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Alors que l’hospitalisation reste pour chaque adolescent un moment difficile, la musique peut constituer, dans un milieu à priori hostile, un espace de liberté, un temps de partage. Des ateliers et des rencontres avec des artistes aident les jeunes à mieux s’exprimer et à dépasser l’espace de rupture et de solitude que constitue parfois le milieu hospitalier. Depuis plusieurs années, un certain nombre d’actions sont initiées dans le secteur de la santé. Elles visent à procurer aux adolescents bien-être et meilleure communication vis-à-vis de leur entourage. Ce colloque a été l’occasion de rassembler les différents acteurs impliqués dans des projets musicaux en milieu hospitalier : médecins et chefs de services, équipes soignantes, directeurs d’hôpitaux, musiciens, responsables et médiateurs culturels. Réalisée dans le cadre du partenariat entre la Cité de la Musique et Musique & santé, cette journée a été placée sous le signe de la confrontation des expériences, éclairées par le point de vue de pédopsychiatres, soignants, artistes, écrivains et philosophes. 1 Les adolescents musique à et la l’hôpital ACTES COLLOQUE

Les lescents et la - Musique et Santé · 2011. 10. 6. · RÉMY JOUNIN animateur, Radio Trousseau, Paris. Rencontre entre des artistes, des soignants et des adolescents hospitalisés

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Alors que l’hospitalisation reste pour chaqueadolescent un moment difficile, la musique peutconstituer, dans un milieu à priori hostile, unespace de liberté, un temps de partage.Des ateliers et des rencontres avec des artistesaident les jeunes à mieux s’exprimer et à dépasserl’espace de rupture et de solitude que constitueparfois le milieu hospitalier.Depuis plusieurs années, un certain nombred’actions sont initiées dans le secteur de la santé.Elles visent à procurer aux adolescents bien-êtreet meilleure communication vis-à-vis de leurentourage. Ce colloque a été l’occasion derassembler les différents acteurs impliqués dansdes projets musicaux en milieu hospitalier :médecins et chefs de services, équipessoignantes, directeurs d’hôpitaux, musiciens,responsables et médiateurs culturels.Réalisée dans le cadre du partenariat entre la Citéde la Musique et Musique & santé, cette journée a été placée sous le signe de la confrontation desexpériences, éclairées par le point de vue depédopsychiatres, soignants, artistes, écrivains et philosophes.

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Les adolescentsmusique

àet la

l’hôpital

ACTES

COLLOQUE

Faire de la musique avec des adolescents en pédiatrieJULIEN BARRIÈRE

musicien, CHU Hautepierre, Strasbourg.

Art vocal, éducation et soins, un projet partenarialCARINE DELANOË-VIEUX

responsable culturelle de l’Hôpital du Vinatier-Lyon.

Résidences d’artistes en milieu hospitalierJEAN-JACQUES ROMATET

directeur général du CHU de Nice.

Quand l’harmonica donne du souffle aux ados hospitalisésJEAN-JACQUES MILTEAU

harmoniciste.

La culture à l’hôpitalDANIÈLE WOHLGEMUTH

DHOS, ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées.

La relation entre l’art et la santéXAVIER COLLAL

Chargé de mission pour « Culture à l’hôpital » Délégation au Développement et aux Affaires Internationales,ministère de la Culture et de la Communication.

Les modérateurs de cette journée sont Philippe Bouteloup,directeur de Musique & santé et Hélène Kœmpgen, responsable des Événements Pédagogiques,Cité de la Musique.

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Ouverture MARIE-HÉLÈNE SERRA

directrice du Département Pédagogie et Documentation musicales,Cité de la Musique.

Le peuple adolescent MICHEL FIZE

sociologue, CNRS.

L’adolescent hospitalisé : enjeux éthiques MARC GUERRIER

médecin, Espace Éthique, Paris.

Des soins culturels ?CLAUDE BURSZTEJN

psychiatre, chef du service de psychopathologie pour enfants et adolescents,CHU, Hospices Civils de Strasbourg.

Musique et adolescencePHILIPPE BOUTELOUP

musicien, directeur de Musique & santé, Paris.

Une radio ado à l’hôpital, nouvelle utopie ?RÉMY JOUNIN

animateur, Radio Trousseau, Paris.

Rencontre entre des artistes, des soignants et des adolescents hospitalisés : la musique et les adolescents au CHU Kremlin-Bicêtre, AP-HPPATRICK ALVIN

chef du service de médecine adolescente,CHU du Kremlin Bicêtre, AP-HP,CLAIRE CORNETTE cadre infirmier,MARIANNE CLARAC musicienne, Musique & santé.

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SommaireSommaire

Au nom de la Cité de la musique et de son directeur Laurent Bayle, je voussouhaite la bienvenue dans notre établissement.La Cité de la musique, en partenariat avec l’association Musique & santé,ouvre aujourd’hui le 5e colloque sur le thème de la musique à l’hôpital aveccette fois un accent sur le public adolescent.

La Cité de la musique est un établissement public qui remplit trois missions.Première mission, la diffusion musicale : chaque saison, les concerts de laCité de la musique attirent un public nombreux qui vient écouter des musi-ques de tous genres (classique, contemporain, jazz, musiques du monde…).Deuxième mission, le patrimoine : le Musée de la musique possède une richecollection d’instruments et propose chaque année de nouvelles expositionstemporaires thématiques. En ce moment même, se déroule l’expositionL’odyssée de l’espace, consacrée aux rapports entre musique et espace.Troisième mission, la pédagogie et la documentation, réunies au sein d’unmême département, que j’ai l’honneur de diriger depuis janvier 2002.

Dès sa création, la Cité de la musique s’est dotée d’un dispositif éducatifambitieux dont l’objectif est de sensibiliser le public jeune et adulte à lamusique. Plusieurs types d’activités rentrent dans ce dispositif. J’en citeraideux en raison de leur lien avec les actions menées à l’hôpital.

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OuvertureOuverture

Marie-Hélène Serradirectrice du Département Pédagogie et Documentation musicales, Cité de la Musique

Ouverture

Nous sommes ici dans la salle de concert de la Cité de la musique où,presque chaque soir, le public vient écouter des artistes renommés,d’horizons très divers. Mais parfois ce sont les artistes qui vont au devantdu public, dans un cadre différent, parfois en milieu hospitalier, rompantainsi avec la situation traditionnelle du concert. C’est ce double mouvementqui intéresse la Cité de la musique et qui s’est concrétisé dans lacollaboration avec Musique & santé par différentes actions en milieuhospitalier :

- un travail de terrain au travers de jumelages avec plusieurs hôpitaux, enrelation avec le programme Culture à l’Hôpital initié par la Délégation auDéveloppement et aux Affaires Internationales au ministère de la Culture

En 1998-1999 au Centre de Pédiatrie et de Rééducation de Bullion (78)avec Jean-Jacques Milteau, découverte de l’harmonicaEn 1999- 2000 à l’hôpital Robert Debré (Assistance Publique-Hôpitauxde Paris) avec Steve Waring, chansonsEn 2000-2001 à l’hôpital Robert Debré (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) avec la Cité de la Musique, découverte des percussionsEn 2001-2002 à l’espace Arthur Marseille, hôpital de la Timone, servicede pédopsychiatrie, avec la Cité de la Musique, découverte du gamelanEn 2002-2003 au CHU du Kremlin-Bicêtre, unité d’adolescents, avecDédé Saint Prix, travail de la voix et des percussions corporellesEn 2003-2004 au CHU Nice, service pédiatrie et adolescents, résidencede deux semaines sur le thème du Blues, avec Jean-Jacques Milteau etSteve Waring.

- des séminaires de recherche, en partenariat avec le ministère de la Cultureet le secteur de la Santé

- et l’organisation de rencontres professionnelles nationalesEn 1996, L’enfant et la musique à l’hôpitalEn 1998, L’enfant handicapé et la musiqueEn 1999, Musique à l’hôpitalEn 1999, Des artistes à l’hôpital.

Aujourd’hui il s’agira de dresser avec les partenaires impliqués un premierbilan des actions orientées vers le public adolescent et d’en préciser lesenjeux et les problématiques.

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Tout d’abord, les ateliers de pratique musicale. Grâce à un parcinstrumental de plus de cinq cents instruments, ces ateliers permettentaux jeunes de s’initier en groupe au plaisir musical et de découvrir larichesse des musiques du monde. Ils attirent chaque année environ trentemille jeunes dont la plupart viennent sur leur temps scolaire.

Puis les projets conçus et organisés par le service des Évènementspédagogiques que dirige Hélène Koempgen, co-organisatrice de ce colloqueavec Philippe Bouteloup de Musique & santé. Ils mettent en présence desartistes professionnels et divers types de publics, principalement desjeunes musiciens ou non musiciens.

Ensemble, musiciens et jeunes participants vivent une expérienceexceptionnelle, qui va généralement jusqu’à la production d’un concertpublic, parfois ici-même, dans la salle des concerts de la Cité. Ces projetséveillent chez les jeunes le désir de s’exprimer, le goût pour l’expressionindividuelle et collective, ils leur font découvrir à la fois le plaisir de lacréation artistique ainsi que son exigence. Ils peuvent représenter uninvestissement et un temps de travail considérable pour tous, artistes etparticipants. Conçus « sur mesure » – avec la collaboration des artistes eten fonction du public visé – ils nécessitent une grande capacitéd’adaptation des équipes d’encadrement.

C’est sur ce savoir-faire – l’initiation à la musique par la pratique et larencontre avec les artistes professionnels – que la Cité de la musique aapporté sa collaboration à l’association Musique & santé pour les actionsmenées à l’hôpital, dont certaines avec trois musiciens aujourd’hui parminous, Jean-Jacques Milteau, Dédé Saint Prix et Steve Waring.

Sur le même modèle que les actions menées en milieu hospitalier, la Cité de la musique développe depuis maintenant deux ans des opérationsspécifiques en milieu carcéral, qui s’appuient sur la pratique collective du gamelan.

Quelques mots sur le pôle documentaire de la Cité de la musique. Commevous avez pu le constater, la médiathèque est aujourd’hui en chantier. Elleouvrira en 2005 dans un nouvel espace aménagé par l’architecte de la Cité,Christian de Portzamparc, et permettra de créer d’autres relations avec lepublic mélomane, notamment grâce à des outils technologiques et à la miseen valeur des enregistrements des concerts de la Cité.

6

A border l’adolescence par la notion de«peuple» peut paraître audacieux,voire choquant, tant nous sommes

habitués à aborder cette question sous l’angledes distinctions sociales ou géographiques, etnon en tant qu’entité. D’un point de vuesociologique, parler de «peuple», c’est faireréférence à trois notions : une population, unterritoire, une culture.Le peuple adolescent compte de six à dixmillions d’âmes, selon le mode de calcul et lesmontages administratifs et médiatiques (quimanquent, soit dit en passant, de pertinencescientifique). Malgré leur sentimentd’appartenance à une communautéspécifique, les adolescents sont multiples. Ilssont de la ville et de la campagne, des cités etdes beaux quartiers, au point que tout paraît

les séparer irrémédiablement, définitivement.Pourtant, ils forment bien un peuple, quandbien même s’en défendent-ils souvent, ce quel’on peut aisément comprendre : affirmer uneidentité personnelle, n’est-ce pas d’abord nierune appartenance collective? Cependant, au-delà de leurs distinctions, leurs apparencesles identifient immédiatement à notre regard.Les adolescents existent dans une espèce de« trans-socialité» et d’universalité. Avechabileté, ils transcendent les clivages sociauxet géographiques, poussent les frontièresnationales : ils sont européens, voire citoyensdu monde, et se montrent souvent comme desglobe-trotters dans l’âme. Cible extrêmement mobile, la communautéadolescente n’a pas de territoire fixe. Le sol,sur lequel elle évolue, est constitué de

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Le peupleadolescent Le peupleadolescent

L’IMMENSE MAJORITÉ DES

ADOLESCENTS SONT PAISIBLES,

QUELQUES-UNS SONT

TOURMENTÉS. LES ADULTES SONT

PARFOIS DÉSARMÉS FACE À CES

ADOLESCENTS QUE L’ON DIT « EN

CRISE ». AVEC SON POINT DE VUE

DE SOCIOLOGUE, MICHEL FIZE

REVISITE LA NOTION ET LE

PROCESSUS D’ADOLESCENCE,

ÉVOQUANT ICI MOINS

L’ADOLESCENT AU SINGULIER QUE

LES ADOLESCENTS AU PLURIEL.

Le peuple adolescentMichel Fize sociologue au Centre d’ethnologie française.1

1. Ancien membre du Comité pour la consultation nationale des jeunes en 1994 et ancien conseiller technique au cabinet du ministre dela Jeunesse et des Sports, Marie-George Buffet, en 1997-1998. A publié «Le peuple adolescent», Éd. Julliard 1994 ; «Adolescents encrise», Hachette Éducation, 2000 ; « Les adolescents» Éd. du Cavalier bleu, 2002 ; «Le deuxième homme : réflexions sur la jeunesse etl’inégalité des rapports entre générations», Éd. Presse de la Renaissance, 2002 ; «Ne m’appelez plus jamais crise : parler de l’adolescentautrement», Éd. Erès, 2003.

de passage, celui de l’adolescence à lajeunesse. Si les médecins et les psychologuess’accordent sur l’importance de la puberté,selon moi, le processus adolescent est initiépar la culture évoquée précédemment. Onconstate que dès la classe de CM2 en find’école primaire, l’enfant commence à capterles signes culturels des plus grands (langage,parure, goûts spécifiques en matière musicaleet sportive). Comme le dit le proverbe : sil’habit ne fait pas le moine, il y contribue. Sidonc l’habit ne fait pas l’adolescent, il ycontribue. La parure a-t-elle un effet sur le psychisme ?Peut-on penser qu’elle contribue à forger unementalité adolescente, distincte de lamentalité enfantine? Nous le pensons. Il fautadmettre que 10 ans marque le début de la« jeune adolescence» (terme préférable àcelui de « pré-adolescence », qui, à l’instarde celui de «post-adolescence», n’a aucunsens du point de vue scientifique – les âgesse suivent sans vide entre eux. Il paraît eneffet difficile d’être dans l’entre-deux). 10 ans, c’est donc être jeune adolescent. Agequi mord sur les années collèges, àproprement parler les années adolescentes.Car au lycée, une autre aventure commence,celle de la jeunesse. Quant à la notion de «crise d’adolescence»,ne relève-t-elle pas du cliché? N’est ce pasune vue de l’esprit que de penser qu’il y auraitun moment nécessaire, incontournable,inévitable, un quelque chose biologiquementprogrammé, qui générerait le mal-être ? Non,tout ceci n’a aucune réalité historique ouanthropologique. Certaines sociétésprogressent en faisant l’économie de cetteprétendue crise de l’adolescent. Si l’on nepeut nier des tensions à cet âge, l’origine estmoins à chercher du côté somatique oupsychique que du côté de situations familialesou sociales favorisant les tensions.

Qu’est-ce qui fait que les années collègessoient différentes des années lycées?

Les âges sont une construction sociale. Maisquelle est la pertinence scientifique d’unenomination par catégorie d’âge? Voyez :Quand on a 17 ans, a-t-on le sentiment d’êtreun enfant au sens de la Conventioninternationale des Droits de l’enfant ? À 15 ans et 3 mois, se vit-on comme un adulteau sens médical du terme ? Je ne crois pas. Il faut passer de la nomination sociale à lacaractérisation substantielle, en soulignant àla fois les critères biologiques et psychiques(qui induisent des maturations diverses), lescritères culturels et la perception de soi. Lorsqu’on pose la question à un lycéen desavoir s’il se sent adolescent ou jeune, ilrépond dans la majorité des cas : « jeune».Pourquoi ? Les enfants de l’école primaire ontune aspiration très grande à deveniradolescents. Ils idéalisent cet âge et rêvent deliberté. En revanche, à la fin des années decollège, l’adolescent qui a très bien intégré lesimages médiatiques qu’on donne de lui (êtresauvageon et immature, adepte des Lofts etautres Star’ac), tient à mettre à distance cetteadolescence devenue désormais indésirable.Se reconnaître adolescent à 16 ou 17 ans, ceserait admettre que l’on épouse cet âgestigmatisé, alors que l’on est déjà,mentalement, dans l’âge supérieur. n

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morceaux d’espaces publics, épars, conquissur la ville, détournés de leurs fonctionspremières, administratives et commerciales.Le temps d’une activité ludique ou depratiques sportives, skate ou rollers aux pieds,les adolescents transforment et s’approprientdes territoires qui ne leur appartiennent pas(on pourrait parler ici de « territoiresoccupés»), et en font, pour un temps, le socle,certes pacifique, de leurs pratiques. Ceterritoire adolescent est longiligne, constituéautant d’itinéraires que de morceaux fixes oùl’on va s’y reconnaître à des heures parfois àpeine programmées, mais assurés d’yretrouver les autres. Bien évidemment, ces«occupants sans titre» peuvent être chassésde ces territoires par la police qui peut mêmeles verbaliser. Avec la culture, troisième composante de lanotion de «peuple», l’analyse se complique.Parmi les quelques trois cents définitions duterme «culture», quelle est celle quicorrespond le mieux à la réalité de lacommunauté des adolescents? Par cultureadolescente, il faut entendre, semble-t-il, unensemble d’habitudes de vies, d’usages, dereprésentations, d’émotions, de compétencespropres à cette communauté. La «cultureadolescente» n’est pas seulement loisirs. Sil’on voulait donner un synonyme convenable àcette expression, il faudrait parler de «modede vie», mode de vie distinct de celui desautres communautés d’âge, et bienévidemment, de celui de la communautéadulte. La culture adolescente, quoi qu’on en dise, estaujourd’hui universelle. Elle s’exprime enOccident, mais aussi en Orient, au Nord, auSud. Elle dépasse les frontièresgéographiques, les distinctions sociales«anesthésiées» en quelque sorte. Bienévidemment, les distinctions ne sont pasoubliées. L’adolescent sait bien qu’il vient descités ou des beaux quartiers, mais

l’adolescence le lui fait oublier en partie.Voyez, le rap, cette musique surgie des cités ily a une vingtaine d’années, qui s’installedans les soirées de la « jeunesse dorée»!Cette culture adolescente, globale, secompose de trois éléments. Le premier estlangagier. Un adolescent ne parle pas tout àfait comme un adulte. Il manie sa langue defaçon extraordinaire et en fait un trait d’uniongénérationnel. Le deuxième élément relève dela présentation de soi. Etre adolescent, c’ests’habiller d’une certaine manière, avoir uneapparence particulière. Le tatouage, lepiercing sont aujourd’hui d’autres manièresde donner de l’identité à son corps. Il convientmieux de parler ici de parure. La présentationde soi conduit à une mise en scène, destinée àcapter le regard de l’autre. Le troisièmeélément est ludique. La musique réapparaîtici dans toute sa force culturelle. Elle est,avec le sport, le noyau dur de cette culture. Àde rares exceptions près, il n’y a pasd’adolescents sans musique.Cette culture adolescente est rayonnante. Ellese moque des jours ordinaires et des jours defête. Qui n’a pas connu des nuits difficiles parquelque répétition musicale dans quelquechambre ou local domestique? Cette culturen’a pas de temps particulier qui s’interdiraittous les autres. Elle est de chaque instant.Sans espace de prédilection, elle va où elleveut, avec qui elle veut et autant qu’elle veut.C’est une culture de liberté. Autant dire que lepeuple adolescent est un groupe social qui seveut libre, qui dérange, qui agace et exaspèreceux qui appartiennent à une autrecommunauté ; celle des adultes en particulier.

Un mot tout de même sur l’adolescentsingulier. Passé l’âge de 15 ans et 3 mois, legarçon ou la fille n’est plus adolescent et nerelève plus sur le plan médical de la pédiatrie.Cet âge marque effectivement une rupture,non pas au sens de cataclysme, mais au sens

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L’adolescent hospitalisé : enjeux éthiques L’adolescent hospitalisé :enjeux éthiques

L es contours de l’adolescence sontdifficiles à cerner. Dans son articlepremier, la Convention internationale

des Droits de l’enfant 2, déclare : «Un enfants’entend de tout être humain âgé de moins de18 ans, sauf si la majorité est atteinte plustôt en vertu de la législation applicable»(art.1). Rien n’y distingue spécifiquementl’adolescent du jeune enfant. Pourtant, il estimpossible de considérer l’enfance comme ungroupe homogène pour des raisons évidentes.En France, la majorité juridique s’acquiert à18 ans. En dessous de ce seuil, le mineur estqualifié d’« incapable» quel que soit son âge.Cette incapacité légale correspond autant quefaire se peut aux capacités, c’est-à-dire à lapuissance de penser et de faire, de l’êtrehumain pendant sa croissance. Les juristesdéfinissent d’ailleurs plusieurs âges demajorité : pour contracter, pour se marier, pourreconnaître des enfants, pour être responsablepénalement, etc. Les médecins regardent lapériode de croissance depuis la naissance

comme relevant de spécificités qui légitimentla reconnaissance de champs particuliers dela médecine, baptisée au sens large « lapédiatrie». Ce regard sur les particularités dela manière dont se présentent les questionsde santé chez l’enfant d’un point de vuetechnique laissent parfois l’adolescent dansune sorte «d’entre-deux » qui a du restemotivé la création d’unités de soinsaccueillant uniquement les adolescents.La convention internationale poursuit : «Danstoutes les décisions qui concernent lesenfants, qu’elles soient le fait des institutionspubliques ou privées de protections sociales,des tribunaux, des autorités administrativesou des organes législatifs, l’intérêt supérieurde l’enfant doit être une considérationprimordiale». (Art. 3). Évoquer l’intérêtsupérieur de l’enfant n’est-il pas uneévidence? Cette préoccupation met pourtantle doigt sur une interrogation fondamentale àlaquelle les parents et les professionnels du

soin peuvent être confrontés dans le contextehospitalier : «en quoi consiste l’intérêtsupérieur de l’enfant ?» Certains droits desenfants stipulés par la Convention relèvent del’autonomie et de la liberté de l’enfant às’exprimer socialement. D’autres tendent à leprotéger, notamment dans le domaine del’éducation et de la santé. Ces deux types dedroits peuvent parfois se trouver encontradiction ou en conflit. Les interlocuteurscherchent une position d’équilibre entreliberté et protection qu’ils doivent enconscience arbitrer en tenant compte de« l’intérêt supérieur de l’enfant». Or quiconnaît cet intérêt ? Les parents en sont-ilsspécifiquement dépositaires? Les soignantspeuvent-ils participer à sa détermination?Jusqu’où? Dans quelle mesure l’adolescentpeut-il participer à la détermination de sonpropre intérêt supérieur ? Quelles modalités dedécision faut-il envisager ? Comment prendreen compte de la meilleure manière le respect

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L’ESPACE ÉTHIQUE DE

L’ASSISTANCE PUBLIQUE DES

HÔPITAUX DE PARIS EST UN LIEU

DE FORMATION, DE RECHERCHE

ET DE RÉFLEXION CONSACRÉ À

L'ÉTHIQUE HOSPITALIÈRE ET DU

SOIN DANS UN SOUCI DE

RIGUEUR, DE PLURALITÉ ET

D'OUVERTURE SUR LA CITÉ.

PLUSIEURS DES TRAVAUX QUI S'Y

DÉROULENT CONCERNENT LE

DOMAINE DE LA PÉDIATRIE, DONT

RELÈVENT LES ADOLESCENTS

HOSPITALISÉS.

L’adolescent hospitalisé : enjeux éthiques

Marc Guerrier médecin, Espace éthique / AP-HP. 1

1. Au sein de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris, l’Espace éthique est un lieu d’échange, de mise en commun d’expériences etd’expertises, fréquenté par des professionnels du soins, ceux qui sont concernés par les soins, les représentants du monde associatif et dela cité. Il assure également des formations universitaires (DESS, DEA). Ce n’est pas un comité d’éthique médicale ou de bioéthique.2. signée par l’ONU le 20 novembre 1989.

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de l’adolescent malade comme personne et laprise en compte de son intérêt supérieur ?Avec quels autres types d’intérêts celui del’enfant est-il susceptible d’entrer en conflit ?Récemment, un garçon de 12 ans, traité pourune infection par le VIH depuis sa naissance,s’insurgeait : «Ma vie est pourrie, disait-il.J’en ai marre des allers et retours à l’hôpital.Mon corps est déformé par les corticoïdes. Jerefuse de prendre plus longtemps ma tri-thérapie». Que fallait-il faire devant ledésarroi de l’adolescent, dès lors qu’il nesouffrait d’aucune pathologie psychiatrique?Quelles sont nos capacités à assumer unvéritable dialogue dans ce type decirconstances?

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits desmalades et à la qualité du système de santérenforce la prise en considération de l’avis desmineurs, donc de l’adolescent, dans les soinsqui le concernent : «Les mineurs ont le droitde recevoir eux mêmes une information et departiciper à la prise de décision lesconcernant, d’une manière adaptée à leurdegré de maturité». Cette disposition poseplusieurs questions : Comment les serviceshospitaliers mettent-ils l’adolescent encapacité ou pas de prendre la parole pourparticiper à la décision? Qui évalue son degréde maturité ? Sur ce dernier point, le texten’indique aucune caractéristique de cettematurité. Avec cette loi, l’adolescent a la possibilitéd’opposer le secret médical à ses parents,puisqu’il peut refuser qu’ils soient informésde son état de santé. Dans ce cas, il luirevient de désigner lui-même une personneadulte de son choix pour l’accompagner dansses soins. Cette disposition à elle seuleconstitue une petite révolution qui renvoie à lapossibilité de la création artificielle d’unesorte de parentalité spécifiquement médicale.La situation où des adolescent souhaiteront

que leurs parents ne soient pas informés deleur état de santé ne se présente pas souvent.En revanche, il est légitime qu’un adolescentne soit pas indifférent à la part qu’il prendaux décisions de santé le concernant. Si unenfant n’est pas encore complètement dotédes capacités d’expériences d’un adulte,l’adolescent, situé «entre les deux mondes»,a besoin d’être consulté d’une manièreparticulière. Hospitalisé, il veut prendre partaux décisions qui le concernent : cela nesignifie pas du tout qu’il se sente toujourscapable et qu’il veuille prendre toutes lesdécisions lui-même, mais il a en même tempsbesoin de la relation de ceux qui peuventl’aider. Participer à une décision signifie d’unepart de ne pas être abandonné à la solitudeface à des décisions directement liées à unétat de santé qui rend plus vulnérable et peutêtre en lui-même un facteur d’isolement. Ils’agit d’autre part d’être reconnu digned’information, digne d’être un interlocuteur àpart entière. Au niveau des soins, il s’agit depouvoir comprendre les actes médicaux ettechniques qu’il reçoit dans l’hôpital, doncd’explications honnêtes.La douleur est un enjeu éthique souventévoqué par les adolescents. La qualité dutraitement de la douleur est un élémentfondamental. Tout commence par sa prise enconsidération, c’est-à-dire par une qualitéd’attention portée à ce qu’exprimel’adolescent. L’enjeu est de porter un crédit autémoignage de la souffrance physique à unmoment donné. L’adolescent n’échappe àcette attention, même si des difficultés decommunication spécifique à l’âge del’adolescence nécessitent des adaptations,une habitude ou une formation particulière.

Musique chez les adolescents hospitalisésL’introduction d’activités musicales dans lecontexte hospitalier permet d’envisagerplusieurs types de situations, notamment :

Le musicien joue de son instrument pendantque le soignant pratique un acte médical(prise de sang, …) auprès de l’adolescentmalade. Cette situation amène parfois quelquesrésistances dues aux changements del’habitude de «soigner seul» lorsque cetteprésence se propose. Certes, le musicien n’apas d’utilité technique. Mais sa présence detiers justement sans rôle technique peutprendre la signification d’un rappel que lesoin n’est pas réductible à sa dimensiontechnique. Les deux interventions serejoignent symboliquement dans le souci del’autre. Si elle est bien comprise par lesoignant, il est même possible que cetteprésence musicale aide à exprimer ce que legeste technique seul est incapable d’exprimerpar lui-même (car la technique ne contientpas de discours sur sa propre signification) :« je te soigne car ton existence estestimable». Bien sûr, la musique ne remplace pas la parole adressée àl’adolescent soigné, parole qui atteste etconfirme le sens du soin, mais elle peutl’accompagner et se situer dans le mêmeespace de signification. Par ailleurs, le monde professionnel dumusicien est celui de l’espace public engénéral, et non celui de l’intérieur de l’hôpitalen particulier. Dès lors, seule une certaineporosité des murs de l’hôpital permet saprésence. Tout en respectant les règles dedéontologie propres au secret et à laconfidentialité, le musicien est en mesure detémoigner à l’extérieur de ce qui se passe àl’intérieur de l’hôpital. Même sans le raconter,il est dépositaire et narrateur potentiel de laréalité d’un soin dans un monde auquelchacun dans la société préfère souvent ne paspenser. D’une certaine manière, accueillir desmusiciens au sein des murs de l’hôpital, c’estorganiser et construire une sorte detransparence de nature à renforcer le

sentiment de confiance que chaque citoyenpeut porter aux professionnels du soin.

Le musicien intervient auprès des adolescentshospitalisés (ou des enfants) en dehors despériodes de soin.Cette reconnaissance d’une capacité departage par la musique éloigne les sentimentsde marginalisation et d’exclusion sifréquemment induits par l’hospitalisation etla maladie. Elle est un indicateur que lasociété tourne son regard vers les plusvulnérables en les reconnaissant toujours.

L’adolescent joue lui-même de la musiqueavec d’autres personnes.Les altérations du corps provoquées par lamaladie peuvent considérablement diminuerles capacités d’agir physique et l’espace deliberté. En fait, proposer la musique àl’adolescent de manière adaptée – il faut icirendre hommage aux innovations et àl’inventivité de musiciens et de professionnelsdu soin – le mobilise dans ses capacitésphysiques et peut permettre de restituer unespace de relations avec les autres, de plaisiret de liberté. n

Des soins culturels ?Des soins culturels ?

S’occuper de ces adolescents ensouffrance psychique, tenter de lesaider, exige un peu plus que des

connaissances et du savoir faire : une bonnedose de créativité est un ingrédientnécessaire. En effet, un des aspects centrauxdes difficultés de cet âge est la problématiquedes relations avec les adultes ; de sorte queces jeunes éprouvent, à priori, une grandeméfiance à l’égard de ceux-là même quivoudraient, et peut-être pourraient, leur veniren aide. Comment, en effet, ne verraient-ilspas dans le thérapeute, l’éducateur ou letravailleur social qui leur tend la main, unreprésentant de ce monde adulte auquel ilss’imaginent ne jamais pouvoir accéder etdans lequel ils voient – à tort ou à raison – la source de leurs échecs répétés et de leurssouffrances? Que peut bien leur proposer cepersonnage inconnu : parler ? C’est souvent ceque lui ont dit les enseignants ou les parentsqui, ayant décelé son malaise, ont cherché àle préparer à cette rencontre, à l’aide des

représentations courantes des pratiques psy.Mais parler : comment, et de quoi ? Une des caractéristiques de l’adolescence,surtout dans les premières années – « lesannées collèges» – est justement que l’accèsà la parole y est difficile. En-deçà de la parole,la représentation en pensée de ce qui fait malou de ce qui fait peur, tend à être évitée. C’estbien pourquoi les troubles psychiques, le mal-être s’expriment plus volontiers à travers lecorps ou le comportement. Agir plutôt quepenser… Fuir plutôt que parler. C’est biensouvent dans cette position défensive que setrouve initialement le jeune patient que nousrencontrons, qu’il soit venu de sa propreinitiative ou, plus encore, s’il est amené plusou moins contraint. Un certain nombred’adolescents viennent dans les servicesparce qu’ils sont rejetés par les institutions oumême par leurs familles. C’est pourquoi dans ce travail avec lesadolescents, l’utilisation de médiations nousest si nécessaire. C’est en effet, souvent

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LE SERVICE PSYCHIATRIE POUR ADOLESCENTS DU CHU DE

STRASBOURG ACCUEILLE SELON DIFFÉRENTES MODALITÉS

(HOSPITALISATION À TEMPS PLEIN, HOSPITALISATION DE JOUR,

SÉANCES DE PETITS GROUPES), DES JEUNES PRÉSENTANT

DES TROUBLES RELATIVEMENT SÉVÈRES. CERTAINS D’ENTRE

EUX SONT AUX PRISES AVEC DE GRAVES DIFFICULTÉS

INTERNES DANS LE PROCESSUS PSYCHOLOGIQUE DE

CHANGEMENT QUI CARACTÉRISE L’ADOLESCENCE ; D’AUTRES

SONT DÉJÀ, MALGRÉ LEUR JEUNE ÂGE, MEURTRIS PAR LES

CAHOTS D’UNE VIE MARQUÉE PAR LES RUPTURES, LES

ÉCHECS OU LES PREMIÈRES ATTEINTES D’UNE MALADIE

PSYCHIATRIQUE GRAVE. ILS ONT EN MOYENNE ENTRE 12 ET

18 ANS. DIVERS TYPES D’ACTIVITÉS, NOTAMMENT MUSICALES,

LEURS SONT PROPOSÉS.

Des soins culturels?

Claude Bursztejnpsychiatre, chef du service de psychopathologie pour enfants et adolescentsArmelle Mordrel infirmière puéricultriceMartine Romian éducatrice spécialiséeCentre Hospitalier Universitaire de Strasbourg.

parler sous d’autres formes, y compris dans lecadre de thérapies plus classiques. C’est plusle travail autour des paroles qui a étéprivilégié par la psychologue qui animait cetatelier. Prima la parole donc – mais peut-onvraiment dissocier les paroles de la musiquequi les porte ?

Quant à l’atelier hebdomadaire d’écoutemusicale pour les patients hospitalisés àtemps plein, l’activité repose sur un principed’échange : chacun fait écouter aux autres lamusique qu’il aime. Les animatrices 1 elles-mêmes passionnées de musique n’hésitentpas à proposer leurs propres choix musicaux,plutôt classiques tout en laissant aussi auxadolescents la possibilité de faire entendre lesmusiques qu’ils aiment. Et cela fonctionned’une manière étonnante. La rencontred’univers musicaux qui leurs sont pourtantinconnus, est acceptée, y compris par lesjeunes à priori opposés, voire en révolte, vis-à-vis de tout ce que peuvent proposer lesadultes. Chacun a, ici, son espace de libertéoù il peut s’exprimer librement. Les morceauxchoisis par les uns et les autres sont écoutésavec attention. Il y a, durant ces moments,une réelle ouverture à l’autre et plus detolérance que dans les rapports habituels. Cetatelier est l’occasion d’un riche moment departage, d’échange intersubjectif, dereconnaissance et de respect de l’altérité, dedécouverte de soi par la créativité etl’improvisation. Par le chant, les jeunesmettent en jeu aussi le rapport à leur corps, siproblématique chez beaucoup d’entre eux. Aumilieu de toutes les thérapies, ce moment deplaisir, où l’on ose s’exprimer, n’est pas quel-que chose «en plus», mais quelque chosed’autre et de différent, qui leur fait du bien.Pourquoi proposer de la musique auxadolescents, puisqu’ils ont la leur ? Le senspremier de ce travail se situe autour de

quelques mots clés, échange, partage,respect, car les adolescents peuvent veniravec leur musique. Mais si on fait de lamusique aussi avec eux, c’est aussi parcequ’on aime cela. Les effets de rencontres dansles pratiques thérapeutiques sontenrichissants. Il est important que cesadolescents en difficulté rencontrent desadultes qui osent parler de leur passion, deleurs intérêts. Certes, la neutralité est tout àfait indispensable dans un certain cadre,mais elle ne consiste pas à être inodore etsans saveur. Elle consiste avant tout à ne pasimposer ses choix à l’autre. C’est bien lanotion de respect qui est en exergue de cetravail comme a pu l’être la rencontrehumaine intense vécue par le service, –l’équipe soignante comme les adolescentshospitalisés – lors de la toute récenterésidence du chanteur-auteur-compositeur,Steve Waring, organisé et co-animé parPhilippe Bouteloup de Musique & santé.

La place des activités musicales n’est passeulement récréative, même si celles-cicontribuent à lutter contre la tendanceinévitable à la routine, à l’uniformité et à lapassivité de la situation d’être hospitalisé.Elles réintroduisent la vie. En évoquant lesactivités artistiques et culturelles, MarcelRufo utilisait l’expression « soins culturels».Elles sont aussi une occasion pour cesadolescents, qui croient souvent que plus rienpour eux ne sera possible, de partagerl’expérience de personnes qui viventpleinement une passion, professionnelle ounon. Et en-deçà des mots, ces effets derencontres intersubjectives ont sans douteautant d’importance que les techniquesspécifiques des différents intervenants. À leurfaçon, ces activités réintroduisent de la vie et du plaisir. n

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autour d’activités récréatives ou sportives,réalisées en petits groupes, qu’une relation vapouvoir débuter. Ce cadre permet àl’adolescent de s’approprier un espace, unlieu de parole et d’expression qui plus tardpourra devenir lieu d’élaboration. Il permetaussi aux soignants de trouver la bonnedistance relationnelle, ni trop loin ni trop près,car une trop grande proximité suscitel’angoisse d’être envahi, pénétré, dominé parautrui, et cette angoisse génère la fuite, lerepli ou le passage à l’acte. Ces activités sontaussi des occasions d’éprouver ou deretrouver du plaisir, de revaloriser une estimede soi mise à mal, par l’échec scolaire(corollaire fréquent de ces situations desouffrance psychique) et par l’image négativeque leur renvoient parents et enseignants.La créativité des soignants consiste donc àimaginer et à rendre possibles de telles acti-vités, dans des lieux – les institutions de soins– qui ne sont pas du tout prévus pour cela.

Des activités culturelles à l’hôpital Ainsi, dans le service, différentes activitésfont partie intégrante de la prise en chargethérapeutique : en fonction de leur goût, deleur intérêt, mais aussi des incitations del’équipe, des adolescents peuvent participer àun groupe d’escalade, une activité théâtrale,à un atelier cirque, à des ateliers d’artsplastiques, un atelier de photo numérique, etbien entendu à des activités musicales.Beaucoup de ces activités reposent sur lesbricolages ingénieux des membres de l’équipepassés maître dans l’art de la récupération etdes bouts de ficelle, le soutien financierd’associations et de subventions(malheureusement précaires). Mais rien neserait possible sans l’investissement etl’énergie des soignants qui animent cesateliers – avec l’aide, chaque fois quepossible, de professionnels de ces activités.

Les activités musicalesDepuis quelques années, la musique a prisune place privilégiée au sein de ces activitésculturelles, d’abord parce qu’elle faitnaturellement partie de la vie quotidienne desadolescents, mais surtout par son statutparticulier dans la vie psychique. La sensibilité musicale est sans doute unedes premières à s’éveiller chez le nouveau né,et probablement dès la vie intra-utérine.La musique contribue ainsi à constituer ceque Didier Anzieu a appelé « les premièresenveloppes psychiques». Par la suite, lamusique accompagne, jalonne les momentsessentiels de nos vies, véhicule des émotions,des souvenirs, des pensées. Elle a la propriétéde créer des ponts entre des registresdifférents du fonctionnement psychiquedepuis l’éprouvé affectif inconscient jusqu’àla pensée consciente.

Dans le service de psychopathologie pouradolescents, divers types d’activitésmusicales ont pu être proposés aux jeunes. Un partenariat avec le Conservatoire Nationalde Région de Strasbourg a permis de monterun atelier de chant choral qui, grâce au talentet au dynamisme de son animatrice, a eu deseffets remarquables. Après quelques mois,des jeunes adolescents présentant destroubles relativement sévères que la simpleprise de parole mettait en difficulté sontparvenus à chanter en groupe ou en solo, etmême devant un public de parents. Le plaisirqu’ils y ont pris, la valorisation que cetteactivité leur a apportée, ont été, à n’en pasdouter, des facteurs importants de leurévolution.D’autres adolescents ont pris part à un ateliercentré sur des chansons qui rencontrabeaucoup de succès. A travers les choix decertaines chansons, certains ont pu exprimerdes aspects très personnels, intimes de leurproblématique dont ils avaient bien du mal à

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1. Armelle Mordrel et Martine Romian

L e titre de cet article appelle immédia-mtement un commentaire : il contientdeux erreurs majeures. Ne devrait-on

pas écrire le mot musique au pluriel tant lesstyles et les genres musicaux sont multiples,tant leurs significations, leurs utilisationssont variées et différentes, surtout au momentde l’adolescence. Si l’âge, le sexe, le milieusocio-économique, l’origine géographique,l’histoire et la parcours de l’adolescent lerendent singulier, il est pourtant préférable demettre aussi un «s» à adolescence tant ellespeuvent en apparence se ressembler et sontpourtant paradoxalement différentes.

Musiques et adolescencesPeut-on aujourd’hui imaginer l’adolescencesans musique? Peut-on imaginer lesadolescents sans leurs musiques? Lamusique est-elle une drogue ou bien une

nouvelle religion? Dans tous les cas, lamusique, les musiques sont des signesd’identification et d’appartenance.Si chez les 6/8 ans les principaux centresd’intérêts sont la nature et les animaux, lamusique est le sujet qui intéresse le plus les15/17 ans. C’est la classe d’âge où l’écoutemusicale tient une place décisive.En 1997, parmi les 15/19 ans : 91 %possédaient un lecteur de disques compacts(contre 67 % pour l’ensemble de lapopulation), 91 % une chaîne hi-fi (contre 74%), 84 % un baladeur (contre 45 %) et 1 %(contre 14 %) ne possédait aucun de cesappareils.Autres chiffres : 56 % écoutaient tous lesjours ou presque des disques ou des cassettes(contre 27 % pour l’ensemble de lapopulation) et 90 % de leur écouteradiophonique est consacrée à la musique. 1

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Musiqueet adolescenceMusiqueet adolescence

Musique et adolescencePhilippe Bouteloup musicien, directeur de Musique & santé, Paris.EST-CE QUE C’EST MAL, D’AVOIR ENVIE

D’ÊTRE CHEZ SOI AUPRÈS DE SA

COLLECTION DE DISQUES ? ATTENTION,

COLLECTIONNER LES DISQUES, CE N’EST

PAS COMME COLLECTIONNER LES

TIMBRES, LES DESSOUS DE BIÈRE OU LES

DÉS ANCIENS. IL Y A TOUT UN MONDE, LÀ-

DEDANS, PLUS DOUX, PLUS SALE, PLUS

VIOLENT, PLUS PAISIBLE, PLUS COLORÉ,

PLUS SEXY, PLUS CRUEL, PLUS AIMANT QUE

LE MONDE OÙ JE VIS ; IL Y A DE L’HISTOIRE,

DE LA GÉOGRAPHIE, DE LA POÉSIE ET MILLE

AUTRES CHOSES QUE J’AURAIS DÛ

APPRENDRE À L’ÉCOLE – MÊME

DE LA MUSIQUE.

Nick Hornby, Haute fidélité, Feux croisés /Plon, 10 /18, 1997, p.71.

1. Éléments tirés de : Olivier Donnat, Les Pratiques culturelles desFrançais. Enquête 1997, La Documentation française, 1998.

l’informatique sont entrées dans leursociabilité au même titre que celles sur latélévision ou la musique. Internet a définitivement changé notre rapportà la musique. Il est maintenant possibled’avoir accès à plusieurs milliers de titresmusicaux – le fameux MP3 – sans avoir àpayer de frais et sans se déplacer. Lamultiplication des sites, où l’on peuttélécharger illégalement des fichiersmusicaux, est d’ailleurs au centre d’un granddébat sur les droits d’auteurs et sur la crisequi touche le disque en général.

Ambiguïté sur les textesDans son étude La culture musicale desadolescents francophones du Québec, réaliséeen 1998, James S. Leming constate :«L’anglais est la langue d’écoute qui dominechez les jeunes de 15 à 24 ans,particulièrement chez les adolescents quicherchent à s’identifier à un style musical quireflète leurs idées et leurs goûts et non ceuxde leurs parents, plus grands consommateursde musique francophone. Le genre de musiqueplus rythmé de la musique anglophone ainsique l’offre proportionnellement plus grandesur le marché expliqueraient davantage lespréférences des jeunes.»Les textes des chansons sont donc rarementcompris et souvent mal interprétés. Certainsjeunes se fient aux images des vidéoclips pourdonner un sens aux paroles. Mais les imagesne correspondant pas nécessairement auxtextes, cela peut produire certainesconfusions. Après avoir présenté troischansons anglaises à des jeunesfrancophones de 11 à 15 ans, Leming aconstaté que les adolescents n’avaienteffectivement pas bien compris les textes. Parexemple la chanson I Want a New Drug, deHuey Lewis and the News, évoque la recherchedésespérée d’une nouvelle drogue qui

remplacerait les sentiments amoureux. 26 %des jeunes ont dit que cette chansonencourageait la consommation des droguesalors que 45 % croyaient qu’on leur racontaitune histoire d’amour et 29 % n’étaient pascertains sur la façon d’interpréter cettechanson.

Faire de la musiqueAujourd’hui la «génération rock» comme onl’appelle est arrivée à l’âge adulte.Les pratiques culturelles adolescentestrouvent rapidement leurs formes«classiques» et «cultivées» à mesure queleurs aficionados adolescents les emportentavec eux dans l’âge adulte.Les jeunes abordent aussi la musique par un« faire» instrumental immédiat, basé sur desimprovisations exploratoires menées sous uneforme très libre et spontanée : « le boeuf».Cette phase correspond à une sorte de« tâtonnement expérimental» initial à partirduquel des données formelles sontprogressivement abstraites par inductions –«on part de n’importe quoi... petit à petit onorganise... on commence par la pratique, et lathéorie vient après».

Comme l’affirme Gilles Boudinet, «D’un autrecôté, et notamment avec le “style”, on aurareconnu dans cet espace musical que se“donnent” les jeunes, entre la spontanéitécréatrice et l’organisation, entre lessymbolisations personnelles et les codesexternes, le paradigme de l’espacetransitionnel que décrit D.W. Winnicott àpropos du petit enfant. Cet espace est celui del’expérience culturelle, c’est-à-dire unedimension où le sujet se relie au monde et sedécentre vers son environnement par le jeu,par l’imaginaire et la simulation mimétiquedans le pragmatisme des “essais et deserreurs”. Sur ce point, la pratique rock

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Il s’agit pour l’essentiel de genres musicaux,appelés au début des années 1970 «popmusic» et « rock» avant d’être désignés sousle nom de «musiques actuelles» ou«musiques amplifiées». Les CD et cassettes audio viennent en tête desobjets qu’ils s’échangent. Enfin, ils sont 94 %à déclarer discuter de musique avec leursamis (contre 37 % chez les 6-8 ans).

L’écoute télé et l’écoute de musique sont despratiques intenses et cette disposition de lajeunesse à s’emparer avant les autresgénérations des produits de l’industrie desloisirs est sensible dans le domaine del’écoute musicale. Elle diminue régulièrementavec l’âge. Toujours selon Olivier Donnat, «cephénomène n’est que secondairement un effetde l’avancée en âge. Il est avant toutgénérationnel : d’une part, la générationnouvellement arrivée – celle des Français nésentre 1974 et 1982 – compte dans ses rangsplus d’habitués de l’écoute musicale que sadevancière au même âge et, d’autre part, lesgénérations nées dans les années cinquanteet soixante qui avaient été à l’origine du“boom musical” n’ont pas perdu l’habituded’écouter de la musique. Tout juste note-t-on,parmi ces dernières, un léger décrochage pourla génération née entre 1965 et 1973, ce quicorrespond à son passage à l’âge adulte. […]Le “boom musical” qui a souvent été présentécomme un phénomène propre à la “culturejeune” apparaît, par conséquent, bel et biencomme un phénomène durable appelé à sediffuser à l’ensemble de la société française àmesure que les générations nées avant laguerre, qui sont peu équipées [en matériel hi-fi, etc.] et ont peu modifié leurs habitudesd’écoute, vont disparaître». 2

Ainsi, les liens entre musique et adolescencesont très forts si l’on considère la fréquence

d’écoute de musique : «La musique esttoujours le domaine artistique à travers lequels’exprime de manière privilégiée l’identité“jeune”, même si de nouvelles formesmusicales – la techno, la dance, le rap… –ont désormais pris le pas sur le rock». 3

L’écoute fréquente de musique fédère lesadolescents. Cela ne veut pas dire pourautant que toutes les adolescences seressemblent car il existe au sein desadolescents eux-mêmes de profondesdifférences culturelles, masquées un tempspar les similitudes de conditions de vieimposées par l’école.

La première génération multimédiaLa génération des moins de 20 ans en 2002est la première en France à avoir connu dèsl’enfance un paysage médiatiqueextrêmement diversifié. Pour les plus âgésd’entre eux, leur naissance dans les années1980 a coïncidé avec tous les grandsbouleversements de l’audiovisuel (créationdes radios libres sur la bande FM,multiplication de l’offre télévisuelle,développement de la télévision parsatellite…). Ils ont grandi avec la montée enpuissance du marché des jeux vidéo surconsoles puis celle de l’informatiquedomestique grand public. Ils viventaujourd’hui les transformations de latéléphonie. Tous ces médias font partieintégrante de leur univers quotidien et, poureux, semble-t-il, la distinction entre«anciens» et «nouveaux» médias n’a guèrede sens : c’est là une distinction d’adultes quiassocient les ruptures technologiques à denouveaux apprentissages techniques et à denouveaux usages sociaux. Les enfants etadolescents d’aujourd’hui apprennent aussivite à se servir d’un ordinateur que d’unetélécommande de télévision, et lesdiscussions sur les jeux vidéo et

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2. Op. cit., p. 65. 3. Ibid., p. 119.

Je veux sortirSortir viteLaissez- moi sortirVite !

L’équipe soignante découvrira des réactionsétonnantes chez certains enfants, descompétences insoupçonnées. Dans le cadre dece projet, il est vrai que l’intervenant«n’attend rien» ou plutôt n’attend riend’autre que de transmettre et partager sapassion, son métier.Cette position fait sûrement que l’adolescentse sent écouté «autrement». Il trouve saplace dans le jeu et peut se faire entendredifféremment. Voilà deux couplets d’une chanson «blues»écrite par les adolescents :Par rapport à la fuméeJ’ suis bien embêtéJe ne fais que d’ m’ étoufferJe n’arrive plus à respirerSi je dois creverIntoxiquéAutant pas m’arrêter

Pour ce qui est de la musiqueJ’ suis pas trop dans l’ classiqueJe n’ peux pas me séparerDe mon baladeur CDToujours un’ chanson sous la mainSans musiqueOn est rien

Ou encore cet extrait d’un texte écrit d’un jetentre deux ateliers de musique par Pauline,seize ans, hospitalisée en pédopsychiatrie :J’attends le lever de rideauQue tout redevienne beauJ’attends que la lumière s’allumePour enfin sortir de ce noir qui me consume

On finit par s’habituerA cette obscurité, et aucune prièreNe me conduit sur le chemin de la lumièreAlors j’attends presque infiniment !

La musique nous parle, nous donne desnouvelles, des nouvelles de nous même.

Tous les partenaires de ce projet, soignants,institutrice, musiciens ont témoigné du plaisirmanifeste exprimé par les adolescents : nousétions presque contraints de réclamer despauses et les enfants prolongeaient d’eux-mêmes la résidence en dehors de la présencedes musiciens en écoutant leurs disques,jouant de l’harmonica ou travaillant sur lestextes des chansons en création.Le fait qu’adolescents et soignants aientparticipé ensemble à ce projet, au même titre,en dehors de la relation traditionnellesoignant-soigné a permis aux soignantsd’entrer en contact d’une autre façon avec lesadolescents car « ils ne nous voient plus de lamême façon.»

Territoire musical et collectivitéTag, rap, dance music… l’adolescent a sesrites, ses valeurs, ses codes. Ces pratiquesd’écoute apparaissent comme des pratiquesde redéfinition des espaces sociaux decohabitation, avec toutes les notions denuisances et de conflits qui lesaccompagnent. Deleuze et Guattari, à proposde la ritournelle, en parlent comme d’unagencement territorial, de même que l’oiseauqui chante marque son territoire. Comment accueillir l’adolescent à l’hôpitalsans le déterritorialiser, sans créer unerupture supplémentaire par rapport à sonquotidien habituel ?Les plus jeunes ont leurs «doudous», lesadolescents doivent continuer à garder leursrepères. La musique en fait partie et apporter,

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s’accorde à la restitution d’un espacetransitionnel où les jeunes réalisent leurpropre identité constituée et « stylisée » depersonne sociale.» 4

Musique à l’hôpitalApprochons nous maintenant du sujet et del’objet de ce colloque : les adolescents et lamusique à l’hôpital. L’adolescent est t-il lemême lorsqu’il est hospitalisé? Comment lamusique peut-elle trouver sa place dans lemonde de la santé?Nous avons organisé, en partenariat avec laCité de la musique, le Fonds d’Action Sacemet le CHU de Nice, une résidence musicale enmilieu hospitalier. Ces cinq premiers jourspassés avec Steve Waring et Jean-JacquesMilteau auprès des adolescents avaientcomme thème central l’écriture de chansonset le blues.Travailler la musique avec des adolescentshospitalisés n’a rien d’évident, car il fautfranchir différents obstacles. Le premier estl’hospitalisation, source d’isolement ou lastructure hospitalière est vécu comme lieud’anonymat collectif. Le second obstacle estl’adolescence en elle même, temps de rupturequi se matérialise dans les affinitésmusicales des adolescents, en décalage avecla culture des adultes. Dernier obstacle, lechoix musical du blues, musique véhiculantune image « ringarde» pour certains, imagedu passé, dépassée.

Pari vraiment fou que de proposer à desadolescents un travail autour de cettemusique de «vieux » qu’est le blues ! Ce projet suscite donc une certaine inquiétudechez les musiciens, que les premièresréactions des adolescents, très peu explicites,n’ont pas dissipée. Lors de notre premièrerencontre, lorsque Steve à commencer à

chanter Trouble in mind en s’accompagnant àla guitare, les deux jeunes garçons présentsétaient affalés sur la table en se tenant latête entre les mains. Il nous a fallu beaucoupde courage pour faire face à leurcomportement et ne pas plier bagage. C’est làque la conviction peut nous aider. Et lacomplicité qui, petit à petit, patiemment s’estcréée au fil des cinq jours premiers jours de larésidence a permis des moments superbes etforts émotionnellement. Je citerais NicolasFrize, musicien et compositeur qui s’estinstallé pendant trois mois dans un hôpital dela région parisienne et qui résume bien l’étatd’esprit qui a été le nôtre lors ce projet :«La question folle qui s’est posée ici fut desavoir si l’on pouvait faire du sensible sansfaire de l’affect, faire du sensoriel sans fairedu psychologique, faire du personnel, del’individuel en faisant du public, du commun,faire de l’extraordinaire et de l’ordinaire,travailler sur la perception sans bousculernous seuls le réel, sans gêner ni coloniser,sans se mettre à la place de l’autre etréussissant à se mettre à ses côtés…» 5

Faire avecAu cours des ateliers musique, il s’esttoujours agi de jeux. Jouer avec lespercussions corporelles, improviserrythmiquement, chanter un blues et surtoutécrire, dire, mettre des mots pour qu’ilsdeviennent chanson.Autant de situations pour une véritablerencontre avec les adolescents et autant depossibilités pour eux de découvrir, côtoyer etpratiquer la musique «en vrai» et dire uneémotion qui n’attend qu’à émerger commedans ce refrain scandé sur un air de rythmand blues :Je veux sortirSortir vite

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4. Gilles Boudinet, Pratiques rock et échec scolaire, l’Harmattan, 1996.

5. Nicolas Frize, Patiemment, Rapport d’activités d’unerésidence artistique à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis(93), Sept. 1994 / fév. 1995, p. 90.

Industrielles, New Age, New Jack, New Pop, Nu métal, Pop, Pop Rock, Progressive House,Raggamuffin, Raï, Rap, Rave, Reggae, R’n’B,Sample, Ska, Slakness, Soukouss, Soul,Speedcore, Speed Metal, Techno Pop, Trance,Transcore, Trance Goa, Trash, Tribal, Trip-Hop,World Music...Chacun sait que, rien que pour la House, il existe différents grands courants : French,Deep disco, Jungle, Ambient, Progressive etVocal house.L’évolution et l’invention ne sont pas près des’arrêter. Comme le dit le Dr Bernard Auriol :«Ces ressources donnent aux adolescentsquelques moyens de s’affirmer différents, dese donner le look adéquat, d’exprimer leurspropres désirs, leurs peurs et leurs colères. Ilsécoutent, dansent ou lèvent le briquet d’uneculture à venir dont ils peuvent eux mêmesdevenir les “fabuleux troubadours”.» 6

Quand bien même le musicien souhaiteraitpouvoir maîtriser tous ces styles musicaux, etdevenir ainsi un juke boxe ambulant, il luifaudra sûrement encore quelques années detravail et plusieurs dizaine de kilos dematériel à transporter pour aller à la rencontredes adolescents. Et dans le meilleur des cas,l’adolescent qui sera face à nous, parce quenous jouons «sa» musique, s’en détournera.Là n’est pas notre objectif. Au travers de lamusique, non seulement dans l’écoute maissurtout dans le faire, l’adolescent retrouve unplaisir à faire, et à faire avec l’autre. Faire dela musique avec les adolescents est une miseen acte dynamique face à la passivité vis-à-vis des divers produits culturels environnantscomme la télévision.Pendant le temps de musique nous pouvonsfaire ensemble sans faire la même chose.C’est là un des intérêts de la musique vis àvis d’adolescents en difficulté sur le planrelationnel.

Comme le souligne Pierre Bourdieu : «L’acteartistique est un acte de production d’uneespèce tout à fait particulière, puisqu’il doitfaire exister complètement quelque chose quiétait déjà là, dans l’attente même de sonapparition, et le faire exister tout à faitautrement, c’est-à-dire comme une chosesacrée, comme objet de croyance».

Passeur de temps«Tante, dis moi quelque chose, j’ai peur parcequ’il fait si noir.» La tante lui répond : «À quoi cela te servira-t-il, puisque tu nepeux pas me voir. – Ca ne fait rien, répondl’enfant, du moment que quelqu’un parle, il fait clair.» 7

La musique, pour faire écho au texte de Freud,est sûrement une lumière nécessaire pourl’adolescent hospitalisé. Et même si elle nesert à rien comme l’a si bien écrit MichelSchneider, elle nous aide à vivre. 8

Pour le musicien intervenant en pédiatrie, unedes difficultés est la gestion de groupeshétérogènes, mêlant petits et grands. Laquestion du répertoire musical est égalementcomplexe. Le musicien, même rodé auxtechniques d’animation ne trouve pas toujoursles médiations spécifiques aux adolescents.Que chanter avec eux, quel type de musiqueleur proposer ? Se pose donc la question de laformation des musiciens intervenants etl’accompagnement des artistes.

Visite musicalesService de réanimation adulte, Hôpital SaintRoch, CHU de Nice. Pour rejoindre le service oùnous travaillons ce lundi après-midi,Stéphane Nicolettos, saxophoniste et moi-même traversons les couloirs de l’hôpital avecnos instruments en bandoulière, signesostensibles de notre métier. Dans la salled’attente de réanimation, une jeune femme

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emporter sa musique, c’est toujours emmeneravec soi un peu de chez soi. Cette passionmusicale, ce bain musical des adolescents neva pas sans poser un certain nombre deproblèmes dans une collectivité forcée commecelle que nous fréquentons à l’hôpital.Car leur musique fait peur. Elle nous échappe,nous est bien souvent inconnue etinaccessible, étrangère donc hostile. Écouter, diffuser, s’immerger… la musique,cela s’écoute fort. Les raisons en sontmultiples: recherche de plaisir, évasion,sublimation, masquage du bruits des autres.Ce masque sonore apparaît ici comme unmoyen pour les adolescents de faire leursbruits dans un interaction avec les bruits desautres (parents, voisins, équipe médicale etsoignante, vie quotidienne…)

Et pourtant…Dans le service de psychopathologie pourenfants et adolescents du Pr Bursztejn àStrasbourg, nous avons proposé auxadolescents de faire une soirée musicaleaprès une journée d’ateliers autour del’écriture de chansons. Steve Waring et moiavions préparé un certain nombre de bluespour rester dans le thème de la résidence.Mais quelle ne fût pas notre surprise lorsqueles adolescents nous demandèrent de chanterLa Baleine Bleue, Les Grenouilles qui sont, àpriori, des chansons pour les plus jeunes. Cemoment de la journée est peut-être propice àcette sorte de rencontre où chacun se sentplus libre et assurément plus proche del’enfance.

Travailler à contre courant des phénomènesd’exclusions, y compris culturelles, c’estpermettre aux enfants et adolescents de faireexister ces espaces d’expressions et deconfrontations. Espaces qui ne sont passeulement des endroits où l’on puisse écouteret faire de la musique, mais aussi espaces

d’échange, d’écoute, où la culture ne soit pasimmédiatement récupérable et consommable.Cela veut également dire pour le personnelmédical et soignant, l’accès à cette dimensionculturelle et artistique à travers la formation.« Il faut aussi être prêt à envisager sanssurprise, sans répugnance et sans révolte ceque toutes ces nouvelles formes socialesd’expression ne pourront manquer d’offrird’inusité» nous disait Claude Lévi-Straussdans «Race et histoire».Pour l’adolescent hospitalisé, notre réponseest de « faire de la musique». Seule lapratique individuelle et surtout collective peutpermettre de ne pas détruire ce lien si fragileavec l’extérieur mais aussi avec l’intérieur.Cette expérience intime et sociale de lamusique dépasse l’acte de consommation deconserves musicales auquel nous sommes deplus en plus confronté. A nous de faire de lamusique, non plus un produit consommable,mais un objet de lien.«On sent qu’ils font de la musique pour lesenfants et pas que pour eux»dira, en parlant des musiciens, un adolescentà la fin d’un atelier.

Vous avez dit musiques?Difficile aujourd’hui de suivre l’actualité descourants musicaux et surtout de connaître etreconnaître l’appartenance d’un morceau àtelle ou telle catégorie. Pour exemple,quelques noms piochés ici et là :Acid House, Acid jazz, Ambient, Breakbeat,Break Rock, Cheese Core, Chill Out, ColdWave, Dance, Dancefloor, Death Metal, DeepHouse, Doom, Down Tempo, Drum’n Bass, Dub,Easy Listening, Electro, Foxcore, Funk, Fusion,Gabber House, Gangsta Rap, Garage, Glam,Gothic, Grind Core, Grunge, Hardcore, HeavyMetal, High Life, Hip Hop, House, Hard House,Hot House, Hardtek, Intelligent Jungle,Intelligent Techno, Jazz Rock, Jungle, LatinHouse, Lounge, Modal Jazz, Musiques

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6. Bernard Auriol, Le Son à la croisée des corps, 2004. 7. Sigmund Freud, Trois essais sur la sexualité, Gallimard,1962, p. 186.8. Michel Schneider, Musiques de nuit, Éditions Odile Jacob,2001, p. 9..

L’hôpital, en s’ouvrant aux bruissements del’extérieur, loin de se transformer en musée ousalle de concert, s’intéresse à l’homme,change le regard et l’écoute qu’il porte sur lesmalades. J’aime à penser que la musique, la cultureaccompagne l’adolescent hospitalisé sur cetteroute semée d’embûches. n

Références bibliographiques

L’Adolescence Sciences et vie, no 188, Septembre1994.Gilbert Berlioz et Alain Richard, Les 15-25 ans,acteurs de la cité, Syros, 1995.Gilles Boudinet, Pratiques rock et échec scolaire,Paris, l’Harmattan, 1996.Françoise Dolto, Catherine Dolto-Tolich, Parolespour adolescents, complexe du homard, Hatier,1989.Olivier Donnat, Les pratiques culturelles desFrançais. Enquête 1997, La Documentationfrançaise, 1998.Les Loisirs des enfants et adolescents de 8 à 16 ans, Bulletin du Département des études et dela prospective, Ministère de la culture et de lacommunication, supplément à La lettred’information no 291, 12 Novembre 1990.Le Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et del’adolescent, sous la direction de Serge Lebovici,René Diatkine, Michel Soulé, Quadrige, PUF, 1999.L’Enfant et sa santé, aspects épidémiologique,biologiques psychologiques et sociaux, sous ladirection de Michel Manciaux, Serge Lebovici, DoinÉditeurs, 1987.Philippe Jammet, Adolescences, sous la directionde, Repères, Fondation de France, Mai 1993.Marc Touche, Musique et vie quotidienne, inAdolescence et socialisation, Annales deVaucresson, no 28, 1988/1.

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nous interpelle : «Allez voir mon copain Jean-Pierre, c’est un grand black. Il adore la R’n’Bet le chanteur Corneille». Formidable accueil,mais scepticisme de notre part : j’ai déjàentendu à la radio le Corneille en question,jeune chanteur qui monte, mais cela reste uninconnu dans ma pratique musicale. De mêmepour mon collègue saxophoniste. Sans parlerde R’n’B.Le fameux Jean-Pierre est effectivement ungrand black qui doit avoir vingt cinq ans. Ilest allongé, conscient et a les yeux grandouverts. Nous lui proposons un bluesinstrumental à partir d’un thème de SonnyRollins. Puis je chante, accompagné de maguitare, un texte de Dick Annegarn. Noussommes loin de Corneille et de la R’n’B. Jean-Pierre me fixe du regard et je sens derrière moitoute l’équipe du service qui observe. Que vat’il se passer, quelles vont être les réactionsde Jean-Pierre. Un petit signe de la main et duvisage suffiront pour nous remercier. Le pariétait osé. Notre envie de jouer pour Jean-Pierre, mais aussi pour notre plaisir et celuide l’équipe soignante, l’envie d’offrir cemoment musical aurait-il suffit pour dépasserles styles et les goûts de chacun desauditeurs? Assurément. 9

Faire pourChristine a vingt deux ans. Nous sommestoujours en réanimation. Elle est allongée surson lit et est intubée suite à un accident surla voie publique. Elle ne peut nous parler. Àl’écoute de Autumn Leaves, joué en duo à laguitare et au saxophone, les fameuses« feuilles mortes » de Kosma/Prévert la fontimmédiatement pleurer. Beaucoup d’imagesnous submergent alors. Ces larmes sont-ellesun signe de tristesse, de nostalgie ou aucontraire de joie ? Doit-on continuer cemorceau ou vite en enchaîner un autre. Danstous les cas, l’émotion est bien présente chezelle comme chez nous. L’équipe sera là pour

nous aider et nous rassurer. Christine savaitnotre visite et ses pleurs sont l’expression duplaisir de cette rencontre qu’elle attendaitavec impatience. Mais cela suffit t-il àexpliquer ces larmes. Seul Christine pourraitle dire. Et il nous faut accepter de ne passavoir.

«Lorsque deux personnes ont une relationd’égalité, de respect et d’indépendance, alors,tout ce qui peut les relier est possible et toutce qui survient (la musique par exemple) peutles relier, faire en sorte que tout ce que nousvenons faire ici soit l’objet d’une citoyenneté,c’est à dire d’une volonté réciproque ; or dansl’hôpital la volonté et la décision ne sont pastoujours réciproques.» 10

Nicolas Frize a utilisé comme ritournelles pourévoquer son travail à l’hôpital les mots «petità petit», «au jour le jour», «au fur et àmesure», «de fil en aiguille» et«patiemment». Rencontres singulières etsurprenantes où il faut effectivement prendrele temps. Un temps paradoxal où se côtoientl’urgence et l’attente, le temps libre et letemps occupé ou à occuper. « Tuer le temps»entend-t-on souvent à l’hôpital du coté des«patients». Tout va trop vite et pourtant c’estinterminable.La musique est bien l’art du temps et cetterencontre avec l’hôpital est intéressante pourle musicien qui vient d’un côté freiner, ralentirle temps des uns et accélérer, remplir celuides autres. Et surtout trouver un tempscommun. «Quel sens peut avoir un projetculturel pour un hôpital ?» interroge DidierSicard. Il est vrai que la culture s’occupe de lasanté et l’hôpital de la maladie. « Il s’agit dedire aux malades : cet hôpital a pour objectifde vous soigner mais il a mis autantd’attention à ce que votre œil, votre oreille,votre esprit soient, dans cette périoderespectés et même restaurés et nonblessés.» 11

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9. Un peu plus tard, en écoutant le tube de Corneille « Parcequ’on vient de loin», je suis frappé par le texte de cette chansonqui entre vraiment en résonance avec la situation vécue enréanimation.Alors on vit chaque jour comme le dernierEt vous feriez pareil si seulement vous saviezCombien de fois la fin du monde nous a frôlésAlors on vit chaque jour comme le dernierParce qu’on vient de loinQuand les temps sont dursOn se dit : “Pire que notre histoire n’existe pas”Et quand l’hiver perdureOn se dit simplement que la chaleur nous reviendra…10. Nicolas Frize, Op. cit., p. 59.11. Didier Sicard, La Médecine sans le corps, une nouvelleréflexion éthique, Plon, 2003, p.179.

Une radio adoà l’hôpital,nouvelle utopie ?

Une radio adoà l’hôpital,nouvelle utopie ?

P rofessionnel de la radio depuisplusieurs années déjà, c’estfortuitement que j’apprends en 1994

l’existence d’un projet de radio pour lesenfants malades à l’intérieur de l’Hôpitalpédiatrique Armand Trousseau à Paris. J’aitout de suite eu envie d’offrir mescompétences techniques à ceux qui montaientle projet, d’autant plus que l’équipe médicaleréfléchissait à l’utilisation de ce média à desfins, sinon thérapeutiques, tout au moinspara-thérapeutiques. Comme ses confrères, lechef du service de chirurgie se trouvaitconfronté au problème de sidération quevivent nombre d’enfants après uneintervention chirurgicale lourde. Pour leurpermettre de réintégrer leur corps, de leréinvestir, de se le réapproprier et deréapprendre à vivre avec lui, le jeu, activité laplus importante de l’enfant, est préconisé.

C’est ainsi que ce chef de service permitl’introduction de consoles de jeux vidéo parl’intermédiaire de l’Association des Amis del’Hôpital Trousseau dont il était alors leprésident. A cette occasion, une bénévole del’époque, jeune Américaine en stage dans leservice, a alors fait part de l’expérience de« radios pour enfants», menées aux USA. Delà est né le projet Radio Trousseau dont j’airepris la responsabilité sur le plan techniquequelques mois plus tard, ainsi que la prise encharge de la formation des ados, souventlycéens de l’arrondissement, qui viennentanimer des émissions pour les enfantshospitalisés et, dans la mesure du possible,avec eux. La direction de l’hôpital a installé un véritablestudio dans l’enceinte de l’hôpital, avecmicros, console de mixage, lecteurs cd,platines k7. Récemment, un ordinateur a été

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Une radio ado à l’hôpital, nouvelle utopie?

Remy Jounin animateur de Radio (RTL)directeur des programmes (Vivre FM 93.9)

formateur et coach d’animateurs (RFO)responsable technique et formateur à Radio Trousseau.

c’est un nouveau discours qui prend forme.L’ère est à l’internet, au téléchargement, aujuke-box perso, au MP3. La radio estcondamnée à perdre son rôle premier dediffuseur musical. Tant mieux ! Ainsi, aprèsles années de marketing musical imposé,formaté, pré-digéré, chacun va se trouver àmême de fabriquer son programme, à partirde ses goûts propres. Paradoxalement, laradio va continuer sans doute à fédérer sespublics en groupes plus ou moins précis, encommunautés de goûts ou d’intérêts, etd’origine évidemment, mais cette musique,ciment primaire de la communauté, n’auraqu’un rôle identitaire, au même titre que lesjingles et l’habillage d’antenne. Au cours d’un colloque organisé il y aquelques années au ministère de la Santéautour de « l’informatique et internet àl’hôpital pédiatrique», les intervenantsfaisaient le constat suivant : les enfantshospitalisés n’ont aucune envie decommuniquer avec d’autres enfantshospitalisés à l’autre bout de la France ou dumonde. Leurs centres d’intérêts sontpragmatiques et ludiques. La représentationfantasmagorique de la radio a bien plusd’importance que sa réalité. Il est plusimportant pour un jeune qui participe à uneémission de Radio Trousseau de voir s’allumerle « Rouge Antenne» que de savoir qu’il estécouté, dans sa chambre d’hôpital, dans unautre service ou sur internet par un hackeresquimau ou encore un petit Américainhospitalisé dans un hôpital sponsorisé parDisney. Lors de l’une des expériences menées parl’atelier média d’un Centre médico-psycho-pédagogique de la banlieue parisienne, j’aiaccompagné un petit groupe d’enfants suivisen santé mentale, particulièrement remuantset mal dans leur peau. Lors de la premièreémission, totalement improvisée pourdécouvrir ensemble l’outil radio, ces jeunes

ont connu un moment de grâce. Pendant prèsd’une heure, ils se sont interviewésmutuellement et ont découvert le plaisir des’écouter les uns les autres. Eux qui secôtoyaient depuis des mois chaque mercrediaprès-midi et qui n’avaient encore jamaisréussi à se supporter, eux qui se coupaient laparole à tout moment, à la limite del’agression, au moins verbale, ont pu, pour lapremière fois, apprendre à se taire, être àl’écoute de l’autre, le laisser finir ses phrases(et donc développer ses idées). Ils ontdécouvert l’intérêt du «pourquoi ?» et du«comment?» (mots-clés de l’interviewrespectueuse) qui permettent de comprendrel’autre et de l’aider à clarifier sa pensée.

Que se passe-t-il sur Radio Trousseau au-delàdes deux ou trois heures d’émissionsquotidiennes organisées par les bénévolesavec les enfants et les ados de l’Hôpital ? Lalogique voudrait qu’on puisse mettre unprogramme « Jeune » hertzien et faire des«décrochages» durant nos heuresd’émission. Mais une question se pose :comment concilier les ambitions mercantilesdes radios commerciales et la protection desjeunes en voie de « réparation»? C’est ainsiqu’est née l’ambition, forcément utopiqueparce que non-rentable, d’un programmenational dédié aux lieux de soins. Unprogramme positif qui n’aurait pas pourambition de remplacer le traitement, la cure,ou le travail des soignants. Se rapprochant auplus près d’une radio traditionnelle, ceprogramme aurait pour but d’être uneouverture à un monde où chacun a encore saplace, ne serait-ce que pour l’améliorer. Unprogramme qui ferait ressentir à chacun deses auditeurs que sa place est à l’extérieur(de l’hôpital, de l’institution spécialisée…)dans un monde qui s’enrichit de la différence.Aujourd’hui, la technique du streamingpermet qu’un programme géré

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ajouté pour une utilisation automatique endehors des émissions de direct. Le tout estdiffusé dans les chambres des enfants par lebiais d’un canal du circuit de télé interne ;deux inserts téléphoniques professionnelspermettent de recueillir en direct la parole desjeunes auditeurs qui ne peuvent quitter leurchambre. À la veille de son opération, chaqueenfant devient la vedette d’une émission quilui est consacrée. Puis, lors de son départ versle bloc opératoire, l’enfant, muni d’unwalkman, écoute son émission et s’endortavec. Avant son réveil, une infirmière lui remetle casque et l’enfant se réveille en s’écoutant.

Quels enseignements peut-on tirer de cetteexpérience novatrice dans notre pays ?Manifestement la radio n’estvraisemblablement pas le média le plusadapté aux enfants, car l’imaginaire a sansdoute encore trop besoin du support del’image. En revanche, dès l’âge de la puberté,dès ce moment où les ados présents ou endevenir ont fréquemment un problèmed’identité, ou du moins, de leur propre image,la radio devient un moyen évident des’affirmer, de s’accepter et de se« représenter» (se mettre en ondes, sinon enscène) sans complexe. Passés les premiersmoments de plagiat pur et simple desémissions pour « jeunes» existants en radio,les ados qui prennent le temps de ladécouverte du micro, inventent un ton, unevérité, une liberté, qui les transcendent et lesrévèlent à leurs propres yeux et oreilles… À Radio Trousseau, nous sommes auxantipodes des objectifs de toutes radioscommerciales : les animateurs de l’antenneimportent plus que les auditeurs. Le premiermérite de Radio Trousseau est d’exister et deréaliser quotidiennement des émissions,même si la plupart des auditeurs potentielssont dans le studio ! Ils sont devant le micro,et ce sont eux qui vont en ressentir les effets

bénéfiques, durant leur séjour à l’hôpital…mais également par la suite.

L’expérience passionnante de Radio Trousseaua donné naissance à une autre radio, installéeà l’intérieur de l’IMPro «Faîtes des Couleurs»dans le 19e arrondissement de Paris. Là, cesont les ados, handicapés mentaux, âgés de16 à 20 ans qui se sont appropriés l’outilquotidiennement. Je me souviens d’un jeunequi, lors de la première expérience dans lestudio de Radio Trousseau, m’expliquait nepas vouloir passer à l’antenne. Du coup, je luimontrais le fonctionnement de la technique etlui confiais finalement la console de cettetoute première émission. Récemment,chaleureux, tenant son micro HF avec uneaisance presqu’«à la Drucker», il m’aaccueilli pour m’interviewer à l’entrée del’établissement tandis que tout étaitretransmis dans toutes les pièces par la radiointerne !

Et que devient alors la musique dans lesprogrammes radiophoniques de Trousseau?Nous sommes loin de France-Musiques !Comme partout, la musique n’a pas d’autrefaçon, semble-t-il, que de signifierl’appartenance à un groupe, à une tranched’âge. Laissons de côté les fantasmes desmédecins qui peuvent vanter les mérites de lamusique classique « relaxante » et expliquer,sans rire, le côté anxiogène du rap… Bien quemarginalisés par la maladie, l’hospitalisationou le handicap, ces jeunes, par leurs goûtsmusicaux, se raccrochent à leur génération etils dansent plus volontiers sur les BratislaBoys que sur Strauss. Pour les pré-ados, laradio n’est ni France Culture ni même RMC :c’est Fun ou Skyrock. Bref, qu’on le veuille ounon, c’est le hit-parade et le talk-showprovocateur ! De plus, on découvre très viteque, derrière la priorité apparente quereprésente l’envie de passer «ses» disques,

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partout et où chacun, à la tête de ses maigresmoyens, tente de répondre aux mêmesquestions. S’il était possible de fédérer toutecette énergie, de faire remonter vers une têtede réseau telle émission qui mérite uneseconde vie après sa diffusion, la valeurajoutée du projet à la fonction soignante ouéducatrice s’en trouverait décuplée. Il suffitd’imaginer les multiples applications existantdéjà ou à créer encore, l’utilisation de nosstudios par les éducateurs, orthophonistes,etc… Je voudrais laisser le dernier mot à ladirectrice de l’IMPro «Faîtes des Couleurs», àParis, où, chaque jour, on invente de nouvellesapplications à cette petite radio qui a pristant d’importance dans le quotidien desjeunes de cet établissement. Cette directricedisait : «Nos jeunes, on les escroque sanscesse : ils croient qu’ils s’amusent, à la radio,et en fait ils travaillent !». n

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automatiquement par informatique sur un lieugéographique unique soit distribué par le netjusque dans les studios locaux où des équipespeuvent reprendre la main à leur discrétionpour réaliser leurs émissions, en intégrant aumaximum les jeunes présents, le but évidentétant de leur rendre/donner la parole, de leurpermettre de faire entendre leur voix dans unmonde qui les écarte parce que trop violentpour eux (jeunes en tentative de suicide) outrop normalisé (jeunes handicapés mentaux).Utopique, ce projet ? Sans doute, car cesjeunes ne sont pas rentables. Seront-ils unjour de «bons» consommateurs? Sans doutejamais si on leur donne les clés d’un média, sion leur en explique le fonctionnement, s’ilscomprennent les principes d’appropriation dela parole, phagocytée par ceux qui n’ont pasplus de légitimité qu’eux à la détenir, et qui laconservent d’autant plus jalousement.Utopique, évidemment, sinon il n’aurait pasrencontré une telle conjonction

d’enthousiasmes, jamais suivi d’effets…Quand j’avais rencontré le PDG responsabled’un grand groupe de média français pour luiprésenter mon «utopique» projet, il m’avaitrenvoyé vers la Secrétaire générale quim’avait aiguillé vers un Directeur général quim’avait renvoyé vers un directeur de filialedont la question fut : «Qu’est-ce que ça merapporte ?»…Ma réponse est celle-ci : je pense à cesnombreux jeunes venus, année après année(Radio Trousseau fête cette année ses dix ans !), animer des émissions sans autre vraieambition que le plaisir de «causer dans leposte». Ces jeunes, touchés pour certains deplein fouet par ce mal-être qui caractérisel’adolescence, se sont redressés, ont reprisconfiance en eux et ont passé avec bonheur un cap… difficile même pour des adolescents«normaux».Non, ce projet n’est pas utopique, si l’on saitle nombre d’expériences menées un peu

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D ans le service de Médecine pourAdolescents du Centre hospitalieruniversitaire de Bicêtre, la musique

est toujours présente. Elle résonne autantdans les chambres que dans la salled’activités, et dans les oreilles mêmes desjeunes... Evelyne, l’institutrice, laisse souventun fond musical pendant ses activitéspédagogiques et récréatives. Un clavier est àla disposition des jeunes. Certains patientshospitalisés viennent avec leur guitare. Lamusique est un point de ralliement fort, unpoint de reconnaissance. «Qu’écoutes-tu? Jete dirai qui tu es et à quel créneau d’âge tuappartiens». À l’adolescence, la musique est un pilierd’appartenance. Plusieurs expériencesponctuelles avaient été tentées depuisl’ouverture du service en 1982. Lors de la Fêtede la musique, orchestres de jeunes ouchorales se sont introduits ponctuellement.«Mais nous n’avions jamais eu uneexpérience musicale suivie, avec une certainefinalité, encadrée et professionnalisée comme

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Rencontre entre des artistes, soignants et des adolescents hospitalisés : la musique et les adolescents au CHU Kremlin Bicêtre, AP-HP

Patrick Alvin pédiatre, chef du service de médecine pour adolescents 1

Claire Cornette cadre infirmierMarianne Clarac musicienne, Musique & santé

CETTE CONTRIBUTION EST UNE

SYNTHÈSE DES TROIS

COMMUNICATIONS RELATANT LE

CONTEXTE ET LA RÉALISATION DES

ATELIERS MUSIQUE, QUI SE SONT

DÉROULÉS DANS LE SERVICE DE

MÉDECINE POUR ADOLESCENTS DU

CENTRE HOSPITALIER

UNIVERSITAIRE DU KREMLIN-

BICÊTRE (AP-HP) DURANT L’ANNÉE

SCOLAIRE 2002-2003, AVEC LA

PARTICIPATION DE DEUX MUSICIENS

PROFESSIONNELS DÉDÉ SAINT-

PRIX ET MARIANNE CLARAC.

1. Auteur de «La particularité du soin hospitalier àl’adolescence». In P. Alvin, D. Marcelli, «Médecine del’adolescent» (2de édition sous presse). Paris, Masson, 2000 : pp. 280-284

Rencontreentre desartistes,soignants et des adolescentshospitalisés : la musique et les adolescents au CHU KremlinBicêtre, AP-HP

Rencontreentre desartistes,soignants et des adolescentshospitalisés : la musique et les adolescents au CHU KremlinBicêtre, AP-HP

L’Atelier Musique, une expérience stimulanteL’atelier ne s’est pas introduit du jour aulendemain. Il a pris racine en 1999, lors d’unerencontre à Nice avec Philippe Bouteloup,responsable de l’Association Musique & santé,au cours d’une journée centrée sur les besoinsde l’enfant hospitalisé. Encouragements del’association, réticences de l’hôpital…, c’estseulement en octobre 2002, que lesresponsables soignants et animateurs duservice de médecine pour adolescents, qui n’ycroyaient plus, ont enfin pu lancer « l’AtelierMusique». 4

Les séances se sont déroulées durant toutel’année scolaire 2002-2003, le lundi et lemercredi, de 20 h à 22 h, deux fois par mois.Atelier en nocturne, deux fois par semaine?Comment est-ce possible ? «Au départ, lesrencontres étaient prévues entre 19 h et 21 h,mais nous nous sommes vite aperçus quel’horaire était inapproprié», explique MarianneClarac qui anime l’atelier avec Dédé Saint-Prix, son complice créole. Après 20 h, c’estl’heure où l’ado est souvent délaissé. Le dînerest fini, les copains et les proches sontrepartis. Le désarroi et la solitude guettent.«Quand on se lance dans un tel projet,poursuit la musicienne, il faut adapter lecadre au lieu et aux personnes que l’onrencontre». Bien sûr, cela suppose beaucoupd’énergie et de disponibilité de la part desanimateurs. Marianne Clarac soulignel’importance de la présence à toutes lesséances de Claire Cornette qui a pu apporterson point de vue d’infirmière, remarquer lafaçon dont évoluaient les adolescents,silencieux ou renfermés pendant la journée,plus ouverts lors de l’atelier et, avec tact,relayer cette activité dans la vie quotidiennedes adolescents. «Toutes les actionsd’intervenants à l’intérieur de l’hôpital ne

peuvent se faire avec qualité que s’il existe unvéritable partenariat avec l’équipe del’hôpital, voire un interlocuteur privilégié quisuit le travail», commente Marianne Clarac.«Tous les soignants du service ont accueillil’expérience musicale avec grand intérêt,renchérit le Docteur Alvin. La maladie ou lasituation de certains adolescents est parfoistrès lourde. Elle nécessite un travail de suivifortement personnalisé qui mobilise tous lesadultes dans une intense activité decommunication».Le travail que le musicien propose auxadolescents hospitalisés n’implique aucunenotion d’apprentissage préalable.Onomatopées vocales, rythmes corporels, toutse passe en écho et met très vite les jeunes enaction. Après parfois un temps de surprise, lesjeunes évoluent dans ce nouvel univers durythme. «C’est un univers acoustique auquelils ne sont pas du tout habitués au départ,eux qui sont si familiers de la musiqueélectrique», explique Marianne Clarac. Danscette perspective d’émettre des productionssonores, les professionnels mobilisentl’attention des jeunes. Jeux de voix, bruits ducorps (claquement des doigts, battements desmains ou des pieds), danses, chacun est trèsvite pris à partie et en action. «Libérant leurblocage, le bonheur irradie souvent leurvisage. La musique est l’occasion pour lesjeunes de dire leurs souhaits, d’exprimer leursprojets personnels en lien direct avec lamusique (chorale, pratique d’un instrument).Surtout, ils s’évadent. Ils ne sont plus àBicêtre, mais ailleurs, sur une autre planète»,confie Claire Cornette.Le choix de proposer un atelier sur deuxséances à un jour d’intervalle n’est pasanodin. «La première séance était axée sur ladécouverte du répertoire de Dédé, raconte

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celle que nous avons montée au cours del’année scolaire 2002-2003», explique PatrickAlvin, chef du service.

Décrire le contexte médical dans lequel s’estdéroulé l’activité musicale est important. Onne plaque pas impunément une telle activité,de longue durée, dans un service hospitaliersans tenir compte de ses différentescaractéristiques et des besoins hospitaliersdes patients. 2

Réservé aux filles et garçons de 13 à 19 ans,le service de médecine pour adolescents a étécréé il y a vingt ans dans un contexte pionniertout à fait unique. Lieu d’expérience, de soinset de formation, cette structure à vocationpolyvalente est l’une des originalités de laFédération de pédiatrie du CHU de Bicêtre.L’unité d’hospitalisation (450 admissions paran, séjour moyen de 8 jours) est étroitementcouplée à l’unité ambulatoire spécifique, surrendez-vous (très polyvalente). L’équipe,pluridisciplinaire, spécialement entraînée,réunit pédiatres, équipe infirmière,psychologue, gynécologue, assistante sociale,animatrice, etc. L’approche thérapeutique est une «approchemédicale élargie» qui intègre les aspectssomatiques, psychiques et sociaux desproblèmes posés. Chaque adolescent possèdeson propre pédiatre référent, clairementidentifié, garant de la cohérence et de lacontinuité des soins, référence à partir delaquelle s’articulent les divers membres del’équipe soignante en fonction des besoins.Dans un tel dispositif, les adolescents sontd’abord et avant tout reconnus comme«adolescents», libres de choisir, prenant partaux décisions et bénéficiant du droit au secretprofessionnel. Cette position n’est possibleque grâce à un travail parallèle important

auprès des parents, au minimum pour lessoutenir dans leur propre tâche de parentsd’adolescents. Le service utilise enfinlargement le travail en réseau avec desstructures extra-hospitalières médicales,socioéducatives, psychopédagogiques,psychiatriques, etc.

En hospitalisation, trois catégoriesdiagnostiques principales représentent 80%des admissions : plus de 40% d’entre ellesconcernent les adolescents, généralementconnus du service, porteurs de maladieschroniques, souvent sévères.Une autre part de l’activité médicale,relativement constante, concerne lesadolescents suicidants en provenance desurgences de l’hôpital, auxquels est proposé unprogramme de soin bien défini etcontractualisé sur une semaine. Généralementnon connus avant leur tentative de suicide, ilsreprésentent plus de 15% des admissions.Le troisième groupe d’hospitalisés est celuides anorexies mentales (10% des admissions,mais plus de 40% des journées). Hormis lessituations d’urgence somatique, la plupartsont hospitalisés sous contrat volontaire, pourun séjour allant de deux à trois mois.Les contre-indications de principe àl’hospitalisation dans le service sontessentiellement les patients relevant d’uneprise en charge spécialisée psychiatrique :adolescent mélancolique, psychotique,toxicomane, violent, etc.Le service dispose d’un règlement intérieurbien spécifié aux adolescents et de deux sallesde loisirs spécialement équipées, aux activitésprogrammées et supervisées. 3

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4. Le projet a été financé principalement par la Directionrégionale des Affaires culturelles d’Ile-de-France, la Cité de lamusique, l’Hôpital Kremlin-Bicètre et la Fondation Bayer Santé.

3. Les activités récréatives sont quotidiennes dans le service.Écriture, sculpture, graphisme, arts plastiques, la production desadolescents est si phénoménale que les placards sont pleins deleurs chefs d’œuvres. En 2002, une exposition a pu être réaliséedans le hall de l’hôpital pour mettre en valeur les talents de cepublic débordant de créativité.

2. On trouve une très belle présentation illustrée du service dansl’ouvrage de Noëlle Herrenschmidt «À la vie, à la mort, l’hôpital».Paris : Gallimard, 2003 (chapitre « Avoir 15 ans», pp. 90-99)

d’anciens adolescents hospitalisés (tous lespatients qui avaient participé avaient étéconviés), de jeunes patients et des enfantsd’autres services accompagnés par desparents ou des soignants. « Images,souvenirs, …il nous reste la joie d’avoirapporté quelque chose de nouveau auxadolescents, d’avoir éveillé en eux des idéesou des projets divers, d’avoir favorisé unépanouissement qui leur a permis d’oublierleurs préoccupations tout en leur apportantune aide thérapeutique», souligne ClaireCornette.Et pour conclure, le Docteur Alvin ajoute : «Un grand merci aux adolescents, à l’équipemédicale et paramédicale d’avoir contribué àla réussite de cette expérience originale enmilieu hospitalier. C’est une expérience quenous serions évidemment tous prêts àrenouveler». n

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Marianne Clarac. La seconde l’était davantagesur la façon de jouer avec ce répertoire,d’inventer à partir d’une formule rythmique,de mettre des paroles sur le son retenu, puisde s’approprier sa composition. Le lundi, noussollicitions les jeunes pour travailler à unenregistrement collectif et les stimulions poury introduire une expression personnelleindividuelle. Tous voulaient avoir leur solo surle disque. Nous avons très vite enrichi notrerépertoire avec des chansons de variétés plusou moins connues, et mieux encore, deschansons issues de leurs cultures respectives.Les chants du Cameroun, les “spirituals”congolais succédaient aux chansons créolesde Dédé et notre répertoire rythmiqued’onomatopées». Tout était enregistré encontinu sur du matériel professionnel. Lemercredi (ou lors de leur consultation suivantes’ils n’étaient pas présents à l’atelier), le CDétait remis à chaque jeune.

La présence de musiciens professionnels a étéla source d’une joie de vivre, simple etcommunicative, empreinte d’une grandesensibilité et de respect. Chacun selon sadisponibilité s’est intégré à la musique, aaccepté de se concentrer, suivant la rigueurimposée par la musique en canon, entendantla critique, acceptant de recommencer.Chaque séance passait très vite. Après unecourte pause, les plus fatigués sortaient dugroupe, les autres se recentraient autour d’unnouveau rythme. La séance terminée, chacunregagnait sa chambre, en repensant aux joieset aux rires qui avaient ponctué la soirée.

L’Atelier Musique s’est achevé par un concert,en juin 2003, grand évènement pour le servicede pédiatrie. Dans la grande salle deconférence du 7e étage, en présence duDocteur Patrick Alvin, étaient réunis desmembres de la Direction de l’Hôpital,

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Faire de la musique avec des adolescents en pédiatrie

Faire de la musique avec des adolescents en pédiatrie

Rencontre réussieQuatorze heures ! Suzon, Guy, Abdoul etSandra, la plus jeune, âgés respectivement de17, 15, 14 et 10 ans, sont installés dans la«salle de classe» du service d’ortho-traumatologie en compagnie de leurenseignante. Fanny, ma collègue musicienneet moi-même sortons nos guitares et demultiples instruments hétéroclites aux sonsparfois étranges et inouïes, percussions etautres, fabriqués à partir de matériaux derécupération. Le diapason les fascine.«Comment ça marche? C’est quoi cettevibration?» Chacun s’y essaie et cherche lacaisse de résonance la plus surprenante àtravers les quatre coins de la pièce. Parsurprise, pinçant des doigts les cordes de saguitare, la voix chantante de Fanny retentit.Chacun retrouve son calme et écoute

attentivement. Les paroles de Mireille 2

touchent et provoquent quelques froncementsde sourcils, les yeux s’écarquillent. Le dernieraccord résonne. Personne n’ose parler.Silence. Je les sens en confiance. J’en profitepour proposer de fermer les yeux et des’imaginer être «ailleurs». J’ai repris mesinstruments et le voyage sonore commence.Leur imagination les emmène dans le pays deleurs rêves. Ils savent qu’ils peuvent ouvrir lesyeux dès qu’ils le veulent. Fanny et moiimprovisons, alternons sonorités douces,bruissements et tempêtes, nous aidant desflûtes, des triangles, claves, tuyauxharmoniques, sanzas (piano à poucesafricain), guiros, maracas divers, chimes,guimbardes, tuyaux musicaux sans-noms,cuicas, instruments fabriqués à base deballons, coquilles, coquillages, gaines

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Faire de la musique avec des adolescents en pédiatrie

Julien Barrière musicien, CHU Hautepierre, Strasbourg 1

JULIEN BARRIÈRE INTERVIENT DEPUIS TROIS ANS AU

CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE HAUTEPIERRE À

STRASBOURG DANS LE CADRE D’UN PROJET MUSICAL EN

PARTENARIAT AVEC LES ÉQUIPES SOIGNANTES ET LA

RESPONSABLE CULTURELLE DE L’HÔPITAL : AU COURS

D’INTERVENTIONS HEBDOMADAIRES DANS DIVERS

SERVICES (URGENCES PÉDIATRIQUES, RÉANIMATION

CHIRURGICALE, NOURRISSONS, « GRANDS ENFANTS »,

SOINS INTENSIFS NÉONATALS, ORTHO-TRAUMATOLOGIE ET

CHIRURGIE VISCÉRALE), IL RENCONTRE NOTAMMENT LES

ADOLESCENTS SOIT EN PETITS GROUPES, SOIT DANS

LEURS CHAMBRES RESPECTIVES SELON LEUR MOBILITÉ.

1. Julien Barrière, saxophoniste classique, guitariste, est titulaired’un Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant, il intervientdans le cadre de projets en crèches, écoles de musiques, écolesprimaires et autres secteurs spécialisés.

2. Chanson de Dick Annegarn

Analyse et encouragementQue pouvons-nous dire de ces rencontres ? Il ne conviendrait pas de conclure que lesrencontres en groupe sont plus faciles àmener que les rencontres individuelles.Certes, notre premier quatuor réuni dans la«salle de classe» n’a pas décroché uneseconde en presque une heure de temps. Pasde regards vagabonds, pas de soupirs, pas deces rires nerveux ou forcés que lesadolescents ont parfois pour cacher unecertaine gêne. Au contraire, leur participationétait active, spontanée, complice. La musiquenous a permis de gagner leur confiance et leurintérêt. Incontestablement, les conditionsétaient très bonnes : les adolescents nesouffraient pas physiquement, ils seconnaissaient ; l’enseignante et une infirmièreavaient bien préparé notre venue.Dans le deuxième type d’intervention, notonsque le public du service est très hétérogène.Ce service des «Grands Enfants» accueilleles patients sous le critère officiel de l’âgepédiatrique (de 4 ans à 15 ans et 3 mois).Dans la réalité quotidienne, ce brassage desâges n’est pas facile à faire cohabiter. Laplupart des adolescents (et certains ontpresque 18 ans) ont tendance à s’enfermerdans leur chambre et à ne pas trop goûter à lasociabilité de la salle de jeu, remplie dejouets, nounours et mini-chaises et surtout de«petits» de moins de dix ans. Les éducatricessont davantage formées pour s’occuper desplus jeunes que des adolescents. Par ailleurs,lors de notre intervention dans la chambre deVincent, même si la musique a pu quandmême se faire entendre, les conditionsn’étaient pas favorables (manque dedisponibilité du personnel soignant,insuffisance d’espace et de tranquillité). Ils’agit donc pour nous, intervenants musicienset équipe médicale, de nous adapter et de

noter les difficultés afin d’améliorer la qualitéde nos rencontres. Ceci permettra à lamusique de rejoindre les jeunes patients à unmoment difficile de leur croissance. Faire de la musique avec des adolescents àl’hôpital reste une expérience singulière. Ilnous faut sans cesse inventer, être surtout àl’écoute et disponible à l’autre. n

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électriques… Concert étonnant. Certains,curieux et peut-être satisfaits de leur voyageintérieur, rouvrent les yeux et nous observent.Doucement, je dépose alors les instrumentsentre leurs mains. Spontanément, d’auditeurs,ils deviennent instrumentistes. Nous sommesdisposés de façon à ce que chacun puisse sevoir et que tous se sentent intégrés. Nousinduisons des arrêts, des nuances, desaccelerando. Chacun s’écoute, se regarde. Lemoment d’improvisation s’arrête. A nouveau,la salle s’enveloppe de silence, regards etsourires s’échangent. Puis la parole reprendsa place peu à peu. Chacun apporte sesremarques et commentaires. Et nous nouséchangeons les instruments, chose difficilepour Guy. Ses problèmes de motricitéimposent de l’aider à choisir des instrumentsqu’il puisse manipuler. Mais qu’importe, je lesens heureux de participer. La séance sepoursuit par une improvisation mélodique etharmonique à la guitare, les enfants nousaccompagnent immédiatementrythmiquement mais aussi sur des jeux detimbre et de couleurs musicales. Nousenchaînons avec «Fais voir le son», unechanson de Steve Waring. Les enfants selaissent vite entraîner à enchaîner lespercussions corporelles que proposent lesparoles. Nous finissons la séance par le canon«Bubble-gum», qu’à ma grande surprise,l’enseignante et certains des enfantsconnaissent et reprennent avec nous. Pour lesautres, la dimension répétitive fait qu’ilsl’intègrent rapidement et nous rejoignent trèsvite. Les cinquante minutes se sont écoulées.Applaudissements et effusions entre nous. Unsentiment de satisfaction m’envahit quandSuzon nous glisse avant de nous quitter : «Jesuis trop contente d’avoir pu sortir de l’hôpitalpendant un moment, ça fait du bien».

Harmonie plus difficileNous intervenons aussi au chevet de maladesqui ne peuvent quitter leur lit. Nous voyantaller dans la chambre de Vincent, 13 ans,Nathalia, à peine âgée de quelques mois deplus, nous suit. Nous commençons à dérouler«notre tapis sonore» : chansons,instruments, etc. Le contact est plus difficile àétablir. Vincent a des problèmes auditifs, cequi oblige l'infirmière qui s'affaire autour delui à crier. En parfaite adolescente qui aencore un pied dans l’enfance, elle voudraitparticiper, à condition qu’on ne la force pas etqu'on lui laisse toujours une porte de sortie ;Nathalia grogne dans son coin : «Je ne saispas comment ça marche cet instrument»,répète-t-elle inlassablement alors que depuisle début elle se débrouille très bien avec !Difficile de capter l'attention des deux jeunes :l'infirmière qui s'occupe de Vincent ne cessede crier, son chariot encombrant n'amanifestement pas été huilé depuislongtemps et la porte restée ouverte parnécessité laisse entrer tous les bruits ducouloir. La rencontre est difficile, maisquelques moments trop courts ont permisquand même aux enfants de s’évader.A quelques chambres de celle de Vincent,nous retrouvons Maud et Sabine, âgées de 14et 13 ans. Elles sont toutes les deux alitées.Visiblement, Sabine souffre physiquement. Sefixer à notre proposition musicale paraitmanifestement difficile pour elles. Au lieud’insister sur leur participation, nousdécidons de les distraire en jouant et enchantant. Au moment de partir, la mère deMaud qui était présente nous remercie d'unsourire. Petite note positive…

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Art vocal, éducationet soins, un projetpartenarial

Art vocal, éducationet soins, un projetpartenarial

S tigmatisée, cette « vieille maison »rencontre des difficultés à surmonterles phantasmes de la population.

Malgré les structures de prise en charge dela santé mentale en ville, l’opacité reste demise. Aussi, la visibilité de l’institutionpsychiatrique comme lieu social présent aumonde et du malade mental comme citoyenprésent à la cité sont les objets de lamédiation culturelle. La Ferme du Vinatier– unité culturelle de l’hôpital – met enœuvre des dispositifs artistiques etculturels visant à créer ces passerellesentre l’extérieur et l’intérieur. A ce titre, elle est l’opérateur, pour l’hôpital, de cepartenariat qui est à l’origine del’expérience intitulée « Les Hauts Navires à Musique ».

Le projetLe cœur du projet consiste à organiser la miseen place d’un travail de pratique vocale etmusicale de longue haleine avec les enfantset adolescents autistes et psychotiques, suivispar les services de pédopsychiatrie duVinatier. Celui-ci se caractérisant parl’articulation des dimensions pédagogique,thérapeutique et artistique.

Objectif Elaborer, à partir d’un travail de terrainrégulier avec les enfants en soin au Vinatier,les conditions de réalisation d’un objetartistique commun dans le domaine du chant,pouvant éventuellement, à terme, êtreprésenté dans l’espace public (enregistrementd’un disque, par exemple).

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LE CENTRE HOSPITALIER LE VINATIER EST L’UN DES

HÔPITAUX PSYCHIATRIQUES LES PLUS IMPORTANTS

DE FRANCE. IL COUVRE AVEC SES 64 STRUCTURES

« EXTRA-MUROS » QUINZE SECTEURS

GÉOGRAPHIQUES DE LYON ET DE SES ENVIRONS,

CHACUN D’UNE POPULATION DE 70 À 100 000

PERSONNES. DE SURCROÎT, SON TERRITOIRE

PROPRE DE 75 HECTARES, À BRON, ACCUEILLE EN

HOSPITALISATION COMPLÈTE ENVIRON 800

MALADES. PRESQUE 3000 PERSONNES

TRAVAILLENT POUR CET ÉTABLISSEMENT.

Art vocal, éducation et soins, un projet partenarial

Carine Delanoë-Vieux responsable culturelle, Ferme du Vinatier, Lyon

d’un soignant dans les cas d’unité de soins.- un trio formé d’un musicien intervenant,d’un instituteur spécialisé et d’un soignantdans les secteurs avec classes thérapeutiqueset unité de soin impliqués.

Chaque participant du duo ou du trio ayant àcharge de garantir la qualité de son domainede compétence dans la dynamique decollaboration. Le musicien assurantl’animation musicale, l’enseignantgarantissant l’encadrement du groupe et lesoignant aidant chaque enfant à participer àl’activité.

Alain Goudard, mobilisé pour ses qualités demusicien et sa connaissance des milieux duhandicap, a visité les séances de musique etaccompagné les musiciens dans leur travailgrâce à des rencontres régulières deformation-action. Cet accompagnementconstitue une des conditions de maintiend’une unité entre les différents travauxmusicaux menés dans les groupes d’enfants.Une évolution parallèle ayant pu ainsi semettre en œuvre dans la méthoded’intervention musicale : une première annéeconsacrée au patrimoine musical dans leregistre de l’imitation, une deuxième annéeouverte sur les jeux de voix et de percussionsdans le registre de l’invention, une troisièmeannée concentrée sur l’improvisation,l’enregistrement, l’écoute dans le registre dela création.

L’axe formation-régulationL’enjeu de ce processus inscrit sur trois ansest de garder la dynamique collective vivanteentre les 11 groupes et d’empêcher quechacun se referme sur lui-même, heureux deprofiter de l’intervention d’un musiciengratuitement. Aussi, il a fallu nourrir etréguler l’évolution des enfants et desanimateurs par une mutualisation des

expériences et l’implication des participantsdans l’univers musical. Nous avons doncproposé plusieurs formations.- La formation «Animation pédagogique»,conduite chaque année par l’ÉducationNationale. Animée par le conseillerpédagogique musique, Philippe Charré, ellerassemble les instituteurs spécialisés de lacirconscription concernée dans le cadre deleur temps de travail. - La formation «Art vocal», déjà menée ausein du Vinatier en 2000. Quatre chanteusesdes Solistes de Lyon-Bernard Tétu ont initiéune quarantaine de soignants etd’orthophonistes de l’hôpital à l’art vocal. Laplupart d’entre eux sont volontaires pours’impliquer dans le projet avec les enfants duVinatier. - La formation «Régulation/recherche » réunitles opérateurs (Ferme du Vinatier, Solistes deLyon-Bernard Tétu, CFMI, Éducation Nationaleet autres partenaires à venir), lesresponsables des services de soin, lesanimateurs des groupes d’enfants(instituteurs, soignants, musiciens). Elle apour objectif d’échanger les expériences, demutualiser les réflexions à partir du terrain, deréguler l’action, d’organiser des échangesentre les groupes d’enfants.

L’axe culturel de diffusionEn outre, la Ferme du Vinatier programmerégulièrement des concerts proposés enparticulier par les partenaires artistiques duprojet de manière à envelopper les soignantset les patients dans un univers musical par lebiais de l’émotion esthétique.

L’expériencePour les soignants, tout le monde lecomprendra, ce dispositif ne pouvait prendredu sens qu’à la condition de le mettre auservice de la thérapeutique. Il s’agissait avanttout pour eux de créer un «groupe musique»

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- Favoriser l’expression des enfantshospitalisés et leur ouverture sur les autres, àtravers une création artistique,- Mettre à disposition des enfants des formesd’expression pouvant faciliter l’élaboration etl’objectivation d’une souffrance morale ouphysique,- Assurer une diffusion de ce témoignageauprès d’un large public pour le sensibiliser àla question de la maladie chez l’enfant.

Architecture Diversité et partenariat

Les opérateursL’idée et le désir de ce projet sont nés de larencontre avec les Solistes de Lyon - BernardTétu. À l’issue d’une année de concerts et deformations à l’art vocal des soignants, il nousa semblé nécessaire de toucher plusactivement les patients de l’hôpital et, enparticulier, les enfants et adolescents. C’estalors que nous avons mobilisé le Centre deformation des musiciens intervenants de Lyon(Gérard Authelain et Anne-Marie Bastien),l’Académie de Lyon (Philippe Charré et JosetteRivière), Résonance contemporaine (AlainGoudard) et l’Ecole nationale de musique deVilleurbanne (Martial Pardo). Avec l’hôpital, leprojet reposait sur un montage partenarial desix institutions et structures artistiques denature différente. Il n’en a fallu ni une de plusni une de moins.

Les acteurs du projetLa diversité des univers professionnelsconcernés par cette action se retrouve auniveau des animateurs des groupes d’enfantset d’adolescents. Construits en binôme ou entrinôme, ils sont constitués de musiciensprofessionnels, de professions soignantesvariées (infirmières, orthophonistes,éducateurs…) et d’enseignants parfois

spécialisés. Si l’on ajoute les référents dechaque structure concernée, au sein desquelson trouve les psychiatres et les cadresinfirmiers, c’est une cinquantaine deprofessionnels qui ont été impliqués danscette expérience.

Les structures d’accueil et les enfantsEnfin, l’hétérogénéité reste de mise avec letype de structures qui ont accueilli lesmusiciens et les enfants concernés par ledispositif. Il faut rappeler à cette occasionque les structures étaient volontaires pours’engager dans le projet, ce qui explique enpartie leur diversité. Il s’agit de CATTP (centred’accueil thérapeutique à temps partiel), deCDJ (centre de jour), d’unité du soir, de classeà caractère thérapeutique, d’unitépédagogique d’intégration. L’âge des enfantscouvre un large éventail de 2 et 18 ans. Leurnombre se monte à 67. Ils souffrent depathologies variées classées par commoditésous les vocables d’autisme et de psychose,certains d’entre eux ne présentant que destroubles du comportement et/ou de lacommunication sans diagnostic avéré. La complexité de l’infrastructure du projetrendait nécessaire le développement.

Méthodologie Complémentarité et régulation

L’axe groupes musicaux d’enfantsLes groupes d’enfants se réunissent à unrythme hebdomadaire. Ils sont créés pourcette occasion et le travail vocal se déroulerapendant une année scolaire au moins,renouvelable. Ces groupes peuvent êtreanimés, selon les paramètres par :- un duo formé d’un musicien intervenant etd’un instituteur spécialisé dans les cas declasses thérapeutiques,- un duo formé d’un musicien intervenant et

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moins consciente, de repli du projet sur legroupe seul et sur les objectifsthérapeutiques, il fallait imaginer une paradepour relancer la dynamique collective et ledésir de création. Ce dernier est justement lefruit d’une de ces stratégies qui a consisté,sur proposition du CFMI, à organiser un staged’improvisation pour tous les animateurs.Pour chaque étape du projet de création et dediffusion, les soignants et les enseignantsdévoilaient leurs éventuels risques éthiques etpsychologiques. À leur tour, ils devaientimaginer des modes opératoires prenant encompte le projet et leurs réserves.

D’échanges en négociations, nous sommesparvenus à trouver des solutionssatisfaisantes pour chacune des questionsépineuses auxquelles nous avons étéconfrontés : l’anonymat des enfants,l’intégrité de leurs improvisations, l’équilibreentre exigence et reconnaissance du travail dechacun sans hiérarchie, le sanctuaire de soinet la nécessité de «sortir» les productions decet espace, la promotion du projet et laprotection des enfants vis-à-vis desjournalistes… Finalement, nous avons fait dela complémentarité des compétences et desréférences une richesse, une ressource pourque les objectifs ne s’excluent pas les uns lesautres, pour que les acteurs nes’instrumentalisent pas les uns les autres.Tout au long de ce cheminement, nous avonsélaboré un langage commun pour mieuxcomprendre l’univers des enfants et mieuxexplorer une esthétique musicale particulière.

La gratification commune de cette expérienceréside, bien entendu, dans les bénéfices qu’enont tiré les enfants et les adolescents qui ontévolué tant sur le plan du comportement quesur celui des capacités musicales. Les adultesreconnaissent sortir enrichis de ce travailtransversal et pluriprofessionnel. Enfin, tout le

monde est très fier de la réalisation finale quia tant prêté à débat. Un regret, toutefois,exprimé au cours du bilan : les parents ont étépeu impliqués par les animateurs dans ceprojet. La découverte du CD a provoqué desréactions, semble-t-il, assez contrastées.C’est un point de vigilance pour l’avenir.

Pour autant, l’aventure était trop belle pourfaire rentrer tout le monde au port. Si notrenavire raccrochait les amarres, il n’en étaitpas moins soucieux de trouver des relais pourpoursuivre cette découverte. C’est ainsi qued’autres galions mieux achalandés pour cetype de voyage ont proposé aux enfants derepartir vers de nouveaux horizons Cetteexpérimentation de trois ans cherche àprésent à se pérenniser en entrant dans ledroit commun des équipements musicaux deservice public. C’est pourquoi, nousmobilisons actuellement les conservatoires etécoles de musique pour reprendre à leurcompte les groupes d’enfants qui souhaitentpoursuivre l’activité musique avec desprofessionnels du secteur. La ferme duVinatier et le CFMI se sont engagés àpoursuivre leur action de formation et demédiation de ce nouveau réseaud’intervenants. n

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avec les moyens budgétaires et professionnelsréunis par la Ferme. La dimension culturelle,et plus encore l’ambition d’aboutir à unecréation artistique, les déroutait et suscitaitmême une défiance, d’ailleurs, exprimée. Laquestion se posait donc de savoir comment ilspouvaient générer une valeur ajoutée au«groupe musique» dans le cadre desconditions posées par Les Hauts Navires àMusique, sans pour autant se laisser utiliserpar les entrepreneurs culturels que noussommes. Les premiers temps du projet se sontdéroulés dans une atmosphère de surpriseréciproque teintée de méfiance du côté dessoignants. En effet, les valeursprofessionnelles des soignants en psychiatriesont prégnantes dans toutes leurs décisionset se heurtaient à celles des opérateursculturels. Ils sont centrés sur lesindividualités. Le secret médical marque leurrapport aux autres et l’espace de soin estinstitué en sanctuaire. Or, la démarcheculturelle se soucie du plus grand nombre.Elle est dans le respect de la visibilité desauteurs, qu’ils soient professionnels ouamateurs. Elle nécessite, à un moment ou unautre, de rencontrer l’espace public. En cela,elle est à contre-courant de ces valeurs de lapratique psychiatrique.

Les enseignants, c’est une lapalissade,poursuivent eux des objectifs pédagogiques.Cependant, les caractéristiques des enfantsles autorisent à une grande libertéd’initiatives bien autant centrée sur lesacquisitions comportementales et desociabilité que sur celles d’un savoir objectif.Généralement privés des musiciensintervenant habituellement dans les écoles,les enseignants ont accueilli à bras ouvertsles musiciens du projet. Néanmoins, laperspective de création musicale les laissaitextrêmement dubitatifs. Au regard des trèsgrandes difficultés des enfants de leur classe,

ils ne pouvaient pas imaginer au départ qu’ilspuissent être les auteurs et les interprètesd’une séquence musicale bien à eux. Lespédagogues sont eux, très centrés sur le cadredes enfants, sur les règles collectives ettravaillent plutôt au niveau du groupe. Or, lacréation, par essence, décadre les frontières,bousculent les règles établies.

Les musiciens, pour leur part, ont dès l’origineendossé l’objectif artistique du projet. Nonseulement, ils y croyaient mais leurengagement était fondé en partie sur cetteaspiration. Ils ont pris très au sérieux lamission qui leur était confiée de favoriser lacréativité des enfants et de les amener à unedémarche d’improvisation. En revanche, ilscraignaient beaucoup qu’on leur assigne desobjectifs thérapeutiques pour lesquels ilsn’étaient évidemment pas armés. Trèsdémunis devant ces enfants énigmatiques,les musiciens ont pu faire de la musique avecles enfants car le soignant commel’enseignant ont été pour eux des tuteurs. Ilsavaient alors la liberté de se consacrer àl’expression musicale des enfants,individuellement et en groupe.

Enfin, ces différents registres d’objectifsdevaient s’intégrer dans l’objectif culturelplus général de la Ferme et de sespartenaires. Celui-ci étant de faire découvrirun univers artistique aux enfants, mais aussiaux adultes, et de les associer à une créationcollective devant permettre unereconnaissance élargie de leurs potentialitéset de leurs capacités.

La tension existant entre ces objectifs a étécontinue pendant trois ans. Elle a été unvéritable stimulant du travail d’échanges,d’écoute et de négociation que nous avonsmenés tous ensemble. Pour chaque inflexionchez les soignants et enseignants, plus ou

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Résidencesd’artistesen milieuhospitalier

Résidencesd’artistesen milieuhospitalier A ssocier pendant toute une semaine des

musiciens professionnels au projethospitalier destiné à des adolescents

est un véritable défi. Nul doute quel’investissement de tous les acteurs estimportant. Ainsi, en novembre 2003, le servicede médecine du Centre hospitalieruniversitaire (CHU) de Nice a accueilli dansses murs pour les adolescents du service,Steve Waring et Jean-Jacques Milteau. Lesdeux musiciens, qui parrainent l’Association«Musique & santé», s’installèrent «enrésidence» avec les jeunes hospitalisés. Ilspartagèrent leurs journées, avec un projetcommun : la découverte du «blues». Lesjeunes étaient certes hospitalisés, mais leurvie quotidienne s’organisa autour de l’activitémusicale. Quel bilan global l’équipe médicalefait-elle de cette expérience?

Tout le monde connaît la qualité des projetsque Philippe Bouteloup mène avec l’association«Musique & santé» et il est difficile de ne passe laisser interpeller par l’une de sessollicitations ou l’un de ses écrits : «Il faut imaginer quelques cheminsbuissonniers extraordinaires pour ceux que lamaladie peut exclure. (…) Humaniser l’hôpital,c’est chercher à atténuer cette coupure avecl’extérieur (…). Faire de la musique dans unservice pédiatrique, avec ou pour les enfants etadolescents, c’est rétablir un équilibre,mobiliser l’imaginaire et la créativité dechacun, partager du temps, jouer avec lessons. C’est laisser place au plaisir, à la poésie,à la vie tout simplement. (…). Musique etchansons s’adressent à la partie non maladede l’enfant ou de l’ado et lui redonnent sonstatut de personne à part entière».

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Résidences d’artistes en milieu hospitalier

Jean-Jacques Romatet directeur général du CHU de Nice et président de la commission de la conférence des directeurs généraux « Culture à l’hôpital ».

Ces temps forts en direction des hospitaliséspeuvent-ils se substituer à une actioncontinue entre soignants et musiciens? Si lavolonté de décloisonner l’hôpital, de le relierchaque jour davantage avec sa cité, est bienpartagée par l’équipe soignante et médicale,comme c’est le cas au CHU de Nice, c’estdans une série d’initiatives, créant etstimulant la médiation des artistes etnotamment des musiciens professionnels enmilieu hospitalier, que se trouve sûrementl’une des réponses à la question. Unepolitique continue, soutenue par des mécènesgénéreux et tenaces, rend possible cevéritable acte politique qu’est l’ouverture del’hôpital sur son environnement, après desdécennies de sanctuarisation mais aussid’isolement de l’action de soin. n

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De telles réflexions sont des pistes nouvellespour les dirigeants de l’hôpital. La questionrebutante est immédiate : comment assumerl’aspect financier d’un tel projet ignoré desprévisions budgétaires hospitalières? Etpourtant, au-delà des difficultés qui ont puapparaître, c’est parce que des acteurs ontcru au défi que le projet a pu prendre forme.

Incontestablement, les échos à chaud de ceshuit jours 1 ont été très positifs. Pourquoi ? Lespersonnes d’encadrement, les médecins, lesinfirmières étaient des personnels prêts pourcette aventure. Ils avaient réfléchi et avaientdéjà une expérience de musique en milieuhospitalier. Ouverts, ils savaient déjà à la foisêtre dans le projet et se mettre en retrait.Les adolescents sont allés à leur rythme, cequi a laissé le temps aux plus sceptiquesdans un comportement distant, voiremoqueur, de chantonner : «Je préférerais êtrebien (portant) ailleurs, plutôt qu’ici» ou «J’aile blues dans ma tête». Puis, accoutumés, ilsattendaient le matin devant la porte l’arrivéedes musiciens. A la fin de la semaine, alorsque ceux-ci étaient prêts à repartir, lesadolescents voulaient encore écrire. Ils étaientfascinés de rencontrer des hommes quiétaient de vrais artistes, munis d’instrumentsde «pro» qu’on pouvait même toucher,utilisant des méthodes de «pro». De leurcôté, les musiciens prenaient les jeunes ausérieux. On n’était pas là en train de faire«comme si». La valorisation de cesadolescents est peut-être le point le plusréussi de l’expérience, fondée sur un respectréciproque. Les musiciens se sont vraimentintéressés à la musique écoutée et créée parles adolescents qui en étaient très fiers. Latraduction de cet intérêt était perceptibledans le niveau de concentration, l’institutriceayant noté une grande différence avec leniveau d’attention habituel. À l’égard de leurs

parents et des soignants, les adolescents ontressenti qu’ils donnaient une meilleure imaged’eux-mêmes.Tous les acteurs ont apprécié la durée de larésidence dans le temps : les musiciens sontarrivés ; ils ont posé leurs affaires et se sontinstallés. Cette intrusion complice et amicalea permis, peu à peu, après le tempsd’apprivoisement et les craintes biencompréhensibles, la créativité, l’écriture quinécessite l’unité de temps et l’unité de lieu, etdonne des sentiments de plaisir et d’évasion. Enfin, les textes d’évaluation soulignent lerespect mutuel de chacun. Les musiciensétaient respectueux du travail deshospitaliers, ils surent s’intéresser aussi àdes enfants d’autres services, pendant queles musiciens ont apprécié l’intérêt et lerespect porté par l’ensemble des équipes duservice.

L’objectif premier de l’organisation de larésidence de musiciens en milieu hospitalier aété atteint. La « résidence» n’est nithérapeutique, ni centrée sur une quelconquerentabilité ou une efficacité soignante. Ellecherche à créer du plaisir, à favoriserl’échange entre l’artiste dont le métier est dedonner à voir, de proposer un univers originalet des jeunes auxquels on permet de créerleurs propres textes et leurs rythmes.Incontestablement, l’échange a été intense.Ce sont les artistes qui demandaient l’heurede la pause…Médiateurs avant tout, les musiciens ontréussi à donner encore plus d’intensité auxrelations avec les soignants très bienimpliqués dans le projet. Les parents ont étéheureux de découvrir une autre image de leursenfants. Les médecins favorables etcomplices sont restés attentifs etvolontairement discrets pendant toute lasemaine.

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1. Sur le plan financier, l’idée de s’associer par une conventionavec l’hôpital voisin de la Fondation Lenval s’avéra très bénéfiqueet permet de renouveler les rapports mutuels des deux institutionsparfois en concurrence.

Quand l’harmonicadonne du souffle auxados hospitalisés

Quand l’harmonicadonne du souffle auxados hospitalisés

À l’occasion d’un concert dans le nord dela France, comme j’arrivais tôt dansl’après-midi avec mon camarade

guitariste, les organisateurs nous ontdemandé si nous pouvions éventuellementjouer quelques morceaux dans un hôpital àproximité du lieu du concert. J’ai accepté.Cette première expérience a été dure, maisforte. Les kinésithérapeutes se sont intéressésà l’harmonica. La manière de jouer de cetinstrument est très spécifique : on joue dansles deux sens, on souffle et on aspire. Ilsm’ont expliqué que, dans le cadre de leursrééducations, ils proposaient le même typed’exercice à leurs patients et utilisaient desappareils très sophistiqués. Ne serait-il pasplus « rigolo» de souffler et d’aspirer dans unharmonica plutôt que de s’époumoner surl’embout d’un tube en plastique?

C’est à ce moment-là que j’ai rencontréPhilippe Bouteloup et l’Association «Musique& santé». Assez vite, nous avons envisagéplusieurs projets mettant en valeur l’atoutrespiratoire de l’instrument. Avec le concoursde Radio France, nous avons enregistré uncompact disque intitulé Manque pas d’air quiest une sorte de méthode élémentaired’harmonica dont les différents morceauxpeuvent être utilisés comme des exercicesrespiratoires. L’harmonica présente l’intérêtd’être très abordable à tous points de vue etsurtout, il ne fait pas peur. Techniquement, lespremiers sons ne sont pas difficiles à émettre.L’instrument même est à peine plus cherqu’un stylo : il permet tout autant d’exprimerdes sentiments personnels et de faire passerde l’émotion.

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JEAN-JACQUES MILTEAU JOUAIT

DE L’HARMONICA D’UNE FAÇON

PUREMENT LUDIQUE, QUAND,

PAR UN CONCOURS DE

CIRCONSTANCES, CETTE PRATIQUE

EST DEVENUE INCIDEMMENT SON

MÉTIER. DEPUIS PLUSIEURS

ANNÉES, IL MET SON TALENT À

DISPOSITION NOTAMMENT DU

PUBLIC DES HÔPITAUX.

Quand l’harmonica donnedu souffle aux ados hospitalisés

Jean-Jacques Milteau harmoniciste

«concerts déambulatoires» à la rencontredes adolescents qui ne pouvaient quitter leurlit (hémodialyse, orthopédie). Soulignons àjuste titre que toutes ces interventions n’ontpu fonctionner que grâce à l’implicationactive et bienveillante du personnelhospitalier avec lequel nous échangeonsbeaucoup et qui accepte de nous faireconfiance.

En conclusion, la musique à l’hôpital, milieutrès spécifique, performant sur le planmédical, ne réalise réellement son objectif quelorsqu’elle permet d’aider à l’expressionpersonnelle ou à l’ouverture vers une forme deculture, celle que l’on s’approprie, celle desautres et de la connaissance humaine. Lesadolescents, même hospitalisés, ont ainsi lapossibilité ouverte d’apporter leur note auconcert ! n

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C’est dans cet esprit que j’interviens dans leshôpitaux conjointement avec mon alter egoharmoniciste Greg Szlapczynski. Nous sommesallés au Centre de pédiatrie et de rééducationde Bullion (Yvelines), au Centre Hospitalier deMontereau (Seine-et-Marne), dans le servicede pédopsychiatrie du Centre HospitalierUniversitaire (CHU) de Toulouse et toutrécemment dans le service de médecine duCHU de Nice. Si je suis habitué à me produiresur une scène devant des adultes, je doisavouer que je ne me sens pas forcément très àl’aise avec un public d’adolescentshospitalisés ; ils ont leurs codes qui ne sontpas les nôtres. Au fond de moi-même, j’y vaistoujours un peu «à reculons» car ce sont desmoments difficiles, mais j’y vais ! Je suisconvaincu, et c’est un point de vue que jepartage avec mon ami chanteur Steve Waringavec lequel j’interviens souvent, que là-bas, à

l’hôpital, là où les risques de contagions sonténormes, la passion de vivre et de transmettreest, heureusement, tout aussi contagieuse.Nous jouons, nous n’imposons rien. Noussavons que l’hôpital contraint les jeunes et lescoupe de leur milieu culturel habituel. Pour sedistraire, ils sont tributaires de la télévision.En faisant de la musique, la possibilité des’ouvrir existe. A la condition de ne pas seleurrer en terme d’efficacité ou de résultats.Laissons dehors nos conditionnements ! À Nice, les adolescents ont pu pendant unesemaine se confronter à l’écriture de textes età leur mise en musique. Notre rôle était dedonner l’envie, de conduire, d’accompagnerces temps d’écriture autour de la musique, enpartant de choses très quotidiennes pour eux(mots importants qui riment ou non, rythmes,audace, etc.) Les moments autour de la tableavec crayon et papier alternaient avec les

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S i l’art et la culture peuvent paraître aupremier abord peu prioritaires, dansune approche plus approfondie, plus

humaine de l’accueil à l’hôpital, ceux-ciparticipent pour une grande part de la qualitéde vie des patients.

De fait, l’art et la culture, s’inscrivent dansune relation de longue date entre l’hôpital, sespatients et les artistes. Les équipessoignantes ont depuis longtemps accueilli desartistes et intervenants culturels au bénéficedes malades et leur famille. Les centreshospitaliers spécialisés en psychiatrie ontsouvent été précurseurs et le milieu culturelassociatif s’est fortement engagé pour desactions novatrices de qualité.

L’intérêt de développer la culture à l’hôpitalpour les personnes y séjournant ou ytravaillant est aujourd’hui unanimementreconnu. Une action culturelle ou artistiquepeut contribuer à améliorer la qualité de vie àl’hôpital. Elle permet d’établir un lien différentsoignant/soigné, et contribue à un meilleurrespect de l’usager, en prenant en compte sesbesoins et ses choix en tant que personne, audelà de ceux liés à sa pathologie. La culture àl’hôpital s’inscrit donc pleinement dans lemouvement de reconnaissance du droit dupatient entériné par la loi du 4 mars 2002relative au droit des malades et à la qualitédu système de santé qui prévoit l’améliorationde la qualité de l’accueil des personnesmalades et de leurs proches. Les actions

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La culture à l’hôpitalLa culture à l’hôpital

La culture à l’hôpitalDanièle Wohlgemuthministère de la santé et de la protection sociale,

Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins,Sous-Direction de la qualité et du fonctionnement

des établissements de santé

lieu, de poursuivre l’ancrage institutionnel desactions artistiques ou culturelles dans lesétablissements au travers des projets deservice, des projets d’établissement, descontrats d’objectifs et de moyens pour aboutirprogressivement à une politique culturellerépondant aux besoins spécifiques de chaqueétablissement. Il est souhaitable égalementd’améliorer les modalités de sélection et definancement des projets par des regardscroisés entre les DRAC, les ARH, lesprofessionnels hospitaliers et lesreprésentants d’usagers ainsi que d’élargir lerecours au mécénat. Il s’agit enfin des’assurer de la pertinence et de l’impact desactions au moyen de procédures d’évaluation.C’est dans ce cadre que l’artiste, l’intervenantculturel pourront faire reconnaître la pleinelégitimité de leur présence à l’hôpital. n

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culturelles ou artistiques ont également uneffet décloisonnant sur les équipes et lescatégories professionnelles et permettent uneouverture de l’hôpital sur la cité.

La convention nationale de 1999 entre lesMinistères chargés de la Culture et de laSanté, qui a vocation à être relayée par desconventions régionales entre les DirectionsRégionales des Affaires Culturelles (DRAC) etles Agences Régionales de l’Hospitalisation(ARH), définit une politique commune dedéveloppement de la culture à l'hôpital. Ellese fonde sur l’instauration de jumelages entreles équipements ou associations culturels etles hôpitaux, le développement et lastructuration des bibliothèques hospitalières,l’incitation à développer la fonction deresponsable culturel. A ce partenariat entreles deux ministères, s’associent desentreprises mécènes au niveau national. Auniveau local, des mécènes et des collectivitésterritoriales apportent également leur soutien.

Cinq ans après la mise en œuvre de laconvention, on constate que le milieuhospitalier a su s’ouvrir à des actionsartistiques ou culturelles tout en affirmant sesvaleurs : en exigeant la qualité sur lesprocessus de concertation, de partage,d’appropriation par les acteurs hospitaliers,en exigeant des médiations adaptées auxmalades. La culture quant à elle a apporté unniveau d’exigence professionnelle portant surle contenu artistique ou culturel des actions.

Dans de nombreux établissements des projetsculturels ou artistiques se sont développés etont parfois permis l’émergence d’une politiqueculturelle globale.

Les différents acteurs de la culture à l’hôpital : responsables culturels hospitaliers,bibliothécaires bénévoles ou professionnels,responsables d’ateliers artistiques, se sontprofessionnalisés et ont associé les équipeshospitalières à la réalisation de leurs projets.Des artistes ont résidé pour un temps donnédans l’hôpital et créé des œuvres eninteraction avec les usagers.

Les quinze conventions signées entre lesDRAC et les ARH ont généré 200 jumelagesenviron entre des établissements de santé etdes équipements culturels ou des compagniesd'artistes en instaurant des relations suiviespermettant de mettre en œuvre des projets dequalité.

Par ailleurs, des journées d’échanges, deréflexion ou de recherche sont régulièrementorganisées au niveau régional ou national parle milieu de la santé de la culture ou del’université.

Ce partenariat entre les acteurs de la santé etde la culture a permis aux différentsprotagonistes, de connaître leurs contrainteset leurs intérêts respectifs. Le métissagesanté culture a fait naître un espace nouveauau bénéfice de l’usager, des professionnels etdes artistes.

Certaines voies de progrès sont à mettre enœuvre pour renforcer la cohérence dudispositif et améliorer encore la qualité desprojets. Celle-ci repose non seulement sur leurvaleur artistique incontestable mais aussi surun partage de sens entre les équipeshospitalières, les artistes ou intervenantsculturels et les usagers. Il s’agit en premier

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La relation entre l’art et la santé

La relation entre l’art et la santé L a relation entre l’art et la santé

s’éprouve à la fois dans une dimensionclassique et contemporaine. Elle

s’inscrit d’une part dans le vaste discours dela médecine, des sciences humaines et de lasanté, et d’autre part dans une réponsepolitique et sociale de la démocratisation dela culture et de son accès. Cette relationimplique des choix éthiques pour l’accès à lamodernité, aux changements et à latransformation de l’individu et de l’institution.L’atavisme entre l’art et la santé est aussiancien. Dès lors, il n’est plus surprenant deconstater que la relation entre l’art et l’hôpitalest passionnelle, fusionnelle, étroite etcomplexe. Aujourd’hui, et depuis les années 80, selon lessystèmes sanitaires, les initiatives artistiqueset culturelles, toutes disciplines confondues,n’ont cessé de se développer selon descaractéristiques différentes, de façon parfois

très anarchique et sans grande lisibilité pourle ministère de la Culture et de laCommunication. Sur la qualité et les objectifsdes actions menées, dans des perspectives dedémocratisation de la culture institutionnelleet d’offre culturelle élargie à de nouveauxpublics alors «empêchés», le ministère de laCulture et de la Communication a décidé,dans les années 1990-1996, d’interroger leministère de la Santé sur la création d’unprogramme « Culture à l’hôpital». En 1999, lasignature d’une convention interministérielle,relayée par quinze conventions régionalessignées à ce jour, a permis la mise en placed’un dispositif visant à favoriser ledéveloppement de politiques culturelles et deprojets artistiques, ainsi que la formation etla mise en place de responsables culturels ausein d’établissements hospitaliers.La fonction de responsables culturels est unefonction centrale du dispositif. Elle implique

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Xavier Collalchargé de mission pour « Culture à l’hôpital »,à la Délégation au Développement et aux Affaires Internationales,ministère de la Culture et de la Communication

La relation entre l’art et la santé

À l’hôpital comme dans la cité en général, lesdomaines de l’art et de la culture sont parexcellence des moyens d’expression ouvertsaux diverses formes de résilience. Cesexpériences représentent des occasionsinfinies toujours disponibles d’exprimer desenjeux personnels pour l’individu ou collectifpour l’institution. Ces manifestationsautorisent toutes les allégories, lestranspositions ou les métamorphoses. Lephilosophe Paul Ricœur souligne «qu’il n’estpas de compréhension de soi qui ne soitsymbolisé par des signes, des symboliques etdes textes. Chaque expérience esthétique,culturelle permet aussi de se protéger, departager avec soi, avec d’autres ce quiconcerne au plus près dans une volonté decommuniquer, voire de laisser trace parl’instauration de repères porteurs de sens ». Il s’agit d’éprouver des émotions et d’élaborerune intelligence sociale, sensible et critique,pour s’adapter à la vie. C’est un des objectifsdu programme « Culture à l’hôpital» et de laculture en général. n

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de la part des établissements une volonté dese qualifier pour organiser des projets à lahauteur de leurs ambitions. Pôles deressources, les responsables culturels jouentle rôle d’interface entre l’équipement culturelet l’établissement hospitalier. La création dece poste est une innovation pour lesétablissements hospitaliers qui se dotentd’une compétence nouvelle, essentiellementculturelle. La convention précise que pour lesinterventions plus spécifiques des artistes endirection des patients, il s’agit«d’interventions d’artistes» : l’acte artistiqueet la dimension culturelle n’ont pasd’intention thérapeutique. Néanmoins, ellesprovoquent un certain nombre d’effets surl’individu comme sur l’institution.

Le jumelage est l’autre élément d’ouverture dela politique culturelle. Il s’avère le lienprovoqué entre les équipements culturels dela cité, souvent de proximité, et leséquipements hospitaliers. La rencontre ne vapas de soi. Ces deux mondes n’ont pasforcément tissé des liens étroits depuislongtemps. Aujourd’hui, la rencontre permetsingulièrement de faire évoluer les projetsexistants dans des conditions de qualité, en

professionnalisant la rencontre d’artistes eten évitant « le bricolage artistique» sicouramment répandu. Facilité par lasignature des conventions en région, entre lesdirections régionales des affaires culturelles(DRAC) et les agences régionales del’hospitalisation (ARH) qui autorisent lesfinancements de projets validés, ledéveloppement des jumelages s’estconsidérablement accru ces dernières années.Environ deux cents jumelages sont en place etquinze régions ont signé une conventionDRAC/ARH.

Pour le ministère de la Culture, intervenir àl’hôpital enrichit des capacités de créationpar l’approche d’une réalité autre. Cetteaction sensibilise toute une populationsouvent en marge des dynamiques culturellesen favorisant leur rencontre avec l’artiste etl’œuvre d’art. La culture envahit l’espacepublic, répondant à la demande d’unepopulation désireuse d’une culture plusproche. Premier employeur des villes et lieu detransit de la population, l’hôpital devient unterritoire d’accès à la culture pour l’ensemblede la communauté hospitalière, soignants,patients et visiteurs.

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Organisateurs

Musique & santé Philippe Bouteloup, directeur 9, passage Saint-Bernard 75011 – Paris01 55 28 81 00 / [email protected] / www.musique-sante.com

Cité de la MusiqueDépartement Pédagogie et Documentation musicales Marie-Hélène Serra, directriceService des Événements Pédagogiques Hélène Koempgen, responsable221, avenue Jean Jaurès 75019 – Paris01 44 84 44 73 / [email protected] / www.cite-musique.fr

Partenaires

Ministère de la culture et de la communication3, rue de Valois 75001 - Paris

Délégation au Développement et aux Affaires InternationalesMinistère de la Culture et de la Communication2, rue Jean Lantier 75001 - Paris

Secrétariat d’Etat à la Santé et à l’Action sociale8, avenue de Ségur 75015 - Paris

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Partenaires et intervenantsPartenaireset intervenants

Rémy JouninAnimateur Radio21, avenue Jean Lolive93500 - Pantinwww.afp2p.com

Jean-Jacques RomatetDirecteur GénéralCHU de Nice - Hôpital Cimiez4, avenue Victoria -BP 117906003 - Nice cedex

Danièle WohlgemuthMinistère de l’Emploi et de la SolidaritéDirection des Hôpitaux -Bureau P18, avenue de Ségur75350 - Paris

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Patrick AlvinChef de ServiceC.H.U du Kremlin-Bicêtre Service de médecine adolescente78, rue du Général Leclerc94275 - L e Kremlin-Bicêtre cedex

Julien BarrièreMusicienMusique & santé9, passage Saint-Bernard75011 - [email protected]

Philippe BouteloupMusicien et directeurMusique & santé9, passage Saint-Bernard75011 - [email protected]

Claude BursztejnPsychiatre, chef de serviceCHRUService de psychopathologie pourenfants et adolescents1, place de l'Hôpital67091 - Strasbourg cedex

Marianne ClaracMusicienneMusique & santé9, passage Saint-Bernard75011 - [email protected]

Xavier CollalChargé de MissionMinistère de la Culture - DDAI2, rue Jean Lantier75001 - Paris

Claire CornetteCadre infirmierCHU du Kremlin-BicêtreService de médecine adolescente78, rue du Général Leclerc94275 - L e Kremlin-Bicêtre cedex

Carine Delanoë-VieuxDirectriceFerme du VinatierDirection Générale95, boulevard Pinel69677 - Bron cedex

Michel FizeSociologueCNATP6, avenue du Mahatmata Gandhi75116 - Paris

Marc GuerrierMédecinHôpital Saint-Louis1, avenue Claude Vellefaux75451 - Paris cedex 10

Emmanuel HirschDirecteur de l’Espace EthiqueHôpital Saint-Louis1, avenue Claude Vellefaux75451 - Paris cedex 10

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Intervenants

Musiciens

Jean-Jacques Milteauj [email protected]

André [email protected]

Steve WaringLa Compagnie « La Carrérarie »16, rue Pizay BP110269202 - Lyon cedex 01

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© Marie-Hélène Serra, Michel Fize, Marc Guerrier,Claude Bursztejn, Philippe Bouteloup, Rémy Jounin,Patrick Alvin, Claire Cornette, Marianne Clarac, Julien Barrière,Carine Delanoë-Vieux, Jean-Jacques Romatet,Jean-Jacques Milteau, Danièle Wohlgemuth, Xavier Collalpour leurs textes

Photographie de couverture : Philippe BouteloupConception graphique : © Philippe Bretelle 2005Impression : Gambey Graphic - Paris

Éditions Cité de la Musique / Musique & santé 2005