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EPS CE QUE DISENT LES COLLEGIENS PAR J.-R LOURDEL La rupture constituée par la fin des « années collège » et l'entrée au lycée semble propice pour faire un bilan. L'objet de cette recherche est de ten- ter de connaître la nature et la répar- tition sociale de ce que ces jeunes retiennent de quatre années de pra- tique de l'EPS. Pour tenter d'approcher cette connaissance, nous avons analysé les déclarations écrites par les élèves des trois classes de troisième, fin juin 1994, lors d'un des derniers cours. • La technique utilisée s'inspire de celle du « bilan de savoir » ( 1 ) et tente de comprendre les différentes formes de rapport que les élèves construisent au savoir. Pour B. Chariot, le type de questionnement « faites un bilan de savoir » est suffisamment précis pour provoquer une réponse, mais oblige à l'aire un choix. Il repose sur le postulat suivant : les élèves évoquent les apprentissages auxquels ils donnent le plus de sens. Pour notre part, nous avons donné aux elèves la consigne suivante: « faites le bilan de ce que vous avez appris en éducation physique au collège : rédigez un texte de cinq à dix lignes. » • L'enquête vise donc d'une part à esquisser le contour de ce que des élèves retiennent à l'issue de quatre années de pratique de l'éducation phy- sique dans un collège particulier, et d'autre part à tenter de repérer dans quelle mesure l'apparte- nance aux catégories retenues semble orienter, sinon déterminer, les élèves vers des acquisitions particulières. Les appartenances aux groupes concernant le sexe, le niveau social (2) et la per- formance scolaire (3) ont été retenues parce qu'à l'occasion d'une recherche antérieure dans le même collège, elles ont semblé déterminer assez fortement les représentations que les élèves se faisaient du « savoir ». La pratique sportive des parents (4) est prise en compte dans l'hypothèse où elle peut contribuer à la formation chez l'enfant de représentations qui sont de nature à le rendre plus particulière- ment réceptif à certains « messages » de l'ensei- gnement. • L'analyse du contenu des textes amène à regrouper les réponses selon six catégories thé- matiques : catalogue de sports pratiqués, social, santé, ludique, opérations et jugements de valeur (encadré 1). ANALYSE DES CATÉGORIES Le collège, situé au centre d'un département rural, est en mutation et perd ses caractéristiques rurales au profit d'une identité de plus en plus urbaine. 11 compte cinq cent cinquante élèves, dont quatre-vingt-deux en classe de troisième. Soixante-seize questionnaires, rendus par trente- neuf garçons et trente-sept filles ont été utilisables. Les fréquences d'apparition des différents thèmes, exprimées en « pourcentages » des élèves de chaque catégorie concernée, sont comptabilisées et étudiées. Quand plusieurs mots ou expressions se rapportent au même thème, celui-ci n'est compté qu'une fois. PHOTO : AUTEUR PHOTO : MARC BEAUDENON 43 Revue EP.S n°255 Septembre-Octobre 1995 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Page 1: LES COLLEGIENS - CERIMES

EPS CE QUE

DISENT LES COLLEGIENS

PAR J.-R LOURDEL

La rupture constituée par la fin des « années collège » et l'entrée au lycée semble propice pour faire un bilan. L'objet de cette recherche est de ten­ter de connaître la nature et la répar­t i t ion sociale de ce que ces j e u n e s retiennent de quatre années de pra­tique de l'EPS.

Pour tenter d'approcher cette connaissance, nous avons analysé les déclarations écrites par les élèves des trois classes de troisième, fin juin 1994, lors d'un des derniers cours. • La technique utilisée s'inspire de celle du « bilan de savoir » ( 1 ) et tente de comprendre les différentes formes de rapport que les élèves construisent au savoir. Pour B. Chariot, le type de questionnement « faites un bilan de savoir » est suffisamment précis pour provoquer une réponse, mais oblige à l'aire un choix. Il repose sur le postulat suivant : les élèves évoquent les apprentissages auxquels ils donnent le plus de sens. Pour notre part, nous avons donné aux elèves la consigne suivante: « faites le bilan de ce que vous avez appris en éducation physique au collège : rédigez un texte de cinq à dix lignes. » • L'enquête vise donc d'une part à esquisser le contour de ce que des élèves retiennent à l'issue de quatre années de pratique de l'éducation phy­sique dans un collège particulier, et d'autre part à tenter de repérer dans quelle mesure l'apparte­nance aux catégories retenues semble orienter, sinon déterminer, les élèves vers des acquisitions particulières. Les appartenances aux groupes concernant le sexe, le niveau social (2) et la per­formance scolaire (3) ont été retenues parce qu'à l'occasion d'une recherche antérieure dans le même collège, elles ont semblé déterminer assez fortement les représentations que les élèves se faisaient du « savoir ». La pratique sportive des parents (4) est prise en compte dans l'hypothèse où elle peut contribuer à la formation chez l'enfant de représentations qui sont de nature à le rendre plus particulière­ment réceptif à certains « messages » de l'ensei­gnement. • L'analyse du contenu des textes amène à regrouper les réponses selon six catégories thé­matiques : catalogue de sports pratiqués, social, santé, ludique, opérations et jugements de valeur (encadré 1).

ANALYSE DES CATÉGORIES

Le collège, situé au centre d'un département rural, est en mutation et perd ses caractéristiques rurales au profit d'une identité de plus en plus urbaine. 11 compte cinq cent cinquante élèves, dont quatre-vingt-deux en classe de troisième. Soixante-seize questionnaires, rendus par trente-neuf garçons et trente-sept filles ont été utilisables. Les fréquences d'apparition des différents thèmes, exprimées en « pourcentages » des élèves de chaque catégorie concernée, sont comptabilisées et étudiées. Quand plusieurs mots ou expressions se rapportent au même thème, celui-ci n'est compté qu'une fois.

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Selon le sexe Environ un tiers du total des élèves (tableau 1 ) considère la pratique de l'éducation physique comme source d'apprentissages en rapport avec les thèmes vie sociale (37 9c). santé (29 9c). opé­rations ( 28 %). Le jeu. évoqué par 28 % des élèves, n'apparaît donc pas de façon plus fré­quente que les thèmes précédents. Les « consom­mateurs » (mécontents pour moitié d'entre eux) sont 18 % à s'exprimer en termes de satisfaction ou d'insatisfaction. Si un catalogue d'activité est fourni par 66 % des élèves, il coexiste avec l'évocation des thèmes précédents dans presque la moitié des cas. La comparaison entre les garçons et les filles montre qu'une différenciation apparaît en parti­culier pour le thème social évoqué par 43 % des filles et seulement 31 % des garçons. Le thème santé, à l'inverse et de façon surprenante, appa­raît chez 36 9c des garçons contre 22 9c des filles.

Selon la performance scolaire Notons que les performances scolaires (tableau 2) sont faibles pour douze élèves, moyennes pour trente-neuf autres et bonnes pour un groupe de vingt-cinq. Nous sommes frappés par la coïncidence nette entre l'élévation de la performance scolaire et l'augmentation de la fré­quence d'évocation des thèmes les plus « riches » (autre que catalogue et jugement de-valeur). 11 semble qu'une inégalité de niveau et de richesse des concepts maîtrisés, liée à la richesse de la langue, entraîne une inégalité de lecture des pratiques (5). Les capacités d'abs­traction semblent différencier les élèves dans leur aptitude à saisir les savoirs transversaux, quelle que soit la discipline. La réussite en EPS semble pouvoir être favorisée par les acquisi­tions conceptuelles réalisées dans d'autres disci­plines. Nous avons ainsi pu constater que les élèves en réussite scolaire maîtrisaient plus vite que les autres la précision du rythme de course en endurance parce que. manifestement, ils en saisissaient plus rapidement la nécessité. Notons l'absence du thème ludique chez les élèves de faible performance scolaire.

1. Les six catégories thématiques • Catalogue des sports pratiqués : il s'agit de l'énoncé le plus simple, commençant par : « j'ai fait » ou » j'ai appris », d'une liste à tendance exhaustive de sports pratiqués pen­dant les « années collège ». • Social : cette catégorie concerne les expressions nom­mant ou qualifiant des relations avec autrui. Nous les avons t rouvées expr imées par : « esprit d 'équipe », « aide ». « solidaires ». « entourage », « ambiance », « mixité ». » règles ». « compétition »... • Santé : ce thème regroupe les évocations du corps ana-tomique (muscles abdominaux, dorsaux, adducteurs, etc., cœur, poumons), ou fonctionnel (être souple, respirer), ou encore sa gestion (développer, s'échauffer, se connaître). • Ludique : apparaît sous la forme de « jouer », « plaisir », « découverte ». « nouveau »... • Opérations : les mots ou express ions « analyser », « gérer », « maîtriser ». « acquérir ». « efficace ». « tech­nique », « capacité », « connaissances », « progrès », « se contrôler », etc. révèlent la maîtrise de concepts liés à l'ac­quisition, à révolution ou à l'efficacité de savoirs, ils nom­ment ou qualifient des opérations. • Jugements de valeur : exprimés avec une fréquence non négligeable, ils s e caractérisent par des déclarations concernant les activités pratiquées, en termes d'organisa­tion, de quantité, de satisfaction ou d'insatisfaction.

Tableau 1. Selon le sexe Tableau 2. Selon la performance scolaire

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Selon le niveau social Les professions déclarées des parents ont permis de rattacher quarante élèves aux classes sociales populaires, vingt-six aux classes moyennes, et dix aux classes supérieures (tableau 3). Le faible effectif de cette dernière doit inciter à une certaine prudence dans l'interprétation des résultats.

Une forte congruence existant entre l'origine sociale et les performances scolaires, nous ne sommes pas étonnes de retrouver une fréquence d'apparition des thèmes : social, opération, santé, croissant avec l'élévation de l'origine sociale. L'autre indice remarquable que consti­tue la nés forte présence des thèmes catalogue (100 %) et jugement de valeur (35 %) chez les élèves des classes sociales moyennes, montre que, si l'école est organisée pour favoriser la classe moyenne, les enfants de celle-ci expri­ment leur relation à l'école en des termes forte­ment teintés de consumérisme (comme l'ex­plique J. Ogbu au travers de la théorie de la « déficience institutionnelle »).

Selon la pratique sportive des parents Cinquante et un élèves ont déclaré avoir des parents « sportifs » selon les critères retenus, les vingt-cinq autres faisant la déclaration contraire (tableau 4). Les chiffres concernant le thème « santé » retiennent notre attention en nous mon­trant que les enfants de parents non sportifs sem­blent plus sensibles à cet effet de l'éducation physique (51 % contre 18 %). A l'inverse, mais de façon moins nette, les enfants de familles sportives semblent plus sensibles à la dimension

sociale de cette discipline. Notons que les juge­ments de valeur sont plus fréquents chez les sportifs, traduisant peut-être des attentes plus précises de leur part. Trois élèves seulement expriment un regret de ne pas avoir pratiqué la natation au collège (absence d'une piscine cou­verte). Une élève cite la course d'endurance comme activité rébarbative.

CONCLUSION

La prudence que suggère le mode de collecte des données, du fait de l'inégalité de maîtrise de la langue écrite, ainsi que les effectifs limités sur lesquels s'appuient ces réflexions ne permettent de dégager que des tendances. Néanmoins, les chiffres les plus contrastés montrent, qu'en amont de leur rencontre avec l'enseignement, existent chez les élèves des dispositions assez différenciées pour en tirer bénéfice. L'inégalité du niveau d'abstraction des concepts maîtrisés par les différents élèves n'est-elle pas, en EPS comme ailleurs, en partie à l'origine d'une inégalité de réussite ? Si, comme les textes récents nous le rappellent, c'est l'action qui doit être évaluée et non le discours, l'apprentissage semble difficilement pouvoir faire l'économie de la verbalisation. Le mot. première étape vers l'abstraction aide à fixer le concept. Ce savoir est d'autant plus généralisable (ou « transversal ») qu'il est de niveau d'abstraction élevé (encadré 2). A un autre niveau, ce bilan montre que les démarches singulières d'élèves sont cependant l'objet d'un certain déterminisme lié à diverses appartenances. Cette dimension sociale, consti­tutive de l'acte d'apprentissage, l'influence en amont et détermine pour une part les effets en aval. Cet aspect n'est pas révélé par les évalua­tions qui. se centrant sur le « produit ». peuvent oublier que l'élève est à la fois singulier et social.

Jean-François Lourdel Professeur EPS,

Collège Gambetta, 50500 Carentan.

Notes bibliographiques ( 1 ) B. Chariot, Ecole et savoir dans les banlieues et ailleurs. Ed. A. Colin, 1993, (2) Selon P. Bourdieu. il s'agit de la classe sociale d'ori­gine : supérieure, moyenne ou populaire. (3) Elle est calculée en fonction de la moyenne de l'année : les bons élèves obtiennent 13/20 et plus, les moyens entre 8 et 13/20 et les faibles au-dessous de 8/20. (4) 11 s'agit des parents sportifs ou ayant pratiqué un ou plu­sieurs sports et des parents non sportifs. (5) Britt Mari-Barth. Le savoir en construction. Ed. RetA 1993.

Tableau 3. Selon le niveau social

Tableau 4. Selon la pratique sportive des parents

2. Extraits des discours des élèves "On a appris à faire du cheval, de la gym, du basket, du

rugby, du hand, du volley, du badminton » (fille, origine sociale moyenne, parents sportifs, résultats scolaires moyens). • « Nous avons appris à nous échauffer correctement, à nous muscler et à développer notre souplesse et notre force. Nous avons fait de la technique en handball et appris à être collectif avec nos camarades. Nous avons fait du saut en hauteur et en longueur, du lancer de poids, de disque et de javelot » (garçon, origine sociale moyenne, parents non sportifs, bon niveau scolaire). • « J'ai appris l'esprit d'équipe, la confiance en moi, le désir de gagner, de battre l'autre, le plaisir de progresser, les règles de certains sports qui m'étaient inconnues. Je trouve que l'endurance est un peu trop contraignante » (fille, origine sociale supérieure, parents sportifs), • « J'ai appris le goût du sport, avec la découverte de nou­veaux sports et de nouvelles performances. Faire du sport, c'est décontractant et ça entretient la forme. Il faudrait faire du sport au collège, mais ne pas le noter, pour que ça sort un moment de détente et ne pas être obsédé par les notes. Certains ne feraient pas grand chose, c'est vrai, mais d'autres ont peur que ça leur baisse leur moyenne. Au fait, les garçons sont trop machos, surtout dans les sports col­lectifs, ce qui est très emm... car on ne peut pas autant jouer et comme on voudrait, nous les filles » (fille, origine sociale supérieure, parents non sportifs). • « J'ai appris en éducation physique à qymnastiquer, à jouer à la balle, à courir, mais je ne sais pas encore après quoi, à lancer le disque, mais je ne l'ai pas encore entendu (retomber), à lancer le javelot, mais je loupe toujours les mouettes, à grimper a la corde, mais je n'ai pas encore compris pourquoi, puisqu'une fois en haut, il faut redes­cendre, etc. » (garçon, origine sociale moyenne, parents non sportifs).

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EPS № 255 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1995 45

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