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Les (grands problèmes de l’éducation dans le monde Essai d’analyse et de synthèse par Jean Thomas Préparé pour le Bureau international d’dducation Les Presses de l’Unesco Paris 1975 Presses Universitaires de France

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Les (grands problèmes de l’éducation dans le monde Essai d’analyse et de synthèse

par Jean Thomas

Préparé pour le

Bureau international d’dducation

Les Presses de l’Unesco

Paris 1975 Presses Universitaires de France

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Études et enquêtes d'éducation comparée

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Ouvrages parus dans cette collection : La déperdition scolaire : un problème mondial Étude statistique sur les déperditions scolaires Initiatives en éducation : une esquisse à 1’Cchelle mondiale,

Les grands problèmes de 1’Cducation dans le monde. 1971-1972

Essai d’analyse et de synthèse

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Publit par les Presses de l’Unesco 7, place de Fontenoy, 75700 Paris et les Presses Universitaires de France 108, boulevard Saint-Germain, 75279 Paris, Cedex 06

Imprimerie des Presses Universitaires de France Vendôme (France)

ISBN 92-3-201997-9 f3d. angl. : 92-3-rorzg7-5

0 Unesco 1975

Les désignations employées et la présentation adoptée ici ne sauraient ttre interprétées comme exprimant une prise de position du Secrétariat de l’Unesco sur le statut légal ou le régime d’un pays ou d‘un territoire quelconque, non plus que sur le tracé de ses frontihes.

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Préface

Sans qu’on puisse dtjà parler de tradition, le Bureau inter- national d’tducation, depuis son intégration à l’Unesco en 1969, s’est efforct de publier dans sa strie (( Études et enquêtes d’édu- cation comparée )> des études issues des travaux de la Conférence internationale de l’éducation. Il ne s’agit pas de prtsenter un compte rendu des dtbats de la conférence; le but de cette strie est plutôt de proposer au grand public, et surtout à ceux qui sont concernts par l’tducation, une vue synthétique d’un pro- blème majeur - par exemple, le thème sptcial auquel est consacrte une partie des travaux de chaque session de la conft- rence - ou l’ttude plus géntrale des grandes tendances de l’tducation pendant une ptriode donnte.

En 1973, lors de la 34e session de la Conférence inter- nationale de l’tducation, qui s’est tenue à Genève du 19 au 27 septembre, le thème sptcial était a Les liens entre l’tducation, la formation et l’emploi, notamment en ce qui concerne l’ensei- gnement secondaire >), tandis que les grandes tendances dans le domaine de l’éducation faisaient l’objet de dtbats en séance plt- nière. Ces deux sujets sont traités dans l’ouvrage de Jean Thomas, qui est toutefois alle plus loin dans son étude des grands problèmes auxquels les États membres de l’Unesco ont àfaire face. Ainsi qu’il l’explique lui-même, il s’est fondé sur les travaux de conférences internationales et rtgionales organisées par l’Unesco ou d’autres organisations au cours des deux ou trois dernières anntes, ainsi que sur les conclusions de certaines réunions plus spécialisées. 11 en rtsulte un vaste panorama des problèmes les plus actuels de l’tducation, prtsentts suivant une progression logique.

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En premier lieu, le système d’enseignement dans son ensemble, ou plutôt les rCformes partielles et globales qui voient le jour dans toutes les régions du globe, 1’Cducation se devant de suivre les changements profonds de la sociCtC et de trouver une solution aux problèmes les plus urgents. Puis quelques points nCvralgiques : l’enseignement secondaire, vu notamment sous l’angle des ddbouchts qu’il offre dans le monde du travail, l’enseignement supdrieur et les perspectives nouvelles qu’il ouvre, 1’Cducation des adultes, domaine illimitt et d’une varitte infinie. Il est bon de rappeler que ces trois thèmes ont CtC traitCs lors de grandes confdrences internationales rCunies par l’Unesco : la 34e session de la ConfCrence internationale de 1’Cducation (Genève, 1973), la deuxième Confdrence des ministres de 1’Cdu- cation des fitats membres d’Europe (Bucarest, 1973) et la troi- sième ConfCrence internationale sur l’tducation des adultes

La parution en 1972, sous le titre Apprendre ci étre, du rapport de la Commission internationale sur le dtveloppement de l’&du- cation, qui &ait prCsidCe par M. Edgar Faure, marque un jalon important dans la vie et la pensCe de l’Unesco. Son retentissement a largement dtpassC le cadre de l’organisation : les idCes qui y sont contenues ont en effet CtC discutdes dans les États membres, et les rCflexions qu’il a suscitdes ont fait l’objet d’un dtbat animC à Genève en septembre 1973. Il n’est donc guère surprenant de trouver dans le prdsent ouvrage trois chapitres consacrCs à ce rapport. Deux aspects de celui-ci semblent avoir particulièrement frappe l’auteur, qui est ainsi amen6 à examiner le rôle de l’inno- vation dans la recherche de solutions nouvelles aux problèmes de 1’Cducation et la crise que paraît subir la coopCration inter- nationale en matière d’tducation.

Pour brosser cette fresque, le Bureau international d’Cduca- tion a eu le privilège de bCnCficier du concours particulièrement CclairC de Jean Thomas, président de la Commission nationale française pour l’Unesco. Pour mener B bien la tâche qui lui etait confite, celui-ci a puisé dans la riche expdrience qu’il a acquise, d’abord à l’Unesco, en exerçant les fonctions de sous-directeur gCnCra1, puis au Ministère français de 1’Cducation nationale, en tant qu’inspecteur gCntral de l’instruction publique. Il a Cga- lement tir6 profit de ses rdflexions personnelles sur les rCcents

(Tokyo, 1972).

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dCveloppements de l’dducation, dont il a toujours kté le temoin attentif et critique. C’est ainsi qu’on lui est redevable de la conception originale de cette dtude, où il exprime des opinions qui ne sont pas ndcessairement celles de l’Unesco.

Le Bureau international d’dducation a en outre un motif tout particulier de se rdjouir de ce concours; Jean Thomas connaît, en effet, de longue date le BIE : il a dirigé à maintes reprises la ddldgation française à la Confdrence internationale de l’dducation et, surtout, c’est sous sa prdsidence, ferme et avisde, que le BIE a vdcu les quatre premières anndes de son intdgration à l’Unesco. Le Secrdtariat du BIE saisit donc cette occasion d’exprimer une fois encore sa profonde gratitude à Jean Thomas : la prdsente dtude n’est que la plus récente manifes- tation d’une longue et fidèle coopdration.

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Table des matières

Chapitre premier Chapitre deux

Chapitre trois

Chapitre quatre

Chapitre cinq

Chapitre six Chapitre sept

Avant-propos I I

L’éducation en mouvement 13

L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi 39 Problèmes et perspectives nouvelles de l‘enseignement supérieur 60 Une étape dans l’éducation des adultes 81 Le rapport de la Commission internationale sur le développement de l’éducation 107 Priorité l’innovation I 27 Une crise de la coopCration internationale ? 143 Bibliographie sommaire I 65

Index 169

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Avant-propos

Relever, pour une période donnée, les grandes questions que l’éducation pose aux différents États du monde, discerner, à travers les réformes récentes, les principales tendances qui se font jour : tel est l’objectif que je m e suis fixé en travaillant à cette étude, qui se devait d’être brève. Ce programme peut sembler ambitieux. Je ne me flatte ni d’être complet, ni d’avoir même su retenir l’essentiel; en pareille matière, certains choix sont toujours arbitraires. Je me suis d’abord fondé sur les thèmes proposés aux assemblées internationales qui traitent des pro- blèmes d’éducation. En 1972, outre la dix-septième session de la Conférence générale, l’Unesco a convoqué sa troisième Confé- rence internationale sur l’éducation des adultes. Remontant un peu en arrière, j’ai mis à profit les travaux de deux conférences régionales, celle des ministres de l’éducation et des ministres chargés de la planification économique des États d’Amérique latine et celle des ministres des États de l’Asie, toutes deux réunies dans la seconde moitié de 1971. En 1973, la Conférence inter- nationale de l’éducation a tenu sa 34e session; plus tard dans la même année a eu lieu la deuxième Conférence des ministres de l’éducation des États membres de l’Europe.

Ces conférences ont le grand inttrêt de donner matière à de longs travaux préparatoires : chaque État participant est en effet invité à prtsenter un rapport dEtaillt, dont les grandes lignes sont tracées par un questionnaire. Rien de plus instructif ni de plus suggestif, dans leur diversité, que ces rapports nationaux qu’il m’a été donné de consulter. Le temps n’est plus où les gou- vernements aimaient à tirer avantage de leurs réalisations dans le

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12 Avant-propos

domaine de l’éducation; c’est plutôt sur leurs difficultés et sur leurs problèmes qu’ils ont désormais tendance à insister. Rapports nationaux, statistiques tlaborées à cette occasion, ttudes préalables des secrétariats internationaux, comptes rendus des débats, réso- lutions finales : j’ai disposé d’une ample et riche documentation.

J’ai utilisé aussi les travaux de réunions restreintes - collo- ques, séminaires, comités d’experts - convoqutes pendant la même ptriode en diverses régions du monde, tantôt à l’initiative de l’Unesco, tantôt sous l’égide d’autres institutions internatio- nales, l’OCDE notamment, ou de certains organismes rtgionaux ou nationaux. L’année 1972 a Ctt marquée par un évenement d’une portée mondiale : la publication du rapport élaboré par la Commission internationale sur le développement de l’tduca- tion, communément appelée, du nom de son président, la Com- mission Edgar Faure. Les idées exprimées dans le rapport, comme les travaux qu’il a suscités dans de nombreux pays et au sein de l’Unesco, ont inspiré les trois derniers chapitres de mon étude.

Mais à côté des publications plus ou moins officielles, il m’a paru nécessaire de m e référer à un grand nombre d’études, parues en différents endroits sur les thèmes que j’avais retenus. Ainsi le point de vue des gouvernements a-t-il pu être comparé avec celui d’experts indtpendants, qui n’engagent qu’eux-mêmes. Si objectif que je m e sois efforcé d’être dans le traitement des informations recueillies, je ne m e suis pas non plus interdit de poser à mon tour des questions, d’exprimer parfois mes opinions et de puiser dans ma longue exptrience personnelle. Comment parler d’tducation sans se mettre àréfléchir, à discuter ou m ê m e àdouter?

Mon entreprise eût excédé mes forces si je n’avais pu compter sur le soutien d’une tquipe de spécialistes d’une compétence bien connue. Je ne saurais assez exprimer ma reconnaissance à Leo Fernig et à ses collaborateurs du Bureau international d‘éduca- tion. Sans leurs conseils, sans la documentation qu’ils tiennent à jour, sans les travaux de l’Office des statistiques de l’Unesco, je n’aurais pas ment à bien, dans la mesure de mes moyens, la tâche qui m’avait tté confiée.

Puisse cet ouvrage, dont je ne m e dissimule pas les lacunes, apporter au moins aux lecteurs des sujets de réflexion et peut-être quelques lumières, sur l’un des problèmes les plus graves de notre temps.

J, Th. Octobre 1974

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Chapitre premier

L’éducation en mouvement

A lire les rapports soumis à la Conférence internationale de l’éducation par les gouvernements de plus de cinquante États, en réponse à un questionnaire du Bureau international d’édu- cation sur les principaux changements survenus au cours des années 1972 et 1973, ainsi que les exposés oraux de beaucoup d’autres délégations, la première impression d’un lecteur attentif est que, dans toutes les régions du monde, les systèmes nationaux d’éducation subissent des changements nombreux et profonds. Il n’est pas de pays qui ne signale des réformes globales ou par- tielles. L’éducation est partout en mouvement.

La seconde impression qu’on retire de cette imposante documentation, c’est que le besoin de changement est partout ressenti. Qu’il s’agisse des jeunes États d’Asie ou d’Afrique, à la recherche d’un système éducatif adapté à leurs besoins comme à leur originalité culturelle, ou des pays dont les institutions sco- laires et universitaires ont derrière elles un long passé, les autorités responsables - gouvernements, parlements, partis politiques - aussi bien que les organes consultatifs et les experts sont partout en train de préparer, d’adopter ou d’appliquer de nouvelles réformes. Le changement est rarement subi comme une contrainte; on le souhaite, on l’appelle, on le provoque. Vers 1968, lorsque parut le livre de Philip H. Coombs qui annonçait <( la crise mondiale de l’éducation D, le seul mot de crise sonnait comme un avertis- i sement redoutable. En 1973, on ne peut plus parler d’une crise, ; c’est-à-dire d’un état soudain et provisoire. L’éducation s’est ins- tallée dans le changement, qui paraît désormais une condition nécessaire du progrès. D’où la nouveauté du ton qu’on relève

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dans les rapports officiels. Les tdmoignages de satisfaction y sont bien plus rares que les aveux de carence. Loin d’dprouver de la gêne à signaler leurs lacunes ou leurs difficultds, les autoritds res- ponsables de l’enseignement ne rdpugnent plus à l’autocritique. Et l’on est beaucoup plus enclin à leur faire confiance.

DIVERSITÉ DES RÉFORMES

Certaines des rtformes annonctes pour l’annte 1973 tirent leur origine d’un changement dans la politique gtnérale du pays soit par l’avènement d’un nouveau rtgime, soit par l’arrivde au pouvoir d’un parti. C’est ainsi qu’en Argentine le gouvernement national installe en mai 1973 a proclamé la ntcessitd d’une nou- velle structure de l’dducation, fondde sur les deux principes de la nationalisation et de la socialisation. Au Dahomey, le gouver- nement militaire a, dès la fin de 1972, fixd pour objectifs à l’ensei- gnement la revalorisation des langues et des cultures nationales ainsi que l’ouverture de l’universitd à une vocation africaine. A la mort du prdsident Tubman, le nouveau chef d’fitat du Liberia a donnd à l’tducation une haute prioritd, immddiatement après l’agriculture et avant la santd et les communications. En Nouvelle-Ztlande, le Parti travailliste, parvenu au gouvernement en novembre 1972, s’est empresst d’annoncer une réorientation de l’enseignement, dont le dttail sera arrêté par une conftrence nationale. Une nouvelle politique de l’dducation est tgalement annoncde au Pakistan, avec des objectifs aussi différents que la prtservation des valeurs islamiques, d’une part, et, de l’autre, l’importance accordde aux sciences et à la technologie.

Dans beaucoup d’autres pays, les changements survenus en 1973 sont prdsentds comme des ttapes dans la rtalisation d’une reforme prdcddemment adoptée. C’est en particulier le cas de la Bulgarie, qui annonce des mesures destindes à assurer le passage graduel de l’ancien enseignement de onze ans au nouveau système de dix ans, marqut par la crdation d’une dcole secondaire polyvalente. O u encore de l’Espagne, où une longue serie de dtcrets, d’arrêtds et de règlements permet d’appliquer avec autant de prudence que de rdsolution l’ambitieuse loi gdntrale d’dducation promulgute en août 1970. La France a entrepris une rdforme de son enseignement secondaire qui a

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L‘kducation en mouvement ‘5

subi des vicissitudes et n’a pas encore trouvC sa forme dCfinitive. La Norvège, sans prononcer la formule magique d’dducation permanente, ne s’engage pas moins dans la rdalisation d’un système intCgrC qui, de 1’Ccole maternelle, conduira jusqu’à 1’Cducation des adultes. Le Royaume-Uni, pour la partie qui concerne l’Angleterre et le pays de Galles, a dCcidC de prolonger la durCe de la scolaritd obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans. Les nouvelles dispositions dont l’Union soviétique fait Ctat cons- tituent, elles aussi, une Ctape dans l’application des directives donnCes, pour le IXe Plan quinquennal, par le 24e Congrès du Parti communiste, tenu au printemps de 1971. O n ne peut manquer de relever, pour la raretC du fait, l’adoption d’un nou- veau règlement mis en vigueur par le ministre de l’tducation de l’Union pour la ddfinition des devoirs des Clèves : application dans le travail, bonne conduite, participation aux activitCs sociales et sportives, respect de la propriCtt nationale. Pour la plupart des pays de cette catdgorie, suivant l’exemple donnC par la Suède, 1’Cducation semble avoir CtC dClibCrCment placCe dans la situation d’une reforme permanente : entendons par là que, les principes et les objectifs gCnCraux une fois fixCs, la rCforme se rCalise par une succession de changements partiels, sujets eux- mêmes à des ajustements ou à des redressements ultCrieurs.

Deux autres États, très CloignCs l’un de l’autre par le degrd de leur dCveloppement tconomique, se distinguent pour la har- diesse de leurs rCformes. Ayant entrepris, avec l’aide des organi- sations internationales et en particulier de l’Unesco, une rCvision critique de l’ensemble du système d’tducation et fait le point des efforts accomplis, comme des faiblesses et des lacunes encore constatCes, les autoritCs de 1’Éthiopie sont parvenues à la conclusion consternante qu’au train où allaient les choses et m ê m e au prix des plus grands sacrifices, il serait impossible de scolariser la majoritd de la population conCernCe avant le milieu du siècle prochain. Encore fallait-il reconnaître qu’un grand nombre de diplômCs ne trouvaient pas d’emploi et qu’en dehors des limites de 1’Ccole une masse d’adultes ne seraient jamais alphabCtisCs. En prCsence d’une situation aussi dbastreuse, des rCformes ne suffisaient pas; il fallait changer radicalement de politique, adopter une stratdgie en tout point diffdrente. On reviendra plus loin, dans cette Ctude, sur le difficile problème des

b

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16 L’éducation en mouvement

strattgies de l’tducation. Mais il convenait de saluer dès main- tenant le courage avec lequel les autoritts tthiopiennes se sont rCsolues à changer de cap, ce qui les a amenées, du même coup, à donner la prioritt à l’enseignement primaire et à 1’Cducation des adultes, à envisager de nouvelles structures, de nouveaux types de formation, une nouvelle rdpartition des ressources, à faire appel à des moyens tducatifs jusqu’ici nCgligCs.

Quant au Japon, il n’htsite pas à considtrer comme une date historique le moment où, au vu du rapport du Conseil central pour l’dducation, le gouvernement a rtsolu de s’engager dans une troisième rtforme gtntrale du système tducatif, la pre- mière ttant celle de 1’Cpoque Meiji, à l’aube du Japon moderne, et la seconde, celle qui a immddiatement suivi la dernière guerre mondiale. Seul de tous les États qui ont prtsentt des rapports nationaux sur les anntes 1971-1972, le Japon annonce que sa rCforme se situe expressement dans les perspectives d’une Cdu- cation permanente, depuis le stade prdscolaire jusqu’à celui de 1’Cducation des adultes; seul encore, il annonce une nouvelle définition du rôle spCcifique que l’tcole et l’universid sont appe- ltes àjouer dans cette perspective totale. Car il faut bien recon- naître que, jusqu’ici, les rares pays qui adoptent le principe de l’tducation permanente ont hdsitt à en tirer les constquences pour la partie de l’tducation qui s’adresse à la jeunesse des tcoles et des universitts. O n confond trop souvent l’tducation per- manente avec I’Cducation des adultes, ou encore la formation continue. C’est donc un parti courageux que le Japon vient de prendre; il y aura le plus grand intérêt à suivre le dtveloppement de son expdrience, qui a toutes les chances d’offrir, dans les anntes qui vont suivre, un exemple pour les autres pays.

MÉTHODOLOGIE DES RÉFORMES

Il n’est pas moins instructif de relever les diffdrentes mtthodes suivies pour l’élaboration des rtformes. Comme on l’a ddjà vu, certaines ont eu pour points de dtpart des circonstances poli- tiques, comme en Argentine, au Dahomey, au Liberia ou au Pakistan; d’autres, comme dans les pays socialistes et en par- ticulier à Cuba, sont l’effet d’une dtcision d’ordre politique : par exemple, les directives donntes par les organes suprêmes

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L’éducatiori en mouvement 17

d’un parti pour l’dlaboration d’un plan périodique. L’tducation vient s’instrer naturellement dans le cadre de ces directives gtntrales.

Mais dans bien d’autres pays qui ont un rtgime difftrent, les ttapes de la rdforme suivent le lent cheminement des travaux d‘experts, des experiences partielles, des consultations à divers niveaux, avant d’aboutir à des dtcisions. C’est ainsi qu’au Japon les dtlibérations de plusieurs conseils et comités, l’exptrimen- tation conduite dans un certain nombre d’écoles, primaires ou secondaires, choisies à cet effet, les recherches systtmatiques des instituts sptcialists, les expériences ttmoins des organismes de radio et de ttltvision, la participation de plusieurs universitts : tout ce long processus a été jugé nécessaire pour la mise en œuvre progressive de la réforme, placte sous l’autorité coordi- natrice d’un vice-ministre permanent de l’éducation. Sans doute, dans le cas du Japon comme dans tous les autres cas, la réforme de l’tducation a-t-elle un caractère politique, puisqu’elle engage les destintes de la nation; mais les tltments de la reforme, comme les organismes chargts de les mettre au point et de les ajuster, ont tous pour nature sptcifique une appréciation technique des besoins de l’tducation.

En Nouvelle-Ztlande, la réforme semble avoir pris son dtpart dans la rtunion d‘un groupe reprdsentatif des difftrents milieux inttressés, qui s’est réuni en août 1971 pour tvaluer les structures et les programmes de l’institution scolaire. Une bro- chure résumant les idées exprimtes au cours de cette rtunion a ttt largement diffuste dans le pays, pour servir de base à des rtflexions approfondies. Les opinions et les critiques suscittes par cette brochure, les conclusions des groupes de discussion formts d’tducateurs, de parents ou de simples citoyens, ont donnt une base à une conftrence nationale tenue en sep- tembre 1972. D’où un grand nombre de suggestions qui ont à leur tour provoqué les décisions de reforme. Il est d‘ailleurs intdressant de noter que le Parti travailliste, parvenu au pou- voir au mois de novembre suivant, ne s’est pas estimt satisfait des suggestions recueillies et qu’il a dCcidC d‘organiser au cours de l’année 1974 une nouvelle conftrence sur le dtvelop- pement de l’tducation, dont il attend sans doute des orientations plus audacieuses. Quoi qu’il advienne, voici une réforme qui

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aura donné l’occasion d’une large consultation démocratique. Au Mexique, l’annCe 1971 a Ctt consacrCe à une vaste

enquête d’tvaluation (ou plutôt à une a auscultation D, pour user d’un terme plus proche de l’original espagnol) des problèmes de l’Cducation, conduite à travers le pays, dans des confikences ou des skminaires, les uns rdgionaux, les autres nationaux, avec la participation des maîtres, des parents, des Clèves, des chefs d’industrie ou des techniciens, tout cet effort de consultation devant enfin converger sur le Ministère de l’Cducation, charge de formuler les principes de la rCforme.

Le projet de rtforme de l’enseignement secondaire, qui est en ce moment la grande affaire du Ministère de 1’Cducation nationale de France, a donnC lieu, en novembre 1973, à un vaste colloque national, prCparC et organist sous l’autoritC d’un comitC de onze personnalités indCpendantes, venues de tous les points de l’horizon social. Comme il fallait s’y attendre, étant donnd la division des opinions, le colloque n’a pu se mettre d’accord sur certains points essentiels, mais il a abouti à des conclusions una- nimes en ce qui concerne le ddveloppement des écoles mater- nelles, le renforcement de la mCdecine scolaire, la place accrue de la ptdagogie de soutien, l’abaissement progressif du nombre d’Clèves par classe lorsqu’il est suptrieur A vingt-cinq, l’accrois- sement des moyens audio-visuels m i s à la disposition des maîtres, l’extension des fournitures et transports gratuits aux divers niveaux de l’enseignement et dès la maternelle, la rdduction des difftrences de formation, de rdmuntration et d’horaires de travail entre les maîtres. Bien que les points d’accord puissent sembler mineurs en comparaison des points de ddsaccord (tels que le maintien ou la suppression des diffdrentes filières dans le premier cycle, l’efficacitd des groupes de niveau ou l’avenir du bacca- laurdat), le colloque national n’en a pas moins constitud une initiative importante et un nouveau style de consultation avant la mise au point d’un projet de rtforme.

Le Royaume-Uni n’a jamais eu un penchant très affirmd pour la planification. Aussi la dtclaration gouvernementale de ddcembre 1972, intitulde << L’tducation, un cadre pour l’expan- sion D, doit-elle être salute comme un tvtnement d’importance : elle trace en effet un plan de dix ans pour 1’Cducation en Angle- terre et au pays de Galles et propose cinq directions principales :

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L’éducation en mouvement 19

l’extension des Ccoles pour les enfants de moins de cinq ans, un large programme de constructions scolaires, un programme de recrutement des maîtres, de nouvelles mesures pour amCliorer la formation initiale et le perfectionnement de ces maîtres et un nouveau type d’dtudes supCrieures et de diplômes. Sans doute la plupart de ces mesures avaient-elles ttt suggdrtes par des comitCs ou des commissions, mais il n’en est pas moins remar- quable que, dans un domaine où les autoritCs locales jouent un rôle prCpondtrant, le gouvernement britannique ait, une fois encore, pris l’initiative de grands changements inscrits dans un plan d’assez longue durCe.

L’exemple du Royaume-Uni nous amène à considdrer deux tendances, en apparence oppostes, que l’on discerne dans le foisonnement des reformes. La première va dans le sens d’une ddcentralisation des structures de l’enseignement national. Dans plusieurs pays, tels que le Mexique et le Pakistan, le Ministère de l’tducation a dClCguC une partie de ses attributions à de nouveaux Cchelons administratifs plus proches de la rCalitC quotidienne. A la fois pour assouplir et pour simplifier l’administration, l’Algérie, l’Iran et l’Italie viennent de diviser leur territoire en districts ou en rtgions scolaires. Un pays aussi fortement cen- tralist que la France &ait dtjà allt assez loin dans cette voie, non seulement en accordant une autonomie totale à ses univer- sitCs, mais en renforçant les pouvoirs et les responsabilitds des recteurs d’acaddmie. La ddcentralisation semble ainsi rtpandre aux besoins d’une Cducation rCnovCe.

Mais, dans les pays où 1’Cducation est ddjà très largement dCcentralisde, on discerne dans le m ê m e temps la tendance inverse, les autoritCs fCdCrales dtant amentes à prendre des initia- tives plus hardies. La raison en est souvent d’ordre financier. Aux Etats-Unis, par exemple, la part du gouvernement fCdtral dans les dCpenses d’éducation ne cesse de s’accroître. En 1972, sur les 50 milliards de dollars que coûtait annuellement l’entre- tien des Ccoles publiques, primaires et secondaires, 7 % seule- ment Ctaient à la charge du gouvernement fCdCral, 41 y. à celle des États et 52 y. à celle des autoritCs locales. Les ddpenses locales Ctant essentiellement financees grâce aux impôts fonciers, il en rdsultait une grave inCgalitC, selon la richesse du sol et le rendement des impôts, d’une rtgion à l’autre ; certaines autoritCs

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20 L’éducation en mouvemeiit

locales en venaient même à de fâcheux expCdients : rtduction de la durte du travail scolaire, licenciement de personnel, ajour- nement de l’achat des Cquipements ndcessaires. D’où un vif mdcontentement et une atteinte au principe fondamental de 1’dgalitC devant 1’Cducation. La crise affectait encore davantage les Ccoles privdes et même des universitds de renom qui se trou- vaient dans l’obligation de relever les frais d’ttudes, au risque de compromettre le recrutement des Ctudiants. Une commission prdsidentielle fut donc chargte de mener à 1’Cchelon national une enquête sur le financement de l’dducation, dont les conclu- sions amenèrent le Congrès à une nouvelle kgislation. Rien n’est sans doute changé au principe de la souverainet6 des États en matière d’Cducation, mais les autoritCs fCdCrales vont être en mesure de soutenir plus activement les institutions d’enseigne- ment dans 1’intCrêt des cornmunautCs et des groupes ethniques les plus défavorisCs. Ainsi, par le biais du financement’ le gouver- nement central pourra intervenir plus souvent et avec plus d’effi- cacitC dans un domaine qui lui a longtemps CchappC.

Problèmes et solutions analogues dans un autre État de structure fkddrale, l’Australie. Jusque-là il ne s’agit en principe que de mesures d’ordre financier. Mais dans la Rtpublique fddCrale d’Allemagne les choses vont beaucoup plus loin. O n sait que la Constitution de 1949, si elle stipule que l’enseignement se trouve tout entier sous le contrôle de l’État, confie en fait cette responsabilitC aux gouvernements des Lünder. La ConfC- rence permanente des ministres de 1’Cducation a sans doute la tâche d’assurer une certaine coordination, mais les ddcisions, obligatoirement unanimes, ne constituent jamais que des recom- mandations à l’intention des Lünder, qui restent seuls juges de leur application. Or, au cours des rtcentes anndes, le besoin s’est fait gCntralement sentir d’une réforme de l’enseignement secondaire, dont les structures très complexes passent pour ddsuètes, et de l’enseignement professionnel, ddsormais contestd. Pour Claborer les principes de la rCforme, on dut recourir à la crCation d’une Commission mixte de planification de YCducation, oh les reprgsentants du gouvernement fddtral se retrouvaient sur un pied d’CgalitC avec ceux des Lünder. Le rapport de la commission, dCposC en juillet I 972, recommande des mesures urgentes, d’une portCe considCrable, telles que l’extension de

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L’iducalioti eii mouvement 21

l’dducation prtscolaire, le renforcement des ttudes techniques, la crtation d’un nouveau type d’dcole secondaire et le rapide accroissement du nombre des places dans les universitds. Sans doute est-ce aux Lander qu’il appartiendra de mettre en œuvre la reforme, dans la pleine souverainetd de leurs ddcisions. Mais on voit que, dans une affaire d’intdrêt national, le gouvernement ftdtral n’hCsite pas à prendre des initiatives et àjouer un rdle de plus en plus actif.

Dtcentralisation dans les pays très centralists, renforcement de l’action du pouvoir central dans les pays très ddcentralisds : ces deux tendances, moins oppostes que compldmentaires, cons- tituent sans doute les conditions ntcessaires du progrès de l’tdu- cation. Mais elles ne se sont manifesttes avec autant d’hidence qu’au cours de ces anndes 1972-1973.

PERSISTANCE DES PROBLÈMES

Cette ardeur au changement, cette proliftration de rtformes trahissent, selon les rapports de beaucoup de pays, une inquit- tude qui s’accroît à mesure que le temps passe, devant la persis- tance des mêmes problèmes. Les espoirs que ces pays avaient placés dans la planification sont souvent dtçus, ainsi que le Dahomey ou la Thaïlande le reconnaissent avec une louable franchise. Une rapide analyse de ces problèmes qui n’ont pas encore trouvt de solution aidera à se faire une idte plus exacte de la situation rtelle de l’dducation au cours des dernikres anntes.

Les déperditions scolaires

C’est peut-être le plus vieux des problèmes et le mieux connu, mais il ne cesse pas d’être grave. En Amdrique latine comme en Afrique et en Asie, en Argentine comme au Nigdria et en Thaï- lande, un grand nombre d’enfants continuent à dtserter l’tcole dès les premières anndes de leurs dtudes. Avec une amère ironie, la Malaisie constate qu’alors que la demande d’tducation se fait plus pressante et exige de la nation des sacrifices plus lourds, le nombre des abandons en cours de scolaritt ne tend pas à diminuer.

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22 L’éducation en mouvement

Les retards scolaires

fichecs et redoublements sont toujours la plaie de l’enseignement primaire, souvent même de l’enseignement secondaire. Les pays en voie de dCveloppement sont sans doute les plus durement affect& : au Dahomey, on calcule qu’un Clève sur cinq de ceux qui entrent à 1’Ccole parviennent à la cinquième annCe; au Zaïre, que 80 y. des enfants de 1’Ccole ClCmentaire ne parviennent pas au certificat d’Ctudes. Mais les Cchecs et les redoublements n’dpargnent pas non plus les pays hautement dtveloppds : le rapport de la Belgique les estime à 28 % pour l’ensemble de l’enseignement primaire; en France, de rCcentes statistiques font monter cette proportion jusqu’à près de 50 y. pour les deux dernitres annCes de cet enseignement.

Les facteurs d‘inégalité Que la scolarisation soit beaucoup plus pousste dans les villes que dans les campagnes, c’est ce que confirment les rapports de Cuba, de l’Éthiopie, de l’Irak, de la Jordanie, du LibCria, de la Malaisie, du Mali, des Philippines et de la Roumanie. Celui du Dahomey apporte des prdcisions inquittantes : si le taux de scolarisation est en moyenne de 30 % au niveau pri- maire, il s’tlève à 68 % pour la capitale, alors qu’il ne depasse pas 12 y0 dans les regions CloignCes. Autre facteur d’inCgalitC : la Jordanie avoue courageusement que les filles sont beaucoup plus rares à 1’CcoIe que les garçons. O n a vu qu’aux États-Unis les cornmunautCs les plus pauvres et les minoritCs ethniques ne disposent pas encore des mêmes facilitCs ni d’un enseignement de même qualit6 que le reste de la population. L’inCgalitC des chances devant l’tducation est donc partout ressentie comme un des problèmes les plus graves et les moins supportables, et l’on est obligC d’admettre que, les causes d’inCgalit6 Ctant davantage d’ordre social que ptdagogique, les solutions les plus efficaces ne sont pas toutes à la portte de 1’Ccole. C’est la sociCtC qui porte la plus lourde part de responsabilitC. Mais, même dans les pays socialistes, les facteurs d’inCgalitC ne sont pas tous CliminCs : les grandes villes n’offrent-elles pas des ressources plus nombreuses et plus varites que les campagnes, la situation des minoritCs

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L’èducation en mouvement 23

ethniques ou linguistiques, la différence du niveau culturel des familles ne sont-elles pas encore des obstacles à l’tgalité des chances ? Les rapports entre le système d’dducation et les struc- tures sociales se situent dtsormais au cœur de la plupart des problèmes de l’tducation : rapports qui ne sont d’ailleurs pas à sens unique, car si l’tcole reflète dans une large mesure l’ttat de la sociétt, n’est-elle pas aussi un facteur puissant de change- ment social ? Nous ressentirons les effets de cette tension dialec- tique pour chacune des grandes questions que nous allons aborder au cours de cette ttude. Mais quelles que soient les causes recon- nues ou soupçonntes de l’intgalitt des chances, tous les systkmes d’tducation cherchent dtsormais à les combattre dans la mesure de leurs moyens.

Recherche d‘une tht?rapeutique

Personne n’a encore trouvt de solution d’une efficacitt garantie au problème des abandons scolaires; la plupart des familles qui retirent leurs enfants de l’tcole, que ce soit dans des pays en voie de ddveloppement, comme l’Inde, ou dans des rtgions dtfa- voristes de pays industrialists, telles que l’Italie du Sud, sont pousstes par la ntcessité de faire travailler leurs enfants et de les faire participer, d’une façon ou de l’autre, à l’entretien de leur famille, Plus que par la coercition, c’est par une action concertée d‘information ou de persuasion que les autorités peu- vent le mieux agir. C’est dire qu’à ce point de vue les progrès sont très lents.

Les exptriences rtcentes de la ptdagogie offrent, par contre, des remèdes contre les retards scolaires : progression automatique d’une annte sur l’autre, suppression des examens de passage, rCpartition des tlèves en groupes de même niveau, ptdagogie de soutien, remplacement des examens périodiques par une tvalua- tion continue. O n voit en effet, d’après les rapports des fitats, notamment de la Belgique, de l’Espagne, de la France, de l’Italie, de la Nouvelle-Ztlande, que ces solutions sont de plus en plus en faveur; mais ce sont presque tous des pays dtveloppts. Pourtant, parmi les pays en voie de dtveloppement, les Philippines annon- cent la mise en Oeuvre d’un système de progression continue, qui permet à chaque enfant de passer de classe en classe selon son

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2 4. L’éducation en niouvement

propre rythme, les maîtres dtterminant au dtbut de l’annte scolaire le niveau de chacun de ses tlkes, de manière à le prendre au point où il est parvenu. Il faut toutefois reconnaître que ces mtthodes ne sont pas admises par tous les enseignants. Lors du colloque national organise en France en 1973 pour examiner le projet de rtforme de l’enseignement secondaire, on a vu que, si l’unanimitt s’est rtalisCe en faveur des ptdagogies de soutien, il n’en a pas ttC de même pour les groupes de niveau, certaines des plus puissantes organisations syndicales reprochant à ce sys- tème de renforcer la sClection, et même la sCgrCgation, parmi les Clèves. Ce qui tend à prouver qu’en matière de ptdagogie aucun progrès n’est ddfinitivement ni universellement acquis.

Parmi les solutions envisagtes pour combattre l’intgalitd des chances dues à I’inCgalitC des origines socio-culturelles des Clèves, les recommandations des sessions anttrieures de la Conftrence internationale de 1’Cducation en avaient surtout retenu deux : d’une part, les activitts librement organisdes dans les écoles en marge du travail scolaire, d’autre part, l’tducation préscolaire. Les activitts de la première cattgorie sont en effet en faveur dans beaucoup des pays les plus dCveloppts : foyers socio-culturels ouverts dans les Ccoles, clubs, activitCs artistiques ou thCâtrales, jeux pddagogiques, propres à stimuler les facultts crtatrices. Mais il faut avouer que ces solutions sont souvent coûteuses, qu’elles exigent à la fois des tquipements et des maîtres ou des animateurs prtparés à cette tâche. Toutes conditions que les pays les plus dtfavorisés considèrent à juste titre comme un luxe qu’ils ne peuvent pas se permettre.

L’autre solution est le dCveloppement de l’tducation prt- scolaire. U n très grand nombre de rapports nationaux soumis à la dernière session de la Conftrence internationale de l’éducation montrent qu’on se dirige de plus en plus dans cette voie, qu’il s’agisse des pays de l’Europe occidentale, des pays socialistes ou même de pays en voie de développement, tels que la Rtpublique arabe libyenne et le SCnCgal. La dtclaration du gouvernement britannique prCvoit un plan de dix ans pour la crdation de nom- breuses tcoles destinées aux enfants de moins de cinq ans. En Nouvelle-ZClande, sur le rapport d’une commission d’enquCte sptcialement constitute à cet effet, le DCpartement de l’tducation vient de décider d’accorder une aide financière de grande enver-

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L’kducatioiz en mouvement 25

gure pour encourager dans chaque district une rapide expansion des Ccoles maternelles. Cette attitude semble marquer un tour- nant dans les conceptions des pays anglo-saxons où, tout en reconnaissant l’inttrêt de ces tcoles, l’opinion publique hésitait jusqu’ici à confier à l’tcole une responsabilitt qui devait avant tout revenir à la famille. La Commission mixte ttablie dans la Rtpublique fCdtrale d’Allemagne entre les autoritts ftdtrales et celles des Lünder recommande, elle aussi, d’augmenter rapide- ment le nombre des Ccoles et des places disponibles dans tout le secteur prtprimaire. Quant à l’Espagne, elle s’oriente vers une Cducation prdscolaire diviste en deux niveaux successifs : le jardin d’enfants, pour les Clèves de deux et trois ans, et l’tcole mater- nelle, pour ceux de quatre et cinq ans. Si l’on ajoute que beau- coup d’autres pays, tels que la Bulgarie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, la Norvège, la Pologne ou l’Union sovit- tique, font Ctat des progrès spectaculaires enregistrts dans ce type d’Cducation, on ne peut manquer de conclure que l’tducation prtscolaire apparaît comme la solution de l’avenir.

Mais, là aussi, il faut faire des rtserves. Pour les pays les plus dtshtritks, où l’enseignement primaire a tant de peine à se gtntraliser, toute charge suppltmentaire constitue un luxe auquel on n’ose pas encore songer. En second lieu, rares sont les pays oh l’tducation prCscolaire s’intègre dans le système tducatif ; de caractère essentiellement volontaire, elle demeure presque par- tout soumise au choix des familles. Enfin et surtout, elle garde un caractère ambigu. Parmi les raisons que les gouvernements invoquent pour la recommander, le souci de venir en aide aux mères de famille contraintes de travailler en dehors du foyer se mêle aux arguments d’ordre ptdagogique, psychologique ou social. En d’autres termes, les Ccoles maternelles continuent à jouer, de la façon la plus ltgitime d’ailleurs, le rôle de garderies d’enfants. Les adeptes les plus éclairCs des jardins d’enfants et des Ccoles maternelles leur accordent pourtant une vocation dif- ftrente et plus ambitieuse : dans ces tcoles, surtout quand elles sont publiques, les enfants de toutes les conditions sociales se confondent, ils apprennent à partager les mêmes jeux et les mêmes exercices; à un âge que les psychologues s’accordent à reconnaître dtcisif pour la formation de la personnalitt et l’acquisition des mdcanismes mentaux, l’tducation prtscolaire est un facteur

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puissant de démocratisation, une préparation aux futurs travaux scolaires et un palliatif efficace des inégalités du milieu socio- culturel.

Autre ambiguïté : pour les uns, et ce sont les plus nombreux, il ne s’agit pas, à cet âge, d’un enseignement, mais d’une forme d’éducation, alors que, pour d’autres, l’école maternelle tend à devenir un début d’enseignement Clémentaire. Ne serait-ce pas le cas des Pays-Bas, où l’on s’apprête à constituer, dans le cadre d’une planification générale, un premier cycle d’études pour les enfants de quatre à douze ans ? On voit donc que le succès de l’éducation préscolaire n’exclut pas une certaine confusion d’idées sur ses mérites et sur ses objectifs.

Les moyens de pallier les autres causes d’inégalitd sont bien connus : qu’il s’agisse de donner aux enfants des campagnes autant de facilités pour s’instruire qu’aux enfants des villes, ou aux filles qu’aux garçons, ou à toutes les minorités et à toutes les communautés défavorisées qu’au reste de la population, les solu- tions ne manquent pas; aussi n’est-il guère de pays en voie de ddveloppement qui ne fassent figurer dans leurs plans, comme l’Algérie, Cuba, le Dahomey, 1’ Éthiopie, l’Irak, la Jordanie, le LibCria, la Malaisie, le Mali ou les Philippines, sans compter des pays aussi industrialisés que la Roumanie, des projets plus ou moins audacieux pour la ruralisation de l’éducation. Ce qui manque à la plupart de ces pays, ce n’est pas l’imagination ni la volonté, mais plutôt l’argent.

Reste un dernier facteur d’inégalité, le plus cruel peut-être : les handicaps imposés soit par la constitution physique ou mentale des enfants, soit par des accidents ou des maladies incurables. Faut-il croire que, pour des raisons mal connues, le nombre de ces enfants tend à augmenter? O u plutôt que la société a pris conscience de ses devoirs envers eux ? Le fait est que l’tducation des jeunes handicapés est plus souvent mentionnée dans les rap- ports nationaux, même dans ceux qui proviennent de pays en voie de développement, tels que la RCpublique arabe libyenne.

L’inadaptation des systkmes d‘enseignement

Nous entrons ici dans le plus vaste et le plus gCnéral de tous les problèmes. C’est aussi, depuis quelques années, le thème favori

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L‘éducation en mouvement 27

de tous les procès que l’on fait à l’tducation actuelle. Mais dès que l’on dtpasse le niveau des poltmiques devenues banales, il faut bien que l’on se pose une question : par rapport à quels critères peut-on affirmer qu’un enseignement est inadaptt ? Le cas le plus tvident est celui des anciennes colonies qui, en acct- dant à l’inddpendance, ont hQitC des systèmes d’tducation de leurs anciennes mdtropoles. O n trouve dans les rapports du Ghana, de la Jordanie et du SCntgal des ttudes prtcises de cette situation et de toutes les consCquences qu’elle entraîne encore aujourd’hui. Qu’un enseignement importt, même avec les meil- leures intentions, ne rtponde ni aux structures sociales, ni aux traditions culturelles, ni aux besoins tconomiques, ni aux aspira- tions nationales des lhats devenus indtpendants et maîtres de leur destin, le diagnostic est trop clair pour qu’il vaille la peine de s’y attarder. La situation se complique encore pour les pays qui veulent Criger un de leurs dialectes les plus rtpandus en langue d’enseignement : ttudes linguistiques prtalables, rtdac- tion de manuels, tlaboration de mtthodes addquates, formation des maîtres, tous les problèmes se posent à la fois, comme au Nigtria ou en Malaisie, sans parler du danger de voir se dtgrader la connaissance de la langue de communication, qui leur reste

Jointe au mtdiocre rendement de l’enseignement, à la dtser- ntcessaire aux niveaux ClevCs de l’enseignement.

tion des campagnes par les jeunes gens qui sortent des tcoles, au risque de chômage parmi les nouveaux diplômds et aux dtpenses 1 tcrasantes que les systèmes en vigueur imposent aux Gtats, le 1 reproche fondamental d’inadaptation suscite, parmi les penseurs ’

africains, des rtflexions amères. Certains n’htsitent pas à pro- - clamer que a le système tducatif africain est à rtinventer >>. Se rapportant à l’tpoque antdrieure à la colonisation, ils rappellent volontiers que si l’Afrique ne connaissait pas alors l’dcole, elle n’ttait pourtant pas dtpourvue d’dducation. Cette tducation, traditionnelle et coutumière, enseignait aux enfants et aux ado- lescents (( I’dcole de la vie et de l’exptrience. Tout adulte Ctait, plus ou moins, un maître D. U n pddagogue nigtrien affirme de son côtt << qu’en dehors de toute nostalgie du passd, de tout regret romantique et de toute lamentation sentimentale, I’tducation africaine traditionnelle est une source ftconde d’enseignement et un sujet de rtflexion qui s’impose à quiconque veut envisager

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28 L’éducation eji mouvement

avec tant soit peu de strieux les problèmes de l’tducation et de l’enseignement en Afrique noire contemporaine. En effet, contrai- rement à l’enseignement colonial qui s’est simplement juxtapost à l’tducation africaine traditionnelle en l’ignorant et en la mtpri- sant dans la pratique, toute conception nouvelle et qui se voudrait valable de l’enseignement et de l’tducation rtpondant aux condi- tions actuelles et aux perspectives d’avenir de l’Afrique noire devra, pour revêtir un caractère national et populaire réel, d’une part, emprunter à l’tducation traditionnelle certains de ses aspects pour les inttgrer à une orientation moderne et avancte de l’tducation et, d’autre part, cohabiter avec elle pendant un certain temps en s’efforçant de l’influencer 9.

Moins ambitieuses peut-être dans leur formulation, mais inspirtes des mêmes idtes, les conclusions des participants à la table ronde organiste à Dakar, en ftvrier 1972, par le Bureau rtgional de l’Unesco pour l’tducation en Afrique, exprimaient un large consensus sur l’insuffisance et l’inadaptation des sys- tèmes scolaires actuels et sur la ntcessitt d’une autre tducation pour la jeunesse. Ces systèmes, selon le jugement de ces experts, qui venaient de douze pays africains, reposent sur des axiomes; leur cohtrence est faite d’un programme continu, non inter- rompu. << O n n’entre dans le système que par le point ztro et on continue son parcours jusqu’au moment où l’on en sort. Lors- qu’on sort du programme, on n’y rentre plus, sauf cas excep- tionnels. Il y a donc un parcours oblige ... O n n’entre pas dans le secondaire avant d’avoir achevé le primaire; on n’est pas admis à 1’universitC sans avoir achevt les cycles préctdents. )) A ce système de progression lintaire, les participants à la table ronde opposaient d’autres formes d’éducation qui ne sont pas contraires et qui s’adressent à des enfants ou à des adultes qu’on ne sépare pas du contexte de la vie quotidienne et des tâches mêmes du développement.

Cette résurgence de l’tducation coutumière, adaptte aux conditions du monde moderne, cette synthèse de la tradition et

I. Ces citations du président Julius Nyerere, de MM. Abdou Moumouni et F. Agblemagnon sont empruntées au numéro 15 de juin 1974 du Bulletin de liaison pédagogique de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, publiC par I’AUDECAM A Paris.

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L’éducation en mouvement 29

des exigences du ddveloppement, on en trouve peut-être des exemples dans certaines expdriences d’dducation extrascolaire qui se ddveloppent actuellement en divers pays d’Afrique : formes spontandes d’Cducation et de prtparation au travail collectif pratiqutes au NigCria, clubs de jeunes agriculteurs du Dahomey, centres polytechniques ruraux du Kenya, zones d’activitd corn- munautaire et culturelle de la Rdpublique unie du Cameroun et bien d’autres encore, notamment au Mali.

Mais si l’inadaptation des systèmes d’enseignement est particulièrement ressentie en Afrique, elle est prdsentde dans la grande majoritd des autres pays, quel que soit leur niveau de ddveloppement, comme la principale cause des réformes déjà adoptdes ou envisagdes. Le fonctionnement normal des systèmes ne donne plus les rdsultats que la nation a le droit d’en attendre. Les ddperditions scolaires, le mCdiocre rendement de l’ensei- gnement, l’inCgalit6 des chances conduisent les observateurs critiques, et jusqu’aux autoritds responsables, à remettre en cause certains des principes sur lesquels ces systèmes reposent. A quoi vient s’ajouter un dCsCquilibre croissant entre la compdtence des jeunes diplômds, produits de l’institution scolaire, et les besoins de 1’Cconomie. RCforme des structures, rdforme des programmes et des mdthodes d’dvaluation, nouveau type de relations entre les maîtres et les tlèves, innovations pddagogiques : la plupart des changements qu’on exige de l’tducation ont pour objet une meilleure adaptation aux conditions prdsentes de la socidtd et à ce que l’on peut discerner de son avenir.

Sous cette apparente unanimitd, on peut toutefois distinguer des tendances diffdrentes et même contraires. Le principe de la sClection par le mdrite, au moyen d’examens et de concours, s’il a exprimC une aspiration essentielle de la dtmocratie au temps de la Rdvolution française et s’il demeure encore au cœur des systèmes d’enseignement de la plupart des bats socialistes, se trouve dCsormais condamnd, au nom même de la ddmocrati- sation, par une large partie de l’opinion dans les pays occiden- taux. L’attitude à cet Cgard ne peut être unanime car, bien plus que sur des jugements objectifs, elle se fonde sur des iddologies, sur des tendances politiques et des jugements prCCtablis. D’oh la diversitd des solutions adoptées ou prCconisCes.

Le seul critère qu’on puisse invoquer en toute objectivitt est

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L’édescation en mouvement 3’

celui du degrC d’adaptation aux besoins de 1’Cconomie. L’exemple d’une planification rigoureuse de l’tducation en fonction des besoins prdvisibles de 1’Cconomie est venu de l’Union soviCtique. Les rtsultats obtenus ont d’abord ralliC à la planification les dCmocraties populaires d’Europe, puis, sous des formes plus souples, beaucoup de pays occidentaux de régime liberal. Sous l’influence des organisations internationales, en particulier de l’Unesco, les pays en voie de ddveloppement l’ont adoptCe à leur tour, la planification leur Ctant prdsentte comme la condition du ddveloppement. Or voici que certains d’entre eux laissent voir un certain dtsenchantement : les plans ClaborCs, voici bientôt quinze ans, à Addis-Abeba, par les ministres africains de l’dducation, se rdvèlent irrCalisables, en dCpit des efforts dCployCs par les etats conCernCs et de l’aide internationale. O n avait pris pour objectif, pour l’ensemble de l’Afrique, un taux de scolarisation globale de 71 y. en 1970 et de IOO % dans l’enseignement primaire en 1980; or, en 1972, on n’avait pas dCpassC le taux de 49 %. En dehors de l’Afrique, l’effort de scolarisation ne peut pas se main- tenir non plus au rythme prCvu : la Thaïlande, par exemple, admet qu’en raison de la rapide croissance de sa population, elle ne parvient pas à scolariser tous ses enfants. Quand ils ont tenu leur plus rdcente réunion, en décembre 1972, au Venezuela, les ministres de l’tducation de 1’AmCrique latine, s’ils ont pu prendre acte des progrès accomplis, n’en ont pas moins exprimC leur inquiCtude devant les graves insuffisances enregistrdes : plus de huit millions d’enfants de sept à douze ans, d’après leur estima- tion, n’avaient pas encore Ctt scolarisds dans cette rtgion du monde. (Le tableau I donne une idCe de l’accroissement des taux de scolarisation dans le monde au cours de la dCcennie 1960-

Si de l’ordre quantitatif on passe à celui de la qualitC, les rtsultats obtenus dans beaucoup d’fitats du tiers monde ne sont guère plus satisfaisants. Le Dahomey, 1’ figypte, la RCpublique arabe syrienne, la Thaïlande signalent la mCdiocre qualit6 de leur enseignement, tantôt au niveau primaire, tantôt au niveau secondaire, et l’insuffisante qualification de leurs maîtres. Avec sa rude franchise, le rapport du Zaïre donne un son plus alarmant encore : le niveau de l’enseignement y est aussi bas à 1’Ccole primaire qu’à 1’Ccole secondaire; sur les 65 ooo instituteurs en

1970.)

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fonctions, les deux tiers sont officiellement reconnus comme dtpourvus de la prtparation ntcessaire. Pour de nombreux pays la ptnurie et l’insuffisance des maîtres demeurent un sujet de grave prtoccupation.

Ces motifs de dtception ne semblent pas dttourner les lhats de la planification : le Mali, au contraire, s’apprête à la renforcer en fixant pour chaque niveau d’ttudes un pourcentage rigoureux d’admission : le taux de scolarisation dans le premier cycle de l’enseignement fondamental, pour les enfants de sept à douze ans, sera maintenu à 20 %; 35 y. de l’effectif de la sixième annte seront admis au second cycle; 66 %des diplômés de l’enseignement fondamental pourront acctder à l’enseignement secondaire. Pour compléter cet effort de scolarisation et compenser les déficits qu’il impose, le Mali prtvoit d’ailleurs un renforcement parallèle des activitts tducatives non scolaires.

La planification ne semble donc pas en recul dans le tiers monde, mais on est revenu des illusions premières et l’on ne tient pas pour démontrt que l’tducation planifite soit nécessairement une tducation adaptte aux besoins de la socittt.

Quant aux États les plus industrialisCs, ils ont eux aussi leurs soucis. Dans un pays aussi acquis que les États-Unis aux valeurs d’efficacitt ou de rendement économique, on constate que de très nombreux jeunes gens sortent de l’tcole secondaire, ou même du collège, sans avoir une idte prtcise de la profession qu’ils vont exercer et sans avoir reçu de formation directement utilisable. En mê m e temps, l’industrie tprouve les plus grandes difficultts à pourvoir aux postes vacants. C’est la prise de conscience de cette double inadaptation de l’tcole qui conduit la République ftdt- rale d’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni à envisager des réformes radicales.

On ne peut toutefois se garder d’tmettre un doute : dans quelle mesure est-il ltgitime de soumettre l’tducation aux exi- gences de l’tconomie? O u encore, pour poser la question en termes plus actuels, jusqu’à quel point l’intérêt suptrieur de la sociétC peut-il se confondre avec le souci de la productivitt ? Le dtbat n’est certes pas nouveau et l’on n’tpuisera pas de sitôt la discussion classique sur les finalitts de l’éducation. Mais à une tpoque où la socitté de consommation se trouve à ce point remise en cause, on peut se demander s’il est ltgitime d’envisager

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l’avenir de l’enfant et de l’adolescent comme celui d’un agent de production. Dans des situations aussi critiques que celle de Cuba, à la fois pour la survie de l’économie nationale et pour l’édifi- cation d’une nouvelle sociétt, on peut admettre des solutions héroïques, comme de faire de 1’Ccolier un travailleur actif. Si respectables qu’elles soient, et si efficaces sans doute, ces solutions n’offrent pas d’exemple valable à l’ensemble du monde.

Cette question a été posée avec bonheur par le dtlégué de la Hongrie à la dernière Conférence internationale de l’éduca- tion. Sans contester qu’il doive y avoir une relation aussi étroite que possible entre l’enseignement et les besoins en main-d’œuvre, il rappelait que 1’Cvaluation de ces besoins ne pouvait pas être la seule base d’une planification de l’tducation. Souvent les Cvaluations se rtvèlent ensuite inexactes et, en cas d’erreur, loin de favoriser l’essor économique, on risque de le paralyser. C’est pourquoi, dans une résolution adoptte en juin 1972, le Comité central du Parti communiste hongrois a pris position en faveur d’une planification qui tiendrait ?i la fois compte des exigences économiques, sociales et culturelles de la nation. L’objectif de l’éducation ne serait pas de former des jeunes gens uniquement capables de remplir des fonctions particulières dans l’activité économique, mais aussi et surtout d’assumer des responsabilités personnelles et collectives, en maîtrisant de mieux en mieux les techniques utilisées par l’tconomie et les modes de vie que celle-ci tendrait naturellement à imposer.

C’est bien à ce niveau qu’il convient en effet de porter le dtbat sur l’adaptation de l’enseignement. Sous quelque régime que ce soit, aucun système d’éducation ne peut, sans faillir à ses devoirs, prendre pour objectif propre 1’amClioration de la produc- tivitt. Pas plus que le développement, pour justifier les espoirs que les peuples fondent sur lui, ne peut se mesurer en termes d’expansion économique ou de revenu national : à quoi bon accroître les ressources matérielles d’un pays s’il n’en rdsulte aucun progrhs pour la justice sociale et la libération de la per- sonne humaine, aucune chance nouvelle de bonheur ? Le devoir d’une éducation adaptée aux besoins actuels, n’est-ce pas, comme toujours, d’ << apprendre à &tre D, pour reprendre une formule récente et dtjà fameuse, ou encore, selon le mot d’un poète, << d’apprendre le métier d’homme, dur et beau métier )) ?

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Le Gofît de l’éducation

Aucun progrès n’est possible, en matière d’éducation, sans de lourds sacrifices financiers. Dès 1968, Philip H. Coombs relevait, comme le premier signe d’une crise imminente, la hausse accé- lérée des coûts de l’éducation; il voyait approcher le moment où aucun pays ne pourrait plus accroître les dépenses publiques dans ce domaine et oh un choix dramatique s’imposerait aux gouvernements entre l’expansion de l’enseignement et d’autres secteurs sociaux non moins dignes d’attention. Ce moment est-il venu ? Dans le budget de beaucoup d’États hautement indus- trialisés, la part faite à l’éducation tend en effet à se stabiliser, de même que dans la répartition du revenu national. Mais, bien que le gouvernement fédtral des États-Unis signale, comme on l’a vu, les graves difficultés que rencontre le financement de l’enseignement public, il n’est pas certain que les pays les plus développés soient parvenus, ou près de parvenir, au seuil critique prévu par Philip H. Coombs. Par contre, les pays du tiers monde tirent le signal d’alarme : par exemple, le Dahomey, où les dépenses pour l’éducation ont augmenté de 40 % entre 1965 et 1970 et qui y consacre déjà 29 y0 du budget de l’État, ou encore le Ghana, le Mali, la Thaïlande, le Zaïre. L’heure des illusions gdnéreuses semble passée. Il n’est plus question, pour la plupart des pays africains, de réaliser les objectifs d’Addis-Abeba; beaucoup auront du mal à maintenir la scolarisation au niveau actuel, même si celui-ci est encore très bas.

Si l’expansion de l’enseignement, condition première de la démocratisation, se trouve freinée, que dire de son amélioration ? Le rapport des États-Unis mentionne le principe généralement admis qu’une bonne éducation coûte plus cher qu’une mauvaise. A vrai dire, les critères d’une bonne éducation sont difficiles à définir, mais peut-on soutenir sans paradoxe qu’un enseignement se donne dans des conditions satisfaisantes s’il ne dispose pas des locaux, des équipements et du personnel enseignant qui lui seraient strictement nécessaires ? Sans doute l’imagination ou l’expdrience suggèrent-elles des expédients ingénieux, comme d’affecter la même tcole à deux groupes d’élèves, l’un travaillant le matin et l’autre le soir, ou de crCer des équipes volantes de

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maîtres desservant à tour de rôle plusieurs villages, ou encore d’utiliser pour y enseigner n’importe quel bâtiment disponible, une Cglise, un temp€e, une mosqude, ou d’organiser l’enseigne- ment mutuel, comme à Cuba, les Clèves les plus avancés dtant chargds de faire la leçon aux plus jeunes. Chacune de ces for- mules est en effet en usage dans différents pays, comme on peut le voir dans les rapports nationaux soumis à l’Unesco. Il en est de même où la pauvrett des familles oblige l’ntat à prendre à sa charge, non seulement le transport des Cl&ves, comme cela commence A se faire un peu partout, mais leur nourriture et leur habillement. Nouvelles dtpenses, qui s’ajoutent B toutes les autres.

Comment, dans de telles conditions, faire place aux mdthodes et aux techniques plus perfectionndes? Chacun sait que la moindre innovation est coûteuse : les travaux diriges, les groupes de niveau, l’enseignement individualisé s’accommodent mal des locaux standardisds ou préfabriquts. Que dire des dquipements audio-visuels? Si le Niger a fait à cet Cgard des expdriences heureuses, si la Côte-d’Ivoire offre l’exemple, à peu près unique au monde, d’un enseignement primaire largement ttldvisé, il a fallu une abondante assistance Ctrangère, en personnel et en matCriel, où la coopdration internationale se combine harmo- nieusement avec l’aide bilatdrale. Mais l’assistance étrangère, d’où qu’elle vienne, n’est jamais entièrement gratuite; aussi longtemps qu’elle s’exerce, elle impose des charges assez lourdes aux pays qui en bdndficient et, du jour où elle prend fin, ce sont ces pays qui portent seuls le fardeau. Pour le tiers monde beau- coup plus que pour les nations développées, les progrès pdda- gogiques, qui ddterminent l’amdlioration de l’enseignement, apparaissent souvent comme un luxe.

Le problème essentiel, pour le financement de l’Cducation, ce sont les maîtres qui le posent. Si, par un Ctrange paradoxe, les États-Unis accusent un exctdent inquidtant de maîtres qualifids (au point qu’au rythme actuel on prévoit qu’il y aura en 1980 un million de maîtres diplômds sans emploi) , si dans les pays industrialists la pCnurie de personnel enseignant semble ddsormais surmontde, elle continue à sdvir cruellement dans une grande partie des États en voie de ddveloppement. Pdnurie par insuffisance du recrutement, mais aussi par insuffisance

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de qualification. Aussi le besoin d’amtliorer la formation des maîtres se fait-il ressentir dans tous les pays; il figure en bonne place, dans les rapports nationaux, au nombre des pro- blkmes urgents : en Argentine, au Dahomey, en Égypte, en Rtpublique arabe lybienne, en Rtpublique arabe syrienne, en Thaïlande, au Zaïre, mais aussi en Rdpublique fgdtrale d’Allemagne, en Belgique, en France, au Royaume-Uni ou en Union sovietique. Tantôt il s’agit d’amtliorer la formation ini- tiale, tantôt de faciliter le perfectionnement du personnel en fonctions.

Ce second aspect du problème, le recyclage, n’a pas encore reçu de solution bien satisfaisante. La France a sans doute reconnu A ses instituteurs le droit à des stages de perfectionne- ment, mais de longues années s’dcouleront avant qu’ils aient tous pu en btntficier ; le Royaume-Uni prtvoit d’accorder aux siens un congt sptcial tous les cinq ans, pour leur permettre de se recycler ; en Union sovittique des centres de perfection- nement ont ttt crdts en grand nombre, sans compter les cours par correspondance. En outre, l’Union soviétique annonce, comme la Pologne, des mesures rbcentes pour relever le trai- tement du personnel enseignant et amtliorer ses conditions de travail.

Ces changements sont heureux, ils ne peuvent que contri- buer à l’amtlioration de I’tducation. Mais, ajoutts à toutes les autres dtpenses, ils accroissent encore les charges et ne peuvent être supportts que par un nombre assez restreint de pays. Or rien n’est plus difficile pour un gouvernement que de calculer avec quelque prtcision le coût total de l’tducation pour l’ensemble du pays. Le budget du ministère de l’tducation ne donne qu’une indication partielle; il faut y ajouter celui de bien d’autres administrations qui concourent, elles aussi, et dans des proportions souvent considtrables, à des enseignements sptcia- lisCs, à la formation professionnelle, à l’éducation des adultes, à la santt ou à l’hygiène scolaire, sans ntgliger la contribution directe ou indirecte des collectivitts rdgionales et locales. Encore ne s’agit-il la que des dtpenses publiques; la participation btnt- vole ou rbglementaire des entreprises, comme celle des commu- nautts religieuses ou des groupements privts tchappent souvent à toute estimation prtcise. En dtpit des travaux qu’on y a dtjà

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consacrts, le financement de 1’Cducation comporte encore de larges zones d’incertitudes1.

Même lorsque des Ctudes systdmatiques ont CtC rtalisdes pour certains pays, 1’interprCtation donne lieu à des conclusions diverses. O n a, par exemple, calcule qu’au Royaume-Uni, entre les annCes 1950 et 1963, le coût annuel de 1’Cducation &ait passC de 50 à 150 livres par Clève. D’après les auteurs de l’enquête, cette augmentation serait due à l’amtlioration de la qualitd; mais un autre Cconomiste aboutit - sur les mêmes bases, mais par une estimation plus raffinCe - à la conclusion que la plus grande partie de la diffdrence provenait de l’inflation survenue dans l’ensemble des prix [4712.

Combien les rtsultats de ces travaux seraient pourtant utiles, non pas seulement pour la sûretC des informations, mais surtout pour les constquences pratiques que les hats pourraient en tirer! Trouver le moyen d’amdliorer 1’Cducation sans rendre les dCpenses insupportables : tel est le grand problème qui accable les gouvernements. Ceux qui proposeront des rdponses valables, ou m ê m e des ClCments de rCponse, seront des bienfai- teurs de 1’humanitC. A en croire un document rCcent du Conseil de l’EuropeS, la Suède, dont le système d’enseignement passe pour exemplaire, offrirait quelques lueurs d’espoir : sans doute s’agit-il d’une estimation empirique, aucune Ctude de rentabilitd n’ayant pu être encore effectuCe à cet égard, mais un rapport suCdois annonce que << la recherche a permis d’augmenter l’effi- cacitC sans gonfler les coûts )> et que << dans certains domaines on a m ê m e rtussi à diminuer les dtpenses D. Contrairement B l’axiome bien connu, une bonne Cducation pourrait donc ne pas coûter davantage qu’une mauvaise. Que cette nouvelle est heureuse, et comme on aimerait que cette recherche se ddveloppe et devienne utilisable pour les autres pays! Car s’il est un sujet sur lequel la cooptration internationale devrait s’exercer, n’est-ce pas celui-ci ?

I. Voir en particulier : J. VAIZEY et J. D. CHESSWAS, The costing of educational plans, Paris, Unesco : IIEP, 1969,63 p. Voir aussi : P. H. COOMBS et J. HALLAK, Educational cost analysis, Paris, Unesco : IIEP, 1972, 3 volumes.

2. Les chiffres entre crochets renvoient aux rkfirences bibliographiques en fin du volume.

3. Ce document, qui &te de 1973, porte la cote DECS/Rech. (73).

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Des problèmes qui persistent et qui souvent s’aggravent; des recherches assidûment poursuivies; des solutions en vue; une succession ininterrompue de reformes ; des changements cons- tants; des efforts universels, mais encore mal accordés : tels sont, à en juger par des tdmoignages convergents, les traits que prend, à travers le monde, l’tducation en mouvement.

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Chapitre deux

L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi

Que les gouvernements des États membres de l’Unesco aient choisi pour thème spCcial d’une confdrence internationale formde de reprdsentants des minisdres de l’dducation les liens entre l’dducation, la formation et l’emploi au niveau de l’enseignement secondaire [4a] : voilà bien un signe des temps. Il y a une ving- taine d’anndes à peine, 1’idCe n’en serait pas venue, ou bien on l’aurait repoussde pour son audace excessive. Les Cconomistes en Ctaient alors à explorer les relations possibles de cause à effet entre le ddveloppement de l’dducation et le progrès Cconomique, entre la pleine utilisation des ressources humaines et la hausse des niveaux de vie. Prenant exemple sur les bats socialistes, ils recommandaient une planification plus ou moins souple de l’ddu- cation, fondde sur les besoins de la collectivitd. Mais qu’il y eût un rapport organique et m ê m e necessaire - ce que suggère le mot (( lien D, retenu pour thème de la confdrence - entre l’extension de l’dducation et la crdation de nouveaux emplois ou, inversement, entre le marchd de l’emploi et l’orientation de l’enseignement, c’est une idde encore rdcente, une proposition qui, même aujourd’hui, prête à d’amples dtbats, surtout pour des ministres de l’tducation. Le terrain à explorer est si vaste, il touche à tant de domaines diffdrents, qu’on peut se demander si les autoritds responsables de l’enseignement ont qualitd pour s’y aventurer.

Aussi l’Unesco et le BIE, dans leurs travaux prdparatoires, ont-ils fait appel Ades experts d’autres institutions internationales, comme l’organisation internationale du travail (OIT) et 1’Orga- nisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

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40 L‘enseignement secondaire, la formution et l’emploi

(FAO), ainsi qu’à des concours privts. D e leur côtt, les États membres ont dQ se livrer à une rCflexion approfondie et à des études, dont on trouve les rdsultats dans les rapports nationaux soumis à la confdrence. Sans mdconnaître l’importance des dis- cussions de Genève ni la portte des recommandations finales, reconnaissons que c’est surtout par l’ampleur des informations et des observations recueillies à cette occasion que la confdrence de l’automne 1973 marque une date mémorable1. C’est sans doute pour la première fois que la question faisait l’objet d’une enquête aussi vaste, à 1’Cchelon mondial.

LES TERMES DE L A QUESTION

Chacun des trois termes appelle des remarques prtalables. O n peut se demander pourquoi le cadre avait CtC limite à l’ensei- gnement secondaire. N’efit-il pas CtC plus naturel d’inclure l’enseignement supCrieur ou de commencer par lui? Il y a des siècles que les univenitCs prdparent les Ctudiants à des carrières telles que la mCdecine, les professions juridiques ou l’enseigne- ment. A quoi est venue s’ajouter plus récemment, soit dans les universitCs elles-mêmes, soit dans d’autres institutions d’un niveau tquivalent, la formation des cadres supdrieurs de l’industrie, de l’agriculture, du commerce, de l’administration publique ou privte. Entre l’enseignement supCrieur et la formation profes- sionnelle, les relations sont depuis longtemps Cvidentes, sinon tou- jours satisfaisantes. Tandis que, pour l’enseignement secondaire, le problème se pose en termes plus obscurs, les expériences sont encore rdcentes, on s’avance sur un terrain moins sûr. C’est peut- être la difficultd de l’entreprise, et surtout sa nouveautd qui ont dttermint le choix. Peut-être a-t-on aussi tenu compte du rôle de l’lbat, qui s’affirme davantage au niveau des Ccoles secondaires qu’à celui des univenitCs, dont beaucoup de pays reconnaissent l’autonomie. S’agissant des politiques nationales, l’enseignement secondaire se prêtait mieux à une confrontation internationale. Mais nous ne perdons jamais de vue que les rapports entre 1’Cdu-

I. Les rapports des fitats, en réponse au questionnaire, peuvent &tre consultés au BIE, B Geneve. Ils ont également été reproduits sur microfiches dans le cadre de la série SIRE de l’Unesco : BIE.

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L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi 4’

cation, la formation et l‘emploi ne cessent pas d’exister avec la fin du second degré des Ctudes; c’est d’ailleurs ce que la suite de notre Ctude ne tardera pas à nous rappeler.

Quant au terme d’enseignement secondaire, s’il est admis par l’usage international, n’oublions pas non plus qu’il s’applique, d’un pays à l’autre, à des structures très diffdrentes. Ici, on dis- tingue deux cycles successifs dans le même enseignement secondaire; là, le premier de ces cycles est rattache au premier degrd pour former un seul et même système; là encore, il constitue B lui seul un degrC moyen. Pour Cviter toute confusion, on convient cependant d’entendre par enseignement secondaire celui qui s’adresse au groupe d’âge qui va de I I ou 12 ans à 17 ou 18 ans environ.

Il y a beaucoup d’ambiguïté dans la notion de formation. O n parle souvent de la formation de la personnalité comme de l’objectif majeur de I’Cducation, et l’on entend par là un processus à la fois intellectuel, physique et moral, qui permet de ddvelopper toutes les facultés de l’enfant ou de l’adolescent. Mais dans le cas qui nous occupe et où la formation se distingue de 1’Cdu- cation, on donne Cvidemment à ce mot un sens plus prdcis et plus limité. Allons-nous admettre, comme on l’a proposé à la confdrence de Genève, que la formation correspond à une notion spdcifique et dCsigne l’apprentissage d’aptitudes parti- culières pour l’exercice d’une profession donnCe >> ? Et puisqu’il s’agit de l’enseignement secondaire, accepterons-nous de nous restreindre aux a systèmes orientés vers les professions de niveau moyen, destints à former des ouvriers spécialisds ou des techni- ciens >> ? Ce serait, à première vue, exclure, au profit de l’indus- trie, d’autres secteurs de l’économie, comme l’agriculture et l’immense secteur tertiaire. Ce serait aussi oublier d’autres objectifs de la formation au niveau secondaire, tel que celui de prdparer à la formation ultdrieure des cadres supérieurs. Gardons- nous des ptrils d’un cloisonnement trop rigide et admettons plutôt, comme ddfinition prdalable, qu’on entendra par for- mation toute formation professionnelle, de quelque nature qu’elle soit.

Reconnaissons pourtant que la dCfinition étroite, que nous avons provisoirement CcartCe, avait au moins l’avantage de déboucher sur le troisième terme du problème : l’emploi. Voici

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42 L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi

encore une notion complexe. Si elle est de nature à intimider les Cducateurs, qui ont rarement l’occasion de la manier, les spCcialistes ont bien du mal à la maîtriser. Il y a une vingtaine d’années, sur la foi de certains spdcialistes, on considérait volon- tiers l’insuffisance des emplois disponibles comme l’effet d’une trop faible croissance économique : une économie en expansion rapide devrait amCliorer dans les mêmes proportions le marchC de l’emploi. Or on constate aujourd’hui que ces espoirs ne se sont pas réalisés. Dans de nombreux pays du tiers monde, où le dCveloppement économique accuse de sensibles progrès, l’emploi demeure dans un Ctat critique. C’est cette situation qui a conduit l’organisation internationale du travail, dans un Programme mondial de l’emploi, à attirer l’attention des États membres sur le caractère spécifique des objectifs qu’une politique cohCrente doit se proposer en vue de l’emploi [4e].

Le chômage constitue à cet égard un indicateur prdcieux. A Sri Lanka, par exemple, 92 y0 des jeunes gens qui ont obtenu, après dix ans au moins de scolarité, leur diplôme d’Ctudes secondaires ne trouvent pas à s’employer. Pour le groupe d’âge de 20 à 24 ans, on compte encore 64 y. de chômeurs de cette catCgorie. Dans ce pays, l’inadaptation des Ctudes secondaires au marcht du travail revêt donc un caractère dramatique. Au Ptrou, où l’OIT a fait des ttudes comparables, le mal prend plutôt la forme du sous-emploi : si le taux du chômage visible n’a rien d’alarmant chez les jeunes diplômes, en revanche beau- coup d’entre eux doivent se contenter d’emplois très inférieurs à leur qualification scolaire et d’une rémunération à peine Cgale au salaire minimal 1Cgal. De leur côté, les employeurs, encouragés par l’ampleur de la demande, exigent des postulants un niveau d’instruction de beaucoup supCrieur à ce qui serait ntces- saire. C’est d’ailleurs cette situation qui a ddterminé le gouver- nement péruvien à entreprendre une reforme totale du système d’tducation.

Autre observation recueillie par l’OIT, cette fois sur le Kenya : au sortir de 1’Ccole secondaire, les jeunes diplômts, refusant des occupations agricoles, affluent dans les villes à la recherche d’emplois qui leur semblent plus << modernes mais que l’économie n’a pu crCer en nombre suffisant. Plus que des connaissances et des aptitudes utilisables, ce que ces jeunes gens

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L’etiseigtienicnt secondaire, la formation et l’emploi 43

attendent de l’Ccole, ce sont des titres, qui à leur tour leur confére- raient des droits à certains postes et à certaines rtmunCrations.

D’un point de vue strictement Cconomique, on en vient à se demander si la rapide extension de l’enseignement secondaire n’a pas constitué, pour beaucoup de pays en voie de dtveloppe- ment, un mauvais investissement; au lieu d’ouvrir tant de IycCes et de collèges, n’eût-il pas Ctt plus sage d’investir davantage dans la crtation de nouveaux emplois ? Des hommes ou des femmes pourvus d’une modeste instruction Cltmentaire, mais plus assurCs de trouver du travail, ne seraient-ils pas plus utiles, et même plus heureux, que des bacheliers rdduits au chômage ou au sous- emploi ? Pour avoir CtudiC de près les conditions de l’agriculture dans les rdgions tropicales, certains experts de la FA0 mettent en doute que l’éducation soit un agent efficace de dCveloppement, si elle ne s’intègre pas à une politique globale, en même temps qu’une rCforme du rdgime foncier, un crtdit plus abondant et des facilitCs pour l’tcoulement des produits. Faute d’une politique intCgrte de ddveloppement, ces experts vont jusqu’à craindre que l’expansion de 1’Cducation finisse par crCer plus de difficultds qu’elle ne contribue à en rdsoudre : une jeunesse instruite mais incapable de tirer parti, dans la vie active, des connaissances et des aptitudes acquises à l’tcole commence, selon eux, à poser au tiers monde a un problkme aussi gros de dangers que l’anal- phabCtisme )) [4d].

Ce langage a de quoi choquer des Cducateurs pCnCtrCs des vertus intrinsèques de I’éducation. Il n’est d’ailleurs pas dCmontrC que les économistes aient toujours raison; ils sont, eux aussi, sujets aux erreurs de jugement et surtout de prdvision. Même dans un passC récent, combien n’en a-t-on pas vu se raviser et se contredire ? Mais ceux dont on vient de rapporter les sombres pronostics ne s’en prenaient pas à 1’Cducation elle-même; ce qu’ils mettaient en question, c’&ait le système adoptC, à l’exemple des fitats les plus dtveloppCs, par un grand nombre de pays en voie de dtveloppement. Une fois de plus, c’est l’inadaptation de l’enseignement qui se trouve dCnoncCe, son incapacitC à prtparer la jeunesse ?i la vie qu’elle mènera plus tard dans son environ- nement naturel et social, à lui procurer un travail productif et rCmunCrateur, à assurer son bonheur et son insertion harmo- nieuse dans la collectivid. Que l’on rtforme 1’Ccole ou qu’on lui

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44 L’enseignement secondaire, la formation et l’emfiloi

prtfère, en cas de nCcessitC, des formes non scolaires d’Cducation, telles qu’on en voit se ddvelopper en Afrique, en Asie ou en Am& rique latine, grâce à une utilisation hardie des moyens audio- visuels, à l’exemple du Dahomey, de l’Inde ou du Mexique, l’essentiel est de se rappeler la formule chère à Rend Dumont : a Le dtveloppement agricole, sptcialement tropical, exige un enseignement totalement repend. N

POLITIQUES DE L’ ÉDUCATION ET POLITIQUES DE L’EMPLOI

L’autre leçon que l’on doit recueillir de ces exemples, c’est qu’une politique, même audacieuse, de l’tducation ne peut en elle-même rtsoudre le problème du dCveloppement. Au cours des annCes 1950, à la lumière des travaux de certains Ccono- mistes, on s’ttait avis6 que YCducation Ctait un puissant facteur d’expansion Cconomique. Dans le grand Clan d’enthousiasme qui saisit alors les organisations internationales et, à leur suite, les États du tiers monde, on vit s’tlaborer des plans, aussi ambitieux que gCnCreux, pour le ddveloppement de l’tducation : le plan d’Addis-Abeba pour l’Afrique, le plan de Karachi pour l’Asie du Sud-Est. Les budgets de 1’Cducation se mirent à grossir dans chaque pays, absorbant une part sans cesse plus forte du revenu national. Aujourd’hui, le temps de l’euphorie est passt. Certains plans s’avèrent irrtalisables, les progrès rapides de 1’Cducation n’ont pas CtC suivis d’une hausse des niveaux de vie; et voici que parmi les jeunes diplômés stvissent le chômage et le sous-emploi. Mais faut-il pour autant condamner 1’Ccole ? Le mouvement qui entraîne les masses vers les foyers d’enseignement est irrCversible, comme est imprescriptible le droit de chacun à l’tducation. Aucun gouvernement au monde ne pourrait l’oublier. Si 1’Cco- nomie a ses lois, c’est un fait dtsormais reconnu que le progrès humain passe par 1’Cducation universelle.

Ce que l’on ne savait pas, ou que l’on avait mtconnu, c’est que le dCveloppement exige des politiques intCgrCes, capables d’agir sur l’ensemble des facteurs Cconomiques et sociaux, sans en excepter 1’Cducation. A ce niveau, le plus ClevC d’un fitat, la responsabilitd incombe collectivement au gouvernement tout entier. Dans quelle mesure les ministres de l’tducation sont-ils

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L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi 45

effectivement associés à l’tlaboration des politiques nationales du dtveloppement et, en particulier, des dispositions concernant le marcht de l’emploi ? Jusqu’à quel point leurs administrations en ont-elles connaissance ? Existe-t-il, en d’autres termes, des modes de consultation entre l’enseignement et le monde du tra- vail ? Toutes ces questions, la Conftrence internationale de l’tdu- cation a dû les soulever, lors de sa 34e session et, pour la mettre en mesure d’en discuter en connaissance de cause, l’Unesco les avait en premier lieu postes à ses États membres.

Certains pays ont apport6 des rtponses positives. Viennent en tête les États à rtgime socialiste, pour lesquels la planification de l’tducation s’intègre à une politique globale du dtveloppe- ment Cconomique, social et culturel. O n trouve à cet tgard des prtcisions inttressantes dans les rapports de la Bulgarie, de Cuba, de la Tchtcoslovaquie et de la Yougoslavie, chacun de ces pays ayant adoptt une solution conforme à sa condition. C’est aussi dans cette voie que semblent s’être engages plusieurs des fitats arabes, 1’Égypte en particulier, mais aussi 1’Afghanistan. Dans le cadre de son plan pour les anntes 1971-1975, l’Argentine a Clabort une rtforme hardie, qui embrasse, comme on l’a vu, les divers degrts de son enseignement, la formation professionnelle B tous les niveaux et la prtparation de la jeunesse au travail productif. Au Canada, où la planification tconomique et les questions de l’emploi se traitent au niveau ftdtral, alors que l’enseignement relève des autoritCs provinciales, un Comitt d’ttude et d’dvaluation rCunit les représentants du Dtpartement ftdtral de la main-d’œuvre avec ceux des ministères de l’tdu- cation de chaque province. Le même souci de coordination a inspirt, en Nouvelle-Ztlande, la crtation du Conseil de la for- mation professionnelle. Au Japon, des services de l’enseignement participent aux travaux du Conseil de l’emploi et du Conseil central de la formation professionnelle. Quant à la France, les lois de 1971 sur la formation continue confèrent au Ministère de l’tducation un rôle moteur dans ce domaine.

Dans d’autres pays, sur lesquels on ne dispose pas d’infor- mations aussi prdcises, il n’est pas certain que les autoritts sco- laires, nationales ou rtgionales, soient assocites B la planification de l’tconomie ni B la politique de l’emploi. Dans de telles condi- tions, l’tducation nationale en est rtduite à chercher sa voie,

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46 L‘eiucigmmeiit secoridaire, la formation et l’emploi

guidte par ses exptrienccs et ses propres recherches, ou fondant ses prdvisions sur le mouvement démographique ou la demande du public. Comment une ignorance et même une mdfiance rtci- proque ne s’installeraient-elles pas entre les tducateurs et les ptdagogues, d’une part, et les économistes, de l’autre ? Les édu- cateurs et les ptdagogues reprochent aux économistes d’envahir indtiment leur terrain, d’ignorer les processus propres à l’ddu- cation et de prdtendre les soumettre à des exigences qui leur sont Ctrangères, tandis que les tconomistes accusent Cducateurs et pCdagogues de prolonger, par leur splendide isolement, la dange- reuse inadaptation de l’enseignement. Pour les rapprocher les uns des autres dans des travaux communs, pour mettre un terme cet absurde malentendu, l’Unesco a pris depuis quelques annCes

l’initiative de convoquer, dans chacune des grandes rdgions du monde, des conftrences ptriodiques rdunissant à la fois, et pour les mêmes États, les ministres de l’tducation et les ministres chargts de la planification tconomique. C’est sur cette base qu’au cours de l’annCe 1971 se sont tenues à quelques mois de distance la Conftrence de Caracas pour 1’AmCrique latine et, pour l’Asie, celle de Singapour. Il est vrai qu’à lire la liste des participants on constate un sdrieux dtsdquilibre, au moins pour le nombre, entre les deux cattgories, les ministres de l’tducation l’emportant de beaucoup sur leurs collègues Cconomistes. Même limitCe dans ses effets immédiats, l’initiative n’en est pas moins heureuse. Un jour elle pourra porter tous ses fruits.

ORGANISATION D E LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Dès que, du plan des politiques, on passe à celui de l’organisation des dtudes, on constate l’extrême diversité des structures, non seulement d’un État à l’autre, mais à l’intdrieur d’un même État. L’histoire explique et justifie cette diversite. A toutes les tpoques, toutes les socidtts humaines ont organise la formation de la jeunesse à la vie active, que ce soit dans le cadre de la famille, du clan ou de la tribu, ou dans celui de la profession. Ce que l’on appelle l’apprentissage n’a jamais cesse de faire l’objet des soins de la communautd, sous une forme individuelle ou collec- tive, sous la conduite d’un ancien ou d’un guide expdrimentd,

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L’enseignement secondaire, la formatioii et l’emploi 47

d’un patron ou d’un chef d’entreprise, selon les usages de l’agri- culture, de l’artisanat ou de l’industrie. Chaque peuple a reçu ce long héritage, dont les marques sont encore visibles dans les sociCtCs les plus kvolukes et les systèmes les plus complexes.

11 rCsulte de l’enquête de l’Unesco qu’aucun État ne refuse d’assumer ses responsabilités pour la formation de sa jeunesse à la vie professionnelle; les législations nationales ne cessent de s’enrichir à cet égard ni de se perfectionner. A mesure que la reglementation s’Ctendait à l’ordre international, on a vu se tisser un rCseau de conventions ou de recommandations, dont l’initiative revient à l’organisation internationale du travail. La diversitC que l’on relève dans les systèmes nationaux ne tient pas au degré d’attention que les différents pays portent à ces pro- blèmes, mais à la variété des coutumes qu’ils ont héritées du passC et des dispositions qu’ils ont adoptees à des dates rtcentes, selon leur rCgime politique, leur structure sociale, le niveau de leur développement économique, leurs particularités culturelles ou la conception qu’ils se font des devoirs de l’éducation. Rien n’est plus suggestifà cet égard que de confronter, là où on les a déjà écrites, l’histoire de l’éducation et celle de l’organisation du travail.

Les coutumes traditionnelles de l’artisanat, fidèles à leurs formes pittoresquement archaïques, subsistent encore dans des pays d’Europe occidentale, surtout pour certains corps de mCtiers, comme celui des charpentiers. Les grandes entreprises industrielles ont depuis longtemps crCé leur propre système d’apprentissage et de formation; mais on leur a, depuis long- temps aussi, adressé le reproche d’obéir à des motifs Cgoïstes, de ne pourvoir qu’à leurs besoins, d’enfermer leurs élèves dans des spCcialisations Ctroites, sujettes aux vicissitudes des contingences Cconomiques. L’ État, d’une part, les organisations syndicales, de l’autre, n’ont pas tardé à intervenir; c’est ainsi que dans un pays tel que la France s’est constituC, au début de ce siècle, un secteur technique et professionnel de l’enseignement public, dont I’État, les entreprises, les associations patronales et les orga- nismes ouvriers se rtpartissaient les charges et le contrôle en une mosaïque extraordinairement compliquCe d’institutions. Il a fallu de longues années et des rdformes successives pour ordonner, simplifier et unifier ce système et le soumettre aux exigences d’une éducation moderne.

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48 L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi

A mesure que les territoires coloniaux renonçaient à l’tduca- tion coutumière pour adopter, sous l’impulsion de leurs métro- poles, des formes d’enseignement importdes, les entreprises agricoles ou industrielles Ctaient encore trop faibles pour prendre à leur charge une formation m ê m e rudimentaire. C’est donc l’État, par la voie de l’éducation nationale, qui assume dans les anciennes colonies, depuis leur accession à l’inddpendance, l’essentiel de la prdparation des jeunes à la vie professionnelle. Que ce secteur de l’enseignement soit un souci constant pour la plupart des pays du tiers monde, que la nécessitt d’une adapta- tion s’y impose avec une urgence particulière, la lecture des rapports nationaux le confirme à l’tvidence. Dès qu’on y aborde le domaine de la formation, on voit tous les problèmes surgir à la fois : amklioration de la formation, Cgalisation des chances entre enfants des villes et des campagnes, entre filles et garçons, recherche d’un système d’enseignement conforme aux conditions du monde rural, élimination de l’analphabétisme, du chômage et du sous-emploi. Et comme on commence à se rendre compte que 1’Ccole ne suffira pas à satisfaire tous ces besoins, c’est aussi en matière de formation que l’on se tourne avec le plus de hardiesse vers les formes non scolaires de l’éducation.

Parmi les pays ddveloppés, où la formation professionnelle a ddjà une longue tradition, on peut distinguer deux grandes caté- gories, suivant le rôle attribud à 1’Cducation nationale. Au Royaume-Uni, par exemple, la formation professionnelle relève des conseils créCs à cet effet en 1964, avec la participation des employeurs et des employés, ainsi que des membres des services de l’enseignement. L’Ccole publique n’est donc pas CcartCe de cette organisation, mais elle n’y tient pas la première place et n’en assume pas la responsabilitC. Dans les pays socialistes, en revanche, comme la Bulgarie, c’est au Ministère de l’éducation qu’il incombe de mettre en œuvre la formation dans tous les secteurs de l’emploi. En France, l’enseignement technique et professionnel a Ctt de longue date inttgrt au Ministère de l’édu- cation. Les ltgislations rdcemment adoptees au Danemark et en Norvège tendent à confier la formation aux institutions sco- laires, de prCfCrence B l’apprentissage dans les entreprises.

Les deux systèmes ont leurs avantages et leurs inconvknients. O n porte volontiers au crédit des solutions scolaires la garantie

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L‘enseignement secoiidaire, la formation et l’emjdoi 49

que la formation, soustraite aux préoccupations strictement utilitaires des entreprises, tiendra compte à la fois des intérêts des élèves et de ceux de la collectivitC, qu’elle réalisera un juste Cquilibre entre 1’Cducation gCntrale et la préparation directe à un mdtier. Par contre, la formation à 1’Ccole risque d’être moins pratique et moins efficace; par les équipements coûteux et le personnel, aussi nombreux que diversement spCcialisCs, qu’elle exige, elle impose à l’etat des charges qui deviennent Ccrasantes.

C’est pourquoi, entre ces deux voies opposées, certains pays en ont ouvert une troisième, qui permet d’exploiter à la fois les ressources de l’tcole et celles des organisations professionnelles : l’apprentissage se fait dans les entreprises, mais les apprentis continuent à recevoir certains enseignements à l’école. Aussi longtemps que dure la scolarité obligatoire, l’éducation natio- nale maintient sa responsabilité sur ses élèves, mais elle confie par contrat à des entreprises publiques ou privées, dûment choisies, le soin d’assurer une formation pratique en vue d’un emploi. Cette alternance de l’enseignement et de l’apprentissage peut prendre des modalités diverses : tantôt, comme en Répu- blique fédérale d’Allemagne, la semaine de travail se partage entre l’apprentissage et l’école ; tantôt, comme dans la province du Nouveau-Brunswick, au Canada, les apprentis retournent chaque annCe faire un stage de trois à six semaines dans une Ccole; ou encore, comme en Tchécoslovaquie, l’apprentissage se fait par alternance dans des centres crtCs auprès des entreprises et dans des écoles d’apprentis entretenues par 1’État. Ces diffé- rentes formules ont toutes l’avantage d’une grande souplesse, elles permettent aussi une pleine utilisation des ressources dispo- nibles en locaux, en Cquipements et en personnel, ainsi qu’une sage Cconomie de moyens.

NATURE DE L A FORMATION

Que la formation soit le monopole de l’éducation nationale, qu’elle se donne dans des centres distincts de l’école publique, ou qu’elle fasse l’objet d’une coopération entre 1’Ccole et l’entre- prise, ce n’est, après tout, qu’un aspect secondaire du problhme. L’éducation ne peut pas, ne doit pas, rechercher l’uniformitd : des liens trop étroits l’unissent à la sociCté, à l’environnement,

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50 L‘enseignement secondaire, la formation et l’emploi

au régime politique et aux traditions culturelles. Ce qui importe, en matière de formation comme en tout ce qui touche à l’éduca- tion, c’est que le contenu réponde aux besoins.

Jusqu ’ici nous n’avons considéré que le caractère sptcifi- quement professionnel de la formation, c’est-à-dire suivant la définition que nous avions provisoirement acceptée, l’appren- tissage d’aptitudes particulières pour l’exercice d’une profes- sion n; dans cette perspective, l’efficacité d’une formation se juge à son pouvoir de donner directement accès à un métier. En poussant les choses à la limite, il devrait donc y avoir autant de types spéciaux de formation qu’il y a de métiers. C’est d’ailleurs ce qui se passerait si les entreprises étaient seules à se charger de l’apprentissage, chacune ayant pour objectif de se procurer la main-d’œuvre qualifiée qui lui est nécessaire, dans la stricte limite de ses propres besoins. U n rapport prépard en 1971 au Danemark sur l’enseignement professionnel signalait l’existence de plus de cent cinquante types distincts de formation pour un nombre équivalent de métiers. Le souci de sptcialisation n’a-t-il pas naguère conduit, en France, le Ministère de l’éducation à délivrer une multitude de certificats d’aptitude professionnelle, qui n’ttaient utilisables que pour un métier seulement ? O n n’a pas tardé à discerner les inconvénients d’un tel système, qui ne prévoyait pas les rapides mutations de la production, créait des risques, tantôt de chômage et tantôt de pénurie, ne permettait ni mobilité ni promotion à ceux que l’on prétendait avoir formés. Sans compter qu’une spécialisation précoce ne parvient jamais à satisfaire toutes les exigences de l’industrie. Comment ne pas approuver le ministre tchécoslovaque de l’éducation, quand il rappelle aux entreprises que a le rôle du système d’enseignement est d’assurer une formation générale répondant aux besoins d’une branche particulière de la production - construction mécanique par exemple, ou bâtiment - et non de répondre aux demandes de telle ou telle usine D ? Tout le problème, à cet égard, est de situer la formation à un juste niveau, de façon à la rendre susceptible de s’adapter aux fluctuations du marchC de l’emploi ou aux mutations de la technologie, sans négliger pour autant le plein épanouissement des facultés de chaque individu.

A ce point de l’analyse, il faut faire intervenir une nouvelle distinction. O n confond souvent, dans l’usage international, la

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L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi 51

notion de formation professionnelle et celle d’enseignement technique. Dans les pays de langue anglaise, 1’Cpithète (( tech- nique D est gdntralement réservde au plus haut niveau de l’enseignement; on parle d’instituts techniques supdrieurs ou m ê m e d’universitCs techniques. Ailleurs, au contraire, on qualifie de u polytechnique )> 1’Ccole de base de dix ans. Tandis qu’en France et dans d’autres pays de langue française, l’enseignement technique constitue l’une des variantes du deuxième cycle du second degré, correspondant au groupe d’âge de 15 à 18 ans en moyenne. L’idée est pourtant la même : ce qui distingue essen- tiellement l’enseignement technique, c’est moins l’objectif que le contenu. Les Ctudes techniques ont pour base les applications technologiques de la science; elles peuvent être d’un niveau plus ou moins ClevC, mais comportent toujours des travaux pratiques, effectuds dans des ateliers. Elles s’orientent salis doute vers des professions, dans l’ordre de l’industrie, de l’agriculture, du com- merce ou de la gestion, mais ne donnent pas nécessairement accès à un emploi. En d’autres termes (et c’est ce en quoi elles diffèrent de la formation professionnelle), les ddbouchts sur la vie active peuvent s’offrir à la fin des Ctudes secondaires, au niveau de technicien ou d’ouvrier qualifié, mais exiger aussi des ttudes supC- rieures dans des universitks ou dans des instituts spCcialisCs. Plus qu’à une spécialisation pratique, l’enseignement technique tend à une orientation gCnCrale vers de larges secteurs de la technologie.

Or il se trouve que cet enseignement, en dtpit des vastes perspectives qu’il ouvre, n’attire pas les Clèves les plus douCs, ni les plus ambitieux. M ê m e dans les pays les plus industrialisCs, il est la victime d’un prdjugC social profondement enracint. La lecture des rapports du Danemark et de la Finlande est parti- culièrement suggestive à cet Cgard. C’est un fait bien connu qu’en France même les grandes tcoles qui m8nent aux plus hauts emplois de l’industrie recrutent beaucoup plus souvent leurs élèves dans les sections scientifiques de l’enseignement secondaire que dans les sections techniques. Combattre ce prCjugé, amtliorer le recrutement, Clever le niveau des Ctudes dans l’enseignement technique, tel est le souci commun B la plupart des gouverne- ments et beaucoup de réformes rCcentes n’ont pas d’autre objectif que celui-ci. En France, un même diplôme, le baccalaurtat, couronne dtsormais les Ctudes secondaires, pour les sections

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5‘ L’enseigiiement secoiiduire, la formation et remploi

classiques ou modernes aussi bien que pour les disciplines tech- nologiques. Mais les prCjugCs subsistent encore, surtout si l’ensei- gnement technique se donne dans des ttablissements diffdrents des autres. Aussi la solution choisie par des pays tels que la Suède ou le Royaume-Uni semble-t-elle à la fois la plus simple et la plus efficace : le a nouveau gymnase >> suCdois, 1’Ccole poly- valente britannique (comprehensive school) rassemblant dans un mCme Ctablissement tous les Clèves du même groupe d’âge et offrant 1’Cventail complet des Ctudes secondaires, de type clas- sique ou technique, industriel ou commercial. D6jà adoptCe dans d’autres États, comme le Canada, l’tcole polyvalente gagne du terrain en Belgique, au Danemark, en Égypte, en Finlande, au Ghana, en Irak, au NigCria. O n peut dès maintenant lui prCdire un grand avenir.

Les structures scolaires, même amCliorCes, ne suffisent pour- tant pas à vaincre toutes les difficultts. Au sein d’une même Ccole, certaines prCventions peuvent persister à 1’Cgard des disciplines rCputCes moins nobles que d’autres; pour surmonter les obstacles psychologiques, tclairer le choix des jeunes gens et faciliter leur orientation, les programmes rCcemment adoptds par la France, au niveau du premier cycle secondaire, comprennent obligatoi- rement, pour les classes de quatrième et de troisième (vers l’âge de 13 ou 14 ans), une initiation à la technologie, dont l’objet est de faire mieux comprendre aux Clèves la nature de la technologie moderne et d’&veiller en eux le goût du travail concret, Une large initiative Ctant laissde aux professeurs, qui se recrutent sur- tout parmi les physiciens, les premières expériences n’ont pas toujours CtC heureuses; on a hésitt sur le choix des methodes, les idCes mêmes ont CvoluC, des recherches ptdagogiques sont en cours. Mais une voie a Ctt ouverte, qui peut conduire bien plus loin que les travaux manuels de naguère. Plusieurs pays, tels que 1’ Bgypte, la Jordanie ou Madagascar, semblent acquis eux aussi à l’initiation technologique.

L’ORIENTATION

Ces recherches, ces expCriences, ces changements tendent tous ?i faciliter l’orientation des Clèves entre les diverses options que leur offre l’enseignement secondaire : disciplines littdraires ou

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L’enseignement secondaire, In formation et l’emploi 53

scientifiques, enseignement gCnCral ou enseignement technique, ttudes prolongtes jusqu’au degrC suptrieur ou formation profes- sionnelle pour l’accès direct à la vie active. Aussi le problème de l’orientation retient-il de plus en plus l’attention des Cducateurs. Après plusieurs autres Etats europdens, dans le cadre de la reforme actuelle, la Rtpublique ftddrale d’Allemagne vient de crCer, au seuil de l’enseignement secondaire, un cycle d’orien- tation de deux ans, qui deviendra obligatoire dès 1976. Les formes, les mdthodes de l’orientation peuvent varier selon les pays, mais on s’accorde sur un certain nombre de conditions qui devraient être rdalistes dans tous les cas : I. L’orientation ne doit pas être prtmaturde; survenant après

une première ptriode d’ttudes de base, les mêmes pour tous les enfants, afin de favoriser 1’Cgalité des chances, elle se situe en gCnCral autour de la quinzième annCe; encore est-ce trop t8t au grt de certains tducateurs. La rdforme actuellement mise en euvre en Yougoslavie prolonge de deux ans la durCe de l’enseignement gCnCral. << Pendant les deux annCes suppltmentaires, lit-on dans le rapport prd- sent6 par ce pays, les Clèves ont la possibilitd de decider plus mûrement de leur avenir. n Mais il y a aussi des inconvd- nients à retarder trop longtemps l’orientation, et le dClai qu’on leur accorde ne modifie que rarement, selon les obser- vations de certains experts des États-Unis, le choix dCjà fait par les jeunes gens. La plupart des systèmes d’enseignement, comme d’ailleurs le marchC du travail, s’accommodent avec peine d’une orientation tardive. En principe, une orientation qui se fait dans le cadre de l’tcole a d’abord une portte scolaire : elle facilite et guide le choix entre les diverses options offertes par l’enseignement secondaire, littéraire, scientifique ou technique. Mais on ne peut oublier qu’en optant pour une filière l’&lève prend une ddcision qui, dans une large mesure, ddtermine son avenir : ou bien, à la fin de ses Ctudes secondaires, il va entrer dans la vie active, et il importe que ce soit avec des qualifications qui lui donnent accès à un emploi; ou bien il continuera dans l’enseignement supdrieur, et il n’est pas aussi important qu’il choisisse la voie qui rCpond le mieux à ses aptitudes. Pour toutes ces raisons, l’orientation a

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54 L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi

toujours des consCquences pour la future profession; elle doit s’opdrer à la manière d’une information aussi large que possible sur les carrières et les perspectives d’emploi. Si les autoritts scolaires ne sont pas en mesure de la fournir, des services spCcialisCs doivent être crtCs dans chaque region. D’où un système complexe qui met en jeu les maîtres, des psychologues et des conseillers pourvus d’une prdparation particulière et des documentalistes exerces. Mais tous les pays ne sont pas en ttat de se donner un dispositif aussi coûteux. Dans les fitats où l’tducation fait l’objet d’une planification rigoureusement intCgrCe à des plans de dkeloppement Cco- nomique, l’orientation a un caractère impCratif : les Clèves et leurs familles n’ont d’autre possibilitd que de s’y conformer. O n obtient ainsi la rdpartition souhaitCe entre les differents types de formation ou les differentes filières d’enseignement. Dans d’autres pays, l’orientation se prCsente sous forme de suggestions précises : ceux qui refusent de les suivre sont alors soumis à des Cpreuves complCmentaires, dont les rdsultats sont dCcisifs. Il se peut aussi que l’on se borne à donner de simples conseils; mais s’agit-il encore d’une orien- tation vdritable? Les prejugds sociaux ont le champ libre. D e toute façon, les avantages et les inconvdnients des diffd- rents systèmes relhent des rdgimes politiques ou des orien- tations nationales, beaucoup plus que des considCrations pddagogiques.

Ce qui importe avant tout, c’est que l’orientation ne prenne pas un aspect ntgatif, faute de quoi elle devient une sdlection, mot abhorre dans de larges secteurs de la jeu- nesse, pour tout ce qu’elle Cvoque de dtceptions, d’amertume et de frustration. Une orientation positive, même si elle dCtourne l’élève de certaines voies, doit se fonder surtout sur les aptitudes utilisables, sur de rCelles perspectives d’avenir; plus que les risques d’dchec, elle signale les chances de succès, même B un Cchelon plus modeste qu’on ne l’avait espCrC. C’est dire que l’orientation doit être le rCsultat d’une large concertation, non seulement entre tous ceux qui y apportent leur expertise, non seulement entre ceux-ci et la famille,

3.

4.

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L’enseigriement secondaire, la formation et remploi 55

mais surtout avec les jeunes gens qui y sont les principaux inttressds. Il ne faut pas que les Clèves la subissent comme une solution imposde mais qu’ils aient le sentiment d’y prendre une part active. En prdparant la documentation ntcessaire aux dCbats sur l’enseignement, la formation et l’emploi, le BIE avait eu l’heureuse idCe de demander à un assistant de l’lkole de psychologie et des sciences de l’Cdu- cation de 1’UniversitC de Genève d’entreprendre une Ctude critique des travaux rdcents consacrds aux aspirations des jeunes face à leur avenir qu’il intitula Les jeunes face à la vie scolaire, au monde adulte et à l‘emploi [4g]. Après avoir mis en lumière les causes d’une attitude rCsolument critique à l’tgard des systèmes d’Cducation, le rapport qui rCsume les conclusions de 1’Ctude s’achève par ces mots : (< Une forma- tion radicalement nouvelle doit être donnCe aux jeunes pour qu’ils dCcouvrent les moyens de s’orienter eux-mêmes selon leurs aspirations et non seulement celles qu’on leur prête ou qu’on voudrait qu’ils acquièrent ... Quelles que soient les conditions environnantes et les possibilités offertes par la scolaritC, aucun responsable de la formation ne peut oublier que ceux-ci ne peuvent se situer face à leur formation ou leur avenir que si la gestion de cette formation scolaire et professionnelle leur appartient, c’est-à-dire s’ils en devien- nent effectivement responsables. ))

Sans doute les jeunes auront-ils toujours besoin d‘infor- mations et de conseils, mais ce que les institutions et les tducateurs doivent rendre possible, c’est que, dans le pro- cessus difficile de leur orientation, les élèves deviennent des partenaires conscients et actifs et que le choix qui en rCsulte soit dellement le leur. Ce qui exige, dans la plupart des cas, un changement en effet radical. Enfin - et cette dernière condition n’est pas la moins impor- tante - l’orientation qui s’opère à 1’Ccole ne doit jamais être considCrCe comme definitive. Des erreurs sont toujours possibles et le seront toujours; mais sitôt dCcelCes, il faut qu’on puisse les rCparer h n’importe quel moment de la scolaritC ultCrieure. La rdorientation n’est dalisable que s’il existe, entre les diffhentes filières offertes par l’enseignement secondaire, assez de (< passerelles )) pour que, de l’une à

5.

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56 L’enseignement secondaire, la formation et l’embloi

l’autre, le passage puisse s’effectuer sans dommage pour les victimes d’une mauvaise orientation. Sans doute les sys- tèmes d’enseignement les plus CvoluCs comprennent-ils des dispositions qui prCvoient en effet ces passerelles et rendent ces passages en principe possibles, mais on sait trop combien la rigiditC des structures multiplie en fait Ies obstacles et compromet les chances de succès. Là encore, de grands progrès restent à accomplir, dans le sens d’une plus grande souplesse et d’une mobilitd accrue.

ÉDUCATION ET TRAVAIL

Le milieu scolaire permet rarement aux Clkves de se faire une idCe assez juste et assez prCcise de la vie active et du monde du travail. Les systèmes d’enseignement se sont perfectionnds au cours de l’histoire, avec le souci de rCpondre à leurs propres besoins et à des exigences d’une nature essentiellement pCdago- gique. O n a longtemps jugC bon de maintenir 1’Ccole à 1’Ccart des tumultes extérieurs, à l’abri des atteintes de la vie publique. Maintenant qu’elle a dû ctder aux pressions extCrieures et s’ouvrir davantage, on lui fait souvent le reproche de devenir un champ de rencontre privilCgiC, et combien vulntrable, pour les passions politiques adverses. Mais, politiste ou non, elle n’en demeure pas moins ttrangère aux rCalitCs concrètes du travail productif. AbsorbC par ses Ctudes ou sollicitC par des mots d’ordre dont il ne comprend pas toujours la portde, comment un Clève peut-il se faire une image exacte du mdtier qu’il exercera plus tard, des conditions de travail qui l’attendent ? L’orientation, avec son double aspect scolaire et professionnel, n’a de chance de rCussir que si le monde de 1’Ccole s’ouvre lui-même tout entier sur le monde du travail.

C’est ce souci qui a inspirC les mesures rdcemment adoptdes en France pour permettre à des professeurs, quelle que soit leur spCcialitC, de faire des stages de longue durte dans de grandes entreprises, avec l’espoir que l’expdrience acquise dans des modes entièrement diffdrents de travail actif aura des consCquences heu- reuses pour eux, pour leur enseignement et pour leur compor- tement avec leurs Clèves.

Dans les mêmes intentions, d’autres pays cherchent des

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L‘Enseignement rccondaire, la formation et l’emploi 57

formules nouvelles pour leurs écoles secondaires. O n se doit de signaler une expérience particulièrement intdressaqte mente depuis quelques années dans certains districts des Etats-Unis. Des enquêtes ayant révClé qu’un grand nombre de jeunes AmC- ricains achevaient leurs études scolaires, ou même les premières années d’études supérieures, sans s’être souciés de leur carrière future et sans avoir acquis d’aptitudes directement utilisables pour un travail productif, l’idde est venue de créer un nouveau genre d’école, intégrant l’école primaire et l’tcole secondaire, ainsi que les trois types de programmes jusqu’ici en vigueur : enseignement géndral, enseignement professionnel et prtparation à l’université. Dans ces Ccoles nouvelles, l’enseignement géntral se poursuivra comme dans toutes les autres, mais il assurera en même temps une véritable orientation professionnelle et per- mettra de ddboucher, suivant le choix des élèves, soit sur un emploi immédiat, soit sur l’enseignement supérieur. Ce sont donc, si l’on veut, des dcoles polyvalentes, mais dont les programmes seront semblables pour tous les élèves et les prépareront tous à la vie active.

A un premier stade, il s’agit surtout d’aider les enfants à prendre conscience de la nature et des conditions du travail dans un grand nombre de metiers, répartis en groupes pour en faciliter la présentation. Dans une deuxième étape, les élèves choisiront eux-mêmes deux ou trois groupes de métiers pour les étudier de plus près : c’est l’époque de l’exploration professionnelle, aucune option n’étant encore définitive. Puis s’ouvrira la troisième et dernière étape, au cours de laquelle ils vont recevoir, pour la profession qui aura leur préfCrence, une formation véritable, susceptible de leur procurer un emploi. A aucun moment I’ensei- gnement général n’aura été sacrifié A la formation, et s’il est vrai qu’au sortir de ces tcoles les jeunes gens posséderont tous une qualification professionnelle, ils n’en seront pas moins aptes, s’ils le désirent, à poursuivre leurs études dans une des branches de l’enseignement supérieur. Aucun système n’est parfait; celui-ci a une existence trop brève pour qu’on puisse le juger sur ses résultats. Il offre pourtant l’image d’un enseignement vraiment complet, oh les exigences d’une bonne tducation générale se concilient avec celles d’une orientation à la fois progressive et active, ainsi qu’avec une large ouverture sur les réalités concrktes

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58 L’enseignement secondaire, la formation et l’emploi

du travail productif. C’est peut-Ctre l’une des formules de l’avenir. Beaucoup plus radicale et plus ambitieuse, la loi gCntrale

d‘tducation promulguée en 1972 au PCrou tend à abattre toutes les barrières entre l’tcole et son milieu. Au lieu de se retrancher, comme dans un passé tout récent, derrière son enceinte et de constituer une enclave dans la communautd environnante, 1’Ccole nouvelle, dont la gestion sera confite à cette communautC, profi- tera ainsi de toutes les ressources collectives et rendra en retour le maximum de services, avec la participation et au btnCfice de la population tout entière. Une tcole de communautC, gérde par la communautC, œuvrant pour la communautt : voilà encore, semble-t-il, une formule d’avenir.

La Chine, dont l’entrée officielle à l’Unesco ne remonte qu’à la fin de 1972, n’a pas encore apport6 de contribution bien active aux travaux de l’organisation. Les seules informations qu’on possède à son sujet ne proviennent donc pas de source officielle. Ce que l’on sait de la réforme introduite par la révo- lution culturelle dans le système d’enseignement donne toutefois à penser qu’elle est conçue en vue de créer les conditions de a la symbiose la plus complète )> entre chaque unité d’enseigne- ment (et cela à tous les niveaux, du primaire au supCrieur) et la collectivitd socio-Cconomique dont elle dtpend, un même esprit animant ici le travail productif et là la nouvelle culture en for- mation. La participation au travail productif est, pour les Clèves, une discipline fondamentale. a Dans une Ccole de Shongshu, dans le Lianong, toutes sortes de travaux susceptibles de diminuer les frais de l’tcole sont pratiquts, tels que la collecte des herbes mCdicinales, la cueillette des amandes sauvages, le ramassage des bois de chauffage. En quatre ans, on a ramasst plus de trente tonnes de bois qui, outre la solution du chauffage, ont permis d’aider les brigades de production, et encore de régler les diverses dCpenses de 1’Ccole et les achats d’articles d’usage scolaire1. )) O n pense, en lisant ce texte, aux << Ccoles à la campagne D de Cuba. Sans doute hésitera-t-on à citer en exemple des expCriences aussi

I. Ces informations sont textuellement empruntées une étude de L6on Vander- meersh sur La rkJonne de l’kducation en Rt‘publique populaire de Chine, publiCe par l’Unesco en 1972 dans la série des documents annexes du Rapport de la Commission internationale sur le développement de l’kducation.

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renseignement secondaire, la formation et l’emploi 59

rudes. Mais elles donnent une idCe de ce que, dans des conditions moins exceptionnelles, 1’Ccole pourrait faire pour se rapprocher de la communautd active.

Il ne faut pourtant pas tout attendre ni tout exiger de l’dcole, même de 1’Ccole secondaire. Ce n’est pas un monde aussi clos qu’on le dit. Au départ, elle reçoit des enfants à qui l’enseigne- ment primaire a déjà donné une certaine formation, certaines aptitudes, certaines habitudes de travail. Si une partie de ses Clèves la quittent pour la vie active, à laquelle elle se doit de les prtparer, d’autres se destinent à l’enseignement supCrieur, dont elle ne peut ignorer les exigences. En aval comme en amont, elle est Ctroitement tributaire de l’ensemble d’un système : sys- tème scolaire, système social. Elle n’est pas non plus la seule à former les jeunes du groupe d’âge correspondant, les activitds d’ordre pdriscolaire, extrascolaire ou non scolaire prenant dCjà, dans la plupart des pays, une importance qui ne cessera de s’accroitre. Pas davantage qu’aucun des problèmes qui se posent pour l’education, celui des relations entre l’enseignement, la for- mation et l’emploi ne peut donc recevoir de solution complète à ce seul niveau des Ctudes. Nous n’allons pas tarder à le retrouver dans un contexte diffdrent.

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Chapitre trois

Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement supérieur

Dans le cadre international, l’année 1973 aura Cté marquée par d’importants travaux concernant l’enseignement supérieur, les uns à l’occasion de la deuxième Conférence des ministres de l’éducation des États membres d’Europe [15], les autres àpropos d’une étude entreprise par l’OCDE [ig]. Comme de juste, la conférence ministérielle s’intéressait à l’ensemble du continent européen, tandis que 1’Ctude de l’OCDE portait sur des pays de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord. Dans un cas comme dans l’autre, une seule partie du monde se trouvait directement concernée, mais c’est de là que viennent la plupart des expériences et des innovations qui sont en train de rénover l’enseignement supérieur. Que beaucoup d’autres pays situés dans d‘autres régions suivent ces nouvelles tendances avec une attention vigilante pour y puiser des idées ou même des exemples, c’est ce que confirment les documents issus de diverses réunions internationales, ainsi que les rapports soumis à l’Unesco ou au BIE par différents États. A travers cette masse d’informations, de rCflexions et de projets, on voit se profiler un ensemble de problèmes et de perspectives, qui dépassent largement les limites du monde occidental.

où L’ON RETROUVE DES PROBLÈMES CONNUS

Lorsque les ministres européens de l’éducation avaient tenu leur première confdrence en novembre 1967, leurs travaux s’étaient concentrds sur le problème de l’accb à l’enseignement supCrieur. C’&ait en effet le temps oh le flux des étudiants vers les univer-

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Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignemeiat supérieur 61

sités s’amplifiait, dans presque toute l’Europe, avec une rapidité saisissante; entre 1960 et 1965, le taux d’accroissement annuel des effectifs avait été en moyenne de IO y0 pour l’ensemble du continent, dépassant même 16 % pour l’un au moins des pays; celui des dépenses publiques afférant à l’enseignement supérieur se situait entre 16 et 28 % dans seize des vingt-cinq États consi- dérés, alors que leur revenu national brut augmentait annuelle- ment de g à 13 %. O n conçoit l’embarras des pouvoirs publics, placés devant un choix difficile entre le principe du libre accès à l’enseignement supérieur, application logique mais combien périlleuse du droit à l’éducation, et une limitation des entrées par le recours à la sélection.

Six ans plus tard, lors de la deuxit“ conférence des minis- tres, le problème avait perdu de son acuité; l’afflux des étudiants s’était ralenti dans la grande majorité des pays européens, il semblait devenir Ctale. Mais la question de principe restait posée; partisans de la limitation et champions du libre accès s’affrontaient de nouveau. Dans le premier camp on retrouvait surtout des représentants des États socialistes, avec les mêmes arguments de poids. Seule une planification globale, s’appliquant à la fois à la croissance économique et à l’dducation, permet de prévoir le nombre d’emplois disponibles dans chaque secteur de l’économie et le nombre d’élèves désirable aux niveaux supérieurs et dans chaque branche de l’enseignement. L’admission des étudiants dans les universités peut donc se faire d’une manikre satisfaisante pour les besoins de la société, comme leur répartition entre les grandes disciplines. Il n’y a ni risque de pénurie ni danger de chômage ou de sous-emploi. Quant à la sélection, qu’est-ce d’autre que le choix le plus objectif des candidats les plus aptes et les plus méritants ? Si elle ne s’opère pas B l’entrée dans l’enseignement supérieur, elle interviendra nécessairement soit au cours des études, par le jeu des examens, soit à la fin au moment de l’obtention des diplômes. En limitant l’accb, on évite les déperditions d’effectifs, les déceptions, l’amertume et la révolte. D e tous les pays du monde, c’est dans ceux qui prati- quent la planification et la sélection préalable que l’on trouve aussi le moins d’étudiants portés à la contestation. Quoi de plus logique que ce raisonnement ?

Et pourtant, pas plus 2 la conférence de Bucarest que, six

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62 Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement solpérieur

ans plus tôt, à la confdrence de Vienne, il n’a rkussi B convaincre les sceptiques. Les gouvernements qui rtpugnent à s’engager dans la voie d’une repartition et d’une sdlection autoritaires n’ignorent aucun des risques du libre accès. Ce n’est plus la croissance des effectifs qui leur pose un problème, puisque la plupart des États europdens ne prevoient qu’une faible augmentation du nombre de leurs étudiants dans les établissements d’enseignement supC- rieur1. Par contre, leur &partition entre les différentes branches d’dtudes demeure préoccupante. La proportion de jeunes diplômes dans les secteurs des lettres, du droit, des sciences sociales ou des beaux-arts est presque partout en progression, alors qu’elle diminue pour les sciences et la technologie. Les avertissements ne sont pourtant pas mdnagds aux candidats; on ne manque pas de les mettre en garde contre les effets néfastes qu’une mauvaise orientation peut avoir sur leur carrière future. Mais dans l’en- semble de l’Europe occidentale, à l’exception du Danemark, le mouvement qui entraîne les jeunes vers les disciplines litteraires ou juridiques semble aussi irrésistible que celui qui les détourne des Ctudes scientifiques et techniques, même quand il s’agit de pays aussi fortement industrialisCs que la RCpublique fddérale d‘Allemagne, la Suisse ou les Pays-Bas.

Que ce desequilibre entraîne à plus ou moins brève CchCance des dangers de chômage ou de sous-emploi, toutes les ttudes rdcentes s’accordent à le dCmontrer [22]. Dans le domaine des sciences sociales, le pourcentage des diplômés sans emploi a double en quelques années; il est vrai qu’il n’est pas rare de voir de jeunes ingénieurs forces d’accepter des postes de simples techniciens; ce qui donne à penser qu’à l’intdrieur d’un même secteur, comme celui de la technologie, la répartition spontanke des Ctudiants se fait dans de mauvaises conditions. A ce ch6- mage visible, que l’on peut mesurer au ddcalage entre l’offre et la demande, s’ajoute une sorte de chômage latent : dans l’ordre des disciplines litteraires, de nombreux diplômes, dans la crainte de ne pas trouver à s’employer à bref delai, s’enga- gent dans de longues recherches, sans la moindre assurance

I. Une enquete récente de I’OCDE auprb de seize etats europ6ens et de trois lhats non européens (Canada, Gtats-Unis et Japon) a recueilli des r6ponses unanimes A ce sujet [20].

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Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement supérieur 63

de pouvoir faire une carrière de chercheurs ou de professeurs d ’ universitt.

Ces phénomènes, bien connus des autorités universitaires, ne se limitent naturellement pas à l’Europe. Lors de la confé- rence qu’ils ont tenue en dtcembre 1971, les ministres de l’éducation de l’Amérique latine le signalaient déjà dans leurs conclusions. O n en trouve aussi 1’tcho dans les rapports natio- naux soumis à l’Unesco par des États tels que la Rtpublique de Corte, le Japon ou le Mexique. Mais c’est sur la situation dans la région europtenne que l’on dispose à cet égard des informations les plus précises.

Les sptcialistes réunis à Grenoble, au mois de novem- bre 1971, sous les auspices de l’OCDE, pour ttudier les perspec- tives de l’enseignement supkrieur court, attribuaient, au moins pour une part, le déséquilibre entre les différentes branches d’études suptrieures et le décalage entre l’offre et l’emploi à un préjugé tenace, d’ordre intellectuel et social à la fois. Les univer- sités traditionnelles et la haute culture, dont elles prétendent à juste titre être des centres de prtdilection, passent aux yeux des jeunes gens pour des secteurs a nobles >>, alors que les instituts et les disciplines technologiques sont souvent considtrés par eux comme de seconde zone. A cette hiérarchie de prestige corres- pond d’ailleurs une hiérarchie de carrière; les secteurs nobles conduisant à de hauts emplois, alors que les autres n’offrent que des perspectives moins brillantes. Ce qui amenait les participants du colloque de Grenoble à dtnoncer une véritable intgalité de chances [ ~ g , p. 3371.

Défaut d’orientation, inégalité des chances, déperdition d’effectifs, dtséquilibre entre l’enseignement, la formation et l’emploi : on retrouve au niveau de l’enseignement supérieur la plupart des problèmes que l’on avait déjà relevés à propos de l’enseignement secondaire. Comment en être surpris ? Dans un pays comme les États-Unis, où le nombre des étudiants des collèges et des universités forme la moitié du groupe d’âge cor- respondant (c’est-à-dire, selon les normes internationales, le groupe des jeunes de 20 à 24 ans), il y a longtemps que l’ensei- gnement supérieur est devenu une affaire de masse; on ne s’ttonne plus qu’il pose des problèmes de masse. Au Canada, au Japon, dans les autres pays qui approchent de cette situation,

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64 Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement selpérieur

on adopte ddjà une attitude semblable, de même qu’en Union soviCtique, où le taux de scolarisation à ce degrd est de 23 %. Mais dans beaucoup d’États de l’Europe occidentale, où ce taux oscille entre 15 et 22 %, il faut bien qu’on s’accoutume h changer d’Ctat d’esprit. Le temps est dCfinitivement rCvolu où les universitts formaient une dite privilégide. Succtdant dans l’enchaînement des Ctudes à l’enseignement de masse qu’est devenu celui du second degrd, comment l’enseignement sup6 rieur pourrait-il demeurer à l’kart du reste du système d’dduca- tion ? Il en est dordnavant Ctroitement solidaire : d’une part, il subit les effets des changements survenus en amont et, de l’autre, couronnant l’ensemble du système, il l’oriente dans une large mesure.

O n ne peut nier qu’une planification rigoureuse, une rCpar- tition et une sClection autoritaires n’apportent des solutions radi- cales à la plupart de ces problèmes, mais elles sont M e s à un rdgime, qui n’est celui que d’un petit nombre d’États. Les autres, qui n’ont pas perdu l’espoir de trouver des formules plus libkrales, multiplient les recherches, les expdriences et parfois même les expddients.

RECHERCHE D E SOLUTIONS NOUVELLES

Car c’est bien d’expddients qu’il s’agit quand des pays tels que la RCpublique fCdtrale d’Allemagne, la Finlande, la Suède et récemment les Pays-Bas, tout en maintenant le principe du libre accès aux universités, instituent un numerus clausus pour limiter les admissions dans certaines branches d’dtudes, la mCdecine en particulier. Sans doute les autoritCs qui adoptent ce genre de dispositions presentdes comme temporaires sont-elles dans l’obli- gation de parer à des situations devenues dangereuses : effectifs pléthoriques, insuffisance de l’accueil, menace de dégradation de l’enseignement, désdquilibre entre l’offre et la demande, pers- pectives de chômage. Mais ces mêmes autoritCs n’ont pas bonne conscience. Le numerus clausus, mesure d’exception, n’est jamais une solution satisfaisante.

O n s’dtonne souvent de voir se perpétuer en France le rdgime hybride qui fait coexister, depuis plus d’un siècle, les univenitCs, ouvertes à tous les bacheliers, et les grandes Ccoles, pkpinières des

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Problèmes et persfiectives nouuelles de l’enseignement supérieur 65

cadres supdrieurs de la nation, dont l’accès est strictement limité. Ici la sClection fait bon mCnage avec 1adCmocratisation de l’ensei- gnement supCrieur. Mais en est-il différemment aux Etats-Unis ? Si tout jeune AmCricain muni des titres suffisants est assurd de trouver une place dans une universitt (ou dans un collège), n’entre pas qui veut dans les plus rCputCes, Harvard, Yale ou Princeton. Une sociCtC libdrale, fondde sur la libre concurrence, ne peut Cviter I’inCgalitC dans la qualitt de l’enseignement, une hiCrarchie dans les institutions universitaires et, par suite, une sdlection à l’entrCe des meilleures.

Le cas du Royaume-Uni n’est-il pas plus suggestif encore ? De tout temps, les universitCs britanniques ont eu la liberte de choisir leurs Ctudiants et d’en limiter le nombre. Mais s’il se refuse à surcharger les universites ou à en fonder de nouvelles, le gouvernement a rdcemment dCcidC d’ouvrir une nouvelle voie aux Ctudes supdrieures, par la crdation d’un nouveau type d’ins- titution conduisant à un nouveau type de diplôme. O n pourra ainsi maintenir les effectifs de l’enseignement universitaire à leur niveau actuel, tout en admettant, d’ici à 1981, 750 ooo Ctudiants de plus à btndficier d’un enseignement suptrieur. C’Ctait un peu dans la même voie que le Royaume-Uni s’ttait engagC, il y a quelques annCes de cela, en créant sa cClèbre G universitt ouverte D. O n sait que cette institution combine les cours par correspondance, si largement utilists aux Etats-Unis et en Union sovidtique, avec des Cmissions de radio et de tClCvision, tout en maintenant un contact personnel avec ses quelque 40 ooo étu- diants par le relais de ses conseillers rCpartis dans diffbrents centres régionaux. La formule de l’universitd ouverte, qui s’apparente ainsi au système multi-media expCrimentC au QuCbec pour l’dducation des adultes, semble avoir sCduit les autoritCs fCdCrales d’Allemagne, comme les gouvernements du Japon et de la RCpublique de CorCe. Si YuniversitC des ondes est encore à 1’Ctat de projet dans la RCpublique fddérale d’Allemagne et au Japon, le Collège universitaire par radio et par correspon- dance, crCC dans le cadre de 1’UniversitC de Séoul, en RCpublique de CorCe, comptait dCjà en 1972 plus de douze mille Ctudiants pour l’administration publique, la gestion des affaires, l’agri- culture et l’tducation. Plus ou moins directement inspirCs de l’exemple britannique, ces nouveaux ttablissements paraissent

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66 Problèmes et perspectives nouvelles d e l’enseignement supérieur

promis à un grand avenir, si l’enseignement parvient à s’y maintenir au niveau dbirél.

Dans plusieurs autres fitats européens, on s’est plutôt prtoc- cupd d’ouvrir l’accès des universités à des candidats qui n’ont pas pu achever leurs études secondaires et ne possèdent donc pas les titres requis. En Finlande, il suffit d’une décision spéciale des autorités universitaires. En Suède, une récente disposition permet d’entrer dans l’enseignement supérieur après deux anndes seule- ment d’études secondaires, à condition d’avoir subi avec succès des tests d’aptitude. Pour les candidats qui ne sont pas bacheliers, les universites françaises organisent, sauf en médecine, des exa- mens spéciaux d’admission. En Union sovidtique, les personnes qui n’ont pas suivi jusqu’au bout l’école de dix ans peuvent quand même accéder à l’enseignement supérieur, si elles justifient d’une scolarité de huit ans dans des établissements techniques. Ailleurs, comme en Yougoslavie déjà et bientôt en Hongrie, on autorise des adultes engagés dans la vie active à entreprendre des études supé- rieures qui soient en rapport avec leur experience professionnelle.

Si, dans l’ensemble du pays, l’enseignement secondaire demeure la voie normale d’accès à l’enseignement supérieur, on s’efforce du moins d’élargir le recrutement et d’assouplir les conditions d’admission en tenant compte des aptitudes et de l’expérience acquises en dehors de l’école. Ces changements, sur- venus pour la plupart au cours de ces dernières années, montrent le souci qu’ont les pouvoirs publics de démocratiser l’enseigne- ment supérieur et de concilier le niveau élevé des études avec l’évolution de la société. Entre le principe du libre accès et celui de la sélection, on explore de plus en plus les ressources offertes par les systèmes hybrides.

L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR COURT

Les progrès les plus importants ont étd accomplis par l’ouverture sur un enseignement supérieur, d’une durée plus brève que dans

I. Les informations concernant la République fédérale d’Allemagne, la Répu- blique de Corée et le Japon proviennent des rapports soumis par ces gtats A la Confbrence internationale de I’éducation. Sur l’Université ouverte du Royaume-Uni et d’autres institutions comparables, voir l’ouvrage de H. de Sae- deleer [45].

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Problèmes et perspectives norizelles de l’enseignement sl4krieur 67

les universitds, avec un double objectif : décharger les universités d’une masse d’étudiants qui risquent de les encombrer sans profit et offrir des dCbouchts sur la vie professionnelle à un nombre toujours croissant de jeunes gens. L’exemple est venu des Etats- Unis, sous la forme des junior colleges qui, au sortir des Ccoles secondaires, préparent une large gamme de programmes dans les disciplines les plus varites, avec la perspective d’obtenir en deux ans un diplôme valable. O n en comptait dix-huit en 1900, ils Ctaient plus de mille en 1970. Ce genre d’institutions a prospCrC au Canada et plus rCcemment au Japon. Certains pays europtens, tels que la Norvège et la Yougoslavie, ont crCt à leur tour des

TABLEAU 2. L’enseignement supérieur court dans sept pays industrialists

Pays

1965/66 197,473

Enseignement Enseignement Total supérieur Total supérieur d’étudiants courta d’étudiants courta

Rtp. fédérale d’Allemagne -

Canadab 364 IOO

Gtats-Unisb 6 389 872

Franceb 458 409

Japon 1 182 343

Pologne 339 508

Yougoslavie ‘84 923

i a. L’expression c enseignement court n se réfère en réalité aux formes d’enseignement sui- vantes : Canada : co,nmuni& col& et autres institutions similaires; République fédérale d‘Allemagne : Fachhochschulen; Etats-Unis : établissements d’enseignement supérieur de deux ans; France : instituts universitaires de technologie; Japon : junior and lechnical colleges; Pologne : écoles professionnelles postsccondaires; Yougoslavie : enseignement supérieur non universitaire (durke : z années).

b. Les chiffres pour le Canada se réfhent à l’année 1971172 au lieu de 1g7z/73 et ceux pour les Ihats-Unis et la France P l’année 1966/67 au lieu de 1965/66.

c. Les nombres en italique entre parenthèses reprksentent le pourcentage.

Source : Office des statistiques, Unesco.

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68 Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement supérieur

Ctablissements d’enseignement supCrieur court, assez proches des univenitCs par la diversitC des Ctudes, mais d’un niveau moins ClevC et d’un accès plus facile.

La plupart des autres pays d’Europe ont depuis longtemps organisC un enseignement technique plus poussC que celui des Ccoles secondaires. Mais, depuis 1965 environ, on assiste à un vaste mouvement de rtforme qui a conduit la France à crter des instituts universitaires de technologie, communCment appelCs IUT, la Belgique à se doter d’un enseignement technique supC- rieur, ou la RCpublique ftdCrale d’Allemagne à rtorganiser ses Fuchhochschulen. Si diverses que soient les structures, le cadre commun à tous ces Ctablissements est d’offrir, dans des secteurs plus ou moins spCcialisCs de la technologie, un enseignement court, d’une durte de deux ou trois ans, sanctionne par des diplômes immCdiatement ndgociables sur le marcht de l’emploi.

C’est aussi vers 1965 que le Royaume-Uni a opte pour un a système binaire >) d’enseignement supCrieur, caractCrist par la coexistence des universitts et d’un rtseau de collèges non univer- sitaires, charge de donner un enseignement postscolaire avance (aduuncedfurther education) . Ces collèges ne sont d’ailleurs pas tous du même niveau, les polytechnics constituant parmi eux une tlite. Les Ctudes qu’on y fait sont presque aussi varides que dans les universitts, mais elles sont plus brèves, n’ont pas les mêmes prt- tentions, et les diplômes qu’elles permettent d’obtenir ne se confondent pas avec les grades universitaires de tradition.

D’autres perspectives, plus vastes encore, viennent d’être ouvertes à l’enseignement court par la crtation au Royaume-Uni d’un nouveau type d’dtablissements d’enseignement suptrieur, oh l’on se propose d’accueillir plusieurs centaines de milliers d’dtudiants, et en France du premier cycle des universitts, cou- rond par le diplôme d’dtudes universitaires gCnCrales (couram- ment nomm6 le DEUG). Dans un cas comme dans l’autre, le but est d’assurer des dCbouchCs rapides aux Ctudiants que leurs aptitudes ou les nCcessitts de la vie n’appellent pas à des Ctudes prolongtes.

Si l’enseignement suptrieur court permet de rtsoudre bien des problèmes connus, il faut convenir qu’il en pose certains autres, et de graves. U n enseignement court, plus encore qu’un enseignement long, exige une relation stable et assurCe entre la

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Problèmes et perspectives nouvelles de I‘enseignemenl supérieur 69

formation qu’il donne et les perspectives d’emploi. Ce qui sup- pose que les diplômes qu’il confère trouvent assez de crCdit auprès des employeurs. Faute de quoi, les risques seraient grands de chômage et surtout de sous-emploi. A plus ou moins brkve tchCance, l’avenir d’un enseignement incapable de placer ses diplômts à un niveau convenable dans la hiCrarchie du travail serait irrtmkdiablement compromis. Il est donc du plus haut intCrêt pour les pouvoirs publics de suivre avec une attention vigilante la carrière des anciens Clèves de l’enseignement supC- rieur court. L’Ctude menCe à cet Cgard par l’OCDE sur les IUT français aboutit à des conclusions rassurantes : tant du point de vue de la qualité que de la quantitd des emplois, 1’Cconomie française est capable d’absorber beaucoup plus de diplômCs que ces Ctablissements ne peuvent en produire. Mais les dCbouchCs immCdiats ne suffisent pas à crCer une motivation; les jeunes sont beaucoup plus intCressts par leur carrière future que par le premier poste qu’ils occupent. Comme l’écrit avec raison l’auteur de cette ttude, a cette corrClation entre carrière et niveau d’entrte est Cvidemment anti-motivante pour 1’Ctudiant diplômt de l’enseignement supdrieur court.. . Il faut dissocier Cnergiquement les possibilitds de carrière du niveau d’entrée dans cette carrière, et il faut le faire savoir, par des exemples prCcis. Bien sûr, il s’agit là d’une politique de longue haleine, que l’on doit entre- prendre sans tarder si l’on dCsire que les diplômks de l’ensei- gnement supCrieur court entrent dans la vie Cconomique. Le diplôme doit être un critère pour l’attribution du premier emploi, seulement parce qu’il n’y a pas d’autres critères; ensuite on devrait juger sainement des aptitudes du travail et oublier son diplôme1 D.

Il n’est pas du tout certain que les diplômes crCCs en France pour le premier cycle des universitds, ou au Royaume-Uni pour les nouveaux Ctablissements d’enseignement supdrieur court, ouvrent autant de dCbouchts que les instituts spCcialisCs. L‘expt- rience seule permettra d’en juger. D e toute manière et compte

I. Voir dans l’ouvrage dtjrl cité, L’enseignement suphieur court [19], 1’Ctude de Michel-Yves Bernard, (( Les débouchés de l’enseignement supérieur court D et << L’expérience française des instituts universitaires de technologie >>, p. 311-340.

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70 Yrobltmes et fierspectiues nouilellcs de l‘eiiseigiienient supérieur

tenu de la situation Cconomique dans les difftrents pays, l’aver- tissement que nous venons de citer restera salutaire. U n ensei- gnement court, sous quelque forme que ce soit, ne peut attirer en grand nombre les ttudiants que si les perspectives de carrière se prdsentent sous des jours aussi favorables que les promesses d’un premier emploi.

Cela nous conduit à Cvoquer un second problème, plus strieux encore que le premier. Lors du colloque organist à Gre- noble par l’OCDE, on a dtjà entendu des maîtres de l’ensei- gnement suptrieur court se plaindre de la condition subalterne faite à ce type d’enseignement par l’opinion publique et par les entreprises, en comparaison du prestige attachC aux universitCs. Le corps enseignant n’y a ni les mêmes titres, ni les mêmes condi- tions de travail, ni les mêmes rtmunCrations que dans l’ensei- gnement universitaire; les Ctudes y sont plus brèves, bien sGr, et aussi d’un moindre niveau; on n’y fait pas de recherche; les ttudiants eux-mêmes se sentent de (< seconde zone D, d‘où un complexe d’inftrioritd. Mais il ne faut pas non plus que, sous prttexte de gagner du prestige, les ttablissements courts veuillent se hausser au rang des universitts. Il y a, aux États-Unis, de nombreux exemples de junior colleges qui, en organisant des Ctudes compltmentaires, se mettent à confCrer des grades universitaires et prttendent au statut des universitCs traditionnelles. Dans ces conditions, tout le btnCfice de l’enseignement court s’Cvanouit. Ce n’est tvidemment pas de cette manière qu’on doit relever le prestige de l’enseignement court. Comme 1’Ccrit le professeur Burton Clark dans ses commentaires sur la dunion de Grenoble, (< dans l’ensemble, il sera impossible de parvenir à une vtritable Cgalitt de prestige [...] Par constquent, les nouvelles institutions ne doivent pas chercher à obtenir un statut absolument Cgal A celui des universitds [...] Ce dont elles ont besoin dans l’immtdiat, c’est d’un certain degr6 de confiance en elles-mêmes et de faire admettre leur ltgitimitt à l’opinion publique, afin de pouvoir progresser dans le domaine qui est le leur B [ ~ g , p. 4291. C’est pourquoi l’OCDE a donnC pour sous-titre à son Ctude sur l’ensei- gnement supérieur court : a Recherche d’une identitt. n

Le problème a donc deux faces : d’une part, l’enseignement court doit affirmer et prouver son utilitt et même, si l’on veut, sa nobIesse, en faisant bien ce qu’il est chargd de faire, dans son

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Problèmes et perspectives nouvelles de 1’etLseigtiement supérieur 7’

domaine propre et à son niveau. D’autre part, il ne faut pas qu’on l’enferme dans ses limites, comme un monde clos. Ceux de ses étudiants qui en ont l’ambition et les aptitudes doivent avoir la facultt d’accCder à un niveau supérieur d’enseignement, dans les universités ou les grandes écoles, de même que ceux qui entrent dans la vie active doivent avoir par la suite les perspec- tives de carrière que mtrite la qualitt de leur travail. Que ce soit dans la profession ou dans le système d’tducation, la mobilitt et la promotion sont les conditions essentielles que la socittt a le devoir d’assurer pour donner à l’enseignement court les chances de faire ses preuves et d’accomplir sa mission.

La promotion dans l’emploi est une affaire d’ordre social qui dtpasse de beaucoup les possibilités du système d’Cducation. Quant à la structure du système, elle varie naturellement d’un pays à l’autre. La solution la plus simple, pour éviter le cloi- sonnement et favoriser la mobilité, serait sans doute l’intégration des ttablissements courts aux universités. C’est cette formule que la France a choisie pour ces IUT et que la République ftdtrale d’Allemagne a récemment décidé d’appliquer dans ses nouvelles universitds polyvalentes. Sans doute I’intCgration ne résout-elle pas d’un coup toutes les difficultés : n’est-il pas illogique, sinon absurde, qu’en France les IUT soient les seuls ttablissements universitaires où l’admission dépend d’un examen individuel du dossier des candidats, c’est-à-dire en fait d’une sélection ? Il reste bien d’autres obstacles 8. franchir pour rtaliser une inté- gration totale, mais la ltgislation et les structures s’y prêtent. En revanche, cette solution n’est pas possible ni souhaitée au Royaume-Uni, en vertu du régime binaire de l’enseignement suptrieur, encore moins aux Etats-Unis qui n’ont pas de système national, mais une mosaïque infinie d’institutions publiques ou privtes. L’essentiel n’est d’ailleurs pas la recherche d’une solution unique; c’est que les règles et les usages présentent assez de sou- plesse pour éviter que l’enseignement court ne devienne, selon le langage cher aux contestataires, un a ghetto n dont on ne puisse plus sortir1.

I. Voir A ce sujet : H. DRAHEIM, ((La Gesamthochschule : un modèle de.mobilité)), Perspecfioes (Paris, Unesco), vol. III, no 4, hiver 1973, p. 551-563.

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72 Yrob Limes et perspectives nouvelles de l’enseignement supehèur

L’ORIENTATION

Entre l’enseignement long et l’enseignement court, entre les grandes branches d’Ctudes et, dans chacune de ces branches, entre les disciplines offertes, comment les Ctudiants font-ils leur choix lorsque le pouvoir ne décide pas pour eux ? Dans un rtgime libCral, l’orientation prend une importance capitale. Si l’on en croit les statistiques, elle se fait souvent assez mal : le dtséquilibre dans la répartition, les Cchecs, les déperditions d‘effectifs, les cas de chômage et de sous-emploi ne sont pas des signes d’une orien- tation judicieuse. Lors de la Conférence des ministres europtens de I’Cducation à Bucarest, à ceux qui dCnonçaient les inconvB nients d’une libertd insuffisamment guidge, d’autres rdpliquaient que des études supkrieures, même inachevées, même sans dCbouchés immddiats, ne sont jamais du gaspillage; les connais- sances ou les aptitudes acquises peuvent servir plus tard dans des conditions imprkvues; la culture gagnée ne se perd jamais. Certes, il est bien vrai qu’il ne faut pas confondre les Ctudes et les titres qu’elles confèrent, ni ces titres avec la reconnaissance d‘un droit à un certain type d’emploi. Mais pour la masse des Ctudiants, ces arguments ont peu de chance d’être entendus. Dans une société dure, où la concurrence est impitoyable, combien peuvent se payer le luxe de consacrer de longues annCes de leur jeunesse à se donner une culture dtsintCressée ? La culture n’est ni acquise, ni donnCe une fois pour toutes; elle se mérite par un effort perpCtuel. Toute une existence d’homme y suffit à peine. Que les universitCs soient des foyers de haute culture, per- sonne ne songe à le nier. Mais elles ne sont sûrement pas que cela.

Après la confikence des ministres, il faut reconnaître que le problème de l’orientation demeure entier. Il ne s’agit évidem- ment plus, comme dans l’enseignement secondaire, d’un pro- cessus mettant en jeu des tquipes de professeurs, de psychologues et de conseillers : à l’âge adulte où sont parvenus les Ctudiants de l’enseignement suptrieur, c’est à eux d’assurer eux-mêmes leur orientation. Mais on peut les y aider : par des informations prt- cises sur les carrières et les perspectives du marche de l’emploi, par un dialogue ouvert avec le corps enseignant, par des contacts frtquents avec le monde du travail. Tout cela existe sans doute plus ou moins; les universités entretiennent des rapports souvent

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Problhiiics ct pcrspectivcs nouvelles de l’eiiseigricmaiit supérieur 73

Ctroits avec l’industrie, l’agriculture ou le commerce, il se fait entre eux des tchanges de service, les grandes entreprises subven- tionnant volontiers les recherches qui peuvent leur être utiles et s’intCressant à la formation supCrieure des techniciens, des ingC- nieurs ou des autres spCcialistes dont elles ont besoin. Il faut pourtant constater que ce n’est pas encore suffisant pour faciliter l’orientation des Ctudiants.

La vérité, c’est que l’enseignement supCrieur porte le poids des orientations amorcdes dans l’enseignement secondaire. Pour beaucoup d’dtudiants, les jeux sont dCjà faits avant mCme leur entrte dans les univenitCs ou dans les instituts d’enseignement court; les portes qui se sont fermtes derrière eux se rouvriront difficilement. Il est rare qu’un jeune qui a CtC classC parmi les litttraires de son Ccole puisse devenir scientifique ou technicien à l’université; il a toutes les chances de rester litttraire, à moins de se tourner vers le droit ou, à la rigueur, vers les sciences sociales ou tconomiques. De là vient le dtsdquilibre, de là la mauvaise rkpartition. Une orientation rdussie doit commencer dès l’ensei- gnement secondaire.

Il y a sans doute des recours. L’enseignement postscolaire (further education) , intermédiaire entre le secondaire et le suptrieur traditionnel, peut donner aux jeunes gens un dClai de rCflexion, leur ouvrir des perspectives nouvelles; encore faut-il que cet enseignement reste assez souple pour Cviter les spCcialisations prCmaturCes. C’&ait aussi l’objectif que la France avait fixC aux Ctudes propCdeutiques, dont la carrière n’a pas ttt longue; c’est encore, au moins en partie, le btntfice qu’elle espère du premier cycle des universitks. Pourtant, même à ce stade, les grandes options ont dCjà CtC prises. C’est pourquoi la loi française d’orien- tation, adoptde en 1968, a mis au premier plan de la rdforme le principe de l’interdisciplinarit6, qui porte à la fois sur les struc- tures et sur le contenu de l’enseignement. InspirCe par les expt- riences de la recherche et par l’apparition de disciplines nouvelles, où la coopCration est de rigueur entre spdcialistes d’origines diffdrentes, YinterdisciplinaritC a le grand avantage de mettre fin aux cloisonnements traditionnels; mais si elle est nécessaire à beaucoup de chercheurs, elle peut aussi a@ utilement sur l’atti- tude des étudiants, leur éviter une spkcialisation prCmaturCe et, au niveau des structures administratives, favoriser des échanges

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74 Problèmes el per.@ectives nouvelles de l’enseigiiement sutérieur

et des changements d’orientation. Les nouvelles institutions poly- valentes de la République fCdCrale d’Allemagne (Gesamthoch- schulen), les << groupes de sujets D expkrimentds dans certaines universites britanniques, les programmes interdisciplinaires pro- posCs par quelques universites de l’Union sovidtique offrent des exemples de ce que l’on pourrait faire en suivant cette voie.

LA PARTICIPATION

Quoi que l’on tente, quelque succès que l’on obtienne, c’est toujours aux Ctudiants qu’il appartient, en dernier ressort, de rCaliser leur propre orientation. Il faut donc qu’ils se sentent res- ponsables de leur destin et qu’on les traite comme des personnes responsables. O n se rappelle que la (( participation )) Ctait la principale revendication des Ctudiants contestataires, lors des grands mouvements qui, à partir de 1965, ont ébranlé beaucoup d’universités à travers le monde. Pour eux, participer, c’dtait devenir des partenaires responsables pour la gestion de leurs universitds, l’organisation de leurs ttudes et leurs conditions de travail. Sans le savoir peut-être, ils donnaient une portte actuelle à la vieille formule mCdiCvale selon laquelle les universitks sont des communautCs de maîtres et d’Clèves.

C’est un fait bien digne d’attention que, dans le monde entier, à l’exception de la France, les anciennes structures uni- versitaires ont rCsistC aux assauts de la contestation. Rien n’est changC, en apparence, aux traditions souvent sdculaires. Mais, dans la plupart des États, les Ctudiants sont dCsormais reprtsentds dans les organes collectifs qui règlent la vie des Ctablissements. Le degrC de leur reprdsentation varie d’un pays à l’autre : en France la loi de 1968 fixe à 50 % le nombre des dCldguts des Ctudiants dans les conseils à compdtence pddagogique et à 25 ou 30 y0 dans les autres. La Finlande en est encore à débattre s’il faut accorder un même droit de vote au professeur et à 1’Clève. M ê m e si elles semblent moins libCrales, des dispositions de ce genre ont CtC adoptCes en Autriche, en Bulgarie, en Hongrie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède. Que la participation des Ctudiants ait donnt tous les rdsultats espérds, on peut sans doute en discuter. Lors d’une rtunion tenue à ce sujet à Dubrovnik, en 1970, les plus sceptiques soutenaient dkjà que, sous prétexte de partici-

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Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement supérieur 75

pation, on cherche en rtalitt à dtsamorcer la contestation, à rdcuptrer dans le système officiel la masse estudiantine et faire cautionner par ses dClCguCs des politiques dont elle ne veut pas être solidaire. II arrive aussi, comme en France, que beaucoup d’ttudiants se tiennent à l’kart des tlections : attitude tradi- tionnelle dans ce pays, et qui relève de l’indiffdrence plutôt que de la mkfiance. La plupart des rapports nationaux signalent pourtant les aspects positifs de la participation. M ê m e si ces effets ne sont pas tous concluants, il s’agit d’un mouvement irrtversible vers des formes concrètes de la dtmocratie.

O n ne peut se dissimuler toutefois que la participation des Ctudiants ne simplifie pas la gestion des Ctablissements. Par la masse des personnes - Clèves, maîtres, employCs - dont elle a la charge, les moyens mattriels et financiers qu’elles ont en oeuvre, la complexitd des questions qu’il lui faut rtsoudre chaque jour, l’universitt d’aujourd’hui s’apparente aux plus grosses entreprises modernes. Son autonomie fonctionnelle, reconnue dans tous les pays et dans tous les rtgimes, se concilie mal avec la part sans cesse plus grande que l’fitat prend à son financement. Administrer un Ctablissement devient affaire de sptcialistes. C’est dire que, comme les autres entreprises d’une envergure comparable, les universitds risquent de prendre l’allure des sociCtts anonymes, sans visage humain, sans rapports personnels entre partenaires. Ce qui ruinerait, du m ê m e coup, tous les efforts de dtmocratisation, toutes les innovations pddagogiques et tout le btntfice de la participation. C’est la conscience de ce danger qui conduit certains Ctudiants à s’assimiler à des tra- vailleurs d’industrie, et leurs associations à des syndicats. Assi- milation abusive sans doute, mais qui s’explique dans une large mesure. Si l’on suivait cette pente, la participation devien- drait une forme d’affrontement permanent entre employeurs et employb, et il ne resterait rien de la communautC universitaire. O n n’en est pas là, mais le risque est rtel; il est temps de s’en aviser. D e tous les problèmes qui assaillent l’enseignement supt- rieur, celui de la gestion des universitds n’est assurtment pas le moindre.

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76 Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement supérieur

R ~ G I M E DES ÉTUDES ET DES EXAMENS

Le reproche qu’on a le plus souvent et avec le plus de raison adressC au système universitaire, tel qu’il fonctionnait jusqu’à ces derniers temps dans beaucoup de pays europtens, c’est l’absence de contact entre maîtres et Clèves. Des universitds pldthoriques se prêtent mal aux relations de personne à personne; les pro- fesseurs ignoraient, ou connaissaient à peine, le nom de leurs Ctudiants et ceux-ci, livrds à eux-mêmes, se sentaient noyés dans la masse. Quant aux examens de fin d’annde, souvent anonymes par souci d’impartialitd, ils laissaient une large part à la chance et favorisaient le bachotage, cette forme de travail intense et hâtif, concentre sur les semaines qui prdcèdent la date des Cpreuves. Tous ces griefs sont trop connus pour qu’il y ait lieu de s’y attarder.

Croire que tout a change pour le mieux, depuis la grande contestation, serait se bercer d’illusions. Mais on doit reconnaître que le rCgime des Ctudes s’est considCrablement transformC. Les fameux (( cours magistraux,,, professCs devant une foule anonyme et passive, ont souvent cCdé la place au travail en groupes res- treints. Répartis en tquipe, encadrds par des maîtres qui les connaissent, les ttudiants sont mieux guidés. Le système de contrôle continu des connaissances s’est souvent substituC à celui des examens de fin d’annCe. Ce qui a nécessairement entraînC, pour l’ensemble de l’Europe, une rapide augmentation du nombre des enseignants, professeurs ou assistants. De 1965 à 1970, on relève un taux de croissance annuelle de 6 à 7 y. en Europe, de 7 à 8 y0 en AmCrique du Nord. Cette tendance est d’ailleurs universelle, puisqu’on enregistre dans les autres parties du monde des rythmes de croissance Cgaux ou même supérieurs (,IO Y. en Amtrique latine, plus de I I % en Afrique et dans les Etats arabes). Mais comme, dans la même période, le nombre des Ctudiants s’devait dans des proportions analogues, le problème de l’encadrement dans l’enseignement supdrieur est loin d’être rCsolu.

Ce rCgime nouveau des études et des examens, s’il a de sérieux avantages, a aussi des inconvtnients. O n voit mal com- ment il pourrait s’appliquer aux étudiants à temps partiel, que leurs obligations professionnelles empêchent de frdquenter avec assiduité les cours, les travaux pratiques ou les laboratoires. Or le nombre de ces Ctudiants, assez mal connu pour le moment, est

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Problèmes et perspectives nouvelles de l’enseignement suphrieur 77

sans aucun doute appelt à s’accroître rapidement. Il est vrai qu’on organise pQur eux des cours du soir, des sessions de vacances ou qu’on adopte même, comme dans certains collèges universitaires, le système de l’annte continue. Mais on imagine au prix de quelles difficultts : les habitudes acquises, les horaires du corps enseignant, les obstacles financiers. Les structures uni- versitaires, les budgets strictement limitts se prêtent malaid- ment à ce genre d’innovation. M ê m e pour les ttudiants à plein temps, il n’est pas certain qu’on leur rende tellement de services à trop vouloir les encadrer et les guider, à leur imposer une assiduitt excessive, à contrdler sans cesse leurs connaissances. Ces fiers jeunes gens qui exigent à bon droit d’être tenus comme des partenaires responsables, n’est-il pas juste qu’ils assument aussi la part de responsabilitt qui leur revient dans l’organisation de leur travail, dans leurs succès et même leurs tchecs? Ce n’est qu’à ce prix qu’ils maintiendront cet esprit d’initiative et d’indt- pendance qui entre dans les meilleures traditions estudiantines.

Par contre, on ne voit que des avantages à l’extension du système des a unitts de valeur D, connu de longue date aux États- Unis sous le nom de credits. Qu’on porte à l’actif d’un Ctudiant, jeune ou adulte et qu’il puisse capitaliser, pour les faire valoir le moment venu, des ensembles cohtrents de connaissances, avec les sanctions universitaires approprites : un rtgime aussi souple favorise la mobilitt, de nouvelles orientations et l’alternance si souhaitable des Ctudes et du travail actif. Il offre les conditions d’une promotion vCritable qui serait à la fois culturelle, profes- sionnelle et sociale. Le jour n’est peut-être pas si tloignt oh nos vieilles universitts, suivant l’exemple des community colleges a m 6 ricains, porteront au crtdit de leurs tlèves, à côtt des connais- sances acquises dans leurs ttudes, les qualités qu’ils auront affirmtes dans la pratique d’un mttier.

FONCTIONS DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Au terme de leurs dCbats, les ministres europtens de l’éducation rtunis 4 Bucarest se sont efforcts de dCfinir dans une formule commune les fonctions essentielles de l’enseignement suptrieur. En voici le texte [gc, p. 71 :

a En ce qui concerne la finalitt de l’enseignement suptrieur,

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78 Problèmes et perspectives nouvelles de l’snseignement sujérieur

de nombreuses dClCgations ont soulignC que cette tâche leur est apparue, au cours de ces dernières années, comme double : d’une part cette tâche consiste à former des spdcialistes hautement qualifiCs en vue des besoins de 1’Cconomie et de la sociCtt; de l’autre à faire bCntficier un nombre toujours croissant de jeunes et d’adultes d’un enseignement de haut niveau assurant en mCme temps leur formation culturelle, morale et civique, permettant ainsi le plein dkveloppement de leur personnalit6 individuelle et sociale, et le raffermissement de leur santC morale. Pour y parvenir, la plupart des orateurs ont soulignC la nCcessitt de maintenir l’enseignement et la recherche, mais aussi de combiner la formation théorique et pratique. Cette formation pratique devrait permettre aux ttudiants de se familiariser avec le travail de la recherche, d’une part, et avec les processus de la production, d’autre part. Ainsi l’enseignement supCrieur contribuera au progrès social et à la promotion de la dtmocratie au sein de la socittd. D

O n n’attend guère d’un texte officiel de cette sorte, issu d’un compromis entre des tendances souvent opposées, qu’il apporte beaucoup de lumières nouvelles. Dans celui-ci, toutefois, deux idCes au moins retiennent l’attention. En premier lieu, la place accordde à la recherche. D e tout temps, la recherche a Cté reconnue comme une des fonctions essentielles de l’enseignement suptrieur; ne va-t-on pas, dans les universitds soviCtiques, jusqu’à compter parmi les obligations de service d’un professeur le temps qu’il consacre à des travaux scientifiques ? Ici, ce n’est pas seulement du maître qu’il s’agit, mais surtout des étudiants, l’apprentissage de la recherche étant considCré comme une partie inttgrante de la formation pratique. On ne précise pas à quel niveau des Ctudes cet apprentissage devrait commencer : au stade de la maîtrise, comme dans le second cycle des universitCs fran- çaises, ou du troisième, avec la prdparation d’un doctorat, OU encore, selon les projets du gouvernement italien, à un niveau plus ClevC encore, avec la crtation d’un nouveau doctorat de recherche? Mais on peut imaginer que les Ctudiants soient inities à la recherche, sous une forme plus modeste, dès le dtbut de leurs Ctudes universitaires. Il y a 1h de vastes perspectives pour des reformes hardies.

Le deuxième trait saillant de ce texte est la rCfCrence aux

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Problèmes et perspectives nouoelles dg l’ensei<qnerne:it supirieur 79

adultes. Certes, les Clèves de l’enseignement supérieur sont tous parvenus à l’âge adulte. Mais ce n’est kvidemment pas cela que les ministres européens avaient en vue; les adultes auxquels ils pensaient sont des hommes et des femmes déjà engagés dans la vie active; par leur âge, par leur maturité, par leur expdrience professionnelle et aussi par les lacunes de leur formation anté- rieure, ce ne sont plus des jeunes gens comme la masse des étu- diants. Beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur, au sein des universités ou indépendamment de celles-ci, ont depuis longtemps organisé, à l’intention des adultes, des cours par cor- respondance, par radio ou par télévision. Mais les ministres européens de l’éducation ont tenu à affirmer qu’à leurs yeux dorénavant l’enseignement supérieur devait les reconnaître tous, jeunes et adultes, pour les siens, et les accueillir tous à égalité. Et cela est la marque d’un changement décisif. D’une déclaration de principe à la réalité concrète, la distance peut être encore longue. U n pas n’en est pas moins franchi, et le mouvement en marche, ici encore, semble irréversible.

L’une des conséquences prévisibles de ce changement d’atti- tude sera d’accdérer l’organisation d’une véritable éducation permanente. Sur ce point, l’accord est total entre les conclusions des ministres et celles de l’étude de l’OCDE sur l’enseignement supérieur court. M ê m e rdnové, même diversifik, même largement ouvert aux jeunes et aux adultes, l’enseignement supkrieur ne parviendra jamais à accueillir tous ceux qui le méritent. La vie entière doit offrir aux hommes et aux femmes une dernière chance d’éducation. Et comme il convient de céder la parole aux ministres responsables, empruntons une dernière citation au rap- port final de la confkrence de Bucarest [gc, p. 141 :

<< De l’avis général, l’importance fondamentale de 1’Cduca- tion permanente tient au fait qu’elle contribue à faciliter à la fois la participation de tous les groupes d’âge à toutes les formes et tous les niveaux de l’enseignement, la promotion profession- nelle, sociale et culturelle des personnes engagées dans la vie active et la mise àjour des connaissances qu’exige le progrès scientifique et technique. D

Alors qu’à propos de l’enseignement secondaire notre atten- tion s’dtait surtout portée sur les difficultés du tiers monde, c’est vers certains pays développés que nous a conduits l’évocation des

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Problèmes et perspectives nouvelles de l‘enseignement si$irieur

nouvelles perspectives de l’enseignement supdrieur. Ce qui ne signifie Cvidemment pas que les autres kats ne se posent aucune question sur l’avenir de leurs universitds, ni qu’il ne s’y passe rien de notable. Mais, à la diffdrence des ttudes primaires et secondaires, qui doivent s’adapter aux conditions propres à chaque rdgion ou à chaque nation, il y a dans l’enseignement universitaire, d’une partie à l’autre du monde, une large commu- nautC d’objectifs et de problèmes, qui tient au caractère universel des connaissances et de la recherche. Autant il est donc ldgitime de songer ?L une Ccole spdcifiquement africaine, autant on a de peine à concevoir une universitd qui renonce, de propos dtlibCrt, à sa vocation universelle. C’est pourquoi, en suivant les expé- riences tentées dans un groupe limitt de pays, nous ne pensons pas avoir nCgligC les inttrêts des autres. A cet Cgard, l’Europe et l’Amérique du Nord continuent de jouer, pour le btntfice de tous, un rôle ndcessaire de pilote.

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Chapitre quatre

Une étape dans l’éducation des adultes

La confdrencequi s’est tenue àTokyo, du 25 juillet au 7 août 1972, est la troisième que l’Unesco ait organiste pour traiter de I’ddu- cation des adultes; la première avait eu lieu à Elseneur, au Danemark, au printemps de 1949, la deuxième à Montrtal pen- dant I’dtt de 1960. Une grande assemblte de ce genre, rtunissant des dtltgations dtsigntes par les gouvernements des Etats, n’a pas le même caractère ni les mhes objectifs qu’un congrès pdda- gogique. O n n’y a pas les moyens d’exposer des thèses person- nelles ni d’y faire œuvre de pionniers. U n sptcialiste peut en revenir avec l’impression de n’y avoir rien appris de bien nou- veau. En revanche, c’est une occasion unique pour mesurer le chemin parcouru à travers le monde, pour apprtcier les progrès accomplis et les difficultds qu’il reste à surmonter, ppur distinguer les grandes tendances qui se font jour dans les diffdrents pays. Comme les prtcddentes, la confdrence de Tokyo a dtt le reflet de la rtalitd contemporaine.

D’ELSENEUR A TOKYO EN PASSANT P A R MONTRÉAL

A Elseneur, 25 États s’dtaient fait reprtsenter; ils ttaient 51 à Montrtal, ils furent 87 à Tokyo. Cette progression s’explique par le nombre croissant des Etats membres de l’Unesco. En 1949, l’Union sovidtique se tenant encore à l’dcart de l’organisation, les autres pays socialistes d’Europe n’avaient pas rtpondu à l’invi- tation. Ce que l’on a depuis lors appel6 le tiers monde n’ttait reprtsentd que par cinq deltgations, trois pour l’Asie, une pour

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1’Amtrique latine et une pour l’Afrique. L’Europe occidentale dominait avec l’Amérique du Nord et l’on avait surtout entendu la voix des nations oA l’dducation des adultes dtait ddjà entrde dans les mœurs, telles que les fitats scandinaves, le Royaume-Uni, le Canada ou les États-Unis. O n y avait peu parld du problème de l’analphabdtisme, qui n’avait alors qu’un intdrêt secondaire pour des pays aussi hautement ddveloppds. Comme, pour des raisons pratiques, la formation professionnelle se trouvait exclue du ddbat, l’attention s’dtait concentrte sur l’action culturelle, en faveur d’une culture populaire, qui mît fin (( à l’opposition tradi- tionnelle entre ce qu’on est convenu d’appeler les masses et ce qu’on est convenu d’appeler les dites >>. Pour achever de donner le ton des discussions d’Elseneur, signalons enfin que, sans mdconnaître le rôle de 1’État et des pouvoirs locaux, le rapport de la confdrence mettait en pleine lumière les efforts des organi- sations volontaires, associations privdes ou confessionnelles, grou- pements professionnels et syndicaux, mouvements coopdratifs.

Onze ans plus tard, au rendez-vous de Montrdal, les iddes avaient beaucoup évolué. L’accession à l’inddpendance d’un grand nombre de peuples et leur entrde en masse dans le concert international, les progrès foudroyants de la technologie, l’empire que s’était ddjà tailld la tdldvision : autant de conditions et de perspectives nouvelles. Aussi avait-on choisi pour thème central de la seconde confdrence a L’dducation des adultes dans un monde en transformation >>. Ce qui frappe d’abord, dans le rap- port final de Montrdal, c’est la vigueur avec laquelle s’affirme le principe que (( l’dducation des adultes doit être ddsormais reconnue par tous les peuples comme un dldment normal, et par tous les gouvernements comme un tlCment ndcessaire du système d’enseignement de n’importe quel pays D. Intdgration, donc, c’est la première des revendications; mais relevons aussi l’appel aux gouvernements. Si, à Montrdal comme à Elseneur, des voix s’dlèvent encore pour souligner avec force le rôle des organismes privds et plaider la cause de la liberté ou de la diversitd, d’autres ddldgations ont beau jeu de rdpondre que l’immensitd des besoins comme l’emploi massif de la technologie moderne ont crdd une situation nouvelle, qui engage la responsabilitd des pouvoirs publics. Autre fait significatif : dans l’ordre de prioritd, la première place doit revenir à l’dlimination de l’analphabdtisme.

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Urie ktabe dans l’dducation des adultes 83

Certaines rtsolutions réclament une participation plus active de l’tcole et de ses maîtres à I’éducation des adultes, une pleine utilisation des locaux et des tquipements scolaires, une large ouverture des universités. Quant aux éducateurs d’adultes, le rapport de Montréal signale qu’ils (< ont le sentiment d’exercer une profession B, pour laquelle il serait opportun de prtvoir un statut. Pour couronner le tout, la conférence appelait de ses vœux une assistance puissante aux pays en voie de déve- loppementl.

En les convoquant à la rCunion de Tokyo, la Conftrence géntrale de l’Unesco avait demandé aux États membres de s’y préparer mûrement. L’appel a Ctt entendu, ainsi qu’en témoi- gnent les 97 rapports nationaux soumis par Ies fitats participants et qui forment à eux tous une source inépuisable d’information2. Autant que les documents de base, l’ordre du jour de la confé- rence donne une idée de l’ampleur des travaux : grandes ten- dances dans l’tducation des adultes au cours des dix dernières années; rôle et place de l’tducation des adultes dans des systèmes tducatifs inttgrés et dans une perspective d’tducation perma- nente; problèmes de planification, de gestion et de finance- ment ; nouvelles méthodes et techniques ; formation du personnel; dtveloppement de l’éducation des adultes par la coopération internationale. Aucune des grandes questions qui se posent aux éducateurs, aux organisations compttentes ou B 1’État n’a étC CcartCe des dCbats de Tokyo et si, comme dans toutes les grandes assembltes internationales, le temps a manqué pour les appro- fondir autant qu’il eût Cté souhaitable, le rapport final constitue une somme de rtflexions, d’expériences et de suggestions d’un inttrêt incomparable. Quiconque le lit en retire la conviction que la rencontre de Tokyo a marqué une étape dans la longue marche de l’éducation des adultes [3].

1. O n peut consulter les rapports publiés par l’Unesco sur les conférences d’Elseneur et de Montréal, ainsi que l’ouvrage d’Arnold S. M. HELY [1 11.

2. Ces rapports ont tt6 reproduits saus forme de microfiches dans le cadre de la strie SIRE de l’Unesco : BIE, A Genève. Plusieurs d’entre eux ont aussi été publiés dans la revue trimestrielle Convergence, tditée A Toronto (Canada), en anglais, en espagnol, en français et en russe.

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84 Une ktape dans l’kducation des adultes

U N DOMAINE I L L I M I T ~

Tant qu’on demeure dans le domaine de l’enseignement, qu’il soit scolaire ou universitaire, l’âge des Clèves suggère certaines limites, fixdes par l’usage, et les statistiques internationales peu- vent recenser des effectifs plus ou moins prtcis. Mais dès que l’on s’aventure dans l’dducation des adultes, quel critère retenir pour en fixer les bornes ? A quels signes reconnaître qu’une personne appartient à la catdgorie des adultes ? Dans un pays hautement dtveloppt, on peut la rigueur recourir à la durte de la scolaritd obligatoire, ou au groupe d’âge correspondant à la moyenne des jeunes gens concernts. C’est ainsi que les universitds distinguent, comme on l’a dtjà vu, les adultes des ttudiants ordinaires. Mais pour les pays en voie de dtveloppement, le critère de l’âge est sans valeur pratique : un adolescent, un enfant même, s’ils n’ont jamais ttt scolarists, comme les centaines de millions d’illettrts qui existent de par le monde, relèvent de l’tducation des adultes. Il est vrai que, pour tvaluer les dimensions de l’analphabttisme, les statistiques internationales ont dû adopter certaines conven- tions, comme de reconnaître la qualitt d’adulte à tout analpha- bkte âgd de quinze ans au moins. Mais quel usage un éducateur pourrait-il faire d’une telle convention ? En matière d’tducation, chaque jeune pose un cas particulier. Et comme à l’extrtmitt opposde de la perspective il n’y a d’autre limite que celle de la vie d’un homme, il faut bien que l’tducation s’adapte aux dimen- sions de la population du globe. Au regard de l’âge, l’tducation des adultes ne connaît pas de borne.

Elle n’a pas non plus de caractère obligatoire; tout dtpend de la volontt personnelle de l’adulte. O n peut très bien concevoir une tducation des adultes sans structure, sans institution. Il suffit de mettre à profit les occasions, les facilitts offertes par la socittt. Les socittts modernes de consommation sont à cet tgard d’une ftconditt sans prkctdent : que l’on songe à la production annuelle de livres et de pdriodiques, d’encycloptdies, de films, de repro- ductions d’œuvres d’art, d’tmissions de radio ou de ttltvision; que l’on dtnombre, si l’on peut, les concerts, les expositions, les spectacles de thtâtre ou de cintma, les bibliothèques ou les mustes. U n adulte qui tprouve le besoin de s’instruire ou de se cultiver, si par bonheur il vit au sein d’une socidté très tvolute,

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Une étape dans l’éducation des adultes 85

n’aura que l’embarras du choix. Notre tpoque est l’âge d’or des autodidactes [25]. La confdrence de Tokyo a d’ailleurs pris soin de porter l’extension de l’autodidaxie à l’actif de l’tducation des adultes.

Pour conduire seul sa propre dducation, il faut beaucoup de volontt, une motivation très forte et surtout une rare persdvt- rance. D’où l’utilitt des secours extdrieurs, c’est-à-dire d’une organisation collective. Ici encore, le domaine est illimitt. Des cours du soir et des cours par correspondance aux universitts populaires de l’Union sovittique ou aux universitds ouvrières de Yougoslavie, des modestes (< villages polytechniques )) du Kenya aux (< collèges sans murs )) de New York et de l’Ohio, des grandes entreprises cooptratives de Belgique, de Suisse ou du Canada aux enseignements du Conservatoire français des arts et mttiers, des expdriences multi-media du Qudbec B 1’Universitt ouverte du Royaume-Uni, des campagnes d’alphabdtisation au grandiose projet indien d’utilisation d’un satellite, de 1’Universitt des ondes du Japon aux stages de recyclage de l’industrie : toute l’imagi- nation et toute la gdntrositd des hommes, comme les contraintes de l’tconomie moderne, concourent 2i crter sans cesse de nou- velles institutions.

Certains chiffres sont tloquents : au Canada, en 1971, près de 750 ooo personnes suivaient les cows pour adultes donnds par des maîtres de l’enseignement secondaire et telle dtait la diversitC des sujets propos& qu’une bibliothèque de Toronto eut l’heureuse idCe de crter, à l’intention du public, un système d’information automatisd [16]. A la même date, en Suède, l’dducation des adultes s’ttendait à plus de deux millions de personnes, soit près de la moitid de la population adulte du pays. Quand on atteint à de tels chiffres, les efforts des organisations privtes ne suffisent plus. Il y faut toutes les ressources, tout le pouvoir d’organisation des collectivitds locales, ou même de 1’État. L’dducation des adultes, quelles qu’en soient les structures, devient un vdritable service public. Mais un service qui se fonde sur une libre adhdsion individuelle et sur une participation active.

U n domaine illimitt dans ses perspectives naturelles et d’une varittd infinie dans ses formes concrètes : voilà, à pre- mière vue, ce qui caractdrise l’dtat prtsent de l’tducation des adultes.

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86 Une Ltape dans l’éducation des adultes

FONCTIONS DE L’ ÉDUCATION DES ADULTES

Rtduire cette diversité d’objectifs et de moyens à une seule dtfi- nition de l’éducation des adultes n’est pas une tâche facile. Après tant d’autres, la conftrence de Tokyo n’y a pas pleinement rtussi. Nous donnerons la prtférence à ce passage du rapport de la Commission internationale sur le dtveloppement de l’tduca- tion [IO, p. 2311, qui a le grand mérite de la clartt et de la simplicité :

<( L’tducation des adultes répond à des dtfinitions multiples : elle est le substitut de l’tducation première pour une très grande part des adultes dans le monde; elle est le compltment de l’tdu- cation tltmentaire ou professionnelle pour de nombreux indi- vidus qui n’ont reçu qu’un enseignement très incomplet; elle prolonge l’tducation de ceux qu’elle aide à faire face aux exi- gences nouvelles de leur environnement; elle perfectionne l’tdu- cation de ceux qui possèdent une formation d’un niveau tlevt; elle constitue un mode d’dpanouissement individuel pour tous. Tel de ces aspects peut être plus important que tel autre dans un pays ou dans un autre, mais tous ont leur raison d’être partout. n

Nous retiendrons donc cette dtfinition, en nous rtservant de la soumettre à l’tpreuve des faits.

La fonction de substitut : Z’alphabktisation des adultes Pour ceux qui n’ont jamais eu la chance d’aller à l’tcole et qui sont, de ce fait, des analphabètes, l’éducation des adultes est en effet le seul substitut possible de l’enseignement qu’ils n’ont pas reçu. Dès la fondation de l’Unesco, des voix trks autoristes se sont fait entendre pour dtnoncer le scandale et le danger que constitue l’existence, à travers le monde, d’une masse innom- brable d’analphabètes. Scandale au point de vue de la justice et des droits de l’homme; danger pour la comprthension inter- nationale et pour les chances d’une paix durable. A ddfaut de statistiques, les avis les moins pessimistes tvaluaient alors à la moitit de la population du monde le nombre global des illettrts. L’un des premiers actes de l’Unesco fut donc d’engager une campagne mondiale pour l’tlimination de l’analphabttisme. L’Cducation de base, conçue à l’intention des analphabètes, ne

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Une &tape dans l’éducation des adultes 87

se bornait pas à l’apprentissage de la lecture et de l’dcriture; elle avait aussi pour objectif une Cldvation des niveaux de vie, par des pratiques plus efficaces dans l’agriculture ou l’artisanat, et, par l’dveil de la conscience civique, une participation plus active à la vie de la communautd. O n songea dès cette dpoque à aider les fitats où sévissait l’analphabdtisme, c’est-à-dire la presque tota- lité de l’Afrique, de l’AmCrique latine et de l’Asie, à mettre au point des mdthodes et à former du personnel : d’où les centres, nationaux ou rdgionaux, de formation et de recherche pddago- gique, crtés grâce à l’assistance internationale. Pour entretenir l’usage et le goût de la lecture chez les nouveaux alphabètes, on encourageait aussi la production et la diffusion, dans les diffd- rentes langues, d’une littdrature appropride à leur condition. AccueiIlie dans l’enthousiasme, la campagne mondiale de lutte contre l’analphabdtisme s’est développde pendant une quinzaine d’anndes avec des fortunes diverses.

Peu après l’annde 1960, force &ait de reconnaître que les objectifs qu’on s’était un peu hâtivement fixds ne seraient pas atteints. Les statistiques n’enregistraient que de lents progrès; l’enthousiasme du ddbut s’&ait refroidi. Il &ait temps de repenser les données du problème dans un esprit plus rtaliste. C’est dans ces conditions que l’Unesco convoqua à TChéran, en 1965, un Congrès mondial des ministres de l’dducation pour considdrer, dans son ensemble, l’action à mener contre l’analphabdtisme. Des recommandations de Téhéran, elles-mCmes inspirdes par certaines expériences réalisdes en Iran, est sorti le concept nou- veau de a l’alphabdtisation fonctionnelle n. Les faiblesses princi- pales de la campagne mondiale tenaient à son caractère massif et indifférencid, à l’absence de relations directes entre l’alpha- bétisation et le développement dconomique des pays intéressds. Si l’on s’attache, au contraire, à considdrer le plan de dtvelop- pement d’un pays donne et, à l’intérieur de ce pays, la situation socio-économique d’une rdgion ddterminée, et si enfin on iden- tifie des groupes professionnels d’illettrds assez homogènes, on peut proposer à ces groupes des programmes exactement adaptés à leurs besoins, comme aux exigences du ddveloppement de la rdgion et de la nation tout entière. A la différence de l’alphabd- tisation de masse, dont les mdthodes sont plus ou moins uniformes et ndcessairement préconçues, l’alphabétisation fonctionnelle est

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aa Une ktake dans l‘kducation des adultes

Diagramme. Population adulte mondiale et taux d’analphabttisme

Millions % 5m-5a

4wo--4a

4m-30

3500--20

3000- 10

2600--0-

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Une étape dans l’kducation des adultes 89

donc sdlective ; elle s’attache d’abord à la formation profession- nelle et part de là pour favoriser, comme toute forme d’tduca- tion, un dpanouissement de la personnalitd.

L’alphabdtisation fonctionnelle a donnd un second souffle à la lutte contre l’analphabdtisme. Pendant l’annde 1973, un programme expérimental, soutenu par l’aide internationale, dtait en cours dans seize pays d‘Afrique, d‘Amdrique latine et d’Asie : 1’ Afghanistan, l’Algdrie, 1’ Équateur, 1’ Éthiopie, la Guinde, l’Inde, l’Iran, le Kenya, Madagascar, le Mali, le Niger, le Soudan, la Rdpublique arabe syrienne, la Rtpublique-Unie de Tan- zanie, le Venezuela, la Zambie. En outre, la même annde, plusieurs autres pays ont reçu une aide pour leur permettre d’dlaborer ou d’appliquer des programmes du même genre

Après tant d’efforts ddployds par les États et par les orga- nisations internationales, où en est-on parvenu dans l’dlimination de l’analphabdtisme? Vers 1950, on estimait à 44,3 % de la population mondiale adulte le pourcentage des analphabètes. En 1960, ce taux &ait descendu B 39,3 y. et à 34,r y. en 1970. Pour être lent, le progrès n’en est pas moins apprdciable. Mais comme, pendant la même pdriode, la population adulte du globe s’est accrue de près de 700 millions de personnes, il se trouve qu’il y avait, en 1970, 83 millions d’analphabètes adultes de plus qu’en 1950. Si l’on se tourne vers l’avenir, on estime que vers 1980, compte tenu de la croissance dtmographique, le taux d’analphabdtisme sera de 29 %, pour n’être plus que de 15 % vers l’an 2000. Les optimistes en concluent que vers la fin de la seconde ddcennie du X X I ~ siècle, l’analphabttisme aura disparu. Les pessimistes seront plus sensibles au fait qu’il y a encore 783 millions d’analphabètes dans le monde. Toute la probldma- tique tient entre ces deux chiffres et entre ces deux dates (voir diagramme).

Ce qu’il y a de plus troublant, c’est la rdpartition de l’anal- phabdtisme entre les diffdrentes rdgions du monde. Vers 1970, la proportion des adultes analphabètes Ctant de 34,r y. pour l’ensemble du globe, 1’Amdrique du Nord ne comptait que pour 1’5 %, l’Europe pour 3,6 yo, alors qu’en Afrique la propor- tion atteignait 73’7 %, 73 y. dans les pays arabes, 46’8 % en Asie et 23’6 % en Amdrique latine. Ce ne sont pas les chiffres

[6, p. 62-71].

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Une étape dans I‘éducation des adultes 9’

qui frappent le plus l’imagination, mais leur tcrasante intgalitt. Affligeant aussi, le dtstquilibre entre les hommes et les femmes : dans le pourcentage global de 73,7 % pour les illettrts d’Afrique, les hommes entrent pour 63,4 % et les femmes pour 83,7 %. Même disproportion dans les pays arabes : 60,5 y. chez les hommes, 85,7 % chez les femmes.

Quoi que l’on puisse penser des perspectives lointaines, comment expliquer qu’après tant d’efforts et de sacrifices pour scolariser les enfants et pour alphabttiser les adultes, les résul- tats actuels soient encore si dtcevants (tableau 3) ? Quand on aura tpuist les arguments d’usage - pesanteur des processus tducatifs, résistance de certains prtjugts, limitation des res- sources - il faudra bien qu’on se dtcide à regarder les choses en face. filiminer radicalement l’analphabttisme n’est pas une entreprise dtraisonnable pour qui veut employer les grands moyens. L’Union sovittique l’a fait en son temps, et, depuis, la Chine ; 1’Algtrie est en train de le faire, Cuba y a rtussi. D’après des ttmoins dignes de foi [38], il a suffi aux Cubains de quelques mois, au cours de l’annte 1961, pour venir à bout de l’anal- phabttisme. Une campagne sans prtctdent dans le pays avait mobilise plus de 120 ooo volontaires, auxquels &aient venus se joindre 105 ooo tlèves provisoirement libérés de leurs tcoles et 20 ooo ouvriers, tous transformts en enseignants btntvoles pour les besoins de la cause. Avant la fin de l’annte, la campagne ttait officiellement close; plus de 700 ooo adultes avaient appris à lire et à tcrire et la proportion des analphabètes &ait tombte de 23 B moins de 4 yo.

O n peut contester ces mtthodes et objecter que des exploits de ce genre ne sont possibles que dans des circonstances excep- tionnelles. Il n’en demeure pas moins vrai que beaucoup de gouvernements, places devant un choix difficile entre une tlimi- nation rapide de l’analphabttisme par des moyens htroiques et une lente extinction par le processus de la scolarisation des enfants, optent pour la seconde solution. C’est parfaitement leur droit. Ces mêmes gouvernements n’ont certes pas renonct à l’tducation de leurs adultes, ils pratiquent avec conscience l’alphabttisation fonctionnelle; mais c’est à l’tcole qu’ils donnent la prioritt. Ils pensent à la jeunesse, parce qu’elle reprtsente l’avenir, avant de songer aux adultes. Ceux-ci peuvent attendre.

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92 Une étape dans l‘kducation des adultes

Il suffit, pour être tdifit, de comparer, dans les rapports des confdrences rtgionales de ministres de l’dducation, la place qu’occupe l’enseignement primaire, secondaire ou suptrieur avec celle qui est laisste à l’dducation des adultes. Aussi longtemps que cette situation durera, il ne faudra pas s’ttonner qu’il reste, dans tant de pays du tiers monde et même dans ceux qui ne comptent pas parmi les plus pauvres, un si grand nombre d’illettrts, en particulier parmi les femmes.

Un complément d’éducation

S’il existe des statistiques internationales sur l’analphabdtisme, nous n’en possddons aucune qui donne une idde, même approxi- mative, du nombre des enfants qui abandonnent chaque annCe l’dcole, bien avant le terme normal des ttudes. Mais à en juger par les rapports ptriodiques qui parviennent des pays en voie de dCveloppement, les dtperditions d’effectifs scolaires doivent atteindre des proportions effrayantes. L’enseignement ressemble à des colonnes en marche, qui abandonneraient sur les bords de la route une foule innombrable d’dclopts. Que deviennent ces victimes d’un mal apparemment incurable ? Ce ne sont pas des analphabètes, puisqu’on leur a appris à lire et à tcrire, mais sur le marchd du travail ils ne valent guère mieux. D’origine pay- sanne pour leur grande majorité, ils retournent à la terre ou à un artisanat rural, sans autre formation que l’exemple de leur famille. Par l’âge, ce sont des enfants, ou peut-être des adoles- cents, mais comme l’tcole ne peut plus rien faire pour eux, il ne reste que l’dducation des adultes qui soit en mesure de leur offrir une seconde chance.

Une ttude rdcemment entreprise àl’intention du Fonds inter- national des Nations Unies pour l’enfance [26] a permis de recenser plus de cent cinquante programmes de formation agricole non SCO- laire en cours d’extcution dans quarante-cinq pays du tiers monde: treize en Amérique latine, huit en Asie, quatre au Moyen-Orient et vingt en Afrique. Tout en se gardant de porter un jugement sur des exptriences aussi diverses que celles-ci, on peut relever, à titre d’exemple, le projet d’tducation pour adolescents qui se dtveloppe dans l’un des États les plus défavorisCs du Brtsil, le Pernambouc, celui du Java Oriental, en Indontsie, pour les

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Une Ltafie dans I’Jducation des adultes 93

jeunes de moins de vingt ans, les centres d’animation rurale crdCs au Mali par le mouvement des pionniers, le plan d’dducation agricole de Haute-Volta ou encore le (( programme de la deuxième chance D institud au Mali. Les auteurs de cette Ctude n’ont pas cherchd à dissimuler les faiblesses de ces expdriences, qu’ils dCsi- gnent du terme de a pCriscolaires mais qu’on pourrait avec plus d’exactitude qualifier de a non scolaires n, car elles se dtveloppent toutes en dehors des Ccoles : déciddes à la hâte et sans prdparation suffisante, presque toujours fragmentaires, pauvres en personnel d‘encadrement, elles gagneraient à être reliees les unes aux autres, dans le m ê m e pays, et à être rattachdes à un projet plus cohCrent. Mais même avec ces lacunes, elles rendent d’ores et ddjà des services très apprCcits.

Une autre enquête [27], mente cette fois à l’initiative de la Banque mondiale, sous la même direction mais dans quinze pays difftrents de l’Afrique, de 1’Amtrique latine et de l’Asie1, a conduit à une analyse plus approfondie des formes, des condi- tions, des coûts et des modes de financement de la formation non scolaire à l’intention des jeunes agriculteurs. Les perspectives ouvertes par ces deux ttudes sont si vastes, et les premiers résul- tats si encourageants, qu’on peut se demander si, dans le domaine agricole, dont l’importance est capitale pour les pays en voie de ddveloppement, l’dducation non scolaire n’est pas la formule de l’avenir. La preuve est faite qu’elle constitue dCjà un compldment utile de l’enseignement. Si l’on sait lui conserver sa diversitd et sa prtcieuse souplesse, se prdmunir contre la tentation de 1’Criger en système, avec tout ce que ce mot Cvoque de rigiditd et de formalisme, elle pourrait même proposer pour les populations rurales du tiers monde une alternative valable à l’institution scolaire.

U n prolongement de l’éducation

On touche ici à la fonction la mieux connue de l’dducation des adultes, la plus classique (si ce terme ne semble pas trop insolite

1. La Colombie, le Mexique; l’gthiopie, le Kenya, le Malawi, le Nigtria, le Stn6ga1, le Soudan, la Rtpublique-Unie de Tanzanie; l’Afghanistan, le Bangladesh, la Rtpublique de Corée, l’Inde, les Philippines, la Thaïlande.

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en ce domaine) et qui dispose aussi des institutions les plus solides. C’est par là que tout a commencC, dans les cours du soir et les universités populaires du siècle dernier. Le souci d’offrir aux adultes les moyens de prolonger les études qu’ils ont faites dans leur jeunesse rtpond de longue date à un double besoin : satisfaire la soif de connaissance et de culture, commune à un si grand nombre de personnes, et donner allx travailleurs de toutes catdgories les chances d’une promotion professionnelle. A quoi les mutations de 1’Cconomie moderne sont venues ajouter plus rCcemment un troisième besoin, celui de se reconvertir, en cas de nCcessité, à un nouveau métier. Il est vrai que ces besoins sont surtout sensibles et plus souvent satisfaits dans les pays déve- loppCs; c’est pourquoi la conférence d’Elseneur, si limitée dans sa composition, y avait accord6 le meilleur de son attention. Mais les peuples en voie de dCveloppement connaissent des soucis plus urgents : aussi la conférence de Montréal, plus apte à écouter la voix du tiers monde, avait-elle donné une haute priorité à l’éli- mination de l’analphabétisme. O n s’est efforce, à Tokyo, de tenir la balance égale entre les problèmes des nations les plus ddfavo- rides et ceux des États hautement industrialisés. Une longue expCrience prouve combien une assemblée mondiale a de peine à rtaliser une synthèse des aspirations les plus diverses; la tâche de la confkrence de Tokyo était à cet égard particulièrement rude, mais force est de reconnaître que, dans le rapport final, ce louable souci d’universalité ne parvient pas toujours à dissimuler une secrète complaisance pour les formes d’kducation des adultes qui rtpondent surtout aux besoins des sociétés les plus évoludea. Cela se sent à certaines formules, à l’importance donnCe aux questions d’organisation ou de financement, à la recherche d’un Cquilibre entre les pouvoirs publics et les syndicats ou les mouvements coopératifs, brefà toutes sortes de problèmes qui se posent au premier chef quand l’éducation des adultes prolonge une éducation déjà solide.

Un perfectionnement de t’éducation

Il s’agit ici des stages de perfectionnement en cours d’emploi. NC des exigences de la science et de la technologie appliquées à l’industrie, le besoin de recyclage s’est rapidement étendu

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Une étape dans l’éducation des adultes 95

à toutes les professions, la médecine comme l’administration publique, l’enseignement comme la gestion des affaires, l’agri- cdture comme le commerce : le clergt même n’y est pas demeurd étranger. Ce besoin de remise àjour des connaissances et des aptitudes professionnelles, même s’il s’exprime avec une insis- tance plus grande dans les sociétés hautement techniciennes, est trop gtntralement reconnu pour que la conférence de Tokyo ait jugt utile de s’y attarder. Dans le même ordre d’idde, on relève pourtant son inttrêt pour les écoles de parents, cette autre forme de recyclage, dont le ddveloppement lui a semblé ndcessaire aux progrès d’une tducation démocratique.

Un mode d‘t‘panouissement personnel

Après avoir énumért les différents objectifs de l’tducation des adultes, le rapport de Tokyo en vient à celui-ci, qui complète et embrasse les autres : e C’est l’instrument de l’épanouissement de l’homme intégral, total, pris dans la globalitt de ses fonctions de travail et de loisirs, dans sa partici ation à la vie civique, & la vie familiale, à la vie culturelle [...] ducation des adultes et déve- loppement culturel sont les deux composantes d’un processus global et il est urgent de les intégrer )> [3c, p. 23-2411. Il est en effet urgent de mettre fin à un malentendu qm n’a que trop durC. O n confond souvent, ou l’on feint de confondre, éducation des adultes et formation continue. La loi française de 1971, qui reconnaît à tous les travailleurs le droit à la formation continue, est une loi hardie et géndreuse; elle marque un progrès dtcisif. Mais elle ne traite que de la formation professionnelle en cours d’emploi, elle ne touche pas au reste, à ce développement culturel dont la confdrence de Tokyo affirmait avec raison qu’il est indis- sociable de l’éducation des adultes. Il est vrai qu’on ne peut pas tout accomplir du même coup et le gouvernement français comme le Parlement avaient sans doute de bonnes raisons pour limiter cette fois leur effort. Il ne faut pourtant pas qu’on oublie le chemin qu’il reste à franchir pour atteindre au but.

Toute dducation a pour objectif suprême l’épanouissement

I . O n pourra lire aussi A ce sujet l’article d’Anna LORENZETTO, (( The cultural dimension of adult education )) [40].

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de la personnalitd : celle de l’enfant, celle de l’adolescent, celle de l’adulte. Mais c’est pour l’adulte que la tâche est la plus difficile, parce que, bien davantage que l’enfant ou que l’adoles- cent, l’adulte subit les contraintes de la socittd, à commencer par celles du mttier et de l’argent. La conftrence de Tokyo a trouvd des termes vigoureux pour dvoquer le pouvoir libdrateur de l’dducation des adultes ou, pour user du vocabulaire àla mode, sa facultd de combattre l’alidnation; on rencontre même dans le rapport final une formule insolite : (( C’est un instrument de conscientisation. )) Comment ne pas penser aussitôt à Paulo Freire, non seulement pour ses thdories bien connues, mais aussi pour ses mtmorables exptriences d’alphabttisation au Brdsil et au Chili ? Ce mot de (< conscientisation D, directement transcrit du portugais, ddsigne tout à la fois une prise de conscience de la rdalitd, avec ses contraintes et ses contradictions sociales, poli- tiques, Cconomiques, et le point de dkpart d‘une lutte contre la rtalité oppressive. Pour Paulo Freire, l’alphabktisation des adultes est une (( ptdagogie des opprimts )) et l’dducation tout entière, la pratique de la libertd [29 et 301. En se situant, même par une allusion discrète, dans cette perspective, la confd- rence de Tokyo donnait toutes ses dimensions à l’dducation des adultes.

PROBLÈMES D’ORGANISATION

C’est dans cet ordre de problèmes, relatifs à l’organisation, à la planification et au financement, que la conf6rence de Tokyo a poussd le plus loin sa rdflexion et apporte la contribution la plus utile [QC, p. 24-28]. Le monde de l’dducation des adultes, tel qu’il se prtsente à la lumière du rapport final, est celui de la diversitt; non seulement ses structures et ses pratiques varient d‘un fitat à l’autre, selon la diffdrence des rdgimes politiques, des orientations iddologiques et des ltgislations nationales, mais dans un même pays, des tendances divergentes partagent les Cducateurs au grt de leurs exptriences ou de leurs tcoles de penste. On le savait dtjà avant la rdunion de Tokyo; on en a reçu d’elle une confirmation Cclatante.

Ce qu’il y a de nouveau dans le compte rendu de ses ddlibt- rations, c’est un effort constant pour surmonter ces diffdrences de

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situation et ces divergences d’opinion et en dtgager un certain nombre de principes acceptables à une très large majoritt. Il y a toujours un risque à traiter la rtflexion collective d’une grande assemblée internationale, telle que celle-ci, de la même manitre qu’une penste individuelle. Les dtmarches ne sont pas compa- rables, la recherche ne suit pas le même cours. Pourtant on ne peut manquer, à la lecture du rapport final, de relever les traces d’une tension dialectique entre des thèses fortement contrasttes et d’y discerner aussi l’esquisse d’une synthbe; les deux thtses qui constamment s’affrontent Ctant, d’une part, la ndcessitt d’une inttgration et, de l’autre, la volont6 de prCserver l’identitt origi- nale de l’tducation des adultes. Quant à la synthèse, n’ttait-elle pas suggtrCe à l’avance dans le thème gtntral choisi pour la conftrence : << L’dducation des adultes clans le contexte de 1’Cdu- cation permanente n ?

Le besoin d’inttgration avait dtjà CtC ressenti par la conf4- rence de Montréal, mais à Tokyo il s’est affirmt avec beaucoup plus de force et de précision. A un premier stade, il ne s’agit que de coordonner dans le cadre national les initiatives, publiques ou privtes, dont le nombre ne cesse de s’accroître en même temps que les publics auxquels elles s’adressent et les moyens techniques ou financiers qu’elles mettent en oeuvre. Si prdcieuse que soit la diversitt, elle ne doit se prêter à l’incohtrence, au gaspillage ni à l’impuissance. Cette ndcessaire coordination peut se rtaliser, soit sous l’autoritt d’un ministère, dans le cas d’un pays dot6 de fortes institutions, soit au sein d’un conseil national, à la manière des pays anglo-saxons. Mais, dans une solution comme dans l’autre, la dtcision revient à 1’État. Aussitôt on voit surgir de très strieuses rtserves : rien n’est plus nuisible à l’tducation des adultes qu’une centralisation excessive. Puisqu’il faut en passer par l’fitat, à qui seul appartient le pouvoir de dtcider en dernier ressort, d’assurer une planification efficace des dtveloppements souhaitables et de pourvoir aux immenses ressources ntcessaires, en argent et en tquipement, que l’fitat ddlègue au moins une large partie de ses attributions aux administrations rtgionales ou locales, plus proches de la rtalitt et plus qualifites pour apprd- cier les besoins concrets de la population. A quelque pays qu’ils appartiennent, les tducateurs d’adultes sont de farouches parti- sans de la dtcentralisation.

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Une étape dans l‘éducation des adultes

Il faut aussi que les pouvoirs publics se gardent de mécon- naître la place et le rôle des initiatives privdes. Comme ne cesse de le rappeler le rapport de Tokyo, (< les organisations non gouver- nementales ont, surtout sur le plan syndical, une longue et impor- tante tradition, qui dans bien des cas est antdrieure à l’action des gouvernements D. La diversité politique, philosophique ou reli- gieuse de ces organisations n’est-elle pas d’ailleurs la meilleure garantie de la (( libre pluralit6 des expdriences n, pour les forces d’opposition comme pour les minorités ? La conference ne pou- vait pas se prononcer en faveur d’un type d’organisation qu’elle savait inacceptable pour certains pays; elle a pourtant suggCré des modèles plus souples, où 1’État se bornerait à élaborer des lois-cadres ou à instituer une gestion mixte, associant ses repr6- sentants, ceux des pouvoirs regionaux ou locaux et ceux de l’ensemble des organisations volontaires. Comme on le voit ces exemples, choisis parmi tant d’autres, la relation entre l’g et l’initiative privCe dtait au cœur des dCbats de Tokyo.

Mais c’est au second stade de l’intggration que les problèmes se font les plus graves. Conscients de l’importance sans cesse croissante de leur fonction, les Cducateurs d’adultes ne veulent plus jouer les parents pauvres de la famille. Ils exigent que les droits et les besoins de l’adulte soient reconnus à 1’Cgal de ceux de l’enfant ou de l’adolescent. Il faut donc que dCsormais 1’Cdu- cation des adultes devienne une partie intdgrante de tout projet national d’dducation. Mais aussitôt on la voit se dresser face à l’dcole. D e tous les chapitres du rapport final de Tokyo, le plus vivant est sans contredit celui qui traite de (( 1’Cducation des adultes dans ses rapports avec l’enseignement formel et scolaire D. Que de traits acdrCs contre (( les privilèges scolaires, dont les masses populaires sont écartdes contre le maintien de plus en plus monstrueux et paralysant d’un système scolaire dévorant à lui seul le tiers du budget du pays,), ou encore contre la diffu- sion par 1’Ccole (( de modes de pensde et de comportements intel- lectuels inadaptds aux besoins du ddveloppement n! Toute la contestation du système scolaire semble s’être dechaînée à Tokyo, au point que certaines délCgations - on n’a aucune peine à imaginer lesquelles - ont jugd ndcessaire de rCpliquer avec force et clartd n, comme le dit le rapport, qu’on ne connaissait pas dans leurs pays de crise semblable ni de (< remise en cause de

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l’institution scolaire par la jeunesse, les maîtres ou les parents D. Le rapport note encore que les représentants de plusieurs pays en voie de dtveloppement <( ont assisté, stuptfaits, à ces attaques contre l’école D 136, p. 24-25].

Ce n’est pas que, dans leur immense majoritt, les éducateurs d’adultes refusent de collaborer avec l’école; ils voudraient au contraire recevoir en plus grand nombre le renfort de ses maîtres, disposer plus largement de ses locaux et de ses tquipements. Ils souhaitent que les universitts accueillent plus gtntreusement les adultes. Toutes les formes de coopCration ont tté évoqutes àTokyo. Mais les tducateurs d’adultes ont conscience de pratiquer une pédagogie plus diversifiée et plus audacieuse que celle de l’école, plus adaptée aussi aux besoins du dtveloppement. Au rendez- vous du donner et du recevoir, ils savent que la balance penche souvent en leur faveur. Dans l’inttgration qu’ils estiment ntces- saire, il ne faut pas que l’tducation des adultes perde son identité.

LE PRINCIPE DE L’ÉDUCATION PERMANENTE

Puisque l’éducation des adultes ne peut ni ne veut s’inttgrer au système d’enseignement, l’intégration ne peut se réaliser que dans un projet global d’éducation, qui les transcende l’une et l’autre. O n avait situé les débats de Tokyo << dans le contexte de l’tdu- cation permanente H. Formule suggestive, mais qui exige une interprétation. Si l’tducation permanente peut en effet servir de contexte, c’est seulement sur le plan des concepts et non sur celui des faits, car l’éducation permanente n’est nulle part une rtalité. Il est vrai que certaines des réformes récemment entreprises, comme au Japon ou au Ptrou, l’ont choisie pour objectif; d’autres la citent comme un terme de rtférence. Elle ouvre des perspec- tives immenses, elle suscite de grandes esptrances et elle alimente déjà une litttrature abondante, ainsi qu’en ttmoigne une biblio- graphie internationale [g], qui recensait en 1972 près de trois cents titres de livres ou d’articles, où elle est expresstment dési- gnte. Mais il faut aussi reconnaître qu’il règne, autour de ce mot, une extrême confusion.

Dans les publications de l’Unesco, l’éducation permanente est le plus souvent prtsentte comme a une perspective de

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l’éducation D; certains thdoriciens y voient un (( Ctat d’esprit n1 ; quant au rapport de la Commission internationale sur le ddvelop- pement de l’dducation, il la considère comme un principe. C’est cette dernière définition que nous retiendrons [IO, p. 2051, parce qu’elle est, de toutes celles que l’on a proposées, à la fois la plus large et la plus prdcise :

a Le concept d’éducation permanente s’étend à tous les aspects du fait éducatif, il les englobe tous, et le tout est plus que la somme des parties. O n ne peut identifier dans 1’Cducation une partie permanente, distincte du reste, qui ne le serait pas. Autre- ment dit, l’éducation permanente n’est ni un système, ni un domaine éducatif, mais le principe sur lequel se fonde l’organi- sation globale d’un système et donc l’élaboration de chacune de ses parties. n

Les conclusions de la confdrence de Tokyo sur 1’Cducation des adultes, comme celles du colloque de Grenoble sur l’ensei- gnement supérieur court, comme celles de la Conférence interna- tionale de l’éducation, contenaient toutes un appel à l’tducation permanente. Mais il leur manquait une définition plus nette de ce que l’on entendait par là; c’est cette définition que nous apporte le rapport de la Commission internationale. L’intégra- tion unanimement souhaitde ne peut de toute évidence se réaliser au sein du système d’enseignement, dont tout le monde reconnaît les faiblesses et qui n’a d’ailleurs pas été conçu à l’intention des adultes. Elle ne serait pas possible non plus par une extension abusive des formules de l’éducation des adultes aux enfants d’âge scolaire. Force est donc de recourir à un projet global d’dduca- tion, qui embrasse à la fois les différents âges de la vie et réponde aux besoins des adultes aussi bien qu’à ceux de l’enfance ou de l’adolescence. Mais sitôt qu’on admet la nécessitC d’un projet global d’éducation pour la vie entière, on se trouve necessaire- ment conduit à reconsiddrer la fonction de l’école. Jadis institude pour donner à la jeunesse des connaissances, des aptitudes, une

I. Voir par exemple : M. TARDY, a Rtflexions sur l’éducation permanente >>, &ducation et culture (Conseil de l’Europe, Strasbourg), no 3, 1966. Voir aussi sur ce sujet Introduction à l’hducation permanente, de Paul LENORAND [14] et le document <( Les systhes tducatifs face aux exigences nouvelles dans les socittts industrialistes D, d’Henri JANNE, priparé pour la Commission inter- nationale.

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formation, jugCes suffisantes pour toute la durCe de la vie, com- ment pourrait-on lui imposer les mêmes obligations, dès lors qu’elle n’est plus que la première Ctape d’un processus tducatif qui ne prend fin qu’avec la vie? Ni ses objectifs, ni ses pro- grammes ne peuvent être les mêmes1. Mais il faudra aussi cesser de confondre 1’Cducation permanente avec l’tducation des adultes. Celle-ci a certes apport6 l’idCe neuve et ftconde de la continuité en Cducation ; mais cette continuitt ne lui appartient pas en propre, elle est dtsormais un bien commun à 1’Cducation tout entière. Le système d’Cducation de demain sera donc, comme le rappelle à juste titre la Commission internationale, davantage que la juxtaposition de ces deux parties aujourd’hui sdpartes, l’institution scolaire, d’une part, et, de l’autre, 1’Cdu- cation des adultes; elle formera un même processus continu, fondt sur le principe de l‘dducation permanente.

Ce principe ne sera donc jamais, et ne peut pas être par sa nature même, une rtalitC concrète; mais il inspire des politiques d’dducation, des formes d’organisation et des systèmes. C’est grâce à lui et par rapport à lui que les tensions et les contradic- tions dialectiques tprouvtes à la conftrence de Tokyo, comme dans toutes les rdunions internationales rdcemment consacrtes à l’Cducation, pourront se rtsoudre en une synthèse valable pour tous les pays du monde, quel que soit leur niveau de dCveloppement.

MÉTHODES ET TECHNIQUES

Bien qu’elle ait donnC beaucoup de son temps à une rdflexion d’ordre pddagogique, la confCrence de Tokyo a dû reconnaître que notre connaissance actuelle des mdthodes et de leur appli- cabilitd restait encore superficielle et fragmentaire. Aussi a-t-elle exprimt le vœu que la recherche se ddveloppe dans ce domaine et que des rencontres internationales plus frtquentes permettent des tchanges d’information sur les expkriences et les innovations. Mais elle a posC en principe que, à l’tgard des adultes, (< la

I. O n peut consulter A ce sujet le recueil de textes et les donntes bibliographiques publib par l’Institut pour l’tducation de Hambourg sous le titre de L’kducation permanente et l’kcole [8].

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relation traditionnelle élève-maître doit devenir une association fondée sur la participation et l’instruction mutuelle D. A vrai dire, ni le terme de maître ni celui d’Clève ne conviennent ici, et si l’on continue à les utiliser, c’est par l’habitude acquise et faute de leur trouver des substituts commodes. Mais le rapport final insiste à différents endroits sur le rôle des organisateurs, des animateurs ou des intermédiaires (on dit parfois aussi : des inter- cesseurs) qui aident les adultes à identifier leurs problèmes, à suivre les programmes (( d’un œil ou d’une oreille critiques D et à formuler leurs réactions. La conférence a pris grand soin de signaler la valeur de l’éducation autodirigée : pour ceux qui pré- fèrent travailler seuls, mais qui ressentent le besoin d’être sou- tenus, elle préconise la création de centres accueillants, oh ils puissent se rendre de leur propre initiative et à leurs heures. Ici encore, des recherches seraient souhaitables sur les problèmes et les besoins propres à ce genre d’éducation. Dans le même ordre d’idée, justice a été rendue aux cercles d’étude, aux groupes de discussion ou d’écoute des programmes de radio et de télévision, comme à l’enseignement par correspondance, dont l’efficacité ne peut plus être mise en doute, surtout au niveau d’une éducation déjà avancée.

C’est autour des grands moyens modernes de communi- cation que la discussion a été la plus serrée. Si le débat s’était engagé entre reprksentants de pays très industrialisés, nul doute qu’on y eût longuement parlé des techniques de pointe - vidéo- cassette, visiophone, vidéodisque, plus encore de la télédistri- bution par câble, qui a déjà équipé des millions de foyers aux Etats-Unis et au Canada et commence à faire son apparition en Europe. Mais à Tokyo, la présence et le poids du tiers monde inclinaient à plus de modestie. La télévision elle-même a fait l’objet d’assez vives critiques. (( Plusieurs dClégués, peut-on lire dans le rapport final, ont exprimé leur inquiCtude au sujet de l’utilisation qui est faite actuellement des moyens de communi- cation, en particulier de la télévision. Il existe dans certains pays une mystique de la téldvision, qu’il faut combattre. B L’éducation des adultes passant pour être accueillante aux innovations, com- ment s’expliquer ces réticences ? Plusieurs pays du tiers monde ont pourtant donne! l’exemple d’une extrême hardiesse dans l’emploi de la télévision à des fins éducatives : l’enseignement

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primaire n’est-il pas en grande partie tdldvist en CGte-d’Ivoire ? L’Inde ne s’apprête-t-elle pas A devenir le premier pays au monde à user d’un satellite pour relayer des programmes d’ddu- cation rurale ?

A vrai dire, les critiques s’adressaient surtout aux mauvais usages de la ttldvision, tels que certains pays, en Amtrique latine en particulier, en ont fait la fâcheuse exptrience : investissements trop ontreux, inadaptation des programmes importds, agressivitt des mtthodes commerciales ou publicitaires, contraintes tcono- miques insupportables. D’où l’tloge de la radiodiffusion, moins coûteuse et plus apte à atteindre des populations disperstes, et surtout un avertissement aux nations les plus pauvres, pour qu’elles mettent au point a des moyens qui leur soient propres et tirent parti des multiples ressources de la communautd >>. C’est en effet le vaste domaine, encore mal explort, de ce que l’on appelle, selon l’usage convenu, les technologies intermtdiaires, beau sujet de recherche et, quand on y verra plus clair, utile champ d’optration pour la cooptration internationale.

En dtfinitive, la conftrence de Tokyo a donnt la prtftrence A l’approche multi-media. Employtes seules, la ttltvision et même la radio ont un caractère autoritaire qui ne permet pas de tenir compte des rtactions du public; la passivité de l’auditeur ou du ttléspectateur finit par lasser leur assiduitt. C’est donc pour entretenir les motivations et provoquer une participation active autour de la rtception des messages que les organisateurs des exptriences connues au Qutbec sous le nom de TEVEC [ I 31 et, plus largement, les promoteurs de 1’Universitt ouverte ont joint aux tmissions de radio et de ttlévision des cours par corres- pondance, sans ntgliger le rôle des conseillers charges de main- tenir un contact personnel avec chacun des adultes concernts. En soulignant les mtrites de cette mtthode, qui ne convient d’ailleurs qu’à un certain niveau d’tducation, la conftrence de Tokyo a voulu insister sur la ntcessitt de la participation et le rôle irremplaçable de l’animateur, avant de conclure par cette remarque d’une importance singulière : (( Les tducateurs d’adultes devraient travailler dans l’environnement naturel de leurs Clèves, afin que ceux-ci se sentent en stcuritC et Cprouvent des motiva- tions authentiques. ))

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Une étape dans l’éducation des adultes

LE PERSONNEL DE L ~ ~ D U C A T I O N DES ADULTES

Cela nous amène à considérer les problkmes du recrutement, de la formation et du statut du personnel. La confdrence de Tokyo a pris soin de recenser toutes les cattgories professionnelles qui concourent à l’dducation des adultes : a enseignants et moniteurs, administrateurs, sptcialistes charges de prdparer le mattriel d’enseignement (programmes, films, émissions, etc.), personnel des entreprises, services de vulgarisation des syndicats et des coopératives ... A cette liste il faut ajouter d’autres professionnels qui exercent une influence Cducative certaine : travailleurs sociaux, mCdecins, conseillers religieux et personnel d’institutions telles que les bibliothhques, les musdes et les centres culturels D. Pour étre ddjà longue, cette CnumCration n’est assurdment pas exhaustive. Pourquoi omettre les artistes, les Ccrivains et les gens de thtâtre ? Mais à pousser trop loin les scrupules, on finit par confondre les vtritables Cducateurs d’adultes, dont l’dducation est l’occupation principale, avec ces collaborateurs occasionnels que sont les mCdecins, les bibliothdcaires ou les musiciens.

C’est bien aux vCritables Cducateurs que pensait la confC- rence en exprimant le vœu de voir se constituer pour eux une nouvelle profession, assurde d’un statut, de perspectives de car- rière, de traitements et de conditions de service (( comparables à ceux des enseignants et des administrateurs de l’enseignement secondaire D. Pour cette nouvelle profession, la confdrence a prdvu, àjuste titre, des modes de recrutement et de formation [gc, p. 36-38]. Louable souci, mais qui ne manque pas de poser un problème.

Autant il est en effet ldgitime d’attirer vers 1’Cducation des adultes des jeunes gens compktents, dCvouts et animds d’un haut iddal, de leur assurer par la suite des conditions de travail et des rdmuntrations dignes de leur fonction, de les garantir contre l’instcuritd de l’emploi, autant on htsite à suivre la confdrence de Tokyo jusque dans ses dernikres conclusions. Est-il vraiment ndcessaire, est-il mCme souhaitable, que se constituent une pro- fession et un corps d’dducateurs d’adultes? Y a-t-il quelque intdrét à fixer d’avance son statut, en le situant au niveau d’un des degrds de l’enseignement ? Le risque est grand de crCer une

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Une étape dans l‘éducation des adultes 105

cattgorie professionnelle de plus et de susciter des compttitions, des rivalités, peut-être des jalousies. Sans compter qu’un corps constitué, quel qu’il soit, est toujours menacé de scltrose. O n a tant reproché au corps enseignant de plier sous sa propre pesan- teur! Et comment fera-t-on, quand la profession sera organisée, pour maintenir les éducateurs d’adultes dans le même environ- nement socio-culturel que leurs élèves ? Cette souplesse, cette facultt d’adaptation, cette richesse d’imagination, cette soif d’innovation : toutes ces belles qualités, dont les adeptes de l’éducation des adultes sont justement fiers, est-on sûr qu’elles résisteront aux traditions d’une profession ttablie ? Il est vrai que la conférence a prévu le maintien d’éducateurs à temps partiel; faut-il entendre par là qu’elle comptait sur eux pour entretenir la flamme ?

A considdrer les choses de plus près, on est tenté de distinguer deux catégories, ou deux fonctions, parmiles éducateurs d’adultes. La première répond surtout aux besoins de la promotion pro- fessionnelle, dans des conditions bien dtfinies et suivant des programmes qui s’apparentent à ceux de l’enseignement. Bien qu’elle demande des aptitudes et des méthodes particulières, qui peuvent d’ailleurs s’acquérir dans des stages de formation, cette première fonction n’est pas très difftrente de celle des profes- seurs; il est donc naturel qu’on prévoie pour elle une catggorie professionnelle comparable à celle des enseignants. Par contre, quand il s’agit d’animer un groupe, dans des conditions sans cesse renouvelées et selon des méthodes qu’il faut imaginer à chaque occasion, la fonction n’a plus rien de commun avec celle de l’enseignement. Il n’y a plus de maître ni d’élève, mais rien que des partenaires égaux dans un projet élaboré en commun. L’idéal ne serait-il pas que l’animateur sortît lui-même du groupe, choisi d’un consentement unanime pour son caractère et son aptitude 8. établir la communication ? Il faut sans doute assurer à ces animateurs des rtmuntrations et des conditions de travail satisfaisantes, mais de là à faire d’eux des fonctionnaires pourvus d’un statut permanent, la distance mérite réflexion et l’on est enclin à penser que la conférence de Tokyo a franchi le pas avec un peu trop de hâte.

Meme si l’on ne peut donner une adhésion entihre à cha- cune de ses conclusions, cette grande assemblée de Tokyo a

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I 06 Une étape dans I‘kducation des adultes

ttt? fertile en enseignements. La masse des informations qu’elle a permis de recueillir, les confrontations, parfois rudes, qu’elle a provoqutes, les points d’accord qu’elle a fini par dtgager : autant d’acquis positifs qui donnent une image rtconfortante des progrès accomplis, à travers le monde, par I’Cducation des adultes.

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Chapitre cinq

Le rapport de la Commission internationale sur le développement de l’éducation

La parution en librairie à l’automne de 1972, sous le titre promet- teur Affrendre à étre [IO], du rapport présenté à l’Unesco par la Commission internationale sur le développement de l’tducation n’a peut-être pas Cté, à première vue, un évtnement mémorable : à l’immense litttrature consacrte, dans toutes les rtgions du monde, aux problèmes actuels de l’éducation, un volume venait de s’ajouter. Les noms de ses auteurs1, tous connus à difftrents titres, ne pouvaient cependant manquer de retenir l’attention. Les lecteurs n’ont pas tardt à relever, sous l’agrément de la forme, la vigueur et la hardiesse de la pensCe, comme la coht- rence des suggestions formultes à l’intention des gouvernements et des organisations internationales. Car si ce livre est de nature à inttresser tous ceux qui rtfléchissent à l’tducation de la jeunesse ou des adultes, il ne faut pas oublier qu’il rtpondait surtout à la demande des gouvernements des cent trente bats membres de l’Unesco. Beaucoup plus que le fruit d’une recherche collective, c’était un instrument de travail destint à inspirer des dtcisions politiques et des mesures concrètes. A en juger par le retentisse- ment qu’il a eu dans les assembldes intergouvernementales, par les rtactions qu’il a provoqutes dans les différents pays, on n’htsite pas à penser que ce but a ttt largement atteint. Le rapport de la Commission internationale marque dès maintenant une date dans les annales de la coopération internationale.

I . Edgar Faure (France), Felipe Herrera (Chili), Abdul-Razzak Kaddoura (République arabe syrienne), Henri Lopes (Congo), Arthur V. Petrovski (URSS), Majid Rahnema (Iran), Frederick Champion Ward (lhats-Unis).

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108 Le rapport de la Commission internationale sur le dèveloppement de l’kducation

MANDAT ET MÉTHODE DE TRAVAIL DE LA COMMISSION

C’est au mois de ddcembre 1970, lors de sa seizième session, que la Confdrence gdndrale de l’Unesco avait adoptd une rdsolution, dont voici le dispositif essentiel :

<< Le Directeur gdntral est autorisd à élaborer et à présenter aux Rtats membres les Cldments necessaires à une réflexion sur les stratdgies de l’tducation à l’échelon international [...] en constituant une Commission internationale sur le ddveloppement de l’dducation, en en publiant le rapport et en le prdsentant avec ses commentaires aux États membres, au Conseil exdcutif, à la Confdrence géndrale, et en le prenant en considdration dans l’élaboration des programmes futurs en matière d‘dducation. n

Dès le ddbut de 1971, le Directeur gdndral constitua donc une commission de sept personnes, dont il confia la prdsidence à M. Edgar Faure. Trois des sept membres avaient étd ministres de 1’Cducation; deux occupaient des postes de premier plan dans des institutions vouées au ddveloppement de l’dducation, un autre &ait un savant attachd à l’Agence internationale de l’dnergie atomique, le dernier avait dirig6 le Fonds mondtaire interna- tional, qui alimente un si grand nombre de projets d’assistance technique en matière d’dducation. Par la varidtd des compétences et la diversitt des pays d’origine, l’dquipe ainsi formde donnait toutes les garanties que l’Unesco pouvait exiger. U n secrétariat de sept personnes secondait la commission. Celle-ci s’est plu à reconnaître publiquement la complète inddpendance dont elle a joui dans I’exdcution de son mandat et l’entière libertd dont elle a disposé, tant pour le contenu de son rapport que pour l’organisation de ses travaux.

Dès sa première rdunion, la commission avait ddcidé de recourirà des méthodes diverses; elle avait ainsi prdvu (<d’envoyer, dans toutes les régions du monde, des missions d‘enquête qui ont permis de procéder à des Cchanges de vues avec les dirigeants politiques et d’organiser des tables rondes avec les responsables de l’tducation; de visiter les organisations du systt“ des Nations Unies, ainsi que les institutions et fondations rdgionales s’int6 ressant particulièrement aux questions d’éducation ; de parti- ciper à des réunions internationales et régionales; d’dtudier des

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Le rapport de la Commission internationale sur le développement de l’éducation

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documents sur divers aspects de l’dducation, Ctablis A l’intention de la commission par des spCcialistes; d’avoir des consultations avec des spCcialistes sur diffdrents problèmes relatifs 8. 1’Cduca- tion >> [IO, p. 3021.

Cette promesse a étt tenue : vingt-trois pays ont CtC visids par des membres de la commission, dans les differentes rCgions du monde; des rtunions avec les dirigeants des institutions du système des Nations Unies ont permis d’intCresser aux travaux de la commission les grands organismes mondiaux ou rkgionaux qui coopèrent au ddveloppement Cconomique et social; mais c’est surtout dans l’ordre de la documentation que l’effort a CtC le plus remarquable. Plus de quatre-vingts Ctudes, portant sur les sujets les plus variCs, ont Cté rCdigCes à la demande de la commission par des experts de renom. Ces documents sont sans doute dispo- nibles au siège de l’Unesco ou dans des centres dispersCs à travers le monde, mais on ne peut s’empêcher de regretter que 1’Organi- sation n’ait pas Ctt en mesure de leur donner une plus large diffusion. Ils forment souvent, en effet, un complCment utile ou une prCcieuse illustration des thèses soutenues dans le rapport de la commission.

Le 18 mai 1972, le prtsident pouvait annoncer au Directeur gtnCral de l’Unesco que la tâche confite à la commission &ait achevte et lui soumettre son rapport. Non, comme il tenait à le souligner, que (( la matière fût CpuisCe, et que l’ampleur du sujet n’eût justifiC de longs mois consaCrCs à des débats suppldmentaires ou à des rCflexions encore plus mûries >>. Mais ce que l’Unesco avait souhaitd, a c’&ait moins une Ctude d’une Crudition exhaus- tive qu’une rCflexion critique de la part d’hommes de formation et d‘origines diverses, qui recherchent en toute independance et en toute objectivitd la voie de solutions d’ensemble aux grandes questions que pose le ddveloppement de l’dducation dans un univers en devenir )) [IO, p. xv].

Quand on pense, en effet, à l’immensitd du sujet, comment ne pas être saisi d’ttonnement devant le peu de temps CcoulC entre la constitution de la commission et le dtpôt de son rapport ? Dix-sept mois B peine. Un autre sujet d’admiration, c’est que sept personnes d’une telle diversitt d’origine et de profession aient pu tomber d’accord sur des analyses et des propositions complexes. Il est vrai que l’on trouve parfois, au bas d’une page, une note

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1 IO Le rapport de la Commission internationale sur le de’veloppement de l’kducation

où s’expriment les réserves de certains membres, mais ces cliver- gentes sont trop rares pour altdrer la remarquable convergence des iddes. O n admire de même l’unit6 du ton et du style : cette œuvre collective se prCsente d’une seule coulCe, comme si elle émanait d’un auteur unique. Densité, cohCrence, unitd : trois traits qui, à première vue, donnent à cette étude un pouvoir de persuasion bien rare pour une entreprise internationale.

UNE RÉFLEXION CRITIQUE

Ceux qui chercheraient dans ce rapport une information objec- tive sur l’état présent de l’éducation dans les diffCrentes régions du monde ou une analyse des systèmes en vigueur et des change- ments en vue, ceux-là seraient vite déçus. Le rapport de la Com- mission internationale n’a rien d’un document d’information; c’est, comme le dit si bien le président dans le PrCambule, le compte rendu a d’une réflexion critique >>. Sans doute cette réflexion a-t-elle commencé par un bilan des résultats obtenus par le dCveloppement actuel de l’éducation dans le monde, mais un bilan qui conclut à un jugement sCvère; c’est pourquoi la pre- mière partie du rapport porte le titre ddjà suggestif de << Constats D. Sans doute aussi rencontre-t-on, par la suite, des rtfdrences directes à certains pays ou à certains faits et même, à l’occasion, des renseignements statistiques, mais ces précisions ne sont jamais données que sous forme d’exemples ou d’arguments, à l’appui d’une thèse. Dans la partie intitulée (< Innovations et recherche d’alternatives B, qui est sans contexte la plus constructive de toutes, chacune des vingt et une sections s’ouvre sur 1’énoncC d’un (< principe D, suivi de (< considérants D, puis d’un a commentaire D, pour s’achever sur des (( illustrations D. L’appel à la rCalité n’in- tervient que pour ajouter une preuve de plus à la démonstration.

UNE PHILOSOPHIE DE L’ÉDUCATION

Que la réflexion critique ait CtC conduite a en toute inddpen- dance D, on l’admet sans réserve, mais on aura beaucoup plus de peine àimaginer qu’elle l’ait Cté (< en toute objectivitC Y. Le ton du rapport n’est d’ailleurs pas celui d’une recherche objective; si l’on y reconnaît à chaque page un accent de sinCCrité, une

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Le rapport de la Commission internationale sur le développement de l’kducation

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volonté évidente de porter la lumière dans un dCbat gtnérale- ment confus, n’estFce pas parce qu’on assiste à l’élaboration d’une pende cohérente et logique ou, pour parler encore comme le président, << d’une approche dialectique oA entrent en jeu, d’une part, les améliorations à ce qui existe et, de l’autre, les alter- natives à ce qui existe )) [IO, p. XXXVII].

D e là, suivant la qualité du destinataire, ce qui fait la force de ce document, mais aussi sa faiblesse. Pour le grand public, il tranche avec bonheur sur la fastidieuse prudence des ouvrages habituellement produits par les organisations internationales ; il invite sans cesse le lecteur à entrer à son tour dans la réflexion critique, tantôt pour s’avouer convaincu, tantôt pour s’opposer. O n ne voit guère de texte qui, plus que celui-ci, sollicite et pro- voque la discussion.

Or l’Unesco attendait un rapport qui pQt à la fois orienter son action future dans le domaine de l’éducation et éclairer les gouvernements de ses fitats membres dans la recherche de solu- tions à leurs problèmes. Est-ce cela que la Commission inter- nationale lui a donné? Oui, sans doute, puisque le rapport contient des recommandations à l’intention des fitats et des sug- gestions pour le renouveau de la coop6ration internationale. Mais recommandations et suggestions s’inspirent toutes d’une même démarche dialectique, qui prend les dimensions d’une philosophie globale de l’éducation. Rien n’y manque, ni l’énonct d’un certain nombre de principes, ni une interprétation de l’his- toire. Il semble donc difficile soit pour les gouvernements, soit pour l’Unesco, d’adopter les solutions positives sans adhérer du même coup à la philosophie qui les justifie.

Il est vrai que la plupart des principes Cnoncés dans le rap- port sont depuis longtemps acceptés par les assemblées inter- gouvernementales qui s’occupent de l’éducation, qu’il s’agisse de la Conftrence générale de l’Unesco, de la Conférence internatio- nale de l’éducation ou des conférences régionales de ministres. O n n’en est plus à contester des objectifs aussi universellement reconnus que ceux de la démocratisation, de l’égalité des droits et des chances, de la préparation à la vie active, de l’alphabt- tisation des adultes ou de l’tducation permanente. L’inadap- tation de l’enseignement aux besoins de la société actuelle est même passée à l’état de lieu commun. Sans doute ces principes

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112 Le rapporl de la Commission internationale sur le dévelokpement de l’éducation

fondamentaux ont-ils reçu de la commission le précieux renfort d’une illustration plus vigoureuse et plus convaincante qu’A l’ac- coutumte, mais les gouvernements en ont dtjà fait leur profit et l’Unesco les objectifs priviltgits de son action.

Par contre, comment espérer que les gouvernements de pays aussi différents par leur régime politique, leur orientation idéolo- gique et leur développement tconomique, adhèrent tous à une même philosophie de l’éducation, qui leur est proposée par un groupe d’experts, fussent-ils les plus éminents et les plus compé- tents du monde ? La philosophie de l’éducation et l’interprttation de l’histoire touchent de trop près à la culture de chaque peuple et aux options politiques des États. O n pense au sage avertisse- ment que Jacques Maritain adressait à l’Unesco dès les premiers temps de son existence : aucun accord entre nations, disait-il en substance, ne pourra se fonder sur une idtologie quelconque ni sur des justifications théoriques, qui risqueraient au contraire de diviser les opinions et surtout les gouvernements. En revanche, un accord est possible en vue de l’action]. Cette leçon de pragma- tisme semble s’appliquer aux travaux de la commission. Son rapport eût tté plus aisément reçu par l’ensemble des États membres s’il ne se présentait pas comme l’aboutissement d’une démarche dialectique; les gouvernements auraient eu moins de difficulté à en adopter les recommandations pratiques. Il est vrai que le rapport y eût perdu de sa vigueur. Faut-il regretter que la commission ait choisi la voie la plus ardue ? Mais comme la coopération internationale a un caractère essentiellement prag- matique, même quand elle se rCclame de certains principes uni- versellement acceptes, on peut espCrer que, les premiers obstacles une fois surmontts, l’Unesco et ses États membres sauront faire le départ entre ce qui est surtout d’un inttrêt sptculatif et ce qui dtbouche sur des actions positives.

DE L’INSTITUTION SCOLAIRE A L A CITÉ ÉDUCATIVE

Le bilan dresst par la commission au seuil de sa rtflexion critique est, à bien des égards, un constat de faillite. En dépit des immenses

I. Voir l’article de Jacques MARITAIN dans le recueil intitulé Autour de la nouvelle dkdaration universelle des droits de l’homme (p. 12 notamment), Paris, 1949.

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Le ra@mt de la Commission internationale sur le développement de l’dducation

efforts déployés et des sacrifices consentis, des progrès de la scola- risation et des réformes en cours, l’dducation actuelle ne répond ni aux exigences de la démocratie ni aux besoins fondamentaux de la société. Nos systèmes d’enseignement sont vieillis et sclé- rosés. Pour sdvère qu’il soit, ce jugement n’ajoute rien à l’habi- tuelle contestation de l’école. La question est de savoir s’il sufira de rénover l’institution scolaire. Là-dessus, la commission rappelle les rkponses que proposent les diffkrentes tendances de la pensée contemporaine, de celles qui font confiance à l’école pour opérer les changements opportuns jusqu’à celles qui condamnent radica- lement 1’Ccole et rCclament la déscolarisation de la société. A première vue, la commission ne se prononce qu’en faveur du changement. Mais, par ailleurs, un (( survol B en douze pages de l’histoire universelle de l’éducation, depuis les sociétés primitives, à travers les traditions africaines, asiatiques, chrétiennes et isla- miques, pour aboutir aux temps modernes, amène la commission à rappeler que l’éducation a un passé beaucoup plus riche et plus divers que ne le donnerait à penser la relative uniformité de nos structures actuelles. Des hdritages infiniment précieux ont été ainsi soit perdus, soit dénaturds sous l’action de forces exté- rieures, à commencer par les conquêtes coloniales. Considérant ensuite les rapports actuels entre l’école et la société, les carences des programmes d’enseignement, les inégalités entretenues par nos systèmes entre les enfants d’un même pays et ceux des nations différentes, le rapport en vient à remettre en question le K dogme fondamental des systèmes éducatifs modernes D, qui fait de l’école l’unique moyen d’éducation. Or il existe de plus en plus, en dehors de l’école, d’autres foyers et d’autres sources d’éducation, plus souples et mieux adaptés à nos besoins. Et c’est en toute logique que cette longue analyse ddbouche sur la pers- pective d’une Cducation permanente, selon laquelle l’essentiel est a d’apprendre à rdinventer et à renouveler constamment, alors que l’enseignement devient l’tducation et, de plus en plus, l’apprentissage D.

Et voici, dans le Préambule du rapport, le passage capital [IO, p. xxxvr~] : << Si apprendre est l’affaire de toute une vie, à la fois dans sa durde et dans sa diversité, ainsi que de toute une société, en ce qui concerne tant ses ressources éducatives que ses ressources sociales et économiques, alors il faut aller encore

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“4 Le rapport de la Commission internationale sur le développement de l’éducation

au-delà de la rtvision ndcessaire des systèmes éducatifs et penser au plan d’une cite Cducative. Telle est la vraie dimension du dCfi Cducatif de demain. ))

Cela constitue l’aspect rassurant du rapport. Ainsi conçue, la <( cité éducative D est en effet le cadre naturel de l’éducation permanente, avec tout ce qu’elle peut offrir aux hommes d’occa- sions d’apprendre, de prolonger et de complCter leur formation et de s’épanouir librement. Mais il y a aussi, dans d’autres parties du rapport, des formules plus provocantes, qui ne peuvent man- quer d’évoquer les cdlèbres théories d’Ivan Illich sur la sociétd Cducative. Cette sociCtC-18, n’est-ce pas celle d’où l’école aura CtC banniel ? Car il faut bien reconnaître que le << survol N histo- rique d’où la réflexion critique a pris son départ conduit à une condamnation implicite de l’institution scolaire : une condam- nation pour détournement de pouvoir. Alors que dans les civili- sations antdrieur es c’était la socittd tout entière qui prenait en charge 1’Cducation des jeunes, en Europe, depuis la Renaissance surtout, les Ccoles et les universités se sont arrogC le monopole de l’enseignement, dressant une barrière artificielle entre 1’Cducation et la sociCtC, entre l’institution scolaire et la vie. Pour abattre cette barrière, pour ouvrir 1’Cducation à la vie, si c’est bien là ce qu’on attend de la citC Cducative, le moyen le plus sûr n’est-il pas, comme Illich ne cesse de le répéter, l’abolition de l’Ccole?

Il faut avouer qu’un doute subsiste sur les vdritables inten- tions de la commission. Son prtsident a si bien pressenti le danger qu’il a jugC nkcessaire de rassurer le lecteur dans un autre passage du PrCambule [IO, p. XXXVII] :

<< Certes, selon les pays, il est des genres d’écoles et des formes d’enseignement qui appellent de strieuses critiques et de nom- breux aspects de l’enseignement scolaire demandent B être entiè- rement repensés et rdformds. Toutefois, le renoncement à l’école en tant qu’dltment essentiel, quoique non exclusif, de l’éducation compromettrait la lutte entreprise pour faire accéder des cen- taines de millions d’êtres humains à cette partie de l’dducation qui permet d’assimiler la connaissance en tant que système. Or si

I. O n se réfkre ici au livre d’Ivan ILLICH, Une sociktk sans i d e [3g], mais aussi au document préparé par celui-ci 51 l’intention de la commission, (( D e la necessité de déscolariser la société n.

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Le rabfiart de la Coinmissiolt internationale sur le déuelojflement de l’édmration

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la culture humaine ne se limite pas à la connaissance, la connais- sance en est aujourd‘hui partie intégrante et ntcessaire. ))

Cette mise au point si habilement nuancte suffira-t-elle à dissiper toutes les craintes ? II serait regrettable que quelques formules trop percutantes, avec le rappel un peu insistant d’une doctrine trop connue, dissimulât aux autoritds responsables les utiles leçons que leur offre la commission. Jamais peut-être le principe de I’éducation permanente n’avait CtC soutenu ni illustre avec autant de force et de clartC que dans la partie du rapport consacrde à la cité tducative; ni non plus l’intdgration ndcessaire, au sein d’un mCme projet tducatif, de l’enseignement et de l’ddu- cation des adultes.

L’ÉDUCATION DE L’HOMME NOUVEAU

Parmi les faits porteurs d’avenir et sous des rubriques aussi sug- gestives que a Le laboratoire dCcouvre >> ou (( La science et la technologie ddveloppent D, le rapport met en lumière l’apparition d’un a homme nouveau D, nC de la rCvolution scientifique et 1 technique. A la diffdrence de la révolution industrielle du : XVIII~ siècle et du premier machinisme, la rCvolution scientifique ! et technique de notre temps, à la fois par la transmission immd- diate des informations à toutes distances et par l’invention des machines calculatrices, a conquis en effet le domaine mental de l’humanité tout entihre. A l’homme nouveau, qui est celui de l’ère technologique, des mass media et de la cybernttique, il faut une Cducation nouvelle [IO, p. xxx] :

a C’est pourquoi la commission a considtrd comme essentiel que la science et la technologie deviennent les ClCments omni- présents et fondamentaux de toute entreprise éducative; qu’elles s’insèrent dans l’ensemble des activitts dducatives destintes aux enfants, aux jeunes et aux adultes, afin d’aider l’individu à dominer non seulement les forces naturelles et productives, mais aussi les forces sociales et, ce faisant, acqudrir la maîtrise de soi, de ses choix et de ses actes; afin qu’elles aident l’homme à s’im- prégner de l’esprit scientifique, de façon promouvoir les sciences sans en devenir l’esclave. >>

Nous voici parvenus & l’un des sommets de la rdflexion cri- tique de la commission, et & l’une des thèses qui prêtent le plus

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116 Le raf$ort de la Commission internationale sur le développement de l’dducation

à discussion, Ainsi que certains déléguts l’avaient ddjà observé lors de la dernière session de la Confdrence internationale de l’dducation, on peut se demander si les hommes se satisferont à la longue d’une culture qui serait scientifique dans son esprit et technologique dans sa substance. Ces doutes, que l’on entend si souvent exprimer par les jeunes & 1’Cgard de la civilisation mdcanicienne, cette nostalgie d’une existence plus proche de la nature, cette anxieuse recherche de ce qui donne sa qualité & la vie, bien d’autres signes encore donnent à penser que l’huma- nisme de demain devra faire une place plus large aux valeurs affectives et morales. Parmi les savants eux-mêmes, beaucoup avouent leur inquiCtude devant le dtséquilibre de plus en plus dangereux qu’ils constatent entre la puissance conférée aux hommes par les conquêtes de la science et le peu de sagesse dont les hommes disposent pour maîtriser leur puissance et la faire servir à leur bonheur. Certains en viennent même à parler d’une crise de la science, comme si la véritable crise n’était pas dans la conscience de l’homme et dans la civilisation qu’il a bâtie à son usage : une crise morale et politique tout à la fois. Pour conjuguer cette crise, pour rdpondre à l’attente des jeunes, suffira-t-il d’ajouter encore davantage de connaissance scienti- fique et technologique à l’éducation ou à la culture de demain ? N’y a-t-il pas d’autres sources où puiser aussi, comme dans les valeurs Cthiques, dans la création artistique, ou dans le trCsor commun de sagesse et de philosophie ? Quant aux peuples que l’on voit si soucieux de préserver, ou même de retrouver, leur identité culturelle, ce n’est pas non plus la science qui les y aidera, ni l’uniformité de la civilisation technologique. Cet huma- nisme nouveau, que la commission appelait avec tant de ferveur, devra certes faire une large place à l’esprit scientifique, mais on ne peut pas se rdsigner à croire qu’il ne sera que la consécration de la toute-puissance de la technologie1.

Parce que toutes les nations du monde vivent désormais à l’ère de la technologie, la commission a dCcidé de ne pas traiter séparément les problèmes éducatifs des pays en voie de ddvelop- pement. Elle n’a assurément pas oublié que a ces pays connaissent des difficultds particulikres et des contraintes plus lourdes que les

I. Voir les numéros de la revue Perspectives de l’automne I 973 et de l’été I 974 [1 71.

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Le rapport de La Commission internationale sur Le dkveloppement de I‘kducation

autres )) et une grande partie de ses recommandations s’adressent surtout au tiers monde. Mais il lui a bien semblt que les grandes lignes de clivage tractes par l’intgalitt du dtveloppement << res- sortissaient surtout des apprtciations quantitatives et du domaine des applications D. Et de conclure que tous les pays, dtveloppts ou non, << sont appelts à rechercher, avec des moyens difftrents, des stratégies très voisines D. Voici encore une grande question, sans cesse débattue dans les assembltes internationales : les pro- blèmes que l’dducation pose au tiers monde sont-ils de la mCme nature, ou d’une autre nature, que ceux des nations industria- listes ? Si l’on se place au niveau le plus tlevé, qui est celui des philosophes, les similitudes l’emportent, mais à mesure qu’on se rapproche des rtalitds, on devient plus sensible aux difftrences, non seulement au point de vue quantitatif, mais aussi à celui de la qualité. Sans doute, comme le dit le rapport, il n’est pas un seul être humain qui ne soit désormais en ttat de << tendre l’oreille à un transistor D; encore faut-il que tous les êtres humains possèdent des transistors et qu’il y ait un message à recevoir. Là où il n’y a rien, ou presque rien, que peut la technologie la plus perfectionnte du monde ? Ce grand dtbat ne trouvera de fin que lorsque tous les peuples, dans tous les pays, seront parvenus à un niveau d’tducation comparable.

LES STRATÉGIES DE L’ ÉDUCATION

C’est sur ce point que l’on attendait surtout les conclusions de la commission. Selon les termes du mandat que l’Unesco lui avait confit, il était convenu que son rapport aiderait les gouverne- ments à formuler des stratégies nationales pour le dtveloppement de l’tducation; qu’il proposerait à cet égard des cridres et esquisserait a une mtthodologie que les gouvernements pour- raient utiliser pour tlaborer des stratégies correspondant à la diversitt des situations comme à celle des objectifs retenus en matière de dtveloppement D. O n attendait enfin de la commission a une typologie prenant en considération certaines grandes carac- téristiques régionales ou nationales n.

Ce mandat ttait-il trop ambitieux ? hait-ce trop demander à un groupe d’experts Cminents, mais dont le temps ttait stric- tement mesure ? Certains gouvernements ont laisse deviner une

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118 Le rapport de la Commission internationale sur le dkveloppement de l’dducation

certaine dtception. Ils auraient pourtant tort de se plaindre, car à dtfaut d’une typologie, qui eQt ttt fort utile et qui reste à faire, la troisième partie du rapport leur offre, en plus de deux cents pages, des tltments pour les stratbgies contem- poraines D, assez prtcis et dttaillts pour qu’ils en tirent d’utiles enseignements.

A commencer par une mise au point du sens qu’il convient de donner au terme assez confus de strattgie D, applique 8. l’tducation. La commission distingue à cet Cgard trois phases dans le processus de la dtcision : la phase initiale, qui est celle de l’adoption d’une politique de l’dducation, c’est-à-dire des choix fondamentaux; à quoi succède la phase de la strattgie, qui a pour objet de traduire la politique en un ensemble de dtci- sions conditionnelles, dtterminant les actes à accomplir en fonc- tion des situations qui peuvent se prtsenter dans l’avenir D; on peut alors passer à la planification, dont le but est de (( faciliter la prise de ddcision aux diffdrents niveaux oh s’appliquent les direc- tives strattgiques, en faisant pour cela les calculs voulus pour quantifier les termes des choix techniques et en veillant à ce que les facteurs requis soient rtunis au moment de la mise en œuvre D.

La commission avait prtvu que ces dtfinitions pourraient avoir un aspect rdbarbatif D. O n leur reproche plutôt de manquer de clartt : quelques exemples concrets n’auraient pas Ctt de trop. O n voit assez bien, en effet, ce qu’est une politique de l’tducation, et il y a longtemps dCjà que la plupart des États s’attachent à la planification. C’est la phase intermtdiaire, le chaînon central D, celui de la strattgie, qu’on a le plus de mal

à distinguer avec la précision ntcessaire. La commission insiste pourtant sur l’enchaînement logique qui, en menant de la poli- tique à la strattgie et de la strattgie à la planification, assure la continuitt et la constquence des dtcisions prises de niveau en niveau; c’est meme, à ses yeux, l’inobservation de cette logique qui (( fait que l’tducation a trop souvent ttt orientte au hasard et dtveloppte de façon anarchique )> [IO, p. 192-1951.

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Le rapport de la Commission internationale sur le diveloppement de l’éducation

DE L’EXPANSION L I N ~ A I R E A U X STRATBGIES D’ALTERNATIVES

Tout s’Cclaire à partir du moment où, passant des dtfinitions à leur application, la commission porte sur les strattgies adoptées depuis une quinzaine d’annCes dans un grand nombre de pays du tiers monde un diagnostic d’une sdvtrité convaincante. Ces strattgies Ctaient, en effet, fondtes sur 1’ << expansion linCaire D de la croissance des effectifs et des systèmes. Entendons par là le ddveloppement quantitatif d’un système dans la ligne de son tvolution antdrieure, chaque degrC de l’enseignement continuant sur sa lancte, par simple extrapolation de ses tendances passdes. Dans cette optique, les besoins de l’tducation sont programmCs, d’une part en fonction de la connaissance prCvue des effectifs, d’autre part selon les capacitts d’expansion des différents ClCments du système scolaire : bâtiments, Cquipements, personnel ensei- gnant. Ces proctdds de programmation, exclusivement quanti- tatifs, peuvent s’appliquer à des situations relativement stables, en progression rdgulière, telles qu’on en connaît dans les pays les plus dtveloppds.

Mais quand il s’agit de pays qui doivent faire face à des besoins immenses et à des situations en changement rapide, (< aucune extrapolation mtcanique ne peut plus être satisfaisante ni suffisante pour une entreprise aussi dynamique que 1’Cduca- tion D. O n constate une discordance entre l’expansion quanti- tative des systèmes et l’efficacitt de l’action tducative; << les tnormes ressources financières et humaines consacrtes à dtve- lopper des modèles scolaires coûteux sont loin d’avoir donnt les rdsultats qu’on en escomptait N. L’expansion lindaire est donc responsable du mCdiocre rendement de l’enseignement et de la plupart des dCboires Cprouvds par beaucoup de pays en voie de ddveloppement.

Ce jugement va loin; il condamne à la fois l’importation inconsidtrCe de modèles Ctrangers et les strattgies adopttes jus- qu’ici sous l’inspiration de ces modèles. Mais la commission ne s’est pas bornte B une critique ntgative, elle propose en même temps de modifier les strattgies, de passer du quantitatif au qualitatif, de l’imitation et de la reproduction à la recherche d’innovations, d’une proCCdure uniforme B des procddures

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120 Le rapport de la Comniissiott internationale sur le diveloppement de l’e‘ducation

diversifites en fonction d’alternatives D. Soulignons les deux mots clts d’alternatives et d’innovations, qui dtsignent les deux notions sur lesquelles la commission fonde la dynamique de l’tducation nouvelle.

UNE PROBLÉMATIQUE DU CHANGEMENT

Une rtforme de l’tducation peut avoir pour objet de modifier, pour l’amtliorer, ce qui existe dCjà : c’est le cas le plus frCquent. Mais dans l’ttat actuel des choses, et compte tenu des possibilitts et des exptriences acquises, la commission estime qu’il ne suffit plus d’entreprendre ce genre de rdformes, si importantes soient- elles. On doit dtsormais rechercher des alternatives à ce qui existe, aussi bien en ce qui concerne les concepts que les structures mêmes de l’tducation. Dès lors il ne s’agit plus d’amdliorer, il faut innover. Une strattgie d’alternative exige le recours constant à l’innovation.

C’est ici qu’on peut regretter de ne pas trouver, dans le rapport, une vtritable mdthodologie dont les gouvernements auraient pu s’inspirer pour tlaborer leurs politiques et sur- tout leurs strattgies. Il semble que la commission a prCftrC, à l’approche systtmatique, celle d’une probltmatique, qui, tout en posant des principes prtcis, laisse aux autoritCs responsables le soin d’apprtcier, dans chaque situation, la solution la plus appro- prite. Car, de toute tvidence, il n’existe aucune stratdgie univer- selle, applicable dans tous les pays et dans tous les cas. Il n’y a que des stratdgies nationales.

La commission signale deux Ccueils, d’ailleurs opposts, qu’il importe tgalement d’tviter. D’une part, il n’est plus possible d’aborder le changement de façon fragmentaire, sans envisager l’ensemble des objectifs et les modalitts de l’action tducative, avec les constquences à prCvoir selon les perspectives de demain - ce qui exclut à la fois l’improvisation et le pragmatisme. Le vrai changement est celui qui affecte le systkme tout entier, pour l’immtdiat et pour le futur. Mais d’un autre côtt, il ne faut pas non plus s’interdire d’oser, de saisir le nouveau, d’engager l’avenir et de frayer lucidement d’avance des voies multiples D.

Les vingt et un principes que la commission soutient dans la

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Le rapport de la Commission internationale sur le déueloppement de l’éducation

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suite de son rapport, en les appuyant de commentaires et d’illus- trations abondantes, forment l’armature d’une probltmatique, depuis le principe gCndral de 1’Cducation permanente, avec pour corollaire la diversification des moyens, dans le temps comme dans l’espace, et la déformalisation des institutions, jusqu’à l’ultime principe de la responsabilitd des enseignés, en passant par tous les degrCs de l’enseignement et par toutes les formes de l’dducation à l’intention des jeunes et des adultes. O n voit donc que la probkmatique dlaborde par la commission est fortement orientde par des options fondamentales : une Cducation démocra- tique, tantôt scolaire et tantôt non scolaire, faisant largement usage des technologies modernes et de toutes les forces sociales, substituant, pour tous les âges de la vie, à l’idte d’enseignement celle d’apprentissage. Pour tout dire en peu de mots, une Cdu- cation conçue (< comme un processus de l’être qui, à travers la diversitd de ses expdriences, apprend à s’exprimer, à interroger le monde et à devenir toujours davantage lui-même D. D’où le titre donnd au rapport : Apprendre ri être.

Pour compldter la probldmatique du changement, la com- mission a esquissd les a voies et moyens D de la mise en œuvre : l’identification, la stimulation et l’expérimentation des innova- tions; une administration et une gestion trb ddcentralisCes, ce qui implique la participation des enseignds, la cogestion des ttablissements et même leur autogestion; la recherche de res- sources nouvelles et de moyens plus variCs de financement. Si suggestive que soit cette partie du rapport, on regrette qu’elle se borne à tracer des orientations. O n aimerait en savoir davantage sur les a rCseaux de changement D, susceptibles de produire des effets de multiplication et de rdsonance; on voudrait surtout être mieux informé sur les mdthodes propres à comprimer les coûts sans nuire 8. la qualitd de l’dducation. Dans ce cas comme en beaucoup d’autres, la commission a sans doute manquC de temps, mais il faut avouer que ses suggestions auraient gagné à se faire plus prdcises et, par là même, plus convaincantes. O n lui donne volontiers raison quand elle ddnonce les gaspillages de ressources financikres et humaines, provoquds par les tradition- nelles stratdgies d’expansion lintaire, mais comment ne pas se demander si la stratCgie d’alternatives n’imposerait pas aux fitats, en particulier à ceux du tiers monde, pour des rdsultats sans doute

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122 Le rapport de la Commission internationale sur le ddveloppement de l’e‘ducation

plus positifs, des sacrifices hors de proportion avec leurs moyens ? Une fois encore, la question cruciale du financement de l’entre- prise tducative est laisste sans rtponse probante.

STRATÉGIES NATIONALES ET C O O P ~ R A T I O N INTERNATIONALE

Puisque l’dducation est par essence une affaire nationale, Ctroi- tement lite à la culture, àla socidtd et au degrt de dtveloppement propre à chaque pays, puisque l’imitation des modèles ttrangers s’avhre toujours ddcevante et souvent ruineuse, quel peut être le r61e de la cooptration internationale? La commission a eu le grand mtrite de poser la question sans dttour. La forme la plus ancienne de cooptration, celle qui s’exprime par l’tchange, de pays à pays, d’informations, de maîtres et d’ttudiants, intt- resse tous les fitats, quel que soit leur degrt de ddveloppement; elle est plus ndcessaire que jamais & une dpoque où s’impose la << ntcessitC de repenser les systèmes d’tducation, d’ttudier SOUS leurs multiples aspects les thtories et les pratiques Cducatives, de comparer les donntes des problèmes et leurs solutions D.

Plus rtcemment est apparue une autre forme de coopéra- tion : l’aide internationale ?i l’dducation, qui se justifie par deux raisons majeures. En premier lieu, par suite de la disproportion entre l’accroissement des besoins d’tducation et le volume des moyens disponibles, de nombreux pays en voie de dtveloppement manquent des ressources voulues pour poursuivre, sans risque de s’tpuiser, l’effort souvent intense qu’ils se sont impost dans ce domaine D. En second lieu, a l’aide internationale est devenue un facteur qui peut grandement faciliter l’innovation, du fait que, dans la plupart des pays, on htsite à s’engager dans des voies nouvelles par crainte de ddtourner à des fins hasardeuses des ressources dtjà insuffisantes. Ceux qui s’y ddcident ne peuvent souvent le faire que s’ils disposent pour cela d’un concours financier extdrieur )). A l’appui de cet argument la commission invoque le prtctdent de la Rtvolution verte, qui a dû son succès & l’aide perstvtrante de concours dtrangers. A la difftrence de la première forme de coopdration, qui fait surtout appel aux res- sources humaines, la seconde exige des investissements financiers d’assez longue durte.

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Le rafjort de La Commission internationale sur Le développement de l’kducation

Ces prtmices une fois postes, la commission s’interroge sur les rtsultats obtenus jusqu’ici par la cooptration internationale, sous son aspect bilattral, par suite d’accords conclus de pays A pays, ou sous son aspect multilattral, grâce à l’action de 1’Orga- nisation des Nations Unies et de ses institutions sptcialistes, l’Unesco en particulier. Le jugement est stvtre : <( La cooptration en matitre d’tducation, peut-on lire dans le rapport, traverse aujourd’hui une crise parallèle à celle de l’aide internationale, comme l’attestent les obstacles qu’elle rencontre sur la sctne mondiale, la diminution du produit national brut que lui consa- crent quelques-uns des pays les plus dtveloppts, l’impasse à laquelle se heurtent de nombreux pays en voie de dtveloppement et les critiques qui s’tltvent à son encontre aussi bien chez les donateurs que chez les bdntficiaires. Les uns dtnoncent le gas- pillage et l’inefficacitt, les autres se plaignent qu’on veuille, sous le couvert de l’assistance extérieure, obtenir des avantages poli- tiques, strattgiques ou commerciaux, et qu’on cherche A imposer des modèles culturels D [IO, p. 2671.

Pour être noir, le tableau n’en est pas moins vtridique. En matikre de cooptration, le reproche de gaspillage et d’inefficacitt n’est que trop souvent entendu dans les grandes assembltes internationales, où l’on se ne prive pas non plus d’accuser de (< ntocolonialisme n les pays qui participent le plus activement B l’aide internationale. Parmi les causes de la crise, la commission a surtout retenu l’insuffisance de l’aide, les contreparties tcono- miques impostes par les donateurs sous la forme de 1’ (( aide lite n, la proliftration des experts, souvent mal prdparts à leur tâche, et la dispersion de projets trop fragmentaires pour transformer des systèmes ptrimts.

Ce sombre diagnostic ne met pas en cause la ntcessitt de la cooptration qui heureusement se dtveloppe et doit encore se dtvelopper. La commission affirme avec force que a la solidaritt est un des faits essentiels du monde contemporain D. Mais le devoir s’impose de tracer les chemins de la solidaritt. Tous les membres de la commission se sont dtclarts d’accord sur le cbtt ntgatif du diagnostic : a Ni les formes actuelles de l’aide bilattrale et multilattrale, ni les ressources dont elle dispose, ni même les conceptions dont elle s’inspire ne sont à la mesure des besoins de la communautd mondiale en mati6re d’dducation. D Il faut

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124 Le rabfior[ de la Commission internationale sur le dèveloppement de l’dducation

donc avoir le courage de repenser entièrement l’ensemble de la cooptration internationale. En revanche, quand ils se sont inter- rogts sur les remèdes à cet ttat de choses, le rapport nous apprend que les membres de la commission se sont partages entre deux avis difftrents : a) selon les uns, il n’est pas ntcessaire de crter de nouveaux programmes, ni d’ajouter des centres et des fonds de financement à ceux qui existent ddjà, mais il faut rdorganiser et rtpartir de façon nouvelle les programmes, centres et moyens existants, de façon qu’ils correspondent mieux aux besoins d’tdu- cation au cours des anntes à venir; b) d‘autres ont conçu une solution qui leur paraît digne de retenir l’attention; il s’agirait de lancer un programme international dont le but unique serait d’apporter une aide scientifique, technique et financière aux fitats disposts à s’engager dans la voie des strattgies d’innovation.

Comme la premikre de ces deux rtponses se borne à formuler des vœux pieux, trop vagues pour dtterminer une action, il ne reste à ceux qui font confiance à la commission d‘autre perspective que le programme international pour les innovations en Cducation.

LE RAPPORT D E LA COMMISSION DEVANT LES ÉTATS

Au cours des anntes 1972 et 1973, les fitats membres de l’Unesco ont eu, à trois reprises, l’occasion d’exprimer leur avis sur le rapport de la commission. Lors de sa dix-septième session, la Conftrence gtntrale, rtunie à Paris en octobre et novembre 1972, a reçu le rapport, entendu le prdsident de la commission et ouvert à ce sujet un ample dtbat. Dans l’ensemble, l’accueil a Ctt chaleureux. La plupart des ddldgations ont tenu à rendre hommage à l’œuvre accomplie et affirmt leur conviction que les travaux de la commission apporteraient une prdcieuse contri- bution tant à l’action future des gouvernements qu’à la coopt- ration internationale. Comme il fallait s’y attendre, d’assez sérieuses rtserves se sont aussi exprimtes. Au terme du débat, la Conftrence gtntrale a invitt les fitats membres : a) <( A examiner les orientations et les recommandations de la

commission et à communiquer les rdsultats de leurs travaux au Directeur gtntral, afin qu’il en saisisse la Confdrence internationale de l’tducation à sa 34e session;

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Le rapport de la Commissioa internationale sur le ddveloppement de I‘kducation

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6) D A entreprendre des exptriences et à poursuivre leurs actions en cours, en vue d’dtudier certains ClCments fondamentaux pouvant contribuer à la &forme de l’tducation et à informer le Directeur gdntral de 1’Cvaluation des rCsultats obtenus;

c) D A organiser, avec le concours de l’Unesco et Cventuellement d’autres organisations, des rCunions au niveau national, sous-regional et rtgional, ainsi que, le cas CchCant, des rCunions de caractère international pour approfondir 1’Ctude des recommandations de la commission et pour dCfinir les modalitCs de leur mise en œuvre dans le cadre national1. ))

L’appel de la ConfCrence gCnCrale semble ddjà avoir eu un Ccho dans de nombreux pays. Apprendre à être a CtC traduit dans six langues et dès 1973 des contrats avaient CtC conclus pour assurer sa publication dans douze autres langues. Vers la même date, des stages d’Ctudes spCcialement consacrds à I’Ctude du rapport s’&aient tenus dans une dizaine de pays; d’autres ont sans aucun doute eu lieu depuis lors. Les comptes rendus de ces travaux, comme les discussions qui devaient s’engager à Genève en sep- tembre 1973, à Ia ConfCrence internationale de l’Cducation, attestent l’inttrêt suscitd à travers le monde et l’importance que beaucoup d’ États reconnaissent à l’apport de la commission. Mais l’unanimitt est loin de s’être faite sur toutes les recomman- dations. Et comme les divergences sont en pareil cas plus sugges- tives que les points de rencontre, ce sont elles qu’il y a lieu de retenir.

Certains pays, toujours les mêmes, sans contester le désir d’amdliorer sans cesse l’enseignement, rejettent le verdict pessi- miste de la commission sur 1’Ctat prCsent de l’tducation, du moins en ce qui les concerne. D’autres, plus nombreux, qui se dCcla- rent soucieux d’apporter des changements profonds aux systèmes existants, s’inquiètent de la condamnation implicite de l’insti- tution scolaire, à laquelle ils demeurent solidement attaches. Les rapports entre l’tducation et les structures sociales et Ccono- miques semblent, à d’autres, avoir fait l’objet d’une Ctude trop superficielle. La perspective d’une citt Cducative apparaît aux yeux de beaucoup comme une utopie plutôt que comme un

1. Voir : UNESCO, Actes de la Confhence glnhale, dix-septi2me session, Paris, 1972. Vol. I : Rksolutions, recommandations, p. 19, Paris, 1973.

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126 Le rapport de la Commission internutionale sur le dkvelofiflenaent de l’kducation

objectif rdaliste et rdalisable. D’une manière gdndrale, certains des concepts fondamentaux utilisds par la commission semblent trop imprdcis pour guider une action positive. Plusieurs pays, qui reprochent au rapport un optimisme excessifà l’tgard des bienfaits escomptds de la science et de la technologie, prdfdre- raient axer l’dducation de la jeunesse sur des attitudes de sagesse, inspirdes par le respect de la dignitt humaine et le souci de prt- server la nature. Si l’accord se fait aisdment sur le principe de l’dducation permanente, on doute que le rapport puisse apporter une contribution utile A l’application pratique de cette idde fdconde. Enfin, on regrette souvent que la commission, en propo- sant des principes universels pour l’dducation de demain, donne l’impression de confondre la modernisation des systèmes tduca- tifs avec le recours aux technologies occidentales.

Ce bref rdsumd des principales objections qui se sont jusqu’ici exprimdes à l’égard du rapport Apprendre à être confirment cer- taines rdserves que nous avions eu nous-même l’occasion de faire au cours de cette étude. Elles prouvent surtout combien une rdflexion critique sur le problème de l’dducation a de peine à rallier des pays aussi differents, quand elle se fonde sur une pensde abstraite et sur des concepts difficilement accessibles à l’ensemble des cultures. Mais la commission avait-elle vraiment l’ambition de convaincre ses lecteurs? Ne lui suffisait-il pas de provoquer des rtactions en amenant les autoritds responsables à faire un sdrieux examen de conscience?

Restent les deux dernières conclusions du rapport. Le recours aux innovations est-il vraiment le remède souverain prt- conisd par la commission à la crise de l’dducation ? La crise que la commission croit ddceler dans la coopdration internationale permet-elle de mettre en œuvre un programme mondial pour les innovations ?

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Chapitre six

Priorité à l’innovation

Comme celui de strattgie, le mot d’innovation n’est apparu qu’A une date rtcente dans le langage des thtoriciens de l’tducation, mais il y a bientôt fait fortune; les organisations internationales - l’OCDE et l’Unesco - n’ont pas tard6 à s’en saisir, la presse en fait grand usage et toute une litttrature fleurit dtjà autour de cette notion. Il s’en faut pourtant de beaucoup que les idtes que ce terme suggère aient dtjà acquis toute la clartC ddsirable. Avant d’dvaluer les chances d’un programme international pour les innovations, tel que celui dont la Commission internationale sur le dtveloppement de l’tducation a suggCrt le lancement, il importe donc de s’entendre sur quelques donndes fondamentales, telles que la nature et les processus de l’innovation, ou encore les conditions ndcessaires pour qu’une innovation qui a rtussi dans un certain pays puisse être utile des pays difftrents.

NATURE DE L’INNOVATION

Le mot d’innovation Cvoque celui de changement sans en Ctre le synonyme. Tout changement apport6 aux structures ou aux pratiques de l’enseignement, toute rupture avec les habitudes ne constituent pas ntcessairement des innovations, au sens où l’entendent les thtoriciens. Le rapport de la Commission Edgar Faure nous met notamment en garde contre les tentations de l’improvisation et du pragmatisme ; une vtritable innovation exige une intention dtlibdrte, un objectif clairement conçu, une motivation suffisante pour qu’on puisse escompter une amdlio- ration profonde et durable. De toutes les dtfinitions qui ont ttt

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128 Priorité ci l’innovation

proposées, nous retiendrons donc celle que l’on trouve dans une étude menCe sous les auspices de l’OCDE, c’est-à-dire <( toute tentative visant consciemment et dClibértment à introduire dans le système d’enseignement un changement dans le but d’amé- liorer le système )) [23, p. 131.

Les exemples ne manquent pas à l’appui de cette définition. Lcs pays qui ont introduit les mathématiques modernes dans l’enseignement du premier et du second degrt avaient pour objectif immtdiat de renouveler les programmes pour les rendre plus aisément assimilables; mais ils se proposaient aussi d’attirer par ce moyen, vers les filières scientifiques, un plus grand nombre de jeunes gens; à plus long terme encore, ils avaient l’espoir de modifier, par une pédagogie plus active, les relations entre mattres et élèves. D’une innovation limitée on attendait donc des changements profonds dans l’ensemble du système d’enseigne- ment. A l’inverse, les conditions dans lesquelles Freinet s’&ait dtlibtrément placC ne permettaient pas à ses méthodes nova- trices d’influencer l’école publique, dont il se tenait à l’écart, ni même l’enseignement privt, qui ne pouvait pas le suivre. Mais longtemps après, à la faveur d’une recherche entreprise dans le cadre de l’institution scolaire, les mêmes méthodes ont inspiré une réforme, dont on escompte des effets d’une vaste portte. Ce qui donne à conclure qu’une conception à la fois neuve et judi- cieuse n’aboutit pas toujours à une véritable innovation.

PROCESSUS DE L’INNOVATION

C’est d’Amérique du Nord qu’est venue, au cours des années 1960, l’idCe d’appliquer à l’éducation les techniques industrielles de l’innovation. Alors que le dynamisme de la vie amkricaine, tant au Canada qu’aux Etats-Unis, les progrès de la technologie et le rCgime de la libre concurrence imposaient à l’industrie une constante recherche de la nouveauté, cer- tains observateurs, Cconomistes et sociologues s’irritaient de voir l’enseignement, pourtant devenu l’une des plus grandes entre- prises modernes, se figer dans des attitudes qu’ils estimaient pCri- mtes. Pour combler leur retard et se mettre au rythme de notre temps, les tducateurs n’avaient donc d’autre ressource que de rechercher, eux aussi, le changement dans des strattgies de

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Priorité à l’innovation 129

l’innovation. Les iddes, répandues par des thkoriciens et reprises par des spdcialistes de la pddagogie, ont trouvC une expres- sion particulièrement frappante dans les conclusions de la confC- rence tenue à Williamsburg en 1967 sur la crise mondiale de l’dducationl. -

JZe&-EtOnc du modèle industriel que s’inspirent la plupart des Ctudes consacrkes, aux Etats-Unis, au processus de l’inno- vation : d’abord des recherches, suivies du ddveloppement des rdsultats obtenus, puis de la diffusion dans le public du pro- duit nouveau. Il en va de même pour l’innovation Cducative, qui doit suivre le même chemin, suivant le schdma devenu clas- sique : recherche-développement2. Conscients de l’exceptionnelle complexitt du processus Cducatif, d’autres thdoriciens introdui- sent une variante, prCfCrant tirer leurs modèles de l’agriculture, où les changements sont moins rapides que dans l’industrie et se heurtent davantage à la rCsistance des habitudes; mais, pour l’essentiel, le schCma demeure le même.

Cette façon d’assimiler l’enseignement aux produits de l’industrie ou de l’agriculture a de quoi choquer de nombreux esprits. Quand un nouveau modèle industriel - une automobile, un poste de ttldvision ou une machine à laver - a CtC mis au point, des machines peuvent le reproduire en grande sdrie et à qualit6 Cgale; tandis que, dans un même pays, dans une même ville, les memes programmes et les mêmes mtthodes, appliqués par des maîtres diffdrents, avec des Clèves diffdrents, donnent rarement des rdsultats identiques. Des maîtres et des élèves, ce ne sont pas des machines, mais des êtres humains, avec toute la diversitC et toutes les incertitudes que comporte la nature de l’homme. La notion de qualit6 de l’Cducation, essentielle aux Cducateurs, a toujours dCconcertt les Cconomistes. O n est heureux de trouver à cet Cgard une utile mise en garde chez certains thdoriciens amdricains de l’innovation [z8]. C’est donc dans le monde même de l’enseignement qu’il faut chercher des modèles, non certes pour isoler l’dcole de son milieu social ou Cconomique,

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\ I\ Voir le livre bien connu de Philip H. Coom, paru en français sous ce titre

1, et publit en 1968 par les Presses Universitaires de France, ainsi que les études >de Ladislav Cerych et d’Alexander King, prkparées A l’intention de la confé- rence de Williamsburg.

2. C e sch6ma est parfaitement illustré par l’ouvrage de E. M. ROGERS [MI.

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mais simplement pour tenir compte de son caractdre et de ses termes sptcifiques. Cette mtthode a été très heureusement suivie par les experts qui, sous les auspices de l’OCDE, ont ttudit les processus de l’innovation dans l’enseignement [23].

Sous cette rtserve, le schtma a recherche-dtveloppement )) conserve sa valeur. Aux États-Unis, le gouvernement ftdtral, comme les universitts et les fondations privtes, consacre des dtpenses considtrables aux recherches et aux exptrimentations prdalables aux rtformes. C’est ainsi que la rtnovation de l’ensei- gnement des mathtmatiques a coGtt, en deux ans, cinq millions de dollars et qu’une somme tgale a ttt dtpensée pour l’ensei- gnement des sciences physiques. U n schCma analogue s’applique aussi en Union sovittique, oh les acadtmies des sciences pdda- gogiques ont la charge de mener les recherches et les expt- riences destintes, pour chaque rtpublique ou pour l’ensemble de l’Union, à prtparer les rtformes. La recherche en matière d’tdu- cation est en train de prendre des dimensions sans prtctdent dans l’ensemble du monde, ainsi que l’attestent les rapports ptrio- diques des difftrents États.

Il ne faudrait pourtant pas faire la part trop belle à la recherche dans l’daboration des changements. O n n’a que trop d’exemples de rtformes dtcidtes par le ltgislateur sans recherches prtalables, soit sous l’effet d’une crise subite, comme celle qui s’est produite en France au printemps de 1968, soit dans le cadre d’un projet politique d‘une envergure beaucoup plus vaste, comme la rtforme de l’enseignement sovittique adoptte en 1958. A l’inverse, il est surprenant que les travaux universellement connus et apprtcits de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant et la genèse de l’acquisition des connaissances n’aient exerce qu’une faible influence sur l’orientation des rtformes arrêttes par les pouvoirs publics. Les relations entre la recherche et la dtci- sion, entre la recherche et les pratiques scolaires sont encore trop incertaines. Mettre, à tous les niveaux, les centres de recherche en rapport direct avec les tcoles, voilà un grand progrès qu’il reste à accomplir. O n n’en apprtcie que davantage les heureuses initiatives prises par certains pays : en Norvège, la crtation du Conseil de l’innovation dans l’enseignement, en Suède, celle du Comitt national de l’enseignement, ou du Schools Council au Royaume-Uni.

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Cette nouvelle importance conftrte A la recherche dans le processus des innovations va-t-elle vouer à la sttrilitt les initia- tives individuelles des maîtres ou des Ctablissements scolaires ? Il semble à de nombreux signes que l’ère des pionniers soit rtvolue. Le temps n’est plus oh une Montessori, un Decroly, un Dewey pouvaient, par leur exemple, provoquer des changements en chaîne. Même dans les pays oh l’enseignement est largement ddcentralist, l’fitat est à ce point devenu conscient de ses respon- sabilitts, les problèmes de l’tducation ont pris une telle place dans l’action politique, 1’Cconomie pèse d’un tel poids sur le destin des jeunes, qu’une rtforme, même limitte à un aspect particulier de l’enseignement, a des chances de mettre en mou- vement toute la puissance publique. Pourtant, dans le modeste accomplissement de sa tâche quotidienne, la personnalitt du maître a de nos jours plus d’importance que jamais et l’imagina- tion, la faculte de se renouveler lui sont encore plus ntcessaires. Il peut se faire dans les moindres Ctablissements scolaires de petites innovations qui demeurent ignorées, mais n’en concourent pas moins au progrès de la ptdagogie. Comment ne pas concevoir pour l’innovation un autre processus que celui qui passe par des recherches systtmatiquement organistes dans des institutions spt- ciales, un processus qui se dCroule tout entier à l’tcole, grâce au dynamisme d’une personne - directeur ou enseignant - ou d’un groupe de personnes unies pour rtaliser un objectif commun, et au pouvoir contagieux de l’exemple? Si Freinet n’est pas parvenu de son temps à infltchir le système scolaire de son pays, son exemple a fini par lui faire de si nombreux adeptes que le jour est enfin venu où les mCthodes qui portent son nom ont reçu la sanction officielle des instructions ministdrielles. On ne peut jamais prCvoir l’avenir d’une innovation issue de la base.

Ces deux schtmas ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre : la recherche doit se nourrir de l’exptrience ptdagogique, comme le pouvoir crtateur du maître doit chercher son appui dans les rdsultats de la recherche. Ce qui suppose un flux constant d’informations, surtout au stade de I’expCrimentation. U n bon exemple de cette cooptration fdconde est fourni par la mtthode qu’on a suivie en France, au cours des dix dernières anntes, pour rbformer l’enseignement de la langue française à l’tcole Cltmen- taire. Sur une hypothèse de travail, longuement mûrie par un

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groupe d’experts d’après les travaux de la linguistique et de la psychologie contemporaine, une vaste recherche opdrationnelle a CtC menée à travers la France, en zone urbaine comme en sec- teur rural. Des équipes de volontaires furent constituées sur go points du territoire, avec la participation de 950 instituteurs, de directeurs et de professeurs d’dcoles normales, de conseillers pedagogiques, de psychologues scolaires et aussi de spCcialistes de la linguistique. D’une Cquipe à l’autre, la communication Ctait assurte par un bulletin de liaison; des bilans provisoires des expCriences en cours Ctaient pdriodiquement publiés par les soins de l’Institut national de recherche et de documentation pCdago- giques. C’est ainsi que peu à peu, recherche et expkrimentation se ddveloppant en commun, le projet finit par aboutir, vers la fin de l’annde I 972, à des instructions minisdrielles, qui mettaient en Oeuvre une réforme si longuement prCparCel. Bon exemple, trop rare malheureusement, d’une coopCration rigoureuse entre les chercheurs, les maîtres et les organes de ddcision.

LA RÉSISTANCE A L’INNOVATION

Les circonstances sont plus propices aujourd’hui qu’elles ne l’ont jamais CtC à l’esprit d’innovation. La rapiditt des progrès accomplis par la science et la technologie, la mobilitd des besoins de 1’Cconomie et I’instabilitC qui en résulte dans l’emploi, l’incer- titude qui règne sur l’avenir de la sociCtC et même de notre civilisation, la remise en question des valeurs considértes jusqu’ici comme les plus sQres, les changements que la physiologie et la psychologie permettent d’observer dans le ddveloppement et le comportement des adolescents en milieu scolaire : tout concourt à donner aux hommes le sentiment d’être portCs par un mouve- ment irrCsistible, qui les entraîne on ne sait où. Que l’tducation suive ce mouvement en s’efforçant de lui donner un sens, rien de plus nécessaire. Mais les théoriciens de l’innovation ne cessent de rdpéter que le système d’enseignement y rCsiste de toute sa force d’inertie, qu’il se montre à la fois incapable de se transformer et m&me de toldrer les rCformes. Devant l’opinion

I. Voir les numéros 38, M. 47 et 61, parus de 1968 B 1973, de la revue Recherches pkdugogiques, publiée Paris par I’INRDP.

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publique, l’enseignement fait souvent figure d’accuse. NCgliger ces rumeurs serait aussi peu sage que de leur prêter une oreille trop complaisante. Il est certain qu’un malentendu est en train de se crCer entre le monde de l’enseignement et le reste du corps social; ce n’est pas un des moindres sympt6mes de ce qu’on a appel6 la crise mondiale de 1’Cducation.

Dans la mesure où il est une institution, ttablie par des lois, soumise à des usages, l’enseignement est par nature VOUC à la stabilitC, tout comme les autres institutions : justice, armCe, par- lements ou Cglises. Mais l’enseignement est aussi un grand orga- nisme vivant, dont la santC dCpend de l’harmonie qui s’Ctablit entre ses diffdrents membres : l’administration, le corps ensei- gnant et cette foule immense de jeunes qui sont sa raison d’être. Sans compter les familles qui l’entourent et l’observent de toute part et ne sont rien de moins que la nation.

L’administration, dans quelque domaine que ce soit, a tou- jours tendance à renforcer son emprise. Dans les pays fortement centralisCs, son poids se fait partout sentir et comme elle se trouve plus CloignCe de la base et des réalitCs quotidiennes, son action se fait aussi plus lente et plus rigide. Beaucoup en tirent argu- ment pour juger que l’innovation a moins de chances dans les rCgimes centralisCs. En revanche, un changement une fois dCcidC s’applique plus vite à l’ensemble du pays. Dans les fitats oh le système est largement dCcentralist, l’appareil administratif, moins pesant, proche des rtalitds, peut agir avec plus de souplesse et laisser davantage d’initiative aux Ctablissements scolaires et au corps enseignant, mais il est aussi plus sensible aux pressions des notables, de la politique locale et des intCrêts privCs. Lorsque l’innovation dCpend d’une multitude d’organismes locaux, sou- vent en ddsaccord les uns avec les autres, les progrès sont lents et les obstacles nombreux. En sorte que les avantages et les inconvdnients semblent se partager entre les deux systèmes. Il n’en reste pas moins qu’une administration mal informCe ou mal disposCe peut opposer une rksistance opiniâtre à la conception et à la mise en œuvre de; innovations. C’est une force redoutable; le 1Cgislateur doit s’employer à la maîtriser.

Quant aux Clèves et aux Ctudiants, qui forment l’immense majoritC des partenaires de l’entreprise tducative, ils ont long- temps subi la loi de l’institution, sans pouvoir ni vouloir I’infldchir.

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Mais les choses ont bien changt. M ê m e sous les rtgimes les plus autoritaires, la jeunesse des universitts et des tcoles parvient à faire entendre sa voix; tôt ou tard, l’autoritt doit bien en tenir compte. Dans un grand nombre de pays, ainsi qu’on l’a vu au cours de cette ttude, un rôle actif est dtsormais reconnu aux ttu- diants dans la gestion des universitts; dans les ttablissements secondaires, il est frCquent que les Clèves siègent aux conseils d’administration, côte à côte avec leurs professeurs et les dtltguts de leurs familles. On peut faire confiance à la jeunesse pour favoriser les innovations, même si elle ne sait pas toujours recon- naître les plus valables.

LES ENSEIGNANTS ET L’INNOVATION

Si bien que c’est de l’attitude du corps enseignant que dtpend en dtfinitive le SUCC~S ou l’tchec d’une innovation. Les enseignants sont-ils, comme beaucoup de gens le disent, spontantment hos- tiles au changement? Entre autres mtrites, le rapport de l’OCDE, que nous avons dtjà eu l’occasion de citer, a celui d’aborder la question avec une entière franchise [23, p. 451. On y rappelle que les professeurs, en raison de leur niveau intellectuel tlevt, sont plus portes que d’autres à la critique, notamment à l’tgard des idtes nouvelles. Leur rtsistance, là où elle se manifeste, aurait des racines profondes : sur le plan psychologique, ils sont enclins à rejeter les innovations qui menacent leur stcuritt; sur le plan pratique, ils demandent des preuves que la ptdagogie se montre incapable de leur fournir; sur le plan professionnel, ils pensent que les changements venus de l’exttrieur empihtent sur leur domaine de compttence et s’irritent de voir des amateurs prendre des dtcisions sans les consulter et sans prtvoir les difficultts qui en rtsulteront.

O n apprtcie une analyse aussi attentive, mais ceux qui par profession ont longuement observt les enseignants et souvent reçu leurs confidences y apporteront certains correctifs. D’abord à propos de la stcuritt. D e nos jours, s’il y a un sentiment qui domine parmi les maîtres, c’est plutôt celui de l’instcuritt : face à leurs Clhes, face aux familles, face B l’opinion publique et sur- tout face à leurs responsabilitts. U n enseignant ne comptait jadis que sur lui-même, seul dans sa classe, seul avec sa conscience;

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Prioritk d l’innovation 135

aujourd’hui, il ressent le besoin d’être plus soutenu et mieux armt , pour l’exercice de son rude mttier. Qu’on lui assure des moyens ; de perfectionnement et des occasions de recyclage, ce vœu figure { dtsormais parmi les revendications du corps enseignant, surtour dans ses tltments Ies plus jeunes.

Il est vrai que l’esprit critique est plus dtveloppd dans ce Gorps que dans les autres, et pourtant la moindre querelle ptda- ’gogique prend maintenant les proportions et le ton d’une guerre

, de religion. Il s’y mêle tant de passion partisane que l’esprit cri- tique y perd souvent ses droits. Le malheur est que la pedagogie la plus raffinte est encore hors d’ttat de fournir des preuves objectives de l’efficacitd d’une innovation. Le bilan des recherches mentes à cet tgard s’avère décevant. Qu‘il s’agisse de la lecture, des mathtmatiques ou des langues dtrangères, on relève peu de difftrence dans les rdsultats obtenus par des mdthodes diffdrentes. Peut-Ctre doit-on imputer cette carence aux imperfections des instruments de mesure, les dpreuves en usage dans nos systèmes d’enseignement, se fondant trop souvent sur les rtsultats scolaires, n’accordent pas une place suffisante à 1’Cvaluation des attitudes. Peut-être aussi a-t-on l’habitude de se fier à des moyennes, alors que les rtactions au changement dtpendent aussi du niveau sco- laire, de l’origine familiale et de l’environnement. Quelles que soient les raisons de cette impuissance, il faut reconnaître, avec un auteur pourtant rtsolument favorable aux innovations, que (( la comparaison entre mtthodes actives et mdthodes tradition- nelles, souvent effectude aux fitats-Unis et en Grande-Bretagne, ne permet pas de conclure cattgoriquement en faveur des unes ou des autres à la seule vue des résultats scolaires classiques1 D.

Sans doute peut-on, comme ce même auteur, se dire que l’importance est dans l’innovation elle-même, dans l’Clan crta- teur qu’elle entraîne et dans la manière dont elle mobilise les tnergies. O n admettra volontiers avec lui que c’est a le processus lui-même de l’innovation qui est facteur de productivitt et que c’est pour cette raison qu’il importe de le favoriser et de l’encou- rager constamment D.

1. Voir l’ouvrage de Jean HASENFORDER [34, p. I 13-1 151. L’auteur se fonde en particulier sur les travaux du sociologue anglais Michael Young et sur ceux de J. M. Stephens et de R. W. Tyler aux Etats-Unis.

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En d’autres termes, l’innovation vaut surtout par ses vertus intrinsèques, par son pouvoir de provoquer dans le système ce que 1’AmCricain Rogers appelle c( une effervescence continue et cons- tructive )> (u continuing and constructive turmoil) ou, si l’on prdfère, de susciter un esprit d’innovation [32]. Comment ne pas recon- naître pourtant avec Eurich qu’il n’y a pas de sens à rechercher le changement pour lui-même, pas plus qu’à rejeter sans discer- nement les mCthodes CprouvCes, pour le seul plaisir d’en adopter de nouvelles? O n risquerait de remplacer une orthodoxie par une autre [28, p. 1051. L’enseignement ne peut tolCrer des chan- gements trop frtquents; introduire une rtforme sans avoir pris le temps d’observer les rdsultats de la prtcCdente, comme on le voit faire si souvent dans certains pays comme la France, c’est peut- être une façon de tenir les esprits en alerte, mais plus sûrement d’engendrer la confusion. Ce qui compte finalement, ce n’est pas le nombre ou la frCquence des changements, mais leur enchd- nement et la conjonction de leurs effets en vue de l’objectif qu’on s’est fixd. O n en revient toujours au sage conseil de la Commission internationale : en matière d’innovation, Cviter à la fois l’impro- visation et le pragmatisme.

Voilà ce qui justifie peut-être la mdfiance du corps ensei- gnant. O n ne parviendra à vaincre sa rCsistance qu’en l’associant, à chaque Ctape, à I’Claboration des changements. O n peut s’dtonner qu’en Suède, lorsqu’au terme d’une longue succession de recherches, de consultations et de dCbats publics, le Parlement eut enfin adopté une rCforme gCnCrale de l’enseignement, qui passe pour exemplaire, les enseignants se soient mis en grève pour en empêcher l’application. Dans ce cas particulier, les ensei- gnants, qui avaient eu, comme les autres, l’occasion d’exprimer leur avis, Ctaient manifestement dans leur tort et on a eu raison d’appliquer malgrC eux la rdforme. Mais force est de reconnaître, avec Torsten Hustn, que le plus souvent tout se passe comme si l’on avait dCcidt d’agir sur les enseignants, pour eux sans doute, mais jamais avec eux. Attitude de paternalisme technocratique, fondCe sur la mCfiance et qui suscite en retour ce phhomène de rejet, que le corps enseignant oppose en pareil cas au rtformateur, tout comme un organisme vivant rejette la greffe que le chirur- gien lui impose [32, p. 1331. U n flux constant d’information entre le sommet et la base et, en sens inverse, entre la base et le sommet,

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pour permettre aux autoritCs compCtentes d’apprtcier les obs- tacles et les difficultds; une communication ttroite entre les centres de recherche et d’expCrimentation, d’une part, et, de l’autre, les tcoles et les enseignants; une participation active des enseignants et, dans toute la mesure possible, des enseignts et de leurs familles, aux consultations qui prtcèdent la prise de dtci- sion : telles sont les conditions les plus favorables à une innovation destinde à se gtndraliser.

Il faut enfin que, quel que soit le système, centralid ou non au niveau de la dCcision, on respecte l’autonomie ptdagogique de l’enseignant. Une fois que les objectifs d’une reforme ont ttt clairement exposts et que l’on a donnt des directives gtntrales fixant des objectifs, on doit faire confiance aux maîtres, chacun dans sa classe et tous ensemble dans leur Ccole, sous l’autoritt du chef d’ttablissement, pour adapter le changement aux conditions et aux circonstances locales, au milieu naturel, social et culturel, aux aptitudes et aux aspirations des Clèves. Même dans un rCgime centralisk, il n’y a rien à gagner à vouloir que dans chaque endroit, dans chaque Ctablissement, on suive les mêmes horaires et les mêmes plans d’Ctudes, on applique les mêmes mdthodes et l’on fasse les mêmes exercices. Il y a, en revanche, beaucoup à y perdre, car c’est ainsi qu’on etouffe l’imagination, qu’on refoule l’Clan crtateur et qu’on coupe les ailes à l’esprit d’innovation. Substituer la diversitC à l’uniformité et la libre initiative au conformisme, ces principes devraient inspirer la formation pro- fessionnelle des futurs enseignants.

LE TRANSFERT DES INNOVATIONS

Quand, du cadre national, on passe à celui de la cooptration internationale, on voit surgir de nouvelles difficultés. Comment tviter qu’en encourageant les États à adopter des strattgies de l’innovation, on n’en vienne à leur proposer des modèles qui n’ont pas CtC conçus à leur usage ? Parmi les innovations gCntralement considérdes comme les plus heureuses, beaucoup exigent des moyens qu’on ne trouve que dans de rares pays. Le Programme Parkway, par exemple, à Philadelphie, ou celui qui a fait plus rCcemment ses dtbuts à Chicago. Comme on le sait, le caracdre commun à ces innovations est de ne rCunir les Clèves que par petits

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138 Priorité à l’innovation

groupes et pendant quelques heures de la semaine, le reste du temps Ctant passC à l’extdrieur de l’dcole, dans des institutions librement choisies par eux, en fonction du plan d’ttudes adopte à leur usage : des bibliothèques, des mustes, des organismes de presse, des stations de radio ou de tClCvision, des studios de cinCma ou même, à l’occasion, les assises d’un tribunal. CommencC en 1968 avec cent quarante Clèves, le Programme Parkway en annonçait sept cents l’annCe suivante. La cC1èbre Universitd sans murs qui groupe autour de l’Antioch College, dans l’fitat de l’Ohio, une vingtaine de collèges associCs, et celle qui s’est Ctablie sur les mêmes principes à New York groupaient en 1972 deux mille ttudiants environ, tous engagés dans des Ctudes indivi- duelles [36]. O n admire certes 1’ingCniositC et l’audace des pro- moteurs de ces exptriences, mais on ne doit pas se dissimuler qu’elles sont coOteuses, qu’elles ne s’adressent qu’à des nombres restreints d’Clèves et ne peuvent se ddvelopper sans les vastes ressources culturelles qu’offrent de grandes villes, comme Phila- delphie, Chicago ou New York. Toutes conditions qui interdisent de les donner en exemples à des pays moins bien Cquipts. Coû- teuses aussi sont les longues recherches qui prCcèdent, aux fitats- Unis, dans les bats scandinaves ou en Union sovidtique, l’adoption des innovations pddagogiques. Il y faut de puissants moyens financiers et des institutions amplement pourvues en personnel d’une haute compdtence.

Une autre difficultd tient à l’incertitude qui continue à rCgner sur les rtsultats que l’on peut attendre, à moyen ou h long terme, de beaucoup d’innovations. Si, pour un même pays, la pédagogie exptrimentale se révèle incapable de prouver la plus grande efficacitd d’une mCthode par rapport aux autres, on se sent, à plus forte raison, privé d’arguments pour en recommander l’essai à d’autres pays, qui ne peuvent s’offrir le luxe de tenter des expdriences hasardeuses. Le transfert international des inno- vations n’est pas une entreprise sans danger. O n observe sans doute, de pays à pays, des phCnomènes spontanCs, qu’on peut attribuer à la contagion de l’exemple : ainsi l’adoption, qui s’est vite gtnCralisCe, des mathhatiques modernes dans les tcoles primaires et secondaires, ou encore l’emploi des mdthodes directes et des auxiliaires audio-visuels pour l’enseignement des langues vivantes. C’est ce pouvoir de l’exemple qu’il s’agit de mettre

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Prioritt! à l’innovation ‘39

systdmatiquement en œuvre, en favorisant dans l’ensemble du monde un esprit novateur.

L’exemple et non le modèle. Rien ne serait plus ddsastreux, ni plus contraire au but que l’on voudrait atteindre, que de sus- citer des imitations. Répéter la même innovation ou le même type d’innovation, sous prétexte qu’ils ont rCussi dans un pays Ctranger, dans des conditions différentes et avec des moyens inCgaux; une telle dtmarche ouvrirait la porte à une sorte de nCocolonialisme pddagogique. C’est, tout à l’opposC, l’esprit de recherche et de crCation qu’il importe de susciter, puis d’en- tretenir, aussi bien parmi les autoritCs chargCes de 1’Cdu- cation nationale que dans la foule immense des enseignants et des Cducateurs d’adultes. Les voies de la coopdration inter- nationale, surtout à l’intention des pays en voie de ddvelop- pement, apparaissent donc comme ttant à la fois Ctroites et prdcises.

U N P R O G R A M M E INTERNATIONAL POUR LES INNOVATIONS

Au terme de l’examen du rapport prCsentC par la Commission Edgar Faure, la ConfCrence internationale de 1’Cducation a dCjà apport6 des prdcisions utiles. Après avoir rappel6 le principe fondamental que (( chaque pays devrait en dkfinitive se donner les moyens de decouvrir lui-même les innovations particulières dont il aura besoin pour rtgCnCrer sans cesse son système d’ensei- gnement D et qu’il s’agit là d’une tâche nationale, la conference n’en a pas moins estimt que (( cette tâche pourrait être largement facilitCe par un service d’dchanges international dont s’occupe- rait l’Unesco )>. Elle a enfin prtcisé qu’un service de ce genre devrait (( fournir des informations et de la documentation, des possibilitCs et des facilitCs pour de nouvelles ttudes en profondeur, ainsi qu’une assistance technique en vue de la prtparation des projets)) [4i, p. 131.

Ces brèves indications permettent d’envisager trois types de services : a) un Cchange d’informations destin6 à fournir des exemples d’innovations; 6) des systèmes de rCfCrences propres à faciliter les ttudes approfondies que chaque pays a besoin de faire pour inventer lui-mCme les innovations qui lui sont

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ntcessaires ; c) une assistance technique pour aider chaque pays à tlaborer et à mettre en œuvre les innovations.

Echange d’informations

C’est sans conteste le Bureau international d’tducation (BIE) qui est le plus qualifit et le mieux CquipC pour assurer, au nom de l’Unesco, un service international d‘dchanges d’informations à double courant, du centre à la périphdrie et de la ptriphdrie au centre. Comme les exemples les plus aptes A inspirer de nouvelles expériences sont ceux qui proviennent de pays proches et sem- blables, l’tchange devrait s’Ctablir en premier lieu au sein d’une même rtgion, grâce aux centres nationaux de documentation, dont l’Unesco s’efforce depuis longtemps de favoriser l’établis- sement dans chacun de ses Qtats membres, et aux centres rCgio- naux qu’elle entretient dans chacune des rtgions du monde. Puis, dans un second temps, le double. courant des informations rCci- proques pourra s’dtendre à l’ensemble des etats membres, le BIE devenant ainsi le centre d’un rCseau qui finira par couvrir le monde entier.

Il convient de penser aussi aux diffdrentes catégories de destinataires. Ce sont naturellement les hautes autorités chargdes de 1’Cducation qu’il s’agit de gagner à la cause des innovations, celles qui prennent ou prCparent les dCcisions soit au niveau national dans les pays pourvus d’un rCgime centralisd, soit, dans les autres, les autoritb provinciales ou régionales. O n ne doit pas non plus nCgliger les chercheurs ni les spdcialistes, capables de mener des ttudes thCoriques ou appliqudes. Mais comme le succès d’une innovation dépend en dernière analyse de l’attitude des maîtres et des animateurs, il faudra surtout mettre en aeuvre tous les moyens possibles pour que les informations se rCpandent jusqu’aux Ccoles et aux organismes qui s’occupent de 1’Cducation des adultes. Ce n’est qu’à ce prix qu’un Cchange international deviendra réellement efficace.

Puisque c’est dans chaque pays que doivent s’effectuer les tra- vaux de recherche et les Ctudes en profondeur en vue du choix

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Priorité d l‘innovation 141

des innovations, la coopdration internationale doit se donner pour objectif d’aider les institutions nationales A s’acquitter d’une tâche aussi redoutable. Le BIE a là aussi un rôle essentiel àjouer, en mettant en chantier un vaste programme d’dtudes. Pour commencer, des ttudes de cas, du genre de celles que l’OCDE publie de longue date et avec tant de bonheur, mais qui s’appli- queraient exclusivement à des innovations d’un intdrêt parti- culier. A partir d’un ensemble de cas, des dtudes compardes s’efforceraient tantôt de discerner les ressemblances et les diffd- rences, tantôt de mettre en relief les caractères communs et la similitude des conditions ndcessaires. Ce qui permettra de degager peu à peu les tldments de cette probldmatique des innova- tions, que la Commission internationale sur le ddveloppement de l’dducation n’a pu qu’esquisser, et de cette typologie qu’elle n’a pas eu le temps d’entreprendre. Si les autoritds nationales et leurs centres de recherche ptdagogique peuvent un jour prochain dis- poser de ces prdcieux auxiliaires que seraient une problematique et une typologie, la coopdration internationale aura comblt les vœux de la commission, en établissant dans le monde entier un véritable a rdseau de changement D.

Assistance technique

Dans un domaine où la matière grise est l’dldment essentiel, la coopdration entre les nations pourrait se limiter à ce service d’&changes intellectuels, que le BIE est très capable d’assurer. La Confdrence internationale de l’dducation a pourtant prdvu qu’une assistance technique serait indispensable. Les ddcisions une fois prises dans chacun des fitats intdressds, beaucoup de ceux-ci auront encore besoin d’une assistance internationale pour la mise en œuvre des stratdgies imagindes. D e l’ordre de la coopd- ration intellectuelle on passerait alors à celui de l’action opdra-

ui relhve soit de l’aide bilatdrale, selon des accords conclus tionnelle, d’ 9E tat à État, soit du système des Nations Unies et en particulier de l’Unesco. A vrai dire il y a ddjà longtemps que ces deux formes d’aide favorisent des innovations de grande enver- gure, telles que l’alphabdtisation fonctionnelle, l’entreprise d’enseignement tdldvisd en Côte-d’Ivoire ou l’utilisation par l’Inde d’un satellite artificiel pour l’dducation des adultes. A une

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142 Priorith à l’innovation

tchelle plus réduite, l’Unesco, avec le concours financier du Programme des Nations Unies pour le dtveloppement (PNUD) , de la Banque mondiale ou du Fonds international des Nations Unies pour l’enfance, accorde une aide directe à de nombreux pays en voie de dtveloppement pour la rtnovation de l’enseigne- ment, la formation des maftres, le dtveloppement de la recherche ptdagogique ou la planification de l’tducation. Toutes ces actions ne tendent-elles pas dès maintenant B susciter l’esprit d’innovation ?

La force d’un programme uniquement consaCr6 aux inno- vations tiendrait à son pouvoir d’inspirer de nouvelles strattgies, de provoquer la recherche d’alternatives A ce qui existe ddjà, et surtout de protdger les pays en voie de dtveloppement contre la tentation d’adopter des modèles importts des pays les plus hau- tement dtveloppts. Reste B savoir quelles formes de concours effectif une assistance technique judicieusement entendue sera en mesure d’offrir au tiers monde. Sitôt que l’on ptnètre dans l’immense domaine de l’assistance technique, on se trouve sou- dain confrontt B l’ensemble des questions que pose l’action inter- nationale en vue du dtveloppement tconomique et social. Par leur ampleur et par leur cornplexit&, ces questions dtbordent de toute part le cadre de cette Ctude. Mais puisque les rkponses que l’on peut leur donner dtterminent l’avenir de l’aide inter- nationale à l’tducation, nous ne pouvons les passer sous silence, ne serait-ce que pour mesurer la gravit6 et l’urgence du problème.

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Chapitre sept

Une crise de la coopération internationale ?

O n se souvient que, dans le dernier chapitre de son rapport, la Commission internationale sur le développement de l’dducation a cru ddceler, pour la cooptration en matikre d’dducation, une crise parallèle à celle que traverse en ce moment l’aide interna- tionale au dtveloppement. Rappelant, sans les reprendre ouver- tement A son compte, les griefs les plus souvent portds A l’encontre de la coopdration internationale, la commission mentionne en particulier l’insuffisance des contributions volontaires, les avan- tages politiques ou commerciaux que les États donateurs espèrent retirer de leur assistance, le gaspillage des ressources et l’ineffi- cacitt des moyens, ainsi que la funeste habitude de proposer aux pays en voie de ddveloppement des modèles étrangers qui ne rtpondent pas A leurs vdritables besoins1.

Dans l’ample et substantielle introduction qu’il a placte en tête de son rapport sur les activitts de l’Unesco en 1973, le Directeur gdntral, Rent Maheu, s’il ne prononce pas le mot de a crise D, n’en signale pas moins les faiblesses et les carences de la coopdration en faveur du ddveloppement : ses entretiens avec les gouvernements, ses visites aux projets en cours de rdalisation sur le terrain l’ont en effet convaincu chaque jour davantage N de la ndcessitd de proctder à une rtvision profonde de l‘aide fournie dans le cadre du système des Nations Unies [...] à la fois quant à ses objectifs, ?i ses mtthodes et à ses mtcanismes B [6, p. xxr]. Crise selon la commission, ndcessitt d’un changement radical

1. Voir, dans Apprendre d Btre [IO], le chapitre IX, intitulé (( Les chemins de la solidaritt )).

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144 Une crise de la coopération internationale ?

d’après le tdmoignage de l’un des plus hauts fonctionnaires internationaux, les deux diagnostics se rejoignent pour rendre un son alarmant. Sans doute notre propos doit-il se limiter au seul domaine de l’dducation, mais personne ne songe désormais à séparer 1’Cducation des autres facteurs de dkveloppement. Remettre en cause l’aide internationale au dCveloppement, c’est du même coup soumettre A un examen critique l’ensemble des objectifs, des mCthodes et des moyens de l’aide internationale A 1’Cducation.

LA COOPÉRATION INTELLECTUELLE

Parce que 1’Cducation pose de nos jours des problèmes qui excèdent les moyens de chaque pays, même les plus avancCs, le rapport de la Commission Edgar Faure pose en principe que les Cchanges internationaux d’informations, d’expCriences et de personnes sont plus ndcessaires que jamais. Et l’on voit en effet se renforcer et se perfectionner sans cesse les mCcanismes de la cooptration intellectuelle. Mais, contrairement à une idCe rtpandue, cette forme de coopCration ne repose pas sur une tradition ancienne. S’il est vrai que de tout temps les penseurs, les savants et les thtoriciens ont formC à travers le monde, à travers l’Europe surtout, une vdritable sociCtC des esprits, reliCs les uns aux autres par la publication de leurs travaux et par une active correspondance privde, il a fallu attendre le début de ce siècle pour que l’on s’avisât de crCer un organisme permanent spCcialement vout à l’tducation. Jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Bureau international d‘dducation, fond6 à Genève, fut la seule institution de ce genre. Même au sein de la SocittC des Nations, bien qu’elle elit, dès ses ddbuts, formC le projet de créer une commission pour 1’Ctude des questions internationales de coopCration intellectuelle et d’Cdu- cation)), l’opinion prdvalut longtemps que I’Cducation, considCrCe comme une prdrogative des autoritCs de chacun des fitats, ne pouvait pas entrer dans la compdtence d’une organisation inter- nationale. C’est tout au plus si la commission, une fois crtke, et l’Institut de coopCration intellectuelle, mis par la France à la disposition de la SociCtC des Nations, osèrent Cvoquer par la suite certains problèmes de l’enseignement suptrieur et rechercher le

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Une crise de la cootération internationale ? = 45 concours des universitts, bien plus dans l’intdrêt de la science que dans celui de la pddagogiel. Enfin vint l’Unesco, et 1’Cduca- tion se trouva officiellement reconnue comme l’un des domaines fondamentaux de la cooptration entre Ies Etats.

Coopération internationale et régionale

Mais cette fois, on lui attribuait la première place. Que de chemin parcouru en un peu plus de vingt ans! Les structures actuelles de l’Unesco en disent assez long. Au sommet, la ConfC- rence gtnCrale, qui rdunit tous les deux ans les d6lCgations des États membres, dont les chefs sont le plus souvent des ministres de l’Cducation, et qui a pour tâche principale d’adopter les pro- grammes de l’organisation, où la plus haute priorite? a ttC jusqu’ici accordde aux projets relatifs à l’dducation. Pendant 1’annCe où la Conftrence gCnCrale ne se rCunit pas se tient à Genève une session de la Conftrence internationale de 1’Cduca- tion, dont l’ordre du jour comprend, ainsi qu’on l’a déjà vu, une appréciation des progrès rdcemment accomplis et 1’Ctude en pro- fondeur d’une des questions qui se posent avec le plus d’urgence à l’ensemble des États. Dans chaque pays, les autoritts respon- sables de 1’Cducation sont ainsi en mesure de se tenir informCes de ce qui se passe ou se prCpare d’important et de nouveau dans les autres pays du monde.

Pour l’aider dans cette fonction l’Unesco dispose ddsormais de trois organes spCcialisés : Genève, le BIE, pour la documen- tation, la diffusion des informations et les études; à Hambourg, l’Institut pour l’Cducation, principalement vouC à la recherche; à Paris, l’Institut international de planification de l’dducation, qui se consacre à la fois à la recherche et au perfectionnement d’un personnel hautement qualifiC.

A ce puissant dispositif international rCpond, pour chacune des grandes rdgions gdographiques ou culturelles, un rdseau d’organismes de coopdration. Les ministres de l’dducation d’une même rbgion se reunissent B intervalles rkguliers pour confronter leurs expdriences, dresser un bilan des progrès accomplis comme

I. Voir B ce sujet : L'institut intemational de coophation intellectuelle, publit par l‘Institut A Paris en 1946.

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1 46 Une crise de la coopération intemationale ?

pour Cvaluer les besoins de leur pays. Des bureaux de l’Unesco sont établis dans les quatre rCgions principales : à Dakar pour l’Afrique, à Santiago pour 1’AmCrique latine et les Caraïbes, à Beyrouth pour les bats arabes, à Bangkok pour l’Asie. Les tâches qui leur sont confiées comprennent des études et des enquêtes en vue d’analyser la situation et les tendances de 1’Cducation dans les fitats membres de la rCgion, le rassemblement et la diffusion, en collaboration avec le BIE, des informations et de la documentation, ainsi que la formation et le perfectionnement des planificateurs de l’éducation, du personnel enseignant, ainsi que des architectes et des ingénieurs affectés aux constructions scolaires.

L‘ Université des Nations Unies

Au niveau universitaire, où l’enseignement se combine avec la recherche, l’Unesco entretient aussi des postes régionaux de coopération scientifique, tels que ceux de Nairobi pour l’Afrique, de Montevideo pour l’Amérique latine, du Caire pour les États arabes, de New Delhi pour l’Asie du Sud, et de Djakarta pour l’Asie du Sud-Est.

L’initiative la plus notable en ce domaine a sans doute été, au cours de l’année 1972, la création d’une université interna- tionale. ProposCe à l’Assemblée générale des Nations Unies par son Secrétaire géntral dès 1969, la fondation de cette institution nouvelle a fait, dans les annCes suivantes, l’objet d’une étroite collaboration entre les Nations Unies et l’Unesco. Un Comité fondateur, désigné par le Secrétaire géndral en consultation avec le Directeur général de l’Unesco, a déjà tenu deux séances en 1973, et c’est sur son rapport que les instances suprêmes des deux organisations ont adopté la charte de 1’ a Université des Nations Unies D. Il a CtC décidt que celle-ci prendrait la forme d’un réseau d’institutions de recherche et de formation destinees à des Ctudiants d’un niveau universitaire supdrieur. Le champ des Ctudes a Ctt concentré sur des sujets d’intérêt mondial, qui exigent la collaboration de chercheurs appartenant à des disci- plines diffbrentes et venus de diverses régions. Selon cette concep- tion, 1’UniversitC des Nations Unies aura donc pour mission d’encourager et de soutenir, à travers le monde, les universités et les centres de recherche déjà existants, qui veulent améliorer ou

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Une crise de la coobkration internationale ? ‘47

rdnover leurs programmes et leur donner une dimension univer- selle. Diffuser des connaissances, favoriser des tchanges de per- sonnalitCs du monde universitaire et susciter des idées fkcondes, tel serait le rôle principal de l’université nouvelle. Elle jouira d‘une autonomie totale et la charte dont elle est dotée lui assure une complète liberté d’action. Elle disposera d’un budget alimenté par des contributions volontaires.

Sur l’offre géntreuse du gouvernement japonais, les organes centraux de l’université - conseil, recteur et administration - seront installds à Tokyo, mais les institutions appelCes à participer à ses travaux devront se répartir sur toutes les régions du monde, le seul critère Ctant celui de la qualit6 et de l’efficacité de leur contribution. Quant aux programmes, la rdsolution adoptée par 1’AssemblCe générale des Nations Unies laisse au Conseil le soin de les déterminer, à la seule condition que les recherches soient <( orientees vers l’action, et portent sur les problèmes généraux les plus urgents relatifs à la survie, au développement et au bien-être de l’humanité n. Il est d’ores et ddjà convenu que les travaux de I’universitC aideront aussi les organisations internationales du système des Nations Unies à préciser et à améliorer leurs propres programmes, et contribueront à former des experts nationaux pour les bats membres aussi bien que des experts internationaux. Sans qu’on puisse encore prévoir la forme concrète que prendront les activitCs de l’universite, ni même les disciplines, on peut dès maintenant saluer dans la fondation de 1’UniversitC des Nations Unies la plus haute expression de la coopération intellectuelle.

L’AIDE OPÉRATIONNELLE A L’ÉDUCATION

Reconnue de très longue date comme une nécessité pour l’acqui- sition et la diffusion des connaissances, ainsi que pour les progrès de la recherche dans les diverses disciplines de l’esprit, la coopé- ration intellectuelle est donc devenue, au cours des dernières années, un puissant stimulant pour le ddveloppement universel de l’éducation. Cette forme-là de coopCration internationale ne donne aucun signe de crise; bien au contraire elle ne cesse de se renforcer, à la satisfaction de tous ses partenaires. Ce n’est pas elle que la Commission Edgar Faure remettait en question; ce n’est pas d’elle non plus que le Directeur général de l’Unesco,

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148 Une crise de la coophation internationale ?

dans son plus rdcent rapport sur les activitds de l’Organisation, affirme qu’il faut la soumettre à une rtvision radicale. La crise, dans la mesure où elle existe, ne peut affecter que les formes opd- rationnelles de l’aide internationale à l’éducation, celles qui consistent à aider les États du tiers monde à dlaborer, à planifier ou Zi rdaliser, dans leurs propres pays, des projets destines à accd- ltrer leur ddveloppement.

Aide bilathale et aide multilatérale

Les diffdrentes sortes d’aide à l’dducation ont deux sources diffd- rentes : l’une, dite bilatdrale, provenant de la mise en Oeuvre d’accords directement conclus d’ État à État, l’autre, qu’on appelle multilattrale, de l’extcution des programmes arrêtés par les organisations internationales du système des Nations Unies. Bilatdrale ou multilatdrale, l’aide a les mêmes objectifs, les mêmes modalitds et elle est toujours volontaire. Ce sont d’ailleurs les mêmes pays qui y participent à la fois. Seuls, les mobiles diffèrent. O n reproche volontiers à l’aide bilatdrale de ne pas obCir à des motifs ddsintdressés. Alors que, dans l’aide multilattrale, les États donateurs se confondent dans un anonymat collectif, ils conser- vent, en concluant des accords avec des États de leur choix, leur identitd et leur image de marque. Sans doute espèrent-ils main- tenir avec les pays bdndficiaires des relations priviligides ; les arrikre-penstes politiques sont rarement absentes. Il arrive même que les accords comportent des clauses garantissant un rtgime de faveur à l’industrie ou au commerce de 1’État qui accorde une N aide lide )). O n comprend dès lors que la Commission Edgar Faure ait ddnoncd en termes stvères une pratique aussi peu conforme à l’idéal de la solidaritt internationale [IO, p. 2861. Mais comment oublier que l’opinion publique, souvent rdtive à consentir des sacrifices financiers, trouve dans l’intdrêt national un argument dtcisif ? Même si les raisons ne sont pas aussi pures qu’on le voudrait, il n’est pas indifférent que l’aide au ddvelop- pement finisse par l’emporter. O n ne peut pas condamner non plus, au nom de la solidaritd internationale, les liens qui unis- sent les anciennes mdtropoles à leurs anciennes colonies. Si le Royaume-Uni et la France se sentent particulièrement respon- sables du destin de certains pays devenus indtpendants, en

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Une crise de la coopération internationale ? 149

Afi-ique, en Asie ou au large du continent amdricain, n’est-ce pas en vertu d’une solidaritd htritde de l’histoire et par une volontd implicite de rtparer les injustices du passC? Ces choix-là n’ont aucune peine à se justifier.

Les États scandinaves, qui n’ont pas les mêmes soucis, offrent un exemple bien digne d’attention. S’ils ont de longue date donnd leur prdfdrence à la coopdration multilatCrale, ?i laquelle ils contribuent avec une grande gdndrositd, ils n’en mar- quent pas moins un intdrêt plus actif pour certains domaines de leur choix, tels que l’dducation des adultes OU la formation professionnelle. D’où une forme originale d’aide, qu’on appelle- rait volontiers (( multi-bilatdrale >>, pour tenir compte A la fois de son caractère collectif et de ses applications prioritaires1.

Quoi qu’il en soit des mobiles qui l’inspirent, on ne peut guère contester que l’action bilatdrale ne s’exerce avec plus de rapiditd et à moindre frais que l’assistance multilatdrale. Il n’est que de relire le rapport du Directeur gCntral de l’Unesco pour mesurer les lenteurs et la rigiditd des procddures internationales, les a astreintes coûteuses M qu’elles imposent aux pays btndfi- ciaires, sans parler de la concurrence et même des rivalitCs qu’elles suscitent entre les institutions spdcialisdes qui y parti- cipent. Si bien qu’à peser les avantages et les inconvdnients des deux formes d’aide on renonce à se prononcer. La seule conclu- sion qu’on puisse tirer de ce vieux dtbat, c’est qu’elles sont toutes les deux nCcessaires et qu’au lieu de s’opposer elles doivent se compldter. Le principe de la programmation par pays, qui fait de I’fitat béndficiaire le seul juge, a mis une fin heureuse à un conflit aussi absurde que stdrile. C’est ddsormais au gouverne- ment du pays intdresst qu’il appartient d’apprdcier, dans l’exer- cice de sa souverainet6, toutes les formes et modalitds d’assistance qui lui sont utiles et de coordonner à son profit les actions opdra- tionnelles, d’où qu’elles viennent.

Volume de taide internationale à téducation

Il n’est pas ais6 d’Cvaluer avec prdcision le volume global de l’aide internationale destinde à l’dducation, ni de comparer le

I. Lire 2a ce sujet l’article de Lars-Olof EDSTROM, <( Perspectives scandinaves de l’aide A I’éducationn, dans le numéro de la revue Perspectives de l’ttt 1974 [ I 71.

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1 50 Une crise de la coopération internationale ?

montant des crtdits provenant de l’aide bilattrale avec ceux de l’aide multilatérale. Les chiffres ne sont pas sûrs et les dates ne coïncident pas. O n ne peut donc se risquer qu’à des estimations approximatives. Selon le rapport de la Commission Edgar Faure, qui se fondait à la fois sur les informations de l’OCDE et sur les calculs de certains experts, on estimait que l’aide bilattrale, publique ou privte, à l’tducation s’élevait, pour l’annte I 970/7 I , à un total situt entre I 660 et I 760 millions de dollars. Pour l’aide multilattrale à l’éducation dans le cadre des Nations Unies et par l’intermédiaire de l’Unesco, le montant total des sommes utilisées en 1973 s’devait à 281 219 ooo dollars. M ê m e en tenant compte de la différence des dates, on peut donc conclure que le montant de l’aide bilatérale était, autour de l’année 1972, environ six fois suptrieur à celui de l’aide multilattrale. Si l’on additionne les deux chiffres, on obtient un total de près de 2 ooo millions de dollars pour l’ensemble de l’aide internationale à l’éducation.

Ce chiffre, vraisemblablement inexact, ne donne d’ailleurs pas en lui-même une idée prtcise de l’effort accompli; on ne pourrait en tirer d’argument valable qu’en le comparant à celui de l’ensemble des dtpenses affecttes à l’éducation par les difft- rents États. Mais là encore les statistiques sont incomplètes1. C’est sur la base d’un calcul incertain que la Commission Edgar Faure parvient à la conclusion que l’aide accordée en 1968 reprt- sentait IO % environ des frais d’éducation supportts par les pays en voie de dtveloppement. Une estimation un peu plus rtcente [15] porte ce pourcentage à 12 %. Encore s’agit41 d’une moyenne, l’aide étant intgalement répartie, atteignant une pro- portion de 30 %, selon les uns, à 40 %, selon les autres, pour les pays les plus favorisés.

Il est vrai qu’à l’aide proprement dite s’ajoutent des prêts consentis par certains États et par des organismes internationaux, tels que la Banque mondiale (425 millionsde dollarsen juin 1g71), la Banque interaméricaine de développemeiit (un peu plus de 150 millions de dollars à la fin de la même annte) ou le Fonds de dtveloppement de la Communauté tconomique europtenne (145 millions de dollars à la fin de 1969). Mais à quelques rares

1. 11 y manque en effet les chiffres correspondant 2t plusieurs fitats, dont la Chine. Voir 2t ce sujet, dans Apprendre d être [IO], le tableau 13 de la page 328.

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Une crise de la cookération internationale ? 15’

exceptions près, les taux d’inttrêts pèsent assez lourdement sur les pays btntficiaires : celui de la Banque mondiale &ait de 7 % en 1970.

Que conclure de tous ces chiffres ? L’aide internationale Q l’tducation, que ce soit sous la forme d’une assistance technique ou celle de crtdits d’investissement, n’est assurtment pas ntgli- geable; elle n’est pas non plus ntgligée. Reçue avec la plus grande faveur par les États du tiers monde, elle leur a dtjà permis de rtaliser un grand nombre de projets utiles, pour Ia crtation d’tta- blissements d’enseignement suptrieur, d’enseignement secondaire ou technique, pour la formation d’un personnel qualifit, pour l’dquipement des laboratoires et des bibliothèques, comme pour le renforcement de la lutte contre l’analphabttisme. Elle les encourage aussi à se donner des méthodes plus sQres pour pla- nifier le dtveloppement de I’éducation et pour perfectionner leur administration. Contester l’importance de ces projets, ce serait nier l’tvidence. Mais il n’est pas moins certain que cette aide est encore très insuffisante, qu’elle est mal rtpartie, qu’elle profite surtout aux pays les moins dtshtrités, et qu’elle provoque autant, si ce n’est plus, de critiques qu’elle ne suscite de jugements favo- rables. Est-il permis d’espérer, pour les anntes à venir, une aug- mentation massive de l’aide internationale à l’tducation ? La tendance serait plutôt à la baisse. O n constate dtjà un fltchisse- ment dans la part de leur revenu national que les États donateurs consacrent à l’assistance technique ou financière en faveur du dtveloppement ; la conjoncture tconomique, les politiques d’aus- ttritt, les limitations du crtdit sont autant de signes funestes. O n ne voit guère d’autre motif d’esptrer que dans le rapide enrichis- sement des pays fournisseurs de matières premières aussi ntces- saires et aussi prtcieuses que le pttrole. Si ces pays consentent A se montrer génCreux et à faire profiter de leur aide, non seulement les États à qui vont leurs prtftrences politiques, mais ceux qui en ont le plus urgent besoin, peut-être verrons-nous l’horizon s’tclaircir. Faible lueur dans un ciel chargt de nuages.

DaJïcuCtks psychologiques

Les difficultés que rencontre la coopération internationale dans les aspects opérationnels ont des causes autres que financihes.

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152 Une crise de la coohérration internationale ?

Les problèmes psychologiques y tiennent une large part. L’une des formes d’aide les plus couramment pratiqudes, aussi bien par l’action bilatérale que par celle des organismes intematio- naux, consiste dans les programmes de bourses de formation ou de perfectionnement à l’&ranger. Quel est le jeune diplamt d’une universitt du tiers monde qui n’a pas rêve d’aller achever ses Ctudes dans un des centres universellement rCputCs pour la haute spdcialisation scientifique ou technologique qu’on y donne? Et quel est le gouvernement d’un pays pauvre en per- sonnel qualifit qui n’a pas pend à profiter de ces perspectives attrayantes? Mais les ddboires ne se comptent pas non plus. L’exode des compdtences, que les AmCricains ont nommt le brain drain, est un phCnomkne trop connu pour qu’on s’y attarde. L’attrait des rCmunCrations Clevtes, les conditions de vie et surtout de travail tminemment favorables, les offres de carrière rapide dans des laboratoires, des entreprises ou des institutions de recherche, il n’en faut sans doute pas davantage pour expli- quer le nombre de jeunes savants ou de jeunes techniciens qui renoncent à rentrer dans leurs pays d’origine [21]. Il s’y ajoute aussi des phtnomènes d’ordre psychologique, qu’on a peu CtudiCs jusqu’ici : a celui de la fuite de l’intellectuel au sein même de chaque pays en voie de ddveloppement, celui de son Cloignement de la socittt dans laquelle il vit, celui de son isolement, qui a des constquences plus graves que la fuite vers l’&ranger1 B. Aussi s’applique-t-on, depuis quelques annCes dtjà, à rtduire et surtout à mieux contrôler les programmes de formation à l’&ranger. O n tvite d’expatrier des ttudiants trop jeunes ou d’une maturit6 insuffisante, à qui l’on prtfhe offrir sur place des moyens d‘Ctude et de formation; on s’efforce de leur assurer, à leur retour, des emplois mieux adaptCs à leur compttence. Mais les risques demeurent grands et l’on est encore loin d‘avoir trouvC la solu- tion de ce grave problème.

Les psychologues auraient aussi beaucoup à dire en ce qui concerne les difficultés que rencontrent ou que suscitent les experts envoyCs dans les pays en voie de dtveloppement. Ils ont,

1. Ces lignes et plusieurs des observations qui suivent sont empruntées ?I une pCnétrante Ctude de Juan GOMEZ MILLAS, (< L’éthique du développement D, publiée dans le numéro de Perspectives de 1’Cté 1974 [r7].

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comme on le sait, une double mission : ils doivent, d’une part, r mettre leur exptrience au service des gouvernements ou des institutions du pays où ils sont affect& et, d’autre part, donner ‘ une formation d’experts aux ressortissants de ce pays qui sont ! destinds à prendre plus tard leur place. Or, quels que puissent être la compttence et le dtvouement de chacun de ces experts ttrangers, la fonction même qu’ils exercent soulève les critiques les plus vives et les plus diverses. O n leur reproche de ne pas connaître le peuple parmi lequel ils sont appelts à vivre, de ne pas savoir s’adapter à ses coutumes, à ses croyances ou à sa culture, de demeurer à l’tcart de la socidtt, comme un corps irrtmtdiablement &ranger. Si bien qu’à entendre les reproches dont on les accable si souvent quelqu’un faisait un jour la remarque que, p.our être un bon expert dans un pays en voie de dtveloppement, il faudrait être à la fois un htrosstjn saint.

Dans ce cas comme dans celui des bourses de formation à l’&ranger, les organismes charges de l’aide s’ingtnient à trouver des remèdes. O n redouble de soin pour recruter les experts, on leur donne, avant leur ddpart, des connaissances aussi sfires que possible sur les pays où ils vont vivre, on s’tvertue à sonder leur facultt d’adaptation. Mais il en est des experts comme des ensei- gnants : la compdtence n’y suffit pas, il faut aussi des dons ptda- gogiques, un sens des relations humaines, qui ne se rtvèlent qu’à l’usage. Quant à la qualitd d’&ranger, elle suivra l’expert partout, quoi qu’il fasse; elle pourra renforcer son prestige, mais elle lui crtera de grandes difficultds. Relisons plutôt les rdflexions d’un observateur attentif :

Les experts ttrangers qui, dans un premier temps, peuvent être à même de dtfinir les tâches d’avenir pour un pays donnent une formation d’experts à des ressortissants de ce pays, qui sou- vent peut-être sont plus aptes à comprendre ce qui se passe dans leur propre nation que ne pourraient l’être des ttrangers. C’est alors qu’apparaît la rivalitt entre experts ttrangers et experts nationaux, obligeant les organismes d’assistance à rtviser leurs règles d’affectation du personnel et à recourir, dans la mesure du possible, aux ressortissants du pays pour les programmes d’ttudes et de dtveloppement. Bien des spécialistes pensent qu’on peut obtenir un rtsultat positif si l’on tient compte du fait que presque tous les pays en voie de dtveloppement disposent d’un

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secteur modernise susceptible d’être utilist pour adapter des techniques et recevoir des apports de technologie1. ))

Ces remarques s’appliquent en particulier B tout ce qui concerne 1’Cducation. Il arrive qu’on fasse venir de loin et à grands frais des sptcialistes sans doute compdtents, mais insuf- fisamment avertis des conditions locales, alors qu’il y a dtjà sur place, dans une universitC, dans un centre de recherche ou de formation, des ressources qu’on pourrait mettre plus utilement à contribution. DCvelopper à plein les ressources nationales devrait être la règle d’or de la cooptration internationale.

Sans compter qu’un expert étranger, d’oh qu’il vienne, apporte nbcessairement avec lui certaines conceptions, certaines habitudes ou une certaine exptrience, qui ne parviennent qu’à grand-peine à prendre racine dans un terrain nouveau. Comment un mode d’enseignement pourrait-il être veritablement endogène, comme on se plaît à le recommander, s’il ne s’appuie que sur des conseillers Ctrangers ? Comment une innovation pourrait-elle s’inttgrer au système national si elle se prCsente sous le couvert d’une intervention extérieure ?

Ce n’est pas seulement l’origine des experts qu’il faut consi- dCrer, mais jusqu’à leur fonction et à leur point d‘insertion. Le recours à des conseillers Ctrangers n’est efficace que s’il s’insère au cœur du système, au centre moteur dont dCpend tout le reste. Au lieu de multiplier les experts en ordre disperse, mieux vau- drait en rCduire le nombre et leur assigner des missions mûrement dCfinies.

Erreurs de diagnostic

O n aborde ainsi un nouvel ordre de problèmes. A considkrer de près les programmes d’aide à l’éducation ClaborCs jusqu’ici, on est surpris par leur diversite! et par la dispersion des efforts. Sans doute fallait-il d’abord parer à l’urgence. Comme tout &ait à faire, on s’est attaqud à tout en même temps, à l’analpha- bCtisme, à l’enseignement primaire, à l’enseignement secondaire, 2i l’enseignement technique, à l’enseignement supdrieur, B 1’Cdu- cation des adultes, à la formation des maîtres, à la documenta-

i. Voir l’article de Juan GOMEZ MILLAS, op. cil.

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tion pédagogique, aux méthodes d’enseignement, aux manuels, aux auxiliaires audio-visuels, aux constructions scolaires. Toutes ces entreprises étaient justifites et, pour chacune d’elles, il fallait recruter des experts, suggérer des solutions, proposer des modèles. Mais où trouver ces experts et ces modèles, sinon dans Ies grandes métropoles d’occident ? Ainsi, sous la pression des circonstances plutôt que selon un dessein préméditt, l’éducation dans les États du tiers moEde a épousé les objectifs, les usages et les méthodes des pays lointains qui leur offraient une assistance.

Aujourd’hui que le moment est venu de dresser un bilan, on peut mieux mesurer les erreurs de diagnostic et la mtdio- crité des résultats. Tout n’est certes pas à condamner dans ce foisonnement de tentatives maladroites. Des millions d’illettrés ont été alphabttisés, des millions d’enfants ont pris le chemin de l’école, des maîtres sortent en grand nombre des centres de formation, des universités ont surgi dans les territoires les plus recults. Mais partout aussi on s’avise que cette éducation rtpond mal aux besoins, aux structures et aux aspirations de la société, qu’elle ne s’accorde pas à la culture des peuples. Tout au long de cette étude, n’avons-nous pas relevé les signes d’une inadap- tation dangereuse et les effets d’une aliénation ?

A mesure que les conditions du développement se laissaient percevoir avec plus de clarté, on a reconnu d’autres erreurs de diagnostic. Certes, des efforts louables ont été accomplis pour planifier les moyens d’éducation dans le cadre d’une planifi- cation plus vaste du développement. Mais, de m ê m e que les systèmes d’enseignement proposés au tiers monde provenaient des pays occidentaux et des anciennes métropoles, le dévelop- pement prenait pour modèles les sociCtés les plus industrialisées. Une industrialisation rapide, une éducation orientée vers les besoins de l’industrie : tels ont étt d’abord les objectifs considérés comme prioritaires. Sans doute ces objectifs gardent-ils leur valeur pour un certain nombre de pays déjà plus avancés que les autres dans la voie du dkveloppement. Mais la grande majorité des États du tiers monde reconnaissent amèrement aujourd’hui qu’ils ont eu le grand tort de négliger les besoins de leur agri- culture et le bien-être de leurs populations rurales. Personne n’ignore plus aujourd’hui qu’un vigoureux coup de barre s’im- pose, aussi bien pour la formation de la jeunesse déjà scolarisde

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et de celle qui ne l’est pas encore que pour l’orientation de l’tconomie tout entière. Il n’est pas une seule des conftrences internationales ou rtgionales tenues au cours de ces dernières anntes qui n’ait conclu à l’urgente ntcessitt de donner la plus haute prioritt à l’tducation pour les zones rurales.

LE RÔLE DE L’ÉDUCATION DANS LE D É V E L O P P E M E N T

Aucun de ces problèmes n’a CtC mtconnu par la Commission internationale sur le ddveloppement de l’dducation. Si certains lecteurs à l’esprit aiguist se montrent dtçus par les lacunes et les incertitudes qu’ils croient relever dans son rapport, c’est qu’il y a encore, en effet, des lacunes et des obscuritts dans les relations à ttablir entre le dtveloppement et l’tducation, et jusque dans la notion même de dtveloppement. Du moins peut-on constater une tvolution très nette dans les iddes. Pendant une première pCriode, qui correspond aux anntes 1960, on s’est un peu trop vite flattt de l’espoir que l’tducation allait donner par elle-même aux nations du tiers monde un Clan suffisant pour l’engager dans la voie d’un dCveloppement autonome.

A la fin de la première dtcennie du dtveloppement, force a ttt de reconnaître que cet espoir ne s’ttait pas rtalist. O n en a tirt la leçon que 1’Cducation devait participer à d’autres actions en faveur du dtveloppement. Nous avons dtjà vu, par exemple, à quel point la formation dtait dtpendante de l’em- ploi, et comment le développement agricole exigeait à la fois, dans des strattgies globales, une Ctroite coordination des politi- ques de l’tducation, de l’emploi, du crédit et de l’exploitation commerciale.

Dès 1969, le rapport de la Commission d’étude du dtve- loppement international, communtment dtsignt du nom de son auteur principal, Lester B. Pearson, avait mis en lumikre les nouvelles perspectives du dtveloppement. Depuis lors, les conceptions ont encore changé, jusqu’à prtvoir l’avènement d’un nouvel ordre économique mondial. Le temps semble venu où les problèmes et les modalitts du dtveloppement devraient faire l’objet d’une étude plus vaste et mieux adaptte aux circonstances actuelles. On peut même se demander s’il n’aurait pas fallu

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commencer par là, avant de confier à une commission interna- tionale le soin de situer l’avenir de 1’Cducation dans le cadre du futur ddveloppement Cconomique et social. Les organismes internationaux ne suivent pas toujours l’ordre voulu par la logique.

Une stratdgie globale du développement

O n s’oriente donc de plus en plus vers une conception globale du dtveloppement et vers des mesures d’aide technique ou de financement inspirtes par des strategies, globales elles aussi, dans lesquelles 1’Cducation aura sa juste place, aucun projet ne devant plus être approuvd par les instances supCrieures s’il ne comprend des actions de formation. Attitude assurCment daliste et qu’on ne peut qu’approuver, mais qui implique des changements pro- fonds dans les objectifs, les modalitCs et les conditions concrètes de la coopCration internationale. L’organe responsable de la programmation reste et doit rester le gouvernement de l’hat bCnCficiaire : c’est A lui seul qu’il appartient de dresser son plan de dCveloppement, de fixer sa politique et d’adopter ses stratd- gies, en fonction de ses propres ressources et de l’aide extkrieure qu’il souhaite recevoir. C’est donc à lui qu’incombe la respon- sabilitC de coordonner et d’orienter l’action de ses divers minis- tères, de ses administrations spCcialisCes et de l’ensemble des institutions nationales, y compris celles qui s’occupent de l’tdu- cation, à tous les niveaux. Mais comme il est à prCvoir que cette tâche, à la fois conceptuelle et technique, semblera trop lourde aux gouvernements de beaucoup de pays en voie de dCvelop- pement, qui ne disposent ni des structures ni des personnels ndcessaires, on doit s’attendre qu’ils demanderont l’assistance et les conseils d’experts Ctrangers, non plus pour des mesures ponctuelles, mais pour 1’Claboration de l’ensemble des dCcisions relatives aux politiques, aux stratdgies et à la planification du ddveloppement. Comment choisir de tels experts, où les recru ter, quelles missions leur assigner, pour Cviter le retour aux erreurs du passt ? Jusqu’à quel point des conseillers Ctrangers peuvent-ils coopCrer à un dtveloppement vtritablement national ou, comme on le dit volontiers aujourd’hui, à un dCveloppement qui soit a endogène )) ? Le problème des experts reste à rdsoudre.

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Problbmes de coordination

L‘autre difficultC majeure tient au dCfaut de cohtsion parmi les institutions internationales attachées au développement, même pour le seul secteur de l’tducation. Selon un spécialiste de ces questions, a l’éducation et la formation intéressent, B quelque degrt, la plupart des quatorze institutions sptcialisées et des huits organismes semi-autonomes du système [des Nations Unies]. Certes, la primaut6 de l’Unesco dans le domaine de l’éducation est largement admise, mais les gouvernements peuvent aussi consulter : l’OIT pour la formation professionnelle, la FA0 pour la préparation professionnelle des agriculteurs et des agronomes, l’OMS pour l’éducation et la formation des mtdecins et du personnel technique et auxiliaire des services de santé, le groupe de la BIRD pour l’apport d’une aide en capital à l’dducation et la FISE/Unicef pour une assistance aux enfants défavorisés du point de vue de l’enseignement - cela pour ne donner qu’un petit échantillon des activitts éducatives menées par d’autres institutions des Nations Unies1 n.

Il est vrai que ces institutions ont conclu entre elles des accords pour délimiter leurs compétences respectives et faciliter leur cooptration. Il est aussi vrai que les chefs d’institution se retrouvent à intervalles réguliers au sein d’un comité de coordi- nation, que le Conseil économique et social des Nations Unies a le pouvoir de recevoir leurs rapports et de leur donner des directives communes. Les problèmes de l’emploi et de leurs incidences sur la formation professionnelle sont beaucoup mieux connus depuis que le Programme mondial de l’OIT comporte des missions conjointes dans difftrents pays pour étudier les stratégies globales de l’emploi. On ne manque pas non plus de faire état des rCunions organisées en privC par la Fondation Ford et la Fondation Rockefeller pour favoriser les Cchanges de vues et de projets entre les directeurs des grandes institutions interna- tionales et des Cducateurs ou des hommes politiques venus des pays du tiers monde. La nCcessité d‘une plus grande cohtsion n’est plus mCconnue de personne et de grands espoirs sont permis.

I. Voir l’article de William J. PLATT dans Perspectives, vol. IV, no 2, kté 1974, P. 270 [171.

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Mais on comprend aussi combien une machine aussi lourde et aussi complexe est lente 8. se mouvoir, combien elle exige de nCgociations à tous les niveaux, et combien il lui arrive encore de voir se gripper ses engrenages. La voie du dtveloppement intCgrt demeure semte d’obstacles.

Options politiques

A ces difficultds d’ordre institutionnel, comment ne pas ajouter encore les problèmes qui tiennent aux options politiques des diffdrents pays du tiers monde? Dans un premier temps, qui ttait celui de l’inexptrience et des grandes illusions, l’attention s’est surtout portte sur les aspects purement Cconomiques du ddveloppement, tels que l’augmentation, plus ou moins forte, plus ou moins rapide, selon les cas, du produit national. Mais des esprits plus exigeants n’ont pas tard6 8. s’inquitter de la répar- tition des profits mattriels entre les diffdrentes catkgories de la sociCtC. Les aspects sociaux et humains du dtveloppement devaient, à leurs yeux, prendre le pas sur les effets directement mesurables de l’expansion. Plus récemment encore, de bons observateurs se sont demandC comment les transformations imposCes par l’importation des technologies modernes allaient affecter les coutumes, les manières de penser et les croyances des peuples en voie de ddveloppement et quelles distorsions, quelles tensions ou quelles ruptures pouvaient menacer l’équilibre mental de ces peuples. O n posait du même coup la grave question du maintien de leur identitt culturelle et les problèmes ddjà si complexes du dCveloppement prenaient ainsi une dimension nouvelle, celle de la culture.

Il ne serait certes pas raisonnable de considtrer de la même façon et de traiter comme un ensemble homogène des pays aussi diffCrents, par leur Ctendue, le chiffre de leur population et leur structure tconomique, que le Brtsil, le Mexique, l’Inde, d’une part, et, de l’autre, beaucoup des petits États d’Afrique ou des Caraïbes, dont on imagine encore mal qu’ils puissent assurer à eux seuls leur autonomie tconomique. Il y a beaucoup de degrCs dans le sous-dtveloppement. Mais même dans ceux de ces pays oh l’expansion a ttt la plus rapide et la plus spectaculaire, on observe une extrême diversitt dans les conditions des diverses

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catdgories sociales. Le ddveloppement a surtout profit6 à certains secteurs de I’activitt et à des modes de pensde en tout point comparables à ceux de leurs homologues occidentaux, alors que le reste de la nation, les agriculteurs ou les artisans en particulier, restait dans le même dtat de pauvret6 et dans une condition aussi prdcaire qu’avant le ddbut de la croissance Cconomique. Sans le reconnaître ou sans se l’avouer, les dirigeants de ces pays semblent avoir pris leur parti de cette indgalitd. Peut-&tre pen- sent-ils que la prospdritd sera contagieuse et gagnera peu à peu l’ensemble de la population, les secteurs privildgids entraînant les autres dans un essor irrdsistible.

D’autres États du tiers monde, à l’exemple de la Chine, ont cependant opte pour un ddveloppement plus lent mais plus uni- forme, pour des progrès moins spectaculaires mais plus dgalement rdpartis. Ceux-ci se rdclament surtout d’un principe de justice : justice entre les peuples et à l’inttrieur d’un m ê m e peuple, entre toutes les catdgories de personnes. Une justice àla fois dconomique, par l’dtablissement d’un nouvel ordre mondial, et sociale, dans une perspective rdvolutionnairel.

Ce choix d’un modèle de socidtd se reflète, bien entendu, dans les projets d’dducation et les politiques culturelles des diffd- rents pays. Pour les uns, la rdforme du système d’dducation s’atta- chera surtout à une meilleure adaptation, à une formation plus satisfaisante de la jeunesse et des adultes, tandis que les autres n’hdsiteront pas à se lancer dans une transformation radicale et dans les innovations les plus audacieuses. Ce n’est pas par l’effet du hasard que nous avons rencontrd les expdriences de Cuba ou du Pdrou, après celles de la Chine, dans cette seconde catdgorie de rtformes. Reformes 8. proprement parler rdvolutionnaires, comme les iddologies dont ces pays se rdclament. Comment les objectifs et les mdthodes de l’aide internationale ne s’en trouveraient-ils pas affectts, comment l’harmonie des assembldes internationales n’en serait-elle pas Cbranlde? Au nom de cette conception nouvelle du ddveloppement, on assiste ddsormais à une mise en accusation de l’ordre qui prdside aux relations entre les États, dans le domaine de l’dducation ainsi que dans celui de l’dconomie.

I. O n trouve, dans le mtme fascicule de la revue Perspectives, l’esquisse d‘une analyse de ces situations dans l’article de Tibor MENDE, (( L’aide dans son contexte P, p. 212-220 [17].

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Probkkmes spkiJ5ques de Z’kducation

L‘Cducation n’en continue pas moins A. poser des problkmes qui lui sont propres et qu’une approche globale de l’aide du dCvelop- pement ne doit pas faire oublier. O n observe chez les partisans les plus rCsolus des stratdgies integrdes une tendance il parler plus volontiers de la formation que de l’dducation. C’est sans doute que la formation, la prdparation directe à la vie profes- sionnelle, se prête mieux à devenir un &ment comme les autres dans un même projet global. Mais à decouper ainsi l’enseigne- ment, 1’Cducation non scolaire ou 1’Cducation des adultes, en tranches optrationnelies, selon les besoins du moment, ne risque- t-on pas de perdre de vue les grandes perspectives d’ensemble qui doivent orienter l’avenir de 1’Cducation ? Comment les gouver- nements sollicitds par cette approche nouvelle du dtveloppement parviendront-ils à former des projets globaux d’dducation, com- ment les instances internationales pourront-elles organiser une aide globale à l’Cducation, si l’dducation se dCcompose à nouveau en actions fragmentaires et si les stratdgies du dCveloppement ne s’accordent pas avec les strattgies de 1’Cducation ? Les progrb chkrement payds d’un côtt vont-ils, de l’autre, Ctre remis en question ?

Le drame de l’Cducation, c’est qu’elle est constamment par- tagCe entre des exigences contraires. Dans la mesure oh elle est considCrCe comme un facteur nCcessaire au dCveloppement, il faut bien la traiter, en effet, comme un moyen parmi les autres, au même titre que la santC, le travail, l’emploi, l’agriculture, le commerce ou l’industrie. Mais si on lui reconnaît la mission de former l’homme total, d’ << apprendre à Ctre D, 1’Cducation devient la plus haute ambition de chaque personne, de chaque socittt et de 1’humanitC tout entière. Elle n’est plus un moyen mais une fin. Comment concilier ces deux exigences, comment la coopt- ration internationale peut-elle en tenir compte sans en sacrifier aucune ?

La rCponse est assez Cvidente. Dans l’action opdrationnelle, il faut distinguer entre les projets qui s’appliquent surtout il l’aide globale au ddveloppement et ceux qui visent plutôt A. promouvoir 1’Cducation. Dans le premier cas, des programmes de formation feront partie intCgrante de tous les projets, selon une approche

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intégrée. Mais dans le second, les interventions devront se situer au point le plus favorable pour provoquer un changement effectif dans l’ensemble du système d’dducation, et c’est là que des inno- vations bien prCparCes pourront obtenir les effets les plus sûrs, Renoncer à la prolifdration des actions ponctuelles, concentrer les efforts sur un petit nombre de projets efficaces, Claborer des stratégies porteuses d’avenir : tel sera le principal souci des auto- ritCs nationales chargdes de la programmation de l’aide et celui des instances internationales auxquelles il appartient de mettre les programmes en œuvre.

En revanche, la coopCration intellectuelle s’exercera sans partage pour l’aide globale à l’dducation. C’est en effet dans 1’Cchange constant des informations et des expCriences, dans les rencontres ptriodiques des autoritCs responsables et des experts, que l’tducation trouve les meilleures chances de s’adapter et de se rCnover dans sa totalitC. Et c’est aussi de ces rencontres et de ces Cchanges que l’action opCrationnelle peut recevoir le support conceptuel, l’infrastructure de réflexions et d’études, dont elle a un si grand besoin. En tout ce qui a trait à l’Cducation, qu’on la considère comme un moyen ou comme une fin, les deux formes de coopCration, l’intellectuelle et l’opCrationnelle, doivent donc être Ctroitement solidaires et compltmentaires. Mais il faut bien reconnaître que cette solidarit6 et cette fonction complCmentaire sont encore loin d’être des rCalitCs.

L’AVENIR DE LA COOPBRATION INTERNATIONALE

Peut-on conclure de cette analyse que la coopCration interna- tionale subit une crise ou que l’aide à l’éducation se trouve en danger ? Si l’on veut bien cesser pour un moment de se lamenter sur l’insuffisance numerique de l’assistance internationale (sans renoncer pour autant à explorer les voies qui restent ouvertes à des lendemains meilleurs), on est port6 à mesurer la gravit6 ou l’urgence des problhmes plutôt qu’à craindre pour l’avenir. Per- sonne ne met en doute que des erreurs ont Cté commises, que des illusions se sont dissipées, que l’on s’est trompe dans les diagnostics comme dans les traitements et que beaucoup d’efforts ont CtC accomplis en vain. Mais les leçons du passé ne sont pas perdues. Les institutions internationales ont appris à mieux coordonner

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Urie crise de la coopération internationale ? ‘63

leurs actions en surmontant leurs absurdes rivalités. Le jour n’est peut-être pas si éloigné oh elles sauront donner plus de souplesse à leurs mécanismes, et à leurs interventions plus de céltrité. Les recherches qui se font de tous côtés permettent dé+ de comprendre un peu micux le phénomène du développement et beaucoup mieux les besoins de l’éducation. Jamais le monde n’a disposé d’autant d’outils pour parer aux grandes menaces de la pauvret&, de l’ignorance et de la faim. Les routes de la solidarité s’ouvrent largement devant les hommes.

Mais ces routes demeurent semées d’obstacles. Pourquoi faut-il que, dans les assemblées internationales où l’on discute des problèmes les plus urgents et où s’élaborent des plans de coopé- ration, les âpres revendications des uns attisent inutilement l’amertume des autres ? Plus le besoin de solidarité se fait pres- sant, plus on voit des passions partisanes dresser les États en blocs affrontés. Certes, dans l’ordre international comme dans chaque sociétt, la voix de la justice est rude à entendre; le progrès ne s’obtient pas sans lutte. Mais puisque tous les fitats viennent aux institutions spécialisées avec la ferme intention de travailler ensemble à de grandes tâches communes, la raison, à défaut du cœur, ne leur commande-t-elle pas de rechercher ce qui les unit plutôt que de s’acharner à mettre en évidence ce qui les divise ? Si une crise doit menacer la coopération internationale ou affai- blir l’aide à l’tducation, la cause n’en sera pas dans la difficulté de choisir des objectifs plus raisonnables ou des méthodes plus efficaces. La cause viendra de la répugnance que les fitats sem- blent éprouver à suivre d‘un mCme pas les chemins de la solidarité.

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Bibliographie sommaire

Seules ont tt6 retenues dans cette bibliographie les principales sources de documen- tation utilis6es au cours de cette ttude, ainsi qu’un certain nombre de publica- tions, livres ou articles de revues, que le lecteur pourra consulter avec profit.

Documents ojiciels de l’Unesco

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6) L’kducation des adultes dans le contexte de l’iducatwnpennanente. Paris, Unesco,

c) Rap@rtjnal. Paris, Unesco, 1972. IOI p. (EDlMD/25.)

a) Les liens entre L’kducation, la formation et l’emploi, notamment en ce qui concerne l’enseignement secondaire, ses objectiJs, sa structure et son contenu. Paris, Unesco,

6) Grandes tendances dans le domaine de l’iducation. Paris, Unesco, 1973. 21 p.

c) &tude statistique sommaire sur l‘iducation dans le monde de 1960 d 1970. Paris, Unesco, 1973. 38 p. (ED~BIE~CONFINTED 341Ref. 1.)

d) Aducation pour le diveloppement rural, notamment en ce qui conceme l’ensei- gnement secondaire. Paris, Unesco, 1973. 16 p. (ED/BIE/CONFINTED 341 Rff. 2.)

e) Educatwn, marc& dd travail et emploi. Paris, Unesco, 1973. 12 p. (ED/8lEl CONFINTED 34/Réf. 4.)

UnesCo, 1971. (ED/MD/20.)

UnesCo, 1972. 97 p. (ED/MD/22.)

7 aotlt 1972.

Tokyo 1972. Paris, Unesco, 1972. 146 p. (Unesco/Confedad/4.)

1972. 40 p. (Unesco/Confedad/5.)

4. Confkrence iaternationale de l’iducation, 34e session, Gendve, 19-27 septembre 1973.

1973. 71 p. (EDIBIE/CO“FINTED 3413.)

(ED/BIE/CONPINTED 3414.)

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166 Bibliograjhie sommaire

f) Critires et mkanismes d’ivaluation dans l’enseignement secondaire : risumi d’une itude internationale. Paris, Unesco, 1973. 7 p. (ED/BIE/CONFINTED 341 RG. 5.)

g) Les jeunes face à la vie scolaire, au monde adulte et d l’emploi : risumi d’une Jtude internationale. Paris, Unesco, 1973. 12 p. (ED/BIE/CONFINTED 341 Réf. 6.)

h) &ducation sociale permanente. Paris, Unesco, 1973. 12 p. (ED/BIE/CON- FINTED 34/Réf. 7.)

i) Rapportjnal. Paris, Unesco, 1973. 64 p. (ED/MD/z~.) 5. Demidine Confirence des ministres de l’kducation des Atats membres d’Europe, Bucarest,

a) L’enseignement supirieur en Europe : problkmes et perspectives. Paris, Unesco,

6) ,???tude statistique. Paris, Unesco, 1973. 40 p. (ED-73lMINEUROP Ir/Réf. 1.) c) Rapbortjnal. Paris, Unesco, 1973. 79 p. (ED/MD/SO.)

6. Confirence gknirale, dix-huiti2me session, Paris, 1974. Rapport du Directeur giniral sur

26 novembre - 4 dicembre 1973. 1973. 74 p. (ED-73/MINEUROP II/Q.)

l’activiti de l’organisation en ‘973. Paris, Unesco, 1974. 322 p. (18-C/3-2.)

Autres publications de 1’ Unesco

7. DAVE, R. H . Aducation permanente et programme scolaire. Hambourg, Institut de l’Unesco pour l’éducation, 1973. 94 p. (IUE monographies, no 1.)

8. -; STIEMERLINC, N. (dir. publ.). Lifelong education and the school: abstracts and bibliography 1 L’iducation permanente et l’icole : exlraits et bibliographie. Hambourg, Institut de l’Unesco pour l’éducation, 1973. 154 p. (IUE monographies, no 2.)

9. L’iducatwn permanente. Documentation et information pidagogiques (BIE, Genhe), 46e année, no 185, 40 trimestre 1971, 62 p.

IO. FAURE, E. et al. Apprendre d the. Paris, Unesco; Fayard, 1972. 368 p. [On en trouve en annexe les titres d’un grand nombre de documents préparés il l’inten- tion de la Commission internationale sur le développement de l’éducation et que l’on peut consulter il l’Unesco.]

I I. HELY, Arnold S. M. NoNouvelles tendances dans I‘bducation des adultes : d’Elseneur d Montrial. Paris, Unesco, 1963. 149 p.

I 2. INSTITUT INTERNATIONAL DE PLANIFICATION DE L~~DUCATION. Co& et productiviti en éducation. Paris, Unesco : IIPE, 1967. Div. pag., fig.

3. LALLEZ, R. L e cas TEVEC : une expirience d’iducation des adultes par systhe multi- media. Genke, Unesco : BIE, 1972.66 p. (Expériences et innovations en tduca- tion, no 1.)

14. LENGRAND, P. Introduction d l’iducation permanente. Paris, Unesco, 1970. 100 p. 15. PHILLIPS, H. M. L a planifiation de l’aide d l’6ducation pour la IIe Dkennie du dive-

loppement. Paris, Unesco : IIPE, 1973. 80 p. (Principes de la planification de l’tducation, 18.)

16, THOMAS, A.; DIAMOND, N. Les changements dans l’enseignement secondaire et leurs implications pow l’dducation permanente au Canada. Genhe, Unesco : BIE, 1973. 34 p. (Expériences et innovations en aucation, 5.)

17. Perspectives : revue trimestrielle de l’iducatwn (Unesco, Paris). Voir en particulier : vol. II, no 3, automne 1972, sur l’éducation des adultes; vol. III, no 3,

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Bibliographie sommaire ‘67

automne I 973, sur l’enseignement secondaire, la formation et l’emploi; vol. III, no4, hiver 1973, sur l’université européenne en mutation; vol. IV, no 2, été 1974. sur l’aide internationale pour le développement de l’éducation.

Publuations d’autres organismes internationaux

18. CONSEIL DE LIEUROPE. CONSEIL DE LA COOP~RATION CULTURELLE. L’kducatwn

19. ORGANISATION DE COOP~RATION ET DE D~VELOPPEMENT ÉCONOMIQUES. Censci-

20. -. ,!?volution quantitative de l’enseignement postsecondaire. Paris, 1973. (ED/73/7.) 21. -. Les mowements internationaux de scientgques et ingknieurs. Paris, mars 1970. 22. -. Nouveaux rapports entre l’enseignement postsecondaire et l’emploi. Paris, 1973. 23. -. CENTRE POUR LA RECHERCHE ET L’INNOVATION DANS L’ENSEIGNEMENT. La

24. SCHAEFFKNECHT, J. J. Le mktier de formateur. Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1971.

permanente : un recueil d’ktudes. Strasbourg, 1970. 543 p., fig.

gnement suplrieur court : recherche d’une identitk. Paris, 1973. 450 p., fig.

gestion de l’innovation dans l’enseignement. Paris, 1971. 69 p.

Autres ouurages

25. CACERES, B. Regards neufs sur les autodidactes. Paris, gditions du Seuil, 1961. 207 p. 26. COOMBS, P. H.; POSSER, R. C.; MANZOOR, A. New paths to learning for rural

children and youth. New York, International Council for Educational Develop- ment, 1973. 133 p., bibliogr.

27. COOMBS, P. H.; MANZOOR, A. Attacking rural poverty: haw non formal education can help. A research report for the World Bank, edited by Barbara Baird Israel. Baltimore, The John Hopkins University Press, 1974. 292 p., fig., bibliogr.

28. EURICH, A. C. Reforming American education. New York, Harper & Row, 1969. 269 p., bibliogr.

29. FREIRE, P. Pédagogie des olprmés, suivi de Conscientisation et rkvolution. Paris, Maspero, 1974. 202 p., bibliogr.

30. -. L’éducation: pratique de la liberté. Paris, fiditions du Cerf, 1971. I54p., fig. 31. FREEMAN, J. Team teaching in Britain. London, Ward Lock International, 1969.

32. GOULET, R. R. (éd.). Educational change: the reality and the promise. New York,

33. GOUR~VITCH, J. P. DQ d l’éducation. Paris, Casterman, 1973. 202 p., fig., bibliogr. 34. HASSENFORDER, J. L’innovation dans l‘enseignement. Paris, Casterman, 1972. 14 p.,

35. HAVELOCK, R. G. Aguide CO innovation in education. Ann Arbor (Mich.), University

36. HEISS, A. A n inventory of academic innovation and refom. Berkeley (Calif.), The

37. HUSEN, J.; BOALT, G. Educational research and educational change: the case of Sweden.

38. HUTEAU, M.; LAUTREY, J. L‘lducation d Cuba. Paris, Maspero, 1967. 250 p., fig. 39. ILLICH, Ivan. Une sociktk sans kcole. Paris, fiditions du Seuil, 1971. 189 p.

424 p., fig., bibliogr.

Citation Press, 1968. 286 p.

bibliogr.

of Michigan, 1970. Pag. div., bibliogr.

Carnegie Commission on Higher Education, 1973. 123 p.

New York, Wiley, 1967. 233 p., fig.

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I 68 Bibliographie sommaire

LORENZETTO, Anna. The cultural dimension of adult education. Convergence (Toronto), vol. VI, no 3-4, 1973, p, 67-77. ORRING, J. L’kole en S d d e : un aperçu sur l’enseignement primaire et secondaire. Stockholm, SC)-forlaget/Skoloverstyrelsen, 1968. 166 p., fig. PIAGET, J. Oi ZJQ l’lducatwn ?. Paris, Denoël/Gonthier, 1972. 138 p. RATHBORNE, C. H. Open education: the informal clnrsroom. New York, Citation Press, 1971. 207 p., fig. ROGERS, E. M.; SHOEMAKER, F. F. Communication of innovations: a cross-culfural approach, 2e td. N e w York, The Free Press, 1971. 476 p., fig., bibliogr. SAEDELEER, H. DE. De Open Universiteit : pojecten en realisaties in vidlanden. Gent, Centrum voor vergelijkende studies vor het hoger onderwijs, 1973. 81 p., fig. [Compte rendu analytique en anglais.] SILBERMAN, C. E. Crisis in the classroom. New York, Random House, 1970.553 p. VAIZEY, J. Thepolitual economy of education. London, Duckworth, 1972.227 p., fig. YOUNG, M. Innovation and research in education. London, Routledge and Kegan Paul, 1965. 184 p.

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Index

Afghanistan, 45, 89, 93. Aide internationale Q l’éducation

Belgique, 22, 23, 36, 52, 68, 85. Brésil, 92, 96, 159. Bulgarie, 14, 25, 45, 48, 74. Bureau international d’éducation (BIE), 5, 6, 7, 12, 13, 39, 55, 60, 140, 141,

Aide bilatérale, 148; Aide multilaté- rale, 149; Coordination, 158; Erreurs de diagnostic, 155; Obstacles psycho- logiques, 152-154; Résultats, 151; 144, 145, 146. Volume de l’aide, 150.

Algérie, 19, 26, 89, gr. Allemagne, République fédérale d‘, 20-

21, 25, 32, 36, 49, 53, 62, 64, 65. 67, 68, 71. 74.

Alphabétisation des adultes Alphabétisation fonctionnelle, 87-88; aducation de base, 86-87; Perspec- tives, 91-91; Taux et répartition de l’analphabétisme, go.

Voir aussi : Formation professionnelle.

Voir aussi : Moyens modernes de com- municat ion.

Apprentissage, 46-49.

Approche multi-media, 103.

Argentine, 16, II, 36. Australie, 19. Autriche, 74.

Bangladesh, 93. Banque interaméricaine de développe- ment, 150.

Banque internationale pour la recons- truction et le développement (BIRD), appelée aussi Banque mondiale, 93, 150, 158.

Cameroun, 29. Canada, 45, 49, 63, 65 (Québec), 67, 85, 102, 103 (Québec), 128.

Centralisation, 19-2 I. Changement en éducation Besoin, 13; Problématique, 120-122; Tendance universelle, I 3.

Chili, 96. Chine, 58-59, 91, 160. Chômage, 42, 62, 69. Cité éducative, I 12, 114. Clark, Burton, 70. Colloque de l’OCDE sur l’enseignement supérieur court (Grenoble, 1971)~ 63, 70.

Colombie, 93. Commission internationale sur le déve- loppement de l’éducation (dite Com- mission Edgar Faure), 6, 12, 106-126,

Communauté économique européenne,

Conférence internationale de I’éduca-

127s 139, 1439 147, 148, 150-

150.

tion, 59 II, 139 333 39, 45, 1259 139, ‘45.

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170 Index

Conférences internationales sur l’édu- cation des adultes Elseneur (1g4g), 81, 82; Montréal (19601, 81, 82, 83, 85, 94, 97; Tokyo (1972)~ 81~83, 86, 95, 96-99, 100-106.

Congrès mondial des ministres de l’édu- cation (Téhéran, 1965), 87.

Conseil de l’Europe, 37, IOO. Coombs, Philip H., 13, 34. Coopération intellectuelle Efficacité, 161 ; Expériences passées, 144; Formes internationales, 145; Formes régionales, 16 1.

Corée, 63, 65. Côte-d’Ivoire, 35, 102, 141. Coût de l’éducation, 34-37. Cuba, 16, 22, 26, 35, 45, 91, 160.

Dahomey, 14, 16, II, 22, 26, 29, 31,

Danemark, 48, 50, 51, 52, 62. Décentralisation, 19. Decroly, Ovide, 13 I . Déperditions scolaires

36.

Facteurs d’inégalité, 22-23; Recher- ches d’une thérapeutique, 23-26; Retards scolaires, 22.

Deuxihe Conférence des ministres de l’éducation des États membres d’Eu- rope (Bucarest, 1973), 6, 60, 61, 72,

Deuxième Conférence des ministres de l’éducation et des ministres chargés de l’application de la science et de la technologie en Amérique latine (Ca- rabella, 1g71), II, 46, 63.

77-80.

Dewey, John, 13 I . Dumont, René, 4.

Écoles polyvalentes, 52. $ducation des adultes Domaine, 84-85; fivolution, 81-83; Fonctions, 86-95; Méthodes et tech- niques, 101-103; Organisation, 96-99; Personnel, I 04- I 05.

Doutes, 43 ; fivolution des idées, 156 ; fiducation et développement

Options politiques, 159-1 60; Stratégie globale, 157.

Éducation et travail, 32-33, 35, 56-59. Éducation non scolaire Résurgence de l’éducation coutumière en Afrique, 27-29; Formation agricole non scolaire, 43-44, 92-93. Voir aussi : Éducation des adultes et Formation professionnelle.

fducation permanente, 16, 79, 99-10‘. Éducation préscolaire, 24-15.

Enseignement secondaire Éwpte, 31, 36, 45, 52.

Définition, 41 ; Rapports avec la for- mation, 41 ; Rapports avec l’emploi, 42-46.

Enseignement supérieur Fonctions, 78-80; Nouveaux types d’établissement, 66-71 ; Orientation, 72-74.

Admission, 67; Débouchés, 69, 71; Recherche d’une identité, 70; Types d‘établissement, 67.

Voir aussi : Formation professionnelle.

Enseignement supérieur court

Enseignement technique, 51-52, 68.

Équateur, 89.

États-Unis, 19-20, 22, 32, 34, 35, 53, 57, 63, 65, 67, 71, 102, 128, 130, 137- 138.

Espagne, 142 23, 25.

fithiopie, 15-16, 22, 26, 89, 93. Eurich, A. C., 136. Exode des compétences (bmin-drain),

Experts en mission 152.

Difficultés psychologiques, I 53; Fonc- tions, 154; Problèmes de recrutement, 152.

Facteurs d’inégalité, 22-23. Finlande, 25, 51, 52, 64, 66. Fonds international des Nations Unies pour l’enfance (FISE/Unicef), gz, 158.

Formation B l’étranger, I 52. Formation des maîtres, 34, 35, 36, 104-

105.

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Index ‘7’

Formation professionnelle Définition, 41-42; Nature, 49-52; Organisation, 46-48.

68, 71, 73, 131-132. France, 14, 19, 22, 24, 36, 45, 5OJ 51,

Freire, Paulo, 96.

Ghana, 27, 34, 52. Grèce, 25. Guinée, 89.

Haute-Volta, 93. Hongrie, 25, 32, 66, 74.

Illich, Ivan, 114. Inadaptation des systèmes Cas des pays en voie de développe- ment, 17-29; Critères genéraux, 299; Critères relatifs aux besoins de l’éCo- nomie, 31-33, 41-43.

Inde, 23, 4.4, 89, 93, 141, 159. Indonésie, 92. Innovations en éducation Nature des innovations, 127-128; Processus, I 28- I 3 I ; Programme inter- national, 139-142; Résistances, 132- 134; Transferts, 137-139.

Institut de l‘Unesco pour l’éducation, 101, 145.

Institut international de planification de l’éducation (IIEP), 37.

Irak, 22, 26, 52. Iran, 19, 85, 89. Italie, 19, 23, 78.

Japon, 16, 45, 63, 65, 67, 99.

Kenya, 29, 32, 89, 93.

Jordanie, 22, 26, 27, 52.

Libéria, 14, 16, 22, 26. Libyenne, République arabe, 24.

Madagascar, 52, 89. Maheu, René, 143. Malaisie, 21, 22, 26, 27. Malawi, 93. Mali, 22, 26, 29, 32, 34, 89, 93.

Maritain, Jacques, I 12.

Montessori, Maria, 131. Moyens modernes de communication,

Mexique, 18, 44, 63, 93, 159.

102- 103.

Nations Unies, 123, 142, 146, 147, 150, 158.

Niger, 35, 89. Nigéria, II, 27, 29, 52, 93. Norvtge, 15, 25, 48, 67. Nouvelle-Zélande, 14, 17, 23, 24, 45. Numerus clausus, 64.

Organisation de coopération et de dke- loppement Cconomiques (OCDE), 12,

141. Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

60, 63, 69, 70, 79, 127, 128, 130, 134,

(Unesco), 5, 6, 7, 8, 9, 15, 28, 31, 39, 45, 47, 58, 60, 63, 81, 83, 86, 87, 99. 107, 108, log, III, 123, 124, 125, 126, 139, 140, 141, 142, ‘43, 1459 146, 147, 14.9, 150, 158.

Organisation internationale du travail (OIT), 39, 42, 47.

Organisation mondiale de la santé (OMS), 158.

Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 40, 43, 158.

Orientation Dans l’enseignement secondaire, 52- 56; Dans l’enseignement supérieur, 63, 72-74.

Pakistan, 16, 19. Pays-Bas, 26, 62, 64, 74. Pearson, Lester B., 156. Pérou, 32, 58, gg, 160. Personnel de l’éducation Attitudes i3 l’égard des innovations, 134-137; Cas de pénurie, 36; Cas de pléthore, 35; Problèmes de l’éduca- tion des adultes, 104-105. Voir nussi : Formation des maîtres.

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172 Index

Philippines, 22, 23, 26, 93. Piaget, Jean, 130. Planification de l’éducation Effets sur l’enseignement secondaire, 45-46; Effets sur l’enseignement supé- rieur, 61-62, 64; Résultats obtenus, 31-31.

Pologne, 25, 67. Progression automatique, 23-24.

Réformes de l’enseignement Méthodologie, 16-21 ; Origines, 14-16.

République-Unie de Tanzanie, 89, 93. Rogers, E. M., 136. Rale de la science et de la technologie,

Roumanie, 22, 26. Royaume-Uni, 15. 19, 32, 37, 48, 52, 65, 68, 7‘Y 74.

Sélection, 29, 61-62, 65. Stntgal, 24, 27, 93. Soudan, 89, 93. Sous-emploi, 42, 62, 69. Sri Lanka, 42. Stratégies de l’éducation Définition, I 17-1 18; Stratégies d‘al- ternatives, 120-122; Stratégies linéai- res, I 19-120; Stratégies nationales et stratégies internationales, I 22-1 24.

Stratégies du développement, 157-160.

115-1 17.

15, 37, 52, 64, 66, 74, 85, 136.

Suisse, 62, 85. Syrienne, République arabe, 31, 89.

Table ronde sur I’éducation rurale en Afrique (Dakar, 1g72), 28.

Tchécoslovaquie, 45, 49. Thaïlande, 21, 31. 34, 36, 93. Torsten, Husén, 136. Troisibme Conférence régionale des mi- nistres de l’éducation et des ministres chargés de la planification économi- que en Asie (Singapour, 1971). I 1, 46.

Tubman, William V. S., 14.

Université des Nations Unies, 138. Université ouverte, 65-66. Université sans murs, 138. Universités Admission, 64-66, 79; Gestion, 75; Participation des étudiants, 74-75; Régime des études, 76-77; Réparti- tion des ttudiants, 61-63; Rôle de la recherche, 78.

URSS (ou Union soviétique), 15, 25, 36, 6.39 669 859 91.

Yougoslavie, 45, 66, 67, 85.

Zaïre, 22, 31-32, 34, 36. Zambie, 89.

Venezuela, 3 1, 89.

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