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L’Eglise, une sacrée histoire Nous avons tous plus ou moins mal à notre Eglise.

Pourquoi ? Comment le vivre ?

Liège, le 19/01/12 fr Michel Van Aerde op

L’EGLISE, UNE SACRÉ HISTOIRE ..................................................................................................1 Nous avons tous plus ou moins mal à notre Eglise. ......................................................................1 Pourquoi ? Comment le vivre ? ....................................................................................................1

NDSC Bruxelles, le 19/01/12 fr Michel Van Aerde op............................................................................................ 1 A. L’EGLISE INSTITUTION HUMAINE .........................................................................................................2

a) Une toute petite administration pour un corps immense et de cultures très différentes .................................... 2 b) Une institution.................................................................................................................................................. 3 c) L’Eglise n’est pas le paradis................................................................................................................................ 3 d) Institutionaliser le prophétisme ?...................................................................................................................... 4

B. L’EGLISE, UNE SACRÉE HISTOIRE..........................................................................................................4 I. L’EGLISE EST UNE HISTOIRE D’AMOUR................................................................................................5

1° L’Eglise est l’histoire de passion ........................................................................................................................ 5 2° Une histoire aimantée par une promesse.......................................................................................................... 5 3° Une histoire non cyclique.................................................................................................................................. 6 4° Une histoire à contre courant ........................................................................................................................... 6 5° On va de la division vers l’unité ......................................................................................................................... 6 6° Chaque génération rencontre ses crises et ses défis .......................................................................................... 7

II. L’AMOUR SUPPOSE L’ALTÉRITÉ, LA DIFFÉRENCE, EN TENSION VERS L’UNITÉ : .................................................7 1° Une place pour l’altérité L’Eglise et les cultures ............................................................................................... 7 2° Pentecôte Le modèle de l’unité dans la diversité (devise reprise par l’UE) ........................................................ 8 3° Trinité .............................................................................................................................................................. 9 4° Une histoire pour Dieu ? Dieu dans l’histoire ? .................................................................................................. 9 5° Dieu s’engage dans l’histoire............................................................................................................................. 9 6° L’effacement de Dieu...................................................................................................................................... 10

III. HISTOIRE ET MÉMOIRE, INCARNATION ET INSTITUTION..........................................................................10 1° Un corps social ............................................................................................................................................... 10 2° Jésus sans l’Eglise ?......................................................................................................................................... 11 2° La créativité, exemple de l’art chrétien............................................................................................................ 12

C. CONCLUSION................................................................................................................................12 1° L’histoire biblique........................................................................................................................................... 12 2° La vertu de l’Espérance................................................................................................................................... 12

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A. L’Eglise institution humaine

a) Une toute petite administration pour un corps immense et de cultures très différentes Pour les théologiens, il y a toujours deux risques opposés qui sont chaque fois des simplifications. De Jésus-Christ on dira soit qu’il n’est qu’un homme, soit qu’il n’est que Dieu. La difficulté est de penser l’unité des deux natures en une seule personne, 100% humain et tout à la fois 100% divin. La tentation est toujours celle du monophysisme, d’une seule nature et il en est de même pour l’Eglise. Le fait qu’elle réponde à l’appel de Dieu ne l’empêche nullement d’être pleinement humaine. Mais soyons concrets… Pour la toussaint, je suis allé à Rome avec un groupe d’une douzaine de jeunes de 20 à 35 ans pour découvrir non seulement la ville, mais aussi le fonctionnement institutionnel de l’Eglise catholique en ce lieu privilégié. Nous sommes ainsi allé visiter deux des neuf dicastères (sorte de ministères de l’Eglise catholique) et la curie généralice des dominicains. La surprise qui attendait chacun fut tout d’abord l’accueil, la gentillesse et la simplicité de ceux qui nous ont reçus mais plus encore de découvrir la dimension très réduite de cette « administration ». Le bon pape Jean XXIII à qui l’on demandait un jour « combien y a-t-il de personnes qui travaillent au Vatican ? » avait répondu « à peu près la moitié ». Le nombre tourne en fait autour de 2000 personnes en tout. Et c’est très peu, si l’on considère tous les services de sécurité, les musées, librairies etc, face au milliard de chrétiens qui sont concernés. Combien y a-t-il de personnes qui travaillent à l’hôpital ou à l’université ? Certainement bien plus, et je ne pose pas la question du nombre de fonctionnaires européens présents à Bruxelles. Pour la Congrégation Romaine des Religieux, il y a ainsi un peu moins d’une trentaine de personnes qui sont là pour à peine moins d’un million de religieux et religieuses, dans toutes les langues. C’est extrêmement peu. On voit donc clairement que, contrairement aux idées reçues, l’administration de l’Eglise catholique est très légère et extrêmement décentralisée. Cela veut dire aussi qu’elle a peu de moyens et qu’il ne faut pas en attendre trop. Il faut connaître son organisation, son langage, ses exigences, pour entrer en relation avec elle. Il peut arriver que les décisions soient directes, sans souplesse, il faut le comprendre, l’anticiper et s’adapter.

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b) Une institution Commençons par quelques boutades et voyons pourquoi elles sont fausses. La première est d’André Malraux je crois. Il écrit « Jésus ? Un anarchiste qui a réussi »… Si c’est vrai l’Eglise est une institution inutile, vaudrait-il mieux l’anarchie ? L’Esprit Saint et l’anarchie ? Est-ce compatible ? Cela nous appelle à réfléchir sur l’utilité des institutions. Il faudrait développer ici toute une philosophie, toute une anthropologie, en montrant comment le corps et l’âme humaine ne font qu’un, et donc aussi l’organisation et la spiritualité. Il n’y a ni spirituel pur ni naturel pur. L’Esprit Saint agit dans le corps social et dans l’institution. Comme je le dis dans le titre, il nous arrive d’ « avoir mal » à notre Eglise. Quand on a mal, il est bon de savoir pourquoi, c’est déjà une partie de la guérison… Nous avons mal à notre Eglise et c’est plus grave que d’avoir mal à son pays, mal à la Belgique, mal à l’Europe, mal à son ministère, mal à son entreprise… parce que nous attendons autre chose de l’Eglise, parce que nous l’aimons particulièrement. Cette déception en conduit beaucoup à vouloir nier l’institution. Mais peut-on vraiment s’en passer ? Imaginez qu’en Belgique, on supprime non seulement la Royauté mais aussi toute forme de gouvernement… Est-ce parce que je suis en désaccord avec le ministère de l’enseignement que je vais cesser mon activité d’ enseignant ?... La dimension sociale fait partie de la nature de l’homme et l’activité politique est la plus noble activité humaine disait Aristote. Nous sommes des êtres incarnés et nous ne pouvons pas nous passer d’institution. On le voit ici à Bruxelles pour l’Union Européenne, le débat institutionnel est fondamental, il est le lieu où se construit la paix. Le droit, toujours perfectible, est un des lieux privilégiés de la charité. Même les chrétiens qui, dans l’histoire, ont prétendu se référer directement à la Bible et à l’Esprit Saint ont recréé, à leur manière, une tradition et une forme d’organisation.

c) L’Eglise n’est pas le paradis Une autre boutade, très connue : « Jésus a prêché le Royaume, et c’est l’Eglise qui est venue ». Quelles sont les relations qui unissent l’Eglise et le Royaume ? Une identité ? Une opposition ? Un lien de signe, une forme de sacrement ? L’Eglise n’est pas le Royaume, en d’autres termes elle n’est pas le paradis. Elle ne doit jamais prétendre se confondre avec lui. Elle est faite de saints et de pécheurs, « semper reformanda », toujours à convertir et à réformer, mais elle annonce le Royaume et doit être un signe de sa présence dans le Monde.

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On peut rencontrer dans l’Eglise de véritables scandales, c’est à dire des points d’achoppement qui peuvent tuer la foi, l’espérance… On mesure la foi de quelqu’un m’a-t-on dit un jour au degré de scandale qu’il peut supporter de la part de l’Eglise. Il ne faut pas oublier que Jeanne d’Arc, par exemple, a été brûlée après un procès ecclésiastique. Il ne faut jamais oublier ce qu’ont pu endurer certains mystiques ou théologiens avant d’être reconnus et réhabilités, que l’on pense à Jean Huss, Campanella, ou aux théologiens qui ont fait Vatican II : de Lubac, Chenu, Congar, Schillebeekx… Jean de la Croix n’a été publié que 40 ans après sa mort. Pierre Teilhard de Chardin n’a jamais été publié de son vivant. Il a été exilé, privé d’enseignement etc. Ce n’est pas parce que l’on est condamné ou sanctionné que l’on a raison, mais il faut discerner et laisser le temps au temps. Le fait même qu’il puisse y avoir scandale montre, en négatif, le rôle irremplaçable de l’Eglise pour éveiller la foi, lui permettre de mûrir, de se structurer, personnellement et communautairement. Il est impossible de s’en passer !

d) Institutionaliser le prophétisme ? L’Eglise est une institution. Mais elle est une institution qui a pour mission d’être prophétique. Alors comment institutionnaliser le prophétisme ??? L’Eglise est une institution qui porte un message qui met toute institution en procès. La Pâque de Jésus est le procès éternel de l’institution politique (Pilate) et de l’institution religieuse (Anne et Caïphe), tout comme le procès de la foule qui veut un lynchage public. Jésus prévient ses disciples : « vous serez jetés hors des synagogues et qui vous tuera pensera rendre un culte à Dieu ». Les difficultés font donc partie inhérente de la mission. Mais, forte de cette lucidité, l’Eglise porte un message d’espérance pour la formation d’une société qui soit libérée des fausses représentations de Dieu ainsi que de tout processus violent de sacrifice de boucs émissaires. Dans l’eucharistie, nous faisons mémoire de ce sacrifice qui nous unit pour qu’il n’y ait plus de sacrifices et que nous vivions le pardon et la communion. L’Eglise porte un message d’incarnation qui a progressivement transformé les sociétés et conduit à des processus d’institutionnalisation, comme médiatisation de la charité, humanisation et évangélisation des rapports humains et des comportements collectifs.

B. L’Eglise, une sacrée histoire Le titre de cette conférence porte sur l’histoire de l’Eglise et je voudrais développer ce point car il me paraît très éclairant, fondamental, pour comprendre la nature de l’Eglise. L’Eglise est une histoire humaine, une

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aventure spirituelle collective. C’est aussi toute une histoire pour Dieu qui s’y engage et s’y compromet. Je voudrais présenter l’histoire de l’Eglise, en une sorte de grand panorama évocatif et vous faire découvrir l’importance du fait historique comme tel. Il serait trop ambitieux en une demi heure de faire un cours d’histoire de l’Eglise, ce serait faire des raccourcis, des omissions très contestables mais nous pouvons approfondir les questions vitales, théologiques, qui se firent jour et qui demeurent fondamentales pour la vie de l’Eglise. Comme je viens de le dire, le fait historique est constitutif de l’Eglise. C’est ce point qui nous oppose à ceux qui ont refusé le Concile Vatican II. Les intégristes de toutes les religions refusent l’évolution de la religion. Ce sont des religieux sans la foi. Sans la foi, il leur est impossible d’évoluer, animés par l’essentiel. Ils se crispent donc sur des formes rituelles et sociales, vides de contenu.

I. L’Eglise est une histoire d’amour

1° L’Eglise est l’histoire de passion

L’Eglise, c’est une histoire, une histoire d’amour, une histoire de passion, donc une histoire cruelle, faite de crises et de retrouvailles, de crimes et de pardon, de différences irréductibles, de luttes et de réconciliations. On s’est battu, pas seulement entre catholiques et protestants, dans les guerres de religion, pas seulement entre catholiques et orthodoxes (avec le sac de Constantinople par les croisés) mais au cœur même de certains conciles que l’on a pu qualifier de « brigandage », comme le Concile d’Ephèse par exemple. L’Eglise c’est une histoire, et une histoire de chair et de sang.

2° Une histoire aimantée par une promesse

C’est une histoire orientée, il y a un commencement et il y aura une fin. Contrairement aux sociétés traditionnelles pour qui le temps est cyclique, le temps de l’Eglise est vectoriel. Il y a une espérance qui anime chaque instant, une eschatologie qui tire en avant, mais il ne s’agit pas du modèle utopique ou révolutionnaire du 19ème siècle. L’histoire de l’Eglise ne trouvera pas son apothéose dans la dernière génération mais dans la récapitulation de toutes les générations, la manifestation finale de ce qui est important à chaque instant et qui atteint une qualité, une intensité transcendante, éternelle. Le sommet de cette histoire n’est pas à son terme mais au centre, ou plutôt au sommet : c’est le Christ ressuscité qui fait à la fois partie de l’histoire et qui en émerge, attirant toute chose à lui (cf épître aux Colossiens).

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3° Une histoire non cyclique

Dans l’ensemble des cultures humaines, le corpus judéo-chrétien est le seul à présenter un tel rapport au temps. La culture grecque, indoue, bouddhique, orientale, latino américaine pré-colombienne, gauloise etc. Toutes les cultures donc, à part celle là sont cycliques. Prenons un exemple. Lorsque Cortés, le conquistador espagnol s’avance vers le centre du Mexique, l’empereur Moctezuma fait faire des dessins, des portraits et il les présente aux sages de son peuple en leur demandant : qu’a-t-on fait quand il est venu la dernière fois ? Pour lui le monde est à ce point cyclique que l’histoire se répète. Pour le monde judéo-chrétien, l’histoire n’est pas cyclique mais orientée, irréversible, attirée par une promesse, celle de la victoire de l’amour sur la haine, de la vie sur la mort et la manifestation du Christ, la transfiguration du cosmos, corps total du Ressuscité.

4° Une histoire à contre courant

On ne commence pas par la vie pour aller vers la mort, par la lumière pour aller vers la nuit, mais tout au contraire. Le sabbat commence avec les premières étoiles du soir. On va de la nuit vers le jour, de la servitude à la libération, de la mort vers la vie, de la rupture vers la réconciliation, de la division vers la communion. L’histoire de l’Eglise est vécue et relue dans la foi, elle est fondamentalement un antidestin. La faute intervient, il y a des crimes qui sont irréparables, comme le sac de Constantinople par les croisés en 1204, un point de non retour. Mais pour Dieu, rien n’est jamais définitif. Dans la foi, il n’y a rien qui ne puisse être pardonné, sauvé, sanctifié. La réconciliation reste possible, nous le croyons et elle a été célébrée par Athénagoras et Paul VI. Le mystère chrétien, c’est la fatalité renversée. Le Christ, le Fils de Dieu a été condamné et mis à mort, mais le pardon a été manifesté et la résurrection a ré-ouvert l’avenir. Il faut souvent avoir été trop loin pour prendre conscience de ce que l’on a fait. C’est le pardon qui révèle le péché. Pierre a été pardonné de sa lâcheté, Paul est un ancien persécuteur converti. Là où le péché a abondé, dit-il, la grâce a surabondé. L’Eglise devrait toujours s’en souvenir dans son message. Nous ne sommes pas des purs, des pharisiens qui annoncent leur propre perfection, mais des pécheurs pardonnés qui témoignent du pardon, qui témoignent de la résurrection comme une nouvelle création.

5° On va de la division vers l’unité Cette espérance qui soutient l’histoire est importante dans une perspective œcuménique car il n’y a jamais eu d’unité. L’unité n’est pas au commencement, elle est à la fin, elle est à réaliser. Il n’y a pas d’unité au départ. Dès le commencement, c’est la diversité et l’affrontement, le dialogue quand il est possible, la séparation quand c’est impossible. Paul et Barnabé se séparent à

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cause de Marc. Paul et Pierre sont sur des pieds opposés. Il y a la séparation des chrétiens d’avec les juifs, puis des judéo-chrétiens d’avec les pagano-chrétiens, on en trouve les germes dans la question des diacres dans le livre des Actes…

6° Chaque génération rencontre ses crises et ses défis Chaque génération vit ses crises, crises externes, crises internes. Persécutions par l’Empire romain, invasions des barbares, hérésies opposées : arianisme et monophysisme, querelle des icônes, famines, épidémies, grand schisme, Islam, comètes dans le ciel, découverte du Nouveau Monde, Protestantisme, Révolution française, Guerres mondiales, révolution bolchévique, menace nucléaire, crises économiques, épidémies de nouveau… généralisation de l’athéisme et de l’indifférence religieuse, phénomènes intégristes, migrations… phénomène européen… réveil de la Chine… guerres généralisées en Afrique. Chaque génération a l’impression de vivre la fin du monde, la fin d’un monde, la fin de son monde, son apocalypse. Les solutions d’un moment ne peuvent pas s’appliquer à la période suivante. Il faut toujours être dans la créativité. La fidélité n’est pas dans la répétition. La fidélité aux grandes figures du passé est de faire comme elles ont fait et d’innover comme elles ont su innover. La fidélité à Saint Thomas d’Aquin est d’assumer la modernité comme il a su assumer la modernité d’Aristote à la fin du Moyen Age… de toujours permettre une rencontre de la culture et de l’Evangile.

II. L’amour suppose l’altérité, la différence, en tension vers l’unité : La différence entraîne le conflit, qui peut se résoudre en dialogue. L’altérité suppose une tension qui fait qu’il se produit du nouveau. L’Eglise est une communion mais la communion est à faire, à recevoir comme une vocation, comme une grâce, comme un don de l’Esprit.

1° Une place pour l’altérité L’Eglise et les cultures

. La grande question est donc tout d’abord celle du rapport avec l’altérité : altérité des générations, dans l’histoire : la continuité de la Tradition avec un grand ‘T’ et l’accueil de la modernité. . Il ne faut pas croire que les droits de l’homme ont été accueillis d’emblée sans problèmes. Le pape affirme d’abord les droits de Dieu face à la Révolution française. Il en est de même pour la liberté d’expression. « Quoi de plus contraire aux droits du Dieu créateur (…) que cette liberté de penser et d’agir que l’Assemblée Nationale accorde à l’homme social comme un droit imprescriptible de la nature. » Quot aliquantum (10 mars 1791) Pie VI

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. L’Esprit Saint interpelle l’Eglise à partir de la culture humaine et non pas toujours à partir du cœur même de l’Eglise, que ce soit l’institution ou les monastères. L’Eglise reçoit. Nous pensons trop souvent qu’il s’agit de donner, de semer. C’est tout le contraire, il s’agit de moissonner et, puisqu’il y a trop peu de moissonneurs, il faut prier le Père d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Nous sommes envoyés sans rien, pour manger ce que l’on nous donnera, boire ce que l’on nous offrira. Ces éléments de la mission sont trop oubliés. . Ces semences du Verbe, Logoi spermatikoi, il s’agit de les discerner dans la culture humaine et de les sauver en leur permettant de s’exprimer pleinement. Les droits de l’homme, par exemple, ou bien les utopies du XIXème siècles qui ont porté l’espérance des peuples, portent des éléments évangéliques qu’il faut accueillir et sauver. Sauver et fonder, théologiquement et philosophiquement. Cela demande à l’Eglise une conversion qui exige parfois du temps. L’Orthodoxie par exemple n’a toujours pas adopté les droits de l’homme comme intrinsèquement chrétiens, tout au contraire, le Patriarche de Moscou s’y oppose explicitement et cela peut provoquer un scandale, un obstacle pour la foi de beaucoup. . L’Eglise est annonce de l’Evangile et celui-ci doit être prononcé dans des langues toujours nouvelles, non seulement parce qu’elles sont loin géographiquement mais surtout parce que ces langues sont vivantes et qu’il faut entrer sur d’autres terres qui sont des espaces sociologiques nouveaux, comme le monde ouvrier au moment de la révolution industrielle, ou bien le monde urbain après l’exode rural. Des mondes intellectuels nouveaux apparaissent aussi, avec des disciplines nouvelles comme la psychologie, la psychanalyse, la sociologie… L’Eglise, c’est ce monde-là quand il devient explicitement chrétien. Vous savez, il y a une phrase de Jean Baptiste que j’aime bien : « il y a parmi vous quelqu’un que vous ne connaissez pas », le Christ est là, parmi nous, il nous précède en Galilée, au carrefour des nations, dans le bouillonnement des cultures et nous avons à le reconnaître en des visages toujours différents. Les chrétiens ne sont pas propriétaires de Dieu, pas même de Jésus-Christ !

2° Pentecôte Le modèle de l’unité dans la diversité (devise reprise par l’UE)

Cette variété permanente des cultures et des langues est résumée dans l’épisode emblématique de la Pentecôte. La Pentecôte se fait par étapes dans les Actes des Apôtres : une fois à Jérusalem, une fois en milieu samaritain et enfin en milieu païen avec Corneille, le centurion romain. La Pentecôte présente à l’Eglise un modèle d’harmonie qui ne se réduit rien à l’unité d’uniformité. L’unité, dans l’Eglise ne peut être monolythique, il ne s’agit nullement de la discipline dans un parti totalitaire ni de celle d’une armée. C’est une unité de

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communion, animée par l’Esprit Saint et où chacun des charismes joue pour le bien commun comme les organes dans un corps (cf saint Paul). N’y a –t-il pas une volonté de Dieu à ce que nous soyons différents ? Hommes, femmes, enfants, frères, sœurs, cousins… peuples variés, religions ? L’histoire étant faite du dialogue et des relations que cette différence introduit.

3° Trinité Et cette question de l’altérité se trouve au cœur de Dieu : Dieu à la fois Un et Trois, unique dans sa manière d’être toujours différent ( !) Unité dans la diversité, modèle de toute politique authentique en particulier européenne… C’est dans la mesure où nous vivons nous-mêmes une altérité assumée que nous faisons l’expérience quasi sacramentelle de la vie de Dieu comme amour et communion.

4° Une histoire pour Dieu ? Dieu dans l’histoire ? … mais aussi de l’altérité de Dieu à l’égard de lui-même. Pourquoi ne pas penser que Dieu devient, qu’il grandit en nous, qu’il y a un devenir humain de Dieu ! Il y a une histoire en Dieu. Car, tout commence par là : C’est Dieu qui lance l’histoire comme création de non Dieu, comme création de différent, c’est Dieu qui crée l’homme. Mais il le crée pour qu’il devienne Dieu, ce qui veut dire qu’il le crée le moins possible car on ne peut pas créer un Dieu. Il faut donc toute une histoire pour que l’humanité accède à sa vérité, qu’elle prenne la mesure de sa vocation, qu’elle devienne l’Eglise, tout simplement, c’est-à-dire qu’elle dise Oui au grand mouvement de la vie et de l’amour.

5° Dieu s’engage dans l’histoire

Mais cela va plus loin encore car Dieu entre dans l’histoire. Il se fait sujet et acteur de l’histoire, dans l’histoire, dépendant, vulnérable, immanent. Dieu n’est plus extérieur à son œuvre, il n’est plus « ailleurs ». Il fait corps, il prend chair. Nous ne mesurons pas la radicalité de l’Alliance de Dieu avec son peuple, et toutes les conséquences que cela signifie pour lui. Il se lance alors dans une aventure qu’il ne contrôle plus. Comme l’écrit Christian Duquoc, un théologien dominicain, « Dieu est partagé » : entre sa vérité et les masques dont on l’affuble, entre ce qu’il aimerait réaliser et le possible qui lui est laissé, entre le ciel et la terre, l’éternité et l’histoire. On peut même se poser la question : « Dieu ne serait-il pas alors trop humain ?1 » Le problème, c’est que l’homme est devenu inhumain et qu’il va falloir lui apprendre à redevenir humain, ce pourquoi Dieu se fait humain pour lui indiquer le chemin.

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La Bible le dit avec une force inouïe. Dans la nuit de Noël nous lisons la généalogie de Jésus-Christ et cette généalogie est celle de Joseph. Joseph adopte Dieu. L’humanité adopte Dieu et ainsi Dieu peut adopter l’humanité. Quand Saul de Tarse est ébloui sur son chemin, il entend une voix qui lui dit « Je suis celui que tu persécutes ». Jésus s’identifie aux chrétiens persécutés. Cette expérience va conduire Paul à développer toute sa théologie qui renverse les schémas de la puissance et de la faiblesse, du haut et du bas, du juste et du justifié, des œuvres et de la foi. « C’est quand je suis faible que je suis fort » dit-il, et c’est ce qui n’est rien que Dieu a choisi pour confondre ceux qui se croient quelque chose…

6° L’effacement de Dieu

La discrétion de Dieu est la question qui se pose actuellement dans nos pays : comment comprendre l’effacement culturel de Dieu en Europe ? Pour Dieu, la situation semblerait inconfortable… Jamais, comme en nos pays, le doute n’a autant habité l’histoire. La question que l’on peut se poser est celle de savoir si le doute n’habite pas aussi Dieu lui-même, qui est le seul, finalement, à croire l’homme capable de ses projets ! Mais le doute ne décourage pas la patience de Dieu, qui est son mode d’action, dans le respect scrupuleux des libertés. C’en est au point que l’on voit, dans l’Evangile, Jésus pleurer. Il constate « son incapacité à faire de Jérusalem le lieu de rassemblement des nations (Mt 23, 37). »23 « Dieu appelle à l’amitié, non à la sujétion. »24« Dieu se refuse à abolir, par sa puissance ou par la séduction de l’amour, les effets catastrophiques des choix libres. »25 Cela veut dire que le monde peut être détruit. Si Jésuralem, la ville choisie, n’a pas pu être sauvée par Jésus, la question est posée de savoir si l’histoire, si le monde pourra être sauvé. La plainte d’Isaïe résonne à mes oreilles : « Nous n’avons pas donné le salut à la terre » dit-il ! Et pourtant, il faut essayer. Comment ? Voyons ce qui nous revient.

III. Histoire et mémoire, Incarnation et institution

1° Un corps social

Avec, non pas l’ « idée » seulement, mais bien avec la « réalité » incroyable et impensable de l’incarnation, vient immédiatement et logiquement celle de l’institution… On ne peut pas y échapper… à moins de le vivre dans le vouloir, sans en prendre conscience. L’homme est un être social, il y a un « corps social ». Je suis ici et maintenant, et je ne suis pas seul. Il a fallu quelqu’un et

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même plusieurs pour organiser cette conférence et sa publicité pour que vous soyez là. Etc. L’anarchie pure n’existe pas, et elle serait toujours le règne des plus forts… Toute vie humaine suppose un langage, une organisation, un minimum d’institution, un droit. L’Esprit Saint n’est pas ailleurs non plus. Il ne faut donc pas s’imaginer une théocratie de droit divin. L’esprit est en chacun, dans le service et la fraternité. A nous de donner un visage à cette fraternité, en l’humanisant, en inventant les structures adaptées… Comme dominicains nous vivons depuis 8 siècles la démocratie, la démocratie n’est pas fragile, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Elle est très forte au contraire et permet de traverser toutes les crises (réforme, guerres mondiales…) car chaque fois la tête peut se reconstituer, en accord avec tout le corps. Il y a là une théologie à redécouvrir, L’Esprit est peut-être davantage présent dans les errances et la recherche tâtonnante de la majorité parce que Dieu est fidèle à son peuple et ne l’abandonne jamais… que dans les lubies et les abus d’autorité de quelques-uns qui s’attribuent le pouvoir de parler « au nom de Dieu ». Entre la formule d’Eglises autocéphales et, à l’opposé, celle d’une Eglise excessivement centralisée, n’y aurait –il pas la possibilité d’un modèle équilibré, à la manière de certaines sociétés démocratiques, avec une représentation indirecte (car la démocratie directe est le règne des grandes gueules), une vraie décentralisation (la collégialité épiscopale dont on parle tant mais que l’on n’applique jamais) et une véritable subsidiarité ?

2° Jésus sans l’Eglise ?

Le défi d’aujourd’hui, c’est celui de l’Eglise. Nous l’entendons tous les jours : Jésus-Christ, oui, l’Eglise, non ! Comment donner à l’Eglise un fonctionnement acceptable ? Comment nous convertir dans notre organisation même. Comment avoir une organisation elle-même évangélisée ? Comment témoigner « verbo et exemplo », par la réalité même de notre vie où devrait se laisser percevoir un certain esprit, un certain style, un certain amour ? « A ceci on vous reconnaîtra pour mes disciples : si vous vous aimez les uns les autres » dit Jésus. Comment relire l’histoire pour y puiser des potentialités, des modèles embryonnaires à développer, pour faire face à nos questions contemporaines ? Il y a, dans notre patrimoine, dans notre expérience commune de chrétiens infiniment plus que ce que nous imaginons, une diversité que nous ne soupçonnons souvent pas. Par exemple le clergé catholique de l’Eglise de Jérusalem est un clergé marié, en Irak aussi, diversité des rites, diversité des

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disciplines et capacité d’adaptation et de renouvellement. En bien des endroits les évêques sont élus par un collège qui propose au Pape trois noms. Il est lui-même élu par les cardinaux. Il y a partout des germes de renouvellement, Il faudrait peu de choses parfois pour que tout soit adapté. A l’échelle d’une telle institution il est normal que les changements aient besoin d’une longue maturation, Dieu est patient et il nous fait confiance, il nous laisse toute notre responsabilité et ce respect permet notre créativité.

2° La créativité, exemple de l’art chrétien

Changeons de registre et voyons le domaine de l’art, tout y est plus simple et plus clair. Au long de l’histoire, les chrétiens ont été incroyablement créatifs. Il y a eu les basiliques romaines, avec leurs colonnes latérales et leur plafond plat en grosses poutres de bois. Puis il y a eu l’art roman, puis l’art gothique, le baroque, le classique, le néogothique, et puis l’art moderne, l’art contemporain. Sans cesse surgit du nouveau, la création est continuée. Ce qui est vrai dans l’architecture des bâtiments est vrai aussi dans l’évolution de la liturgie, dans la célébration des sacrements, c’est toujours le même mystère mais il prend des formes qui évoluent. Cela est vrai dans l’organisation même. Les diacres n’ont pas toujours eu la même fonction. Les cardinaux n’ont pas toujours été choisis de la même façon. Les évêques n’ont pas toujours dû présenter leur démission à 75 ans ni les cardinaux cesser de pouvoir voter à 80 ans. Quand cela fut établi, et c’est récent, il y a eu des grincements de dents, maintenant personne ne songerait à revenir au système ancien.

C. Conclusion

1° L’histoire biblique

Tout cela suppose la perception biblique de l’histoire comme espace positif de développement et de progression vers Dieu et non pas comme un temps nécessairement destructeur à la manière de Chronos, le dieu grec du temps. Chronos, le Dieu du monde païen, mange ses enfants, il est le dieu d’un temps qui conduit inexorablement au vieillissement, et finalement à la mort, il est le temps de l’entropie. Dans cette vision pessimiste, comme le dit le philosophe, la vie est « une vie pour la mort ».

2° La vertu de l’Espérance

Il y a une spécificité du fait chrétien qui est celle de l’Espérance. L’histoire n’est pas le résultat de la pression du passé, comme le serait l’élan des eaux ruisselant depuis la montagne, pour s’écouler jusqu’à la mer. L’histoire est animée par Dieu, elle tient par en-haut, et elle va au-delà de la mort, « le dieu d’Abraham, d’Isaac et de jacob, non pas le dieu des morts, mais des vivants ». Une alliance a

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été nouée, l’incarnation du Verbe fait de l’histoire du monde et de l’humanité, l’histoire de Dieu. Le monde est devenu le corps de Dieu.

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Georges Bernanos : Jeanne relapse et sainte, (Ecrits de Combat (Pléiade).

… Notre Eglise est l’Eglise des saints. Qui s’approche d’elle avec méfiance ne croit voir que des portes closes, des barrières et des guichets, une espèce de gendarmerie spirituelle. Mais notre Eglise est l’Eglise des saints. Pour être un saint, quel évêque ne donnerait son anneau, sa mitre, sa crosse, quel cardinal sa pourpre, quel pontife sa robe blanche, ses camériers, ses suisses et tout son temporel ? Qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure ? Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l’a une fois compris est entré au cœur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre terreur que celle de la mort, une espérance surhumaine.

Notre Eglise est l’Eglise des saints. Mais qui se met en peine des saints ? On voudrait qu’ils fussent des vieillards pleins d’expérience et de politique, et la plupart sont des enfants. Or l’enfance est seule contre tous. Les malins haussent les épaules, sourient : quel saint eut beaucoup à se louer des gens d’Eglise ? Hé ! Que font ici les gens d’Eglise ! Pourquoi veut-on qu’ait accès aux plus héroïques des hommes tel ou tel qui s’assure que le royaume du ciel s’emporte comme un siège à l’Académie, en ménageant tout le monde ? Dieu n’a pas fait l’Eglise pour la prospérité des saints, mais pour qu’elle transmît leur mémoire, pour que ne fût pas perdu, avec le divin miracle, un torrent d’honneur et de poésie. Qu’une autre Eglise montre ses saints ! La nôtre est l’Eglise des saints.

A qui donneriez-vous à garder ce troupeau d’anges ? La seule histoire, avec sa méthode sommaire, son réalisme étroit et dur, les eût brisés. Notre tradition catholique les emporte, sans les blesser, dans son rythme universel. Saint Benoît avec son corbeau, saint François avec sa mandore et ses vers provençaux, Jeanne avec son épée, Vincent avec sa pauvre soutane, et la dernière venue, si étrange, si secrète, suppliciée par les entrepreneurs et les simoniaques, avec son incompréhensible sourire, Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Souhaiterait-on qu’ils eussent tous été, de leur vivant, mis en châsse ? assaillis d’épithètes ampoulées, salués à genoux, encensés ? De telles gentillesses sont bonnes pour les chanoines. Ils vécurent, ils souffrirent comme nous. Ils furent tentés comme nous. Ils eurent leur pleine charge et plus d’un, sans la lâcher, se coucha dessous pour mourir. Quiconque n’ose encore retenir de leur exemple la part sacrée, la part divine, y trouvera du moins la leçon de l’héroïsme et de l’honneur.

Mais qui ne rougirait de s’arrêter si tôt, de les laisser poursuivre seuls leur route immense ? Qui voudrait perdre sa vie à ruminer le problème du mal, plutôt que de se jeter en avant ? Qui refusera de libérer la terre ? Notre Eglise est l’Eglise des saints. Tout ce grand appareil de sagesse, de force, de souple discipline, de magnificence et de majesté n’est rien de lui-même, si la charité ne l’anime. Mais la médiocrité n’y cherche qu’une assurance solide contre les risques du divin. Qu’importe ! Le moindre petit garçon de nos catéchismes sait que la bénédiction de tous les homme d’Eglise ensemble n’apportera jamais la paix qu’aux âmes déjà prêtes à la recevoir, aux âmes de bonne volonté. Aucun rite ne dispense d’aimer. Notre Eglise est l’Eglise des saints.

Nulle part ailleurs on ne voudrait imaginer seulement telle aventure, et si humaine, d’une petite héroïne qui passe un jour tranquillement du bûcher de l’inquisiteur en Paradis, au nez de cent cinquante théologiens. « Si nous sommes arrivés à ce point, écrivaient au pape les juges de Jeanne, que les devineresses vaticinant faussement au nom de Dieu, comme certaine femelle prise dans les

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limites du diocèse de Beauvais, soient mieux accueillies par la légèreté populaire que les pasteurs et les docteurs, c’en est fait, la religion va périr, la foi s’écroule, l’Eglise est foulée aux pieds, l’iniquité de Satan dominera le monde !… » et voilà qu’un peu moins de cinq cents ans plus tard l’effigie de la devineresse est exposée à Saint-Pierre de Rome, il est vrai peinte en guerrière, sans tabard ni robe fendue !, et à cent pieds au(dessous d’elle, Jeanne aura pu voir un minuscule homme blanc, prosterné, qui était le pape lui-même.

Notre Eglise est l’Eglise des saints. Du Pontife au gentil clergeon qui boit le vin des burettes, chacun sait qu’on ne trouve au calendrier qu’un très petit nombre d’abbés oratoires et de prélats diplomates. Seul peut en douter tel ou tel bonhomme bien pensant, à gros ventre et à chaîne d’or, qui trouve que les saints courent trop vite, et souhaiterait d’entrer au paradis à petits pas, comme au banc d’œuvre, avec le curé son compère. Notre Eglise est l’Eglise des saints. Nous respectons les services d’intendance, la prévôté, les majors et les cartographes, mais notre cœur est avec les gens de l’avant, notre cœur est avec ceux qui se font tuer.

Nul d’entre nous portant sa charge, (patrie, métier, famille), avec nos pauvres visages creusés par l’angoisse, nos mains dures, l’énorme ennui de la vie quotidienne, du pain de chaque jour à défendre, et l’honneur de nos maisons, nul d’entre nous n’aura jamais assez de théologie pour devenir seulement chanoine. Mais nous en savons assez pour devenir des saints. Que d’autres administrent en paix le royaume de Dieu ! Nous avons déjà trop à faire d’arracher chaque heure du jour, une par une, à grand-peine, chaque heure de l’interminable jour, jusqu’à l’heure attendue, l’heure unique où Dieu daignera souffler sur sa créature exténuée, Ô Mort si fraîche, ô seul matin ! Que d’autres prennent soin du spirituel, argumentent, légifèrent : nous tenons le temporel à pleines mains, nous tenons à pleines mains le royaume temporel de Dieu. Nous tenons l’héritage des saints. Car depuis que furent bénis avec nous la vigne et le blé, la pierre de nos seuils, le toit où nichent les colombes, nos pauvres lits pleins de songe et d’oubli, la route où grincent les chars, nos garçons au rire dur et nos filles qui pleurent au bord de la fontaine, depuis que Dieu lui-même nous visita, est-il rien en ce monde que nos saints n’aient dû reprendre, est-il rien qu’ils ne puissent donner ?