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Le monde et la société des hommes (01) Comme n’importe quelle autre espèce, l'homme est soumis à la loi de l’évolution. Cette loi, que dit-elle ? Que pour survivre il doit constamment s'adapter à son environnement. Certes, chaque espèce évolue à sa manière, selon le rythme qui lui est propre. Même constat au sein des différentes espèces. Prenons l’homme : les familles qui composent l’espèce humaine n'évoluent ni au même moment, ni uniformément. A contrario, elles ne formeraient pas des groupes différenciés. La question est alors de savoir d’où proviennent les différences. A en croire la science actuelle, la vie aurait pour point de départ une cellule unique qui se serait diversifiée et multipliée avec le temps, probablement sous l’impulsion d’un choc initial - le fameux Big Bang. Nous ne sommes pas compétent pour discuter ce point. Par contre, nous pouvons affirmer, ici avec Darwin, que l’homme et les autres espèces s’adaptent à leur environnement, lequel varie, d’une région à l’autre au gré du climat, de la géographie du lieu ou d’autres causes. Mais peut-être faut-il voir, dans ces différences, la main du destin ou celle de Dieu. Toujours est-il que l’environnement qui sert de cadre aux êtres vivants évolue à son tour, sans doute en réponse à leurs actions réciproques. **** Si notre lecture est exacte, il existe une relation biunivoque entre les différents espèces - dont l’homme - et leur environnement.

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Comme nimporte quelle autre espce, l'homme est soumis la

Le monde et la socit des hommes (01)Comme nimporte quelle autre espce, l'homme est soumis la loi de lvolution.Cette loi, que dit-elle ? Que pour survivre il doit constamment s'adapter son environnement.

Certes, chaque espce volue sa manire, selon le rythme qui lui est propre. Mme constat au sein des diffrentes espces.

Prenons lhomme : les familles qui composent lespce humaine n'voluent ni au mme moment, ni uniformment. A contrario, elles ne formeraient pas des groupes diffrencis.

La question est alors de savoir do proviennent les diffrences. A en croire la science actuelle, la vie aurait pour point de dpart une cellule unique qui se serait diversifie et multiplie avec le temps, probablement sous limpulsion dun choc initial - le fameux Big Bang. Nous ne sommes pas comptent pour discuter ce point. Par contre, nous pouvons affirmer, ici avec Darwin, que lhomme et les autres espces sadaptent leur environnement, lequel varie, dune rgion lautre au gr du climat, de la gographie du lieu ou dautres causes. Mais peut-tre faut-il voir, dans ces diffrences, la main du destin ou celle de Dieu. Toujours est-il que lenvironnement qui sert de cadre aux tres vivants volue son tour, sans doute en rponse leurs actions rciproques. ****

Si notre lecture est exacte, il existe une relation biunivoque entre les diffrents espces - dont lhomme - et leur environnement.

Maintenant, si nous examinons lhomme, nous constatons que les diffrentes familles de lespce humaine se distinguent les unes des autres par toutes sortes de critres : aspect physique (qui dpend lui-mme du mode de vie des habitants et de leur habitat), structure sociale, lois, coutumes, langue (ou dialecte), institutions politiques, pratiques religieuses, rgime de proprit, ressources naturelles, climat, gographie du lieu de rsidence, art de vivre, savoir faire, tat des connaissances, philosophie de la vie, etc. En additionnant ces diffrents facteurs, nous comprenons pourquoi les hommes nont pas la mme vision du monde, ni le mme mode de vie. Il nempche : moins dhabiter dans des rgions trs inhospitalires (jungle, versants montagneux, terres situes prs des ples) les diffrentes familles humaines ne vivent pas replies sur elles-mmes. Au contraire, plus lhistoire va saccomplir, et, avec elle, les progrs de la civilisation, plus elles vont se rapprocher les unes des autres - sinon dans lespace gographique, du moins en termes de mode et de niveau de vie.

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Dans ce livre, nous tudierons lvolution de lhomme travers les ges. En ralit, lhistoire ici conte porte sur la dernire priode, que nous faisons commencer au Ve millnaire avant J-C. Notre roman historique dbute donc lge du bronze, qui succde lui-mme la priode du nolithique. Les Msopotamiens tant les grands animateurs de cette priode, cest chez eux que nous nous rendons pour commencer. Puisque ce sont eux qui inventrent la roue, lcriture et le travail sur mtal.

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Ajoutons immdiatement que notre propos na rien dune thorie de lvolution, si lon entend par l ltude des tres vivants dans la dure. Force est pourtant de constater que lhomme a fait de tels progrs, depuis le sicle des Lumires - songeons la Rvolution Industrielle, et celle, plus rcente, de linformatique et des autres moyens de communication - quil a tendance sous-estimer les progrs accomplis par ses anctres. Or ceux-ci ntaient pas des demeurs, loin de l. La preuve : mme sils ignoraient le Big Bang, ils avaient, du monde et de sa formation, une vision trs labore, comme on le verra plus loin. ****Disons demble que le monde reposait leurs yeux sur un ordre, une structure. A ceci prs quelle tait soutenue par les dieux. Oui, aux yeux des Anciens, les dieux taient matres de tout. Les hommes se considrant comme leurs obligs, pareille soumission va perdurer, en gros, jusqu la Rvolution Industrielle, plus prcisment jusquau Sicle des Lumires. En ralit, laffranchissement de lhomme par rapport aux dieux va dbuter plus tt, dabord sous limpulsion des Juifs et de leur dieu (son nom est Yahv). Et ensuite sous celle de Jsus et de ses disciples. A partir de l, lhomme va changer. La preuve : desclave quil tait entre les mains des dieux, il se prend exister vraiment. Et en prenant son destin en mains, il va devenir un sujet de monde, lui qui tait, autrefois, un objet dans les mains des dieux.

Certes, il continue sen remettre des forces supra mondaines. Mais ce ne sont plus les mmes dieux. En dautres termes, si lhomme continue se croire infrieur cet tre quon appelle Dieu, en revanche, il apprend saffranchit du pouvoir quexeraient les esprits dans sa conscience (eux qui, tout en leur donnant vie, habitaient, tour tour, les montagnes, les boucs, les serpents, les rivires, les taureaux, les bliers, les vaches, les chvres, les poissons, les chameaux, et tutti quanti). ****

Cet homme apprend donc, mesure que le temps progresse, nadorer quun seul dieu : celui des hommes.

Il y a donc volution sous ce rapport. Tandis, en effet, que les premiers hommes adoraient une foule didoles, lhomme nouveau adore un dieu unique (qui pourtant a plusieurs dimensions). Cette unicit-l prouve que lhomme occupe une place diffrente au sein de lunivers. Et plus il dominera son entourage grce au progrs technique, plus il saffranchira des dieux.

****Il y a donc une relation biunivoque entre le progrs technique et la religion adopte par les hommes. La preuve : la religion des Modernes est une religion de type matrialiste et humano-centriste. Certes, elle continue mettre Dieu au-dessus du monde, ou, ce qui revient au mme, lEsprit au-dessus de la Matire. A cette diffrence prs que la matire et, au-del, la volont daccumuler des richesses matrielles, nest plus chose interdite ou dtestable, comme lpoque du Moyen Age ou de lAntiquit, mais chose encourage. ****

Cest l un changement de perspective trs important. Puisque, en effet, il prouve que les hommes ont choisi de sortir de leur misre matrielle et de sorganiser en consquence.Et comme cette organisation repose sur la volont de senrichir, cest elle, et le matrialisme qui laccompagne, qui constituera le credo de la socit moderne.

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Lhomme moderne se distingue donc de ses anctres par le fait quil refuse dabandonner son sort la volont des dieux, quau lieu de cela, il entend jouer un rle important sur terre, lequel va se traduire par une lvation de son niveau de vie sur le plan matriel. Ceci dit, une pareille philosophie ne touche, au dpart, quune petite partie du monde: lOccident. Est-ce dire quelle va se rpandre partout travers le monde? En aucune faon. La preuve : quantit de rgions (que ce soit en Asie ou ailleurs) ne partagent nullement cette philosophie. Reste que la philosophie dominante est, aujourdhui mme, celle associe, dune part au matrialisme, et, dautre part, lconomie capitaliste qui en constitue le soubassement.Or, selon une pareille conception, ce quon appelle la civilisation nest rien dautre que les progrs accomplis par lhomme dans le domaine des sciences et des techniques. En parlant de sciences, nous avons en vue, ici, ces sciences exprimentales que sont la physique, la mcanique, la chimie, la biologie, et dautres encore.

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En rsum, lhomme occidental se distingue de son compre de lOrient en considrant que, par ses actions sur terre (ici dans lordre du matriel), il honore mieux son propre dieu, que ne peuvent le faire les Orientaux (vis--vis de leurs propres dieux), en vivant, ou bien dans la contemplation divine, ou bien dans la crainte du chtiment des dieux (toutes choses dmontrant quils ne se donnent, ou ne se donnaient, lpoque, aucune valeur, ni eux-mmes, ni leurs actions.

Si donc lOccidental aime lui aussi penser, comme lOriental, ses penses se tourneront, avec le temps, vers le progrs matriel plutt que vers la qute du nirvana. Pour mieux dire, cette qute-l sera son nirvana lui.LOriental, lui, est obnubil par tout ce qui touche lme et la spiritualit.Pour lui, la recherche du bonheur absolu ne peut donc saccomplir qu travers un voyage spirituel cens le mener dans un sorte de Jardin dEden reprsentant ltat de perfection absolu.

LOccidental, lui, ne voit pas les choses de la mme faon. Puisque sa qute nest pas dans lordre du spirituel, mais dans celle du matriel. Voil pourquoi il met toute sa science et toute sa volont saffranchir de sa misre matrielle. Et plus il parviendra capturer et dominer la matire, plus il sera confort dans sa certitude dtre un jour lgal du Crateur. Cest dire que cet homme a une haute opinion de lui-mme. Et parce quil en est ainsi, il met son individualit, ou sa personne, au-dessus des tres qui lentourent. Or un pareil individu nexistait pas sous lAntiquit. A cette poque, en effet, les hommes se soumettent la volont des dieux, ce qui les empchait de saffranchir des contraintes de la nature. En ralit, cest parce quils taient incapables de sen affranchir quils confiaient leurs destines aux dieux.

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Comme on le voit, il existe une relation particulire entre la vision que les hommes se font du monde et leur capacit de le contrler. Mais tandis que lOriental cherche, de part sa religion mme, se mettre en harmonie avec lunivers par un effort spirituel intense, lOccident, lui, recherchera, avec le temps, son salut dans laisance matrielle.

Et si le premier va rester en quelque sorte prisonnier de lunivers des dieux, le second, lui, va chercher sen affranchir en se considrant lui-mme comme un dieu. Et plus il russira dominer son environnement grce ses ralisations technologiques, plus il sera confort dans cette relation. Et plus il ira vers la russite, plus il ncoutera que lui-mme et son moi tout puissant. En dautres termes, parce que cet homme-l a fait de la richesse matrielle la quintessence de la russite, son dieu est un dieu matrialiste. Et, comme tel, il porte un nom trs particulier : largent.

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Et si lhomme aime, quoi quon en dise, la richesse et le confort depuis toujours, il faudra nanmoins attendre la Renaissance, puis la Rforme, puis la Rvolution Industrielle pour quil modifie radicalement sa vision des choses. Lhumanit entre alors dans lre du positivisme ou de la science positive. Cette dernire, on sen doute, a eu besoin, pour se dvelopper, de structures sociales appropries. La preuve : depuis sa dmocratisation, la science, et notamment la science pratique, a fait des progrs considrables. Et comme elle a pris pour objet des choses concrtes, lhumanit est entre avec elle dans lge du positivisme; en dautres termes, elle a quitt laire, ou lre, comme on veut, du sacr pour voir la ralit en face.

Contrairement donc aux Anciens, les Modernes sentendent exprimenter les choses. Ainsi fondent-ils leurs thories : en les asseyant sur la ralit concrte, une ralit quils sefforcent de contrler par lexprience.****

Mais l encore, les hommes nont pas attendu le sicle des Lumires pour faire progresser la science. Celle-ci a dbut trs tt, depuis, bien y regarder, que lhomme est dou dentendement. Une invention va pourtant rvolutionner le monde: celle de lcriture il y a plus de cinq mille ans.On peut considrer cet instrument comme la plus grande dcouverte de lhumanit.

Pourquoi ?Pour la simple et bonne raison quelle permet la fois de conserver et de distiller le savoir acquis par nos propres Anctres. ****

Certes, lpoque de son invention - nous sommes alors en Msopotamie - le savoir tait encore rserv une trs petite minorit dindividus.La pense des gens de cette poque tant imbibe de sacr, les savants taient des prtres.Non quil existt, cette poque, un seul domaine de recherche. Mais tous taient consigns dans un seul et mme livre : celui crit par les dieux, lesquels dictaient alors leurs lois aux hommes. Oui, le sacr recouvrait, en ce temps-l, absolument tout : le savoir des prtres, la manire de penser des gens, et finalement tous les actes de la vie quotidienne. Cest dire qu cette poque les hommes taient en contact permanent avec les dieux. En contrepartie, ceux-ci sentendaient les protger, les duquer, et, parfois aussi, les juger - au point de les chtier, parfois, trs durement. Lhumanit sortant, cette poque, dune trs longue priode lithique, cest en pierre qutaient construits les temples destins rendre hommage aux dieux et les abriter. Pierres, oblisques, temples, tertres, dolmen, menhirs et autres btiments funraires permettaient ainsi aux hommes de communiquer avec leurs dieux et de se rapprocher deux, y compris aprs la mort.

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Dans lesprit des premiers hommes, les dieux taient des esprits qui habitaient telle pierre, tel arbre, telle montagne, telle rivire, tel animal ou telle plante. Cest donc eux, dieux esprits se nichant dans les lments, qui leur prtaient vie.

En retour, ceux-ci, anims par ces esprits particuliers quon appelle mana dans certaines tribus, concouraient, par leurs agissements, lquilibre au monde. Et comme, de temps autre, le cours rgulier des choses tait perturb par des inondations, des tremblements de terre ou autres dsagrments du mme ordre, les hommes de cette poque imputaient le drangement la volont des dieux. Ceux-ci taient donc tout puissants. Et parce quils habitaient dans les trois mondes que sont le ciel, la terre et le monde souterrain - celui rserv aux morts -, les temples et oblisques dresss par les hommes servaient faire le lien, ou le joint, entre les trois mondes. Quant lorientation des pierres et des autres difices sacrs - sans parler de leur nombre et disposition sur le terrain -, ils obissaient un rituel trs prcis que les dieux avaient enseign certains hommes de la communaut. En crant des habitats pour les dieux, les hommes manifestaient leur volont de les voir descendre sur terre. Et les dieux de se manifester, sur terre, chaque fois que les hommes concevaient des statues pour les accueillir. Celles-ci servaient donc la fois de rceptacle et de reprsentation du dieu. Ainsi, en habitant, pour lternit, tel coin du temple, la statue du dieu exprimait la puissance, aussi bien que la prsence, la fois ternelle et immanente, de la divinit.

A travers elle, les hommes entraient donc en communication avec tel ou tel dieu cach dans lunivers, lui qui manifestait ainsi sa prsence sur terre. Et comme, cette poque, les hommes vivaient de manire structure et organise, le panthon divin refltait une pareille organisation.

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Dans les premires socits humaines, on la dit, les dieux habitaient le corps des plantes, des montagnes ou des animaux. En revanche, quand lhomme se dveloppera sur le plan intellectuel, il se fera des dieux une autre reprsentation. Et si les premiers dieux taient des esprits nichs dans les diffrents lments de la nature, ils acquerront, ds le temps des Grecs, une forme entirement humaine.

Et si ces mmes Grecs les faisaient reprsenter par des statues, un homme en chair et en os va incarner, en la personne de Jsus Christ, le pouvoir divin dun Dieu qui, au lieu de se nicher dans tel ou tel lment de la nature, va, tout la fois, crer et incarner lunivers dans sa totalit.

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Cette mutation, dans la reprsentation par lhomme de la divinit, prouve une chose : quil est en train de prendre lascendant sur les autres espces. Et mme dans le monde des hommes, il existe des souverains qui, tout en tant infods aux dieux de leur religion, ont pouvoir sur les autres hommes.

Cest dire, en dautres termes, que lhomme vit dans une socit hirarchise.

****Nous disions tout lheure que lhomme parviendra, grce son intelligence, simposer aux autres espces.Et comme, parmi lespce humaine, des gens en armes imposeront leur puissance dominatrice aux autres, lhumanit entre alors dans son ge hroque. En fait, lhomme de cette poque, comme dailleurs de toutes les poques, tait habit par deux sentiments contradictoires : dune part il croyait en des dieux dont la puissance tait trs suprieure la sienne, et dautre part il tait convaincu de pouvoir agir sur les puissances de la nature, pour autant quil parvnt communiquer avec les dieux.

Et si lhomme de cette poque tait convaincu de pouvoir entrer en communication avec les dieux et dagir sur eux, ou de concert avec eux, cest parce quil connaissait les rites propitiatoires (i.e. ceux-l mmes qui les dieux avaient enseigns aux prtres de la communaut) lui permettant de le faire.****

En ce temps-l, le contact avec les dieux seffectuait (chose qui perdure encore aujourdhui) au moyen des danses, des chants, des processions ( loccasion desquelles les statues des dieux quittaient le temple afin dtre promenes sur le chemin sacr menant vers telle montagne, ou telle colline, ou tel fleuve o la divinit tait cense accomplir les miracles quon attendait delle, ou, au contraire, en y mourant de sa belle mort avant de ressusciter - prouvant par l: a) que le dieu en question incarnait la vgtation en pousse, et b) que la procession tait associe un changement de saison), les prires, et enfin - last but not least - par les offrandes et les sacrifices. On notera galement, au passage, que la prsence des statues est rvlatrice dune chose tout fait fondamentale : savoir que lhomme de cette poque avait besoin de donner un contenu matriel, ou physique, ses dieux. Et plus cet homme-l saffirmera dans lunivers, plus la divinit ressemblera, dans son esprit, lhomme lui-mme.****

Le monde et la socit des hommes (02)Dans la religion des Anciens, les rgles procdurires constituaient un chapitre trs important de la liturgie. Quant lautre chapitre important, il tait occup par les danses, ou les chants, ces hymnes que les hommes chantaient ou criaient en lhonneur des dieux. A travers eux, les hommes rvlaient leur progniture la conception quils se faisaient de lunivers et des puissances qui lhabitaient. A cette poque, toutes les formes dexpression (langage, criture, comptes du boutiquier, monuments, voyages, etc.) et tous les actes de la vie quotidienne avaient un contenu sotrique ou sacr. Ainsi, prononcer telle parole quivalait postuler la ralit sous-tendue par le mot. Blasphmer revenait donc jeter lopprobre sur la personne vise par le blasphme. A linverse, souhaiter son bonheur y contribuait largement.

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Et comme les dieux, en ce temps-l, pouvaient se montrer bienveillants ou malveillants, ils exigeaient des hommes des sacrifices. Et ils exigeaient, notamment, que les souverains eux-memes sacrifiassent leur fils premier n. Pourquoi un tel sacrifice? Car lhomme de ce temps dmontrait ainsi quil entendait donner aux dieux ce quil avait de meilleur (premiers enfants, premiers pis de bl, premires ttes de btail, etc.). ****

Comme dit le proverbe, pour recevoir il faut donner. Et pour recevoir beaucoup il faut donner beaucoup, du moins en qualit. Ainsi, en donnant le meilleur de leur progniture, et les meilleurs fruits de la terre, les hommes de cette poque attendaient, en retour, de la nature, et donc des dieux eux-mmes, des rcoltes trs prometteuses.

Les sacrifices reprsentaient donc, pour parler comme les conomistes, un investissement productif. Vus sous cet angle, ils taient destins procurer la communaut le supplment de biens et daisance quelle rclamait des dieux.Pour prendre un exemple, les communauts de chasseurs offraient aux dieux, telle poque de lanne, les plus beaux spcimen de leurs trophes.Et comme lanimal sacrifi servait de totem la communaut, quil tait donc sacr, les prtres navaient le droit de le sacrifier qu tel moment prcis de lanne, et, qui plus est, et en respectant des rgles trs prcises. Hors de cette poque, lanimal reprenait son statut de dieu. Et comme il tait chass par lhomme, le chasseur de lArctique entrait, par la pense, en communion avec lui, avant laffrontement. En ralit, en priant leu dieu, les chasseurs passaient, dune certaine faon, un contrat avec leur futur proie, du genre:

tu me laisses te tuer, et je te vnrerai, de ce fait, jusqu la fin de mes jours, puisque que ta subsistance est ma subsistance. ****

Dans ces tribus, le chef des chasseurs, ou le dieu des chasseurs, tait donc lanimal lui-mme, lui qui reprsentait le totem de communaut. Et lorsque ce totem-l tait le bison au lieu dtre le phoque ou la baleine, lIndien le suivait la trace dans tous ses dplacements. ****

Ctait donc, cette poque, les dplacements des animaux sauvages qui dictaient aux hommes leurs mouvements migratoires. Et comme lhomme apprendra domestiquer les petits animaux (chvres, boucs, cochons, vaches, etc) et que ceux-ci auront besoin despace pour se nourrir, ils suivront galement, durant son propre mouvement migratoire, le btail en leur possession. En revanche, chez les peuples cultivateurs qui se sont dj installs sur une terre pour la cultiver, les offrandes faites aux dieux taient composes, essentiellement, d pis de bl ou de mas, de fruits, de lgumes, des fleurs ou tout ce quon voudra. ****

Elles se composaient mme - ainsi quon la vu plus haut - des enfants des humains, et, qui plus est, des fils premiers ns des nobles. Cette coutume, bien que cruelle nos yeux, ntait pas perue ainsi par ses adeptes. Pourquoi ? car les hommes de cette poque naccordaient pas la mme valeur que nous, gens du monde moderne, la vie. Contrairement donc nous, ils ne se considrent pas comme suprieurs aux autres espces. Cest seulement plus tard, la fin du second millnaire avant J-C, quon commencera rompre avec la tradition des sacrifices humains (chose prouve, dans la Bible, par lpisode relatant le sacrifice, ou pseudo sacrifice, dIsaac par son pre Abraham). Toujours est-il que cette coutume va se prolonger, en certains pays, jusquau IIIe sicle, environ, avant J-C.

Ainsi quon vient de le donner lentendre linstant, les premiers avoir dnonc cette pratique furent les prtres juifs. La preuve ? Dieu dtourna la main dAbraham au moment o celui-ci sapprta sacrifier son fils Isaac. Le dieu des Juifs tait donc un prcurseur en ce domaine. Certes, on peut considrer quil apparaissait dans la peau du malin lorsquil demanda lhomme de tuer son propre fils. Mais en ralit, cest un dieu magnanime qui cherchait tester la foi, en Lui, dAbraham. ****Comme on la vu plus haut, les hommes de lantiquit taient en contact permanent avec les dieux. A ceci prs que, pour communiquer avec eux, ils devaient observer des rgles trs prcises, dont la violation pouvait avoir des consquences tragiques pour la communaut. Quoi quil en soit, ce sont les prtres qui, dans la communaut, communiquaient avec les dieux. Et une fois que la prtrise se dveloppa, certains prtres se spcialiseront dans la consultation du ciel et des prsages. Car les dieux se manifestaient aux hommes par des prsages ou par des signes avant-coureur. Et le fait est quavec le temps, les prtres feront de leur lecture une vritable science. Lapprentissage des jeunes prtres tait assur par les anciens pretres, qui avaient reu leurs propres lumires des dieux en personne.

La science des prtres tait donc, la fois, initiatique et propitiatoire, elle-mme se transmettant oralement, et en secret, lintrieur du clan. ****

Ctaient donc les prtres qui, cette poque, dirigeaient la communaut, non sans former, lintrieur, une classe part.

Reste que les dieux imposaient, en ce temps-l, leurs lois tous les hommes, et pas seulement leurs souverains, et que si les prtres avaient t choisis par les dieux, ctaient pour appliquer sur terre, plus prcisment dans le monde des hommes, leurs quatre volonts. Et comme tout bon intellectuel qui se respecte, ces prtres, en monopolisant le savoir diffus par les dieux, cherchaient le conserver par devers eux. Do la notion de science sotrique, elle-mme servant dinstrument de pouvoir dans les mains des prtres. ****

Cette inclination des hommes devant les dieux ne les empchait dailleurs pas de partir la dcouverte du monde. Et sils le firent, ce fut moins par curiosit intellectuelle que par ncessit, parce que les conditions de vie lexigeaient. Nous, gens du monde moderne, imaginons souvent que les Anciens ne voyageaient pas. En ralit ils voyageaient plus que nous relativement aux facilits qui leur taient accordes. Et comme ils taient nomades, ils suivaient leur btail ou les animaux sauvages (bisons, etc.) quils chassaient. Cest donc lexercice de la chasse et de la pche, ainsi que la pratique de llevage, qui les poussrent frquenter de grands espaces. Et plus lhomme voyagera, plus sa curiosit va sveiller. Et parce quil est intelligent, il se facilitera la tche en concevant des outils et des instruments destins conomiser sa peine. ****

Au dpart, ses premires inventions lui servirent mieux chasser ou mieux pcher. Car lhomme qui est devant nous tait un chasseur, un prdateur. Ce qui ne lempcha point de domestiquer certaines espces vgtales et animales. A partir de l, il va cultiver la terre et arpenter les grands espaces avec son troupeau et son quipage. Car le btail a besoin despace pour se nourrir. Et comme la nourriture nest pas infinie sur place, lhomme va se dplacer.

Lhiver, il descendra, par exemple, dans les plaines, depuis ses hauteurs alpestres, ou andines, ou himalayennes, hauteurs quil frquentera nouveau, ds le dbut de lt, afin dy trouver, aprs les longs mois dhiver, des praires lherbe nouveau abondante.

Et sil cultive la terre, il changera dendroits afin de laisser reposer le sol. Quant aux nomades, ils suivront - ainsi quon la vu tout lheure - leur troupeau durant ses propres prgrinations.Et cest dailleurs en suivant le bison, ou le buffle sauvage, que les Indiens traversrent le dtroit de Bring et sinstallrent sur le continent amricain.

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Lhomme, parce quil est intelligent, prouve le besoin de dcouvrir les choses. Et non seulement avec ses sens mais avec son intelligence. En clair, il cherche comprendre les choses quil dcouvre. Prenons, par exemple, le singe : il a le dada pour imiter les autres animaux. Pour lhomme cest pareil, sauf quil le fait plus intelligemment que le singe. Et parce quil narrive pas voler comme les oiseaux, ou nager aussi vite que les dauphins, il inventera des engins (avions, bateaux, etc.) capables dimiter les tres dont il a dcel les proprits magiques. Cet homme tudie donc les proprits des tres (plantes, animaux, montagnes, lments, etc.) qui saniment autour de lui. Et ce non seulement pour les imiter, mais pour les utiliser son propre avantage.

Ainsi utilisera-t-il le chameau, ou le cheval, pour se transporter, lui et son quipage. Il cherchera aussi se protger des intempries et des agressions commises par les animaux sauvages. ****

Et parce quil se veut tre, lui aussi, un chasseur ou un pcheur, il confectionnera des armes ou des outils toujours plus performants. Ses instruments lui permettront aussi de travailler la matire (que ce soit pour la tailler, la couper, la dcouper, la polir, larrondir, etc.).

Cet homme fera tout cela, non seulement par ncessit, mais parce quil est intelligent. ****

Son intelligence lui permettra galement dobserver et de dceler les proprits des tres observs. Et comme celles-ci sont dans lordre de la matire, il apprendra, avec le temps, dcouvrir les lois de la physique, de la mcanique, de la chimie, etc. Il apprend aussi se servir des lments naturels tels que le feu, leau, lair et la terre. En crant des engins capables de profiter de lnergie produite par le mouvement des lments (et de leau en particulier), il crera lnergie ncessaire au fonctionnement dautres engins encore plus performants.

Cest dire, en dautres termes, quil va utiliser la puissance de leau (ou de lair, ou du feu) comme levier ou moteur. Ainsi remplacera-t-il, avec le temps, et comme propulseur de ses nouveaux engins, leau, par le ptrole ou latome. En rsum, il cherchera connatre les proprits physiques des corps en dplacemen,t afin dutiliser leur nergie, ou den crer de nouvelles, grce leur manipulation. ****Au dpart, on la dit, il se servait des animaux pour porter, ou tirer, autrement dit comme moyen de transport ou de travail. Plus tard, il se servira des lois de la physique et de la gravitation pour utiliser son profit la puissance hydraulique, lectrique, ou lectromagntique attachs aux lments. Grce eux, sa puissance de travail, de levage et/ou de dplacement dans lespace sen trouve amliore. On notera galement que, sous lantiquit dj, lhomme parvint dplacer dimportants blocs de pierre en dtournant le cours des fleuves et en immergeant les blocs dans les cours dvis. Sans connatre la thorie dArchimde, qui veut que les corps immergs dans leau psent sept fois moins que sur la terre ferme, les hommes de cette poque s lappliquent leurs ralisations. Et il est probable aussi, encore que la chose soit moins assure, quils levrent leurs pyramides ou leurs oblisques de cette faon. Car noublions pas que ces monuments pesaient jusqu plusieurs dizaines de tonnes. Or, sans la traction de leau, on a de la peine comprendre comment ils auraient pu les dresser et les fixer. Il est probable quils construisirent des digues temporaires, ou quelque chose comme des norias ou des moulins dont ils utilisrent lnergie lever les blocs.

On a longtemps cru que, pour raliser les ouvrages quils destinaient aux dieux, les souverains de lantiquit avaient, sous la main, une main doeuvre abondante et bon march, qui tait essentiellement compose,disait-on, desclaves.

Or des tudes rcentes ont dmontr que les btisseurs taient des gens libres et bien pays.

De plus, nous, gens du monde moderne imbus de notre propre supriorit, avons tendance grandement sous-estimer la matrise technique des ingnieurs de cette poque, notamment pour dplacer et dresser dimposants blocs de pierre.En effet, les Anciens savaient, aussi bien que nous, tablir des jointures entre les blocs et les faire glisser dans les encoches ou entailles prvues cet effet. ****

Le propos ne vaudrait le dtour si leurs techniques ne staient perdues avec le temps. La preuve : on ne sait plus, de nos jours, comment ils sy prenaient pour confectionner et dresser, en direction du ciel, daussi grandioses monuments que les pyramides ou les oblisques de lEgypte antique, et des btiments aussi consquents que les ziggourats msopotamiennes.

****Le monde et la socit des hommes (03)Lorsquun peuple nentre pas dans lHistoire comme un modle de civilisation suivi par dautres, on najoute gure foi ses propos. Et pourtant il a peut-tre des choses intelligentes dire. La preuve : les peuples de lArctique savaient que la terre tait ronde. Seulement voil, quand leur propos fut rapport Hrodote, lhistorien grec nen crut pas ses oreilles. Car, comme dit le proverbe, on ne prte quaux riches. ****

Tout cela pour dire les gens prfrent consulter des docteurs au talent reconnu, plutt que des manants proccups de faire leur place au soleil. Et quand un peuple est parvenu, au contraire, dominer les autres, grce aux talents conjugus de ses membres, ce sont, la fois, son ordre et sa comptence qui tiendront lieu de loi. Or rien ne prouve que ceux-ci aient toujours raison. Ainsi, le fait quils aient eu raison, une fois, puis deux, puis trois, avec leurs dcouvertes, ne prouve pas quil en sera toujours ainsi. Car mme les meilleurs peuvent se tromper.Et il arrive, aussi, quils soient dpasss par des gens qui nont ni nom, ni rputation, ni fortune. Or ceux-l, au dpart, ne sont pas crus. Pourquoi ? car lhomme prfre croire la parole de gens qui sont dj arrivs, et qui donc ont dj fait leurs preuves, plutt que les nouveaux arrivants.

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Ceci dit, tous les peuples ne sont pas attachs la russite sociale.Pour reprendre lexemple cit par Hrodote, les peuples de lArctique se moquent comme dune guigne ce quon peut penser deux et de leurs dcouvertes.

Car ce quils veulent, eux et leurs semblables des autres rgions du monde, cest mieux comprendre la nature, afin de mieux pcher, de mieux chasser, de mieux protger leur cheptel contre les intempries ou contre les animaux sauvages de la rgion, bref afin dassurer leur propre survie dans un environnement qui ne fait de cadeaux personne.

Ces peuples nont donc que faire de la civilisation et de ses fastes.Et parcequils sen moquent, les peuples civiliss les traiteront par le mpris en les considrant comme des tres sous-dvelopps, voire mme comme des btes. Car les peuples, une fois entrs en civilisation, naiment pas que dautres leur fassent la leon. Mme remarque lintrieur desdits peuples: les docteurs des nations civilises napprcient gure que des manants se mettent en travers de leurs lumires. Toujours est-il que lhomme, tout savant quil soit, peut se tromper. Mais parce quil est docteur, et donc initi dans son secteur, il a tendance se prendre pour Dieu et mpriser les non-initis. ****Mme constat lchelle des peuples. Lorsquun peuple largit, grce son gouvernement et une arme forme cet effet, et quipe en consquence, son empire, il a tendance se croire infaillible. Il est confort, dans cette voie, par les peuples qui ont t coloniss par sa culture et son mode de vie. ****

Car cest vrai, ceux-ci ne rvent que de copier le grand frre. Ils rvent donc de partager les mmes valeurs et les mmes croyances que lui.

Pourquoi une telle inclination ? car lhomme est ainsi fait quil a de ladmiration pour les souverains. Dans son esprit, le fait quils soient parvenus au sommet de la hirarchie est une preuve de supriorit. Or lhomme a besoin dexemples suivre. Et comme ceux-ci viennent toujours den haut, et jamais den bas, il rve dimiter les souverains. ****

A preuve, le modle amricain fait rver aujourdhui des millions dindividus travers le monde. Pourquoi ? Rponse: car il symbolise la russite. ****

Mais ce que les gens ignorent, cest que dans dix sicles, on nentendra plus parler des Etats-Unis, sinon dans les livres dhistoire. Pourquoi ? Rponse: car force de dominer leur entourage, les matres du monde finissent par se croire invincibles. Ce quils ne sont pas.Quant leurs disciples, force de les croire sur parole, ils finissent par saveugler eux-mmes sur les ralits du futur.

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Pour prendre un exemple dans la vie de tous les jours, chacun sait que certains experts de la finance mettent leurs lumires conseiller les investisseurs. Ceux-ci tant judicieux, ils rapporteront beaucoup dargent. Au point que ces mmes investisseurs prendront le conseiller pour Dieu le Pre. A partir de l, chaque phrase mise par le conseiller, dans les gazettes spcialises ou la tlvision, deviendra un vnement boursier. Ce conseiller-l, au lieu de faire son mtier, va donc influencer la bourse, chaque quil prend la parole afin de guider les investisseurs.

Autant dire que notre conseiller est devenu un gourou de la finance mondiale. Au reste, ses prdictions ont t vrifies tant de fois quil est impossible quil se trompt.

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Seulement voil, notre gourou ntant pas aussi omniscient que Dieu lui-mme, il fait quil se trompera forcment un jour.Or, ce jour-l, des centaines dinvestisseurs pleureront de lui avoir fait trop confiance. Comme quoi on ne prte quaux riches.

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Plus haut, nous avons vu, en examinant la manire dont les Anciens btissaient leurs pyramides, que la science se perd avec le temps. Pourquoi ? Rponse: car elle change totalement dorientation. Do vient le changement ? De la raret des ressources. En effet, toute science a un cot. Non seulement elle mobilise des chercheurs, mais ceux-ci doivent faire progresser la science. Ils doivent donc dcouvrir.Et comme les ressources sont rares, chaque fois que la science souvre de nouveaux horizons, elle dlaisse, progressivement, les anciens. Arrive alors ce qui doit arriver : les nouveaux savants, en tudiant des choses compltement diffrentes, ou les mmes mais avec dautres mthodes que celles employes par leurs ans,, ne savent plus faire ce queux-mmes savaient faire. Non quils ne sachent rien faire. Au contraire. ****

Le fait est quils nvoluent pas dans le mme univers que leurs prdcesseurs. Et parce quil en est ainsi, tout, chez eux, est diffrent : leur vision du monde, leurs lois, leurs techniques et leurs mthodes. Tout est diffrent car ils ne vivent pas dans le mme monde que leurs pres. Partant, ils nont ni les mmes besoins ni le mme usage queux des choses quils dcouvrent. Voil pourquoi ils dcouvrent des choses diffrentes.

La question est alors de savoir pourquoi leurs besoins diffrent de ceux des Anciens? Rponse: car ils sont constamment pousss par le besoin dinnover. Cest leur manire eux de se faire remarquer. En se dmarquant de leurs anctres, ils saffirment en tant quhomme de science. La preuve : ils la font avancer. A ceci prs quils naiment pas suivre les mmes traces que leurs devanciers.

Ce qui revient dire que la science progresse, non point de faon linaire, mais en changeant constamment dorientation. ****

Doit-on en conclure que la science et ses progrs sont le moteur de lhistoire ? Ainsi prsente, la question mrite en effet une rponse positive.Reste prciser que les hommes qui font avancer la science ne sont pas nimporte qui : ce sont des hommes de talent, et qui plus est des innovateurs, donc des rvolutionnaires. Sans eux, en effet, lhomme serait rest tout jamais lge de pierre, incapable quil ft de rien changer son environnement.

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Ceci dit, avant dinnover et de changer les choses, lhomme doit en prouver le besoin. A contrario, sans linsatisfaction cause par ltat existant, et sans la volont de remdier cette situation, lhomme, au lieu de chercher changer les choses, sera enclin ne rien changer lordre existant.

Bref, sans ltat dinsatisfaction et la volont manifeste par lhomme dy remdier, pas de changement possible. Est-ce dire que lhomme est capable de tout changer. A y regarder de prs, il na demprise, dans lunivers, sur pas grand-chose. ****

Cela signifie que la quasi-totalit de ce quil dcouvre dans lunivers ne vient pas de lui, mais dun autre. Cet autre, qui est-il ? Rponse (qui est ici celle dun croyant): Dieu. Et comme lhomme nest pas Dieu, il na de prise, ni sur le ciel, ni sur les nuages, ni sur la pluie (encore que, puisque, en effet, si lon tient compte de leffet de serre que lon connat de nos jours, on peut le rendre responsable du rchauffement de la plante et de la fonte glacire qui sensuit). Toujours est-il que lhomme est incapable, par une action directe et voulue, de faire tomber la pluie. De mme, il est incapable, malgr toute sa bonne volont, de transformer des montagnes en ocans.

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On objectera peut-tre quil est capable, aujourdhui mme, de recrer la vie en modifiant la carte gntique des tres situs devant lui.Mais cest l un ersatz de vie qui na aucune valeur en dehors de son univers dhomme prtendument clair. Au lieu donc de mesurer la grandeur intellectuelle de lhomme, une activit pareille tmoigne, au contraire, de sa petitesse. Seulement voil, une fois quon soumet la vie, et ses manifestations, la loi de largent, il ne faut pas sattendre des miracles. ****

Non que la promotion de la valeur dchange soit nfaste au dveloppement de la civilisation.

Reste qu trop tirer sur la corde, ou trop abuser des bonnes choses, elles finissent par se rompre, ou se corrompre. Voil ce qui arrive quand on soumet tout, y compris la vie et ses valeurs, la loi du profit spculatif.

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Nous reprendrons cette question une autre fois. Pour lheure, constatons que lhomme nexerce finalement quune emprise assez faible sur lunivers o il vit. Et quand il en exerce une, il abuse de son pouvoir en polluant ou en dtruisant des pans entiers de la nature. Or cette nature a besoin dtre protge. Et parce que Dieu nest pas content, la nature se vengera de lhomme en se manifestant par des avalanches de neige, des coules de boue, etc. Dchane, elle emporte alors tout sur son passage. Les Anciens lavaient dailleurs fort bien compris, eux qui respectaient la nature comme un don du ciel. Lhomme moderne, lui, na pas ce genre de prjug. Seulement voil, force de tout dboiser, ou force de rchauffer la plante, avec son gaz carbonique, il finit par dsquilibrer lcosystme, non sans tuer, au passage, des milliers despces.

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Doit-on, pour autant, mettre fin au progrs technique sous prtexte quil cre des nuisances ?Rponse: pas forcment. Tout dpend, ici, de savoir ce quil faut entendre par progrs technique. Une chose est sre : pour changer matriellement de vie, lhomme est oblig dexploiter les ressources naturelles. Sans cette exploitation, en effet, pas de changement possible. Et qui dit changement, dit progrs de la civilisation. Reste que la civilisation ne peut mriter son nom qu condition que les hommes respectent une certaine thique. Sans elle, contrario, ils ne sont que des animaux assoiffs de pouvoir et de profit. Et, qui plus est des tres aveugles aux nuisances et aux malveillances commises lenvironnement et la nature. Or les lumires qui permettent lhomme de slever ne tombent pas du ciel.Pour mieux dire, elles tombent prcisment du ciel. Pourquoi ? Rponse: car seule la lumire divine peut clairer les hommes sur les violations quils commettent chaque jour lendroit de la nature et de ses cratures. Et ce au nom de la recherche du profit sans bornes. Ces hommes-l doivent donc apprendre la probit morale. A cette condition seulement, ils peuvent porter trs haut les valeurs de la civilisation.

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Comme on le voit, le dveloppement de lhomme nest pas seulement li aux besoins dexploiter des richesses et dlever son niveau de vie matriel. Lhomme ntant pas, non plus, quune machine produire et consommer des biens, il doit savoir sarrter lorsque sa qute du profit sans limites le fait tuer des milliers despces, ou le fait polluer la nature, ou le faire avilir ses propres congnres au moment de parvenir ses fins. Toujours est-il que la loi du profit maximum quelle est pratique, de nos jours, par les boursicoteurs de Wall Street et dailleurs, ne permet pas de rsoudre une pareille quation. En dautres termes, les conomistes ne sont pas, de nos jours, comptents pour faire le bonheur de lhomme et celui des autres espces. Ils ne le sont pas car il manque leur formation une thique ou une morale qui seule peut leur permettre de mesurer les enjeux quils prtendent rgler grce leurs savantes quations.

Rien de pareil, lpoque dun Adam Smith ou dun David Hume, puisque ces conomistes-l taient galement, leur faon, des moralistes.

Or, aujourdhui, la morale a disparu des affaires.

Ce qui revient dire que la croissance conomique si elle nest pas enrichie par dautres considrations que par les seules lois de lconomie, a quelque chose de superficiel, de factice, dirrel. ****

Lhomme a donc besoin dautres lois, commencer par celle de la morale, pour remplir correctement son rle. Sinon, force de tout accaparer, il risque de tout dtruire. Et do vient une pareille volont dappropriation ? Du fait quil se prend pour le centre du monde. La preuve: il est persuad tre tout jamais lanimal le plus clair. Partant, il se croit tout permis. Or lhomme na pas tous les droits. ****

Toujours est-il que les cratures lses par ses actes, la fois pollueurs et tueurs, nont aucun pouvoir pour se dfendre. Et lhomme den profiter en abusant de son propre pouvoir. Ce nest dailleurs pas une raison pour tomber dans lexcs contraire et rclamer, de sa part, quil verse dans le spiritisme. Quoi quon en dise, lhomme a besoin daliments matriels pour vivre. Et plus il cre des richesses pour tous, plus il peut obtenir la justice sociale.

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Et qui dit richesses crer, dit convocation de la science, toutes disciplines confondues. Pour produire des richesses, les entreprises conues par lhomme ont besoin non seulement de matriaux et de machines, mais de matire grise. Seulement voil, un tel investissement met du temps se concrtiser. En effet, il faut du temps, une nation, ou une communaut, pour se former aux mtiers de lavenir, et pour acqurir le sens des responsabilits quimplique tout projet social digne de ce nom. Soyons clair : il ne suffit pas aux hommes dtre intelligents pour que la socit quils forment avec dautres, volue vers plus de confort et de justice sociale. Si cela tait, lhomme pourrait se nourrir uniquement de philosophie ou de thologie. Or, comme nous lavons vu tout lheure, lhomme a galement besoin de nourriture matrielle. Au reste, un homme affam est incapable de penser et dagir correctement. A linverse, celui qui est bien nourri et correctement encadr (que ce soit par sa famille et par la socit) est capable de faire des tudes et de bien travailler.

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La premire tche dune nation sous-dveloppe est donc de nourrir convenablement les membres de sa population. Cette tche suppose quune partie importante de cette mme population soit affecte au travail de la terre. A notre avis, il est, dans ce contexte, illusoire de sauter les paliers du dveloppement tels quils ont t mis en lumire par Rostow. La preuve : les nations dveloppes ont toutes pass par les stades primaires (agriculture), secondaires (industrie) et tertiaires (activits de service) pour arriver l o elles sont. ****

Inutile, pour autant, de retourner lge de pierre, sous prtexte que le dcollage conomique de toute socit renvoie un modle fond sur lagriculture. Rien nempche, en effet, les socits sous-dveloppes de profiter des dernires technologies. commencer par Internet. Reste que la nation qui est pauvre ne doit pas mettre la charrue avant les boeufs.En dautres termes, elle doit adapter ses besoins ses moyens.Sinon, si elle vit crdit, cest--dire au-dessus de ses moyens, elle risque de payer, dans lavenir, un prix trs lev. Pourquoi ? car elle sengluera, alors, dans le cycle infernal de la dette.

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Ceci dit, il nest point de dveloppement durable sans la formation de la population aux mtiers de lavenir et sans la cration demplois concomitants. Seulement voil, dans la mesure o lducation ne tombe pas du ciel, il se trouve que sans structures daccueil cre par la socit, aucune ducation ni formation nest possible pour ses membres, et notamment pour ses membres les plus dfavoriss. ****Le monde et la socit des hommes (04)

Plus haut dans ce livre, nous avons vu que la science ne progresse pas de manire linaire, mais par bonds, coups davances qui se nient dialectiquement. Elle nest donc pas uniforme ou unilinaire, mais multiforme ou multilinaire.Cest ainsi que la mme ralit peut tre perue sous des angles diffrents. Prenons par exemple les Chinois. Ils utilisent lacupuncture pour traiter les maladies, domaine quils matrisent grce une tude complte sur le systme nerveux. Par comparaison, les Occidentaux sont moins comptents sous ce rapport. Par contre, ils sont plus avancs dans dautres domaines de la mdecine. ****

Cette multiplicit des points de vue prouve que les hommes orientent leurs recherches dans des directions diffrentes. Question, sans doute, dintrt, mais aussi de mode de vie et dducation.

Et le mme propos de sappliquer lorsquon compare les Modernes aux Anciens. La preuve : ceux-ci dvelopprent des techniques de transport et de levage (songeons aux pierres destines aux pyramides, aux oblisques, ou aux ziggourats) qui se sont perdues avec le temps.Pourquoi? Rponse: car, au lieu dapprofondir le savoir des Anciens, leurs successeurs ont engag la science sur des voies nouvelles. La transmission du savoir travers les ges dpend dailleurs de plusieurs choses : dabord de la qualits des supports matriels que nous ont lgus les Anciens, ensuite de facteurs perturbateurs cette transmissions comme les guerres, les inondations, les cataclysmes naturels, les pillages, les dprdations, les vols, etc. Il faut tenir compte galement du hasard. En effet, dans la mesure o les archologues ignorent, dans leur rle dhistoriens, o les vestiges des cits anciennes se situent, il leur arrive de ne pas creuser leurs fouilles au bon endroit. Et, quand, enfin, ils dcouvrent les cavernes dAli Baba dont ils rvent depuis des lunes, peut-tre celles-ci ont-elles t vides de leurs trsors par des mes plus regardantes sur leur valeur marchande que sur leur valeur historique ou culturelle.

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Quoi quil en soit, qui veut connatre le pass a besoin de sen remettre aux historiens. Et pourquoi un tel besoin de connatre le pass ? Rponse: car celui-ci aide comprendre lavenir. Et tel est prcisment le but de ce livre : clairer le pass afin de mieux savoir ce que lavenir nous rserve. Il cherche aussi comprendre pourquoi lhomme est devenu ce quil est. ****

La prsente tude appartient donc la philosophie de lhistoire plutt qu lhistoire proprement dite. Reste que le travail de lhistorien est une mine dinformations trs prcieuses pour le philosophe. Et pas seulement pour lui : pour tous ceux qui interrogent le pass afin de connatre lavenir.Car cest lavenir qui intresse lhomme au premier chef, et qui plus son propre avenir. Sa connaissance le rassure, elle calme ses angoisses.

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Car lhomme est un tre angoiss.Oui, Mesdames et Messieurs les lecteurs, il a peur de mourir. Cest donc autant par instinct de conservation que par souci denrichissement intellectuel quil cherche connatre lavenir. Cette qute du futur tmoigne dune existence agite, elle-mme tant traverse par des moments de doute et dinscurit. Et comme lhomme nest pas Dieu - sinon, il ne se sentirait pas menac - il na que le pass comme point dancrage sa connaissance du futur. ****

En loccurrence, il se sert des informations quil a patiemment accumules, sur le pass, pour faire des prvisions. Or plus celles-ci portent loin dans lavenir, moins elles sont, par dfinitions, certaines.

A linverse, plus elles se rapprochent du moment prsent, plus elles ont des chances de se rvler exactes. Mais une condition : que le futur se comporte comme le pass. Or l est toute la question. ****

Mais supposons quon y retrouve les mmes vnements. Cela signifie alors que ceux-ci se rptent. La question est alors de savoir pourquoi et comment. Une fois que le chercheur a trouv la rponse, il peut alors lappliquer aux vnements futurs.Ceux-ci ntant pas certains darriver, le chercheur value galement le degr de probabilit avec lequel ils arriveront, au moment voulu, et dans la forme voulue par lui. ****

Mais supposons que les vnements ne se reproduisent pas. Il est alors inutile de chercher la loi de leur reproduction. Il lest car les vnements voluent au hasard. Seulement voil, le chercheur, au dpart, ne le sait pas. Pour le savoir, il doit voir si les vnements se reproduisent ou non, et sous quelle forme. Cest donc seulement au terme de son tude quil pourra dire si les vnements quil tudie sont ordonns ou non. Et sils le sont, il regardera comment ils le sont.

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A partir de l, notre chercheur va tablir une ou plusieurs lois de comportement. Certes, il peut arriver que les vnements voluent sans queue ni tte, cest--dire au hasard, et quune telle manifestation est elle aussi, et quelque sorte, une loi de comportement. La preuve : le chercheur constate, au terme de ses travaux, que les vnements voluent au hasard. Mais le plus souvent, sa loi cherche ordonner les vnements. Cela prouve donc quils sinscrivent dans un plan, une logique, un ordre, une squence.

**** Et que pense lhistorien lui-mme de cette question ? Tout dpend de sa formation et de son engagement idologique.Une chose est sre : ou bien il considre que les vnements quil tudie voluent au hasard, ou bien il considre quils voluent selon une loi dtermine, ou prdtermine.On demandera quelle diffrence il y a entre une loi dtermine, et une loi qui est prdtermine ? La premire postule que les tres sont dous de volont et que celle-ci vient deux-mmes en tant que source de lvnement. La seconde, par comparaison, postule quune force supra mondaine est responsable de tous les vnements. Ces vnements-l, en dautres termes, ont beau tre produits par des tres plus ou moins dous de volont, leur volont mme provient dune force extrieure, laquelle les pousse se comporter de telle ou telle faon.

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Pour en revenir lhistorien, celui-ci est absolument incapable de tout connatre du pass quil tudie. Et en aurait-il la volont et les capacits intellectuelles, quil ne trouve pas toute la documentation - archologique et autre - souhaite. Notre chercheur est donc limit dans son entreprise. Et parce quil ne connat pas tout du pass, il en est rduit spculer ou faire des conjectures. Ce faisant, il devient romancier ou philosophe. ****

Et cest prcisment sous forme de pomes, de lgendes, de contes ou de mythes quapparurent les premiers livres dhistoire. En ralit, toutes ces histoires taient, au dpart, colporte de bouche oreille, tradition que lcriture corrigera par la suite. Pour en revenir lhistorien, nous disions quil se fait romancier chaque fois quil imagine les vnements du pass, au lieu de dmontrer leur existence. Or pour les dmontrer, il doit commencer par les interroger. Doit-il les interroger tous ?En rponse, tout dpend, ici de lobjet de sa recherche. ****

Nonobstant ce qui prcde, notre historien, en faisant son mtier, acquiert un bagage, une culture.Ce bagage, il peut lacqurir de deux manires : soit en consultant les documents depuis une bibliothque, soit en observant la ralit sur le terrain. Dans les deux cas, il acquiert une certaine vision des choses quil tudie. Assurment, celle-ci et t diffrente sil avait possd dautres informations que celles quil possde. Elle et t diffrente, aussi, sil avait eu une autre intelligence, que la sienne, pour les interprter. Or ce nest pas le cas.Autant dire que sa vision est subjective. ****

Posons-nous nanmoins la question: et-elle t objective, ou plus objective, si lhistorien avait eu toutes les cartes en mains ? Rien nest moins sr. Pourquoi ? Car malgr son intelligence, ou cause delle, lhomme est prisonnier de son idologie et de ses passions. ****

Et ce qui vaut pour lhomme en gnral vaut galement pour lhistorien. Celui-ci est subjectif pour plusieurs raisons : dabord parce quil est un homme - cette crature soumise ses sens et ses passions -; ensuite parce quil dispose dinformations partielles, donc tronques; enfin parce quil tient ses informations dautres hommes, eux aussi soumis leurs sens et leurs passions. Voil pourquoi sa vision du monde est subjective, voire mme partisane.

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Comme on la vu tout lheure, lhomme peut gloser sur le monde en sappuyant sur des faits ou en les imaginant. Dans les deux cas, cependant, il ignore le contenu de la vrit immanente. Il nen demeure pas moins quil se montre plus objectif ou, ce qui revient au mme, quil se montre moins subjectif,dans le premier cas que dans le second. Pourquoi ? Rponse: car il sappuie alors sur des faits, et pas uniquement sur son imagination -laquelle, notons-le en passant, repose son tour sur des faits. ****

Or telle est la vocation de lhistorien : rechercher les faits les plus marquants du pass. Mais comme il est incapable de tout tudier, il limite sa recherche telle ou telle poque de lhistoire ancienne. Supposons maintenant quil ait la prescience des vnements.Il cherchera alors les vrifier sur le terrain.

Et une fois quil en aura contrl lexistence, il cherchera les interprter. ****

Ce faisant, il va les met dans un ordre, dans une squence.

Ce travail le poussera dailleurs rechercher des causes aux vnements.Et comme elles sont censes appartenir au mme monde que les phnomnes tudier, les derniers vnements sclaireront par leur mise en relation avec ceux qui les ont prcds. Ceci dit, comme lhistorien nest pas Dieu, il na pas, sous la main, toutes les informations ncessaires un parfait clairage de son objet.Ses conclusions sont donc limites, voire mme entaches derreurs. Elles sont dautant plus subjectives quelles manent dun tre humain, cette crature faillible. ****

Et parce que notre savant est un homme et que les hommes nont ni les mmes gots, ni les mmes centres dintrts, ni le mme caractre, ni la mme intelligence, ni le mme pass, ni le mme environnement, ni enfin le mme mode de vie, notre savant doit forcment prendre parti. En dautres termes, il ne peut pas parler pour tous les hommes en mme temps. Pour les mmes raisons, sa vision du monde ne peut pas tre objective.

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Faisons le point : nous avons vu que lhomme cherche comprendre le monde autour de lui. Cest sa manire lui de se rassurer. Nous avons vu aussi que chaque individu entretient une relation particulire au monde. Et parce quil en est ainsi, il existe autant de visions quil y a dindividus diffrents. ****

Lopinion des gens sur les vnements dpend de deux choses : de la connaissance quils en ont dune part, de linterprtation quils en donnent dautre part. Bien entendu, ltat des connaissances acquises dpend du dsir que manifeste lindividu les connatre. Lhomme cultiv est donc un curieux. A noter que la curiosit est un signe de grande intelligence. ****

On a vu, nanmoins, plus haut, que lhomme peut imaginer les choses au lieu de chercher connatre leur ralit. Limagination est donc lautre facette de son intelligence. Et celle-l de procder, son tour, de la connaissance. Puisque, en effet, lhomme est incapable de penser quelque chose, ou dimaginer quelque chose, partir du nant. ****

Toujours est-il que la connaissance des faits, et limagination des faits, sont deux choses diffrentes. La preuve : ltre imaginatif peut plonger dans des univers fort loigns de la ralit. Or la science - car cest delle quil sagit ici - a besoin de sappuyer sur des faits ou des ralits, pas sur des chimres. Et parce que le savant na pas la science infuse, il doit interroger les vnements pour les connatre. A partir de l, de deux choses lune : ou il en a une ide prconue et cherche la vrifier sur le terrain; ou il na aucun prjug propos des vnements quil dcouvre.****

Cette absence de prjugs lempche dailleurs de tomber dans certains travers. Car lhomme est ainsi fait quil a plus de peine dsapprendre des choses fausses qu apprendre, comme les petits enfants, des choses justes, en partant de zro.

Cela prouve que ses prjugs sont tenaces. Au point quil cesse de voir la ralit en face, elle qui pourtant sinscrit noir sur blanc devant lui. Oui, cet homme a toutes les cartes en main pour voir. Et pourtant il ne voit rien; o mal, cest--dire de travers.Pourquoi une telle indigence de sa part? Car, ce quil recherche, au fond, cest une information quune confirmation ses prjugs. ****

Seulement voil, lhomme de science, pour ce qui le concerne, na pas le droit de se satisfaire de prjugs.Ses thories doivent tre au contraire tayes par des faits. A dfaut, elles cessent dtre des thories prtention scientifiques, pour devenir des romans. ****

Non que lhistoire raconte par le romancier ou le pote soit dpourvue dintrt, ou sans rapport avec la ralit historique. Reste que lauteur du roman peut prendre, avec la ralit, des liberts interdites lhomme de science. Celui-ci doit, en effet, vrifier ses propositions et sen tenir aux faits. Sans ce travail de vrification, elles ne valent rien, scientifiquement parlant. ****

Bref, tandis que le romancier ou le pote cherche dabord divertir puis informer, lhomme de science cherche non seulement informer, mais prouver. Ce nest pas lui de juger si les faits quil rapporte sont extravagants ou non. Il doit les rapporter comme ils sont. Punto basta. ****

Bien entendu, il nest pas interdit, lhomme de science, davoir une opinion sur la question et de lexprimer. Toujours est-il que son mtier homme de science loblige sen tenir aux faits.Et sil nest pas sr de leur vracit, il doit lcrire noir sur blanc dans son rapport. ****

Quel que soit leur domaine de prdilection, tous les hommes de science sont amens, un jour ou lautre, mettre des rserves propos des rsultats de leurs travaux. Pourquoi ? Rponse: car ils sont incapables de circonscrire, compltement et dfinitivement leur objet. Et pourquoi une telle incapacit de leur part? Car lobjet quils tudient prend place dans un univers que lhomme, si intelligent soit-il, ne parvient pas saisir dans toute sa dimension.

****Le monde et la socit des hommes (05)Nous avons voqu plus haut le travail des hommes de science. A la limite, tous se posent la mme question, fondamentale entre toutes : le monde volue-t-il au hasard ou selon une loi prdtermine ? Cette question, on laura compris, relve plus de la mtaphysique que de la science positive. Une chose est sre : ceux qui se la posent ont le concept dordre ou de loi - ici une loi scientifique - dans la conscience. Et en quoi est-elle scientifique, cette fameuse loi ? Rponse: car elle permet son auteur - qui est ici un chercheur- de formaliser son objet dtude. Grce elle, le savant peut donc donner de la cohrence son objet. En dautres termes, il peut donner un sens, ou une direction, aux lments dont il se compose. Grce elle, ceux-ci sclairent, se structurent, sorganisent.

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Etablir une loi scientifique revient donc, pour le chercheur, expliquer les vnements. Leur explication repose dabord sur leur dfinition, et ensuite sur lclairage de leurs relations rciproques. En ralit les deux moments que sont la dfinition dune part, et la mise en relation des connexions internes dautre part, ne font quun. Etablir une loi revient donc, pour le chercheur, dfinir en mme temps qu srier les lments qui composent son objet dtude. Ce faisant, il les met dans un ordre, une squence. ****

Pareille squence, notons-le, ne se rfre pas seulement la chronologique. En effet, il ne sagit seulement, pour le chercheur, de dater les vnements, mais de leur trouver une explication logique.Et IL y parvient cherchant leur cause. Et comme les causes appartiennent au mme monde que les phnomnes expliquer, lexplication prend la forme dun rseau de relations rciproques.

Grce ltablissement de ces rapports, les vnements sclairent - ici dans la tte du chercheur qui a procd de cette faon.Et comme lobjet quil tudie, prend lui-mme place au sein dun univers donn, il cherche dfinir cette place-l. ****

Au total, le chercheur a besoin de deux choses pour mener bien son enqute: dune part des vnements quil se propose dtudier, et, dautre part, des instruments qui, sous forme de lois de comportement, lui permettront de les mettre dans une squence logique, ou causale.

Une fois ces lois de comportement dfinies, le chercheur va sen servir pour clairer son objet. Est-ce dire que, sans les lois pour les clairer, les vnements nexisteraient pas ? Assurment non. ****

Il ne faut pas confondre, ici, les vnements eux-mmes, avec la perception quen a le chercheur. Ces vnements existent donc indpendamment des lois quil met sur pied pour les rendre intelligibles. Par contre, avec ses lois, il les met dans un ordre, dans une squence.Ces vnements-l acquirent donc, grce elles, un sen. ****

On objectera peut-tre que ce sens existait dj avant ltude du chercheur. Certes, mais il importe peu, la souris ou llphant, que le fruit de tel arbrre tombe dudit arbre telle ou telle vitesse. Par contre, pour lhomme qui tudie les effets de la gravitation, cette vitesse est llment fondamental de sa recherche. ****

En mettant les vnements quil dcouvre dans un ordre, le chercheur fait deux choses en mme temps :dune part il tablit des lois, et, de lautre, il claire son objet grce ce moyen trs pratique.

En ralit, le procd susmentionn comporte un seul moment au lieu de deux. Car cest dfinissant ses lois que le chercheur claire son objet. Mais il doit tre clair que les vnements dcouverts par le chercheur existent en dehors de lui. Ils appartiennent, en effet, au monde extrieur, alors que les lois en charge de les expliquer proviennent du chercheur lui-mme, plus exactement de son intelligence. Et parce que ses lois sont le produit de lintelligence, elles sont dans lordre des concepts, ces termes abstraits. On dira peut-tre que lhomme appartient au monde rel, et que, parce que celui-ci est concret, le seul concept que lon puisse mettre en relation avec le monde rel, tout en lopposant celui-ci - ici sur le plan dialectique - est Dieu en personne. Et encore, pas nimporte quel dieu : un Dieu pur esprit.

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Nous reprendrons lexamen de cette question difficile une autre fois.Pour lheure, constatons que les concepts que lhomme a mis sur pied pour comprendre le monde qui lentoure, sont tous, sans exception, le produit de son intelligence. Rciproquement, il ny a que lhomme, autant que nous sachions, qui soit capable dun tel travail.

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Lintelligence de lhomme ne se concrtise dailleurs pas seulement par des concepts, mais aussi par des actes. Cest dire, en dautres termes, quelle dbouche sur des choses concrtes : appareils de mesure, outils, instruments de recherche, etc. Et plus lhomme progressera, sur le chemin de la science et des techniques, plus galement les choses quil mettra sur pied seront des choses compliques. Au point que les nophytes seront compltement largus (compars, ici, aux seuls spcialistes) au moment de comprendre, avec exactitude, en quoi elles consistent. ****

Quoi quil en soit, lhomme de science, grce elles, partira la dcouverte du monde. Il parviendra mme, toujours grce elles, explorer des univers compltement inaccessibles aux sens. Pour prendre un exemple dans lHistoire rcente, les satellites quil inventera et enverra dans lespace, lautoriseront se rapprocher des autres plantes du systme soleil, ce que ses sens sont incapables de faire.

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Bref, sans lintelligence pour lclairer, lhomme vivrait tout jamais dans lobscurit. Incapable de penser, il serait incapable aussi de dcouvrir les tres et les choses. Et non seulement de les dcouvrir, mais de leur donner un sens. Or lhomme est incapable de leur donner un sens ou, ce qui revient au mme, de les interprter. Grce ses instruments, il peut souvrir de nouveaux horizons, dcouvrir de nouveaux univers. Et cest dailleurs pour les dcouvrir quil cre ses instruments. Et sil ne comprend pas tout de lunivers qui lentoure, ce nest pas faute dessayer. Or cest prcisment cette qute incessante que lon reconnat lhomme de science, et qui plus est lhomme de science rationnel. ****

Soyons clair : la vrit recherche par lhomme en dans lordre du possible, du relatif. Parce quil nest, en dautres termes, quun homme, notre homo sapiens ne peut dcouvrir la vrit absolue. Il ne le peut pas car elle existe en dehors de lui.

Lhomme qui est devant nous reste donc dans le monde du concret, du phnomnal, de lobservable et du dmontrable. Non seulement il observe les choses, mais il cherche donner une mesure ses observations. Ce faisant, il donne un contenu non seulement qualitatif, mais quantitatif ses observations. Et comme les lments quil observe sinfluencent mutuellement, les mesures quil effectue se rapport ces interactions. Et comme lhomme intelligent est un tre agissant, il ne se borne pas mesurer les choses, il cherche aussi crer, inventer. Inventer quoi ? des objets ou des outils. Ces instruments quoi servent-ils ? Les uns servent mesurer, les autres capturer, et dautres encore animer la matire (qui en lacclrant, qui en la freinant ou en la transformant).

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Comme on le voit, le but de cet homme nest pas seulement de comprendre, mais de crer des objets. Et vu la puissance de certains dentre eux, ils seront capables de modifier lenvironnement. Ceci dit, les objets crs par lhomme nexisteraient pas sans son intelligence. Cest donc elle lorganisatrice de tout, elle la matresse du monde conu et amnag par lhomme.****

Si donc le monde change, lhomme y prend sa part grce ses productions intellectuelles. Et encore, pour autant quelles dbouchent sur des ralisations matrielles. A dfaut, la transformation reste confine aux concepts, des ides.Certes, rien nempche lhomme de se rapprocher de Dieu grce une intense activit spirituelle. Reste quil ne fait alors aucun progrs sur le plan matriel. Or, pour changer le monde, il doit changer lorientation matrielle des choses. ****

Nous ne sommes pas en train de dire que le matrialisme est la fin dernire de lhomme et du monde. Nous sommes en train de dire que le matrialisme est le seul moyen qua trouv lhomme pour dominer physiquement son entourage. La preuve : les Occidentaux dominent aujourdhui leur entourage grce une science et une organisation qui dbouchent sur des ralisations conomiques, politiques et militaires. Non que leur philosophie soit suprieure celle des Orientaux. Au contraire, elle leur est infrieure, comme on le verra plus loin. Toujours est-il que lOccidental est un homme rationnel et que celui-ci domine le monde grce ses productions matrielles.

On peut le dplorer, mais cest ainsi. Cet homme, en dautres termes, ne domine pas parce quil est suprieurement intelligent, mais parce quil a acquis une certaine matrise des choses dans les domaines de la physique, de la chimie et finalement de toutes les sciences positives. Que cette domination soit superficielle, philosophiquement parlant, ce nest pas le lieu den discuter.

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Lhomme rationnel ne cherche pas seulement se situer au sein du monde. Ce quil veut, cest saffirmer. Et il y parvien,t non en philosophant, mais en crant des instruments et des engins capables de modifier les rapports de pouvoir. Cet homme-l est donc capable de modifier son environnement, de laltrer.

Peu importe ici que son influence soit positive ou ngative : par ses productions matrielles, il sest mis en mesure de dominer les autres espces, ce qui ntait pas le cas avant la rvolution industrielle. ****

Certes, on peut toujours sinterroger sur le bien fond dune telle domination. Mais alors, on quitte le champ de la physique, de la chimie et des autres sciences de la nature, pour entrer dans lunivers de la morale et de la philosophie.

Car cest la philosophie quil appartient de sinterroger sur le rle et la place de lhomme dans lunivers. Les sciences physiques, elles, cherchent dcouvrir de nouvelles lois dagencement de la matire, agencements qui permettent lhomme dinventer de nouveaux engins ou des engins dune autre matire, toutes choses capables de modifier lenvironnement. Bien entendu, avant que les ingnieurs de la nouvelle socit produisent de nouveaux engins, ils ont d les concevoir sur le plan intellectuel.Il leur a donc fallu faire des calculs de poids, de volume, de pression, ou de tout ce quon voudra. Le fait est quils sont capables de modifier lordre des choses.****

Le chercheur de lpoque moderne ne se borne donc pas tudier des interrelations. Il entend modifier, si possible lavantage de lhumanit, ltat existant. Et parce que lhumanit vit mieux, sur le plan matriel, quauparavant, elle voit, dans la science, un progrs de la civilisation. Prcisons que lhomme rationnel ne part pas la dcouverte du monde nimporte comment; quau lieu de cela, il opre mthodiquement, en procdant des observations et des expriences. Son but est de comprendre, de matriser les lments de son objet. Cette comprhension prouve dailleurs quil possde un esprit mieux structur, ou plus organis, que celui de nimporte quel autre animal. ****

On laura compris, les lois que lhomme a conues, et concevra encore, dans le futur, pour sclairer, refltent son degr dintelligence. Plus donc cet homme-l est intelligent, et plus ses lois le sont aussi. Et comme celles-ci dboucheront, le moment venu, sur des productions matrielles, on mesure lintelligence de lhomme au progrs technique conu par lui. ***

On doit nanmoins rpter, ici, que ses lois thoriques et leurs applications pratiques sont le rsultat dune seule et mme chose : lintelligence de lhomme-

Sans elle, en effet, lhomme ne parvient donner un sens aux vnements.

Ceux-ci nont aucune valeur, ils nexistent pas. Certes, ils existent bel et bien, mais en soi. Au dehors, en revanche, aucun tre nest capable de les saisir. Partant, cest comme sils nexistaient pas. ****

Dieu seul connat la valeur absolue des tres et des choses. IL les connat pour les avoir cres. En dehors de Lui, les tres conus par Lui regardent le monde, autour deux, avec les moyens qui sont les leur. Or comme ils rfrent eux-mme lintelligence, celle-ci est le moteur de lHistoire. ****

Supposons, contrario, que nul tre cr par Dieu nait t dot par Lui de lintelligence. Ces tres-l ont beau vivre par leur corps, ils se meuvent uniquement par linstinct.Comme le dit la Bible, ils vivent dans les Tnbres. Pourquoi?Car le monde o ils vivent ressemble une jungle. Or, dans ce monde-l, aucune crature ne voit rellement. Elle ne voir rien car elle nest pas claire par la Lumire Divine. Cette lumire tant teinte, les tres ignorent donc quelle vient de Dieu (Lui qui habite aussi bien lintrieur des tres qu lextrieur).Bref, aucune crature nest, dans ces conditions, capable de prendre la dimension du monde qui lentoure, non plus que de sa propre dimension en son sein. Nayant, au contraire, que leurs sens pour apprhender les choses, leurs possesseurs ignorent lexistence de Dieu, Lui qui a cr les cieux et la terre.

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Or, dans la ralit, il nen est rien. La preuve ? Lhomme croit en Dieu. Il croit en Lui car Dieu la dot de lintelligence ncessaire pour monter vers Lui, autrement dit pour prendre la dimension du monde. Qui plus est, Dieu a fait de lhomme, du moins en Occident, un tre rationnel. A cet homme-l il a donc appris raisonner, cest--dire penser de faon mthodique. A quoi reconnat-on un tel homme ? Rponse: au fait quil organise le monde dans sa conscience laide de lois dentendement. ****

Supposons, partir de l, que cet homme soit devenu amnsique et oublie tout coup les lois ou les formules quil a tablies pour mieux sclairer. Parce quil est intelligent, il saura avec le temps les reconstruire. Dans le cas contraire, cela voudrait dire quil a perdu a tout jamais ses facults dentendement. Or ce sont elles qui lui permettent de sclairer au sein du monde. Et parce quelles sont localises dans son cerveau, celui-ci peut tre assimil une sorte de sanctuaire de lintelligence du monde. En ralit, comme les Anciens le notaient avec propos, lhomme ne regarde pas les tres autour de lui seulement avec son cerveau, mais aussi avec son coeur. Cela prouve donc quil sattache aux tres et aux choses, quil a des sentiments.Or ceux-ci participent galement de son intelligence. A contrario, lhomme intelligent ressemblerait un robot. ****

Quoi quil en soit, cest avec son cerveau quil pense. Sans lui et les neurones qui sagitent lintrieur, il est incapable de concevoir des lois pour sclairer. Lhomme ayant un cerveau structur, il peroit le monde de la mme faon, cest--dire manire structure. Le degr de rationalit de ses lois ne fait que reflter cet tat de choses. ****Le monde et la socit des hommes (06)Nous avons vu plus haut que lhomme moderne pense de manire rationnelle. Ce faisant, il cherche comprendre les choses en les observant et en procdant des expriences. Etant, par ailleurs, un tre agissant, il va crer, ou concevoir, toutes sortes dengins et dinstruments. Et en contrlant, par lesprit, le mouvement des lments, il parviendra les matriser rellement, cest--dire matriellement. En ralit, sa domination est aussi bien matrielle quintellectuelle. Il domine, en effet, les lments car il les comprend. Et parce quil les comprend, il peut modifier leur comportement en agissant, au choix sur leur structure interne ou sur leur environnement. En modifiant leur environnement, il modifie les causes qui prsident au comportement de son objet. Par ses expriences, il sait donc que telle cause provoque tel effet chez ltre observ. Ainsi contrle-t-il ses mouvements. Il le domine car il comprend ses ractions. Donc il parvient le manipuler.

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On notera que le propos sapplique galement aux hommes, quils soient sujets ou objets de lexprience. En effet, le gourou domine les membres de son entourage en les plongeant dans un univers concentrationnaire et en lavant leur cerveau.A partir de l, les personnes sous ses ordres sont devenues des marionnettes entre ses mains. Pourquoi ? Rponse: car il a dtruit leurs facults, la fois de rsistance et de raisonnement.Ces personnes-l, en dautres termes, sont si fatigues, physiquement et psychiquement, quelles ne rsistent plus lhrsie, elle qui est martele sans cesse par un drilling savamment orchestr. Cette population-l est donc devenue une population de tars.Et parce quelle a perdu tout jugement de valeur, et, au-del, toutes valeurs dignes de ce nom, le gourou sera peru par elle comme un dieu. Plus exactement pour un pre. Car les membres de la secte ont tellement t lavs, spirituellement parlant, quils ressemblent dsormais des enfants de trois ans.

Or ceux-ci ont besoin dun pre ou dune mre. Le gourou est donc la fois un pre et une mre pour chacun dentre eux.

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En rsum, les gourous contrlent leurs ouailles en les rendant dbiles. Et ils y parviennent en les plongeant dans un univers concentrationnaire. Absence de nourriture et de sommeil, drilling, sances ou prires rptes, levers toutes les heures de la nuit, violences rptes sur les plus jeunes, tout cela vise dtruire la personnalit des fidles. Et pourquoi les membres de la secte succombent-ils au traitement du gourou et de ses sbires ? Rponse: car tout homme a des hauts et des bas dans la vie. Or, lorsquil est dans la peine ou au fond du trou, il attend du rconfort de la part de son entourage.

Et comme celui-ci appartient un monde bourgeois, et donc goste, il se rfugie dans une secte. ****

Car cest vrai que celle-ci est, au premier regard, chaleureuse et accueillante. Et le nouveau venu de se sentir immdiatement son aise dans son nouvel univers.Jusquau moment o il se rend compte, sil en a encore la force, que son dsarroi est exploit par le gourou et ses sbires. Car sil est vrai que ceux-ci promettent leurs fidles des lendemains qui chantent, il est vrai aussi que les fidles en question chanteront dans un univers totalement clos, lequel sera utilis dtruire leurs faibles capacits de rsistance. Et quand les fidles seront devenus les esclaves du gourou, il fera deux ce que bon lui semble.

Et comme le gourou nest pas Dieu, quil ne matrise donc pas la totalit de lunivers avec ses lois concentrationnaires, il ne cessera de marteler ses fidles que les autres, ceux qui vivent lextrieur de la secte, sont des fils de Satan. Son but, en sexprimant de cette faon, est disoler les membres de la secte afin de mieux les contrler ou de mieux les manipuler. ****

On demandera ce que les gourous viennent faire dans un chapitre prsentement consacr la science ? Ceci: quand certains hommes de science inoculent des virus des populations de rats ou de souri, ils se comportent comme les gourous. La preuve: dans la mesure ou les rats et les souris nont pas le droit la parole, ils sont moins capables, encore, que les hommes de se dfendre contre les prjudices sont ils sont les premires victimes. On peut nous rtorquer que le mal fait aux animaux, par les exprimentateurs, profiteront lhomme, mais ce nest l quun pis aller sagissant du sort de lanimal lui-mme.

Une chose est sre: chaque fois que des hommes de science enferment des animaux dans une cage, afin dtudier leur comportement, ils leur tent la libert. En loccurrence, le but de lexprimentateur est de contrler lenvironnement de son objet - qui est ici une population dindividus - afin dtudier son comportement. Et parce que cette population ragit de telle faon tel stimulus, lexprimentateur va tablir, sur cette base, des lois de comportement, propos de lattitude de lanimal dans un environnement donn.

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Idem quand les expriences ralises par les chercheurs portent sur dautres choses que sur le comportement des animaux dans un environnement donn.

Mais comme lhomme ne contrle pas toutes les expriences quil fait, des accidents peuvent se produire. Songeons, par exemple, aux retombes radioactives lies aux exprimentations nuclaires. De telles nuisances prouvent que lhomme ne matrise pas tout avec sa science. A contrario, il naurait pas besoin de procder des expriences. Car cest pour faire avancer la science quil procde des expriences. Et comme celle-ci a un but pratique, et pas seulement thorique, elle dbouchera sur des engins ou des techniques dun certain type. ****

Mais supposons que lhomme matrise parfaitement la technique de tel ou tel engin.Rien ne lempche, ds cet instant, de crer des engins de mort et de semer le trouble autour de lui. Cela prouve quil est anim de noires intentions. Oui, cet homme cherche tuer ou avilir son prochain. Au nom de quoi ? Rponse: au nom du pouvoir et de lambition. Cest dire que lintelligence na pas que des facettes positives. ****

Pour en revenir lhomme de science, il nest pas toujours en mesure de procder des expriences. Prenons par exemple lhistorien.Lui, au contraire du chimiste ou du biologiste, na pas la possibilit de mettre lhumanit dans une cage, ou de crer lui-mme les vnements afin de voir comment la population tudie par lui va ragir aux expriences quil pourrait lui faire subir.

A linverse du chimiste, il na donc aucun contrle sur son objet.Il nen a aucun car il est incapable de procder, avec son objet dtude, des expriences. En tant quhistorien, il ne peut donc qutudier les vnements lorsque ceux-ci se prsentent, et, partir de l, dgager les enseignements ncessaires. Il nest donc jamais sr, dans ces conditions, que les vnements quil relate ont bel et bien eu lieu sous la forme quil prsente dans son rapport. Et comme ces vnements remontent le plus souvent une poque ancienne, il doit forcment, pour sen faire une ide, se rfrer aux documents de lpoque.

Cette documentation, o la trouve-t-il ? Rponse: dans les livres, les oeuvres dart, les bibliothques, les monuments, et finalement dans tout ce que les Anciens ont laisss derrire eux. ****

On pourrait penser que la qualit des travaux de lhistorien dpend des moyens dinvestigation dont il peut disposer pour mener bien son tude. Si cela ne fait pas un pli, on notera pourtant que le hasard joue galement un rle dans la russite de son projet. La preuve : notre historien, sil est archologue de mtier, a, parfois, dcouvert certaines choses alors quil croyait en dcouvrir dautres durant sa recherche.

A cela sajoute le fait que quantit dobjets anciens (poteries, monuments funraires, etc.) furent dcouverts, par hasard, par des gens (paysans, ouvriers de chantier, etc) qui navaient aucun intrt pour lHistoire, et qui, nanmoins, en avisrent les pouvoirs publics, lesquels diligentrent linformation des archologues de mtier. Toujours est-il que tous les objets archologiques dcouverts par les spcialistes, et non spcialistes, ne finissent par leurs jours dans un muse. Pourquoi ? Rponse: car le commerce dobjets archologiques vols est trs lucratif, notamment quand les objets en question sont faits de mtaux trs prcieux.

Et parce des gens prfrent voler ou piller les trsors anciens afin de commercialiser leur valeur sur un march de lantiquit qui est, en ce cas, illgal, plutt que de les confier des hommes de science dont le rle est, ici, la fois de faire connatre au monde les productions que les humains ont laiss, toutes les poques, derrire eux, et, dautre part, de protger ce patrimoine-l, ces mmes hommes de science, quand ils sont historiens, nont pas sous la main toute la documentation lgue par les Anciens. ****

Parfois aussi linformation dont lhomme de science dispose, est si tenue quil doit improviser. Ce faisant, il tablit des hypothses de travail. Et parce quil est homme de science, il prcise bien, dans son rapport, quil sagit dhypothses de travail. Cela prouve quil nest pas sr de son fait. Par contre, il est assez honnte pour en avertir le lecteur. Son incertitude, quant lexactitude des faits ou des vnements quil se propose dtudier, ne lempche pas davoir une opinion sur la question. Cest mme lui le mieux plac pour en avoir une. Et sil est historien, au lieu dtudier toute lHistoire du genre humain, il va slectionner, de cette Histoire, une tranche particulire.

Et plus il va ltudier de prs, plus il va devenir un spcialiste de cette tranche-l (laquelle peut se rfrer lAntiquit, au Moyen Age, la Renaissance, etc.).

Une fois la priode choisie, il va tudier les vnements qui lui paraissent les plus marquants. Ce faisant, il donnera un caractre subjectif son objet.Pourquoi subjectif ? Car rien ne prouve que ces vnements-l sont effectivement les plus marquants. Quoi quil en soit, il fait son mtier dhistorien en mettant les vnements dans un ordre, lequel est, notons-le en passant, aussi bien logique que chronologique. En dautres termes, lhistorien cherche des causes aux vnements quil dcouvre.

Et comme elles appartiennent au mme monde, les vnements nouveaux sont expliqus par dautres vnements plus anciens. ****

Chemin faisant, notre historien en vient crer tout un rseau de dpendances ou de relations.

Et mesure quil progresse sur le chemin de la connaissance, il se pose la question suivante, que tout homme de science digne de ce nom est amen se poser un jour: Le monde volue-t-il au hasard, ou volue-t-il selon des lois prdtermines ? ****

Pour pouvoir se prononcer valablement sur cette question, lhomme de science, quel que soit dailleurs son domaine dinvestigation, devrait tre capable de crer lui-mme lunivers quil observe avec ses instruments. Or il nest pas Dieu. Partant, il est incapable de rpondre la question pose. Il lest car il est incapable de procder aux vrifications ncessaires. En effet, seul lauteur de la chose peut motiver son acte ou sa cration. Et comme il sagit de Dieu dans le cas du monde, Lui seul peut rpondre la question pose. Face Lui et au monde cr par Lui, lhomme est dpourvu. La preuve : il na, pour lui, que ses sens et une intelligence finalement trs borne. Partant, il en est rduit faire des hypothses, des conjectures.

Certes, il pourrait allguer, sans se fatiguer, que le monde volue au hasard, puis retourner sa sieste. Mais alors, il ne ferait pas son mtier dhomme de science. Car sa vocation, cet homme, est de chercher. Et non seulement il cherche dcouvrir, mais il cherche interprter sa dcouverte. ****

Supposons quau terme de son enqute, il conclue lexistence du hasard, comme loi fondamentale de lvolution. Sa conclusion peut alors signifier deux choses : ou bien que le monde volue rellement au hasard, ou bien quil nvolue pas au hasard mais que lhomme nest pas encore assez intelligent pour le dmontrer. ****

Car, on la dit, Dieu seul connat la rponse cette question. Lhomme, lui, ne peut y rpondre quen sollicitant les moyens qui sont les siens, et qui sont, dans un cas, ses sens, et dans lautre cas, son intelligence. Or lintelligence de lhomme ne lui permet pas de dmontrer lindmontrable. En dautres termes, elle ne lui permet pas dmontrer lexistence de Dieu. Voil pourquoi lhomme est incapable aussi de rpondre la question pose. A son sujet, il ne peut donc faire que des hypothses, des conjectures. ****

Rptons que pour connatre vritablement le monde o il volue, lhomme devrait lavoir cr. Car seul celui qui conoit, par lesprit, la chose, peut en saisir la fois le but et la logique interne. Or le dtenteur dun tel un pouvoir, quand la chose est lunivers, nest pas lhomme, mais Dieu, Lui qui a pos lhomme en son sein aprs lavoir cr. Il nempche : bien que lhomme soit une crature faillible, il agit de manire bien plus assure, lorsquil cherche des preuves ses affirmations que lorsquil affirme gratuitement les choses. Supposons un instant quil nen trouve pas.Il conclut alors lexistence du hasard pour expliquer le monde et son volution. Sa conclusion prouve quil nest pas encore assez intelligent pour dcouvrir la loi du mouvement - supposer quil existe une telle loi.

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Bref, la science de lhomme, au lieu de rvler la ralit objective du monde, rvle la propre incapacit immanente, manifeste par lui, lapprhender dans toute sa dimension. Et plus cet homme est born, plus il croit tout comprendre, alors quil ny comprend rien. A linverse, plus il est intelligent, plus il comprend quil ny comprend rien. Et comme cet tre-l comprend, quoi quon en dise, beaucoup de choses, cela signifie que le monde qui se dresse devant lui est trop grand et trop complexe pour quil puisse le saisir compltement. ****

A la limite, cet homme dcouvre que le monde a t cr par Dieu, et que lui, homme, nest pas Dieu. Il comprend aussi que Dieu lui a donn lintelligence pour accder Lui, et que, ce faisant, il est suprieur aux espces vivantes qui elles nont pas reu de Dieu une pareille intelligence,

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Cet homme est donc intelligent et va le manifester en cherchant dcouvrir le monde. Mais supposons quil soit un ne bt. Il ne se posera alors aucune question. Le fait quil sen pose prouve donc, contrario, quil est intelligent. Toujours est-il que son intelligence nest pas telle quil puisse se montrer lgal de Dieu. Partant, il ne peut pas dmontrer que le monde volue au hasard, ou, au contraire, selon une loi prdtermine. ****

Il en est incapable car il est incapable de se projeter aussi bien dans le pass que dans lavenir. Et sil le fait, cest seulement par la pense. Ignorant, partir de l, ce que Dieu rserve au monde, il est donc incapable de rien conclure ce sujet. On notera que chez Dieu, la pense se confond avec ltre. En effet, Dieu tant le monde et lesprit du monde, chez lui lexpression