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Le seul journal francophone de l’université McGill. Volume 94, numéro 21 Le mardi 22 mars 2005 www.delitfrancais.com Eleonore + Andrew depuis 1977.

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Volume 94, numéro 21 Le mardi 22 mars 2005 www.delitfrancais.com Eleonore + Andrew depuis 1977. Le seul journal francophone de l’université McGill. 02 Le Délit x 22 mars 2005 Quoi? Une seule adresse: Les élections auront lieu le lundi 5 avril à 18h au local du journal. [email protected]

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Le seul journal francophone de l’université McGill. Volume 94, numéro 21 Le mardi 22 mars 2005 www.delitfrancais.com Eleonore + Andrew depuis 1977.

02 Le Délit x 22 mars 2005

xLa session tire à sa fin et l’équipe de rédaction du Délit change et n’attend que vous pour la remplacer. Pour être éligible, vous devez avoir contribué au moins trois fois au Délit dans le dernier semestre. Si c’est le cas, soumettez votre candidature en déposant votre nom dans l’enveloppe du poste de votre choix accrochée à l’extérieur du local (Shatner B-24). Votre candidature doit être contre-signée par deux collaborateurs.

Les élections auront lieu le lundi 5 avril à 18h au local du journal.

Avis à tousQuoi?Une seule adresse:

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03Le Délit x 22 mars 2005

3480, McTavish, bur. B-24Montréal (Québec) H3A 1X9

Rédaction: (514) 398-6784Publicité: (514) 398-6790Télécopieur: (514) 398-8318

rédactrice en chefValérie Vézina

chef de pupitre-nouvellesPhilippe G. Lopez

chef de pupitre-cultureFlora Lê

rédacteur-reporteurEleonore Fournier

coordonnateur de la mise en pageDavid Drouin-Lê

coordonnateur de la photographieÉric Demers

coordonnateur de la correctionJulien Vinot

chef illustratriceJany Lemaire

collaborationLaurence Bich-CarrièreAgnès BeaudryClémence RepouxAlexandre VincentDavid PufahlMarc-André SéguinJean-François SauvéSébastien LavoiePhilippe MannassehAlexandre de Lorimier

webmestreBruno Angeles couvertureÉric DemersPhilippe G. Lopez

gérancePierre Bouillon

publicitéBoris Shedov

photocomposition et publicitéNathalie Fortune

le McGill DailyDaniel Cohen

Le DélitLe journal francophone de

l’université McGill

Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily:Emily Kingsland, Eugene Nicolov, Alexandre de Lorimier, Rachel Marcuse, Bram Sugarman John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg

L’usage du masculin dans les pages du Délitfrançais vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec.Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ).Imprimé sur du papier recyclé.ISSN 1192-4608

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L’art des pneus JetGirlLa télé publique prend le bord

Une pluie de courrier!

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Le mépris et l’indifférence

Connaissant le caractère conservateur et peu militant des étudiants de McGill, je me suis présenté mercredi

dernier à l’assemblée générale de l’AÉUM. Cela non pas dans l’espoir que le vote de grève sur la question des 103 millions passe, mais bien que la majorité en sa défaveur soit moins importante. Je m’attendais donc à assister à une assemblée moribonde et réactionnaire où, en toute franchise, le quorum de 200 personnes ne serait même pas respecté.

D’emblée, je dois admettre que mon pessimiste pronostic n’a pas résisté à l’épreuve de la réalité. Le taux de participation a battu tous les records et l’AG a appuyé dans une immense majorité la tenue d’une grève d’un jour malgré les tentatives d’avortement de certains opposants très minoritaires qui, par le biais de techniques procédurales, ont tout fait pour retarder la tenue du vote. Mais d’abord, comment en est-on venu à McGill à se prononcer si tardivement sur la tenue de ce vote de grève alors que presque la totalité des autres universités s’était déjà prononcée au moins une fois sur la question?

Il existe deux moyens pour convoquer une AG à McGill. Un minimum de huit conseillers de l’AÉUM doit se mettre d’accord ou elle peut être enclenchée par une pétition réunissant les signatures de 200 étudiants. Devant l’hésitation des conseillers de l’AÉUM, c’est la deuxième voie qui a été empruntée par un groupe d’étudiants militants ayant formé le Comité de grève de McGill. L’AG jouit de prérogatives importantes dans la mesure où elle a le pouvoir de dicter à l’exécutif de l’AÉUM une politique particulière si le quorum de 200 personnes est respecté.

Pour en revenir à l’AG du 16 mars, quelle ne fut pas ma surprise de constater l’ampleur de la participation des étudiants! Celle-ci a pris de cours les organisateurs de l’AÉUM qui attendaient moins de 300 personnes. Dans les faits, plus de 1 000 personnes se sont présentées ; 800 personnes sont parvenues à pénétrer après que les chaises aient été retirées et que les organisateurs aient demandé à la foule de se lever afin d’augmenter encore davantage la capacité de la salle.

Fait intéressant: l’AÉUM a agi en contravention à la réglementation municipale qui fixait la capacité de la salle à 450 personnes

maximum. Néanmoins, 200 personnes ont dû attendre dans les escaliers menant à la salle et par conséquent ont été privées de leur droit de vote, faute du peu d’espace.

Pourquoi l’AÉUM n’a-t-elle pas tenu son AG dans une salle à la capacité d’accueil adéquate? L’AÉUM n’est aucunement à blâmer à cet égard puisqu’elle a entrepris toutes les démarches possibles auprès de l’administration de McGill pour pallier ce problème logistique. La responsabilité incombe donc à cette dernière qui a refusé l’octroi d’une salle convenable sous prétexte que toutes les autres salles étaient occupées par des cours au moment demandé. Ainsi, dans l’optique d’assurer la participation des étudiants à un processus démocratique urgent, le report d’un cours n’est pas justifié aux yeux de l’administration de McGill.

Ce mépris le plus total envers la démocratie estudiantine s’est d’ailleurs manifesté plusieurs fois au cours de la dernière semaine. Le lundi 14 mars, l’administration a envoyé à tous les étudiants un courriel les informant que les cours se tiendraient «comme à l’habitude», peu importe le résultat du vote se tenant deux jours plus tard. Dans la même missive, elle a complètement fait

abstraction des raisons motivant les grévistes. Dans un communiqué de presse émis

mercredi dernier, l’administration se permet de discréditer indirectement le vote de grève tenu en AG en affirmant que bon nombre d’étudiants ne la souhaitent pas, alors que la grève a été approuvée par une majorité écrasante lors d’une assemblée au taux de participation exceptionnellement élevé.

Finalement, le vendredi 18 mars, jour de la grève, elle a interdit toute forme de manifestation sur le campus. La même journée, par l’entremise de l’un de ses agents de sécurité habillé en civil, l’administration a même filmé discrètement les étudiants qui manifestaient devant l’université.

Ce paternalisme condescendant manifesté par les dirigeants de McGill tout au long de la semaine n’aura cependant pas empêché les étudiants déterminés d’exprimer tout de même leur solidarité à l’endroit du mouvement étudiant québécois. Ceux-ci ont bravé l’interdiction de manifester sur le campus vendredi dernier en défiant les agents de sécurité de McGill qui leur bloquaient l’entrée. Lueur d’espoir pour l’avenir? x

DAVID DROUIN-LÊ

éditorial

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xLe Délit sortira un grandiose numéro spécial pour sa dernière édition du 5 avril, alors envoyez-nous vos trésors journalistiques cachés dès maintenant à [email protected] ou [email protected]

L’administration de McGill a exprimé un mépris inacceptable à l’égard de la démocratie estudiantine.

04 Le Délit x 22 mars 2005

Roland Dubillard, dans Lettre d’Autriche, explique que «Les pneus […] vivent dans les forêts, par

troupeaux, de trente à trente-cinq. C’est là qu’on les observe le mieux. Ils passent leurs journées à rouler sur les pentes à une allure folle, évitant de peu les arbres, puis à remonter ces mêmes pentes en louvoyant. Parfois, ils se couchent à plat tous ensemble, immobiles pendant des heures».

Chaque année voit des millions de boyaux circulaires de caoutchouc synthétique s’échouer dans des dépotoirs. Certains brûlent – qu’on se rappelle l’incendie de Saint-Basile-le-Grand –, d’autre sont recyclés dans

les cours des écoles primaires, mais l’immense majorité «gît et pollue» pour reprendre le titre d’un rapport de l’Agence de protection de l’environnement américaine.

Mais ce qui est un cauchemar pour Greenpeace s’est révélé une mine d’or pour la New-yorkaise Chakaia Booker qui en a fait le matériel de base de sa production artistique, bien qu’elle n’hésite pas à y mélanger, à l’occasion, divers autres matériaux, des os de chevreau aux barres de métal rouillées: «l’artiste doit être fidèle, mais [celui] qui ne se renouvelle pas est voué à l’oubli».

Ceci dit, ce sont les pneus qu’elle préfère, parce qu’ils représentent à ces yeux la folie

de la vitesse, le désir d’aller toujours plus loin mais aussi l’éternel recommencement. «Quand je les trouve, je les lie à mon corps pour les transporter au studio parce que c’est une façon de lier le passé automobile et le futur sculpté du matériel. J’ai toujours aimé lier les temps, c’est pour cela que je couds»,

a-t-elle déjà déclaré en entrevue. Si au début elle sculptait surtout des

visages – inspirée autant que Picasso par les masques tribaux africains difformes –, son œuvre a évolué vers l’abstraction, bien que les critiques les plus subtils y trouvent encore des traces d’une «réappropriation urbaine du corps afrocentrique. (Matthew Guy Nichols d’Art in America).

Pour Gail Philbin du Grand Rapids Press, c’est l’expression ultime de l’amour de l’Amérique pour ce qui roule: «Go west, young man, or east or wherever the heck». Entre deux vernissages auxquels elle assiste en portant un turban bariolé culminant à deux pieds au-dessus de son crâne, Brooker opine.

Et elle en profite pour pousser quelques commentaires à l’effet qu’elle «respire l’art» (lire «l’aaaAAaaaAAAaart», vocalises à l’appui):

ainsi, elle n’hésite pas à signaler qu’elle ne peut pas commencer sa journée avant d’avoir exécuté une sculpture d’elle-même et raconte fréquemment comme elle a eu une «vision transcendantale qui l’a éclairée sur la course folle de son destin» en regardant sa cousine peindre les murs de la maison de leur grand-mère.

Chakaia Booker a d’ailleurs insisté pour que la première pièce de la salle d’exposition de son Newark natal. où est présentée la plus grande rétrospective de ses œuvres jamais assemblée, soit peinte du même bleu.

C’est Dubillard encore, qui, toujours dans Lettre d’Autriche, se demande: «D’où viennent-il ces troupeaux de pneus? De quoi vivent-ils? Ce sont là des questions auxquelles il est impossible de répondre, du moins dans l’état actuel de la science».

Ce à quoi il est possible de répondre cependant, dans l’état actuel de l’art postmoderne, c’est qu’on peut très bien vivre de la sculpture de pneus, à condition, peut-être, d’affirmer, comme l’agent de Brooke, qu’on fait de la «réappropriation cosmologo-morphologique». x

La reine du rubberComment faire de l’argent avec Goodyear et Firestone sans être pilote de F1 ou concessionnaire automobile. LAURENCE BICH-CARRIÈRE

nouvellesinsolite

Pile ou Face?ELEONORE FOURNIER

L’administration de McGill a choisi de ne pas soutenir la grève des étudiants. D’après

le vote de l’assemblée générale de l’AÉUM mercredi dernier, les étudiants ont été en grève mercredi et vendredi.

«McGill est en grève, sur quelle base?», demande Jennifer Robinson, vice-présidente associée des communications de McGill. Bien que beaucoup des étudiants ne se sentent pas concernés par la grève parce qu’ils ne viennent pas de la province, les Québécois ne s’allient pas plus à leurs compatriotes des autres universités.

«Il y a 16 000 étudiants québécois à McGill. Je ne les vois pas en train de manifester!», ajoute Mme Robinson.

La position officielle de l’Université McGill a été rédigée par Luc Vinet et Heather Munroe-Blum, présidente. Affirmant que l’Université devrait être accessible à tous, Mme Munroe-Blum estime que le retour des 103 millions de dollars coupés des bourses étudiantes par le gouvernement Charest n’améliorera pas la situation. La grève, selon elle, n’est pas une solution. Il faut plutôt augmenter les frais de scolarité pour les étudiants ayant des moyens financiers pour pouvoir donner plus de bourses aux plus pauvres.

«Au Québec, les étudiants qui auraient les moyens de payer un juste prix sont subventionnés par la société», soutient Munroe-Blum.

«Notre position est que l’aide aux étudiants fait partie d’un plus grand problème», dit Robinson, ajoutant que ceux qui veulent faire la grève peuvent le faire, mais l’université n’annulera pas les cours pour soutenir le retour des bourses aux étudiants.

Malgré cela, tous les étudiants n’ont pas en effet le droit de faire la grève. Les auxilliaires (TA) n’ont, sous aucun prétexte, le droit de faire la grève.

«Même si les membres que nous représentons ont l’obligation contractuelle de travailler, plusieurs d’entre eux veulent participer, mais sont soumis à des actions disciplinaires», dit Lilian Vadivac, coordonnatrice de l’Association des étudiants gradués employés à McGill, le syndicat des TA.

En effet, le syndicat est en négociations avec l’assistant directeur des ressources humaines à McGill, Jacques Sztuke, pour diminuer les sanctions appliquées aux auxiliaires qui veulent manifester. Pour l’instant, chaque TA qui ne donne

pas de conférence pendant un jour de grève ne sera pas payé par l’Université.

«Celui qui n’exécute pas le travail parce qu’il est absent ne doit pas être payé, c’est aussi simple que cela!», maintient M. Sztuke.

Très officieusement, les auxiliaires qui travaillent avec des professeurs soutenant la grève peuvent s’arranger pour changer leurs heures de cours. Néanmoins, cela ne peut pas être officiel.

Mme Vadivac n’est pas certaine de pouvoir faire beaucoup plus que cela pour les TA, vu l’inflexibilité de la position de l’administration. Néanmoins, le syndicat est en train d’examiner le cas avec sa grande sœur, la Confédération des syndicats nationaux.

«Ils vont nous aider à faire de la

pression contre l’administration».Ronald Cameron, président de

la FNEQ, la branche de la CSN qui s’occupe de l’éducation, donne son soutien: «Localement, nous poussons les syndicats à intervenir dans leurs administrations pour qu’elles comprennent que c’est dans l’intérêt de l’université d’user des moyens de pression face au gouvernement».

Michael Smith, président de l’Association des professeurs à l’Université McGill, ne se montre pas aussi favorable à la grève que Mme Vadivac.

«L’association est contre la grève. Il faut que l’éducation soit accessible, mais les étudiants sont déjà en train de gâcher leur éducation [en faisant la grève]. C’est le domaine des professeurs s’ils choisissent de faire des provisions pour les étudiants», dit M. Cameron.

Certains professeurs, en effet, ont choisi de faire leur possible pour aider les étudiants en grève. Brian Lewis, doyen du département d’Histoire, déclare que le département a pris la décision d’encourager les étudiants, bien qu’ils ne puissent pas annuler les cours.

«Je soutiens les demandes des étudiants pour la restauration des bourses. Si les étudiants ne sont pas venus en cours vendredi dernier, ils ne seront pas pénalisés».

M. Lewis ajoute que l’action étudiante fait une grande différence. «La grève a déjà fait une différence puisque le ministre de l’éducation a largement reculé face à sa position originelle». Il refuse cependant de commenter la position des auxiliaires, plaidant que la situation est délicate.

C’est bien le cas, puisque à cause de leur double identité en tant qu’étudiants et professeurs, les TA sont employés par l’université et bénéficient des bourses d’études du gouvernement.

La seule façon pour eux de piqueter serait donc de le faire avec la collaboration des professeurs, à moins que l’administration de McGill ne change d’avis.

«Vous dites: vous ne soutenez pas la grève, donc vous êtes mauvais. Ce n’est pas le cas», affirme Mme Robinson.

Si l’administration est en effet en faveur des bourses et de l’accessibilité des études pour tous, il faudra néanmoins qu’elle la soutienne, quitte à énerver un peu certains qui préféreraient rester tranquilles derrière leurs bureaux. x

05Le Délit x 22 mars 2005

nouvellescampus

La réaction de l’administration de McGill face à la grève des étudiants fait mal aux TA.

L’éducation est un droit. La marche étudiante du 16 mars dernier est passée devant le campus de McGill.

Philip

pe G

. Lop

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06 Le Délit x 22 mars 2005

courrierdeslecteurs

Au lendemain de la grève étudiante du mercredi 16 mars 2005, la principale

Munroe-Blum nous faisait part, par courriel et sur Internet (www.mcgill.ca/newswire/?ItemID=14588), de ses réflexions sur les événements des derniers jours. Selon ses dires, les dernières propositions gouvernementales auraient représenté un «pas dans la bonne direction» et les leaders étudiants auraient eu tort de les balayer du revers de la main. Du même souffle, elle proposait une hausse des frais de scolarité comme moyen efficace pour améliorer «l’accessibilité» du système universitaire québécois.

Quels arguments Mme Munroe-Blum avance-t-elle pour justifier son appel au compromis? Comment peut-elle, en pleine grève étudiante, proposer la privatisation (l’augmentation des frais de scolarité étant incontestablement une forme de privatisation) de nos universités comme «la solution» au problème de l’accessibilité?

À moyen terme, il faut savoir que l’administration de McGill poursuit un objectif clair: augmenter les frais de scolarité de 140 p. cent afin de les ramener au niveau de la moyenne canadienne. C’est dans le Devoir du 22 avril 2004 que le vice-principal aux finances, Marty Yalovsky, présentait les arguments mcgillois en faveur d’une hausse aussi drastique: [1] Le système universitaire québécois serait largement sous-financé comparé aux autres provinces canadiennes. [2] Le Québec, avec les frais de scolarité les plus bas au Canada, possèderait également un «taux d’accessibilité» parmi les plus bas. [3] Le gel des frais de scolarité constituerait une «injustice sociale» puisque le système universitaire, fréquenté majoritairement par les mieux nantis, se retrouverait financé par les impôts des plus pauvres. Dans son texte, M. Yalovsky va même jusqu’à qualifier le modèle québécois «d’échec».

Dans sa dépêche du 17 mars, Mme Munroe-Blum reprenait essentiellement les mêmes arguments. Le combat mené par les étudiants pour récupérer les 103 millions coupés par le gouvernement libéral serait donc une perte de temps et d’énergie: le véritable enjeu se situerait au niveau des frais de scolarité. Pour leur bien, les étudiants devraient ainsi combattre pour une... hausse des frais de scolarité!

Je ne m’attarderai pas ici à la véracité des arguments, mais bien à leur provenance. De toutes façons, ces arguments sont tous fallacieux. Notamment, le «taux d’accessibilité»

est un indicateur bidon et l’argument de «l’injustice sociale» ne tient pas compte de l’impôt progressif sur le revenu. Bien que ni M. Yalovsky, ni Mme Munroe-Blum n’aient cité les sources de leurs arguments, on peut facilement en retracer l’origine. En effet, ils proviennent presque tous d’un seul et même document, une «note économique» publiée en février 2004 par l’Institut Économique de Montréal (IEDM) et intitulée «La hausse des droits de scolarité réduirait-elle l’accessibilité aux études universitaires?» (www.iedm.org/main/show_publications_fr.php?publications_id=61).

Il est intéressant de constater que l’IEDM, un think-tank néolibéral, milite, entre autres, pour un taux d’imposition unique, pour une plus grande participation du privé dans les affaires publiques (les fameux PPP), pour la déréglementation en général et, bien sûr, pour le dégel des frais de scolarité. Parmi les «accomplissements» de l’IEDM, notons la validation du cadre financier du Parti Libéral du Québec, un cadre financier s’étant avéré complètement farfelu. Quant à leur «note économique» sur le dégel des frais de scolarité, elle est, au mieux, de la qualité d’un travail de CEGEP. L’IEDM, qui se décrit lui-même comme un «institut de recherche non partisan», n’est, dans les faits, qu’un lobby de droite déguisé en organisme de charité (il est d’ailleurs reconnu comme tel par les gouvernements fédéral et provincial).

Comment, pour parvenir à leurs fins, de hauts administrateurs de l’université en viendraient-ils à s’appuyer sur des arguments débiles provenant d’un groupe de lobbyistes à la solde de l’entreprise privée? Pour bien comprendre, il faut d’abord noter que les membres du conseil d’administration (CA) de McGill cumulent conjointement près de 50 affiliations à des sociétés privées diverses, dont plusieurs banques et compagnies d’assurance (pour plus de détails, voir l’excellent document publié par l’ACPPU sur le www.caut.ca/en/publications/linkages/ByUniversity2005.pdf).

Mme Munroe-Blum, elle-même, siège au CA de 5 sociétés, dont Four Seasons Hotels et la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain. Plus intéressant encore, Adrien Pouliot, membre du CA de McGill, est aussi président du CA de… l’IEDM! La «philosophie d’entreprise» est donc omniprésente à McGill et on ne saurait s’étonner que l’objectif à long terme de la haute direction soit la privatisation complète de l’université. Il serait également utopique de s’attendre à ce que l’administration de McGill appuie

un quelconque mouvement étudiant, à moins que celui-ci ne réclame une hausse des frais de scolarité.

Heather Munroe-Blum devrait nous faire grâce de ses «recommandations» diffusées at large sur les canaux de communication officiels de l’université. Lorsqu’elle parle de privatisation «pour le bien de tous», elle se trouve nécessairement en conflit d’intérêt et manque franchement de crédibilité.

- Patrick Sabourin

Il s’est passé quelque chose de bien spécial cette semaine.

L’assemblée générale de l’Association Étudiante de l’Université McGill, mercredi, a vu une minorité d’étudiants procéder à un simulacre de démocratie qui a donné «légitimité» à la grève de vendredi. Vous pourrez constater que ce qui est arrivé est très simple et particulièrement déconcertant.

Premièrement, sans le condamner, l’aspect logistique a laissé un grand nombre de potentiels participants à l’extérieur de la salle, les excluant ainsi d’une possible expression politique. Je peux comprendre les difficultés, et tout ce qui peut être blâmable est la situation.

Deuxièmement, et principalement, une minorité a su refuser la démocratie pour la majorité. Voici ce qui s’est produit: constatant les problèmes logistique et temporel de l’assemblée, et constatant les ressources de consultation démocratique de l’université, un étudiant a présenté une motion afin de poser la question de la grève sur Internet, et ainsi permettre à TOUS LES ÉTUDIANT(E)S de se prononcer sur la question. L’argument était que le système fonctionnait déjà avec les si «populaires et passionnantes» élections étudiantes, alors pourquoi ne pas l’utiliser avec une question qui est cette fois vraiment importante pour tout le monde ?

Certains étaient réfractaires car ils croyaient perdre l’opportunité de débattre, mais cette option n’était pas envisageable: la salle était déjà pleine de gens brûlant de se faire entendre! Rien n’aurait empêché ces gens de débattre ou de hurler parfois, et ensuite d’aller tous voter sur Internet, suivis de près par ceux qui n’ont pu venir ou qui n’ont pu entrer dans la salle. Les représentants ont même fait savoir

Il y avait de l’école vendredi

que le système informatique serait prêt très rapidement. La solution la plus juste et la plus logique était sur la table, mais ce processus, le plus démocratique, a été rejeté… La majorité de cette minorité a voté CONTRE le report du vote de grève, éliminant ainsi toute possibilité de présenter un vote par Internet pour la grève de vendredi.

Pourquoi?Parce qu’il fallait voter «NOW!»

(Même si la grève allait être deux jours plus tard).

Pourquoi?Parce qu’après trois minutes

dans cette salle, on savait facilement quel résultat allait sortir: la GRÈVE. La salle était vendue, et elle ne voulait pas perdre cette victoire assurée. Alors au diable les solutions démocratiques! Pourquoi consulter la majorité?

De plus, une autre question se pose: pourquoi consulter une minorité pour décider quel moyen sera utilisé pour consulter (ou non) la majorité? Imaginez qu’on rassemble trois cents Québécois, majoritairement libéraux par exemple, et qu’on leur demande: voulez-vous qu’on consulte la majorité des citoyens ou bien voulez-vous être les seuls consultés pour la prochaine élection? Vous connaissez la réponse dans ce cas, et c’est pourquoi une minorité ne devrait pas être consultée pour décider du processus électoral!

On a bafoué le droit démocratique de la majorité des étudiants tout en votant plus tard pour donner un aspect officiel et légitime à cette imitation grotesque de démocratie. Un vote précipité et illégitime s’en est donc suivi, donnant une pseudo légalité à la «grève» de vendredi.

Suis-je un «scab»? Évidemment pas. Comment reconnaître un résultat qui a été voté par cette même minorité irrespectueuse qui a rejeté la voie démocratique?

Il y avait donc de l’école vendredi.

Pour terminer, il est tout de même important de souligner le progrès qui a permis à une vraie consultation étudiante d’avoir lieu via un moyen accessible par tous, en tout temps. Ainsi, par Internet, il sera possible de prendre une décision sur la possibilité de grève de jeudi prochain. Cette fois, bravo.

- Laurence Allaire Jean

Lettre ouverte à Mme Munroe-Blum

Mme le Principal, je désire attirer votre attention sur une proposition de

contrat que je viens de rédiger, dans l’espoir de mettre fin à une petite dispute bien trop médiatisée, que ce soit de la part de l’administration ou de l’Association des étudiants musulmans.

Comme près de trente mille personnes présentement affiliées à McGill, j’ai reçu votre courrier électronique à propos de l’espace de prière du Peterson Hall.

Mme Munroe-Blum, et vous l’avez si bien dit, McGill est une institution purement académique, qui a pour but unique de promouvoir l’épanouissement intellectuel de ses élèves. J’ai le plaisir de vous informer, qu’à un niveau personnel du moins, McGill a réussi sa mission à ce jour.

En tant qu’élève adulte de votre université, je pense sincèrement avoir le droit de choisir la façon que je juge dans le futur adéquate de réussir mon séjour académique dans votre établissement. Je vous prie donc de prendre cette proposition au sérieux. L’argument que j’y prône est simple, clair et applicable.

En tant qu’étudiant de premier cycle, l’université me pourvoit d’une chaise et d’une table dans chaque conférence, pendant environ quinze heures par semaine. Quant au restant de mon temps sur le campus, il est à la hauteur d’une trentaine d’heures par semaine. Celui-ci est passé à la bibliothèque, où je gaspille un espace énorme: une grande table, une chaise pour ma propre personne, une chaise pour mon sac et deux chaises que je ne laisse personne utiliser. Le décompte temporel est donc d’une cinquantaine d’heures.

Je, soussigné, Ahmed Jaber, accepte de ne plus utiliser cet espace pendant le restant de ma carrière universitaire prenant fin l’année prochaine, à la seule condition que voici.

Je réclame l’accès temporaire de deux heures par jour à un mètre carré de la salle de prière qui fait aujourd’hui la une des journaux.

Merci de me faire parvenir votre réponse dès que possible.

- Ahmed Jaber U2 Mathématiques & économie

McGill Inc.

Déferlement sur la grève

xAu Délit, cette vague de

courrier est accueillie avec une joie incommensurable.Continuez d’envoyer vos

lettre à:

[email protected]

07Le Délit x 22 mars 2005

courrierdeslecteurs

De fin

La question posée d’assemblée en assemblée à travers le Québec ces dernières

semaines est celle de savoir si oui ou non une grève générale doit être déclenchée dans les universités et collèges de la province, en réponse aux politiques de coupures dans les programmes de bourses d’études, à la réforme de l’aide financière ainsi

qu’aux projets de décentralisation du réseau collégial. La question qui transparaît en filigrane est toutefois autrement plus globale. Il s’agit de savoir si les étudiantes et étudiants au Québec veulent se poser en solidarité les uns avec les autres, dans un mouvement de contestation fondamental de ce qui constitue un abus de pouvoir exercé par un gouvernement centraliste qui

bafoue le principe démocratique de consultation. Plus encore, il s’agit de savoir si à un niveau sociétal, l’Éducation est considérée comme un droit fondamental ou si elle est reléguée au statut de privilège, voire pire, de produit de consommation dont l’accès serait limité par le statut socio-économique de l’étudiant-consommateur.

De moyensL’argument invoqué par

Laurence Allaire Jean dans son billet du 15 mars est celui, à forte teneur pragmatique, de la légitimité d’un mouvement de grève dans un contexte estudiantin. Pragmatique donc, mais à la fois réducteur. Il me paraît quelque peu simpliste de réduire la complexité du système éducatif et de ses

nombreuses ramifications en termes d’infrastructure, de personnel enseignant et para-enseignant, de dynamique économique et sociale en un schématique rapport bilatéral entre professeur et étudiant, isolés dans un vide structurel irréaliste. Le fait est que lorsque les étudiants à travers la province refusent d’aller en cours, la «machine Éducation» s’effondre: les emplois générés par

De fin et de moyens…

le système éducatif n’ont plus raison d’être, les promotions étudiantes anticipées par la société n’ont plus lieu, un pilier social s’effondre. L’étudiant n’est certes pas un employé: il est un acteur social qui, par l’importance de son rôle, détient le privilège d’un potentiel de changement exceptionnel.

Un peu d’histoire: sous les pavés la grève!

Sept grèves générales étudiantes ont jalonné l’histoire du Québec moderne, multipliant les succès de revendications concrètes en matière d’éducation, allant de l’inauguration de l’UQÀM en 1968 au gel des frais de scolarité en passant par de multiples contre-réformes du programme de prêts et bourses. Au-delà des accomplissements majeurs arrachés par les étudiants et étudiantes du Québec, ces grèves se posent en repères au symbolisme puissant. Elles invoquent une lutte continue portée par les mouvements jeunes et étudiants vers la matérialisation d’une justice sociale, cristallisée dans l’idée de l’accès universel et démocratique à l’éducation.

Plus globalement, le parcours des grèves étudiantes est chargé d’une forte résonance historique, amplement puisée dans l’immense mouvement social de 1968 en Europe, qui a su transcender les revendications propres aux différents secteurs sociaux en une action de contestation populaire nationale et trans-nationale où, sous la bannière-tryptique «Usines, Universités, Union», on a assisté à une forme exceptionnelle de solidarité entre les différentes couches et luttes sociales.

Le mouvement de protestation étudiante qui a lieu aujourd’hui au Québec a le potentiel d’engendrer une mobilisation plus large à l’échelle collective et d’entraîner les différents acteurs sociaux dans une action commune et solidaire pour une plus grande justice sociale.

Deux fois plutôt qu’une, Oui à la grève!

-Nazila Bettache

«Le système d’enseignement, c’est-à-dire «l’enseignement du système», a fait de l’étudiant un être à la minorité prolongée, irresponsable et docile [...] il faut «transformer le monde et changer la vie». - Le Manifeste de Strasbourg, 1966

0922 mars 200508 Le Délit x

Malgré un vote réalisé en assemblée générale estimé à plus de 75 p. cent en appui à une grève d’un

jour, bon nombre d’étudiants à McGill ont traversé les lignes de piquetage vendredi dernier afin de se présenter à leurs cours. Le vote, qui a eu lieu mercredi dernier, se voulait un appui symbolique aux revendications des 230 000 étudiants québécois en grève qui demandent au gouvernement Charest de revenir sur sa décision consistant à convertir 103 millions de dollars de bourses en prêts. Cette décision controversée a été dénoncée sur la scène publique par plusieurs, estimant qu’elle affecte les étudiants les plus démunis, principalement ceux venant des régions.

La ligne de piquetage devant les portes Roddick, qui regroupait à ses moments les plus actifs une centaine de personnes, a été traversée par presque tous les étudiants et employés présents au cours de la journée. Aucune contrainte physique n’empêchait les passants de traverser le piquet de grève et un corridor avait été libéré pour la circulation piétonnière. La mobilisation étant pacifique, le groupe d’étudiants a néanmoins eu à essuyer quelques bousculades mineures avec des passants qui refusaient de passer par l’issue que l’on avait baptisée le walk of shame. Cela n’a pas empêché les conducteurs de klaxonner en guise d’appui au groupe. Aussi, malgré l’important nombre de personnes

franchissant le piquet de grève, plusieurs des étudiants mobilisés semblaient afficher un sentiment de satisfaction quant à la tournure des événements. Ceci est notamment attribuable au fait que les personnes présentes ne s’attendaient pas réellement à un grand appui des étudiants du campus, d’autant plus que l’Université McGill n’est pas reconnue pour le militantisme de sa clientèle.

Selon certains, le manque d’efficacité de la ligne de piquetage était aussi attribuable au fait que l’administration ne laissait pas les étudiants manifester sur le campus – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments, contrairement à ce qui est toléré dans d’autres universités. Plus tôt dans la matinée, des grévistes postés devant les salles de classe à l’intérieur de la Faculté de droit ont été expulsés du bâtiment. Ces derniers avaient réussi à faire annuler un cours mais ont ensuite eu à quitter les lieux suite aux directives de M. Pierre Barbarie, assistant-chef des services de sécurité de l’Université McGill. Ce dernier a précisé qu’il n’avait pas reçu de directives spécifiques pour la journée, mais qu’il obéissait plutôt à une politique générale de l’administration. «Je ne crois pas que [cette politique] viole la liberté d’expression des étudiants, car ils peuvent toujours manifester dehors», affirmait-il. «Ça fait quatre ans et demi que je suis ici et je n’ai jamais eu de problèmes avec les étudiants.

J’entends maintenir cela». M. Barbarie fut cependant incapable de préciser quelles sanctions s’appliqueraient si les grévistes en question refusaient de quitter les lieux. «Nous ne sommes pas encore rendus là pour les sanctions, nous aborderons le problème en temps et lieu». Il est aussi à préciser que les gardes de sécurité ne sont pas physiquement intervenus lorsque des étudiants avec des pancartes sont entrés sur le campus plus tard en journée, contrairement à leurs directives.

Nous savons que l’administration de McGill avait refusé d’annuler les cours vendredi dernier en raison du vote de grève. Un courriel affirmant que les cours auraient lieu malgré un éventuel vote de grève avait été envoyé à l’intention de tous les étudiants du campus la semaine dernière par M. Luc Vinet, vice-recteur de l’Université. Le Délit a aussi appris d’un membre anonyme de la Faculté de droit de McGill que les professeurs refusant de donner leurs cours vendredi s’exposaient à des sanctions disciplinaires. M. Vinet n’a pas retourné les appels du Délit pour préciser les fondements derrière sa politique. Cependant, le doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, M. Nicholas Kasirer, nous a exprimé son opinion sur la question. Prenant soin de préciser que ses commentaires étaient à titre personnel et qu’ils ne reflétaient pas nécessairement les opinions de l’administration de McGill,

ce dernier estime que par ces mesures, «l’Université cherche à composer avec son obligation d’assurer un enseignement à ceux qui le veulent et ce, dans le respect».

Nick Vikander, VP aux Affaires universitaires à la FEUQ, dénonce cependant les politiques de l’administration de McGill à l’égard du maintien des cours malgré le vote de grève. «La grève se fait par vote démocratique, que ce soit en assemblée générale ou par référendum. C’est important que les établissements universitaires et collégiaux la respectent». En ce qui concerne les politiques interdisant les manifestations sur le campus et à l’intérieur des bâtiments, M. Vikander ajoute «qu’il y a ici une centaine de personnes qui sont aux portes principales, et je serais très surpris qu’il y ait une quelconque façon de les obliger à rester à l’extérieur du campus». Précisant que «ce n’est pas une question propre à l’Université McGill, c’est une pratique qu’on voit partout au Québec et qui est légitime, pacifique et démocratique », il insiste sur le fait que le choix des étudiants d’aller en grève devrait être respecté. x

Un vote par Internet a présentement lieu et ce jusqu’à aujourd’hui midi à l’adresse ovs.ssmu.mcgill.ca afin de décider si les étudiants de McGill vont de nouveau en grève ce jeudi 24 mars.

En cette journée de grève historique pour McGill, le point culminant des activités a pris la forme d’une marche

des étudiants sur le campus. Cette marche annoncée à l’avance par l’AÉUM devait avoir lieu à travers le lower campus et ce malgré les directives de l’administration de McGill. En effet, celle-ci s’était opposée à toute forme de manifestation étudiante sur ses terrains et avait pris les moyens pour que les étudiants munis de pancartes n’y pénètrent pas. Pour ce faire, elle a disposé des agents de sécurité aux principales entrées du campus et plus particulièrement devant les portes Roddick où s’est tenu le rassemblement principal des manifestants vers 15h30.

Selon les estimations du Délit, entre 250 et 300 personnes se sont présentées au lieu de ralliement avant le début de la marche honnie de la part de l’administration. La foule était assez hétérogène dans la mesure où francophones et anglophones y étaient représentés, tous comme les membres des diverses facultés, allant de celle de l’environnement à celle de droit.

Au moment où les manifestants se préparaient à pénétrer sur le campus, des gardes de sécurité supplémentaires ont été dépêchés sur les lieux afin de former une barrière humaine devant empêcher le passage

des étudiants revendicateurs. Néanmoins, cette barrière a été rapidement percée par une foule déterminée à faire entendre sa voix sur le campus. D’ailleurs, les manifestants n’ont pas manqué aussitôt à l’intérieur des murs de McGill de scander des slogans hostiles à la politique de l’administration.

Après avoir effectué le tour du campus, la bruyante foule s’est dirigée vers l’édifice abritant les bureaux de la rectrice de McGill, Mme Heather Monroe-Blum. Devant la possibilité que la foule franchisse à nouveau leur barrière, une certaine tension était alors palpable chez les nombreux agents de sécurités massés devant l’entrée. Néanmoins, après un quart d’heure de protestation bruyante les manifestants ont repris leur marche en direction cette fois-ci de la sortie.

Peu avant 16 heures, à l’étonnement de la plupart des personnes présentes, les organisateurs de la manifestation, qui menaient aussi la marche, ont dirigé la foule vers les bureaux du Premier ministre Charest sur l’avenue McGill College. Cela n’avait pas été annoncé à l’avance et grande fut la surprise des manifestants de constater que le périmètre de sécurité dressé habituellement devant l’entrée principale des bureaux de M. Charest était simplement inexistant.

La surprise fut encore plus grande lorsque les premiers manifestants ont constaté que les portes de l’édifice n’étaient pas verrouillées. À la vue de ces centaines de manifestants approchant des portes vitrées, les agents de sécurité de l’édifice ont été pris de court et se sont rués de leurs bureaux, situés à l’autre bout du corridor, à l’entrée afin de bloquer physiquement les portes. À l’exception de deux ou trois manifestants plus radicaux, la foule n’a cependant pas cherché à forcer le passage.

La manifestation s’est déroulée dans une atmosphère joyeuse et bon enfant. Tous les objets de métal présents ont ainsi été transformés en instruments de percussion improvisés, la foule scandait des slogans narguant Jean Charest pendant que deux étudiants distribuaient des boules de neige aux passants en les invitant à les lancer sur une cible à l’effigie du Premier ministre libéral.

Les forces policières sont arrivées graduellement sur les lieux peu après l’arrivée de la foule. Les policiers ne sont pas intervenus directement auprès des manifestants, mais se sont néanmoins présentés de façon intimidante à leur arrivée en arborant notamment leurs longues matraques. En plus de la douzaine de véhicules policiers,

le Service de police de la Ville de Montréal a dépêché deux chevaux accompagnés de leurs cavaliers pour superviser le cours des événements.

Après la fin du déploiement des forces policières, approximativement le tiers des manifestants a évacué les lieux. Par la suite, le reste de la foule s’est dissipé plus lentement. Vers 17 heures, il ne restait plus qu’une cinquantaine d’irréductibles. La police a ensuite demandé à ceux-ci de s’éloigner des portes du bâtiment. En contrepartie, un constable spécial du Ministère de la sécurité publique est venu discuter avec ceux-ci et a proposé de soumettre leurs revendications si celles-ci étaient soumises par écrit à un représentant dont il n’a néanmoins pas précisé l’identité.

Tout comme la gigantesque manifestation étudiante du 16 mars, la manifestation des étudiants de McGill n’a été marquée par aucun incident violent. La foule était à ce point respectueuse qu’une personne ayant utilisé une poubelle comme instrument de musique s’est fait un devoir de ramasser les détritus jonchant le sol à son départ. x

PHOTOS : PHILIPPE G. LOPEZ

McGILL EN GRÈVELa ligne de piquetage à McGill n’est pas respectée

Les étudiants défient l’administation

L’administration de McGill pointée du doigt.MARC-ANDRÉ SÉGUIN

En manifestant sur le campus, les étudiants ont violé la politique discutable de McGill.

DAVID DROUIN-LÊ

Si les étudiants de McGill songent à organiser toute forme de mobilisation sur le campus ou immédiatement à l’extérieur de ce dernier, ils seront filmés. En effet, un homme non-identifié et habillé en civil a filmé le

groupe d’étudiants mobilisés aux portes Roddick pendant la journée de vendredi dernier. L’homme en question est arrivé sur les lieux en fin d’avant-midi et a commencé à filmer le groupe de grévistes, tout en restant discrètement posté derrière une colonne grecque de l’entrée. Le Délit a enfin approché le caméraman après que ce dernier ait filmé le groupe d’étudiants pendant plus de quarante-cinq minutes. Le mystérieux personnage a d’abord maintenu qu’il filmait la scène «pour le fun», insistant sur le fait qu’il enregistrait l’événement par intérêt personnel et qu’il n’était ni employé de McGill, ni étudiant. Il n’a cependant jamais pu expliquer pourquoi il filmait à l’aide d’une caméra portant un autocollant de McGill. Lui ayant demandé si on pouvait le prendre en photo, il répondit par la négative avant de quitter les lieux. Quant à eux, les gardes de sécurité aux portes ont soutenu qu’ils ne connaissaient pas l’identité de cet homme.

Ce n’est que plus tard que l’assistant-chef des services de sécurité de McGill, M. Pierre Barbarie, a enfin confirmé que l’homme en question était effectivement l’un de ses employés. «À n’importe quel événement de ce genre, nous avons des gens qui filment pour nous. C’est une pratique courante», a-t-il déclaré. Lorsque interrogé sur la raison pour laquelle son employé habillé en civil a refusé de s’identifier comme employé, M. Barbarie a répondu: « Il m’arrive souvent à moi aussi de parler à des gens qui refusent de s’identifier, je ne vois pas le problème».

En fin de journée, l’homme est enfin réapparu pour filmer le groupe de manifestants marchant sur le campus. Il a filmé le déroulement de la marche en entier, sous les huées et l’interférence de certains étudiants vexés par sa présence. Le Délit a cherché à confirmer si ce caméraman était bel et bien l’employé dont M. Barbarie avait fait mention plus tôt. L’assistant-chef des services de sécurité, visiblement irrité, s’est montré évasif.

Rejoint lundi, M. Barbarie a finalement justifié la présence de cet homme par un souci de sécurité et a précisé qu’il était sous ses ordres. Quant à la façon de faire du caméraman, il soutient: «Ce sont les directives que j’ai données à l’agent et il les a suivies à la lettre. Le garde était là pour faire une job et pas pour répondre à des questions. J’ai vu tout plein de personnes sur le campus avec des caméras et je n’ai pas demandé pourquoi ils étaient là et qui ils étaient». Enfin, il affirme aussi que l’initiative de la manœuvre n’est pas venue de l’administration de McGill mais plutôt de lui-même. Selon lui, la nature de l’activité justifiait la mesure en question. x

Étudiants de McGill: Big Brother is watching…MARC-ANDRÉ SÉGUIN

Devant les locaux de l’administration, des manifestants scandent des slogans. “McGill on Strike!”

Un barrage de gardes de sécurité sépare les manifestants des portes du bâtiment abritant les bureaux de la principale.

La marche s’est terminée devant les locaux de Jean Charest sur l’avenue McGill College.

Plusieurs voitures de police arrivent afin de surveiller le déroulement de la manifestation. Leurs matraques resteront pointées vers le sol.

Pris sur le vif: le garde de sécurité filme attentivement les manifestants.

Vers 16h00, la foule franchissait les Roddick Gates et se dirigeait vers les bureaux du Premier ministre.

10 Le Délit x 22 mars 2005

photoessaiLa grève en noir & blancPHOTOS: PHILIPPE G. LOPEZ

Touche pas à ma station!

ALEXANDRE DE LORIMIER

11Le Délit x 22 mars 2005

Suite au dépôt d’un rapport commandé par la ministre de la Culture, l’avenir des productions-maison de Télé-Québec est plus qu’incertain. Avertissement: cet article traite de PPP. Nous préférons vous en avertir.

La semaine dernière, un groupe de travail a déposé un nouveau rapport sur

l’avenir de Télé-Québec. Le comité, composé de neuf membres, a fait parvenir ses recommandations à la ministre de la Culture et des Communications, Line Beauchamp, dont le portefeuille inclut la chaîne publique. D’après le communiqué officiel du ministère, le mandat du groupe, mis sur pied en juin dernier, était de «s’assurer de l’adéquation des activités de Télé-Québec avec sa mission éducative et culturelle». Il est également mentionné dans son mandat officiel que le comité devait explorer les possibilités de partenariats public-privé (PPP) dans le cadre des opérations de la chaîne d’État. Les membres du panel présidé par Claude Bédard, un publicitaire, appartenaient à la communauté des communications, de l’éducation et de l’administration des médias.

Retour aux sourcesCommençons par étudier les

points positifs du rapport. M. Bédard et ses complices recommandent des investissements importants de la part du diffuseur public dans la programmation régionale. Dans un effort de décentralisation, l’augmentation proposée de sept millions de dollars vers des productions régionales atténuerait le nombrilisme de la métropole et son combat médiatique perpétuel avec la capitale nationale. De nouvelles origines créatrices permettraient à tous les Québécois de reprendre racine dans une province que beaucoup connaissent mal.

D’un point de vue purement économique, une injection de fonds dans les économies régionales aurait des retombées très positives non seulement directes, lors de la production des émissions, mais aussi indirectes, notamment dans le secteur touristique.

Afin de promouvoir l’identité québécoise, le comité propose également de consacrer une plus grande part de la programmation de Télé-Québec aux différents groupes ethniques qui composent la population de la province. Bien qu’il ne donne pas d’objectifs chiffrés, le comité s’attend à une refonte de la grille du diffuseur afin de mieux représenter les minorités, mais aussi à une meilleure représentation au sein même de l’entreprise.

Le rapport incite également la chaîne publique à renforcer sa couverture des événements culturels. On lit la recommandation suivante: «[Que] Télé-Québec informe le public sur la vie artistique et

culturelle qui se déploie partout au Québec et l’incite à y participer, et ce, par des émissions expressément conçues à cette fin». Le groupe de travail met aussi l’accent sur la relève culturelle québécoise. De fait, les nouveaux créateurs ont souvent du mal à se trouver une place dans les médias commerciaux, d’où le rôle crucial d’une télévision d’État.

D’après le rapport, Télé-Québec est une chaîne très appréciée et une des télévisions éducatives publiques les plus populaires au monde. 60 p. cent des Québécois regardent Télé-Québec au moins une fois par semaine et sa part de marché est de 4 p. cent, une proportion plus élevée que TVOntario, France 5, ARTE (un diffuseur bilingue franco-allemand) et la Public Broadcasting Service.

Évidemment, ces données sont à mettre en contexte. La concurrence est plus forte dans les marchés européens et américains. Cependant, la qualité de la programmation du diffuseur public québécois fait revenir les téléspectateurs semaine après semaine, ce qui est très prometteur pour le créneau de la télévision éducative, culturelle et d’affaires publiques.

Entre attrition et publicitéMalheureusement, les bonnes

nouvelles s’arrêtent ici. Souvenons-nous que l’étude a été commandée par le gouvernement Charest, l’instigateur des fameux PPP. De ce fait, le comité Bédard demande à Télé-Québec d’abandonner «le plus rapidement possible» ses activités de production. La création des émissions reviendrait donc à des compagnies de production privées.

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Alain Gravel, considère que la proposition du groupe de travail provoquerait «la disparition pure et simple de l’information journalistique» à Télé-Québec. Le problème est d’autant plus grave que la convergence des médias réduit de plus en plus la qualité et la diversité de notre information.

Le comité recommande également la privatisation – bien qu’il n’utilise jamais ce mot – des services techniques de Télé-Québec tels que la maintenance de ses émetteurs. Cette fonction est pourtant essentielle afin que tous les Québécois puissent profiter de la télévision publique en la captant par les ondes hertziennes. Un entretien épisodique des transmetteurs

empêcherait bon nombre de téléspectateurs de recevoir une chaîne qui leur revient de plein droit.

Lors du renouvellement de la licence de la station dans deux ans, le panel suggère à Télé-Québec de demander au Conseil de radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) l’autorisation de diffuser douze minutes de publicité par heure au lieu des huit émises en ce moment, atteignant ainsi la limite permise aux autres grands réseaux canadiens. Toutefois, en tant que télévision d’État, le rôle de Télé-Québec n’est pas de vendre des marchandises et des services. L’un des meilleurs aspects de la chaîne est sa capacité à diffuser des entrevues, des reportages et des documentaires par blocs de quelques dizaines de minutes et ce sans pause publicitaire. C’est la force de la télé publique. De plus, conformément à son mandat d’éducation, Télé-Québec ne devrait pas inciter à la surconsommation comme le font les réseaux commerciaux.

Enfin, le comité évalue à une centaine le nombre de postes perdus par les changements qu’il propose. Il considère que la majorité des

postes «devraient se libérer par simple attrition». La Centrale des syndicats du Québec, qui représente les employés de Télé-Québec, s’indigne de cette affirmation. «Envisager que la baisse des effectifs se fera par attrition, cela relève de la pensée magique. De plus, il est malheureux que l’on se passe ainsi de la formidable expertise qu’ont su développer les employés actuels de Télé-Québec», souligne le président de la Centrale, Réjean Parent.

Malgré quelques propositions intéressantes, le rapport Bédard se répand comme un voile obscur au-dessus de l’unique chaîne publique québécoise. Comprendre la recommandation d’augmenter le temps d’antenne réservé à la publicité ne nécessite pas de raisonnement complexe, alors que quatre panélistes sur neuf sont issus du milieu des communications et du marketing. Encore mieux, plusieurs membres offrent à leur entreprise de futurs contrats de production sur des plateaux d’argent en éliminant la création-maison à Télé-Québec. «Privatisation flagrante!», vous exclamerez-vous… dites-nous donc qu’on ne vous avait pas prévenus. x

culturetélévision

12 Le Délit x 22 mars 2005

Est-ce que c’est un problème générationnel? J’espère que oui. Car si à la trentaine

je suis encore à zéro et en plus désillusionnée de trouver mon prince charmant, vous devrez me donner raison que notre époque a oublié ce que c’est que de vivre à deux. J’en connais un paquet, et vous en connaissez certainement plusieurs vous-mêmes, nos aînés d’à peine une dizaine d’années, qui errent de bars en agences de rencontre, accrochés à leur rêve de l’âme sœur comme un noyé à l’air de ses poumons.

La trentaine célibataire, c’est pas un exploit. Mais surtout, c’est le drame des femmes qui voient leurs illusions disparaître en fumée, et pourtant leur horloge biologique qui «tic-tac» un peu trop fort. Trouver son homme devient une corvée, la séduction un exercice et l’échec amoureux une routine.

Pessimiste, m’accuserez-vous? Et pourtant. Ça pourrait bien vous arriver. Moi, je suis déjà sur la liste.

C’est bien ce qui préoccupe Nathalie Barabé dans sa pièce La Peur n’a pas saisi Lucie. Lucie (Anie Pascale) et Marina (Valérie Cantin) sont deux colocataires dans la trentaine qui vivent plutôt mal l’échec amoureux. Deux histoires aussi éloignées que typiques: l’une se remet difficilement d’une relation qui se termine lamentablement après trois ans de vie commune, et l’autre attend toujours l’arrivée de son prince charmant, terrée dans le monde fantasmatique et illusoire de son enfance. Si tout sépare ces deux femmes de prime abord, une réalité pourtant si moderne les rattache, la cohabitation.

De cadre de porte en cadre de porte, les couteaux volent dans leur appartement. Mais dans un clignement des yeux, on s’entendrait

penser. C’est que le propos de Barabé transpose avec fidélité les préoccupations de cette génération pour qui la trentaine sonne le glas de l’amour. La tristesse, la frustration, le déni et l’illusion sont au menu du jour comme à celui du quotidien de ces femmes pour qui ni la volonté ni la patience n’ont donné raison à leurs idéaux. Mais dans ces destinées contraires rugissent pourtant les mêmes inquiétudes, la même peur de la solitude et l’angoisse de l’abandon.

Des questions se posent alors: y a-t-il une conciliation possible entre la réalité de l’amour adulte, qui ploie sous le fardeau des responsabilités, et l’amour absolu, illimité et inconditionnel dont on rêve secrètement? Et comment un sentiment aussi intense et incontrôlé s’insère-t-il dans un contrat qu’est le couple? Quels sont les compromis qui permettent de réduire à un

individu nos ambitions et nos idéaux concernant l’amour? Qui est assez bien pour soi? Sommes-nous imbus de nous-mêmes?

Créé en 2002, et repris pour la seconde fois à la Petite Licorne, le spectacle a certes ce petit quelque chose de charmant. Ne croyez pas y trouver la recette de l’amour ou une quelconque raison cynique de prendre le voile. Le propos reste relativement léger et la fin donne dans le «happily ever after». Mais l’auteure et metteure en scène tient sa promesse d’humour et de sensibilité, et témoigne d’un sens de l’observation non moins juste. Le manichéisme de la pièce échappe à la complexité de la réalité, mais certes, l’opposition de l’univers romancé de Lucie et celui, plus agressif de Marina, rappelle notre propre tendance à faire tout blanc ou tout noir l’interprétation de nos échecs amoureux.

Et pendant que Marina mordille l’os de sa séparation, Lucie voit frapper à sa porte Ludovic (Patrick Baby), son ami d’enfance à qui elle voue un amour depuis toujours. Il la mettra en face d’un choix. Pour ceux qui frémissent au mot «engagement», s’abstenir, car cette pièce risquerait de vous donner des sueurs froides. Pour les autres, la pièce vous fera bien sourire et vous vous reconnaîtrez dans ce joli texte et le jeu des comédiens. x

La Peur n’a pas saisi Lucie est présenté du 23 au 30 mars, et les 3, 4 et 6 avril à la Petite Licorne, 4559, rue Papineau (coin Mont-Royal). Pour réservation: (514) 523-2246. Pour plus d’information: www.theatrelalicorne.com.

La Trentaine et le célibatLa Petite Licorne présente le drame domestique La Peur n’a pas saisi Lucie, l’amour et le célibat signés par deux femmes de la trentaine.

FLORA LÊ

culturethéâtre

Du 15 mars au 2 avril, c’est le corps qui est en scène à Montréal. La

compagnie de création Omnibus pose la réflexion suivante: «On a vu du théâtre sans costume, sans décor, voire même sans texte, mais puisqu’on n’a jamais pu s’y passer de l’acteur, présumons qu’il en est l’essentiel». Sur cette prémisse assez plausible, Omnibus et l’École du Mime, qui ont élu domicile à l’Espace Libre, présentent le Festival les Voies du Mime.

Pendant quinze jours à l’Espace Libre, théâtre montréalais de la rue Fullum, l’on pourra voir un total de 29 représentations, celles-ci de la France, du Québec et de l’Allemagne, un stage de formation intensif, douze fêtes nocturnes, et plus encore! Le festival se propose de promouvoir la technique du mime selon l’optique qu’en a eu Étienne Decroux: le mime en tant que technique, la technique qui permet ensuite l’exploration de notre imagination par le corps. Surtout, le mime en tant que médium anti-réaliste où le théâtre devient une expérimentation, non un miroir. Voilà une vision du mime qui étonne certainement: par sa signification, le mot mime, qu’on entend facilement comme mimique, lance un appel lexicographique à

celui de reproduction, de copie. Mais cette vision réaliste n’est pas celle de l’école de Decroux. Jacques LeBlanc du Théâtre du mouvement nous dit que, ayant peu de mémoire, c’est lorsqu’il a commencé à inventer les mouvements au lieu de tenter d’imiter ce qu’il voyait qu’il a commencé à comprendre le mime. Claire Heggen, co-fondatrice de la troupe exprime différemment la même idée: en tant qu’élève de Decroux, afin de plaire à son maître, elle devait toujours chercher à comprendre le principe derrière le mouvement et à réincarner ce principe.

Ces témoignages me viennent d’une table ronde qui eut lieu vendredi dernier avec les membres du Théâtre du mouvement. Ici, il a été question de ce maître dont j’ai parlé déjà trop sans le nommer, Étienne Decroux, auteur du Manifeste pour un corps raisonnable contre le style sincère publié en 1988. Feu Decroux était en quelque sorte un dieu du mime et de sa technique. Maître de son école en France, il a enseigné à plusieurs des membres du Théâtre du mouvement. C’était celui qu’on admirait, qu’on respectait, ou encore qu’on craignait, comme nous le décrit Jacques LeBlanc, qui n’est jamais allé à l’école Decroux puisqu’il «avait trop peur» d’être

complètement transformé.En plus de Claire Heggen et de

Jacques LeBlanc, étaient présents, du Théâtre du mouvement, Christian LeBlanc, Roxanne Chamberland et Denise Boulanger. Il a été surtout question de la pédagogie de Decroux. Heggen nous dit: «Decroux nous amenait à lui; ce n’était pas au pédagogue d’aller à l’élève, mais à celui-ci d’aller vers le pédagogue». À travers leurs productions, plusieurs de celles-ci étant présentées dans le cadre du Festival des Voies du Mime, l’équipe met en application ce bagage reçu du maître en plus de leur interprétation personnelle, comme le dit Christian LeBlanc: «Le maître, c’est moi». Autant une idéologie qu’une technique, le mime tel qu’hérité de Decroux est mis sur scène par cette troupe dynamique.

Tout ceci, dans le cadre d’un cinq à sept du festival. Jusqu’au 2 avril seront présentées plusieurs pièces dont Sans Terre ni mère, le corps icône de Jean Asselin et Le Chemin se fait en marchant, le corps souvenir de Claire Heggen. Un festival unique en son genre et à ne pas manquer! x

Pour plus d’information, la programmation et l’horaire, visitez le site www.mimeomnibus.qc.ca.

Voie du corpsLe Festival les Voies du Mime présente son troisième acte à l’Espace libre: où l’on présume que le corps «en est l’essentiel».

AGNÈS BEAUDRY

culturefestival

Le Festival Voies du Mime met en scène le corps, jusqu’au 2 avril à l’Espace libre.

Ça, c’est de la pub!CLÉMENCE REPOUX

13Le Délit x 22 mars 2005

Le Centre de Design de l’UQÀM présente jusqu’au 10 avril une exposition des œuvres de l’affichiste Raymond Savignac: Ça, c’est de la Pub!

Ce week-end, je suis allée au Centre de Design de l’UQÀM

voir l’exposition de Raymond Savignac, qui est présentée par la Bibliothèque Forney de la Mairie de Paris. Justement, il y a quelques jours, j’avais eu un débat avec une amie, pour savoir si la publicité peut être considérée comme un art. Savignac donne tout son sens à la pub comme moyen d’expression artistique. Je ne suis toujours pas convaincue que toute la pub puisse être artistique, mais je reconnais que Savignac pourrait être l’exception qui confirme la règle.

Raymond Savignac est né en 1907 à Paris. Il arrête ses études à 15 ans et se lance dans le dessin d’affiches. Il présente une première exposition à Paris en 1949, dans laquelle sa fameuse affiche de la vache «Monsavon» est remarquée et lance ainsi sa carrière. Les années 70 sont difficiles avec l’apparition des agences de pub, mais, dans les années 80, il collabore avec Citroën pour la campagne: «En avant Citroën», qui remporte le Grand Prix de l’Affiche française

en 1981, ce qui le place parmi les grands artistes de la publicité française.

À l’entrée de l’exposition, une citation de Savignac nous accueille: «J’enlève tout. Il reste l’essentiel». On est prêt à pénétrer dans son univers où cette vision prend tout son sens. Il utilise un style simplifié, enfantin, avec des personnages «bonhommesques» sur fond uni, dans des couleurs vives. Il vante des produits de consommation courante: l’Armagnac, Bic, Air France, le fameux Monsavon. Il défend des causes politiques: «Non à l’autoroute rive gauche» est une affiche sur laquelle Notre-Dame s’écroule, étouffée par un flot de voitures noires. «Gardez la France propre»: un coq crie sur un cochon gris sale. Il simplifie son message pour aller à l’essentiel. Une pub pour «Il Giorno» montre un bonhomme ouvrant une fenêtre sur une page du journal avec le titre en haut. C’est visuel et simple, compréhensible au premier coup d’œil.

L’exposition se déroule autour d’une salle où passe un film avec une interview de Savignac, ainsi que des entretiens

avec un certain nombre de professionnels qui parlent de lui. Cela permet d’entendre sa voix en fond sonore alors qu’on marche au milieu de ses œuvres. Ensuite, à la fin, on peut s’asseoir et le regarder parler de son œuvre, et expliquer à quel point il déteste expliquer. C’est pourquoi il crée des dessins simples, compréhensibles au premier coup d’œil. Il utilise le génie de l’enfance. Le style enfantin ne se démode pas, parce que curieusement, au fil des décennies, les enfants dessinent toujours pareil. C’est pourquoi, au travers des âges, il touche toujours le grand public. Moi, en tous cas, il m’a touchée. x

L’exposition Ça c’est de la Pub! est présentée jusqu’au 10 avril au Centre de Design de l’UQÀM, 1440, rue Sanguinet. L’entrée est libre et l’exposition est ouverte du mercredi au dimanche, de 12h à 18h. Pour plus d’information, composez le (514) 897-3395 ou visitez le www.centrededesign.uqam.ca.

cultureexposition

Jeu 114cultureenbref

Lundi dernier, la revue Jeu a lancé son nouveau numéro intitulé Échos d’Amérique.

Comment définir l’«américanité» du théâtre québécois? Est-ce dans

la langue de ses auteurs, dans les formes théâtrales et les références culturelles qu’il emprunte ou dans les imaginaires qu’il véhicule? Est-il américain lorsqu’il se fait pragmatique, réaliste ou populaire, comme on le dit du théâtre états-unien? Ou est-ce lorsqu’il se distingue de l’Europe, en particulier de la France? Derrière toutes ces questions s’en cachent d’autres encore, qui renvoient à notre histoire, à notre culture, à notre identité. Jeu a voulu lancer une sonde dans cette Amérique à la fois nôtre et étrangère.

Pour ouvrir ce dossier, un panorama historique jauge les influences des États-Unis sur le théâtre québécois. On se penche ensuite sur le style de jeu américain, celui du célèbre Actor’s Studio,

puis sur les écritures québécoises contemporaines, dont la quête sans cesse renouvelée pour «produire du vrai» peut s’inscrire sous le signe de l’«américanité». D’autres articles analysent plus spécifiquement les univers de Robert Lepage, Yves Sioui Durand et Brigitte Haentjens. Quatre artistes nous parlent en outre de leur Amérique, de celle qui a nourri leur imaginaire: André Brassard, Paula de Vasconcelos, Jean-Marc Dalpé et Nathalie Derome. Voilà autant de voix qui dressent le portrait d’une Amérique à visages multiples et qui disent l’importance de ce territoire et de ses cultures pour les artistes des scènes québécoises. x

Jeu 114 sera en vente dès le 25 mars au prix de 15 $. Pour plus d’information, consultez le www.revuejeu.org.

Voix et voies de l’écriture

Poète, romancier et essayiste, Jacques Brault obtient un baccalauréat en philosophie

et une maîtrise en arts; il étudie également en France, à Paris et à Poitiers. De 1960 à 1996, il est professeur à l’Institut des sciences médiévales et au département d’études françaises de l’Université de Montréal. Depuis 1970 il collabore à de nombreuses émissions littéraires pour Radio-Canada FM et sur les ondes de la Communauté radiophonique de langue française.

Traduite en plusieurs langues, l’œuvre de Jacques Brault, abondante et riche, aborde la plupart des genres littéraires avec un rare bonheur. On y trouve des pièces de théâtre (Trois partitions, 1972), des romans et des nouvelles (Agonie, 1984), des ouvrages de traduction (Transfiguration de E.D. Blodgett, 1998) et plusieurs

essais littéraires qui ont fait date dans l’histoire de la critique littéraire au Canada: Miron le magnifique (1966), Chemin faisant (1975), La poussière du chemin (1989), Ô saisons, ô châteaux (1991), entre autres. Mais c’est surtout comme poète que Jacques Brault s’est gagné un grand nombre d’admirateurs et que sa réputation a dépassé les frontières du Canada. Parmi la vingtaine de recueils publiés, on remarque, en particulier, Mémoire (1965), Suite fraternelle (1969), L’en dessous l’admirable (1975), Poèmes des quatre côtés (1975), Moments fragiles (1984) et Il n’y a plus de chemin (1990).

Au cours de sa carrière, Jacques Brault a obtenu la plupart des distinctions littéraires d’importance remises au Québec et au Canada: le prix Québec-Paris en 1968 (pour Mémoire), le prix

du Gouverneur général en 1970 (pour Quand nous serons heureux), en 1985 (pour Agonie) et en 1999 (pour sa traduction du livre de E.D Blodgett, Transfiguration) ainsi que le prix Alain-Grandbois en 1991 (pour Il n’y a plus de chemin). On lui a attribué, pour l’ensemble de son œuvre, les prix Ludger-Duvernay (1978), Athanase-David (1986) et Gilles-Corbeil (1996). x

Les rencontres procèdent d’abord par une lecture d’extraits de l’œuvre de Jacques Brault, suivie d’une période de questions. Les rencontres sont ouvertes aux étudiants et au public, à la salle 116 du pavillon Peterson, 3460, rue McTavish. Pour plus d’informations, contactez Christine Poirier ou Perrine Leblanc à l’adresse suivante: [email protected].

Dans leur série de conférence proposant au public et aux étudiants une série de rencontres littéraires sur la création, ses élans et ses variations, avec des auteurs d’ici, consacrés ou de la relève, Voix et voies de l’écriture recevront Jacques Brault ce 22 mars à 16h.

Ça c’est de la Pub! est présentée jusqu’au 10 avril au Centre de Design de l’UQÀM.

Musique et communisme

SÉBASTIEN LAVOIE

14 Le Délit x 22 mars 2005

Présenté au FIFA, Notes interdites, de Bruno Monsaingeon, raconte l’histoire de la musique russe sous le régime communiste.

La Russie du XXe siècle connut une période fantastique et prolifique

en ce qui concerne la musique classique. Mais sous cette époque glorieuse se dissimulaient des jours éprouvants pour les artistes à l’égard de leur liberté d’expression. Les compositeurs, musiciens, chefs d’orchestres et autres dont les idées et la philosophie de travail allaient de pair avec les dirigeants politiques n’eurent pas à subir les mauvais traitements que les artistes aux pensées plus libérales connurent. Ainsi, c’est avec cette idéologie que Bruno Monsaingeon nous fait retraverser la magnifique histoire de la musique russe des années 1917 à 1990.

Durant cette ère politique communiste, la plupart des industries et institutions (musicale, théâtrale, etc.) étaient la propriété de l’État; le gouvernement décidait de ce qui était produit. Ainsi, les arts devaient plaire et être accessibles au peuple. De façon notoire, le pouvoir créateur est souvent abstrait et complexe, ce qui positionnaient nombre de compositeurs sur des chemins risqués car leurs œuvres repoussaient les limites

et s’éloignaient de la simplicité. Certains furent bannis sous prétexte que leurs créations n’étaient pas appropriées pour le «bon» peuple russe. Cette situation créa des divisions assez flagrantes quant à savoir si les artistes étaient prêts à respecter l’ordre établi et à adhérer aux contraintes de création (limiter l’épanouissement individuel), pour ainsi taire le plein potentiel de leur «voix créatrice», ou bien défier les politiques socialistes en place.

Ce film nous dresse un tableau des artistes qui ont choisi de plaire à la population et de ceux qui ont décidé de contester les forces dirigeantes au risque d’être emprisonnés. C’est l’impasse de ces deux idéologies, coexistant sous un régime de terreur, que le réalisateur Bruno Monsaingeon a tenté d’exposer, sans prétendre la résoudre. Cette analyse nous est racontée par des protagonistes importants de la Russie soviétique: le chef d’orchestre Guennadi Rojdestvensky, le célèbre altiste Rudolf Barchaï et la pianiste Viktoria Postnikova.

Guennadi Rojdestvensky a vécu le despotisme de la redoutable Union de Compositeurs, les premières tournées à l’étranger, la

chasse aux musiciens juifs, la musique selon Staline, la terreur insidieuse et quotidienne… Il est né d’un père chef d’orchestre et d’une mère cantatrice russe, il s’est trouvé au cœur de cette aventure. Très engagé dans la création contemporaine, il a été l’intime des plus grands compositeurs, Shostakovitch et Schnittke, et le champion posthume des œuvres tardives (et interdites) de Prokofiev qu’il connut dans les dernières années de la vie de celui-ci. Rojdestvensky est un personnage haut en couleur, un conteur-né, très russe, en ce sens qu’il sait extraire de toute situation donnée son potentiel burlesque et humoristique, capable d’une vue à la fois personnelle, synthétique et détaillée du système. Ce qui fait de lui un personnage des plus pertinents pour nous décrire la situation de cette véritable épopée.

Quant à Bruno Monsaingeon, violoniste et réalisateur de films musicaux, il réussit à maintenir un sain équilibre entre la création de film sur la musique et la donné des concerts en jouant du violon. Deux de ses films ont d’ailleurs retenu l’attention du public internationalement: Menuhin in China et Glenn Gould – Les Variations

Goldberg. Ces derniers ont aussi reçu l’acclamation des gens des milieux musical et cinématographique.

Dans Notes interdites, Monsaingeon choisit d’interviewer peu de personnages, contrairement à une pléiade de musicologues ou professionnels de la question, pour ainsi donner la possibilité aux acteurs, qui ont vécu cette

intéressante période de l’intérieur, pleine liberté d’expression. Ce qui en résulte est un produit agréable à visionner mais surtout judicieux et exactement adapté afin de nous faire participer à un cours d’histoire portant sur une époque importante de la musique classique contemporaine. x

Les notes interdites sont celles qui étaient censurées aux compositeurs dans la Russie soviétique.

Parfois, il est bien de n’avoir aucune opinion préconçue concernant le film qu’on

s’apprête à voir. Ainsi, on en retire sans doute une meilleure expérience. C’est ce qui s’est passé avec mon visionnement de The World, un film chinois réalisé par Jia Zhang-Ke. Je ne connaissais ni son réalisateur, ni ses acteurs et je n’avais qu’une vague idée de l’histoire du film. Grâce à cela, j’ai été agréablement surpris devant ce film original, légèrement bizarre et efficace malgré tout.

L’action se déroule à Pékin, dans un parc d’attractions qui se vante de contenir tous les monuments importants du monde entier en modèles légèrement réduits. Les principales attractions sont la tour Eiffel, l’arc de Triomphe, les pyramides d’Égypte ou la tour penchée de Pise. L’intrigue principale met en scène deux employés du parc vers la fin de la vingtaine nommés Tao et Taisheng qui sortent ensemble depuis un certain temps. Cette intrigue n’est qu’un prétexte pour nous montrer le mal-être des jeunes adultes

chinois.Un des désirs qui rongent la

plupart des personnages est celui de sortir de Pékin et d’explorer le monde, le vrai. En effet, le parc d’attractions présente une analogie assez évidente. Environ le tiers des scènes se passe là-bas et, franchement, j’aurais aimé qu’il y en ait plus.

Le simple fait que ce parc existe vraiment est assez fascinant. C’est comme si on offrait ce microcosme aux Chinois afin de les distraire et de les garder bien tranquilles dans leur terre natale.

Des intermèdes musicaux apparaissent périodiquement dans ce film. En fait, il s’agit de

spectacles de danse animés par les employés du parc habillés en costumes traditionnels. Je les ai plutôt bien accueillis puisqu’ils me permettaient de relaxer entre les scènes plus dramatiques. De plus, ces scènes sont montrées de telle façon qu’il en devient épuisant de les regarder. En effet, elles ne sont composées que de très longues prises de plusieurs minutes sans interruptions. Elles ne sont pas aussi longues que dans Irréversible, mais il faut tout de même faire un effort.

Une autre innovation stylistique m’a beaucoup surpris la première fois que je l’ai vue et je m’y suis acclimaté quand elle a été réutilisée. Il s’agit de l’utilisation d’animations Flash à chaque fois qu’un personnage se sert d’un téléphone cellulaire. Je n’avais jamais vu cette technologie en dehors d’un quelconque site Internet. Au début, je trouvais ça bizarre mais par la suite, je me suis surpris à attendre ces animations avec impatience. Cette innovation et les autres que j’ai mentionnées plus haut dévoilent une mise en scène rigide et stricte avec des

règles très précises. Si on est enclin à jouer le jeu, on n’en est que plus récompensé.

Je parlais tout à l’heure de la détresse subtile qui animait la plupart des personnages. Les acteurs, tous inconnus au registre, rendent de manière très subtile cette détresse. C’est assez difficile de garder cette émotion à l’intérieur de nous-mêmes et en même temps de la laisser transparaître juste un tout petit peu à l’extérieur. Pourtant, les acteurs réussissent tous cet exploit.

Lors de cette critique, j’ai voulu rester vague sur l’intrigue de l’histoire pour respecter ce que j’ai écrit dans l’introduction. En effet, si vous en savez trop, vous serez moins attirés à aller voir ce film. Je n’ai fait que dicter les règles de Jia Zhang-Ke afin que vous les apprivoisiez. Après tout, mon intention est de vous encourager (ou de vous décourager, selon le cas) à aller voir ce que je découvre pour vous. Si vous êtes tentés de découvrir ce monde rempli de mystères, j’aurai accompli ma mission. x

MicrocosmeJia Zhang-Ke nous présente avec The World le mal-être des jeunes adultes chinois.

DAVID PUFAHL

The World est offert aux Chinois sur un plateau.

culturecinéma

culturefestival

Action Réaction!JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ

15Le Délit x 22 mars 2005

Laisser parler l’art avant tout. Entrevue avec Mathilde Géromin, la JetGirl par excellence.

Depuis près de 3 ans déjà, Mathilde Géromin nous fait découvrir par

l’entremise de son émission JetGirls un univers musical tantôt ludique et enfantin, tantôt expérimental ou dansant. C’est dans un petit café au cœur du Mile End que je l’ai rencontrée, histoire de discuter des nombreux projets auxquels elle participe, en plus de son émission hebdomadaire. Tombée en amour avec le Québec depuis 10 ans, après un parcours aussi éclectique que son émission, entrecoupé d’études en arts audio-visuels et en linguistique, elle collabore à divers événements de la scène culturelle montréalaise. Que ce soit par son implication au sein des Lucioles, un collectif de vidéastes engagés politiquement, du festival Edgy Women ou des Panthères Roses, elle aime faire ouvrir les yeux et les oreilles des gens.

Étant un grand fan de son émission, je lui ai demandé où elle se procure sa musique. «J’ai des amis un peu partout, en France comme ici, qui m’envoient de la musique ou m’informent de tel site. C’est beaucoup la curiosité qui fait que j’ai ces cds là», affirme-t-elle. Quant à l’apparente difficulté de trouver les disques, «on n’a qu’à aller sur les sites des artistes et à leur demander

par e-mail. C’est aussi pour cela que je mets sur mon site les liens pour que les gens puissent s’informer sur les artistes. C’est également ma façon de procéder pour me procurer certaines musiques jouant à l’émission». D’ailleurs ces liens sont généralement disponibles sur le site dès le lendemain de la diffusion.

Sa curiosité lui a fait découvrir le Velvet Underground, Tom Waits et Sonic Youth dès l’adolescence, des artistes, ajoute-t-elle «qui font beaucoup de recherches dans leur

musique. C’est ça qui m’intéresse dans la musique, la recherche. Les artistes qui passent à mon émission ont ça en commun: ils cherchent quelque chose».

Côté scène locale, sa curiosité l’a poussée dès son arrivée vers Godspeed You! Black Emperor, avant l’explosion de la popularité du groupe. «Présentement, la scène est énorme! Il y a plein de gens qui veulent faire des choses ensemble. Par exemple Natacha’s Collectif, un groupe de gens qui font de l’improvisation - mélange

d’électronique et de guitares, A Silver Mt. Zion, Lesbians on Ecstasy, tous ces gens se connaissent tous, c’est comme une grande famille. Ça finit par faire une énorme toile qui couvre tout Montréal». Et même en dehors: «Les Lesbians on Ecstasy, en moins d’un an, sont partout! En France, en Europe... Même chose pour les groupes sur Constellation, leurs concerts sont toujours pleins! We Are Wolves et les Georges Lénigrads aussi, Montag, au Japon, toutes ces musiques qui vont chercher une certaine universalité sont sur le point d’exploser! Lederhosen Lucil, Jordi Rosen… Tous ces artistes ont un potentiel pour marcher tant ici qu’ailleurs. Prenez par exemple un groupe tel Malajube, inconnu il y a 6 mois, dont on entend parler partout maintenant».

Avis aux intéressés, elle a aussi fait venir de France The Brain, une émission diffusée le vendredi de 23h à minuit. «La musique qu’ils passent est complètement éclectique et intemporelle, dans le même esprit de recherche que mon émission». À propos de l’ouragan Tout le monde en parle, diffusé en même temps, j’ai voulu savoir ce qu’elle en pensait. Alors que le «show à Guy A.» est centré sur les vedettes de l’heure, JetGirls est à l’opposé, orienté vers la

découverte. «Moi ce qui m’intéresse dans toutes mes musiques, c’est de permettre aux gens de s’ouvrir un peu la tête. Je ne supporte pas cette culture qui nous ramène vers le bas!»

Histoire de nous faire découvrir mieux certains artistes, des performances sont diffusées de temps à autre en direct de son studio: «Ce qui m’intéresse dans les lives, c’est de permettre aux gens chez eux d’avoir droit à un concert privé». Après Montag, récemment, les prochains artistes en lice sont Millimetrik et les Lesbians on Ecstasy dans les prochains mois. Et si vous voulez un concert encore plus privé, Mathilde est membre des Women with Kitchen Appliances, groupe musical féministe qui joue de la musique dans votre cuisine avec votre bouilloire et votre essoreuse à salade. Suffit de les contacter par courriel pour plus d’informations. x

JetGirls est diffusée sur CISM 89,3 le dimanche de 20h à 22h. Le site de Mathilde, avec sa musique et ses liens, se trouve au www.lamathilde.com. Aussi reliés: www.lespantheresroses.org et www.leslucioles.org. Pour le Women with Kitchen Appliances: [email protected].

culturemusique

Les galas MIMI et Montréal-undergroundMontréal récompense ses artisans de la diversité musicale.

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MONTRÉAL-UNDERGROUND

• Daniel Russo Garrido Boogat (Album francophone de l’année, artiste francophone de l’année)• FP Crew (Album anglophone de l’année, artiste-groupe anglophone de l’année, vidéo de l’année «Les rues de MT»)• Attach Tatuq & Diams (Concert de l’année aux Francofolies de Montréal)• Sans Pression (Choix du public selon les visiteurs du site de Montréal-underground)• Muzion et Wyclef Jean (Collaboration de l’année «24 heures vivre»)

Pour la liste complète, consultez le www.galamu.com.

Dimanche dernier, deux galas de très grande envergure avaient lieu. Le gala Mimi,

célébrant les artisans des musiques émergentes, et le Montréal-Underground, récompensant le milieu hip-hop. Et pour une des rares fois, les projecteurs étaient braqués sur eux.

La raison pour laquelle je prends la peine d’énumérer ces gagnants (voir le tableau ci-contre), c’est qu’ils font un travail colossal. Sans les artisans, il n’y aurait pas ces galas. Des galas où il y a vraiment une différence marquante entre les catégories et où la diversité y est très bien représentée.

La semaine dernière, j’étais stupéfait de voir la couverture médiatique dont jouissaient ces deux événements. Il est rare que les grands médias s’intéressent à cette catégorie d’artistes. Hormis quelques journalistes dans les

quotidiens écrits, la couverture médiatique est presque inexistante. Par contre, la semaine dernière, ces deux galas étaient sur toutes les lèvres. Deux grands facteurs expliquent cet intérêt soudain. En premier lieu, il est vrai que la cuvée 2004 était exceptionnelle. Non seulement du côté des récipiendaires, mais la liste des nominés était très imposante. Deuxièmement, ce que vous ne saviez peut-être pas, c’est que de grandes revues musicales internationales, telles que le très réputé Times et le mythique Spin, sont tombées sous le charme de The Arcade Fire, qui fait un tabac en Europe. Le mois prochain, ce sera au tour du Rolling Stones de citer Montréal au nombre des villes qui regorgent de bons groupes rocks. En fait, Montréal est reconnu pour avoir une scène musicale en santé. Une scène. Pas un groupe par-ci par-là, mais bien un ensemble

de groupes qui offre diversité, originalité et surtout qualité.

Ce petit constat pose une question peut-être mesquine, mais tout à fait pertinente: faut-il absolument être cité dans une revue étrangère pour se rendre compte de la qualité que nous avons? Je veux bien croire que nul n’est prophète en son pays, ce n’est pas la première fois que ça arrive. Ce fut la même chose avec le plateau Mont-Royal. Je comprends que d’être cité dans ces magazines est un honneur. J’en suis le plus heureux pour les bands et pour nous public. Mais est-ce qu’il faut que les bibles du rock en parlent pour que nos médias à large diffusion en parlent? Ce doit être la règle. Heureusement, il y aura toujours quelques exceptions.

Pour l’instant, profitez de la vague qui passe. Et surtout, restez curieux. x

ALEXANDRE VINCENT

Autoportrait de Mathilde Géromin, qui anime l’émission musicale hebdomadaire JetGirls.

Et les gagnants sont...MONTREAL INDEPENDENT MUSIC INITIATIVE (MIMI) • The Arcade Fire (Album de l’année, prix international, meilleure réalisation pour l’album Funeral)• Malajube (Nova, innovation, créativité et Étoile montante)• Les Breastfeeders (Power, énergie et Bête de scène)• Loco Locass (Mots-dits, textes les plus profonds et chanson de l’année «Libérez-nous des libéraux»)• Les Trois Accords (Concert de l’année)• La Descente du Coude (Mini-album 2004)• Fred Fortin (Feng Shui, nuances, ambiance, arrangements, dynamiques)• Dobacaracol (Cosmopolitain, racines, métissage)• Champion (St-Urbain, modernité, rythmique, groove)

• Les Abdigradationnistes (Contenant, pochette, photo de groupe, esthétisme)• Paul Cargnello (Fontaines, l’auteur-compositeur-interprète qui présente le plus de potentiel)

culturemusique

Il est facile de décrier l’importance de la pop contemporaine. Heureusement que des groupes comme Stars nous

rappellent que la pop peut être intellectuelle et émouvante, malgré les stéréotypes sur le genre. Le groupe, basé à Montréal, monte progressivement dans l’estime de la critique et du public. Leurs nombreuses influences (dont The Smiths et New Order) ayant guidé leurs précédents albums, ils s’en détachent complètement dans Set Yourself on Fire, leur troisième opus, et se créent leur propre univers: ils y mêlent des rythmes traditionnels avec des sons modernes, et cela donne un mélange assez particulier. L’utilisation de nombreux instruments, acoustiques ou électroniques, apporte plus de corps à l’album et raffermit ce mariage musical. L’album est savoureux, sucré, salé, aigre… bref, un repas complet! Très agréables à l’écoute – sans jamais être banales – les progressions sont presque toutes intéressantes, et pourtant à la fois très simples

et très travaillées. Malgré la complexité de la production, le tout coule de manière fluide et on est vite emporté dans leur monde. Les paroles, de leur côté, sont très sensibles et réalistes.

Your Ex-Lover’s Dead, ouverture de l’album, est une chanson pop parfaitement brodée. Le duo de chanteurs se lance dans un dialogue sur les retrouvailles: on dirait presque une scène de théâtre, où les deux protagonistes entonnent leurs monologues respectifs avant de se rejoindre sur scène. Un autre dialogue intéressant sur l’album est celui de The Big Fight où, comme le titre l’indique, nos deux personnages se querellent. Une des chansons les plus réussies est l’hypnotique Ageless Beauty. On a affaire ici à une chanson impossible à lâcher: chantée avec grâce par la co-chanteuse du groupe, elle engendre un effet psychédélique particulièrement intéressant.

À noter aussi, les excellentes He Lied About Death et Sleep Tonight.

L’album n’est pas sensationnel, certes, mais on sent bien le début d’un grand groupe pop. Ça devient de plus en plus rare, la pop de qualité… Alors merci à Stars pour nous en offrir. x

À surveiller, le spectacle de Stars en avril à Montréal.

16 Le Délit x 22 mars 2005

PHILIPPE MANNASSEH

Stars Set Yourself on Fire(Arts & Crafts)

En attendant leur prochain disque intitulé La Forêt, qui doit sortir le 12 juillet, j’aimerais vous présenter

le premier disque de ce groupe californien. Xiu Xiu s’articule autour de Jamie Stewart, qui écrit, chante, compose et joue la majorité des musiques. Knife Play semble être le plus équilibré de leurs disques, ce qui en fait un bon départ pour découvrir le groupe. Leur nom vient du film de Joan Chen du même nom. Ceux qui ont vu le film retrouveront, chez le groupe, la même atmosphère: triste et quelque peu désolante. Knife Play s’ouvre sur Don Diasco, une introduction de cloches et de piano atonal typique, cela reflète le côté plus expérimental du groupe. Les paroles sont touchantes et atteignent leur paroxysme avec

Hives et son refrain où les lettres «A-I-D-S H-I-V» sont chantées sur fond d’harmonium et de batterie un peu jazz. Over Over, avec son rythme soutenu, Poe Poe, avec son arrière-plan d’harmonium, et la quasi-classique I Broke Up, où Stewart y va de cris déchaînés («I am going to cut open your forehead with a roofing shingle!»), sont les autres pièces qui se distinguent sur le disque. Les textes de Xiu Xiu sont souvent ponctués de violence, et Knife Play est assurément le plus sanglant de leurs albums. La majorité des textes fait état du suicide, ceux qui désirent rester joyeux, contentez-vous des Trois Accords. Musicalement, Xiu Xiu fait le lien entre la musique expérimentale et la danse, avec des rythmes de beatbox. L’harmonium se mélange avec les guitares et les synthétiseurs aux bruits lugubres, faisant de Knife Play, comme l’œuvre complète du groupe, une musique des plus originales. Toutefois, il s’agit d’un disque difficile à apprivoiser, et je réitère qu’il est à éviter absolument lors d’états dépressifs! x

Pour plus d’info: www.xiuxiu.org.

JEAN-FRANÇOIS SAUVÉ

Xiu XiuKnife Play(5 Rue Christine)