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OLUSUM/GENESE N° 91 , 24 Le soufisme & les derviches tourneurs LE SOUFISME ET MEVLANA RUMI C’est d’un schisme dans l’Islam que naît le soufisme. Parmi tous les grands maîtres du soufisme, je vais plus particulièrement suivre la voie de Mevlana Rumi, le soufi le plus populaire en Occident. LE SOUFISME I- Définition 1. Etymologie Le mot soufi (al soûfi) a été attribué pour la première fois au VIII e siècle à un ascète irakien. Plus tard, au IX e siècle, le terme « soufi » servira à désigner des grou- pes d’ascètes et de mystiques austères à Koufah et à Bagdad. Tous les manuels traitant du soufisme expliquent l’étymologie de ce mot et propo- sent plusieurs solutions, parmi lesquelles les plus fréquemment avancées : - l’étymologie première, la plus cou- rante, rattache le mot au radical arabe sûf (laine), en raison des vêtements de laine portés par les soufis comme signe de pauvreté et de détachement terres- tre. - la seconde rattache le mot à l’arabe sâfa, sâfwa (pureté), car la quête du soufi est de se purifier. Jonayd*, un disciple du sévère maître de Bagdad Abou Bakr Chidli, poussant à l’extrême la pureté exigée d’un mystique, disait que les soufis méritent leur nom « pour un reste qui reste sur eux, sinon aucun nom ne pourrait leur être appliqué. » 1 - enfin troisièmement, le terme sou- fisme dériverait du grec sophos, sophia (sagesse). La complémentarité des ces trois défini- tions est très bien résumée par Habib Sharifi en ces termes : « Ainsi, le soufi n’est pas seu- lement celui qui porte l’habit de laine (souf) sacré, il est aussi celui qui cherche la pureté (safà) en empruntant la voie de la sagesse (sophos) ». 2 Mais ces propos sont battus en brèche par Eva de Vitray-Meyerovitch, qui critique ces tentatives d’explication fondées sur une quelconque étymologie. « Ces explications du sens véritable du soufisme sont loin d’être satisfaisantes, bien que chacune d’elles s’ap- puie sur des raisonnements subtils… (…). Ce nom n’a pas de racine répondant aux exigen- ces de l’étymologie, car le soufisme est trop sublime pour être dérivé ; … ». 3 2. Qu’est-ce que le soufisme ? * Voir plus loin les person- nages et les dynasties. 1 CHEVALIER (Jean), Le soufisme, Que sais-je ? N° 2176, Paris, P.U.F., 1984, p. 4. 2 SHARIFI (Habib), Le soufisme, Paris, Editions Grancher, 2000, p. 21. 3 de VITRAY-MEYERO- VITCH (Eva ), Anthologie du soufisme, Paris, Sinbad, 1978, p. 22.

Le soufisme - Le portail des revues de l'interculturalitéreligieuses et de la Charia ».11 Mais la question du rapport soufisme et Charia se posera à nouveau à propos d’Ibn Arabi.*

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OLUSUM/GENESE N° 91,24

Le soufisme & les derviches tourneurs

LE SOUFISME ET MEVLANA RUMI

C’est d’un schisme dans l’Islam que naît le soufisme. Parmi tous les grands maîtres du soufisme, je vais plus particulièrement suivre la voie de Mevlana Rumi, le soufi le plus populaire en Occident.

LE SOUFISME

I- Définition

1. Etymologie

Le mot soufi (al soûfi) a été attribué pour la première fois au VIIIe siècle à un ascète irakien. Plus tard, au IXe siècle, le terme « soufi » servira à désigner des grou-pes d’ascètes et de mystiques austères à Koufah et à Bagdad.

Tous les manuels traitant du soufisme expliquent l’étymologie de ce mot et propo-sent plusieurs solutions, parmi lesquelles les plus fréquemment avancées :

- l’étymologie première, la plus cou-rante, rattache le mot au radical arabe sûf (laine), en raison des vêtements de laine portés par les soufis comme signe de pauvreté et de détachement terres-tre.

- la seconde rattache le mot à l’arabe sâfa, sâfwa (pureté), car la quête du soufi est de se purifier. Jonayd*, un disciple du sévère maître de Bagdad Abou Bakr Chidli, poussant à l’extrême la pureté exigée d’un mystique, disait que les soufis méritent leur nom « pour un reste qui reste sur eux, sinon aucun nom ne pourrait leur être appliqué. »1

- enfin troisièmement, le terme sou-fisme dériverait du grec sophos, sophia (sagesse).

La complémentarité des ces trois défini-tions est très bien résumée par Habib Sharifi en ces termes : « Ainsi, le soufi n’est pas seu-lement celui qui porte l’habit de laine (souf) sacré, il est aussi celui qui cherche la pureté (safà) en empruntant la voie de la sagesse (sophos) ».2

Mais ces propos sont battus en brèche par Eva de Vitray-Meyerovitch, qui critique ces tentatives d’explication fondées sur une quelconque étymologie. « Ces explications du sens véritable du soufisme sont loin d’être satisfaisantes, bien que chacune d’elles s’ap-puie sur des raisonnements subtils… (…). Ce nom n’a pas de racine répondant aux exigen-ces de l’étymologie, car le soufisme est trop sublime pour être dérivé ; … ». 3

2. Qu’est-ce que le soufisme ?

* Voir plus loin les person-nages et les dynasties.1 CHEVALIER (Jean), Le soufisme, Que sais-je ? N° 2176, Paris, P.U.F., 1984, p. 4.2 SHARIFI (Habib), Le soufisme, Paris, Editions Grancher, 2000, p. 21.3 de VITRAY-MEYERO-VITCH (Eva ), Anthologie du soufisme, Paris, Sinbad, 1978, p. 22.

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25 N° 91 OLUSUM/GENESE ,

DERVICHE BEKTÂþI RECONNAISABLE À SA COIFFE ET À SA CORNE

COPYRIGHT : MUSÉE DU PALAIS DE TOPKAPI.

Le soufisme est, aussi, généralement défini comme la branche mystique de l’Is-lam4, mais il s’agit d’une appellation globale puisqu’il existe plusieurs voies mystiques.

Une très belle explication en est donnée par Christian Bonaud :

« Le soufisme est une voie spirituelle isla-mique, et plus précisément une voie ésotéri-que et initiatique. Une voie ésotérique parce qu’il s’ordonne autour d’une doctrine où toute réalité comporte un aspect extérieur appa-rent –exotérique (zahir)- et un aspect intérieur caché –ou ésotérique (batûn). Le soufisme se présente lui-même comme l’aspect inté-rieur et extérieur de l’Islam.

C’est une voie initiatique parce que le dis-ciple, après avoir reçu l’initiation, aspire à réa-liser sous la conduite d’un scheyk des états de conscience toujours plus intérieurs, jus-qu’à l’extinction de sa propre conscience en Dieu. » 5

Le soufisme prône l’union avec Dieu et l’Islam orthodoxe place le fidèle dans une

séparation avec Dieu. Le soufisme permet au pratiquant par son expérience spirituelle de s’unir avec Dieu. Le soufi pense que l’on peut atteindre l’extase (la communion avec Dieu) par des prières et des ascèses spéciales.

Le soufisme (tasawwuf), en tant qu’ésoté-risme islamique, comprend à la fois, la Tariqa (Voie) et la Haqiqa (Réalité-Vérité). C’est ce que résume Chauvin, en disant qu’il contient « rayon et centre »6 ou Bonaud, en disant qu’il « contient à la fois le moyen et le but ».

Cette Tariqa se traduit par un ensemble de moyens doctrinaux et de pratiques pour attein-dre cette vérité. C’est cette Tariqa encore, dif-férente d’une confrérie à l’autre, qui explique la multiplicité des ordres. En résumé « la Tariqa est la voie qui conduit le mystique de la Charia à la Haqiqa c’est-à-dire à la vérité. »7

II- Naissance et essor du soufisme

1. Origine

Le soufisme est né en réaction contre un Islam officiel, devenu peu crédible, à Damas. En effet à l’époque Omeyyades*, les imams et autres religieux sont plus préoccupés par les plaisirs terrestres et les conquêtes que les dogmes religieux. C’est pourquoi, de pieux musulmans, outrés par leur conduite et leurs négligences des préceptes coraniques, se retirèrent pour mener une vie d’ascèse et de renoncement.

Le soufisme est né en réaction aussi à l’interprétation littérale de la Charia. Certains soufis estiment que la simple observance de la Charia ne les mènera pas à l’union avec Dieu. Ils pensent que l’ascèse est nécessaire, qu’en allant au-delà, par des pratiques de pauvreté, de renoncement et de méditation, ils atteindront la Vérité en suivant la Voie.

Ils cherchent à se dissoudre en Dieu par la connaissance mystique.

Le soufisme tel qu’il est, n’apparaît qu’au Xe siècle et s’est largement répandu en Irak et dans le reste du monde musulman où préexistaient des courants ascétiques et

4 A cette définition lar-gement répandue, C. BONAUD apporte une mise en garde : « Il y a une ambiguïté à quali-fier le soufisme de mysti-que islamique. Pris dans son sens étymologique, le mot serait parfaitement adéquat (du grec mus-tikos, relatif aux mystères initiatiques, mustês, signi-fiant, l’initié). Mais les mots ont une histoire, et celle-ci a conféré au terme « mystique » une charge sémantique dérivée de l’expérience occidentale, c’est-à-dire de la théolo-gie chrétienne et de la société européenne, et cette charge sémantique n’est pas propre à rendre compte du soufisme. » Cf. BONAUD (Christian), Le Soufisme, al-taçawwuf et la spiritualité islami-que, préf. de Michel Chod-kiewicz, Paris, Maison-neuve et Larose/Institut du Monde Arabe, 2002, p. 11 5 idem6 CHAUVIN (Gérard), B.A.BA du soufisme, Pui-seaux, Editions Pardès, 2001, p. 87 MERVIN (Sabrina), His-toire de l’islam, fon-dements et doctrines, Paris, Flammarion, 2000, p. 148

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OLUSUM/GENESE N° 91,26

MINIATURE DE MEVLÂNÂ ENSEIGNANT, COPYRIGHT : MUSÉE DU PALAIS DE TOPKAPI.

mystiques comme le nestorianisme du chris-tianisme oriental, le gnosticisme, le néoplato-nisme, le manichéisme et le bouddhisme, dont il semble avoir subi certaines influences.

2. Histoire du soufisme

« Bien que toléré, le soufisme fut souvent combattu par les autorités religieuses pour sa prétention à s’unir directement à Dieu par l’ex-tase et non à travers la seule Révélation, et par sa critique de l’hypocrisie religieuse et des injustices sociales ».8

Le soufisme sera tantôt toléré, tantôt pros-crit par un Islam traditionnel, jusqu’à ce qu’Al Ghazâlî* intègre le soufisme dans le droit cora-nique et le courant sunnite. De grands maîtres vont jalonner le développement du soufisme que l’on peut diviser en deux périodes :

- Du VIIe au Xe siècle : de grands intellectuels et religieux attirent autour d’eux des « disciples » qui veulent apprendre ou parfaire leurs connaissances.

Parmi eux, Hasan al Basri* (642-728) dont on reconnaît en lui, l’autorité du pre-mier chef soufi même s’il ne créa pas d’or-dre, mais dont les disciples constituèrent, à sa mort, une communauté près de Bassora en Irak.

Puis ce mouvement ascétique va se transformer grâce à Al Muhâsibî (781-837) en authentique théosophie, c’est un apôtre du renoncement.

Cette recherche d’union avec Dieu déplait aux musulmans orthodoxes. Al Halladj*, un soufi persan sera emprisonné puis exécuté pour avoir déclaré « Je suis devenu celui que j’aime et celui que j’aime est devenu moi. Nous sommes deux esprits confondus en un seul corps.» Ces mots violaient le principe fondamental de l’Islam : « Il n’est Dieu que Dieu ».9 C’est en raison de ses idées hérétiques qu’il fut exécuté.

Sabine Mervin explique que d’autres accusations pesaient sur lui, il était zan-daqa. Toutefois, sa condamnation fut expli-citement motivée par d’autres déclarations. « Halladj avait affirmé que l’on pouvait accomplir le pèlerinage sans quitter sa demeure, en nourrissant simplement les orphelins ; au pèlerinage prescrit par le Coran, Halladj préférait le pèlerinage inté-rieur, celui du cœur. C’est donc à la fois pour hétéropraxie et hétérodoxie qu’il fut condamné ».10

- Du XIe au XIIIe siècle : c’est à cette période que le soufisme va s’organiser en confréries. Mais cela implique une vie en communauté, une observation de rituels stricts. Elles complètent l’enseignement des medrese (écoles religieuses supérieures).

Mais les orthodoxes musulmans voient d’un mauvais œil l’essor que prend la « doctrine » soufie. Parmi les nombreux per-sans que la voix soufie a inspiré, s’élève la voix d’Al Ghazâlî, un grand théologien,

8 THORAVAL (Yves), ABCdaire de l’Islam, Paris, Flammarion, 2000, p. 1099 http:// maratray.chez.tiscali.fr10 MERVIN (Sabrina), op.cit. , p. 144

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juriste et philosophe. La « mésentente » entre les orthodoxes musulmans et les soufis résidait en la question : faut-il respec-ter de façon littérale la Charia ou son inter-prétation ésotérique ?

Ce mystique va se charger de réconcilier les deux camps. « Il intégra le tasawwuf dans l’ensemble des disciplines islamiques, montrant ainsi que les valeurs spirituelles couronnaient la connaissance des sciences religieuses et de la Charia ».11

Mais la question du rapport soufisme et Charia se posera à nouveau à propos d’Ibn Arabi.*

III- Doctrine

Le but du soufisme est l’union avec Dieu. Pour y arriver le prétendant cherche un maître qui va l’y mener.

Pour accéder à la connaissance de la vérité divine (haqiqa), le néophyte doit s’en-gager « dans la voie spirituelle ardue (tariqa), jalonnée de plusieurs étapes (maqamat) et d’états (halat). Ce cheminement se fait sous la direction d’un maître soufi qualifié (sheik ou pîr), qui a lui-même réalisé la gnose et commence par la « repentance » de l’initié. Le maître transmet alors à son disciple l’in-fluence spirituelle (baraka), qu’il a lui-même reçu de son maître à tra-vers la chaîne initiatique (silsila) ininterrompue de maître à disciple dont l’ori-gine remonte à Mahomet (…) ».12

La relation maître-élève est capitale dans la trans-mission de la pratique soufie.

Mais la méditation tient une large place dans la pratique soufie, ainsi que la contempla-tion, la prière collective et les sema ou « concerts spirituels ».

« La voie soufie comporte un aspect

d’amour et un aspect de connaissance ; plus exactement, elle se situe là où la connais-sance et l’amour coïncident. (…). Selon une parole coranique, que les soufis méditent souvent, Dieu est à la fois Intérieur (al-bâtin) et Extérieur (az-zâhir) ou le Caché et l’Appa-rent ».13

IV- Expansion des confréries

Les confréries sont nées de disciples qui appréciaient l’enseignement d’un maître dont ils voulaient perpétuer la doctrine. Elles mar-quent la transition entre les « groupes de prière » ou les « associations d’initiés ».

Les confréries ont toutes la même struc-ture :

- un maître fondateur,- une doctrine,- des liens communautaires.

Jean Chevalier explique que « La syn-thèse de ces trois facteurs confère à chaque ordre son originalité, son unité, sa force et communique à chaque membre le sentiment sécurisant d’appartenir à une organisation stable. »14

Ces communautés ou confréries créent un tissu social. Les invasions, les guerres, les divisions théologiques, les conflits culturels ont engendré une ambiance angoissante et l’adhésion à un groupe fondée sur des affini-tés spirituelles réconforte.

A l’intérieur des con-fréries, plusieurs formes et divers degrés d’apparte-nance existent. Ces confré-ries jouent un rôle important dans l’Islam. « La force spi-rituelle qu’elles représen-taient, n’était en effet pas sans incidence favorable ou critique, sur la vie poli-tique et sociale, de même que sur l’éducation et la culture.» 15

Elles ont ouvert des couvents, mais aussi des écoles, des hospices, des caravansé-rails. De plus, leurs membres faisaient des prédications dans les mosquées et les lieux

11 idem12 Encyclopédie M ic roso f t®Encar ta® 99Enkarta13 Titus BURCKHARDT (introduction) du livre de RANDOM (Michel), Mawlana, Djalal-ud-Din, Rûmi, Le soufisme et la danse, Tunis, Sud Edi-tions, 1980, p. 614 CHEVALIER (Jean), op. cit., p.6515 idem, p.66

... Selon une parole cora-nique, que les soufis méditent souvent, Dieu est à la fois inté-rieur (al-bâtin) et extérieur (az-zâhir) ou le Caché et l’Apparent ...

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de pèlerinage, et exerçaient une influence sur le peuple. Certaines confréries devinrent même des puissances économiques.

Pour lutter contre de dangereuses dévia-tions et confusions, le mouvement soufi a dû se structurer. Il en est ainsi venu à définir des doctrines, des méthodes et des règles, ainsi qu’à accepter des compromis avec les pou-voirs politiques et religieux.

« Le soufisme, d’abord persécuté pour son mysticisme qui le conduisait vers son affranchissement de la tutelle légaliste, le sera ensuite, pour sa force sociale. » 16

V- Diversité des confréries

Les confréries sont nombreuses. Elles se distinguent chacune par leur voie particulière, leur système d’organisation, leurs pratiques ou certains traits de leur enseignement. Ce sont des groupements par affinités spirituel-les. Jean Chevalier indique que l’Encyclopé-die de l’islam n’a identifié pas moins de 174 principales tariqa. Certaines confréries vont connaître un déclin, ou une disparition, en raison d’invasion, de persécution (hérésie ou conspiration). Néanmoins, certaines d’entres elles vont subsister jusqu’à nos jours.

Certaines tariqa sont des ordres majeurs, d’autres mineurs. Parmi eux, on peut citer :

- la Qâdiriyya, issue de Abd al-Qâdir al-Jilâni. Elle s’est largement répandue dans les régions de l’Islam et surtout en Inde. Son enseignement se fonde sur le Coran et les traditions, ainsi que sur des exercices reli-gieux. Bagdad fut son centre de rayonnement mais des confréries s’étendirent jusqu’en Irak, Turquie, Turkestan et en Afrique.

- la Rifâ’iyya, fondée par Ahmad al-Rifâ’î (ou derviches hurleurs), appelée ainsi en raison des cris scandés par les derviches, par les châtiments qu’ils s’infligeaient.

- la Naqchbandiya, créée par Bahaudin Naqshabandi (1340-1413), est célèbre pour son dikhr avec rétention particulière du souf-fle.

- la Bektâþiya : un autre grand mystique, contemporain de Mevlana, est Hacý Bektaþ Veli, né à Nishapur dans le Khorassan vers 1250. Il s’établit en Anatolie à Kayseri, puis à Sivas avant de créer son monastère à Suluca Karahöyük pour y prodiguer son enseigne-ment, un soufisme plus populaire, qui touche plus particulièrement les soldats et les pay-sans.

« Sa philosophie est basée sur la Paix, la Tolérance, l’Humanité et l’Humilité auxquel-les il n’est possible d’accéder qu’à travers l’amour de Dieu et des Hommes. »17

Cet ordre joue un rôle politique impor-tant au XVe siècle quand il devient majoritaire chez les Janissaires. Mais ce mouvement s’effondrera après 1826 lors de la « mesure salutaire » qui se traduit par le massacre du corps de Janissaires.

- la Qalandariyya : ce sont des derviches errants,

- la Malawwiyya inspirée de Djalalledîn Rumi (connu sous le nom de Mevlana), ce sont les derviches tourneurs.

MEVLANA RUMI

Admiré par Goethe et Hegel, celui qui fut le plus grand mystique de l’Islam demeure aujourd’hui encore un maître d’éveil, même en Occident.

I- Sa vie18

1. Son nom

Djelâleddîn, Mevlana, Rumi, si tous ces-noms désignent le même individu, ils repré-sentent les diverses faces de celui qui est reconnu comme le fondateur de l’ordre des derviches tourneurs. En arabe, Djelâleddîn signifie « gloire de Dieu », mais il sera plus souvent désigné sous Mawlana (en arabe) ou Mevlana (en turc), « notre Maître ». C’est sous ce nom (de Mevlana) qu’il va sûrement être le plus populaire car tout ce qui lui est relatif dérivera de cette appellation : les Mevlevis (ses disciples), la malawwya, la philosophie de son ordre.

16 Chevalier (Jean), p.6817 http://www.guide-martine.com18 La biographie de Mevlana Rumi est due à la consultation de plusieurs ouvrages.

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29 N° 91 OLUSUM/GENESE ,

SEMÂ AU COUVENT DES DERVICHES DANS LE QUARTIER PERA-GALATA-BEYOGLU AU XVIIIE SIÈCLE

PEINTURE DE JEAN-BAPTISTE VAN MOUR, PEINTRE DE L’EPOQUE DES TULIPES.

On l’appelle aussi le Rumi, en référence à la région où il a vécu ; le pays de Rûm, c’est-à-dire l’Anatolie, l’ancien pays des Romains d’Orient, où il passera presque toute son existence. Rumi est un musulman de culture persane, qui a évolué en en Anatolie, en ter-ritoire turc. Il a écrit en plusieurs langues : persan, arabe, un peu en turc et quelquefois en grec.

2. De Balk à Konya : un long chemin

Djelâleddîn Rumi est né en 1207 à Balk près de Samarcande. A cette époque Balk est un carrefour de civilisations. Elle est répu-tée pour ses splendeurs et ses richesses. C’est un grand centre commercial et politi-que, et haut lieu de culture. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un village au nord de l’actuel Afghanistan.

Il est né dans une famille aristocratique et lettrée. Son père Bahâeddîn Valed est un professeur de droit islamique et grand prédi-cateur soufi. Sa mère est une princesse de Kharezm, Mümine Hatun, la fille du gouver-neur de Balk ; elle l’initie à la musique et à l’art.

Mais en 1219, des rumeurs d’invasions

mongoles conduites par Gengis Khan les font fuir. Ils mettront dix ans pour atteindre Konya.

Plusieurs étapes marquent ce voyage. D’abord à Nishâpur (Ispahan), où Bahâed-dîn rencontre le plus grand poète mystique de l‘époque, Attar*. Ce dernier, impressionné par le savoir et la sagesse de Djelâleddîn lui offrit un exemplaire de son ouvrage Le livre des secrets.

Mevlana lui gardera une grande admira-tion. Il disait de lui « Attar a parcouru les sept cités de l’amour, alors que j’en suis qu’au détour d’une ruelle ».19

A Damas, Djelâleddîn et son père auraient rendu visite au grand mystique Ibn Arabi, qui se serait écrié « Louanges à Dieu ! Un océan marche derrière un lac ! ».20

En 1222, la famille arrive à Larende (l’ac-tuel Karaman). A 19 ans, il épouse Gevher Hâtun, la fille de Sereffedin Lala, un compa-gnon de son père qui les a suivi depuis Balk. De cette union, va naître deux fils : Sultan Valed et Ala-ud-Din. Après la mort de sa femme, Dje-lâleddîn épouse une chrétienne Kerra Hatun qui se convertira, une veuve avec un enfant,

19 RANDOM (Michel), Mawlana, Djalal-ud-Din, Rûmi, Le soufisme et la danse, Tunis, Sud Edi-tions, 1980, p. 3420 de VITRAY-MEYERO-VITCH (Eva ), Rûmî et le soufisme Paris, Editions du Seuil, 1977, p.13

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OLUSUM/GENESE N° 91,30

qui lui donnera encore deux fils et une fille.

Après un long séjour à Larende, Bahâed-dîn est invité par le grand sultan Kay Kubah Ier à venir s’installer à Konya (l’ancien Iconium de saint Paul) et prodiguer son enseigne-ment. A cette époque Konya est la capitale du royaume des Seldjoukides,* elle est un grand centre culturel, d’art et de science. Là, toute la famille est accueillie avec tous les honneurs.

De bonnes relations vont s’établir entre eux et la cour. Bahâeddîn reprend le chemin de l‘enseignement à la medrese d’Altin Aba mise à disposition par le sultan. Il enseigne jusqu’en 1231, année de sa mort.

A la mort de Bahâeddîn, Djelâleddîn âgé de vingt quatre ans, lui succède. Il enseigne la jurisprudence (fiqh) et le droit canonique (Charia). Sa renommée de savant et de sage ne cesse de grandir.

Une grande amitié va naître entre Mevlana et Muiddin Parvané, le conseiller du sultan. Elle lui sera utile car son ouverture d’esprit dérange parmi les orthodoxes intransigeants. Parvané lui apportera soutien et protection.

Un an plus tard arrive auprès de lui Burhan od Din Muhaqqiq Tirmidhi, un ancien disci-ple de son père qui venait voir son maître d’autrefois. Mais celui-ci étant décédé, il resta auprès de Rumi, pour lequel il devient son père spirituel pendant neuf ans.

Puis, pour compléter sa formation, il va suivre les cours de Kamal ud-din Ibn al-Aldim à Alep et à Damas d’Ibn Arabi. Mevlana revint au bout de sept ans dans son collège pour y poursuivre une carrière toute tracée de professeur, quand survint un événement qui le bouleversa : sa rencontre avec Shems de Tabriz.

3. Ses amis

A. Shems de Tabriz

C’est en 1244 que Mevlana rencontre Shems de Tabriz, une rencontre qui changera sa vie, sa philosophie, qui va le transfigurer. Ce changement Mevlana va le résumer en

disant : « J’étais cru, je fus cuit, je suis con-sumé ».

Plusieurs versions de leur rencontre exis-tent : à la medrse, au détour d’une ruelle ou près de la fontaine. Peu importe, puisque cette rencontre aura un effet immédiat et de symbiose : Mevlana et Shems s’enferment dans un tête à tête qui dura quarante jours.

Que va-t-il se passer ? Se dire ? Personne ne le saura jamais. « Notre Maître Shems proféra cent mille questions et réponses », 21 nous dit Aflâkî, et il se passa « des épreuves merveilleuses ».

Ils s’enferment dans la bibliothèque de Mevlana, au fond de la maison où Sultan Valed doit faire le guet et ne laisser entrer personne, sous aucun prétexte.

Quant au fils de Mevlana, Sultan Valed, le seul qui était autorisé à pénétrer dans leur retraite, il en parle ainsi : « Dieu consentit que Shems se manifestât particulièrement à lui, et que ce fût pour lui seul… Personne n’aurait été digne d‘une telle vision. Après une si longue attente, Mevlana vit le visage de Shems : les secrets devinrent pour lui mani-festes comme le jour. Il vit celui qu’on ne peut pas voir, il entendit ce que personne n’enten-dit jamais de personne. Il devint amoureux de lui et fut anéanti ».22

Toutes les sources s’accordent à dire que l’on sait très peu de choses sur Shems, sinon qu’il est né aux environs de 1186 à Tabriz et qu’il a soixante ans quand il rencontre Mevlana qui en a trente sept. C’est un personnage mystérieux, fantasque qui fait couler beaucoup d’encre. Les questions subsistent sans qu’il soit possible de leur donner une réponse.

Shems est appelé le « derviche volant »

car il a la réputation d’être un grand voya-geur, il est vu partout. Ce qui est sûr, c’est qu’il est devenu le maître spirituel en exer-çant une influence décisive sur Rumi.

On ne peut lui attribuer aucun maître en particulier. C’est un homme de grand savoir. Aflâkî dit qu’il était sans pareil dans la science de l’alchimie, qu’il n’avait pas

21 AFLAKI, Tome II, p. 121 Cité par RANDOM p. 6022 Walad Name, p. 41, cité par RANDOM p. 60

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de semblable sur terre pour l’astrologie, les mathématiques, la théologie, la philosophie, l’astronomie, la logique et la dialectique ».23

Aflâkî parle de lui en des termes très flatteurs, on lui attribue des pouvoirs divers, mer-veilleux et divinatoires.

Pendant ce long tête à tête avec Shems, Mevlana a complètement délaissé ses devoirs et obligations, oublié ses étudiants qui se morfondent. Ceux-ci errent désœuvrés, mécon-tents et surtout très jaloux de voir leur maître et guide s’accaparer l’exclusivité, toute l’attention d’une seul homme : un obscur derviche. L’exclusivité de Mevlana pour Shems conduira ce dernier à une fin prématurée. Le nombre de mécon-tents contre Shems ne cesse de croître.

Mevlana installe Shems dans la bibliothè-que, la plus belle pièce de la maison. Il lui donne sa fille adoptive, la belle et douce Kimya pour épouse. Mais le second fils de Mevlana, Ala-ud-din en est amoureux et ce mariage le désespère.

La mort mystérieuse de Kimya augmen-tera l’animosité de Ala-ud-din envers Shems, qui quitte Konya peu de temps après la mort de sa femme, à l’insu de Mevlana. Il se rend à Damas ; pendant ce temps Mevlana ne cesse de se morfondre, il lui adresse des messages mais en vain. Alors, il envoie Sultan Valed le chercher mais à son retour les animosités envers Shems reprennent.

Le 5 décembre 1247, Shems disparaît, on se demande s’il a été assassiné ou s’il s’est enfui. L’hypothèse la plus vraisemblable serait qu’il ait été assassiné, compte tenu de l’ani-mosité qu’il avait générée autour de lui et de la haine que Ala-ud-din nourrissait à son égard.

Mevlana le chercha partout, en vain, il se rendit par deux fois à Damas… Alors il porta le deuil et écrivit sur la porte de la cellule de son ami disparu :

J’étais neige, à tes rayons je fondis ;La terre me but ; brouillard d’esprit,Je remonte vers le Soleil. 24

C’est à la suite de cette disparition que Rumi institua le concert spirituel, le sema.

B. Zarkûb et Çelebi

Après un temps d’iso-lement, Mevlana va trou-ver en Selâeddin Zarkûb un maître orfèvre, qui avait aussi été un disciple de Buhran, un autre grand ami qui ne le quittera pas. Alors à nouveau, les dis-ciples jaloux vont détester ce nouvel intrus qui capte

toute l’attention de leur maître. Zarkûb accom-pagne fidèlement Mevlana pendant dix ans. Il mourut en 1258 et fut enterré près du père de Rumi.

Hüsameddîn Çelebî remplaça Selâeddîn auprès de Mevlana, il est le jeune chef de la corporation des artisans. C’est sur ses conseils dit-on que Mevlana aurait écrit le Mesnevi. C’est un homme rich qui permet-tra à la confrérie de ne manquer de rien et mettra à sa disposition une maison (dont il lui fera don) située dans les plus beaux quar-tiers de la ville.

4. La mort de Mevlana

Mevlana meurt à la suite d’une longue maladie. De grands docteurs et spécialistes dépêchés à son chevet par le sultan n’ont pas réussi à le guérir. Il meurt après avoir donné quelques recommandations à son fils Sultan Valed.

Tous les habitants de Konya assistèrent à ses funérailles, sans distinction de religion ou de culture : sa popularité faisait l’unanimité.

Mevlana considérait le jour de sa mort comme un jour de résurrection car ce jour là, il rejoindrait Dieu. C’est pourquoi il utili-sait l’expression « Seb-î Arus » signifiant ‘le jour des noces’ pour parler de sa mort, car il

23 AFAKI, Tome II, p. 124, cité par RANDOM p. 6624 de VITRAY-MEYERO-VITCH (Eva ), op. cit., p.18

... Mevlana considérait le jour de sa mort comme un jour de résurrection car ce jour là, il rejoindrait Dieu...

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OLUSUM/GENESE N° 91,32

IN MILLE ET UNE TURQUIE, GÉRARD CIVET, ÉD. SOLAR, 1993

s’unirait à Dieu.

Mevlana avait écrit « Après ma mort, ne cherchez pas mon tombeau dans la terre, mon tombeau est dans le cœur des sages». Mevlana fut inhumé dans le monastère où reposait son père. Après sa mort, Parvané fit construire un édifice à sa mémoire et Sultan Valed codifia le sema.

Le tekke fut achevé un an après sa mort, en 1274. On le coiffa d’un dôme en faïence. Ce lieu est visité par de nombreux fidèles et croyants, et, s’il a été déclaré musée en 1927, il n’en reste pas moins un lieu sacré.

Chaque année, le 17 décembre est célé-bré à Konya, l’anniversaire de la mort de Rumi ou plutôt sa nuit de noces.

II- Son œuvre

1. Son enseignement : concepts philoso-phiques

Comme on l’a vu précédemment, un maître réalise la gnose et met au point une technique à partir de son expérience person-nelle pour atteindre la Haqiqa.

Rumi, pour réaliser l’union avec Dieu, s’appuie sur la musique qui évoque les sphè-res célestes, et la danse cosmique qui mani-feste la ronde vertigineuse des planètes. Sa philosophie prônait l’amour de Dieu, l’amour de tous les hommes et pour tous les êtres vivants.

« Rumi voyait en toute chose la présence de Dieu, ce qui l’amenait à nier l’existence du Mal - lequel n’était pour lui que l’ombre qui souligne la Lumière. Musulman fervent, il n’en osait pas moins réclamer l’égale valeur de toutes les religions et, au lendemain des croisades, n’hésita pas à incorporer dans ses ouvrages des paraboles chrétiennes et l’égalité des religions ». 25

2. Ses écrits

L’œuvre de Rûmî est considérable, elle a perduré à travers les âges : une somme de poésie et de mystique, traduite principale-ment par Eva de Vitray-Meyerovitch.

- Ecrit en prose Fîhi-mâ-fîhi traduit sous le titre « Le livre du dedans » : recueil de propos sur des thèmes mystiques et philo-sophiques, c’est un recueil de proverbes.

- Poésie sous forme de quatrains : les Rubâîyât.

- Des odes mystiques comme le Diwân-e-Shams-e-Tabrîzî, écrit en persan, on y trouve des passages en arabe, turc et grec. Ce livre est paru sous « Le livre de Chems de Tabrîz ».

- Le Mathnawî (en turc Mesnevî), aussi appelé le « Coran en langue persane » est un vaste poème de 25000 vers. Il consti-tue la plus grande exposition mystique dans laquelle Rumi discute et offre des solutions à beaucoup de problèmes métaphysiques, religieux, éthiques et mystiques, et propose de transmettre son enseignement. Le con-tenu est fait d’anecdotes accompagnées

25 Cf. http://hpml12.free.fr

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de commentaires mystiques basés sur le Coran, les Hadith du prophète ainsi que sur la poésie arabe et persane. Le Mesnevî a été traduit sous le titre « La quête de l’ab-solu ».

- Un recueil de Maktûbât, « Lettres » donne des informations sur l’entourage de Mevlana à Konya. Les destinataires sont des personnalités variées : familles, disciples, émirs, ministres et grands dirigeants.

LES CONFRERIES MEVLEVIES

ET LEUR TARIQA

Tous les grands maîtres ont créé leur propre voie, et les derviches tourneurs ont institué leur propre sema et dikhr.

LES CONFRERIES MEVLEVIES

I- Initiation et structure

1. Comment devenir derviche tourneur : 1001 jours

Pour être derviche le chemin est long et laborieux. Le prétendant doit d’abord passer un entretien avec un cheikh, puis faire une retraite de mille et un jours, pendant lesquels, il doit s’occuper des tâches matérielles, être au service des autres derviches et habiter une cellule sans confort. Il mène une vie spartiate, où les jeûnes sont fréquents et la nourriture frugale.

La dernière année se déroule à la cui-sine, où son éducation est confiée au cuisiner en chef du tekke. La cuisine a une fonction importante chez les Mevlevis.26

Les trois années d’apprentissage corres-pondent chacune à des buts différents :

- la première est consacrée au service d’autrui,

- la deuxième au service de Dieu, - la troisième à veiller sur son propre

cœur.

Après ce long parcours, le cheikh l’inves-tit en le revêtant du manteau du soufisme (khýrqa), puis il doit faire encore une médi-tation de dix-huit jours avant de recevoir le sikke des mevlevis et le titre de derviche (ou dede) : il peut (enfin) participer au sema. Il devient alors membre de la communauté et il est orienté vers les travaux manuels. 27

On peut distinguer deux catégories parmi les adeptes d’une confrérie :

- il y a ceux qui s’engagent réellement, qui sont membres à part entière et se consa-crent totalement à l’ordre dont ils observent toutes les règles : ils vivent en dehors de la société civile.

- l’autre catégorie est celle des mem-bres vivants à l’extérieur et ayant une vie pro-fessionnelle et sociale. Mais ils sont tenus d’assister à certaines prières et séances de pratiques religieuses (veilles, jeûnes, retrai-tes…), les plus communes étant les remémo-rations ou dikhr.

2. Les tekke

Si l’initiation est importante, le lieu où elle se déroule l’est tout autant. Le tekke a, à la fois, une fonction spatiale et temporelle importante. Les tekke sont de simples bâti-ments mais peuvent être de véritables réali-sations architecturales s’ils sont financés par le sultan ou de hauts dignitaires.

Certains éléments sont importants :

- un grand bâtiment pour les cuisines, pour la nourriture des derviches et les hôtes de passage et les pauvres,

- des appartements pour les familles, les célibataires et le cheikh,

- une bibliothèque,- un lieu de prière (zikhr) et de sema

(semahane).

A coté du tekke, il y a souvent le tombeau d’un saint, qui est vénéré, à qui on fait des offrandes et qui génère des ressources pour l’établissement.

Cette disposition spatiale sera toujours identique. Le tekke aura toujours une fonction

26 « En fait la cuisine, est l’un des lieux les plus sacrés du couvent mevlevi ; la fonction de cheikh celui qui délivre une nourriture spirituelle étant symboliquement rapprochée de celle qui consiste à fournir aux hommes leur nourriture matérielle ». Cf. POPOVIC (Alexandre) et VEINSTEIN (Gilles) (sous la direction de), Les Voies d’Allah : les ordres mystiques dans l’islam des origines à aujourd’hui, Paris, Fayard, 1996, p. 507. 27 «Les confréries soufies ne seront pas sans rela-tion (...) avec ce que deviendront les corpora-tions artisanales. Dans certains cas, elles leur donneront naissance.» Cf. CHEVALIER (Jean), op. cit., p. 73

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de caravansérail, une sorte de pension qui accueille les hôtes de passage, une maison qui s’occupe des pauvres, un lieu de prière où tous sont admis.

II- Evolution historique de l’ordre

C’est sous Ibn Arabi et Mevlana Rumi que le soufisme connaît son apogée. A la mort de Mevlana, c’est Hûsameddin Djelebbi qui lui succède de 1273 à 1284. Puis à sa mort c’est Sultan Valed qui poursuit l’œuvre de son père et qui va structurer et organiser l’or-dre. Le Mesnevi est traduit du persan en turc, ce qui va permettre à la pensée de Rumi de se répandre dans toute la Turquie. Cet ordre va essaimer à travers tout le monde musul-man et arabe et dans toute l’Asie Centrale. Il s’est développé au rythme des invasions Seldjoukides.

Au cours des siècles, l’ordre ne cessera de s’étendre, des tariqa furent créées à Damas, Alep mais toujours sous l’autorité étroitement centralisée du Çelebi de Konya. L’essaimage des ordres en de nombreux cen-tres a rendu la délégation nécessaire ainsi qu’une organisation fonctionnelle hiérarchi-sée : à la tête de chaque centre, il y a un muqaddam, aidé d’un adjoint. C’est ainsi que l’ordre a pu se développer sans perdre de son unité, ni de la baraka du chef principal.

On peut dire que c’est un ordre privilégié puisque pendant toute la période où les sul-tans se succèdent au pouvoir tant Seldjouki-des qu’Ottomans, ils protégeront la Mevleviye. « Pendant toute la période de l’Empire otto-man, la Mawlawwya restera l’ordre aristocra-tique et cultivé par excellence. » 28

Mais à partir du XVIe siècle, placée sous cette protection, elle va s’enrichir grâce aux dons reçus, ce qui aura pour conséquence de dénatu-rer l’esprit initial de la confrérie. Puis surviendront des signes de décadence : abus et scandales mineront la réputation du mouvement.

III- Importance de la Mevleviye

« La diversité et la souplesse de ses

ordres religieux lui permet de jouer un rôle important dans l’Islam. Ils avaient une force spirituelle et avaient une incidence sur la vie politique et sociale, l’éducation et la culture. Ces ordres ont ouvert des écoles, des hospi-ces des caravansérails. »29

1. Dans la vie politique

« Si la finalité première des confréries est de transmettre un message spirituel, elles devinrent inévitablement, avec le temps, des puissances temporelles. Elles interviennent parfois dans la vie politique du pays, appuient le pouvoir en place ou au contraire le combat-tent. Extrêmement puissantes et bien struc-turées, elles sont présentes aussi bien au sommet de l’Etat que du bas en haut de la société ; c’est pourquoi, certaines, comme des bektachis, furent abolies dès 1826. »30

A l’époque de Mevlana, l’ordre était proche du milieu rural en raison de ses liens avec les Qalandars. De simples gens ou des let-trés comme le Parvané ont suivi Mevlana qui ouvrait sa porte à tous.

Devenu un homme de renom, il avait attiré les dignitaires qui venaient discuter avec lui. Après sa mort et avec l’adhésion de plus en plus de gens importants, l’ordre mevlevi va être décrit comme aristocratique et urbain et cela pour deux raisons :

- la littérature de cette confrérie était en langue persane,

- elle était intimement liée à la littéra-ture du « Divan », laquelle exigeait une solide formation et n’était pas d’accès facile pour le peuple.

Par son élitisme et son côté aristocrati-que, la mevlevye va être acceptée par le Palais. Les bonnes relations entre les confré-ries mevlevies et le pouvoir s’illustrent dès le XVIIe siècle par « la charge octroyée à cette époque à leur supérieur, le Çelebi, de cein-dre à Eyyüp les nouveaux sultans du sabre d’Osman ».31

Cette cérémonie donnait une légitimité au nouveau sultan.32 Mieux encore, plusieurs sul-tans ont appartenu à la confrérie : Selim III à

28 RANDOM, op. cit., p. 14829 CHEVALIER (Jean), op. cit., p. 6630 HITZEL (Frédéric), L’em-pire ottoman XVe-XVIIIe siècles, Paris, Sté d’éd. Les Belles Lettres, 2001, p.16031 POPOVIC (Alexandre) et VEINSTEIN (Gilles), op. cit., p. 505.32 Cette cérémonie appor-tait une certaine légitimité au nouveau sultanat : elle s’est maintenue jusqu’à la fin de l’Empire ottoman à l’aube du XXe siècle. N.B : Pierre LOTI l’évoque dans Aziyadé.

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la fin du XVIIIe et Mehmed Rechâd V au début du XXe siècle.

2. Dans la vie culturelle et sociale

Le soufisme a contribué au développe-ment des arts. L’ordre mevlevi a joué un grand rôle dans la poésie, la calligraphie et les arts du XIVe au XXe siècle. Plusieurs illus-tres représentants de la littérature ottomane étaient soufis.

D’autres soufis jouèrent un rôle essen-tiel dans la calligraphie et la musique. On peut noter que leur recherche en matière de musique religieuse est peut-être leur plus grand apport à la culture ottomane, puisque l’Islam orthodoxe voyait l’art musical d’un mauvais œil.

Comme on l’a vu précédemment l’ordre soufi a ouvert des écoles. Ces établissements appelés « dar el Mathnawi », étaient rattachés aux tekke et étudiaient les écrits du maître et constituaient des écoles de langue et littéra-ture persane.

LA TARIQA MEVLEVIE

Chaque tariqa se différencie par sa phi-losophie et ses pratiques. Elle consiste en un fikhr (l’esprit) particulier qui se traduit par :

- un dikhr (la remémoration du nom de Dieu),

- un sema (concert spirituel), - et enfin un zikhr ou « méditation » (mais

dont la notion ne sera pas développée dans ce travail).

I- Le dikhr

Le dikhr est le moyen essentiel de la réa-lisation spirituelle qui se définit ainsi :

« C’est une verbalisation méthodique, sonore ou mentale du Nom de Dieu ou d’une formule incluant un ou plusieurs noms de qualité, en premier lieu la Shahada.

Il est fréquemment modulé et scandé de manière à constituer une mélodie simple et

mesurée. » 33

Il s’accompagne souvent de danse ou de musique, les éléments qui s’ajoutent à la réci-tation permettent d’obtenir plus facilement l’extase et de s’unir à Dieu, but visé de telles séances.

Il est une forme de prière qui peut être individuelle ou collective.

1. Le dikhr individuel

Le dikhr personnel fait appel à quelques brèves formules que l’on récite après une prière rituelle ou en diverses circonstances.

Le soufi veut atteindre un dikhr perma-nent c’est-à-dire que le dikhr doit imprégner l’être au point que le cœur puisse le main-tenir sans cesse, quelque soit l’activité prati-quée, même pendant le sommeil !

Une technique du dikhr :

Pour atteindre le stade de la muraqaba, le murîd doit prononcer avec la langue la formule de négation-affirmation : « Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu ». Un certain nombre de fois par jour : 5000 ou 10 000 ou même plus : car son cœur, comme les autres parties de son corps, est soumis à la rouille des atomes.

Quand la langue prononce cette formule de négation-affirmation, le cœur se purifie de la rouille et atteint l’état de vigilance et, au-delà, celui de la contemplation de Dieu. (…).

Pendant le dikhr, le murîd doit garder dans son cœur la compréhension exacte de la signification de la formule négative-affirmative, car si le cœur n’est pas rempli entièrement par elle, des pensées extérieu-res pourraient y pénétrer, et alors le cœur n’atteindrait pas le but du dikhr, à savoir sa communion avec l’objet du dikhr. La pro-tection du cœur de toute pensée extérieure, ne serait-ce que durant une heure, est une grande action pour les adeptes de la tariqa. Durant le dikhr, la rétention de la respiration doit préserver la présence de Dieu dans le

33 CHAUVIN (Gérard), op. cit., p. 113-114.

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cœur de l’adepte… (Extrait d’un traité de Naqsabandi).

Voir le Soufisme et le commissaire, par A. BENNIGSEN et C. LEMERCIER (p.234-235).34

2. Le dikhr collectif

Parallèlement à ce dikhr personnel, les soufis se réunissent régulièrement dans un tekke pour la pratique rituelle d’un dikhr col-lectif sous la direction d’un cheikh ou de son représentant (muqaddam).

Ce dikhr collectif peut être plus ou moins rythmé, accompagné de mouvements caden-cés de la tête ou du corps entier, ou au con-traire exiger la plus stricte immobilité ; il peut encore donner lieu à des auditions (sema) de musiques ou de chants spirituels, voire à une véritable danse comme chez les dervi-ches tourneurs.

A noter que généralement s’il est fait en milieu plus populaire, il est plus spectacu-laire, alors que chez les dignitaires, il aura plus de retenue.

II- Le sema

1. Contexte

A. Origine

Le sema est une séance de concert spiri-tuel pendant laquelle les soufis essaient d’at-teindre l’extase. On attribue souvent à Mevlana la paternité du sema mais peut-être à tort.

En effet, cette pratique existait déjà dans certaines régions, mais il a contribué à la faire connaître, Mevlana « a plutôt donné subite-ment au sema une importance qu’il eut rare-ment dans l’histoire de la mystique. » 35

Cette innovation indigna tout d’abord les bien-pensants car la danse était « regardée d’un mauvais œil en islam, elle était associée à la débauche. »36

Mais c’est au contact de Shems que

Mevlana apprendra à danser, c’est à la suite de sa rencontre mystique qu’il va l’instaurer. Cette cérémonie aurait été codifiée par Sultan Valed, mais « rien ne prouve qu’il le fit dans les formes qui sont devenues officielles par la suite. »37

B. Le semahane

C’est une salle où a lieu la danse :

- au centre, une balustrade octogo-nale (le chiffre 8 symbolise l’infini), derrière laquelle se tient le public,

- au fond, au centre du mur, se trouve le mirhab qui sert à indiquer la direction de la Mecque et devant lequel on place une peau de mouton sur laquelle le cheikh va venir s’asseoir,

- au fond à droite le minbar, une chaire comme dans les mosquées,

- au-dessus de la porte d’entrée,sur une galerie surélevée se tiennent les musi-ciens.

C. La musique

Les musiciens étaient des profession-nels, seuls certains étaient des derviches, les autres étaient des artistes qui vivaient de leurs cachets. Le chant était l’élément essen-tiel des concerts, souvent les poèmes de Rumi étaient mis en musique.

Les chanteurs s’accompagnaient de plu-sieurs instruments : daf, ney (flûte qui a une place symbolique importante), le rebab (sorte de vièle), tanbur (sorte de harpe), mais pas de luth ou de harpe, considérés comme des instruments utilisés pour une musique frivole ou mondaine. Le rebab ser-vait à l’accompagnement des poésies et le ney était la flûte des bergers et des gens modestes.

Pour éviter trop d’emprise ou de troubles profonds, « ils doivent suivre avec attention le texte ou la mélodie des chants afin de s’ar-rêter net à la fin de chaque partie ou salâm, montrant ainsi qu’ils ne sont pas subjugués par l’extase. (..) Ces arrêts correspondent aux différents épisodes musicaux qui s’enchaî-nent de façon continue. » 38

34 BONAUD (Christian), op. cit., p. 39 à 41.35 DURING (Jean), Musi-que et extase : l’audition mystique dans la tradition soufie, Paris, A. Michel, 1988, p.171. 36 Mais l’auteur complète en disant que « Cela étant, la danse que l’on compte au nombre des divertisse-ments profanes, accom-pagne souvent les réjouissances populaires (… ). » HITZEL (Frédéric), op. cit., p. 214.37 DURING (Jean), Musi-que et extase : l’audition mystique dans la tradition soufie, Paris, A. Michel, 1988, p.172.38 DURING (Jean), Musi-que et extase : l’audition mystique dans la tradition soufie, Paris, Albin Michel, 1988, p. 184

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2. Description d’une séance de sema

Les derviches entrent dans la salle de danse du couvent (semâhâne), un à un, habillés de blanc, symbole du linceul, revêtus d’un ample manteau noir représentant la tombe, et cou-verts d’une toque de feutre en forme de tumba, symbolisant la pierre tombale. On remarquera toute la symbolique du « costume » à trait à la mort. Les derviches confirmés se placent à droite du portillon, les novices à gauche.

Le Grand Maître arrive en dernier et se place au centre, devant une peau de mouton teinte en rouge. Le cheikh représente Mevlana, pôle (quth) et point d’intersection entre le temporel et l’intemporel, pénètre le dernier. Il s’assied, imité par les derviches.

La cérémonie du sema est composée de sept phases :

1) Le début se passe à réciter des versets du Coran, des prières pour le Prophète.

2) Puis résonne un bruit de tambour sym-bolisant l’ordre Divin,

3) Alors commence un solo improvisé de ney, la flûte de roseau dont le son mélancolique est le symbole de l’homme qui pleure sa séparation d’avec son Créa-teur. Le recueil des écrits de Mevlana com-mence par ce célèbre poème : « Ecoutes le ney raconter une histoire, il se lamente de la séparation. ».

4) Puis l’orchestre joue un prélude instru-mental (perhrev) où l’on remarque le tanbur, le rebâb, les kudüm (petits tambours dou-bles) et un tambourin appelé daf.

Les derviches se lèvent et font trois fois le tour de la salle dans le sens contraire aux aiguilles d’une montre. Le Maître se lève et se place à gauche de la peau de mouton, un autre derviche s’y place aussi, ensemble ils se saluent puis continuent le tour.

Ces trois tours symbolisent les trois degrés de la foi c’est-à-dire : Charia, voie de la science, Tariqa, voie de la division, et Haqiqa qui conduit à l’union.

5) A la fin du troisième tour, le cheikh s’as-sied sur son tapis et les derviches s’assoient en cercle autour de la piste. Alors, la flûte et les tambours jouent, un salut (selâm) est chanté par le chœur, à la fin duquel les dervi-ches se lèvent.

« Suivons la suggestive description d’Eva de Vitray-Meyerovitch : « (…) les danseurs lais-sent tomber, en un geste triomphal, leur man-teau noir, ils apparaissent lumineux, dans une robe blanche, le costume traditionnel des morts musulmans, comme libérés de leur enveloppe charnelle pour une deuxième naissance. Le cheikh se lève, suivi des danseurs qui s’avan-cent vers lui, s’inclinent et lui baisent la main droite ; tous font de même, ils viennent chacun demander la permission au Grand Maître de commencer la danse. Le cheikh donne son acquiescement en baisant leur coiffe.

Les derviches les bras croisés, les mains sur les épaules, se mettent à tourner lente-ment, puis ils étendent les bras comme des ailes, la main droite tournée vers le ciel pour y cueillir la grâce, la main gauche vers la terre pour y répandre cette grâce qui a traversé leur cœur et qu’ils redonnent au monde après l’avoir réchauffée de leur amour. En dansant autour d’eux mêmes, ils tournent autour de la salle figure aussi la loi de l’univers, les pla-

MINIATURE DE MEVLÂNÂ REPRÉSENTÉ EN POSITION DE MÉDITATION

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nètes tournant sur elles-mêmes et autour du soleil. »39

6) L’avant-dernière phase est la lecture du Coran,

7) La cérémonie se termine par une prière pour les Prophètes et les âmes des Croyants.

3. Explications et symbolisme

La danse giratoire des derviches est lourde de symbolique. On distingue trois états dans le sema :

- Le premier état est dit « charnel », se réfère à ceux qui n’ont pas dominé leurs pulsions,- Le second état est celui du dévoile-ment de la jouissance spirituelle,- Le troisième est celui de l’union avec Dieu.

Plusieurs formes de sema ont perduré à travers les âges dans les confréries sou-fies, mais seule la danse dans les confréries mevlevies a fait l’objet de justification symbo-lique et d’interprétation philosophique.

Une codification du sema était nécessaire pour que chaque tekke transmette le même rituel. Les adeptes étant de plus en plus let-trés, sous leur influence la musique a été plus classique et la danse tempérée, ils ont été structurés pour avoir un comportement moins extraverti.

During regrette l’esprit premier du mou-

vement de Mevlana « En ritualisant et codi-fiant le sema à l’extrême, en le chargeant en compensation d’un symbolisme parfois forcé, les mevlevis l’ont quelque peu vidé de son contenu extatique, ou plutôt, on essayé d’éle-ver ce contenu au niveau de l’esprit en le dépouillant de ses aspects émotionnels trop humains. »40 q

PERSONNAGES et DYNASTIES

Al-Basri nom sous lequel fut connu dans l’Occident médiéval Ibn al-Haytham, ou Abou l-Hasan ibn al-Hasan ibn al-Haytham al-Basri al Misri : Mathématicien et phy-sicien arabe (Bassora, 965 - Le Caire, 1039). Installé au Caire, il résida à la mosquée al-Azhar. Il vécut du fruit de ses travaux de copiste et enseigna. Il écrivit de nombreux petits traités, principalement sur l’astro-nomie, l’optique et la géométrie, mais aussi sur la logi-que, l’éthique, la musique et la théologie.

Attar farid al-Din (Dans le Khoras-sanv.1120-1200), poète persan mystique. Dans le Colloque des oiseaux, des oiseaux parcourent le monde à la recherche d’Allah, mais celui-ci est en eux-mêmes.

Al Ghazali (Tüs, Khorassan, né en 1058- ibid 1111). Philosophe, juriste théologien arabe. Il enseigna à Bagdad, mais une crise mystique l’incita à voyager dans le Proche-Orient. Il s’installa à Damas, où il écri-vit la Revification des sciences de la religion. Il revint à Bagdad et se retira à Tüs.

Al Halladj (Tür près d’Al beyda, sud de l’Iran 858-Bagdad 922), poète mystique musulman torturé à mort parce qu’il affirmait que l’âme et Dieu sont unis.

Al-Halladj Abou l-Moughîth al-Husayn ibn Mansour ibn Mohammad al-Baydaoui, dit al-Halladj ou al-Hal-laj , «le Cardeur du cœur» : Mystique musulman (Tûr, près d’al-Bayda, dans le Sud de l’Iran, 858 - Bagdad, 922). Poète et propagateur d’un soufisme très ins-piré, il proclama son union avec Dieu (au point qu’il s’écria dans une extase «Je suis la Vérité»), ce qui lui valut d’être exécuté pour blasphème.

Yunus Emre Poète mystique turc (XIVe s.). Il s’interro-gea sur la destinée humaine dans une œuvre d’une haute élévation spirituelle, écrite dans une langue populaire qui a servi de modèle à la poésie turque moderne.

Ibn Arabi (Murcie, Espagne 1165-Damas 1240), l’un des plus grands mystiques (soufiste) de l’islam. Andalou, mort en 1240 à Damas, il ne fonda aucun ordre.

Ibn Battuta (Abu’Abd Allah) : (Tanger 1304-Fes 1377), géographe arabe.

Ibn Khaldun (Abd ar-Rahman) : (Tunis 1332-Le Caire 1406), philosophe arabe de l’histoire. Sa Muqaddima (« préface «, « prolégomène « affirme sa méthode). De l’examen des faits il faut dégager des lois (économiques, sociologiques,….)

Junayd (mort en 910) fut le disciple d’Al Muhasibi et le maître d’Al Halladj, il formula la doctrine de l’anéantissement en Dieu (Mervin).

Omeyyades Dynastie arabe qui régna à Damas de 660 à 750. A cette époque l’empire arabe était à son apogée, il s’étendait de l’Inde jusqu’en Espagne.

Seldjoukides Dynastie ottomane fondée au Xe siècle, qui constitua un grand empire au Proche et Moyen-Orient.

39 Cité par Michel BALIVET, « Konya, la ville des derviches tourneurs», CNRS, Paris, 2001, p.7940 DURING J., op.cit., p. 205.