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312 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:312-316 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 42 e congrès SFSCMF Le traumatisme crânien « léger » sous l’angle médico-légal et indemnitaire M.-A. Ceccaldi Cabinet d’Avocats Preziosi-Ceccaldi, Marseille. [email protected] Correspondance : Cabinet d’Avocats Preziosi-Ceccaldi, 16, rue Breteuil, 13001 Marseille. Summary Victims of mild trauma brain injury may develop post-concussive symptoms in an inverse proportion to the organic damages leading to difficulties in their social, occupational and family activities. Proving the link which exists between the trauma and its conse- quences is a difficult task and insufficient methods for evaluating post-concussive symptoms make it very difficult to demonstrate the cause and effect relationship. The judge’s assessment is essential to avoid the nearly systematic but wrong diagnosis of pathological predispositions of the patient. It is particularly important to improve the nomenclature of the dif- ferent kinds of injuries to reach a better indemnification for those patients who suffer from their trauma their entire life. Keywords: Craniocerebral trauma, Forensic sciences, Compensation and redress. Résumé Certains traumatisés crâniens présentent des troubles du fonction- nement social, professionnel et familial inversement proportionnels à l’apparente légèreté de leur atteinte organique. La reconnaissance de cette singularité est difficile au regard, d’une part, de l’exigence médico-légale de preuve de l’imputabilité des séquelles au traumatisme et, d’autre part, de l’absence de procédure spécifique d’évaluation. L’appréciation du juge apparaît essentielle pour empêcher un re- cours trop systématique au diagnostic tentant d’une prédisposition pathologique ou d’un état antérieur du blessé. L’amélioration de la nomenclature des chefs de préjudice s’impose par ailleurs pour obtenir une traduction indemnitaire plus fidèle du désordre existentiel subi par cette population de blessés. Mots-clés : Traumatisme crânien, Médico-légal, Indemnisation. a mesure du préjudice souffert par les traumatisés crâ- niens dits « légers » est très difficile à appréhender dans l’expertise et l’indemnisation. En effet, le cadre médico-légal actuel n’est pas adapté à cette « misérable minorité » qui conserve des séquelles et se trouve prisonnière des risques alternatifs de déni ou de dramatisa- tion. C’est d’ailleurs à cette population durablement atteinte que s’applique le mieux la notion de « handicap invisible ». Ni l’imagerie, ni la forme des troubles ne permettent un ratta- chement évident à une histoire traumatique. Et du point de vue de la preuve, les juristes exigent un lien traumatique direct et certain que la médecine peine à établir. Malgré une bonne connaissance du processus d’installation des troubles, le droit ne dispose pas d’une méthodologie spéci- fique d’évaluation qui permettrait de mieux surmonter les problèmes de causalité et de quantification du préjudice de ces victimes singulières. Processus singulier de chronicisation des troubles : identification et illustration Parmi les 150 000 personnes qui subissent annuellement un traumatisme crânien, 20 % conserveront des séquelles à dis- tance de leur accident. Panorama La situation de cette minorité est caractérisée par une dispro- portion entre la légèreté apparente de l’atteinte crânio- encéphalique et la richesse des troubles allégués ou constatés. Ceccaldi MA. Mild brain injury: forensic sciences and indemnification. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:312-316. L

Le traumatisme crânien « léger » sous l’angle médico-légal et indemnitaire

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Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006;107:312-316 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

42e congrès SFSCMF

Le traumatisme crânien « léger » sous l’angle médico-légal et indemnitaire

M.-A. Ceccaldi

Cabinet d’Avocats Preziosi-Ceccaldi, Marseille.

[email protected]

Correspondance :Cabinet d’Avocats Preziosi-Ceccaldi,

16, rue Breteuil, 13001 Marseille.

Summary Victims of mild trauma brain injury may develop post-concussivesymptoms in an inverse proportion to the organic damages leadingto difficulties in their social, occupational and family activities.Proving the link which exists between the trauma and its conse-quences is a difficult task and insufficient methods for evaluatingpost-concussive symptoms make it very difficult to demonstrate thecause and effect relationship.The judge’s assessment is essential to avoid the nearly systematicbut wrong diagnosis of pathological predispositions of the patient.It is particularly important to improve the nomenclature of the dif-ferent kinds of injuries to reach a better indemnification for thosepatients who suffer from their trauma their entire life.

Keywords: Craniocerebral trauma, Forensic sciences, Compensationand redress.

RésuméCertains traumatisés crâniens présentent des troubles du fonction-nement social, professionnel et familial inversement proportionnelsà l’apparente légèreté de leur atteinte organique.La reconnaissance de cette singularité est difficile au regard, d’unepart, de l’exigence médico-légale de preuve de l’imputabilité desséquelles au traumatisme et, d’autre part, de l’absence de procédurespécifique d’évaluation.L’appréciation du juge apparaît essentielle pour empêcher un re-cours trop systématique au diagnostic tentant d’une prédispositionpathologique ou d’un état antérieur du blessé.L’amélioration de la nomenclature des chefs de préjudice s’imposepar ailleurs pour obtenir une traduction indemnitaire plus fidèle dudésordre existentiel subi par cette population de blessés.

Mots-clés : Traumatisme crânien, Médico-légal, Indemnisation.

a mesure du préjudice souffert par les traumatisés crâ-niens dits « légers » est très difficile à appréhender dansl’expertise et l’indemnisation.

En effet, le cadre médico-légal actuel n’est pas adapté à cette« misérable minorité » qui conserve des séquelles et se trouveprisonnière des risques alternatifs de déni ou de dramatisa-tion. C’est d’ailleurs à cette population durablement atteinteque s’applique le mieux la notion de « handicap invisible ».Ni l’imagerie, ni la forme des troubles ne permettent un ratta-chement évident à une histoire traumatique. Et du point devue de la preuve, les juristes exigent un lien traumatique directet certain que la médecine peine à établir.Malgré une bonne connaissance du processus d’installationdes troubles, le droit ne dispose pas d’une méthodologie spéci-fique d’évaluation qui permettrait de mieux surmonter les

problèmes de causalité et de quantification du préjudice de cesvictimes singulières.

Processus singulier de chronicisation des troubles : identification et illustration

Parmi les 150 000 personnes qui subissent annuellement untraumatisme crânien, 20 % conserveront des séquelles à dis-tance de leur accident.

Panorama

La situation de cette minorité est caractérisée par une dispro-portion entre la légèreté apparente de l’atteinte crânio-encéphalique et la richesse des troubles allégués ou constatés.

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Le traumatisme n’a, en général, engendré qu’une perte de con-naissance et une amnésie rétrograde limitées. L’imagerie auscanner ou par résonance magnétique ne révèle aucune ano-malie. L’admission aux urgences, de courte durée, est très sou-vent ponctuée par une invitation à regagner le domicile, sansinvestigation complémentaire ou accompagnement spécifique.De ce fait, le blessé se retrouve dépourvu de manière précocede soutien médical ou psychologique. Pourtant, le proche envi-ronnement se fait rapidement l’écho de modifications dansson fonctionnement quotidien.Les doléances du blessé ou de sa famille sont alors relative-ment stéréotypées : céphalées, troubles de l’attention, trou-bles de la mémoire, grande fatigabilité physique et intel-lectuelle, intolérance au bruit, troubles de l’humeur (irritabi-lité, voire impulsivité) et du comportement.La chronicisation de ces troubles provoque, à distance de l’acci-dent, une diminution des performances générales, notam-ment au travail, ainsi que des difficultés relationnelles etaffectives conduisant au repli et, parfois, dans des cas extrê-mes, à une rupture du lien social et familial (perte d’emploi etdivorce).

Illustrations concrètes

Deux exemples serviront de support à notre analyse.

Premier cas : VéroniqueVéronique, secrétaire commerciale de 38 ans, est percutée en1999 par un camion lui refusant une priorité. Le certificat médi-cal initial décrit :- « un volumineux hématome de la face gauche jusqu’auniveau temporal,- une abrasion cutanée avec lame d’emphysème au niveau del’articulation temporo-mandibulaire gauche,- une perte de connaissance de l’ordre d’une minute,- un scanner facial ne montrant pas de lésion osseuse maisconfirmant la présence d’air au niveau de la fosse ptérygoïde etde sang dans le sinus sphéroïdal gauche,- des radiographies du rachis cervical et un scanner cérébraln’objectivant aucune lésion,- une amnésie partielle pendant les 2 semaines suivant l’acci-dent,- et un état de stress psychologique majeur. »En 2000, des épisodes vertigineux hebdomadaires d’environ48 heures et des douleurs de l’hémiface gauche se manifes-tent, accompagnés de troubles cognitifs avec défaut de con-centration et d’importants troubles de mémoire.

Le neurologue décrit alors un « syndrome subjectif des trauma-tisés crâniens (!) avec réaction anxieuse généralisée chroniquenécessitant un traitement adapté »…En décembre 2000, un bilan neuropsychologique est effectué :il décrit un syndrome post-traumatique avec des troubles de laconcentration et de l’organisation sans dépression.En janvier 2001, l’IRM cérébrale est normale.En 2003, le mari de la victime décrit des modifications dans lecomportement, un important amaigrissement dû à une ali-mentation douloureuse, des troubles de la mémoire, desoublis permanents, une incapacité concernant les tâchesménagères et administratives, de grandes difficultés dans lesrelations sociales et dans l’exercice professionnel. Un licencie-ment pour erreurs professionnelles répétées intervient en aoûtde la même année.En août 2004, un neurologue expert conclut : « parce que la vic-time ne présente pas un tableau clinique organique post-trau-matique, les doléances exprimées ne constituent pas un tableaucohérent et systématisé de cérébro-lésés ». Cette analyse erro-née trouve sa suite logique dans l’évaluation de l’IPP qui n’estchiffrée qu’à 3 %, en lien avec les pertes de capacité psychophy-siologique consécutives à un syndrome post-commotionnel.Une contre-expertise est en cours…

Second cas : JeanneJeanne, professeur de gymnastique de 47 ans, elle est renver-sée par une automobile en allant à pied acheter du pain.Elle subit des fractures du tibia droit, du tibia gauche, une luxa-tion de l’épaule gauche et heurte le sol avec la tête en tombant.Le certificat médical décrit une dermabrasion sur la tempegauche mais aucune perte de connaissance. Elle subit un an derééducation. Sa famille décrit des problèmes de mémoire etd’irritabilité, « alors qu’elle était si douce ». Elle ne supporte pluspersonne et évoque souvent une grande fatigue. Elle finit pardivorcer au bout de 3 ans. Parallèlement, elle ne reprendrajamais son travail.Elle est examinée par le médecin de sa compagnie qui retientun taux d’IPP de 3 % pour des séquelles orthopédiques sansqu’aucune imagerie cérébrale, ni même bilan neuropsycholo-gique ne soient prescrits. Ici encore, une expertise judiciairevient d’être ordonnée et confiée à un professeur de neuropsy-chologie…Ces deux exemples traduisent l’inadaptation de l’approchemédico-juridique non spécifique de ce type de situation tantsur le plan de la recherche de la preuve du préjudice (causalitéou imputabilité) que sur celui de la quantification du préjudice(nomenclature inadaptée).

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Une approche juridique non spécifique

En droit, le processus indemnitaire met en scène un blessé quiendosse juridiquement le statut de créancier d’une obligationde réparation intégrale, et un débiteur, garanti par son assu-reur, sur qui repose l’obligation de réparation.

Le fardeau de la preuve

L’article 1 315 du Code civil dispose : « Celui qui réclame l’exécu-tion d’une obligation doit la prouver ». Dans son rapport avec letiers responsable ou son assureur, il appartient donc à la vic-time d’établir la réalité de l’obligation et son étendue selonl’adage « tout le préjudice, rien que le préjudice ».Or, la charge de la preuve peut rapidement constituer un far-deau pour les TC « légers ». En effet, leur dossier médical pâtitdu caractère éphémère de la prise en charge qui, on l’a vu, selimite au stade initial à quelques heures aux urgences sansscanner ou IRM, sans Glasgow, ni description précise de l’étatde confusion des victimes.Il s’ensuit que leur dossier est d’une pauvreté inversement pro-portionnelle à la richesse de leurs doléances. Cette minceurfavorise la tentation de la négation du préjudice dans ledomaine médico-légal où les acteurs sont encore très attachésà la preuve par l’imagerie de l’organicité des troubles. Ces der-niers recourent encore trop souvent au diagnostic désuet d’un« syndrome subjectif » ou à une vulnérabilité préexistante auseul motif que le scanner ou l’IRM ne révèlent aucune anomalie.L’absence de détection médicale précoce rejaillit donc péjorati-vement sur l’expertise en termes de preuve du lien de causa-lité.Pourtant, les cliniciens spécialistes du traumatisme crâniensavent qu’une imagerie saine n’exclut pas l’existence deséquelles d’origine traumatique. Néanmoins, l’affirmation decette éventualité ne constitue pas une preuve.La répartition des rôles entre l’expert et le juge prend alorstoute son importance puisque ce dernier est seul compétentpour décider de l’implication juridique de l’éclairage médicalfourni par le premier.

La répartition des rôles experts/juges

À la différence du juge, l’expert n’est pas un juriste, de sortequ’il ne lui appartient pas de trancher le problème de la causa-lité juridique. L’article 238 du Code de Procédure Civile le men-tionne d’ailleurs expressément en ces termes : « Le techniciendoit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a étécommis. Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord

écrit des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordrejuridique ».L’expert s’attachera surtout à recueillir les différents symptô-mes fonctionnels, physiques ou éventuellement para-clini-ques et leur corrélation avec l’évènement traumatique oul’évolution existentielle du blessé.S’agissant des traumatisés crâniens dits « légers », il ne doitpas hésiter, selon les cas, à procéder à des explorations appro-fondies du type : imagerie fonctionnelle (débit sanguin céré-bral), bilan neuropsychologique (pas seulement MMT ouBREF), audition des proches pour informations biographiquesdécisives, bilan écologique…L’exhaustivité des informations recueillies par l’expert consti-tue un faisceau d’indices que le juge apprécie souverainementcomme une preuve, suffisante ou non, de l’imputabilité.L’appréciation souveraine du juge est également détermi-nante dans la question éventuelle de l’état antérieur qui ren-voie à la seconde partie du principe de réparation intégrale« rien que le préjudice ».Cette souveraineté du juge prévient également les risques dediagnostics systématiques de prédisposition ou d’état anté-rieur découlant d’une connaissance imparfaite des mécanis-mes d’installation des séquelles.Cette dérive se manifeste tantôt par l’imputation d’un étatantérieur imaginaire, tantôt par une minimisation de l’impactde l’évènement traumatique et une imputation totale dutableau séquellaire à la personnalité du sujet.L’exemple de Josiane R., victime d’un accident le 18 septembre1999, illustre parfaitement ce risque de dérive. Elle présenteaux urgences : « TC avec perte de connaissance initiale de courtedurée, sans fracture radio visible. Traumatisme du rachis cervicalsans lésion fracturaire radio visible, sur cervicarthrose préexis-tante… contusions multiples superficielles, ITT 15 jours… ». Elleregagne son domicile après 2 jours d’observation et un scannerne révélant aucune lésion cérébrale.L’évolution sera marquée par l’installation de troubles cogni-tifs au niveau mnésique et de la coordination des idées, asso-ciés à des crises de panique et de claustrophobie. La reprise dutravail sera impossible. Le sapiteur psychiatre sollicité conclurade manière erronée que l’IPP est de 20 % dont un tiers à ratta-cher à l’accident puisque « il existe une imputabilité partiellecertaine à rattacher à l’accident dans la survenue des symptô-mes d’ordre neuropsychique mais il est vraisemblable qu’ilexiste un état pathologique antérieur nié par la patiente et quin’a pu être mis en évidence ». L’expert principal retiendra cetteévocation audacieuse d’un état antérieur en limitant l’IPP à12 %.

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S’il apparaît évident que les facteurs personnels ne sont pasétrangers à la chronicisation des troubles, leur assimilation àun état antérieur doit être appréhendée avec la plus extrêmevigilance.La jurisprudence impose une rigueur totale à l’égard de l’impu-tation d’un état antérieur qui doit être démontré et être réelle-ment un facteur du dommage. Sans cette rigueur, certainsraccourcis aboutissent à de véritables injustices.La cour de cassation a défini un cadre juridique très précis enrappelant qu’une prédisposition ou une pathologie latente quin’a pas produit ses effets nocifs, ne doit pas être prise en consi-dération lorsqu’elle se développe en raison de la manifestationdu traumatisme.La haute cour emploie souvent le terme de « facteurdéclenchant » pour qualifier le rôle joué par le traumatisme.Ainsi, dans une espèce du 13 janvier 1982 [1], elle indique claire-ment qu’« à partir du moment où il est démontré que le trau-matisme consécutif à l’accident a été l’élément déclenchant descomplications qui ne seraient point survenues sans lui […] lemoyen tiré de la prédisposition pathologique de la victime estinopérant ».L’arbitrage souverain du juge apparaît donc décisif dans ladétermination de la réalité du préjudice du traumatisé crâniendit « léger ».Les difficultés de qualification et de quantification de son pré-judice sur le plan médico-légal et indemnitaire militent enrevanche pour une amélioration des règles de prise en charge.

Une approche à repenser

Les acteurs de l’indemnisation se heurtent à des difficultésdans l’évaluation du préjudice des TC dits « légers ». Pour yfaire face, plusieurs solutions existent.

Les limites rencontrées par l’expert et le juge

L’indemnisation du préjudice corporel reste dominée par lesconcepts manichéens de capacité et d’incapacité. L’applicationd’une dichotomie si peu nuancée est discutable pour les trau-matisés crâniens dont les troubles méritent une analyse bienplus fine que celle permise par le système actuel.Ainsi, les échelles de préjudice des barèmes du Concours Médicalou de la Société de Médecine Légale apparaissent inadaptées àl’évaluation des troubles ressentis par le traumatisé crânienléger comme la fatigabilité ou la baisse de performance.Il est également difficile de rattacher le désordre existentiel dublessé aux chefs de préjudices actuels. La prise en compte de la

dévalorisation ou de la fatigabilité au travail pose problème austade de l’évaluation.En effet, très souvent la victime ne subit pas de préjudice pro-fessionnel. Ses revenus se situent à un niveau semblable àcelui antérieur à l’accident car l’environnement professionnelse montre compréhensif ou le statut est protecteur.Pourtant des perturbations douloureuses vont se manifesteret vont constituer un obstacle dirimant à la poursuite d’une viede groupe, désormais insupportable. Cela engendrera parfoisune dévalorisation par un changement de poste ou une affec-tation présentant moins d’intérêt.Il en est de même sur le plan personnel où le climat familial va sedégrader, l’intolérance au bruit, le manque d’élan et la fatigabi-lité conduisant à un certain désinvestissement dans l’éducationdes enfants et plus généralement dans la participation familiale.Ces exemples évocateurs de l’inadaptation justifient d’amélio-rer la prise en charge.

Pistes de réflexion

La qualité de l’analyse médico-légale varie au gré de la spéciali-sation de l’expert. Il serait utile de réduire cette part de hasarden bâtissant une méthodologie commune s’inscrivant dans lacontinuité des travaux du groupe de travail missionné en 2002par le ministère de la Justice pour réfléchir à l’amélioration dela prise en charge indemnitaire des traumatisés crâniens.Cette méthodologie fournirait des informations sur :- la période propice pour consolider (ni prématurée ni tardive),- la nécessité de recueillir le maximum d’information sur la trajec-toire existentielle du blessé (avant pendant et depuis l’accident),- la nécessité de réaliser un bilan neuropsychologique,- les situations et profils justifiant le recours à une explorationfonctionnelle neurophysiologique et autres (SPECT, PET scan,débit sanguin cérébral et potentiel évoqués) pour élargir uneapproche purement anatomique.Par-là, elle favoriserait l’obtention de faisceaux d’indices suffi-samment probants pour permettre au juge de trancher le pro-blème d’imputabilité et d’apporter une réponse indemnitaireplus adaptée au désordre de vie souffert.Sur ce dernier point, la nomenclature actuelle des chefs de pré-judices repose principalement sur un critère manichéen decapacité-incapacité inadapté, qui mérite d’être amélioré.Les travaux de la commission Dintilhac [2] constituent un ter-reau fertile de réflexion avec la suggestion de deux postes : lepréjudice d’agrément exceptionnel et le préjudice extrapatrimo-nial exceptionnel, préconisés pour surmonter une trop granderigidité de la nomenclature et réparer le préjudice lié au chan-gement dans les conditions d’existence.

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Mais il serait aussi possible d’envisager un préjudice de dévalo-risation professionnelle ou de « pénibilité au travail » déjà con-sacré par certains juges ou un préjudice du lien affectif pour lesproblèmes comportementaux manifestés au sein de la famille.La consécration d’un « préjudice de limitation d’activité ou derestriction de participation » constituerait une autre piste deréflexion s’inspirant directement de la classification interna-tionale du fonctionnement [3] et de la loi du 11 février 2005 [4].

Conclusion

Les imperfections du « traitement » médico-légal et indemni-taire des traumatisés crâniens dits « légers » répondent endéfinitive aux lacunes du système sanitaire notamment dansla détection des troubles susceptibles de se chroniciser.

Il apparaît donc nécessaire de développer une réflexion sur lesmoyens d’améliorer la prise en charge sanitaire et indemni-taire de cette catégorie de victimes.Les attentes de cette population nombreuse relèvent davan-tage de la reconnaissance de leur désordre de vie que d’unecompensation pécuniaire.

Références1. Cour de cassation, arrêt 2e chambre civile du 13 janvier 2002.2. Dintilhac JP. Rapport du 28 octobre 2005 sur l’élaboration d’une

nomenclature des préjudices corporels.3. Organisation Mondiale de la Santé, Classification internationale

du fonctionnement, du handicap et de la santé de 2001.4. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des

chances, la participation et la citoyenneté des personnes handi-capées.