistes tout au plus…

Les Verts, qui ont été à l’origine de cettecommission « Taxe », espèrent toujours uneprolongation de son mandat pour obtenir des preuves et établir des responsabilités,notamment celle de Jean-Claude Juncker, ex-premier ministre du Luxembourg (de 1995 à 2013), devenu président de la Commission européenne quelques jours avant les révéla-tions LuxLeaks pointant les pratiques duGrand-Duché.

Mais globalement, toutes couleurs politi-ques confondues, les membres de « Taxe » sont satisfaits : leur rapport est « bon », pour le Belge Philippe Lamberts ou l’Allemand Sven Giegold, chefs de file des Verts. « J’avais peur qu’on perde notre temps en palabres inu-tiles, mais la mayonnaise a pris », dit la Fran-çaise Eva Joly, elle aussi membre de Taxe.

De fait, les proches du M. Juncker ont réussià désamorcer la machine de guerre qu’auraitpu devenir cette émanation parlementaire. Ils ont eu chaud, car, début 2015, quand les Verts ont voulu réagir à LuxLeaks, c’estd’abord le projet d’une commission d’en-quête, symboliquement beaucoup plus stig-matisante, qu’ils défendaient. Avec succès :une partie des élus sociaux-démocrates, et, pire pour M. Juncker, une vingtaine d’élus desa famille politique des conservateurs euro-péens, avaient rejoint la fronde…

Mais le président du Parlement, le social-démocrate allemand Martin Schulz, voulait à tout prix éviter une entreprise de « Juncker bashing », risquant d’alimenter le discours des eurosceptiques entrés en force au sein del’Assemblée à l’issue des élections de mai 2014. La commission d’enquête a été « commuée » en commission « spéciale » ;

tés, de voir qui s’oppose à la fin de certaines dispositions fiscales abusives », regrette M. Giegold, qui compte bien obtenir ces do-cuments un jour.

Lui et ses collègues disent avoir pas mal ap-pris de ces quelques mois à Taxe. « J’ai été frappée de constater, lors de nos déplace-ments, que les administrations fiscalesn’étaient pas préoccupées par l’impact des ru-lings sur leurs rentrées fiscales ni sur celles des pays voisins », raconte l’élue sociale-démo-crate portugaise Elisa Ferreira. Eva Joly, pour-tant une bonne connaisseuse des dossiers fi-nanciers, dit avoir découvert avec intérêt l’existence du groupe « code de conduite ».

« MAINTENIR L’ATTENTION MÉDIATIQUE »M. Lamassoure précise que cet organe a été mis en place en 1998, « parce qu’avec l’adop-tion de l’euro on allait mettre fin au dumping monétaire, et qu’on voulait faire la même chose avec le dumping fiscal. Mais, l’introduc-tion de la monnaie unique s’étant bien passée,la volonté politique s’est perdue. Du coup, ce groupe de travail, c’est devenu la Belle au bois dormant ».

Si Taxe devrait être bientôt dissoute (aprèsun vote final en plénière de son rapport, pro-bablement fin novembre), ses participants souhaitent prolonger l’expérience d’une ma-nière ou d’une autre. M. Lamassoure veut« maintenir l’attention médiatique, pour qu’enfin les pays membres adoptent l’assiette commune et consolidée pour l’impôt sur les sociétés [une définition commune de la base imposable] ».

Il ne se fait pas d’illusions : les avancées fis-cales requièrent l’unanimité des Etats mem-bres. M. Moscovici a déjà eu du mal à l’obte-nir pour sa directive sur l’échange automati-que et obligatoire des rulings entre fiscs na-tionaux – elle a finalement été adoptée débutoctobre –, et ce malgré le scandale LuxLeaks.

Mme Ferreira défend, elle, la création d’unsous-groupe au sein de la commission per-manente ECON (affaires économiques) du Parlement. Une équipe d’eurodéputés a été sensibilisée pendant huit mois à cette ma-tière très technique qu’est la fiscalité. Il faut qu’elle perdure, « pour maintenir le sujet au cœur de l’agenda de l’UE », dit l’élue socialiste pour, par exemple, s’assurer que les réformes annoncées soient effectivement appliquées. Et vérifier, comme le relève M. Lamassoure, sil’Irlande ne s’est pas contentée de remplacerun gros cadeau par un autre, en annonçant avec fracas, fin 2014, la fin de son régime du« Double Irish », un dispositif d’optimisation fiscale largement critiqué. p

cécile ducourtieux

avec presque les mêmes moyens (un secréta-riat, un budget conséquent) mais moins devisibilité médiatique.

Pour autant, Taxe n’a pas été neutralisée.D’abord, parce que la Commission Juncker a joué le jeu, préférant aller de l’avant, faire de l’équité fiscale son nouveau cheval de bataille,plutôt que de continuer à prêter le flanc à la critique. Les commissaires Vestager, et Pierre Moscovici (à l’économie) ont été auditionnés par Taxe, et ils ont mené avec zèle leur travail de gendarme pour la première, de législateur pour le deuxième.

Surtout, le conservateur français Alain La-massoure, président de Taxe, a su jouer sapartition. N’ayant ni intérêt à enfoncerM. Juncker, membre de sa famille politique, ni à enterrer cette commission spéciale, il a compris que la présider avec doigté était la meilleure manière d’exister dans un Hémi-cycle empli d’ego en mal de reconnaissance.

A en croire ses collègues, l’eurodéputé (qua-siment sans interruption depuis 1989) n’apas ménagé sa peine, activant ses réseaux et son expérience d’ex-ministre du budget dugouvernement Juppé (entre 1995 et 1997).Grâce à lui, les élus ont pu, dans chaque pays visité, obtenir des rendez-vous avec les mi-nistres et les chefs des administrations fisca-les concernées, malgré le fait que Taxe ne dis-posait d’aucun pouvoir d’injonction.

Dans un premier temps, la plupart des mul-tinationales sollicitées ont refusé d’être audi-tionnées. Qu’importe, l’élu conservateur nes’est pas démonté et a menacé de priver leurslobbyistes du badge d’accès au Parlementeuropéen. Cela semble avoir été efficace :Google et Facebook ont accepté unedeuxième chance, une audition le 16 no-vembre, « les autres, Walt Disney, Ikea, etc., de-vraient suivre », veut croire M. Lamassoure.

Même scénario ou presque pour l’accèsaux documents du groupe « code de con-duite », cette obscure émanation du Conseil européen, censée traquer les pratiques en-gendrant une concurrence fiscale « domma-geable ». La Commission européenne, qui dé-tient ces textes, a d’abord dit non, puis en-trouvert la porte : M. Lamassoure a obtenu qu’une quinzaine d’élus de Taxe aient accès àune grosse vingtaine de textes, 800 pages entout, durant quinze jours, en octobre. Il a tou-tefois fallu les consulter dans une pièce sécu-risée, avec interdiction de prendre des pho-tos ou d’emporter de notes.

Un bémol à cette bonne volonté : les minu-tes des réunions du groupe « code de con-duite », avec les prises de position des diffé-rents pays, n’ont pas été divulguées. « Elles nous permettraient d’établir les responsabili-

Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, le 17 septembre à Bruxelles. A droite, Pierre Moscovici, chargé des affaires économiques ; à gauche, Alain Lamassoure,le président de la commission spéciale « Taxe ».YVES HERMAN/REUTERS

Clap de fin pour la commission « Taxe »Chargée, à la suite de l’affaire « LuxLeaks », d’enquêter sur les cadeaux fiscaux accordés par certains Etats aux multinationales, la commission spéciale du Parlement européen a délivré ses recommandations

Page 37: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 économie & entreprise | 3

La Réserve fédérale en pleine confusionLa banque centrale américaine doit décider, le 28 octobre, si elle relève ses taux. Le débat fait rage en interne

Pour la planète finance,c’est l’événement ma-jeur de la semaine. Mer-credi 28 octobre, à l’issue

d’une réunion de deux jours, la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale) dévoilera sa dé-cision concernant ses taux direc-teurs, proches de zéro depuis 2008. Comme c’est le cas une fois sur deux, cette réunion ne sera pas suivie d’une conférence de presse de Janet Yellen, la prési-dente de l’institution, mais d’unsimple communiqué.

Si les économistes estiment quele comité de politique monétaire (le FOMC) devrait opter pour le statu quo, chaque mot du docu-ment publié mercredi par la Fed sera pesé par les analystes. Ce textedevrait, en effet, révéler si la ban-que centrale ouvre la porte à une hausse des taux lors de sa pro-chaine réunion, les 15 et 16 décem-bre, ou si elle la reporte à 2016.

Une décision majeure, car elleaura des répercussions sur l’en-semble des places boursières, surla stabilité financière des paysémergents, et peut-être mêmesur la vigueur de la reprise mon-diale. « Tous les scénarios sont pos-sibles, car ces dernières semaines, la banque centrale américaines’est montrée plutôt confuse sur le sujet », estime Evariste Lefeuvre,

chef économiste pour l’Amérique du Nord chez Natixis, à New York.

Depuis le 17 septembre, les in-vestisseurs ne savent plus sur quel pied danser. Ce jour-là, leFOMC a choisi de ne pas relever ses taux, évoquant les turbulen-ces traversées par l’économie mondiale, notamment en Chine.« En théorie, la Fed n’est pourtant pas censée se référer à la conjonc-ture extérieure pour fonder ses dé-cisions : elle s’est placée toute seuledans l’embarras », estime M. Le-feuvre. « Elle est aujourd’hui dans une situation très inconfortable et ce, pour bien d’autres raisons », ajoute Christophe Boucher, éco-nomiste à Paris-X-Nanterre.

La première tient aux déclara-tions faites par Mario Draghi, jeudi22 octobre. Le président de la Ban-que centrale européenne (BCE) s’est montré déterminé à prendre de nouvelles mesures en décem-bre afin de soutenir la croissance européenne et affaiblir l’euro, tel-les que des achats supplémentai-res de dettes publiques.

Ce n’est pas tout. Le 23 octobre, labanque centrale de Chine a baissé plusieurs de ses taux d’intérêt pour pallier le ralentissement de l’économie du pays. Et la Banque du Japon, qui se réunit le 30 octo-bre, pourrait aussi augmenter ses injections de liquidités dans l’éco-nomie de l’Archipel. « Autrementdit, la Fed est la seule grande ban-que centrale à envisager de relever ses taux, alors toutes les autres op-tent pour de nouvelles mesures de relance », analyse Alexandra Es-tiot, chez BNP Paribas.

L’ennui, c’est que cette diver-gence des politiques monétaires pousse le dollar à la hausse faceaux autres devises. Or, un billet vert plus fort fait mécanique-ment baisser les prix des produitsimportés et donc, l’inflation amé-ricaine, que la Fed peine déjà à ti-rer vers sa cible de 2 %.

« Peut-être, mais le ralentisse-ment chinois a finalement un im-pact limité sur les Etats-Unis, carleurs exportations vers l’empire du Milieu ne représentent que 0,8 %

du produit intérieur brut [PIB] »,nuance Dan Roberts, gérant de fonds à la banque Nordea. Selon lui, l’économie américaine, sortie de la récession il a cinq ans, est aujourd’hui suffisamment ro-buste pour supporter une hausse des taux dès décembre.

« Un paysage contrasté »

S’il est vrai que le taux de chômageest au plus bas, d’autres indica-teurs offrent néanmoins un ta-bleau plus nuancé, ce qui compli-que le choix de la Fed. Le taux de participation, c’est-à-dire la pro-portion de la population qui a un emploi ou en cherche effective-ment un, était ainsi de 62,4 % seu-lement en septembre. Le nombre de « chômeurs cachés », sortis des statistiques officielles du chô-mage, est donc très élevé.

De même, l’évolution des salai-res reste faible. Et d’après les éco-nomistes, le PIB du troisième tri-mestre, publié jeudi 29 octobre, devrait s’établir autour de + 1,5 %seulement, contre + 3,9 % au deuxième trimestre. « Difficile,dans ce paysage contrasté, de dé-

terminer s’il est vraiment oppor-tun de relever les taux dès mainte-nant », reconnaît M. Boucher.

Les membres de la Fed sont plusdivisés que jamais sur le sujet. De-puis la crise, les présidents des douze antennes régionales de l’institution n’hésitent pas à faire part de leurs désaccords dans les médias – seuls quatre d’entre eux

prennent part aux votes du FOMC, par un système de rotationannuel. Les sept membres du con-seil des gouverneurs (deux postessont actuellement vacants), eux, se montrent en général bien plus prudents. Pour ne pas dire muets.

Or, ces dernières semaines,deux d’entre eux, Lael Brainard et Daniel Tarullo, ont publiquement

exprimé leurs réticences face à unrelèvement des taux dès cette an-née, tandis que Mme Yellen et son vice-président, Stanley Fischer,ont répété qu’une hausse en dé-cembre était souhaitable. Les pre-miers estiment également que le plein-emploi ne déclenche plusautomatiquement la hausse des prix, comme autrefois, tandis queles seconds jugent que c’est en-core le cas… « Le conseil ne s’est ja-mais affiché aussi divisé », cons-tate Mme Estiot. « L’une des mis-sions de la présidente sera de gérerces dissensions sans mettre à malsa crédibilité », ajoute M. Boucher.

Pour gagner du temps, la Fedpourrait publier un communiqué identique à celui de septembre. Ou ôter la référence aux « déve-loppements » de la conjoncturemondiale. Et ce, afin de rappeleraux marchés que sa décision de décembre dépendra surtout de statistiques américaines publiées d’ici là, notamment sur le marché du travail. Sans amélioration sur ce front, la hausse des taux atten-dra probablement 2016… p

marie charrel

Les grandes entreprises américaines commencent à ralentirLe dollar fort et la décélération chinoise pèsent sur les résultats des multinationales, qui tablent sur la demande intérieure pour résister

new york - correspondant

L es craintes de la Réserve fé-dérale (banque centrale,Fed) à propos de l’impact

du ralentissement mondial et de la force du dollar sur l’économieaméricaine sont-elles en train dese confirmer ? En tout cas, les grandes entreprises américainescommencent à ressentir les effets de ces facteurs exogènes sur leursrésultats. Ces nuages s’amoncel-lent au moment où la banque cen-trale envisage de relever ses taux d’intérêt pour la première fois de-puis 2006.

Il est évidement trop tôt pour ti-rer des conclusions définitives : seules un tiers des entreprises du S&P 500 ont publié jusqu’à pré-sent leurs résultats du troi-sième trimestre et pas moins de 150 groupes vont communiquer les leurs dans la semaine du 26 octobre. Mais les premières in-

dications ne sont guère encoura-geantes, notamment pour le sec-teur industriel.

Thomson Reuters prévoit que lebénéfice par action, le mètre éta-lon à Wall Street, va baisser de2,8 % par rapport au troisième tri-mestre 2014. Si ce chiffre se confir-mait, il s’agirait de la première chute des bénéfices des entrepri-ses américaines depuis 2009,c’est-à-dire le début de la repriseéconomique aux Etats-Unis. Quant aux chiffres d’affaires, ilspourraient afficher leur qua-trième baisse globale consécutive en quatre trimestres, à – 4 %.

La dernière étude de la NationalAssociation of Business Econo-mics, publiée lundi 26 octobre,montre que si les anticipationsdes économistes sur le climat desentreprises américaines restent positives, « plusieurs indicateurssont orientés à la baisse pour letroisième et le quatrième trimes-

tre, explique Jim Diffley, le res-ponsable de la publication. De-puis la dernière étude, en juillet,les entreprises interrogées antici-pent un ralentissement de la croissance des profits, des prix,des salaires, des investissementset de l’emploi ».

« Retour de flamme »

Les acteurs qui souffrent le plus sont ceux qui sont exposés à l’in-ternational. Caterpillar est un exemple assez symptomatique.Le fabricant d’engins de chantier prévoit une chute de ses ventes de13 % cette année, puis encore de 5 % en 2016. « Le cycle de crois-sance dans les matières premières, tiré par la Chine, a fait grimperbeaucoup de chose dans le monde.Maintenant, nous subissons le re-tour de flamme de ce phéno-mène », a déploré Doug Oberhel-man, le PDG de Caterpillar, lors dela présentation des résultats du

troisième trimestre, le 22 octobre.En 2016, le chiffre d’affaires de

Caterpillar devrait être inférieurd’un tiers par rapport à ce qu’ilétait à son sommet de 2012, qui avait alors atteint 65,9 milliardsde dollars (59,5 milliards d’euros).Il y a trois ans, dans son usine del’Illinois, le groupe fabriquait en-core 1 500 camions pour l’indus-trie minière. Aujourd’hui, la pro-duction a chuté de plus de 80 %. Une situation qui a amené le groupe à annoncer en septembrela suppression de 10 000 em-plois.

Pour d’autres poids lourds duS&P 500, c’est la montée du dol-lar par rapport aux autres devisesqui pèse sur leurs résultats. Le fa-bricant de produits d’hygièneKimberly-Clark a ainsi indiquéque les effets de change devraiententraîner cette année une chute de 25 % de son bénéfice. Mêmechose pour le groupe pharma-

ceutique Johnson & Johnson, qui,lui, anticipe une baisse de 7 %. Merck et Pfizer, qui publientleurs résultats cette semaine, de-vraient se retrouver dans lemême cas de figure.

Très attendus également cettesemaine, les résultats des compa-gnies pétrolières, avec en tête Exxon Mobil et Chevron, qui de-vraient subir une sévère décrueen raison de la dégringolade des prix du baril. Thomson Reuters s’attend dans ce secteur à des chiffres d’affaires en baisse de30 % et des bénéfices en recul de65 % par rapport à la même pé-riode de 2014.

Pour beaucoup de grands grou-pes américains, la bonne santé de l’économie aux Etats-Unis ne par-vient plus à compenser ces fac-teurs exogènes. United Technolo-gies, qui fabrique notamment lesascenseurs Otis, vient d’annoncerune baisse de 19 % de ses ventes

en Chine en raison de l’affaisse-ment du secteur de la construc-tion dans ce pays.

La question pour la Fed estmaintenant de savoir quel va être l’impact macroéconomique deces résultats sur la solidité de lacroissance américaine. Sur ce plan, les signaux ne sont pas con-vergents. Si l’indice de la produc-tion manufacturière a donné des signes de faiblesse en septembre,avec la plus faible progression en deux ans, en revanche, l’indice des responsables d’achat du sec-teur industriel a connu en octobresa meilleure performance depuismai, démontrant que la demande intérieure aux Etats-Unis reste forte. Mais pour combien de temps encore ? La publicationjeudi de la première estimation de la croissance du PIB américain au troisième trimestre apportera un début de réponse. p

stéphane lauer

Bourses,

pays émergents,

croissance

mondiale : la

décision de la Fed

aura de fortes

répercussions

Au New York Stock Exchange, le 17 septembre, lors d’une conférence de presse de Janet Yellen, la présidente de la Fed. A. BURTON/AFP

LES CHIFFRES

7Le nombre de membres du con-seil des gouverneurs de la Ré-serve fédérale américaine (Fed), dont la présidente de l’institu-tion monétaire, Janet Yellen.

12Le nombre de personnes qui siè-gent au comité de politique mo-nétaire (FOMC) de la Fed : les membres du conseil des gouver-neurs, le président de la Fed de New York et quatre présidents d’antennes régionales (l’institu-tion en compte douze), qui tour-nent tous les ans. Le FOMC se réunit huit fois au cours d’une année et il vote à la majorité.

3 600Le montant, en milliards de dol-lars (3 255 milliards d’euros), des liquidités injectées par la Fed dans l’économie depuis 2008.

SOURCE : BLOOMBERG

1er JANVIER 2006 26 OCTOBRE 2015

Plat

ÉVOLUTION DU TAUX DIRECTEUR DE LA RÉSERVE FÉDÉRALE AMÉRICAINE

EN %

0,25

5,25

4,25

Page 38: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

4 | économie & entreprise MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Paris et Berlin misent sur l’Europe du numériqueLa France et l’Allemagne annoncent des financements publics et privés spécialement consacrés aux start-up

Une alliance franco-al-lemande pour accélé-rer la transformationdigitale en Europe. En

organisant, mardi 27 octobre à l’Elysée, une conférence numéri-que en présence de François Hol-lande, de la chancelière alle-mande, Angela Merkel, et du pré-sident de la Commission euro-péenne, Jean-Claude Juncker,Paris et Berlin marquent leur vo-lonté d’être le moteur de cetteévolution. Outre la présentation d’innovations concrètes, la jour-née devait être marquée par la si-gnature de deux accords pour le financement des start-up, l’un as-sociant des acteurs privés, l’autre des établissements publics.

Ainsi, Gerhard Cromme, le prési-dent de Siemens, Maurice Lévy, PDG de Publicis, et Stéphane Ri-chard, le PDG d’Orange, devaient annoncer le lancement d’Iris Next,un fonds destiné aux jeunes entre-prises françaises et allemandes, doté de 500 millions d’euros. De leurs côtés, Bpifrance et la banque publique allemande KFW se sont engagées à prendre une participa-tion dans la société de capital-ris-que Partech. Ensemble ils alimen-teront un fonds destiné aux jeunespousses des deux pays. Le Fonds européen d’investissement de-vrait également s’y associer.

Plan d’action en cinq points

Si pour les étoiles montantes, il esttoujours facile de trouver de l’ar-gent au départ, les difficultés com-mencent lorsqu’il s’agit d’obtenir des financements plus importantspour passer à la phase du dévelop-pement. Faute de trouver des res-sources en Europe, les start-up se tournent alors vers les Etats-Unis. Et 70 % des levées de fonds sont as-surées par des établissements fi-nanciers non européens, principa-lement américains. Pour y remé-dier, trois établissements publics Bpifrance, KFW et la Cassa Depositie Prestiti, la caisse des dépôts ita-lienne, vont étudier la création

d’un fonds permettant « de finan-cer les plus gros tickets », explique-t-on côté français.

Le financement n’est pas le seullevier que comptent utiliser la France et l’Allemagne pour dyna-miser l’Europe du numérique. Les deux pays veulent aussi harmoni-ser les règles « Il ne faut pas que les industriels et les start-up soient confrontés aux réglementations de 28 pays, là où les Etats-Unis commela Chine ont un seul marché », con-fie l’un des organisateurs de cette rencontre. Pour cela, l’Alliance pour l’industrie du futur, une pla-teforme créée par la France asso-

réseau des machines. Il s’agit de nepas laisser le terrain aux Améri-cains et aux Chinois. Ces futures normes franco-allemandes se-raient appelées à devenir la base d’un standard européen. « Car toutcela se place dans une optique européenne », insistent les respon-sables du projet.

Les questions de sécurité de-vraient être abordées tout comme celle de la protection des données personnelles, après la re-mise en cause, le 6 octobre, par la Cour de justice européenne del’accord Safe Harbor. Cette déci-sion empêche les géants de l’In-

ternet de transférer les donnéesde leurs utilisateurs européensvers les Etats-Unis.

Cette initiative de relancer l’Eu-rope du numérique été prise le 31 mars à l’issue d’un sommet franco-allemand, avant d’être con-firmée le 1er juin lors d’une table ronde des industriels européens à Berlin. Elle s’appuie désormais sur un rapport commandé au Conseil national du numérique et à son homologue le Beirat Junge Digi-tale Wirtschaft. Présenté mardi par Benoît Thieulin, directeur gé-néral de La Netscouade et Tobias Kollmann pour NetCampus, ce do-

cument intitulé « agir pour l’inno-vation » se veut « un plan d’action »en cinq points, il démarre de la for-mation pour aboutir à la transfor-mation numérique de l’économie en passant par le financement.

« Nous appelons à la généralisa-tion de l’enseignement d’un socle commun de compétences numéri-ques dans les programmes éduca-tifs européens, afin de s’assurer que chacun maîtrise les technologies numériques (programmation, al-gorithmie, analyse de données, ro-botique, conception web, imprime-rie 3D, etc.) », indique le rapport. Il préconise pour cela d’adapter en Europe les méthodes d’enseigne-ment et les contenus éducatifs auxbesoins de la société numérique.

Concernant le développementdes entreprises, le rapport incite laFrance et l’Allemagne à « soutenir la définition d’un régime social et fiscal favorable et harmonisé pour les start-up innovantes en Europe,afin de faciliter leur développementet limiter les barrières à leur inter-nationalisation ». Les auteurs pro-posent également la création d’un statut commun de « Jeune entre-prise innovante », permettant d’évoluer dans un cadre favorable et harmonisé pendant une durée de sept ans. Ces propositions de-vraient être étudiées dans les moisprochains par Paris et Berlin. p

dominique gallois

Angela Merkel et François Hollande, le 7 octobre, à Strasbourg. VINCENT KESSLER/REUTERS

Bruxelles enjoint à Madrid de réviserson projet de budget après les électionsMariano Rajoy a adopté un budget « électoraliste », dénonce l’opposition espagnole

madrid - correspondance

D ifficile de se fâcher avecun membre de sa famille,fût-elle seulement politi-

que. Interviewé par le journal espa-gnol El Mundo, lundi 26 octobre, le vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro, le Letton Valdis Dombrovskis, a rap-pelé « qu’il existe un risque [pour l’Espagne] de ne pas respecter le pacte de stabilité et de croissance. »

Reprenant les termes de « l’opi-nion » rendue par la Commission le 12 octobre, après la présentationdu projet de loi de budget de l’Es-pagne pour 2016, il a ajouté que Bruxelles « exhorte les autorités espagnoles à exécuter strictement le budget de cette année. » « Nous voulons aussi que le nouveau gou-vernement actualise et complète leprojet de budget qui nous a été présenté », a ajouté l’ex-premier ministre letton de centre droit.

Selon Bruxelles, les prévisionsde croissance optimistes du gou-vernement espagnol et les proba-bles déviations budgétaires desrégions pourraient provoquer un dérapage du déficit équivalent à un point du produit intérieur brut(PIB) entre 2015 et 2016.

Mais M. Dombrovskis, de pas-sage à Madrid pour assister au congrès du Parti populaire euro-péen (PPE), a aussi et surtout sa-

lué « l’évolution robuste » de l’éco-nomie espagnole sous le mandat de Mariano Rajoy, bon élève qu’il a tenu à épargner des critiques. « La Commission apprécie le tra-vail qu’a fait le gouvernement deRajoy avec des réformes, des ef-forts et des mesures de rigueur qui,bien qu’elles aient été douloureu-ses, ont ramené la croissance enl’Espagne, a-t-il expliqué. Celle-ciest même en train de croître consi-dérablement au-dessus de la moyenne de l’UE et de la zone euro,et le chômage chute. La Commis-sion européenne utilise l’Espagnecomme l’exemple que les réformes structurelles fonctionnent. »

Soutenir M. Rajoy à tout prix

Dans ce contexte, le possible déra-page espagnol semble presque une question secondaire, qui de-vra être réglée par le prochain gou-vernement qui sortira des urnes après les élections législatives du 20 décembre, qu’il soit ou pas du Parti populaire (PP, au pouvoir), pour le moment favori des sonda-ges mais sans majorité absolue.

Cependant, en Espagne, le sujeta suscité une vive polémique. En faisant adopter le budget en un temps record, grâce à sa majorité absolue au Parlement, le gouver-nement de M. Rajoy est devenu le seul depuis la mort de Franco àavoir approuvé cinq budgets du-

rant une seule législature, fixée à quatre ans.

Selon l’opposition, son budget« électoraliste » a été utilisécomme une arme de précampa-gne, avec des baisses d’impôts, une augmentation des dépensesou la restitution aux fonctionnai-res des primes de Noël suppri-mées durant la crise… Autant de « cadeaux » qui risquent de devoirêtre revus par le prochain gouver-nement, pour économiser 10 mil-liards d’euros supplémentaires, si les prévisions de dérapage de Bruxelles se confirment.

M. Rajoy est catégorique. « Nousallons respecter les objectifs fixés, a-t-il répété le 26 octobre. Bruxelles nous avait dit la même chose en 2013 et 2014, mais en quatre ans, nous avons réduit le déficit de moi-tié, de 9 % à 4,5 % du PIB. » Selon le ministre de l’économie, Luis de Guindos, les économies en presta-tion de chômage, grâce à la reprise

de l’emploi, les baisses de taux d’intérêt de la dette et l’augmenta-tion des recettes fiscales, vont per-mettre de disposer de 8 milliards d’euros pour faire face au probabledérapage des comptes de la Sécu-rité sociale et des régions.

Pour la famille de la droite euro-péenne, la priorité semblait avant tout de soutenir M. Rajoy. Les principaux représentants pré-sents au congrès du PPE, de la chancelière allemande, AngelaMerkel, au président de la Com-mission, Jean-Claude Juncker, en passant par le président des Répu-blicains, Nicolas Sarkozy, ont tous apporté leur soutien au chef du gouvernement espagnol pour lesprochaines élections.

Mme Merkel a notamment « re-mercié » le PP d’« avoir pris le tau-reau par les cornes » et adopté « desdécisions et mesures difficiles », qui ont « créer un million d’emplois ».

« Vu l’importance des résultatsdes élections espagnoles, nousavons décidé il y a un an de tenir cecongrès à Madrid, reconnaît AlainLamassoure, président de la délé-gation française du PPE. La ques-tion est de savoir si le populisme etla démagogie l’emportent ou si lesérieux et le courage politiquepaient. » Certains, à Bruxelles, semblent prêts à signer un chè-que en blanc à M. Rajoy. p

sandrine morel

« En quatre ans,

nous avons

réduit le déficit

de moitié, de 9 %

à 4,5 % du PIB »

MARIANO RAJOY

premier ministre espagnol

BANQUELa banque suisse Hottinger en failliteL’illustre banque zurichoise Hottinger & Cie, dont l’ori-gine remonte au XVIIIe siècle, a été mise en faillite par l’autorité de surveillance des marchés en Suisse, la Finma, en raison d’un « risque de surendettement ». La banque spécialisée dans la gestion de fortune présente un bilan total d’environ 145 millions de francs suisses (134 millions d’euros) et compte près de 1 500 clients ainsi qu’une cinquantaine d’employés. « L’éventualité d’un assainisse-ment a été examinée de très près, mais n’a pas pu être réalisée », a indiqué la Finma.

MODEGérard Darel repris par la famille fondatriceLe tribunal de commerce de Paris a retenu, lundi 26 octo-bre, l’offre de HGD, apparte-nant à la famille Gerbi, pour reprendre les activités de la marque de prêt-à-porter

Gérard Darel. Détenue à 90 % par le fonds d’investissement Advent, la société était en redressement judiciaire depuis juin. La famille Gerbi, qui avait fondé ce groupe en 1971 avant de le céder en 2008, prévoit de conserver 630 des 767 salariés et d’in-vestir 40 millions d’euros. Deux autres offres avaient été déposées par les fonds KKR et Chenavari.

DISTRIBUTIONDarty incite la Fnac à améliorer son offreDarty a invité la Fnac, lundi 26 octobre, à améliorer son offre d’achat du groupe d’électroménager, notam-ment en introduisant un paiement en espèce dans la transaction au lieu d’un pur échange de titres. Dans ce cadre, Darty s’est donné deux semaines de plus pour se prononcer définiti-vement sur l’offre de la Fnac. Le conseil de Darty compte désormais statuer d’ici au 11 novembre.

ciant les acteurs concernés par la mutation numérique, va lancer des groupes de travail communs avec son homologue allemand In-dustrie 4.0. Il s’agit d’échanger sur les expériences d’usines du futur, sur la place du travail et de la for-mation dans un monde connecté.

« Les deux pays sont complémen-taires : l’Allemagne a une très bonnecompétence dans le domaine de l’automatisation, et la France dans le traitement des données et de l’in-teropérabilité des plates-formes », souligne-t-on à Paris. L’objectif est aussi de coopérer sur les normes, un enjeu essentiel pour la mise en

« Il ne faut

pas que les

industriels soient

confrontés aux

réglementations

de 28 pays, là

où les Etats-Unis

ou la Chine ont

un seul marché »

UN ORGANISATEUR

DE LA RENCONTRE

– 96 %La chute du bénéfice net de BP, au troisième trimestre. En raison du re-cul des cours du brut, le géant pétrolier britannique a annoncé, mardi 27 octobre, un repli de son bénéfice net à 46 millions de dollars (41,6 millions d’euros), contre 1,3 milliard de dollars l’an passé à la même époque. BP prévoit désormais de n’investir que 19 milliards de dollars en 2015. En 2014, la major prévoyait encore de consacrer jus-qu’à 26 milliards de dollars à ses investissements pour 2015, un mon-tant qu’elle avait déjà ramené à 20 milliards il y a trois mois. Le groupe souhaite également poursuivre ses cessions d’activités, dont il espère tirer quelque 10 milliards de dollars cette année.

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0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 économie & entreprise | 5

Après des annéesde difficultés,Fram dépose son bilanLe voyagiste, qui emploie670 personnes, négocieune reprise par Karavel

Pas de miracle pour Fram.L’entreprise de tourisme,créée par quelques amisà Toulouse en 1949, va

déposer son bilan. La convocation du comité d’entreprise extraordi-naire, indispensable en pareil cas, est partie lundi 26 octobre. Le co-mité doit avoir lieu jeudi. Une audience est attendue dans les jours suivants pour placer en re-dressement judiciaire le célèbre voyagiste, longtemps spécialiste de la clientèle populaire.

Il s’agit de la conclusion provi-soire d’années noires, durant les-quelles la société a enchaîné les pertes et vendu une partie de ses actifs pour tenir vaille que vaille. Surveillé de longue date par un mandataire ad hoc et par le minis-tère de l’économie, Fram n’a pas réussi pour autant à surmonter sesdifficultés. Au-delà des problèmes de pouvoir d’achat en France, des crises à répétition dans les pays d’accueil et des bouleversements provoqués par l’essor d’Internet, l’entreprise a fondamentalement souffert de la mésentente entre ses actionnaires, souligne le per-sonnel. Les deux branches de la fa-mille qui détiennent chacune 40 %du capital sont à couteaux tirés.

Le dépôt de bilan, c’est précisé-ment l’issue que la direction deFram et son premier actionnaire, Georges Colson, un des membres de la famille, voulaient à tout prix

éviter. Pendant des mois, malgré une situation financière très ten-due, ils se sont accrochés à l’espoirque la société soit relancée par un repreneur sans passer par le tribu-nal de commerce.

Mais le retrait, lundi 19 octobre,de la seule offre de rachat présen-tée dans ce cadre a changé ladonne. L’insaisissable candidatluxembourgeois HNA Group Eu-rope, un temps présenté comme chinois, ayant renoncé à repren-dre Fram avec son partenaire français Selectour Afat, il n’estplus possible d’éviter la faillite. « Il n’y a plus d’argent dans les cais-ses, donc on ne peut pas y échap-per », résume un de ceux qui tra-vaillent sur le dossier. Même si ledépôt de bilan est inéluctable,« la priorité reste la continuité et la pérennité de l’entreprise », pré-cise la direction.

Intenses tractations

Tous les regards sont désormaisbraqués sur le seul autre candidat en lice, Karavel. Depuis plusieursmois, ce spécialiste français de lavente de séjours sur Internet, connu pour sa marque Promova-cances, s’intéresse au dossier avecson actionnaire, le fonds LBO France. Il se propose d’investir au moins 50 millions d’euros dans lasociété, qui a réalisé 373 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014.

Ses avances ont longtemps étédédaignées par la direction deFram, en dépit du soutien de Ma-rie-Christine Chaubet, la de-mi-sœur de M. Colson. A présent,Karavel paraît le seul à même desauver l’affaire, et d’intensestractations ont eu lieu ces der-niers jours en ce sens. « Fram etKaravel progressent vers une so-lution concertée sous l’égide duconciliateur », relate un prochedes discussions.

A ce stade, plusieurs solutionsrestent possibles. L’une consiste-rait à ce que Fram bénéficie d’un redressement judiciaire express, une des nouveautés de la dernièreréforme du droit des entreprisesen difficulté. Créé en 2014, ce dis-positif que les juristes nomment dans leur jargon franglais « pré-pare cession » permet de négocierà l’avance une solution avec un re-preneur, puis de la finaliser au tri-bunal de commerce juste après le

dépôt de bilan. Il a notamment étéutilisé pour relancer NextiraOne, une ancienne division d’Alcatel confiée à un nouveau propriétairetrois semaines seulement après leredressement judiciaire.

Dans le cas de Fram, une reprisepar Karavel suivant cette procé-dure accélérée permettraitd’écourter la période d’incerti-tude durant laquelle les clientscomme les fournisseurs hésitentà s’engager auprès de l’entreprise.« Si le tribunal retient cette solu-

tion, elle évitera aussi toute rup-ture dans l’acheminement despassagers », argumente un ex-pert. Un point-clé. Pour les pou-voirs publics, il est essentiel d’évi-ter que des milliers de voyageursse retrouvent piégés en pleinesvacances de la Toussaint, et quel’organisme de garantie des so-ciétés du secteur soit mis à sontour en péril.

L’autre solution consisteraitpour le tribunal à suivre le proces-sus classique, en ouvrant une pé-

Pour Eiffage, le choix d’un nouveau patron vire au casse-têteUn tandem constitué de Jean-François Roverato, dirigeant historique du groupe de construction, et Max Roche va assurer l’intérim

L a disparition brutale, le23 octobre, à 47 ans, dePierre Berger, PDG d’Eiffage,

pose un problème de succession à la tête du troisième groupe fran-çais de bâtiment et travaux pu-blics. Il faut lui trouver un rempla-çant de sa carrure pour poursuivrel’action de redressement qu’il avait entamée depuis 2011. Le con-seil d’administration d’Eiffage, réuni lundi 26 octobre, se donne un peu de temps en nommant président Jean-François Roverato (71 ans), patron historique de la so-ciété qu’il a dirigée et développéependant vingt ans.

Il pourra compter sur l’appui deMax Roche (62 ans), nommé direc-teur général, qui connaît l’entre-prise par cœur pour en avoir dirigéles branches « concessions », « travaux » et avoir été, de 2003 à 2011, son directeur financier. Le tandem est provisoire, jusqu’auprochain conseil d’administra-tion, fin février 2016.

« Ces nominations sont rassuran-tes et permettent la continuité se-reine de l’entreprise, dit Gilles Le-tort, délégué (CGT) du personnel. La dissociation des deux fonctions milite pour cette solution, à l’ave-nir. » C’est à Thérèse Cornil, admi-nistratrice indépendante d’Eiffage et présidente du comité des rému-nérations et des nominations, qu’incombe cette tâche. Elle aura

sûrement à l’esprit la succession mouvementée de M. Roverato qui,atteint par la limite d’âge, a, dès 2009, cherché son remplaçant et s’y est repris à trois fois, évinçant deux dauphins, François Masset etBenoît Heitz, avant de débaucher Pierre Berger chez Vinci. Une tran-sition qui se fit, sous la pression dupremier actionnaire d’Eiffage, le Fonds stratégique d’investisse-ment (aujourd’hui Banque publi-que d’investissement, bras armé de la Caisse des dépôts). Redevenu président, Jean-François Roverato pèsera sur le choix d’un nouveau PDG, rien ne se fera sans son ac-cord et il doit être en train de com-pulser l’annuaire des anciens de Polytechnique.

Une poignée de candidats

Car le candidat devra avoir beau-coup de qualités, à commencer par être diplômé « X-Ponts », jeune, entre 45 et 55 ans, plutôtfrançais mais avec une expé-rience internationale et des com-pétences dans les grands travaux, être compatible avec la forte per-sonnalité de M. Roverato et la cul-ture d’Eiffage, dont son puissant actionnariat salarié (23,5 %). Venir de la concurrence pour mieuxl’affaiblir serait un plus !

Cela ne fait qu’une poignée decandidats plausibles. Recruté en interne, ce pourrait être Jean-Louis

Servranckx, proche de Pierre Ber-ger, qui l’avait à son tour, en juillet 2011, fait venir de chez Vinci pour diriger la branche « travaux publics et infrastructures », mais iln’est diplômé « que » de l’Ecole desmines et de l’Insead et est peut-être, selon un ancien cadre, « un peu trop gentil pour la fonction ».

Frédéric Carmillet, directeurd’Eiffage Energie, a les bons diplô-mes mais est trop jeune, à 40 ans. En externe, il y aurait Yves Gabriel,professionnel reconnu, ancien di-recteur de Bouygues Construction qu’il a quitté en mars, officielle-ment pour avoir atteint la limite d’âge, en réalité sur un différend avec Martin Bouygues, libre mais un peu âgé (65 ans). Circule, enfin, le nom de Bruno Angles, qui cochebeaucoup de cases : X-Ponts (et même président de l’association des anciens élèves de Polytechni-que), 51 ans, qui dirige, en France, lefonds d’investissement australien Macquarie, copropriétaire, avec Eiffage, d’Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, donc bon connaisseur des concessions et d’Eiffage. M. Anglesest, en outre, auréolé de la négocia-tion réussie du plan d’investisse-ment autoroutier, conclu, avec l’Etat, en avril, mais est-il Rove-rato-compatible ? Déjà prétendant à sa succession, en 2011, sa candi-dature n’avait pas été retenue. p

isabelle rey-lefebvre

riode d’observation de plusieursmois et en appelant tous les grou-pes intéressés à se manifester. Au risque que l’activité de Framchute de plus belle.

En tout état de cause, les déboi-res de la société vont inéluctable-ment entraîner une casse sociale.Le plan de Karavel devrait se tra-duire par une réduction de 25 % de l’effectif de Fram, qui em-ploie actuellement autour de 670 personnes. p

denis cosnard

Le voyagiste Fram, longtemps spécialiste de la clientèle populaire, va être placé en redressement judiciaire. NICOLAS TAVERNIER/REA

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6 | économie & entreprise MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

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Les antidiabétiques, pilule amère pour SanofiLe brevet protégeant le Lantus, blockbuster du groupe, est tombé. Le français est attaqué sur tous les fronts

suite de la première page

Outre-Atlantique, le groupe trico-lore est cependant attaqué sur un autre front, par le danois Novo Nordisk, numéro un mondial dudiabète. Jugée moins efficace que le Lantus mais vendue 15 % moinscher, son insuline maison – le Le-vemir – a déjà grignoté plus de25 % du marché américain.

Dans un contexte de polémiquesur l’inflation des prix, les assu-reurs ont fait leur calcul : si les 4,7 millions de patients sous Lan-tus se « convertissaient » au Leve-mir, ils économiseraient 2,6 mil-liards de dollars (2,53 milliardsd’euros). Pour continuer à figurer dans leur sélection de molécules remboursables, Sanofi n’a donc pas eu le choix : en 2015, il a dû ac-corder aux assureurs un rabaissupérieur à 40 % sur le prix « ca-talogue » de son insuline. Celui-ci avait beaucoup augmenté, étant passé de 2 035 dollars par an par patient en 2011 à 3 630 dollarsen 2014.

Sanofi espère grâce à cela ga-gner suffisamment de tempspour préparer la relève. Présentécomme le successeur du Lantus,le Toujeo a reçu en février le feu vert des autorités américaines. Mais, à leurs yeux, il n’apporte pasde réelle amélioration par rapportau Lantus. « Sanofi comptait met-tre en avant le fait que Toujeo dimi-nue le nombre d’hypoglycémies nocturnes mais, contre toute at-tente, la FDA [l’agence américaine du médicament] ne l’a pas auto-risé à inscrire cela sur la notice du médicament. Ses visiteurs médi-caux n’ont donc pas le droit d’enparler », précise Sébastien Mala-fosse, analyste chez Oddo.

Résultat : les ventes ne décollentpas. Elles se sont élevées à 13 mil-lions d’euros au premier trimes-tre et à 20 millions d’euros au se-cond semestre, des chiffres jugés « anecdotiques » par M. Mala-fosse. Et le lancement fin septem-bre du Tresiba, un médicament comparable de Novo Nordisk déjà commercialisé en Europe, ne de-vrait rien arranger.

Pour y remédier, le groupe misesur un programme d’accompa-gnement des patients, baptisé « Toujeo coach ». L’idée ? Vendrenon plus seulement une molé-cule mais un « package » incluant des conseils, la possibilité d’être

suivi individuellement par uncoach et des « apps » pour mieux gérer son diabète au quotidien. « Une part non négligeable des malades se sont inscrits, et les re-tours sont très positifs », se félicite Pierre Chancel, le président de la division diabète du groupe. Grâce à ce cadeau « Bonux », il compte bien faire la différence face aux

payeurs et aux médecins. « Nous menons en ce moment des études pour démontrer l’impact de ce pro-gramme sur l’observance notam-ment. Tout l’enjeu est de corréler le prix au résultat thérapeutique »,explique M. Chancel.

Campagne de publicité

Le sauvetage de l’Afrezza, l’autrelancement de l’année, s’avère plusproblématique. Pour commercia-liser cette insuline à inhaler, le groupe français a conclu, en août 2014, un accord de licence avec son inventeur, le laboratoirecalifornien MannKind. Ce deal a coûté à Sanofi 150 millions de dol-lars en cash, avec des paiements additionnels, en fonction des ré-sultats, pouvant atteindre775 millions de dollars. Or les ven-tes d’Afrezza ne lui ont rapporté

que 3 millions d’euros au premier semestre.

Ironie du sort, Olivier Brandi-court, qui dirige Sanofi depuis lemois d’avril, avait dû abréger en 2007 la carrière de la première insuline à inhaler, l’Exubera, com-mercialisée par Pfizer, son em-ployeur à l’époque. « Il est encore trop tôt pour tirer des conclu-sions », relativise Pierre Chancel.

Pour séduire les patients, legroupe s’est offert, le 25 juillet,trois pages de publicité dans le Time et une campagne en ligne baptisée « Go Live Life », qui meten scène des surfeuses à la sil-houette de top models et des ath-lètes de l’extrême. Cela suffira-t-il à enrayer la dégringolade ? Le cours de Bourse de MannKind a en tout cas été divisé par deux depuis l’été.

Un dernier médicament portetous les espoirs du groupe : le Lixi-Lan, dont la commercialisation est prévue fin 2016. Ce traitement associe l’insuline glargine – quirégule la glycémie tout au long de la journée – à une autre molécule, le lixisenatide – dont la fonction est de lisser le taux de sucre dansle sang après un repas. Il a été dé-veloppé par le danois Zealand Pharma, et Sanofi en a acquis les droits en 2003. C’est un concur-rent direct du Xultophy, de NovoNordisk, qui sera lancé en même temps. « Le marché sous-estime pour l’instant le potentiel de ces combinaisons, mais elles pour-raient occuper, à terme, la moitié du marché des insulines à action longue. Cela devrait relativiserl’impact des biosimilaires », es-time Philippe Lanone, analyste

chez Natixis. Selon lui, le chiffred’affaires du LixiLan pourrait at-teindre 1,5 milliard d’eurosen 2022.

Pour accélérer la mise sur lemarché de ce futur blockbuster aux Etats-Unis, Sanofi pourrait décider d’utiliser un priority vou-cher, un coupe-file réglementaire que certains laboratoires gagnent en développant des molécules pour soigner des maladies pédia-triques rares. En mai 2015, Sanofi a acquis un tel « bon » pour 245 millions de dollars auprès du laboratoire Retrophin. Il n’a pasdévoilé pour quel médicament il l’utiliserait mais de nombreux analystes parient sur le LixiLan,car cela permettrait à cet antidia-bétique d’arriver sur le marché avant le Xultophy. Cette hypo-thèse est-elle la bonne ? « Joker »,répond Pierre Chancel.

Grand ménage

Il en faudra davantage pour con-vaincre les investisseurs qui atten-dent Olivier Brandicourt au tour-nant. Celui-ci doit présenter sa stratégie pour les cinq ans à venir le 6 novembre, et a déjà annoncé lacréation d’une division « diabète et cardiovasculaire » qui regrou-pera des médicaments comme le Lantus et le Lixilan, mais aussi le Praluent, un nouvel anticholesté-rol. Ce « repackaging », destiné, se-lon certains analystes, à masquer les faiblesses du groupe, s’accom-pagne aussi d’un grand ménage dans les équipes.

Aux Etats-Unis, un tiers des com-merciaux ont été renouvelés, de même qu’une bonne partie de la direction. Selon nos informations, Pierre Chancel lui-même devra cé-der son poste à la fin de l’année. Avec son départ, c’est un chapitre de l’histoire du groupe qui s’achève : il était véritablement le «Monsieur Lantus » de Sanofi. p

chloé hecketsweiler

Les Français ont de moins en moins d’appétit pour la viandeLa consommation de viande diminue en France et en Europe mais elle augmente au niveau mondial, tirée par les pays émergents

C’ est une nouvelle quipourrait couper encoreun peu plus l’appétit des

Français pour la viande. Le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS), a classé, lundi 26 octobre, la viande rouge comme « cancérogène pro-bable pour l’homme », et la viandetransformée comme « cancéro-gène avéré ». Par viande rouge, il faut entendre toutes les viandes issues des muscles de mammifè-res, du bœuf au mouton, et par viande transformée, autant la charcuterie que la viande hachéed’une sauce bolognaise.

L’annonce a fait l’effet d’un coupde massue chez les producteurs dela filière, qui officient déjà dans uncontexte morose, notamment après la crise des éleveurs de cet été. En France, et dans les pays ri-ches en général, la consommationd’animaux ne cesse de décroître depuis une quinzaine d’années. « L’OMS publie une information sans relativiser le risque réel de can-cer par rapport à la consommationactuelle de viande en France : trois

fois par semaine en moyenne », dé-plore Marc Pagès, directeur de l’As-sociation nationale interprofes-sionnelle du bétail et des viandes, qui se dit « désespéré et déçu » de cette annonce.

En France, les beaux jours de lafilière viande semblent en effet en-volés, tant les évolutions des mo-des de vie, la baisse du pouvoir d’achat ou encore les considéra-tions sanitaires, éthiques et écolo-giques ont modifié les habitudes alimentaires. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la con-sommation de viande a grimpé jusqu’à atteindre un pic en 1998, avec 94 kg en équivalent carcasse (kgec, incluant des parties non co-mestibles comme les os) consom-més par habitant et par an, selon un bilan de juin de France Agri-mer. Depuis, la tendance s’est in-versée. L’année dernière, chaque habitant consommait en moyenne 86 kgec de viande par an. Le porc reste le plus consommédans l’Hexagone (38 %), suivi de la volaille et du bœuf (29 % chacun).

La part de la viande dans le bud-get alimentaire des Français a

aussi diminué : 20 % des dépensesde consommation en 2014, contre26 % à son apogée en 1967, selonune étude de l’Insee publiée le 9 octobre. La viande, coûteuse, reste pourtant la principale dé-pense alimentaire et pèse même de plus en plus lourd pour les por-te-monnaie : selon France Agri-mer, si les volumes de viandeachetés ont reculé de 3 % en dix ans, les sommes dépensées ont dans le même temps crû de 17 %, du fait d’une élévation du prix moyen des viandes de 21 %.

Nos voisins européens suiventla même tendance à la baisse. La consommation de viande était de83 kgec par habitant en 2013, con-tre 89 kgec lors de son maximum,en 2001. Du côté des Etats-Unisaussi, la consommation a enregis-tré un pic en 2004, puis une chutede 10 % jusqu’en 2012.

Pourquoi ce désamour pour laviande ? Lundi, un sondage réalisépar Mediaprism pour l’ONG Goo-dPlanet et l’Institut national de laconsommation-60 Millions de consommateurs montre que plus de la moitié des Français interro-

gés (56 %) déclarent manger moins de viande ; 46 % d’entre euxexpliquent tout simplement cette évolution par son coût. SelonFrance Agrimer, la crise économi-que, en diminuant le pouvoir d’achat des Français, les a incités à faire des arbitrages dans leur pa-nier, en privilégiant les aliments caloriques et bon marché − pain, céréales, produits sucrés − aux dé-pens de la viande ou du poisson.

Scandales alimentaires

Toutefois, au-delà du critère fi-nancier, l’évolution de ces habitu-des alimentaires est avant tout liée au mode de vie, qui pousse à privilégier les mets pratiques et rapides, estime Gabriel Tavoula-ris, directeur adjoint du départe-ment consommation du Crédoc. « C’est avant tout générationnel.On passe beaucoup moins detemps à cuisiner, donc on achètemoins de viande brute, surtout les morceaux à mijoter qui deman-dent une cuisson longue, analyse-t-il. Par contre, on achète davan-tage de charcuterie et de plats pré-parés, sans que les quantités de

viande qu’ils contiennent compen-sent l’apport d’un vrai steak. » Ainsi, la part des viandes brutes non transformées dans notre con-sommation est passée de 53 % à 45 % en dix ans, celle des produits élaborés de 16 % à 19 % et celle de la charcuterie de 27 % à 31 %.

Dans le sondage de Mediaprism,35 % des personnes interrogées évoquent par ailleurs le souci dubien-être animal et 26 % les scan-dales alimentaires. La viande decheval, qui se trouvait dans des lasagnes estampillées « pur bœuf », a ainsi marqué les esprits, de même que la récente ferme-ture de l’abattoir d’Alès après la

publication d’une vidéo dévoilantdes pratiques cruelles.

Si les pays riches consommentbeaucoup de viande, mais de moins en moins, les pays plus pauvres, eux, en consomment peu, mais de plus en plus. Ce quisuffit, avec la hausse démographi-que, l’augmentation des niveaux de vie, l’urbanisation et les pro-grès de l’élevage, à élever la con-sommation mondiale de viande.

L’Organisation des Nationsunies pour l’alimentation et l’agri-culture (FAO) estime ainsi que la demande mondiale en viande, quis’élevait à 286,2 millions de ton-nes en 2010, devrait augmenter de200 millions de tonnes d’ici à 2050, soit pratiquement doubler. L’Asie consomme, à elle seule, près de la moitié (46 %) des volu-mes produits dans le monde, la Chine comptant pour 28 % du to-tal mondial, avant l’Europe (20 %),l’Amérique du Nord (14 %, dont13 % pour les Etats-Unis), l’Améri-que du Sud (10 %) et loin devant l’Afrique, l’Amérique centrale et l’Océanie (5 %, 4 % et 1 %). p

angela bolis

En Allemagne et

au Royaume-Uni,

la copie low cost

du Lantus,

l’Abasaglar,

est vendu 15 % à

20 % moins cher

L’idée ? Vendre

non plus

seulement une

molécule mais un

« package », avec

conseils et suivi

d’un coach

Si les volumes de

viande achetés

ont reculé de 3 %

en France en dix

ans, les sommes

dépensées ont,

elles, crû de 17 %

Page 41: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

0123MERCREDI 28 OCTOBRE 2015 idées | 7

par matthias berahya-lazarus

Ce qui était, il y a quelquesmois seulement, un débatd’experts entre profession-nels du marketing est sur

le point de devenir, aujourd’hui, un débat sociétal de premier plan : la publicité, telle que nous l’avons con-nue, survivra-t-elle dans un avenir proche ?

Partout dans le monde occidental, et tout particulièrement dans l’Hexa-gone, la publicité imposée fait face, depuis quelques mois, à une vague de protestations sans précédent. Con-sommateurs et régulateurs sont pas-sés d’une attitude d’indifférence rési-gnée à une action militante de grande ampleur.

En France, des municipalités comme Bordeaux ou Grenoble se sont engagées sur la voie d’une inter-diction de la publicité en zone ur-baine ; depuis l’été, les panneaux sont interdits à l’entrée des villes de moins de 10 000 habitants. Les prospectus, dont le contenu est, pourtant, tradi-tionnellement très apprécié des Fran-çais, se heurtent à 32 % de réfractaires (sondage OpinionWay pour Bonial, septembre).

Ce mouvement s’est étendu au monde numérique. En réaction aux bandeaux et vidéos toujours plus in-trusives et agressives, les logiciels de blocage de publicités – comme Ad-block Plus – affichent des taux d’adoption en très forte croissance. Il y aurait plus de 200 millions d’utili-sateurs dans le monde, la France figu-rant à l’avant-garde, puisque la pro-portion d’utilisateurs y représenterait 27 % des internautes (source ComScore, en octobre).

Le navigateur Firefox vient, à son

tour, d’intégrer un mode de naviga-tion « privée », permettant de con-tourner les différents ciblages publici-taires. Le phénomène touche même désormais le mobile, puisque la der-nière version du système d’exploita-tion d’Apple, iOS 9, autorise désor-mais l’installation de logiciels équivalents. Enfin, la télévision ne sera pas épargnée bien longtemps : aux Etats-Unis, des appareils comme le très populaire TiVo remplacent les box fournies par les câblo-opérateurs et disposent d’une fonction d’élimi-nation de la publicité interrompant les programmes.

PLUS PROPRE, PLUS RESPECTUEUX

L’attitude des consommateurs est sans équivoque : ils signalent active-ment leur refus d’être inondés et sou-haitent reprendre le contrôle de leur fréquentation des médias. Mais ce choix de blocage ne peut aller sans contreparties, notamment sur Inter-net, où de nombreux acteurs vivent des publicités affichées. Nous appro-chons, sans doute, d’un point d’in-flexion dans l’histoire des médias : liés dans le monde hors ligne, les dif-férents métiers des éditeurs peuvent, aujourd’hui, commencer à se séparer dans l’univers d’Internet, avec, pour chacun d’entre eux, un modèle éco-nomique qui lui est propre.

Les métiers historiques de la pressesont au nombre de trois : la produc-tion de contenu éditorial, la diffusion de publicité, la parution de petites an-nonces. Cette dernière activité a pris son autonomie depuis une bonne di-zaine d’années : les offres d’emploi, de logements ou de rencontres sont toutes passées sur des plates-formes digitales spécialisées.

Aujourd’hui, le grand public semblemûr pour consommer – et rétribuer – séparément le contenu et la publicité. On voit apparaître, sur les sites Web, de grands médias comme l’américain Washington Post ou l’allemand Bild, un message pédagogique, mais ferme, incitant les utilisateurs d’Ad-block à financer un site moins lourd en publicités, pour continuer à béné-ficier, en toute quiétude, d’un journa-lisme de qualité. YouTube suit égale-ment ce mouvement et propose, dès le 28 octobre, un accès payant aux

Etats-Unis, dont un des avantages principaux est l’absence de vidéos publicitaires. Ce nouveau contrat so-cial, en forte rupture avec l’Internet historiquement gratuit, et que les grands éditeurs tardaient à installer, trouve aujourd’hui un écho favorable auprès de nombreux citoyens.

Mais que faire, alors, de la publicité ?L’Internet Advertising Bureau (IAB), l’organisme américain qui régule la diffusion publicitaire en ligne, a re-connu, le 15 octobre, l’absolue néces-sité de réformer en profondeur les supports publicitaires (www.iab.com/news/lean/).

Les consommateurs appellent, en effet, les annonceurs à un nouveau contrat social fondé sur la volonté mutuelle des parties. La solution re-pose sur une révolution, elle aussi permise par le numérique. Depuis son invention après la guerre, le marketing a toujours fonctionné en « simplex » : la diffusion ne se faisait qu’à sens unique vers un consom-mateur subissant le message. Le nu-mérique permet aujourd’hui un fonctionnement en « duplex » : le consommateur est en capacité de re-chercher, sur le Web ou à tout mo-ment sur son mobile, des informa-tions sur ses intentions d’achat du moment.

Le caractère commercial ou publici-taire des éléments présentés ne lui pose, alors, aucun problème, puis-qu’il a défini le moment et les moda-lités de consultation. Les annonceurs doivent désormais s’attacher à détec-ter, dans l’écosystème numérique, ces moments où le consommateur est disposé à recevoir des informa-tions, et même à interagir volontai-rement avec leurs contenus. Ces mo-ments sont de plus en plus nombreux, notamment en raison de l’utilisation grandissante du smart-phone, qui fournit à chacun un outil de renseignement quasi universel et toujours disponible : un monde d’op-portunités s’ouvre aux annonceurs qui sauront le saisir.

La « dépollution » en cours des espa-ces numériques pourrait permettre l’avènement d’un Internet plus pro-pre et plus respectueux des indivi-dus, tout en permettant le maintien des équilibres économiques de grands médias. p

¶Matthias Berahya-Lazarus

est président de Bonial France

(groupe Axel Springer)

Un nouveau contrat socialautour de la publicité

Editeurs et annonceurs ne pourront résisterà la vague d’hostilité aux bandeaux et autres vidéos imposées. De nouveaux modèles économiques des médias vont émerger

LES CONSOMMATEURS SIGNALENT ACTIVEMENT

LEUR REFUS D’ÊTRE INONDÉSET SOUHAITENT REPRENDRE

LE CONTRÔLE DE LEUR FRÉQUENTATION DES MÉDIAS

L’ÉCLAIRAGE

La solution face au changement climatique, c’est l’adaptation

PARIS CLIMAT 2015

par jean-pierre dupuy

Devant la menace climati-que, trois types d’actionssont possibles : la lutte con-tre les causes des dérègle-

ments pour en atténuer les effets, la géoingénierie et l’adaptation. Le mot « atténuation » témoigne d’une ironie cruelle : l’opinion croissante est aujourd’hui que, sans un bouleverse-ment radical de nos modes de vie et dedéveloppement, bien peu probable,nous courons droit au désastre. Quantà la géoingénierie, qui entend changerle climat de la Terre par des techniquesà grande échelle visant à supprimer le CO2 de l’atmosphère, ou à réduire le rayonnement solaire, elle prolonge la démesure qui nous a conduits là où nous sommes.

Il reste l’adaptation. C’est le scénariole plus probable. C’est aussi le moins réjouissant. Ce que nous devons peut-être craindre le plus, ce n’est pas une grande catastrophe qui mettrait par là même fin aux maux de notre époque, c’est au contraire une longue prolon-gation et une accentuation de ceux-cisuivant une spirale descendante.

Le destin tragique du peuple qui ahabité l’île de Pâques, au Chili, avant l’arrivée des Européens au XVIIIe siè-cle, illustre ce scénario sinistre.

C’est vers 1200 qu’un petit groupede Polynésiens ont débarqué sur cetteîle située à quelque 4 000 km de Ta-hiti. Elle était alors couverte de dizai-nes de millions de hauts arbres, cer-tains atteignant les 30 mètres de haut. Ces gens étaient des fermiers qui pratiquaient l’agriculture sur brû-lis. Ils ont abattu les arbres, les ontbrûlés, ouvrant ainsi de grands espa-ces pour leurs cultures. Ils se sontmultipliés, de telle sorte que, bientôt,il y a eu trop de gens, et plus d’arbres du tout. La société s’est effondrée auXVIe siècle, et le coup de grâce a étédonné avec l’arrivée des Européens, deux siècles plus tard.

Comme l’écrit l’écologue américain

Jared Diamond, qui raconte cet « éco-cide » dans son best-seller Effondre-ment (Gallimard, 2009), l’île de Pâ-ques « est l’exemple le plus frappant d’une société qui a été responsable desa propre extinction, en surexploitantles ressources dont elle disposait ». Ilconclut que ce destin pourrait bien, un jour, être le nôtre.

Le livre récent de deux archéolo-gues de l’université d’Hawaï (TerryHunt et Carl Lipo, The Statues that Walked : Unraveling the Mystery ofEaster Island, « Les statues qui mar-chaient : révélation sur le mystère del’île de Pâques », Free Press, 2011) re-vient, cependant, sur cette histoireconvenue. Les auteurs pensent queleur contre-histoire donne des rai-sons d’espérer : ce qui s’est vraimentpassé serait en fait une success storyde défi et d’adaptation.

CAPACITÉ DE SURVIELes arbres ont disparu, la chose est cer-taine. Cependant, ce ne sont pas leshommes qui en ont été les responsa-bles, mais les rats. Ceux-ci ont voyagé sur les mêmes canoës que les hom-mes, ont accosté comme eux et, unefois sur place, se sont reproduits à unevitesse fulgurante : aucun prédateur, et un festin de racines de palmiers.

L’écosystème de l’île en a été boule-versé, les plantes, les oiseaux ont dis-paru à leur tour. Il n’y avait plus de bois pour construire des canoës, donc plus de pêche en haute mer. Les choix alimentaires se sont restreints sans, pour autant, menacer la populationde famine : il restait… les rats.

La société a disparu avec ses divini-tés. On a cessé de construire ces gi-gantesques monolithes dont la plu-part sont mystérieusement tournésvers l’intérieur de l’île. C’est en raison de cette capacité de survie et d’adap-tation que les auteurs du livre parlentde réussite. En effet, cette histoire montre, une fois de plus, l’incroyablecapacité des êtres humains à s’accli-mater aux pires conditions de misère et d’oppression.

Mais « est-ce ainsi que les hommes vi-vent ? », chantait Léo Ferré sur un poème d’Aragon. Lorsqu’il n’y aura plus de neige dans les Alpes, Thomas Mann apparaîtra comme un auteur exotique. Lorsque les séquoias géantset multimillénaires de la Californie auront disparu, privés du brouillard nourricier qui monte de l’océan cha-que matin, on ne comprendra plus les émois d’un Jack Kerouac ou d’un Henry Miller. C’est alors que nousnous serons adaptés. p

¶Jean-Pierre Dupuy

est philosophe

et professeur

à l’université

Stanford,

en Californie

LETTRE DE LA CITY | par éric albert

Dans la tête d’un « rogue trader »

Il y a des articles sur lesquels il faut s’arrê-ter. La remarquable interview de KwekuAdoboli dans le Financial Times du24 octobre est de ceux-là. L’homme était

un courtier à UBS, et son nom est devenu sy-nonyme de rogue trader. Après Nick Leeson à la Barings en 1995, Jérôme Kerviel à la Société générale en 2008, Kweku Adoboli avait provo-qué le scandale en septembre 2011, quand labanque suisse a annoncé qu’il lui avait fait perdre 2,3 milliards de dollars (environ 1,9 milliard d’euros). Il a ensuite été con-damné à sept ans de prison, et vient d’être li-béré après avoir effectué la moitié de sa peine.

Lors de son procès, M. Adoboli s’était peu ex-primé. L’immense bénéfice de ce long articledu Financial Times, et d’un entretien audio sur son site Internet, est de donner sa versiondes faits, calmement et simplement. Il en res-sort un jeune homme de 31 ans au moment des faits, qui dormait quatre heures par nuit,n’y voyait plus clair et a écopé pour tous les autres. « Dans cette industrie, beaucoup de gens ont dû ou ont été forcés d’accepter la res-ponsabilité du comportement de l’ensemble deleur entreprise. C’est très dommage, parce quecela signifie qu’on n’en tire pas les leçons néces-saires. C’est plus facile de dire que seuls quel-ques éléments pourris ont agi, mais ce n’est passain. »

Le fait que M. Adoboli soit coupable auxyeux de la loi n’est pas contesté. Durant le pro-cès, il a reconnu avoir créé un système secretde double comptabilité qui lui permettait de prendre des risques non autorisés par sa hié-rarchie. La banque était exposée à des pertes (ou des bénéfices) bien plus importantes que prévu. Le recours à ce stratagème lui permet-tait de récupérer plus rapidement d’éventuel-les pertes. « Je reconnais que mon action étaitmalhonnête », affirme-t-il aujourd’hui.

Mais ce que M. Adoboli tente de faire en té-moignant est d’alerter sur le système qui l’abroyé, et qui peut selon lui mener nombre de ses anciens confrères à la même dérive. « Per-sonne dans le monde de la finance ne réalise à quel point il est près de la ligne rouge imagi-naire jusqu’à ce qu’il la traverse et se retrouve levisage écrasé par des millions d’objectifs d’ap-pareils photo. »

UN PORTEFEUILLE DE 50 MILLIARDSNous sommes en 2011. M. Adoboli, à 31 ans, estle plus âgé d’une équipe de quatre personnes.Leur portefeuille est absolument gigantes-que : 50 milliards de dollars. « Nous étions au centre d’une large partie de l’activité [d’UBS surle marché actions]. Nous réalisions le quart desbénéfices pour le groupe consacré aux produitssynthétiques. » Mais le gigantisme de leur ex-

position signifie aussi des risques énormes :« Nous étions une source de volatilité. »

Trois ans plus tôt, le trader ghanéen avaitcommencé sa double comptabilité. Sa moti-vation ? « Ce n’était pas d’empocher d’énormes bonus. » Selon lui, son objectif était de faireréussir la banque, au nom d’une profonde loyauté envers l’institution. Tout le monde dans l’établissement helvétique se donnait à fond, et lui aussi.

Combien de personnes étaient au courantde son système de trucage de la comptabilité ?« Un très grand nombre de personnes. Les typessur notre desk. Pas mal de gens qui avaient desfonctions de soutien administratif. (…) Certainsont préféré fermer les yeux. D’autres étaient ac-tivement impliqués. » A l’époque, ses amis nele reconnaissent plus. M. Adoboli ne prend plus le temps de les rappeler. Sa petite amie s’inquiète. En juin 2011, le trader décide d’arrê-ter ce métier. « Il était devenu évident que jen’étais pas heureux. »

C’est exactement à ce moment-là queM. Adoboli trébuche. Il parie sur une hausse des marchés. Pas de chance, ceux-ci baissent.Les pertes s’accumulent. Le courtier tente le tout pour le tout, mais se trompe une nou-velle fois sur l’évolution de la Bourse. Le trounoir final de 2,3 milliards de dollars se creuse en seulement six semaines.

La situation devient intenable et M. Adobolireçoit de nombreuses demandes d’explica-tion de sa hiérarchie. En désespoir de cause, son desk et son supérieur direct se réunissent dans un bar face à UBS, au cœur de la City. « Puisque j’avais prévu de quitter cette indus-trie, j’ai proposé d’endosser l’entière responsabi-lité [de la perte]. » Son patron direct lui lance :« Kweku, tu comprends qu’on va te renier. »

Etrangement, M. Adoboli n’a jamais penséqu’il serait arrêté. Il imaginait simplementêtre mis à la porte de la banque. « C’était naïf »,reconnaît-il aujourd’hui. Cet aveu permet de comprendre à quel point il était coupé des réalités au moment des faits, vivant dans unebulle, jonglant avec des milliards apparem-ment virtuels.

Cette histoire se termine en forme d’épilo-gue tragique. Comme tous les étrangers con-damnés à plus de quatre ans de prison, M. Adoboli est menacé d’expulsion du Royau-me-Uni. Il vient de perdre un jugement et fait appel. Malgré vingt-trois années passées dans ce pays, il n’avait jamais pris la peine de de-mander la naturalisation. Une expulsion seraune grande perte : il a commencé à donner desséminaires dans les banques, pour partager son expérience. La City en a grand besoin. p

Twitter : @IciLondres

« CERTAINS, À UBS, ONT PRÉFÉRÉ FERMER LES YEUX. D’AUTRES ÉTAIENT

ACTIVEMENT IMPLIQUÉS »KWEKU ADOBOLI

ex-trader d’UBS

Page 42: Monde 3 en 1 Du Mercredi 28 Octobre 2015

8 | MÉDIAS&PIXELS MERCREDI 28 OCTOBRE 2015

0123

Après une pause, les montants des droits d’auteur repartent à la hausseSelon la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs, les revenus se sont élevés à 7,9 milliards d’euros en 2014

C’ est plutôt une bonnenouvelle pour les artis-tes-interprètes qui ne

sont pas toujours à la fête. Les re-venus issus des droits d’auteursont repartis à la hausse en 2014,après une année de stagnation. Les membres de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac),présidée par Jean-Michel Jarre de-puis 2013, ont en effet perçu 7,9 milliards d’euros de droits en 2014, soit une hausse de 2,8 % par rapport à l’année précédente.

« Un tel taux de croissance et lemontant des droits perçus sont une belle réussite », a estimé le di-recteur général de l’organisation, Gadi Oron, qui a rendu public,mardi 27 octobre, le rapport 2015 sur les droits perçus dans lemonde. Cette publication a voca-tion à devenir annuelle.

Avec ses 230 sociétés membres,la Cisac couvre aujourd’hui quatremillions de créateurs qu’elle re-présente sur les cinq continents. Mais avec 6,9 milliards d’eurosperçus, soit 87 % du total, la musi-que occupe de très loin la pre-mière place, devant les autres ré-pertoires artistiques que sontl’audiovisuel (499 millionsd’euros), les œuvres dramatiques (195 millions), la littérature(190 millions) et les arts visuels (142 millions).

Pour la musique, les droits per-çus du fait de passages à la télévi-sion et la radio (3,2 milliards d’euros) et ceux obtenus après une diffusion live et enregistrée dans les lieux publics (2,2 mil-liards d’euros) restent de très loin les flux de revenus les plus impor-tants pour les créateurs. Mais lerapport note une tendance posi-tive sur les redevances liées à la copie privée (prélèvement sur les

matériels de reproduction) qui ont augmenté de 37,1 % par rap-port à 2013 et atteignent 206 mil-lions d’euros.

En tendance générale, on peutcependant observer que les droitsd’exécution publique – ils sont perçus par les auteurs lorsque l’unde leurs morceaux est joué – sont en hausse (+ 3,8 %, à 6,2 milliardsd’euros), tandis que se poursuit la baisse des droits de reproduction mécanique (– 9 %, soit 1,2 milliard d’euros), qui traduit le recul dumarché des produits physiques.

Des droits venus d’Europe

Les droits liés aux utilisations nu-mériques et multimédias des œuvres progressent fortement, de 20,2 %, à 512 millions d’euros,en 2014. Même si la part du numé-rique dans les perceptions mon-diales n’est que de 6,5 %. Phéno-mène remarquable, la musiquereprésente plus de 99 % des droitsperçus dans ce secteur. Ces don-nées reflètent le changement qui s’opère actuellement au sein du marché digital, qui privilégie dé-sormais le streaming – l’écoute par abonnement à un flux – auxdépens du téléchargement.

La Cisac note avec intérêt que lesrevenus du numérique rattrapentceux des ventes physiques. A cet

Les sommes

perçues du fait

des utilisations

numériques

et multimédias

des œuvres

ont progressé

fortement

égard, les 75 millions d’utilisa-teurs actifs de Spotify constituentune opportunité pour l’avenir.Néanmoins, « si la croissance ac-tuelle du streaming est encoura-geante, la question de la réparti-tion des revenus entre les différentsacteurs de la chaîne de valeur resteposée », estime l’organisation, qui représente les sociétés d’artistes ou leurs ayants droit.

L’écrasante majorité des droitsperçus par les sociétés membres de la Cisac en 2014 provient d’Eu-rope, avec 4,9 milliards d’euros, soit 61,3 % du montant total. L’Amérique du Nord arrive endeuxième position, avec 1,3 mil-liard d’euros, soit 16,7 % des droitsperçus dans le monde, suivie parla zone Asie-Pacifique (14,6 %) et par l’Amérique latine et les Caraï-bes 6,7 %. Avec 53 millions d’euros,l’Afrique ne représente que 0,7 % des perceptions mondiales.

En 2014, la quasi-totalité des sec-teurs créatifs a enregistré une croissance par rapport à l’année précédente. La hausse des droitsperçus constitue donc un pointpositif pour les sociétés membres de la Cisac, car elle démontre la ré-sistance du système de gestioncollective en pleine transitionvers l’ère numérique.

Si le secteur musical a connuune bonne année, c’est notam-ment grâce à la croissance des re-venus du numérique. Cettehausse encourageante de 20 % montre que le marché de la musi-que en ligne gagne en maturité. A terme, l’émergence de nouveaux acteurs prêts à se lancer dans le streaming, dans un nombre crois-sant de pays, essentiellement en Asie et en Afrique, devrait générerde nouvelles sources de reve-nus. p

alain beuve-méry

Les déboires du « Netflix du piratage »Très populaire, le logiciel Popcorn Time s’est sabordé par peur des poursuites judiciaires

Parlez de Popcorn Time àvos proches et plusieursvous avoueront leursdifficultés, depuis la fer-

meture ce week-end de ce ser-vice, à regarder des films ou des séries. C’est dire si ce logiciel, ap-paru il y a deux ans et compara-ble à une version illégale du ser-vice de vidéo par abonnement Netflix, est grand public. Maisl’une de ses versions les plus uti-lisées, PopcornTime.io, a été mise hors ligne vendredi 23 octo-bre, en raison de dissensionsdans l’équipe, sur fond de me-nace de procès.

« J’ai fermé tous les serveurs. Iln’y a plus rien que je puisse faire »,a expliqué Wally, le pseudonyme d’un des développeurs bénévo-les, au site d’information spécia-lisé américain TorrentFreak, ceweek-end. Le départ d’une partie de l’équipe à l’origine de Popcorn-Time.io serait notamment dû à larumeur d’une possible attaqueen justice des studios hollywoo-diens, détenteurs des droits des

nombreuses œuvres visionna-bles par Popcorn Time.

La peur d’un procès aurait attiséles divergences stratégiques déjàprésentes entre les développeurs,raconte TorrentFreak : l’un des points de discorde était un VPN,un service de protection codéve-loppé par Wally, afin d’offrir auxinternautes la possibilité de ne pas être visibles des instances decontrôle du téléchargement illé-gal, comme la Hadopi française.

« Un problème de service »

Ce système, payant, était dange-reux aux yeux de certains mem-bres de l’équipe : ces derniers étaient persuadés que l’absence de revenus du service gratuit étaitune des meilleures défenses juri-diques de PopcornTime.io en cas de procès. Wally a eu beau affir-mer ne pas « vouloir faire de l’ar-gent » et chercher à assurer la pé-rennité de son service, le divorce était consommé.

Cette fermeture est un nouveaudéboire dans l’histoire de Popcorn

Time, lancé au printemps 2014. Celogiciel mélange l’interface claire et le visionnage immédiat d’un Netflix à la variété, la richesse, et surtout la gratuité du cataloguede films et de séries du télécharge-ment illégal en « pair à pair ».

En quelques mois, PopcornTime a conquis les utilisateursmoins aguerris, qui trouventtrop compliqué l’usage des logi-ciels classiques de télécharge-ment illégal. Aucune statistiquefiable n’existe quant au nombred’utilisateurs du service, mais ilest régulièrement estimé à plu-sieurs millions. Suffisamment,en tout cas, pour que le patron deNetflix considère Popcorn Timecomme l’un de ses principauxconcurrents.

La première version du logiciel avu le jour, début 2014, chez un dé-veloppeur argentin, dont on ne connaît que le prénom, Sebastian.Ce dernier fut bientôt rejoint parune multitude d’autres contribu-teurs : le code informatique du lo-giciel est public et n’importe qui peut y contribuer et proposer uneversion personnalisée.

C’est ce qui avait permis, jus-qu’ici, à Popcorn Time de survi-vre. En 2014, déjà, le fichier d’ins-tallation du logiciel avait été mis hors ligne quelques heures aprèsson lancement, supprimé par sonhébergeur. Une poignée de jours plus tard, le site sur lequel on trou-vait ledit logiciel avait disparu,cette fois-ci totalement. Les créa-teurs de Popcorn Time avaient alors publié un texte pour justi-fier leur décision.

« Le piratage est un problème deservice », y affirmaient-ils. Un re-proche fréquent, selon lequel les industries du divertissement of-frent des films et séries trop an-ciens, à des prix trop élevés, con-traignant les internautes à se ra-battre sur des offres illégales. « Unproblème, selon les pères de Pop-corn Time, créé par une industriequi voit l’innovation comme une menace pour leur vieille méthode pour créer de la valeur. » Ilsavaient aussi évoqué des « mena-ces légales » qui les mettraient« en danger ».

Une fermeture éclair

De quoi lancer les spéculations :les ayants droit de l’industrie du cinéma étaient-ils parvenus à avoir la peau de Popcorn Time ?La réponse n’était arrivée que plu-sieurs mois plus tard, dans un do-cument interne du puissantlobby du cinéma Motion PictureAssociation of America (MPAA), figurant parmi les nombreux do-

cuments piratés de Sony Pictures.Dans une note, la MPAA se félici-tait d’avoir « remporté une vic-toire majeure en forçant les princi-paux développeurs de PopcornTime à fermer. »

Mais le projet avait rapidementpu renaître de ses cendres etdeux nouveaux sites, dont Pop-CornTime.io, avaient de nouveauproposé le logiciel. Les ayantsdroit n’avaient pas désarmé.L’autre site, Time4PopCorn.eu,s’était vu privé, sur injonction lé-gale, de son nom, le forçant à dé-ménager. Plusieurs organisa-tions d’ayants droit avaient atta-qué, notamment aux Etats-Uniset en Israël, des internautessoupçonnés d’avoir utilisé le lo-giciel pour visionner illégale-ment des films.

Il y a quelques jours, c’est en-core une autre version de Pop-corn Time – utilisable avec unsimple navigateur Internet, sans installation de logiciel – qui a dis-paru après moins de soixante-douze heures d’existence. Là en-core, des menaces légales sont soupçonnées d’être à l’origine de cette fermeture éclair. L’histoire de Popcorn Time illustre la fragi-lité de services capables de tou-cher un très large public maissouvent développés par des bé-névoles. Pour le moment, seul unsite d’envergure propose encorede télécharger Popcorn Time. Jus-qu’à, sans doute, la prochaine fer-meture… et la prochaine réou-verture ? p

alexandre piquard

et martin untersinger

L’histoire de

la plate-forme

illustre la fragilité

de services

capables de

toucher un large

public mais

développés par

des bénévoles

JEUX VIDÉOVivendi « n’écarte pas » une prise de contrôle d’Ubisoft et GameloftVivendi a indiqué, dans un communiqué publié lundi 26 octobre, qu’il envisageait de « poursuivre ses achats » d’actions des deux éditeurs français de jeux vidéo Ubisoft et Gameloft, dont il détient déjà 10,39 % et 10,20 %. « Ces achats n’ont pas été spécifi-quement conçus comme une étape préparatoire à un projet de prise de contrôle d’Ubisoft et Gameloft. Néanmoins, sur les six prochains mois, Vivendi ne peut pas écarter la possibi-lité d’envisager un tel projet », précise Vivendi. L’action du groupe présidé par Vincent Bolloré est jugée hostile par les dirigeants d’Ubisoft.

ÉDITIONDroits d’auteur : les écrivains se mobilisent contre une réformeLe Conseil permanent des écrivains, qui regroupe l’ensemble des organisations représentant les auteurs et il-lustrateurs de livres, a mis en ligne, lundi 26 octobre, une pétition demandant à l’Eu-rope d’arrêter d’étendre les ex-ceptions au droit d’auteur. « Le droit d’auteur est la con-dition sine qua non de la création des œuvres. L’af-faiblir, ce serait tarir la source du marché du livre numéri-que, avant même qu’il ne prenne véritablement son es-sor », indique la pétition, si-gnée entre autres par les auteurs Valentine Goby, Pierre Lemaitre, Erri De Luca, Robert McLiam Wilson, etc. Les orga-nisations n’excluent pas de se rendre à Bruxelles pour porter le courrier elles-mêmes.

La Fnac lance son service de VoD

« Premier acteur » des marchés de la vidéo physique en France, le groupe Fnac a lancé, lundi 26 octobre, FnacPlay, son service de vidéo à la demande, conçu en partenariat avec l’éditeur français VOD Factory. Contrairement aux offres par abonnement de Net-flix ou de Canalplay, la Fnac propose du téléchargement à l’acte, en location (de 2,99 à 4,99 euros pour une « nouveauté ») ou à l’achat (10,99 à 16,99 euros pour les films, 29,99 à 34,99 euros pour les saisons de séries). En comparaison, Netflix et Canalplay coûtent autour de 10 euros par mois pour un visionnage illimité. Mais FnacPlay proposera des films récents, sortis en salles quatre mois plus tôt, ce qui n’est pas le cas des offres par abonnement.

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