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Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) État antérieur F.10 1 15150 1 PRÉDISPOSITIONS PATHOLOGIQUES ET ÉTAT ANTÉRIEUR : UNE TEMPÊTE DANS UN VERRE D'EAU (1) ? par Noël Simar Avocat à la cour d'appel de Liège Maître de conférences à l'U.C.L. Bruno Devos Avocat à la cour d'appel de Liège I. — EXAMEN DES NOTIONS La réceptivité de la victime à un dommage est une problématique aiguë dans beau- coup de litiges relatifs à l'évaluation d'un préjudice corporel. Il s'agit « d'une caracté- ristique de la victime qui a pour consé- quence que le dommage tel que subi prend une ampleur anormale (2) ». Afin de déterminer le régime juridique appli- cable à cette réceptivité, ou autrement dit, aux deux notions que sont l'état antérieur et les prédispositions pathologiques, il est indispensable de s'accorder sur des défini- tions, ou à tout le moins des notions, accep- tables. La tâche n'est pas aisée ; le profes- seur J.-L. Fagnart le rappelle (3) : « les formules employées ne sont sans doute pas d'une clarté parfaite, mais il ne faut pas per- dre de vue que la Cour de cassation n'est pas l'académie française... ». A. — Prédispositions pathologiques (4) Le professeur Lucas définit la prédisposition pathologique comme étant « une caractéris- tique d'un sujet, très généralement ignorée de celui-ci, n'ayant aucune expression dans la vie quotidienne, mais qui lors d'un trau- matisme, favorise l'apparition d'une patholo- gie constatable, qui n'existait pas aupara- vant » (5). Elle peut également être définie comme étant « un état physique ou psychique nor- mal chez un sujet possédant des caractéris- tiques génétiques ou autres incluant la pos- sibilité d'une évolution vers une expression clinique, évolution soit spontanée soit induite par un ou des cofacteurs, l'un d'eux pouvant être traumatique ; cette disposition n'est connue du sujet que s'il subit des tests appropriés » (6). - (1) La présente contribution est une actualisation de l'article publié dans la Chronique de droit à l'usage des juges de paix et de police, avec l'aimable autori- sation des éditions la Chartre. (2) J.-L. Fagnart, La causalité, Malines, Kluwer, 2009, p. 285. (3) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par la Cour de cassation », in L'évaluation et la réparation du dommage corporel - Questions choisies, Limal, Anthemis, 2013, p. 85. (4) Voy. à cet égard P. Staquet, « État antérieur d'une victime : à prendre ou à laisser ? » ; R.G.A.R., 2012, n o 14850. (5) J.-L. Fagnart, « Principes juridiques d'imputabili- té du dommage psychique », in L'évaluation du dom- mage psychique, de l'imputabilité au taux, Louvain- la-Neuve, Anthemis 2010, pp. 53-75 ; J.-L. Fagnart, La causalité et la réceptivité de la victime, www.droitbelge.be ; P. Lucas, op. cit., p. 66 ; J.- L. Fagnart, La causalité, op. cit., p. 285 ; P. Lucas, « État antérieur à un accident de travail », in I. Lutte (coord.), L'évaluation et la réparation du dommage corporel - Questions choisies, Limal, Anthemis, 2013, p. 95 ; J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon, « Prédispositions et état antérieur », in Nouvelles ap- proches des préjudices corporels – Evolution ! Révolution ? Résolutions..., Éd du Jeune barreau de Liège 2009, p. 35. Voy. également I. Lutte, « État an- térieur de la victime, vrais questions ou faux débats ? » in Droit médical et dommages corporels - État des lieux et perspectives, Anthemis 2014,p. 195. ; S. Vereecken et L. Van Valckenbor- gh, « Predispositie en verergering of verhaasting van voorafbestaande toestand : voorbeschiktheid tot verwarring ? », in Chronique de droit à l'usage des juges de paix et de police, Bruges, la Charte, 2014, pp. 191 et s. (6) P. Lucas, « Accidents du travail - État antérieur », in J.-L. Fagnart (dir.), 1903-2003 - Accidents du travail : 100 ans d'indemnisation, Bruxelles, Bruy- lant, pp. 63-133 ; Voy. également J.-L. Fagnart, La responsabilité civile - Chroniques de jurisprudence 1985-1995, coll. Les dossiers du J.T., n o 11, Bruxel- les, Larcier, 1997, p. 35. ; J.-L. Fagnart, « L'état an- térieur revisité par la Cour de cassation », in L'éva- luation et la réparation du dommage corporel - Questions choisies, Limal, Anthemis, 2013, p. 70. ; P. Lucas, « Pourrait-on évaluer le cas Noël Simar », in Liber amicorum Noël Simar - Évaluation du dom-

PRÉDISPOSITIONS PATHOLOGIQUES ET ÉTAT …editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804471828/Extr... · l'anatomie ou du psychisme de l'individu, ... l'obtention de la

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PRÉDISPOSITIONS PATHOLOGIQUES ET ÉTAT ANTÉRIEUR :UNE TEMPÊTE DANS UN VERRE D'EAU (1) ?

par Noël SimarAvocat à la cour d'appel de LiègeMaître de conférences à l'U.C.L.

Bruno DevosAvocat à la cour d'appel de Liège

I. — EXAMEN DES NOTIONS

La réceptivité de la victime à un dommageest une problématique aiguë dans beau-coup de litiges relatifs à l'évaluation d'unpréjudice corporel. Il s'agit « d'une caracté-ristique de la victime qui a pour consé-quence que le dommage tel que subi prendune ampleur anormale (2) ».

Afin de déterminer le régime juridique appli-cable à cette réceptivité, ou autrement dit,aux deux notions que sont l'état antérieur etles prédispositions pathologiques, il estindispensable de s'accorder sur des défini-tions, ou à tout le moins des notions, accep-tables. La tâche n'est pas aisée ; le profes-seur J.-L. Fagnart le rappelle (3) : « lesformules employées ne sont sans doute pasd'une clarté parfaite, mais il ne faut pas per-dre de vue que la Cour de cassation n'estpas l'académie française... ».

A. — Prédispositions pathologiques (4)

Le professeur Lucas définit la prédispositionpathologique comme étant « une caractéris-tique d'un sujet, très généralement ignoréede celui-ci, n'ayant aucune expression dansla vie quotidienne, mais qui lors d'un trau-matisme, favorise l'apparition d'une patholo-

gie constatable, qui n'existait pas aupara-vant » (5).

Elle peut également être définie commeétant « un état physique ou psychique nor-mal chez un sujet possédant des caractéris-tiques génétiques ou autres incluant la pos-sibilité d'une évolution vers une expressionclinique, évolution soit spontanée soitinduite par un ou des cofacteurs, l'un d'euxpouvant être traumatique ; cette dispositionn'est connue du sujet que s'il subit des testsappropriés » (6).

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(1) La présente contribution est une actualisation del'article publié dans la Chronique de droit à l'usagedes juges de paix et de police, avec l'aimable autori-sation des éditions la Chartre.(2) J.-L. Fagnart, La causalité, Malines, Kluwer,2009, p. 285.(3) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », in L'évaluation et la réparationdu dommage corporel - Questions choisies, Limal,Anthemis, 2013, p. 85.(4) Voy. à cet égard P. Staquet, « État antérieurd'une victime : à prendre ou à laisser ? » ; R.G.A.R.,2012, no 14850.

(5) J.-L. Fagnart, « Principes juridiques d'imputabili-té du dommage psychique », in L'évaluation du dom-mage psychique, de l'imputabilité au taux, Louvain-la-Neuve, Anthemis 2010, pp. 53-75 ; J.-L. Fagnart,La causalité et la réceptivité de la victime,www.droitbelge.be ; P. Lucas, op. cit., p. 66 ; J.-L. Fagnart, La causalité, op. cit., p. 285 ; P. Lucas,« État antérieur à un accident de travail », in I. Lutte(coord.), L'évaluation et la réparation du dommagecorporel - Questions choisies, Limal, Anthemis,2013, p. 95 ; J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon,« Prédispositions et état antérieur », in Nouvelles ap-proches des préjudices corporels – Evolution !Révolution ? Résolutions..., Éd du Jeune barreau deLiège 2009, p. 35. Voy. également I. Lutte, « État an-térieur de la victime, vrais questions ou fauxdébats ? » in Droit médical et dommages corporels -État des lieux et perspectives, Anthemis2014,p. 195. ; S. Vereecken et L. Van Valckenbor-gh, « Predispositie en verergering of verhaasting vanvoorafbestaande toestand : voorbeschiktheid totverwarring ? », in Chronique de droit à l'usage desjuges de paix et de police, Bruges, la Charte, 2014,pp. 191 et s.

(6) P. Lucas, « Accidents du travail - État antérieur »,in J.-L. Fagnart (dir.), 1903-2003 - Accidents dutravail : 100 ans d'indemnisation, Bruxelles, Bruy-lant, pp. 63-133 ; Voy. également J.-L. Fagnart, Laresponsabilité civile - Chroniques de jurisprudence1985-1995, coll. Les dossiers du J.T., no 11, Bruxel-les, Larcier, 1997, p. 35. ; J.-L. Fagnart, « L'état an-térieur revisité par la Cour de cassation », in L'éva-luation et la réparation du dommage corporel -Questions choisies, Limal, Anthemis, 2013, p. 70. ;P. Lucas, « Pourrait-on évaluer le cas Noël Simar »,in Liber amicorum Noël Simar - Évaluation du dom-

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Ces prédispositions peuvent être classéesen différentes catégories, « représentantdes situations sans aucune répercussionsur la vie quotidienne des sujets, mais favo-risant, lors d'un traumatisme, l'éclosiond'une pathologie cliniquement avérée » (7) :— une particularité génétique (que certai-nes analyses permettent de détecter dansle cadre de la médecine prédictive) à labase du développement de maladies tellesque l'hémophilie, le diabète, la maladie rhu-matismale liée au génotype HLA-B27,divers types de cancers, etc. ;— une particularité physique (phénotype)favorisant l'installation d'une pathologieultérieure : ainsi, le genu varum (genou en« O ») modifie les sollicitations normalesdes surfaces articulaires du genou normale-ment axé et aboutit précocement à l'arth-rose, qui peut expliquer une évolution péjo-rative après un traumatisme local. Lesphénotypes particuliers sont bien connusdes médecins ; au stade asymptomatique,ils sont décelables par un examen cliniquedé ta i l lé e t pa r des rad iograph iesappropriées ;— un état physique pathologique clinique-ment silencieux, mais déjà biologiquementexprimé, inconnu du patient, sauf s'il s'estlivré aux examens techniques spécifiques.On peut citer l'arthrose cervicale asympto-matique chez un sujet dans la cinquantainequi ne se sait atteint que s'il procède à desexamens radiographiques. Est égalementvisée la malformation cardiaque longtempsasymptomatique qui peut entraîner destroubles fonctionnels perceptibles dans lavie quotidienne au moment où le cœur, fati-gué, ne suffit plus à assurer une hémodyna-mique normale ;— un état psychique apparemment normal,toutefois teinté de particularités non appa-rentes dans la vie du sujet mais accessiblesà un examen médico-psychologique spécia-lisé, et qui est de nature à évoluer vers lapathologie spontanément, ou à l'occasiond'une agression quelconque (dont un trau-matisme). C'est le cas du patient apparem-

ment « psychiquement normal » qui, à lafaveur d'un traumatisme, développe unepathologie psychique semblant dispropor-tionnée par rapport à la gravité des faits etpour lequel le psychiatre décrira une per-sonnalité préalable de type borderline (8).

L'accident fait alors « apparaître un troublequi auparavant n'existait pas, et qui sansl'accident n'aurait pas existé dans lesmêmes circonstances. Ce trouble peut êtrefavorisé par une prédisposition de la victimeou par sa personnalité de base, mais avantl'accident, la victime ne souffrait d'aucunepathologie ».

B. — État antérieur.

L'état antérieur est généralement définicomme étant l'état de la victime avant lasurvenance de l'accident.

Selon le professeur Fagnart, il s'agit d'« unesituation normale de la physiologie, del'anatomie ou du psychisme de l'individu,créant dans son chef soit une pathologieavérée, soit un état latent (lui-même déjàpathologique, mais n'ayant pas encore demanifestation clinique » (9).

Il peut également être défini comme étant« l'état des lieux lésionnel, c'est-à-dire unétat des lieux médical, listant les patholo-gies dont une personne souffrait ou avaitsouffert avant l'accident litigieux » (10).

La source de cet état antérieur n'a aucuneimportance (accident antérieur, génétique,évolution physiologique ou maladie...) (11).

Il peut être « anatomique (amputation, arth-rose, perte d'un œil), physiopathologique(diabète, insuffisance cardiaque), psychique(névrose, psychose), il peut être patent(névrose avec crises d'angoisse) ou latent

mage, responsabilité civile et assurance, Limal, An-themis 2013, p. 52. ; J.-L. Fagnart, P. Lucas etE. Rixhon, « Prédispositions et état antérieur », inNouvelles approches des préjudices corporels -Évolution ! Révolution ? Résolutions..., éd. du Jeunebarreau de Liège, 2009, p. 35.

(7) J.-L. Fagnart, La causalité et la réceptivité de lavictime, www.droitbelge.be, no 4 ; J.-L. Fagnart,P. Lucas et E. Rixhon, op. cit., p. 36.

(8) J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon, « Prédispo-sitions et état antérieur », op. cit., p. 35.(9) J.-L. Fagnart, op. cit., p. 55 ; J.-L. Fagnart, Lacausalité et la réceptivité de la victime, www.droitbel-ge.be, no 4. ; J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon,« Prédispositions et état antérieur », op. cit., p. 41.Voy.également I. Lutte, « État antérieur de la victi-me, vrais questions ou faux débats ? », op. cit.,p. 198.(10) C. Fournier, Précis d'évaluation du dommagecorporel, l'Argus, 2001, pp. 157 et s., citées inI. Lutte, op. cit., p. 32.(11) P. Staquet, op. cit., no 14850/2 ; J.-L. Fagnart,La causalité, op. cit., p. 288, citant N. Rijckmans, Es-sai d'une approche concrète de la notion d'état anté-rieur, mémoire de fin d'études présenté en vue del'obtention de la licence spéciale en évaluation dudommage corporel, 1994-1995.

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(structure névrotique avec hyperadaptationsociale), il peut être connu ou inconnu ; ilpeut être stable ou évolutif (arthrose, insuffi-sance cardiaque) » (12).

Il est ainsi distingué (13) :— Un état de « non-invalidité », c'est-à-direne comportant aucune anomalie connue oudécelable (14).Il s'agit d'un état très théorique dont la défi-nition impose de prendre en compte la pro-blématique des limites du « normal » et dupathologique et la notion du « normal pourl'âge du sujet » : une arthrose évoluée entrela dernière vertèbre lombaire et le sacrumest certes une pathologie, mais elle est unebanalité à 60 ans alors qu'elle serait unepathologie inquiétante à 20 ans. Par nature,l'état « normal pour l'âge » recèle, par défi-nition, un potentiel évolutif (15).Cette problématique particulière a été ana-lysée par le professeur Lucas, lequel a tentéde déterminer la limite entre le normal et lepathologique pour une personne âgée (16)(17).— Un état de « validité », mais incluant uneanomalie inapparente sauf si le sujet a subides examens techniques spécifiques sus-ceptibles d'une évolution vers une expres-sion clinique soit spontanée soit induite parun ou des cofacteurs, l'un d'eux pouvantêtre traumatique (18).Cet état est parfois appelé état antérieurlatent, et est régulièrement assimilé par lajurisprudence, à tort, comme étant une pré-disposition (19).Cela vise par exemple le cas d'un sujet psy-chiquement apparemment normal dont onne saura qu'il est borderline qu'après une

mise au point médico-psychologique à lasuite de réactions psychiques inattenduesaprès un traumatisme banal ; ce sujet auraitpu développer les mêmes réactions à lasuite d'autres incidents de la vie.Un état pathologique cliniquement avérécompensé naturellement ou par une théra-peutique représentant un équilibre précaire,que plusieurs causes dont éventuellementun traumatisme peuvent décompenser (20).« Un exemple fréquemment rencontré est lalombosciatalgie survenant au travail lorsd'un effort de soulèvement chez un sujetpresque sexagénaire, dont les examensradiographiques montrent une spondylo-discarthrose lombosacrée » (21).« Lorsqu'il y a décompensation, on peutdire que l'accident a pour effet de briser unéquilibre, que la victime avait réussi à main-tenir, afin d'anéantir les effets d'un état anté-rieur latent ou avéré, mais contrôlé » (22).— Un état pathologique caractérisé par« des manifestations cliniquement avéréesd'une affection congénitale ou acquise(cette dernière étant une maladie ou unaccident), cet état incluant une évolutivitédon t la courbe es t so i t connue so i taléatoire » (23).

Face à un de tels états avérés, un accidentpeut avoir pour effet d'aggraver celui-ci, oude l'accélérer.

C. — Des notions aux contours parfois perméables (24)

À ce stade, il convient sans doute de cons-tater que, quelle que soit les précisionsapportées par ces éminents auteurs, certai-nes caractéristiques de la prédispositionpeuvent correspondre à un état antérieurasymptomatique que certains appellent« non avéré » ou « latents » (25)

(12) I. Lutte, op. cit., p. 32.(13) J.-L. Fagnart, « État antérieur revisité par laCour de cassation », in I. Lutte (dir.) L'évaluation etla réparation du dommage corporel - Questionschoisies », spécialement pp. 72 et s.(14) P. Lucas, op. cit., p. 75. J.-L. Fagnart, P. Lucaset E. Rixhon, « Prédispositions et état antérieur »,op. cit., p. 42.(15) Voy. également J.-L. Fagnart, « État antérieurrevisité par la Cour de cassation », op. cit., p. 72.(16) P. Lucas, « L'expertise de la personne âgée »,in L'expertise de l'emploi de la personne âgée, lesdeux pôles de la vie, Limal, Anthemis, 2011, pp. 247et s.(17) P. Lucas, Liber amicorum Noël Simar - Évalua-tion et responsabilité civile et assurance, Limal, An-themis, 2013, p. 33.(18) P. Lucas, op. cit., p. 75.(19) J.-L. Fagnart, « État antérieur revisité par laCour de cassation », op. cit., p. 73.

(20) P. Lucas, op. cit., p. 75.(21) P. Lucas, « Séquelles d'accident de travail oustigmates de l'âge », H.P.G.B., 1999, pp. 167 et s.,citées in J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité parla Cour de cassation », op. cit., p. 74.(22) J.-L. Fagnart, « Principes juridiques d'imputabi-lité du dommage psychique », in L'évaluation dudommage psychique de l'imputabilité au taux, Limal,Anthemis, 2011, p. 72.(23) J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon, op. cit.,pp. 42-43 ; P. Lucas, op. cit., p. 75. Voy. égalementJ.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par la Courde cassation », op. cit., p. 74.(24) Voy. I. Lutte, « L'état antérieur de la victime -Essai de synthèse », Cons. Man., 2014, pp. 31 et s.

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Si l'on envisage notamment les conséquen-ces sur un état psychique résultant d'unaccident, alors que la victime présentait,auparavant, une personnalité qualifiée deborderline, elle pourrait se voir reconnaître,selon les définitions retenues, une prédispo-sition pathologique ou un état d'antériorité.

Il faut ainsi constater que ces deux notionsse recoupent régulièrement, et sont parfoisutilisées indifféremment l'une de l'autre. LaCour de cassation elle-même utilise indis-tinctement les deux notions dans son arrêtdu 2 février 2011 (26).

En synthèse, il semble ainsi que les prédis-posit ions peuvent être appréhendéescomme étant exemptes de toute pathologie,alors que l'état antérieur intègre quant à luil'existence d'une affection, le cas échéantnon encore déclarée. « Il y a dans la prédis-position une notion de virtualité, de potenti-alité. Ce qui est potentiel, c'est ce qui peutêtre et qui n'est pas encore » (27).

II. — L'INDEMNISATION DU DOMMAGE RÉSULTANT DE PRÉDISPOSITIONS

PATHOLOGIQUES

Il est admis que « par application de la théo-rie de l'équivalence des conditions, la cir-constance que la victime est affligée de cer-taines prédispositions, qui ont pour effet defavor iser la survenance du dommage,n'atténue en rien l'obligation qu'a l'auteur dufait dommageable de réparer intégralementle dommage qu'il a causé. L'auteur d'un faitillicite doit prendre la victime dans l'état oùelle se trouve » (28).

Ainsi, s'il apparaît qu'à la suite d'un acci-dent, la prédisposition dont la victime estatteinte, consciemment ou inconsciemment,se mue en une pathologie, le responsabledevra assumer toutes les conséquences decette pathologie.

En d'autres termes, « si l'accident déclen-che un trouble favorisé par une prédisposi-tion, l'auteur de celui-ci doit réparer toutes

les conséquences du trouble causé » (29).À titre d'exemple fréquemment rencontré, leprofesseur Fagnart cite l'hypothèse d'unstress post-traumatique, apparaissant à lasuite d'un accident, sur la base d'une« structure favorisante » (30).

La Cour de cassation a ainsi confirmé, parun arrêt du 14 juin 1995, que « les jugesd'appel ont décidé que l'état pathologiqueantérieur du défendeur avait seulementconstitué un risque de réceptivité person-nelle, accentuant sa vulnérabilité, et que lesinvalidités ou incapacités qu'il a subies sontdues aux lésions que lui a provoqué ledemandeur. Ils ont dès lors légalement justi-fié leur décision » (31).

Il ne pourrait en aller autrement que si leresponsable démontre que le dommage seserait produit de la même façon avec lesmêmes conséquences sans la faute du tiers(32). Il s'agit de la confirmation de la juris-prudence de la Cour de cassation (33), tellequ'elle ressort notamment d'un arrêt du8 juin 1951 (34) : « Lorsqu'un acte illicite estla cause d'un dommage, les circonstancesque les prédispositions pathologiques de lavictime ont contribué à causer le dommage,n'excluent pas pour l'auteur de l'acte illicitel'obligation de le réparer » (35).

S'il apparaît que la faute du tiers a pour effetd'accélérer la survenance des séquellesrésultant d'une prédisposition pathologique,et qu'en d'autres termes, la survenance dudommage était inévitable, mais a simple-ment été accélérée, il y aurait lieu de répa-

(25) J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon, op. cit.,p. 38.(26) Cfr la contribution particulièrement précise deP. Staquet, op. cit., no 14850/3 ; P. Lucas, « Pour-rait-on évaluer le cas de Noël Simar », op. cit., p. 53.(27) P. Staquet, op. cit., no 14850/3.(28) B. Dubuisson, V. Callewaert, B. De Coninck etG. Gathem, op. cit., p. 354 et réf. citées ; J.-C. Thiryet D. Coco, « L'état antérieur : changement oucontinuité », Cons. Man., 2014, p. 44.

(29) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », op. cit., p. 71, citant notammentCass., 14 juin 1995, Pas., 1995, I, p. 30 ; R.G.A.R.,1999, no 13053 ; Cass., 21 juin 1984, Pas., 1984, I,p. 1283 ; Cass., 10 octobre 1981, Pas., 1982, I,p. 223 ; Liège, 20 décembre 1994 ; R.G.A.R., 1996,no 12556 ; Bruxelles 23 février 2005, Bull. ass.,2007, p. 451 ; Civ. Bruxelles, 21 novembre 2011,J.L.M.B., 2012, p. 1780.(30) J.-L. Fagnart, La causalité, op. cit., p. 287, citantP. Nicourt, « Le lien de causalité », Médecin et droit,1997, no 26 p. 13.(31) D. de Callataÿ et N. Estienne, La responsabilitécivile - Chronique de jurisprudence 1996-2007,vol. II, Le dommage, coll. Les dossiers du J.T., no 75,Bruxelles, Larcier, 2009, p. 120 et nombreuses réfé-rences citées.(32) Pol. Malines, 11 septembre 2002, Droit de la cir-culation, 2003, p. 54.(33) Cass., 14 juin 1995, R.G.A.R., 1999, no 13053 ;Cass., 13 octobre 1981, Pas., 1982, I, p. 223 ; Cass.,15 juin 1984, Pas., 1984, I, no 12083 ; Liège,20 décembre 1994, R.G.A.R., 1996, no 12556.(34) Pas., 1951, p. 691.(35) P. Staquet, op. cit., no 14850/1.

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rer seulement le dommage résultant del'anticipation du préjudice (36) (37).

III. — L'INDEMNISATION DU DOMMAGE RÉSULTANT D'UN ÉTAT ANTÉRIEUR (38)

Si la prise en charge de prédispositionspathologiques n'a pas connu d'importantesvariations dans la jurisprudence, il en vaautrement de l'état antérieur.

À la suite d'un accident, un état antérieurpeut :— Être « simplement » révélé.Si un état antérieur est « simplement »découvert à la suite d'un accident, il n'y aaucune réparation à envisager dans le chefdu responsable, dès lors qu'il n'y a « pas derelation causale entre l'accident et l'étatainsi révélé » (39).— Être décompensé.« Avant l'accident, il existait un état patholo-gique cliniquement avéré, mais compensé,soit naturellement, soit par une thérapeuti-que. Cette compensation permet à l'inté-ressé l'atteinte d'un équilibre précaire qui luipermet de vivre de façon parfaitementnormale » (40).Si l'accident décompense cet état antérieur,il appartiendra « au responsable d'indemni-ser toutes les séquelles du traumatisme, ence compris les conséquences engendréespar l'état antérieur » (41).— Être aggravé, lorsque l'état antérieur estavéré et stabilisé. Cette aggravation peutêtre temporaire ou permanente.Les aggravations d'un état antérieur peu-vent être subdivisées en deux formesdistinctes :- Les lésions synergiques : l'exemple classi-que en est la perte de l'œil valide dans lechef d'une victime déjà borgne. Le dom-mage causé ne se limite pas à la perte d'un

organe (un œil), mais d'une fonction (la vue)(42).Pour qu'il y ait aggravation, il faut qu'il y ait« une synergie entre l'état antérieur etl'invalidité nouvelle. Cette synergie existeralorsque l'accident atteint la fonction qui étaitdéjà perturbée par l'état antérieur avéré »(43).La synergie peut le cas échéant être indi-recte, ou qualifiée d'inhabituelle par le pro-fesseur Lucas. Celui-ci prend comme exem-ple le sourd-muet, utilisant le langage dessignes, et subissant l'amputation d'unemain ; l'aveugle perdant la main qui palpe,ou frappé de surdité ; le paraplégiqueamputé de la main qui meut la chaise rou-lante (44)...— Les lésions non synergiques, lorsque« les affections de la victime ne sont que laconséquence de son état antérieur évoluantpour son propre compte. Aucune incapaciténe peut plus être attribuée à l'accidentlorsqu'il est constaté que ce dernier, et leslésions qu'il a provoquées, ont cessé d'exer-cer toute influence sur l'état antérieur, etque seule la pathologie préexistante conti-nue à se développer pour son proprecompte » (45).En d'autres termes, si la nouvelle lésionporte sur une ou plusieurs fonctions parallè-les à la fonction qui était perturbée par l'étatantérieur, « il y a une simple juxtapositiondes lésions. La validité nouvelle est ainsitotalement indépendante de l'état antérieuravéré » (46).Il n'y a, en d'autres termes, pas lieu de fairesupporter au responsable un dommage quiserait de toute façon réalisé, même enl'absence de l'accident (47).

— Être accéléré.

(36) B. Dubuisson e.a., op. cit., p. 354 ; J.-C. Thiry etD. Coco, op. cit., p. 44.(37) Cass., 7 novembre 1966, Pas., 1967, p. 319 ;Cass., 8 juin 1951, Pas., 1951, p. 691.(38) P. Lucas, op. cit., p. 75 ; J.-L. Fagnart, P. Lucaset E. Rixhon, « Prédispositions et état antérieur »,op. cit., p. 37.(39) P. Staquet, op. cit. ; J.-L. Fagnart, La causalité,op. cit., p. 289. J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon,« Prédispositions et état antérieur », op. cit., p. 44.(40) J.-L. Fagnart, « La causalité et la réceptivité dela victime », www.droitbelge.be, no 7 ; J.-L. Fagnart,La causalité, op. cit., p. 289.(41) P. Staquet, op. cit., no 14850/2.

(42) J.-L. Fagnart, « La causalité et la réceptivité dela victime », www.droitbelge.be, no 12 et réf. citées ;le professeur Fagnart cite également l'exemple dusourd-muet qui perd une main, et qui perd ainsi lafonction du langage par la langue des signes, oul'exemple du paraplégique qui perd également unemain, qui constituait une fonction de locomotion par lebiais de la possibilité d'actionner un fauteuil roulant.(43) J.-L. Fagnart, La causalité, op. cit., p. 291.(44) P. Lucas, L'état antérieur à l'accident de travail,op. cit., p. 98.(45) J.-L. Fagnart, « La causalité et la réceptivité dela victime », op. cit., no 13 ; J.-L. Fagnart, La causa-lité, op. cit., p. 293.(46) J.-L. Fagnart, La causalité, op. cit., p. 291.(47) Cass., 14 juin 1995, Pas., 1995, I, p. 630 ;R.G.A.R., 1999, no 13053 ; Cass., 6 janvier 1993,Pas., 1993, I, p. 11.

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Est visé l'effet de l'accident sur un état anté-rieur avéré et évolutif (48). Dans cette hypo-thèse, le responsable ne doit plus indemni-ser que l'anticipation de ce préjudice (49),ou la part résultant de cette accélération(50). L'auteur devra cependant supporter lacharge de la preuve de ce que l'état de lavictime aurait évolué vers un état aussigrave, même à un autre rythme (51).

Le débat actuel porte, essentiellement,mais pas uniquement sur l'hypothèse d'uneaggravation d'un état antérieur.

La jurisprudence, notamment celle de laCour de cassation, a eu l'occasion, à diffé-rentes reprises, de se pencher sur la problé-matique de l'état antérieur. Force est deconstater que l'analyse qu'elle en a faite estévolutive.

A. — Arrêt du 21 juin 1984 (52) (53)

En 1984, la Cour a été saisie des questionsrésultant de l'indemnisation des prochesd'une personne affectée par une gravemaladie cardiaque, qui était décédée à lasuite d'une faute imputable à un tiers. Pourapprécier l'étendue de la responsabilité dece tiers, la Cour a opéré un raisonnementen deux étapes.

Dans un premier temps, elle examine laquestion sous l'angle de la causalité.

En application de la théorie de l'équivalencedes conditions, la Cour de cassation recon-naît qu'en l'absence de la faute du tiers, lavictime ne serait pas décédée, de telle sorteque cette faute doit être considérée commeétant en lien causal avec le décès.

Dans un second temps, la Cour examine laproblématique du dommage indemnisable.

Rappelant par la même occasion que ledroit commun de la responsabilité imposeune réparation in concreto du dommage, laCour reconnaît que si cette maladie cardia-que n'est pas de nature à rompre le liencausal entre la faute du tiers et la surve-nance du litige, il n'en demeure pas moinsqu'il s'agit d'un état antérieur à prendre enconsidération lors de l'appréciation du dom-mage.

À l'issue de ce raisonnement, la Cour decassation aboutit ainsi à la conclusion que,certes, la faute commise par le tiers est enlien causal avec le dommage — soit ledécès de la victime, mais que ce tiers nedoit être tenue à indemniser la victime qu'àconcurrence « des conséquences quel'accident aurait probablement eues sansl'intervention de l'état maladif ».

B. — Arrêt du 6 janvier 1993

La Cour de cassation modifie son raisonne-ment par un arrêt rendu le 6 janvier 1993(54).

Il s'agissait pour la Cour de statuer sur laresponsabilité d'un tiers ayant causé un pré-judice à une personne qui s'était déjà vureconnaître auparavant une incapacité de4 %. À la suite du second accident, la vic-time se voit admettre une incapacité perma-nente totale de travail. Le jugement soumisà l'appréciation de la Cour dit pour droit quele tiers responsable du second accident doitindemniser l'intégralité de cette incapacitétotale.

Un pourvoi est diligenté contre cette déci-sion par le responsable. Il est motivé de lafaçon suivante :

« En vertu de l'article 1382 du Code civil,l'auteur d'une faute doit réparation de tout ledommage causé par celle-ci, mais unique-ment de ce dommage de sorte que, lorsquele dommage est formé par la superpositionde préjudices distincts qui ne sont pas tousengendrés par l'accident, l'auteur de lafaute n'est pas tenu de réparer le mal déjàacquis avant l'accident mais uniquementcelui dû à cet accident ».

(48) J.-L. Fagnart, « La causalité et la réceptivité dela victime », op. cit., no 15.(49) Voy. notamment Corr. Tournai, 30 novembre1992, Bull. ass., 1993, p. 286 et notes M. Lambert ;Cass., 8 juin 1951, Pas., 1951, I, p. 691.(50) J.-L. Fagnart, La causalité, Malines, Kluwer,2009, p. 285.(51) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », op. cit., p. 76, citant notammentBruxelles, 23 novembre 2010 ; R.G.A.R., 2011,no 14714 ; Corr. Tournai, 30 novembre 1992, Bull.ass., 1993, p. 286 et notes M. Lambert.(52) Cass., 21 juin 1984, Pas., I, p. 1283.(53) Pour un relevé exhaustif de la jurisprudence dela juridiction de fond et de la Cour de cassation sur laprise en charge de l'état antérieur et des prédisposi-tions pathologiques, nous renvoyons à la contribu-tion de J.-C. Thiry et D. Coco, « L'état antérieur :changement ou continuité ? », Cons. Man., 2014,pp. 45 et s.

(54) Cass., 6 janvier 1993, Pas., 1993, p. 11 ; J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., pp. 52 et s. Voy. égale-ment S. Vereecken et L. Van Valckenborgh, op. cit.,nos 34 et s.

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La Cour de cassation rejette cependant cemoyen en déclarant que :

« Lorsqu'un acte illicite est la cause d'undommage, l'auteur doit en supporter toutesles conséquences, y compris celles liées àl'action invalidante de l'état antérieur, saufs'il s'agit de conséquences qui seraient detoute manière sur venues, même enl'absence de cette faute. (...)

» Dans les considérants reproduits dans lemoyen, le jugement constate la relation decause à effet entre la faute du demandeur etl'incapacité de travail de la victime et déduitsouverainement en fait des éléments qu'ilénonce que ce sont les séquelles de l'acci-dent qui ont empêché celui-ci d'exercer saprofession de manœuvre et qu'il convient,dès lors, de considérer que la victime a étéincapable à 100 % depuis la date de l'acci-dent jusqu'à la date de la consolidation ».

La Cour de cassation reproduit ainsi sonraisonnement en deux temps : causalité etdommage indemnisable.

— Au stade de l'examen du lien causal, laCour rappelle que, malgré l'existence d'unétat antérieur avéré, la personne qui a com-mis une faute en lien causal avec le dom-mage doit l'indemniser.

En d'autres termes, l'état antérieur d'unepersonne ne constitue pas une cause étran-gère libératoire. La seule exception consisteà établir, dans le chef du responsable, quele dommage serait survenu de la mêmefaçon, dans le même contexte, en l'absencede toute faute dans son chef.

— Lorsqu'il s'agit d'analyser le dommageindemnisable, il y a lieu de prendre en con-sidération toutes les conséquences de lafaute commise par le tiers.

En effet, l'arrêt précise que le tiers respon-sable est tenu d'indemniser toutes les con-séquences de l'accident dont il est respon-sable, en ce compris celles liées à l'actioninvalidante de l'état antérieur de la victime(nous soulignons).

Peut-on considérer qu'il ressort de cet arrêtles leçons suivantes :

1. le tiers responsable ne peut être exonéréde la réparation intégrale et in concreto, enfaisant fi de l'état antérieur ;

2. en vertu du même principe, il ne peut êtretenu que du dommage causé par le fait fau-tif qui lui est imputé ;

3. ne pas tenir compte de l'état antérieurreviendrait à sous-évaluer l'indemnisationde la victime, mais globaliser l'état antérieuravec les conséquences de celui-ci, pourindemniser le tout, reviendrait à surévaluercette indemnisation.

Ainsi, s'il est reconnu par le juge que l'étatantérieur n'avait pas d'incidence sur lacapacité de travail de la victime, mais quece sont les séquelles du second accident,aggravées le cas échéant par cet étatantérieur, qui ont abouti à ce que la victimene puisse plus travailler, il est logique dereconnaître un taux d'incapacité de 100 %à la victime à la suite de son second acci-dent.

En d'autres termes, le fait pour le juge detenir compte d'un état antérieur avéré austade de l 'évaluation du dommage nel'empêche pas de reconnaître in fine undommage à réparer à concurrence d'uneincapacité de 100 %, sans pour autantindemniser cet état antérieur.

Nous relèverons cependant, avec J.-C.Thiry et D. Coco, que la Cour de cassationétait liée par l'appréciation en fait qui avaitété donnée, dans cette affaire, par la juridic-tion d'appel. Celle-ci avait considéré que« ce sont les séquelles de l'accident qui ontempêché la victime d'exercer sa professionde manœuvre ». Ces auteurs poursuivent :« la Cour de cassation n'aurait pas pudéclarer que l'état antérieur devait réduirel'indemnisation d'une incapacité de travailtotale, alors que celle-ci avait été considé-rée souverainement, en fait, par le juge dufond comme ayant été générée par l'acci-dent en cause » (55).

Prenons un exemple : un borgne devientaveugle à la suite d'un accident (56), enpartant du présupposé, pour l'exemple, quela perte d'un œil entraîne la reconnaissanced'une incapacité de 25 %, tandis que laperte de la vue entraîne la reconnaissanced'une incapacité de 80 %.

Trois possibilités sont envisageables (57) :1. indemniser 25 % supplémentaires, ce quiaboutit à une incapacité totale de 50 % ;

(55) J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., p. 53.(56) P. Verheugen, « L'état antérieur dans l'évalua-tion du dommage corporel », in Société d'étude dudommage corporel - Colloques 1991-1992, p. 45.(57) Que les premiers 25 % d'incapacité résultant dela perte du premier œil soient indemnisés ou non.

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2. indemniser 55 % supplémentaires, soit ladifférence entre les 80 %, et les 25 % impu-tables à la perte du premier œil ;3. indemniser 80 %, outre les 25 % imputa-bles à la perte du premier œil, ce qui revientà admettre une incapacité totale de 105 %.

Sur la base du raisonnement de la Cour decassation, le responsable ne peut se limiterà assumer la réparation de ces 25 %, maisdoit également supporter « l'action invali-dante de l'état antérieur de la victime », soitle fait que l'incapacité résultant de la pertedu deuxième œil n'est pas de 25 %, maisde 55 %. Ainsi, une telle victime « ne seraindemnisé ni comme un homme normaldevenant borgne ni comme un homme nor-mal devenant aveugle, mais bien comme unborgne devenant aveugle » (58).

En d'autres termes, le responsable ne peutexciper d'un état antérieur, pour prétendren ' indemniser que les conséquences« normales » qui seraient subies, en raisonde cette lésion, par une victime ne présen-tant pas d'état antérieur ; il doit assumerl'impact, souvent aggravant, de cet étatantérieur sur les conséquences subies à lasuite de l'accident dont il assume la respon-sabilité, mais sans devoir indemniser cetétat antérieur lui-même.

Au stade de l'évaluation in concreto dudommage, le juge est donc parfaitementlibre de décider si oui ou non il y a lieu deréduire le montant du dommage et dansquelles mesures, compte tenu de l'exis-tence de cet état antérieur, sans cependantréduire à néant l'impact de cet état anté-rieur, sauf à aboutir à la conclusion que cetétat antérieur n'a aucune incidence sur lesconséquences du second accident.

En conclusion provisoire, si l'état antérieurde la victime peut être établi au stade del'évaluation du dommage, il n'en demeurepas moins que l'appréciation du dommagese faisant in concreto, le juge peut estimerque le dommage ne doit souffrir aucuneréduction à concurrence de cet état anté-rieur s'il considère que le préjudice final netrouve sa source que dans les séquellesissues de la faute du tiers responsable.

C. — Arrêt du 2 février 2011

C'est manifestement dans la même lignéeque s' inscr it l 'arrêt rendu par la coursuprême le 2 février 2011.

Les faits qui ont amené à cet arrêt peuventêtre résumés de la façon suivante : uneenseignante atteinte de troubles psycholo-giques avérés est victime d'un accident dela route dont la responsabilité est imputableà un tiers. À la suite de cet accident, l'étatpsychologique de l'enseignante ne lui per-met plus de professer, de telle sorte qu'elleperd son emploi (59).

La juridiction d'appel considère que la pertede l'emploi est l'une des conséquences del'accident et que la victime doit être indem-nisée sur la base d'un taux d'incapacité per-manente de 100 %.

Le tiers responsable de l'accident contestecette décision et rappelle qu'il est tenu àune réparation intégrale du dommage, maisnon à une réparation totale de celui-ci, detelle sorte qu'il ne pourrait être tenu pourdes problèmes de santé préexistants de lavictime.

— Au stade de la causalité, la Cour de cas-sation rappelle que « la circonstance queles prédispositions pathologiques (60) ontcontribué à causer le dommage n'exclut pasl'obligation d'en réparer l'intégralité, sauf s'ils'agit de conséquences qui seraient surve-nues de toute manière, même en l'absencede la faute » (61).La Cour reproduit ainsi le même raisonne-ment, appliquant la théorie de l'équivalencedes conditions au stade de l'appréciation dela causalité. (62)— Un changement intervient par contre austade de l'appréciation du dommage indem-nisable.En effet, la Cour de cassation décide qu'« iln'appartient pas aux juges du fond de sefonder sur un état pathologique antérieur de

(58) P. Verheugen, « L'état antérieur dans l'évalua-tion du dommage corporel », in Société d'étude dudommage corporel - Colloques 1991-1992, p. 45.

(59) Pour un résumé substantiel de la procédure,tant devant le tribunal de police que devant le tribu-nal correctionnel puis devant la Cour de cassation,ainsi que de l'expertise, voy. I. Lutte, « État antérieurde la victime - Essai de synthèse », Cons. Man.,2014, pp. 27 et s.(60) Une fois encore, il s'agissait en l'occurrenced'un état antérieur invalidant avéré et non de prédis-positions pathologiques.(61) Cass., 2 février 2011, Pas., 2011, p. 395.(62) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », op. cit., p. 79.

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la victime pour réduire, en proportion de cetétat, l'indemnisation du dommage qu'elle asubi par la suite d'une faute sans laquelle lepréjudice ne se serait pas produit tel qu'ils'est réalisé ».

IV. — ANALYSE DE CET ARRÊT PAR LA DOCTRINE

Cet arrêt a été abondamment commenté.

Selon Pascal Staquet, cet arrêt du 2 février2011 a pour conséquence que « l'état anté-rieur n'a plus aucun rôle à jouer dansl'appréciation du préjudice résultant del'accident.

» Il s'agira donc dorénavant d'évaluer l'inca-pacité — personnelle, ménagère et écono-mique — en considérant la victime dans saglobalité, en ce compris son état antérieurqui ne pourra plus être déduit » (63).

Les conclusions de Pascal Staquet sontsévères : « l'état antérieur, quel qu'il soit,n'a plus aucun rôle à jouer dans l'apprécia-tion du préjudice résultant de l'accident. Ils'agira donc dorénavant d'évaluer l'incapa-cité en considérant la victime dans sonentièreté, en ce compris son état antérieur,qui ne pourra plus être déduit, sauf àdémontrer que le préjudice serait produit telqu'il serait réalisé sur la faute. (...). Desquestions de terminologie visant à distin-guer les prédispositions de l'état antérieuret l'influence de ceux-ci sur les conséquen-ces d'un traumatisme, deviennent inutiles etobsolètes, puisqu'il s'agira dorénavantd'évaluer la victime dans sa situation glo-bale, en intégrant son “passif”. La personnelésée ne se verra donc plus morcelée maisévaluée de manière holistique ».

Jean-Luc Fagnart précise quant à lui que« l'état antérieur n'a en principe plus aucunrôle à jouer dans l'appréciation du tauxd'invalidité résultant de l'accident. On peutoublier toutes les distinctions subtiles quel'on faisait entre la décompensation, ledéclenchement, l'aggravation... » (64).

Il poursuit : « l'arrêt du 2 février 2011 est denature à simplifier considérablement lesmiss ions d 'exper t ise et la tâche desexperts.

Il devient inutile de s'interroger longuementsur les prédispositions de la victime et surson état antérieur. Une seule question sepose qui est de savoir si le dommage cons-taté se serait produit tel qu'il s'est réalisé ».

Ces auteurs dégagent ainsi de l'arrêt troisprincipes :1. il faut présumer que la victime, avantl'accident, se trouvait dans un parfait état de« non-invalidité » ;2. même si la preuve certaine d'un étatantérieur invalidant est apportée, il s'agitd'un élément dénué de pertinence qui nepeut réduire l'indemnisation ;3. il est dérogé aux deux principes énoncésci-dessus uniquement s'il est démontréqu'en l'absence de l'accident, la victime, àune date déterminée, aurait été atteinted'une invalidité identique à celle que l'onpeut constater.

V. — L'ÉTAT ANTÉRIEUR ET LES PRÉDISPOSITIONS PATHOLOGIQUES

DANS L'INDEMNISATION DES ACCIDENTS DE TRAVAIL (65)

Afin de pouvoir cerner la portée de l'arrêt du3 févr ier 2011, une comparaison avecl'indemnisation des accidents de travail,s'avère éclairante.

Dans le régime de la réparation des acci-dents du travail, la règle dite de l'indiffé-rence de l'état antérieur s'applique tant auniveau de l'imputabilité qu'au niveau de laréparation (causalité et dommage).

En effet, l'accident du travail peut êtreretenu, au sens des articles 7 et 9 de la loidu 10 avril 1971 lorsqu'il est la combinaisond'un élément extérieur, et d'une causeinterne. Ainsi, un infarctus peut être la résul-tante d'une situation de stress au travail —si toutefois un événement soudain peut êtreépinglé — et d'une cause purement interne.

Cette application de l'équivalence des con-ditions amènera donc le juge du fond à con-sidérer qu'à défaut pour l'assureur-loi dedémontrer une cause exclusivement interneà l'organisme de la victime, l'accident du tra-vail sera établi.

(63) P. Staquet, op. cit., no 14, 1850/4.

(64) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », op. cit., p. 79.

(65) Voy. notamment Y. Hannequart, « État anté-rieur et accidents de travail », R.G.A.R., no 9487 ;Y. Hannequart, « État antérieur et prédispositionsmorbides », R.G.A.R., no 11230 ; M. Bolland, « Étatantérieur et accident de travail », R.G.A.R.,no 12113.

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Au niveau de la réparation des conséquen-ces de l'accident, la Cour de cassation ensei-gne que : « aussi longtemps que le trauma-tisme consécutif à l'accident active chez lavictime un état pathologique préexistant, lecaractère forfaitaire du système légal desréparations impose d'apprécier dans sonensemble la capacité de travail de cette vic-time sans tenir compte de son état morbideantérieur, l'accident étant au moins la causepartielle de l'incapacité » (66).

Dans son arrêt du 21 juin 1999 (67), la Courconfirme de manière par ticulièrementclaire : « L'indemnité due pour incapacitépermanente de travail en suite d'un accidentdu travail a pour objet de dédommager letravailleur dans la mesure où le sinistre aporté atteinte à sa capacité de travail, c'est-à-dire à sa valeur économique sur le mar-ché du travail ; celle-ci est également présu-mée trouver sa traduction dans le salaire debase de la victime pendant l'année précé-dant l'accident qui donne ouverture au droità la réparation ; il est, dès lors, indifférentque la capacité de travail de la victime aitantérieurement subi quelque altération ;c'est par une application de la loi que lejuge, pour le calcul des indemnités dues audéfendeur, n'a pas déduit du taux de l'inca-pacité de travail causé par le second acci-dent celui de l'incapacité de travail constatéaprès le premier accident ».

Il résulte de ces arrêts que, au niveau de laréparation, si l'événement soudain altère defaçon temporaire l'état séquellaire préexis-tant de la victime, seule cette aggravationtemporaire est prise en considération.

Par contre, si l'événement soudain nouveause greffe sur un état antérieur, c'est bienl'état global définitif de la victime qui doit êtrepris en compte. « Ce ne serait que dansl'hypothèse où les conséquences de l'acci-dent de travail n'activent plus l'état antérieurque le médecin-conseil pourra conclure à unretour à l'état antérieur et consolider le cassans incapacité permanente » (68).

Il s'agit de l'application de la règle du « toutou rien », comme expliqué par le professeurLucas :« S'il y a retour à l'état antérieur, il s'agit dela disparition de tout atteinte physico-psy-chique et a fortiori de toute incapacité detravail liée à l'accident. C'est l'hypothèse derien.» Si le blessé ne retourne pas à son étatantérieur et si celui-ci est définitivementgravé, l'assureur-loi devra prendre encharge la situation globale nouvelle, fautede pouvoir démontrer que, spontanément eten l'absence de l'accident, le cas aurait évo-lué au même moment vers le tableau clini-que. C'est l'hypothèse du tout » (69).

Cette prise en charge en intégralité de l'étatantérieur, et non uniquement de son actioninvalidante, trouve sa justification dans leprincipe d'indemnisation forfaitaire de laréparation des accidents de travail, tellequ'elle est organisée par la loi du 10 avril1971 et spécialement dans l'existence d'uneprésomption irréfragable au terme delaquelle la rémunération de base traduit lavaleur économique de la victime sur le mar-ché du travail.

Il n'est en d'autres termes pas question, enl'espèce, d'une réparation in concreto, con-trairement au droit commun.

C'est dans le cadre du règlement des acci-dents successifs que cette règle reçoit sapleine acception. Ainsi, l'hypothèse qui avaitamené la Cour de cassation à se prononcerdans son arrêt du 21 juin 1999 portait surl'existence de trois accidents successifsayant donné lieu, à chaque fois, à uneindemnisation subséquente.

Un premier accident avait eu lieu en 1977 etla victime avait été consolidée avec 50 %d'incapacité. En 1982, alors qu'il reprend letravail, il subit un deuxième accident portantsur le même foyer lésionnaire que le pre-mier accident (usage des membres infé-rieurs). Il est consolidé avec 60 % d'incapa-cité. En 1983, alors qu'il continuait à presterchez le même employeur, il subit un troi-sième accident du travail affectant lesmêmes fonctions et est indemnisé à concur-rence de 70 %.

La Cour, dans son arrêt précité, retient :« La capacité de travail d'un travailleur,

(66) Cass., 20 juillet 1916, Pas., 1917, I, p. 209 ;Cass., 23 décembre 1965, Pas., 1966, I, p. 563 ;Cass., 8 septembre 1971, Pas., 1972, I, p. 21 ;Cass., 1er avril 1985, Pas., 1985, I, p. 963 ; Cass.,15 janvier 1996, Pas., 1996, I, p. 1970.(67) Cass., 21 juin 1999, R.G. no S.98.0050.F,no 380.(68) L. Van Gossum, N. Simar et M. Strongylos, Lesaccidents du travail, 8e éd., Bruxelles, Larcier, 2013,p. 130.

(69) P. Lucas, « L'état antérieur en accident detravail », op. cit., p. 103.

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c'est-à-dire sa valeur économique, est léga-lement présumée trouver sa traduction dansla rémunération de base de la victime pen-dant l'année précédant l'accident qui donneouverture au droit de réparation ».

C'est donc bien à concurrence d'un taux de180 % d'incapacité de travail que la victimesera indemnisée. La situation pourraitcependant se compliquer si, au lieu d'avoirdes accidents de travail successifs, il y avaitun accident de la vie privée, suivi d'un acci-dent de travail (70).

La Cour prône ainsi le principe de l'indemni-sation globale du dommage (71).

Cette solution a été critiquée par certains(72), admise par d'autres (73). Elle est sui-vie par une partie de la jurisprudence (74).

Face à ces positions divergentes, la Courd'arbitrage a été saisie du caractère éven-tuellement discriminatoire de ce cumulindemnitaire.

Elle a, dans son arrêt du 26 juin 2002 (75),considéré que : « Il ressort de l'économiede la loi ainsi que des travaux préparatoiresque le législateur a, en parfaite connais-sance de cause, délibérément institué unrégime de réparation forfaitaire et conçucelui-ci en fonction de la généralité descas ; il ne prétendait nullement épouser lesparticularités de chacun d'eux, la valeuréconomique de la victime étant, selonl'expression de la Cour de cassation, légale-ment présumée et trouver sa traductiondans le salaire de base. La rigidité résultantnécessairement du caractère forfaitaire quivient d'être mentionné peut se justifier parau moins deux considérations (76).» La première est que, dès lors que le légis-lateur entend légiférer par catégorie plutôtque de tenir compte des particularités pro-pres de chaque cas individuel, il faut admet-tre, sauf erreur manifeste, que, nécessaire-ment, ces catégories n'appréhendent ladiversité des situations qu'avec un certaindegré d'approximation.» La seconde considération est que lecaractère forfaitaire s'explique notammentpar une réglementation s'écar tant durégime de responsabilité du droit commun,basée non comme celui-ci sur la notion defaute, mais sur celle du risque professionnelet sur une répartition de ce risque entre lesemployeurs et les victimes par l'intermé-diaire d'une assurance obligatoire du préju-dice du travailleur ».

Il est sans doute intéressant d'épingler à cestade, le fait que la Cour d'arbitrage neretient aucun caractère discriminatoirequant à la réparation différenciée entre lerégime d'indemnisation en loi et le droitcommun au motif notamment que le carac-

(70) » La problématique de l'évaluation de l'incapa-cité permanente se pose de façon particulière s'il ap-paraît que l'état antérieur est consécutif à un autreaccident qui a, pour sa part, déjà fait l'objet d'une in-demnisation antérieure ». V. Katz, « La notion d'in-capacité de travail en loi », For. ass., 2013, no 137,pp. 170 et s., faisant référence à L. Van Gossum etY. Ghijsels, « Problèmes juridiques et pratiques enrapport avec l'évaluation des incapacités en accidentde travail », JTT, 2004, p. 441(71) V. Katz, op. cit., p. 172 ; L. Van Gossum,« Évaluation de l'incapacité de travail en loi : évolu-tions récentes de la jurisprudence allant dans le sensdu refus de cumuler deux indemnités pour un mêmedommage », JTT, 1995, p. 115 et L. Van Gossum etY. Ghijsels, op. cit., p. 441.(72) V. Katz, « La notion d'incapacité de travail enloi », For. ass., 2013, no 137 ; cfr égalementN. Simar, « État antérieur et forfait », note sousCass., 21 juin 1999, J.L.M.B., 2000, pp. 1024 et s.Voy. également L. Van Gossum et Y. Ghijsels,« Problèmes juridiques pratiques en rapport avec lesévaluations des incapacités en accident de travail »,JTT, 2004, p. 441, et spécifiquement p. 446 ;P. Lucas, « L'état antérieur en accident de travail »,op. cit., pp. 106 et s.(73) O. Michiels, Synthèse de jurisprudence des ac-cidents de travail, Malines, Kluwer, 1999, p. 44 ;D. Mayerus, « La détermination du pourcentage d'in-capacité de travail en cas d'accidents de travailsuccessifs », www.droitbelge.be.(74) C.T. Bruxelles, 28 février 2011, R.G.A.R., 2013,no 15005 : « dès lors qu'un nouvel accident aggravel'état déficient de la victime, il y a lieu de procéder àl'évaluation des conséquences dans leur ensemble,le taux d'incapacité permanente de travail fixé lors dupremier accident de travail ne pourra être déduit dutaux d'incapacité permanente fixé après le nouvelaccident de travail ». Ce principe d'indemnisationglobale intégrant l'état antérieur a cependant étécontesté par d'autres juridictions de fond : « dansl'hypothèse d'accidents successifs affectant lamême fonction corporelle du blessé, il convient dedésapprouver une position quelquefois défendue se-lon laquelle si l'état issu du premier accident est ag-gravé par l'accident ultérieur, il sied d'imputer à celui-ci la totalité de l'incapacité de travail dorénavant pré-

sentée par la victime. Une pareille thèse qui procèdeà une confusion avec la règle de l'indifférence del'état antérieur est inadéquate parce qu'elle conduitfréquemment à réparer deux fois le même préjudice,cumul non voulu par le législateur et contraire àl'équité ».(75) Bull. ass., 2002, p. 830.(76) Cette justification, visant à réduire la valeur éco-nomique de la victime par le salaire de base, est cri-tiquée notamment par M. Bolland, « État antérieur etaccident de travail », R.G.A.R., 1993, no 12113 ;voy. également C.T. Liège, 1996, Bull. ass., 1997,p. 257 et observations de L. Van Gossum.

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tère forfaitaire « s'explique notamment parune réglementation s'écartant du régime deresponsabilité du droit commun ».

Postérieurement à cet arrêt, la cour du tra-vail de Liège a cependant précisé que : « laCour de cassation a jugé à plusieurs repri-ses que, dès lors que le traumatisme consé-cutif à un accident aggrave chez la victimeun état pathologique préexistant, le carac-tère forfaitaire du système légal des répara-tions impose d'apprécier dans son ensem-ble l'incapacité de travail de celle-ci, sanstenir compte de son état antérieur, et ce,dès lors que l'accident était la cause aumoins partielle de l'incapacité (...) ne sauraitêtre tirée de cette jurisprudence la conclu-sion qu'en toute circonstance, il y aurait lieu,lors de l'évaluation du taux d'incapacité con-sécutif à l'accident de travail, d'additionnermathématiquement les taux d'incapacitéattribués sur la base des différentes affecta-tions dont est atteinte la victime d'un acci-dent de travail.

» Il serait tout autant exclu que soit déduitdu taux d'incapacité constaté après l'acci-dent de travail dont se prévaut une victimele taux d'incapacité reconnu à la suite d'uneaffection, en l'occurrence l'amblyopie del'œil gauche qui a précédé cet accident (...)L'enseignement constant de la Cour de cas-sation portant sur la prise en considérationd'un état antérieur, qu'il soit pathologique ouconsécutif à un précédent accident ne peutêtre suivi que s'il est acquis que l'accidentqui donne lieu à la dernière évaluation del'incapacité aggrave un état d'incapacitépréexistant et que les différentes lésionsencourues présentent un lien qui justifieune appréciation globale de leur incidencesur l'incapacité de la victime » (77)

VI. — QUELQUES OBSERVATIONS ET QUESTIONS SUBSISTANTES

A. — Limites de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 février 2011

1. — Limites inhérentes aux moyens soulevés dans le pourvoi

La Cour de cassation reste tenue par lesmoyens qui sont soulevés devant elle et, en

principe, ne dispose que d'un pouvoir decontrôle des motifs exprimés.

En l 'espèce, le pourvoi soutenait que« même en l'absence de l'accident, le dom-mage aurait pu se produire tel qu'il s'estréalisé ». Cette argumentation ne pouvaitprospérer, puisque les décisions qui admet-tent une telle thèse sont irrémédiablementcassées.

« En se fondant uniquement sur ce que ledommage eut pu se produire sans la faute,même en s'abstenant de prendre en consi-dération le dommage in concreto tel qu'ils'est produit, à telle date et dans telles cir-constances déterminées, le juge du fondviole l'article 1382 du Code civil » (78).

La Cour de cassation, dans son arrêt defévrier 2011, confirme que « le demandeurn'a pas soutenu que l'état antérieur de lavictime aurait provoqué sa mise à la pen-sion, même en l'absence d'accident ». Lacour valide ainsi le raisonnement du juge defond, selon lequel celui-ci a pu considérer,souverainement, que l'accident avait provo-qué la perte d'emploi.

Il est permis de s'interroger sur la raisonpour laquelle le demandeur en cassationn'avait pas soutenu devant les juridictionsde fond que l'état antérieur de la victimeaurait provoqué sa mise à la pension,même en l'absence de l'accident.

Le raisonnement aurait-il été identique si lajuridiction d'appel avait considéré que laperte de l'emploi était liée à l'action con-jointe de l'état antérieur et de l'accident ?En d'autres termes, la Cour de cassationaurait-elle validé le raisonnement si la juri-diction d'appel avait abouti à la conclusionque sans l'accident, la victime n'aurait pasperdu son emploi, mais que, pareillement,sans l'état antérieur, et donc uniquement enraison de l'accident, la victime n'aurait,pareillement, pas perdu son emploi ?

Il est également permis de se poser laquestion de savoir si la décision de la Cour,et la motivation qui la soutient, auraient étéidentiques si le pourvoi avait porté sur lalégalité de l'indemnisation d'un état anté-rieur, et non seulement de l'action invali-dante de cet état antérieur.

(77) C.T. Liège, 19 avril 2012, Recueil de jurispru-dence : responsabilité - assurances accident de tra-vail, vol. II, Jurisprudence 2012, Limal, Anthemis,2014, p. 214.

(78) 11 juin 1956, 1re espèce, Pas., 1956, I, p. 1094et J.T., 1956, p. 613 cité par l'auteur ; « L'état anté-rieur revisité par la Cour de cassation », op. cit.,p. 85.

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De même, il apparaît que deux argumentsont été soulevés, apparemment pour la pre-mière fois devant la cour suprême (cfrpoint 5 de l'arrêt). Il s'agit de la question desavoir si, même sans l'accident, le dom-mage aurait pu se produire tel qu'il s'estréalisé, d'une part, et, d'autre part, le faitque le préjudice ne consiste pas dans lamise à la retraite anticipée, mais bien dansla perte d'une chance de ne pas être pen-sionné prématurément (79).

C'est précisément sur ce dernier moyen quela Cour conclut : « Il n'appartient pas aujuge du fond de se fonder sur un état patho-logique antérieur de la victime pour réduire,en proportion de cet état, l'indemnisation dudommage qu'elle a subi par la suite d'unefaute sans laquelle le préjudice ne se seraitpas produit tel qu'il s'est réalisé ».

C'est donc en réponse à l'argumentation quiconsistait à limiter le préjudice de la victimeà la perte d'une chance de ne pas être pen-sionnée prématurément que la Cour consi-dère que le juge du fond ne peut se fondersur un état antérieur pour réduire l'indemni-sation du dommage. Le moyen ne permet-tait peut être pas une autre analyse.

2. — Limites inhérentes à l'appréciation souveraine des faits

par la juridiction d'appel

« La juridiction d'appel juge en droit et enfait. La Cour de cassation ne juge qu'endroit » (80). Il s'agit de l'application del'ar ticle 147 de la Consti tut ion. Ainsi,« chacun s'accorde à dire que ce qui estjugé en fait est jugé souverainement et nepeut donc être contrôlé et a fortiori censurépar la Cour de cassation » (81).

La Cour de cassation est ainsi liée, dansson analyse, par l'appréciation souverainedes faits qui a été réalisée par la juridictiond'appel. Celle-ci avait considéré que « cesont les séquelles de l'accident qui ontempêché celles-ci (la victime) d'exercer saprofession de manœuvre ». Plus précisé-ment, le tribunal a considéré que « l'experta reconnu à la partie civile une incapacitépermanente de 15 %, mais a également

précisé que les raisons invoquées à l'appuide la mise à la pension de Mme X sont enrelation directe avec l'accident dont elle aété la victime. Il apparaît donc bien des cir-constances de la cause que la partie civile aperdu son emploi en raison des séquellesqu'elle a subies suite à l'accident » (82).

Compte tenu de cette appréciation en fait,ce n'est dès lors qu'en toute logique que lajuridiction d'appel a considéré que l'étatantérieur ne pouvait réduire l'indemnisationde l'incapacité de travail totale qui était sur-venue en raison de l'accident, et ce indé-pendamment de l'état antérieur (83). End'autres termes, « l'existence chez la vic-time d'un état antérieur n'empêche pas queles réparations sont dues sans aucunedéduction dès que l'accident a été la causeefficiente de l'incapacité et de son ampleur,même s'il n'en a pas été la cause unique »(84).

On ne peut donc que constater qu'il ne res-sort pas de la motivation de l'arrêt quel étaitl'état de santé de la victime avant l'accident.

On peut admettre que la prédispositionpathologique n'est pas de nature à altérerl'obligation de réparation intégrale du dom-mage. Il s'agit là d'une application de lathéorie de l'équivalence des conditions.

Par contre, on peut légitimement douterque, dans les hypothèses où il est constatéun état antérieur, l'obligation de réparer toutet rien que le dommage ne génère pas uneautre analyse que celle strictement liée à lathéorie de l'équivalence des conditions.

La victime a le droit d'être remise dans l'étatqui était le sien avant l'accident. Cet état nepeut être ignoré lorsqu'il s'agit de fixer lajuste et intégrale réparation du dommage.C'est d'ailleurs là une exigence de la répa-ration in concreto telle qu'elle se traduitdans l'interprétation qui est traditionnelle-ment donnée à l'article 1382 du Code civil.

Comment concilier alors équivalence desconditions et réparation in concreto ?

Comme le relèvent J.-C. Thiry et D. Coco,« en quoi les prédispositions pathologiques

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(79) J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., p. 54.(80) A. De Bruyn, « La Cour de cassation et le faitou... quand et comment la Cour de cassation contrô-le-t-elle une appréciation en fait du juge du fond ? »,in Liber amicorum M. Mahieu, Bruxelles, Larcier,2008, p. , 43.(81) A. De Bruyn, op. cit., p. 43.

(82) Corr. Verviers, 11e ch., 23 septembre 2010, iné-dit, cité in I. Lutte, « L'état antérieur et l'arrêt de laCour de cassation du 2 février 2011 », op. cit., p. 29.(83) J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., p. 54.(84) P. Lucas, « L'état antérieur d'un accident detravail », op. cit., p. 99, citant J.-M. Bolle, Les acci-dents du travail, éd. Vaillant Carmanne, 1990,p. 224.

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à évolution certaine pourraient-elles êtredéduites de l'indemnisation, et non l'étatantérieur déjà avéré ? Cela paraît pour lemoins paradoxal » (85).

3. — Particularités liées à l'indemnisation en question,

soit une incapacité économique

L'incapacité de travail peut être définiecomme étant « l'inaptitude à exercer desactivités lucratives que la victime, comptetenu de ses qualifications, pourrait déployerdans le milieu économique et social qui estle sien » (86).

Cette incapacité de travail, ou incapacitééconomique est, comme les deux autresprincipaux de préjudice, calculé en pour-centage. Ce pourcentage « correspond autaux retenu pour l'invalidité permanente telque préconisé par les outils barémiques »(87).

Contrairement au préjudice personnel, etdans une moindre mesure au préjudiceménager, le taux retenu n'est cependantpas toujours représentatif du préjudice subi.

Si une victime qui se voit reconnaitre 15 %d'incapacité économique parvient à pour-suivre son activité sans perte de rémunéra-tion, elle sera généralement indemnisée parune indemnité de nature à compenser lesefforts accrus consentis ainsi que sa pertede valeur sur le marché général du travail.

Si une autre victime, qui s'est également vureconnaître 15 % d'incapacité économique,ne peut poursuivre son activité en raison decette incapacité, el le pourra postulerl'indemnisation de l'intégralité de son enréférence à sa perte de rémunération. Ditautrement, comme le précise Isabelle Lutte,« le dommage qu'il y a lieu d'évaluer et con-sécutivement d'indemniser, est la répercus-sion de l'atteinte lésionnelle sur l'aptitude dela victime à fonctionner et à interagir dansl'environnement qui est le sien » (88).

Sauf à admettre une modification de la baseindemnitaire, une telle divergence ne sem-ble pas possible pour l'indemnisation d'uneincapacité personnelle.

Or, c'est précisément dans le cadre del'indemnisation d'une incapacité économi-que que les décisions ayant abouti à l'arrêtdu 2 février 2011 ont été prononcées (89).

Sur le plan des principes, il semble donc dif-ficilement contestable que la juridictiond'appel ait pu considérer, sans qu'il ne soitnécessaire de contraindre le responsable àprendre en charge l'état antérieur, quel'incapacité économique, même partielle,reconnue à la victime l'empêche de poursui-vre son activité économique.

On ignore cependant le sor t qui a étéréservé par la juridiction d'appel à l'indemni-sa t ion de l ' i ncapac i té personne l lepermanente ; le pourvoi ne l'envisage pas.

On imagine cependant mal que la victimequi s'est vu reconnaître 15 % d'incapacitépersonnelle puisse postuler autre choseque l'indemnisation de ces 15 %.

Comme le relevaient, avant l 'arrêt du2 février 2011, J.-L. Fagnart, P. Lucas etE. Rixhon (90), « Lorsque, avant le trauma-tisme, la victime avait un état antérieuravéré, en principe seule l'aggravation ouseule l'anticipation sont indemnisables,sous les réserves suivantes :» L'état antérieur peut transformer en inca-pacité grave une lésion qui ne serait queminimalement indemnisée si elle avaitfrappé un homme en état de pleine capacitéphysique ou psychique avant l'accident. Telest le cas du borgne qui devient aveugle.(...) À l'inverse, l'état antérieur peut transfor-mer en incapacité modique une lésion quiserait largement indemnisée si elle avaitfrappé un sujet en état de pleine incapacitéphysique ou psychique.» Tel est le cas du raccourcissement acci-dentel du moignon d'une jambe déjà partiel-lement amputée ».

(85) J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., p. 55.(86) J.-L. Fagnart et R. Bogaert, La réparation dudommage corporel en droit commun, Bruxelles, Lar-cier 1994, p. 149 ; I. Lutte, « L'état antérieur et l'arrêtde la Cour de cassation du 2 février 2011 », op. cit.,p. 34.(87) I. Lutte, « L'état antérieur et l'arrêt de la Cour decassation du 2 février 2011 », op. cit., p. 35.(88) I. Lutte, « L'état antérieur de la victime : vraisquestions ou faux débat ? », in Droit médical et dom-mage corporel : état des lieux et perspectives, Limal,Anthemis 2014, p. 195.

(89) Compte tenu des constats effectués par l'ex-pert, et que précisément, le taux d'incapacité écono-mique doit être déterminé en en fonction de la valeurde la victime sur le marché du travail, on peut tout demême être étonné du taux retenu in fine par l'expert,et spécifiquement que celui-ci soit identique pour lestrois ordres d'incapacité ; I. Lutte, « L'état antérieuret l'arrêt de la Cour de cassation du 2 février 2011 »,op. cit., p. 35.

(90) J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon, « Prédis-positions et état antérieur », op. cit., p. 79.

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C'est le raisonnement qui a été suivi par lajuridiction d'appel en l'espèce : l'état anté-rieur, non évalué par les experts, n'empê-chait pas la victime de travailler. Par contre,le traumatisme a eu pour conséquence derendre la victime incapable de travailler.L'état antérieur a ainsi eu pour consé-quence de transformer en incapacité impor-tante (totale) une lésion qui aurait étéindemnisée minimalement pour une victimenon réceptive.

Cela revient en d'autres termes bien àindemniser l'action invalidante de l'étatantérieur, tel que cela ressort, notamment,de l 'arrêt de la Cour de cassation du6 janvier 1993.

Nous partageons ainsi l'exemple donné parIsabelle Lutte (91). Cette dernière prendl'exemple d'un piéton victime d'un accidentde la route et devenant paraplégique, puisvictime d'un second accident, entraînantune fracture du poignet.

Le responsable de ce second accidentdevra prendre en charge l'indemnisationrésultant de la perte d'autonomie, pour unparaplégique, de l'usage de son poignet,sans qu'il ait à indemniser la paraplégie enelle-même. « Il s'agit du dommage situa-tionnel subi par le jeune paraplégique. Untel dommage est en relation de cause àeffet avec l'assaut du chien du voisin, sanslequel aucune fracture du membre supé-rieur ne serait survenue » (92). Les autresexemples cités par ce même auteur confir-ment cette analyse.

Tel est le cas d'un « jeune homme qui pro-voque une fracture de la jambe d'une damemalentendante » (93). Il sera tenu d'indem-niser la dame malentendante de la réduc-tion de sa capacité, qu'elle soit personnelle,ménagère, et économique, même si cetteperte de capacité, correspondant à la nou-velle situation de la victime, n'a pu être siimportante qu'en raison de l'action délétèreconjuguée entre l'état antérieur (le fait d'êtremalentendante), et les séquelles de l'acci-dent litigieux (94). Il s'agit donc en d'autrestermes de mettre à charge du responsabledu second accident, l'effet aggravant de

l'état antérieur, mais non l'état antérieur lui-même.

4. — Conséquence : l'arrêt ne se voit-il pas alloué un champ

d'application et une importance que la Cour n'entendait pas lui donner ?

On ne peut donc que regretter que la moti-vation de l'arrêt ne fasse pas ressortir demanière plus explicite quel était l'état desanté de la victime de l'accident en consta-tant aussi que le demandeur en cassationomet des moyens qui auraient peut-être pujustifier une autre appréciation de la coursuprême.

C'est au regard de ces lacunes que l'arrêtdoit être lu.

De même, le pourvoi faisait limitativementréférence à l'indemnisation d'une incapacitééconomique, laquelle présente plusieurssingularités. L'arrêt doit également être luen gardant en tête cette limite ; l'extensionaux autres types de préjudice nous sembleloin d'être certaine.

Force est d'ailleurs de constater, avec JeanClaude Thiry et Daniela Coco, que cet arrêtn'a pas été repris par la Cour elle-même,dans son rapport d'activité 2011, ce quisemble démontrer qu'il n'a pas été identifiécomme étant un arrêt marquant de cetteannée (95). Si cet arrêt devait se voir inter-prété comme cela a été précisé ci-dessus,un tel bouleversement des principes quirégissent l'indemnisation n'aurait pas man-qué d'être repris dans ce rapport.

Nul doute cependant que la Cour seraappelée à préciser sa position sous peu.

B. — Conséquences de l'arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 juin 2002

concernant l'indemnisation des accidents de travail (96)

La question posée à la Cour d'arbitrage,devenue Cour constitutionnelle, par la courdu travail de Mons, était la suivante :

« Les articles 24, 34, 36 et 39 de la loi du10 avril 1971 sur les accidents de travail,interprétés en ce sens que dans le cadre del'indemnisation qu'il prescrit, l'incapacitépermanente résultant d'un accident de tra-vail qui aggrave une lésion fonctionnelle

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(91) I. Lutte, « État antérieur de la victime, vraisquestions ou faux débats ? », op. cit., p. 208.(92) I. Lutte, op. cit., p. 209.(93) I. Lutte, op. cit., p. 205.(94) I. Lutte, op. cit., p. 207.

(95) J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., p. 57.

(96) Bull. ass., 2002, p. 830.

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provoquée par un ou plusieurs accidents detravail antérieurs doit, en raison d'une pré-somption irréfragable en vertu de laquelle larémunération de base du travailleur reflètenécessairement l'atteinte portée à sa valeuréconomique par lesdits accidents anté-rieurs, est toujours appréciée dans sonensemble, sans tenir compte de l'incapacitépréexistante, et cela même lorsqu'il estprouvé que la rémunération de la victimedevant servir de base à l'indemnisation desconséquences du dernier accident, n'a pasété affectée par le ou les accidents anté-rieurs, violent-ils les articles 10 et 11 de laConstitution dans la mesure notamment oùla victime atteinte d'une lésion fonctionnellepar l'effet de l'accident de travail unique nebénéficiera pas du même traitement que lavictime atteinte de la même lésion fonction-nel le par le fait d'accidents de travailsuccessifs ? » (97).

La réponse qui est apportée à cette ques-tion, et la comparaison qu'elle induit avec lerégime d'indemnisation forfaitaire de la loisur les accidents de travail telle que décriteci-dessus apporte un éclairage particulière-ment intéressant sur l'indemnisation del'état antérieur, par la comparaison qu'il y alieu de faire entre le régime des accidentsde travail et le droit commun.

Il apparaît ainsi, en synthèse, que l'étatantérieur est indemnisé par l'assureur-loi,dans le cadre de l'indemnisation d'un acci-dent de travail, en raison, selon la Courconstitutionnelle, des différents élémentssuivants :— Le régime d'indemnisation en loi est unrégime d'indemnisation forfaitaire, le forfaitétant calculé en fonction du salaire de basede l'année précédant l'accident.

Ainsi, « le salaire de base est censé repré-senter la capacité de travail de la victime ence compris les effets de perte de capacitéantérieure, même si la rémunération estmaintenue à son même niveau, voire à unniveau supérieur » (98).

Il n'est donc pas question d'indemnisationdu préjudice réellement subi, ni d'indemni-sation in concreto, contrairement au droitcommun.

Le sa la i re de base es t donc censé« intégrer » la perte de capacité antérieure,même si cette idée est combattue par plu-sieurs auteurs, et n'est présente, en prati-que, que très rarement (99).

En droit commun, c'est au contraire le préju-dice réellement subi, établi par la victime,qui doit être indemnisé.

— Le régime d'indemnisation en loi estconçu en prenant en considération la géné-ralité des cas ou des victimes (100).

Il ne tient donc pas compte des particulari-tés, et spécifiquement, des prédispositionspathologiques, et des états antérieurs detelle ou telle victime. Il ne s'agit donc pas,comme le retient la Cour constitutionnelle,d'indemniser en prenant en considération ladiversité des situations, contrairement audroit commun.

Il s'agit de la confirmation du fait qu'il n'estpas question d'indemnisation in concreto,au contraire du droit commun.

Celui-ci prend en considération les particu-larités de la victime (ce qui justifie d'ailleurs,selon la Cour de cassation, de procéder,par priorité, à la capitalisation du dommagepermanent, plutôt qu'à une réparation forfai-taire), la diversité des situations, et doncparmi cette diversité de situations, la pré-sence ou non de prédispositions pathologi-ques ou d'état antérieur.

— L'indemnisation des accidents de travail,reposant sur l'assureur-loi et, de manièreindirecte, sur l'employeur, qui a l'obligationde souscrire une telle assurance-loi, estfondée non pas sur la notion de faute, oumême sur la notion d'indemnisation, maissur celle de la gestion d'un risque profes-sionnel.Il est ainsi question, selon la Cour constitu-tionnelle, d'assurer, dans une cer tainemesure, une répartition de ce risque entreles employeurs et les victimes, par l'inter-médiaire d'une assurance obligatoire.Cette idée de gérer un risque est étrangèreau droit commun ; il s'agit au contraired'indemnisation, qu'elle soit la conséquence

(97) C.A., 26 juin 2002, no 104/2002.

(98) N. Simar, « État antérieur et forfaits », note sousCass., 21 juin 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1024 ;P. Lucas, op. cit., p. 75.

(99) On ne constate en pratique que très rarement,voire jamais, une diminution du salaire de base pourune victime d'un accident de travail qui continue àtravailler, même après s'être vu reconnaître un tauxd'incapacité relativement élevé.

(100) L. Van Gossum, N. Simar et M. Strongylos,Les accidents du travail, 8e éd., Bruxelles, Larcier,2013, pp. 130-131.

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d'une responsabilité objective ou à base defaute.

Il faut donc bien convenir que le régime dela loi du 10 avril 1971, au regard de soncaractère d'ordre public et du principed'indemnisation forfaitaire découlant de laprésomption irréfragable que l'on entendtirer de la rémunération de base, est unrégime dérogatoire au droit commun. Lesprincipes et solutions retenus en accidentde travail, et qui sont relatifs à la cohérencede ce système d'indemnisation ne sontdonc pas exportables dans le cadre d'uneréparation intégrale et in concreto.

Il est donc permis de s'interroger sur laquestion de savoir si la Cour constitution-nelle adopterait le même raisonnement si luiétait soumise la même question que cellequ'elle a dû trancher le 26 juin 2002, dans lecadre de la loi de 1971 sur les accidents detravail.

C. — Conséquences dans le cadre de l'indemnisation du dommage

Comme le relevait Yvon Hannequart, ledroit d'indemnisation est régi par troisrègles principales :1. La réparation de tout le dommage, maisrien que le dommage provoqué par le faitfautif.2. La remise de la victime pristin état estl'état où il se serait trouvé sans le fait fautif.Selon la jurisprudence constante de la Courde cassation, la réparation intégrale dudommage consiste à replacer la victimedans la situation où elle se serait trouvée sila faute n'avait pas été commise (101). « Enconséquence, le dommage consiste en laperte d'un avantage mesuré par la compa-raison de la situation de la victime avant etaprès la faute, pour autant que le bilan decette comparaison soit négatif » (102).3. L'indemnisation doit avoir lieu in con-creto, c'est-à-dire en tenant compte desparticularités de la cause et de chaque vic-time, et non de façon abstraite et générale.(103)

Il convient également d'ajouter à ce stadeque la charge de la preuve du dommageindemnisable repose sur la victime ; c'est àelle d'établir que le dommage dont elleréclame indemnisation est bien un dom-mage indemnisable en lien causal avec lefait générateur de responsabilité dont ellese prévaut.

Si elle échoue à apporter cette preuve, cedommage ne sera pas indemnisé.

Il faut également que le dommage à indem-niser soit certain, et donc non hypothétique.

Plusieurs exemples permettent d'établir quel'interprétation des auteurs précités del'arrêt du 2 février 2011 de la Cour de cas-sation sur la prise en charge de l'état anté-rieur peut aboutir, dans certains cas, à unesurindemnisation du dommage qui va au-delà du préjudice réellement subi, et donc àune surestimation.

S'il est incontestable que l'indemnisationd'un préjudice résultant de l'aggravationd'un état antérieur ne correspond pas àl'indemnisation du même dommage causé àune personne qui ne présente pas cet étatantérieur, indemniser l'état de la victime,englobant l'état antérieur après l'accident, apour conséquence de ne pas replacer lavictime dans l'état qui était le sien avantl'accident.

L'exemple du borgne qui perd, à la suited'un accident, son œil valide, ou de l'unijam-biste qui perd sa seconde jambe, est illus-tratif.

Si l'on part de l'hypothèse que la perte d'unœil équivaut à la reconnaissance d'un tauxmoyen d'incapacité de 25 %, la perte dusecond œil ne peut se limiter à 50 % corres-pondant soit 2 x 25 %. En effet, dans unetelle hypothèse, « le dommage causé n'estplus estimé en termes de perte d'un organe,mais bien en termes de perte d'une fonc-tion, qu'il s'agisse de la vision ou de la mar-che, ou encore de l'appréhension » (104). Ilconvient d'indemniser en d'autres termes laperte de fonction (105).

En d'autres termes, si la victime, désormaisaveugle, se voit reconnaître une incapacitéaux alentours des 80 %, le responsables ne

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(101) Cass., 13 avril 1995, Pas., 1995, I, p. 423.(102) P. Van Ommeslaghe, op. cit., p. 689.Voy.également S. Vereecken et L. Van Valckenborgh,op. cit., nos 20 et s.(103) Y. Hannequart, « État antérieur et prédisposi-tions morbides », R.G.A.R., 1987, no 11230 ; voy.également J.-C. Thiry et D. Coco, op. cit., p. 44.

(104) P. Staquet, op. cit., no 14850.

(105) J.-L. Fagnart, « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », op. cit., p. 75.

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pourra raisonnablement soutenir qu'il nedoit indemniser que 25 %.

Par contre, interpréter la jurisprudence de laCour de cassation, et contraindre ainsi leresponsable à indemniser une incapacité de80 %, revient à lui faire supporter plus quele dommage qui résulte de l'accident qu'ildoit supporter, soit 55 % (80 % - 25 % dansl'exemple cité).

En outre, cela aboutirait également, dansl'hypothèse où la victime aurait d'ores etdéjà été indemnisée préalablement de 25 %résultant de la perte de son premier œil, àbénéficier non pas de 80 % d'indemnisa-tion, mais de 105 %...

Il n'est donc plus question de remise enpristin état, ni d'indemnisation in concreto,dès lors que la victime se verrait attribuerune indemnisation à concurrence de 105 %,alors qu'il lui serait reconnu un taux de 85 %d'incapacité.

Si l'on prend un autre exemple, on com-prend évidemment que « faire tomber unevielle dame qui a une ostéoporose générali-sée et lui casse le col du fémur, oblige celuiqui est responsable de cet accident à répa-rer la fracture du fémur sans tenir comptede la fragilité osseuse antérieure » (106). Ilne peut par contre être demandé au res-ponsable qu'il indemnise non seulement lafracture du fémur, mais également le traite-ment de l'ostéoporose. C'est pourtant ce àquoi aboutirait la prise en charge intégrale,et sans nuances, de l'état antérieur.

Une telle indemnisation ne rencontre pasles principes qui gouvernent l'indemnisationdu dommage en droit commun tels que rap-pelés ci-dessus. (107) Il y a donc, selonnous, une opposition frontale entre ces prin-cipes, et singulièrement la remise en pristinétat de la vic t ime, et la présompt ion(irréfragable ?) de « non-invalidité » quidevrait découler de l'arrêt du 2 février 2011de la Cour de cassation.

La mise à charge du responsable de l'étatantérieur, sans nuance, induit à ne pasremettre la victime dans son pristin état,

mais bien dans un état qui pourrait être qua-lifié de « parfait », sans préjudice d'ailleursd'une définition à établir de cet état parfait.Comment par ailleurs admettre qu'une tellevictime borgne devenue aveugle soit indem-nisée à concurrence de 105 %, alors que sila même victime, « normalement voyante »et qui deviendrait aveugle ne serait, quant àelle, indemnisée « qu'à » concurrence de80 % ?

Comment justifier cette différence de traite-ment entre les ces deux victimes dans laprise en charge de l'indemnisation de l'inca-pacité permanente, alors que par son arrêtdu 21 mars 1995, la Cour constitutionnelle aconsacré le principe d'égalité entre les victi-mes (108).

C'est ce qu'a également rappelé le profes-seur Lucas (109) : « on peut admettre queles atteintes séquellaires identiques engen-drent des répercussions identiques dans lavie quotidienne, et justifient donc une éva-luation identique préalable à une réparationidentique : nous sommes ici dans une logi-que barémique ».

Le professeur Fagnart, citant le Guidebarème européen, abonde dans le mêmesens : « les séquelles engendrent un préju-dice à caractère personnel intéressantl'homme dans le cadre de l'activité grossiè-rement identique à celle de tout autrehomme. Les séquelles identiques entraî-nent donc des répercussions quasi identi-ques dans la vie quotidienne : il est logiquede penser que cela justifie une évaluationidentique. Ces séquelles peuvent doncrépondre à une logique barémique » (110).

Comme le relèvent S. Vereecken et L. VanValckenborgh, le dommage indemnisable etlien causal ne sont pas des concepts inter-changeables.

(106) P. Lucas, « L'état antérieur à l'accident detravail », op. cit., p. 96, citant L. Roche, État anté-rieur dans les réparations du dommage corporel endroit commun, coll. de médecine légale et de toxico-logie médicale, Paris, 1980, p. 12.

(107) Pour une comparaison de la vétusté dans lecadre d'un dommage matériel, voy. J.-C. Thiry etD. Coco, op. cit., pp. 56 et s.

(108) C.A., 21 mars 1995, no 025/95 ; J.T., 1995,p. 400 et note L. Arnoue, J.M.L.B., 1995, p. 496 ;J.T., 1995, p. 261 ; R.G.A.R., 1995, no 12529 ; R.W.,1994-1995, p. 1324 et notes P. Traest. Voy. égale-ment J.-L. Fagnart, « Définitions des préjudices nonéconomiques », in Préjudices extrapatrimoniaux :vers une évaluation plus précise et une plus juste in-demnisation, actes du colloque organisé par la con-férence libre du Jeune barreau le 16 septembre2004, éd. du Jeune barreau de Liège 2004, p. 37.(109) P. Lucas, « Le barème européen des atteintesà l'intégrité physico-psychique (AIPP), philosophie etutilité », Cons. Man., 2004, p. 137.(110) Guide barème européen, « Préambule », Lou-vain-la-Neuve, Anthemis 2006, p. 13, cité in J.-L. Fa-gnart, « L'état antérieur revisité par la Cour decassation », op. cit., p. 80.

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La question du dommage indemnisable doitêtre appréciée indépendamment de ladétermination du lien causal (111).

Il nous semblerait plus conforme à ce prin-cipe d'égalité de l'indemnisation, mais éga-lement au principe de la réparation in con-creto, ainsi que la remise en pristin état quele tiers responsable soit appelé à assumerl'action invalidante, généralement aggra-vante, de cet état antérieur, mais pas cetétat antérieur en lui-même.

Le responsable de l'accident (ou l'impliqué)ne peut échapper à l'obligation de réparer ledommage qu'il cause. Il doit donc assumerl'action invalidante, généralement aggra-vante de l'état antérieur, sans toutefoisdevoir prendre en charge cet état antérieuren lui-même. Raisonner autrement pourraitconduire à une violation du principe de laremise en pristin état, ainsi que du principede la réparation in concreto.

D. — Hypothèse où l'état antérieur de la victime résulte d'un fait fautif

qui peut lui être imputé

La jurisprudence, bien établie, de la Cour decassation, admet que lorsqu'un dommageest causé concurremment par la faute duresponsable, et par la faute de la victime, il ya lieu à un partage des responsabilités : « letiers fautif ne devra pas indemniser l'intégra-lité du dommage, mais seulement une par-tie de celui-ci, proportionnelle à sa part deresponsabilité dans l'accident. L'autre partiesera supportée par la victime elle-même,sur son propre patrimoine » (112).

« En décider autrement reviendrait en effetà dénier la relation causale entre la fautecontr ibutive de la victime et ce mêmedommage » (113) (114).

Ces hypothèses, où l'état antérieur est laconséquence d'un comportement fautifreproché à la victime elle-même, ne sontpas purement théoriques, et peuvent êtrerencontrées dans des cas bien différents :accident de circulation dont la victime est leconducteur fautif ou non ceinturé, accidentde vie privée dans le chef d'une victimeimprudente, ou même dans un cas extrême,une tentative de suicide...

Suivant l'arrêt de la Cour de cassation du2 février 2011, le responsable du secondaccident devrait supporter l'état passif glo-bal de la victime lors de la survenance decelui-ci, en ce compris l'état antérieur quirésulte du comportement de la victime.

La jurisprudence de la Cour de cassationpeut alors entraîner des conséquences con-tradictoires, selon que l'on applique l'ensei-gnement découlant de l'arrêt de février2011 ou les arrêts, dont l'arrêt du 23 mai2007 (115), par lequel la Cour de cassationa rappelé que lorsque le dommage a étécausé par des fautes concurrentes dont cel-les de la victime, l'auteur du dommage peutêtre condamné envers celle-ci à la répara-tion intégrale du dommage.

S'il devait être admis que le responsable dusecond accident a l'obligation d'assumerl'état antérieur en sa globalité, cela pourraitgénérer une différence de traitement diffici-lement justifiable : le responsable d'un dom-mage causé partiellement par la faute de lavictime, pourrait opposer à cette dernièrecette faute pour n'être tenu qu'à une indem-nisation partielle, tandis que la responsabled'un accident causant un dommage partiel-lement lié à un état antérieur résultant d'uncomportement fautif imputable à la victime,ne pourrait se prévaloir de cette faute pouraboutir au même résultat.

Si cette voie devait être suivie, nul douteque cette différence de traitement soit sou-mise à la Cour constitutionnelle, afin devérifier si elle est bien injustifiée.

Le responsable pourrait-il plaider qu'il n'apas à supporter l'état antérieur résultant

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(111) S. Vereecken et L. Van Vanckenborgh, op.cit., no 38.(112) B. Dubuisson, V. Callewaert, B. De Coninck etG. Gathem, La responsabilité civil - Chronique de ju-risprudence 1996-2007, vol. I, Le fait générateur et lelien causal, coll. Les dossiers du J.T., no 74, Bruxel-les, Larcier, 2009, p. 350.(113) Cass., 5 septembre 2003, Pas., 2003,p. 1360 ; R.G.D.C., 2005, p. 168 ; Cass., 6 novem-bre 2002, Pas., 2003, avec conclusions de l'avocatgénéral Spreutels ; J.L.M.B., 2003, p. 808 ; J.T.,2003, p. 579 ; Bull. ass., 2003, p. 815 ; Cass.,25 janvier 2002, Pas., 2002, p. 240, citée inB. Dubuisson, V. Callewaert, B. De Coninck etG. Gathem, op. cit., p. 358.(114) A fortiori, en va-t-il également ainsi en cas defaute intentionnelle de la victime présentant un état

antérieur. Il est en effet admis qu'une telle faute in-tentionnelle, rompt le lien causal entre la faute ulté-rieure du responsable, et le dommage ; voy.B. Dubuisson, V. Callewaert, B. De Coninck etG. Gathem, op. cit., p. 361.

(115) Pas., 2007, I, p. 977, cité in B. Dubuisson,B. Callewaert, B. De Coninck et G. Gathem, op. cit.,p. 351.

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d'un comportement fautif imputable à lavictime ?

Isabelle Lutte le confirme lorsqu'elle envi-sage le principe de la contribution à ladette : « les personnes responsables, tou-tes coobligées, pourront le cas échéant serépartir entre elles la charge de l'indemnisa-tion de la victime. Il s'agit de la contributionà la dette entre les différents coobligés.Observons que la contribution à la dettepourra impliquer la victime si elle a elle-même adopté un comportement fautif ayantparticipé à la création de son dommage »(116).

Cet auteur poursuit cependant en indiquantque « si parmi les conditions nécessaires àla survenance du dommage, l'une d'entreelles ou certaines d'entre elles résultentd'un comportement ou d'un fait générateurd'une responsabilité objective, les autresconditions étant neutres, et dès lors n'étantla source d'aucun lien de droit, la victime esten droit de réclamer la réparation intégralede son dommage auprès du responsable.La réceptivité de la victime, qu'elle résulted'un état antérieur, ou d'une prédispositionpathologique, est un exemple de conditionneutre » (117).

Le professeur Fagnart ne dit pas autrechose : « lorsque le dommage a des causesmultiples, parmi lesquelles on trouve nonseulement l'accident mais aussi la récepti-vité de la victime, on doit admettre que lavictime n'a pas commis de faute en étanttelle qu'elle est : la réceptivité qui a pourconséquence le dommage qu'elle subitprend une ampleur anormale ne peut enpr inc ipe entraîner une réduct ion del'indemnité » (118).

Cet éminent auteur justifie d'ailleurs l'obliga-tion d'indemnisation de l'état antérieur etdes prédispositions pathologiques par leresponsable, notamment par le fait que « lavictime ne commet pas de faute en étanttelle qu'elle est ; la réceptivité ne peut doncen pr inc ipe ent ra îner une réduct iond'indemnité » (119).

On peut donc légitimement penser quedans l'hypothèse où cette réceptivité de lavictime est due à un comportement fautif desa part, et n'est donc plus une « conditionneutre », le raisonnement inverse s'impose.

Cette solution a déjà été retenue, dansl'hypothèse de prédispositions pathologi-ques, en 1976, par J. Thanh Nha Nguyen,qui metta i t en exergue la possib i l i té« d'exonérer partiellement le responsablede l'accident si la victime est responsablede ces prédispositions par ses excès anté-rieurs à assimilés à une faute » (120). Danscette hypothèse, « la faute de la victimeconsiste, en ayant créé l'état de pathologieprédisposant, à risquer d'aggraver anorma-lement les suites dommageables. La logi-que commanderait donc que les tribunauxprennent en considération la faute anté-rieure de la victime responsable de la créa-tion de son état pathologique et par suite,de l'aggravation des conséquences d'unaccident causé par un tiers, pour procéder àun partage de responsabilités entre la vic-time et le tiers responsable » (121).

La possibilité pour le responsable d'invo-quer un état antérieur résultant d'un com-portement fautif imputable à la victime ris-que d'entraîner de nombreuses difficultéspratiques, en créant un procès dans le pro-cès, dans le but non seulement d'établirl'état antérieur, mais également l'origine decelui-ci, et ce parfois de nombreusesannées plus tard.

L'avantage résultant d'une simplification desexpertises judiciaires et des procédures quien sont la suite sera donc loin d'être rencon-tré (122). Il ne pourra en effet être reprochéau responsable de tenter d'établir l'étatantérieur et son origine éventuellement fau-tive. Comme le relève le professeur Lucas,cela déboucherait « sur des anamnèses àcaractère inquisitorial et sur des jugementsde valeur ouvrant la porte à l'arbitraire »(123).

Un tel débat risquerait aussi d'entraînerd'autres débats particulièrement sensibles,

(116) I. Lutte, « État antérieur de la victime : essai desynthèse », op. cit., p. 41.(117) I. Lutte, op. cit., p. 41.(118) J.-L. Fagnart, La causalité, op. cit., p. 85 ; J.-L. Fagnart, op. cit., « L'état antérieur revisité par laCour de cassation », p. 84.(119) J.-L. Fagnart, La causaltié, op. cit., p. 285.

(120) J. Thanh Nha Nguyen, « L'influence des pré-dispositions de la victime sur l'obligation de répara-tion du défendeur à l'action en responsabilité »,R.T.D.C., 1976, p. 1. ; cité in P. Lucas, op. cit., p. 71.(121) J. Thanh Nha Nguyen, op. cit., p. 3.(122) P. Staquet op. cit. ; J.-L. Fagnart, « L'état anté-rieur revisité par la Cour de cassation », op. cit.,p. 85.(123) P. Lucas, op. cit., p. 72.

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à propos du caractère « fautif » d'états anté-rieurs tels que résultant de l'usage de pro-duits illicites, d'une addiction, spécifique-ment à l'alcool, à la cigarette, de l'obésité...

Ce n'est évidemment pas souhaitable, maisforcément inévitable, sauf à faire en sorteque le responsable n'ait pas à supporterl'état antérieur, quelle que soit son origine.

E. — Comparaison avec le système d'indemnisation en France

Le fondement de la matière est identique audroit belge : les articles 1382 et suivants duCode civil.

Les notions d'état antérieur et de prédispo-sitions pathologiques ont des définitionsproches. Il semble ainsi admis que l'étatantérieur constitue un antécédent médical,ou en d'autres termes une situation préala-blement dommageable à l'état fonctionneldu patient, tandis que la notion de prédispo-sition s'entend comme étant « un terrain àrisque » (124). L'état antérieur est égale-ment défini comme étant « toute affectationpathologique ou prédispositions connues ounon, congénitales ou acquises dont estatteint un individu au moment où survientl'accident » (125).

Si l'équivalence des conditions est applica-ble en droit français, il est pourtant admisqu'il y a lieu de déterminer l'incidence del'état antérieur au stade de l'indemnisationdu dommage. La Cour de cassation fran-çaise considère en effet qu'en droit com-mun, « les juges n'ont à tenir compte quede ce qui est la conséquence directe del'accident à l'exclusion de ce qui est imputa-ble à un état pathologique antérieur » (126).

La seule exception résulte du fait qu'il n'y alieu de déduire de l'indemnisation que l'étatantérieur, qui s'est déjà révélé, et qui estsource de préjudice pour la victime. End'autres termes, l'état antérieur qualifié delatent doit être indemnisé par le responsa-ble. « En effet, dès lors que l'affection qui enest issue n'a été révélée ou provoquée que

par le fait dommageable, la jurisprudenceconstante estime que le droit à la réparationde la victime est intégral. Ni un état anté-rieur précaire mais surmonté, ni une prédis-position latente ou la décompensation d'unétat pathologique préexistant ne doit êtrepr is en compte pour réduire le droit àl'indemnisation de la victime » (127) (128).

Ce raisonnement est même admis lorsqu'ilapparaît que le délai dans lequel la patholo-gie préexistante allait être décompensée,n'est pas établi avec certitude (129).

En d'autres termes, il est admis que lorsquel'état antérieur se limite à des prédisposi-tions sans manifestation externe, celles-cin'ont aucune incidence sur le droit à laréparation. Par contre, s'il est question d'unétat pathologique consolidé, ou d'une inca-pacité fonct ionnelle avant l 'accident,« l'expert évalue le taux d'incapacité impu-table à l'accident en tenant compte de lacapacité initiale (nécessairement réduite),et la capacité actuelle (plus réduite encore).

» Il ne s'agit pas alors d'une simple sous-traction afin que soit prise en compte lamodification de la nature du handicap. Il estalors possible de recourir aux formules tel-les que la formule de Gabrielli » (130).

Le responsable ayant indemnisé une vic-time peut donc se prévaloir de l'existenced'un état antérieur ou d'une prédisposition,afin de « minorer le taux de déficit fonction-nel qui sera retenu comme strictementimputable aux faits dommageables » (131).Ainsi, lorsque la victime présente un étatantérieur, « l'expert doit déterminer la partde l'incapacité définitive imputable aux faitsdommageables, tout en tenant compte duhandicap antérieur préexistant » (132).

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(124) Voy. notamment M. Bernard, « Imputabilité etétat antérieur », www.medecinelegale.word-press.com.(125) D. Daupelix, L'état antérieur.(126) Cass. fr., 29 janvier 1965, Bull. civil, 1965, IV,no 86, p. 65 ; Cass., 12 juin 1969, Bull. civil, 1969, II,no 204, p. 147 ; cité in M. Le Roy, J.-D. Le Roy etF. Bibal, L'évaluation du préjudice corporel, experti-ses, principes, indemnités, 19e éd. p. 30.

(127) Cass., 10 avril 1973, Bull. criminel, 1973,no 185, p. 446 ; Cass., 8 juillet 2010, Gaz. Pal., 19-21 décembre 2010, p. 37 ; M. Le Roy, J.-D. Le Royet F. Bibal, op. cit., p. 25.(128) Cass. civ., 28 février 1996 ; Cass. trib.,14 février 1996 ; Cass. crim., 30 janvier 2007, Bull.criminel, 2007, no 23 : l'imputabilité aux dommagescorporels doit être appréciée sans qu'il soit tenucompte des prédispositions de la victime dès lorsque celle-ci n'avait pas eu de conséquences préjudi-ciables au moment où s'est produit l'accident.(129) M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal, op. cit.,p. 25.(130) G. Mor, L'état antérieur de la victime : appré-ciation et divergences ; voy. infra.(131) M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal, op. cit.,no 30.(132) M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal, op. cit.,p. 22.

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Il convient alors de déterminer l'atteintefonctionnelle nouvelle qui se surajoute àl'état antérieur existant, laquelle doit êtreappréciée in concreto, en tenant compte del'état antérieur. La description de l'état de lavictime avant et après le fait dommageableest donc capitale.

Les auteurs précités identifient précisémentl'hypothèse d'une victime qui subit uneatteinte au bras gauche, alors qu'elle présen-tait des séquelles anciennes au bras droit ;dans une telle hypothèse, elle subit uneatteinte fonctionnelle globale plus importante.

En comparant ce système avec le droitbelge, cela revient en d'autres termes àimputer au deuxième fait générateur la priseen charge de l'état invalidant de l'état anté-rieur, mais pas l'indemnisation de cet étatantérieur en lui-même.

Il peut cependant être admis que « le faitdommageable n'a pas eu simplement poureffet d'aggraver une incapacité antérieuremais à transformer radicalement la naturede la validité, ce qui donne droit pour la vic-time à la réparation de la totalité de cetteinvalidité » (133). La Cour de cassationfrançaise a admis que l'on pouvait évaluer à100 % l'incapacité (économique) résultantpour la victime de la perte de son œil valide,dès lors que l'infirmité préexistante nel'empêchait pas d'exercer sa professiond'une façon régulière et que l'accident qui aentraîné la perte de l'œil valide était lacause directe de sa totale et définitive inap-titude à tout travail (134).

Pour calculer cette atteinte fonctionnellenouvelle, qui se surajoute à l'état antérieur,le droit français utilise différentes formules.Le recours à ces formules de calculs, s'il estadmis en droit du travail, ne s'imposecependant pas en droit commun. Il a ainsiété jugé à de nombreuses reprises que« les modes de calculs ne doivent pas êtreen principe utilisés en droit commun (135).

Le préjudice doit donc en droit commun êtreestimé in concreto. Il faut cependant cons-tater que le recours à ces formules est fré-quent, même en droit commun.

Nous en résumerons deux :1. Formule de Balthazar : la première lésionentraîne une incapacité de 40 %. La capa-cité restante est donc de 60 %.Une lésion B entraîne une incapacité de20 %. Cette lésion B entraîne une incapa-cité de 20 %, qui s'affecte aux 60 % res-tants, soit une incapacité liée à ce deuxièmefait générateur de 12 % (136) (137).2. Formule de Gabrielli. Cette formule esten principe utilisée pour les accidents detravail.Les spécialistes de l'évaluation du dom-mage corporel ont mis au point, de façonempirique, cette méthode qui leur a paru denature à permettre de mesurer de façonplus exacte les conséquences du fait dom-mageable et qui a d'ailleurs été, comme larègle de Balthazar, en quelque sorte homo-loguée par le barème annexé au décret du24 mai 1939 sur les accidents du travail.

Cette méthode est représentée par l'équa-tion suivante :I2 (taux d'incapacité résultant du fait dom-mageable) = (C1 [capacité avant l'accident]- C2 [capacité résiduelle]).

Supposons, par exemple, un blessé déjàatteint d'une invalidité de 25 % (C1 = 75).Un accident ultérieur porte cette invaliditépar application du barème à 65 % (C2 =35).

L'application de la formule de Gabrielli con-duit au résultat suivant : I2 = (75 - 35) : 75 =0,53.

Le taux d'incapacité imputable au secondaccident est fixé à 53 % (au lieu de 40 % sion avait procédé par simple soustraction)(138).

Selon nous, ce type de formule ne viole pasles principes retenus par la jurisprudencede la Cour de cassation. En effet, par le

(133) M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal citent à cetégard l'exemple auquel nous avons recours à plu-sieurs reprises : le borgne qui devient aveugle du faitde l'accident.(134) Cass., 19 juillet 1966, J.C.T., 1996, II,no 14902 et notes Meurisse ; Cass., 6 mai 1987,Bull. civil, 1987, II, no 10, p. 63 ; Cass.II, 13 juillet2006, Jurisdata no 2006-034695 ; M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal, op. cit., p. 22.(135) R. Meurisse, « L'évaluation de l'incapacitésuccessive et simultanée », J.C.T., 1960, I, p. 1549 ;M. Le Roy, J.-D. Le Roy et F. Bibal, op. cit., p. 23.

(136) V. Fleury, « Remarques sur les formules deBalthazar et de Gabrielli », J.C.T., 1968, I, p. 2177.(137) L'application des différents exemples de cetteformule de Gabrielli, voy. P. Lucas, op. cit., pp. 93 ets.(138) G. Viney et P. Jourdain, « Traité de droit civil :les effets de la responsabilité », 3e éd., pp. 307-308.J.-L. Fagnart, P. Lucas et E. Rixhon, « Prédisposi-tions et état antérieur », op. cit., p. 48.

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Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015)

État antérieur — F.10

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biais d'une telle formule, l'effet invalidant del'état antérieur est bien indemnisé, mais pasl'état antérieur en lui-même (139).

En synthèse, force est de constater qu'endroit français, si l'action invalidante de l'étatantérieur est indemnisée par le responsa-ble, l'état antérieur n'est quant à lui pasassumé par le responsable.

VII. — CONCLUSIONS

Elles ne sauraient être que provisoires.

Il est en effet patent que les questions relati-ves aux prédispositions pathologiques et àl'état antérieur alimentent de manière récur-rente l'évaluation et l'indemnisation du dom-mage.

Serait-ce le signe d'un « malaise » ?

Les médecins ont certes, grâce aux travauxpercutants du professeur Lucas, affiné ces

concepts et leurs contours, ce qui permetd'approcher une évaluation médicale adap-tée à la réalité de la victime expertisée.

Les juristes, sur la base de cette expertiseconforme à la mission telle qu'elle était pro-posée par le tableau indicatif, disposentd'un instrument de nature à déterminer lajuste indemnisation du dommage. Ils neperdront pas de vue les fondamentaux decelle-ci – soit tout mais rien que le dom-mage causé par l'accident et une réparationin concreto.

L'expertise médicale conservera donc toutson intérêt et son intensité dans un débatque les juristes mèneront au regard de cesdeux principes.

Et si finalement cet arrêt du 3 février 2011n'était qu'une « tempête dans un verred'eau » ?

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(139) Pour avis contraire, voy. J.-L. Fagnart, « L'étatantérieur revisité par la Cour de cassation », op. cit.,p. 75.

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