31
Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014 DOCTRINE Les mesures urgentes devant le tribunal de la famille et de la jeunesse François Balot Avocat au barreau de Bruxelles Collaborateur scientifique à l’Université catholique de Louvain – Centre de droit privé Louise Gendebien Juge au tribunal de première instance de Namur 1. S’il ne devait être retenu qu’une seule ligne de force de la loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse (1) , ce serait assurément le souhait qui a habité le législateur de réorganiser tout le contentieux familial au sens large (y incluant la situation des cohabi- tants (2) ) au sein d’un seul et même tribunal selon un principe très clair : « une famille – un dossier – un juge » (3) . Ce souhait se justifiait tant par le fait que les compétences en la matière étaient dispersées entre les différents tribunaux et leurs sections – ce qui contribuait à rendre l’accès à la justice parfois difficile pour le justiciable confronté aux arcanes de la pyramide judiciaire –, que par l’accélération de la procédure en divorce depuis la réforme induite par la loi du 21 avril 2007 réformant le divorce, en application de laquelle la situation d’attente entre l’introduction de la procédure et le prononcé du divorce s’est fortement réduite (4) . (1) M.B., 27 septembre 2013, 2 e éd., p. 68429. (2) Voy. la compétence matérielle du tribunal tracée par le nouvel article 572bis du Code judiciaire, et les commentaires y afférents de D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant créa- tion d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », Act. dr. fam., 2013, pp. 173 et s., n os 26 et s. (3) Voy. à cet égard la contribution de V. Wyart, in Le tribunal de la famille et de la jeu- nesse (sous la dir. d’A.-Ch. Van Gysel), Centre de droit privé-unité de droit familial de l’Uni- versité Libre de Bruxelles et Conférence du jeune barreau de Bruxelles, Limal, Anthemis, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 115 et s. (4) J.-L. Renchon, « La compétence du juge des mesures provisoires de la procédure en divorce à propos de l’attribution ou de la restitution des biens des époux », Rev. tr.dr. fam., 2011, pp. 210-211.

Les mesures urgentes devant le tribunal de la famille et ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804476175/Extr... · S’il ne devait être retenu qu’une seule ligne

Embed Size (px)

Citation preview

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

DOCTRINE

Les mesures urgentes devant le tribunal de la famille et de la jeunesse

François BalotAvocat au barreau de Bruxelles

Collaborateur scientifique à l’Université catholique de Louvain – Centre de droit privé

Louise GendebienJuge au tribunal de première instance de Namur

1. S’il ne devait être retenu qu’une seule ligne de force de la loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse (1), ce serait assurément le souhait qui a habité le législateur de réorganiser tout le contentieux familial au sens large (y incluant la situation des cohabi-tants (2)) au sein d’un seul et même tribunal selon un principe très clair : « une famille – un dossier – un juge » (3).

Ce souhait se justifiait tant par le fait que les compétences en la matière étaient dispersées entre les différents tribunaux et leurs sections – ce qui contribuait à rendre l’accès à la justice parfois difficile pour le justiciable confronté aux arcanes de la pyramide judiciaire –, que par l’accélération de la procédure en divorce depuis la réforme induite par la loi du 21 avril 2007 réformant le divorce, en application de laquelle la situation d’attente entre l’introduction de la procédure et le prononcé du divorce s’est fortement réduite (4).

(1) M.B., 27 septembre 2013, 2e éd., p. 68429. (2) Voy. la compétence matérielle du tribunal tracée par le nouvel article 572bis du Code

judiciaire, et les commentaires y afférents de D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant créa-tion d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », Act. dr. fam., 2013, pp. 173 et s., nos 26 et s.

(3) Voy. à cet égard la contribution de V. Wyart, in Le tribunal de la famille et de la jeu-nesse (sous la dir. d’A.-Ch. Van Gysel), Centre de droit privé-unité de droit familial de l’Uni-versité Libre de Bruxelles et Conférence du jeune barreau de Bruxelles, Limal, Anthemis, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 115 et s.

(4) J.-L. Renchon, « La compétence du juge des mesures provisoires de la procédure en divorce à propos de l’attribution ou de la restitution des biens des époux », Rev. tr.dr. fam., 2011, pp. 210-211.

470 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

2. Aujourd’hui et conformément à ce vœu législatif, le juge du fond se confond littéralement avec celui des mesures provisoires (5), qu’une demande en divorce soit introduite ou non, qu’elle soit encore pendante ou non, ce qui implique la fin d’un « saucissonnage » des différentes demandes, tant dans leurs aspects temporels que matériels : désormais et s’agissant à la fois du fond et des mesures urgentes, seul le tribunal de la famille et de la jeunesse est compétent.

Il n’empêche que l’organisation des mesures urgentes et « provisoires » telle que conçue dans le nouveau tribunal de la famille risque de voir émer-ger – nous y reviendrons – une série de difficultés d’application, particu-lièrement à l’aune du principe de l’autorité de la chose jugée et les effets « positifs » qu’elle induit (6) (infra, no 18), lesquelles difficultés persistent après l’adoption (rapide) d’une loi réparatrice (7) qui a sans doute et à cet égard manqué une occasion de remédier à certains écueils mis en lumière – pour-tant tout aussi rapidement – par la doctrine, voire, pire, qui a de manière extrêmement malheureuse conféré un surcroît de complexité à un système qui n’en manquait déjà et pourtant pas (infra, no 7).

3. Après un court exposé liminaire sur l’urgence et le « provisoire », tels qu’ils doivent être désormais appréhendés à l’aune des lois du 30 juillet 2013 et du 8 mai 2014, nous tenterons, dans les lignes qui suivent, de tracer une typologie que l’on espère claire – la gageure est assurément à la mesure du bouleversement procédural induit par les textes nouveaux – des mesures urgentes et/ou « provisoires », pour ensuite nous attarder sur les aspects procéduraux inhérents au rassemblement des compétences et, plus généra-lement, à l’architecture globale du système, tout particulièrement la saisine permanente dont jouit le tribunal de la famille et de la jeunesse s’agissant des mesures concernées.

Cette structure sera l’occasion de mettre en lumière, par d’incessants, mais nécessaires renvois, les implications que les aspects procéduraux pré-cités pourront avoir sur l’appréhension et le traitement de ces mesures, le législateur n’ayant, à notre estime, que très imparfaitement perçu les inter-dépendances entre « fond » et « procédure » qui s’expriment en la matière de manière quasiment paradigmatique et, oserions-nous écrire, relativement délicate.

(5) Cfr l’article 1254, § 1er, alinéa 6, du Code judiciaire pour les demandes en divorce. (6) Sur cet effet positif de la chose jugée, voy. ce que nous écrivions avec le professeur

van Drooghenbroeck, in « L’effet positif de la chose jugée », J.T., 2009, pp. 297 et s. (7) Loi du 8 mai 2014 portant modification et coordination de diverses lois en matière

de justice, M.B., 14 mai 2014, 2e éd., p. 30986.

doctrine 471

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

i. Quelques prémisses sur l’urgence et le « provisoire »

4. Il s’agit presque d’un truisme tant les textes sont, à tout le moins à cet égard, limpides : la nouvelle loi institue deux types d’urgence, lesquelles sont fonction de la nature des mesures sollicitées : l’urgence dite « réputée » (article 1253ter/4, § 2, jo. article 1253ter/5 nouveaux du Code judiciaire) et l’urgence dite « invoquée » (article 1253ter/4, § 1er, du Code judiciaire).

L’on ne s’attardera pas ici sur l’urgence qualifiée « d’absolue néces-sité », qui demeure de la compétence (exclusive) du président du tribunal de première instance statuant en référé, l’article 584, alinéa 2 nouveau du Code judiciaire prescrivant ainsi que « si l’affaire est de la compétence du tribunal de la famille, le président n’est saisi qu’en cas d’absolue nécessité ».

À défaut d’absolue nécessité avérée, les règles de procédure de droit commun s’appliquent en manière telle que le président du tribunal de première instance, saisi sur requête unilatérale (articles 1025 et s. du Code judiciaire), soit se déclarera incompétent (si l’absolue nécessité n’a pas été alléguée), soit déclarera la demande non fondée (si l’absolue nécessité n’est pas observée et rencontrée au moment où il statue) (8), sans toutefois ren-voyer la cause au tribunal de la famille (9) : le mécanisme de renvoi vers une chambre ordinaire à défaut d’urgence, lorsque cette dernière est invoquée sur base de l’article 1253ter/4, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, n’a en effet pas été prévu ou, à tout le moins, étendu en cas de défaut d’absolue nécessité devant le président du tribunal (10).

(8) Voy. à cet égard les deux arrêts rendus par la Cour de cassation en date du 11 mai 1990 (Pas., 1990, I, pp. 1045 et 1050), qui ont fait du défaut d’urgence – et, par rebond, d’absolue nécessité – une exception hybride, de compétence et de fondement de la demande (pour un commentaire remarquable de ces deux arrêts, voy. not. P. Marchal, « Le référé », Tiré à part du Rép. not., Bruxelles, Larcier, 1992, pp. 49-50, no 15. – b).

(9) Dans cette mesure, nous ne partageons donc pas la thèse avancée par Didier Pire (« La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », Act. dr. fam., 2013, p. 176, no 26) et par le professeur Van Gysel (« Les urgences et le provi-soire dans le tribunal de la famille », in Le tribunal de la famille et de la jeunesse (sous la dir. d’ A.-Ch. Van Gysel), loc. cit., p. 104), selon laquelle le président du tribunal, saisi sur requête en absolue nécessité, devrait, à défaut de celle-ci, se déclarer incompétent et renvoyer la cause au tribunal de la famille. L’on notera cependant, en ce qui concerne la contribution précitée du professeur Van Gysel, que l’assertion fondant cette thèse relève manifestement de l’erreur de plume, puisqu’elle semble avoir été corrigée lors de l’exposé oral de cette contribution lors du colloque afférent à la parution de ladite contribution.

(10) Pas plus que le droit commun ne le permet, les arrêts précités du 11 mai 1990 excluant implicitement mais clairement le recours à l’article 88, § 2, du Code judiciaire, lequel règle les incidents de répartition au sein du tribunal de première instance (voy. à cet égard P. Marchal, « Le référé », op. cit., pp. 52-53, no 22).

472 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

5. Quant au caractère provisoire des mesures, il n’est plus (unique-ment) déterminé par la durée imposée à ces dernières, sauf cas prévu par la loi (11) ou demandes (12) des parties.

Ainsi que nous l’appréhenderons et hors le cas où la mesure serait strictement « provisoire » (parce que limitée dans le temps ou par essence provisoire au sens de l’article 1253ter/5, alinéa 1er, du Code judiciaire), il y a en effet que les autres mesures ordonnées dans le cadre de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire ne font autorité que « rebus sic stantibus », certaines par le biais d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, le juge statuant « comme en référé » (13) (lorsque l’urgence est réputée et que la décision est donc prononcée au fond), les autres par le biais d’une décision revêtue de l’autorité de la chose décidée (lorsque l’urgence est « seulement » invoquée).

Les tribunaux amenés à devoir aménager « provisoirement » la situa-tion des parties disposent donc d’un panel très large de mesures destinées à régler les biens et les personnes en situation de crise conjugale, mesures que nous tenterons de répertorier sous forme d’une nomenclature distinguant ainsi urgence réputée et urgence invoquée, la loi leur appliquant un traite-ment différent, tant au niveau de l’exercice du droit visant à les obtenir que des effets liés aux décisions les ordonnant.

Au demeurant, ce sont toutes les mesures provisoires anciennement prononcées par le président du tribunal de première instance siégeant en référé sur pied de l’article 1280 du Code judiciaire et par le juge de paix sur pied des articles 221 et 223 du Code civil, qui sont ici visées, intégrées et coordonnées, les dispositions précitées renvoyant désormais, s’agissant de l’adoption de mesures urgentes, aux dispositions des articles 1253ter/4 à 6 nouveaux du Code judiciaire.

(11) L’article 1253ter/5, 4°, du Code judiciaire subordonne en effet l’interdiction d’alié-ner un bien immobilier ou mobilier, propre ou commun, à la fixation d’un délai.

(12) À cet égard, il ne nous paraît pas envisageable, au regard du principe dispositif, qu’à défaut de demande des parties pour que la mesure postulée soit uniquement prononcée à titre provisoire, le juge puisse d’autorité décider que la mesure prononcée dans une cause relevant de l’urgence réputée soit, de sa seule initiative, déclarée provisoire.

(13) Sur l’autorité de la chose jugée dont les décisions rendues en suite de procé-dure comme en référé, voy. ce que nous écrivions avec le professeur Jean-François van Drooghenbroeck, « L’autorité de la chose jugée happée par la concentration du litige », L’effet de la décision de justice. Contentieux européens, constitutionnel, civil et pénal (sous la dir. de G. de Leval et Fr. Georges), CUP, no 102, Liège, Anthemis, 2008, pp. 192 et s., no 66, et les réf. citées à la note no 128). Adde G. de Leval, Éléments de procédure civile, 2e éd., Coll. de la Faculté de droit de l’Université de Liège, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 256, no 175 C.

doctrine 473

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

ii. essai de typologie des mesures (et leurs effets)

A. L’urgence réputée

6. Nœud à notre estime « gordien » de la problématique ici traitée, l’urgence réputée émerge d’une combinaison assez délicate entre causes réputées urgentes et mesures provisoires, tracée par les articles 1253ter/4, § 2, et 1253ter/5, du Code judiciaire.

Sans qu’il soit nécessaire de les reproduire in extenso, le premier de ces textes énumère les causes réputées urgentes pour lesquelles, ainsi que nous l’examinerons ci-après, il est « statué comme en référé », le second liste les mesures qui, dans le cadre de ces causes, peuvent notamment et à la demande des parties (14) être prises à titre « provisoire ».

Si l’architecture globale et l’énoncé des textes pourraient prima facie laisser penser que le législateur a entendu distinguer les causes (qu’il y a sans doute lieu d’entendre comme les types de litige entre époux ou cohabi-tants) et les mesures (pouvant, entre ces mêmes personnes, être ordonnées), un peu comme l’on distinguerait les « jeux » auxquels jouer et les « actions » de ces jeux (15), la réalité est cependant plus subtile…

7. Pour bien comprendre l’enchâssement de ces textes et leur portée propre, il y a fondamentalement lieu de relever le hiatus législatif ayant touché l’article 1253ter/4 du Code judiciaire, entre son énoncé dans la loi précitée du 30 juillet 2013 et celui apparaissant de la loi, improprement qualifiée de « réparatrice » à cet égard, du 8 mai 2014, qui est désormais seule applicable.

L’on relèvera en effet que, dans sa pristine version (i.e. celle de 2013), ledit article 1253ter/4 prescrivait que, pour les causes réputées urgentes y énumérées, « il [était] statué selon les formes de la procédure en référé ».

Certes, cet énoncé ne coïncidait pas avec la volonté du législateur telle qu’elle apparaît des travaux préparatoires, spécialement l’amendement no 51 déposé par Monsieur Brotcorne, selon lequel « le tribunal de famille rend un jugement au fond ayant autorité de la chose jugée (sauf décision à titre précaire) et non une ordonnance au provisoire (référé). Il ne s’agit pas d’obtenir une mesure provisoire, mais bien un jugement au fond, jusqu’à une nouvelle décision prise en fonction de circonstances nouvelles » (16).

(14) Supra, note no 11. (15) Avec la particularité, rendant imparfaite la métaphore ici utilisée, qu’il existe des

mesures qui s’insèrent dans le cadre de l’article 1253ter/5, al. 1er, du Code judiciaire, mais ne ressortissent à aucune des causes reprises à la disposition précédente – ainsi de l’interdiction d’aliéner, d’hypothéquer ou d’engager des biens (art. 1253ter/5, al. 1er, 4°, du Code judiciaire).

(16) Proposition de loi portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse, Amendement no 51, Doc. parl., Ch. repr., no 53-682/7, p. 25.

474 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

Cependant, l’on pouvait alors comprendre de la lecture combinée du prescrit légal et des travaux préparatoires précités que :– si la cause mue devant le tribunal s’insérait dans l’énumération des

causes de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire, peu importe la ou les mesure(s) postulée(s), elle était réputée urgente, l’urgence ne devant donc être ni alléguée, ni prouvée ;

– dans ces causes réputées urgentes, deux types de mesures pouvaient être prises – outre celles mues sur pied des articles 19, alinéa 2, et 735 com-binés, du Code judiciaire (infra, nos 20 et s.) –, toutes traitées selon une mise en état « de référé » :• des mesures provisoires, étant, sans que cette liste soit exhaustive,

celles énumérées à l’article 1253ter/5, alinéa 1er, du Code judiciaire, dont la persistance était fonction soit d’une durée préfixée (ainsi que c’était le cas des mesures provisoires anciennement ordonnées par le juge de paix sur pied de l’article 223 du Code civil) ou de leur cadu-cité causée par le prononcé d’une mesure de substitution, par le juge du fond statuant cette fois à titre définitif, ou à raison d’un élément nouveau au sens de l’article 1253ter/7 nouveau du Code judiciaire (infra, nos 27 et s.) ;

• des mesures prises au fond, revêtues de l’autorité de la chose jugée et persistant, quant à elles, jusqu’à l’apparition d’un élément nouveau (le même article 1253ter/7 nouveau du Code judiciaire).

8. Las, le législateur de 2014 décida de substituer à l’énoncé précité « il est statué selon les formes de la procédure en référé », celui de « il est statué comme en référé » (17).

La justification donnée par le législateur à cette modification ne manque pas de clarté : « il découle de la philosophie de la loi et des dis-cussions parlementaires (cfr par exemple l’amendement no 51 déposé en Commission de la Justice de la Chambre, Doc. parl., Ch., Sess. ord. 2010-2011, no 53-0682/07, pp. 23-25) que le nouvel article 1253ter/4 du Code judiciaire fait la part des choses entre les causes où l’urgence est invoquée et celles où l’urgence est réputée, chacune de celles-ci étant régies par des modalités procédurales distinctes. Les premières sont instruites selon les formes du référé et les deuxièmes selon les formes de la procédure comme en référé. Puisque la référence à la procédure comme en référé en cas de causes ‘réputées urgentes’ a disparu, il convient de la réintroduire dans cette disposition, d’où la modification de l’alinéa 2, du § 3 de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire » (18).

(17) Loi du 8 mai 2014 précitée, article 78, c). (18) Proposition de loi portant modification et coordination de diverses lois en matière

de justice, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., no 53-3356/1, p. 34.

doctrine 475

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

Outre sa clarté, cette justification est assurément conforme à la volonté du législateur de 2013 telle qu’elle apparaît de l’amendement no 51 précité déposé par Monsieur Brotcorne : en effet, de ce qu’une cause est jugée comme en référé, il est généralement (19) admis que la décision qui en découle est une décision au fond (20), revêtue de l’autorité de la chose jugée (21).

Cependant, ce que le législateur n’a pas perçu comme « effet collaté-ral » de pareille modification, c’est que, dès lors que les mesures qualifiées de « provisoires » au sens de l’article 1253ter/5 du Code judiciaire sont incluses dans les causes énumérées à la disposition précédente – et sur lesquelles il est « statué comme en référé » –, une lecture très rigoriste des textes – sans recours aux travaux préparatoires, ainsi que le souhaitait d’ailleurs et assu-rément le législateur de 2014 au vu du dessein de la modification textuelle adoptée – pourrait amener à considérer, par assimilation, que, qu’elles soient prononcées au fond ou au provisoire, toutes les mesures prises dans ce cadre sont « jugées » (ainsi, l’usage du verbe « statuer ») comme en référé et conséquemment revêtues de l’autorité de la chose jugée, ce qui, outre que dérogatoire du droit commun, engendre des implications importantes en matière d’effet positif de la chose jugée (infra, no 18).

9. À notre estime, il n’en est cependant rien, certaines mesures pou-vant, selon la volonté du législateur – qui distinguait clairement les déci-sions « à titre précaire » (22) des décisions au fond – être, de la demande des parties (23), jugées soit au fond et revêtues de l’autorité de la chose, soit à titre provisoire et, par essence, non revêtues de l’autorité de la chose jugée.

En cette dernière occurrence (i.e. mesures provisoires), les mesures n’ont, outre qu’elles sont dénuées d’autorité de chose jugée, d’effet que soit pour une durée limitée prononcée par le juge, soit tant qu’un élément nou-veau n’amène à en revoir la teneur, soit encore jusqu’au prononcé d’une mesure définitive au fond – supposément par le juge prononçant le divorce ou le juge de la liquidation-partage –, qui viendrait s’y substituer.

(19) À dire vrai, ni la jurisprudence, ni la doctrine n’en ont, à notre connaissance, tiré une règle générale à cet égard, mais, de manière empirique, il y a lieu de considérer que les actions comme en référé présentes dans l’arsenal législatif – l’on pensera notamment aux actions en cessation – aboutissent toujours à une décision au fond, en sorte que certains auteurs – et nous en sommes – n’hésitent pas à soutenir de manière presque axiomatique ce principe (supra, note no 13).

(20) Proposition de loi portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse, Amendement no 51, Doc. parl., Ch. repr., no 53-682/7, p. 25.

(21) Voy. supra, note no 13. (22) Proposition de loi portant création d’un tribunal de famille et de la jeunesse,

Amendement no 51, Doc. parl., Ch. repr., no 53-682/7, p. 25. (23) Supra, note no 11.

476 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

Dans cette mesure, l’interprétation que nous tracions des dispositions en cause à l’aune de la seule loi du 30 juillet 2013 (supra, no 7, in fine) nous semble pouvoir être raisonnablement réitérée.

Si la critique est aisée, il nous paraît enfin et conséquemment qu’au titre de la loi réparatrice et eu égard à la volonté certaine du législateur, il eut été adéquat, plutôt que de substituer un libellé (« il est statué selon les formes de la procédure en référé ») à un autre (« il est statué comme en référé »), de conserver le libellé d’origine et d’insérer un troisième alinéa à l’article 1253ter/4, § 2, du Code judiciaire, rédigé de la manière suivante : « sauf les mesures prises conformément à l’article 1253ter/5 et sans préjudice de l’article 1253ter/7, les mesures ordonnées sur pied du présent paragraphe sont définitives au sens de l’article 19, alinéa 1er, du présent Code ».

Gageons qu’à défaut d’une jurisprudence claire en la matière – ce qui sera, nous le croyons, heureusement le cas –, tel pourrait être la vertu d’une seconde, et à cet égard nécessaire, loi réparatrice.

10. Au-delà de ces interrogations de principe, le moins que l’on puisse écrire est que les mesures visées à l’article 1253ter/5 du Code judiciaire, telles que reprises au 7° de l’article 1253ter/4, § 2, al. 1er, du même Code, ainsi que les causes énumérées à cette dernière disposition, sont « à large spectre », et couvrent d’importants pans du contentieux conjugal.

Ces mesures bénéficient donc de la présomption d’urgence : à l’instar d’une demande qui était introduite sur pied de l’ancien article 1280 du Code judiciaire, le demandeur n’a pas à établir l’urgence, non pas à raison de ce qu’une procédure de divorce serait concomitamment engagée – puisqu’au reste, les cohabitants non mariés peuvent y recourir – mais de par la nature de la mesure sollicitée.

11. Sans que cette énumération se veuille exhaustive et outre des causes ou mesures plus insolites comme les autorisations à mariage et rela-tives aux droits de visite transfrontières, il nous semble possible de synthé-tiser les mesures (sans les distinguer ici des causes) pouvant être ordonnées au bénéfice de l’urgence de la manière suivante :

S’agissant des mesures relatives aux personnes :– la fixation des résidences séparées ;– l’octroi, la suppression ou la modification d’une pension alimentaire

(en ce compris le secours alimentaire (24), selon les critères y applicables) et délégation de somme ;

(24) Sur cette question, voy. les développements plus approfondis tracés par le pro-fesseur Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., pp. 109 et s.

doctrine 477

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

– la détermination de l’hébergement de l’enfant et ses modalités ;– la détermination de l’autorité parentale et toute décision y relative ;– la détermination d’un droit aux relations personnelles ;– l’octroi, la suppression ou la modification d’une contribution alimen-

taire (25) et d’une délégation de somme.

S’agissant des mesures relatives aux biens :– l’occupation de la résidence familiale ;– l’interdiction faite à un époux d’aliéner, d’hypothéquer ou engager un

bien mobilier ou immobilier, propre ou commun, avec l’exigence de fixer un terme à l’interdiction ordonnée (26) ;

– l’attribution de l’usage personnel des meubles à l’un des époux ;– l’interdiction faite à l’un des époux de déplacer les meubles (27) ;– l’obligation pour l’époux qui possède les biens mobiliers de donner cau-

tion ou de justifier d’une solvabilité suffisante.

12. Ainsi que nous l’avons déjà esquissé et l’approfondirons plus avant infra (no 26), les mesures ci-avant énumérées sont évidemment trai-tées au bénéfice de délais de fixation et de mise en état raccourcis.

B. L’urgence invoquée

13. À côté des mesures pour lesquelles l’urgence est réputée, le législa-teur a prévu que toute autre demande de mesure pouvait être instruite, au bénéfice du référé (simple cette fois, et non « comme en référé », sans autorité donc de la chose jugée (28) et sans préjudice d’une décision ultérieure pronon-cée au fond, en manière telle que la mesure ainsi ordonnée s’apparente stric-tement, quant à ses effets, aux mesures urgentes et provisoires ordonnées

(25) On peut être étonné qu’en terme de mesures (art. 1253ter/5, al. 1er, du Code judi-ciaire), la loi prévoit l’octroi, la suppression ou la modification d’une pension alimentaire, en n’envisageant pas expressis verbis la contribution alimentaire, alors même qu’en termes de causes (art. 1253ter/4, § 2, al. 1er, de même Code), elle fait référence aux « obligations alimen-taires » en sorte que l’octroi, la suppression ou la modification de pareille contribution soit, également et par l’effet d’une lecture combinée des deux dispositions concernées, une mesure que le tribunal peut évidemment ordonner.

(26) Voy. à cet égard les articles 1253sexies et 1253septies nouveaux du Code judiciaire, que tant la clarté intrinsèque, que l’ampleur de la présente contribution ne nous invitent pas à commenter plus avant.

(27) Cass., 14 octobre 1977, Rev. tr. dr. fam., 1979, p. 269. (28) Au motif qu’elle ne se prononce pas au fond, mais dans les limites de l’urgence et du

provisoire (J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot, « L’autorité de la chose jugée happée par la concentration du litige », op. cit., loc. cit., p. 167, no 23). Tout au plus, écrivions-nous, « ces décisions provisoires bénéficient-elles d’une autorité restreinte dite ‘de chose décidée’, qui, tant que les circonstances demeurent inchangées, lient ceux qui y sont parties et les juges qui les ont rendues ». Voy. égal. P. Marchal, « Le référé », op. cit., pp. 68-69, no 35.

478 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

autrefois sur pied de l’article 1280 du Code judiciaire et, surtout et désormais, sur pied de l’article 1253ter/5, alinéa 1er nouveau du Code judiciaire), pour autant que l’urgence soit invoquée par le justiciable formulant demande de pareille mesure (article 1253ter/4, § 1er, al. 1er, du Code judiciaire).

La singularité du mécanisme mis à cet égard en place par la nouvelle loi tient à la dérogation légale expresse à la jurisprudence précitée sur la sanc-tion du défaut d’invocation ou d’existence de l’urgence en référé (29), un tel défaut ne se voyant en l’occurrence opposer aucun relevé d’incompétence, ni de non-fondement, mais entraînant, conformément à l’article 1253ter/4, § 1er, alinéa 2, du Code judiciaire, renvoi simple de la demande vers une chambre ordinaire du tribunal.

14. Il nous paraît ici également utile, et à nouveau sans volonté de complétude – ce d’autant plus qu’au contraire des urgences réputées, elles ne sont pas légalement limitées, per se ou à raison des causes au sein des-quelles elles s’insèrent (comp. articles 1253ter/4, § 2, alinéa 1er et 1253ter/5, al. 1er, du Code judiciaire), de mettre en évidence les mesures potentielles suivantes pouvant ressortir, à la condition que celle-ci soit alléguée et prou-vée, à l’urgence invoquée.

S’agissant des mesures relatives aux personnes :– l’interdiction de contacts entre parties (30) ;– l’interdiction faite à l’une ou l’autre des parties de pénétrer dans la rési-

dence conjugale ;– l’interdiction faite aux parties de diffuser tout commentaire calomnieux

ou insultant l’une à l’égard de l’autre, ou à l’égard des enfants via des médias sociaux (31).

S’agissant des mesures relatives aux biens :– l’obligation faite à un des époux d’écrire à sa banque en vue d’obtenir

de celle-ci une situation précise de ses comptes (32) ;

(29) Supra note no 8. (30) Civ. Bruxelles, 24 novembre 1999, cité in J.-P. Masson, G. Hiernaux, N. Gallus,

N. Massager, J.-Ch. Brouwers et S. Degrave, Droit des personnes et de la famille, Chronique de jurisprudence, 1999-2004, Coll. Dossiers du J.T. no 6, Bruxelles, Larcier 2006, p. 240.

(31) J.P. Ninove, 3 mai 2012, R.G. no 12A356, inédit. (32) Civ. Liège, 30 novembre 2000 cité in J.-P. Masson, G. Hiernaux, N. Gallus,

N. Massager, J.-Ch. Brouwers et S. Degrave, Droit des personnes et de la famille, Chronique de jurisprudence, 1999-2004, loc. cit., p. 240.

doctrine 479

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

– la désignation d’un administrateur provisoire (33) ou d’un séquestre ou toute autre mesure conservatoire relative à la gestion ou à l’administra-tion des biens des époux (34) ;

– l’octroi d’une indemnité d’occupation ;– la demande d’inventaire (35) ;– la demande faite à la banque de bloquer des comptes communs ;– la demande faite à un des époux de consigner certaines sommes sur un

compte bloqué (36) ;– l’octroi d’avances sur des revenus (37) ou des capitaux (38) ;– le retrait et transfert de pouvoirs ;– l’obligation faite à un des époux de prendre en charge des échéances

hypothécaires ou d’autres dettes ;– la détermination de l’allocataire des allocations familiales (39) ;– la rétrocession des allocations familiales (40) ;– la garde de l’animal domestique (41).

À l’endroit de ces mesures relatives aux biens, l’on notera que s’agis-sant de celles par le biais desquelles s’opère un transfert de patrimoine, elles constitueront, à n’en point douter, des mesures de « référé-provision » (42), dont les montants seront à faire valoir sur les comptes à opérer ultérieure-ment entre époux.

(33) La proposition de loi réparatrice de la loi du 30 juillet 2013 prévoyait initiale-ment que la désignation d’un administrateur provisoire constituerait une des mesures sous 1253ter/5, soit une mesure bénéficiant de la présomption d’urgence. Cette éventualité a fina-lement été abandonnée. Voy., par ex., Liège, 23 mai 2001, Rev. trim. dr. fam., 2003, p. 811.

(34) L’on n’omettra pas de mentionner le curiosa que constitue en la matière l’apposition de scellés. Si celle-ci relève en règle de la compétence exclusive du juge de paix – et le demeure –, rien n’empêche en règle le tribunal de la famille, en tant que l’urgence de pareille mesure serait invoquée et cette dernière constitue de toute évidence une mesure conservatoire, de l’ordon-ner sur pied de l’article 1253ter/4, § 1er, du Code judiciaire. Cependant, l’on conviendra qu’au-delà du caractère contradictoire pouvant « gâcher l’effet de surprise », la célérité (et a fortiori l’extrême célérité) offerte par la procédure d’apposition de scellés (art. 1155 C. jud.) prive, de facto, d’utilité la saisine du tribunal de la famille et de la jeunesse siégeant en référé, sauf le cas – qui ne relève pas de l’urgence au sens de l’article 1253ter/4, § 1er précité – des scellés apposés après inventaire (art. 1156 C. jud.) (voy. J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot, « Les scellés », Tiré à part du Rép. not., 2012, p. 22, no 5 et pp. 42-43, no 26, a).

(35) Article 1282, al. 2, du Code judiciaire. (36) Civ. Huy, 23 février 1982, J.T., 1982, p. 546. (37) Civ. Nivelles, 7 février 1997, Rev. trim. dr. fam., 1997, p. 640. (38) Mons, 17 février 1998, Rev. trim. dr. fam., 1998, p. 709. (39) Le nouvel article 572bis, 8°, du Code judiciaire attribue en effet cette compétence au

tribunal de la famille et de la jeunesse. (40) Bruxelles, 23 mars 2000, Rev. trim. dr. fam., 2001, p. 166. (41) Civ. Bruxelles, 28 décembre 1999, Rev. trim. dr. fam., 2001, p. 551. (42) Sur cette notion de référé-provision, voy. P. Marchal, « Le référé », op. cit.,

pp. 130-132, nos 133 et 134.

480 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

15. Outre ces mesures et sans préjudice de la demande mue à cet égard sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (infra, nos 20 et s.), rien ne s’oppose enfin à ce que des mesures d’instruction soient, le cas échéant, requises au bénéfice de l’urgence invoquée.

L’on pensera à ce titre – ce d’autant plus compte tenu de la revalori-sation de certaines d’entre elles au bénéfice de la nouvelle loi – à la produc-tion de documents relatifs aux ressources des parties ordonnées aux époux ou à un tiers (43), à la comparution de tiers (44), à la désignation d’un expert médico-psychologique (45), à la réalisation d’une étude sociale et d’autres investigations (46), à la mise en œuvre d’une expertise (mobilière, immobi-lière, etc.).

À cet égard, la difficulté pour le demandeur en pareilles mesures d’ins-truction tiendra sans doute à démontrer l’urgence qu’il y aurait à les ordon-ner, sauf, sans doute, à alléguer de ce que leur mise en œuvre est comman-dée par le traitement d’autres mesures sollicitées au bénéfice de l’urgence, qui réputée, qui invoquée, avec la nécessité en pareille occurrence de sursoir à statuer sur la demande de mesure urgente postulée dans l’attente de la bonne exécution de la mesure d’instruction y corrélée.

C. L’autorité de la chose jugée/décidée attachée aux décisions emportant mesures urgentes

16. La problématique a déjà été esquissée – elle est curieusement peu entrevue par les remarquables commentaires doctrinaux dont la loi por-tant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse a jusqu’ores fait l’objet –, la distinction entre mesures relevant de l’urgence présumée pro-noncées au fond et celles conditionnées à l’invocation de l’urgence git dans le mode d’instruction souhaité par le législateur dans l’un et l’autre cas : comme en référé pour les premières (article 1253ter/4, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire) ; en référé pour les secondes (article 1253ter/4, § 1er, alinéa 1er, du Code judiciaire).

Si ces deux modes ne présentent guère de différences d’un strict point de vue de la mise en état des causes, ils se distinguent très nettement par les effets des décisions prises dans chacune de ces occurrences.

Ainsi que nous l’avons souligné et jugeons utile de le répéter, une déci-sion prise au terme d’une procédure comme en référé – comme pourrait l’être une mesure ordonnée dans une cause réputée urgente si les parties

(43) Article 1253quinquies du Code judiciaire. (44) Ibid. (45) Article 1253ter/6 du Code judiciaire. (46) Ibid.

doctrine 481

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

ne requièrent pas qu’elle le soit à titre provisoire – est une décision au fond revêtue de l’autorité de la chose jugée.

Par contre, il est tout aussi certain que les mesures ordonnées au motif de l’urgence (simplement) invoquée ou celles ordonnées au provisoire, fût-ce dans des causes réputées urgentes, ne sont, quant à elles, revêtues d’aucune autorité de chose jugée, à peine une autorité de chose décidée (47) (i.e. liant, en l’absence d’éléments nouveaux, le juge qui l’a prononcée, à l’exclusion du juge du fond).

À cet égard, la possibilité de modification d’une mesure précédemment ordonnée au motif de l’apparition d’« éléments nouveaux » (article 1253ter/7 du Code judiciaire ; voy. infra, nos 27 et s.) n’est-elle pas exorbitante du droit commun du référé, qui permet la modification ou la rétractation de l’or-donnance concernée à la condition d’un changement de circonstances (48), ni non plus du système de mise dans l’ancien article 1280 du Code judiciaire : quand bien même d’hardis plaideurs étaient-ils tentés d’importer au fond les motifs favorables d’une décision de référé – spécialement s’agissant de l’hébergement des enfants, des contours des obligations alimentaires pos-térieures au divorce ou encore dans le cadre de la liquidation-partage du régime matrimonial –, il était et demeure indiscutable que pareilles mesures et les motifs les soutenant, décidés au bénéfice du référé, ne liaient et ne lient toujours en aucune manière le juge du fond (49).

17. Cette distinction ne nous semble pas générer de difficulté quant à l’aspect négatif de la chose jugée, interdisant pour rappel, la réitération de la demande identique fondée sur la triple identité – même objet, même cause (entendue de la comparaison entre les faits juridiquement qualifiés par le premier juge au regard de ceux présentés à l’appui de la prétention ultérieure (50)) et même parties – déduite de l’article 23 du Code judiciaire (51).

Il y a en effet que la soupape de la « triple identité » ci-avant esquis-sée – sans doute n’est-il pas inenvisageable de contourner le débouté d’une demande de mesure urgente, en nantissant l’identique demande ultérieure d’un « sésame juridique » différent –, tout autant que le mécanisme de sai-

(47) L’expression est du Doyen van Compernolle, « Considérations sur la nature et l’étendue de l’autorité de la chose jugée en matière civile », note sous Cass., 10 septembre 1981, R.C.J.B., 1982, p. 258.

(48) P. Marchal, « Le référé », op. cit., p. 68, no 35, b), et les références citées à la note no 8. (49) J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot, « L’autorité de la chose jugée happée

par la concentration du litige », op. cit., loc. cit., p. 167, no 23. (50) Voy., car l’on ne peut mieux dire, les commentaires du Doyen de Leval, in Éléments

de procédure civile, loc. cit., p. 249, no 171, C. (51) Voy. ce que nous écrivions avec le professeur van Drooghenbroeck, « L’effet posi-

tif de la chose jugée », op. cit., p. 298, no 4.

482 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

sine permanente avec « retour » sur le précédemment ordonné au motif d’éléments nouveaux, permettront utilement à n’importe quel autre juge de s’écarter de la chose antérieurement jugée sans énerver l’autorité qui s’y attache.

Il ne faudrait au reste pas oblitérer la vertu qu’une autorité de la chose jugée renforcée peut avoir en la matière : ainsi, par exemple, de la réso-lution de la difficulté consistant à déterminer si les décisions du juge au provisoire liaient ou non le juge de la liquidation, qui est désormais réso-lue de manière à notre estime claire si le juge du référé s’est prononcé au fond(51bis), puisqu’au risque de se déjuger, le même juge qui aura accordé, à l’une des parties et au fond (i.e. pas à titre strictement provisoire), l’occu-pation gratuite de la résidence familiale, ne pourra faire ensuite supporter au bénéficiaire de la gratuité une indemnité d’occupation, sauf à faire valoir un élément nouveau non soumis à sa première appréciation (ou à spécifier, de manière presque schizophrénique – et encore que la lecture combinée des articles 1253ter/4 et 5, du Code judiciaire le permette –, que l’une des mesures (occupation de la résidence familiale) est une décision au fond et l’autre (octroi de la gratuité) une décision au provisoire).

18. Cependant, force est également de reconnaître ce que l’incidence de cette autorité de la chose jugée dans son aspect positif (i.e. la nécessité pour tout autre juge de tenir pour vraie la chose précédemment jugée de manière définitive (52), qui, elle, n’est absolument pas conditionnée par le respect de la triple identité précitée (53)) peut en l’espèce avoir de potentielle-ment dévastateur.

Ainsi convient-il de rappeler que l’aspect positif de la chose jugée – comme au demeurant son pendant négatif – ne s’arrête pas au dispositif, mais s’étend tout autant aux motifs formant « le soutien nécessaire » de la décision à laquelle ils s’attachent (54), pourvu que ces motifs soient exempts d’ambiguïté (55) et n’entrent pas en contradiction entre eux (56).

En la matière, les exemples sont légion, de motifs décisoires amenant le juge des mesures urgentes à prendre et justifier telle ou telle de ces mesures :

(51bis) La situation était évidemment plus problématique lorsqu’il s’agissait d’une mesure provisoire ou, selon l’excellente précision terminologique du Doyen Renchon, « provision-nelle » (in « Quelques problématiques des liquidations et partages », in États généraux du droit de la famille, Actualités juridiques et judiciaires 2014, Bruxelles, Limal, Bruylant, Anthemis, 2014, pp. 167-169, nos 5 à 8) dans le système d’avant la présente loi.

(52) P. Mahaux, « La chose jugée et le Code judiciaire », J.T., 1975, p. 583. (53) Cass. (1re ch.), 4 décembre 2008, J.T., 2009, pp. 303 et s. (54) Voy. à cet égard J. van Compernolle, « Considérations sur l’autorité de la chose

jugée en matière civile », op. cit., pp. 260 et s., nos 30 et s. (55) Cass., 9 janvier 1981, Pas., 1981, I, p. 499. (56) Cass., 6 mars 1998, J.T., 1998, p. 511.

doctrine 483

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

la violence verbale ou physique d’un des conjoints, son assuétude à l’alcool ou à la drogue, un retrait d’argent opéré sur tel ou tel compte bancaire, la difficulté relationnelle d’un parent avec un ou plusieurs de ses enfants, la soustraction par l’un des conjoints d’effets mobiliers, etc.

Autant d’assertions qui, au motif de l’autorité de la chose qui s’y atta-cherait si les causes et mesures qu’elles fondent étaient réputées urgentes et jugées au fond (et pas uniquement à titre provisoire), seraient possible-ment coulées dans le marbre de la vérité judiciaire, et lieraient de manière particulièrement pérenne le juge amené à prendre toute décision ultérieure, spécialement au moment du prononcé du divorce et même dans le cadre de la liquidation-partage du régime matrimonial.

Dans la rapidité à accorder au traitement du dossier – telle que légi-timement souhaitée par le législateur –, le juge veillera donc, lorsqu’il statue au fond sur des demandes de mesures présumées urgentes, à ne ni prendre des mesures qui créeraient de façon expéditive des situations irréversibles ou qui auraient pour effet d’anticiper, sans qu’une véritable urgence le requiert, sur la liquidation du régime patrimonial des époux (57), ni surtout adopter des motifs décisoires trop étendus et/ou inamovibles, qui auraient pour conséquence de « figer » de façon péremptoire et quasiment définitive – fut-ce malgré la survenance d’éléments nouveaux ultérieurs – la situation des parties, l’empêchant, lui ou tout autre juge statuant au fond, de s’écarter d’une appréciation en fait précédemment émise.

19. Surtout, et toujours au regard de cette difficulté, l’on n’oblitérera pas l’intérêt qu’il pourrait y avoir à ce que les magistrats statuant en matière de mesures urgentes distinguent clairement, en termes tant de dispositif que de motifs :– les mesures prises au bénéfice de l’urgence présumée, et– au sein de celles-ci, celles qui le sont au fond et celles qui le sont à titre

provisoire, et– les mesures prises à raison de l’urgence invoquée,

ce d’autant plus qu’ainsi que nous le verrons (infra, no 26), une même déci-sion pourrait, au bénéfice du traitement commun des demandes fondées sur l’article 1253ter/4, § 2, alinéa 4, du Code judiciaire, contenir des mesures à la fois présumées urgentes (au fond ou au provisoire), « simplement » urgentes et des mesures prises sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire…).

À défaut et quoique l’on ne doute pas que chacun acquière, avec le temps, les réflexes permettant de distinguer clairement les types de mesures,

(57) J.-L. Renchon, « Les mesures provisoires relatives aux biens des époux », Rev. trim. dr. fam., 1998, p. 457.

484 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

demeureront toujours des cas-limites, pour lesquels s’instaurerait ultérieu-rement un débat tendant à déterminer si telle mesure précédemment ordon-née était réputée urgente et au fond, et conséquemment revêtue de l’autorité de la chose jugée, ou « simplement » urgente ou, quoique réputée urgente, provisoire, et dénuée partant de pareille autorité.

D. Les demandes mues sur pied des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire

20. Au-delà des causes et mesures réputées urgentes et celles rele-vant de l’urgence « invoquée », les parties peuvent soumettre au tribunal toute autre mesure (qu’elle soit ou non incluse dans l’énumération des articles 1253ter/4 et 5, du Code judiciaire), le tout sur pied des articles 19, alinéa 2 et 735 combinés du Code judiciaire.

21. Ainsi que la doctrine le relève à très juste titre (58), la mention expresse à cette « technique procédurale » dans l’incise de l’article 1253ter/5, alinéa 1er, du Code judiciaire, constitue un opportun rappel à l’attention des parties et singulièrement de leurs conseils, confirmant que le droit commun de la procédure demeure utilement applicable devant ledit tribunal.

Il s’agit surtout d’une manière de souligner que les ressources du droit commun de la procédure permettent, pour des causes et demandes qui ne relèveraient pas de l’urgence, d’obtenir à plus ou moins bref délai (59) le pro-noncé d’une décision avant dire droit, sans qu’il soit recouru à une mise en état dite de « circuit long », qui impliquerait un véritable calendrier de mise en état au bénéfice de délais pour conclure correspondants.

Ceci étant dit, l’on veillera à souligner qu’au-delà de l’absence de nécessité d’alléguer et prouver l’urgence à l’appui de la demande de mesures fondées sur l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, celles-ci ne constituent qu’un « ersatz » par rapport aux demandes mues sur pied des articles 1253ter/4 et suivants du Code judiciaire, leur introduction néces-sitant, au contraire des mesures visées à ces dernières et nouvelles disposi-tions – dont l’introduction autonome, sans demande au fond, est admise –,

(58) A.-Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., pp. 98-99.

(59) La précision n’est pas superfétatoire dès lors que l’application pratique de ces dis-positions relève des disparités importantes quant au délai non seulement de fixation, mais encore de prononcé selon l’encombrement du rôle de la juridiction saisie. Ainsi n’est-il pas rare, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, qu’une demande fondée sur l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire génère, entre la demande écrite qui en est faite et le prononcé de la décision, un délai de deux, voire trois mois d’attente avant d’être fixée pour examen.

doctrine 485

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

qu’une procédure emportant une autre demande ait au préalable été – ou soit concomitamment – intentée(59bis).

22. L’on rappellera ainsi et en effet qu’au titre de cet article 19, ali-néa 2, du Code judiciaire, le tribunal peut, avant dire droit et à tout stade de la procédure, « ordonner une mesure préalable destinée soit à instruire la demande ou régler un incident de procédure portant sur une telle mesure, soit à régler provisoirement la situation des parties ».

Au reste, l’article 735, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire fait de pareilles mesures des hypothèses de débats succincts dits « assimilés » en sorte que, pour autant que la demande en soit formulée dans l’acte introductif d’ins-tance ou par demande écrite ultérieure, lesdites mesures feront l’objet de débats succincts (et a priori sans échange d’écrits de procédure), soit à l’audience d’introduction ou, ce qui est en pratique plus probable, à une audience de remise fixée à date rapprochée – si ces mesures sont postulées dans l’acte introductif d’instance –, soit à une audience fixée à telle fin – si la demande de pareilles mesures intervient ultérieurement.

En d’autres termes et sauf à ce qu’elles soient traitées à l’audience d’introduction, ces demandes devraient être plaidées lors d’une audience ultérieure « ordinaire », et non lors d’une audience de référé.

Dans le même sens, l’on soulignera encore que la distinction « référé / comme en référé / provisoire », telle qu’elle apparaît et pose des difficultés pratiques à notre estime considérables au regard de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire et de l’autorité de la chose jugée qui s’y attache le cas échéant (supra, nos 16 et s.), s’étiole ici dès lors que les mesures prises sur pied des articles 19, alinéa 2 et 735 précités du Code judiciaire, ne sont, en tant qu’elles ressortissent à l’avant dire droit – et ne sont donc pas défini-tives au sens de l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire –, pas revêtues de l’autorité de la chose jugée (60).

(59bis) Le Doyen Renchon va jusqu’à considérer qu’à raison de l’inclusion des mesures demandées sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire dans le texte de l’ar-ticle 1253ter/5, ces mesures seraient désormais réputées urgentes (« Quelques problématiques des liquidations et partages », op. cit., loc. cit., p. 175, no 18). Si l’on n’oblitèrera pas les vertus de pareille position au regard de la célérité à promouvoir le traitement de telles mesures, il s’agit d’un pas que l’on n’entendra pas franchir, les mesures prises sur pied de l’article 19, alinéa 2 précité conservant à notre estime une existence autonome, et même si l’on admettra bien volontiers que la formulation « outre celles prises conformément aux articles 19, ali-néa 2, et 735, § 2 » (plutôt que « sans préjudice de l’application des articles 19, alinéa 2, et 735, § 2 ») confère un argument textuel sérieux à la position tenue par le Doyen Renchon.

(60) Cass., 4 septembre 1987, Pas., 1988, I, p. 10 ; Cass., 13 février 1978, Pas., 1978, I, p. 683 ; G. de Leval, Éléments de procédure civile, loc. cit., p. 249, no 169, B.

486 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

23. La détermination des mesures potentielles pouvant être intro-duites et jugées au bénéfice de ces dispositions de droit commun relève quelque peu de la « gymnastique intellectuelle ».

S’il apparaît très clairement que des mesures d’instruction de droit commun, telles qu’une expertise (p. ex. immobilière ou mobilière) – au-delà de l’enquête sociale réglée par l’article 1253ter/6 du Code judiciaire et ordonnée d’office par le tribunal (61) –, une audition de témoins – au-delà de l’audition du mineur telle que désormais et explicitement régie par les articles 1004/1 et 1004/2 du Code judiciaire et ordonnée d’office par le tribu-nal (62) – ou encore la production de documents pourront être postulées, l’on se demande néanmoins quelles autres mesures, aménageant provisoirement la situation des parties cette fois, pourraient être soumises au tribunal sans qu’elles ne soient revêtues d’un caractère d’urgence, présumée ou alléguée.

En effet et à raison de ce que les relations personnelles (entre époux, cohabitants, et entre eux et leurs enfants mineurs) sont peu ou prou toutes présumées urgentes, que tel est également le cas des relations patrimoniales de nature « quotidienne » (i.e. obligations alimentaires), à défaut de quoi elles pourraient aisément ressortir à l’urgence « alléguée », sans doute n’y a-t-il guère à ce titre que :– les mesures visées supra sous le no 14, qui ne présenteraient aucun carac-

tère d’urgence ;– toutes les mesures réglant provisoirement la situation des parties dans le

cadre des opérations de liquidation-partage du régime matrimonial des ex-époux (63) (64).

(61) L’on renverra à cet égard aux excellents développements de D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 189, nos 83 à 86.

(62) Sur cette question, voy. not. J.-P. Masson, « La loi portant création du tribunal de la famille et de la jeunesse », J.T., 2014, pp. 187-188.

(63) Voy. ce que nous écrivions in « L’applicabilité de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire aux nouvelles procédures de liquidation-partage », Act. dr. fam., 2013, pp. 156 et s., nos 7 et s. ; voy. égal. J.-L. Renchon, « Quelques problématiques des liquidations et partages », op. cit., loc. cit., pp. 175-176, no 20.

(64) Ainsi que le souligne opportunément D. Pire, quoique la loi réparatrice précitée du 8 mai 2014 ait supprimé les mesures prises sur pied des articles 1209 à 1212 de la liste des causes réputées urgentes au sens de l’article 1253ter/5, § 2, du Code judiciaire, « rien n’exclut que le juge de la liquidation-partage recoure à l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et que les parties invoquent l’urgence » (D. Pire, « Tribunal de la famille et de la jeunesse : loi réparatrice », Act. dr. fam., 2014, p. 180 ; comp. J.-L. Renchon, « Quelques problématiques des liquidations et partages », op. cit., loc. cit., p. 175, no 18, qui considère que l’urgence est en l’occurrence réputée, en sorte – nous précisons – qu’il n’y aurait même pas lieu de devoir l’invoquer (supra, note no 59bis)). En ce dernier cas (i.e. invocation de l’urgence), encore faudra-t-il, comme nous l’indiquions, que la demande concernée respecte le réquisit préto-rien voulant que la mesure n’aurait pu être jugée avec une célérité suffisante au bénéfice de

doctrine 487

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

iii. traits procéduraux essentiels

24. S’agissant de l’introduction devant le tribunal des causes et demandes de mesures qualifiées d’urgentes, deux occurrences procédurales se font principalement jour :– Soit ces causes et demandes s’insèrent dans le cadre d’une procédure en

divorce, et accompagnent la demande en divorce et, le cas échéant, la demande de liquidation-partage du régime matrimonial.

En pareille hypothèse, il sera en toute logique recouru au mode intro-ductif d’instance attaché à la cause de divorce concernée (soit la citation, soit la requête conjointe, soit la requête contradictoire) (65).

Relevons que d’aucuns considèrent à cet égard, et se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2004 (66), qu’« il résulte de l’écono-mie générale de la loi que si l’une des parties introduit plusieurs demandes dans un même acte introductif d’instance (par exemple : demande en divorce et demande de mesures provisoires), elle pourra le faire dans un même acte (comme prévu d’ailleurs à l’article 701 du Code judiciaire). Dans ce cas, il pourra être recouru pour toutes les demandes à la requête même si, prises isolément, les procédures auraient dû faire l’objet tantôt d’une requête, tan-tôt d’une citation » (67).

Sans oblitérer les vertus d’économie de procédure emportées par cette assertion, il nous semble, quant à nous, que c’est là hypertrophier la portée tant de l’article 701 du Code judiciaire – qui vise l’introduction de plusieurs demandes principales (puisqu’introductives d’instance) par même acte de citation –, que de l’arrêt précité de la Cour de cassation – qui se cantonnait à autoriser cette possibilité de regroupement en termes d’acte introductif à raison de ce que les demandes étaient, pour l’une principale, pour l’autre subsidiaire, ou, en d’autres termes, de ce que la juridiction ne pouvait faire droit à l’une qu’à défaut de l’autre.

Or, l’hypothèse procédurale n’est ici pas identique : il n’y a pas, entre la demande en divorce et la demande de mesures provisoires, de distinction entre demande « principale » et « subsidiaire » : ce sont toutes les deux des

l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (« L’applicabilité de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire aux nouvelles procédures de liquidation-partage », op. cit., pp. 157-158 et s., no 11 et les réf. citées aux notes nos 25 et 26).

(65) D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 182, no 48.

(66) Pas., 2004, p. 8. (67) D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de

la jeunesse », op. cit., p. 182, no 49.

488 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

types de demandes sur lesquelles le tribunal devra pareillement statuer, et pas « l’une à défaut » de l’autre.

Plus fondamentalement, l’« économie générale de la loi » ne suffit, à notre estime, pas à énerver la volonté, expresse cette fois, du législateur de conditionner l’introduction de certaines demandes en divorce par citation signifiée par exploit d’huissier de justice, dont il est axiomatiquement – et empiriquement – reconnu qu’il présente une sécurité juridique plus grande que la requête notifiée par les soins du greffe.

Si le débat ici esquissé est, nous en convenons, essentiellement théo-rique au regard de la sanction pesant sur le choix erroné d’un acte intro-ductif d’instance (i.e. la nullité, qui, étant dite « à grief » pourra être « cou-verte », soit si le défendeur comparaît à l’audience d’introduction, prêt à présenter ces moyens de défense (article 867 du Code judiciaire), soit si elle n’est pas soulevée in limine litis (article 864, alinéa 1er, du Code judiciaire)), il n’en demeure pas moins que le pas de l’introduction de toute demande en divorce par requête au motif qu’elle serait accompagnée d’une demande de mesure provisoire, aussi futile soit elle, ne peut, sauf à ébranler l’architec-ture des modes introductifs des demandes en divorce – ébranlement qui n’a été ni voulu, ni même évoqué par le législateur –, être de la sorte franchi.

En synthèse donc, le mode d’introduction de la demande en divorce, qui doit nécessairement primer, conditionnera celui des demandes de mesures provisoires (qui en sont en quelque sorte l’accessoire) introduites par même acte.

Les mesures qui seraient, quant à elles, postulées sur pied des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, seront introduites soit en même temps et par les biais de l’acte introductif d’instance lorsqu’elles sont mues ab initio, soit, en cours de procédure, sur simple demande écrite au greffe (article 19, alinéa 2, du Code judiciaire) ou par voies de conclusions (article 807 du Code judiciaire) – ce qui est cependant moins efficace si le débat entourant le prononcé ne nécessite a priori pas d’échange idoine de moyens par écrit.

En cette première hypothèse (demande de mesures provisoires accom-pagnant une demande en divorce), l’audience d’introduction aura utilement lieu :– lorsque la demande de mesures provisoires s’insère dans une citation : à

la première audience utile en suite de l’expiration du délai « d’attente » de deux jours, soit par essence – pour les causes relevant de l’urgence invoquée qui, étant traitées en référé, se voient appliquer le prescrit de l’article 1035, alinéa 2, du Code judiciaire –, soit par le renvoi opéré par l’article 1253ter/4, § 2, alinéa 3 – pour les causes réputées urgentes et instruites « comme en référé » – au même article 1035, alinéa 2, du Code judiciaire ;

doctrine 489

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

– lorsque la même demande s’insère dans une requête conjointe ou contradictoire : « dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la requête au greffe » (article 1253ter/4, § 2, alinéa 4, du Code judiciaire).

L’on notera enfin que, si les demandes de mesures provisoires sont mues au bénéfice des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, il appar-tient au greffe de fixer l’audience au cours de laquelle elles seront traitées, ledit greffe n’étant astreint pas aucun délai de fixation (et il n’est pas rare qu’en pratique, surtout dans les arrondissements judiciaires connaissant, à leur corps défendant, un arriéré judiciaire endémique, ce délai s’entende de plusieurs semaines, voire plusieurs mois).– Soit ces causes et demandes sont isolées et n’accompagnent pas une

demande en divorce (au motif qu’il y a pour l’heure lieu d’uniquement régler les modalités d’une séparation (ancien article 223 du Code civil) ou que les parties n’étaient pas unies par le mariage (i.e. les cohabitants légaux, voire même des concubins dans l’hypothèse où la saisine du tribu-nal est justifiée par l’existence et le sort d’enfants mineurs communs).

En pareil cas et en l’état des textes, il convient à nouveau d’opérer une distinction selon que les mesures postulées sont réputées urgentes ou relèvent de l’urgence invoquée.

En effet, il nous paraît à nouveau hardi de considérer que « toutes les demandes relatives aux mesures urgentes et provisoires pourront être intro-duites par requête » (68).

L’examen des textes concernés révèle ainsi que l’introduction de mesures provisoires par requête contradictoire n’a été expressément pré-vue qu’au seul sein du second paragraphe de l’article 1253ter/4 du Code judiciaire, soit pour les causes réputées urgentes, et non pour les causes où l’urgence doit être explicitement invoquée par le demandeur, qui, elles, se voient appliquer les règles du droit commun du référé, à savoir l’introduc-tion par citation ou par requête conjointe (articles 700 et 706 jo. 1035 du Code judiciaire).

Si la volonté du législateur avait à cet égard été autre – et peut-être l’a-t-elle été (on en vient à nouveau à conjecturer en l’absence de précision à cet égard) –, il lui appartenait alors de structurer différemment l’article concerné, en prévoyant par exemple un troisième paragraphe qui, appli-cable aux deux types d’urgences, aurait permis, en toutes occurrences, l’introduction par le biais des requêtes précitées.

Il n’en est rien, et, au reste, il existe une logique, au regard de sa sou-plesse, à ne réserver la requête contradictoire – en tant que mode simplifié

(68) Ibid.

490 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

et exceptionnel d’introduction de la demande – qu’aux seules causes et demandes qui concernent l’immense majorité des couples et mésententes, et devront nécessairement être traitées par le tribunal, et non à des demandes de mesures moins habituelles et nécessitant donc une citation.

L’on renverra pour le surplus à ce que nous avons exposé précédem-ment s’agissant des délais de fixation de l’audience au cours de laquelle ces demandes seront traitées.

25. S’agissant de la comparution des parties, les nouveaux textes sont particulièrement clairs.

Sous réserve de circonstances exceptionnelles (l’on imagine sans peine que tel sera le cas du conjoint hospitalisé ou physiquement incapable de se déplacer à l’audience ou du conjoint retenu à l’étranger pour un séjour de longue durée sans qu’une remise ne puisse, à raison de l’urgence à statuer, être envisagée), appréciées par le juge et l’amenant à déroger à l’obligation à cet égard (article 1253ter/2, alinéa 3, du Code judiciaire) (69), ou si les par-ties se sont complètement (i.e. sur toutes les demandes incluses dans l’acte introductif) accordées par le biais d’un accord reçu par notaire, avocat ou médiateur agréé – et sous la réserve de l’homologation de cet accord par le tribunal (70) – (article 1253ter/2, alinéa 5, du Code judiciaire), pareille comparution est désormais, et par l’effet d’un renvoi aux dispositions de l’article 1253ter/4, § 2, 1) à 4°, du Code judiciaire, rendue obligatoire, à l’au-dience d’introduction, lorsque les mesures traitées par le tribunal ont trait :– aux résidences séparées ;– à l’autorité parentale ;– à l’hébergement et au droit aux relations personnelles avec un enfant

mineur ;– aux obligations alimentaires.

Plus encore, cette même comparution personnelle est étendue, s’agis-sant des questions afférentes aux enfants mineurs, à toutes les audiences concernées, de celle d’introduction à celle de plaidoiries (article 1253ter/2, alinéa 2, du Code judiciaire).

(69) Sur les formes de l’éventuelle demande de dérogation, voy. J.-P. Masson, « La loi portant création du tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 187.

(70) L’on imagine que la dérogation tracée en pareille hypothèse à l’obligation de com-parution s’étiolerait si le tribunal devait se refuser à homologuer pareil accord, auquel cas, et sans préjudice de la possibilité lui offerte d’ordonner (d’office ou à la demande du ministère public), nonobstant l’existence d’un accord (article 1253ter/2, al. 5, du Code judiciaire), la comparution personnelle des parties, il ne manquerait pas de remettre ou refixer la cause aux fins de pareille comparution.

doctrine 491

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

De manière très originale, l’article 1253ter/2, alinéa 4, du Code judi-ciaire, commine cette obligation de différentes sanctions étant, sauf les cir-constances qui seront appréciées par le tribunal :– En cas d’absence du demandeur : soit la déchéance de celui-ci de sa

demande, soit le renvoi de la demande au rôle particulier, avec possibi-lité pour les parties de la faire revenir à l’audience, sur simple demande et endéans un délai de quinze jours.

En tant qu’elle est une sanction « exorbitante en procédure civile » (71) et où il apparaît peu constructif de débouter le demandeur d’une demande s’insérant dans une cause essentielle à la résolution ou, à tout le moins, l’aménagement de la situation de mésentente (l’on pensera notamment à l’hébergement des enfants), il y a fort à parier – et l’on en forme le vœu – que la première de ces sanctions demeurera, sauf abus procédural de la partie concernée (sanctionné au demeurant – et à notre estime de manière théorique – par l’article 780bis du Code judiciaire) peu com-mune en pratique.

– En cas d’absence du défendeur : soit le prononcé d’un jugement par défaut à son encontre, soit la remise de l’affaire à un mois, accompa-gnée de l’envoi d’un pli judiciaire (ce qui est assez semblable au système des articles 802 et suivants du Code judiciaire), avec la possibilité de prononcé, à l’issue de cette audience de remise et d’absence persistante du défendeur, d’un jugement réputé contradictoire (ce qui est cette fois moins conforme aux articles 802 et suivants précités, et s’apparente à une manière de vestige de l’ancien article 751 du Code judiciaire) (72).

26. La mise en état ne paraît pas non plus nécessiter de commentaires particuliers, sinon sa soumission au droit commun de la procédure et l’ajout à l’article 747, § 3, du Code judiciaire de la mention du « tribunal de la famille dans le cadre d’une procédure urgente », avec pour conséquence que cette juridiction se trouve, pour les causes et mesures urgentes ici évoquées, désormais astreinte, à l’instar du juge des référés « classique » et des saisies, au respect de délais de mise en état raccourcis à respectivement cinq jours et huit jours s’agissant de recueillir les observations des parties relatives à ladite mise en état et de prononcer l’ordonnance (de mise en état, et non sur le « fond »…) y relative.

L’avenir dira si l’encombrement des juridictions permet, à l’instar du référé de droit commun, de traiter les mesures concernées au bénéfice de

(71) D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 187, no 74.

(72) Voy. ibid.

492 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

délais raisonnables d’échange de conclusions et, surtout, de fixation d’une audience de plaidoiries…

La seule particularité procédurale induite par la loi nouvelle en la matière tient – et elle n’est en pratique pas tout à fait anodine – à la possibilité de traitement commun des causes comportant à la fois des causes et demandes relevant de l’urgence réputée, et d’autres demandes (article 1253ter/4, § 2, al. 5).

Tel sera par exemple le cas de demandes de mesures urgentes relatives à l’hébergement des enfants et à l’octroi d’une contribution alimentaire (qui sont réputées urgentes), qui s’insèreraient dans le cadre d’une demande plus globale en divorce, ou encore de la même configuration, accompagnée d’une demande de liquidation-partage et d’une demande tendant à la gestion d’un portefeuille commun de placements qui, par sa teneur (obligations et inves-tissements de long terme), ne devrait pas être traitée en urgence.

En pareille hypothèse, l’article 1253ter/4, § 2, alinéa 2 permet (sans qu’il s’agisse d’une obligation) que toutes ces demandes soient traitées au bénéfice de l’urgence et, supposément, selon des délais de mise en état et fixation raccourcis.

L’intention est louable. Reste à nouveau à voir, « à l’usage », si les magistrats ayant la charge d’une chambre du tribunal de la famille dis-poseront des ressources matérielles – singulièrement en temps d’audience disponible – pour ce faire.

Plus généralement, l’on doute que toutes les demandes ainsi formées soient propices à un traitement aussi rapide que celui de mise en référé, en sorte qu’au-delà du manque de ressources auquel ils seront inévitable-ment confrontés, nombre de magistrats ne manqueront pas de délaisser une application complète de cette disposition au bénéfice d’une disjonction du traitement des demandes, celles urgentes l’étant en conséquence, les autres faisant l’objet d’une mise en état dite de circuit « long », et un débat différé, serein et sans doute plus approprié.

27. Outre les développements, quasiment « de droit commun » qui précèdent, demeure l’examen d’un mécanisme singulier, celui de la saisine permanente dont bénéficie explicitement le tribunal de la famille, conformé-ment à l’article 1253ter/7 du Code judiciaire.

Ce dernier prescrit, en son premier paragraphe, alinéa 1er, que « par dérogation aux dispositions de la troisième partie, titre III, les causes répu-tées urgentes restent inscrites au rôle du tribunal de la famille, même en cas de décision en degré d’appel. En cas d’éléments nouveaux, la même cause peut être ramenée devant le tribunal, dans un délai de quinze jours, par conclusions ou par demande écrite, déposée ou adressée au greffe. Ces élé-ments nouveaux doivent être indiqués dans les conclusions ou la demande écrite, à peine de nullité ».

doctrine 493

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

Le tour n’est pas insolite, que connaissent d’autres procédures parti-culières (expertise, saisie immobilière, règlement collectif de dettes, etc.) ; il n’en demeure pas moins source de difficultés pratiques, que nous examine-rons ci-après.

28. À titre liminaire et si l’on ne reviendra pas ici sur les difficultés générées par la compétence ratione tempore de l’ancien juge des référés du divorce – dont les plaideurs peinaient à déterminer jusque quand et pour quelles demandes encore pendantes il demeurait compétent à l’aune de la circonstance que la décision emportant divorce était ou non coulée en force de chose jugée –, nous relèverons que cette question doit, à notre estime, être reliée à celle plus générale de la durée des mesures urgentes et provi-soires désormais ordonnées.

Il apparaît en effet de la lecture de la disposition concernée que, sauf celles expressément et/ou nécessairement limitées dans le temps (not. l’in-terdiction évoquée supra no 5, note no 11 ; voy. égal. ci-après), les mesures restent valables jusqu’à l’apparition d’un « élément nouveau ».

Or, l’on soulignera d’emblée, et par exception à cette règle de principe, qu’il existe des mesures qui, parce qu’elles sont provisoires (article 1253ter/5 du Code judiciaire), pourraient cesser avant même l’apparition d’un élé-ment nouveau.

D’aucuns (73) considèrent ainsi que les mesures qui seraient prises sur pied de l’article 223 du Code civil (dans le couple marié en mésentente (74), par le tribunal de la famille sur pied des articles 1253ter/4 et suivants, c’est-à-dire au bénéfice de l’urgence) – l’on y ajoutera celles prises sur pied de l’article 1280 du même Code – deviendraient caduques par le prononcé du divorce « puisque les droits et devoirs des époux conjugaux qui en sont le soutènement ont disparu, et celles qui sont relatives aux enfants communs [perdureraient] conformément à l’article 302 du Code civil ».

Sans qu’il soit nécessaire de recourir à ce critère très subtil de la perte du statut matrimonial (et quoique ce dernier présente une utilité dans la délimitation dans le temps du devoir de secours), ni d’ailleurs de s’aven-turer, s’agissant à tout le moins de ces mesures provisoires, dans le débat consistant à déterminer si l’intentement d’une action en divorce constitue

(73) A.-Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., pp. 102 et 103. Comp. J.-L. Renchon, « Quelques problématiques des liqui-dations et partages », op. cit., loc. cit., pp. 170-171, no 12, qui considère à juste titre que la plupart des mesures provisoires relatives à la gestion des biens communs ou indivis des époux survivait au prononcé de leur divorce, dans le système de mise avant l’entrée en vigueur de la loi ici examinée.

(74) Sur la situation des cohabitants légaux, voy. le même A.-Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., pp. 102 et 103.

494 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

un élément nouveau (75) (infra, no 31), il y a simplement lieu de considérer que, confronté à des mesures provisoires – et non revêtues de l’autorité de la chose jugée – précédemment ordonnées, le juge du fond (i.e. celui du divorce ou celui statuant sur la liquidation du régime matrimonial) dispose de toute latitude pour substituer aux mesures provisoires précédemment ordonnées des mesures, définitives cette fois, par essence revêtues de l’auto-rité de la chose jugée et valant jusqu’à apparition d’un élément nouveau, en sorte que, sur son principe, nous ne pouvons que nous rallier à cette thèse.

Dans le même sens et par identité de motifs, il va de soi que les mesures ordonnées, à raison de la « simple » urgence invoquée et, donc, de « simple » référé, sans limitation dans le temps, pourront être énervées par le juge de fond, pour autant toutefois que les parties en soumettent le fond au juge – à défaut de quoi, et à l’instar de toute décision en référé, elles perdureront elles aussi indéfiniment.

Par ailleurs, il existe des mesures qui sont, nécessairement ou le cas échéant, limitées dans le temps et qui, elles aussi, pourraient disparaître par survenance de leur terme initial.

En pareil cas et à la fin de la période de temps fixée, il y a, à notre estime lieu de considérer qu’il s’agit là d’un élément nouveau au sens de l’article 1253ter/7 du Code judiciaire, impliquant que le tribunal puisse à nouveau statuer, en ordonnant la même mesure pour une nouvelle période de temps ou, en cas d’élément extrinsèque nouveau, une autre mesure, elle aussi limitée (ou non) dans le temps.

Pour toutes les autres occurrences (mesures au fond dans une cause présumée urgente et mesures prises au bénéfice de l’urgence invoquée en l’absence de demande au fond introduite), il y aura évidemment lieu de recourir au critère de l’élément nouveau examiné ci-après (no 30).

29. L’examen de la mesure urgente et provisoire, ordonnée rebus sic stantibus, pourra donc revenir devant le tribunal sans autre formalité qu’une demande écrite ou des conclusions contenant, à peine de nullité (76),

(75) Ibid., p. 102, no 30 ; Contra S. Degrave, « En route vers le tribunal de la famille… ? », Act. dr. fam.

(76) Ainsi que le relève à juste titre Didier Pire, « il s’agit d’une nullité relative (art. 861 C. jud.) : la partie qui s’en prévaut devra donc démontrer qu’elle a subi un grief pour que la nullité soit prononcée » (D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 190, no 90). Et l’on ne voit, pour ce qui nous concerne, pas le grief qui pourrait à cet égard être invoqué, ce d’autant plus si, quoiqu’absent de la demande de fixation mue sur ce fondement, la partie concernée explicite plus avant cet élément nouveau dans ces premières conclusions. Il y a à parier qu’en présence d’une demande – ce sera plus délicat pour des conclusions, sur lesquelles ils n’ont aucune emprise juridictionnelle – dénuée de pareille explicitation et forts d’un rôle de plus en plus proactif en matière de fixation, les greffes inviteront la partie – ou son conseil – inattentive à compléter sa demande.

doctrine 495

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

l’énoncé du ou des élément(s) nouveau(x) le justifiant, et dans les quinze jours de leur dépôt ou de leur envoi au greffe.

Qu’importe, au reste, qu’au bénéfice de l’appel interjeté par l’une ou l’autre partie, la mesure provisoire visée ait ou non été réformée par la cour d’appel, le texte de l’article 1253ter/7, § 1er, alinéa 1er, prévoyant que le tout s’applique « même en cas de décision en degré d’appel » (77).

L’on s’interroge néanmoins sur le cas où une des parties entendrait faire revenir la mesure ordonnée devant le tribunal lors même que l’instruc-tion de l’appel formé contre la décision emportant pareille mesure serait toujours pendante devant la cour d’appel.

Gageons qu’à défaut de pouvoir être résolue au bénéfice du régime de la litispendance – qui ne s’applique qu’au même premier degré de juridiction (article 29 du Code judiciaire) –, ni de l’effet dévolutif de l’appel qui trouve, en la matière, une puissante dérogation textuelle en l’article 1253ter/7, du Code judiciaire, cette difficulté verra les parties user de l’instance d’appel ainsi engagée pour soumettre à la cour les éléments nouveaux concernés – participant ainsi de la concentration nécessaire du litige – ou, à défaut de cette saine initiative, le tribunal de la famille, supposément informé de cette configuration procédurale par l’une des parties ou constatant le transfert du dossier au greffe de la juridiction supérieure, surseoir à statuer dans l’attente de la décision prononcée au bénéfice d’un tel appel.

30. Demeure par contre intacte la difficulté tenant à la définition des « éléments nouveaux » visés à l’article 1253ter/7.

Le texte paraît clair, il ne l’est pas du tout, qui prévoit, en son § 1er, alinéa 2, que :

« Par ‘éléments nouveaux’, il y a lieu d’entendre :1° de manière générale, un élément inconnu lors de la première demande ;2° en matière alimentaire, des circonstances nouvelles propres aux par-

ties ou aux enfants et susceptibles de modifier sensiblement leur situation ;3° en matière d’hébergement, de droits aux relations personnelles et

d’exercice de l’autorité parentale, des circonstances nouvelles qui sont sus-ceptibles de modifier la situation des parties ou celle de l’enfant. Toutefois, dans ce dernier cas, le tribunal ne pourra faire droit à cette nouvelle demande que si l’intérêt de l’enfant le justifie ».

(77) Sur les effets bénéfiques de cette mention, spécialement le maintien au rôle de la cour d’appel et les délais de fixation correspondants, voy. D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., pp. 189-190, no 88. Voy. égal. K. Devolder, « Familie- en jeugdrechtbank », NjW, 2012, p. 753, no 27.

496 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

Au-delà de l’inutilité, déjà relevée par d’autres auteurs (78), de ces distinctions au regard de la jurisprudence fermement établie en matière d’élément nouveau, l’on peine, tout d’abord, à comprendre si les défini-tions tracées en matière alimentaire, d’une part, et d’hébergement, de droit aux relations personnelles et d’exercice d’autorité parentale, d’autre part, dérogent – au motif de l’adage lex specialis generalibus derogat – ou se juxta-posent à la définition générale du 1° précité, en sorte qu’en d’autres termes, l’on ignore si peuvent être considérés comme des éléments nouveaux les éléments inconnus au moment de la mesure précédemment ordonnée, les éléments connus mais non soumis au juge ayant précédemment statué ou, encore mais uniquement, les éléments ayant apparu en suite de la mesure précédemment ordonnée (i.e. les « circonstances nouvelles »).

Pour ne donner que deux exemples pouvant poser problème – et encore qu’ils pourraient faire l’objet d’une requête civile (79) – : quel sort et incidences sur un pension alimentaire déjà ordonnée au bénéfice de l’ur-gence convient-il de réserver à la découverte postérieure à cette mesure ini-tialement ordonnée, quoiqu’elles existaient antérieurement, de ressources cachées dans le chef d’un des conjoints (ainsi, il s’agit bien, « de manière générale », d’un « élément inconnu » (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 1°), mais pas, en matière alimentaire et, donc, en l’occurrence, de « circonstances nouvelles » (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 2°) ?

De même, le réexamen d’une mesure relative à l’hébergement des enfants est-il permis au motif de la découverte d’une cohabitation avec un tiers, qui existait entièrement, était inconnue et pose désormais problème ? Il s’agit pareillement d’un « élément inconnu », entrevu de manière générale (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 1°), mais pas de « circonstances nouvelles » au sens de la définition en matière d’hébergement (article 1253ter/7, § 1er, al. 2, 3°).

En conséquence et à l’aune de la jurisprudence classique et très « car-rossable » en matière de révision (rétractation ou modification) des ordon-nances de référé, il y a sans doute lieu, au-delà de toute définition de l’élé-ment nouveau et à tout le moins en raison de l’ambiguïté de cette dernière selon les espèces, de revenir au principe selon lequel le juge qui a prononcé l’ordonnance querellée ou dont la modification est demandée « ne peut ni la

(78) Not. D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 190, nos 91 à 93.

(79) Liège, 8 décembre 1986, Pas., 1987, II, 45 : « Lorsqu’il est établi qu’un des époux, dans le contexte des mesures provisoires relatives à une procédure de divorce, a retenu une pièce décisive pour l’issue du procès, à propos de la nature et de la hauteur de ses revenus pro-fessionnels, l’autre époux peut, par la voie de la requête civile, demander à la cour d’appel la rétractation de l’arrêt qui a statué sur le montant de la provision alimentaire et interjeter appel incident pour obtenir une contribution alimentaire pour l’enfant dont il assume la garde ».

doctrine 497

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

rétracter, ni la modifier, à moins que les circonstances n’aient changé. Les circonstances qui existaient déjà lors de la prononciation de l’ordonnance, mais n’étaient pas connues du juge des référés, n’autorisent pas celui-ci à rapporter ou à modifier son ordonnance » (80).

Cette position revêt sans doute un caractère rigoriste, mais elle empêche, au-delà de ce que l’on puisse douter que des éléments aussi pré-gnants que l’existence d’une cohabitation avec un tiers soient totalement ignorés, que l’on permette « au perdant de retrouver dans le passé des éléments de preuve inconnus au moment du premier débat pour relancer celui-ci sans limite » (81).

31. Par ailleurs, il nous paraît important de souligner qu’à notre estime, à contre-courant d’autres auteurs (82), mais soutenus par d’autres (83), l’introduction d’une demande en divorce pourrait constituer un « élément nouveau » (84) impliquant que la mesure ordonnée précédemment puisse être réexaminée et conséquemment modifiée par le tribunal statuant en référé et sur pied des articles 1253ter/4, 5 et, ici, 7, du Code judiciaire, sans attendre le prononcé du divorce et les éventuelles mesures de fond qu’il emporterait.

Ceci étant dit et de la circonstance que le juge du divorce pourra pré-cisément faire retour sur et modifier les mesures provisoires qui auraient été précédemment ordonnées, il nous semble peu opportun – tant pour le tribu-nal, qui verra son rôle s’encombrer, que pour les parties, qui supporteraient les conséquences, notamment financières, de cette inflation procédurale – que ledit tribunal statue au bénéfice du référé et ordonne conséquemment de nouvelles mesures, qui pourraient tout aussi bien être adoptées par le juge du fond statuant immédiatement après.

Il faut espérer que, sauf à faire preuve d’une volonté de chicane induite par une demande en divorce qu’elles ne souhaitaient peut-être pas

(80) P. Marchal, « Le référé », op. cit., p. 68, no 35, b), et les références citées aux notes nos 7 et 8.

(81) D. Pire, « La loi du 30 juillet 2013 portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse », op. cit., p. 190, no 92. Contra J.-P. Masson, « La loi portant création du tribunal de la famille et de la jeunesse », J.T., 2014, p. 190.

(82) Voy. not. A.-Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., p. 109.

(83) S. Degrave, « En route vers le tribunal de la famille… ? », Act. dr. fam., 2011, p. 50. (84) En effet, pareille demande ne constitue pas uniquement un simple « changement de

contexte procédural » (A.-Ch. Van Gysel, « Les urgences et le provisoire dans le tribunal de la famille », op. cit., loc. cit., p. 109, note no 65), mais un élément d’appréciation important pour le magistrat chargé de déterminer les modalités d’hébergement d’un enfant ou le mon-tant d’une pension alimentaire : nul ne pourra en effet nier que, de ce que la désunion entre les conjoints est potentiellement temporaire ou nécessairement définitive, le magistrat n’aura pas forcément – ce qui constitue une litote – la même vision des modalités pratiques des mesures qu’il entend ordonner.

498 les mesures urgentes

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

ou n’avaient pas encore envisagée, les parties pourront, en pareille occur-rence, raisonnablement accepter que les mesures provisoires précédemment ordonnées puissent perdurer quelques semaines de plus, jusqu’au prononcé dudit divorce, et l’adaptation corrélative et éventuelle des mesures relatives à leurs personnes, leurs biens et leurs enfants.

32. Enfin, nous ne manquerons pas de relever le vide législatif entou-rant la question de l’introduction, en cours de procédure et non par l’acte introductif, d’une demande de mesure « provisoire », qu’elle soit urgente ou dénuée d’urgence (mais tendant à aménager provisoirement la situation des parties), soit que les parties ont oublié de la solliciter, soit qu’elles l’ont volontairement réservée, soit encore que pareille demande ne se justifiait pas par les circonstances de la cause au moment de l’introduction initiale.

Dès lors qu’aucune mesure n’avait à cet égard été ordonnée précédem-ment, les ressources de la saisine permanente formant l’article 1253ter/7 précité du Code judiciaire ne nous paraissent pas pouvoir être utilement mobilisées en pareille occurrence, en sorte que le droit commun, tout à la fois de la loi particulière et du Code judiciaire, doit à nouveau trouver à s’appliquer.

Aussi, de deux choses l’une :– soit la mesure est urgente au sens des articles 1253ter/4 et 5, du Code

judiciaire, auquel cas elle pourra faire l’objet soit d’un nouvel acte intro-ductif sur pied de ces dispositions (supra, no 24) – sans doute sera-ce la voie à privilégier, le cas échéant au bénéfice de la jonction des affaires (celle déjà pendante et celle nouvellement et de la sorte introduite, nécessairement nantie d’un nouveau numéro de rôle général), en vue de l’obtention d’une décision rapide –, soit, conformément à l’article 807 du Code judiciaire, de conclusions contradictoirement prises, pour autant, dans ce dernier cas, que la demande repose sur des faits compris dans l’acte introductif d’instance initial (à défaut de quoi, un acte intro-ductif en bonne et due forme devra être utilisé), pour ensuite et après mise en état, être fixée sur pied de l’article 750 du Code judiciaire ;

– soit la mesure ne présente aucun caractère d’urgence, en sorte qu’elle pourra utilement faire l’objet d’une demande fondée sur les articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, i.e. par simple demande adressée au greffe (supra, no 22).

Dans le même sens et dès lors qu’il est désormais (85) possible de deman-der, ultérieurement à la condamnation de faire ou de ne pas faire princi-

(85) Voy. à cet égard Liège, 23 décembre 2003, J.L.M.B., 2004, p. 651, prononcée avant l’arrêt cité ci-après à la note no 86.

doctrine 499

Revue trimestrielle de droit familial — 3/2014

pale dont elle est l’accessoire, la confirmation d’une mesure précédemment ordonnée mais assortie cette fois d’une astreinte (86), il ne paraît pas incon-cevable, hors l’introduction d’un nouvel introductif d’instance, de former pareille demande d’astreinte, qui au bénéfice de l’article 1253ter/7 du Code judiciaire, si l’astreinte est justifiée par un élément nouveau – à cet égard, il nous paraît que l’inertie de la partie précédemment condamnée (p. ex. à produire des documents) constitue un élément étant par essence apparu postérieurement à la mesure précédemment prononcée –, qui, à défaut, par le biais de conclusions contradictoirement prises, mise en état et demande de fixation fondée sur l’article 750 du Code judiciaire.

(86) C.J. Benelux, 17 décembre 2009, J.L.M.B., 2010, p. 834, et les remarquables com-mentaires de J. van Compernolle, « L’astreinte », Tiré à part du Rép. not., Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 34-35, no 13.