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  Les crises financièr es  Rapport  Robert Boyer ,  Mario Dehove et Dominique Plihon Commentaires  Antoine d’Autume Gilles Étrillard Compléments  Patrick Allard, Christophe Boucher ,  André Cartapanis, V irginie Coudert,  Mario Dehove et André Orléan

Les crises financières

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Les crises financiresRapport

Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique PlihonCommentaires

Antoine dAutume Gilles trillardComplments

Patrick Allard, Christophe Boucher, Andr Cartapanis, Virginie Coudert, Mario Dehove et Andr Orlan

Ralis en PAO au Conseil dAnalyse conomique par Christine Carl

La Documentation franaise. Paris, 2004 - ISBN : 2-11-005815-3 En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la proprit intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale usage collectif de la prsente publication est strictement interdite sans lautorisation expresse de lditeur. Il est rappel cet gard que lusage abusif de la photocopie met en danger lquilibre conomique des circuits du livre.

Sommaire

Introduction ............................................................................................ 7 Christian de Boissieu RAPPORT Les crises financires : analyse et propositions .......................... 9 Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Plihon Chapitre 1. Les crises financires : ce qui a chang ............................. 13 1. Dlimiter le champ de cette approche liminaire ..................................... 13 2. Reprer les crises : quelques conventions usuelles ................................ 14 3. Les crises financires plus frquentes depuis leffondrement de Bretton Woods ............................................................................ 15 4. mais qui ne sacclrent pas dans les annes quatre-vingt-dix .......... 18 5. Le retour des crises bancaires .............................................................. 19 6. Des cots budgtaires levs ............................................................... 23 7. La frquence des crises jumelles dans les pays rcemment ouverts la globalisation financire .................................... 26 8. Le retour de crises financires dvastatrices en termes de croissance et de bien-tre ................................................................ 29 9. Les dsquilibres des fondamentaux ne sont pas lorigine de toutes les crises ............................................................................... 32 10. Lampleur des phnomnes de contagion .............................................. 33 11. Une nouvelle forme de crise boursire : le krach rampant ou lent .... 39 Chapitre II. Du ct des thories des crises financires : sept propositions ..................................................................................... 43 1. Premire proposition : les marchs financiers sont des marchs de promesses ....................................................... 45 2. Deuxime proposition : lorigine de la plupart des crises, une prise de risque procyclique ............................................................. 53 3. Troisime proposition : les crises financires sont dautant plus graves que la procyclicit du crdit entre en rsonance avec celle des autres actifs................................................................... 69 4. Quatrime proposition : le systme bancaire joue un rle dterminant dans lissue des crises financires ..................................... 83 5. Cinquime proposition : une crise systmique spectaculaire peut tre le rsultat de lincohrence dun rgime macroconomique ................................................................................ 93LES CRISES FINANCIRES

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6. Sixime proposition : les institutions financires nationales nont pas dquivalent lchelle internationale................................... 101 7. Dernire proposition : dissiper lillusion selon laquelle la capacit de contrle des marchs financiers dominerait celle des banques ........ 105 8. Conclusion : de notables progrs dans la comprhension des crises financires ..........................................................................112 Chapitre III. Au cur des crises financires contemporaines trois innovations financires majeures : la drglementation, la globalisation et la sophistication des nouveaux instruments ...........115 1. La drglementation, justifie au regard de considrations defficacit, favorise des formes originales de fragilit financire ............................118 2. Lintgration financire internationale des conomies en voie dindustrialisation affecte leur mode de dveloppement ....................... 124 3. Un troisime facteur : la multiplication dinnovations financires aux effets incertains quant la stabilit systmique ............................. 132 Conclusion .............................................................................................. 136 Chapitre IV. Pourquoi les pouvoirs publics ne peuvent se dsintresser des crises financires ................................................. 137 1. La stabilit financire est un bien public .............................................. 138 2. Un bien public mondial en voie dmergence : la stabilit financire .... 139 3. Les failles des marchs financiers peuvent tre thoriquement identifies .................................................................... 141 4. Le difficile apprentissage des acteurs privs face la fragilit financire ........................................................................ 142 5. La mmoire longue des institutions publiques ...................................... 147 6. Largument de lala moral doit tre relativis .................................... 147 7. Il nest pas de systme financier parfait .............................................. 150 8. Corriger une source de crise par un dispositif qui lui-mme suscitera terme de nouveaux risques ........................... 151 Conclusion .............................................................................................. 152 Chapitre V. Propositions pour une meilleure rgulation financire nationale et internationale .................................................. 155 Introduction ............................................................................................. 155 1. Amliorer la qualit de linformation des superviseurs et des marchs ................................................................................... 156 2. Les crises financires se dtectent aussi dans le rtroviseur de lHistoire ! ..................................................................................... 162 3. La politique montaire doit inclure la stabilit financire parmi ses objectifs .............................................................................. 172 4. Amliorer les rformes prudentielles et comptables en cours .............. 179 5. Une rvaluation de la libralisation financire et des contrles de capitaux ............................................................... 189 6. Une rforme de larchitecture financire internationale adapte aux enjeux des annes 2000 .................................................. 195

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

COMMENTAIRES Antoine dAutume ................................................................................ 231 Gilles trillard ....................................................................................... 237 COMPLMENTS A. Efficience, finance comportementale et convention : une synthse thorique ................................................................ 241

Andr OrlanB. Trois gnrations de modles de crises de change ....... 271

Andr CartapanisC. Les taux de change fixes sont-ils injustement supects ? .................................................... 293

Virginie CoudertD. Le dficit de la balance courante amricaine fait-il peser un risque sur le reste du monde ? ..................... 309 Patrick Allard E. La dtection avance des crises financires .................... 341 Mario Dehove F. Identification et comparaison des crises boursires ....... 375 Christophe Boucher RSUM ............................................................................................. 397 SUMMARY .......................................................................................... 405

LES CRISES FINANCIRES

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Introduction

Les crises financires se sont multiplies depuis quelques annes, prenant souvent la forme de crises jumelles (conjugaison de crises bancaires et de crises de change). Elles ont aussi chang de nature, les crises dites de premire gnration (avec un rgime de change non soutenable parce quincompatible avec les dsquilibres extrieurs et budgtaires), relayes par des crises financires de deuxime ou troisime gnration mettant en uvre dautres mcanismes et appelant dautres rponses. Mais, quelle que soit leur nature, la plupart de ces crises restent difficiles prvoir, et mme leur interprtation aprs coup est sujette dbats. Lobjet du rapport qui suit est de brosser un tableau trs complet et clairant des crises bancaires et financires, danalyser les mcanismes de leur apparition et de leur propagation (les phnomnes de contagion jouant un rle dcisif dans les crises systmiques) et, comme tout rapport du CAE, de dboucher sur des recommandations de politique conomique. Ces recommandations sont ncessairement en ligne avec les consquences, certaines nettement positives, dautres plus problmatiques, de la libralisation financire et de lacclration des innovations financires, avec le coup de projecteur mis sur le rle du crdit, sur celui des rglementations prudentielles appliques aux banques (qui parfois deviennent procycliques car, sans le vouloir, elles accentuent les fluctuations et linstabilit), etc. Dans cette affaire, il nest gure besoin de justifier lintervention de ltat (au sens large, y compris via des banques centrales indpendantes), tant les externalits sont foisonnantes et tant la stabilit financire est devenue, ct de la stabilit montaire, un bien public, dsormais mondial sous leffet de la globalisation financire. Les propositions mises dans ce rapport sont nombreuses et dotes dune grande actualit. Certaines dentre elles prennent dj leur sens dans le cadre institutionnel prsent. En voici quelques exemples : lappel une meilleure transparence de linformation ; la ncessit pour la politique montaire de mieux prendre en compte, ct de son objectif de stabilit des prix, la stabilit financire et les prix des actifs financiers, immobiliers ; le besoin aussi dadapter lambition et le rythme de libralisation financire selon le niveau de dveloppement des pays. Dautres propositions, parce quelles touchent directement la gouvernance mondiale, supposent de chanLES CRISES FINANCIRES

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ger ce cadre institutionnel. Ainsi, le message sadresse certes aux autorits franaises, mais il va bien au-del de lhexagone. Ce rapport a t prsent lors de la sance plnire du CAE du 7 juin 2004, en prsence de Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.

Christian de BoissieuPrsident dlgu du Conseil danalyse conomique

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Les crises financires : analyse et propositionsRobert BoyerDirecteur de Recherche au CNRS, CEPREMAP

Mario DehoveProfesseur associ lUniversit de Paris XIII, Centre dconomie de Paris-Nord

Dominique PlihonProfesseur lUniversit de Paris XIII, Centre dconomie de Paris-Nord

Les crises financires secouent depuis dix ans, presque sans interruption, lconomie mondiale. Elles ont t spcialement frquentes et profondes pour les conomies les plus rcemment intgres aux mouvements financiers internationaux, alors que les conomies qui sinscrivent dans une longue tradition dintermdiation financire ont t moins svrement touches. En effet, la crise mexicaine, la fin de 1994 et au dbut de 1995, ouvre le nouveau cycle. Elle est suivie deux ans plus tard, en juillet 1997, par la crise thalandaise, qui, se propageant une large partie de lAsie en 1997 et 1998, frappe la Core, la Malaisie, lIndonsie et les Philippines. En aot 1998, cest au tour de la Russie, et la crise russe dstabilise le Brsil la fin de 1998 et au dbut de 1999. La Turquie entre en crise la fin 2000, lArgentine en 2001 puis le Brsil nouveau en 2002. Dans ce sombre, et pourtant partiel, tableau des crises des conomies mergentes la Chine et lInde font figures de rares exceptions, jusqu maintenant. Pour autant, les grands pays industriels ne sont pas pargns. Aux tatsUnis, en 1998, la faillite dun grand fonds dinvestissement LTCM met en pril les quilibres financiers des marchs amricains. Et partir de 2000, tous les grands pays industriels affrontent une des plus grandes crises boursires de leur histoire, qui met un terme leuphorie de la nouvelle conomie et porte au jour les fraudes qui lont accompagne et nourrie.LES CRISES FINANCIRES

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Il ny a pas de capitalisme sans crises financires. Charles P. Kindleberger la montr sur la longue priode depuis le XVIIe sicle jusqu la crise boursire de 1987 dans le tableau quasi exhaustif quil a dress des pisodes spculatifs qui reviennent inlassablement dstabiliser les marchs, ruiner les institutions et redistribuer les richesses. De la clbre crise des bulbes de tulipes de 1634 1637 en passant par celles de la South Sea Company et de la Compagnie des Indes de 1720, de la crise des compagnies de chemins de fer, des canaux du XIXe sicle, des crises financires engendres par les guerres (huit entre 1713 et 1820), jusquaux lancinantes crises de changes et des krachs boursiers rcurrents, lhistoire conomique est scande par ces pisodes priodiques deffondrements des prix des actifs montaires et financiers. Dailleurs la priode rcente sinscrit pour partie dans la continuit de celle qui la prcdait. Certes, les crises des changes des monnaies des pays dvelopps se sont progressivement rarfies aprs la crise du dollar daot 1971 et labandon du systme de change fixe de Bretton Woods, lexception de la crise du systme montaire europen de 1993. Mais en 1987 les bourses mondiales ont t secoues par une crise dune rare violence. Et la crise de la dette des pays en voie de dveloppement les plus dynamiques (que lon appelait alors les nouveaux pays industrialiss NPI) qui a dbut en aot 1982 a touch un nombre lev de pays et a menac la stabilit du systme montaire et financier mondial. Elle a prfigur maints gards la crise des pays asiatiques des annes 1997 et 1998, bien que le rle des facteurs exognes (le taux dintrt amricain) et des banques des pays dvelopps y aient t beaucoup plus importants. Premire grande crise de la dette souveraine daprs guerre, elle sest accompagne dun repli massif et durable des financements internationaux, et, avec celui-ci, un tarissement des grandes crises financires des pays mergents. Ce nest que douze ans aprs cette crise de la dette de 1982, aprs un retour brutal et massif des capitaux trangers vers ces pays, sous la forme de titres financiers (obligations, actions) plus que de crdits bancaires, que ressurgissent dans ces pays les grandes crises financires. Les crises sont un ternel recommencement , les historiens le savent et les spculateurs veulent lignorer, sans doute parce quils sont intresss le perdre rgulirement de vue. Pourtant, au-del de cette litanie, beaucoup de choses ont chang quant lanalyse des crises financires au cours de la dernire dcennie. Traditionnellement, les crises financires taient tudies par des tudes historiques, monographiques et comparatives. Leurs rptitions et le recueil systmatique de donnes statistiques permettent aujourdhui lutilisation des mthodes conomtriques et estimations sur donnes de panel. En consquence, lanalyste peut tenter dexpliciter certaines des configurations qui conduisent une vulnrabilit financire. Si la prvision des crises ne sen trouve pas ncessairement amliore, leur comprhension a significativement progress. Les thoriciens ne sont pas rests indiffrents face aux dfis que constituait la formalisation de modles susceptibles de reproduire certains des 10CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

traits majeurs des crises observes au cours des deux dernires dcennies. Aprs avoir construit une succession de modles correspondant respectivement aux crises latino-amricaines des annes quatre-vingt, la crise du systme montaire europen de 1993, puis aux crises asiatiques de 1997, les conomistes sorientent vers la recherche des mcanismes de base conduisant la fragilit financire et, dans certains cas, une crise ouverte. La richesse de ces modles permet de discuter et dclairer les interventions publiques susceptibles de rduire la frquence des crises ou dfaut den attnuer la gravit. La question est alors : quels sont les facteurs susceptibles dexpliquer le regain des crises financires au cours des annes rcentes ? Une fraction croissante de la littrature sattache cerner les consquences de la double libralisation financire, interne et externe, tant sur la stabilit macroconomique que sur les performances en matire de croissance. Ainsi, les innovations, tant financires que relles, semblent avoir jou un rle dterminant dans le dclenchement de processus conduisant aux crises financires qui ont t observes. Chaque crise apparat spcifique car elle sinscrit dans un contexte diffrent et combine de diverses manires un certain nombre de mcanismes gnraux. lorigine de la plupart des pisodes de fragilit financire, se trouve un emballement du crdit qui dclenche un mcanisme dacclrateur financier qui se propage diffrents marchs, boursiers, immobiliers, des changes. Cette fragilit se convertit en une crise ouverte avec une probabilit dautant plus forte quentrent en rsonance ces diffrents marchs dactifs, quil sagisse des marchs bancaires et des changes dans le cas des crises jumelles des pays dits mergents, ou des marchs immobilier et boursier dans le cas du Japon. Cest dans ce contexte quil faut sinterroger sur les politiques et dispositifs institutionnels qui permettraient de rduire la vulnrabilit financire associe cette vague de libralisation et dinnovations qui accentue une prise de risque procyclique et multiplie les processus de rsonance entre actifs financiers. Contrairement lopinion selon laquelle les crises contemporaines ne seraient que la consquence naturelle de laccroissement des flux financiers internationaux, face auxquelles les pouvoirs publics seraient dsarms, le rapport souligne certaines des inefficacits des marchs de capitaux quant lallocation de capital, ce qui appelle diverses actions correctrices. De plus, comme la stabilit financire est un bien public, la prvention de crises systmiques constitue une tche essentielle pour les responsables de la politique conomique, au premier rang desquels les banquiers centraux. De la conjonction de ces divers angles danalyse, le rapport tire une srie de propositions tendant rduire la probabilit de crises financires tant pour les pays les plus rcemment ouverts la finance internationale que pour ceux qui explorent une forme originale de crise par rapport la longue histoire de la succession de leurs crises financires.LES CRISES FINANCIRES

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Ce sont ces thmes que dveloppent les cinq chapitres dont se compose le prsent rapport. Lobjet du chapitre I est de faire apparatre ce qui a chang dans les crises financires au cours des deux dernires dcennies. Lambition du chapitre II est de construire un cadre danalyse des crises financires. Il prsente cet effet sept propositions thoriques articules entre elles. Le chapitre III interprte les crises comme la consquence des trois sries de changements majeurs : la drglementation, la globalisation financire, et la multiplication des innovations tant de la sphre financire que des systmes technologiques et productifs. Le chapitre IV explique pourquoi les autorits publiques, nationales et internationales, ne peuvent se dsintresser de la stabilit financire dans la mesure o celle-ci est un bien public dont la dimension internationale devient prpondrante. Enfin, dans le prolongement des analyses prcdentes, le dernier chapitre prsente des propositions, articules autour de six thmes et destines amliorer la rgulation financire nationale et internationale.

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Chapitre I

Les crises financires : ce qui a changLes crises financires rythment lhistoire du capitalisme. Elles prennent des formes diverses de sorte quil nest pas ais den tirer des enseignements gnraux. Cependant, le regain dintrt des conomistes pour les crises financires a renouvel les tudes historiques et comparatives sur la question. Aux travaux historiques traditionnels sur les crises qui sappuient principalement sur lanalyse monographique et ltude dtaille de chaque crise, dont louvrage de Kindleberger (1978) est un modle du genre, se sont ajoutes depuis le dbut des annes quatre-vingt-dix un ensemble rapidement croissant dtudes appliquant aux crises les mthodes statistiques danalyses des vnements nombreux et rptables qui traitent chacune delles comme un cas particulier dune population donne de cas semblables. En 1998, par exemple, sur un chantillon de cinquante pays dvelopps et en dveloppement le FMI estimait 158 le nombre de crises de change et 54 le nombre de crises bancaires sur la priode 1975-1997. Il est ainsi devenu possible dappliquer aux crises les mthodes dveloppes par la statistique de comparaison contrle des cas et de recherche des causes des vnements. Ces travaux aident cerner quelques traits gnraux des crises mais aussi les nouveauts dont les deux dernires dcennies ont t riches. Reprer quelques faits styliss majeurs partir de ces travaux historiques et statistiques pour tenter ensuite de les expliquer, tel est le propos de ce chapitre liminaire.

1. Dlimiter le champ de cette approche liminaireLes crises financires sont trs diverses dabord par les marchs ou les institutions quelles frappent. Ce chapitre de prsentation empirique ne traite pas de toutes les crises financires. Il analyse principalement trois types de crises financires : les crises de change ; les crises bancaires ; et les crises boursires. Il ignore ainsi, en tant que telles, des crises qui ont jou un rle essentiel dans lhistoire financire des dernires dcennies, notamment les crises immobilires, les crises obligataires et les crises de la dette souveraine qui seront pourtant prises en compte dans les chapitres suivants. Et aussi desLES CRISES FINANCIRES

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crises sans doute plus anecdotiques par les objets de la spculation dont elles sont la consquence, tels par exemple que les mtaux prcieux, les matires premires, mais qui fournissent beaucoup denseignements sur leurs ressorts profonds. Ce choix sexplique par des raisons de disponibilit de donnes et dinformations synthtiques fournies par les approches statistiques dtudes des crises qui sont privilgies dans ce chapitre. Seules les crises bancaires et les crises de change ont fait lobjet de recensement systmatique et danalyses statistiques et conomtriques macro-financires nombreuses (Bordo et al., 2001, Stone et Weeks, 2001, FMI, 1998 et Kaminsky et Reinhart, 1999 et 2000). Les crises boursires, depuis le dclenchement de la crise actuelle, commencent seulement tre tudies avec ces mthodes quantitatives (Mischkin, 2001, Plihon, 2002 et complment de Boucher au prsent rapport). Dans la perspective gnrale des crises financires adopte dans cet ouvrage, il aurait t utile de disposer dinformations et dtudes de mme type pour dautres marchs (obligataire, immobilier, dette souveraine, notamment) et pour dautres acteurs tels les intermdiaires non bancaires et les investisseurs institutionnels (assurance, fonds de pension, fonds dinvestissement). Mais ces trois types de crises apportent dj beaucoup dinformations sur les faits styliss des crises rcentes. Elles sont en outre les plus frquentes. Par ailleurs, les autres crises qui ne sont pas prises en compte en tant que telles dans ce chapitre peuvent leur tre facilement rattaches (par exemple les crises immobilires et les crises bancaires ; les crises de la dette souveraine et les crises de change, puis les crises bancaires ; les crises industrielles et les crises boursires). Ainsi, il ne parat pas totalement illgitime dun point de vue thorique de limiter la notion de crises financires aux seuls marchs financiers et aux seuls intermdiaires financiers, ds lors que les autres crises (une crise immobilire, une crise industrielle, une crise des comptes publics) ne dbouchent pas ncessairement sur des crises financires, quelles ne deviennent des crises financires qu partir du moment o elles ont un impact sur les marchs financiers ou les intermdiaires financiers travers la contrainte de liquidit. Mais certaines de ces crises, non financires par nature, tendent plus que dautres dboucher sur des crises financires. cet gard, on sera amen traiter des consquences des crises des finances publiques car elles ont jou un rle important dans divers pisodes rcents.

2. Reprer les crises : quelques conventions usuellesPremire difficult surmonter : il faut identifier empiriquement avec assez de prcision et de pertinence les pisodes de la vie conomique qui constituent des vnements pouvant tre considrs comme des crises financires (telles que lon vient de les dfinir, crise de change, crise boursire, crise bancaire). quoi reconnat-on une crise financire ? 14CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Les questions souleves par le reprage des crises de marchs financiers (change, bourse) et les crises dinstitutions financires sont trs diffrentes, mme si elles sont, les unes et les autres, toutes aussi complexes et dlicates. Lannexe I du prsent rapport passe en revue les questions, tant thoriques que statistiques, associes lidentification de ces diverses formes de crise. Pour le march des changes deux solutions sont habituellement retenues. La premire consiste considrer quune monnaie subit une crise de change lorsque sa valeur exprime dans une monnaie de rfrence subit une dprciation au cours dune anne suprieure un certain seuil gal, en gnral, 25 %. La seconde consiste construire un indicateur de pression spculative, combinant la variation du change aux variations des rserves officielles et du taux dintrt supposes reprsenter lintensit de la dfense de la parit par les autorits montaires et considrer quau-del dun certain seuil de variation de cet indicateur par rapport sa valeur moyenne, choisie en gnral 1,5 fois lcart-type, le march des changes subit une crise spculative. Pour les crises bancaires le reprage utilise les donnes financires bancaires (taux dactifs non performants notamment) lorsquelles existent, les informations de diverses sources (presse, tudes), les dires dexpert, les indices de panique (gel des dpts, fermeture de banques, garantie gnrale des dpts) ou lexistence du plan de sauvetage dune certaine ampleur organis par les pouvoirs publics. Pour les crises boursires deux solutions sont aussi habituellement retenues. La premire, qui sapparente la premire mthode de reprage des crises de change, consiste considrer quun march boursier est en crise lorsquau cours dune priode donne (dite fentre ) la variation de lindice du cours a dpass un certain seuil, dont la valeur choisie est 20 %, en gnral, par rfrence aux krachs de 1929 et 1987. La seconde sappuie sur une variable de tension gale au rapport des cours linstant t au maximum du cours pendant une priode prcdente prise comme rfrence. Un cart suprieur un certain seuil gal 1,5 ou 2 carts-types de cette variable signale une crise boursire.

3. Les crises financires plus frquentes depuis leffondrement de Bretton WoodsIl importe de se poser une premire question : les crises financires sontelles devenues plus frquentes dans la priode rcente ? Des volutions qui tendent a priori lintensification des crises financiarisation croissante et libralisation et de celles qui peuvent rduire leur nombre lapprentissage par les agents des nouvelles rgles et la conception de nouveaux produits financiers susceptibles de limiter les risques lesquelles lemportent au total ? cette question simple des rponses nuances doivent tre apportes.LES CRISES FINANCIRES

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I.1. Frquence des crises bancaires, crises de change, crises doubles : 1890-199714Crises bancaires

12 10 8 6 4 2 0

Crises de change Crises jumelles Toutes crises

1880-1913

1919-1930

1945-1971

1973-199721 pays

1973-199756 pays

Note : La frquence des crises est gale au nombre de crises divis par le nombre dannes multipli par le nombre de pays pour chaque priode. Source : Bordo et al. (2001).

I.2. Frquence des crises boursires aux tats-Unis : 1900-2003501er trimestre 1 an 2 ans 3 ans

40

30

20

10

1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 20002003 Mthodologie : Nombre de mois qui prsentent (sur les diffrentes fentres temporelles) un effondrement dau moins 20 % du cours divis par le nombre de mois de la priode considre. Source : Boucher (2003).

0

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

En longue priode, la frquence des crises financires (entendues comme crises bancaires ou de change) sest accrue aprs 1971, cest--dire depuis labandon du systme de Bretton Woods qui rgissait les relations internationales et avait institu en particulier le rgime de taux de changes fixes mais ajustables daprs-guerre (Bordo et al., 2001). Ainsi, daprs ces travaux, la probabilit de subir une crise de change ou une crise bancaire pendant la priode 1973-1997 slevait 10 ou 13 % environ (selon lchantillon utilis), alors quelle ntait que de 7 % sur la priode de 1945-1971 (figure I.1). Cette frquence de plus en plus leve des crises rapprocherait la priode actuelle de la priode trs agite de lentre-deux-guerres (frquence de 13 %) et la distinguerait trs fortement de la priode 1880-1913, pourtant trs internationalise, dont la frquence des crises de change et bancaire apparat avec le recul du temps particulirement faible (frquence des crises de 5 %). On est ainsi frapp par la rapparition des crises bancaires partir des annes soixante-dix, par la frquence des crises de change, et par le retour des crises doubles (de change et bancaires) quasiment absentes de la priode 1945-1971 (figure I.1). Toutes formes confondues, la frquence des crises financires serait donc passe dun peu plus de 6 % dans la priode de Bretton Woods prs de 12 % dans la priode postrieure 1973. Est aussi frappant le fait que de nouveaux pays sont touchs par les crises de change, de sorte que se diffusent dans lespace les crises financires, souvent dailleurs par contagion rgionale.I.1. La frquence des crises financires varie selon les priodesEntre deuxguerres ++ + ++ Bretton Woods ++ ++ ++ Aprs Bretton Woods + ++ + + +

talon-or Crises bancaires Crises de change Double crise Contrle des capitaux Contrles bancaires + ++

Source : Dehove (2003), p. 16.

Lanalyse sur un sicle des crises boursires (Boucher, 2003 et complment) confirme cette mme volution dans le temps (figure I2). La frquence des priodes de crises tend diminuer au cours des deux premires dcennies du XXe sicle, avant de culminer des niveaux sans prcdent dans les annes trente. Le plus remarquable est sans doute la raret de ces crises dans les annes cinquante et soixante puis dans les annes quatreLES CRISES FINANCIRES

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vingt-dix, ce qui contraste avec leur rsurgence dans les annes 2000. Lanalyse statistique des crises boursires fait ressortir deux autres rsultats importants. Dabord, on ne peut reprer de crises types se reproduisant de faon invariante au cours du temps. Ensuite, la crise boursire ouverte en 2000 se caractrise par labsence de variations importantes des cours en courte priode mais aussi par la longueur de la priode dajustement, la baisse.

4. mais qui ne sacclrent pas dans les annes quatre-vingt-dixCe diagnostic tir de la longue priode doit tre corrig par lobservation des annes les plus rcentes. En effet, lorsque lon considre lensemble de la priode 1977-1999 (Stone et Weeks, 2001), on ne trouve pas de confirmation de lhypothse dune nette acclration des crises financires au cours des annes quatre-vingt-dix (figure I.3). Si les crises bancaires deviennent plus nombreuses, la frquence des crises bancaires et cambiaires prises globalement, ne semble pas augmenter. Ce rsultat statistique ne confirme pas limpression donne par le caractre spectaculaire et rcurrent de ces crises : crise du SME, crises des pays dits mergents dAsie du Sud-Est, du Mexique, de lAmrique latine, de lEurope centrale et orientale.I.3. Nombre de crises entre 1977 et 199912Crises de change

10 8 6 4 2 0

Crises bancaires

1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999

Source : Stone et Weeks (2001).

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Quen est-il pour les crises boursires rcentes ? Elles sont videmment trs globalises. Les pays de lOCDE (tableau I.2), Hong Kong et Singapour (tableau I.3), pour lesquels on dispose dun recul historique suffisant (depuis 1967 et 1969), ont tous, avec quelquefois un an davance ou de retard, subi quatre crises boursires au cours des trois dernires dcennies : 19721973, 1980-1981, 1987 et 2000. Mais dans chaque pays, des crises spcifiques ont pu se produire. Le Royaume Uni et la France ont connu une crise en 1976, lAllemagne et lItalie en 1990, Hong Kong et Singapour en 1997, le Canada en 1998. Quant au Japon qui a t le seul pays pargn en 1987, il enchane crises sur crises depuis la fin des annes quatre-vingt : 1989, 1991, 1996 et 1997. Le seul pays qui a subi les quatre crises communes toutes les grandes conomies et na subi que celles-l est les tats-Unis. Cette singularit tmoigne dune asymtrie financire : rares sont les conomies qui peuvent chapper une crise qui frappe les tats-Unis, mais, jusqu prsent, les tats-Unis ont chapp toutes les crises qui frappent spcifiquement les autres conomies. Certains indices incitent mme penser que lors de la crise asiatique de 1997, le reflux des capitaux vers les places financires les plus sres a bnfici lconomie amricaine grce la prolongation de la phase dexpansion initie par la vague des nouvelles technologies. La finance globalise nest donc pas exempte dasymtrie : entre les places financires majeures et les autres dun ct, entre les pays de vieille industrialisation et les conomies les plus dynamiques de lautre. Cette asymtrie est importante pour lanalyse de la nature et de la propagation des crises.

5. Le retour des crises bancairesRevenons maintenant sur cette sorte de cycle long qui semble dicter la dynamique des crises bancaires dans la longue dure : peu frquentes sur la priode 1880-1913, elles se sont multiplies pendant lentre deux guerres et aprs une clipse totale pendant la priode de Bretton Woods, elles ont rapparu au dbut des annes soixante dix et, depuis, leur frquence na cess de slever (Bordo et al., 2000 et Stone et Weeks, 2001). Dans le dcompte quasi exhaustif le plus rcent des crises bancaires depuis 1970, Caprio et Klingebiel (2003) montrent lampleur du phnomne de crise bancaire et son universalit. Ils recensent 117 crises bancaires dites caractre systmique quils dfinissent empiriquement comme une crise ayant exig une recapitalisation quasi gnrale des banques. Ces crises ont frapp 93 pays. Sajoutent ces crises de grande ampleur des crises bancaires moins profondes que les auteurs appellent border line and smaller ou non systmiques , et dont le nombre slve sur la mme priode 51 et qui ont frapp 45 pays.LES CRISES FINANCIRES

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I.2. Les crises boursires dans les pays du G7 depuis les annes soixante-dixIndices MSCI au 31/01/2003Date Sommet tats-Unis Dcembre 1972 Juillet 1981 Aot 1987 Mars 2000 Mars 1973 Novembre 1989 Octobre 1991 Avril 1996 Juin 1997 Mars 2000 Novembre 1972 Janvier 1976 Octobre 1980 Septembre 1987 Aot 2000 Juin 1973 Fvrier 1976 Juin 1980 Avril 1987 Juin 2000 Mars 1973 Juillet 1980 Aot 1987 Juillet 1990 Fvrier 2000 Juin 1973 Mai 1981 Avril 1987 Juillet 1990 Janvier 2001 Octobre 1973 Novembre 1980 Juillet 1987 Avril 1998 Aot 2000 Amplitude En % 18,39 17,63 30,04 47,95 14,69 39,38 32,38 30,12 42,55 57,52 68,59 43,88 34,49 25,48 37,59 57,17 42,19 48,84 40,24 53,09 29,02 28,54 36,61 30,13 48,92 71,65 50,23 35,61 36,48 44,94 37,69 47,73 25,69 31,46 52,50 Dure Plancher 21 mois 12 mois 3 mois 2 ans et 6 mois 19 mois 12 mois 9 mois 11 mois 15 mois 2 ans et 10 mois 2 mois 7 mois 11 mois 2 mois 2 ans et 1 mois 15 mois 12 mois 12 mois 9 mois 2 ans et 3 mois 18 mois 14 mois 5 mois 2 mois 2 ans et 11 mois 3 ans et 10 mois 5 mois 9 mois 15 mois 21 mois 13 mois 19 mois 4 mois 4 mois 2 ans et 1 mois Recouvrement 8 ans et 3 mois 15 mois 23 mois nc 4 ans et 11 mois nc 2 ans et 6 mois 3 ans et 11 mois 2 ans et 6 mois nc 6 ans et 4 mois 19 mois 3 ans et 6 mois 22 mois nc 6 ans et 5 mois 2 ans et 5 mois 5 ans et 5 mois 2 ans nc 23 mois 3 ans et 7 mois 2 ans et 3 mois 3 ans et 9 mois nc 7 ans et 11 mois 4 ans et 4 mois 3 ans et 3 mois 3 ans et 10 mois nc 5 ans et 8 mois 3 ans 23 mois 18 mois nc

Japon

Royaume-Uni

France

Allemagne

Italie

Canada

Source : Boucher (2003).

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

I.3. Les crises boursires npargnent pas les pays nouvellement financiarissIndices MSCI ; PVD au 31/01/2003Date Sommet Hong Kong Fvrier 1973 Novembre 1981 Septembre 1987 Juillet 1997 Janvier 1973 Juin 1981 Mai 1985 Novembre 1987 Janvier 1997 Septembre 2000 Amplitude En % 88,87 56,33 45,50 60,12 71,55 33,46 34,03 41,43 63,46 38,73 42,82 52,69 48,48 41,31 69,79 57,60 Dure Plancher 22 mois 12 mois 2 mois 13 mois 23 mois 2 mois 11 mois 1 mois 19 mois 2 ans et 4 mois 6 mois 11 mois 13 mois 6 mois 18 mois 21 mois Recouvrement 7 ans et 11 mois 4 ans et 8 mois 3 ans et 6 mois 2 ans et 5 mois 7 ans 6 ans 17 mois 20 mois 22 mois nc 2 ans et 9 mois nc nc nc nc nc

Singapour

Amrique latine Septembre 1994 Septembre 1997 Dcembre 1997 Mars 2001 Asie Fvrier 1997 Janvier 2000

Source : Boucher (2003).

En Asie, toutes les crises des pays dits mergents, que nous prfrons appeler nouvellement financiariss, ayant subi la crise de 1997-1998 sont comptes dans la catgorie des grandes crises. Selon la convention de mesure des crises bancaires, la Chine(1) (des annes quatre-vingt-dix) et le Vietnam font partie de ce groupe. LInde est le rare pays asiatique navoir subi quune crise de faible ampleur. Pratiquement aucun pays de lEurope de lEst na pu viter une grande crise bancaire. La Russie en a subi deux, lune en 1995, lautre en 19981999. Aucun pays dAmrique latine na t pargn. Beaucoup ont subi plusieurs crises bancaires : lArgentine en a subi quatre (1979-1982, 19891990, 1995 et partir de 2001), le Brsil deux (1990 et 1994-1999), le Mexique deux (1981-1991 et 1994-1997). Trente et un pays dAfrique subsaharienne et six pays dAfrique du Nord ont aussi t secous par une crise bancaire majeure, les autres parmi lesquels le Nigeria, lAfrique du Sud et la Tunisie, nont subi quune crise ponc(1) la fin de 1998, les quatre plus grandes banques commerciales publiques dtenant 68 % des actifs du systme bancaire chinois, taient potentiellement insolvables, les prts compromis du systme bancaire chinois sont estims par ailleurs 50 %. Les pertes nettes sont estimes 47 % du PIB (428 milliards de dollars).LES CRISES FINANCIRES

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tuelle. Le tableau des crises bancaires des conomies dveloppes, sil est un peu plus favorable, est nanmoins trs sombre. Cinq pays ont subi une crise profonde (Finlande, Sude, Norvge, Espagne et Japon depuis 1991), onze pays, parmi lesquels la France (1994-1995), les tats-Unis (1984-1991), une crise de plus faible intensit. Les crises des pays dvelopps sont en gnral plus anciennes, lexception du Japon, et, surtout, elles sont dans leur trs grande majorit uniques (le Royaume-Uni constituant avec lIslande une rare exception, puisquil a connu une crise en 1974-1976 et une vague de grandes faillites en 1984 et au dbut des annes quatre-vingt-dix, Bank of Credit and Commerce International en 1991 et Barings en 1995). Cette mise en perspective historique soulve videmment la question du lien entre crise bancaire et libralisation. Elle suggre que cette longue pandmie de crises bancaires, parallle la libralisation financire, en est, partiellement au moins, la consquence. Quelle est la rponse des analyses statistiques cette question aux rponses thoriques trs controverses ? Les tudes conomtriques confirment nettement lexistence dune causalit directe (Demirg-Kunt et Detragiache, 1998a et b et Eichengreen et Arteta, 2000). Elles montrent que la libralisation intrieure accrot significativement la probabilit quune conomie subisse une crise bancaire (augmentation denviron 8 % pour les pays nouvellement financiariss daprs ltude dEichengreen et Arteta, 2000). Dans ltude de Demirgs-Kunt et Detragiache (1998a et b), 78 % des crises bancaires se sont produites dans des priodes de systmes bancaires libraliss qui reprsentent 63 % des priodes totales de ltude. La libralisation intrieure accrot la probabilit doccurrence dune crise bancaire. Cette probabilit est encore augmente lorsque la libralisation extrieure se conjugue avec la libralisation intrieure. On reviendra longuement sur ce diagnostic dans la suite de cette tude. Disons ds maintenant cependant que des arguments thoriques simples expliquent ce lien entre crise bancaire et libralisation. La libralisation intrieure accrot la concurrence interbancaire par les dpts, les taux crditeurs tant drglements, et induit des comportements moins adverses aux risques visant compenser la diminution de la rente de monopole (Caprio et Summers, 1993 et Hellman, Murdock et Stiglitz, 2000). Quant la libralisation extrieure, cest--dire celle du compte de capital, elle dclenche une substitution dactifs trangers aux actifs nationaux (Calvo et Goldstein, 1996), qui accrot lexposition au risque de change et au risque de dfaut. De plus, ces deux libralisations introduisent un systme dincitations nouveau qui favorise la spculation, y compris des rsidents, ce qui ne manque pas dexacerber les risques de fragilit financire dans des conomies o la surveillance prudentielle est par nature en retard par rapport au dveloppement des stratgies prives. 22CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Mais lanalyse statistique des crises bancaires apporte un lment dapprciation supplmentaire trs important : toutes les crises bancaires ne sont pas identiques, car les banques sont des institutions qui varient selon les pays et qui sont places dans des contextes rglementaires et prudentiels diffrents. Les crises bancaires ont de ce fait une importante composante idiosyncrasique. Elle montre aussi que les crises bancaires diffrent fortement les unes des autres, cause du rle que peut y jouer la spculation (Miotti et Plihon, 2000 et Bell et Pain, 2000). Les banques qui sont les premires touches par une crise sont celles dont, paradoxalement, la rentabilit avant la crise tait la plus leve parce que le niveau de risque des prts quelles consentaient tait trs lev, leurs capitaux propres plus faibles, et que leur profit tait davantage tir des activits de march. De ce tableau densemble, on retiendra quaucun pays na pratiquement su ou pu se mettre labri de sinistres plus ou moins massifs de son systme bancaire, que cette succession de crises bancaires nationales pourrait tre regarde comme une seule et mme crise mondiale, partant des pays dvelopps et essaimant vers les pays en voie de dveloppement, les pays nouvellement financiariss et les pays en transition. Les premiers sen sortent en gnral rapidement avec peu de rcidive court terme ; les autres mettent beaucoup plus de temps trouver les voies du rquilibrage et les mcanismes et institutions dimmunisation contre tout retour. Le Japon fait exception puisque la non-rsolution de la crise bancaire est lorigine dune stagnation de la croissance (la dcennie perdue) sans que pour autant on observe de paniques bancaires au sens strict. Pour sa part, la Chine continue crotre rapidement en dpit de la fragilit persistante de son systme bancaire au-del des nombreuses tentatives de rformes (Lardy, 2002).

6. Des cots budgtaires levsLincidence budgtaire des crises financires est un canal central de leur diffusion macroconomique. Lorsquune crise financire se dclenche, lexprience montre que ltat sabstient rarement sil le fait jamais dintervenir. Cette intervention pourtant ne va pas de soi, on le sait. Elle soulve de difficiles problmes de principe : des problmes dinformation : Si les marchs financiers sont efficients, les mouvements des prix des divers actifs refltent la ralit des rendements. Pourquoi les autorits publiques disposeraient-elles dune meilleure information que les agents qui ont intrt collecter toute information pertinente puisquils ralisent ainsi des profits dintermdiation ? On aura reconnu un argument dj avanc par Milton Friedman concernant le rle stabilisateur du spculateur rationnel ;LES CRISES FINANCIRES

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des problmes defficacit : lala moral, induit par le secours prvisible de ltat en cas de sinistre, compromet le bon fonctionnement normal des marchs en modifiant lvaluation des risques. Nest-il pas ds lors prfrable de corriger limperfection des marchs qui peuvent tre lorigine des crises asymtrie dinformation, caractre public du bien monnaie, respect des engagements financiers par des systmes dincitations adapts ? des problmes dconomie politique enfin : comment protger ces interventions de la corruption et de la collusion des intrts publics et privs ? La varit des configurations des groupes dintrt par rapport au pouvoir politique expliquerait alors la grande diversit dintensit des engagements financiers des autorits politiques en cas de crise bancaire. Malgr tous ces obstacles thoriques, sur lesquels un chapitre ultrieur revient en dtail, qui devraient inhiber laction de ltat face aux crises financires il nen est que plus frappant de noter la gnralit pratique de ces interventions, quelle que soit lorientation politique des gouvernements et ce dans la quasi-totalit des pays, quils soient industrialiss ou non. En effet, une analyse rcente limite aux crises bancaires (Honoban et Klingebiel, 2000) montre la fois la grande diversit des cots budgtaires des crises bancaires, selon les crises, selon les pays, selon les mthodes de sauvetage, et leur ampleur.

I.4. Les crises bancaires sont coteuses en termes de budget public50 En % du PIB

40

30Indonsie (1997) Chili (1981) Thalande (1997) Uruguay (1981) Core (1997) Cte dIvoire (1988) Venezuela (1994) Japon (1992) Mexique (1994) Malaisie (1997) Slovaquie (1992) Philippines (1983) Brsil (1994) quateur (1996) Bulgarie (1996) Rpublique tchque (1989) Finlande (1991) Hongrie (1991) Sngal (1988) Norvge (1987) Espagne (1977) Paraguay (1995) Sri Lanka (1989) Colombie (1982) Malaisie (1991) Sude (1991)

20

10

0

Source : Honoban et Klingebiel (2000).

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Le montant moyen des sommes engages par les tats pour venir en aide aux banques en dtresse est important, puisquil est valu par cette tude qui porte sur trente-quatre pays dvelopps, en dveloppement, et en transition, sur la priode 1970-2000, 12,8 % du PIB. Et ce cot est encore plus lev pour les pays en dveloppement, puisquil slve alors 14,3 %. La crise asiatique a pes lourdement sur les finances publiques de lIndonsie (50 % de PIB), de la Thalande (34 %) et de la Core (27 %). Mais ce ne sont pas les seuls cas de crises ruinant ltat. Le cot budgtaire de la crise bancaire du Chili en 1981 slevait 42 % du PIB, et ceux de lUruguay en 1981 et de la Cte-dIvoire en 1988 taient suprieurs 22 % du PIB. Dans dautres pays, en revanche, lintervention publique a t moins coteuse. Pour les crises bancaires de la Sude et de la Malaisie en 1991, de la Colombie en 1982, et du Paraguay en 1995, les interventions publiques nont pas dpass 5 % du PIB. Elles se sont leves respectivement 3,2 % du PIB et 0,7 % du PIB pour les crises bancaires des tats-Unis (19811992), et de la France (1994-1995). Ces estimations sont videmment trs imprcises, car elles soulvent de difficiles questions de mthode qui tiennent ce que les soutiens financiers de ltat peuvent tre des avances rembourses longtemps aprs la crise, ou des prises en charge dactifs dvaloriss dont le prix peut apparatre lors de la cession dfinitive par ltat, sous-estim ou surestim. Leur ordre de grandeur est cependant suffisamment significatif. Elles suggrent en outre, que les stratgies de rsolution des crises (cf. tableau I.4) sont des facteurs importants des cots budgtaires des crises : les stratgies de sauvetage des banques sont dautant plus coteuses pour les finances publiques quelles sont associes des politiques montaires et rglementaires accommodantes (offre illimite de liquidits, garantie illimite des dpts, tolrance rglementaire transitoire). De mme, une intervention une fois pour toutes et un retour une contrainte rglementaire stricte savrent plus efficaces que des oprations rptition dans un contexte rglementaire laxiste. Le premier cas correspond la crise bancaire japonaise des annes quatre-vingt-dix, le second, la crise amricaine des savings and loans du milieu des annes quatre-vingt.

LES CRISES FINANCIRES

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I.4. La diversit des stratgies de sauvetage bancaireMoyens Phase dendiguement Apport de liquidit Garantie des dpts et des crdits Tolrance rglementaire temporaire implicite ou explicite Recapitalisations rptes ou unique Gestion des actifs compromis Programme public dallgement des dettes Cration dune agence gouvernementale Responsabilit laisse aux banques Modalits Limit ou illimit (suprieur au capital cumul des intermdiaires financiers) Limit ou illimit (dpts dans les banques dtenus par ltat suprieurs 75 % des dpts bancaires) Non-fermeture des banques insolvables Dlais de recapitalisation Tolrances rglementaires temporaires Classement des prts compromis Provisionnement Rglementation des activits Frquence 23 / 40 23 / 40

9 / 40 26 / 40

Phase de rhabilitation et de restructuration

9 / 40

15 / 40

9 / 40

Source : Daprs Honoban et Klingebiel (2000).

7. La frquence des crises jumelles dans les pays rcemment ouverts la globalisation financireSi les crises de change frappent maintenant, comme on la vu, plus rarement les pays dvelopps, elles sont devenues plus frquentes pour les pays nouvellement financiariss. En se combinant aux crises bancaires renaissantes, elles ont engendr un type de crise financire nouvelle pour la priode daprs-guerre : les crises jumelles. Ces crises jumelles se manifestent par la combinaison dune spculation intense contre la monnaie nationale et une vague de dfaillances bancaires. Elles associent une mfiance lgard de la stabilit du taux de change (et donc du rgime de change sil existe), et une mfiance lgard de la liquidit ou de la solvabilit des intermdiaires bancaires, qui rtroagissent lune sur lautre en se renforant mutuellement. Quasi inexistantes sur la priode de Bretton Woods, les crises jumelles ont dsormais une frquence suprieure celle enregistre pendant la priode prcdant la Premire Guerre mondiale, mme si cette frquence de26CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

meure infrieure celle de lentre-deux-guerres. Dans ltude quelles leur consacrent, Kaminsky et Reinhart (1999) en comptent dix-huit sur la priode 1980-1995, antrieure la crise asiatique, sur un total de soixantetreize crises repres sur un chantillon de vingt pays. Au cours de la priode prcdente, 1970-1979, elles nen recensent quune seule sur un total de vingt-neuf crises. Pour leur part, Stone et Weeks (2001) en recensent six sur la priode 1992-1999 sur un chantillon de quarante-neuf pays. Les pays asiatiques nont pas invent la crise jumelle, mais celle-ci a t la forme dominante de crise financire pendant lpisode 1977-1998 : Indonsie, Malaisie, Philippines, Thalande, Core, ont eu affronter simultanment une crise de change et une crise bancaire. A priori, en avenir certain, il est possible de dvelopper trois hypothses alternatives simples concernant cette simultanit : selon une premire conception, la crise de change et la crise bancaire ont les mmes causes (Reinhart et Vgh, 1996), cette cause commune tant souvent, pour les pays mergents, un programme de stabilisation trop russi qui provoque une euphorie excessive. In fine, ce sont les tensions sur le dficit courant et laccroissement de lendettement extrieur, qui rsultent du programme de stabilisation (de son succs, dans un premier temps), qui provoquent le dclenchement dune attaque spculative contre la monnaie dont la crise bancaire est la consquence indirecte, les capitaux fuyant et le march des changes seffondrant ; dans un deuxime modle, la crise bancaire entrane la crise de change (Velasco, 1987) par lintermdiaire de lmission de monnaie domestique excessive provoque par le secours exceptionnel en liquidit que la Banque centrale apporte au systme bancaire pour le stabiliser ; dans un troisime modle, cest au contraire la crise de change qui entrane la crise bancaire (Stoker, 1994) ; les banques ne rsistent pas aux pertes de change dues la dvaluation, qui sajoutent aux pressions sur leur solvabilit induites par la perte de rserves non strilise de la Banque centrale amenant une contraction du crdit bancaire. La mise en parallle de ces deux dernires interprtations (figure I.5) illustre les difficults que rencontre lanalyse de ces crises doubles. Les analyses en termes de prophtie auto-ralisatrice (Jeanne et Wyplosz, 2001) en avenir incertain, qui seront prsentes ultrieurement, accroissent le ralisme de ces trois types de modles sans en rduire ni le nombre ni la complexit. Les analyses statistiques des crises jumelles menes par Kaminsky et Reinhart (1999) et Eichengreen et Arteta (2000) suggrent que les crises bancaires prcdent plus souvent les crises de change quelles ne les suivent. Dun ct, la probabilit inconditionnelle de survenance dune crise de balance des paiements est de 29 %. Conditionnellement une crise bancaire elle slve 46 % : une conomie qui subit une crise bancaire a deuxLES CRISES FINANCIRES

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I.5. Au moins deux causalits opposes dans la gense des crises jumelles

a. Les crises bancaires entranent les crises de change Le modle de Velasco (1987)

Crises bancaires

Financement du sauvetage (bail out par la Banque centrale)

mission montaire excessive

Crises de change

b. Les crises de change entranent les crises bancaires Le modle de Stoker (1994)

Choc externe (hausse du taux dintrt) en change fixe

Perte de rserves

Crdit crunch

Faillites et crises financires

Pertes de change Pas de strilisation

Dvaluation

Crises bancaires

Hypothse de Mishkin (1996)

Exposition de banques aux crises de change (fort endettement en devises)

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CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

fois plus de chance de subir une crise de change quune conomie dont le systme bancaire est robuste. De son ct, la probabilit de dclenchement dune crise bancaire naugmente pas pour les conomies qui subissent une crise de change, elle aurait mme tendance dcliner (8 % pour la probabilit inconditionnelle, 10 % pour la probabilit conditionnelle). Ces rsultats concernant la frquence et lorigine des crises jumelles sont aussi confirms par des tudes monographiques, plus fouilles, des crises asiatiques et aussi, ce qui est plus tonnant, par la crise russe (Sgard, 2002). Toutefois, il convient dtre prudent sur une question aussi dlicate et importante. La convergence entre les rsultats des analyses de panel et de figures emblmatiques de crises financires ne rgle pas ncessairement la question des causalits en jeu. En effet, il faut se souvenir que la causalit statistique, au sens de Granger, nest pas quivalente la conception habituelle des conomistes, ds lors quinterviennent les anticipations des agents. En conomie, ladage post hoc ergo propter hoc (2) peut entraner de redoutables erreurs dinterprtation. Aussi, le chapitre II revient-il sur les mcanismes de base des crises financires jumelles afin den tirer des prdictions concernant le profil dvolution des variables financires et relles.

8. Le retour de crises financires dvastatrices en termes de croissance et de bien-treUn des traits marquants des crises financires rcentes est leur impact fortement rcessionniste. Le FMI (1998) a ainsi estim 11,5 % limpact des crises bancaires rcentes sur le PIB (mesure par lcart entre la croissance des deux ou trois annes sans crise qui prcdent la crise et la croissance des deux ou trois annes qui suivent la crise)(3) des conomies frappes par une telle crise et 14 % celui des crises jumelles. Stone et Weeks (2001) ont valu 14 % le cot en output de la crise asiatique de 19971998, ce qui correspond au double du cot de la crise dAmrique latine du dbut des annes quatre-vingt et du cot de la transition des conomies de lEurope de lEst. Pour la seule Indonsie, la crise asiatique a cot 30 % de PIB. La dernire dcennie a ainsi vu le retour des grandes crises financires dvastatrices. Les comparaisons historiques de leffet rcessionniste des crises financires sont difficiles interprter. Les analyses de longue priode (Bordo et al., 2001) montrent en effet que les impacts sur la croissance et la richesse des conomies des crises financires bancaires et de change sont trs variables, non seulement selon les priodes, mais aussi selon les types de crises et les pays (tableau I.5).(2) Cet adage avait dj t dmenti par les recherches portant sur les relations entre politique montaire et activit conomique (Tobin, 1970). (3) Voir par exemple Gupta et al. (2000) pour une discussion dtaille de la mthode danalyse du cot en croissance des crises financires.LES CRISES FINANCIRES

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I.5. volution en longue priode de la dure et de la profondeur des crises1880-1913 1919-1939 1945-1971 1973-1997 21 pays 1,9 3,1 3,7 2,6 3,8 7,0 15,7 7,8 1973-1997 56 pays 2,1 2,6 3,8 2,5 5,9 6,2 18,6 8,3

Dure moyenne des crises (en annes) crises de change crises bancaires crises jumelles toutes crises crises de change crises bancaires crises jumelles toutes crises 2,6 2,3 2,2 2,4 8,3 8,4 14,5 9,8 1,9 2,4 2,7 2,4 14,2 10,5 15,8 13,4 1,8 1,0 1,8 5,2 1,7 5,2

Profondeur moyenne des crises (pertes cumules de PIB)

Source : Bordo et al. (2001).

Les crises jumelles sont toujours les plus graves, elles font perdre environ 16 % de PIB, et leur cot en croissance est relativement stable sur longue priode. La priode de lentre-deux-guerres est celle o toutes les crises, de change, bancaires, jumelles ont limpact le plus fort (dans la suite, les commentaires font rfrence lchantillon de 21 pays pour la priode 1973-1997). Le cas des crises de change est un peu singulier car, comme le laissait prvoir la thorie standard du taux de change dans un monde o les capitaux ne sont pas mobiles, toutes les crises de change ne sont pas rcessionnistes Il en rsulte quen moyenne les crises de change, dans la longue priode, psent peu sur la prosprit dun pays, sauf videmment, sur la priode de lentre-deux-guerres. Leur incidence globale ngative aurait plutt tendance diminuer. Lanalyse de la dure des crises offre un tableau tout aussi contrast mme sil suggre un allongement continu des crises bancaires (trois ans au cours de la dernire priode) et un lger raccourcissement des crises de change. Ce raccourcissement des crises infirme dailleurs, il faut le noter, la thorie de la resumption rule (les pays qui adoptent pour politique de sortie de crise le retour la parit davant crise subissent des crises plus courtes) dont lapplication aux crises rcentes a t dfendue par Hanke (1998) et Mc Kinnon (1997). Ltude de Gupta et al. (2000) sur les trois dernires dcennies, et pour les seuls pays en dveloppement, confirme lanalyse des crises de change de Borlo et al. (2001) mene sur quatre grandes priodes couvrant un sicle. Sur la dernire priode limpact moyen des crises de change est positif de 1,2 %, 57 % sont rcessionnistes, 43 % expansionnistes ; sur les 195 crises 30CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

tudies, onze sont trs rcessionnistes (perte de croissance suprieure 10 %) dont quatre dans les annes quatre-vingt-dix et six au dbut des annes quatre-vingt. Cette analyse montre en outre la grande stabilit de la dynamique des crises de change (figure I.6).I.6. Effets des crises de change sur la croissance pour les pays en voie de dveloppement7 6 5 4 3 2 1 0 T4 T3 T2 T1 T T+1 T+2 T+3 T+4 Note : T est lanne de la crise de change. Source : Gupta, Mishra et Sahay (2000).Annes quatre-vingt-dix (88 crises) 1970-1998 (195 crises)

Taux de croissance du PIB en volume

Annes soixante-dix (24 crises)

Annes quatre-vingt (83 crises)

Et cette tude montre (ainsi que celle du FMI, 1998) que les crises financires des pays en dveloppement ont un impact sur la croissance plus fort que les crises des pays dvelopps. Au total ces analyses historiques, qui confirment la complexit des crises financires et leur extrme diversit, suggrent que la priode actuelle est bien marque par le retour de crises financires majeures, cause de leur ampleur, de leur impact et de leurs retentissements internationaux. Elles appartiennent cette catgorie de crises que Kindleberger nomme systmiques et quil oppose aux crises isoles, facilement matrisables, et sans effet sur lensemble du systme conomique. Ces tudes suggrent aussi que limpact des crises financires sur la croissance dpend du degr dintgration financire des conomies lconomie mondiale, notamment pour les pays nouvellement financiariss. Elles tablissent, en effet, que les crises les plus ruineuses de la priode rcente se sont en gnral produites dans des pays ayant bnfici dun afflux massif de capitaux trangers, dans la priode immdiatement antrieure la criseLES CRISES FINANCIRES

31

(les annes soixante-dix jusquen 1981 ; le dbut des annes quatre-vingtdix jusquen 1997). Gupta et al. (2000), notamment, montrent que plus une crise de change est prcde de flux de capitaux (toutes catgories) intenses avec ltranger, plus son effet dpressif est puissant, lorsque le compte de capital est libralis : ils estiment quun afflux supplmentaire de 10 % du PIB de capitaux trangers induit une contraction relative de la croissance comprise entre 2,6 et 3,5 % toutes choses gales par ailleurs(4). Ce rsultat est confirm pour lensemble des crises financires, par ltude de Stone et Weeks (2001). Est ainsi introduit lun des principaux rsultats du prsent rapport : les conomies qui se sont rcemment ouvertes la globalisation financire ont plus souffert que bnfici de cette stratgie, tout au moins jusqu maintenant. Cette analyse met en vidence le caractre brutal des crises financires suscites par un boom qui apparat rtrospectivement comme le rsultat dun brusque afflux de capitaux internationaux auquel les agents conomiques (financiers et non financiers) domestiques ntaient pas prpars.

9. Les dsquilibres des fondamentaux ne sont pas lorigine de toutes les crisesLa premire grande crise gnralise des pays nouvellement financiariss (PNF), celle qui a clat en 1982 avec le dfaut du Mexique, pouvait largement sexpliquer par la conjonction dun choc trs fort le resserrement brutal de la politique montaire aux tats-Unis et la hausse du taux dintrt sur les marchs mondiaux quil a entrane et laccumulation de dsquilibres financiers, notamment lendettement extrieur court terme en devises de ltat (Dehove et Mathis, 1986). Cest en ce sens que la recherche sest oriente vers le diagnostic des dsquilibres concernant les variables fondamentales que sont le dficit extrieur, le dficit public, le taux dendettement des agents privs. Les crises des PNF des annes quatre-vingt-dix, pour nombre de pays, apparaissent beaucoup moins quauparavant comme la consquence directe de dsquilibres non soutenables des fondamentaux. Ceci peut sexpliquer par le phnomne de contagion sur lequel on reviendra. Mais dans certains cas ce mcanisme lui-mme napparat pas comme une explication suffisante. Il faut alors faire appel pour expliquer ces crises des enchanements subtils commands par les inter-ractions entre les anticipations des investisseurs et les ractions des autorits montaires qui seront explicites dans la suite et qui sont rassembles sous le terme gnrique danticipations auto-ralisatrices.(4) Si le compte de capital nest pas ouvert, leffet dun afflux de capitaux trangers avant la crise, est au contraire anti-dpressif lorsque la crise clate, avec peu prs la mme intensit (10 % de PIB dentre affaiblit leffet rcessif de 3 3,7 % de PIB).

32

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Ce phnomne est difficile mettre en vidence par le simple examen de lvolution des fondamentaux macroconomiques dans les pays qui ont subi des crises (Artus, 2002b, par exemple, qui fournit un panorama complet des principaux fondamentaux des conomies ayant subi des crises financires majeures dans la priode rcente). Ces pays suivent des trajectoires de croissance trs contrastes, ayant chacune leur propre cycle, et donc leurs propres dsquilibres temporaires de fondamentaux. Et, par ailleurs, la science conomique na pas mis en vidence de seuils thoriques de dsquilibres des fondamentaux au-del desquels le cycle tournant mal dgnre en crise. Nanmoins cet examen suggre que, si pour certains pays, certains dsquilibres de fondamentaux apparaissaient a priori non soutenables, et non auto-rquilibrants (la Russie, la Turquie ou lArgentine, par exemple), pour dautres ils ne suffisent pas tablir de lien clair de causalit entre dsquilibres macroconomiques et crise. Et ceci est notamment vrai pour les pays asiatiques, mme en tenant compte de la faiblesse structurelle de leur croissance induite par la relative faible efficacit de leurs investissements massifs (Krugman, 2001, pour une mise en perspective des divers mcanismes invoqus pour expliquer la succession des crises financires). Mais des mthodes empiriques beaucoup plus prcises que le seul examen des fondamentaux telle que la mthode des vnements ou events (FMI, 1998 et Kaminsky et Reinhart, 1999) ou encore les modles conomtriques dexplication des crises tant pour les crises de change que pour les crises bancaires ont t utiliss pour reprer lincidence des dsquilibres des fondamentaux. Toutes ces tudes montrent que les crises financires sont prcdes dune phase de vulnrabilit financire pendant laquelle se produit une dtrioration gnrale des fondamentaux, ou plus exactement un accroissement des dsquilibres apparents, mais aucune cause ou ensemble de causes assignables aux crises financires nest dtectable (complment de Cartapanis). Ce constat est corrobor par le fait quen Asie comme en Amrique latine et en Russie les marchs nont pas anticip la crise : les spreads (carts de taux mesurant la prime de risque) de taux qui prcdent la crise sont modrs voire faibles et ils sont dclinants, pour toutes les conomies y compris pour la Turquie, condition de considrer les spreads rels. Il est aussi confirm par le fait que les modles de crises construits avant la crise asiatique (Frankel et Rose, 1996 et Sachs, Tornell et Velasco, 1996), ne permettaient pas de la prvoir (Berg et Patillo, 1999, Furman et Stiglitz, 1998 et Bell et Pain, 2000). Mais cela ne veut pas dire que lon ne puisse pas voir venir les crises financires (complment de Dehove).

10. Lampleur des phnomnes de contagionLa contagion est un des traits marquants des crises financires des annes quatre-vingt-dix, le plus nigmatique aussi et le plus dangereux pour la croissance et la stabilit des relations internationales : la crise du SME en 1992-1993, est une des premires grandes manifestations de la grande contagiosit des crises rcentes : partie de la FinLES CRISES FINANCIRES

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lande (ou de lItalie, qui fut la premire conomie europenne dprcier sa monnaie aprs le rfrendum danois), elle sest tendue aux autres pays europens avec le caractre massif, en partie aveugle et largement mystrieux dune pidmie : massif, parce que presque tous les pays europens ont t frapps et la crise de change a fait voler en clat un systme montaire europen qui paraissait robuste depuis 1987 ; en partie aveugle, la crise a frapp des pays dont la monnaie pouvait paratre fragile (Italie, Espagne), et sest propage des conomies dont la monnaie ne prsentait aucun risque de faiblesse (France, Irlande) tout en pargnant certaines monnaies (Pays-Bas) ; cette crise est galement mystrieuse, parce que sa diffusion na pas emprunt les canaux traditionnels (commerciaux, financiers ou strictement montaires) de linterdpendance conomique ; la crise mexicaine de 1994 et son effet tequila confirment limportance de la contagion dans les crises rcentes. Lanalyse de la prime de risque (le spread) sur les titres Brady (issus du dernier plan de rsoption de la crise de 1982) montre une concomitance frappante entre la dstabilisation des monnaies mexicaine, argentine, brsilienne et mme, en Asie, de la monnaie des Philippines. Dautres indicateurs que les primes de risque suggrent, par ailleurs, quen Amrique latine les monnaies du Prou et du Venezuela ont aussi t attaques, en Asie les monnaies de Thalande et de Hong Kong, en Europe la monnaie hongroise. Sans pour autant que toutes les conomies proches de lpicentre mexicain soient touches puisque, par exemple, la monnaie chilienne a t pargne par la spculation grce des politiques efficaces, fondes en partie sur le contrle des entres de capitaux. Cette concomitance, l encore, est largement mystrieuse car, ni une cause commune de crise la hausse des taux dintrt amricains comme en 1982, au moment de la crise de la dette ni de fortes interdpendances par le commerce notamment ne peuvent tre invoques de faon convaincante ; la crise asiatique de 1997 se prte un diagnostic en tout point comparable. La contagion est encore plus frappante dans le cas de la crise asiatique qui affecte simultanment les Philippines, la Thalande, lIndonsie et mme la Core dont la conjoncture conomique et les spcialisations sont pourtant trs diffrentes (figure I.7) ; pour sa part, la crise russe de 1998 lverait les derniers doutes : le dcrochement du rouble en 1998 a t suivi dans le mois suivant par une brutale chute, inexplicable par les fondamentaux, de 50 % de la bourse brsilienne alors que les liens entre le Brsil et la Russie sont capillaires et que les deux conomies ont des structures conomiques et financires trs diffrentes ; enfin, au-del du march des changes et des systmes bancaires, les crashes simultans des marchs boursiers de 1987 des pays dvelopps, des pays latino-amricains partir de 1994 et des marchs asiatiques en 1997-1998 montrent que le phnomne de contagion npargne ni le march des actions, ni le march des obligations. 34CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

I.7. Taux de change des diffrents pays asiatiquesa. Taux de change effectif nominal 140Philippines

120 100

Malaisie Thalande Core

80 60 40 20 0 1992

Japon

Indonsie

1993

1994

1995

1996

1997

b. Taux de change effectif rel 160 140 120 100 80 60 40 20 0 1992 1993 1994 1995 1996 1997Indonsie Core Malaisie Philippines

Thalande

Source : FMI.LES CRISES FINANCIRES

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La recherche conomique rcente sest intresse de trs prs ce phnomne, qui nest pas nouveau, pour en prciser les formes actuelles nouvelles et en valuer les effets. Elle sest heurte de grandes difficults conceptuelles et empiriques quil est important dvoquer ds prsent tant lide de contagion des crises financires est dune familiarit trompeuse, une explication faussement simple de la propagation des crises financires rcentes. Difficults conceptuelles dabord : derrire cette ralit en apparence simple de contagion emprunte, sans grande prcaution, la mdecine des formes trs diffrentes de transmission des crises dune conomie une autre, ou mme dun march un autre, sont confondues. Le concept de contagion des crises financires est complexe. Masson (1998) pour clarifier la notion de contagion a suggr den distinguer trois formes principales, selon les causes possibles de la concomitance, ventuellement dcale, dpisodes de crise identiques ou semblables dans des pays diffrents, proches gographiquement et conomiquement, sans que cette proximit soit gnrale : une mme srie de perturbations se dveloppe dans des pays diffrents parce que ces vnements dcoulent dune mme srie de causes communes aux deux pays. Exemples : la hausse brutale des taux dintrt amricains dans la priode prcdant la crise de la dette des pays en dveloppement au dbut des annes quatre-vingt qui a dbut par la dclaration de dfaut du Mexique en aot 1982 ; la dprciation du dollar par rapport au yen peu avant la crise asiatique de 1997. Masson appelle monsoonal ce type de contagion ; des perturbations, identiques ou non, affectent des conomies diffrentes parce que ces conomies entretiennent des relations dchanges nourries, commerciales ou financires. Exemple : la crise des changes en Europe en 1992 et 1993 sexplique, pour une part, par le caractre fortement intgr des conomies europennes. Cette forme de contagion est dite dbordement ou spill-over ; les propagations internationales des secousses financires qui ne sont ni des effets monsoonal ni des effets de dbordement, qui restent largement inexpliques par les thories courantes et pour lesquelles il faut faire appel des causes subjectives (le sentiment des oprateurs, le climat des affaires) ou objectives (le cot de linformation, la concurrence des intermdiaires financiers, etc.), relvent pour Masson de la contagion pure . Elles peuvent tre intgres dans des modles quilibres multiples (par leffet sun spot ) ou non. Elles sont rapportes au comportement des investisseurs et, en gnral, associes des comportements moutonniers, mais pas toujours, ce qui est trs important dun point de vue thorique et politique. Les deux premires formes de contagion sont fondes sur la synchronisation de fondamentaux (fundamentals-based contagion) selon lexpression de Calvo et Reinhart (1996). Mais cette diffrenciation thorique de la contagion selon les canaux de transmission des crises sajoute une autre diffrenciation thorique plus 36CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

subtile, selon le degr dintensit de la crise. La contagion proprement dite est alors dfinie comme une augmentation brutale de linterdpendance financire des conomies. Elle est mesure par laugmentation exceptionnelle de la corrlation des rendements des titres financiers, des flux financiers, de la vitesse de propagation dun choc, de la probabilit dune attaque spculative, ou, enfin, de la volatilit des marchs. Cette shift contagion est la contagion du stress et de la panique financire. Difficults empiriques ensuite : les tudes relatives la premire dfinition de la contagion (celle de Masson dans ses trois formes, oppose la shift contagion ) sont nombreuses et menes avec des techniques didentification trs diffrentes ; elles concluent toutes lexistence dun fort effet de contagion des crises financires rcentes et la trs grande complexit du phnomne. Les rsultats des tudes relatives la shift contagion sont beaucoup plus discutes. Si lon se limite la premire dfinition de la contagion, celle de Masson, qui ne se pose pas la question de la contagion de stress de la shift contagion , les rsultats des tudes empiriques sont trs convergents et assez simples. En ce qui concerne les crises de change, Eichengreen, Rose et Wyplosz (1996a et b) par exemple, suggrent quune attaque spculative dune autre monnaie accrot de 8 % la probabilit dune crise de change. Glick et Rose (1999) montrent que la contagion varie selon les types de crise et quelle est indpendante des dsquilibres fondamentaux. Masson (1998) tablit que les conditions thoriques de la contagion pure taient runies pour certains pays dAmrique latine. Enfin Kaminsky et Reinhart (2000) montrent que la contagion est avant tout un phnomne rgional qui transite principalement par le canal bancaire plus que par les marchs financiers et les marchs des biens, et quil est non linaire (le risque de contagion apparat seulement lorsquun certain nombre dconomies appartenant une mme rgion entrent en crise). Sur les marchs financiers, le calcul des coefficients de corrlation des volutions des prix des titres entre les marchs fait apparatre lexistence dune forte interdpendance qui confirme que les mcanismes de contagion financire qui sont luvre lchelle internationale sont puissants. Ainsi, sur la priode 1994-2001 sur donnes journalires Rigobon (2002) obtient des coefficients de corrlation de 56,6 % pour les pays dAmrique latine, de 60,8 % pour les pays du sud-est asiatique et de 41,8 % pour les pays de lOCDE. Forbes et Rigobon (2000) montrent aussi que ce degr lev de contagion est encore plus lev pour le march des titres publics en Amrique latine, et, plus gnralement, pour les pays nouvellement financiariss, alors que le prix de ces bons (latin eurobons ou le stripped yields on the EMBI+, index construit par JP Morgan et principalement compos de bons Brady) est trs volatil, cause de la prime de risque, et trs sensible aux crises internationales. Mais la prime de risque relative entre les pays est remarquablement stable. La dimension rgionale du risque est donc tout fait importante. Et cette conclusion peut tre tendue aux autres pays nouvelLES CRISES FINANCIRES

37

38I.6. La crise boursire ouverte en 2000 est atypique (tats-Unis)Niveau des PER et indicateurs de la situation du march pr-crise pour chacune des crises du S&P 500Dure de la chute des cours PER Sommet/ Plancher Longueur du march pr-crise Dure de recouvrement Krach de 20 % sur 1-2 jours Return pr-crise En % oui oui 13 mois 14 mois 27 mois 13 mois 22 mois 33 mois 14 mois 30 mois 6 mois 6 mois 18 mois 23 mois 4 mois 26 mois 2 ans et 6 mois 2 ans et 11 mois 4 ans et 1 mois 8 ans et 2 mois 3 ans et 5 mois 25 ans 9 ans et 2 mois 4 ans et 9 mois 4 ans et 1 mois 21 mois 3 ans et 3 mois 7 ans et 6 mois 23 mois nc 14,81/11,45 13,60/9,35 14,66/14,14 6,92/5,31 10,07/14,02 20,17/9,35 16,77/10,95 15,36/7,69 21,74/14,64 22,49/16,03 18,49/13,69 18,09/7,54 21,42/13,77 27,97/29,05 > 4 ans 3 ans et 1 mois 12 mois 23 mois 22 mois 3 ans et 6 mois > 4 ans 18 mois > 4 ans > 4 ans 26 mois 2 ans et 7 mois 3 ans et 1 mois > 4 ans + 14,49 + 17,54 + 13,73 + 18,70 + 19,80 + 33,19 + 30,57 + 19,38 + 23,92 + 15,49 + 16,05 + 18,97 + 28,76 + 22,36

CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

Date du Sommet

Amplitude En %

Septembre 1902 Septembre 1906 Septembre 1912 Novembre 1916 Octobre 1919 Septembre 1929 Fvrier 1937 Octobre 1939 Mai 1946 Dcembre 1961 Dcembre 1968 Janvier 1973 Aot 1987

Aot 2000

29,27 37,69 25,46 43,40 31,89 84,76 45,39 39,22 21,44 22,46 29,02 43,35 26,84 42,51

Source : Boucher (2003).

lement financiariss dAfrique, dAsie et la Russie. Pour un chantillon large et diversifi de pays sur toute la priode 1994-2001, le plus petit coefficient de corrlation entre les marchs est de 80 %. Forbes et Rigobon montrent aussi que les marchs dactions des pays nouvellement financiariss sont extrmement volatils, trs sensibles aux chocs extrieurs (notamment extrieurs leur rgion) et corrls entre eux, pour certains dentre eux, sans que cette interdpendance ait un caractre aussi systmatique que pour le march des titres. Quant la shift contagion , nombre dtudes concluaient lexistence dune contagion spcifique de la panique (cf. le survey dans Forbes et Rigobon, 2000), se fondant sur lobservation de laugmentation du coefficient de corrlation des cours des titres des diffrents marchs nationaux avec laugmentation de la volatilit de ces cours. Mais, et cest ici que la difficult empirique relative la shift contagion brouille tout, Forbes et Rigobon (1999) ont montr que cette augmentation pouvait tre due, en partie ou en totalit, de simples effets statistiques (dhtroscdasticit, dendognit des variables ou domission de variables). Les diffrentes techniques statistiques mises en uvre pour corriger ces biais statistiques aprs cette critique (Forbes et Rigobon, 2002, Rigobon, 2002, Dungey et Martin, 2002, Ganapolsky et Schmukler, 1998 et Corsetti, Pericoli et Sbracia, 2002), ne permettent pas encore de conclure sur ce point.

11. Une nouvelle forme de crise boursire : le krach rampant ou lentLa crise boursire qui sest dclenche aux tats-Unis en mars 2000 compte parmi les plus dures de lhistoire des crises boursires. La chute des cours aux tats-Unis slve 42,5 % aprs une priode de 26 mois, ce qui la met sur le mme rang que les crises les plus svres (1916, 1937, 1973), lexception de la crise de 1929 qui ne semble, ce jour, comparable aucune autre par sa gravit (tableau I.6). Ce constat est aussi valable pour la crise franaise (baisse des cours de 56,66 % en fvrier 2003, soit trois ans aprs le dbut du krach), plus profonde que la crise amricaine. Comme les autres crises boursires, la crise boursire actuelle est universelle et profonde (cf. tableau I.2, supra). Elle a cependant dimportantes spcificits qui la distinguent des prcdentes grandes crises boursires. Elle est lente, sans cependant tre la plus lente (1912, 1919, 1939, 1968). Elle est plus continue : la plus importante variation journalire du Dow Jones enregistre pendant toute la crise a t de 4,6 %, le 19 juillet 2002 (mis part le 17 septembre 2001, suite aux attentats terroristes). Enfin, cette crise prsente un caractre unique : tandis que lors des autres crises, le PER (rapport entre le cours et le bnfice net par action) tendaitLES CRISES FINANCIRES

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progressivement diminuer avec les cours, ce ratio est rest remarquablement stable pendant la crise de 2000, alors quil avait atteint des niveaux jamais observs dans le pass avant une crise (27,97) et au plancher de la crise (29,05). Ce niveau est le double de sa moyenne depuis 1871 (14,72), moyenne que certains observateurs (Campbell et Shiller, 1998) considrent comme sa valeur dquilibre. Ce niveau lev du PER pouvait traduire une survaluation des cours, suggrant une poursuite de la dpression boursire. Loriginalit de ces mouvements appelle interprtation. Dans les capitalismes contemporains, laccroissement des richesses quils dtenaient a gnralis les comportements patrimoniaux de la part des individus alors que simultanment, lessor de la valeur actionnariale a focalis lattention des gestionnaires dentreprises sur la gestion des variables de stock : capital productif, endettement, gestion optimise des actifs financiers et rels. Ds lors simpose une hypothse : lvolution atypique des cours boursiers, mais aussi la longueur de la phase dajustement observe aux tats-Unis aprs lclatement de la bulle Internet tiendrait un progressif ajustement des structures de bilan par la rsorption des surcapacits productives, la rduction du volume et de la maturit de lendettement ou encore la recomposition de la rpartition de lactionnariat aprs la flambe des mgas fusions. En effet, aprs limplosion de la bulle financire, un nombre important de grandes entreprises se sont retrouves avec des structures de bilan fortement dtriores la suite doprations de fusions-acquisitions payes au prix fort et qui avaient entran un gonflement considrable de leur endettement et de leurs actifs intangibles (carts entre le prix dacquisition et le prix courant, cest--dire plus-values latentes) (Picart, INSEE, 2003). De fait, lextrme plasticit de loffre financire dans un rgime libralis et globalis semble avoir pouss la spculation des niveaux sans prcdent. Les politiques forces dassainissement des bilans, et notamment la dprciation des carts dacquisition, ont dgrad les rsultats financiers des entreprises, ce qui a pes sur la conjoncture conomique et financire des annes 2000 (Plihon, CGP, 2002). Toutefois, plusieurs facteurs semblent avoir jou le rle damortisseur de la crise. Ce sont, en premier lieu, les politiques de soutien du march immobilier et de relance budgtaire menes aux tats-Unis. En second lieu, les systmes bancaires ont fait preuve de rsilience dans les principaux pays industrialiss ( lexception du Japon) grce des politiques prudentielles et de gestion des risques efficaces. Enfin, la varit des dtenteurs dactions, et notamment limportance prise par la gestion collective de lpargne (on songe aux investisseurs institutionnels), a rduit le risque de comportements de panique tels que ceux observs lors du krach de 1929. Les donnes collectes pour les tats-Unis (figure I.8a), et un moindre degr pour la France (figure I.8b), tendraient confirmer ce diagnostic dun krach boursier atypique et paradoxal, la fois lent et profond, qui ne semble pas devoir dboucher sur une crise systmique et dflationniste, mais dont lissue demeure incertaine plus de trois ans aprs son dclenchement. Face ces observations et anomalies par rapport lhistoire longue des crises financires, les conomistes ont dvelopp un large ensemble de recherches, non seulement empiriques mais aussi thoriques. Cest lobjet du chapitre suivant que de faire le point sur les avances correspondantes. 40CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

I.8. Les socits non financires en comptabilit nationale

a. Socits amricaines 3,0 2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0,0 1952En valeur de remplacement

Dernier point estim : juin 2002Price to book : Capitalisation (Prix de march) / Fonds propres (Actif total Dette)

En valeur historique

1956

1960

1964

1968

1972

1976

1980

1984

1988

2002

b. Socits franaises 1,4 1,2 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 0,0 1977Price to book au sens du Q de Tobin : Capitalisation (au prix de march) diminue des participations dtenues lactif / Fonds propres (Actif total Dette) diminue des participations lactif

Dernier point estim : fin juillet 2002

1980

1983

1986

1989

1992

1995

1998

2001

Source : Plihon (2002), pp. 55-56.LES CRISES FINANCIRES

41

Chapitre II

Du ct des thories des crises financires : sept propositions

Le propos de ce chapitre est de livrer des outils danalyse permettant une interprtation, la plus gnrale possible, de lorigine des processus qui conduisent aux faits styliss successivement prsents par le prcdent chapitre. Ainsi que le note Olivier Jeanne (2003), tout comme entre les deux guerres la crise de 1929 avait suscit une gnration de thories et de formalisations tant des crises boursires que des crises frappant lconomie internationale, la priode contemporaine a suscit un regain dintrt pour les crises financires de la part des thoriciens, alors que le phnomne mme tait quasiment absent de lanalyse macroconomique comme des thories financires (figure II.1). Fort logiquement les premiers modles ont cherch rendre compte des crises latino-amricaines des annes quatre-vingt, partir de la formalisation de lincompatibilit entre un rgime de change fixe et une extension du crdit pour financer des dficits budgtaires (tel est le point de dpart du complment dAndr Cartapanis). Ce sont les modles de premire gnration pour reprendre la terminologie de Paul Krugman, auteur du premier de ces modles de crise de change (Krugman, 1979). Pourtant ce cadre danalyse devait savrer incapable de rendre compte de la crise de change des monnaies europennes en 1992-1993, do en raction une seconde gnration de modles dans lesquels les anticipations des agents concernant la viabilit dune politique conomique poursuivant un arbitrage entre lutte contre linflation et plein emploi taient susceptibles dengendrer soit un quilibre avec change stable soit au contraire une brutale dvaluation. Ces modles qui tentent de rendre compte du processus de dclenchement des crises de change dans les rgimes de change fixe sinscrivent dans des cadres thoriques opposs. Les premiers se placent dans le cadre de lapLES CRISES FINANCIRES

43

proche montaire de la balance des paiements, les seconds dans le cadre des hypothses keynsiennes, dans la mesure o le gouvernement doit arbitrer entre niveau dactivit et stabilit du change, ce qui cre une incertitude que les marchs financiers peuvent exploiter et prcipiter ainsi un brutal changement de lquilibre macroconomique (Jeanne, 2000). Mais la crise asiatique de 1997 devait nouveau dfier les progrs de lanalyse et faire apparatre le rle crucial des mouvements de capitaux courts dans une conomie caractrise par des mcanismes de surveillance prudentielle des banques fort imparfaits et un rgime de change fixe de facto ou de jure (cf. complment de Virginie Coudert). Ds lors, pointe lanxit du thoricien : quelle sera la forme de la prochaine crise financire (Krugman, 2001) ?II.1. La recherche thorique stimule par loccurence des crises financires internationales (nombre darticles sy rfrant)500

400

300

200

100

0 1980

1985

1990

1995

2000

Source : Jeanne (2003).

Fort de la richesse et de la diversit de ces travaux, le prsent chapitre renonant lide quil puisse exister un modle unique des crises financires tente dextraire de toutes les recherches foisonnantes quelques-uns des mcanismes gnraux que lon retrouve des degrs divers et diffremment combins dans les diverses crises qui se sont succd. En un sens, chaque crise est spcifique quant son origine, son droulement et son issue et pourtant, un certain niveau dabstraction, ne cessent de jouer dans toutes les crises une srie de mcanismes lmentaires, trs largement identiques quant leur nature mais diffrents quant leur intensit, et surtout leur combinaison. Par souci de clart, ces mcanismes primaires sont prsents sous forme de propositions. Ils sont ordonns partir des plus lmentaires et fondamentaux et sont ensuite recomposs au niveau dun systme financier. 44CONSEIL DANALYSE CONOMIQUE

1. Premire proposition : les marchs financiers sont des marchs de promessesDans un monde la Arrow-Debreu (1954), r