14
Il PETITE BIBLIOTHÈQUE N° 114 Il (SUPPLÉMENT À LA« LETTRE DES AMIS» 175) LE PAYSAN ET LUNIFORME Association Les amis des archives de la Haute-Garonne Par Pierre LEOUTRE Et Jean-Claude ZURRU 11, bd Griffoui-Dorval 31400 TOULOUSE Tél. 61 52 41 64

LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

Il

PETITE BIBLIOTHÈQUE N° 114 Il

(SUPPLÉMENT À LA« LETTRE DES AMIS» N° 175)

LE PAYSAN ET L’UNIFORME

Association

Les amis des archives de la Haute-Garonne

Par

Pierre LEOUTRE

Et Jean-Claude ZURRU

11, bd Griffoui-Dorval 31400 TOULOUSE

Tél. 61 52 41 64

Page 2: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

-2- PETITE BIBUOTHÈQUE N° 114

LE PAYSAN ET L'UNIFORME*

Faire l'histoire du paysan et de l'uniforme, c'est songer aussitôt à ce cultivateur qui tente d'échapper à ses obligations militaires. La réalité est bien sOr plus complexe, et les approches récentes de ce que l'on appelle l'histoire militaire démontrent un rôle plus subtil de l'Armée dans la société(l). Cet article va essayer de retracer la vision d'un milieu rural sur la question militaire, en s'appuyant sur le archives municipales du village de Brugnens<2>, de la fin du XVIIIe siècle au XXe siècle : à travers les diverses mentions sur l'Armée se dessine une relation forte entre l'agriculteur et l'institution militaire ; ni militariste, et encore moins antimilitariste, le paysan apprend à connaître le soldat, et nous observerons que l'Armée a représenté bien autre chose qu'un simple outil d'intégration, même si elle fut d'abord, comme l'école républicaine, le creuset de nos mentalités. En outre, nous aborderons les thèmes de l'ordre public, par des références à la Police et à la Gendarmerie.

* * *

Les villageois connaissent bien évidemment depuis longtemps la guerre et l'uniforme : sans remonter à la guerre de Cent Ans, aux guerres de religion ou même à la destruction de l'ancien village par l'Armée royale, on trouve au XVIIIe siècle des mentions sur les frais qu'occasionne l'accueil de soldats et d'officiers au village, par exemple le 2 février 1777 : l'assemblée communale se réunit pour évaluer le codt de la présence du détachement du régiment de Tourenne, à savoir l'hébergement en 1776, pendant sept mois et trois jours, de quatre soldats et d'un bas-officier, à raison "de trois sols par jour, par homme" ; mais, pour la période postérieure à la Révolution Française, la première allusion d'ordre militaire concerne la garde nationale : cette milice civique n'apparaît dans nos archives que le 30 décembre 1832(3>, et se compose de la manière suivante : "les membres du conseil de discipline de la Compagnie de la garde Nationale de Brugnens se sont assemblés sur l'invitation qui leur en a été faite par le Maire ; présens Messieurs Cantaloup Guilhéaume capitaine, président, Begué Pie"e lieutenant, Delas Jean sergent Major, Vibur Antoine Caporal fourié, Betous Jean garde national, Gimat Jean Joseph, raporteur, Laforgue Jean-Pierre secrétaire du conseil de discipline". Nommés par le Sous-Préfet en vertu de l'article 96 de la loi du 22 mars 1831, les gardes nationaux de Brugnens se réunissent afin de prêter le serment suivant : "je jure .fidélité au roi des français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume". Ensuite, la garde nationale ne réapparaît qu'au moment de la défaite de Sedan, lorsque les conseillers municipaux refusent, le 8 octobre 1870, puis acceptent, le 18 décembre 1870, d'octroyer des fonds pour les dépenses d'habillement, d'équipement, d'armement et de solde des gardes nationaux du premier ban.

• Par Pierre Léoutre et Jean-Claude Zurru, avec les consei1s de M. Léo Barbé, membre du bureau de la Société Archéologique du Gers. <1> Cf. l'Armée, cette accoucheuse d'État, Le Monde, 25 mai 1992 (article sur Je premier tome de ]'Histoire Militaire de la France (des origines à 1715), sous la direction d'André Corvisier et de Philippe Contamine, PUF, 648 p., 1992). (2) Petite commune rurale du canton de Fleurance dans Je Gers. (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution Française dans le Midi toulousain, Bibliothèque historique Privat, Toulouse, 1986, p. 126).

Page 3: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

LE PAYSAN ET L'UNIFORME

* * *

-3-

L'ordre public dans le village intéresse bien évidemment le Brugnensois ; mais en milieu rural, les difficultés relevaient d'une délinquance particulière, de nature agricole, qui avait peu de choses à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui, et ne justifiait guère un système répressif extérieur à la commune. Par exemple, le 29 septembre 1782, le premier consul "représente qu'il a été requis par plusieurs habitants du dit Brugnens de faire assembler la Communauté, afin de prendre les moyens les plus convenables pour faire cesser un abus qui s'est glissé depuis longtemps, afin d'empêcher que les Etrangers des juridictiions voisines (!) ne continuent point de faire pacager aux brandes appartenant aux seuls habitants de Brugnens sous les rentes annuelles qu'ils en payent à M le Vicomte d'Esclignac, Seigneur Engagite de sa Majesté du domaine du susdit Brugnens, comme les habitants ont le désagrément de voir que les Etrangers font ronger jusque à la racine d'un bout d'année à l'autre les dits pacages, et sur un te"ain où ils n'ont nul droit. Ainsi c'est un abus préjudiciable auquel il faut prendre les voyes les plus sûres afin de l'éviter à l'avenir".

L'assemblée communale décide d'interdire l'accès de ces pacages aux habitants des villages voisins, à l'exception d'un "bordier de la juridiction de Higadère, pour des raisons de services rendus aux habitants" ; et elle nomme deux "gardiens de brandes, à fin que par eux, il soit fait tout ce que de droit puisse être fait ; et en outre la dite assemblée promet aux deux gardes de prendre leur fait et cause de tous les événements qui pou"ont survenir pour raison de la garde licite des dites brandes".

* * *

Au XVIIIe siècle, le corvées sont également une source d'antagonisme : le 20 décembre 1783, le premier consul explique qu'un habitant du village s'est fait décharger par l'intendant du service des corvées ''pour une paire, car il avoit eu le désastre d'une vache estropiée et hors d'état, d'aucune espèce de travail ; et il prétend aujourd'hui se soustraire du service des corvées pour deux paires" ; or, l'intéressé "travaille journellement avec deux paires, ce qui occasionne un trouble et des disputes sans fin dans la communauté, et encore des frais pour des logements actuels, faute par lui d'avoir fait la partie du chemin qui lui avoit été fixé, ce qui fait que la communauté est à la veille d'une adjudication forcée". A l'unanimité, l'assemblée délibère que l'intéressé a "quatre vaches dont il se sert journellement et qu'il y avoit de la justice et de l'équité qu'il fut compris pour deux paires aux corvées et tâches de chemin qui seront données", dans la mesure où le "désastre de la vache estropiée" en 1782 ne justifie plus à ce jour l'ordonnance de l'intendant de la Généralité d'Auch. Ainsi, le contrôle social est directement exercé par les habitants de la communauté, et fait preuve, semble-t-il, d'une grande efficacité.

Après la Révolution Française, l'autorité est incarnée par le Maire, à qui les villageois font appel en cas de conflit: par exemple le 4 septembre 1832, un menuisier et un propriétaire cultivateur se sont présentés devant le Maire et "ont dénoncé que des meules de paille avaient été placées à des distances tellement rapprochées de leurs Maisons ou de leurs dépendances, qu'une meule se trouvant à environ douze pans de la maison et une autre à environ quatre

Page 4: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

-4- PETITE BIBLIOTHÈQUE N° 114

pans de l'autre maison qu'ils ont à redouter les plus graves accidents du feu, qui d'une manière ou l'autre serait communiqué à ces meules de paille ; et en conséquence ils ont requis le Maire de prendre des mesures pour faire cesser un état de choses aussi contraire à la Sllreté de leurs habitations, toutes construites en bois et en pisay".

Cette autorité est à l'occasion déléguée au garde-champêtre, responsable par exemple, le 3 février 1857, de la surveillance de l'extraction de terre dans un terrain communal. Il doit en outre encaisser les règlements, ou, à défaut, dresser un état qu'il remettra ensuite au percepteur<4>. Le garde champêtre apparaît à Brugnens le 27 juin 1827 : à la suite d'une lettre de monsieur le Préfet, le conseil municipal, reconnaissant que la commune ne devait pas rester plus longtemps sans garde-champêtre, propose la nomination d'un habitant de Fleurance, pour un salaire annuel de cinquante francs; de même, le 2 août 1840, "d'après plusieurs demandes qui lui en ont été faites", le conseil municipal décide de nommer à ce poste un habitant de Brugnens ; ce dernier démissionne le 22 mai 1842, ce qui oblige le conseil à en choisir un nouveau, avec la précision que "sur les plaintes qui pourraient être portées et prouvées contre le garde-champêtre qui ne ferait pas son devoir, par ses fonctions, le dit garde-champêtre sera chassé et privé du salaire qui lui est alloué", et qui s'élève à quatre-vingts francs par an (cent francs le 9 avril 1855, financés par la mise en ferme des communaux).

Le 22 juin 1877, un brugnensois se présente devant le Maire du village, à la suite de sa nomination par un arrêté de monsieur le Préfet comme "garde-champêtre et agent de Police de la commune". Le 24 février 1895, le conseil municipal, considérant qu'un règlement doit être établi pour exercer d'une manière efficace les charges incombant au garde-champêtre, adopte le règlement suivant :

"Le garde-champêtre a un traitement annuel, inscrit sur le budget, de 120 F, et moyennant ce traitement il aura les charges suivantes : · R sera fait une tournée générale dans la commune toutes les semaines, en une ou plusieurs fois ; exception sera faite pour les mois de juin, juillet, août et septembre, pendant lesquels il sera toléré que les divers coins de la commune soient vérifiés tous les quinze jours.

Ces tournées seront constatées par un livret qui sera donné au garde, où il fera viser son passage par les personnes qu'il rencontrera.

Dans ses tournées, il devra vérifier s'il ne se produit pas d'empiétements sur les chemins vicinaux et ruraux, si les fossés ne sont pas interceptés, si les arbres communaux ne sont pas endommagés, et si en général il ne se produit pas de délits sur les propriétés communales.

R est entendu aussi que le garde est obligé de couper deux fois, avec soin, les haies entourant l'église et le cimetière, en juin et octobre de chaque année.

Le conseil municipal sera toujours en droit d'imposer de nouvelles charges au garde-champêtre, qui sans autres indications est tenu aux charges générales incombant à la fonction de garde-champêtre".

Ce règlement est peut être trop sévère et fait fuir les volontaires, puisque nous apprenons le 2 mai 1897 que "la commune peut sans inconvénients se passer d'un garde­champêtre" ; mais la décision est sans doute trop rapide car le 25 novembre 1900, le conseil doit rétablir cet emploi : à la suite d'un vote à bulletins secrets, est nommé garde-champêtre un ancien canonnier au 23c d'Artillerie, proposition qui est soumise à monsieur le Préfet; or, le

<•> Les tarifs sont les suivants : le tombereau ordinaire sera payé dix centimes ; le char, vingt centimes ; la charrette, vingt centimes; les tombereaux doubles traînés avec des chevaux, vingt centimes. Le 12 février 1865, la SlD'Veillance de l'extraction de terre est confiée au tambour appariteur.

Page 5: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

LE PAYSAN ET L'UNIFORME -5-

30 décembre suivant, une lettre du Sous-Préfet de Lectoure ''fait connaître qu'il n'est pas possible d'agréer comme garde-champêtre" la personne choisie par les Brugnensois, lesquels chargent le Maire de demander "quelles sont les raisons qui l'empêchent d'agréer le candidat proposé, attendu qu'il n'en allègue aucune, et pour qu'à l'occasion il pourra en être tenu compte si le conseil décide de faire de nouvelles propositions".

A la suite du veto de ce Sous-Préfet, dont nous ne connaîtrons jamais les raisons, le personnage du garde-champêtre disparaît des archives municipales, au profit du tambour appariteur, dont la fonction ne relève plus de l'ordre public. Le conseil municipal ne se désintéresse cependant pas totalement des problèmes de sécurité ; on relève ainsi, concernant la Police, qui avait alors la charge du secteur de Fleurance, les mentions suivantes :

La première évocation de la Police a lieu sous l'Empire Français de Napoléon ID et concerne les Commissaires de Police Cantonaux : en exécution d'un arrêté préfectoral du 17 février 1853, et des décrets du 28 mars 1852 et du 17 janvier 1853, le Président du conseil municipal fait part de l'institution de commissariats de police cantonaux ; et le conseil, voulant faciliter ces mesures, vote un prélèvement annuel sur son budget de onze francs ''pour le traitement et les frais du Bureau affectés au commissariat de Police du canton de Fleurance" ; et dès l'année 1853, les Brugnensois votent un crédit ''pour l'achat de la table du Bureau".

Les villageois ne devaient pas se rendre souvent au Commissariat, car il faut attendre le 20 aotlt 1871 pour qu'ils reparlent de la Police ; bien plus, les conseillers refusent alors de voter des fonds (quinze francs et cinquante centimes) pour le Commissariat de Police, alors que le Sous-Préfet de Lectoure demande le maintien de cette allocation destinée au "traitement du Commissaire de Police résidant au chef-lieu du canton, et faisant fonction de ministère public auprès du Tribunal de simple police" ; pour justifier leur refus, les Brugnensois rappellent que ce crédit avait été supprimé au précédent budget municipal par le Préfet du Gers et le Sous-Préfet de Lectoure, et qu'en outre "il n'est pas à la connaissance du .conseil municipal qu'il existe au chef-lieu du canton un magistrat chargé de remplir les fonctions du ministère public pour toutes les communes du canton ; le Chef de la Police de Fleurance est seulement désigné pour cette commune". Cette mauvaise volonté se prolonge jusqu'au 22 aotlt 1875, date à laquelle le Commissaire de Police de Fleurance écrit au conseil municipal de Brugnens, et promet de faire surveiller à l'avenir le village ; les Brugnensois décident alors de voter un crédit annuel de quatorze francs et cinquante centimes, comme cela se faisait jusqu'en 1870.

C'est encore sous la troisième République que les Brugnensois s'intéressent, pour la dernière fois, aux questions de Police : le 23 mars 1919, le conseil municipal se réunit pour discuter d'un projet ministériel sur la réorganisation de la Police, à la suite d'une circulaire préfectorale en date du 11 mars 1919; et les villageois ne sont pas d'accord avec la réforme: "considérant que le projet élaboré par le Ministère de l'intérieur aurait pour premier résultat d'augmenter considérablement les dépenses publiques, déjà par trop élevées, et qu'en outre les communes rurales seraient privées de tout organisme immédiat de Police locale, puisqu'ils seraient obligés, en cas de besoin urgent, de s'adresser à la Sous-Préfecture et par suite, de n'avoir satisfaction que dans un temps relativement assez long et souvent trop tard; est d'avis à l'unanimité que l'organisation actuelle de la Police rurale soit maintenue". Les villageois préfèrent que les économies "sérieuses, qui s'imposent dans l'intérêt supérieur et vital du pays", soient réalisées dans d'autres domaines. Mais un mois plus tard, le 28 avril 1919, l'exécution d'un arrêté du Maire de Brugnens sur la lutte contre les chiens enragés est confiée à

Page 6: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

-6- PETITE BJBUOTHÈQUE N° 114

la Brigade de Gendarmerie de Fleurance, qui a remplacé le Commissariat de Police<5>.

La présence de la Gendarmerie est d'ailleurs beaucoup plus ancienne : le marquis d'Esclignac, seigneur engagiste du village avant la Révolution, comptait, parmi de nombreux autres titres, celui d'Officier de Gendarmerie. Mais, globalement, on s'aperçoit que le milieu rural, faute d'une délinquance appropriée, ne traite que d'une manière exceptionnelle le thème des forces de l'ordre, dont il regrette l'absence.

Le 5 juin 1928, on retrouve cette attitude hostile envers l'étranger, travers de la mentalité paysanne, à l'occasion d'un arrêté municipal "relatif aux Bohémiens, saltimbanques, vanniers, marchands ambulants et autres nomades" ; pris en vertu des lois du 5 avril 1884 et du 21 juin 1898, et d'une circulaire du Chef d'Escadron commandant la Compagnie du Gers, cet arrêté défend aux "acrobates, baladins, bateleurs, bohémiens, charlatans, vanniers et tous autres ambulants et nomades de s'établir sur les voies livrées à la circulation publique et de stationner sur les te"ains communaux pour y exercer leur métier, sans avoir au préalable obtenu une autorisation spéciale du Maire, même s'ils sont munis d'une carte d'identité, d'un carnet ou d'un permis délivré par l'autorité de leur pays d'origine, le Préfet de leur domicile. Le maire visera, s'il y a lieu, le carnet présenté et son visa emportera permission pour l'impétrant d'exercer son industrie ( ... ). Les voitures attelées ou non attelées et les animaux qui seront trouvés en stationnement ou exhibés sur la voie publique et les terrains communaux seront confisqués ( ... ). Le Commandant de Brigade de Gendarmerie et les Gendarmes sous ses ordres, l'appariteur municipal sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent °"êté". Le Conseil municipal justifie cette attitude répressive par quatre raisons :

- "depuis quelques années, les nomades s'installent sur différents points du te"itoire de la commune et leur stationnement a maintes fois donné lieu à des plaintes provoquées par les déprédations de toutes sortes commises aux propriétés ; - la présence sur les chemins de ces gens est un véritable danger et compromet par son développement incessant la sécurité des personnes ; . - il appartient à l'autorité municipale de veiller à la sûreté des habitants et d'empêcher les dégâts de toute nature qui peuvent être causés à leurs biens ; - il est en son pouvoir et de son devoir d'assurer la liberté de la circulation et de prescrire les mesures utiles à prévenir toute espèce d'accidents" .

• • •

L'Armée, pour sa part, a joué un rôle bien plus large, en tant qu'outil d'intégration au sein de la République, à travers trois aspects : celui, bien connu, de la conscription ; les guerres successives, qui ont façonné un idéal patriotique ; le pouvoir économique, même quand la ville ou le village n'hébergeaient pas de garnisons.

L'obligation du service militaire, qui désorganise l'exploitation familiale, a déjà fait l'objet de nombreuses études, et l'on constate à Brugnens comme ailleurs que ce devoir est une

<5> Mais déjà, le 24 septembre 1904, "l'adjoint au Maire faisant fonction d'Ojficier de Police municipale, le garde-champêtre et la Gendarmerie sont chargés de l'exécution du règlement sanitaire communal'', instauré par ·un arrêté municipal. Le 12 novembre 1933, dans le même ordre d'idées, le Conseil, "justement ému d'une note non démentie dans un grand Quotidien régional (la Dépêche du Midi), demande que la Justice de Paix soit maintenue, et que s'il ne doit plus exister qu'un seul Juge de Paix pour les trois cantons de Lectoure, Fleurance et Miradoux, la résidence de ce Magistrat soit fixée à Fleurance".

Page 7: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

LE PAYSAN ET L'UNIFORME -7-

préoccupation sérieuse pour les villageois, du moins à partir de la troisième République<6> ; en effet, toute la première partie du XIXe siècle est peu prolixe dans le domaine militaire, et c'est avec la conscription que ce thème réapparaît fréquemment ; ainsi, le 24 octobre 1875, le conseil municipal vote "une somme de vingt-huit francs qui sera attribuée à un réserviste de la classe 1867, pour l'aider à combler la dépense qu'il a été obligé de faire pendant son absence des quatre semaines d'exercice militaire faites en vertu de la loi du 25 juillet 1872".

À partir du 10 avril 1890, c'est le début des litanies des soutiens de famille : c'est d'abord "la demande comme soutien indispensable de famille fournie par Martin Frédéric, jeune soldat de la classe 1889, qui a remis au Président un certificat du médecin, constatant les infirmités dont est ajjligé son oncle, et qui rendent celui-ci incapable d'un travail pénible et soutenu" ; le conseil reconnaît le bien-fondé de cette demande, ce qu'il fera d'ailleurs presque systématiquement : - le 16 mars 1891, pour "la demande de dispense de faire les 28 jours" que présente le .boulanger du village, "attendu qu'il est seul pour faire marcher la boulangerie" le 26 mars 1891 (article 22 de la loi du 15 juillet 1889), c'est à nouveau Frédéric Martin, "soldat de la classe 1889, qui profite de la dispense à titre de soutien de famille, attendu que sa famille se trouve dans l'indigence·et qu'il est leur unique soutien"; il en est de même le 8 mars 1892 et le 12 mars 1893 : à la suite d'un vote à bulletins secrets, le soutien de famille est accordé à l'unanimité. - le 13 novembre 1892, un "chef ouvrier tuilier, actuellement employé dans une usine à Mansempuy et père de famille, est obligé de faire ce mois de décembre une période d'exercice de 28 jours à Toulouse comme infirmier. Comme il est obligé à cette époque de faire cuire la marchandise qu'il a faite dans le courant de l'année pour ne pas la perdre", il demande à être maintenu comme soutien de famille. - le 12 mars 1893, un "chef d'atelier forgeron et père de famille est obligé de faire ce mois d'avril une période d'exercice de 28 jours à Toulouse", et il demande une dispense, "vu sa situation et les travaux de la saison". - le 24 février 1895, les conseillers confirment les deux avis favorables du conseil municipal voisin de Céran, d'où vient un nouvel habitant de la commune : "les causes qui ont donné lieu à la dispense n'ont pas changé, et le conseil est d'avis qu'il soit maintenu dans ses foyers". - le 12 juillet 1896, un Brugnensois demande une dispense à "/'Administration militaire pour la période d'instruction de vingt-huit jours qu'il doit accomplir au mois d'août prochain" ; le conseil considère que sa "situation est des plus dignes d'intérêt ; il se trouve actuellement sans ouvrier pour le remplacer dans son métier de tuilier et il est le seul soutien de sa famille comprenant trois enfants en bas dge". - le 21 février 1897, le conseil accorde qu'un "conscrit soit exonéré du service militaire, comme unique soutien de son père infirme et incapable de gagner sa vie". - le 30 janvier 1898, la demande d'un jeune soldat de la classe 1897 est considérée comme ''fondée, vu l'état d'infirmité de ses père et mère". - le 4 septembre 1898, un "territorial de la classe 1883" obtient une dispense pour une période de treize jours au mois d'octobre suivant, car il est ''père de quatre enfants en bas dge, dont il est le seul soutien, ainsi que de son père et de sa mère, qu'il ne possède aucune ressource en dehors des revenus de la propriété qu'il exploite à moitié fruit en qualité de bordier, considérant surtout que le mois d'octobre est l'époque des travaux les plus

(6) Dès le début du XIXe siècle, la conscription, qui était difficile, fut le souci majeur des Préfets dans le Gers (cf. Jean Castex, Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, sous la direction de Maurice Bordes, Ed. Horvath, Roanne, 1982, p. 324) ; mais c'est en 1889, avec la réduction du service à trois ans et la suppression des anciennes exemptions, que le service militaire concerna vraiment tous les citoyens (cf. Eugen Weber, la Fin des Terroirs, Fayard/Ed. Recherches, 1983, p. 425).

Page 8: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

-8- PETITEBIBLIOTHÈQUEN° 114

importants pour les cultivateurs, à cause des semailles qui doivent être faites" ; une demande est accordée à un autre réserviste, car "les travaux sont très pressants" au mois d'octobre. - le 12 février 1899, les conseillers prennent connaissance de la demande "d'envoi en congé de soutien de famille formée par un jeune soldat de la classe 1898, tendant à être considéré comme soutien de famille comme fils de septuagénaire, considérant que le réclamant est bien fils ainsi issu du mariage de son père avec M ... Marie, mais que d'un premier lit son père a eu quatre enfants, dont un fils qui a fait son service militaire ; considérant en outre que les quatre enfants du premier lit ont complètement abandonné leur père après s'être fait délivrer ce qui leur revenait du chef de leur mère ; le conseil est d'avis que si le réclamant ne peut être laissé régulièrement comme fils de septuagénaire, il mérite d'être considéré comme seul soutien de famille de son père infirme et de sa mère incapable de gagner sa vie". - le 27 aoftt 1899, un maître-valet demande une dispense pour la période de 28 jours qu'il doit effectuer en octobre au 1 oe Dragons de Montauban, car "il est seul avec sa femme qui a une santé très délicate". Le 7 janvier 1900, il renouvelle sa demande, car il est "chargé de la tenue d'un vignoble en plant américain et seul avec sa femme d'une santé très précaire ; il serait obligé de prendre à sa place un homme spécial pour la conduite des vignes, surtout pendant le mois de février, époque de la taille, lequel serait très difficile à trouver et coûterait fort cher". - le 2 septembre 1900, un tuilier est appelé à faire une période de treize jours en tant que territorial ; il explique qu'il est "chef d'industrie, et absolument seul pour en assurer le fonctionnement, que de plus il est père de quatre enfants dont l'aîné est âgé de sept ans et le plus jeune de trois ans" ; c'est pourquoi le conseil est d'avis que l'autorité militaire accueille favorablement cette demande de dispense. - le 10 février 1901, c'est un réserviste de la classe 1893 qui doit effectuer une période de 28 jours au 88e de ligne ; mais ce métayer est "le seul capable de travailler la métairie qu'il exploite ; son père et sa mère âgés ne peuvent guère travailler ; en outre sa femme, qui s'est accouchée de deux jumeaux le 21 mai dernier, a besoin de soins continus, ainsi que son jeune enfant survivant". - le 15 juin 1902, une demande de dispense pour le 88e Régiment d'infanterie est accordée car le soldat est "métayer sur une propriété importante qu'il travaille avec son père, sa mère et sa femme" ; de plus, il est "père d'un enfant âgé de 17 mois, et sa femme en état de grossesse avancée est non seulement incapable de tout travail, mais demande encore des soins continus". Le même jour, un appelé devant accomplir une période d'instruction au 88e de ligne "fait valoir qu'il est maître-valet seul avec sa femme qui ne jouit pas d'une santé robuste, ne possédant pour tout revenu que le fruit de son travail". - le 21 septembre 1902, un soldat réserviste appelé au 18e Régiment d'Artillerie à Toulouse affirme qu'il "travaille sa propriété avec son père, sa mère et sa femme, qu'il est père d'un enfant à peine dgé de 15 jours, que d'autre part son père qui souffre depuis longtemps d'une maladie de cœur est incapable de se livrer aux travaux que nécessiteront les semences". - le 22 mars 1903, puis le 16 février 1904, la qualité de soutien de famille est accordée à un ''jeune homme dont le père est manchot, et seul avec sa femme et un autre enfant de douze ans pour travailler une métairie qu'il exploite, qu'il n'a aucune ressource et qu'avec son infirmité il lui est impossible de subvenir à l'entretien de sa famille". - le 17 mai 1903, une dispense pour une période de 28 jours au 88e Régiment d'infanterie à Mirande est octroyée à un métayer, car cette phase "du 15 juin au 15 juillet représente pour l'agriculteur les travaux les plus importants et les plus pénibles de la fenaison et de la moisson ; le réserviste est indispensable comme soutien de famille, attendu qu'il est seul avec son père âgé et faible pour travailler une forte métairie qu'il exploite à moitié fruits, que sa femme nourrice d'un enfant de neuf mois avec un autre de 27 mois et sa mère atteinte de rhumatismes ne peuvent travailler ; de plus, sa situation de métayer et sa charge de famille ne lui permettraient pas d'employer des ouvriers pendant son absence, se produisant à l'époque

Page 9: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

LE PAYSAN ET L'UNIFORME -9-

où la main d'œuvre est la plus chère de l'année". - le 7 février 1904, un réserviste, "tendant à obtenir de M le Général Commandant de la 6se Brigade à Auch une dispense pour la période qu'il est appelé à faire au ase d'infanterie à Auch le 29 février courant", obtient un avis favorable du conseil, car "le père du réserviste est dans un état de maladie grave, constaté par le Docteur Thore, qui ne lui permet de se livrer à aucun travail; que par suite le dit réserviste, métayer, se trouve seul pour l'exploitation de la métairie ; qu'il est père d'un enfant de trois ans chétif et malade ; demandant les soins assidus de la mère, et que sa mère à lui, âgée de 69 ans, peut à peine avec sa belle-fille, vaquer aux travaux du ménage". - le 26 février 1905, un réserviste fait valoir que sa femme est enceinte de huit mois, "suivant certificat de sage-femme joint au dossier". - le 2 juillet 1905, un réserviste qui doit se rendre au 88e Régiment d'infanterie de Mirande au mois d'aoftt suivant, "explique qu'il est seul pour travailler sa petite propriété et celle qu'il exploite à moitié fruits pour augmenter son revenu et permettre ainsi de subvenir à son entretien et à celui de sa mère, d'autant plus que la récolte étant cette année légèrement en retard, il lui sera impossible, ne possédant pas de machines agricoles, et faisant tout avec ses bras, d'avoir dépiqué et rentré son blé avant la date d'appel" ; il réitère sa demande le 28 janvier 1906, en s'appuyant sur des certificats médicaux qui attestent que sa mère est "atteinte d'une affection des yeux qui la rend presque aveugle, et de douleurs rhumatismales". - le 4 mars 1906, par contre, le conseil rejette une demande d'indemnité journalière présentée par un réserviste "pour subvenir aux besoins de sa famille pendant son absence" car sa "situation n'est pas dans un état d'indigence nécessitant le secours de la commune"d>; mais l'indemnité sera acceptée le 26 mars 1911, en faveur d'un "métayer sans ressources et seul soutien de sa femme et de son enfant en bas âge". - une dispense est accordée le 21juillet1907 car un certificat médical établit que l'épouse d'un charpentier est enceinte et "attend sa délivrance dans le courant des mois d'août ou septembre". - le 7 aoftt 1910, "unjeune conscrit, marié depuis qu'il a subi le conseil de révision", demande à obtenir l'allocation prévue par l'article 41 de la loi du 21 mars 1905, "en faveur de son épouse Rose, âgée de 16 ans et sans ressources. Appelé pour accomplir deux années de service à partir du mois d'octobre, originaire de Brugnens mais résidant actuellement à Fleurance, ne possède rien dans la commune, et ses parents, domestiques eux-mêmes, ne possèdent que quelques parcelles de terre insignifiantes. Le Conseil donne un avis favorable à cette demande, pour qu'il soit classé comme soutien de famille et que l'a/location prévue soit allouée à sa jeune femme pendant sa présence sous les drapeaux". - le 7 janvier 1912, un "métayer, te"itoria/ de la classe 1896, appelé en 1912 à accomplir une période de 9 jours au 13Y Régiment d'infanterie territoriale, est seul avec une femme âgée de 32 ans et deux enfants de 7 et 6 ans et ses ressources ne lui permettent pas de se faire remplacer par un domestique pendant son absence". - le 25 février 1912, le père d'un conscrit demande que son fils soit "classé comme soutien de famille et que l'allocation journalière de 0 F 75 lui soit allouée pendant le temps qu'il restera sous les drapeaux" ; le père ''fait valoir qu'il est atteint d'une maladie de peau qui le gêne beaucoup pour les travaux d'été, et que ses ressources ne lui permettent pas de tenir un domestique pour l'exploitation de la métairie qu'il travaille à moitié fruits. Le conseil municipal donne un avis favorable". Malgré cet accord de la municipalité, le père n'obtient pas satisfaction et le 23 février 1913, alors que son fils a été incorporé à la 11 e Compagnie du · 11 e Régiment d'infanterie de Montauban, il réitère sa demande et obtient à nouveau un avis

(7) Peut-être parce que l'année précédente, la durée du service militaire avait été réduite de trois à deux ans ; cette mesure fut l'une des mesures les plus populaires des gouvernements du Bloc de gauche (cf. Histoire de la France Rurale (tome 3), sous la direction de Georges Duby et Annand Wallon, Ed. du Seuil, 1976, p. 540).

Page 10: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

- 10 - PETITE BIBLIOTHÈQUE N° 114

favorable du conseil municipal, bien que cette ''famille n'a à sa charge ni ascendants ni d'autres enfants". - le 1er février 1914, un conscrit demande le versement de l'allocation journalière réglementaire à son père, métayer sans ressources et chef d'une famille de cinq enfants ; non seulement ils ont à leur charge la mère du mari, mais le troisième garçon n'ayant encore que quatorze ans, il ne peut encore remplacer de suite son frère aîné en train d'effectuer son service militaire.

Avec l'article 23 de la loi du 1er avril 1923 (plus l'article 3 du décret du 20 juillet 1923 et l'article 25 de l'instruction ministérielle du 10 août 1923) apparaît aussi l'allocation militaire ; la première bénéficiaire en est une veuve de guerre remariée, dont le fils a été incorporé au 23e Régiment d'Artillerie d'Agen, car cette femme "est dans une situation peu aisée et vit du commerce de son mari"; elle perçoit donc le 25 décembre 1925 "une allocation et deux majorations". Le 12 décembre 1926, c'est au tour d'une ménagère d'en bénéficier, avant le départ de son fils, "appelé de la classe de 1927, car la situation defamille présentée par la femme L ... est conforme à la vérité" (une allocation et une majoration).

Le 20 février 1927, un réserviste, père de deux enfants en bas âge, devant accomplir une période de 25 jours, demande l'allocation militaire, qui est d'autant plus accordée (une allocation et deux majoration) que son "frère, appartenant au premier contingent, va être appelé incessamment sous les drapeaux ; en conséquence le père métayer sans ressources sera privé de l'aide de ses deux fils" ; le même jour, un autre réserviste, qui est "seul pour exploiter sa ferme, qui a à sa charge une femme et un enfant en bas âge et se trouve dans une situation précaire", perçoit une allocation et une majoration.

Le 27 mai 1928, le conseil municipal se constitue en comité secret et émet un avis très favorable à une demande d'allocation de soutien de famille, présentée par une métayère du village dont le mari doit effectuer une période d'instruction de 21 jours ; en effet, "la famille de l'appelé est indigente, sa mère est aveugle et il a un frère en activité de service dans un régiment au Maroc"; il en va de même le 10 avril 1932 : "la famille de l'appelé est indigente, que son père est atteint de rhumatistes, qu'il a un frère trop jeune pour pouvoir le remplacer"; aussi le fils est-il classé soutien de famille, et il lui est accordé une allocation plus deux majorations. Le 22 octobre 1932, l'allocation militaire est accordée à un appelé qui "n'a que sa mère veuve de gue"e non remariée".

Au cours des années suivantes, l'allocation militaire est encore évoquée six fois : le 26 février 1933 et le 2 juin 1935 (pour des réservistes dont les épouses sont malades, et ne peuvent "en aucune façon travailler pour se suffire"); le 22 mai 1938 (pour trois postulants); .le 24 aotît 1938 (pour deux réservistes}, le 4 juin 1939 (un réserviste}, et enfin le 6 juin 1943 pour la belle-mère d'un prisonnier en Allemagne. Puis la conscription disparaît des archives municipales jusqu'au 1er janvier 1961, lorsqu'un "étudiant au collège technique à Agen", et au 25 mars 1965, quand un "étudiant au Lycée Maréchal Lannes de Lectoure" sollicitent des sursis d'incorporation pour poursuivre leurs études, demandes auxquelles le conseil municipal donne un avis favorable. Au-delà des multiples motifs, riches d'anecdotes et d'expressions savoureuses, invoqués par les villageois pour échapper ou s'accommoder des contraintes du service militaire, c'est toute une relation qui se tisse entre une population civile, le monde agricole, et une institution, l'Armée.

* * *

Page 11: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

LE PAYSAN ET L'UNIFORME - li -

Si, par leur attitude envers le curé du village, les Brugnensois partagent la tradition anticléricale du Sud-Ouest, peut-on affirmer aussi qu'ils manquent de patriotisme manifesté par l'indifférence ou l'hostilité ouverte envers les militaires, comme les rapports de l'Armée sur le département du Gers semblent l'indiquer<3> ? L'abondance des arguments invoqués pour échapper au service militaire (obligations professionnelles, maladie, vieillesse ou infirmité de membres de la famille ; naissance d'un enfant), et la compréhension dont fait preuve le Conseil municipal à l'égard des demandes de dispense peuvent laisser supposer que cette obligation ne suscite pas l'enthousiasme, pour la simple raison d'ailleurs qu'elle perturbe la bonne marche économique de l'exploitation familiale.

Pour autant, le village de Brugnens, politiquement conservateur il est vrai, ne semble pas défavorable au fait militaire dans sa principale caractéristique, à savoir la guerre. Après la quasi-indifférence de la première moitié du XIXe siècle (le 12 novembre 1855, le Conseil vote une somme de treize francs et quarante centimes pour "la célébration de la fête sur la prise de Sébastopol", après avoir voté, le 13 août précédent, un crédit de quarante francs "affectés à un pa'UVre menuisier comme ayant son fils mort sous le drapeau en se rendant à Sébastopol" ; quant à la guerre de 1870 contre la Prusse, elle suscite encore moins de commentaires que la guerre de Crimée, si ce n'est pas l'allusion, évoquée plus haut, à la mobilisation des gardes nationaux, le XXe siècle révèle l'émergence d'un sentiment patriotique, favorisé par la troisième République, et qui se forge dans les conflits avec l'Allemagne. On relève de ce point .de vue, à la veille de la première guerre mondiale, qui constitua un tournant dans les mentalités, deux déclarations révélatrices :

- le 8 avril 1912, évoquant "l'aviation militaire, le Président se fait l'écho auprès de l'assemblée de l'élan général qui s'est dessiné en France pour doter l'armée d'une escadrille d'aéroplanes, et il demande que la commune de Brugnens participe à cette merveilleuse souscription patriotique" ; le conseil municipal, "persuadé d'être le fidèle interprète de la population, remercie M le Maire de l'heureuse initiative qu'il a prise· et vote une somme de cent francs, destinée à être versée à la souscription nationale pour l'achat d'aéroplanes militaires, et contribuer ainsi à la défense nationale. n est d'ailleurs persuadé que lorsque l'occasion se présentera, l'autorité militaire, pour récompenser notre petite commune de l'offre qu'elle fait et du sacrifice qu'elle s'impose, fera visiter nos modestes populations par un ou plusieurs aéroplanes qui sillonneront la contrée à bref délai".

- le 15 juin 1913, le conseil municipal accepte la suppression de l'école spéciale des garçons et du poste d'instituteur, car "les dépenses publiques vont être considérablement augmentées par les mesures que commandent la sécurité du te"itoire français et la nécessité de tenir à cet effet notre Armée et nos armements au niveau de ceux de nos voisins, afin que par notre force la paix soit assurée".

Les conséquences de ce premier conflit mondial frappent aussi les esprits : à la suite des instructions ministérielles du 29 novembre 1914, 48 prestataires mobilisés en 1915 bénéficient le 21 novembre 1915 de dégrèvements pour les prestations du service vicinal (29 prestataires de l'année 1916 le 29 novembre 1916, et 27 prestataires de l'année 1917 le 17 février 1918), ce qui démontre l'ampleur de la mobilisation<9>. Le 2 juillet 1922, répondant à une circulaire de Monsieur le Préfet du Gers, le conseil décide "qu'il ne peut pas voter de subvention pour le voyage des écoliers au front de la gue"e, la situation des familles ne le

(1) Eugen Weber, La Fin des Te"oirs, Fayard/Ed. Recherches, 1983, pp. 159-160. <9> Brugnens campait 407 habitants en 1906, 325 habitants en 1911 et 301 habitants en 1921.

Page 12: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

-12- PETITE BIBUOTHÈQUE N° 114

permettant pas" ; mais, le 3 novembre 1929, il émet le vœu que la pension des anciens combattants soit portée de 500 à 1200 francs.

La principale marque de cette guerre est évidemment le Monument aux Morts, pour lequel le Conseil municipal vote le 15 février 1920 un crédit de six mille francs, car il considère "qu'il ne peut pas y avoir de dépe11Se mieux employée que celle qui glorifiera le souvenir des enfants de la commune tombés en/ace de l'ennemi" ; le 12 décembre 1920, le Maire fait part du marché établi le 27 novembre avec un entrepreneur toulousain "pour l'édification d'un monument commémoratif aux enfants de la commune morts pour la Patrie pendant la Gue"e de 1914-1918" ; en outre, le conseil "prie mo11Sieur le Préfet de vouloir bien l'appuyer auprès de M le Ministre de la Gue"e, pour que dans les limites du possible il soit attribué à la Commune quelques trophées de gue"e pour accompagner le monument", et décide, le 3 décembre 1922, "l'achat pour la salle de la Mairie du monument commémoratif aux morts de la gue"e (fourni par un établissement de Villedieu - Vaucluse - pour la somme de 1500 francs) et composé d'un bas-relief artistique représentant /'Arc de Triomphe où repose le corps du soldat inconnu, avec le nom des soldats de la commune morts pendant la gu~e".

A la suite de la seconde guerre mondiale, le 16 février 1947, le conseil municipal participe encore à la construction d'un monument, en décidant d'allouer cinq cents francs pour le "monument de Meilhan (Gers), destiné à commémorer la mémoire des 72 résistants tombés sous les balles allemandes".

Quant à la guerre d'Algérie, elle suscite une seule mention, le 5 mai 1958 : "à la suite des événements du 13 mai en Algérie, M le Maire donne lecture d'une lettre de M le Préfet, invitant les populatio11S rurales à co11Server leur calme et leur dignité. Le co11Seil, après en avoir délibéré, décide de faire confiance à l'autorité gouvernementale pour sauvegarder l'avenir de la France dans la Paix et da1IS la Justice".

* * *

Intégration par la conscription, prise de conscience patriotique par les guerres ... l'Armée a joué un autre rôle, qui apparaît peu à Brugnens dans la mesure où ce village n'hébergea point de garnison : celui du pouvoir économique de l'institution militaire, pour lequel nous pouvons citer cependant deux allusions. La première date du 9 juillet 1854, quand "le transport des troupes" fait partie des nombreux arguments invoqués par les BI'\J8D:ensois en faveur de la construction d'une ligne de chemin de fer dans le département du oers<10>; la seconde intervient à l'occasion d'une réflexion des conseillers municipaux sur la crise viticole, le 24 novembre 1901 : afin de résoudre les difficultés agricoles, les villageois proposent que les élus prennent onze mesures, dont la huitième prévoit "qu'il soit distribué un demi-litre de vin par homme et par jour à toutes les troupes de te"e et de mer ... ".

* * *

<10> Pierre Dussarrat et Pierre Léoulle, Le Train et un Village de Gascogne, Bull. de la Soc. Arch. du Gers XCIIme ann6e, 2me trimeme 1991, p. 216.

Page 13: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution

LE PAYSAN ET L'UNIFORME - 13 -

Telle peut être l'histoire des relations entre un village et l'Armée, à parcourir les délibérations municipales, on s'aperçoit que cette dernière fait bien partie des phénomènes qui accompagnèrent la modernisation du monde rural : "sous sa forme limitée, la conscription avait peu d'effet sur la mentalité rurale. Mais elle avait déjà suffisamment d'impact cour marquer les réactions des paysans vis-à-vis de la politique nationale et internationale"(l dès la première moitié du XIXe siècle, et l'Armée prendre par la suite assez d'importance pour que l'on puisse ici faire ce récit du paysan et de l'uniforme.

<11> Eugen Weber, La Fin des Terroirs, Fayard/Ed. Recherches, 1983, p. 426.

Page 14: LE PAYSAN ET L UNIFORME - Amis des Archives 31 · 2018. 7. 24. · (3) Alors qu'e11e s'est g6néralisée dans toute la France après Je 14 juil1et 1789 (cf. Jacques Godechot, la Révolution