5

Click here to load reader

Les paradoxes de l’enseignement de l’architecture et du statut de l'enseignant chercheur architecte

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les paradoxes de l’enseignement de l’architecture et  du  statut de l'enseignant chercheur  architecte

1

1

Les Paradoxes de l’enseignement de l’architecture et du statut de l'enseignant

chercheur- architecte au Maroc

Mohamed Omrane Chaoui

Nos souhaits les plus positifs à travers cet article visent à sensibiliser l’administration en

charge de l’architecture à entreprendre une politique de professionnalisation de

l'enseignement de l’Architecture au moyen d’un statut d'enseignant chercheur digne des

valeurs que devra défendre toute profession ayant pour mission de former des architectes

de haut niveau, dotés d’un grand sens de responsabilité et engagés dans réalité

sociopolitique de leur pays pour la promotion du bien être social et la création d’un cadre

de vie de qualité .

Notre société connaît des réformes et subit des mutations. Et c'est parce que nous

croyons que l'architecture exprime è la fois une manière de vivre et la représentation

tangible de la culture d'une époque, que nous pensons que cet appel pour la révision

du statut de l'enseignant - chercheur en architecture, en adéquation, avec les nouvelles

missions des écoles d’architecture et le paysage universitaire, technique et scientifique

national et international, se pose avec acuité et revêt, aujourd'hui, une importance

capitale pour trouver une issue à une sortie de crise de l’enseignement de

l’architecture qui souffre, en parti, de ressources humaines appropriées en enseignants

de projet .

L’intérêt d’une telle révision, devenue incontournable, en regards des nouvelles

missions scientifiques et culturelles des écoles d’architecture, semble pour nous, une

excellente opportunité et une condition clé pour doter l'enseignement de l’architecture

au Maroc des conditions nécessaires à même de lui donner la place de choix et

l'importance qu'il mérite pour qu’il se hisse au niveau des normes internationales en

vigueur .

Mais pour cela, il faut se persuader d’abord de l'évidence que la formation à

l'architecture est un enseignement du supérieur et qu'elle constitue une discipline à part

entière, qui ne consiste pas à former uniquement et exclusivement des cadres

supérieurs à responsabilité professionnelle seulement.

On oublie trop souvent que l'enseignement de l’architecture n'est ni un sacerdoce, ni

une inspiration, encore moins un droit absolu que confèrerait la réussite

professionnelle dans la pratique du métier. L’enseignement de l’architecture, n’en

déplaise à certains, n’est pas le lieu de la reproduction du projet d’agence ou de vielles

recettes à la manière des écoles de la fin du 19iéme siècle, qualifiées à juste titre, d’écoles

formant au style pompier. Le déplacement de l’enseignement de l’architecture fondé

classiquement sur la rhétorique des styles ( cf. Chaoui , la rhétorique de composition,

thèse de doctorat en architecture : 1987) vers les questions problématiques liées à la

complexité des aspects techniques , programmatiques et éthiques de l’architecture

contemporaine ont engagé l’enseignement de l’architecture sur d’autres voies de

Page 2: Les paradoxes de l’enseignement de l’architecture et  du  statut de l'enseignant chercheur  architecte

2

2

transmission, de création, d’expérimentation et d’engagement dans quotidienneté de la

vie sociale qu’il convient de prendre désormais en compte. L'architecte ne se définissait

–il pas lui-même, en effet, depuis le mouvement viennois "Sécession" et le Bauhaus",

comme l'un des artisans des évolutions sociales ?

En effet, depuis la création des écoles modernes d’architecture en début du 20iéme siècle

en Allemagne et en Angleterre, l’enseignement de l’architecture est considéré comme un

métier à part entière. C'est un métier très exigent qui nécessite des compétences

précises : un esprit d’organisation et de méthode qui donne du sens à un socle de

connaissance et de savoir faire solide, nourri de surcroit, par l’expérience et des

référentiels théoriques et pratiques avérés. De fait, ces compétences renouvelés

constamment par devoir et modestie sont censés permettre à l’enseignant architecte

de pouvoir organiser et élaborer des enseignements dont le contenu est de nature

public, critiquable, ouvert au jugement et à transmettre un ensemble de connaissances

durables et de s'assurer qu'elles sont correctement assimilées.

Aussi pour illustrer ce principe de taille, et pour s’en tenir uniquement à l’apport du

mouvement moderne en architecture en rupture avec l’éclectisme du 19iéme , on a peut

être qu’à se rappeler de l’importance et signification du corpus théorique et pratique

élaboré par le Corbusier ( près de 50 publications à son actif ) pour formuler sa

doctrine rationaliste et qui refusait délibérément toute forme d’érudition pour placer

l’enseignement de l’architecture sous le signe heuristique de la méthode et non sur celui

de la manière ou de style qu’il fustigeait constamment. N’a t-il pas refusé lui-même, dans

le sillage de ce principe cardinal , de venir enseigner à l’école des beaux-arts, en signe

de protestation contre l’esprit des patrons , vestige archaïque des fameux ateliers de

l’école des beaux arts, suite à un appel d’un groupe d’étudiant adepte de sa doctrine ?

Si cette attitude de Le Corbusier, l’un des maitres fondateurs de l’architecture moderne

devait encore avoir un sens pour nous aujourd’hui, comment peut-on accepter que les

enseignants de projet d’architecture dans nos écoles puissent le faire sans ancrage

doctrinal ou théorique de leur enseignement ? Comment peut on stigmatiser alors cette

modernité de l’enseignement de l’architecture qu'il est si commode de critiquer mais

dont on cerne mal, encore aujourd'hui, les contours ?

En tout cas, il s’agit là nullement pour nous de faire l’apologie de telle ou telle démarche

d’architecte, mais pour rappeler tout un seulement un fait historique qui fonde de façon

paradigmatique l’enseignement de l’architecture contemporain , qu’il convient

d’analyser pour en titrer les conclusions qui s’imposent pour dépasser le paradoxe que

vit l’enseignement de l’architecture au Maroc. Un pan de l’histoire de l’architecture

moderne, riche en enseignement, qui nous renvoie inéluctablement vers certains acquis

développés dans le sillage des écrits d’ Adolph Loos , en passant par Le Corbusier,

Walter Gropius, Robert Mallet-Stevens ou Tony Garnier, jusqu’à Louis I Khan, Robert

Venturi , Aldo Rossi , ou plus récemment Rem koolhaas et Peter Eisenman , bref tous

Page 3: Les paradoxes de l’enseignement de l’architecture et  du  statut de l'enseignant chercheur  architecte

3

3

les architectes modernes ou contemporains qui ont fondé leur pratique sur une

démarche théorique, communicable et enseignable.

Aussi, sans trop s’attarder sur cet aspect, qui mérite , certes , un développement

particulier , nous sommes de ceux qui défendent vigoureusement l’idée que pour

pouvoir enseigner le projet d’architecture , on ne se présente pas devant les étudiants,

comme l’ affirmait, à juste titre, Bernard Huet, la main dans la poche, sous prétexte de

faire don de son talent ou de prétendre venir inculquer sa propre manière, pour

laisser les étudiants sous le charme ou pour les laisser dans l’à- peu près, sans qu'ils

puissent comprendre quelque chose dans les véritables problématiques projectuelles

et socioculturelles qu’ils sont cessés résoudre , dans un monde en constante mutation.

Aussi, pour relever le niveau scientifique et de rendre à l’architecture sa mission

scientifique, artistique, culturelle et sociale , les écoles d’architecture dans presque tous

les grands pays du monde ont été amenées à revendiquer une autonomie disciplinaire

dont le meilleur garant aura été, a côté, bien sûr, du bien fondé de l'instauration du

régime de Doctorat , la stabilité, la promotion et le renouvellement du corps

enseignant, par l'instauration d'un statut spécial du corps enseignant-chercheur-

architecte ; un statut qui puisse permettre à ceux qui en ont la compétence requise

d’avoir la possibilité de pratiquer le métier d’architecte , à temps partiel dans le cadre

de l’exercice libéral du métier.

L’intérêt de l'application des modalités de ce statut présente l'avantage de hisser le

niveau de formation dans les écoles, en procédant au recrutement du profil adapté et

de procéder, par ce truchement, à faire éviter aux écoles d’architecture tout éventuel

déséquilibre entre architectes dits vacataires et autres titulaires. Il présente également

l'avantage de rendre les écoles d’architecture plus attrayante pour les professionnels de

qualité, venus du privé et de lui donner la place qu'elle mérite dans l'animation

culturelle, la formation continue des architectes et la recherche scientifique et technique

qui, hélas, a du mal à voir le jour , compte tenu des limites de notre système

d’enseignement d’architecture au Maroc.

Les modalités que nous proposons pour ce nouveau statut sont déjà appliquées et

éprouvées dans tous les pays d'Europe et des USA et qui consistent à lier les écoles

d'architecture à leur tissu productif et à vivre en symbiose avec leur environnement

intellectuels, sociopolitique et universitaire, en éliminant les hiatus et les coupures tant

décriés entre théorie et pratique.

On peut comparer les modalités de cette proposition à la profession de la médecine

universitaire où la cohabitation entre le chercheur, l’enseignant et le professionnel est

résolue depuis longtemps.

Enseignement architectural et intégration professionnelle

Page 4: Les paradoxes de l’enseignement de l’architecture et  du  statut de l'enseignant chercheur  architecte

4

4

Sans trop s'attarder sur les raisons qui plaident pour le bien fondé de nos arguments, il

est à préciser que les modalités que nous proposons présentent plusieurs avantages, à

savoir :

Attirer les jeunes talents dans les carrières de l'enseignement et assurer la relève

du corps enseignant.

Garantir par le même truchement un recrutement de qualité pour les futures

écoles d'architecture publiques ou privés.

Garantir que l'enseignement dispensé par les titulaires soit nourri par

l'expérience et les réalités du monde productif et de la recherche.

Assurer et pérenniser la professionnalisation de l’enseignement de

l’architecture, ce qui est un des objectifs majeurs de la loi 01.00 et de la charte

nationale de l’éducation et de formation.

Permettre la création de véritables débats théoriques dans les écoles et dans la

profession, tant il est vrai qu’une profession sans ancrage universitaire n'a guère

l'opportunité de se positionner sur le plan théorique et que des universitaires

sans intérêt reconnu dans le monde professionnel ont peu de chance de

rencontrer les problèmes de la réalité sur lesquels ils sont sensés réfléchir.

Mais, au delà du nouveau statut d’enseignant qui devra avoir pour effet d'attirer les

meilleurs professionnels dans l'enseignement de l’architecture et de stabiliser le corps

enseignant au bénéfice de la réflexion, la recherche et de la formation, c'est bien la

question de l'identité disciplinaire et du contenu de l’enseignement de l’architecture qui

est posé.

La vocation d'une école d'architecture doit être pensée aujourd'hui en termes beaucoup

plus larges, différente de la conception classique, d'autant plus que l'architecture est

devenue de nos jours, un domaine de savoir expert qui dépasse les limites du cadre

professionnel de l’exercice libéral stricto sensu.

La refonte de l’enseignement de l’architecture selon un schéma à mi chemin entre le

model professionnel et le model universitaire, devra avoir pour principal effet de

transformer ou réaménager les missions des écoles d’architecture. De ce fait, elles

devront non seulement former des professionnels du projet, mais aussi plus

généralement à ouvrir les étudiants aux champs intellectuel et culturel de l'architecture,

que leurs intérêts ultérieurs peuvent éventuellement orienter ou entraîner, par la suite,

vers la recherche et l’enseignement.

Dans cette perspective, il est à mentionner que la réflexion sur le noyau de

l’enseignement ne peut-être dissociée de la prise en compte de ce qui a été le moteur

essentiel du renouveau des écoles d'architecture de par le monde, à savoir

l’intellectualisation de la formation et la promotion de la recherche post-diplôme.

Cette nouvelle donne a permis l’émergence d'attitudes ouvertes et critiques vis-à-vis

des champs de savoir éclairant directement ou indirectement l’enseignement du projet.

Page 5: Les paradoxes de l’enseignement de l’architecture et  du  statut de l'enseignant chercheur  architecte

5

5

Elle a rendu droit de cité de l'architecture dans la communauté scientifique et elle a

aussi permis le renouvellement des problématiques de projet, grâce à l'observation de

l'espace, la réflexion sur les ressources historiques du métier et les nouvelles

problématiques contemporaines de domiciliation.

Les architectes enseignants - chercheurs sont ainsi devenus en tant que tels des

interlocuteurs recevables, pour le grand bénéfice non seulement de la pensée du

projet et la recherche opérationnelle, mois aussi du stock des connaissances

globales sur la société.

On peut donc affirmer par là que la formation de ces spécialistes intellectuels de

l’architecture et de l'urbanisme est aussi une mission des écoles. Elle nécessite la mise

en place de filières se distinguant progressivement des filières généralistes de projet,

aboutissant à cet instrument conventionnel de la production et de l'expertise

intellectuelle : le Doctorat.

Loin d'être une menace sur la pensée opérationnelle du projet, le Doctorat en

architecture est devenu depuis des décennies l'un des meilleurs régulateurs de cette

sphère de la culture architecturale. N'oublions pas à ce propos que les premières thèses

en architecture furent soutenues à Berlin avant 1914 et que plusieurs centaines d'entre

elles ont été terminées bien avant les années 60. Il devient désormais possible grâce aux

nouvelles formations : Master recherche, filières de spécialisation et Doctorat, dont

l'écho international est déjà évident, d'envisager des formations similaires dans les

champs d'architecture et de l'urbanisme au Maroc.

Nous restons convaincus que c'est bien de ce creuset que sortiront les livres, les idées

renouvelant la pensée du projet, ainsi que les futurs enseignants - chercheurs. Sans cette

action, le projet du statut des enseignants - chercheurs n'aurait aucun sens. C'est de ce

creuset, également, que sortiront les départements ou l'existence selon les cas des

chaires, des filières de spécialisation et de recherche, des pôles de compétences et des

centres de recherche dotés de véritables moyens humains et financiers.

Sans ces réaménagements de fond, nous restons persuadés que l'enseignement de

l’architecture ne prétendra jamais de se hisser pas au niveau de sa véritable mission

de rayonnement technique, culturel et scientifique national et international recherchée.

Tels sont donc, a notre avis, les quelques moyens et arguments qui plaident,

aujourd'hui, pour l'intérêt et l'urgence pour une révision du statut de l'enseignant

chercheur- architecte pouvant garantir à l’enseignement de l'architecture sa

pérennité et son adaptation au paysage universitaire national et international. Les

retombées d'une telle révision profiteront certainement à une profession sinistrée

par ses inadaptations et conflits internes trouvant leurs sources dans la formation.

Pr. Mohamed Omrane Chaoui , Architecte et critique d’architecture

Rabat le 15/02/2013