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LE PRIX DES SERVICES JURIDIQUES : ENTRE DÉFAILLANCE DE LA RÉGLEMENTATION ET DÉFAILLANCE DE MARCHÉ ? Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series Frédéric Marty GREDEG WP No. 2017-28 https://ideas.repec.org/s/gre/wpaper.html Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs. The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).

Le prix des services juridiques : entre défaillance de …professionnels et à une faible qualité des prestations réalisées du fait de la faiblesse des prix d’équilibre. D’ailleurs

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Le prix des services juridiques : entre défaiLLance de La régLementation et défaiLLance de marché ?

Documents de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series

Frédéric Marty

GREDEG WP No. 2017-28https://ideas.repec.org/s/gre/wpaper.html

Les opinions exprimées dans la série des Documents de travail GREDEG sont celles des auteurs et ne reflèlent pas nécessairement celles de l’institution. Les documents n’ont pas été soumis à un rapport formel et sont donc inclus dans cette série pour obtenir des commentaires et encourager la discussion. Les droits sur les documents appartiennent aux auteurs.

The views expressed in the GREDEG Working Paper Series are those of the author(s) and do not necessarily reflect those of the institution. The Working Papers have not undergone formal review and approval. Such papers are included in this series to elicit feedback and to encourage debate. Copyright belongs to the author(s).

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Le prix des services juridiques

Entre défaillance de la réglementation et défaillance de marché ?1

Frédéric MARTY

Chargé de recherche CNRS

Université Côte d’Azur – GREDEG – CNRS

Chercheur affilié OFCE - Sciences Po., Paris

GREDEG Working Paper No. 2017-28

Résumé : Les réformes de la réglementation relative aux professions juridiques ont été sous-tendues par une

logique d’économie industrielle. La réglementation précédente, loin de porter exclusivement des objectifs

d’intérêt général, aurait été capturée par les professionnels eux-mêmes pour se protéger de la concurrence et

se serait traduite par l’émergence de prix excessifs. Cette contribution vise à éclairer les termes de ce débat

et à évaluer la possibilité de mettre en œuvre une réelle gouvernance concurrentielle dans le secteur au vu de

la spécificité des services rendus en termes de qualité et des externalités dont ils peuvent être porteurs.

Mots clés : professions réglementées, activités juridiques, capture de la réglementation, prix excessifs,

économie des conventions

Codes JEL: K23, L51

Abstract: The structural reforms undertaken in the field the law profession are underpinned by an industrial

organization based logic. The former regulatory framework wasn’t, according to this view, exclusively

grounded on a public interest logic, but it was captured by the professional themselves in order to be protected

against any competitive threat. Such a phenomenon induces excessive prices. This contribution aims at

highlighting this debate and at assessing the possibility to implement a competition based governance model

in this field, by taking into account the specificities of the services in terms of quality and induced external

effects.

Keywords: regulated professions, law services, regulatory capture, excessive prices, economics of

conventions

JEL codes : K23, L51

1 L’auteur remercie chaleureusement les participants du colloque organisé le 13 octobre 2017 à l’Université de Rennes par l’Association Internationale de Droit Economique. Le texte doit beaucoup aux contributions des autres participants et aux échanges fructueux de cette journée. Que Christoph Kern, Joseph Drexl, Alexia Autenne, et Nicolas Thirion soient particulièrement remerciés.

2

Réfléchir sur le prix des services juridiques revient à se demander si les évolutions

réglementaires actuelles – qu’on ne saurait réellement qualifier de déréglementation – se font

au profit des consommateurs.

Centrale dans les rapports de l’IGF (2013) et de l’OCDE (2014), la nécessité de réformer la

réglementation afférente aux professions juridiques était déjà présente dans le rapport Armand-

Rueff (1960). Ceux-ci dénonçaient notamment une tendance commune à l’ensemble des

professions réglementées à la capture de la réglementation par les professions concernées,

tendance qu’ils faisaient remonter à l’époque des corporations (Marty, 2015a). L’esprit du

rapport Armand-Rueff en la matière revenait à une approche de la réglementation non en

fonction d’une théorie de l’intérêt public mais d’une théorie d’intérêts privés. La réglementation

serait, dans le cadre de cette analyse, détournée de ses finalités économiques légitimes – au sens

large la correction des défaillances de marché – pour devenir un instrument de protection des

intérêts des acteurs réglementés (Chaserant et Harnay, 2010).

Cette seconde conception de la réglementation publique tire ses racines des travaux de l’Ecole

des Choix Publics dans les années soixante, notamment repris par l’Ecole de Chicago (Stigler,

1971). Elle s’articule également avec des travaux sociologiques, notamment le paradoxe de

l’action collective (Olson, 1965), qui montrent que les entreprises concernées par une

réglementation ont tout intérêt à investir pour peser sur celle-ci dans la mesure où les coûts et

bénéfices qui lui sont attachés se concentrent sur elles et sont symétriquement répartis sur

l’ensemble de la société (Zingales, 2012). Des opérateurs concentrés, forment un groupe

homogène, notamment en termes de formation ou de valeurs sociales (Dimou, 2006), ou

professionnellement bien structurés peuvent plus aisément que l’ensemble de la population se

muer en groupe de pression et « investir » pour capturer la réglementation publique. Souvent

cette capture n’est qu’informationnelle et passe par des stratégies de lobbying. Leur efficacité

n’en est pas moins réelle et dépend à un fort degré de l’asymétrie d’information existante entre

les professionnels concernés et le reste du corps social quant à la qualité des biens et services

qu’ils commercialisent et des risques qui leur sont éventuellement associés (Shapira et Zingales,

2017).

Dans une telle configuration logique des firmes ou leur coalition pourraient tenter d’influencer

la réglementation publique pour protéger leurs intérêts. Il en découle la tension décrit supra

entre une réglementation fondée sur des objectifs d’intérêt général (nous dirions dans un

langage économique visant à pallier des défaillances de marché) et une réglementation dont

l’effet est de protéger les firmes qui y sont assujetties. A l’extrême, un modèle de réglementation

3

instaurant des barrières à l’entrée (même si la finalité première est de garantir la qualité des

services rendus et la viabilité des offreurs) et qui fixe des tarifs (même pour protéger les

consommateurs en situation d’asymétrie d’information) pourrait éventuellement évoluer dans

un sens conduisant à une « cartellisation » de la branche, passant par une autorégulation par ses

acteurs et rendue inexpugnable par une protection contre toute concurrence potentielle offerte

par la réglementation publique.

Cette configuration ne fut pas loin d’être dénoncée à l’encontre des professions réglementées

du droit. Les règles d’installation ou encore de postulation ont été décrites comme autant de

moyens d’ériger des barrières à l’entrée du marché. Les règles relatives aux offices multi

professionnels ou à la structure capitalistique des sociétés professionnelles faisaient également

l’objet de critiques en ce sens. La présentation de la réglementation comme outil de protection

contre les risques de marché était logiquement accompagnée d’une dénonciation de prix

excessifs pesant sur la compétitivité des firmes française et mettant en cause l’accès au droit.

En outre, l’asymétrie d’information s’exerçant au détriment des clients était dénoncée comme

permettant aux professionnels d’augmenter artificiellement le prix de leurs services ou d’en

réduire indûment la qualité afin de réduire leurs coûts. La logique peut être présentée au travers

de conclusions rendues dans le cadre d’un renvoi préjudiciel relatif à un fonds de pension de

professions réglementées médicales : « Il en résulte que, pour le professionnel, […] la tentation

est grande de choisir délibérément une moindre qualité de service pour épargner du temps ou

de l’argent ou amener les clients à avoir encore recours à leurs services alors que ce n’est pas

nécessaire2 ».

Nous nous proposons dans notre contribution de relire le débat selon ce prisme de la capture de

la réglementation publique et de mettre en évidence les ressorts des mesures correctives

auxquelles il a donné lieu, à savoir le renforcement de la gouvernance concurrentielle du secteur

des services juridiques. En forçant volontairement le trait, il serait possible de s’interroger si le

cas du marché des services juridiques n’est pas comparable à ceux des services anciennement

couverts par des droits exclusifs et si la levée de ceux-ci ne permettrait pas aux consommateurs

de bénéficier de réduction de prix, comme cela s’est produit (ou aurait dû théoriquement se

produire) dans les industries de réseaux libéralisées.

2 Conclusions de l’Avocat Général F.G. Jacobs, arrêt Pavel Pavlov e.a et Stiching Pensioenfonds Medische Specialisten, Cour de Justice, affaire C-180/98, 12 septembre 2000.

4

Notre analyse se structure de la façon suivante. Nous envisageons, dans une première partie,

les effets de la réglementation des services rendus par les professions juridiques en considérant

successivement les prédictions de l’analyse économiques quant aux incitations et à la capacité

d’agents économiques privés à capturer la réglementation publique et les évaluations

empiriques à notre disposition quant aux effets de la réglementation sur le marché français,

notamment en termes de prix. Cette grille d’analyse, très marquée par des logiques d’économie

industrielle est également utilisée en seconde partie. Nous y considérons les réformes actuelles

en cours successivement sous l’angle de l’intervention des autorités de concurrence et sous celui

des apports de l’analyse économique, non plus ici uniquement fondés sur des modèles ne

considérant pas la nature des produits échangés mais intégrant la question de leurs qualités.

I – LA RÉGLEMENTATION PROTÈGE-T-ELLE LES RÉGLEMENTÉS ?

Nous interrogeons la théorie économique de la capture de la réglementation (A) avant de nous

attacher à la présentation des effets de la réglementation des services juridiques sur le marché

français (B) de façon à évaluer la nature des facteurs qui conduisirent sinon à la libéralisation

du secteur, du moins à une profonde évolution de sa réglementation.

A - Théorie de la capture et réglementation anti-concurrentielle

Une situation de concurrence pure et parfaite n’est guère une incitation enviable pour les acteurs

d’un marché. Elle a pour effet de laminer leurs marges bénéficiaires (leurs mark-up pour

reprendre le vocabulaire en usage en microéconomie) et de les priver de toute certitude quant à

leur capacité à se maintenir sur le marché dans le futur et à récupérer leurs capitaux investis.

Une concurrence conçue comme une cut-throat competition prive non seulement les firmes

d’une vie paisible (Hicks, 1935) mais peut également s’avérer préjudiciable pour les

consommateurs. En effet, elle peut conduire à un sous-investissement de la part des

professionnels et à une faible qualité des prestations réalisées du fait de la faiblesse des prix

d’équilibre. D’ailleurs plus les asymétries d’information sont fortes entre les consommateurs et

les professionnels, moins les premiers pourront évaluer la qualité et plus fort sera le risque que

les professionnels proposant des services de meilleure qualité – donc plus coûteux – soient

évincés du marché (Akerlof, 1970).

A ce titre, une réglementation publique ayant pour effet de maintenir les prix à un niveau

raisonnable (pour amortir les investissements et permettre la prestation de services de qualité)

et limitant les entrées dans la branche (à la fois pour garantir les qualifications des

professionnels et pour éviter des surcapacités mettant en cause la viabilité des sociétés

5

d’exercice) correspond bien à une logique d’intérêt public : celle de prévenir la défaillance de

ce marché. Cependant, il serait réducteur de ne considérer la réglementation que sous l’angle

de l’efficacité économique. Elle a aussi un rôle essentiel en termes de répartition. En effet, les

asymétries d’information qui caractérisent un tel marché peuvent également entraîner un

transfert indu de bien-être entre les agents. Ceux qui bénéficient des asymétries (les

professionnels) pourraient exercer un pouvoir économique sur leurs contractants. Ainsi la

réglementation ne doit pas exclusivement s’entendre comme un plancher de prix (pour assurer

la viabilité d’une offre de qualité) mais également comme un plafond (pour éviter une

exploitation abusive d’un pouvoir économique). Comme nous le verrons infra la difficulté

d’une réglementation optimale des prix des services juridiques tient à la difficulté de réaliser

cette configuration idéale qui serait celle d’un tunnel…

Cependant, les arguments à l’encontre d’une concurrence coupe-gorge n’ont pas toujours dans

l’histoire émanés de défenseurs des intérêts des consommateurs mais souvent des firmes elles-

mêmes (Detoeuf, 1936). Une protection contre la concurrence, habillée par l’intérêt public, peut

rencontrer des intérêts privés. En d’autres termes, les firmes réglementées elles-mêmes peuvent

avoir tout intérêt à capturer la réglementation.

Il serait possible, en forçant volontairement le trait, de considérer qu’une réglementation

maîtrisée par ses propres sujets permettrait à ces derniers de se comporter comme un cartel

abrité de toute menace extérieure et de toute possibilité de déviation de ses participants. Une

réglementation publique répondant à une théorie des intérêts privés combinerait un contrôle de

l’entrée sur le marché (malthusianisme via le numerus clausus et les règles de localisation des

exercices), un maintien des prix à un niveau excessif par rapport aux coûts et une protection

contre des déstabilisations hors-prix via un effet de désincitation à l’innovation en matière de

prestation de service.

Ce schéma combinerait pour la collectivité dans son ensemble, les trois coûts du cartel, à savoir

le transfert indu de bien-être entre les agents économiques (1), la perte sèche de bien-être (2) et

enfin l’inefficience dynamique (3).

Abordons succinctement les points (1) et (3).

Le point (1) comme nous l’avons noté supra se rattache à la question de l’exercice du pouvoir

économique. S’il n’existe pas d’alternative dans une transaction pour un des partenaires et que

l’autre en dispose, le partenaire jouissant d’une alternative est en mesure d’imposer ses

conditions. En d’autres termes il peut s’approprier l’intégralité du surplus de l’échange. Le

6

pouvoir économique s’exprime de façon privilégiée au travers de tels déséquilibres. Les

institutionnalistes américains utilisaient le concept de transaction de rareté (Commons, 1934),

pouvant appeler une action correctrice des pouvoirs publics (Elly, 1884). Cette asymétrie peut

résulter de la concentration du pouvoir économique qui peut naturellement découler du

processus de concurrence, comme le craignaient les ordolibéraux allemands (Commun, 2016).

Il peut également procéder d’une réglementation publique. Les expériences du National

Industrial Recovery Act (NIRA) aux Etats-Unis ou encore des cartellisations localisées et

sectorielles validées et protégées par l’Etat aux travers de décrets-lois promulgués à partir de

1935 (Didry et Marty, 2016) correspondaient bien à ces risques de prise de contrôle de la

concurrence par des pouvoirs économiques publics souvent au plus grand intérêt de pouvoirs

économiques privés3.

L’intérêt de la capture de la réglementation publique par des pouvoirs économiques privés tient

au fait que les cartels sont précaires par nature, à la fois du fait de leur instabilité interne et de

l’impact des règles de concurrence, et que la recherche d’un avantage concurrentiel individuel

est non seulement aléatoire mais éminemment précaire si le marché est contestable (c’est-à-dire

s’il n’y pas de barrières à l’entrée et à la sortie). Il peut donc être « rationnel » d’investir pour

capturer la réglementation. Cela pourrait conduire à un mécanisme tel le Cercle vicieux à la

Médicis décrit par Zingales (2017). Le surplus dégagé par les firmes est réinvesti pour la capture

du pouvoir politique et l’influence qui en résulte sur ce dernier est utilisée pour préserver des

rentes qui n’auraient pu être garanties à long terme dans la sphère économique. L’origine du

déclin économique de Florence s’expliquerait par ce détournement de l’investissement

productif au profit de l’investissement improductif dans le contrôle du pouvoir politique.

Ce risque nous conduit au point (3) annoncé supra. La protection d’une profession par la

réglementation publique peut entraîner un coût de long terme pour la collectivité en réduisant

les incitations à innover ou à réaliser des gains de productivité. La question pourrait alors se

porter sur la concurrence entre les différentes places juridiques comme l’on parle de

concurrence entre les différentes places financières (Toubal et Trannoy, 2016).

3 Il convient en effet de réintroduire dans l’analyse la notion de pouvoir économique et notamment de pouvoir économique privé qui a occupé une place centrale dans la constitution de l’Ecole niçoise de droit économique (Salah, 2013). Sa place dans le champ des sciences économiques s’est considérablement marginalisée. Comme le montre Zingales (2017), elle ne tient plus dans l’analyse économique qu’à des données techniques et à des circonstances de marché. La notion s’est de fait précarisée au point de vue théorique alors qu’elle demeure centrale dans la stratégie des acteurs de marché.

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Nous abordons spécifiquement ici le point (2) qui est central pour notre raisonnement, le prix

des services juridiques. En effet, au point de vue économique, la marque du pouvoir de

marché est de pouvoir fixer unilatéralement son prix au-dessus du niveau concurrentiel sans

tenir compte des réactions des concurrents ou des consommateurs. Il s’agit, dans le domaine de

la sanction des pratiques anticoncurrentielle, du test SSNIP (small but significant and non

transitory increase in price) ou test du monopoleur hypothétique (Sibony, 2008).

Si cet abus de position dominante individuel est hors de portée – du fait du contre-pouvoir

exercé par les concurrents -, une pratique coordonnée peut constituer un substitut acceptable.

Ce n’est plus le profit individuel qui est maximisé mais le profit joint. Cependant cela demeure

bien plus attractif en termes de rémunération que la concurrence pure, tant en espérance

mathématique qu’en variance. Cependant, les équilibres collusifs sont instables et précaires. Ils

ne peuvent être maintenus que si tous les acteurs peuvent contrôler le respect de leurs

« engagements » respectifs et sanctionner efficacement et rapidement d’éventuelles déviations

par l’intermédiaire de représailles. En effet, en matière de cartel, une déconnexion systématique

existe entre l’intérêt collectif (coopérer) et l’intérêt privé de chaque participant au cartel qui est

de ne pas tenir ses engagements. En d’autres termes, la solution de Nash du jeu (qui revient à

un dilemme du prisonnier) est de trahir ses complices après l’accord de cartel pour maximiser

son profit individuel. Répondre à ce risque suppose de mettre en place une police du cartel qui

est à la fois coûteuse et inductrice de risques concurrentiels du fait de sa visibilité. Enfin, il

convient de souligner qu’un accord est d’autant plus difficile à construire et à piloter que les

firmes sont nombreuses et diverses (Kirat et Marty, 2007).

Ce faisant, l’appui sur un ensemble de dispositifs institutionnels et la capture de la

réglementation publique peuvent apparaître comme des moyens efficaces pour réaliser et

consolider un tel équilibre collusif. La transparence tarifaire au travers de grilles ou de barèmes

donnerait un point focal pour la collusion4, une police efficace du cartel serait assurée par une

structuration par ordre revenant à une logique d’autorégulation (Marty, 2017a) et enfin et

surtout les conditions d’accès au marché et d’exercice de la profession seraient garantis par une

réglementation publique capturée par celle-ci. Il en résulterait ainsi un équilibre de cartel stable

qui pèserait sur les prix des services juridiques.

4 Voir par exemple la décision n°00-D-23 du Conseil de la concurrence du 31 mai 2000 relative à des pratiques en matière d’honoraires mises en œuvre par le barreau de Bonneville. Un équilibre collusif stable peut être atteint via la publication de listes de prix. Même si les firmes peuvent dévier – en accordant des rabais – il est possible de montrer que les grilles tarifaires ont pour effet d’accroître les prix nets (Boshoff et Paha, 2017).

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B – Quelles estimations et quelles conséquences d’une réglementation anti-concurrentielle ?

Une évaluation des niveaux de prix professions faisant l’objet d’une réglementation publique a

été réalisée en octobre 2013 par l’Inspection Générale des Finances (IGF, 2013). Celle-ci

concluait notamment à des taux de rémunération et de marge des professionnels qui étaient sans

rapport avec les risques pris et les investissements réalisés.

Sachant que cette évaluation couvrait un périmètre allant bien au-delà du seul domaine juridique

en englobant des secteurs très différents allant de la santé aux plombiers, serruriers et chauffeurs

de taxis, il faut donc considérer les conclusions avec prudence. Cependant, elles n’en sont pas

moins importantes en ce qu’elles ont contribué à étayer la thèse de la capture de la

réglementation, qu’elles ont pesé sur les débats autour de la Loi Macron du 6 août 2015 et

qu’elles constituent une toile de fond essentielle pour comprendre les évolutions actuelles de la

réglementation.

L’IGF a étudié les situations de 37 professions réglementées5 représentant quelques 1,1 million

de salariés et 6,4% du PIB français. Il s’agissait donc d’un périmètre plus large que celui des

professions réglementées du droit. L’IGF relève en premier lieu des revenus médians élevés

pour certaines des professions réglementées, notamment dans le domaine juridique

En outre, l’IGF considère que les différences de revenus entre professions réglementées et

professions non réglementées dépassent ce qu’elles devraient être en tenant compte des niveaux

de qualifications, des investissements à réaliser pour exercer l’activité ou en tenant compte du

niveau de risque économique lié à l’activité (apprécié sur la base du taux de défaillance des

structures). Le niveau de rentabilité moyen de ces professions, en regard de ces caractéristiques,

« ne trouve dans certains cas pas d’autre explication que la réglementation en vigueur ». Le

bénéfice net avant impôt moyen serait en effet, selon l’IGF, de 19,2% soit 2,4 fois plus que la

moyenne de l’économie. De surcroît, entre 2000 et 2010, les professions concernées ont vu leur

valeur ajoutée agrégée augmenter de 54 % alors que le PIB ne progressait que de 35 %.

Pour l’IGF (2013), le niveau « excessif » et le dynamisme relatif de ces prix s’expliquent par la

réglementation qui est attaché aux services concernés et qui garantit aux professionnels à la fois

un monopole d’activité et une protection tarifaire. Ce niveau de rentabilité ferait, selon les

évaluations de l’IGF, que dans certaines professions une baisse de 20% des tarifs laisserait

5 Cinq catégories de réglementations étaient analysées. Il s’agissait des tâches et activités réservées, des tarifs réglementés, des exigences minimales de qualification, des restrictions à la liberté de formation et d’installation et enfin des restrictions en matière d’accès au capital.

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encore une marge nette raisonnable aux opérateurs. S’appuyant sur une projection de la

Direction Générale du Trésor, l’IGF considère que des mesures de libéralisation pourraient

générer sur cinq ans un surcroît d’activité de 0,5 point de PIB, une création nette de 120 000

emplois et une hausse d’exportations de 0,25 point de PIB (nous reviendrons en détail sur ce

dernier point infra).

La réglementation permettrait la formation de prix excessifs. Ces derniers peuvent avoir

plusieurs effets sur l’économie.

Le premier effet des prix excessifs concerne les consommateurs finaux. Le pouvoir économique

qui résulte de la réglementation conduit à un transfert de bien-être au profit des professionnels.

En outre, le niveau des prix participe d’un phénomène de prix intérieurs plus élevés en France

que dans d’autres Etats Membres de l’Union européenne. Cette situation phénomène pèse à la

fois sur le pouvoir d’achat des ménages et sur les salaires. Au-delà de ces phénomènes qui

pourraient s’appliquer à tout marché de biens ou de services, il convient de s’attacher à la nature

particulière du marché en cause et de souligner l’impact collectif d’un éventuel problème

d’accès du justiciable au service rendu par les professions juridiques. Un rationnement de

l’accès à l’offre de services juridiques par les prix induit un coût net pour les agents individuels

mais aussi pour la qualité du système juridique lui-même (OCDE, 2013). En effet, le

contentieux en permettant de constituer des jurisprudences efficaces ou en conduisant à la

remise en cause de précédents infondés ou obsolètes, créé une externalité positive pour

l’économie dans son ensemble. L’accès au juge est une condition essentielle à la sécurisation

des décisions d’investissements de long terme des agents économiques. En d’autres termes, la

croissance dépend de la capacité des agents à s’engager dans des contrats de long terme.

L’accessibilité financière et la qualité du système juridique en sont des éléments déterminants

au travers de la garantie qu’elles apportent en matière de droits de propriété et de respect des

engagements contractuels (Acemoglu et Johnson, 2005).

Le second effet des prix excessifs concerne les entreprises elles-mêmes et leur compétitivité

prix (et hors prix). Tout d’abord, pour l’ensemble des entreprises et notamment les entreprises

industrielles, la part des services intégrés dans la valeur des produits croît significativement.

Ainsi les prix des services qui constituent une part croissante de leurs coûts (60 à 80% de la

valeur ajoutée des branches industrielles). Les services juridiques occupent une place difficile

à évaluer mais peuvent contribuer à cette dégradation des marges. Une augmentation des prix

des services juridiques peut peser négativement sur la compétitivité prix des firmes française.

Plusieurs études macroéconomiques ont été produites sur les effets d’une déconnexion des

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niveaux des prix et de leurs dynamiques entre secteurs exposés à la concurrence internationale

et secteurs « abrités » (Sy, 2014 ; Frocrain et Giraud, 2016).

Les deux études citées supra mettent en évidence une déconnexion entre les prix du secteur

protégé et du secteur exposé à la concurrence internationale. Le graphique infra tiré de Frocrain

et Giraud (2016) illustre la dé-corrélation entre évolution des prix entre secteurs abrités et

protégés en France entre 2000 et 2013 (base 100 en 2000).

Cette dégradation du taux de change interne (entre secteurs abrités et secteurs exposés)

constituerait l’une des causes de la perte de compétitivité prix de notre économie. Le solde des

échanges extérieurs qui était positif de 1,5% en moyenne entre 1999 et 2004 est négatif de 1,3%

en moyenne depuis cette date. Quand les prix du secteur exposé ont crû de 10% en 10 ans, ceux

du secteur abrité l’ont fait de 25%. La question des prix des services dépasse donc les aspects

microéconomiques pour toucher des préoccupations macroéconomiques. Au sein des secteurs

abrités se retrouvent la grande distribution, le secteur de la construction mais aussi comme nous

l’avons vu les professions réglementées dont les professions réglementées du droit. Si la

définition du secteur abrité dépasse très largement celui des services juridiques6, les conclusions

qui sont tirées de ces évaluations peuvent contribuer à éclairer les débats dans notre domaine.

Comment expliquer le niveau des prix des services juridiques ? Pour l’IGF (2013), les

réévaluations tarifaires des services réglementés concernés se sont faites sans lien avec les

coûts7. Les tarifs des professions juridiques réglementées devraient donc faire l’objet d’une

6 Les services juridiques représentaient en 2006, 15% des services professionnels fournis aux entreprises (Chaserant, 2017). 7 Il pourrait par exemple en être ainsi des tarifs des huissiers de justice et la déconnexion entre les temps effectivement passés par acte et la structure de la tarification, voir notamment l’avis n°10-A-14 de l’Autorité de la concurrence, en date du 29 juin 2010 et relatif à l’assistance du greffier en chef en matière de vérification des

11

supervision ex ante par des régulateurs indépendants (qu’il s’agisse d’une autorité

administrative indépendante ad hoc ou de l’Autorité de la concurrence). L’IGF préconisait donc

de faire évoluer la réglementation de certains services pour accroître la part des prix fixés de

façon concurrentielle en supprimant, par exemple, la réglementation des prix applicables à

certains services (par exemple, les émoluments proportionnels des administrateurs et

mandataires judiciaires ou encore les actes des notaires au tarif proportionnel à la valeur

énoncée dans l’acte pour les transactions immobilières, les hypothèques ou les successions). Il

convenait ensuite, pour les services pour lesquels une réglementation demeurait nécessaire, de

vérifier l’adéquation de leurs prix aux coûts.

Le rapport de la Commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et l’activité, préparé

dans le cadre de la discussion du projet de loi Macron en janvier 2015, confortait l’analyse de

l’IGF quant à la déconnexion entre les niveaux de risques et de rentabilité des activités en cause.

Le rapport confirmait également que la réglementation pouvait être à l’origine de rentes indues

dès lors que coexistent un tarif non lié aux coûts, des activités monopolistiques dont les prix ne

sont pas régulés et des barrières à l’entrée sur le marché induisant un rationnement de l’offre

(Perrot, 2015). Les diagnostics convergeaient donc vers une application au secteur des remèdes

issus de l’économie industrielle. L’effacement de la Chancellerie au profit de l’Autorité de la

concurrence en matière de réglementation des prix ou d’encadrement de la liberté d’installation

peut constituer un indice d’extension du périmètre du marché, au travers de celui du code de

commerce. D’ailleurs, la libéralisation s’est plus appuyée sur le registre de l’efficacité

économique – et particulièrement celui de la baisse espérée des prix – que sur le registre de la

liberté de marché (Chaserant, 2017).

II – PEUT-ON CONSTRUIRE LA CONCURRENCE ?

Il s’agit, dans cette seconde partie, de s’attacher aux évolutions de la réglementation tarifaire

applicable aux professions du droit en mettant l’accent sur l’influence d’un cadre conceptuel

issu des prescriptions de l’économie industrielle (A) avant d’interroger leur adaptation à la

nature des services juridiques (B).

comptes de tutelle par un huissier de justice. Cependant, il convient de noter que les premières années post loi Macron ne se traduisent pas par des baisses sensibles des prix des services juridiques.

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A – De la mise en évidence des défaillances de la réglementation à la construction d’un

marché concurrentiel

Nous nous proposons, après nous être attachés à la notion de prix excessifs en droit de la

concurrence de l’Union européenne, de présenter le rôle joué par l’Autorité de la concurrence

dans la supervision des prix des services juridiques, qu’il s’agisse de définir les périmètres

respectifs des prix réglementés et des prix de marché ou qu’il s’agisse de préciser les règles de

fixation des premiers. Nous concluons enfin cette sous-section par une analyse du modèle sous-

jacent à l’action de l’Autorité de la concurrence en matière de professions réglementées du

droit.

Les défaillances de marché ne seraient-elles que des défaillances de la réglementation ?

Si la réglementation des services juridiques avait initialement pour objet de répondre à des

impératifs d’intérêt général, ou a minima de prévenir une défaillance de marché, le niveau des

prix relevés dans le secteur est perçu comme la marque d’une défaillance de la réglementation

publique.

Cette vision est à resituer dans un cadre plus large qui englobe l’ensemble de la politique de

concurrence européenne et qui sous-tend l’agenda de réformes structurelles porté par la

Commission (2017) et par l’OCDE (2014). Dans cette perspective, d’éventuels problèmes de

prix excessifs ne peuvent provenir que de la réglementation publique et non d’abus

d’exploitation sur des marchés concurrentiels. Un récent renvoi préjudiciel de la Cour Suprême

lettone dans le cadre d’une procédure lancée par le Conseil de la concurrence letton contre un

organisme de gestion centralisée des droits d’auteurs8 a donné lieu à des conclusions de

l’Avocat Général Nils Wahl qui nous permettent de préciser cette approche9.

L’Avocat Général, dans cette affaire de prix excessifs portant sur des licences d’exploitation

d’œuvres musicales par des centres commerciaux, revient sur la faible place accordée à la

notion de prix non équitables et plus générale d’abus d’exploitation dans la pratique

décisionnelle européenne. L’extrême réticence que décrit l’Avocat Général s’explique pour lui

par plusieurs facteurs (§3). Un premier facteur est la difficulté de disposer de tests économiques

irréfutables permettant de caractériser un prix comme excessif (Evans et Padilla, 2005). Le

risque dans la décision concurrentielle est alors celui du faux positif, c’est-à-dire de sanctionner

8 Cour de Justice, arrêt Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība contre Konkurences padome, 14 septembre 2017, affaire C-177/16 9 Conclusions de l’Avocat Général Nils Wahl dans l’affaire C-177/16 présentées le 6 avril 2017.

13

à tort une entreprise qui a pourtant joué le jeu d’une concurrence par les mérites. Un second

facteur tient au fait que si les marchés sont contestables, en d’autres termes s’il n’y pas de

barrières à l’entrée, le surprofit qui en découlerait (en d’autres termes le niveau de rémunération

des capitaux investis) déclencherait de nouvelles entrées dans la branche venant résoudre le

problème lié au niveau des prix. Nous retrouvons ici une hypothèse d’autorégulation des

marchés dont nous pourrions discuter sinon le réalisme du moins la validité pour tout type de

marché.

Cependant, le point le plus important tient que l’Avocat Général considère qu’une telle situation

est néanmoins possible sur les marchés pour lesquels il existe des barrières juridiques à l’entrée

tenant à des monopoles légaux. Cela est souligné dans le §48 de ses conclusions « C’est

pourquoi, comme énoncé au début des présentes conclusions, je suis convaincu que des prix

non équitables, au sens de l’article 102 TFUE, ne peuvent exister que sur des marchés

réglementés, où les autorités publiques exercent une forme de contrôle sur les forces de l’offre

et où, par conséquent, le champ pour une concurrence libre et ouverte est réduit. À l’évidence,

plus les barrières créées par le législateur sont élevées et durables, plus une entreprise en

position dominante devrait être en mesure d’exercer sa puissance sur le marché ». Le second

cas de figure où des prix non équitables pourraient être observés peut correspondre à des

marchés faisant l’objet d’une régulation sectorielle. En généralisant nous pourrions dire que la

réglementation est vue comme la responsable de la pérennité de prix excessifs quand elle n’en

est pas tenue comme leur inductrice.

La construction d’une tarification « concurrentielle » par l’Autorité de la concurrence

Analyser les avis rendus depuis la Loi Macron par l’Autorité de la concurrence est à notre sens

particulièrement intéressant. Cet intérêt tient moins aux préconisations en elles-mêmes, dont

l’analyse dépasse largement le cadre de ce texte, qu’à la logique sous-jacente qui est l’œuvre.

Le premier point tient au rôle même de l’Autorité. La crainte soulevée par l’AG Wahl dans ses

conclusions citées supra en matière de prix excessifs était que le juge de la concurrence, saisi

de telles affaires, se mue en régulateur des prix, tâche pour laquelle il ne saurait posséder les

capacités de suivi idoines (§105). Cependant, la mise en œuvre de la Loi Macron consacre au

niveau interne des missions qui peuvent se rapprocher d’une telle logique. L’Autorité de la

concurrence doit se prononcer pour avis sur les projets de décrets. Cependant, l’analyse même

des avis rendus par l’Autorité permet de nuancer ou plutôt de préciser l’esprit de son

intervention.

14

Conformément à l’interprétation de Chaserant et Harnay (2010), l’Autorité se comporte moins

en régulateur sectoriel par défaut qu’en acteur concourant à la construction de marchés

concurrentiels. Le rôle que joue l’Autorité est comparable à celui qu’elle tient en matière de

libéralisation des industries de réseaux. Malgré les différences entre les secteurs en question, la

logique d’intervention est la même. Il s’agit de réintroduire dans des secteurs anciennement

régis par des droits exclusifs et soumis à des tarifs réglementés un aiguillon concurrentiel

(Marty, 2017b). L’idée n’est pas de transformer l’Autorité en régulateur sectoriel mais de lui

permettre d’introduire des principes de gouvernance concurrentielle dans le secteur. Il en

découle des interventions en matière d’installation des professionnels (lever les barrières à

l’accès au marché) mais également des interventions portant sur le périmètre et le niveau des

tarifs qui demeurent réglementés. Il s’agit de les orienter vers les coûts pour éviter d’éventuelles

distorsions de concurrence qui pourraient provenir de subventions croisées ou encore de prix

excessifs.

Comme le soulignaient Chaserant et Harnay (2010), le traitement des professions réglementées

du droit semble avoir basculé d’une logique de réglementation publique (combinée avec des

logiques d’autorégulation) à une régulation fondée sur des modèles d’économie industrielle,

moulée qui plus est sur le précédent des industries de réseaux, c’est-à-dire – en partie – des

marchés de commodités. Nous verrons infra que l’application de ce modèle peut être difficile

dans des marchés où les biens ne sont ni homogènes, ni fongibles, ni indifférenciés mais où la

qualité est primordiale et où celle-ci est difficile à évaluer par les clients tant ex ante qu’ex post.

La première intervention de l’Autorité dans le domaine des prix des services juridiques

(abstraction faite de contentieux liés à la diffusion de grilles tarifaires) remonte à l’avis n°15-

A-02 du 29 janvier 2015. Rendu préalablement au dépôt du projet de loi, cet avis permet déjà

de saisir l’approche qui mettra en œuvre l’Autorité en matière de prix des services juridiques.

Ce premier avis, de portée générale, fut suivi d’avis plus spécifiques qui dessinèrent le régime

de traitement des prix réglementés de certains actes et qui précisèrent la ligne de partage des

eaux entre prix de marché et prix réglementés.

L’analyse des tarifs qui était faite par l’Autorité dans son avis de janvier 2015 mettait en exergue

l’importance de la notion de libre fixation des prix en regard de deux autres libertés

fondamentales, la liberté contractuelle et la liberté d’installation. Cette conception de l’ordre

concurrentiel s’inscrit dans l’esprit des décrets d’Allarde et des recommandations du rapport

Armand-Rueff (Marty, 2014). La réglementation des prix, si elle doit être envisagée, ne doit

15

intervenir qu’à titre subsidiaire. Nous retrouvons ici la logique qui était celle de Maurice Allais

dans son Traité d’économie pure publié en 1943 : la liberté des prix est la règle et leur fixation

par les pouvoirs publics ne doit intervenir que dans les secteurs où le mécanisme des prix ne

peut jouer son rôle du fait de l’existence de défaillances de marché. Encore cette intervention

minimale doit-elle mimer le marché, c’est-à-dire calculer les prix à partir des coûts marginaux

de façon à obtenir le résultat le plus proche possible que celui qui serait obtenu si le marché

avait pu jouer son rôle (Finez, 2014). Il ne s’agit pas de porter une autre logique que celle de la

concurrence mais de se substituer à elle quand elle ne peut être à l’œuvre. L’Autorité reprend

dans son §560 cette logique en insistant que la réglementation des prix n’a pas pour objet de

conforter le niveau de rentabilité des opérateurs ou de faire disparaître toute incitation à

l’innovation ou à la réalisation de gains de productivité.

Ce principe de base posé, l’Autorité reprend le cadre allaisien évoqué supra et la logique à

l’œuvre pour les industries de réseau, à savoir l’orientation des prix vers les coûts comme règle

de supervision des prix réglementés. Cette logique initialement mise à l’œuvre en matière de

tarification d’accès à des infrastructures essentielles (réseaux de transports dans les secteurs

énergétiques et ferroviaires) a été progressivement étendue à l’ensemble des situations dans

lesquelles coexistent des segments de clientèles bénéficiant de tarifs réglementés et des

segments soumis à des offres au prix de marché. Il s’agit pour éviter la mise en œuvre de prix

d’éviction fondé sur des subventions croisées. Dans de telles situations, l’Autorité intervient

pour s’assurer que les tarifs soient bien orientés vers les coûts et que les offres de marché se

fassent à des prix couvrant leurs coûts respectifs. La décision n°17-D-16 du 7 septembre 2017

relative aux offres de marché proposées par Engie est pleinement caractéristique de cette

logique qui sous-tend également l’appréciation par l’Autorité des prix des services juridiques.

Il s’agit dans ces deux situations d’orienter les tarifs vers les coûts des prestations et d’appeler

à la mise en place d’une comptabilité de gestion permettant de déterminer le coût des différentes

activités.

L’Autorité de la concurrence ne limite pas seulement son implication à la définition des

principes devant structurer l’encadrement des prix des services juridiques ou encore à la

sanction ex post d’éventuels abus tarifaires (prix d’éviction sans doute plus que prix excessifs)

sur la base des règles de concurrence. L’Autorité préconisait dans son avis du 29 janvier 2015

d’être obligatoirement saisie pour tout dispositif de fixation des tarifs (§688). Comme nous le

verrons, l’Autorité préconise une régulation de type remboursement de coûts, basée sur la

compensation des coûts pertinents et l’obtention d’une rémunération raisonnable du capital

16

investi. Un point particulièrement intéressant est à souligner dans cet avis. Il est d’ordre

purement méthodologique mais témoigne parfaitement de la logique que semble vouloir suivre

l’Autorité, logique nous verrons apparaître dans l’avis n°17-A-06 du 27 mars 2017. Il s’agit

d’une logique de concurrence par comparaison (yardstick competition) qui est communément

utilisée pour la régulation d’opérateurs jouissant de monopoles locaux. Faute de pouvoir utiliser

des mesures de rémunération du capital telle que celle appliquée pour les entreprises cotées en

bourse (à l’instar du MEDAF – modèle d’équilibre des actifs financiers), l’Autorité préconise

des comparaisons intersectorielles avec des opérateurs comparables, en termes

d’investissements ou de niveaux de risques encourus (§700).

La saisine pour avis obligatoire des projets de décrets, assortie d’une capacité d’auto-saisine,

que préconisait donc l’Autorité dans l’avis n°15-A-02, a déjà donné lieu à trois avis, dont nous

présentons infra succinctement quelques-uns des principaux traits saillants.

Le premier, le n°16-A-03, du 29 janvier 2016, concernait un projet de décret portant sur les

tarifs des prestations des officiers publics ministériels et des mandataires de justice. La

référence aux industries de réseau en cours de libéralisation y apparaît dès le §7, seul le choix

d’une logique de forfait (présente dans l’avis n°15-A-02 du 29 janvier 2015) justifie une

spécificité : « Pour atteindre ces objectifs, l’Autorité s’appuyait sur un principe général, courant

en matière de régulation tarifaire, à savoir une couverture des coûts complétée d’une

rémunération raisonnable. Cependant, elle considérait que pour ces professions,

contrairement par exemple à la régulation tarifaire d’un exploitant d’infrastructure ou de réseau

en monopole, une régulation tarifaire globale se fondant sur les coûts moyens de la profession,

était souhaitable plutôt qu’une régulation au regard du coût de chaque acte ».

Le deuxième avis en date du 22 février 2016 (avis n°16-A-06) traite également de la fixation

des tarifs. Les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les

huissiers de justice, les administrateurs et mandataires judiciaires, les notaires et les avocats (en

matière de saisie immobilière, partage, licitations et sûretés judiciaires) sont concernés. A

nouveau la logique est la même. Le tarif réglementé doit couvrir les coûts pertinents et assurer

une rémunération raisonnable au professionnel sur la base de critères objectifs. Dans une

logique d’économie industrielle, nous sommes dans le monde d’une régulation de type

remboursements de coûts. Son principal mérite théorique est de plafonner la marge de

l’entreprise régulée (Laffont et Tirole, 1993). Cet avis permet également de souligner la

permanence de la tension entre une couverture de type « acte-par-acte » et un modèle de forfait

vers lequel va la préférence de l’Autorité. Au-delà de sa relative technicité, ce débat éclaire une

17

dimension importante de la supervision des prix des services juridiques : celui de la place

relative des logiques de péréquation face à un modèle de tarification fondé vers les coûts et

donc faisant appel – comme cela est le cas pour les entreprises régulées – à des évaluations

basées sur la comptabilité analytique pour faire ressortir les coûts propres à chaque activité.

L’avis n°17-A-06 du 27 mars 2017 concerne des activités très spécifiques des avocats, à savoir

la postulation en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires.

Il n’est pas pertinent ici d’entrer dans les détails de chaque activité mais simplement de noter

quelques spécificités qui permettent d’encore mieux préciser la démarche de l’Autorité en

matière de traitement des prix des services juridiques.

Le premier trait saillant à relever tient à la reconnaissance pour certaines activités – en

l’occurrence les quatre susmentionnées – de l’impossibilité de supprimer le tarif réglementé de

la postulation. Pour ces activités relativement marginales dont les principaux clients sont des

institutionnels (banques et organismes de crédit notamment), le législateur a maintenu une

logique de tarif réglementé. Au-delà de la technicité des actes et du fait que le professionnel

n’agit pas exclusivement dans l’intérêt de son client (mais également dans celui du débiteur

saisi par exemple), le choix du maintien du tarif réglementé s’explique aussi par une logique de

péréquation permettant de préserver les ressources des ordres des barreaux.

Le second trait saillant qu’il est possible de dégager concerne la logique de fixation des tarifs

en l’attente de disposer de données de comptabilité analytiques qui va s’appuyer sur une

comparaison avec les prix pratiqués par d’autres professionnels réalisant les mêmes prestations.

Il en est ainsi par exemple des notaires pour les formalités relatives à la vente de biens

immobiliers ou encore des mandataires judiciaires pour les actes de procédures liés à la vente

de biens immobiliers (§100). Le concept même de concurrence par comparaison est introduit à

ce stade par l’Autorité (§101). Elle propose que la réglementation des prix tienne compte

d’éventuelles différences entre les professions pour inciter à la réalisation de gains de

productivité.

Quelques réflexions générales sur l’appréhension de la question du prix des services juridiques

par l’Autorité de la concurrence

Au final, le traitement des prix réglementés par l’Autorité de la concurrence témoigne d’une

forte cohérence qu’avait bien mise en exergue le Président de l’Autorité, Bruno Lasserre, dans

le cadre de son audition à l’Assemblée Nationale, le 10 février 2016 par la mission commune

sur l’application de la Loi Macron. L’Autorité par souci de réalisme et d’administrabilité

18

préfère une régulation tarifaire par profession, selon une logique de forfait, à une régulation

acte par acte pourtant moins porteuse de distorsions de concurrence sur le principe. Il s’agit

notamment d’éviter de se muer en régulateur sectoriel. Le second argument présenté par le

Président Lasserre tenait à une logique de progressivité à la fois pour éviter de générer des chocs

sur les flux de ressources attendus par les professionnels (dans une logique proche de celle des

coûts échoués dans les industries de réseaux) et pour s’inscrire dans une démarche d’affinement

progressif de la réglementation tarifaire assez proche dans sa logique de celle de contrats de

régulation. En effet, le Président Lasserre annonçait que la réglementation des prix évoluera en

fonction de l’information recueillie par l’Autorité d’un cycle à l’autre.

Un autre point essentiel tient à la place accordée à la notion de rémunération raisonnable. Les

questions de la péréquation et du maillage territorial sont présentes mais semblent peut être

considérées comme des contraintes. Le débat théorique présent dans la littérature quant aux

mérites respectifs des schémas de réglementation par remboursements de coûts et de

réglementation par prix plafonds sera éventuellement à considérer à terme. Le second modèle

laisse la rémunération du capital investi par les professionnels dépendante aux aléas du marché.

Le premier modèle présente l’intérêt d’insérer celle-ci dans une logique de tunnel : la

réglementation est là pour la plafonner (et répondre au risque de prix excessifs) ou garantir un

niveau minimal. Cependant, plafonner la rémunération peut jouer sur les incitations à innover

et garantir un plancher peut conduire aux risques de prix excessifs dénoncés par l’AG Wahl.

Pour autant, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, bien que de certaines

prestations soient soumises au prix de marché (actes facultativement authentiques rédigés par

les notaires, par exemple), les prix réglementés demeurent. A nouveau, il s’agit plus d’une

logique de libéralisation régulée que d’une logique de déréglementation (Marty, 2015b).

Ensuite, si le frein principal à la libéralisation semble tenir à de nécessaires péréquations (entre

activités notamment), il apparaît que les questions de l’asymétrie d’information existante entre

le professionnel et son client et de la qualité des services rendus n’occupent peut-être pas la

place qu’elles mériteraient.

B – De l’applicabilité du modèle de gouvernance concurrentielle dans le domaine des services

juridiques

Plusieurs interrogations plus générales peuvent structurer notre partie conclusive.

Tout d’abord, considérant les asymétries d’information entre les deux partenaires au contrat, il

est possible de se demander si la concurrence permettra effectivement de réduire les prix des

19

services juridiques ? La commission dirigée par Anne Perrot (2015) dans le cadre de la

préparation du projet de loi Macron s’était attachée à l’évaluation des gains qu’il était possible

d’attendre en analysant tant les modèles théoriques que les retours d’expériences étrangers. La

commission n’avait pu, faute d’études spécifiques empiriques publiées, s’appuyer sur le cas

précis des professions réglementées du droit. Elle n’a disposé que d’analyses relatives aux

services professionnels à l’industrie. Si dans ce très large domaine, l’assouplissement de la

réglementation serait susceptible de jouer positivement sur la productivité des clients industriels

(Bourlès et al., 2013), reste à savoir si le niveau très spécifique des asymétries d’information

dans le domaine des services juridiques pourrait contrecarrer de tels effets. Au point de vue

empirique, des résultats sont disponibles dans le secteur du notariat en Angleterre et au Pays de

Galles (Domberger et Sher, 1989). Les prix pratiqués par les professionnels ont baissé après la

libéralisation sans que les marges ne soient trop affectées. La libéralisation en effet s’est

déroulée dans une situation haussière du marché immobilier.

Ensuite, la question des prix des services n’est qu’une des dimensions de l’impact d’une

libéralisation. Celle-ci peut également affecter la qualité des services rendus. Une concurrence

en prix dans un contexte de fortes asymétries d’information peut affecter négativement la

qualité des services rendus. Le risque est bien plus significatif que pour les industries de réseaux

où les biens sont parfois indifférenciés et pour lesquels le gestionnaire du réseau joue le rôle de

garant de la qualité. Le risque est ici que la concurrence en prix ne se traduise par une réduction

de la qualité du service rendue. L’asymétrie informationnelle qui s’exerce au détriment du

consommateur joue à la fois ex ante et ex post (Chaserant et Harnay, 2015). Une asymétrie

d’information est en effet en jeu ex ante. Le client ne peut évaluer la qualité du service que lui

rendra le professionnel. Cependant, le service juridique n’est même pas un bien d’expérience.

Il s’agit en fait d’un bien de confiance (Karpik, 2007). Et c’est cette nature même de ce service

qui justifie qu’il ne peut être laissé aux seuls mécanismes de marché, plaidant ainsi pour une

libéralisation régulée, bien plus que pour une déréglementation.

Enfin, il serait possible de développer le raisonnement selon deux axes. Le premier d’axe fait

écho à l’approche de l’économie des conventions. Une convention concurrentielle peut-elle être

viable pour des produits dédicacés à une transaction donnée, c’est-à-dire des services

spécifiques à un offreur donné, à un demandeur donné. En d’autres termes des produits qu’il

est impossible de standardiser. Pour reprendre les catégories de Salais et Storper (1993), le

service juridique est produit dans une situation d’action immatérielle ou interpersonnelle et non

marchande ou industrielle. Dans le cas d’une situation d’action immatérielle, c’est-à-dire pour

20

les prestations standards, la relation est marquée par une qualité dite « spécialisée générique ».

En d’autres termes, à la différence d’un monde d’action interpersonnel, les connaissances que

met en œuvre l’offreur de service sont des connaissances à vocation générales qu’il va déployer

dans la production d’un service spécifique. Pour les prestations plus spécifiques, la relation est

constitutive d’un monde de production interpersonnel. La situation est marquée par

l’incertitude, le produit est à la fois dédié et spécifique. Le tableau suivant tiré de Salais et

Storper (1993) montre que dans ces deux cas, la concurrence ne peut se faire en prix mais en

qualité. La qualité est alors dépendante de l’apprentissage précédemment réalisé par le

professionnel mais aussi de sa coopération avec le client. Dans un certain sens, il y a une

coproduction du service entre les deux parties. La logique est pour le professionnel non

seulement celle d’un learning by doing mais également celle d’un learning by interacting.

Le cadre de l’économie des conventions permet de faire ressortir la présence simultanée de

plusieurs types de services rendus par les professions réglementées du droit (Harnay, 2016). Si

certaines prestations présentent des caractéristiques propres aux approches en termes de

singularités, relevant de ce fait des logiques interpersonnelles à la Salais et Storper (1993) et ne

se prêtant de ce fait guère aisément à une gouvernance par les prix (Moysan-Louazel, 2011),

d’autres pourraient ne pas se caractériser par de telles contraintes. En effet, l’impossibilité

absolue de contrôler tant ex ante qu’ex post la qualité du service rendu pourrait être discutée,

même dans le cadre d’un contentieux. Un tiers, du moment où il s’agit d’un professionnel,

pourrait évaluer au moins pour partie la qualité du service rendu sur la base notamment du

respect de règles procédurales. Les logiques d’autorégulation (partielle) par les ordres

professionnels reposent sur ces possibilités (Favereau et al., 2009). D’autres types de service,

enfin, ne revêtent pas – ou revêtent de moins en moins – les attributs du monde interpersonnel

(Harnay, 2016). La réglementation qui peut s’appliquer à ces derniers peut plus aisément

correspondre au modèle concurrentiel. Les actes ou les conseils les plus simples, se rapprochent

des mondes industriels ou marchands. La nécessité d’une réglementation spécifique s’efface.

L’un des éléments clés des tendances actuelles est que la montée en puissance des plateformes

juridiques et des legal tech accompagne ce basculement de certains services vers des mondes

de production compatibles avec une gouvernance concurrentielle.

21

Le producteur de services

Economie de variété Economie d’échelle

Produits spécialisés Produits standards

Produits dédiés Monde de production inter-personnel

Concurrence par la qualité

Monde de production marchand

Concurrence par les prix et la

qualité

incertitude

Le demandeur de services

Produits génériques

Monde de production de l’immatériel

Concurrence par la qualité

Monde de production industriel

Concurrence par les prix

prévisibilité

Le second axe de développement de notre raisonnement serait de se poser la question de savoir

si des phénomènes de prix excessifs pérennes communs à tout un secteur d’activité ne peuvent

s’observer que sous l’empire d’une réglementation publique. En termes d’économie de la

concurrence, la situation en l’espèce serait celle d’une collusion entre de nombreux

professionnels. Elle rend impossible des schémas de cartels stricto sensu ou de collusion tacite.

La coordination ne peut exister que par l’existence de tarifs réglementés sous l’influence d’une

structure veillant aux intérêts de la profession et qu’à la condition qu’elle soit adossée à une

réglementation publique qui prévienne d’éventuelles déviations et garantisse l’absence d’entrée

de mavericks, c’est-à-dire d’opérateurs n’ayant pas d’intérêt à la perpétuation du statu quo.

Par exemple, l’analyse de la réglementation en termes d’intérêts privés correspondait à une

logique où une structure rassemblant des professionnels limitait la concurrence en prix au

travers de grilles tarifaires – en jouant le rôle de chef d’orchestre de l’équilibre collusif,

contrôlait l’accès à la profession et était même en position de limiter les innovations dans les

services et de contrôler ses membres. Cette vision pouvait être convergente avec celle d’une

capture de la personne publique à des fins de consolidation et d’institutionnalisation dudit

équilibre. Non seulement cette vision est pour le moins discutable mais il serait de plus possible

de s’interroger sur la nécessité de passer la réglementation publique pour obtenir de tels

résultats.

22

Les phénomènes de prix excessifs semblent s’avérer de moins en moins théoriques sur de

nombreux marchés. Des études convergentes tendent à confirmer cette tendance du fait de la

concentration croissante de certains marchés via des fusions-acquisitions ou l’importance

croissante dans l’économie des network goods qui engendrent des phénomènes de type winner

takes all (De Loecker et Eeckhout, 2017). Cette hausse des taux de marge comme le montre le

graphique suivant, sans influence de la réglementation publique, peut être également interrogée.

Cependant, la hausse des marges dans certains marchés peut également être le produit de

collusions par les algorithmes qu’il s’agisse de modèle de coordination par un algorithme

commun à plusieurs concurrents (modèle de collusion de type hub and spoke, c’est-à-dire

n’impliquant pas de communication directe horizontale entre concurrents) ou de collusion tacite

spontanée de logiciels utilisant les outils de l’intelligence artificielle et parvenant à un équilibre

sans être explicitement codés en ce but (Stucke et Ezrachi, 2017). Dans ce second cas

également, le prix excessif peut être le fruit de pouvoirs économiques privés et non

exclusivement de pouvoirs économiques publics. En d’autres termes, la capture de la

réglementation publique n’est ou ne sera peut-être plus indispensable pour atteindre et

pérenniser d’éventuels équilibres coopératifs entre concurrents. Pour autant, la différenciation

des services juridiques peut être de nature à contrecarrer l’émergence de tels équilibres entre

opérateurs économiques n’appartenant que de moins en moins au même monde de production.

23

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Documents De travail GreDeG parus en 2017GREDEG Working Papers Released in 2017

2017-01 Lauren Larrouy & Guilhem Lecouteux Mindreading and Endogenous Beliefs in Games2017-02 Cilem Selin Hazir, Flora Bellone & Cyrielle Gaglio Local Product Space and Firm Level Churning in Exported Products2017-03 Nicolas Brisset What Do We Learn from Market Design?2017-04 Lise Arena, Nathalie Oriol & Iryna Veryzhenko Exploring Stock Markets Crashes as Socio-Technical Failures2017-05 Iryna Veryzhenko, Etienne Harb, Waël Louhichi & Nathalie Oriol The Impact of the French Financial Transaction Tax on HFT Activities and Market Quality2017-06 Frédéric Marty La régulation du secteur des jeux entre Charybde et Scylla2017-07 Alexandru Monahov & Thomas Jobert Case Study of the Moldovan Bank Fraud: Is Early Intervention the Best Central Bank Strategy to Avoid Financial Crises?2017-08 Nobuyuki Hanaki, Eizo Akiyama, Yukihiko Funaki & Ryuichiro Ishikawa Diversity in Cognitive Ability Enlarges Mispricing in Experimental Asset Markets2017-09 Thierry Blayac & Patrice Bougette Should I Go by Bus? The Liberalization of the Long-Distance Bus Industry in France2017-10 Aymeric Lardon On the Coalitional Stability of Monopoly Power in Differentiated Bertrand and Cournot Oligopolies2017-11 Ismaël Rafaï & Mira Toumi Pay Attention or Be Paid for Attention? Impact of Incentives on Allocation of Attention2017-12 Gérard Mondello Un modèle d’accident unilatéral: incertitude non-radicale et estimations différenciées2017-13 Gérard Mondello Lenders and Risky Activities: Strict Liability or Negligence Rule?2017-14 Frédéric Marty Économie des algorithmes et ordre concurrentiel : réflexions sur les abus d’exploitation et les collusions fondés sur des algorithmes de prix2017-15 Agnès Festré, Pierre Garrouste, Ankinée Kirakozian & Mira Toumi The Pen is Might Be Mightier than the Sword: How Third-party Advice or Sanction Impacts on Pro-environmental Behavior2017-16 Edward Lorenz & Sophie Pommet Innovation, Credit Constraints and National Banking Systems: A Comparison of Developing Nations2017-17 Patrice Bougette & Christophe Charlier Antidumping and Feed-In Tariffs as Good Buddies? Modeling the EU-China Solar Panel Dispute2017-18 Nobuyuki Hanaki, Eizo Akiyama & Ryuichiro Ishikawa Behavioral Uncertainty and the Dynamics of Traders’ Confidence in their Price Forecasts

2017-19 Adnane Kendel, Nathalie Lazaric & Kevin Maréchal What Do People ‘Learn By Looking’ at Direct Feedback on their Energy Consumption? Results of a Field Study in Southern France2017-20 Nicolas Vallois & Dorian Jullien Estimating Rationality in Economics: A History of Statistical Methods in Experimental Economics2017-21 Nicolas Vallois & Dorian Jullien Replication in Experimental Economics: A Historical and Quantitative Approach Focused on Public Good Game Experiments2017-22 Benjamin Montmartin, Marcos Herrera & Nadine Massard R&D Policy regimes in France: New Evidence from a spatio-temporal Analysis2017-23 Thomas Boyer-Kassem & Sébastien Duchêne On Discrimination in Health Insurance2017-24 Michela Chessa & Patrick Loiseau On Non-monetary Incentives for the Provision of Public Goods2017-25 Nicolas Brisset Models as Speech Acts: The Telling Case of Financial Models2017-26 Nobuyuki Hanaki, Eizo Akiyama & Ryuichiro Ishikawa Effects of Eliciting Long-run Price Forecasts on Market Dynamics in Asset Market Experiments2017-27 Charles Ayoubi, Michele Pezzoni & Fabiana Visentin The Important Thing is not to Win, it is to Take Part: What If Scientists Benefit from Participating in Competitive Grant Races?2017-28 Frédéric Marty Le prix des services juridiques : entre défaillance de la réglementation et défaillance de marché ?