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UNIVERSITE De VERSAILLES SAINT-QUENTIN EN YVELINES LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE Mémoire pour le Master Recherche Droit Privé des Contrats Présenté et soutenu Par Louisa IGOUDJIL Sous la direction de Madame Nadège REBOUL-MAUPIN Maître de Conférences à la Faculté de Droit de Versailles Saint-Quentin-en Yvelines Juin 2006

LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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Page 1: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

UNIVERSITE

De VERSAILLES SAINT-QUENTIN EN YVELINES

LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

Mémoire pour le Master Recherche Droit Privé des Contrats Présenté et soutenu

Par

Louisa IGOUDJIL

Sous la direction de Madame Nadège REBOUL-MAUPIN

Maître de Conférences à la Faculté de Droit de Versailles Saint-Quentin-en Yvelines

Juin 2006

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SOMMAIRE

Première partie Le contrat d’entreprise : L’influence constatée d’un régime commun

Titre I : Un régime sous influence des contrats spéciaux Titre II : Un régime à forte influence sur le droit commun des contrats Deuxième partie Les contrats d’entreprise : L’indépendance recherchée d’un régime spécial Titre I : Un régime dépendant, propice à la naissance d’un droit entreprenarial Titre II : Un régime indépendant, favorable à la consécration d’un droit entreprenarial

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INTRODUCTION

« Diversité, c’est ma devise »

J. De La Fontaine1

1. « A l’aube du XXIe siècle, si l’on veut tenter une réflexion sur le contrat, trois

possibilités nous seront offertes. La première consiste à s’interroger sur ce qui a été, la

deuxième sur ce qui est, et la troisième sur ce qui sera »2. Passé, présent, futur, voilà en quoi

consiste donc la réflexion contractuelle.

2. Le XXIe siècle est entamé et avec lui, les nombreuses réformes ouvrent la voie de

la modernisation. En témoigne l’avant-projet de réforme des obligations3 déposé à Monsieur

le Gardes des Sceaux en octobre dernier. Ce projet qui n’a pas pour objet de bouleverser toute

la matière, à laquelle nos juristes sont attachés, ne constitue pas moins un véritable

remaniement du droit des obligations. Il résulte d’un long travail « d’une poignée de civilistes

universitaires »4 qui se sont penchés sur les lacunes originaires du Code civil, puis sur ses

applications jurisprudentielles contemporaines, pour enfin réfléchir sur le devenir de notre

droit des obligations.

3. Cette réforme s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large qui est celui de

l’européanisation du droit des contrats5. Face à la mondialisation croissante de l’économie,

des sciences, de l’information, et même de la culture et du droit, la question de l’attractivité

du droit français s’est naturellement posée. Modèle de référence, notre magnifique œuvre

Napoléonienne a pu inspirer de nombreux systèmes. Atteignant son paroxysme, elle a pu être

1 Proverbe de J. De La Fontaine, Contes et nouvelles, le « Pâté d’aiguille », p. 1676. 2 F. Labarthe, Du louage d'ouvrage au contrat d'entreprise, la dilution d'une notion, in Etudes offertes à J. Ghestin, Le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 489. 3 L’avant-projet de réforme des obligations déposé le 22 octobre 2005 à la chancellerie se dit aussi projet Catala, du nom de son instigateur. 4 G. Cornu, Introduction au projet de réforme des obligations, p. 4. 5 Sur les principes du Droit européen du contrat, cf., D. Tallon, Les principes pour le droit européen du contrat : quelles perspectives pour la pratique ? Defrénois 2000, art. 37182, p. 683 et s.

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empruntée, voire être imitée à travers l’Europe6. Au-delà, c’est la question de son

rayonnement international qui a pu irriguer et motiver ce projet. Rappelons que, en 2004, le

rapport « Doing business » de la banque mondiale, mettait en évidence la supériorité de

l’attractivité économique du droit anglo-saxon sur celle du droit civil ce qui, en même temps,

revigorait la question de la qualité du droit français. Face à la « provocation » de la banque

mondiale, le Président de la République et son ministre de la justice se saisissaient alors de la

question.

4. Promouvoir le droit français7, voilà certainement l’idée sous-jacente au projet de

réforme du droit des obligations, suivant ainsi les initiatives déjà accomplies des néerlandais

et des allemands. Seul le droit des obligations en général est revisité, de sorte que les contrats

spéciaux, dont le Code prévoit un régime spécifique, n’ont pas été touchés. Pourtant,

inévitablement, les contrats risquent incidemment de bénéficier de cette modernisation du

droit commun8. Ainsi en est-il de la proposition d’introduire dans le Code civil, l’obligation

de donner à usage9, qui se rajouterait à la traditionnelle trilogie de donner, de faire et de ne

pas faire10, dont dispose l’actuel article 1126 du Code civil11. En outre, le projet Catala

propose de préciser les contours de ces obligations. Aussi, propose-t-il de définir les

obligations de faire en se référant expressément au louage d’ouvrage. L’article 114412 du

projet dispose en effet : « L’obligation de faire a pour objet une action, comme la réalisation

d’un ouvrage ou une prestation de services, ainsi dans l’entreprise ou le louage de

services… »

5. Cette définition, par référence au contrat d’entreprise et au contrat de travail, bien

qu’elle ne soit pas limitative, peut laisser perplexe. D’abord, elle ne permet pas de faire la

différence entre la réalisation d’un ouvrage et la prestation d’un service, puisque cette

dernière peut s’effectuer sur la première. Ensuite, et de manière plus significative, la

6 J.-E. Portalis, Discours et rapports sur le Code civil, Bib. de Phil. Pol. et jur., Caen, 1992. 7 S. Valory, Promouvoir le droit français, Revue de l’ AFDD oct. 2005, p. 45 ; P. Catala, Présentation générale, in L’avant-projet de réforme du droit des obligations du 22 octobre 2005, p. 3 : « Notre espoir est que l’avant-projet serve l’entreprise qui donnera à la France un droit civil adapté à son époque et une voix dans le concert européen ». 8 Sur les rapports entre droit commun et droit spécial cf. n°46. 9 Projet Catala, art. 1146 : « L’obligation de donner à usage a pour objet la concession de l’usage d’une chose à charge de restitution, comme dans le bail ou le prêt à usage ; elle n’a pas lieu dans les conventions qui concèdent la détention sans droit d’usage, comme le gage et le dépôt ». 10 Sur cette trilogie, cf. n° 23. 11 C. civ., art. 1126 : « Tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire ». 12 Projet Catala, art. 1144 : « L’obligation de faire a pour objet une action, comme la réalisation d’un ouvrage ou une prestation de services, ainsi dans l’entreprise ou le louage de services… ».

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définition laisse penser que le domaine de l’entreprise se limite à la réalisation d’un ouvrage,

et que celui du louage de services à la prestation d’un service. Enfin, on comprend mal

pourquoi cet article, qui à au moins le mérite d’introduire la notion de « prestation de

services »13 dans le code, se limite à une référence à « l’entreprise » plutôt qu’à celle de

« contrat d’entreprise ». Au-delà de ces observations interrogatives sur cet article prospectif,

c’est l’incompréhension même de ce que constitue le contrat d’entreprise, qui est une réalité.

6. En droit positif, inutile de rechercher dans le Code civil l’expression « contrat

d’entreprise », seule celle de « louage d’ouvrage » y a une existence. Le Code civil prévoit

qu’il se distingue du louage chose14, et l’article 177915, qui ouvre le chapitre intitulé « Du

louage d’ouvrage et d’industrie », précise qu’il en découle trois espèces principales : le louage

de gens de travail, celui des voituriers, et celui des architectes et des entrepreneurs. Ces

notions ont largement évolué, celles de contrat de travail et de bail se sont définitivement

substituées à celles de louage de services et de choses. De sorte que, sous la dénomination

originelle du louage d’ouvrage ne s’entendent plus aujourd’hui que celles des voituriers et des

architectes, entrepreneurs et techniciens. Certains ont ainsi mis en évidence « la dilution » de

cette notion16 et sa complète inadéquation à la pratique, en relevant que le passage progressif

d’une notion « vieillie »17 à une notion modernisée n’était pas sans conséquences, puisque

« un changement d’appellation, en notre matière n’est jamais anodin »18.

7. On constate, en outre, que le contenu du contrat aujourd’hui nommé

« entreprise », ne correspond plus exactement au louage d’ouvrage tel qu’il a été conçu par les

rédacteurs du Code. Participant de cette analyse évolutive, sa définition a en elle-même été

rénovée. Le Code civil le définit comme le contrat par lequel un homme s’engage à faire

quelque chose pour autrui moyennant rémunération 19. Cette définition, jugée extrêmement

large, a souvent été critiquée20 au point que certains ont pu évoquer son rapprochement de très

13 Le service est un concept économique et les études juridiques qui lui sont consacrés sont peu nombreuses. Cf., B. Grelon, Les entreprises de services, Economica, 1978. 14 C. civ. art., 1708 : « Il y a deux sortes de contrats de louage: Celui des choses, Et celui d'ouvrage». 15 C. civ. art., 1779 : « Il y a trois espèces principales de louage d'ouvrage et d'industrie : 1o Le louage des gens de travail qui s'engagent au service de quelqu'un; 2o Celui des voituriers, tant par terre que par eau, qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises; 3o Celui des architectes, entrepreneurs d'ouvrages et techniciens par suite d'études, devis ou marché». 16 F. Labarthe, op. cit. 17 J. Huet, Les principaux contrats spéciaux, 2ème éd., 2001, n°32455. 18 F. Labarthe, op. cit. p. 498. 19 C. civ. art. 1710 : « Le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elle ». 20 Par ex., P.-H. Antonmattei et J. Raynard, Droit civil, contrats spéciaux, Litec, 2ème éd. 2000, n°389. D. Mainguy, Contrats spéciaux, Dalloz, 4ème éd., 2004, n°354.

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prés de celle du contrat en général21. A l’aide de la jurisprudence et de la doctrine, celle-ci a

dû peu à peu s’affiner afin de lui permettre de prospérer et de se distinguer des autres contrats.

Aussi, le contrat d’entreprise s’entend-t-il aujourd’hui de « la convention par laquelle une

personne charge une autre, moyennant rémunération, d’exécuter, en toute indépendance et

sans la représenter, un travail »22. D’une part, ce qui le caractérise essentiellement réside

dans l’indépendance du travail que l’entrepreneur effectue, ce qui permet de le distinguer du

contrat de travail. D’autre part, le travail ainsi effectué est dépourvu de représentation, ce qui

l’oppose cette fois au contrat de mandat. Afin que cette définition soit le plus adaptée possible

à la réalité qu’il recouvre, des études doctrinales ont proposé de nouvelles suggestions.

Récemment, un auteur a suggéré une définition encore plus ciblée du contrat d’entreprise, le

considérant comme la convention en vertu de laquelle « un entrepreneur s’oblige à exécuter,

en toute indépendance, et sans représentation, un travail précisément adapté aux besoins

particuliers du maître de l’ouvrage qui l’a commandé »23.

8. De ces définitions ressortent, par ailleurs, deux choses essentielles. D’une part, les

lacunes évidentes du Code civil et d’autre part, le rôle primordial de l’œuvre jurisprudentielle

et de celle de la doctrine dans la mutation de ce contrat. S’agissant tout d’abord des lacunes

législatives, le Code civil est loin d’être éloquent sur la question du contrat d’entreprise. La

définition extrêmement large de l’article 1710 en témoigne. Mais au-delà, le régime qui en

découle reste cantonné à une quinzaine de règles décousues, au point que certains ont pu

évoquer ce contrat comme un contrat quasi-innomé24. C’est ainsi que la jurisprudence a dû

compléter ce régime désinvolte. A cet égard, le contrat d’entreprise est l’illustration même de

l’acquisition par la Cour de cassation d’un réel pouvoir créateur25, de ce qui préfigure être

« l’affirmation d’un droit jurisprudentiel » 26. Ce mouvement de créativité de la Cour de

cassation semble se développer par trois voies, l’interprétation extensive de la loi, la

participation indirecte à son élaboration et par le dépassement de la loi et, enfin, la mise en

21 En ce sens, T. Revet, La force du travail : étude juridique, Litec, Coll. Bibl. de droit de l’entreprise, 1992, n° 35, pour qui cela revient « quasiment la reproduction de l’article 1101 du Code civil, définissant la notion de contrat » 22 V. singulièrement, Cass. 1ère civ., 19 février 1968 : Bull civ. I, n°69 ; JCP 1968, II, 15490. 23 G. Durant Pasquier, Le maître de l’ouvrage, contribution à l’harmonisation du régime du contrat d’entreprise, Paris II, 2005, n° 263 24 A. Bénabent, op. cit. n°477, relevant la place particulière de ce contrat au sein des contrats spéciaux, alors que le code édictait un régime précis pour la plupart des contrats nommés, qu’il réglementait, il était particulièrement sommaire à l’égard du contrat d’entreprise : treize articles seulement contre une quarantaine pour le dépôt ou le prêt. 25 Conférence prononcée le 29 novembre 1990 au Palais de justice de Paris lors de la célébration du bicentenaire de la Cour de cassation, sous le titre « le rôle créateur de la Cour de cassation », Dans le sens contraire cf. B. Oppetit, L’affirmation d’un droit jurisprudentiel, in Droit et modernité, Ed. PUF, 1998 p. 65, qui y préfère la qualification du « mouvement de créativité de la Cour de cassation ». 26 B. Oppetit, op. cit., p. 67.

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oeuvre de normes supérieures27. Dans le contrat d’entreprise, c’est au moyen des deux

premiers outils, c'est-à-dire l’interprétation extensive et l’influence sur la loi, que ce rôle s’est

manifesté. Il a été déterminant dans l’adaptation de règles jugées particulièrement désuètes, à

un contrat qui s’est modernisé voire complètement métamorphosé. Du côté de la doctrine,

nombreuses sont les études récentes qui ont contribué à l’appréhension de ce contrat

mystérieux28. Participant de cette volonté de contribuer à la croissance de ce contrat, le régime

des contrats d’entreprise, fait donc l’objet d’une nouvelle analyse.

9. « Le régime », voilà donc, ce autour de quoi l’on va tenter d’appréhender ce

magnifique contrat. Il s’entend juridiquement d’un corps cohérent de règles29, c'est-à-dire de

l’ensemble des règles relatives à un contrat : de sa conclusion, à son extinction en passant par

son exécution. Il s’oppose à la question de la nature du contrat, en ce qu’elle concerne le stade

de la qualification, celle-ci s’entendant de la technique qui consiste à donner aux faits

concernés la traduction juridique qu’il leur convient30. En principe, c’est de la qualification

que dépend le régime d’un contrat. Pourtant, la pratique met en évidence que, selon les cas,

c’est de la volonté de dépendre d’un régime particulier que l’on va rechercher la qualification

à appliquer. Ainsi en est-il pour le contrat de travail dont les règles particulières permettent de

bénéficier d’un régime protecteur. En ce sens, ces deux concepts sont indissociables et on ne

peut les analyser d’une manière complètement autonome. En tant qu’elle participe à

l’appréhension de ces règles, la qualification du contrat d’entreprise ne peut donc être

occultée, d’autant que celle-ci a particulièrement évoluée durant ce siècle, la diversité

caractérisant aujourd’hui ces contrats.

10. « Les » contrats d’entreprise, voici ensuite le second temps du sujet. Si certains ont

pu mettre en évidence « l’extrême diversité »31 de ces contrats, « leur hétérogénéité »32 ou

encore « l’infinie variété de facettes »33 qu’ils peuvent revêtir, d’autres, beaucoup plus

27 B. Oppetit, op. cit., p. 67. 28 Pour trois études récentes : P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, Paris II, 1999 ; J. Sénéchal, Recherches sur le contrat d’entreprise et la classification des contrats spéciaux, Lille, 2004 ; G. DurantPasquier, Le maître de l’ouvrage, contribution à l’harmonisation du régime du contrat d’entreprise, Paris II, 2005. 29 G. Cornu, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 7ème Ed., 2005, p. 771. 30 Cornu, p. 194 : « Elle consiste à prendre en considération un fait pour le revêtir intellectuellement de sa qualification juridique qui va lui faire produire ses effets de droit ». 31 A. Bénabent, op. cit., n° 471 ; En ce sens déjà Josserand, Cours de droit civil positif français, T. II, Paris, 1939 n° 1287 : « Le contrat d’entreprise se présente donc sous les aspects les plus variés, plus variés même qu’il ne conviendrait en bonne logique ». 32 Ph. Le Tourneau op. cit., n° 3926-1 ; Ph. Malaurie, L. Aynes, P.-Y. Gautier, op. cit., n° 701 : « Peu à peu le contrat d’entreprise cesse d’être un catégorie homogène ». 33 J. Huet, op. cit., n°32400.

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virulents, ont pu affirmer que « le contrat d’entreprise n’existe pas, [et que] seuls les contrats

d’entreprise ont une réalité »34. Cette affirmation rappellent sans doute, les questions que se

sont posées des auteurs à propos du contrat lui même35. En ce sens, l’existence de contrats

d’entreprise diversifiés remettrait-elle en cause celle du contrat d’entreprise originel ? Cette

question doit être analysée à la lumière de l’évolution qu’a pu connaître ce contrat depuis

1804. En effet, comme nous l’avons vu, à la lecture de l’article 1779 du Code civil, seul

l’alinéa 3, correspondant aux « architectes, entrepreneurs d'ouvrages et techniciens par suite

d'études, devis ou marchés», reflète notre conception contemporaine du contrat d’entreprise.

Or, est-ce à dire que le coiffeur, le plombier, le garagiste, le jardinier, l’électricien, ou encore

l’avocat et le notaire ne sont pas des entrepreneurs ? Si l’approche factuelle penche vers la

négative, l’approche juridique va plutôt dans le sens contraire. En effet, n’exécutent-t-ils pas

quelque chose pour autrui, de manière indépendante et sans représentation, moyennant

rémunération ? Ne remplissent-ils pas, en ce sens, les caractéristiques de cette définition large

du Code ? La réponse est certainement positive et il est aujourd’hui certain que cette

qualification s’applique aussi bien à des travaux portant sur des choses matérielles, qu’il

s’agisse d’immeubles36 ou de biens immobiliers37, qu’à des prestations immatérielles38.

11. De cette affirmation découlent d’autres questions afférentes, cette fois, non plus à

leur qualification mais plutôt à leur rattachement au régime du contrat d’entreprise. Comment

en effet, rattacher les obligations du médecin, dont le rôle au point de vue de la santé publique

est sacralisé, à celles du garagiste, qui effectue une prestation purement matérielle ? Comment

aussi, assimiler les obligations de quelqu’un qui se fait coiffer à quelqu’un qui fait construire

sa maison ? Pour cela, il convient d’appréhender la manière dont se manifeste cette diversité.

12. Cette diversité de contrats d’entreprise découle tout d’abord, de la croissance

économique et de leur introduction dans tous les domaines de la vie courante et de la vie des

affaires. Le passage progressif de notre société « sur-développé », d’une économie industrielle

à une économie de services, en est certainement la cheville ouvrière. De sorte que, les contrats

d’entreprise seraient « devenu[s] le second pilier d’une économie de biens et de services [au

34 F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., n° 745. 35 H. Battifol, La crise du contrat ; Arch. Phil.droit, t. XIII, 1968, p. 13. 36 Par ex : construction, rénovation, entretien, gardiennage. 37 Par ex : fabrication, transformation, réparation. 38 Cass. 3ème civ., 28 fév. 1984 : Bull. civ. III, n° 51, pour les calculs et plans faits par un ingénieur-conseil : « les travaux d'ordre intellectuel ne sont pas exclus de la définition du contrat d'entreprise », il en va de même pour la conception, l’organisation, le conseil, l’assistance ou les soins.

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8

point] qu’ils [seraient] dans le secteur des services, « le pendant » de ce qu’est la vente dans

le secteur des biens »39. Au-delà des services, il est des cas où le contrat d’entreprise porte sur

des biens, notamment lorsqu’il s’agit de les façonner ou même de les construire de manière

personnalisée. Ceci contribue à alimenter sa concurrence avec le contrat de vente, ce qui

pourrait même conférer à l’entreprise une supériorité allant jusqu’à supplanter la vente qui se

limite au transfert de propriété. En ce sens, pour illustrer la présence omniprésente des

contrats d’entreprise, un auteur a pu écrire que « la vente [était] un contrat en voie

d’extinction au profit de l’entreprise »40. A cet égard, on utilise généralement le contrat de

vente comme le contrat de référence lorsqu’on veut analyser la théorie générale du contrat.

Pour autant, on pourrait tout aussi s’appuyer sur le contrat d’entreprise, puisqu’à travers son

étude se profile l’extrême richesse du « champ d’observation du phénomène contractuel »41.

13. Quelle est donc l’incidence de cette diversité sur le régime des contrats

d’entreprise? Est-elle une source de faiblesse de ce contrat, ou bien permet-elle, au contraire

d’enrichir le régime sommaire que lui avait été octroyé par les rédacteurs du Code civil ? En

ce sens, le régime des contrats d’entreprise constitue-t-il aujourd’hui un ensemble cohérent de

règles lui permettant de prospérer ? Participant de cette analyse, l’idée sous-jacente qui se

dégage est, incidemment, celle de l’attractivité de ce mystérieux contrat. Répondre à ces

questions, impliquera donc un raisonnement en deux temps fondé sur ces aspects dynamiques.

14. S’agissant, tout d’abord, de l’analyse du régime stricto sensu, il laisse apparaître

des certitudes. D’une part, un régime commun à tous ces contrats se dégage

incontestablement. En sorte que, l’on pourrait assurément répondre que le contrat

d’entreprise, en tant que tel, existe aujourd’hui. D’autre part, la diversité des contrats

d’entreprise n’est pas sans incidence sur son régime et corollairement des règles leurs sont

respectivement applicables. Se dessine alors, tout simplement, l’existence d’un régime

commun au contrat d’entreprise et d’un régime spécial à certaines de ses applications42.

39 A. Benabent, op. cit., n°472. 40 M. de Juglart, La vente : un contrat en voie d’extinction au profit de l’entreprise, in Mélanges J. Derrupé, Litec-GLN, 1991, p. 63. 41 Ph. Delebecque, Le contrat d’entreprise, Connaissance du droit, Dalloz, 1993, p. 2. 42 De nombreux auteurs mettent en avant cette distinction dans leurs écrits : not. Ph. Delebecque, op. cit., D. Mainguy, op. cit., J. Huet, op. cit.

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9

15. Concernant, ensuite, l’étude de ce régime dans une perspective concurrentielle, le

meilleur moyen d’analyser étant de « comparer »43, il s’agira d’appréhender la question de

l’attractivité de ce contrat au regard de ces incidences dynamiques et pratiques. De sorte que,

de cette recherche, il ressort en premier lieu que le contrat d’entreprise a dû combler les

déficiences de son régime, en incorporant à son propre régime, les règles applicables aux

autres contrats. En second lieu, force est de constater que ce contrat, que l’on a qualifié de

mystérieux, ne s’est pas limité à une évolution interne à sa matière, mais bien au-delà, a eu

une influence extra-catégorielle sur le droit commun et sur les contrats spéciaux. L’influence

du régime commun pouvant de la sorte être constatée, ce constat participant de manière plus

large, à la spécialisation des contrats spéciaux44.

16. Enfin, de la diversité des contrats d’entreprise découlent des règles nombreuses,

difficiles à recenser de manière exhaustives, mais qui participent de sa tendance attractive.

Certaines de ses applications doivent retenir l’attention, tel est le cas de celles que l’on voit

citées comme exemple au titre de l’article 1779 du Code civil, le contrat de transport et la

construction. L’existence de régimes spécifiques propres à certains contrats d’entreprise

révèle en réalité, qu’au-delà d’avoir influencé le droit, le contrat d’entreprise est capable

d’acquérir sa propre autonomie. Aussi, de l’analyse du régime spécial des contrats

d’entreprise, s’entrevoit la recherche d’une indépendance, qui serait marquée par l’immensité

de ce contrat, voire de son autonomisation au travers de ce qu’on appellerait « le droit

entreprenarial »45.

17. « Auberge espagnole »46, « bonne à tout faire »47, ou « fourre-tout »48, voilà

comment ce contrat, au regard de sa diversité a pu être qualifié. Attractivité, adaptabilité, et

pragmatisme, voici, ce que sa diversité nous inspire aujourd’hui. Le louage d’ouvrage est en

effet devenu, le contrat d’entreprise, dont la réalité repose aujourd’hui sur les contrats

d’entreprises et dont la cohérence pourrait se retrouver autour d’un droit « entreprenarial ».

43Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, 1848 : « Toutes choses sont bonnes ou mauvaises par comparaison ». 44 Sur ce point, cf. n°190. Pour une étude récente, Une théorie générale des contrats spéciaux ? RDC débats, Avril 2006, spéc., J. Raynard, Pour une théorie générale des contrats spéciaux : des insuffisances respectives du droit général et du droit spécial, RDC 2006, p. 597 ; F. Collart Dutilleul, La théorisation des contrats spéciaux : du droit des contrats au droit des biens, RDC 2006, p. 603 ; D. Mainguy, Pour une théorie générale des contrats spéciaux, P.-Y. Gautier, prolégomènes à une théorie générale des contrats spéciaux, RDC 2006, p 608. 45 Sur le choix de cette expression, cf. n° 126 et sa distinction du caractère entrepreneurial. 46 G. Cornu, RTD civ. 1971, 171. 47 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit., n° 700. 48 J. Huet, op. cit., n° 30000.

Page 11: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

10

Aussi diversifiées que puissent en être les applications concrètes, la force du régime des

contrats d’entreprise reposera donc sur la constatation de l’influence qu’il a pu avoir sur les

autres droits (Première partie) ainsi que sur la recherche d’indépendance qui se laisse

entrevoir de son régime spécial (Deuxième partie). Passé, présent, futur, voilà donc, de quoi

se constituera notre analyse49.

Première Partie Le contrat d’entreprise : l’influence constatée d’un régime commun Deuxième Partie Les contrats d’entreprise : l’indépendance recherchée d’un régime spécial

49 Cf. n°1 : « Passé, présent, futur, voilà en quoi consiste donc la réflexion contractuelle ».

Page 12: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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Première partie

Le contrat d’entreprise : L’influence constatée d’un

régime commun

18. Le régime actuel du contrat d’entreprise résulte des courts écrits des rédacteurs du

code de 1804, largement complété par l’interprétation extensive de la jurisprudence du

XXème siècle. Ce contrat a vécu avec son temps et son évolution illustre celle de tout un pan

du droit, et notamment les relations ambivalentes entre le droit spécial et la théorie générale.

19. Le louage d’ouvrage, tel que décrit par le Code civil a beaucoup évolué. C’est ce

que reflète l’étude de la jurisprudence civile qui, en interprétant de manière extensive le

régime applicable aux autres contrats, est venue compléter celui de l’entreprise jugé

laconique50. Au travers de son application, ce contrat a subi une véritable métamorphose,

intégrant dans son propre régime général l’influence d’autres contrats spéciaux (Titre I). A

son tour, c’est le régime du contrat d’entreprise qui a enrichi l’ensemble du droit commun des

contrats (Titre II), et cet enrichissement mutuel des contrats spéciaux et du droit commun

participant plus généralement de la spécialisation des contrats spéciaux. Le contrat

d’entreprise constitue, en ce sens un « un merveilleux champ d’observation » du phénomène

contractuel51.

Titre I : Un régime sous influence des contrats spéciaux Titre II : Un régime à forte influence sur le droit commun des contrats

50 M. Costes, Essai sur la nature juridique du contrat d’entreprise, Thèse, Toulouse, Ed. Ch. Dirion, 1913, p. 9 51 Ph. Delebecque, Le contrat d’entreprise, Connaissance du droit, Dalloz, 1993, p. 2

Page 13: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

12

Titre I : Un régime sous influence des contrats spéciaux

20. Les « contrats spéciaux », malgré l’ambiguïté et l’insuffisance de cet intitulé,

regroupent les principaux contrats nommés du Code civil. Cette expression n’a pas

« l’ambition » de couvrir l’immense variété des contrats, mais répond à l’orientation de

l’article 1107 du même code qui prévoit, que certains contrats ont un régime propre, un

véritable statut juridique selon certains52. A cet égard, la classification des contrats a fait

l’objet de nombreux écrits. Une classification tripartite a pu être suggérée à partir de la

trilogie romaine des obligations de dare, praestare et facere53, conduisant à distinguer les

contrats destinés à transférer la propriété, puis ceux emportant transfert de jouissance ou

opérant une mise à disposition, et enfin, ceux portant sur l’accomplissement d’un travail, la

fourniture d’un service ou la réalisation d’un ouvrage.

21. Toutefois, la plupart des classifications retenues en doctrine comprennent parmi

les divisions fondamentales, l’opposition entre les contrats translatifs de choses et ceux

relatifs aux services54. Par souci de conformisme, c’est au travers de cette distinction classique

que l’influence des contrats spéciaux sur le contrat d’entreprise sera mise en évidence. A ce

titre, on perçoit que le contrat d’entreprise bénéficie d’une double filiation : du côté du louage

de choses et de la vente d’une part (Chapitre I), du côté du mandat et du contrat de travail,

d’autre part (Chapitre II).

Chapitre I : L’influence originelle des contrats portant sur un bien Chapitre II : L’influence manifeste des contrats portant sur un service

52 A. Bénabent, Droit civil, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrétien, 5ème éd., 2OO1, n° 2 53 M. Fabre-Magnan, Le Mythe de l’obligation de donner, RTD civ. 1996. 85 et s, n°26 54 Cf. par ex : A. Seriaux, Contrats civils, PUF, 1ère éd., 2001 ; P. Puig, La qualification du contrat d'entreprise, Thèse Paris II, 1998, P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 2005, n° 44 : « Intellectuellement, cette distinction repose sur une opposition plus fondamentale que celle entre les choses et les services. La première famille regroupe des contrats dont la fonction économique est d’organiser la circulation des valeurs préexistantes, lesquels sont juridiquement des biens. La seconde famille rassemble, au contraire, des opérations de création, par le travail, de valeurs nouvelles. Transmission des richesses d’un côté, création de richesses d’un autre »

Page 14: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

13

Chapitre I : L’influence originelle des contrats portant sur un bien

22. Dans les contrats portant sur un bien on distingue les contrats translatifs de

propriété, le contrat de vente (section II), des contrats portant sur son usage, le louage de

choses (section I). Ils ont tous deux eu une influence sur le régime du contrat d’entreprise.

Section I - Le louage de choses Section II - Le contrat de vente

Page 15: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

14

Section I - Le louage de choses

23. Le louage de choses, le bail, la location sont autant d’expressions utilisées pour

définir un même contrat, celui par lequel une partie met à disposition de son contractant une

chose contre rémunération. Il s’agit là de la version onéreuse des contrats de mise à

disposition55, que l’on distingue du prêt. Avec le contrat de louage d’ouvrage, le contrat de

louage de chose est l’un des contrats qui a subi la plus forte évolution juridique, si bien que

les dispositions initiales du Code civil ont laissé place à des statuts spéciaux venant faire

reculer sérieusement l’impact des règles de notre œuvre de 1804. Le louage de choses et le

louage d’ouvrage ont une origine commune, ce qui explique le peu de règles applicables au

contrat d’entreprise dans le Code civil (I). Aujourd’hui, les deux figures sont largement

individualisée, si bien qu’elles possèdent chacune leur propre régime (II).

I. Le louage de choses, un fondement des lacunes du Code civil

24. Dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, le louage d’ouvrage et de choses

avaient été pensés communément. Au louage d’ouvrage devait, en effet, pouvoir s’appliquer

le louage de choses. Cette assimilation tient de l’histoire du louage d’ouvrage, qui a pu être

considérée comme « sinueuse »56. En droit romain, celui-ci était en effet entendu comme une

sorte de louage. Certains rappellent ainsi que si le louage d’ouvrage s’est coulé dans le moule

préexistant du louage de choses, la raison en est qu’on le concevait à l’origine comme portant

sur une chose, remise au prestataire afin qu’il exécute un travail sur elle57.

Certains auteurs rappellent à cet effet l’idée des rédacteurs du Code civil qui était de ne pas

s’étendre sur la réglementation de cette variété de louage d’ouvrage dès lors qu’il était

possible de puiser dans les règles générales du louage de chose en cas de besoin58. Telle est

une des raisons pour laquelle, il semblerait que le législateur de 1804 ne se soit guère étendu

sur ce contrat. L’analyse du projet de Code civil met d’ailleurs, en évidence le fait que les

rédacteurs s’en étaient tenus aux dispositions sur le louage en considérant que l’on pouvait

suppléer les développements entre les deux types de louage59. Très tôt, une large confusion a

pu être constatée dans la mesure où le code prévoit des notions communes pour décrire des

55 A. Bénabent, op. cit., n° 302 56 J. Huet, op. cit., n° 32 001 57 Un terrain pour y construire, matériaux à façonner, animal à soigner. 58 J. Huet, op. cit., n° 32253 59 Mouricault, Rapport au tribunat, Dalloz Jurisp. Génér., T. 30, 1853, V° Louage p. 273

Page 16: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

15

réalités bien distinctes. Le contrat de bail a fortement évolué et c’est un contrat important

aujourd’hui, dont les spécificités se justifient.

25. Pourtant les deux opérations que reflètent le louage de choses et d’ouvrage,

semblent très différentes. En effet, l’objet du contrat d’entreprise réside dans la fourniture

d’un service, tandis que celui du bail tient en la mise à disposition d’une chose. L’association

du Code civil apparaît donc aujourd’hui bien désuète. Des auteurs expliquent ainsi que le

louage d’ouvrage a pris son autonomie lorsqu’on admit qu’il pût couvrir toutes les hypothèses

dans lesquelles une personne effectue un travail à la demande d’une autre60. De l’un à l’autre

des deux louages, une inversion s’est depuis opérée. Car bailler une chose, c’est fournir la

prestation qui justifie la rémunération, le bailleur est donc créancier du prix. Mais bailler un

travail, c’est commander la prestation qu’il faudra rémunérer, le bailleur est alors débiteur du

prix. Cette émancipation du contrat de louage d’ouvrage s’est faite à l’aide de la

jurisprudence.

II. Le louage d’ouvrage, une émancipation accompagnée par les tribunaux

26. Le louage d’ouvrage s’est largement émancipé de l’assimilation qui a pu lui être

faite au louage de choses. L’on sait aujourd’hui que ces deux contrats sont véritablement

distincts et qu’ils possèdent chacun leur propre régime. Ainsi, les règles relatives à la

détermination du prix ne sont pas les mêmes, les fruits profitent au locataire non à

l’entrepreneur, c’est le bailleur qui supporte en qualité de propriétaire la charge des risques61

tandis que c’est l’entrepreneur fournissant la matière qui la supportent dans le contrat

d’entreprise62.

27. La jurisprudence a, en effet, largement contribué à distinguer ces deux contrats au

régime propre, bien qu’il y est des hypothèses où le rapprochement du contrat d'entreprise et

de la location peut porter à confusion. Il en est ainsi dans le cas où la jouissance d'une chose

se trouve accompagnée de la fourniture d'un service. L'exemple classique est celui de la

« location » d'une place de théâtre63. Les juges recourent alors au critère classique de

60 V. G. May, Eléments de droit romain, 10 Ed., 1909, n° 154 61 C. civ. art. 1722 62 C. civ. art. 1788 63 Planiol et Ripert, t. X, n° 418, On trouve des exemples plus modernes dans la location de biens avec personnel (véhicule avec chauffeur, etc), dans la location-maintenance d'équipements (notamment téléphoniques ou informatiques), dans les contrats d'hôtellerie ou de résidence, voire dans le contrat « d'exposant » conclu avec une organisation de foires ou salons ; Ph. Delebecque et F. Collart Dutilleul, op. cit., n° 707

Page 17: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

16

l'accessoire pour identifier le contrat et appliquer les règles spécifiques. La « location » de

théâtre est ainsi analysée en contrat d'entreprise car la jouissance du fauteuil n'est que

l'accessoire de la fourniture du spectacle64. La pratique des tribunaux a fait surgir un autre

critère, présenté parfois comme simplement complémentaire65 mais qui pourrait s'avérer en

réalité comme décisive, celui de la maîtrise de la chose66. Cet effort jurisprudentiel de

distinction, met en exergue l’incontestable volonté des juges de reconnaître l’émancipation du

contrat d’entreprise. Bien qu’insuffisamment décrit, le louage d’ouvrage est, en effet, un

véritable contrat spécial qui possède un régime juridique particulier. Il a su enrichir son statut

en profitant du régime applicable aux autres contrats. Tel est le cas notamment de certaines

règles applicables au contrat de vente, dont le maître de l’ouvrage a pu bénéficier, cette

analogie participant plus largement à une consolidation juridique et à une assimilation des

contrats portant transfert de propriété.

64 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit. n. 719 ; F. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 706 ; Planiol et Ripert, op. cit. n° 418 65 Collart Dutilleul et Delebecque, op. cit., n° 66 Si le client acquiert cette maîtrise et jouit de la chose avec indépendance, il y a location : ainsi, la location d'un véhicule avec chauffeur est un contrat de location si le client a le pouvoir de donner des ordres au chauffeur ; Cass. 2ème civ., 11 mai 1956, Bull. civ. II, n° 248 ; D. 1957, 121, note R. Rodière. La mise à disposition d'un matériel est une location si le bénéficiaire l'affecte à un ouvrage dont il reste maître et responsable, Cass. 3ème civ., 21 avril 1982, Bull. civ. III, n° 102 ; Cass. com. 12 mars 1991, Bull. civ. IV, n° 101. Au contraire, le contrat est un contrat d'entreprise si l'usage de la chose s'effectue sous la surveillance du prestataire de services : ainsi, alors que le loueur de chevaux laisse au cavalier le choix de son itinéraire et de son allure, l'entrepreneur de promenades équestres reste maître de ces deux éléments, Cass. 1ère civ., 27 mars 1985, Bull. civ. I, n° 111 ; 11 mars 1986, Bull. civ. I, n° 64 ; RTD civ. 1986, 608 obs. Rémy

Page 18: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

17

Section II - Le contrat de vente

28. Le contrat de vente est celui qui a pour objet une obligation de donner. Il est, en ce

sens, la figure emblématique des contrats translatifs de propriété. Le louage d’ouvrage, quant

à lui, symbolise en principe l’obligation de faire. En pratique, il peut pourtant avoir pour objet

des services appliqués à une chose matérielle67 ce qui le rapproche alors, de la vente. Ce

dernier, de part son objet translatif de propriété, a eu une influence non négligeable sur le

régime translatif du contrat d’entreprise. Le silence du Code civil sur cette facette cachée du

louage d’ouvrage a ainsi été relayé par les efforts d’interprétation analogique de la

jurisprudence ainsi que par les nombreux écrits doctrinaux (I). Aujourd’hui, c’est le

législateur qui consacre cette évolution au travers de la nouvelle garantie de conformité (II).

I. Une interprétation par analogie du contrat de vente

29. Initialement, c’est le jeu de l’analogie qui a légitimé les extensions du régime de la

vente à celui de l’entreprise. Malgré les critiques de la doctrine68, cet emprunt part d’un

constat simple, si la vente opère par essence un transfert de propriété, l’entreprise l’opère

quant à elle, par accessoire69. Aussi, une chose peut-elle être fabriquée, façonnée ou

simplement fournie par l’effet d’un contrat d’entreprise, de sorte qu’elle soit finalement cédée

à un utilisateur, tout comme en vertu d’une vente. Très tôt déjà, Pothier mettait en évidence

les similitudes entre le contrat de vente et le louage d’ouvrage en considérant que ce contrat

avait « beaucoup d’analogie avec le contrat de vente »70. C’est donc par l’instrument de

l’analogie qu’aujourd’hui cette influence marquée du contrat de vente est une réalité qui ne

s’arrête plus à une simple comparaison, mais qui intègre véritablement une interdépendance

de régime.

30. Dans les rapports entre ces deux contrats, c’est tout d’abord une question de

qualification qui se pose71. Le contrat de vente et le contrat d’entreprise entretiennent en ce

sens des liens étroits, si bien qu’une concurrence entre ces deux contrats peut se manifester

67 L’article 1787 du Code civil prévoit en effet : « Lorsque l’on charge quelqu’un de faire un ouvrage, on peut convenir qu’il fournira seulement son travail ou son industrie, ou bien qu’il fournira aussi la matière » 68 P. Puig, op. cit., P. Puig récuse en effet le caractère accessoire du transfert de propriété dans l’entreprise, pour lui le contrat d’entreprise a un effet translatif de propriété, de par sa nature, sans pour autant que ce soit de son essence, puisqu’il est des services n’impliquant aucun transfert de droit (not. Les services immatériels) 69 En se sens, Ph. Letourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 6ème Ed., 2007, n° 3933 ; L. Marino, Le transfert de propriété dans le contrat d’entreprise, Défrénois 2001, p. 907 70 Pothier, Traité du contrat de louage, Septième partie, Du louage d’ouvrage, n° 394 71 J. Ghestin, Contrat de vente et contrat d’entreprise en matière de sous-traitance, RTD com. 1981, p. 1

Page 19: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

18

lorsqu’une chose est fabriquée par un professionnel à la demande d’un client. On peut en effet

y voir l’objet d’un louage d’ouvrage ou d’une vente de chose future. La question ne se pose

qu’au cas où le fabricant apporte la matière72, car la propriété de celle-ci est alors transférée

au client.

31. Deux récentes études doctrinales ont contribué à l’analyse de ces distinctions. L’un

a démontré que le contrat d’entreprise, contrairement au contrat de vente, implique que le

processus de finalité technique ait été initié par le client, ayant exprimé ses besoins. Ceci

conduisant alors l’entrepreneur à accomplir une phase de diagnostic et de conception73.

L’autre, a apporté une vision nouvelle de la distinction entre la vente et l’entreprise en se

fondant cette fois sur la richesse en cause. Cet auteur a ainsi démontré que la vente est un

instrument de circulation des richesses tandis que l’entreprise est un instrument de création

des richesses74 . La jurisprudence, quant à elle, se fonde sur le critère du travail spécifique75

pour souligner les différences entre les deux contrats. Selon elle, le contrat de vente se fonde

sur ainsi sur un bien standardisé, tandis que le travail spécifique de l’entrepreneur fait naître

un bien individualisé, destiné à répondre aux besoins du donneur d’ordre76

32. Les intérêts de cette distinction sont sur le terrain du régime nombreux. Ils tiennent

à la détermination du prix, qui est exigée dans la vente mais non dans le louage d’ouvrage, au

transfert de propriété et des risques qui ne s’opèrent pas de la même manière ni au même

moment, aux règles de la garantie qui diffèrent en principe ici ou là. Pour autant, l’objet de

cette analyse n’est pas de mettre en évidence les différences entre ces deux figures

contractuelles, mais plutôt de relever les influences originelles de ce qui constitue le modèle

de référence des contrats en général, l’archétype des contrats translatifs de propriété, sur ce

72 La question ne se pose pas si le fabricant travaille à partir de matériaux qui lui sont apportés par son co-contractant, le contrat réduit à la fourniture d’un travail est nécessairement un louage d’ouvrage. 73 J. Senechal, Recherche sur le contrat d’entreprise et la classification des contrats spéciaux, Thèse Dactyl., Lille, 2004, n°323 : « Si le phase de diagnostic et de conception de la réponse est initiée par l’énonciation du besoin par le client, le processus de finalité technique est spécifique et le contrat est un contrat d’entreprise. Si la phase de conception de la prestation est antérieure ou indépendante de l’énonciation de son besoin par le client le processus de finalité technique n’est pas spécifique et le contrat ne peut être qualifié de contrat d’entreprise ». 74 P. Puig, op. cit., n° 425. 75 Il y a contrat d'entreprise et non vente dès lors que le professionnel est chargé de réaliser « un travail spécifique en vertu d'indications particulières », ce qui exclut toute possibilité de produire en série, Cass. 3ème civ., 5 fév. 1985 : Bull. civ. III, n° 23 ; D. 1986, 499, note J. Huet ; RTD civ. 1985, 737, obs. Rémy ; Cass. com. 4 juill. 1989: Bull. civ. IV, n° 210; D. 1990, 246, note Virassamy ; JCP 90, II, 21515, note Dagorne Labbé ; RTD civ. 1990, 105, obs. Rémy ; Cass. 3ème civ., 19 juin 1991 : Bull. civ. III, n° 185 ; Cass. com. 5 fév. 1991 : Bull. civ. IV, n° 53 ; Cass. 3ème civ., 30 oct. 1991, JCP G 92, IV, 25. Au contraire, il s'agit d'une vente si la commande ne présente aucune particularité spécifique et ce même si elle a été fabriquée à la demande du client Cass. com. 1er oct. 1991, D. 1992, somm. 112, obs. Bénabent. 76 Encore récemment, Cass. 3ème civ., 24 mai 2006, pourvoi n°05 11938.

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qui reflète le modèle des contrats de services, qui serait susceptible de le supplanter77. Tout les

oppose en principe mais beaucoup de choses les rapprochent en pratique.

33. La garantie des vices cachés qui s’est considérablement développée depuis 1804,

est considérée aujourd’hui comme un instrument majeur de protection de l’acquéreur. Le

régime translatif du contrat d’entreprise n’ayant pas été prévu initialement78, les règles

applicables à la vente ont été transposées, en tant que de raison, au contrat d’entreprise. D’une

part le souci de protection du maître d’ouvrage a certainement motivé cette volonté de

transposition. D’autres part, c’est parce que ce texte a été conçu comme étant applicable à

toutes sortes de choses, mobilières ou immobilières, aux yeux des rédacteurs du Code civil,

que cette garantie est apparue transposable. La doctrine est apparue en ce sens mitigée. Une

partie d’entre elle79 admet aujourd’hui cette analogie, rejoignant ainsi la pensée d’auteurs

anciens comme Domat qui considérait que l’entrepreneur était tenu de « donner bon ce qu’il

doit donner » 80, par application du régime de la garantie du vendeur dès l’instant que

l’entrepreneur fournissait tout ou partie de la matière formant l’ouvrage. Dans le même sens,

Planiol considérait déjà la garantie comme « une suite naturelle du transfert de propriété,

même quand il s’opère à un autre titre que la vente »81. Si l'entrepreneur a fourni la matière

en même temps que son travail, il est donc « normal » qu'il soit tenu à la même garantie des

vices qu'un vendeur82. En ce sens le Professeur Puig semble partager cette opinion et va même

jusqu’à appeler de ses vœux une uniformisation des régimes des contrats translatifs de

propriété83.

34. La jurisprudence, quant à elle, a pu marquer une grande hésitation à étendre au

contrat d’entreprise le régime des articles 1641 et suivants du Code civil, préférant

sanctionner l’entrepreneur sur le terrain de son obligation (de résultat) d’exécuter le travail

77 M. De Juglart, La vente : un contrat en voie d’extinction au profit de l’entreprise in Mélanges J. Derrupé, Litec-GLN, 1991, p. 63. 78 Si certains textes spécifiques au contrat d’entreprise, déclarent que l’entrepreneur est garant des vices de la chose pour laquelle il travaille, et qu’il livre à son client, c’est le cas notamment dans le domaine de la construction (article 1792), pour le reste les textes sont silencieux. 79 P. Puig, Application du contrat d’entreprise à la nouvelle garantie de conformité : évolution ou révolution ? , RDC, 2005, p. 963 ; Ch. Aubry et Ch. Rau, Droit civil français, t. V, 6ème éd. par P. Esmein, Ed. Techniques, 1952, §374, p. 403. 80 Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 2ème éd., Paris, 1707, livre I, titre IV, Du louage, Sect. VIII, § II, p 214 : « Si l’entrepreneur est obligé de fournir quelque matière, comme un architecte chargé de fournir les matériaux, il doit la donner bien conditionnée et répondre même des défauts qu’il ignore, car il est tenu de donner bon ce qu’il doit donner, comme celui qui loue une chose est obligé de la donner telle qu’elle doit être pour son usage ». 81 Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, Paris, F. Pichon, 1900, n° 1952, p. 594. 82 Gross, La notion d'obligation de garantie dans le droit des contrats, LGDJ 1964, n° 28. 83 P. Puig, Application du contrat d’entreprise à la nouvelle garantie de conformité : évolution ou révolution ? , RDC, 2005, p. 963.

Page 21: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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convenu84. A cet égard, nombreuses sont les décisions qui ont eu à se prononcer sur les

critères distinctifs de la vente et de l’entreprise sur l’application de ces règles, en particulier,

celle du bref délai, de la garantie des vices cachés85. C’était donc méconnaître l’identité

possible de finalité entre ces deux contrats, qui consiste à transmettre ce bien au maître

d’ouvrage lequel se retrouve alors dans la même situation qu’un acheteur, la cause de son

obligation monétaire résidant dans le transfert et la délivrance non vicié d’un bien. On peut

alors se demander pourquoi le régime de garantie devrait différer selon le mode de

fabrication ? Sans doute parce que le transfert d’une chose individualisée, personnalisée

pourrait-on dire, entraîne des conséquences que le transfert d’une chose standard n’opère pas.

Malgré ces hésitations, la jurisprudence a parfois étendu le régime de la vente au-delà de la

lettre stricto sensu de la loi. En sorte que, les règles relatives à la garantie et notamment

l’article 1641, ont pu être appliquées à des situations dont il est douteux qu’elles relevaient de

la vente86. C’est donc en s’arrogeant un large pouvoir d’interprétation que la Cour de

cassation a fait évoluer le régime du contrat d’entreprise et l’on sait aujourd’hui que c’est du

contrat de vente qu’est issu le régime de la garantie des contrats d’entreprise. L’influence du

contrat de vente a été en ce sens favorable au maître d’ouvrage qui connaît désormais un

régime plus protecteur.

35. C’est une harmonisation plus générale des régimes de la vente et du contrat

d’entreprise que suggère finalement l’assimilation opérée par l’ordonnance du 17 février

2005. Ainsi semble peu à peu se dessiner un régime juridique commun aux contrats translatifs

de propriété, amorce d’un futur droit commun des contrats spéciaux que des auteurs appellent

désormais de leurs voeux87. Certains proposent ainsi de rapprocher ces deux contrats, voire de

« les fondre »88.

84 Par exemple, pour la prothèse fournie par un dentiste : Cass. 1ère civ., 12 juin 1990 : Bull. civ. I, n° 162 ; 15 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 319 ; pour les matériaux utilisés par un sous-traitant : Cass. 3ème civ., 23 oct. 1984 : Bull. civ. III, n° 171 ; 29 mai 1984 : Bull. civ. III, n° 106. 85 V. Cass. 1ère civ., 4 janvier 1958, JCP., I, 10808, note B. Starck. 86 Ainsi pour un travail d’impression sur étoffe, Cass. com., 22 juin 1995, Bull. civ. III, n° 222, mais aussi beaucoup plus tôt ; Cass. com., 4 janvier 1957, Bull, civ. IV, n° 6 : pour un équipement frigorifique destiné à un magasin. 87 A. Bénabent, Les difficultés de la recodification : les contrats spéciaux, in Le Code civil 1804-2004, Livre du bicentenaire, Dalloz Litec, 2004, p. 245 ; Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, op. cit. n° 54 et s. 88 P.-Y. Gautier, Prolégomènes à une théorie générale des contrats spéciaux, RDC 2006, p. 610, RTD civ. 2002, p. 323.

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21

II. Une analogie confirmée par l’ordonnance du 17 février 200589

36. « Sont assimilés aux contrats de vente les contrats de fourniture de biens meubles

à fabriquer ou à produire », dispose l’article L. 211-1 du Code de la consommation issu de

l’ordonnance du 17 février 2005 relative à la garantie de conformité du bien au contrat due

par le vendeur au consommateur. Cette ordonnance a fusionné la garantie des vices cachés et

le défaut de conformité au profit d’une obligation unique de délivrance conforme. Bien que le

contrat d’entreprise fasse figure « d’intrus »90 au sein de ce texte, dont pratiquement tous les

termes sont dédiés au contrat de vente, « c’est une certitude »91, certains contrats d’entreprise

sont assimilés aux ventes de biens meubles corporels. En alignant le régime de la garantie de

conformité sur celui incombant au vendeur, le législateur suggère ainsi un rapprochement

« sans précédent » entre le contrat de vente et le contrat d’entreprise92.

37. Partant sans doute du constat selon lequel la situation du maître de l’ouvrage ne

diffère guère de celle d’un acheteur, le législateur a donc estimé opportun de leur offrir la

même garantie sans tenir compte des distinctions subtiles introduites entre les différentes

catégories de contrats. De sorte que lorsque le travail de l’entrepreneur, appliqué à la matière

première qu’il fournit, engendre un bien nouveau, le but de l’opération consiste à transmettre

ce bien au maître de l’ouvrage lequel se retrouve dans la même situation qu’un acheteur, la

cause de son obligation résidant dans le transfert et la délivrance conforme du bien. A cet

égard, dès lors qu’un transfert de propriété a lieu, on peut se demander pourquoi le régime de

la garantie devrait différer. Produit standardisé, pour la vente, bien individualisé dans

l’entreprise, voilà encore les raisons qui ont amené le législateur a hésité face à cette

harmonisation. Qu’en est-il désormais de l’application de cette nouvelle garantie à

l’entreprise ?

38. Parmi les contrats d’entreprise obéissant à l’article L. 211-1 du Code de la

consommation, de prime abord, seuls seront soumis à ce droit spécial ceux qui ont été

conclus entre un professionnel, hypothèse de loin la plus fréquente en pratique, et un client

89 Ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 transposant la Directive 99/44/CE du 25 mai 1999, JOCE n° L 171/1, 27 juillet 1999, JO 18 février 2005, p. 2778 ; A.-M. Leroyer, RTD civ. 2005, p. 483, « Cette ordonnance a été prise à la suite d’une habilitation donnée au gouvernement sur le fondement de l’article 38 de la Constitution (L. n° 2004-1343, 9 décembre 2004, art. 82, loi de simplification du droit) » 90 F. Labarthe, C. Noblot, Le contrat d’entreprise à l’épreuve des articles L. 211-1 et s. du code de la consommation. A propos de l’ordonnance du 17 février 2005, JCP 2005, I, 168 91 F. Labarthe, C. Noblot, op.cit. 92 P. Puig, op. cit.

Page 23: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

22

consommateur, ce qui limite d’autant les possibilités de son application au louage d’ouvrage.

D’une part, l’exigence d’une fabrication ou d’une production de biens meubles permet

d’emblée d’écarter du domaine de ce nouveau dispositif les contrats de réparation et

d’entretien ainsi que les contrats de construction en matière mobilière. Dans le même sens,

doivent être tenus en marge les contrats de commande d’œuvre d’art. D’autre part, l’article L.

211-4, alinéa 2 du Code de la consommation, dispose que celui qui installe une chose, que

celle-ci soit sur mesure ou en série, s’engage à accomplir une prestation de services93 et est

donc susceptible d’endosser, au moins pour partie, la qualité d’entrepreneur. L’article L. 211-

4, alinéa 2, coupe court aux hésitations concernant la qualification, puisqu’il fond en un seul

régime de garantie la vente et l’entreprise. Un pan de la doctrine a mis en évidence

l’inadéquation de ces textes au contrat d’entreprise. En effet, selon eux, les critères de

conformité imposés par cette nouvelle ordonnance sont inappropriés aux contrats

d’entreprise. Ces auteurs mettent en évidence que « l’usage habituellement attendu d’un bien

semblable », les « échantillons » et « modèles », la « publicité » et « l’étiquetage », sont des

expressions qui renvoient à la production standardisée, donc, en vertu du critère de

qualification prétorien en vigueur à la vente94.

39. « Déception, irritation, humiliation » 95, pour certains, « rapprochement

souhaitable » des régimes pour d’autres96, voilà comment est perçue cette nouvelle garantie de

conformité. Pourtant malgré ces dissidences d’opinion, une chose est claire, le législateur a

tiré les conséquences des applications jurisprudentielles qui tendent à appliquer le régime de

la vente aux contrats d’entreprises translatifs de propriété. L’entreprise a su renforcer son

régime en tirant profit des contrats portant sur les biens qui se rapprochent le plus de lui. Dans

le même sens, le louage d’ouvrage a complété son régime en bénéficiant des règles

applicables aux contrats portant sur un service.

93 Cf. J. Huet, op. cit., n° 32135 : « le vendeur installateur est le type même de ces contractants à la double casquette ». 94 Labarthe (F.), Noblot (C.), op. cit. 95 P.-Y. Gautier, Retour aux sources : le droit spécial de la garantie de conformité emprunté aux édiles curules, RDC 2005, p. 925, qui considère que ce texte ne fait qu’alourdir la législation plutôt que de la simplifier 96 P. Puig, op. cit.

Page 24: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

23

Chapitre 2 : L’influence manifeste des contrats portant sur un service

40. Les contrats de service sont ceux qui portent sur des « obligations de faire »97. Très

secondaires du point de vue économique, à l’époque du Code civil, ils regroupent désormais

les « grands contrats » tant l’importance des services dans les économies modernes est

incontestable. Au sein de cette catégorie, le contrat d’entreprise fait figure de modèle.

Pourtant, il a su enrichir son régime des autres contrats issus de ce groupe et notamment du

mandat (section I) et du contrat de travail (section II)

Section I - Le contrat de mandat

Section II - Le contrat de travail

97 A. Bénabent, op. cit., n° 470

Page 25: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

24

Section I - Le contrat de mandat

41. Rangée par la doctrine du XIXème siècle dans la catégorie des « petits contrats »

du Code civil, le mandat est aujourd’hui d’une importance et d’une diversité considérables.

Prenant le contre-pied de la pensée du siècle dernier, un auteur le place parmi les deux

« super-grands » au côté du contrat d’entreprise98, pendant que d’autres soulignent « les mille

visages » par lesquels il trouve à s’exprimer99. Alors que le contrat d’entreprise est présenté

par certains comme la « bonne à tout faire » des contrats spéciaux100, le mandat apparaît

parfois comme « l’homme à tout faire » de ces mêmes contrats101. La frontière entre ces deux

contrats a évolué, le critère de distinction s’est clarifié (I). La jurisprudence est tout de même

passée outre, en appliquant au contrat d’entreprise des règles admises dans le mandat (II).

I. Une distinction de nature matérielle

42. La prédominance actuelle du contrat d’entreprise et du mandat, s’explique par une

identité d’objet. Ces deux contrats portent en effet, tous les deux sur une prestation de

services102, une obligation de faire. A ce titre, le mandat est l’acte par lequel une personne, le

mandant, donne à un autre, le mandataire, le pouvoir de faire quelque chose pour lui, en son

nom et pour son compte103.

43. Originairement, on considérait que le louage d’ouvrage et le mandat s’opposaient

par le caractère onéreux de l’un, et le caractère gratuit de l’autre. Pour cette raison, on

rattachait au second l’activité des professions libérales, où il était d’usage de ne pas

demander de rémunération à proprement parler, mais de solliciter seulement des honoraires.

De nos jours, le louage d’ouvrage et le contrat de mandat ne se distinguent plus aussi

radicalement. Et, contrairement à ce qui se passe avec le contrat de travail, l’une et l’autre

qualifications ne sont pas exclusives, elles sont compatibles. En ce sens, l’entrepreneur et le

mandataire rendent tous deux un service de manière indépendante, sans être subordonné à

celui pour lequel ils exécutent le travail convenu. Le critère classique de distinction a ensuite

été celui du pouvoir de représentation, le mandataire représentant le mandant, en son nom et

pour son compte liant ainsi son donneur d’ordre. L’entrepreneur, au contraire, ne représente 98 Ph. Le Tourneau, De l’évolution du mandat, D. 1992, chron. p. 157 99 F. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 628 100 Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, op. cit. 101 Ph. Le Tourneau, op.cit. 102 J. Huet, op. cit., n° 30002 103 G. Cornu, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 7ème Ed., 2005, p. 561

Page 26: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

25

pas le maître et ne le lie pas par ses actes104. Pourtant, en réalité le critère de la représentation

n’a pas toujours été rigoureusement exact. C’est la raison pour laquelle, c’est plutôt de la

nature matérielle ou juridique de l’acte à accomplir que la doctrine contemporaine a orienté

cette distinction. La différence entre ces deux contrats tient donc au contenu de la tâche

assumée. Le mandataire est, en effet, un intermédiaire chargé d’accomplir des actes juridiques

pour le compte de son client. L’entrepreneur, en revanche, est chargé uniquement des actes

matériels ou intellectuels.

44. Le principal intérêt de la distinction des deux contrats réside dans le fait que le

maître d’ouvrage n’est pas lié par les actes ou contrats passés par l’entrepreneur avec les tiers.

Puisque celui-ci traite en son propre nom, les fournisseurs ayant contracté avec lui n’ont

aucune action contre le maître, sous réserve du droit de la sous-traitance. A l’inverse, en cas

de mandat, le tiers n’a d’actions que contre le mandant, et non contre le mandataire, non tenu

personnellement du contrat conclu. La distinction a par ailleurs d’autres intérêts sur le terrain

du régime applicable, puisque le maître de l’ouvrage n’est pas soumis à l’obligation du

mandant de réparer les dommages subis par l’entrepreneur lors de l’exécution des travaux. La

révocation du mandataire peut par ailleurs intervenir ad nutum, ce qui n’est pas le cas de

l’entrepreneur.

45. Pourtant ces régimes aux apparences différentes, révèlent de par le pratique des

tribunaux, des similitudes ayant influé sur le régime du contrat d’entreprise.

II. Une distinction perméable pour les tribunaux

46. Le contrat de mandat est le premier contrat où la jurisprudence a admis la

réduction des honoraires excessifs. Selon les principes généraux, le montant fixé librement

par les parties devrait être intangible, par application de l’article 1134 du Code civil. Et c’est

pourtant dans cette matière que la jurisprudence a, dès le XIXème siècle, fait preuve d’un

pouvoir créateur fort remarquable pour l’époque, en posant pour principe « qu’il appartient

aux tribunaux de réduire le salaire convenu lorsqu’il est hors de proportion avec le service

rendu »105. Cette jurisprudence qui consacre un cas exceptionnel de contrôle dans les contrats

s’est depuis maintenue de manière constante et a récemment essaimé en matière de contrat

d’entreprise. 104 Cass, 1ère civ., 19 février 1968, Gaz. Pal. 1968, 2, 144 105 Cass civ., 29 janvier 1867, D.P. 1867, I, 53, V. par ex. récemment Civ. 1ère, 2 juin 1993, Bull. I, n° 198

Page 27: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

26

47. Récemment, la jurisprudence a franchi un nouveau pas et parait bien avoir tout

simplement étendu la règle admise en matière de mandat à tous les contrats d’entreprise

« donnant lieu à des honoraires ». S’agissant des travaux d’un expert comptable, la Cour de

cassation a énoncé que « les tribunaux peuvent, quand une convention a été passée en vue de

l’exécution de travaux donnant lieu à honoraires, réduire ces derniers lorsqu’ils paraissent

exagérés, pourvu qu’ils n’aient pas été versés en connaissance du travail effectué et après

service fait »106. La même solution a été appliquée aux honoraires « disproportionnées » d’un

conseil en gestion107 ainsi qu’aux honoraires excessifs de l’avocat108. C’est donc par

transposition et extension du régime applicable au contrat de mandat, que les règles

applicables au contrat d’entreprise évoluent.

Certains ont mis e évidence que la restriction de la règle aux « honoraires », notion non

juridique qui parait ainsi limitée aux professions libérales, n’est cependant guère justifiée.

Participant donc d’un esprit de justice contractuelle109, ils estiment que le « juge devrait

pouvoir procéder à une révision des prix »110 de manière générale sauf évidemment dans le

cas où il a été fixé à forfait, le contrat devenant aléatoire111. Ceci s’inscrit dans un mouvement

plus large de théorie des contrats de service, théorie que certains proposent de fondre mettant

en évidence que ces contrats sont de vrais « jumeaux »112.

48. Les honoraires sont au cœur du louage d’ouvrage, c’est un critère qui a pendant

longtemps permis de le distinguer du mandat. C’est également un des critères qui a pu le

distinguer du contrat de travail.

106 Cass. 1ère civ., 3 juin 1986, Bull. civ. I, n° 150 ; JCP 87, II, 20791, note A. Viandier 107 Cass. com., 2 mars 1993, Bull. IV, n° 83 ; D. 1994. Som. 11, obs. Kullmann 108 Cass. 1ère civ., 3 mars 1998, JCP 98, II, 10115, note Sainte-Rose, Sur cette question, cf. V. Lasbordes, Libre propos sur la fixation des honoraires de l’avocat : de l’utilité de la convention préalable d’honoraires , D. 2001, Doct., 1893 ; puisqu’elle relève d’abord du pouvoir juridictionnelle du bâtonnier. 109 D. Mazeaud, Le juge et le contrat, Variations optimistes sur un couple illégitime, in Mélanges offerts à J.L. Aubert, Dalloz, 2005, p. 234. 110 Ph. Malaurie, L Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit., n°760 111 Peut être implicitement en ce sens, Cass. Com., 8juin 1999, Bull. civ. IV, n° 121 : qui n’écarte la révision qu’en raison de la présence d’un forfait. 112 Obs. sous Cass. Com., 13 mai 2003, RTD civ. 2003, p. 723

Page 28: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

27

Section II - Le contrat de travail

49. Le contrat de travail est le contrat par lequel une personne, le travailleur place sa

force de travail sous l’autorité d’une autre113. Ce contrat, aux règles propres particulièrement

protectrices du salarié, a connu son autonomie114. Présent sous le nom de louage de services

dans le Code civil115, il a été conçu par les rédacteurs de ce même code en tant que genre

commun au louage d’ouvrage. Pourtant, si la confusion est grande entre ces deux contrats,

puisque dans l’un comme dans l’autre il y a exécution d’un travail moyennant rémunération,

la distinction est tout aussi radicale.

50. Alors que le Code civil rapprochait le louage d'ouvrage et le louage de services116

au point de ne pas les distinguer très nettement, le développement considérable qu'a connu le

droit du travail, et l'autonomie croissante qu'il a acquise, ont rendu fondamentale la distinction

entre le contrat d'entreprise et le contrat de travail. Le critère de la distinction a dû être

d'autant plus précisé que ses intérêts se sont accrus (I). Aujourd’hui les frontières entre ces

deux contrats veulent être effacées, ce qui participerait d’un rapprochement de leur régime

(II).

I. Une distinction radicale : la subordination

51. Les intérêts de la distinction entre ces deux contrats ne sont pas à démontrer

puisque de la qualification contractuelle retenue dépend, au fond, l’application du droit du

travail et du droit de la sécurité sociale. Maladroitement présenté par le Code civil, tantôt

comme une espèce particulière du louage d’ouvrage117 tantôt comme un louage de choses118 le

contrat de louage de services, aujourd’hui dénommé contrat de travail, a longtemps peiné à

recevoir une qualification juridique précise tant la personne, sa force de travail119 s’inscrit au

cœur de l’opération et rend difficile tout rattachement au cadre du louage. Il a d’abord été

suggéré d’opposer le louages de services et d’ouvrage d’après l’objectif respectif de ces

conventions : le travail dans le premier, le résultat du travail dans le second. Cette distinction,

113 G. Cornu, op. cit., p. 228 114 J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 21ème Ed., 2002, n°6 115 selon les termes de l’article 1779 116 C. civ., art. 1710 et 1779 117 C. civ., art. 1779, op. cit. 118 C. civ., art. 1711 : « Ces deux genres de louage se subdivisent encore en plusieurs espèces particulières: On appelle bail à loyer, le louage des maisons et celui des meubles; Bail à ferme, celui des héritages ruraux; Loyer, le louage du travail ou du service; Bail à cheptel, celui des animaux dont le profit se partage entre le propriétaire et celui à qui il les confie ». 119 Th. Revet, La force du travail, Litec, bibl. dr. Entreprise, t. 28, 1992

Page 29: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

28

d’origine romaine était essentiellement mise en œuvre par référence au critère de distinction

de détermination du prix dans le contrat. La rémunération de l’entrepreneur est ainsi assise sur

la valeur de l’ouvrage accompli tandis que celle des domestiques et ouvriers120 dépend du seul

travail déployé, c'est-à-dire de sa durée. Planiol opposait, d’une part, le louage «caractérisé

par une rémunération proportionnelle au temps », dans lequel « le salaire y est composé de

sommes égales pour toutes les unités de temps employées, que l’unité soit l’heure, la journée,

le mois ou l’année » et, d’autre part, l’entreprise « caractérisée par ce fait que la rétribution

du travailleur est fixée à forfait pour chaque ouvrage, et ne dépend plus du temps nécessaire

pour l’achever, de façon qu’il y a pour lui chance de gain ou risque de perte, selon qu’il

mettra plus ou moins de temps à accomplir l’ouvrage »121. L’opposition était donc entre le

salaire à la tâche ou à la pièce et le salaire au temps. Après avoir séduit par sa simplicité, ce

critère fut toutefois rejeté par la jurisprudence et critiqué par la doctrine au double motif qu’il

n’est pas exclu que des salariés perçoivent un salaire forfaitaire, spécialement des cadres, ni

que les prestataires de services soient rémunérés en fonction d’un tarif horaire.

52. Ce critère est donc aujourd’hui abandonné. Désormais, le principe de la distinction

entre le contrat de travail et l’entreprise tient à l’indépendance de l’entrepreneur122, alors que

le salarié est subordonné en ce qu’il est soumis au pouvoir de contrôle et de direction de

l’employeur. Ce critère de la subordination juridique est particulièrement précis et se nourrit

de différents indices dont aucun n’est à lui seul déterminant et dont l’appréciation souveraine

des juges du fond conduit à « une casuistique parfois déroutante »123. L’entreprise est, en ce

sens, synonyme de risque, de création, de liberté. Cette indépendance est fondée sur une

supériorité dans l’exercice du métier, sur une organisation, sur un savoir, sur une

compétence124 et ce « rapport de compétence exclut ce rapport de dépendance »125.

120 C. civ. art. 1780 121 M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, Paris, F. Pichon, 1900, n° 1948-1949, p. 592 122 Cass. 3ème civ., 2 octobre 1979, Bull. civ. III, n° 164 : « Les éléments du contrat impliquant que celui qui devait faire le travail avait conservé une indépendance dans l’exécution des travaux, les juges d’appel ont pu qualifier de contrat d’entreprise la convention intervenue entre les parties ». 123 A. Bénabent, Louage d’ouvrage et d’industrie, Contrat d’entreprise, J.- Cl. Civil, Art. 1787, Fasc. 10, 1992, n° 66 ; Pour schématiser l’évolution complexe de la jurisprudence en la matière, on relèvera que la chambre sociale de la Cour de cassation a d’abord eu tendance à consacrer une « conception extensive et édulcorée », du lien de subordination en le réduisant à la seule participation du salarié à un service organisé, P. Puig, op. cit., n° 786 ; Puis, afin de mettre un frein à cet « impérialisme du contrat de travail », le législateur a posé une présomption de non contrat de travail pour toute personne physique immatriculée au registre du commerce et des sociétés, qui a été abrogée par la loi « Aubry II » du 19 janvier 2000, mais réintroduite à l’article L. 120-3 du Code du travail par la loi du 1er août 2003. Aujourd’hui, le lien de subordination est caractérisé par les pouvoirs de direction, de surveillance et de contrôle de l’employeur. A cet égard, sont pris en compte de nombreux indices dont chacun d’eux n’est à lui seul déterminant. Il s’agit du lieu de travail, des horaires, des conditions de travail, etc, B. Teyssié, Sur un fragment de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 : commentaire de l’article L. 120-3 du Code du travail, Dr. soc. 1994, p. 667. 124 F. Collard Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 709. 125 G. Cornu, op. cit., p. 380.

Page 30: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

29

52. La distinction radicale entre le louage d’ouvrage et de services réside donc sur ce

critère de subordination. Pourtant l’évolution du contrat d’entreprise, caractérisant la plupart

des professions libérales aujourd’hui, met en lumière le rapprochement qui se dessine entre le

contrat de travail et le contrat d’entreprise, ce qu’appelle de ces vœux une partie de la

doctrine.

II. Une distinction complémentaire : la parasubordination

53. Le critère de distinction entre les deux sortes de louage, est en passe d’influencer

le régime du contrat d’entreprise. En effet, il est des professionnels qui organisent en

apparence librement leur travail mais qui se trouvent dans une situation de précarité et

d’extrême vulnérabilité en face de donneurs d’ordres directifs auprès desquels ils réalisent

l’essentiel de leur chiffre d’affaires. Leur subordination économique ne suffisant pas à

caractériser l’existence d’un contrat de travail, certains auteurs militent pour la création d’un

nouveau statut intermédiaire de parasubordination126 ou de quasi-salariat127, pendant que

d’autres appellent au développement d’un « droit commun du travail » qui s’appliquerait aussi

bien au travail indépendant qu’au travail dépendant128.

54. A cet égard, Jacques Barthélémy met en évidence la révolution apparente qui se

dégage. Plus importante que la révolution industrielle, « la civilisation de l’usine cède peu à

peu le pas à celle de l’information »129. Compte tenu de cette évolution, les frontières du

contrat de travail, selon lui fondées sur des considérations plus idéologiques et culturelles que

sur des certitudes juridiques, deviennent floues. En effet, la subordination juridique n’est pas

incompatible avec l’indépendance technique. Or selon lui c’est l’indépendance qui a pour

corollaire la responsabilité. De sorte qu’un salarié indépendant techniquement mais

subordonné juridiquement pourrait être responsable et inversement pour un entrepreneur

dépendant économiquement ou techniquement protégé. En ce sens, une qualification

intermédiaire de para subordination a été proposée. Un tel état justifierait une protection,

conséquence du déséquilibre du contrat, mais pas nécessairement la même que celle

126 J. Barthélémy, Le professionnel parasubordonné, JCP E 1996, I, n° 606. 127 J. Barthélémy, Contrat de travail et d’entreprise : nouvelles frontières - réflexion sur la loi Madelin, JCP E 1994, I, n° 361. 128 A. Supiot, Le travail en perspective : une introduction, in Le travail en perspectives, ss. la dir. De A. Supiot, LGDJ, coll. « droit et société », t. 22, 1998, p. 1. 129 J. Barthélémy, op. cit.

Page 31: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

30

qu’implique la soumission permanente et totale aux ordres d’un représentant de l’entreprise.

Eu égard à ces caractéristiques, le champ induit par cette qualification mordrait sur ceux à la

fois des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants. Les droits spécifiques des

membres de cette catégorie nouvelle seraient nécessairement empruntés au droit du travail. Le

caractère déséquilibré du contrat l’impose, selon lui, ce qui illustrerait manifestement

l’influence du contrat de travail sur le contrat d’entreprise. En attendant l’émergence d’un

droit de l’activité professionnelle130, force de constater que le contrat de travail, pensé comme

un contrat spécial, si spécial qu’il est devenu un droit autonome, laisse dessiner une véritable

interaction de régime avec le contrat d’entreprise. Bien que l’entrepreneur travaille pour son

compte, et le salarié pour le compte d’autrui, la subordination économique de ce premier le

conduirait à bénéficier d’une part de protection. En l’état actuel des choses, la différence

fondamentale de régime réside dans le support des risques.

55. En effet, le corollaire de la liberté et de l’indépendance réside dans la

responsabilité. L’homme libre est responsable, l’homme soumis est, quant à lui, protégé. Le

critère du contrat de travail réside donc moins dans la subordination du travailleur, que dans

ce qui fonde cette subordination, la protection du salarié par son employeur. En définitive, le

salarié travaille pour le compte et au profit d’autrui. Il est en contrepartie protégé par les aléas

du marché et sa responsabilité civile est atténuée, tant à l’égard de l’employeur que vis-à-vis

des tiers, notamment des clients de son employeur131. En principe l’entrepreneur, à l’inverse,

travaille pour son compte. Dans l’espoir de récolter les fruits de son entreprise, il assume

corrélativement le risque de la perte et engage sa responsabilité à l’égard de ses clients. Il a

donc, contrairement au salarié, « la propriété de sa clientèle »132

56. En ce sens, dans la mesure où l’entrepreneur serait dans un état de para

subordination à l’égard de son maître d’ouvrage, ne pourrait-on pas considérer qu’une

protection spécifique devrait lui être appliquée au même titre que le salarié à l’égard de son

employeur ? En effet, suivant cette logique, l’entrepreneur soumis malgré sa liberté, devrait

pouvoir bénéficier de règles de protection, un allègement de sa responsabilité, un

assouplissement de ces risques.

130 Th. Aubert-Monpeyssen, Les frontières du salariat à l’épreuve des stratégies d’utilisation de la force de travail, Dr. soc. 1997, p. 616 131 Arrêt Costedoat, Ass. Plén. 25 février 2000, RTD civ. 2000, p. 582, obs. P. Jourdain, arrêt qui retient l’immunité du préposé agissant dans la limite de ses fonctions. 132 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit., n°713

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31

57. La responsabilité de l’entrepreneur se manifeste de différentes manières et à

différents stades du contrat. Lorsque le service de l’entrepreneur porte sur une chose

mobilière133, le droit positif prévoit, en l’article 1788 du Code civil134, que si les matériaux

sont fournis par le prestataire, il en assume les risques. Toutefois que ceci ne vaut que jusqu’à

la réception135 ou la mise. Aussi, il ne peut prétendre au paiement des coûts des travaux. Il

assume en ce sens le risque du contrat, en tant que débiteur de la prestation promise. Le cas

échéant, le maître d’ouvrage a le choix, soit il opte pour la résolution, et les acomptes versés

doivent être restitués par l’entrepreneur136, soit il demande à ce dernier d’exécuter à nouveau

les travaux à ses frais, sans pouvoir exiger plus que les conditions initiales du marché137. Si,

pendant longtemps, on a vu dans le texte la simple application de l’adage res perit domino, on

reconnaît aujourd’hui que la charge des risques est liée aux pouvoirs que l’entrepreneur a sur

la chose fournie jusqu’à la réception des travaux138. Par ailleurs, lorsque les matériaux ont été

fournis par le maître de l’ouvrage, c’est ce dernier qui en supporte la perte, à moins que cette

perte ne soit imputable à l’entrepreneur. En ce cas, il demeure soumis au risque du contrat, en

ce qu’il ne peut réclamer aucun prix139. Si le service ne porte pas sur une chose, seule la règle

Res perit debitori s’applique. L’admission du statut d’entrepreneur para subordonné,

permettrait donc d’alléger, en certaines circonstances, son régime des risques et de

responsabilité, par mimétisme du droit du travail.

58. Avec le mandat, le contrat de travail met en lumière l’influence des contrats de

service sur le contrat d’entreprise. L’idée de l’émergence d’une théorie générale des contrats

de service140, où le contrat d’entreprise ferait figure de modèle, s’entrevoit. Le contrat

d’entreprise, merveilleux « champ d’observation du phénomène contractuel »141 met ainsi,

en lumière les différentes interactions de régime entre les contrats spéciaux, et plus largement

133 Pour les choses immobilières, cf. Partie II sur le droit spécial. 134 C. civ. art. 1788 : « Si, dans le cas où l’ouvrier fournit la matière , la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d’être livrée, la perte en est pour l’ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose », La Cour de cassation a précisé que : « l’article 1788 n’a pour objet que de déterminer à qui incombent les risques en cas de perte de la chose, indépendamment de la question de la propriété de l’ouvrage », Cass. 3ème civ., 23 avril 1974, D. 1974, p. 287, note J. Mazeaud 135 Sur cette notion cf. Partie II 136 V. Cass. 3ème civ., 27 janvier 1976, Bull. civ. III, n° 34 137 V. Cass. 3ème civ., 28 octobre 1992, Bull. civ. III, n° 281 ; RTD civ. 1993, 602, n°1, obs. P.-Y. Gautier 138 V. not. Ph. Delebecque, op.cit., n° 80 139 C. civ. art. 1790 : «Si, dans le cas de l'article précédent, la chose vient à périr, quoique sans aucune faute de la part de l'ouvrier, avant que l'ouvrage ait été reçu et sans que le maître fût en demeure de le vérifier, l'ouvrier n'a point de salaire à réclamer, à moins que la chose n'ait péri par le vice de la matière ». 140 P. Puig, op. cit., n° 465 141 Ph. Delebecque, op. cit., p. 2

Page 33: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

32

ce phénomène de spécialisation des contrats, les règles de l’un s’appliquant parfois à l‘autre.

Dans le même sens, et au-delà de la catégorie des contrats spéciaux, l’analyse du régime des

contrats d’entreprise permet de révéler les interférences entre le droit commun et le droit

spécial. Ce contrat spécial a en effet, influencé le droit commun à travers la découverte de

nombreuses règles qui aujourd’hui ont été étendues largement. Le contrat d’entreprise illustre

donc l’idée que le droit commun se spécialise et le droit spécial se généralise.

Page 34: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

33

Titre II : Un régime à forte influence sur le droit commun des contrats

59. Le droit commun, est celui qui s’applique à toutes les espèces d’un genre142. Jugé

fort imprécis et difficile à identifier143, il est souvent défini de manière négative, par

opposition au droit spécial. Il ne vit, en effet, que pour ses applications concrètes, il s’en

nourrit même. La vocation du droit spécial est d’illustrer le droit commun. Mais si le droit

commun se spécialise, ce n’est pas tellement parce qu’il ne peut se passer d’exemples, c’est

avant tout parce qu’il devient de moins en moins général et de plus en plus particulier. De

sorte que la loi n’est plus si souvent générale et abstraite, elle est souvent particulière. Or

l’expansion du droit spécial des contrats se fait nécessairement au détriment de la théorie

générale, si bien qu’on s’est même demandé si le phénomène « d’arborescence » du droit des

contrats, parfaitement décrit par la doctrine144, ne dévalorisait pas la notion même de

contrat145.

60. Comme nous l’avons vu, un auteur analyse le contrat d’entreprise comme un

contrat quasi-innomé146, que le Code civil ne réglemente que très peu et dont le régime s’est

rénové à l’aide de la jurisprudence par application des règles applicables aux autres contrats

et de la théorie générale des contrats. Pourtant une fois enrichi juridiquement, le contrat

d’entreprise, véritable contrat spécial, a eu une influence non négligeable sur le droit commun

des contrats. L’extraordinaire pouvoir de ce contrat spécial, par le biais de l’interprétation

créatrice de la jurisprudence, a ainsi fait émerger de nouveaux instruments juridiques

(Chapitre 1). Ce contrat, par l’originalité et la spécificité d’une partie de son régime légal a

par ailleurs contribué à enrichir l’ensemble de notre droit (Chapitre II).

Chapitre 1 : La consécration jurisprudentielle de nouvelles règles de droit commun

Chapitre 2 : La consécration légale de nouvelles règles de droit spécial

142 G. Cornu, op. cit., p. 180. 143 E. Savaux, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, th. Bibl. dr. Privé, LGDJ, 1997, t. 264 144 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit., n° 34 145 B. Oppetit, Les tendances régressives dans l’évolution du droit contemporain, in Mélanges Holleaux, 317, spéc. 321 146 En ce sens, A. Benabent, op. cit., n° 477

Page 35: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

34

Chapitre 1 : La consécration jurisprudentielle de nouvelles règles de droit commun 61. La Cour de cassation a marqué particulièrement d’audace, en soulignant les

carences ou les insuffisances du législateur et en les mettant en oeuvre. De fait, le contrat

d’entreprise, dont les règles passablement désuètes, telles qu’exprimées dans le Code civil,

ont été largement interprétées et même développées par la jurisprudence. Si certains ont pu

mettre en évidence les interactions de régime et les influences communes entre le droit

commun et le droit de la concurrence147 par exemple, en l’espèce c’est au travers d’un contrat

spécial, le contrat d’entreprise, que cette influence est analysée. Comment alors un simple

contrat a-t-il pu « faire avancer » l’ensemble d’un droit ?

62. La Cour de cassation a eu à cet égard un rôle incontestable148. C’est en interprétant

extensivement la loi et en étendant les règles relatives au contrat d’entreprise à d’autres

situations que cette évolution s’est rendue possible et ce notamment sur le terrain de la

formation du contrat. Elle a d’autre part, participé indirectement à l’élaboration de la loi en

créant véritablement de nouvelles règles jusque là inconnues du droit. C’est ainsi que l’on doit

à la jurisprudence sur le contrat d’entreprise de nouvelles règles de droit commun relatives à

la formation du contrat (Section I), ainsi que des règles relatives à l’exécution du contrat

(Section II).

Section I - La consécration de règles relatives à la formation du contrat

Section II - La consécration de règles relatives à l’exécution du contrat

Section I - La consécration de règles relatives à la formation du contrat

147 M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, Coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2004. 148 Sur le rôle de la jurisprudence, cf. n°

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63. S’agissant des règles de formation du contrat et notamment des règles relatives

au consentement, le contrat d’entreprise ne déroge pas foncièrement du droit commun. Le

caractère consensuel du contrat emporte qu'aucune formalité spéciale n'est exigée pour la

validité de la convention149. Si certains textes particuliers exigent un écrit, on refuse souvent

d'y voir une condition de forme. Ainsi, l’article 5 de la loi du 3 janvier 1967 exige un écrit

pour le contrat de construction de navires ainsi que pour les modifications, en précisant « à

peine de nullité » pour ces dernières. Si certains y voient une condition de forme, d'autres n'en

font qu'une condition de preuve150. De même, si le code des devoirs des architectes impose

l'établissement d'un écrit, il ne s'agit que d'une règle déontologique n'écartant pas le principe

du consensualisme151 . Du point de vue de sa formation, le contrat d’entreprise a fait naître

deux règles depuis lors étendues à d’autres contrats, la violence économique d’une part (I), et

l’indétermination du prix d’autres part (II).

I. Le développement de la violence circonstancielle

64. Le consentement, comme dans n’importe quel autre contrat est au cœur du

contrat d’entreprise, en ce qu’il en est la source. Celui-ci doit être intègre et lucide et doit être

exempt de vices. Le dol ou l’erreur peuvent s’y trouver sanctionnés en ce qu’elle mène me

co-contractant à un consentement erroné. La violence, quant à elle, qui en plus d’être un vice

du consentement152 est un délit, se manifeste par une menace exercée contre le cocontractant,

qui lui supprime sa liberté et le contraint à conclure à ces dépends. Elle a une place

particulière dans le contrat d’entreprise, du fait de l’obligation de faire qui en découle. La

violence se manifeste en effet le plus souvent, sur quelqu’un à qui oblige à faire quelque

chose, puisque l’article 1109 du Code civil153 prévoit que la violence est « extorquée ». Les

évolutions de situations contractuelles ont peu à peu mener à se poser la question de la prise

en compte de l’état de nécessité. Elle correspond à la situation par laquelle, exploitant l’état

de nécessité dans lequel se trouve son partenaire, une personne en profite pour lui imposer des

conditions particulièrement rigoureuses. Tel a été le cas de cette jurisprudence ancienne dite

149 Cass. 3ème civ., 8 oct. 1974, Bull. civ. III, n° 343 150 cf. Chao, Rép. Com. Dalloz, 2e éd., V° Navire, n. 93 151 Cass. 3ème civ., 11 juin 1986 : D. 1987, 285, note A. Gourio, Il existe toutefois des exceptions discutables : ainsi, le contrat de construction de maison individuelle est-il obligatoirement conclu par écrit à peine de nullité (CCH, art. L. 231-1). 152 C. civ., art. 1111 : « La violence exercée contre celui qui a contracté l'obligation, est une cause de nullité, encore qu'elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite ». 153 C. civ., art. 1109 « Il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».

Page 37: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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du sauvetage maritime154, dans laquelle un naufragé, en état de nécessité, avait accepté le

marché peu scrupuleux de son sauveteur, en contrepartie de son sauvetage. Accueillant la

demande en nullité de ce contrat fondée sur l’état de dépendance dans lequel se trouvait le

naufragé au moment de la conclusion du contrat, la Cour de cassation consacrait la violence

découlant d’une circonstance, ce qu’on pourrait appeler la violence circonstancielle.

65. À bien y regarder, le contrat en cause résidait sur une obligation de faire, ramener

le naufragé sur terre, en contrepartie d’une rémunération. N’était ce pas là une espèce de

contrats d’entreprise, le contrat de transport, qui de nouveau faisait évoluer les règles

applicables au droit commun des contrats ? Par la suite, confortant cette idée, la jurisprudence

admettait que le contrat passé entre un chirurgien et une personne gravement malade, en état

de nécessité ne pouvait être valable si les honoraires étaient exorbitants155, au point qu’il soit

consentis dans la crainte de la maladie ou de la mort156. Bien qu’on ne le savait pas à ce

moment là, cette confirmation, mettait de nouveau en jeu un contrat d’entreprise, le contrat

médical. Tel a également été le cas entre un "grand infirme dans le besoin" et son avocat157.

L’exploitation abusive d'une situation de détresse, et notamment l’exploitation financière de la

contrainte des événements a donc été admise en tant que vice de violence au moyen du contrat

d’entreprise.

66. Malgré des réticences, celle-ci a été récemment étendue à la contrainte

économique. La Cour de cassation vient de préciser que la contrainte économique se rattache

à la violence et non à la lésion158, qui, en elle-même, est insuffisante à justifier la nullité, la

réduction ou l'allocation de dommages intérêts. Ainsi, dans les rapports entre un concédant et

un concessionnaire, lors du renouvellement d'un contrat à durée déterminée, que ledit

concessionnaire prétendait lui avoir été imposé par abus de force économique contraignante,

un arrêt a été cassé pour n'avoir pas précisé en quoi les agissements du concédant étaient

154 Cass. Req. 27 avril 1887 DP 1888, 1, p. 263 ; Ces principes seront traduits postérieurement dans les lois adoptées en matière de sauvetage maritime : L. 24 avr. 1916. et L. n° 67-545, 7 juill. 1967 155 Ca Rennes, 20 mars 1929, S. 1929, somm. p. 255. 156 T. civ. Seine, 10 févr. 1894 : La loi 1er mai 1894 ; T. civ. Le Havre, 16 janv. 1897 : La loi 13-14 oct. 1897. – Comp. a contrario : T. civ. Seine, 23 févr. 1907 : Gaz. trib. 1907, 1, II, p. 287; T. civ. Seine, 1er avr. 1914 : Gaz. trib. 1914, 1, II, 375 157 Cass. 1ère civ., 3 nov. 1976 : Bull. civ. I, n° 319, client, 158 Cass. 1ère civ., 30 mai 2000, Bull. civ. I, n°169: Dr. et Patrimoine 2000/86, chron. n° 2652, obs. P. Chauvel,; D. 2000, p. 879, note J.-P. Chazal ; D. 2001, p. 1140, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000, p. 827, obs. J. Mestre et B. Fages et p. 863, P.-Y. Gautier, CCC 2000, n° 142, note L. Leveneur

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illégitimes159. En d'autres termes, la contrainte économique, qui résulte notamment d'une

situation de dépendance, ne peut être assimilée au vice de violence, tant que, du moins, on ne

peut la qualifier d'illégitime. L'illégitimité de la contrainte résultera, précisément, de l'abus de

la situation, lequel se traduira par des conditions anormalement onéreuses160

67. La violence, entendue dans son sens économique, s’ajouterait alors à la notion de

cause, d’abus de droit et de bonne foi qui ont déjà démontré leur utilité afin de corriger les

déséquilibres contractuels excessifs. Si certains ont pu mettre en évidence le conflit qui en

résulte entre le droit commun et le droit de la concurrence161, c’est en l’espèce à travers le

contrat d’entreprise que le concept s’est originellement élargi. Sans influencer, elle a tout de

même participé à ce renouveau.

II. L’extension de l’indétermination du prix

68. Le droit positif ne propose pas de définition précise de l’objet du contrat

d’entreprise162. Une étude très récente a mis en avant ces lacunes légales en tentant de le

redéfinir163. Elle a ainsi posé pour postulat que l’objet du contrat d’entreprise pouvait se

définir par la notion de travail spécifique, récemment apparue en jurisprudence. D’origine

prétorienne, cette notion juridique ne constitue aujourd’hui qu’un critère de distinction entre

la vente et l’entreprise. Elle ne répond à aucune définition précise puisque la jurisprudence se

fonde sur un ensemble d’indices. Elle a donc défini cet objet comme « une prestation de

travail spécialement adaptée aux besoins du maître de l’ouvrage qui l’a commande. Ce qui se

caractériserait par une prestation dépourvue d’ « antériorité », au sens ou le droit connaît ce

critère en matière de protection de dessins et modèles. D’autre part, sur une prestation « non

redéployable »164, selon une catégorisation empruntée aux économistes.

159 Cass. com., 20 mai 1980 : Bull. civ. IV, n° 212, cassant CA Paris, 27 sept. 1977 : Gaz. Pal. 1978, 1, jurispr. p. 110, note J. Guyénot ; D. 1978, jurispr. p. 690, note H. Souleau. – V. également dans le même sens, Cass. com., 21 févr. 1995 : Bull. civ. IV, n° 50 ; D. 1995, inf. rap. p. 92. 160 V. Nourissat, La violence économique, vice du consentement, beaucoup de bruit pour rien ? : D. 2000, chron. p. 369 ; Comp. Cass. com., 18 févr. 1997 : Bull. civ. IV, n° 59 ; D. 1998, somm. p. 181, obs. Hallouin ; Bull. Joly 1997, p. 408, obs. J.-J. Daigre. ; V. également, s'agissant d'état de nécessité, Cass. 1ère civ., 24 mai 1989 : Bull. civ. I, n° 212 ; Cass. 1ère civ., 8 déc. 1998 : Bull. civ. I, n° 346. 161 B. Montels, La violence économique, illustration du conflit entre le droit commun des contrats et droit de la concurrence, RTD com. 2002, p. 417, M. Chagny, op. cit. 162 Pour une étude sur l’objet : A.S. Lucas-Puget, Essai sur la notion d’objet du contrat, thèse Dactyl, Nantes, 2004 163 G. Durant-Pasquier, op. cit., 2005 164 G. Durant-Pasquier, op. cit., n° 245

Page 39: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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69. La contrepartie de cette obligation de faire qui résiderait donc dans le travail

spécifique, se trouve dans le paiement du prix par le maître de l’ouvrage. La question du prix

dans le louage d’ouvrage est une illustration manifeste de la force et de l’originalité de ce

contrat. Original de part son caractère fondamental mais non essentiel, il est une force en ce

qu’il a su influencer une partie du droit commun.

70. S’agissant tout d’abord de la place du prix dans le louage d’ouvrage, elle constitue

un des caractères de ce contrat qui est à ce jour discutée165. Le problème résulte encore du

silence du Code civil qui ne prévoit pas expressément le régime du prix. Bien que la règle ne

résulte d'aucun texte, il est pourtant admis par la doctrine majoritaire que le contrat

d'entreprise est par essence un contrat à titre onéreux166 et qu' « il n'existe pas de contrat

d'entreprise gratuit»167. Cette interprétation extensive découle de la définition législative du

louage d’ouvrage168 qui mentionne la rémunération de l’entrepreneur comme élément

essentiel de sa définition. C’est donc le principe d’une rémunération qui est de l’essence du

contrat d’entreprise, de sorte que lorsqu'il a été convenu qu'aucun prix n'est dû, la convention

s'analyse en un « contrat de services gratuits »169, appelé encore convention d'entraide170 ou

convention d'assistance bénévole171.

Minoritaire, une autre partie de la doctrine, se pose néanmoins la question du statut de ces

services gratuits172. Ainsi, le Professeur Huet défend-t-il la nécessité de rattacher cette

catégorie au louage d’ouvrage en se fondant sur l’existence en pratique de services rendus par

des professionnels à titre gratuit173. Au demeurant, ne peut-on pas nuancer cette analyse dans

la mesure où l’on sait que « le prix » dont dispose l’article 1710 ne se manifeste pas

nécessairement sous forme d’argent174. En ce sens, l’octroi d’un service « gratuit » par des

professionnels tels que les banques, est il réellement désintéressé ? La fidélisation et la

165 J. Huet, op. cit., n° 30123 ; Pour un autre caractère discuté, cf. n° 106 et s. sur l’intuitu personae 166 En ce sens : A. Bénabent, op.cit. n° 506, G. Cornu op. cit. p. 385 : « Il est toujours conclu à titre onéreux » ; Mazeaud et de Juglart, T III, 2ème Vol., n° 1343 ; B. Boubli, Rep. Civ. Dalloz. V° Contrat d’entreprise, n° 39 167 Malaurie et Aynès, op. cit. n. 710. 168 L’article 1710 du code civil dispose : « Le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix

convenu entre elles »

� Mazeaud op. cit. n° 1343, Ce qui ne signifie d'ailleurs pas qu'il échappe à toute responsabilité : il répondra de ses fautes dans les termes du droit commun. Mais il faudra

une faute prouvée, celui qui agit à titre gratuit ne contractant pas une obligation de résultat. Cf. Cass. 3ème civ., 20 juin 1972, précité et 31 janv. 1979 : D. 1979, inf. rap. 280

pour un défaut de surveillance de la part d'un architecte

� Malaurie et Aynès, op. cit. n. 759

� Cass. 3ème civ., 20 juin 1972, Bull. civ. III, n° 405

� J. Huet, op. cit. n° 32112

� Ainsi en est-il de la fourniture de renseignements commerciaux par les banques,

� Sous réserve de règles déontologiques propres à certaines professions, l'entrepreneur peut recevoir en paiement soit des biens, soit des services

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séduction de la clientèle ne constituent-elles pas la contrepartie nécessaire au travail

spécifique, objet essentiel du contrat d’entreprise.

71. Le contrat d’entreprise est donc par essence onéreux175, le prix n’en est pourtant

pas une condition de validité. Ceci le distingue du régime de la vente176 qui prévoit

expressément sa détermination en tant que condition de formation du contrat177. Les juges

admettent, en effet, qu’un accord préalable sur le prix n’est pas « un élément essentiel » de la

formation du contrat d’entreprise178 et écarte l’application de l’article 1129 à la détermination

du prix179. Ceux là même se fondent sur la définition du contrat d’entreprise pour considérer

qu’ « un accord préalable sur le montant exact du prix ne constitue pas une condition

essentielle du contrat d’entreprise »180. En ce sens, dans la mesure où l’objet doit être

déterminé ou déterminable, considérer que le prix ne doit pas l’être, revient-il indirectement à

admettre que l’objet de l’obligation du maître de l’ouvrage ne réside pas dans le paiement du

prix ? De ce fait, est ce à dire que l’objet de l’obligation du maître de l’ouvrage ne réside pas

dans le prix? Incidemment, si le prix n’est pas l’objet du maître d’ouvrage, de quoi alors est il

constitué ?

72. À cet égard, la définition de l’article 1710181, sur lequel se fondent les juges182, est

particulièrement ambiguë. Dans la mesure où celui-ci dispose que le prix est la contrepartie de

l’engagement, il apparaît clairement que ce texte est en complète inadéquation avec les

applications qu’en fait la jurisprudence. Ceci pose l’inéluctable question de sa réécriture,

notamment à la lumière de l’avant projet de réforme du droit des obligations. La jurisprudence

est en effet constante en la matière. En ce sens, c’est sur le pragmatisme des tribunaux, que

repose cette solution originale. En outre, sur l’idée qu’il est difficile de prévoir à l’avance, non

seulement le temps de travail nécessaire à la réalisation de l’ouvrage, mais également la

� Du caractère nécessairement onéreux du contrat d'entreprise, il semble découler une présomption lorsque l'accord des parties n'est pas explicite : la mission confiée à un

professionnel serait présumée convenue à titre onéreux, de sorte qu'il incomberait à la partie soutenant sa gratuité d'établir que cette gratuité a été convenue, de simples

relations amicales étant insuffisantes en elles-mêmes ; Lyon 9 fév. 1989 : D. 1989 inf. rap. 181

Cette preuve peut être rapportée soit par le « maître » qui ne veut pas payer de rémunération, soit par l'entrepreneur qui voudrait rejeter la qualification de contrat d'entreprise

pour échapper à la responsabilité présumée qui s'y attache souvent.

� Le principe vaut non seulement pour la vente, mais également pour le contrat de bail, V. par exemple, Cass. 3ème civ. 22 avril 1980, Bull. civ. II, n° 82, le prêt d’argent, V.

par exemple, pour les critères de détermination de l’indemnité de résiliation anticipée Cass. com. 15 décembre 1992, Bull. civ. I, n° 417.

� L’article 1591 du Code civil dispose : « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties »

� Cf. Cass. 1ère civ., 15 juin 1973, Bull. civ. I, n° 202 ; Cass. 3ème civ., 18 janvier 1977, Bull. civ. III, n° 25 : « L’accord préalable sur les coûts des travaux n’est pas un

élément essentiel du contrat de louage d’ouvrage » ; Cass. 1ère civ., 24 nov. 1993, CCC 1994, n° 20, obs. L. Leveneur.

� Cass. 1ère civ., 20 février 1996 ; Bull. civ. I, n° 91, Defrénois 1996. 1432, obs. A. Bénabent

� Cass. com. 31 janvier 2006, pourvoi n° 04 14666

� C. civ., art. 1710 : « Le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles ».

� Cass. com, 31 janvier 2006, op. cit.

Page 41: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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qualité exacte de l’ouvrage qui sera effectivement achevé. Le prix a vocation à être fixé une

fois l’ouvrage achevé, c'est-à-dire lors de la réception des travaux, à une époque où

l’entrepreneur saura exactement le temps qu’il aura consacré et l’acheteur sera à même

d’apprécier la qualité du travail accompli. La règle est donc classique pour le contrat

d'entreprise183.

73. Cette souplesse d’interprétation a pour corollaire une intervention possible du juge,

a posteriori. De fait, si le prix n’est pas déterminé lors de la conclusion du contrat, c’est au

moment de la réception que cet échange a lieu. Comme nous l’avons vu, le juge a un rôle actif

sur la recherche d’un équilibre du prix. Pareillement, en cas de désaccord entre les parties au

moment de la présentation par l’entrepreneur de sa facture, le juge est compétent pour le fixer

en fonction des circonstances. Ce régime découle du fait que, malgré la souplesse qu’on lui

octroie, l’entrepreneur n’a pas de pouvoir unilatéral de fixation du prix. L’intervention du juge

se justifie alors par le fait que le désaccord entre les parties ne peut se solder par une non

conclusion du contrat, celui-ci ayant été partiellement exécuté. Malgré la règle précédente,

les parties sont évidemment libres de convenir à l’avance de la rémunération de l’entrepreneur

en fixant à l’avance un prix forfaitaire.

74. Cette indétermination du prix a longtemps été spécifique au seul louage d’ouvrage,

la rigidité du contrat de vente exerçant son hégémonie sur le reste des applications. Depuis

peu, cette originalité n’est plus isolée à la matière du contrat d’entreprise, le régime de ce

contrat ayant été appliqué à d’autres situations. Aussi, la Cour de cassation a-t-elle opéré son

extension en deux temps. Elle a en premier lieu répandu l’indétermination du prix à tous les

contrats portant sur des services, par une formule particulièrement générale : « dans les

contrats n'engendrant pas une obligation de donner, l'accord préalable sur le montant exact

de la rémunération n'est pas un élément essentiel de la formation de ces contrats »184. Le

contrat d’entreprise, archétype des obligations de faire, a donc influencé tous les contrats

porteurs d’une obligation de faire ou de manière générale les contrats de service. En second

lieu, la Haute juridiction a appliqué le régime de l’entreprise à des contrats dont le lien de

connexité semble de prime à bord plus lointain, les contrats de distribution. Ces conventions

qui revêtent le plus souvent la forme d’un contrat cadre, organisent les rapports entre le

fournisseur et distributeur. Prenant en compte les besoins de la pratique commerciale, la � Cass. 1ère civ., 15 juin 1973, Bull. civ. I, n° 202; Cass. 3ème civ., 18 janv. 1977 : Bull. civ. III, n° 25; Cass. 1ère civ., 4 oct. 1989, Bull. civ. I, n° 301 pour une agence

privée de recherches; Cass. 1ère civ., 19 juin 1990 : Bull. civ. I, n° 170, D. 1991, somm. 317, obs. Aubert : pour les honoraires d'un conseil juridique.

� Cass. com. 29 janv. 1991, Bull. civ. IV, n° 43

Page 42: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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jurisprudence a longtemps entendu avec souplesse l’exigence d’un prix déterminable185. Mais

à partir de 1971, la haute juridiction a déclenché une véritable « chasse à la nullité pour

indétermination du prix » 186, en se fondant sur l’article 1591 du Code civil relatif au contrat

de vente. Afin de remédier aux questionnements que cette jurisprudence a suscités, la Cour a

unifié sa position. Ainsi, par un célèbre arrêt du 1er décembre 1995187, l’Assemblée plénière a

définitivement consacré l’indépendance des contrats cadres par rapport au contrat de vente, en

considérant que le prix n’était plus une condition de validité de ces contrats. L’analyse de

cette jurisprudence met en évidence que le contrat d’entreprise a eu un effet sur l’orientation

de ces décisions. En effet, n’est ce pas en se référant aux dispositions applicables au contrat

d’entreprise que la Cour de cassation a expressément écarté l’application de l’article 1129 ?

C’est en se référant au contrat d’entreprise, que les juges ont consacré l’indétermination du

prix dans les contrats cadres, ce qui illustre le pouvoir grandissant de cette convention.

75. Les contrats se mêlent et s’entrecroisent en permanence188 et l’absence de

détermination préalable du prix l’illustre manifestement. Cette question du prix, transposée à

la théorie générale, doit elle devenir la règle et s’étendre à la vente ? C’est ce que souhaite une

partie de la doctrine dans une perspective de cohérence du droit des contrats189. Cette question

a reçu des approbations diverses en doctrine. Certains considérant que cette solution devait

recevoir « une pleine approbation »190, d’autres restant réservés sur ses fondements191.

Quoiqu’il en soit, force est de constater que le contrat d’entreprise a fait évoluer la question

du prix dans d’autres contrats que le sien, et l’avant projet de réforme des obligations semble,

quant à lui vouloir l’incorporer192 Ceci témoigne manifestement de son emprise et de sa

généralisation sur le droit commun de la formation du contrat. En sorte que, l’entreprise dont

le régime apparaissait original et unique, s’est étendue aux autres contrats, au détriment de la

� Il a ainsi été jugé que la référence au tarif en vigueur au jour de la livraison était suffisante pour que le prix soit considéré comme déterminable ; Cass. Req. 5 février 1934,

Gaz. Pal. 1934. 2. 231

� Cass. com., 27 avril 1971, Bull. civ. IV, n°107, p. 101; 5 novembre 1971, Bull. civ. IV, n°263, p. 245, D. 1972. 353 note J. Ghestin ; au motif que le prix n’était pas

déterminable dès lors u’il n’était pas « établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci »

187 Ass. plén. 1er décembre 1995, 4 arrêts, JCP 96, II, 22565, note J. Ghestin ; TRD civ. 1996, n° 9, p. 153, obs. J. Mestre 188 P.-Y. Gautier, art., op. cit. 189 N. Molfessis, LPA 5 mai 2000 n° spécial, p. 46 ; D. Mazeaud, Les concepts contractuels français, à l’heure des Principes du droit européen des contrats, D. 2003, p. 99 190 J. Ghestin, note JCP 1995.II.22565 ; 191 J. Huet, Critique de la jurisprudence de l’Assemblée plénière sur l’indétermination du prix, in Mélanges Sayag, 1997, p. 311 192 Projet Catala, art. 1121-4 Dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, il peut toutefois être convenu que le prix des prestations offertes par le créancier sera déterminé parcelui-ci lors de chaque fourniture, fût-ce par référence à ses propres tarifs, à charge pour lui, en cas de contestation, d’en justifier le montant à première demande du débiteur faite par écrit avec avis de réception.

Page 43: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

42

vente, exerçant ainsi une véritable concurrence contractuelle193. Par ailleurs, outre la question

du prix et de la violence économique, le louage d’ouvrage a fait émerger des règles jusque là

inconnue du droit en général. Tel est le cas de certaines règles relatives à l’exécution du

contrat, qui ont enrichi considérablement notre commun.

Section II - La consécration de règles relatives à l’exécution du contrat

193 M. De Juglart, op.cit., p. 63

Page 44: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

43

76. L’exécution du contrat d’entreprise est constituée des obligations qui sont à la

charge de chacune des parties. Elles ont pour corollaire un régime de responsabilité particulier

en cas d’inexécution du contrat. L’intensité de ces obligations diffère ainsi selon que ce soit

une obligation de moyens ou de résultat. Or ce concept est relativement récent et c’est de

l’effort des pouvoirs créateurs de la jurisprudence, au travers le contrat d’entreprise, que l’on

doit cette nouvelle distinction (I). L’obligation de sécurité, en témoigne. Son intensité varie en

effet selon qu’elle repose sur une obligation de résultat ou de moyens. Or cette obligation

particulière découle également des juges qui l’ont mise en lumière au début du siècle, dans le

contrat de transport, application particulière du contrat d’entreprise (II).

I. La découverte des obligations de moyens et de résultat194 77. La « fameuse »195 distinction des obligations de moyens et de résultats théorisée

par Demogue196, a été accueillie par la jurisprudence, à travers le contrat d’entreprise dans le

célèbre arrêt Nicolas197 de 1936. Bien qu’il était difficile à cette époque de concevoir le lien

que l’on entretien avec son médecin, comme contractuelle, la jurisprudence l’a consacré au

moyen de cet arrêt considérant, que le médecin qui a pour obligation celle de soigner son

patient, réalise un contrat d’entreprise, et plus précisément un contrat médical. La Cour de

cassation a par ailleurs précisé que le médecin assurait une obligation particulière, en ce qu’il

ne pouvait assurer la guérison de son patient. La Haute cour consacrait ainsi la distinction

entre les obligations de moyens et de résultat, à travers l’application d’un contrat d’entreprise,

le contrat médical.

78. Ainsi, l’obligation de moyens est celle par laquelle le débiteur s’engage seulement

à employer les moyens appropriés dans une tâche à accomplir, à se montrer prudent et diligent

et à faire de son mieux198. L’obligation de résultat, quant à elle, est plus lourde puisque c’est à

un résultat déterminé que le créancier s’engage. Leur distinction réside essentiellement sur le

caractère aléatoire ou non des engagements. Aussi, une obligation qui serait dépourvue de tout

aléa constitue-t-elle une véritable obligation de résultat. Au contraire, l’hypothèse où le

194 J. Frossard, La distinction des obligations de moyens et de résultat, thèse Lyon 1962, n° 292 ; J. Bellissent, Contribution à l’analyse de la distinction des obligations de moyens et de résultat, Coll. Bibl. de Dr. Privé, t. 354, 195 J. Huet, op. cit., n°32003 196 Demogue, Traité des obligations en général, 7 vol., 1923, t. V, n°1237 197 Cass. 1ère civ., 20 mai 1936, D. 1936, 1. 88, concl. Matter, rapp. Josserand 198 Les activités de soins ne font naître qu'une obligation de moyens quant à l'efficacité des soins. C'est vrai pour le médecin, cf. par exemple Cass. 1ère civ., 10 juin 1980, Bull. civ. I, n° 178 ; 28 juin 1989, Bull. civ. I, n° 266, comme pour les infirmiers, cliniques, etc. Il en est de même pour les vétérinaires, Cass. 1ère civ., 10 juill. 1979 : Bull. civ. I, n° 207 ; 31 janv. 1989, Bull. civ. I, n° 56, et les dentistes, Cass. 1ère civ., 24 janv. 1990, Bull. civ. I, n° 25 ; 12 juin 1990 : Bull. civ. I, n° 162. La même solution vaut à l'évidence pour un entraîneur sportif.

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44

débiteur ne serait pas totalement maître de la situation et où, le créancier aurait une

quelconque intervention, est-elle de moyens dans la mesure où l’aléa l’empêcherait de

pouvoir maîtriser complètement l’obligation. L’idée consiste donc à examiner ce que le

débiteur a promis et ce que le créancier peut raisonnablement attendre. La conséquence, quant

à elle se retrouve sur le terrain du régime de la preuve en relation avec le processus

d’exonération.

79. Désormais, cette distinction commande donc le régime de la responsabilité

contractuelle relativement à la preuve de la faute du débiteur et s’ordonne à partir de la

combinaison des articles 1137 et 1147 du Code civil199. Ainsi, lorsque l’obligation est de

moyens, il appartient au créancier de prouver que le débiteur ne s’est pas comporté avec toute

la diligence promise. Lorsque l’obligation est de résultat, le créancier n’a pas à prouver la

faute du débiteur, il lui suffit de prouver que le résultat n’a pas été atteint. L’appréciation de la

faute pourra par ailleurs être conduite de manière plus ou moins sévère, de sorte qu’il n’existe

pas aujourd’hui une seule obligation de moyens ou de résultat. En outre la gamme de ces

obligations peut varier. La jurisprudence a ainsi dégagé des obligations de moyens renforcées

ou aggravées et inversement des obligations de résultats allégées ou aggravés rapprochant

inexorablement ces deux concepts. Les conséquences se retrouvent alors sur l’accroissement

ou non de la responsabilité du débiteur.

80. Le contrat d’entreprise illustre manifestement cette « randonnée périlleuse » 200

entre les obligations de moyens et de résultat, puisque le régime de ce contrat n’est pas

uniforme. Découverte dans ce contrat, le critère n’en demeure pas moins imprécis, est très

incertain comme en témoigne le « désordre jurisprudentiel » qui règne en la matière201.

Certains auteurs le placent dans la précision de la tâche convenue. Si elle est bien déterminée,

il y a alors obligation de résultat202. La mise en œuvre du critère classique de l’aléa permet

donc, à la lumière de la jurisprudence, de dégager une distinction fondée sur la nature de la

prestation203. Pour les prestations intellectuelles, l'obligation est le plus souvent de moyens,

199 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit. n° 552, Sur leur prétendue contradiction apparente : « Tandis que l’article 1137 donne à penser qu’il appartient au créancier de prouver non seulement que le débiteur n’a pas exécuté son obligation, mais encore que s’il en a été ainsi, c’est parce qu’il s’est comporté en « bon père de famille », l’article 1147 ne mettait à la charge du créancier insatisfait que la preuve de l’inexécution ; et c’est au débiteur qu’il appartiendrait sur le terrain de la preuve, de se dégager, en démontrant l’existence d’une cause étrangère » 200 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit. n° 554 201 A. Bénabent, op.cit., n° 548 202 F. Collart Dutilleul et Ph.Delebecque, op. cit., n° 723 203 B. Boubli, op. cit., n° 63, P.H. Antonmattéi et J. Reynard, op. cit., n° 411

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alors qu'elle est le plus souvent de résultat si le travail porte sur une chose204. Toutes les

activités de conseil ne font naître qu'une responsabilité pour faute, le conseil en organisation

d'entreprise ne s'engage pas à faire réaliser des bénéfices, mais à employer des moyens

sérieux pour procéder à l'analyse de l'entreprise205. Il en est de même pour les activités

d'organisation qui ne font aussi naître qu’une simple obligation de moyens, mais qui semble

assez forte dans la mesure où un professionnel compétent doit parvenir à l'organisation

attendue et où sa faute sera ainsi retenue très facilement206. Lorsque le travail porte sur une

chose corporelle, l'obligation de l'entrepreneur est souvent de résultat, lorsqu'il s'agit d'une

tâche courante, qui ne présente pas d'aléa particulier. Ainsi, le garagiste, ou tout autre

réparateur d'engin, qui procède à une réparation est tenu d'une obligation de résultat207 dont il

semble pouvoir se dégager par la preuve de son absence de fautes208. Cette obligation de

résultat emporte qu'il est présumé responsable des pannes survenant après son intervention209

sauf si la panne est très postérieure à cette intervention210.

81. S’agissant enfin des entrepreneurs de construction, pour le domaine qui échappe au

régime particulier des articles 1792 et suivants211, ils sont en général tenus d'une obligation de

résultat. Celle-ci est constamment affirmée à l'égard des sous-traitants auxquels la garantie

légale ne s'applique pas212. En réalité, l'obligation de résultat sert ici à appliquer à

l'entrepreneur une « présomption de faute et une présomption de causalité entre la prestation

fournie et le dommage invoqué »213. Mais, il demeure permis à l'entrepreneur de dégager sa

responsabilité en établissant qu'il a respecté toutes les règles pour effectuer son travail. C'est

en cela que son obligation, même dite de résultat, va moins loin qu'une garantie comme celle

204 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., n° 742, A. Benabent, op. cit. n° 136 205 Cass. 1ère civ., 21 déc. 1964 : JCP G 65, II, 14005; éd. CI, 75690 ; Lyon 23 déc. 1969, JCP G 70, II, 16557 ; RTD civ. 1971, 62, obs. Durry ; Paris 23 janv. 1990, D. 1990, inf. rap. 50 ; T. com. Paris 19 avril 1971, JCP 71, éd. CI, II, 10224 ; Viney, La responsabilité des entreprises prestataires de conseils, JCP 75, I, 2750 206 Il en est tout particulièrement ainsi des agences de voyages, dont la responsabilité est très facilement retenue .Pour le mauvais choix d'un transporteur, V. Cass. 1ère civ., 15 oct. 1974, JCP 75, II, 18071 bis ; Bull. civ. I, n° 264 ; 10 nov. 1971 : D. 1972, 593 ; 15 déc. 1969 : D. 1970, 326, note Couvrat ; pour le défaut de surveillance du transporteur : Cass. 1ère civ., 5 juin 1961 : D. 1961, 340 ; 24 juin 1964, Bull. civ. I, n° 341 ; Gaz. Pal. 1964, 2, 200 ; 23 fév. 1983 : Bull. civ. I, n° 73 ; D. 1983, 481, note Couvrat ; JCP G 83, II, 19967, concl. Gulphe ; Pour le mauvais choix d'un hôtelier : Cass. 1ère civ., 15 déc. 1969, D. 1970, 326, note Couvrat ; 27 oct. 1970 : D. 1971, 449, note Couvrat ; JCP G 71, II, 16624, note Rodière 207 Cass. 1ère civ., 16 fév. 1988 : Bull. civ. I, n° 42; 19 juill. 1988, Bull. civ. I, n° 245 208 Cass. com. 13 mars 1990, Bull. civ. IV, n° 81; Cass. 1ère civ., 22 juin 1983, Bull. civ. I, n° 180 209 Cass. 1ère civ., 22 juin 1983, précité ; Cass. com. 20 mars 1985 : Bull. civ. IV, n° 105 ; 13 mars 1990, précité 210 Cass. 1ère civ., 16 fév. et 19 juill. 1988, précité 211 L’article 1792 du Code civil prévoit expressément une obligation de résultat en matière de construction 212 Cf pour des travaux de couverture et d'étanchéité Cass. 3ème civ., 13 juin 1990, Bull. civ. III, n° 145 ; 23 oct. 1984 : Bull. civ. III, n° 171 ; 24 fév. 1982, Bull. civ. III, n° 54 ; Pour des travaux de maçonnerie Cass. 3ème civ., 13 avril 1988, Bull. civ. III, n° 73 ; Pour des revêtements de sol, Cass. 3ème civ., 29 mai 1984, Bull. civ. III, n° 106 213 Cass. 1ère civ., 16 fév. 1988 : Bull. civ. I, n° 42

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46

édictée par les articles 1792 et suivants pour les constructeurs, car cette garantie ne cède que

devant la force majeure.

82. De manière générale, l'intensité de l'obligation dépend de ce qui a été promis c'est-

à-dire de la volonté des parties. Une analyse en ce sens est effectuée par les tribunaux ce qui

explique la souplesse des solutions. De même si le contrat précise que l'obligation est de

moyens ou de résultats, cette stipulation s'impose au juge avec la force de l'article 1134 du

Code civil. Et même à défaut de stipulation expresse, les juges doivent au premier chef

rechercher la volonté des parties214. Le juge crée en ce sens du contrat, contrat qui aurait été

omis par les parties. Le juge crée également de la norme, puisque découverte par lui, elle tend

à être introduite dans la loi. Le projet Catala prévoit en effet de consacrer cette distinction et

de redéfinir ces notions215. Le destin des obligations de moyens et de résultats suit en ce sens

celui de l’obligation de sécurité.

II. La découverte de l’obligation de sécurité

83. Variété de louage, le contrat de transport216 a fait évoluer le droit commun en

découvrant une obligation particulièrement essentielle de notre siècle, la sécurité. L’obligation

de sécurité est donc une pure création jurisprudentielle.

84. En effet, c’est par une interprétation libérale et créatrice de la jurisprudence, que la

notion d’obligation de sécurité est apparue pour la première fois en matière de transport217

dans l’arrêt Compagnie Générale Transatlantique du 21 novembre 1911218. Depuis, la

jurisprudence a beaucoup évolué, et l’obligation de sécurité s’est étendue à tous les contrats

dans lesquels la crainte de l’accident est, ne serait-ce qu’implicitement, dans le champ

contractuel. C’est en ce sens que, l’obligation de sécurité s’est « dispersée »219 dans le droit

214 Ainsi, ne peut-on retenir la responsabilité d'un entrepreneur chargé de déboucher les canalisations sans rechercher s'il avait promis le résultat, Cass. 3ème civ., 24 juin 1987, Bull. civ. III, n° 133, Inversement, une société de conseil, normalement tenue de simples moyens, peut répondre du résultat s'il résulte de l'analyse des circonstances que c'est la direction effective des opérations de démolition des bâtiments qui lui avait été confiée, Cass. 1ère civ., 8 janv. 1985, Bull. civ. I, n° 12, Mais, la jurisprudence s'appuie sur le devoir de conseil de l'entrepreneur pour refuser à cette intervention un effet exonératoire, sauf lorsque le client est suffisamment compétent ou lorsque, dûment mis en garde, il a persisté dans ses décisions. 215 Projet Catala, art. 1149 : « L’obligation est dite de résultat lorsque le débiteur est tenu, sauf cas de force majeure, de procurer au créancier la satisfaction promise, de telle sorte que, ce cas excepté, sa responsabilité est engagée du seul fait qu’il n’a pas réussi à atteindre le but fixé. L’obligation est dite de moyens lorsque le débiteur est seulement tenu d’apporter les soins et diligences normalement nécessaires pour atteindre un certain but, de telle sorte que sa responsabilité est subordonnée à la preuve qu’il a manqué de prudence ou de diligence ». 216 Sur le régime du contrat de transport en tant que contrat spécifique au contrat d’entreprise, cf. n° 173 et s. 217 J.L. Halpérin, La naissance de l’obligation de sécurité, Gaz. Pal., 1997, 1176 218 Cass. Civ., 21 novembre 1911, S. 1912.1.173, note Ch. Lyon Caen DP 1913.1.249. note L. Sarrut 219 P. Delebecque, La dispersion des obligations de sécurité dans les contrats spéciaux, Gaz.Pal. , 1997, 1184

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positif, puisqu’elle reçoit des applications dans la plupart des contrats. Cette dispersion s’est

tout d’abord exprimée dans les sources légales. C’est ainsi que le Code pénal220, le Code du

travail et le Code de la consommation sont aujourd’hui emprunts de sécurité. Celle-ci s’est

également dispersée dans tous les contrats.

85. A cet égard, l’obligation de sécurité est sans doute la première illustration de ce

phénomène aujourd’hui bien connu de renforcement jurisprudentiel du contenu du contrat, ce

que Josserand nommait le « forçage du contrat »221. Le fondement contractuel de cette

obligation222 a d’abord été justifié par un rattachement aux volontés contractuelles. En ce

sens, elle est la meilleure manifestation de ces suites dont dispose l’article 1135 du Code

civil223 et que les tribunaux intègrent dans certains contrats sans que les parties ne les aient

prévues. C’est en effet en interprétant les volontés probables des parties que l’obligation de

sécurité a été rattachée au contrat224. Cette solution trouve aujourd'hui une assise légale dans

la loi de 1983 ainsi conçu : « les produits et les services doivent, dans des conditions

d'utilisation normales ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le

professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter

atteinte à la santé des personnes »225. Ce texte donne un fondement légal à l’obligation de

sécurité226 et la loi du 19 mai 1998227 relative à la responsabilité du fait des produits

défectueux a renforcé cette obligation.

86. Concernant son application au contrat d’entreprise, bien que les hypothèses les

plus fréquentes sont mises en œuvre lorsque le contrat porte sur une chose, l’entrepreneur est

également tenu de cette obligation lorsque le contrat porte sur un service. Le principe d'une

obligation de sécurité à la charge de l'entrepreneur est admis notamment lorsque le contrat

porte sur une prestation offerte aux clients dans des locaux dont l'entrepreneur a la maîtrise et

qu'il doit donc aménager afin de sauvegarder la sécurité de ses clients. Mais, elle ne se

restreint pas à ce cas d'application le plus fréquent et concerne également le travail qui

220 Article L. 223-1 Code pénal, L. 233-1 Code du travail, L. 221-1 Code de la consommation sont autant de textes qui sanctionnent la violation de l’obligation de sécurité. 221 L. Josserand, Le contrat dirigé, D. 1933, chron. p. 89 222 P. Jourdain, Le fondement de l’obligation de sécurité, Gaz. Pal., 1997, 1196 223 C. civ., art. 1135 : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ». 224 Pour l’exposé de cette doctrine, V. J. Ghestin, La formation du contrat, 3ème ed. n° 36 225 L. n° 83-660 du 21 juillet 1983, art. 1 226 D’autres textes plus particuliers fondent également cette obligation, v. L n° 98-146 du 6 mars 1998 relative à la sécurité et à la promotion d’activités sportives. 227 L. n° 98-389 du 19 mai 1998, C. civ. art 1386 et s.

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s'applique à une chose228. Par ailleurs, lorsque le contrat ne porte pas sur une chose, cette

obligation demeure de manière extraordinaire. C’est ainsi, sur le fondement de l’obligation de

sécurité, que l’on a considéré qu’un coiffeur était responsable des brûlures au visage de sa

cliente, brûlures venant de flammes provoquées par le contact entre les cigarettes qu’elle avait

tenté d’allumer et le coton imbibé de produits posés sur ses cheveux229. Dans le même esprit,

on a retenu la responsabilité de l’organisateur d’un stage d’alpinisme qui avait choisi un

premier de cordée imprudent230. Pour les contrats portant sur la réalisation d’un ouvrage,

l’obligation de sécurité oblige le prestataire à réparer les dommages pouvant être causés au

maître, et résultant d’un vice des travaux qu’il a réalisés. Mais les règles de l’obligation de

sécurité ne s’appliquent qu’à partir du moment où le maître de l’ouvrage a réceptionné les

travaux231. La jurisprudence a précisé en effet, que « l’obligation de réparer […] ne comporte

pas en elle-même une obligation de sécurité »232 . Ainsi, il semblerait que la jurisprudence

tende à introduire une distinction selon le moment d’apparition du dommage233. Toutefois, la

solution ne semble pas fermement acquise dans la mesure où certaines décisions de justice

paraissent opter pour la responsabilité contractuelle234. Dès lors, même si l’entrepreneur reste

responsable des dommages susceptibles d’être subis par son cocontractant dans la phase de

réalisation des travaux, la réparation ne peut intervenir qu’en application des règles de la

responsabilité civile délictuelle235. L’obligation de sécurité peut être de moyens ou de résultat.

L’intensité de cette obligation dépend en réalité du rôle actif ou passif du créancier. De

manière générale, l’obligation est de résultat lorsque le créancier ne peut rien faire et de

moyens s’il peut agir, et risque par lui-même de mettre sa vie en danger.

87. Par ailleurs, intégrée dans le contrat, cette obligation est certainement impérative,

mais n’échappe pas pour autant à toute définition contractuelle, car elle ne joue que dans « les

228 Pour l'installation d'un chauffe-eau : Cass. 1ère civ., 29 nov. 1961 : Bull. civ. I, n° 561 ; Cf. Rodière, JCP G 57, I, 9752 ; Cass. 1ère civ., 20 mars 1989, Bull., I, n° 137 : « le vendeur professionnel était tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ». La haute juridiction avait ainsi admis le principe d’une responsabilité du vendeur professionnel pour les défauts de sécurité affectant ses produits. 229 CA Aix, 25 sept. 1985, Bull. Aix, n° 132 230 Cass. 1ère civ., 10 mars 1992, Bull. civ., I, n°80 ; égal. S’agissant d’un restaurateur à la suite de la noyade d’un jeune enfant dans la piscine, à usage privé, de la maison, Cass. 1ère civ., 14 mars 1995, Bull. civ., I, n°129 ; On relèvera que la jurisprudence admet l’existence d’une obligation de sécurité lorsqu’un animal est en cause, Cass. 1ère civ., 13 décembre 1988, Bull. civ., n° 359, à propos d’un contrat d’entraînement de cheval. 231 Sur cette obligation du maître de l’ouvrage cf. Partie II 232 Cass. 3ème civ., 27 nov. 1970, Bull. civ. III, n° 653, RTD Civ. 1971.864, obs. G. Durry, dans une espèce où un incendie avait détruit un immeuble appartenant au maître pendant que l’entrepreneur effectuait des travaux dans un immeuble différent. 233 D. Gibirila, Louages d’ouvrages et d’industrie : Contrat d’entreprise, J.-Cl Civil, 2002, fascicule 40 234 Cass. 3ème civ., 9 oct. 1990, Bull civ. III, n° 234; Cass. 2ème civ., 26 mai 1992, Bull. civ. II, n° 154 ; J. Fousserau, Le « clair obscur » de la responsabilité des constructeurs, D. 1977, chron. p. 13 235 Article 1384 al 1 du Code civil

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conditions normales d’utilisation ». Or, rien ne s’oppose à ce que ces conditions soient

déterminées par les parties elles-mêmes. Enfin, d'une manière générale, la jurisprudence

récente tend à prolonger l'obligation principale de l'entrepreneur par ce qu'elle dénomme une

obligation de prudence. En réalité, cela revient à souligner l'étendue de la correcte exécution

attendue de l'entrepreneur236. C'est dans le même esprit que la jurisprudence complète la tâche

principale de l'entrepreneur par une obligation de surveillance dans certains cas237.

88. L’extension de l’indétermination du prix aux contrats cadres, la récente évolution

de la violence économique, la distinction des obligations de moyens et de résultats et

l’obligation de sécurité sont autant de concepts, dégagés à travers le contrat d’entreprise, qui

illustrent, d’une part le gigantisme de ce contrat et d’autre part, l’acquisition par la Cour de

cassation d’un réel pouvoir créateur238. Dans le même sens, c’est encore dans le domaine du

louage d’ouvrage que la notion de clause abusive a pu trouver un nouveau souffle en

jurisprudence239 déclarant qu’il appartient au juge de décider de son propre chef et en dehors

de toute habilitation législative si les stipulations d’un contrat présentent un tel caractère.

Outre la jurisprudence, c’est le législateur tant critiqué du fait de son inertie, qui a su faire

œuvre créatrice dans le domaine, en octroyant au contrat d’entreprise des concepts et figures

juridiques originales, ce qui participe de l’influence de ce contrat sur le droit en général.

236 Ainsi, l'école de montagne doit fournir aux clients un moniteur expérimenté : Cass. 1ère civ., 8 mai 1967 : Bull. civ. I, n° 159 ; L'entrepreneur doit indemniser le client auquel il a fourni à titre onéreux un personnel intérimaire ayant commis des malversations : Cass. 1ère civ., 4 janv. 1974 : Bull. civ. I, n° 6 ; 2 mai 1989, Bull. civ. I, n° 178 ; 26 fév. 1991 : Bull. civ. I, n° 77 ; D. 1991, 605, note Laployade Deschamps 237 Ainsi pour le médecin chez qui le patient doit enlever un bijou : Cass. 1ère civ., 22 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 330 ou pour l'hôtelier quant au véhicule de son client ; Cass. 1ère civ., 18 janv. 1989, Bull. civ. I, n° 20 238 Conférence prononcée le 29 novembre 1990 au Palais de justice de Paris lors de la célébration du bicentenaire de la Cour de cassation, sous le titre « le rôle créateur de la Cour de cassation »,. Dans le sens contraire cf. B. Oppetit, op. cit., p. 65, qui y préfère la qualification du « mouvement de créativité de la Cour de cassation » 239 Cass. 1ère civ., 14 mai 1991, D. 1991.449, note. J. Ghestin, JCP 1991.II.21763, note G. Paisant, il s’agissait de l’efficacité d’une exonération de responsabilité à raison de la perte de films photographiques, confiés à un professionnel pour leur développement.

Page 51: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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Chapitre 2 : La consécration légale de nouvelles règles de droit spécial

89. Le contrat d’entreprise est un contrat spécial, il dispose à ce titre de règles

particulières qui se distinguent de celles applicables aux autres contrats. C’est aussi, un

contrat très original, à travers lequel se dégagent des règles tout aussi inusitées. On peut à ce

titre parler de mécanismes, tant l’originalité qui en découle augure d’un processus étalé dans

le temps. Ces règles spéciales n’ont pourtant pas été sans incidences sur le reste du droit.

Ainsi en est-il des mécanismes véritablement propres au contrat d’entreprise tels que le devis

ou l’essai, initialement prévus dans les marchés publics et qui ont été étendus (Section I).

Ainsi, en est-il par ailleurs, de certains mécanismes mettant en jeu une pluralité de

prestataires, qui ont influencé le droit commun, par le biais des interprétations toujours

saisissantes de la jurisprudence (Section II).

Section I- Les mécanismes propres au contrat d’entreprise

Section II - Les mécanismes propres à une pluralité de prestataires

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Section I - Les mécanismes propres au contrat d’entreprise

90. Le contrat d’entreprise dispose d’une panoplie de règles particulières qui aliment

l’originalité de ce contrat. En témoignent, certains mécanismes de formation du contrat (I),

mais également ceux ayant trait à la conclusion du contrat (II).

I. Les mécanismes de formation 91. Le louage d'ouvrage est un contrat consensuel qui se forme par le simple échange

de consentements des parties sur le travail à exécuter, c'est-à-dire, le plus naturellement par la

rencontre d’une offre et d’une acceptation. Toutefois dans l’hypothèse où ce contrat porterait

sur des enjeux considérables, le consentement se matérialise rarement par un simple

« oui »240. Ainsi la phase précontractuelle du contrat d’entreprise est très riche et a pu donner

lieu à des pratiques originales, comme celles du devis ou de l’essai. Elle est également à

l’origine de procédures particulières, comme celles de l’appel d’offres ou de l’adjudication,

au demeurant « si bien rôdées qu’elle finissent par gagner de très nombreuses situations

contractuelles »241.

92. Aussi, la pratique du devis est-elle originairement spécifique au contrat

d’entreprise et notamment au contrat de construction de bâtiment. Aujourd’hui, elle s’est

élargie et n’est plus propre à ce domaine. Elle vaut, en effet, pour tous les travaux que se

propose de faire un entrepreneur242, le plus souvent lorsque le travail porte sur un ouvrage

complexe. Bien que l'établissement d'un devis estimatif ne soit pas une condition

nécessaire243, le consensualisme dominant ce contrat244, celui-ci est particulièrement utile

dans la phase des pourparlers. Les devis ou projets sont alors destinés à préciser la nature, les

modalités et le prix du travail à accomplir afin que le maître de l'ouvrage rassemble les

éléments nécessaires pour apprécier l'opportunité de traiter.

93. C’est la nature juridique des pourparlers qui a souvent posé problème. Celle-ci

dépend en effet, des circonstances et est loin d’être unitaire. En principe, ces projets ont un

caractère préparatoire de sorte qu’ils ne lient pas le client à défaut de stipulation contraire 240 Ph. Delebecque, op. cit., p. 27 241 Ph. Delebecque, op. cit., p. 28 242 Ainsi en est-il en matière de prothèses dentaires chaque fois que les travaux s’avèrent important. 243 Cass. civ. 23 oct. 1945 : JCP 46, éd. J P, IV, 448 ; Gaz. Pal. 1945, 2, 187 ; D. 1946, 19 ; Cass. 3ème civ., 18 juin 1970, D. 1970, 674 244 Cass. 3ème civ., 8 oct. 1974, Bull. civ. III, n° 343

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précise. Le devis s’analyse, en ce sens, comme une offre de contracter, voire une promesse

unilatérale de contrat.245. De la sorte, l'entrepreneur ne peut prétendre à une quelconque

rémunération pour les estimations effectuées246. Toutefois, il est difficile de généraliser cette

solution, car tout dépend de l’intention des parties et des usages des professions. Au contraire,

le devis peut donc être analysé comme une simple contre-proposition sans portée juridique

faute de contenir les éléments nécessaires au contrat projeté. Il peut également être considéré

comme un banal accord de principe obligeant son auteur, non à contracter, mais à poursuivre

de bonne foi les pourparlers engagés.

94. La question sous-jacente à la précédente réside dans la rémunération obligatoire ou

non de l’auteur du devis.

Bien qu’on ne saurait l’admettre lorsque c’est l’entrepreneur qui sollicite le maître d’ouvrage,

puisqu’on considère alors qu’il le fait à ses risques et périls247, la question est plus délicate

lorsque c’est le client qui sollicite l’entrepreneur. Ainsi, si les études demandées constituent

une véritable œuvre de l’esprit matérialisant en elles-mêmes une opération contractuelle, la

jurisprudence considère qu’elles doivent entraîner rétribution. Dans le cas contraire, les

usages, l’intention des parties, les termes utilisés dicteront la solution. En ce sens, la rupture

des pourparlers, en matière d’entreprise, peut être fautive. C'est le cas lorsque le maître

d'ouvrage demande abusivement des devis sans intention sérieuse d'exécuter les travaux ou si

des négociations importantes sont rompues brutalement sur simple coup de téléphone248. La

pratique du devis est une spécificité de l’entreprise, qui manifeste son originalité. L’essai

participe également de cette tendance spéciale.

95. En effet, de même qu’il existe des ventes à l’essai, il existe des contrats

d’entreprise à l’essai. C’est ainsi que le client essaye, la plupart du temps, son costume chez

son tailleur avant d’en prendre réception. Le plus souvent prévus par les parties dans leur

245 Malaurie et Aynès, op. cit. n° 703 246 Cass. civ. 22 oct. 1894 : DP 95, 1, 252 ; Cass. com. 30 nov. 1971 : D. 1972, 209 ; V. aussi Cass. com. 20 mars 1972, JCP G 73, II, 17543, note Schmidt ; Cass. 3ème civ., 6 mars 1973, Bull. civ. III, n° 163 247 La règle selon laquelle les projets ne lient pas les parties ne s'applique pas lorsque le travail porte précisément sur l'établissement des plans et projets. C'est ainsi que l'architecte a droit au paiement d'honoraires pour les plans qu'il a établis, même s'ils sont inexécutés par le maître. Cette règle se justifie par la mission de l'architecte qui consiste essentiellement à concevoir l'ouvrage, création qui se matérialise par les plans ; Mazeaud, op. cit. n° 1342 ; CE 10 juill. 1970 : Rec. Cons. d'Et. p. 495 ; 12 déc. 1973, Rec. Cons. d'Et., Tables p. 1032 ; 6 avril 1973 : Rec. Cons. d'Et., Tables, p. 1034 ; Cass. 1ère civ., 7 fév. 1966, Bull. civ. I, n° 89 ; Cass. 3ème civ., 16 janv. et 9 avril 1985 : Rev. dr. imm. 1985, 255 et 374 A plus forte raison, la solution est-elle la même lorsque l'entrepreneur a, de lui-même, établi les plans , T. civ. Saint-Nazaire 8 juin 1954 : Gaz. Pal. 1954, 2, 47, 248 Pau 14 janv. 1969, D. 1969, 716 ; RTD civ. 1970, 358, obs. Durry ; V. aussi Cass. com. 20 mars 1972, précité, et plus récemment, Cass. com. 26 novembre 2003, RTD civ. 2004. 80, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2004. 257, obs. D. Mazeaud

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convention, ces essais peuvent aussi résulter de la nature de l’opération en cause et plus

exactement des usages qu’ils peuvent l’entourer. A ce titre, la pratique de l’essai est vue par

certains comme fragilisant le contrat dans la mesure où celui-ci n’est définitivement conclu

qu’une fois l’essai jugé satisfaisant249. Cet essai peut s’analyser en contrat conclu sous

condition résolutoire, d’un essai jugé non satisfaisant, lorsque le maître de l’ouvrage a au

cours de l’essai tous les pouvoirs. Toutefois cette situation n’est pas la plus fréquente car les

essais sont le plus souvent de concert entre l’entrepreneur et son client.

96. L’analyse est différente lorsque l’essai forme la matière de l’engagement, comme

c’est le cas de l’essai d’un prototype. Alors, les clauses du contrat répartissent avec précision

les responsabilités éventuelles des parties après une délimitation de leurs obligations. On

stipule alors qu’ « en cas d’accident ou incident au cours des travaux, chacune des parties

gardera à la charge les frais résultant des dommages occasionnés à son matériel ou à son

personnel »250. Au regard de cette pratique, le Professeur Delebecque a mis en évidence « la

contractualisation de l’égoïsme »251 qui se manifeste à travers cet exemple, car le contrat

d’essai, en tant que contrat d’entreprise n’est pas un contrat d’intérêt commun ni un contrat de

collaboration comme peut l’être le contrat de société ou le contrat d’affrètement.

97. Enfin, les procédures d’appels d’offre sont obligatoires en présence d’un marché

public. Certains maîtres d’ouvrage s’en inspirent pourtant, ce qui constitue parfois de

véritables promesses unilatérales.

L’influence du droit des marchés publics sur les techniques civilistes et plus précisément sur

le mécanisme de formation du contrat se manifeste ici, d’une part à travers la pratique et

d’autre part, par la loi. L’appel d’offres est annoncé par voie de publicité et les soumissions

qui sont adressées en réponse s’analysent en des offres de contracter. Celles-ci sont ensuite

discutées dans des séances non publiques et la plus intéressante d’entre elles est retenue par

l’administration, selon les critères qu’elle détermine librement (prix, coût, utilisation, valeur

technique..). On observera que les contrats visés par le code des marchés publics, s’ils sont

pour l’essentiel des contrats d’entreprise, ne sont pas nécessairement des contrats

administratifs. En outre rien ne s’oppose à ce que des personnes privées utilisent des

249 Ph. Delebecque, op. cit., p. 29 250 Par ex.: Cass. Com. 19 janvier 1976, RTD civ. 1976, p. 796 251 Ph. Delebecque, op. cit., p. 29

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techniques du Code des marchés publics, au besoin en les assouplissant sur tel ou tel point252.

C’est la raison pour laquelle, ils sont évoqués ici pour illustrer l’originalité du contrat

d’entreprise253.

98. Ces différents mécanismes de formation du contrat d’entreprise sont des règles

légales qui présupposent l’originalité de contrat spécial. Cette spécificité se manifeste

également au moment de l’extinction de ce contrat.

II. Les mécanismes d’extinction

99. Le contrat d’entreprise prend normalement fin par l’exécution des obligations de

l’entrepreneur et du maître. Il devient caduc en cas de perte de la chose non imputable à

l’entrepreneur. Il peut également être anéanti par sa résolution dans les conditions du droit

commun ou être résilié unilatéralement par le consommateur en cas de dépassement du délai

d’exécution supérieur à sept jours, sauf si le retard est dû à un événement de force majeure254.

La résolution ou la résiliation pour inexécution du contrat d’entreprise obéissent aux règles du

droit commun de l'article 1184 du Code civil255. Toutefois, ce contrat prend également fin

dans deux hypothèses qui lui sont particulières, l’une tenant à la mort de l’entrepreneur,

l’autre, à la faculté de résiliation unilatérale qui irrigue les marchés à forfait. Ceci illustre de

nouveau, l’originalité manifeste de ce contrat.

100. Des règles spéciales spécifiques aux marchés à forfait existent donc. Dans ces

marchés, l’article 1794 du Code civil prévoit que « le maître peut résilier, par simple volonté,

le marché, quoique l’ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l’entrepreneur de toutes

252 Ainsi lorsque la banque mondiale accepte de financer un projet d’une certaine envergure, la construction d’un pont par exemple, l’emprunteur, le maître d’ouvrage, doit se plier à des instructions très détaillées et qui sont directement inspirées du Code des marchés publics, Rappr. Directives Passations des Marchés Financés par les Prêts de la BIRD et les crédits de l’IDZ, ed. Banque mondiale, Washington, 1985 253 En ce sens, des textes ayant répondu à des directives communautaires essayent de soumettre la plupart des marchés importants, de droit privé ou de doit public, à ces règles de publicité et d’égalité. Tel est l’objectif de la loi du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marché et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence. L’efficacité de ces mesures a été renforcée par une action préventive, dit du « référé précontractuel » (loi du 4 janvier 1992). Le décret du 7 septembre 1992 (art. 1441-1 NCPC) ayant complété le dispositif. 254 C. conso., art. L. 114-1 : Il faut souligner ici le jeu de l’article 3-I alinéas 2 et 3 de la loi du 18 janvier 1992 dans les contrats conclus avec un consommateur : celui-ci peut résilier unilatéralement le contrat si le délai d'exécution de la prestation de services excède de plus de sept jours (hors force majeure) la date indiquée à condition que la prestation ne soit pas exécutée avant réception de la lettre et que celle-ci soit envoyée dans les soixante jours. 255 C. civ., art 1184 : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances »

Page 56: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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les dépenses, de ses travaux, et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise ». Il

s’agit là d’une règle tout à fait exceptionnelle et dérogatoire au droit commun destinée à

protéger le maître de l’ouvrage dans le cadre d’un marché à forfait dont il ne souhaite plus la

complète exécution. Il est alors préférable de lui permettre d’y mettre un terme tout en

obligeant à indemniser l’entrepreneur non seulement des travaux effectués et des dépenses

engagées, mais également des gains manqués lesquels incluent certainement des profits qu’il

aurait réalisés s’il avait pu exécuter le marché jusqu’au bout256. On peut toutefois se demander

pourquoi pareille faculté n’est pas reconnu a fortiori dans les marchés sans prix déterminés

dès lors que l’évolution des travaux peut selon les circonstances, rendre préférable la rupture

prématurée. La règle mériterait, selon certains, d’être généralisée à l’ensemble des contrats

d’entreprise257.

101. L’initiative de la rupture est discrétionnaire, le maître n’ayant pas à en fournir les

raisons, sous la réserve classique de l’abus de droit. Elle peut intervenir à tout moment, avant

le commencement des travaux ou en cours d’exécution, mais ne peut plus en revanche

intervenir une fois les travaux terminés. Par ailleurs cette faculté n’est pas cantonnée aux

marchés à forfait de construction mais s’étend à toute opération d’entreprise, même mobilière,

conclue à forfait. Elle ne saurait en revanche être invoquée contre le droit moral de l’auteur, à

supposer une œuvre littéraire ou artistique commandée, le client ne peut plus rompre

unilatéralement le contrat258.

102. Ce faisant, le contrat d’entreprise connaît une seconde règle tout à fait originale

qui découle de l’article 1795 du Code civil259. Ce texte, qui fonde l’intuitu personae du

contrat d’entreprise, prévoit en effet, que le décès de l’entrepreneur emporte la caducité260 du

contrat. Ses héritiers sont alors tenus de payer la valeur des ouvrages faits et celle des

matériaux préparés lorsque ces travaux peuvent être utiles261. Mais, ce texte n’étant pas

d’ordre public, il n’est pas exclu que la convention y déroge expressément et il convient de

l’écarter lorsque le contrat n’est pas suffisamment intuitu personae. On a pu souligner que

256 J. Huet, op. cit., n° 32368 257 Pour la proposition d’une unification de la rupture du contrat : S. Le Gac-Pech, Rompre son contrat, RTD civ. 2005, p. 223 et s. 258 Cass. 1ère civ., 16 mars 1983, Bull. civ. I, n° 101, à propos d’une œuvre monumentale commandée par la régie Renault à Dubuffet et destinée à décorer son siège social ; Cf. J.-Cl. Civil Code, Art. 1788 à 1794, Fasc. 2 259C. civ., art. 1795 « Le contrat de louage d'ouvrage est dissous par la mort de l'ouvrier, de l'architecte ou entrepreneur » 260 La caducité, se dit d’un acte valablement formé mais qui tombe sans valeur sous le coup d’un évènement ultérieur : Cornu, op. cit., p. 126 261 C. civ., art. 1596

Page 57: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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cette règle n'était que l'application du droit commun des contrats conclus intuitu personae262,

ce qui apporterait une limite à la règle dès lors que le contrat ne comporterait pas d'intuitus

personae263.

103. Si l'entrepreneur est une personne morale, la règle précitée se transpose au cas de

liquidation. Le redressement ou la liquidation judiciaire de l'entrepreneur, qu'il s'agisse d'une

personne physique ou morale, peuvent pareillement mettre fin au contrat. Cependant, si

l'entreprise peut en poursuivre l'exécution, l'administrateur pourra imposer cette poursuite au

maître de l'ouvrage264 nonobstant l'intuitus personae, car c'est cette poursuite qui ne concerne

que la période d'observation durant laquelle c'est la même personne qui subsiste sous

administration judiciaire265.

104. L’intuitu personae, commande donc cette règle originale d’extinction du contrat

d’entreprise qui ne se confond pas avec celle des contrats à durée indéterminée qui a été

constitutionnalisée266. Le caractère intuitu personae joue également dans d’autres

circonstances. Ainsi, en est-il d’un autre mécanisme tout à fait propre au contrat d’entreprise,

la sous-traitance.

262 Mazeaud, op. cit. n° 1357. 263 Malaurie et Aynès, op. cit. n. 780. 264 En vertu de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985. 265 Cf. Derrida, Sortais et Gode, Redressement et liquidation judiciaire, 3e éd. Dalloz 1991, n° 398. Ce sera le cas par exemple pour des contrats d'entretien, de maintenance, de gardiennage, etc. 266 Cons. Const. 9 nov. 1999, JO 16 nov. 1999, p. 1692.

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Section II - Les mécanismes propres à une pluralité de prestataires

105. Le contrat d’entreprise est l’une des conventions dont il est usuel de souligner le

caractère intuitu personae267. Cette prise en considération de la personne n’est pourtant pas

générale et varie selon ses applications concrètes. On conçoit, en effet, qu’elle soit forte dans

le contrat médical, et moindre dans une prestation de réparation. La question qui en découle,

est celle de savoir si l'entrepreneur doit exécuter lui-même la prestation ou bien s’il peut la

faire exécuter par des collaborateurs ou des sous-traitants. La réponse varie selon le degré

d'intuitus personae qui marque le contrat (I), et est, en tout état de cause, soumise à des

conditions (II).

I. Une exécution plurale impossible dans les contrats intuitu personae268

106. Il y a exécution plurale dans deux sortes de situation la cotraitance269 ou la sous-

traitance. Ils présentent, certes, des points communs car tous deux sont des formes

d'organisation contractuelle de l'exécution par plusieurs personnes d'une même opération,

mais ils se distinguent en ce que dans le premier cas, la pluralité est verticale et dans le

second, celle-ci est horizontale.

107. Dans le premier cas, il s’agit de la situation où le maître de l’ouvrage fait appel à

plusieurs prestataires pour qu’il réalise ensemble la prestation270. Elle intervient notamment

dans les cas où celle-ci présente une certaine complexité, et si elle implique des compétences

provenant de disciplines différentes. Il s’agit là d’un régime de coopération né de la pratique.

Le client passe des contrats distincts avec divers entrepreneurs qui vont concourir à la

réalisation de la tâche à mener à bien et celle de la sous-traitance, où l’entrepreneur chargé du

travail convenu fait appel à d’autres prestataires qui vont y collaborer, sous sa responsabilité.

Il en va ainsi en matière de construction immobilière, d’implantation d’unité industrielle ou

de fourniture de système informatique par exemples. Si la cotraitance est quasiment ignorée

267 En ce sens, V. G. Cornu, p. 382 : « On peut poser en principe que le contrat d’entreprise est conclu intuitu personae ». Ph. Le Tourneau, Contrat « intuitu personae », Fasc. 200, spéc. N° 52, n° 71 et 95 268 Intuitu personae : considération de la personne : Etymologie : tueor, eri = regarder ; intueor = regarder attentivement ; Lorsque l’entrepreneur n’est pas choisi à raison de ses qualités personnelles mais plutôt à celle de son entreprise, on parle d’intuitu firmae. Ils s’opposent à l’intuitu pecunia, expression signifiant que, dans un contrat (ex. : société de capitaux), la considération du capital apportée est plus importante que la qualité de la personne qui l'apporte. 269 L. Tranchant, La co-traitance, PUAM, 2004 270 Et comme quoi, si l’un des intervenants a lieu, en vertu de la compétence qui lui est propre, de donner des informations techniques à un autre, il est en faute de ne pas le faire et engage sa responsabilité à l’égard du bénéficiaire de la prestation en cas de mauvaise qualité du travail réalise, V. Civ. 3ème, 6 décembre 1983, Bull. civ. III, n°339, réparation d’un groupe électrogène.

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de nombreux juristes, méconnue par les textes, et ne fait l’objet que de rares décisions

jurisprudentielles, tel n’est pas le cas de la sous-traitance qui est aujourd’hui bien connue du

droit positif.

108. Dans le cas de la sous-traitance, l’entrepreneur principal confie à un tiers, le sous-

traitant, la réalisation de tout ou partie du marché principal conclu avec le maître de l’ouvrage.

A cet égard, en dehors des marchés publics, où le droit de sous-traiter est reconnu en tant que

principe271, l'entrepreneur ne dispose pas d'un droit acquis à la sous-traitance, l'article 1237 du

Code civil s'y oppose272. La sous-traitance n'est pas un mode normal d'exécution du contrat.

Cependant, il en va autrement soit lorsque le contrat l'a prévu, soit lorsque la nature et

l'importance des travaux impliquent nécessairement ce recours à la sous-traitance qui demeure

subordonnée à des conditions.

109. L’intuitu personae ne va pas jouer de la même manière dans ces deux situations

contractuelles. Pour le comprendre encore faut-il appréhender ce concept particulier.

110. Un contrat est marqué d’intuitus personae lorsque sa formation et son exécution

dépendent de la personne du cocontractant. La considération de la personne constitue alors la

raison de l’engagement, au sens du terme anglais considération, qui est l’équivalent

approximatif de la cause telle que l’entend le droit français273.

111. Dans le contrat d’entreprise, ce caractère émane de l’article 1795 du Code civil

précédemment étudié, qui dispose que la mort de l’entrepreneur entraîne la caducité du

contrat. Dans cette mesure, est ce à dire que, par principe le contrat d’entreprise est un contrat

par essence intuitu personae ? Cette affirmation conduirait à ce qu’un contrat dépourvu

d’intuitu personae ne puisse être qualifié de louage d’ouvrage dans la mesure où comme nous

l’avons démontré, ce qui est de l’essence prédispose la qualification du contrat. Au regard des

applications de l’article 1795, il apparaît que cette règle ne soit pas d’ordre public. Dès lors,

on ne peut généraliser ce principe et il en découle que si ce contrat est par essence un contrat

conclu en considération de la personne de l’entrepreneur, de nombreuses exceptions tiennent

271 Art. 2 du Code des marchés publics. 272Art. 1237 Cciv : « L'obligation de faire ne peut être acquittée par un tiers contre le gré du créancier, lorsque ce dernier a intérêt qu'elle soit remplie par le débiteur lui-même ». 273 D. Houtcieff, Contribution à l’étude de l’intuitus personae, RTD civ. 2003, p. 3.

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aujourd’hui lieu, face à l’ampleur du phénomène grandissant de ce contrat qui ne se limite

plus au petit entrepreneur.

112. La doctrine est, quant à elle, divisée sur le caractère intuitu personae du contrat

d’entreprise. Des auteurs estiment qu’il est absolument certain que pour les rédacteurs du

Code civil l’exécution devait être assurée personnellement par l’entrepreneur. Mais il serait

excessif d’affirmer que tout contrat d’entreprise est, en principe aujourd’hui conclu intuitu

personae. Cette doctrine met en évidence la dissipation progressive qu’a connue ce caractère

dans le contrat d’entreprise274. Face à cette casuistique, d’autres ont proposé une classification

tripartite du contrat d’entreprise en fonction du degré d’intuitus personae présent dans le

contrat275. Un auteur a donc écrit que dans certains cas, celui-ci est si fort que toute exécution

par autrui est exclue. En témoigne l'artiste ou le chirurgien qui ne saurait se faire remplacer ni

par un sous-traitant ni par un collaborateur ni par un associé, mais seulement se faire

assister276. Dans d'autres cas, où le contrat est conclu avec une entreprise plus qu'une

personne, l'intuitu personae peut s'attacher à cette entreprise277. L'exécution par des salariés

de l'entreprise sera donc possible et même nécessaire dès lors que le travail est confié à une

personne morale. Mais, la sous-traitance ne sera pas pour autant admise, car il y aurait

changement d'entreprise. Enfin, lorsque l'intuitu personae est moins marqué, l'entrepreneur

pourra recourir à la sous-traitance, pour tout ou partie du travail confié278.

113. Suivant cette analyse, le contrat principal ne pourra être exécuté par un tiers

(sous-traitant) que dans l’hypothèse où celui-ci ne sera pas marqué d’un fort intuitu personae.

Comme pour l'adjonction de sous-contractant, celle du co-contractant heurte l'intuitu

personae. L’exécution plurale n’est donc pas sans limites et ce caractère du contrat

d’entreprise en est une première. Au-delà, des conditions spécifiques encadrent cette

exécution.

274 En ce sens, Antonmatei et Reyand, op. cit., n° 414. 275 A. Bénabent, op. cit. n° 528. 276 Il en est de même de l'architecte ou de l'avocat, par exemple. 277 On parle ici d’intuitu firmae. 278 J.-Cl. Civil Code, Art. 1787, Fasc. 20 ou Notarial Répertoire V° louage d'ouvrage, Fasc. H-2.

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II. Une exécution plurale soumises à des conditions

114. La sous-traitance participe de la circulation du contrat d’entreprise. Cette

application du contrat d’entreprise, qui n’est pas à proprement parler un terme juridique mais

que la loi du 31 décembre 1975279 a fait entrer dans le vocabulaire du droit des contrats, a

connu un développement, certain. Deux corps de textes lui sont relatifs et sont à distinguer.

D’une part, le Code du travail règlemente la protection des salariés du sous-entrepreneur280.

D’autre part, la loi de 1975 complète le dispositif pour protéger le sous-traitant contre le

risque de non paiement de ses prestations en cas de défaillance de l’entrepreneur principal. La

loi de 1975, qui s’applique aussi bien au maître d’un ouvrage personne privée que publique,

soumet donc son application à des conditions.

115. L’entrepreneur qui fait appel à des sous-traitants doit, au moment de la

conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-

traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître

de l’ouvrage281. L’agrément doit porter sur le nom des sous-traitants et sur leur condition de

paiement. L’entrepreneur principal est, par ailleurs, tenu de communiquer le ou les contrats de

sous-traitance au maître de l’ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. La jurisprudence

semble pourtant admettre l’agrément tacite d’un sous-traitant, pour autant que celui-ci résulte

d’actes positifs dépourvus de toute équivoque282. Ceci participe plus largement de la tendance

actuelle de l’ampleur du contrat d’entreprise et de son expansion dans le monde des affaires.

116. La sanction du non agrément concerne les rapports entre le maître et

l’entrepreneur principal, d’une part et entre le maître et le sous-traitant d’autres part, sous-

traitant et entrepreneur principal enfin. Envers le maître et l’entrepreneur, le défaut

d’agrément constitue une faute contractuelle dont il devra répondre. Entre l’entrepreneur et le

sous-traitant, le défaut de demande ou le défaut d’agrément constitue également une faute

contractuelle et la loi de1975 lui ouvre une sanction particulière283, puisqu’elle prévoit que

l’entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous-traitant, mais ne pourra invoquer

279 Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. 280 Art. L. 125-2 du Code du travail. 281 Loi de 1975, art. 3, faute de convenir de l’un de ces deux éléments, l’agrément est sans valeur. V. Cass. 3ème civ. 1er aril 1992, Bull. civ. III, n° 110. 282 En ce sens, V. Cass. 3ème civ., 3 mars 1999, CCC 1999, n° 89, obs. L. Leveneur. 283 Loi de 1975, art. 3 : « L’entrepreneur principal est néanmoins tenu avec le sous-traitant mais ne pourra lui invoquer le contrat de sous-traitance à l’encontre du sous-traitant ».

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le contrat. Certains voient dans cette règle une faculté de résiliation unilatérale284. En effet, le

sous-traitant peut refuser d’exécuter le contrat, le résilier ou bien l’exécuter et se faire

payer285. Enfin, entre le maître et le sous-traitant, ce dernier est alors privé de la protection

que la loi lui confère et pourra être payé par le maître. Mais seul celui-ci peut invoquer le

défaut d’agrément au sous-traitant et non l’entrepreneur principal. Quel est donc cette

protection ?

117. Par principe, le débiteur du sous-traitant demeure l’entrepreneur principal.

Cependant, dans l’hypothèse où ce dernier ne le paierait pas, dans le délai d’un mois, après

avoir été mis en demeure, la loi de 1975 organise un régime particulier. Dans le cas d’un

marché privé286, le sous-traitant bénéficie d’une action directe en paiement contre le maître de

l’ouvrage287. Bien que la jurisprudence ait contribué à limiter cette faculté, puisque la Cour de

cassation prive le sous-traitant non agrée de cette faculté288, il n’en demeure pas moins, que la

loi offre au sous-traitant un lien privilégié avec le maître de l’ouvrage lui assurant une action

directe en paiement ou un paiement direct. En ce cens, la question de la nature du lien entre le

maître de l’ouvrage et le sous-traitant s’est naturellement posée.

118. C’est de nouveau, grâce au contrat d’entreprise, à travers le cas de la sous-

traitance, que le droit commun a en ce sens pu évoluer. La jurisprudence a, en effet, clarifié

la situation des groupes de contrats289, dans lesquels n’intervient aucun transfert de propriété

d’une chose c'est-à-dire le sous-contrat290. Ainsi, en va-t-il en matière de sous-traitance

lorsque l’entrepreneur et le sous-traitant ne fournissent que le travail291.

La question qui s’est posée était celle de savoir si les contractants extrêmes, d’une chaîne de

contrat devaient être traités comme des tiers ou comme des parties. A cet égard, la question de

la responsabilité du sous-traitant à l’égard du maître de l’ouvrage, a suivi les « méandres de

284 A. Bénabent, op. Cit. n° 614. 285 F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 918. En pratique s’il exécute le contrat et s’il l’exécute mal, il pourrait s’en tenir à l’art. 3 de la loi 1975, qui lui assure que l’entrepreneur principal ne saurait lui opposer le contrat. Mais la jurisprudence affirme qu’il ne saurait invoquer le défaut d’agrément pour se soustraire de sa responsabilité. En ce sens : Cass. 3ème civ., 13 avril 1988, D. 1988. 522. note Dubois. 286 Un régime propre au marché public est prévu, le sous-traitant bénéficie, en vertu d’ art. 6 de la loi de 1975, alors d’un mécanisme de paiement direct, impératif, par le maître sans que ce paiement ne transite par le patrimoine de l’entrepreneur. 287 Loi 1975, art. 12 . 288 Cass. ch. Mixte, 13 mars 1981, D. 1981, 310, note A. Bénabent ; JCP 1981, II, 19568, note G. Flécheux. 289 B. Teyssié, Les groupes de contrat, thèse Montpellier, Ed. 1975 ;. Figure juridique nouvelle mise en évidence par la doctrine des années 70, l’expression vise les contrats, qui tout en étant liés entre eux, conservent leur individualité. 290 J. Néret, Le sous-contrat, thèse Paris II, Ed. 1979. 291 On distingue, en effet, les chaînes de contrat qui sont des contrat unis parce qu’ils portent sur la même chose (ex : série de vente successives), et le sous-contrat, qui désigne le contrat qui vient se greffer sur un contrat principal de nature identique (ex : sous-traitance, sous-location), Cf. Terré, Simler, Lequette, op. cit. n° 72.

Page 63: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

62

la jurisprudence »292 sur les actions directes. Si la première chambre civile admettait que

l’action en responsabilité était une action contractuelle293 contre l’avis de la troisième

chambre civile294, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a tranché en faveur de cette

dernière, en sorte que aujourd’hui l’on sait que cette action est de nature délictuelle295.

119. En effet, rompant avec l’analyse traditionnelle qui considère qu’au sein d’un

même groupe de contrats les contractants extrêmes sont étrangers les uns par rapport aux

autres, la Première chambre civile296 a pu considérer que l’article 1165297, sur l’effet relatif du

contrat, ne faisait pas obstacle à ce que des rapports de nature contractuelle se développent, au

sein d’un ensemble contractuel, entre des personnes qui n’ont pas échangé leur consentement.

Solution préconisée de longue date par une partie de la doctrine298, cette innovation s’est

heurtée à une vive opposition de la Troisième chambre civile299, qui s’en tenant à une lecture

classique de l’article 1165 a considéré que les contractants extrêmes restent tiers les uns par

rapport aux autres. Afin de mettre fin à cette divergence, L’Assemblée plénière dans le

célèbre arrêt Besse300, a ainsi décidé à propos d’une sous-traitance dans laquelle le maître

d’ouvrage se plaignait d’une mauvaise exécution de ses prestations par le sous-traitant que

« le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage ».

120. Cet arrêt, à travers le cas de la sous-traitance, a clarifié le régime du sous-contrat.

Sa portée, en est restée pourtant limitée dans la mesure où il se limite à cette figure

contractuelle, qu’est le sous-contrat, et n’a pas été étendu à l’action du sous-acquéreur contre

le vendeur initial, le lien demeurant contractuel301. Il n’en demeure pas moins que cette

précision importante du régime de la responsabilité des sous contractants, illustre le rôle

292 D. Mainguy, op. cit., n° 446. 293 Cass. 1ère civ., 8 mars 1988, D. 1988, II, 21070, note P. Jourdain ; Cass. 1ère civ., 21 juin 1988, JCP 1988, II, 1988, 21125, note P. Jourdain. 294 Cass. 3ème civ., 22 juin 1988, JCP 1988, II, 21115, note P. Jourdain. 295 Ass. plèn. 12 juillet 1991, D. 1991. 549, note J. Ghestin, JCP 1991, II, 21743, note G. Viney; JCP E., II, 218, note Ch. Larroumet, Ch. Jamin, La restauration de l’effet relatif du contrat, D. 1991, chron. 157 ; P. Jourdain, La nature de la responsabilité civile dans les chaînes de contrat, D. 1992, chron. 149. 296 Cass. 1ère civ., 21 juin 1988, op. cit., « Dans les groupes de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ». 297 Art. 1165 Cciv. : « Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 ». Cet article pose le principe de l’effet relatif des conventions ce qui signifie que les tiers ne peuvent devenir créanciers ou débiteurs en raison d’un contrat auquel ils n’ont pas été parties. 298 G. Durry, RTD civ. 1980, 355. 299 Cass. 3ème civ., 22 juin 1988, op. cit. 300 Ass. plèn. 12 juillet 1991, op. cit. 301La jurisprudence est unifiée en ce sens, Cass. 1ère civ., 28 octobre 1991 et Cass. 3ème civ, 30 octobre 1991, CCC 1992, n° 25, obs. L. Leveneur ; Cass. com 10 décembre 1991, CCC n° 47, obs. L. Leveneur.

Page 64: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

63

éminent qu’ont pu jouer les règles spéciales du contrat d’entreprise sur le droit commun des

contrats.

121. Le contrat d’entreprise a fait évoluer le droit commun à travers l’introduction de

l’obligation de sécurité, la distinction des obligations de moyens et de résultat, la violence

morale, l’indétermination du prix et la nature délictuelle des contractants extrêmes d’un sous-

contrat. L’influence du régime du contrat d’entreprise peut ainsi êtres constatée.

122. La diversité de contrats d’entreprise, est par ailleurs une réalité sans conteste. De

cette diversité de qualifications découle une diversité de régimes. Difficile de toutes les

recenser tant les règles qui sont applicables sont nombreuses. De l’analyse de cette diversité

résulte un deuxième constat. Le régime spécial des contrats d’entreprise laisse percevoir la

possible indépendance de ce contrat. De l’existence d’un régime commun et d’un régime

spécial, l’on pourrait donc faire passer le louage d’ouvrage du stade de contrat spécial à celui

de droit spécial.

Page 65: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

64

Deuxième partie

Les contrats d’entreprise : L’indépendance recherchée d’un régime spécial

123. Selon les Professeurs Collart Dutilleul et Delebecque, « le contrat d’entreprise

n’existe pas, seuls les contrats d’entreprise ont une réalité »302. La diversité des contrats

emportant prestation de services303 est notoire, et il est bien difficile aujourd’hui de ne

reconnaître l’existence que du seul louage d’ouvrage entendu par le Code civil. Aussi la

doctrine contemporaine a-t elle pu envisager cette notion comme une notion « diluée » et

« hétérogène »304.

124. Il est, en effet, manifeste que le contrat d’entreprise a subi, ou plutôt profité,

d’une magnifique évolution. Le passage du louage d’ouvrage au contrat d’entreprise puis aux

contrats d’entreprise en témoigne. Cette avancée pourrait même être qualifiée de « révolution

contractuelle » tant ce contrat a pu embrasser les situations les plus diverses de ce siècle. Le

contrat d’entreprise comporte en effet, une infinité de « facettes »305 et de nombreuses

applications particulières donnent lieu à des règles spécifiques. Il recouvre à présent des

applications aussi variées que le contrat de construction, le contrat médical, le contrat de

conseil, le contrat de maintenance, et bien d’autres. Or comment peut-on assimiler la

prestation du médecin à celle du garagiste ou du conseil en propriété intellectuelle ? De cette

diversité de nature découle, inévitablement une diversité de régime dont l’hétérogénéité et la

complexité sont les principales caractéristiques.

125. Cette diversité de régimes pose alors une question, sinon audacieuse pertinente au

regard de l’évolution actuelle du droit des obligations, qui est celle de la consécration

pragmatique d’un droit qui aurait pour objet d’articuler ces différentes règles autour d’un seul

contrat, le contrat d’entreprise. Cette idée prend sa source de l’analyse du régime des contrats

d’entreprise eux mêmes, qui met en évidence l’existence de sous régime, tels que le droit de la

302 F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., n° 745 303 A. Sériaux, op. cit., n° 112, qui propose d’abandonner toute tentative d’unification et estiment plus respectueux de la réalité juridique, de reconnaître l’irréductible diversité de ces contrats 304 F. Labarthe, op. cit. 305 Huet, op. cit., n°32400.

Page 66: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

65

construction ou du transport. Ceux-ci demeurent rattachés au régime initial de l’entreprise et

appuient cette idée d’autonomisation d’un droit, comme cela a pu être pensé pour le contrat de

vente306.

126. Le droit du contrat d’entreprise pourrait ainsi s’appeler « droit entreprenarial »

puisque cette notion est à ce jour libre de toute dépendance juridique. En effet, le caractère

« entreprenarial », que l’on distingue délibérément de celui de « entrepreneurial » 307, en ce

que ce dernier touche à tout ce qui est relatif à l’entreprise en tant qu’entité commercial308,

rappelle l’esprit qui anime ce contrat, la liberté et son corollaire, la responsabilité. C’est donc

du caractère vierge et non consacré de cette notion, et de la volonté de la distinguer de tout ce

qui touche au droit des sociétés, que le choix de cette expression découle. Cette consécration

se laisse pressentir à travers deux étapes. La reconnaissance de ce contrat en tant que contrat

très spécial, puis l’admission de celle de contrat très spécial à celle de droit.

127. Pour ce faire, on constate en effet que certaines matières, qui ont acquis leur

autonomie dépendent fondamentalement du contrat d’entreprise, ce qui fait de lui un contrat

très spécial (Titre I). La consécration de ce droit, passe ensuite de la constatation de

l’existence de règles spéciales lui permettant de se défendre par ses propres moyens, au-delà

même de l’application des autres droits comme le droit de la consommation et le droit de la

propriété intellectuelle. C’est en cela que l’indépendance du régime des contrats d’entreprise

semble se rechercher, faisant de lui plus qu’un contrat très spécial, un véritable droit (Titre II).

Dépendance d’une part et indépendance d’autres part, voilà de quoi se lit l’autonomisation du

contrat d’entreprise.

Titre I : Un régime dépendant, propice à l’avènement d’un droit « entreprenarial »

Titre II : Un régime indépendant, favorable à la consécration d’un droit

« entreprenarial »

306 F. Jacquot, Du contrat de vente au droit de la vente (Réflexions de théorie générale sur un contrat spécial), thèse Nancy, 1988. 307 Petit Robert, 2002, p. 498. 308 La notion d’« entreprise » suscite de nombreuses difficultés, de véritables confusions. Elle désigne, en effet des réalités différentes. On retrouve cette notion en droit commercial pour définir un établissement industriel ou commercial308 où l’entreprise est le pivot de tout le mécanisme économique à distinguer de l’employé ou du salarié308. En droit communautaire, « l’entreprise » désigne un ensemble de moyens humains et matériels concourant, sous une direction économique, à la réalisation d’un objectif économique308. Dans le langage courant, enfin, « l’entreprise » correspond à la mise à exécution d’un dessein. « Entreprendre » c’est alors commencer à faire quelque chose308. Parler du droit de l’entreprise ferait naître une référence au droit commercial. Pour éviter, toute confusion, c’est l’expression de droit entreprenarial qui est ici retenue, en raison donc de son caractère vierge.

Page 67: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

66

Titre I : Un régime dépendant, propice à la naissance d’un droit « entreprenarial »

128. C’est en principe de l’existence de règles édictées par le Code civil que découle

celle d’un contrat et c’est notamment de cette conséquence que l’entreprise existe en tant que

tel. La diversité de figures contractuelles s’y rattachant fait de lui un contrat très spécial.

129. De l’ampleur de ce phénomène contractuelle, naît la nécessité d’ordonner les

prestations particulières y afférant, ce à quoi la doctrine s’est longuement attachée (Chapitre

I). L’étude de cette classification doctrinale, qui participe incidemment de la logique

d’autonomisation que l’on pressent, révèle leur dépendance au contrat d’entreprise.

L’existence, par ailleurs, de contrats qualifiés de spécifiques, en ce qu’il possède un véritable

régime particulier de par la loi, mais qui dépend du contrat d’entreprise assoit cette idée

d’autonomisation (Chapitre II). Il s’agit des contrats qui y ont pris leur autonomie mais qui

dépendent toujours du contrat d’entreprise, le contrat de transport et le contrat de construction.

Chapitre 1 : La classification doctrinale des prestations particulières dépendant du contrat d’entreprise Chapitre 2 : L’existence légale de contrats spécifiques dépendant du « droit entreprenarial »

Page 68: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

67

Chapitre 1 : La classification doctrinale des prestations particulières dépendant du contrat d’entreprise

130. A suivre l’évolution du contrat d’entreprise, on s’aperçoit qu’il est devenu « un

large manteau pouvant couvrir toutes sortes d’activités, à défaut d’autres qualifications, dès

lors que quelqu’un s’engage envers autrui à exécuter un travail indépendant et rémunéré,

sans représentation »309.

131. A lire, ensuite, les articles consacrés « aux devis et marché », qui constitue la

liaison entre le Code civil et le droit entrepreneurial, on s’aperçoit que les mots utilisés dans

cette section du Code ont d’avantage trait au travail physique, à la confection d’un objet

qu’aux prestations intellectuelles. Les rédacteurs du Code civil n’ont pas songés régir les

prestations intellectuelles par le régime du louage d’ouvrage. C’est en effet, primitivement, au

contrat de mandat que se sont rattachées les prestations intellectuelles. A l’heure actuelle, les

travaux d’ordre intellectuel entrent sans nul doute, dans la catégorie des contrats d’entreprise,

ce qui consacre une ancienne conception doctrinale310. Cet élargissement aux prestations

intellectuelles a été rendu possible grâce au passage à une nouvelle notion, celle de

l’entreprise.

132. La doctrine s’est longuement penchée sur ces classifications, la nécessité

d’ordonner la diversité de contrats d’entreprise l’encourageant. Le Professeur Puig a ainsi

analysé les contrats d’entreprise ayant pour finalité la fourniture d’un service distinctivement

de ceux ayant pour finalité le transfert d’un bien311. Une thèse doctrinale plus récente propose

de reconnaître l’existence de trois sous-espèces de contrats d’entreprise, en fonction de leur

finalité contractuelle, le contrat d’activité, le contrat d’œuvre et le contrat d’ouvrage312. Selon

cet auteur, dans le contrat d’activité, l’entrepreneur ne promet que ses moyens, car le terme

final du processus, la réponse à la demande de son client est trop aléatoire. Par le contrat

d’œuvre, l’entrepreneur promet le résultat, la réponse au besoin du client, car celle-ci est quasi

certaine. Enfin, le contrat d’ouvrage est hybride, l’entrepreneur promet le résultat, la réponse

au besoin du client dans la limite du « dysfonctionnement » caché des termes intermédiaires

309 Ph. Le Tourneau, De l’évolution du mandat, D. 1992, I, p. 157 310 Cf. La doctrine de Duvergier 311 P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, op. cit. 312 J. Sénéchal, op. cit.

Page 69: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

68

du processus de finalité technique imposés par le client313. La différence entre les extrêmes

réside dans l’existence, au sein du contrat d’activité, d’une discordance entre la prestation en

nature promise par l’entrepreneur et celle qui est attendue par le client ; elle est remplacée

dans le louage d’ouvrage par une concordance entre cette promesse et cette attente, ce

résultat. La différence entre le contrat d’ouvrage et le contrat d’œuvre est dans ce dernier le

client n’impose que le terme initial du processus de finalité technique, alors que dans l’autre il

impose également au moins l’un des termes intermédiaires.

133. A présent, il convient d’ordonner ces prestations autour de leur régime, puisque

l’enjeu y est certain. De sorte que de ce régime spécial découle deux sortes de règles, celles

oeuvrant sur les prestations matérielles (Section I), et celles touchant aux prestations

intellectuelles (Section II).

Section I - Les prestations matérielles

Section II - Les prestations intellectuelles

313 J. Sénéchal, op. cit., n° 336 et s.

Page 70: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

69

Section I - Les prestations matérielles

134. Les prestations matérielles regroupent tous les services portant sur une chose

matérielle. C’est celle qui se rapporte à la réalisation d’une chose, c'est-à-dire à l’exécution

d’un ouvrage, ou à son façonnage314. Au sein de cette catégorie l’on pourrait donc distinguer

les prestations purement matérielles, dont l’objet est de créer un ouvrage, des prestations

matérielles simples qui résident dans le travail sur un ouvrage matériel.

135. Toutefois, que l’on soit en présence de l’un ou de l’autre les obligations sont les

mêmes dès lors qu’elle porte sur une chose corporelle. Tel est le cas de l’obligation de

conservation ou de l’obligation de livraison. Nous analyserons donc les obligations de

l’entrepreneur d’un ouvrage matériel (I) et celles du maître de l’ouvrage matériel (II).

I. Les obligations de l’entrepreneur d’un ouvrage matériel

136. L’entrepreneur doit nécessairement exécuter le travail convenu, ceci constitue

une obligation principale du contrat d’entreprise. A côté de cette obligation primordiale,

l’entrepreneur est tenu de certaines obligations accessoires spécifiques lorsque le contrat porte

sur une chose. Ainsi en est-il de l’obligation de livraison et de l’obligation de conservation.

137. D’une part, l'entrepreneur est tenu, comme tout débiteur de corps certain de

conserver la chose dont le maître est propriétaire soit parce qu'il a fourni la matière, soit parce

que la chose est en état d'être livrée315. Selon l'article 1137 du Code civil316, celui qui est

chargé de veiller à la conservation de la chose est tenu d'y apporter tous les soins d'un « bon

père de famille ». Il est donc débiteur d’une obligation de moyens qui a pour conséquence de

faire peser sur le maître la charge de la preuve d'une faute en cas de dommage, c'est-à-dire la

perte totale ou partielle. L'application de cet article du Code civil au contrat d'entreprise a fait

l'objet de nombreuses hésitations mais l'ensemble de la doctrine s'accorde aujourd'hui pour

admettre que les règles relatives au contrat de louage d'ouvrage n'apportent aucune dérogation

314 L’existence d’un corps certain fait rentrer ces contrats dans la catégorie des prestations matérielles. 315 D. Mazeaud, op. cit. n. 1350 ; F. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit. n. 727. 316 C. civ., Art. 1137 : « L'obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n'ait pour objet que l'utilité de l'une des parties, soit qu'elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d'un bon père de famille. Cette obligation est plus ou moins étendue relativement à certains contrats, dont les effets, à cet égard, sont expliqués sous les titres qui les concernent ».

Page 71: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

70

à ce texte317. Certains ont relevé l'incohérence apparente de la jurisprudence et notamment la

confusion entre l'obligation d'exécuter le travail, qui est de résultat, et celle de conserver la

chose et d'autre part318.

138. Lorsque la chose subit un dommage, il serait donc nécessaire, pour savoir à qui

incombe la charge de la preuve, de déterminer l'origine de la détérioration. Si celle-ci provient

de l'exécution du travail, le client n'a pas à prouver la faute de l'entrepreneur, si elle provient

de la conservation de la chose, la charge de la preuve incombe en principe au maître

d'ouvrage. La jurisprudence a précisé que l'entrepreneur est tenu de l'obligation de conserver

la chose, que celle-ci soit un corps certain ou une chose fongible319 et qu’il doit aussi restituer

les matières non utilisées320. Toutefois, notons que l'étendue de l'obligation de conserver la

chose peut varier selon les conventions puisque ces règles ne sont pas d'ordre public.

Certaines clauses peuvent ainsi diminuer la responsabilité de l'entrepreneur321 ou au contraire,

l'accroître. Lorsque la chose a péri, totalement ou partiellement, et que la perte est due à une

faute de l'entrepreneur qui a mal conservé la chose, ce dernier doit alors répondre de cette

perte. Le cas le plus fréquent est celui d'incendie ou de vol. Si la perte est totale, il doit au

maître la valeur de la chose. Se pose alors la question de la date d’évaluation. Sans doute faut-

il transposer ici les règles applicables en matière de responsabilité du dépositaire et évaluer la

chose au jour du jugement. Si la perte est partielle, l'entrepreneur doit être condamné à des

dommages et intérêts égaux au montant des réparations nécessaires, évaluées ici encore au

jour du jugement. De plus, l'entrepreneur qui détourne la chose qui lui a été confiée pour « un

travail non salarié » se rend coupable d'abus de confiance322.

317 Mazeaud op. cit. n. 1350 : « « c'est seulement si l'ouvrier n'apporte pas à la conservation de la chose les soins d'un bon père de famille que l'ouvrier, alors coupable d'une faute contractuelle, engage sa responsabilité » ; Aix 23 fév. 1960 : D. 1960, 697, note L. Mazeaud, à propos de la perte d'une drague due à la négligence d'un chantier naval. Dans le même sens : Dans le même sens, Cass. civ. 5 août 1935 : DH 1935, 539 ; Rouen 5 janv. 1950 : D. 1951, 30, note Lalou. Toutefois, la jurisprudence infléchit cette règle et de nombreux arrêts invoquent les articles 1302 et 1245 du Code civil pour exiger de l'entrepreneur la preuve de son absence de faute, notamment en matière d'incendie ayant entraîné la perte de la chose, Cass. req. 9 juill. 1934 : DH 1934, 505; Cass. 1ère civ., 9 avril 1957 : Bull. civ. I, n° 103 ; D. 1957, somm. 110 ; 28 nov. 1962 : Gaz. Pal. 1963, 1, 119 ; 7 oct. 1963 : D. 1963, 748 ; 9 fév. 1966 : D. 1966, somm. 69 ; Cass. com. 8 juin 1971 : Bull. civ. IV, n° 163 ; Cass. 1ère civ., 5 juill. 1973 : Bull. civ. I, n° 234. 318 En ce sens, A. Bénabent, op. cit., n°190, selon qu’il y aurait une mauvaise interprétation des textes : l'article 1245 ne vise pas une obligation déterminée mais une obligation générale de prudence car il vise expressément la faute du débiteur ; l'article 1302 met seulement la preuve du cas fortuit à la charge du débiteur et l'article 1789 est muet sur la charge de la preuve mais il n'engage la responsabilité de l'ouvrier au cas de perte qu'en cas de faute 319 Cass. req. 22 avril 1872 : DP 73, 1, 119. 320 Cass. com. 12 mai 1980 : JCP G 80, IV, 277. 321 Cass. 1ère civ., 25 fév. 1964 : Gaz. Pal. 1964, 1, 391 322 Cass. crim. 20 nov. 1947 : JCP G 48, IV, 1. – 5 fév. 1948 : Bull. crim. n° 45 ; S. 1948, 1, 147 ; 17 mars 1976 : D. 1976, 682, note Dauvergne

Page 72: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

71

139. S’agissant de l’obligation de livraison, celle-ci n’est, également, valable que

lorsque le contrat d’entreprise porte sur une chose. Une obligation de prendre livraison est

mise à la charge de l’entrepreneur, à moins qu’une clause ne prévoie le contraire. Au jour

convenu par les parties, l'entrepreneur doit livrer la chose dans l'état où elle se trouve. Lorsque

la matière est fournie par le maître, celui-ci en est propriétaire et le reste pendant l'exécution

du travail, il peut donc exiger l'exécution de l'obligation de livraison, au besoin par le moyen

d'une astreinte. L'entrepreneur n'a pas le choix entre la restitution de la chose et le paiement de

la valeur des marchandises qu'il désirerait conserver323. Si la matière est fournie par

l'entrepreneur, la solution est la même car le maître d'ouvrage en devient propriétaire dès que

la chose est en état d'être livrée, c'est-à-dire avant même que la livraison ait été faite324

140. L'obligation de livraison de la chose dans l'état où elle se trouve est, en ce sens,

une obligation de résultat325. L’entrepreneur ne peut s'en libérer qu'en rapportant la preuve du

cas fortuit ou de la force majeure ou de la faute de la victime. Il ne peut s'exonérer en

invoquant le fait d'un tiers lorsqu'il ne présente pas le caractère irrésistible et imprévisible326.

L'exécution de l'obligation est remplie dès lors que l'entrepreneur livre la chose « dans l'état

où elle se trouve lors de la livraison »327. Si cette chose est en mauvais état, sa responsabilité

ne pourra être recherchée que du fait de la mauvaise exécution du travail ou de l'absence de

soins apportés à la conservation de la chose. Toutefois, pour que l'obligation soit remplie, il

faut que la chose ait été livrée au jour convenu. Tout retard qui est source de préjudice pour le

maître d'ouvrage donne lieu à une indemnité et ce, même si le contrat a été partiellement

exécuté dans le temps convenu328 De plus, une mise en demeure adressée par le maître à

l'entrepreneur met la chose aux risques de ce dernier. De sorte que, le maître de l’ouvrage

n’est pas dépourvu, lui non plus d’obligations. Quant est il donc des obligations du maître de

l’ouvrage matériel ?

323 Cass. com. 10 janv. 1956: Bull. civ. III, n° 19. 324 Cass. 1ère civ., 1er août 1950 : Bull. civ. I, n° 184 ; S. 1950, 1, 100 à propos de la vente.; Collart Dutilleul et Delebecque, op. cit. n° 726. 325 Mazeaud op. cit. n° 1349 326 Cass. 3ème civ., 7 mars 1968 : D. 1970, 27, note Soinne. 327 C. civ., art. 1245. 328 Cass. 3ème civ., 6 nov. 1973 : Gaz. Pal. 1973, 2, somm. 266.

Page 73: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

72

II. Les obligations du maître d’un ouvrage matériel

141. Rejoignant l’idée selon laquelle le maître de l’ouvrage n’est pas un simple

créancier contractuel329, le travail spécifique330 matériel qui découle du contrat d’entreprise,

crée des obligations particulières au maître d’ouvrage. Outre l’obligation de payer le prix et

celle de se comporter de bonne foi, qui sont des obligations communes à tous les contrats

d’entreprise, la prise de livraison et la réception sont des obligations du maître de l’ouvrage

qui n’apparaissent que lorsque l’entreprise est relative à une chose.

142. Comme l'acheteur ou tout créancier, de corps certain, le maître doit prendre

livraison de l'ouvrage à l'époque fixée. Faute par lui de satisfaire à cette obligation, la loi du

31 décembre 1903, modifiée par celle du 31 décembre 1968331 permet à l'entrepreneur de

demander au juge d'instance l'autorisation de faire vendre aux enchères publiques les objets

mobiliers qui n'ont pas été retirés dans le délai d'un an. L'entrepreneur pourra ainsi se payer

sur le prix. Cette obligation ne se conçoit évidemment que lorsque le contrat porte sur un objet

corporel. Il est bien entendu loisible aux parties de convenir que c'est l'entrepreneur qui devra,

une fois son travail achevé, livrer l'objet. On peut d'ailleurs admettre qu'une telle stipulation

peut résulter de l'usage ou encore du fait que c'est l'entrepreneur qui, à l'origine, est venu

prendre possession de l'objet à travailler.

143. Par ailleurs, le maître doit prendre réception de son ouvrage matérielle. C’est un

acte juridique unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage approuve les travaux accomplis par

l’entrepreneur, reconnaît la conformité de l’ouvrage réalisé à celui commandé et déclare

l’accepter, avec ou sans réserves. La réception en tant qu’acte juridique ne se confond pas

avec la livraison, qui elle est une simple opération matérielle332. Elle peut ne pas être

concomitante avec la livraison, et être soit antérieure (le maître agréant l'ouvrage avant d'en

prendre livraison), soit postérieure, si le maître, empêché de procéder à la vérification du

travail, en a néanmoins pris livraison, ou si les circonstances particulières l'ont amené à

prendre possession avant l'achèvement de l'ouvrage333. Si elle fait l'objet d'une réglementation

329 G.Durand-Pasquier, op. cit., n° 45. 330 Le travail spécifique s’entend du travail adapté aux besoins particuliers du maître de l’ouvrage, Cass. 3ème civ., 24 mai 2006, op. cit. 331 L. n° 68-1248 : JO 3 janv. 1969. 332 Ph. Malaurie, L. Aynès, et P.-Y. Gautier op. cit. n° 764. 333 Planiol et Ripert, op. cit. n° 931 ; Collart Dutilleul et Delebecque, op. cit. n° 738.

Page 74: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

73

précise dans les contrats de construction, où elle fixe le point de départ des délais de

garantie334, la réception s'applique aussi à tout contrat d'entreprise portant sur une chose335.

144. Elle produit plusieurs conséquences importantes. Tout d'abord, elle emporte

exigibilité du prix ou de son solde dû par le maître, sauf clause contraire336. Ensuite, elle

emporte transfert des risques de la chose au maître. Mais surtout, elle couvre les défauts

apparents. En effet, ayant approuvé la chose, le maître ne peut plus se plaindre ultérieurement

que des vices cachés. On dit qu'elle joue ainsi le rôle d'une décharge de responsabilité337. La

jurisprudence a pu l’affirmer à plusieurs reprises : « La réception des travaux couvre tout vice

ou défaut de conformité apparent qui n'a pas fait l'objet de réserves »338. Cependant, cette

libération de l'entrepreneur ne porte que sur quoi le maître a pu découvrir lors de la réception.

Non seulement les vices cachés339 ne sont pas concernés, mais encore les conséquences

graves des vices apparents qui ne pouvaient pas être mesurées lors de la réception340. Enfin, la

réception peut être expresse ou tacite341 et peut même être déduite du comportement du

maître342.

145. Considérée comme une obligation à « géométrie variable »343, puisqu’elle peut

être partielle ou intégrale, la réception peut s'accompagner de réserves, lesquelles marquent

les limites de l'approbation donnée par le maître. Elle produit alors ses effets sauf pour ce qui

a fait l'objet des réserves. Le maître est donc en droit de conserver la partie du prix

correspondante. En ce sens, les juges du fond interprètent souverainement l'existence de

réserves344. Compte tenu de ses effets, la réception constitue une véritable obligation pour le

maître. Il ne peut appartenir à celui-ci de retarder arbitrairement l'exigibilité du prix ou le

334 Art. 1792-6 ; Cf. Perinet Marquet, La réception des travaux : D. 1988, chron. 287 335 Malaurie et Aynès, op. cit. n° 765, elle est différente de l’achèvement de l’ouvrage : Cass. 3ème civ., 9 octobre 1991, Bull. civ. III, n°230 : « L’achèvement de l’ouvrage n’étant pas une des conditions nécessaires de la réception ». 336 Malaurie et Aynès, op. cit. n° 765 ; Cass. 3ème civ., 14 nov. 1968 : Bull. civ. III, n° 475 337 Collart Dutilleul et Delebecque, op. cit. n. 737 338 Cass. 3ème civ., 16 déc. 1987 : Bull. civ. III, n° 208 ; Cf. aussi Cass. 3ème civ., 22 oct. 1974 : Bull. civ. III, n° 369 ; 20 janv. 1982 : Bull. civ. III, n° 20 ; 9 oct. 1991 : Bull. civ. III, n° 231. 339 Sur cette obligation de l’entrepreneur, cf. n° 340 Cass. 1ère civ., 21 déc. 1964 : JCP G 65, II, 14005 ; Lyon 23 déc. 1969 : JCP G 70, II, 16557 ; Paris 14 mars 1988 : D. 1988, inf. rap. 98 341 Question discutée dans le cas précis de l'article 1792-6 342 CE, sect. 19 nov. 1971 : Rec. Cons. d'Et. p. 696 ; 10 mai 1974 : Rev. adm. 1975, n° 16. La prise de possession sans réserves équivaut à une réception, Cass. 3ème civ., 8 mai 1969 : D. 1969, 653 ; Contra Cass. 3e civ., 17 mars 1975 : Bull. civ. III, n° 110 ; JCP G 75, IV, 155, à condition que cette prise de possession révèle l'approbation du maître, Cass. 3e civ., 8 oct. 1974 : Bull. civ. III, n° 337. ; 3 mai 1990 : Bull. civ. III, n° 104 ; Le paiement fait présumer la réception mais il ne s'agit que d'une présomption simple. Carbonnier : RTD civ. 1958, 272 ; Malaurie et Aynès, op. cit. n° 766 ; Cass. 3ème civ., 16 juill. 1987 : D. 1987, 577 343 Collart-Dutilleul et Delebecque, op. cit., n° 737 344 Cf. par exemple Cass. 3ème civ., 3 déc. 1974 : Bull. civ. III, n° 447 ; Paris 5 juill. 1979 : D. 1980, 243

Page 75: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

74

transfert des risques par un refus injustifié de réception. C'est pourquoi, à défaut de réception

amiable, la réception peut être judiciairement prononcée à la demande de l'entrepreneur345.

146. Selon une partie de la doctrine346, La réception que l’on analyse ici en tant que

règle propre au contrat d’entreprise portant sur une chose, devrait être généralisée à tous les

contrats d’entreprise qu’il soit matériel ou immatériel, parce qu’elle marque dans tous les cas

le moment où l’entrepreneur a exécuté son obligations de faire. Selon eux, seuls les modalités

seraient différentes. Les particularités des ouvrages incorporels résiderait en ce que la défauts

devraient être cantonnés aux seuls décalages grossiers entre la commande et l’ouvrage fourni :

ainsi des statuts d’une société à responsabilité alors que le client souhaitait constituer une

société anonyme. Cette réception revêt quelques particularités et pose incidemment la

question du régime des prestations intellectuelles.

345 La solution est énoncée expressément par l'article 1792-6 en matière de construction mais est valable en toute autre matière. 346 P. Puig, op ; cit. n° 400 ;

Page 76: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

75

Section II - Les prestations intellectuelles

147. Les prestations intellectuelles sont celles qui se rapportent non à la réalisation

d’un ouvrage mais à sa conception347. Celles-ci ne se sont pas naturellement attachées au

contrat d’entreprise, de sorte que leur admission ne s’est pas sans difficultés. Le domaine

d’application de ces contrats est particulièrement vaste, ce qui a contribué à enrichir le contrat

d’entreprise et ce qui témoigne de sa généralisation (I). Le régime qui en découle se distingue

donc de celui applicable en matière de prestation matérielle (II).

I. Le domaine de la prestation intellectuelle à travers l’analyse de sa diversité

148. Contrairement au Code civil italien, qui comporte au sein du contrat de louage

d’ouvrage un chapitre spécifique consacré aux professions intellectuelles348, l’article 1779 de

notre code ne les laisse pas y préfigurer. Les raisons sont diverses. D’une part le contrat de

conseil n'est entré dans le monde juridique qu'au XXe siècle. Non seulement le Code civil en

ignorait l'existence en 1804, mais la jurisprudence du XIXe siècle n'avait pas, non plus,

l'occasion de rencontrer ce contrat dans les litiges soumis aux tribunaux. D’autres part, les

prestations intellectuelles, aussi rares soient-elles, étaient à l’époque naturellement rattachées

au contrat de mandat, la noblesse de ce contrat gratuit l’emportant sur le caractère pécuniaire

du contrat de louage.

149. En France, leur admission en tant que contrat d’entreprise n’a donc pas été si

simple, mais il est aujourd’hui certain que cette qualification s’applique aussi bien à des

travaux portant sur des choses matérielles, qu’il s’agisse de biens meubles349 ou de biens

immobiliers350, qu’à des prestations immatérielles351. Il s'agit donc d'une formule juridique

récente, qui ne s'est vraiment développée que depuis la dernière guerre mondiale, en grande

partie sous l'influence de techniques empruntées au droit des pays anglo-saxons. De cette

catégorie se dégagent différents types de contrats. Notamment les contrats relatifs à

l’information et ceux ayant pour objet la communication.

347 G. Cornu, op.cit., p. 492 348 Article 2229 à 2238 Code civil italien 349 Par ex : construction, rénovation, entretien, gardiennage. 350 Par ex : fabrication, transformation, réparation. 351 Cass. 3ème civ., 28 fév. 1984 : Bull. civ. III, n° 51, pour les calculs et plans faits par un ingénieur-conseil : « les travaux d'ordre intellectuel ne sont pas exclus de la définition du contrat d'entreprise », il en va de même pour la conception, l’organisation, le conseil, l’assistance ou les soins.

Page 77: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

76

150. Communiquer, c’est « transmettre un savoir, donner connaissance, faire

commerce, assurer un passage, discourir »352. La communication est un moyen de diffusion

de l’information. Elle se manifeste à travers les médias, qui ont conquis le monde dans la

deuxième moitié du XXème siècle. Malgré son essor, la communication n’est pas sous

l’emprise d’un droit autonome de sorte que rattaché au contrat d’entreprise, elle illustre

l’exponentielle croissance de ce dernier et l’enrichissement de cette matière. Elle peut

s’exprimer de différentes manières mais son domaine de prédilection est la publicité, qui

dispose de certaines particularités. Au côté des contrats de publicité, le contrat d'édition est le

contrat par lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions

déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en

nombre des exemplaires de l'oeuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et la

diffusion353.

151. Au sein des contrats relatifs à l’information, l’on distingue, le contrat

d’enseignement, le contrat de renseignement et le contrat de conseil. Les deux premiers ne

faisant pas l’objet d’une particularité de régimes, seul le contrat de conseil, qui a profité d’un

essor contemporain354 comparable à celui du contrat d’entreprise en général, va être analysé.

152. Le contrat de conseil se définit comme « la convention par laquelle une personne

(le conseil professionnel), spécialiste d’une catégorie de connaissances ou de techniques,

s’engage moyennant rémunération à fournir de manière indépendante une prestation

intellectuelle à une autre personne (le client), apte à orienter efficacement les décisions de

cette dernière »355. Ces conventions s’assimilent donc à des contrats d’entreprise portant sur

des prestations purement intellectuelles, et ne sont pas innomés356 comme on a pu le voir

écrit. Corrélativement à la diversité de contrats d’entreprise, on observe une véritable diversité

de contrats de conseil. Ainsi, existe-t-il aussi bien des conseils dans le secteur juridique ou

commercial que dans le domaine de la construction. Malgré cette pluralité de contrats de

conseil, une véritable unité de régime juridique a pu être dégagée en ce que les conseils sont

tous indépendants mais ils demeurent soumis au droit commun des obligation357.

352 F. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 785 353 CPI, art. L. 132-1 354 F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 780 355 N. Reboul, op. cit., n°68 356 R. Savatier, Les contrats de conseil professionnel en droit privé, D. 1972, chron., p. 137 en faveur d’un contrat innommé. 357 N. Reboul, op. cit., n° 586 et s.

Page 78: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

77

II. Les obligations des co-contractants intellectuels à travers l’analyse du contrat de conseil

153. Dans les contrats de conseil l'obligation de conseiller le client est l'obligation

principale358 et l'obligation de conseil359 se confond avec celle d'exécuter la convention. Le

conseil se définit avant tout par son objet. C’est un savoir qui n’oblige pas, sinon ça serait un

ordre, mais qui prétend tout de même orienter par la persuasion la conduite d’autrui. Donner

son avis surtout lorsqu’il a été préalablement sollicité, est bel et bien un service. Certaines

personnes en font pourtant, à titre onéreux, profession. Le conseil est l’expression d’un

savoir, non d’un pouvoir360. Quelque soit son objet, il suppose que celui qui le donne sait, ou

du moins est censé savoir, davantage que celui à qui il est donné. Ce déséquilibre de

compétence intellectuelle est toujours requis. Simplement, il est tout simplement

irréfragablement présumé lorsque c’est un professionnel de la discipline objet du conseil qui

se trouve sollicité. Il se distingue de l’obligation de conseil qui est l’accessoire à une

obligation principale et qui trouve dans le contrat d’entreprise un véritable terrain

d’élection361. Qu’en est il du régime de ce contrat.

154. Le conseil, aussi appelé prestataire de conseil362, est soumis à une obligation de

conseil et corollairement à des obligations de confidentialité, pour éviter que des informations

importantes ne soient divulgués. Généralement une clause expresse relative à la discrétion est

prévue, les parties y sont alors soumises en vertu de la force obligatoire du contrat. Qu’en est-

il pourtant lorsque le contrat ne prévoit pas ce cas. Au vue de l’existence d’un intuitu personae

particulièrement fort dans le contrat de conseil, en raison de la confiance mutuelle qu'il exige,

on peut penser, en fonction des enjeux, qu’une obligation de confidentialité analysée comme

une suite naturelle de ce contrat363, pourrait y être greffée par les tribunaux.

155. Par ailleurs, en principe, le prestataire est débiteur d’une obligation de moyens,

où il promet de faire toute diligence pour réaliser une œuvre intellectuelle adéquat de son

358cf. Mialon : RTD civ. 1973, 5 : conseil en organisation d'entreprises,bureaux d'étude et ingénieur conseil, conseil financier, juridique, en propriété industrielle, bureaux de contrôle techniques, agences de renseignements etc. 359 Sur l’obligation de conseil en général, cf. n° 360 A. Seriaux, op. cit., n°129 361 Sur l’obligation de conseil, cf. n° 362 N. Reboul, op. cit., n° 363 C. civ. art. 1135 : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ».

Page 79: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

78

client364. Par exception le conseil peut être tenu d’une obligation de résultat. Ce cas a été

retenu par quelques décisions365, mais c’est surtout l’hypothèse où le contrat lui-même prévoit

un délai déterminé366, qui s’analyserait en une prescription de résultat. Du point de vue de la

responsabilité, le propre de l'obligation de moyens est d'obliger la victime, au cas de

dommage provenant de l'inexécution du contrat, à prouver la faute du débiteur pour engager

sa responsabilité. Mais cette conséquence, qui ne fait pas de doute, appelle quelques

précisions. Elle ne saurait résulter de plein droit de la preuve que le projet faisant l'objet du

contrat de conseil a échoué, sinon on en reviendrait à l'obligation de résultat367. Le lien de

causalité doit évidemment être prouvé, de sorte que il a été jugé que la faute d'un conseil

juridique, qui a dressé un acte de société nul, ne peut engager sa responsabilité au cas de

liquidation ultérieure de la société que si cette liquidation provient effectivement de la nullité

de l'acte, et non d'autres causes368. Enfin, les clauses limitatives de responsabilités sont en

principe valables, mais au prix de nombreuses restrictions, dont certaines concernent aussi

bien les contrats de conseil que les autres contrats. D’une part, les clauses exonératoires ou

limitatives de responsabilité ne peuvent couvrir que les fautes légères369. Si le juge du fond,

usant de son pouvoir souverain d'appréciation, estime que la faute du donneur de conseils est

lourde, ou, a fortiori, dolosive, la clause d'exonération ou de limitation de responsabilité ne

peut pas être invoquée370. De plus, les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

doivent avoir été acceptées réellement par le contractant contre lequel elles sont dirigées, et le

364 Cf. par ex : pour un bureau d'études qui avait constitué un dossier en vue d'un permis de construire, et qui a été admis à réclamer ses honoraires, bien que le permis n'ait pas été obtenu, Cass. 3e civ., 30 mars 1982 : Bull. civ. III, n° 67 ; Gaz. Pal. 1982, 2, pan. jur. 245 pour un ingénieur-conseil en matière de propriété industrielle qui a été admis à exiger sa rémunération bien que le brevet n'ait pas pu être déposé, du fait que ses recherches avaient révélé l'existence d'un brevet similaire déjà déposé, Cass. com. 12 avril 1988 : Bull. civ. IV, n° 125 ; Gaz. Pal. 1988, 1, pan. jur. 133 365 Cf. par ex :, T. com. Lyon, 1er mars, 1966, RTD civ., 1966, p. 802, obs. G. Durry 366 Paris 12 juin 1991, D. 1991, p. 591, note D. Martin 367 V. par exemple, pour un contrat avec un bureau d'études immobilières, tendant à l'obtention d'un permis de construire, finalement refusé par l'Administration, Cass. 3ème civ., 10 mars 1982 : Bull. civ. III, n° 67 ; Gaz. Pal. 1982, 2, pan. jur. 245, et pour un contrat avec un ingénieur-conseil en propriété industrielle, en vue du dépôt d'un brevet qui se révèle impossible du fait que les recherches auxquelles a procédé l'ingénieur-conseil ont permis de découvrir qu'un brevet similaire était déjà déposé, Cass. com. 12 avril 1988 : Bull. civ. IV, n° 125 ; Gaz. Pal. 1988, 1, pan. jur. 133 368 Cass. com. 3 janv. 1984 : Bull. civ. IV, n° 1; de même, il a été jugé qu'un conseil fiscal, qui fait perdre à son client une chance d'établir l'irrégularité d'un redressement fiscal en faisant valoir trop tard son argumentation devant le juge administratif, n'est cependant pas responsable si le tribunal civil, saisi par le contribuable d'une demande de dommages- intérêts contre son conseiller fiscal, estime que, même si l'argumentation tardive avait été présentée en temps utile au juge administratif, le contribuable n'aurait pas échappé pour autant au redressement fiscal, car cette argumentation n'avait aucune valeur probante, Cass. com. 11 fév. 1986 : Bull. civ. IV, n° 13 369 V. dans le cas d'un banquier qui avait fourni gratuitement à un de ses clients des informations inexactes, par la faute de son correspondant, sa propre faute étant seulement de ne pas avoir recoupé cette source d'information avec d'autres sources Rennes 21 mai 1974 : Rev. Banque, 1974, 848, obs. L.-M. Martin 370 V. déjà, Cass. req. 17 juill. 1872 : DP 73, 1, 87 ; En matière de contrats de conseil, cela a été jugé, par exemple, pour un conseil juridique qui avait dressé un acte de vente de fonds de commerce sans attirer l'attention de l'acheteur sur le fait qu'il n'y avait pas de droit au bail, Cass. 1re civ., 17 fév. 1976 : Bull. civ. I, n° 68, ou pour un bureau d'études en matière de construction immobilière, chargé de la surveillance d'un chantier, qui n'avait pas signalé une malfaçon grave, imputable à l'entrepreneur en étanchéité, Cass. 3e civ., 22 avril 1980 : Bull. civ. III, n° 77 ; Gaz. Pal. 1980, 2, pan. jur. 431, ou encore pour une société de classification de navires, dont l'agent avait commis des erreurs grossières dans l'appréciation des qualités d'un navire, Cass. req. 15 mai 1923, cité supra n° 82

Page 80: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

79

juge doit, en raison de leur caractère dérogatoire par rapport au droit commun, les interpréter

restrictivement371. A plus forte raison, une clause obscure ne saurait être interprétée comme

limitant ou supprimant la responsabilité du conseilleur372.

156. Par ailleurs, du côté, du maître de l’ouvrage, la spécificité du contrat de conseil

implique que le client collabore à l’exécution de la prestation de conseil. Cette obligation de

collaboration, qui découle de l’obligation de coopération du droit commun de l’entreprise373,

se décompose en une obligation d’information et une obligation de participation374. Un auteur

a ainsi mis en évidence que cette première obligation s’entend du fait que le client doit

analyser et exprimer ces besoins. Cette exigence est nécessaire s’il veut que la prestation

intellectuelle accomplie par son conseil professionnel soit la plus pertinente et la mieux

adaptée à ses exigences. Elle s’analyse en une exigence générale mais est peut être tempérée

au regard de la qualité de professionnel ou de profane du client. La seconde obligation, qui est

de participer, s’exprime différentes manières. Le client doit lui-même s’informer. Il ne peut

valablement prétendre ne pas savoir puisqu’il est tenu d’être efficace et de s’activer dans la

réalisation de l’ouvrage de conseil375. Le client a donc le devoir de « se » renseigner. Il doit

par ailleurs participer « en s’impliquant »376, ce qui caractérise une collaboration active. Le

client doit, enfin, participer « en assumant »377, c'est-à-dire qu’il doit se comporter en agent

économique responsable.

157. Le rôle actif du maître de l’ouvrage intellectuel se manifeste dans les contrats de

conseil de manière incontestable. Si ce rôle n’est pas identique dans les contrats portant sur un

ouvrage matériel c’est certainement que ces régimes ont chacun leur spécificité. Ce qui

participe de l’impossibilité de cantonner l’entreprise au stade de contrat spécial. Le contrat de

construction et le contrat de transport, qui sont tous deux des contrats d’entreprise particuliers

témoignent de cette diversité de régime. Toutefois leur unité se déduit de leur dépendance au

contrat d’entreprise, en tant que tronc commun, ce qui appelle l’autonomisation de ce droit.

371 V. dans le cas d'une clause exonératoire stipulée par un bureau d'études en matière de construction immobilière, uniquement pour le cas où le client s'immiscerait dans le choix des entrepreneurs, que le bureau d'études s'était réservé, Cass. 3e civ., 5 nov. 1976 : Gaz. Pal. 1977, 1, pan. jur. 20 372 Par exemple, une clause figurant dans le contrat d'un bureau d'études en matière de construction, aux termes de laquelle, le terrain « était présumé bon », Cass. 3e civ., 1er juill. 1975 : Bull. civ. III, n° 227 373 Sur l’obligation de coopération, cf. n° 374 N. Reboul, op. cit., n° 758 375 Lyon, 23 décembre 1969, JCP, 1970, II, 16557 note J.-L. Toison 376 N. Reboul, op. cit., n° 771 377 N. Reboul, op. cit., n° 773

Page 81: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

80

Analysons donc maintenant le régime de la construction et du transport en tant que contrats

spécifiques qui dépendraient du droit du contrat d’entreprise.

Page 82: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

81

Chapitre 2 : L’existence légale de contrats spécifiques dépendant du « droit entreprenarial »

158. Souvent l’activité de l’entrepreneur a des répercussions sur l’économie. C’est le

cas de l’activité de transport ou encore de l’activité de construction. Il n’est pas interdit de

penser que si le législateur a cru bon d’organiser et de détailler les règles applicables au

contrat de transport378 ou au contrat de construction379 c’est parce que ces opérations sont

vitales pour le pays, ce qui fait de l’entreprise plus qu’un contrat simple.

159. A juste titre, la construction (Section I) et le transport (Section II) sont deux

contrats bénéficiant d’un régime propre légalement définit et qui dépendent pourtant du

contrat d’entreprise. Cette observation met en évidence l’ampleur du contrat d’entreprise et sa

domination manifeste sur la vie contractuelle. De cette richesse, la tentation est alors aisée de

se poser la question de son autonomie.

Section I - Le contrat de construction

Section II - Le contrat de transport

378 C. com. art L. 133-1 379 C. civ. art. 1792

Page 83: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

82

Section I - Le contrat de construction

160. Lorsqu’il a pour objet la construction d’un ouvrage immobilier, le contrat

d’entreprise obéit non seulement aux règles de droit commun qui viennent d’être étudiées,

mais également à certaines règles spéciales relatives au marché à forfait, d’une part, et à la

responsabilité des constructeurs, d’autre part. En effet, trois textes du Code civil concernent

les entreprises spécialisées dans la construction immobilière380. L’article 1798 du Code

civil381 qui ne fera pas l’objet de notre étude, l’article 1792382 qui permet au maître de

l’ouvrage de rechercher la responsabilité pour les vices de construction, ce qui participe d’une

volonté de le protéger (I). L’article 1793383, enfin, interdit à l’entrepreneur de réclamer un

supplément de rémunération pour les travaux supplémentaires qu’il a pu accomplir, ce qui

constituerait une règle spéciale du droit entreprenarial (II).

I. Un régime de responsabilité alourdie à l’encontre de l’entrepreneur

161. S’agissant de la responsabilité des constructeurs, le législateur de 1804 a soumis

les entrepreneurs de bâtiments à un régime spécial. Ils étaient automatiquement responsables

pendant dix ans384 de la perte totale ou partielle de l’édifice due à un vice de construction ou à

un défaut du sol. La loi du 3 janvier 1967 introduisit une distinction subtile entre les « gros

ouvrages », garantis pendant dix ans, la garantie décennale, et les « menus ouvrages »,

garantis pendant deux ans, garantie biennale. Ce régime de responsabilité fut refondu par la

loi dite « Spinetta » du 4 janvier 1978385 ayant pour objet de renforcer la protection des

maîtres d’ouvrage en maintenant, selon d’autres critères, les garanties décennale et biennale,

et en créant une garantie supplémentaire dite de « parfait achèvement » et une responsabilité

solidaire du fabricant d’ouvrage ou d’éléments d’équipement. Les garanties spéciales sont

380 Ph. Dubois, Les contrats emportant obligation de construire, in Mélanges Cornu, p. 135 et s. 381 C. civ., art. 1798 : « Les maçons, charpentiers et autres ouvriers qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise, n'ont d'action contre celui pour lequel les ouvrages ont été faits, que jusqu'à concurrence de ce dont il se trouve débiteur envers l'entrepreneur, au moment où leur action est intentée » 382 C. civ., art. 1792 : « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère » 383 C. civ., art. 1793 : « Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire » 384 C. civ., art. 2270 : « Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article » 385 L. n° 78-12 du 4 janvier 1978

Page 84: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

83

donc aux nombres de trois, garanties de parfait achèvement, garantie biennale et garantie

décennale.

162. S’agissant de la garantie de parfait achèvement visée à l’article 1792-6 du Code

civil, elle oblige le constructeur à garantir, pendant le délai d’un an à compter de la réception,

tous les désordres apparents signalés par le maître d’ouvrage, soit lors de la réception au

moyen de réserves soit au cours de cette période par voie de notification écrite386. Le maître

de l’ouvrage peut exiger de l’entrepreneur qu’il procède aux travaux de réparation et, en cas

de défaillance, peut faire exécuter ces travaux par un autre aux frais du débiteur. Cette faculté

de remplacement non judiciaire387 n’est ouverte qu’après une mise en demeure restée

infructueuse pendant 90 jours pour les désordres signalés lors de la réception et pendant 60

jours pour les autres.

163. Concernant la garantie biennale visée à l’article 1792-3 du Code civil, cette

garantie de deux ans à compter de la réception concerne les éléments d’équipement autres que

ceux faisant indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature,

de clos ou de couvert (lesquels sont couverts par la garantie décennale). Il s’agit par exemple

d’un chauffe-eau, d’une moquette, d’un ascenseur ou d’un plafond suspendu. Autant

d’éléments dont le dysfonctionnement ne rend pas l’immeuble impropre à sa destination.

164. Enfin, concernant la garantie décennale, aux termes de l’article 1792 du Code

civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, pendant dix ans à compter

de la réception, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage des dommages, même résultant

d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage, et de ceux qui, l’affectant dans

l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments des équipements, le rendent impropre

à sa destination. Il s’agit par exemple d’une façade qui se fissure, d’un défaut d’étanchéité ou

d’isolation, d’une toiture défectueuse, d’une rampe d’accès aux garages inutilisable en raison

de son exiguïté, d’un système de chauffage inopérant, de capteurs solaires inefficaces, d’une

fosse septique défectueuse, de défauts de conformité aux normes parasismiques388. Encore

faut-il que le vice soit caché lors de la réception des travaux. Sont également couverts par la

garantie décennale les éléments d’équipement faisant indissociablement corps avec les

386 Certains mettent en évidence le désordre apparent qu’elle manifeste. Visée à l’article 1792-6 du Code civil. 387 C . civ., art. 1144. 388 Cass. 3ème civ., 25 mai 2005, D. 2005. 1586.

Page 85: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

84

ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert étant entendu qu’un

élément est considéré comme formant indissociablement corps avec l’ouvrage lorsque sa

dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration389. La

force de cette garantie réside dans le fait qu’elle profite non seulement au maître de l’ouvrage

mais aussi à tous les acquéreurs successifs de l’immeuble.

165. Pour renforcer cette protection du maître de l’ouvrage, la notion de constructeur

est appréciée de manière particulièrement large. Aux termes de l’article 1792-1, est

notamment réputé constructeur tout architecte, entrepreneur, technicien, et autre personne liée

au maître par un louage d’ouvrage, ainsi que tout vendeur ayant construit ou fait construire.

Les sous-traitants sont en revanche exclus de la liste et le demeurent malgré la réforme

récente du régime de la responsabilité et de l’assurance dans le domaine de la construction390.

166. Par ailleurs, les dommages qui relèvent des garanties légales biennales ou

décennales ne peuvent pas donner lieu à une action en responsabilité contractuelle de droit

commun. Cette interdiction de cumul maintient toutefois la possibilité d’engager, dans les

interstices laissés par ces régimes spéciaux de garantie, la responsabilité de droit commun du

constructeur. Ainsi en est il des désordres dits intermédiaires, qui, non apparents à la

réception, échappent à la fois à la garantie décennale en ce qu’ils ne compromettent ni la

solidité de l’immeuble ni à sa destination, et à la garantie biennale, en ce qu’ils affectent la

construction elle-même et non un de ses éléments d’équipement. Ainsi en est-il également des

désordres antérieurs à la réception ainsi que des manquements du constructeur à d’autres

obligations391. L’action intentée contre l’entrepreneur est soumise au droit commun de la

responsabilité contractuelle sous réserve d’un délai de prescription plus court. Afin d’aligner

la prescription de droit commun sur celle de la garantie légale la plus longue, la jurisprudence

décide ainsi que « l’action en responsabilité contractuelle contre les constructeurs se prescrit

de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage avec ou sans réserves »392.

167. Enfin, notons que récemment, la loi du 13 décembre 2000 dite « SRU » est venue

accorder un droit de rétractation au client « toute acte sous seing privé ayant pour objet la

389 C. civ., art. 1792-2, op. cit. 390 Ordonnance 8 juin 2005 ; J. Bigot, Responsabilité et assurance décennale : la clarification attendue, JCP 2005, I, 148 391 ex : devoir de conseil 392 Cass. 3ème civ., 16 octobre 2002, D. 2003, 300, note P. Jourdain

Page 86: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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construction d’un immeuble à usage d’habitation » 393. L’existence de ce régime spécifique

met d’une part en évidence la richesse du contrat d’entreprise et d’autres part, la protection

recherchée du maître d’ouvrage. Cette protection se manifeste également au moment de la

rupture dans les marchés à forfait.

II. Un régime de rupture facilitée au profit du maître de l’ouvrage

168. La construction à forfait est régie par l’article 1793 du Code civil qui dispose que

« lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un

bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander

aucune augmentation du prix, ni sous le prétexte de l’augmentation faits sur ce plan, ni ces

changements ou augmentations n’ont pas été autorisées par écrit, et le prix convenu avec le

propriétaire ». Ce texte déroge au droit commun du prix forfaitaire stipulé dans le contrat

d’entreprise en ce qu’il impose, par souci de protection du maître de l’ouvrage, un formalisme

particulier en cas de convention destinée à assurer un supplément de prix à l’entrepreneur. De

ce texte il convient de définir le domaine d’application avant de définir dispositif.

169. L’application des dispositions dérogatoires de l’article 1793 requiert la réunion de

trois séries de conditions. A défaut d’une d’elle le droit commun s’impose. En premier lieu, il

doit s’agir d’un véritable marché à forfait lequel suppose non seulement une indication précise

et définitive des travaux à accomplir394 mais également un prix fixe et intangible, exclusif de

toute faculté conventionnelle de révision. Par ailleurs le texte ne joue que lorsque

l’entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment. Il doit donc s’agir d’une

véritable construction, et non seulement de simples aménagements ou de l’installation d’un

bâtiment flottant, et cette construction doit se rapporter à un bâtiment, ce qui exclut tous les

autres travaux immobiliers tels que la construction d’un réseau d’assainissement des eaux

usées, d’une piscine ou de voies de circulation. Enfin, le contrat doit avoir été conclu « avec le

propriétaire du sol ». Le jeu de l’article 1793 du Code civil est donc exclu dans les relations

entre entrepreneur principale et sous-traitant dans la mesure où le premier, bien qu’assumant

les fonctions de maître de l’ouvrage, n’a pas la propriété du sol. Il en va de même du maître

de l’ouvrage simple locataire.

393 CCH, art. L. 271-1 394 Art. 1793 : « un plan arrêté et convenu »

Page 87: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

86

170. En cas de travaux supplémentaires, l’entrepreneur n’est en droit d’obtenir un

supplément de rémunération qu’à la condition d’avoir conclu, par écrit, un avenant au contrat

initial exprimant l’acceptation expresse et non équivoque du maître de l’ouvrage portant à la

fois sur les travaux supplémentaires et leur prix. L’exigence d’un écrit constituant une

véritable règle de forme, un accord simplement verbal entre les parties est insuffisant, même

s’il est démontré. Par ailleurs, on ne saurait déduire du paiement volontaire de certains

travaux supplémentaires l’acceptation tacite du maître de l’ouvrage de régler tout ce qui

pourrait lui être réclamé au titre de travaux non chiffrés à l’origine. A supposer ce formalisme

non respecté, la sanction est radicale : l’entrepreneur n’a droit à aucun supplément de prix. Il

doit se contenter du prix forfaitaire initial. Il ne saurait se prévaloir ni d’un enrichissement

sans cause, ni d’une erreur de calcul commise dans le devis initial, ni d’un manque de

prévision de sa part, ni de circonstances imprévisibles.

171. Toutefois, afin de tempérer la rigueur parfois excessive de la loi, la jurisprudence

admet l’exclusion des règles du forfait en cas de bouleversement de l’économie du contrat395.

L’idée est que les changements sont tels qu’ils ne constituent plus de simples travaux

supplémentaires mais caractérisent une véritable modification de l’objet du contrat. De cette

sorte, si les parties, tout en stipulant un marché à forfait, ont ajouté des clauses qui en

modifient le caractère et les effets, telle est la clause qui envisage la possibilité de travaux

supplémentaires et leur règlement éventuel, le marché perd sa qualification. Les parties

doivent alors être considérée comme étant sorties des conditions du forfait pur et simple, pour

se placer sous l’empire d’un contrat d’entreprise régi par les règles ordinaires. Autrement dit

la clause reste valable mais elle entraîne une disqualification de leur contrat.

172. Cette dernière précision met en évidence le caractère spécial du contrat de

construction et sa dépendance au régime initial de l’entreprise. Celui-ci pourrait constituer un

sous-régime du droit entreprenarial ce qu’on pourrait également déduire du contrat de

transport.

395 Cass. 1ère civ., 10 mai 1960, D., 1960.571, RTD civ., 1960.683, obs. Carbonnier ; 9 janvier 1969, Bull. civ., III, n°30 ; 12 mai 1981, Bull. civ., III, n° 94 ; 6 mars 1985, JCP, 1986.II.20657 : « sortent des règles du forfait les parties qui par, une clause particulière d’un marché de construction, réservant au maître de l’ouvrage le droit de modifier certains articles du devis descriptif ou de renoncer à certains ouvrages qui y étaient prévus », comp. Cass. 3ème civ., 17 mai 1995, Bull. civ., III, n° 122 ; égal. 20 mars 2002, Bull. civ. III, n° 72

Page 88: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

87

Section I - Le contrat de transport

173. Le contrat de transport, est un des exemples de louage d’ouvrage que nous

présente le Code civil. Il dépend donc du contrat d’entreprise (I), ce qui peut se lire dans son

régime (II).

I. La nature « entreprenariale » du contrat de transport

174. Les contrats de transports, constituent un ensemble majeur de règles spéciales

applicables aux contrats d’entreprise. Le Code civil considère, en effet, le contrat de transport

comme une espèce principale de louage d’ouvrage et d’industrie396. Il traite dans une section

spéciale des voituriers par terre et par eau397. Le Code civil leur réserve quelques textes au

même titre que le Code de commerce398, qui traite du commissionnaire de transport mais

envisage les seules questions de sa responsabilité399. Aussi, la législation postérieure au Code

civil a cherché à combler ces lacunes à travers différentes lois400.

175. Le contrat de transport se définit comme le contrat par lequel un professionnel du

transport, le transporteur, se charge à titre onéreux de déplacer une personne ou une

marchandise d’un point à un autre401 . Ces contrats sont donc divers, mais malgré cela, ils ont

toujours un certain nombre de caractères communs, qui justifient leur qualification. Le

caractère professionnel, le déplacement et la maîtrise par le transporteur, sont essentiels pour

identifier un contrat de transport. Le critère qualifiant se situe donc d’après la doctrine402 et la

jurisprudence dans le déplacement et la maîtrise de l’opération par le transporteur et le

caractère professionnel de son entreprise qui sont des obligations de faire corollairement au

contrat d’entreprise.

176. Le contrat de transport ne devrait soulever aucune confusion avec le louage de

chose dans la mesure où ce dernier porte uniquement sur la jouissance d’une chose. Mais, si 396 C. civ., art. 1779 al. 2 « Il y a trois espèces principales de louage d'ouvrage et d'industrie: 2o Celui des voituriers, tant par terre que par eau, qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises » 397 C. civ., art. 1782 à 1786 398 C. com. art. L. 132-3 et s., 133-1 et s. 399 Comp. Avec le Code suisse des obligations qui détaille les obligations qui pèsent sur les transporteurs (art. 441-1 et s.), ou encore avec la loi allemande du 25 juin 1998 400 Loi du 3& mai 2004 modifiée par la loi du 2 mars 1957 pour le droit aérien ; une loi du 22 mars 1941 modifiée en 1956 puis en 1994 sur le droit fluvial ; une loi du 18 juin 1966 modifiée en 1986 propose une réglementation de transport maritime et surtout une grande loi d’orientation sur les transports intérieurs, du 30 décembre 1982 invite à la mise en œuvre de contrats-type dans toute sorte de secteurs particuliers. 401 D. Mainguy, op. cit., n° 466 402 En ce sens, Mercadal et Rodière, Droit des transports terrestres et aériens, 5ème éd., 1996, n° 103

Page 89: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

88

le louage de chose porte sur un engin de transport, comme un navire ou un bateau, les

interférences apparaissent aussitôt entre ces deux contrats. Car si on prend en location un

engin de transport, c’est le plus souvent pour s’en servir en faisant des opérations de transport,

soit qu’on confie l’organisation de celles-ci au propriétaire de l’engin (on est alors plus près

du transport que du bail), soit qu’on la confie au locataire (on est alors plus près du louage de

chose). En droit français, ce conflit entre les deux qualifications (louage d’ouvrage ou de

chose), qui concerne tous les modes de transport, est apparu historiquement à des époques très

éloignées les unes des autres, en fonction du mode de transport envisagé. Le problème est né

en droit maritime, pour ressurgir, bien des siècles après, en droit aérien, en marquant dans

l’intervalle le transport terrestre (eau, fer, route)403. Les opérations de manutention ou de

déménagement404 s’en distinguent.

177. En tant que contrat d’entreprise, ce contrat est consensuel et synallagmatique et

l’objet est un acte matériel et non un acte juridique. Ce caractère consensuel est une

caractéristique importante que se retrouve dans la plupart des contrats de transport405. En

pratique toutefois, un écrit aussi sommaire soit-il, est établi à titre probatoire. Par ailleurs, au

même titre que les autres contrats d’entreprise, le prix n’est pas une condition de validité du

contrat. Par mimétisme avec le contrat d’entreprise, le caractère onéreux de ce contrat a pu

poser des controverses. Ainsi, s’il est à titre gratuit, est-il parfois considéré comme un contrat

de complaisance ou de bienfaisance. D’autres considèrent, à la lumière de la jurisprudence,

que ce n’est pas un accord de complaisance et que la relation qui en découle n’est pas

contractuelle, ses conséquences s’appréciant uniquement au regard de la responsabilité civile

délictuelle. La jurisprudence, quant à elle considère que la relation et la responsabilité qui en

découlent, sont extracontractuelles406.

178. Le contrat de transport est une variété du contrat d’entreprise. Ce contrat a donné

naissance à un droit autonome, qui pourrait constituer une branche soumise au droit

entreprenarial.

403 Veaux, Louage d’ouvrage et d’industrie, contrat de transport, J.-Cl. Notarial, Fasc. 30, art. 1782 à 1786 404 Pour les opérations de manutention : loi du 18 juin 1966 ; Pour le contrat de déménagement : ce contrat est un contrat d’entreprise qui se distingue du contrat de transport en ce que son objet n’est pas limité au déplacement de la marchandise : Cass com. 3 avril 2001, JCP 2002, 642, note. Ph. Delebecque. 405 Tel n’est pas le cas en matière de transports fluviaux, l’art. 190 al 1 du Code du domaine public et de la navire intérieur dispose que « A peine de nullité absolue, tout contrat de transport par voie de navigation intérieure est constaté par un document écrit ». 406 Ch. Mixte, 20 décembre 1968, D. 1969.38 concl. Shmelck : la responsabilité de l’art. 1384 al 1er peut être invoquée contre le gardien de la chose par le passagé transporté dans un véhicule à titre bénévole, hors le cas où la loi en dispose autrement, v. égal. Cass. 1ère civ., 6 avril 1994, Defrénois, 1994, 1129

Page 90: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

89

II. Le régime « entreprenarial » du droit du transport 179. Le contrat de transport s’intègre dans le cadre plus global du droit des transports,

branche du droit commercial qui a toujours connu un vif succès et un grand particularisme407.

Le droit du transport découle du contrat de transport tel que décrit par le Code civil. Ce droit

est lui-même soumis à une diversité impressionnante de régimes tant les moyens de transport

varient. Au même titre qu’il existe des contrats d’entreprise, on distingue des contrats de

transport. Le transport maritime, aérien, terrestre, et puis celui des voyageurs et des

marchandises en sont des applications. On remarquera, et c’est essentiel pour comprendre

notre logique analytique, que c’est de cette diversité qu’a découlé l’existence d’un droit du

transport. Ainsi, de manière similaire propose-t-on de dégager un droit de l’entreprise en se

fondant sur la diversité de règles et de contrats qui le composent. Aussi, dans cette logique, le

droit du transport s’entendrait-il d’une branche de ce droit nouveau.

180. Le droit du transport de passagers doit l’essentiel de son régime de la

jurisprudence. Ainsi en est-il de l’obligation de sécurité, comme nous avons pu le voir.

« L’exécution du contrat de transport comportait l’obligation de conduire sain et sauf le

voyageur à destination » décidait la Cour de cassation dans le célèbre arrêt du 21 novembre

1911, précédemment vu408. Ce faisant, la jurisprudence plus que la loi a forgé un régime en

matière de transport de personnes qui a été à l’origine de la création de l’obligation de

sécurité409. C’est une obligation de sécurité-résultat qui a été dégagée, mais de puis un

revirement contemporain410, elle ne joue en matière ferroviaire, que pour la période de

transport proprement dit. Désormais, les accidents de quai relèvent de la seule responsabilité

délictuelle411.

181. Comme nous l’avons vu, le contrat est consensuel de sorte que le titre de

transport est une preuve du contrat412. Le transporteur doit assurer le déplacement selon les

407 V. not. Ph. Le Tourneau, V° Contrat de transport, Rep. Civ. Dalloz 408 Cass. civ. 21 novembre 1911, op. cit. 409 Depuis, la législation a rattrapé le temps qu’elle avait perdu : L. du 18 juin 1966 en matière maritime, L. 2mars 1957 en matière aérienne, reproduisant le contenu de la Convention de Varsovie de 1924 410 Cass. 1ère civ., 7 mars 1989, Bull civ. I, n° 118, D. 1991.1, note Malaurie 411 Il reste cependant que cette responsabilité peut être évoquée non seulement par la victime, mais aussi par ses ayants droits. La jurisprudence admet l’action des ayants droit sur le fondement d’une stipulation pour autrui à laquelle ils peuvent d’ailleurs renoncer. 412 Cass. 2ème civ. 19 février 1992, bull. civ. II, n° 54, JCP 1993, II, 22710 ; La conclusion du contrat de transport se traduit par un écrit qui n’est pas une forme solennelle et que le Code de commerce appelle la lettre de voiture. Les parties sont le transporteur et l’expéditeur. Ce dernier doit exercer toutes sortes de tâches préalables au transport, identifier, emballer les marchandises. Le transporteur doit surtout transporter les marchandises dans les conditions fixées par le contrat. Ses obligations commencent par la prise en charge des marchandises, acte juridique qui date le début de son éventuelle responsabilité qui lui permet de les vérifier voire d’émettre les réserves sur le document de transport.

Page 91: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

90

modalités prévues, étant précisé qu’il se refuse la plupart du temps à garantir un délai413. Le

voyageur doit payer sa place et l’occuper dans les conditions que lui indique le

transporteur414.

182. S’agissant du transport de marchandises, malgré le fait que la conclusion du

contrat de transport se traduise par un écrit appelé lettre de voiture415, le contrat est

consensuel. Les parties sont le transporteur et l’expéditeur. Les différents documents de

transport ne sont que des moyens de preuve du contrat et ses modalités.

Le contrat de transport se noue entre l’expéditeur et le transporteur et es parties restent liées

jusqu’à l’exécution définitive du contrat416. Quant au destinataire, bien qu’il n’ait pas lui-

même conclu le contrat, il y est intégré. Plus précisément, il devient partie au contrat dès qu’il

a donné son acceptation, ce qu’il fait en pratique lorsqu’il prend livraison de la marchandise

ou ne la refuse pas pour mauvaise exécution417. Le contrat de transport de marchandises

présente cette particularité, avec d’autres contrats, comme le contrat de publicité qui est

également un contrat d’entreprise, d’être un contrat pluripartite.

183. Quant aux obligations des parties, elles sont déterminées par les parties elles-

mêmes, La loi du 1er février 1995418 définit cependant la structure fondamentale du contrat : le

transporteur doit présenter un véhicule approprié, le préparer aux opérations de chargement ou

de déchargement et en assurer la conduite. Le reste relève des « prestations annexes » que les

parties peuvent définir. Certaines restent toutefois essentielles : ainsi en est-il de la

livraison419. Ainsi, on observe que le transport, branche autonome du droit, relaye ses

carences en se référant au contrat d’entreprise, qui en est la source

184. Enfin, la question de la responsabilité est régie par le Code civil en son article

1784 du Code civil420. Cette règle, n’est que l’application du droit commun de la

413 Les contrats précisent que les délais ne sont qu’indicatifs, si bien que les retards ne peuvent donner lieu à aucune indemnisation, sous réserve de la négligence caractérisée, CA Aix, 1er octobre 1987, Bull. Aix, n° 67 414 CA Aix, 10 février 1982 ??? 415 C. com. art. L. 132-9 : « La lettre de voiture forme le contrat » 416 V. en droit maritime, Cass. Ass. plèn., 22 déc. 1989, JCP 1990.II.21503 417 Le destinataire est donc en droit d’agir contre le transporteur et son action est nécessairement contractuelle, Cass. com. 28 février 1984, Bull. civ. , IV, n° 81 418 L. 1er février 1995, art. 25 419 Cass. com. 17 novembre 1992, Bull. civ., IV, n° 365 : « La livraison, qui met fin à l’exécution du contrat de transport, est l’opération par laquelle le transporteur remet la marchandise à l’ayant droit qui l’accepte ou qu’il est mis en mesure d’en vérifier l’état, et, le cas échéant, d’assortir son acceptation de réserves puis effectivement d’en prendre possession » ; égal. Cass. com., 11 juin 2003, Bull. civ., IV, n° 98 420 C. civ., art. 1784. : « Ils sont responsables de la perte et des avaries des choses qui leur sont confiées, à moins qu'ils ne prouvent qu'elles ont été perdues et avariées par cas fortuit ou force majeure »

Page 92: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

91

responsabilité contractuelle421. La réparation en nature n’est cependant pas admise422, celle du

laissé pour compte n’est cependant pas exclue423. Les articles L. 133-1 et suivants du Code de

commerce les reproduisent avec cependant quelques originalités. La première se trouve dans

l’interdiction des clauses de non responsabilité. La seconde originalité tient à la règle de

l’article L. 133-3424, qui prévoit l’extinction des actions par la réception des objets transportés.

Cette règle permet de compenser la sévérité avec laquelle on apprécie la responsabilité du

transporteur et s’explique par le régime commun applicable au contrat d’entreprise portant sur

une chose, qu’en à la réception.

185. L’existence de ce régime spécial de la construction et du transport, augure de la

possibilité de l’avènement d’un droit de l’entreprise, le droit entreprenarial. En effet, le

transporteur et le constructeur, qui sont des entrepreneurs sont tous libres et corollairement

responsables. Le transport, qui est une prestation de déplacement et la construction, une

prestation de fabrication, constitueraient ce qu’on a appelé les prestations matérielles. Avec

les prestations intellectuelles, ils composent un régime qui dépend incontestablement du

contrat d’entreprise. En ce sens, dans un premier temps, le contrat d’entreprise, de par sa

diversité est un plus qu’un contrat spécial, c’est un contrat très spécial.

186. Dans un second temps, à bien l’observer, on constate que le régime des contrats

d’entreprise tend à s’émanciper de ses applications initiales. On le retrouve en effet en droit

de la consommation ou en droit de la propriété intellectuelle. Certaines règles qu’on lui

applique découlent donc des volontés protectionnistes de ces deux précédents droits. Pourtant

des règles spéciales lui permettent de se défendre par ses propres moyens, c’est en cela que

l’indépendance du régime des contrats d’entreprise semble se rechercher, faisant de lui plus

qu’un contrat très spécial, un véritable droit.

421 V. A. Sériaux « La faute du transporteur », Economica, 2ème Ed., 1998. Pour un exemple de force majeur réduite à l’évènement irrésistible : Cass. com., 1er octobre 1997, D. 1998, somm., 199, Bull. civ., IV, n° 240 422 Cass. civ., 4 juin 1924, 5. 1925, I, 97 ; com. 19 février 1954, BTL, 1954. 417 423 Cass. com., 18 mars 1969, D. 1969.665, note Rodière 424C. com., art. L. 133-3 : « la réception des objets transportés éteint toute action contre le voiturier pour avarie ou perte partielle si, dans les trois, non compris les jours fériés, qui suivent celui de la réception, le prestataire n’a pas notifié au voiturier, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée, sa protestation motivée ».

Page 93: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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Titre II : Un régime indépendant, favorable à la consécration d’un « droit entreprenarial »

187. On ne peut ignorer la tendance à l’émancipation des « grands » contrats. C’est ce

qu’illustre incontestablement l’autonomisation du louage de services. Du développement, par

quelques universitaires de décision de justice, de discussions doctrinales, c'est-à-dire de la

constitution d’une discipline universitaire, a naturellement fait naître une législation autonome

aujourd’hui baptisé « droit du travail ». Le droit du travail s’entend de l’ensemble des règles

juridiques relatives au travail subordonné. Ce droit est né de la nécessité de protéger les

travailleurs de l’exploitation éventuelle de leur employeur. Si l’émergence du travail en tant

que droit s’est faite en plusieurs étapes à travers les siècles425, tel n’est pas le cas du droit de la

consommation, dont la naissance date de la fin du XXème siècle, on pourrait alors y associer

le droit entreprenarial.

188. Certains ont pu dire que ce mouvement d’indépendance des droits « guettait » la

vente426. L’analyse du régime des contrats d’entreprise, aussi diverses soient-ils, le laisse, en

notre sens, présager de manière plus flagrante. Pourquoi ne pas consacrer un droit

entreprenarial dont l’objet serait de rassembler l’ensemble des règles relatives aux contrats

d’entreprise. Outre l’existence de régimes spécifiques, comme la construction ou le transport,

et la possibilité d’ordonner ces contrats à travers une classification, de nombreux indices

laissent penser que le régime des contrats d’entreprise a acquis la maturité nécessaire à sa

consécration. Celle-ci s’explique de la constatation de sa progressive indépendance par

rapport aux contrats spéciaux (Chapitre I) et au-delà, de son détachement des autres droits qui

en constituaient jusqu’ici certaines règles (Chapitre II).

Chapitre 1 : L’indépendance du droit entreprenarial par rapport aux contrats spéciaux Chapitre 2 : L’indépendance du droit entreprenarial par rapport aux droits spéciaux

425 La révolution française jette les bases juridiques du capitalisme en France, elle libère l’activité économique et le recours au travail d’autrui, autorisant la libre exploitation de celui-ci et la constitution d’un marché du travail. Le régime corporatif est en effet supprimé et la loi d’Allarde des 2-17 mars 1791 consacre la liberté du travail. V. not. J.-P. Le Crom, Deux siècles de droit du travail. L’histoire par les lois, Ed. de l’Atelier, 1998 426 F. Jacquot, Du contrat de vente au droit de la vente (Reflexions de théorie générale sur un contrat spécial, thèse Nancy, 1988

Page 94: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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Chapitre 1 : L’indépendance du droit « entreprenarial » par rapport aux contrats spéciaux

189. « Le grouillement contemporain des contrats spéciaux »427 laisse apparaître un

véritable désordre dans ce droit. Alors que certains ont pu mettre en évidence un étiolement

du phénomène contractuel, en raison d’une progression sensible d’une réglementation

empreinte de dirigisme428, d’autres se félicitent de ce que le contrat ait survécu et même

conquis de nouvelles terres429. La vitalité de cette convention et sa présence dans toutes les

sphères économiques et sociales sont sans conteste. Pourtant la multiplication des contrats a

inéluctablement entraîné une spécialisation de ceux-ci, ce qui peut être vu comme un facteur

de complication des règles existantes. La consécration d’un droit du contrat d’entreprise

participerait donc de la volonté d’ordonner cette branche du droit. De sorte que, son

autonomisation passerait tout d’abord par l’articulation de ce droit autour d’une catégorie

spéciale qui ne se limiterait pas à un contrat (Section I). Une fois identifiée, il conviendra de

mettre en évidence la cohérence de ce droit autour d’un critère spécifique (Section II).

Section I - La recherche d’une catégorie spéciale indépendante Section II - La recherche d’un critère spécifique indépendant

427 Ph. Remy, La jurisprudence des contrats spéciaux, 40 ans de chronique à la revue trimestrielle, in l’évolution contemporaine du droit des contrats, Journées Savatiers, PUF, 1986, p. 103 428 V. H. Battifol, La crise du contrat , Arch. Phil.droit, t. XIII, 1968, p. 13 429 P.- H. Antonmattei et J. Raynard, op. cit., n° 6

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94

Section I - La recherche d’une catégorie spéciale indépendante 190. Le contrat d’entreprise témoigne de ce que l’on peut appeler la généralisation des

contrats spéciaux. A côté de ce phénomène, se laisse entrevoir, celui de la spécialisation des

contrats spéciaux. Ici aussi, le rôle du contrat d’entreprise est incontestable. La recherche

d’une catégorie spéciale du contrat d’entreprise passe par la nécessité de mettre de l’ordre

dans les contrats spéciaux (I) dont on pourrait faire émerger une catégorie propre aux services

(II).

I. L’articulation des contrats spéciaux autour de catégorisations

191. Si le pragmatisme généralement prêté au droit des contrats spéciaux contrecarre

l’idée de l’émergence naturelle d’une théorie générale particulière à la matière, celle-ci est

dans l’ère du temps et de nombreuses études lancent la pierre à une analyse approfondie sur le

sujet430. Cette tendance est loin d’être nouvelle431 et le doyen Carbonnier qualifiait, il y a déjà

quelques années « d’espérance doctrinale » l’ambition de dégager une évolution générale en

la matière432. Ainsi, à l’étude de la jurisprudence, on pourrait élaborer une théorie « générale »

des contrats « spéciaux » en ces quelques mots : satisfaire en tous points le créancier de

l’obligation433. Pourtant, celle-ci apparaît insuffisante, les règles applicables au contrat

d’entreprise en témoignent.

192. Le constat de départ naît sans doute de ce que révèle largement le contrat

d’entreprise, l’existence d’une véritable confusion des genres contractuels. L’étude du régime

des contrats d’entreprise nous aide à s’en persuader. Lacune originaire du Code civil,

interprétation de la jurisprudence, influence d’un contrat sur les autres, les plus proches

d’abord, les plus lointains, ensuite pour en arriver enfin au droit commun. Voilà ce qui

caractérise notre époque juridique, les règles se mêlant et s’entremêlant434. La frontière entre

430 Pour une étude récente, Une théorie générale des contrats spéciaux ? RDC débats Avril 2006, spec., J. Raynard, Pour une théorie générale des contrats spéciaux : des insuffisances respectives du droit général et du droit spécial, RDC 2006, p. 597 ; F. Collart Dutilleul, La théorisation des contrats spéciaux : du droit des contrats au droit des biens, RDC 2006, p. ; D. Mainguy, Pour une théorie générale des contrats spéciaux, P.-Y. Gautier, prolégomènes à une théorie générale des contrats spéciaux, op. cit., « Les contrats se mêlent et se croisent en permanence » 431 F.-B. Bergmans, Essai de systématisation nouvelle des contrats de droit privé, contribution à une théorie générale des contrats de droit privé, RRJ 1990, p. 411 et s., spéc. n° 31 432 Carbonnier, L’évolution du droit des contrats en France, Journées de la Société de législation, 1979, p. 448 433 Sur la stricte conformité aux stipulations contractuelles poussés jusqu’à l’excès, v. Cass. 1ère civ., 20 mars 1989, Bull. civ. I , n° 140, Cass. 3ème civ., 17 janvier 1984, p. 711, obs. J. Mestre ; sur l’hypertrophie d’une obligation de conseil, v. Cass. 3ème civ., 26 octobre 2005, RJDA 2006, n° 132, p. 125 ; Sur « la découverte » d’une obligation de qualité résultat, v. D. Jacotot, La fourniture d’une prothèse, RDSS 2006, p. 86 434 P.-Y. Gautier, art. op. cit., « Les contrats se mêlent et se croisent en permanence ».

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la nature et le régime n’est pas aussi nette que l’on pourrait le croire. Combien de régimes se

sont en effet détachés de leur nature spécifique pour s’étendre indifféremment à des groupes

de contrats divers. Rappelons simplement, à titre d’illustration le cas de la garantie des vices

cachés435, de l’obligation de sécurité436 ou la théorie des clauses abusives437. De ce constat des

auteurs ont pu relever « les insuffisances respectives du droit général et du droit spécial »438.

C’est ainsi que, la théorie générale a vu ses règles de droit commun revigorées au coeur des

régimes les plus particuliers, se nourrissant d’applications spéciales originairement propres à

tel ou tel contrat. La classification qui sert de support à la fameuse théorie générale des

contrats spéciaux et les distinctions traditionnelles (synallagmatique, à titre onéreux…) sont

aujourd’hui trop générales. Ce que Planiol avait pressenti en proposant une classification

synthétique embrassant l’ensemble des contrats en fonction de leur parenté naturelle et en

distinguant les contrats ayant pour objet un travail, les contrats ayant pour objet les choses et

ceux ayant pour objet un droit439. Depuis, d’autres auteurs ont cherché à établir une

classification en se fondant sur l’objet et la cause440 ou en faisant appel à l’idée de famille de

contrats441, toutefois aucune théorisation n’a pour l’instant été retenue.

193. La question de la frontière entre les contrats est donc récurrente à cette matière,

elle traduit à la fois la disponibilité des contrats civils au droit de l’entreprise mais pose aussi

la question de son parallèle avec le droit commun442. Ainsi, le droit commun du contrat, en

tant que tel, ne permet plus de considérer la diversité des contrats dans leur identité respective.

Les phénomènes d’hybridation contractuelle nés de l’imagination de la pratique443, que nous

avons pu mettre en lumière à travers le régime des contrats d’entreprise révèle l’utilité de

considérer le contrat nommé, dans sa variété, en tant que composante élémentaire, susceptible

d’être combinée, enrichie alors que celui-ci, à travers la théorie générale de droit commun, est

aujourd’hui analysée, déstructurée. Le rôle de la jurisprudence est en ce sens, indéniable et il

est incontestable que son « bon accueil » soit à l’origine de ces manifestations de métissage

contractuel444.

435 Sur la garantie des vices cachés, cf. n° 33 et s. 436 Sur l’extension de l’obligation de sécurité, cf. n° 83 et s. 437 Sur les clauses abusives, n° 88, 221 et s. 438 J. Raynard, art. op. cit. 439 Planiol, Classification synthétique des contrats, Rev. Crit. Légis. Et juris. 1904, 470. 440 Oversatake, op. cit. 441 Cornu, op ; cit. p. 315. 442 G. Cornu, art. op. cit. 443 A. Bénabent, L’hybridation dans les contrats, in Mélanges M. Jeantin, Dalloz, 1998, p. 27. 444 Le crédit bail reste l’exemple le plus significatif, mais les instruments de droit commun restent impuissants à saisir la réalité des opérations économiques évoluées que recèlent ces situations.

Page 97: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

96

194. L’hybridation des qualifications contractuelles à travers le régime du contrat

d’entreprise est manifeste. Outre les différents exemples qui ont pu être analysés à travers le

contrat d’entreprise, la loi du 2 août 2005445 qui est venue définir le contrat de coopération

commerciale446 constitue un « bel exemple de greffe du contrat d’entreprise sur le contrat de

vente dans un saisissant mouvement de flux et de reflux né des pratiques…des grandes

épiceries »447. Chaque contrat renforce peu à peu son particularisme sous l’attraction de sa

spécificité. Les règles du droit spécial ne déroge pas au droit commun mais le parachève. De

sorte que, la vente a pu apparaître comme un pilier du droit des contrats448, on peut largement

douter de ses performances aujourd’hui, tant les questions posées en droit des contrats

spéciaux, et plus largement en droit des contrats débordent largement celle du droit de vente.

Si l’édifice tient c’est alors sans doute, qu’il est soutenu par un second pilier, tout aussi

essentiel, qui assure cet équilibre, représentant symboliquement le contrat d’entreprise. Pour

certains donc, c’est certainement dans ces deux contrats, le contrat d’entreprise et le contrat de

vente que l’on peut utilement puiser pour envisager une possible théorie générale des contrats

spéciaux449. La conception de règles particulières communes aux différents contrats spéciaux

constituant, un droit commun complémentaire a la théorie générale et un instrument de

sécurité450. Cette spécialisation des contrats spéciaux révèle par ailleurs la nécessité

d’octroyer son indépendance à la catégorie des contrats de services.

445 Loi dite Dutreil du 2 août 2005 n° 2005-882. 446 L. 441-7 , I, Ccom : « Convention par la quelle un distributeur ou un prestataire de services s’oblige envers un fournisseur à lui rendre, à l’occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs, des services propres favoriser leur commercialisation qui ne relèvent pas des obligations d’achat de vente ». La pratique renvoie à la pratique des « marges arrière », qui voit les grandes enseignes de distribution se faire rémunérer des prestations de services qu’elles réalisent, plus ou moins, pour la revente des produits de leurs fournisseurs vendeurs. Cette pratique apparaît comme une prestation de services assurés par l’acheteur du produit (distributeur) au profit du vendeur de celui-ci (producteur) en vue de sa revente au consommateur. 447 J. Raynard, op. cit., p. 598/ 448 D. Mainguy, Pour une théorie générale des contrats spéciaux, op. cit. 449 En ce sens, D. Mainguy, op. cit., 450 J.-J. Barbieri, Pour une théorie spéciale des relations contractuelles, op. cit.

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97

II. La catégorisation du contrat d’entreprise autour des contrats de service

195. La spécialisation du contrat d’entreprise participe donc plus largement du

phénomène de spécialisation et de « sur-specialisation »451 que subissent les contrats spéciaux

du Code civil depuis quelques décennies. Ce mouvement général n’a pas épargné, loin s’en

faut, le contrat d’entreprise dont les espèces ont-elles mêmes éclatées en sous-catégories

autonomes obéissant à des règlementations particulières de plus en plus pointillistes452. A cet

égard, un auteur a relevé que ce particularisme du contrat d’entreprise se manifeste non

seulement au niveau de l’objet de la prestation, à l’instar du processus par lequel se scindent

la plupart des autres contrats, mais aussi de la prestation elle-même, c'est-à-dire de l’objet de

l’obligation453. Le verbe « faire » peut en effet toujours être remplacé par un autre verbe apte

à en préciser le sens454. Si bien que, selon lui la spécialisation du contrat d’entreprise s’opère

selon un double mécanisme successif : la nature de l’obligation tout d’abord celle de l’objet

de la prestation ensuite455. Le contrat d’entreprise serait donc au cœur de cette catégorie

spéciale des contrats de service.

195. Ce constat découle de « la définition accueillante »456 qu’en fait le code. Elle a en

effet vocation à absorber toutes les opérations donnant naissance à une obligation de faire,

rémunérée. Elle exprime la dimension « supra-catégorique »457 du contrat d’entreprise qui

n’est plus, comme à Rome, un contrat spécial au même titre que les contrats de vente, de bail,

de dépôt, de mandat car il s’est largement spécialisé. Aussi, nombreux sont les auteurs qui,

aujourd’hui, présentent la catégorie du contrat d’entreprise comme un genre recouvrant de

nombreuses espèces458. Au soutien de cette proposition, le professeur Puig rappelle que le

Code lui-même suggère cette qualification générique lorsqu’il dispose à l’article 1779 qu’ « il

y a trois espèces principales de louage d’ouvrage et d’industrie : 1° Le louage des gens de

451 Ph. Rémy, art. op. cit., spé. p. 110. 452CF. Le contrat de transport, par ex, cf. n° 173 et s. 453 P. Puig, op. cit., n° 10. 454 F. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, n° 5. 455 Les contrats de réparation, d’entretien, de soins, de construction…représentent des espèces du contrat d’entreprise susceptibles à leur tour, en raison du particularisme de l’objet de leur prestation, d’être scindés et spécialisés. Du genre, on glisse progressivement vers des espèces particulières puis des contrats très spéciaux455 dont la réglementation autonome affirme progressivement l’indépendance. Le détachement de la categorie-mere s’opère ainsi au fur et à mesure de l’affinement de l’objet au point de rendre finalement très tenu le « lien de filiation » subsistant entre la sous-espèce et son genre auquel elle appartient. Si l’on ajoute à cette spécialisation objective du contrat le mouvement général qui tend à ériger les particularismes subjectifs en condition d’application d’un régime spécifique ( professionnels, consommateurs…), on obtient une mosaïque dont il n’est pas sur qu’elle constitue un progrès du droit455 : « les contrats ont certes besoin de droit ; il n’est pas sur qu’ils aient besoin de lois »455. 456 Ph. Delebecque, op. cit., p. 1. 457 P. Puig, op. cit., n° 8. 458 Ph. Malaurie, L. Aynes, P.-Y. Gautier, op. cit., n°700 et s. ; P. Puig, op. cit., n° 8 et s.

Page 99: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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travail qui s’engagent au service de quelqu’un, 2° Celui des voituriers, qui se chargent du

transport des personnes ou des marchandises, 3° Celui des architectes, entrepreneurs

d’ouvrage et techniciens par suite d’études, devis ou marches ». Ces espèces particulières de

louage d’ouvrage comme un genre de contrats nommés et témoignent déjà de la vocation de

celui-ci à la spécialisation. Il faut s’en doute y voir la raison essentielle du laconisme de son

régime légal459. La généralisation du contrat d’entreprise découle donc de la définition que lui

confère le Code civil et qui a permis d’accueillir de nombreuses prestations particulières460

196. D’une part, en effet, la qualification de ce contrat s’opère souvent par défaut,

faisant apparaître cette catégorie comme une structure résiduelle susceptible d’accueillir les

opérations exclues des autres cadres nommés. La catégorie générique du contrat d’entreprise a

vocation à accueillir tous les contrats qui engendrent une obligation de faire tendant à la

prestation d’un service. Encore faut-il pouvoir appréhender cette notion de service.

197. Les prestation de services sont définies de manière négative comme « un terme

générique englobant à l’exclusion de la fourniture de produits en pleine propriété, celle de

tout avantage appréciable en argent, ouvrage, travaux, gestion, conseil, en vertu des contrats

les plus divers, mandat, entreprise, contrat de travail, bail, assurance, prêt à usage »461. De

nombreux textes du droit de la consommation462 et du droit de la concurrence463, y font

référence sans jamais le définir. Le droit communautaire, s’y intéressant à travers la libre

prestation dont ils sont l’objet464, définit la notion de façon vague et essentiellement

négative465. Ce texte revient à une conception très large proche de celle des économistes466.

En réalité, la doctrine s’accorde à identifier la source des services dans l’obligation de faire467.

Certains affinent le raisonnement en le limitant à l’obligation de Facere468. Du point de vue

de son objet, des auteurs enseignent que les « services sont des prestations qui ne portent pas

459 Sur les raisons des lacunes du code, cf. n° 21 et s. 460 Par exemple: les prestations intellectuelles n° 147 et s. 461 G. Cornu, op. cit., 462 Cf. C. conso L. 111-1 par ex. 463 Ord. 1er déc. 1986. 464 T. Rome, art. 59. 465 T. Rome. Art. 60 : « Comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes […] les services comprennent notamment des activités de caractère industriel, commercial, artisanal, et les activités des professions libérales ». 466 B. Grelon, op. cit. n°17. 467 F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit., n° 625 ; J. Huet, op. cit., n° 300001; R. Savatier, LA vente de srevices, D. 1971, chron., p. 223, n° 4. 468 En ce sens, P. Puig, op. cit., n° 14.

Page 100: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

99

sur des biens »469. Mais c’est oublié les prestations accomplies sur une chose comme la

réparation ou l’entretien.

198. Le Professeur Puig définit le service comme le résultat non appropriable d’une

activité développée par un prestataire au profit d’un bénéficiaire470. De sorte que, les moyens

qu’exige sa fourniture peuvent dépasser la seule exécution d’un travail pour consister en la

mise à disposition d’un bien, d’une personne ou dans le transfert d’un bien. Il a été dégagés

que ces opérations, qui individuellement considérées constituent des prestations

caractéristiques de contrats nommés du Code civil sont absorbées dans le contrat d’entreprise

où ils apparaissent comme les moyens de réaliser une finalité qui les dépasse. En effet Le

contrat qui les met en œuvre poursuit généralement un objectif que seule leur combinaison et

leur association à une obligation leur permettent d’atteindre. En ce sens « la mise à

disposition ou le transfert d’un bien apparaissent ainsi comme l’un des moyens d’offrir un

service, justifiant l’éviction des qualifications de bail ou de vente au profit de

l’entreprise »471. Le contrat d’entreprise a ainsi vocation à mettre en œuvre des mécanismes

qui relèvent ordinairement de catégories contractuelles nommés dès l’instant que les effets

qu’ils produisent individuellement n’apparaissent pas comme le but recherché par les parties

mais seulement comme l’un des moyens de l’atteindre. Ceci expliquerait que ce contrat ait pu

profiter du régime applicable aux autres contrats spéciaux, dans l’enrichissement de ces

règles472.

199. Les prestations service représenteraient ainsi la catégorie générique autour de

laquelle s’ordonneraient les contrats d’entreprise. De la catégorisation des contrats

d’entreprise, naîtrait un droit, encore faut-il rechercher le critère d’articulation de ce droit.

469 F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque, op. cit. n° 625 470 P. Puig, op. cit., n° 128 471 P. Puig, op. cit., n° 128 472 Sur le régime lacunaire du contrat d’entreprise et son enrichissement des autres contrats, cf., n°

Page 101: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

100

Section II - La recherche d’un critère spécifique indépendant

200. Il est dans la nature des choses de procéder à des regroupements dans l’ensemble

que constituent les règles de droit. On tient alors compte de leur objet ou de leur application.

Face au phénomène de multiplication des branches du droit qui a caractérisé le XXème siècle,

à la complexité croissante et à la diversification des activités socio-économiques ont

correspondu, en effet l’apparition et le développement de branches spécialisées du droit. Cette

évolution était certainement inévitable473.

201. Un droit s’entend d’un ensemble cohérents et autonomes de règles, adaptés à un

secteur déterminé activités. La question fondamentale est donc de savoir si le prétendu droit

entreprenarial serait susceptible de constituer un ensemble cohérent et autonome de règles.

Existe-t-il un objectif (I) ou subjectif (II), qui répondrait à cette question ?

I. La recherche d’un critère objectif

202. La naissance d’un droit se fonde donc sur l’existence d’un critère général474. La

question du critère est sans doute fondamentale, « ce signe apparent qui laisse apparaître un

chose ou une notion »475, se présente sous maints aspects comme un précieux allié de la

science juridique476, instrument de classification, dotés d’indéniables vertus pédagogiques477,

il est aussi l’indispensable outil de ces opérations de qualification. La reconnaissance d’une

matière dépend de la nécessité d’une caractéristique commune. Présupposant le regroupement

de ses diverses composantes sous un critère général d’identification478. Afin de consacrer

l’autonomie du droit du contrat d’entreprise, il convient d’analyser si un critère général

permet de dégager un groupe cohérent. Dès lors, il s’agit d’opérer par comparaison à ce qu’a

pu être l’évolution des autres droit. Ce faisant, l’analyse du droit commercial, du droit de la

consommation, du droit du travail et du droit de la distribution sont une aide à l’appréhension

de cette étude.

473 En ce sens,J.L. Aubert, Introduction au droit, Armand Collin, 8ème édition, 2000 : qui donne pour exemple le droit de propriété qui ne se limite pas à l’article 544 Cciv. Et dont on doit tenir compte du droit rural ou de l’urbanisme 474 D. Bureau, Vers un critère général ? in Faut-il recodifier le Code de la consommation, sous la direction de D. Fenouillet et F. Labarthe, Ed. Economica, 2002 475 A. Lalande, Vocabulaire technique et critère de la philosophie, PUF, 16ème ed. 1988, v° Criterium ou critère 476 Pour une illustration à partir des critères envisagés par la philosophie de l’Art, v. B. Oppetit, Philosophie de l’art et droit de l’art, Arch. Phil. Dr., 1996, t. 40, p. 195 et s. 477 Ph. Delebecque, F. Collart Dutilleul, op. cit. n° 22 478 Ce qui n’apparaît parfois pas suffisant : liant de surcroît la reconnaissance d’une branche du droit à son autonomie. G. vedel, le droit économique existe-t-il, in mélanges offerts à P. Vigreux, Toulouse, 1981, t. II, p. 767 et p. 769 refusant pour cette raison la qualification de branche du droit au droit de la consommation

Page 102: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

101

203. Ainsi, le critère de la commercialité a-t-il été dégagé pour le droit commercial479,

celui-ci assurant l’unité du droit, sinon on ne saurait y découvrir qu’un ensemble de règles

disparates480. Prolongeant le parallèle avec le droit commercial, les conceptions

principalement défendues pour définir la commercialité pourraient servir de guide, qu’il

s’agisse de la théorie objective selon laquelle le droit commercial serait celui de certains actes,

les actes de commerce, ou de la théorie subjective, faisant du droit commercial, celui de

certaines personnes, les commerçants.

204. S’agissant de la théorie objective dans « sa pureté originelle »481, on affirma

l’existence d’actes de commerce par nature, en raison de leur objet. Ainsi l’article 632 du

Code de commerce fut il compris comme proposant une liste des actes de commerce par

nature, tels l’achat pour revendre ou les opérations de banque. Pourrait-on alors considérer

que certains actes soient entreprenariaux par nature ? La diversité de contrats d’entreprise

permet d’analyser cette question d’une manière pragmatique. La création d’un bien meuble

personnalisé pourrait dès lors constituer un acte d’entreprise par nature. Tels seraient

également le cas des actes de transport ou celui des actes de construction lorsque le sol

appartient au client.

205. La théorie objective du droit commercial observa également que certains actes

pourraient être commerciaux simplement en raison de la forme juridique utilisée pour leur

faire produire des effets. C’est ainsi que la lettre de change est considérée comme l’exemple

type d’actes de commerce par la forme, donnant aux engagements nés de sa seule signature la

force d’engagements commerciaux, quelle que soit l’opération réalisée au moyen de la lettre

de change et quelle que soit même la qualité des personnes intéressées. De manière

comparable, l’examen du régime des contrats d’entreprise pourrait-il révéler l’existence

d’actes entreprenariaux par la forme?

479 F.-X. Vincensini, La commercialité (Recherche sur l’identification d’une activité), PUAM, 1998 ; Sur le rôle de l’extranéité au stade de l’intervention des règles de droit international privé, P. Mayer, Droit international privé, Montchrétien, 6ème éd., 1998, spéc. n° 5 480 Comp., G. Berlioz, Droit de la consommation et droit des contrats, JCP 1979, I, 2954, spéc. n°5 : « La création d’un droit autonome de la consommation en matière contractuelle nécessiterait que l’on puisse définir des critères d’application précis afin de délimiter le domaine d’application de ce droit » 481 J.-Blaise, Droit des affaires, LGDJ, 2ème Ed., 2000, spéc. n° 215

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102

206. A priori, la réponse devrait être négative, les actes de prestation de services ne

sont pas décelables par leur forme en tant que tels, et la raison en est simple, le

consensualisme irrigue ce contrat. Ce contrat consensuel se forme par le simple échange de

consentement des parties sur le travail à exécuter, sans forme particulière482. Toutefois, il

existe bien des cas où un écrit est nécessaire. Ainsi, l’article 5 de la loi du 3 janvier 1967

exige-t-il un écrit pour le contrat de construction de navires ainsi que pour les

modifications483. De même, le code des devoirs des architectes impose l'établissement d'un

écrit484. Enfin, le contrat de construction de maison individuelle est obligatoirement conclu

par écrit à peine de nullité485. Au regard de ces textes, ne pourrait-on pas considérer que les

actes de construction de navire, ceux des architectes et enfin ceux de construction de maison

individuelle, pourraient constituer des actes entrepreunariaux par la forme.

207. Ce parallélisme qui n’est peut être pas convaincant, a alors le mérite de soulever

une autre question qui est celle de la distinction entre le droit commercial et le droit civil jugé

parfois inutile. Existe-t-il alors un critère complètement autonome qui permettrait au contrat

d’entreprise de passer du stade de contrat spécial à celui de droit spécial ?

II. La recherche d’un critère subjectif

208. La théorie subjective empruntée du droit commerciale renvoie aux sujets eux-

mêmes. Selon cette conception la délimitation du domaine du droit commercial devait

s’effectuer à partir des sujets eux-mêmes, afin d’appliquer alors « le droit commercial aux

seules personnes qui ont la qualité de commerçants »486. La transposition d’un tel critère au

droit de la consommation a pu être mise en évidence, à travers la notion de consommateur487.

Quant est il alors de ce critère au regard du contrat d’entreprise ?

209. Il s’agit en premier lieu d’identifier quels sont les acteurs du droit entreprenarial.

Celui-ci s’articule autour de tous les contrats d’entreprise qui peuvent être recensés aussi

nombreux soit-il. De manière générale, qu’il soit coiffeur, garagiste, notaire, constructeur,

rénovateur, teinturier ou architecte, l’acteur principal se nomme entrepreneur. Celui qui lui 482 Cass. 3ème civ., 8 oct. 1974: Bull. civ. III, n° 343. 483 Cf. Chao, Rép. Com. Dalloz, 2e éd., V° Navire, n. 93, Si certains y voient une condition de forme, d'autres n'en font qu'une condition de preuve. 484 Il ne s'agit que d'une règle déontologique n'écartant pas le principe du consensualisme, V. par ex. : Cass. 3ème civ., 11 juin 1986 : D. 1987, 285, note A. Gourio. 485 CCH, art. L. 231-1, à peine de nullité cette fois. 486 G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, LGDJ, t. I, 17ème éd., 1998, par M. Germain et L. Vogel, spéc. n°5 487 D. Bureau, op. cit., p. 57

Page 104: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

103

donne la réplique, se nomme le maître de l’ouvrage. Deux questions se posent alors à nous. La

première est celle de leur qualification, la seconde, celle de leur reconnaissance en tant que

critère général du droit entreprenarial.

210. D’une part, le régime du contrat d’entreprise a largement évolué, ainsi est-il

corollairement de sa qualification. Aussi, la partie qui se charge d’effectuer le travail a-t-elle

pu changée, Pothier la désignait, sous le nom de « conducteur »488, il parfois dénommé

« ouvrier » par le Code civil. Le qualificatif étant susceptible de créer une confusion entre le

contrat d'entreprise et le contrat de travail, il a très tôt été jugé préférable d'y substituer le

terme « d'entrepreneur »489. Cette expression est aujourd’hui consacrée bien que le plus

souvent ce dernier soit désigné par sa profession.

211. La partie qui commande le travail est « le client », « le maître de l'ouvrage », « le

donneur d’ordre », ou est parfois même « le propriétaire »490. Cette dernière ne semble pas

satisfaire aux exigences d’autonomie qu’implique le droit entreprenarial, en ce qu’on conçoit

mal en quoi la personne qui se fait couper les cheveux est « propriétaire », et ne peut donc être

retenue. Par ailleurs, l’expression « donneur d’ordre » implique un rapport de force entre celui

qui fait et celui pour qui le travail est fait, qui ne reflète pas le caractère d’indépendance de ce

premier. Au contraire, la notion de « client » est séduisante en ce qu’elle met en évidence le

lien complètement libre qui le lie à l’entrepreneur. C’est, de plus, une notion modernisée, qui

rappelle que le louage d’ouvrage n’est plus et que seuls les contrats d’entreprise existent

aujourd’hui. Toutefois, on ne peut que relever l’insuffisance de cette notion qui est

indistinctement utilisée pour d’autres contrats comme le contrat de vente. De sorte que, la

confusion demeure et ne permet pas de relever l’indépendance et la spécificité de ce droit.

Enfin, l’expression « maître de l’ouvrage » est désuète, on pourrait en ce sens relever que la

volonté de faire disparaître la notion de louage d’ouvrage, serait en contradiction avec

l’utilisation d’un terme qui comporterait une partie de son expression. En effet, si on ne

connaît plus de louage d’ouvrage mais seulement des contrats d’entreprise, comment alors

définir ces derniers par une notion s’y référant. Il n’en demeure pas moins que cette notion a

le mérite d’être complètement spécifique au contrat d’entreprise. Face à ces lacunes, comment

alors appeler celui pour qui le travail est effectué ? Sans doute, en tant que réceptionneur

488 Pothier, Traité du contrat de louage, op. cit., n° 392. 489 Préférable à celui de « locateur » utilisé au XIXe siècle, mais aujourd'hui désuet et même équivoque. 490 Ce dernier terme ne doit pas être pris en son sens strict : il désigne toute personne qui passe contrat comme le ferait un propriétaire, sans avoir égard à son titre juridique exact, Cass. soc. 3 déc. 1942 : Gaz. Pal. 1942, 2, 274

Page 105: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

104

d’une prestation, peut-on l’appeler le bénéficiaire de la prestation491. Cette expression est

vierge, elle ne s’identifie à aucune autre réalité que celle du contrat d’entreprise, en sorte

qu’elle en est une spécificité. Peut-on alors considérer le bénéficiaire de la prestation ou son

entrepreneur, en tant que critère subjectif de droit entreprenarial.

212. Selon le schéma « un code un homme », le code de la consommation est celui du

consommateur, le code de commerce celui du commerçant, le code du travail celui du

travailleur. Quel est donc l’acteur commun à tous les contrats d’entreprise, qui permettrait

d’organiser ce droit ? Du côté du bénéficiaire de la prestation, d’abord, ne pourrait-on pas

considérer que c’est autour de lui que s’organisent tous les contrats d’entreprise. En ce sens,

une récente étude a mis en évidence l’harmonisation des contrats d’entreprise autour de ce

que cet auteur appelle traditionnellement, le maître de l’ouvrage492. Du côté de l’entrepreneur,

ensuite, on peut relever que c’est une notion très large qui reflète diverses réalités. Quoi de

commun entre le médecin ou le garagiste ? Certainement leur action qui est de faire quelque

chose pour quelqu’un en toute indépendance. Au lieu des parties en cause493, c’est de l’objet

de l’obligation que la distinction peut s’opérer.

213. C’est donc finalement de l’objet des contrats d’entreprise en général, plus que de

la personne qui l’effectue que découle le critère général spécifique au droit entreprenarial.

Faire quelque chose pour quelqu’un en toute indépendance, voilà ce qui caractérise ce droit.

La personne qui l’effectue a ce lien avec un autre entrepreneur qu’elle rend un service à

quelqu’un et ce même lorsqu’un ouvrage est réalisé. Certains ont d’ailleurs articulé la

communalité de ces contrats autour d’une notion d’origine prétorienne, celle du travail

spécifique. Les deux acteurs de ce contrat ont un rôle fondamental et actif. En réalité, c’est

donc de la diversité des contrats d’entreprise que se dégage un droit. Plus qu’un contrat

spécial c’est une véritable institution qu’il incarne, en ce sens que ce droit intéresse des

domaines importants pour l’Etat comme la construction ou le transport, ce que ne confère pas

le contrat de vente qui détermine une seule situation celle du transfert de propriété.

491 Cette expression est d’usage constant en droit de la consommation et en droit de la concurrence, où l’on tend à couvrir aussi bien la fourniture des produits que celle des services. 492 G. Durant-Pasquier, op. cit. 493 Personne public, privés, entreprise soumise à un agrément, entreprise exigeant une licence, entreprise pouvant agir librement ; un ou plusieurs entrepreneurs, entrepreneur principal et sous-entrepreneur.

Page 106: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

105

214. Cette autonomisation du contrat d’entreprise se lit par ailleurs des règles spéciales

qui confère une protection particulière dépassant celle du consommateur ou de l’auteur. Or

n’est ce pas de la protection d’une partie faible que de nombreux droits ont vu le jour ?

Page 107: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

106

Chapitre II. L’indépendance du « droit entreprenarial » par rapport aux droits spéciaux

215. Le droit civil est un droit d’équilibre, pareillement soucieux des intérêts en

présence, sans a priori favorable à l’une ou l’autre partie. Le constat selon lequel la liberté

dans le contrat laissait au plus fort la possibilité d’exploiter économiquement la partie la plus

faible, a mis en place l’apparition de régimes spéciaux de protection du contractant le plus

faible. Le libéralisme outrancièrement individualiste du code de 1804 a ainsi peu à peu laissé

place à un interventionnisme de rééquilibrage du contrat destiné à le rendre plus juste, certains

évoquant « une socialisation des règles de droit »494.

216. En témoignent la consécration du droit de la consommation et du droit du travail,

dont l’objet de chacun est de protéger une partie faible, le consommateur, d’une part et le

travailleur d’une autre. On pourrait donc résumer la naissance de ces droits par la nécessité de

protéger une partie faible495. L’analyse du régime des contrats d’entreprise doit alors se

tourner vers cette logique protectionniste. Doit-on protéger l’entrepreneur ou le maître de

l’ouvrage d’une manière particulière ? L’analyse du régime met en évidence une certaine

protection du maître de l’ouvrage et de l’entrepreneur, indépendamment de leur qualité de

consommateur ou d’auteur et de créateur. C’est en cela qu’une indépendance par rapport aux

droits spéciaux se lit (Section I). Par ailleurs de l’objet accueillant de ce droit, et de la

souplesse de ce régime pourraient s’entrevoir une certaine dépendance des contrats de

distribution (Section II)

Section I - L’indépendance par rapport aux droits de la consommation et de la propriété intellectuelle Section II - Vers une dépendance des contrats distributions au « droit entreprenarial »

494 Mazeaud, n°49. 495 V. sous la direction de M. Fontaine et J. Ghestin, La protection de la partie faible dans les rapports contractuels. Comparaisons Franco-belges : Bil. Dr. Privé, t. 261, LGDJ, 1996.

Page 108: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

107

Section I - L’indépendance par rapport aux droits de la consommation et de la propriété intellectuelle

216. Le contrat d’entreprise admet-il la protection du maître de l’ouvrage et de

l’entrepreneur en tant que tels ?

217. L’étude du régime des contrats d’entreprise nous permet de répondre

positivement à la question. De sorte que, cette prise en compte de la qualité de maître de

l’ouvrage et d’entrepreneur permet de dépasser celle de consommateur ou d’auteur, et

implicitement participe de l’indépendance du droit entreprenarial par rapport à ces droits

spéciaux. Cette indépendance se manifeste donc du côté du droit de la consommation d’une

part (I) et du côté du droit de la propriété intellectuelle d’autres part (II).

I. De la protection du consommateur à celle du bénéficiaire de la prestation 218. Le droit de la consommation a pour objet la protection du consommateur, tout

comme le droit du travail protège le salarié. Les contrats d’entreprise n’ont pas échappé à la

croissance du consumérisme. En témoigne la nouvelle garantie de conformité que nous avons

précédemment étudiée496. Ainsi le droit de la consommation irrigue-t-il le régime des contrats

d’entreprise. Pourtant, au-delà de la protection du consommateur, c’est celle du bénéficiaire

de la prestation que laisse entendre la jurisprudence et la loi.

219. S’agissant de l’influence du droit de la consommation sur les contrats

d’entreprise, on la retrouve à diverses reprises dans l’analyse de leurs régimes. Les contraintes

particulières résultant des textes protégeant le consommateur visent souvent le seul cas de

vente497. Pourtant la jurisprudence tend à approfondir celle du bénéficiaire d’une prestation de

service. Ainsi en est-il du démarchage à domicile qui a été étendu aux propositions de

prestations de services498. La loi, participe également à cet élargissement de protection. Aussi,

la loi du 18 janvier 1992 renforçant la protection du consommateur a-t-elle pris soin

d'assimiler fréquemment le « professionnel vendeur de biens ou prestataire de services »499.

En ce sens, dès la formation du contrat, les manifestations consuméristes se manifestent. Le

contrat peut, certes se former instantanément par simple acceptation d'une offre préalable,

496 Sur la nouvelle garantie de conformité, cf. n° 36 et s. 497 Par exemple L. n° 72-1137 du 22 déc. 1972 22 déc. 1972 sur le démarchage à domicile 498 V. Cass. 1ère civ., 2 mai 1990, Bull. civ. I, n° 92 499 L. n° 92-60 du 18 janv. 1992, art. 2 sur l'obligation d'information ; art. 3 sur les délais et sur les arrhes, etc.

Page 109: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

108

c'est le cas lorsque l'entrepreneur propose ses services par une publicité indiquant la nature

des travaux dont il se charge et leur prix. Pourtant, on rappellera ici l'incidence du droit de la

consommation, puisque tout professionnel contractant avec un « consommateur » doit, avant

la conclusion du contrat, le « mettre en mesure de connaître les caractéristiques essentielles

du service » et indiquer la date limite d'exécution, dont le dépassement ouvrira au client une

faculté de dénonciation500. Ainsi, le financement d’une opération par le recours au crédit est

emprunt de consumérisme. En effet, la loi du 10 janvier 1978 relative au crédit mobilier501

s’applique également aux fournitures de service s’agissant du formalisme préalable.

Pareillement, la loi du 13 juillet 1979 relative au crédit immobilier502 joue aussi pour les

dépenses de construction, réparation, amélioration ou entretien d’un immeuble notamment

quant à la condition suspensive du prêt. De plus des dispositions spécifiques ont été adoptées

pour certaines prestations de services. Ainsi en est-il dans le contrat d’enseignement à

distance, qui prévoit que le contrat ne peut être signé qu’après un délai de six jours francs à

compter de sa réception503. Par ailleurs, la loi relative au contrat de courtage matrimonial504,

relative à l’information et la protection des consommateurs dispose que, pendant les sept jours

suivant la signature du contrat, le client peut revenir sur sa décision, et ajoute qu’il est interdit

de recevoir de lui aucun paiement avant l’écoulement de ce délai. Enfin, tout prestataires de

services doit selon l’article L. 133-2 du Code de la consommation, par voie de marquage,

d’étiquetage, d’affichage ou par tout procédé approprié, informer le consommateur sur les

prix qu’il effectue.

220. S’agissant de l'exécution, elle ne demeure pas moins sans protection. Le délai

de l’exécution du contrat l’illustre. Il peut effectivement être fixé par la convention, mais

lorsque tel est le cas, la loi de 1992505 renforçant la protection des consommateurs rend cette

indication obligatoire et ouvre au bénéficiaire de la prestation une possibilité de dénonciation

du contrat sept jours après l'expiration de ce délai, sauf cas de force majeure. Le retard dans

l’exécution, peut par ailleurs, donner lieu à des dommages et intérêts, voire des pénalités

contractuelles ou même à la résolution du contrat. Cependant, si le bénéficiaire de la

prestation demande des modifications ou des travaux supplémentaires, le délai prévu se trouve

500 L. 18 janv. 1992, art. 2 et 3. 501 C. conso., art. L. 311-1. 502 C. conso., art. L. 312-1 et s. 503 L. 12 juillet 1971, art. 9. 504 L. 23 juin 1989, art. 6. 505 L. 18 janvier 1998, art. 3.

Page 110: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

109

prorogé, au moins tacitement506 et il en est de même en cas de force majeure507. Dans le même

sens, le régime des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité participe de cette

volonté de protéger le bénéficiaire de la prestation consommateur. Ainsi, dans les rapports

entre professionnels et profanes, la Cour de cassation a-t-elle étendu le contrôle des clauses

abusives au contrat d'entreprise, et ce, malgré l'absence de texte réglementaire508. La

jurisprudence, considère qu’est nulle la clause de non-responsabilité qui prouve un avantage

excessif au professionnel lorsqu'il peut, du fait de sa position économique, l'imposer à son

client. Par ailleurs, par application du droit commun, les clauses de non-responsabilité ne

peuvent pas éluder l'obligation qui constitue la substance même du contrat et dispenser ainsi à

l'avance l'entrepreneur de son obligation essentielle509. Ces clauses ne peuvent pas concerner

les dommages corporels subis par le client, car le corps humain est hors du commerce, ce qui

exclut toute clause relative à l'obligation de sécurité, et enfin, les limitations de responsabilités

ne jouent pas en cas de faute lourde de l'entrepreneur510.

221. Au-delà de la protection du consommateur de service, c’est celle du bénéficiaire

de la prestation en tant que tel qui est mise en place dans le régime des contrats d’entreprise.

Les règles applicables au client de services mettent en évidence une réelle protection

autonome du bénéficiaire de la prestation, tant au stade de la formation, qu’à celui de

l’execution.

222. Au stade de la formation et de l’exécution, l’obligation de conseil, la révision du

prix par le juge, le mécanisme des appels d’offre son autant d’exemples qui mettent en

évidence la protection particulière qui est conférer à ce que le Code civil appelle le maître de

l’ouvrage. Sans revenir sur la question du prix qui a précédemment été étudiée, ni sur le

mécanisme de l’appel de l’offre dont l’analyse a déjà été faite, il convient de se pencher sur

les obligations de conseil, qui trouvent dans le contrat d’entreprise un véritable terrain

d’élection.

506 Cass. 3è civ., 12 avril 1972 ; Bull. civ. III, n° 213; 13 oct. 1971 : Bull. civ. III, n° 489 ; 4 juill. 1979: D. 1980 507 Cass. 3e civ., 13 oct. 1971 : Bull. civ. III, n° 489 508 Cass. 1ère civ., 14 mai 1991 : JCP G 91, II, 21763, note Paisant ; D. 1991, 449, note Ghestin 509 Cf. par exemple Cass. 1ère civ., 28 avril 1987 : D. 1988, 1, note Delebecque ; Malaurie et Aynès, op. cit. n° 753 510 A propos d'une faute lourde d'une agence de renseignements commerciaux V. Cass. 27 nov. 1911 : DP 1913, 1, 111 ; Pour un conseil en organisation d'entreprise, Cass. 1ère civ., 21 déc. 1964 : JCP G 65, II, 14005 ; Bull. civ. I, n° 585 ; JC Goldschmith : Gaz. Pal. 1976, 1, doct. 1 ; Cass. com. 30 mai 1967 : Bull. civ. III, n° 216 ; pour un organisme de contrôle technique : Cass. 1ère civ., 7 fév. 1989 : Bull. civ. I, n° 73

Page 111: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

110

223. En dehors des contrats dont l’objet principal est précisément de conseiller le

client, l’entrepreneur est tenu à titre accessoire de conseiller son client. On distingue le devoir

de conseil, qui désigne une obligation préétablie par la loi, de l’obligation de conseil, qui

constitue le lien de droit par lequel une personne est tenue d’une prestation envers une autre,

en vertu d’un contrat. L’obligation de conseil découle donc du contrat. Cette obligation puise

son origine dans le devoir général d’information dégagé par la jurisprudence et notamment de

la notion de bonne foi. Bien que l’article 1134 al 3 vise la seule exécution du contrat511, celle-

ci irrigue désormais la formation de celui-ci et trouve dans le contrat d’entreprise matière à

prospérer.

224. La jurisprudence512 et la doctrine513 distinguent par ailleurs, l’obligation

d’information, qui est une donnée brute, l’obligation de renseignement, qui caractérise un fait

empirique, et l’obligation de conseil, qui met en relation le fait empirique avec l’objectif

poursuivi par le commerçant. C’est d’une différence d’intensité qu’on les distingue donc.

Ainsi, les entrepreneurs sont-il tenus de conseiller leur client sur les modalités, enjeux risques

et conséquences du contrat. L’entrepreneur est tenu à l’égard de son cocontractant, d’une

obligation de conseil dans la réalisation du projet spécifique. Cette obligation est différente de

celle qui pèse à titre d’obligation principale sur certains professionnels du conseil et d’étude.

En effet, l’obligation de conseil dont il est question ici s’impose, à côté de l’obligation

principale dans tous les contrats d’entreprise

225. Le caractère fondamental de cette obligation réside dans sa relativité514. Là où il

existe pleinement à l'égard d'un client profane, il est réduit, voire supprimé lorsque le client

est compétent et n'a pas à être conseillé515. Cette idée est illustrée en particulier par la très

abondante jurisprudence relative, en matière de construction, à l'immixtion du maître

d'ouvrage notoirement compétent516. Sous la réserve de cette relativité de principe, le devoir

d'information et de conseil se situe dans tous les contrats d'entreprise et il est impossible de

511 C. civ., art. 1134 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ». 512 Cass. 1ère civ., 18 mai 1989, D. 1989, p. 189. 513 M. Fabre Magan, Essai d’une théorie de l’obligation d’information dans les contrats, LGDJ, 1992. 514 Malaurie et Aynès, op. cit. n° 751. 515 Pour l'affirmation du principe de cette relativité, voir par exemple : Cass. 1ère civ., 2 juill. 1991 : Bull. civ. I, n° 228 ; A propos d'un notaire : Cass. 3ème civ., 20 nov. 1991 : JCP G 92, IV, 263 ; cf. aussi Cass. 3ème civ., 29 oct. 1969 : Bull. civ. III, n° 691. 516 Cf. Llorens, Le devoir de conseil des constructeurs : RD imm. 1986, 1.

Page 112: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

111

procéder à une liste exhaustive de ses cas d'application517. L’analyse de la jurisprudence met

en évidence le durcissement de cette obligation. D’une obligation relative, l’on serait passé à

une obligation absolue notamment pour les notaires et les avocats qui ne sont déchargés ni par

les compétences personnelles du client, ni par son assistance par d’autres professionnels518.

Ceci illustre la protection indépendant du bénéficiaire de la prestation et contribue à l’analyse

d’un éventuel droit entreprenarial.

226. Le caractère statutaire de cette obligation d’ordre public met en évidence l’idée

de protection du maître d’ouvrage, en tant que tel, indépendamment de sa qualité de

consommateur. La moralisation prétorienne du contrat va très au-delà du consumérisme, c’est

dans tous les contrats qu’elle est à l’œuvre et les contrats sont à cet égard très intéressant.

L’indépendance des contrats d’entreprise par rapport au droit de la consommation se

manifeste ainsi. Au-delà de la protection du bénéficiaire de la prestation, le régime des

contrats d’entreprise prévoit une protection spéciale de l’entrepreneur qui dépasse le simple

cadre de celle conféré par le code de la propriété intellectuelle. Celle-ci est d’autant plus

importante que l’intellectualisation de ce contrat ne cesse de croître.

II. De la protection de l’auteur à celle de l’entrepreneur

227. L’exécution du contrat d’entreprise peut se traduire par la réalisation d’une œuvre

qui sera protégée au titre du droit d’auteur519 ou du droit des créateurs520. L’entrepreneur est

alors protégé principalement par le droit de la propriété intellectuelle. La qualité d’auteur ou

d’inventeur lui confère en effet certains droits puisque ce qui constitue une obligation pour le

bénéficiaire de la prestation, est corrélativement un droit pour l’entrepreneur. Or, une

restriction aux droits du maître de l'ouvrage concerne en effet, les ouvrages susceptibles de

bénéficier, à raison de leur nature, de la protection accordée par elle aux oeuvres littéraires ou

artistiques. Bien que propriétaire de l'ouvrage, le maître doit, pour ces catégories d'œuvres, 517 Les agences de voyages sont tenues d'une obligation de conseil à l'égard de ceux dont elles organisent le voyage, Cass. 1ère civ., 27 oct. 1970 : JCP G 71, II, 16624 ; D. 1971. Les agents d'affaires et les agents immobiliers doivent renseigner leurs clients sur la situation juridique des biens à acheter, sur leur évaluation, leur destination et les possibilités de financement : Cass. 1ère civ., 3 janv. et 30 oct. 1985 : Bull. civ. I, n° 1 et 277 ; 10 fév. 1987 : Bull. civ. I, n° 43 ; Cass. 1ère civ., 29 juin 1964 : Bull. civ. I, n° 345 ; Cass. 3e civ., 14 fév. 1973 : Bull. civ. III, n° 126 ; 25 fév. 1975 : Bull. civ. III, n° 73 ; JCP G 75, IV, 133 ; ou des risques de désordres apportés aux propriétaires voisins par suite des travaux, Cass. 1ère civ., 29 juin 1964 : Gaz. Pal. 1964, 2, 382 ; ou encore sur le choix des entreprises, Versailles 20 nov. 1987 : Gaz. Pal. 1988, 1, pan. jur. 54,ou les précautions et traitements nécessaires, pour des bois de charpente : Cass. 3ème civ., 23 juin 1976 : Bull. civ. III, n° 281. 518 Cass. 1ère civ., 14 mars 2000, Bull. civ., I, n° 92 ; Defrénois 2000, p. 1391, note J.-L. Aubert ; Cass. 1ère civ., 7 novembre 2000, Bull. civ., I, n° 282, Defrénois 2001, p. 261, note J.-L. Aubert. 519 On trouve spécialement ce cas de figure dans les contrats de commande, Pour une qualification du contrat de commande en contrat d’entreprise : S. Denoix de St Marc, Le contrat de commande en droit d’auteur français, Litec, Coll. Les droits des affaires, propriété intellectuelle, 1999. 520 C'est-à-dire le droit de la propriété industrielle.

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112

respecter le droit que conservent sur elles leurs auteurs. Cette solution est retenue depuis

longtemps521 et s'est trouvée renforcée par la loi du 11 mars 1957522 qui dispose que «

l'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de services par l'auteur

d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par

l'alinéa premier ».

Le maître doit donc respecter à la fois les droits patrimoniaux de l'auteur et son droit moral,

dès lors du moins que le travail effectué par l'entrepreneur présente les caractères de

nouveauté et d'originalité. Pour ce qui concerne les droits patrimoniaux, cela vise à la fois le

droit de reproduction et le droit de représentation, qui pourra trouver à s'appliquer suivant la

nature et la forme du travail réaliser par l'entrepreneur.

228. S’agissant du droit de reproduction, qui est le plus souvent appliqué, il concerne

toute forme de fixation matérielle de l'oeuvre permettant de la communiquer au public de la

manière indirecte523. Dès lors que le contrat de l'entrepreneur peut donner prise à ce droit, il

en est titulaire. Cela peut concerner aussi bien l'oeuvre d'un architecte524 que de nombreuses

autres créations525 . Le client ne peut donc pas communiquer l'oeuvre sans obtenir de la part

de l'entrepreneur la cession du droit de reproduction qui, on le sait, se limite aux usages

prévus526. Il en résulte par exemple que le maître de l'ouvrage ne pourra pas diffuser ou

permettre la publication d'une photographie ou un dessin d'un immeuble original sans

l'autorisation de l'architecte527. Il en est de même de la publication dans un magazine d'une

décoration intérieure528. Il ne pourra pas non plus utiliser les plans d'un architecte ou d'un

ingénieur à d'autres fins que celles prévues au contrat, notamment par une exécution

répétée529 ou par une remise à un nouvel architecte530. Il en est de même pour toute œuvre

artistique hors de l'architecture531.

521 Paris 20 nov. 1935 : Gaz. Pal. 1936, 1, 208 : Ainsi, le directeur d'un théâtre, qui a fait exécuter par un artiste, dont le nom est mentionné aux affiches et programmes, la maquette de décors et costumes de scène, ne peut apporter de sa propre autorité aux costumes un changement qui en dénaturerait le caractère et trahirait la pensée de l'artiste. 522 L. n° 57-298 du 11 mars 1957, art. 2. 523 L. 11 mars 1957, art. 28. 524 Visée expressément à l'article 3 de la loi de 1957. 525 Forme d'un objet quelconque, élaboration d'un slogan publicitaire ou d'un logo, décoration intérieure, voire consultation juridique, etc., on pense donc le droit des dessins et modèles peut s’appliquer. 526 L. 11 mars 1957, art. 30 et 31. 527 Rabat, 12 déc. 1955 : RTD com. 1956, 676 ; TGI Paris 13 avril 1970 : D. 1971. 528 Paris 25 fév. 1988 : D. 1989, somm. 43, obs. Colombet. 529 L. 11 mars 1957, art. 28, al. 3. 530 Cass. 1ère civ., 15 fév. 1977: Bull. civ. I, n° 86; 6 mars 1979: Bull. civ. I, n° 82. 531 Meubles et objets, tableaux ou portraits, etc.

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113

229. Le droit de représentation trouvera plus rarement à s'appliquer, dès lors qu'il

consiste dans une communication orale ou visuelle. Cependant, le principe en est certain532.

Par exemple, le client d'un architecte ou d'un décorateur ne pourrait, sans autorisation de

celui-ci prendre son oeuvre, ou sa reproduction, pour cadre ou décor d'un film, de même que

celui qui a fait faire une étude scientifique ou économique ne pourrait pareillement en donner

lecture publique ou radiodiffusée. Ces droits patrimoniaux donnent lieu au droit de repentir de

l'article 32 de la loi de 1957, qui peut donc permettre à l'entrepreneur de révoquer une

autorisation de reproduction, moyennant indemnité.

230. S’agissant des droits de propriété industrielle, par ailleurs, la solution semble plus

mitigée. Qui du bénéficiaire de la prestation ou de l’entrepreneur est réellement protégé ? Le

contrat de recherche533, qui est un contrat d’entreprise, aiguille la solution en ce qu’il a pour

objet de donner naissance à un ouvrage brevetable534. Répondre à la question initiale revient

sans doute à répondre à celle de la titularité de ce brevet.

231. Le principe est que la désignation de l’auteur est libre puisque les parties

aménagent librement la dévolution du droit de brevet. Contrairement au droit d’auteur, en cas

de silence, le droit français n’accorde aucun droit privatif sur l’invention du seul fait de sa

création. Seul le dépôt de la demande de brevet réalise l’appropriation de l’invention535. Le

brevet revient au déposant dès lors la délivrance d’une spécification par le donneur d’ordre est

indifférente. Mais la particularité du contrat d’entreprise permet de nuancer ce propos.

L’existence d’un contrat de recherche par lequel le bénéficiaire commande un ouvrage qui

sera ensuite brevetable à fait dire à la doctrine que le titulaire naturel du brevet devait être le

bénéficiaire de la prestation en considérant que « L’invention réalisée en exécution d’un

contrat de commande appartient, sauf clause contraire au donneur d’ordre »536. L’idée

provient de ce que le contrat engendre pour l’entrepreneur une obligation « de communication

des résultats de recherche »537. Il en résulte corrélativement que le maître dispose d’un droit à

obtenir révélation de ces résultats. Or ce droit « n’a de sens que dans la mesure où le

532 Le droit moral de l'entrepreneur créateur doit pareillement être respecté. Ainsi, l'architecte peut-il s'opposer à des modifications de ses plans sauf si elles sont imposées par des impératifs techniques : Cass. 1ère civ., 1er déc. 1987 : Bull. civ. I, n° 319 ; D. 1989, somm. 45, obs. Colombet. ; TGI Paris 29 mars 1989 : D. 1990, somm. 54, obs. Colombet. 533 Y. Reboul, Les contrats de recherche, Paris, Librairies techniques, 1978, n° 280. 534 Y. Reboul, op. cit. 535 J. Schmidt- Szalewski, J.L. Pierre, Droit de la propriété industrielle, Litec, 2003, n° 49 ; J.Ch. Galloux, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, coll. Cours , 2ème édition, 2003, n° 283. 536 J. Schmidt- Szalewski, J.L. Pierre, op. cit., n° 52, p. 28 ; A. Chavanne, J.-J. Burst , Droit de la propriété industrielle, Précis Dalloz, 5ème éd. 1998, n°137, et implicitement J. Ch. Galloux, op. cit. n° 288 p. 126. 537 A. Chavanne, J.-J. Burst, op. cit., n° 137.

Page 115: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

114

bénéficiaire peut obtenir la réservation de son profit »538. A cet effet, l’article L 611-8 al 1 du

Code de propriété intellectuelle donne la possibilité pour l’inventeur lésé d’exercer, ce que

l’on appelle une action en revendication, lui permettant, le cas échéant d’agir pour faire

prospérer sa volonté initiale. Ce raisonnement semble, par ailleurs emporter l’adhésion de la

jurisprudence539 qui fait ainsi prévaloir la protection du bénéficiaire de la prestation sur celle

de l’entrepreneur. Pourtant, un jugement a pu retenir que le droit au brevet n’était attribué au

donneur d’ordre qu’à deux conditions : le financement de la recherche et la participation

intellectuelle540. Cette subordination à deux conditions, cumulatives au demeurant, laisse

flotter un doute sur la titularité de ce droit. Par une interprétation a contrario, cela signifierait

que l’entrepreneur est, aux yeux de cette jurisprudence le breveteur, ou créateur naturelle à

moins que le donneur d’ordre n’est eu un rôle actif tant dans la conclusion que l’exécution de

cette recherche. Suivant cette analyse, il en résulterait une inversion du principe et de

l’exception au profit cette fois de l’entrepreneur.

232. Au-delà de sa protection en qualité d’auteur ou d’inventeur, le régime des

contrats d’entreprise laisse entrevoir une protection de l’entrepreneur en tant que tel. Ainsi en

est-il, comme nous avons pu le voir, s'il est sous-traitant, puisqu’il bénéficie des protections

organisées par la loi du 31 décembre 1975541. Par ailleurs, la protection de l’entrepreneur se

manifeste au regard, d’une obligation omniprésente pour le bénéficiaire, l’obligation de

coopération, qui tire sa source de l'obligation générale d'exécuter les contrats de bonne foi542.

Elle trouve un terrain d'élection dans le contrat d'entreprise dès lors qu'il s'agit souvent pour

l'entrepreneur de travailler sur des biens ou des éléments fournis par son client543. Le maître

doit s'abstenir de gêner le déroulement des travaux544 ou même parfois agir lorsque sa propre

personne est en cause545. Ce devoir de collaboration varie selon la nature de la prestation

demandée546. Cette obligation est consacrée par la jurisprudence547 et on peut aujourd'hui dire

538 A. Chavanne, J.-J. Burst , op. cit. n° 137 539 Paris 3 juin 1998, PIBD. 1998, III, p531, RD Propriété intellectuelle, 1998, n° 89, p. 46 540 TGI Paris, 26 nov 1975, RTD com 1976, p717, obs. A. Chavanne et J. Azema 541 Cass. com. 1er oct. 1991 et Cass. 3ème civ., 19 juin et 30 oct. 1991 : D. 1992, somm. 112, note Bénabent. 542 C. civ., art. 1134, al. 3, op. cit. 543 Collart Dutilleul et Delebecque, op. cit. n° 731 544 Ainsi commet une faute le maître d'ouvrage qui modifie de façon incohérente les plans primitifs rendant ainsi plus difficile l'exécution du contrat, Cass. 3ème civ., 22 mai 1968 : D. 1970, 453, note Jestaz ; Gaz. Pal. 1968, 2, 290 545 On songe à l'exemple du portrait exigeant des séances de pose. 546 Fourniture de l'accès aux lieux, livraison des objets ou matériaux nécessaires, renseignements complets et véritable coopération pour des contrats d'ingénierie, Viney, La responsabilité des entreprises prestataires de conseils : JCP G 75, I, 2750, n° 49, d'audit ou de conseils juridiques. 547 CE 7 juin 1972 : Rec. Cons. d'Et., Tables, p. 1154 ; 14 déc. 1973 : Rec. Cons. d'Et. p. 726 ; V. Cass. 3ème civ., 20 fév. 1970 : Bull. civ. III, n° 140. Ainsi, le client doit signaler le détachage préalable du linge à l'eau de javel, Cass. 1ère civ., 11 mai 1966 : Bull. civ. I, n° 281.

Page 116: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

115

que s'applique tout spécialement au contrat d'entreprise l'obligation de coopération qui tend à

être reconnue dans les contrats en général548.

233. Enfin, l’entrepreneur dispose d’un droit de rétention afin d’obtenir paiement. Il en

va ainsi lorsqu’une chose lui a été remise par le co-contractant à l’occasion de leurs relations,

et qu’il peut se refuser à rendre. Tel est le cas du garagiste, qui peut retenir le véhicule sur le

quel il a fait une réparation549. Il en va de même de l’architecte, qui est fondé à conserver les

pièces qui lui ont été confiées550. Malgré quelques exceptions, dues au caractère

fondamentalement personnel du service en cause551, ce droit est présent dans tous les contrats

d’entreprise et participe d’une protection en tant que tel de l’entrepreneur.

234. Ces observations mettent en évidence le passage de l’entreprise du stade de

contrat très spécial, à celui de droit. En effet, la protection recherchée du maître de l’ouvrage

et, dans certaines circonstances de l’entrepreneur, est manifeste. En sorte que, le critère

général précédemment recherché pourrait résider dans cette recherche de protection comme

cela a été le cas pour le droit de la consommation, le droit de la propriété intellectuelle ou

encore le droit du travail. Le contrat d’entreprise acquiert peu à peu son autonomie, et

l’ampleur de ce phénomène pourrait faire apparaître une dépendance de certains contrats de

distribution à ce régime souple entreprenarial.

548 Y. Picod, L'obligation de coopération dans l'exécution du contrat : JCP G 88, I, 3318 ; Mestre, D'une exigence à bonne foi à l'esprit de collaboration : RTD civ. 1986, 101 549 V. par ex, Cass. com. 11 juin 1969, D. 1970. 244, note. Ph. Bihr 550 Cass. civ. 18 juillet 1904, D. 1906, I, 9 551 On a jugé que le dentiste ne saurait exercer de droit de rétention sur une prothèse dentaire : Cass. 1ère civ., 9 octobre 1985, D. 1986. 417, note J. Penneau

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116

Section II. Vers une dépendance des contrats de distribution au « droit entreprenarial » ?

235. Les contrats de distribution sont ceux qui organisent l’achat et la revente, souvent

en réseaux, des produits ou des services. La finalité de ce droit s’organise autour d’un acteur

bien connu maintenant, le consommateur. Le droit de la consommation, et inévitablement le

droit de la concurrence touchent donc de près le droit de la distribution. Ce droit, qui permet

d’organiser économiquement et juridiquement les relations entre les distributeurs d’une part

et les producteurs d’autre part, a pu être critiqué et certains contestent l’affirmation d’une

théorie générale des contrats de distribution552 tant la diversité des formules contractuelles est

vaste.

236. Les opérations de la distribution sont donc nombreuses, et une partie d’entre elles

remplissent aisément la qualification de contrat d’entreprise. Si l’on admet que le contrat de

communication de savoir faire, qui n’est pas en sois un contrat de distribution, est un contrat

d’entreprise (I), alors par analogie, le contrat de franchise, qui est un contrat de distribution et

de communication de savoir faire, serait un contrat d’entreprise (II). Admettre cela

consisterait à admettre corollairement une sorte de dépendance de certains contrats de

distribution au droit entreprenarial.

I. De la qualification « entreprenariale » du contrat de communication de savoir faire…

237. Le savoir faire se définit d’ensemble de connaissances pour lesquelles une

personne, désireuse de faire des économies d’argent et de temps est prête à verser une somme

d’argent553. Il se caractérise par cinq traits particuliers, c'est une connaissance technique,

conférant un avantage économique, transmissible, secrète et non brevetée554. La nature

juridique du contrat de communication de savoir-faire fait l’objet de débats. La qualification

de cession a pu être écartée en ce que l’objet de ce contrat, le savoir faire, ne constitue pas un

bien transférable. En effet, une information ne se cède pas, elle se partage, a-t-on fait

justement remarquer555. Il existe ici un décalage sensible entre la réalité économique, qui

assimile l’opération à une véritable cession et les contraintes de droit des biens, qui interdisent 552 D. Ferrier, Droit de la distribution, Litec, 3ème éd., 2002 ; contra, M. Behar-Touchais et G. Virassamy, Les contrats de distribution, LGDJ, 1998. 553 M. Mousseron Rep. Com. Dalloz v°Savoir faire, 1977, n° 4. 554 V. pour une analyse mot à mot de cette définition, Ph. le Tourneau Le Parasitisme, Litec, 1998, n° 195 s. 555 E. Daragon, Etude sur le statut juridique de l’information, D. 1998, chron. p. 63.

Page 118: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

117

le recours aux contrats translatifs de propriété. Aussi, sa communication se réalise-t-elle selon

d’autres mécanismes juridiques que la vente. La tentation est assez forte alors de rechercher

du côté du contrat d’entreprise ce que la vente ne peut offrir. Nombreux sont les auteurs qui y

cèdent556. Pourtant, d’autres préfèrent largement la qualification de louage de choses. Selon le

professeur Devésa557, le contrat de « licence » de savoir-faire non breveté serait un contrat de

louage de chose, c'est-à-dire une location, comme la licence de brevet. Cet auteur se fonde sur

les caractéristiques de ce contrat qui rejoignent celle de la licence de brevet. Elles consistent,

selon lui pour le loueur (le concédant) à mettre et à maintenir le preneur (le licencié) en

jouissance de la chose louée (le savoir-faire) moyennant une rémunération appelée loyer.

L’intérêt selon lui serait d’appliquer le régime légal des articles du Code civil du louage de

chose où existe une obligation de garantie très lourde du concédant vis-à-vis du licencié,

pratiquement identique à celle du vendeur. Pourtant, comment admettre qu’on puisse louer

une information, alors même que l’on refuse d’y voir un objet transférable.

238. Malgré ces démonstrations, la qualification de contrat d’entreprise demeure

séduisante. Cette proposition repose sur le parallèle établi entre, d’une part, l’objet du contrat

d’entreprise conçu comme étant le résultat du travail de l’entrepreneur et, d’autre part, le

savoir faire né de l’activité et d’une expérience passée. En tant que résultat d’un travail

déployé, le savoir faire s’intégrerait alors naturellement dans l’architecture du louage

d’ouvrage558. Au soutien de cette qualification, des auteurs ont pu écrire que le contrat de

communication de savoir faire se rapproche du contrat d’enseignement559, considérant en ce

sens : « que le contrat de communication de savoir est un contrat d’enseignement, un contrat

d’entreprise par lequel un sachant, un compétent, un connaissant, le maître d’une technique,

s’engage à la communiquer, à l’enseigner, à un bénéficiaire qui, en contrepartie, versera une

rémunération qui peut prendre de nombreuses formes »560. Si certains se sont employés à

démonter ces raisonnements en mettant en évidence la confusion entre la fin et les moyens de

l’opération561, il n’en demeure pas moins que le contrat de communication de savoir faire est

un contrat d’entreprise en ce qu’il répond strictement à sa définition. N’est-il pas un contrat

556 J.-J. Bust, Commercialiser le know how, Rapport introductif, in Le know how, 5ème rencontre de propriété industrielle, Montpellier 1975, Litec, coll. Act. Dr. Entreprise, t. 7, 1976, p. 133 et s. ; A. Chavanne et J.-J. Bust, op. cit., n° 625, F. Collard-Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit. n° 899 ; D. Mainguy, op. cit. n°355 ; Th. Revet, op. cit., n° 569 557 Ph. Devésa, art. op. cit., 558 Th. Revet, op. cit. n° 569. 559 A. Chavanne et J.-J. Burst, op. cit., n° 625 560 J.-J. Burst, op. cit. p. 133 561 P. Puig, op. cit. n° 53, qui considère que le contrat de communication de savoir-faire a pour finalité le transfert d’un bien non approprié, une information, tandis que le contrat d’enseignement porte sur l’organisation de leur acquisition par une personne, une prestation dont l’objet est la personne même de l’élève.

Page 119: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

118

par lequel, quelqu’un s’oblige à faire quelque chose, transférer une technique, un savoir, donc

à faire quelque chose, de manière indépendante et sans représentation moyennant

rémunération ? C’est en ce sens, un contrat d’entreprise ayant pour objet le transfert d’une

technique, l’obligation fondamentale résidant dans la transmission d’un savoir faire. Il en

résulte que cette qualification a pour mérite de faire le échapper du régime de la vente et du

bail, et par conséquent peut y faire demeurer le contrat de savoir-faire. Dès lors l’argument

selon lequel, l’exécutant ne réalise pas quelque chose pour autrui, une tâche impliquant la

mise à disposition de la personne562 ne peut être retenu. Comment communiquer des

connaissances sinon en mettant à la disposition sa personne. Quel est donc l’intérêt de

rattacher ce contrat au contrat d’entreprise du point de vue de son régime? Certainement de le

renforcer et de l’enrichir, afin qu’en cas de carence, le régime commun entreprenarial lui soit

applicable. En tant que contrat de communication de savoir-faire, ce raisonnement est il

applicable au contrat de franchise qui est un contrat de distribution ?

II. … A l’application du régime « entreprenarial » aux contrats de franchise et au-delà

239. Si certains mettent en avant que le contrat de communication de savoir-faire, pur

et simple, se distingue de la transmission de connaissances intervenant dans le franchisage en

ce que dans le premier cas la transmission est la fin, tandis que, dans le second, elle n'est

qu'un moyen563, il est incontestable que la transmission du savoir-faire est l'élément qualifiant

de ce contrat. De sorte que le contrat de franchise est un contrat de communication de savoir-

faire. Bien qu’il ne s’y limite pas, puisqu’il se caractérise également par une licence de

marque et d'enseigne, une assistance technique, la transmission du savoir-faire en est une

obligation principale564. C’est ainsi que le contrat, qui ne comporte pas de véritable

communication de savoir-faire, ne sera pas résolu ni annulé, mais requalifié565.

562 J. Huet, op. cit., n° 32110. 563 Régis Fabre, Savoir faire, J. Cl. Contrats et distributions., Fasc 1850, 1999. 564 Cass. com., 29 avr. 1997, D. 1998, somm. p. 338, obs. D. Ferrier; CA Paris, 25 févr. 1992 : D. 1993, somm. p. 392, obs. D. Ferrier; CA Paris, 21 oct. 1986: D. 1988, somm. p. 22, obs. D. Ferrier. 565 Ex : Versailles, 7 mars 2002: JCP E 2002, 898 ; RJDA 2002, n° 756, en licence de marque ; CA Paris, 7 juin 1990 : D. 1990, inf. rap. p. 176, en contrat d'approvisionnement et de fourniture exclusifs ; T. com. Paris, 3 mai 1993 : Gaz. Pal. 1994, 2, somm. p. 460, en simple mise à la disposition d'un signe de ralliement de la clientèle. V. pour un requalification en contrat de gérance salariée pour un franchisage de distribution, Cass. com., 3 mai 1995 : D. 1997, jurispr. p. 10, note L. Amiel-Cosme ; D. 1997, somm. p. 57, obs. D. Ferrier; JCP E 1995, II, 748, note L. Leveneur ; Et pour un franchisage de services, Cass. soc., 4 déc. 2001, Dalval : JCP E 2002, Cah. dr. entr. n° 3, p. 31, obs. D. Mainguy.

Page 120: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

119

240. Le franchisage a été créé par la pratique pour répondre à des besoins nouveaux,

nés du développement économique et social et il ne fait pas l'objet d'une réglementation

spécifique. Les raisons en ont été diverses, d’abord son important de la pratique n’avait pas

laissé le temps aux juristes d’y penser. Ensuite la nécessité de souplesse, motivait cette

carence. En ce sens, au regard du régime souple du contrat d’entreprise, pourquoi ne pas l’y

avoir rattaché ? A titre d’exemple, la responsabilité du franchiseur est de résultat quant à la

communication matérielle du savoir-faire, mais de moyens quant à sa compréhension par le

franchisé et son efficacité ou rentabilité, à raison de l'aléa des affaires, et de la part active

prise par le franchisé, commerçant indépendant. On voit ici apparaître l’ambylance des

obligations de conseils.

241. Au-delà du contrat de franchise dont la nature entreprenarial pourrait être

soulevée. L’analyse d’autres contrats de distribution est à cet égard intéressante. Ainsi le

contrat de concession qui porte sur la distribution de produits, comporte inévitablement des

services. D’abord du concédant envers le concessionnaire, qu'il assiste de diverses manières,

par exemple pour aménager son magasin, tenir sa comptabilité. Ensuite, du concessionnaire

au profit du concédant, même si cela paraît moins évident au prime abord ; en effet, il

décharge le concédant de la commercialisation de ses produits, et donc du poids des

investissements afférents à celle-ci. Cette bilatéralité des services traduit la présence

entreprenarial dans les contrats de distribution.

242. Enfin, le contrat de diffusion, où le diffuseur a pour fonction de présenter le

produit en vue de sa vente ou le service en vue de sa prestation peut relever de la qualification

du contrat d’entreprise. La diffusion a été définie comme la première mise du produit sur le

marché lorsque se réalise le passage du stade de la production à celui de la distribution566. On

peut l’appréhender dans une acception plus large, comme toute présentation du produit ou du

service par un distributeur ou consommateur, en vue de la conclusion du contrat de vente ou

de prestation de service correspondant. En tant que le diffuseur s’engage à présenter

moyennant rémunération les produits ou les services du fournisseur567, il constitue un contrat

d’entreprise, le régime entreprenarial pouvant lui être appliqué en cas de carence.

566 J.-M. Mousseron, op. cit., p.38 définit la diffusion comme « l’introduction des marchandises dans l’appareil de distribution qui va les acheminer jusqu’au consommateur ». 567 Cass. com., 16 octobre 1967, D. 1957, p. 751

Page 121: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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CONCLUSION

243. Le contrat d’entreprise a énormément évolué, au point que l’on a pu écrire que

cette figure contractuelle pourrait supplanter le contrat de vente568. Le louage d’ouvrage ne

reflète plus la réalité du contrat d’entreprise, et le régime législatif qui en découle semble de

ce fait insuffisant.

244. Les lacunes du Code civil sont, à cet égard manifestes, si bien que le régime du

contrat d’entreprise a du s’enrichir en bénéficiant de règles exportées d’autres contrats

spéciaux. En témoigne la garantie des vices cachés qui a pu être appliquée aux contrats

d’entreprise translatifs de propriété par exemple. Les contrats spéciaux ont donc eu une

influence non négligeable sur le régime du contrat d’entreprise.

245. Enrichi de cette influence contractuelle, le contrat d’entreprise a, à son tour, eu un

impact important sur le droit commun des contrats. Aussi, est-ce à travers lui que de

nombreuses règles communes ont vu le jour. C’est le cas notamment de la distinction des

obligations de moyens et de résultat découverte dans le contrat médical, ou de

l’indétermination du prix dans les contrats cadre. C’est également le cas de l’obligation de

sécurité dont la naissance se doit au contrat de transport. La pratique du contrat d’entreprise a

révélé par ailleurs des règles particulières, comme la sous-traitance, autour de laquelle la

jurisprudence a pu préciser la théorie des groupes de contrats.

246. Le contrat d’entreprise, dans le passé a donc influencé en se généralisant.

Aujourd’hui ce régime se spécialise ce qui ce caractérise par sa souplesse et sa diversité.

247. Aussi, aujourd’hui, la diversité de contrats d’entreprise se manifeste tant par des

prestations matérielles qu’intellectuelles. En sorte que, de cette diversité que certains

dénoncent, découle en réalité une force pour cette figure contractuelle qui ne se limite plus à

être un simple contrat mais un véritable contrat très spécial. L’existence de contrats

568 De Juglart, La vente : un contrat en voie d’extinction au profit de l’entreprise, op. cit.

Page 122: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

121

spécifiques, comme le contrat de construction ou le contrat de transport, participe de ce

constat d’enrichissement.

248. Dans l’avenir alors, la tentation est grande de proposer l’avènement d’un droit

autonome qui s’articulerait autour du contrat d’entreprise, et notamment de son objet large. La

spécialisation des contrats spéciaux renforce cette idée. Car plus qu’un contrat très spécial, le

contrat d’entreprise a acquis la maturité nécessaire pour exister indépendamment des contrats

spéciaux, mais également des autres droits auxquels il est rattaché. En outre, la recherche d’un

critère général qui permettrait d’assurer une cohérence à ce droit, le laisse présager. Ainsi, en

est-il de l’étude de la protection qui se rattache au maître de l’ouvrage et à l’entrepreneur, au-

delà de leur qualité de consommateur ou d’auteur.

249. Fondamentalement, si la question de l’autonomisation du contrat d’entreprise

peut paraître avant-gardiste, elle pose en réalité, celle complètement réaliste, de la nécessité

d’une intervention législative qui se fait pressente. A cet égard, on comprend mal pourquoi

l’avant-projet de réforme des obligations s’est alors limité au droit commun alors que,

l’imbrication des règles ici soulevées à travers le contrat d’entreprise, démontre

incontestablement le besoin de dépoussiérer les contrats spéciaux. En ce sens, « le

merveilleux champ d’exploration du phénomène contractuel »569 que constitue le contrat

d’entreprise, paraît en mesure d’offrir un cadre propice à nourrir une réflexion sur la théorie

générale des contrats spéciaux.

250. Passé, présent, présomption sur le futur, voilà donc de quoi s’est constituée notre

analyse, car seul l’avenir nous dira comment cette évolution fulgurante du contrat d’entreprise

se matérialisera, mais une chose est sûre, « le contrat d’entreprise n’a certainement pas fini

de livrer ses secrets… »570.

569 Ph. Delebecque, op. cit., p. 4 570 P. Puig, op. cit., n° 456.

Page 123: LE REGIME DES CONTRATS D’ENTREPRISE

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Sénéchal (J.), Recherche sur le contrat d’entreprise et la classification des contrats spéciaux, thèse dactyl., Lille, 2004. Stadelmann (G.), Du louage d’ouvrage au contrat d’entreprise : étude d’une notion, Mémoire de DEA Droit des contrats civils et commerciaux, Université de Versailles-St-Quentin, 2003. Vincenot (C.), La détermination du prix dans le contrat d'entreprise, Mémoire de DEA Droit privé, Paris I, 1990. Vincensini (F. X.), La commercialité (Recherche sur l’identification d’une activité), PUAM, 1998.

III. Articles d’encyclopédies Benabent (A.), Le contrat d’entreprise, J.-Cl Contrats-Distribution, 1992, Fasc. 425. Louages d’ouvrages et d’industrie: Contrat d’entreprise, perte de la chose et risques du contrats, J.-Cl Civ., 1996, Fasc. 60. Louages d’ouvrages et d’industrie: Contrat d’entreprise, marché à forfait, J.-Cl Civ., 1997, Fasc. 62. Boubli (B.), Contrat d’entreprise, Rép. Civ., Dalloz, 2003. Cujatar (Ch.), Louage d’ouvrage et industrie, garantie de paiement à l‘entrepreneur, J.-Cl Civ., art 1799-1 et 2000. Gibirila (D.), Louages d’ouvrages et d’industrie : Contrat d’entreprise, J.-Cl Civ., 2002, Fasc. 40. Louages d’ouvrages et d’industrie : Sous-traitance, J.-Cl Civ., 2002, Fasc. 50. Le Tourneau (Ph.), Contrat « intuitu personae », J.-Cl. Civ., Fasc. 200. Mousseron (M.), Savoir faire, Rep. Com. Dalloz, 1977. Schmidt-Szalewski (J.), Savoir faire, Rep. Com. Dalloz, 2001. Veaux (D.), Contrat de conseil, J.-Cl. Contrats-Distribution, 1992, Fasc. 430. Louages d’ouvrages et d’industrie: Diverses espèces de louages, J.-Cl Civ., 2001, Fasc. 10. Louages d’ouvrages et d’industrie: Contrat de transport (vue d’ensemble), J.-Cl Civ., 1995, Fasc. 30. Louages d’ouvrages et d’industrie: dissolution du contrat par le décès de l’entrepreneur, 1998 Fasc. 7

IV. Articles de revues

Abatrucci (S.), La responsabilité du maître d’ouvrage à l’égard des sous- traitants, RD. imm. 2002, p. 488.

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Aubert-Monpeyssen (Th.), Les frontières du salariat à l’épreuve des stratégies d’utilisation de la force de travail, Dr. Soc. 1997, p. 616. Aynès (L.), Le droit de rompre unilatéralement : fondement et perspective, Droit et Patrimoine, Mai 2004, p. 66. Babando (J.-P.), Sous-traitance et contrats voisins, Le Moniteur, 13 décembre 1996, p. 50. Barthélémy (J.), Le professionnel parasubordonné, JCP E., 1996, I, p. 606. Contrat de travail et d’entreprise : nouvelles frontières - réflexion sur la loi Madelin, JCP. E, 1994, I, p. 361. Belot (J.), La détermination judiciaire du prix dans les contrats, RRJ. 1982, 2, p. 355. Benabent (A.), Les difficultés de la recodification: les contrats spéciaux, in le Code civil 1804-2004, livre du bicentenaire, Dalloz, 2004, p. 246. Berlioz (G.), Droit de la consommation et droit des contrats, JCP 1979, I, 2954. Berlioz-Houin (B.), Berlioz (G.), Le droit des contrats face à l’évolution économique“, Etudes offertes à R. Houin, Dalloz, Paris, 1985, p. 1. Bigot (J.), Responsabilité et assurance décennale : la clarification attendue, JCP 2005, I, 148. Blanchard (P.), Les contrats d’études, contrat d’entreprise ou partenariat?, Cah. Jur. Elect. et gaz, 1991, p. 85. Boccara (B.), Du pouvoir de réduction judiciaire de l’avocat, libre critique et dialectique judiciaire, Gaz. Pal. 1998, 2, doct. p. 1142. Boré (J.), Les limites du devoir de conseil du rédacteur d’actes, in Le contrat à l’aube du XXIème siècle, in Mélanges offerts à J. Ghestin, LGDJ, 2001, P139. Bureau (D.), Vers un critère général ? in Faut-il recodifier le Code de la consommation, sous la direction de D. Fenouillet et F. Labarthe, éd. Economica, 2002. Cadiet (L.), Interrogation sur le droit contemporain des contrats, Travaux de recherche de la faculté de Rennes, sous la direction de L. Cadiet, Economica, 1987, p. 7. Carbonnier (J.), Introduction, in L’évolution contemporaine du droit des contrats, Journées Savatier, 1985, Poitiers, p. 29. Catala (P.), La propriété de l’information, in Mélanges offerts à P. Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, p. 117. Cornu (G.), Introduction, in L’évolution contemporaine du droit des contrats, Journées Savatier, 1986, Poitiers, p. 100. De Juglart (M.), La vente: un contrat en voie d’extinction au profit de l’entreprise in Mélanges offerts à J. Derrupé, Litec-GLN, 1991, p. 63.

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V. Publications étrangères

United Nations Industrial Development Organization, Le Contrat d'entreprise : problèmes d'organisation, Edition New York : O.N.U., 1975 Witz (Cl.), La nouvelle jeunesse du BGB insufflée par la réforme du droit des obligations, D. 2002, doct., p. 3156

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INDEX ALPHABETIQUE

(Les chiffres renvoient aux paragraphes) A. Abus :

- d’une dépendance économique : 64 et s.

- clause abusive: 88, 221 - du devis : 94

Action directe : 117 et s. Aléa : 132 Analogie : 29 Antériorité : 68 Auteur : 227 et s. B. Bail : 23 et s. Brevet : 230 et s. C. Clause :

- abusive : voir Abus - de confidentialité : 154 - limitative de responsabilité : 96,

138, 220 Conformité : voir Garantie Conseil :

- contrat de : 143 et s. - obligation de : 223 et s. - devoir de : 223 et s.

Conservation : - obligation de : 137 et s.

Contrat de commande : 231 Contrat de communication de savoir faire : 237 et s. Contrat de construction : 160 et s. Contrat d’entreprise :

- définition : 7 - diversité de : 17, 122 et s.

- Effet translatif du : 28 et s., Contrat médical : 65, 77 Contrat de mise à disposition d’un bien :

- voir bail Contrat de recherche : 230 Contrat de vente :

- Définition : 28 - Travail spécifique : voir Travail

Contrat de travail : - définition : 49 - subordination : 52 - para subordination : 53 et s.

Risques (allègement des) : 55 et s

- distinction avec le contrat d’entreprise : 51 et s.

Cotraitance : 105 et s. Créateur : 227 et s. Critère :

- objectif : 200 - de commercialité : 203 - général : 213 - subjectif : 208

D. Délivrance conforme : 36 et s. Dépôt :

- d’un brevet : 231 Devis : 92 et s. Droit :

- d’auteur : 227 - définition : 201 et s. - commun : 59 - spécial : 59,

G. Garantie :

- des vices cachés : 32

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- de conformité : 36 - biennale : 163 - décennale : 164 - de parfait achèvement : 162

H. Honoraires : voir prix I. Information :

- obligation à la charge du maître de l’ouvrage : 156

- obligation à la charge de l’entrepreneur : 223

- contrat d’ : 149 J. Jurisprudence : 8 L. Livraison : 136 et s. Louage :

- Louage d’ouvrage : voir contrat d’entreprise

- Louage de services : voir contrat de travail

- Louage de choses : voir bail

M. Mandat : 41 et s.

- Gratuité : 43 - Définition : 42 - Différence avec le contrat

d’entreprise : 43 et s. O. Obligation :

- de collaboration : 156 et s., 232 - de garantie : voir Garantie - de sécurité : 84 et s. - d’information : voir Information - de moyens ou de résultat : 77

Objet - Définition : 68

- Objet de l’obligation : voir prix Œuvre :

- de l’esprit : 227 - de la jurisprudence : voir

Jurisprudence P. Para-subordination : voir Contrat de travail Pourparlers : voir Devis Prix : 68 et s.

- Forfait : 51 - Honoraire excessif : 43 et s. - Indétermination : 71 et s. - Réduction judiciaire : 73

Prestations : - Intellectuelles : 148 et s. - Matérielles : 134 et s.

o Purement matérielles : 134

o Matérielles simples : 13 R. Recherche Voir Contrat de recherche Réception :

- Par le maître de l’ouvrage : 143 - Réserves : 145

Résiliation unilatérale : 100 et s. Responsabilité :

- envers les sous-traitant : 118 - décharge de : 144 - du prestataire de conseil : 157 - des constructeurs : 161 - du transporteur : 184 - clause limitative : voir Clause

Risques : - Allègement : 55 - De la perte : 57 - Du contrat : 57

S. Savoir faire : voir contrat de communication de savoir faire Sous-traitance : 106 et s. Subordination

- économique : 53 et s. - juridique : 52

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T. Travail

- Contrat de : Voir Contrat de travail

- Spécifique : 31, 68, V.

Vente

- Voir contrat de vente Violence

- définition : 64 - économique : 64 - circonstancielle : 64 - économique : 66

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TABLES DES MATIERES

SOMMAIRE ........................................................................................................................ 1 INTRODUCTION................................................................................................................ 2

PREMIERE PARTIE ........................................................................................................ 11 LE CONTRAT D’ENTREPRISE : L’INFLUENCE CONSTATEE D’UN REGIME

COMMUN.......................................................................................................................... 11 TITRE I : UN REGIME SOUS INFLUENCE DES CONTRATS SPECIAUX........................................ 12

Chapitre I : L’influence originelle des contrats portant sur un bien............................. 13

Section I - Le louage de choses................................................................................. 14

I. Le louage de choses, un fondement des lacunes du Code civil ........................... 14 II. Le louage d’ouvrage, une émancipation accompagnée par les tribunaux........... 15

Section II - Le contrat de vente................................................................................. 17 I. Une interprétation par analogie du contrat de vente............................................ 17 II. Une analogie confirmée par l’ordonnance du 17 février 2005........................... 21

Chapitre 2 : L’influence manifeste des contrats portant sur un service ......................... 23

Section I – Le contrat de mandat............................................................................... 24

I. Une distinction de nature matérielle................................................................... 24 II. Une distinction perméable pour les tribunaux................................................... 25

Section II - Le contrat de travail................................................................................ 27 I. Une distinction radicale : la subordination ......................................................... 27 II. Une distinction complémentaire : la parasubordination..................................... 29

TITRE II : UN REGIME A FORTE INFLUENCE SUR LE DROIT COMMUN DES CONTRATS ............. 33

Chapitre 1 : La consécration jurisprudentielle de nouvelles règles de droit commun 34 Section I - La consécration de règles relatives à la formation du contrat.................... 34

I. Le développement de la violence circonstancielle.............................................. 35 II. L’extension de l’indétermination du prix.......................................................... 37

Section II - La consécration de règles relatives à l’exécution du contrat .................... 42 I. La découverte des obligations de moyens et de résultat...................................... 43 II. La découverte de l’obligation de sécurité.......................................................... 46

Chapitre 2 : La consécration légale de nouvelles règles de droit spécial ...................... 50

Section I - Les mécanismes propres au contrat d’entreprise...................................... 51

I. Les mécanismes de formation............................................................................ 51 II. Les mécanismes d’extinction............................................................................ 54

Section II - Les mécanismes propres à une pluralité de prestataires.......................... 57 I. Une exécution plurale impossible dans les contrats intuitu personae .................. 57 II. Une exécution plurale soumises à des conditions.............................................. 60

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DEUXIEME PARTIE........................................................................................................ 64

LES CONTRATS D’ENTREPRISE : L’INDEPENDANCE RECHERCHEE D’UN REGIME SPECIAL........................................................................................................... 64

TITRE I : UN REGIME DEPENDANT, PROPICE A LA NAISSANCE D’UN DROIT « ENTREPRENARIAL »........................................................................................................ 66

Chapitre 1 : La classification doctrinale des prestations particulières dépendant du contrat d’entreprise...................................................................................................... 67 Section I - Les prestations matérielles........................................................................... 69

I. Les obligations de l’entrepreneur d’un ouvrage matériel.................................... 69 II. Les obligations du maître d’un ouvrage matériel .............................................. 72

Section II - Les prestations intellectuelles..................................................................... 75 I. Le domaine de la prestation intellectuelle à travers l’analyse de sa diversité ...... 75 II. Les obligations des co-contractants intellectuels à travers l’analyse du contrat de conseil .................................................................................................................. 77

Chapitre 2 : L’existence légale de contrats spécifiques dépendant du « droit entreprenarial » ........................................................................................................... 81

Section I - Le contrat de construction........................................................................ 82

I. Un régime de responsabilité alourdie à l’encontre de l’entrepreneur.................. 82 II. Un régime de rupture facilitée au profit du maître de l’ouvrage ........................ 85

Section I - Le contrat de transport ............................................................................. 87 I. La nature « entreprenariale » du contrat de transport.......................................... 87 II. Le régime « entreprenarial » du droit du transport ............................................ 89

TITRE II : UN REGIME INDEPENDANT, FAVORABLE A LA CONSECRATION D’UN « DROIT ENTREPRENARIAL »........................................................................................................... 92

Chapitre 1 : L’indépendance du droit « entreprenarial » par rapport aux contrats spéciaux ....................................................................................................................... 93

Section I - La recherche d’une catégorie spéciale indépendante ................................ 94

I. L’articulation des contrats spéciaux autour de catégorisations............................ 94 II. La catégorisation du contrat d’entreprise autour des contrats de service........... 97

Section II - La recherche d’un critère spécifique indépendant ................................ 100 I. La recherche d’un critère objectif .................................................................... 100 II. La recherche d’un critère subjectif.................................................................. 102

Chapitre II. L’indépendance du « droit entreprenarial » par rapport aux droits spéciaux................................................................................................................................... 106

Section I - L’indépendance par rapport aux droits de la consommation et de la propriété intellectuelle ............................................................................................ 107

I. De la protection du consommateur à celle du bénéficiaire de la prestation ....... 107 II. De la protection de l’auteur à celle de l’entrepreneur ...................................... 111

Section II. Vers une dépendance des contrats de distribution au « droit entreprenarial » ?.................................................................................................... 116

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I. De la qualification « entreprenariale » du contrat de communication de savoir faire .................................................................................................................... 116 II. A l’application du régime « entreprenarial » aux contrats de franchise et au-delà........................................................................................................................... 118

CONCLUSION ................................................................................................................ 120

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................... 122 INDEX ALPHABETIQUE.............................................................................................. 130

TABLES DES MATIERES ............................................................................................. 133

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