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LES QUALITÉS PHYSIQUES ENTRE 6 ET 14 ANS PAR R. MANNO Après avoir proposé une réflexion sur les qualités physiques de force, vitesse et sou- plesse, dans le n° 246, l'auteur traite dans cette deuxième partie, de l'endurance aéro- bie et anaérobie. 2 e PARTIE L'ENDURANCE AÉROBIE L'endurance aérobie peut être définie comme la capacité de s'opposer à la fatigue dans des efforts de longue durée. Différents facteurs physiolo- giques, volitifs ainsi que coordinatifs concourent à son développement. Elle se caractérise par une économie maximale des fonctions organiques. Quelques auteurs(1) ont proposé récemment une nouvelle classification qui modifie légèrement celle que l'on connaissait jusqu'ici . Endurance : - à la vitesse (de 8-10 sec. à 45 sec), - de brève durée (de 45 sec. à 2 mn.), - de durée moyenne (de 2 à 10 mn.), - de longue durée de type I (de 10 à 35 mn), - de longue durée de type II (de 35 à 90 mn), - de longue durée de type III (90 mn et plus). Cette classification permet d'identifier trois types d'endurance de longue durée selon le rôle que jouent les lipides dans la production d'éner- gie (fig. 1 ). Une autre classification des types d'endurance est celle qui se fonde sur le nombre de secteurs corporels impliqués. On définit ainsi comme exercice d'endurance locale, ceux qui mettent en jeu moins d'un tiers de la masse totale du corps, et comme exercice d'endurance générale, ceux qui mobilisent plus des deux-tiers de cette niasse. Même si les aspects psychologiques (motiva- tionnels. émotionnels, etc.) ont un rôle important dans la détermination de l'endurance, celui des composantes biologiques doit être considéré comme déterminant. C'est ainsi que les travaux publiés dans ce domaine ont mis en évidence un certain nombre de paramètres dont le niveau de corrélation avec la résistance au travail de l'hom- me est très élevé : la consommation maximale d'oxygène (VO 2 max.). l'accumulation d'acide lactique et le temps mis pour l'éliminer, ainsi que la fréquence cardiaque maximale. De tous ces paramètres, celui qui conditionne le plus les capacités aérobies d'un sujet est VO 2 max., dont dépend le rendement dans les épreuves de longue durée. Jusqu'à 10-11 ans. il n'y a pas de différence significative entre garçon et fille pour la consom- mation maximale d'oxygène, exprimée par réfé- rence au poids corporel (ml/kg/mn), et les valeurs constatées à cet âge sont parmi les plus élevées susceptibles d'être atteintes dans le COU- PHOTOS : AGENCE SAM / J.-C. BUGUIN EPS N° 249 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1994 31 Revue EP.S n°249 Septembre-Octobre 1994 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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LES QUALITÉS PHYSIQUES ENTRE 6 ET 14 ANS

PAR R. MANNO

Après avoir proposé une réflexion sur les qualités physiques de force, vitesse et sou­plesse, dans le n° 246, l'auteur traite dans cette deuxième partie, de l'endurance aéro­bie et anaérobie.

2 e PARTIE

L'ENDURANCE AÉROBIE

L'endurance aérobie peut être définie comme la capacité de s'opposer à la fatigue dans des efforts de longue durée. Différents facteurs physiolo­giques, volitifs ainsi que coordinatifs concourent à son développement. Elle se caractérise par une économie maximale des fonctions organiques. Quelques auteurs (1 ) ont proposé récemment une nouvelle classification qui modifie légèrement celle que l'on connaissait jusqu'ici . Endurance : - à la vitesse (de 8-10 sec. à 45 sec), - de brève durée (de 45 sec. à 2 mn.), - de durée moyenne (de 2 à 10 mn.), - de longue durée de type I (de 10 à 35 mn), - de longue durée de type II (de 35 à 90 mn), - de longue durée de type III (90 mn et plus). Cette classification permet d'identifier trois types d'endurance de longue durée selon le rôle que jouent les lipides dans la production d'éner­gie (fig. 1 ). Une autre classification des types d'endurance est celle qui se fonde sur le nombre de secteurs corporels impliqués. On définit ainsi comme exercice d'endurance locale, ceux qui mettent en jeu moins d'un tiers de la masse totale du corps, et comme exercice d'endurance générale, ceux qui mobilisent plus des deux-tiers de cette niasse. Même si les aspects psychologiques (motiva-tionnels. émotionnels, etc.) ont un rôle important dans la détermination de l'endurance, celui des composantes biologiques doit être considéré comme déterminant. C'est ainsi que les travaux publiés dans ce domaine ont mis en évidence un certain nombre de paramètres dont le niveau de corrélation avec la résistance au travail de l'hom­me est très élevé : la consommation maximale d'oxygène (VO2 max.). l'accumulation d'acide lactique et le temps mis pour l'éliminer, ainsi que la fréquence cardiaque maximale. De tous ces paramètres, celui qui conditionne le plus les capacités aérobies d'un sujet est VO2 max., dont dépend le rendement dans les épreuves de longue durée. Jusqu'à 10-11 ans. il n'y a pas de différence significative entre garçon et fille pour la consom­mation maximale d'oxygène, exprimée par réfé­rence au poids corporel (ml/kg/mn), et les valeurs constatées à cet âge sont parmi les plus élevées susceptibles d'être atteintes dans le COU-P

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rant de la vie. Elles s'abaissent légèrement ensui­te, à partir de la 12e année (fig. 2). Il convient de noter que chez les sujets non entraînés, la consommation maximale d'oxygè­ne ne progresse plus au-delà de la 20e année, alors que chez les sportifs entraînés, elle peut encore augmenter de façon significative (fig. 3). Chez les sujets très jeunes, l'adaptation à la char­ge se fait avant tout par une augmentation de la fréquence cardiaque plutôt que du débit. Toute­fois, selon les auteurs allemands ( 1 ), la réponse adaptative chez les enfants entraînés est en tous points semblable à celle des adultes, notamment dans la dernière phase de la puberté. L'efficacité mécanique de la course augmente en même temps que l'âge, avec un progrès notable entre 8 et 12 ans. de la même façon que pour la marche (fig. 4). Cette tendance peut être influencée par l'entraî­nement, notamment parce que le perfectionne­ment technique se traduit par un meilleur contrô­le moteur (élimination des actions motrices superflues). Entre la 11e et 12e année, cette dyna­mique évolue parallèlement à celle de la coordi­nation motrice, ce qui signifie qu'à cet âge. la diminution de la dépense énergétique - à travail égal - peut être attribuée à une amélioration de la coordination. Lorsque les enfants sont soumis à une même charge, l'intensité de la réponse phy­siologique diminue progressivement, alors que la puissance produite pour une même intensité d'engagement augmente avec l'âge. Il faut enfin souligner que les enfants éprouvent une plus grande difficulté à accomplir un travail continu dans les climats chauds, et que cette difficulté augmente avec la durée de la prestation.

1. Classification des différentes formes d'endurance (Peters et al, 1980 ; RDA, 1984).

3. Valeurs de VO2 max. chez des sujets entraînés et non entraînés.

2. Valeurs de la consommation maximale d'oxygène rapportée au poids corporel (Cerretelli, 1986).

4. Évolution de la fréquence cardiaque en fonction de la charge chez les adultes et les jeunes (Pahlke, 1980).

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Évolution de l'endurance aérobie au cours du jeune âge Au cours des premières années de sa vie. l'enfant ne manifeste aucune aptitude à résister à des tra­vaux prolonges et cycliques. Cela est dû à la fai­blesse de sa coordination motrice, qui entraîne une importante dispersion d'énergie et de fatigue (2). De 4 à 7 ans. l'amélioration de la précision et de la coordination motrice l'ail que ses gestes deviennent plus économiques et donc moins tau gants. C'est alors que devient possible l'exécu­tion d'efforts plus longs. De récentes recherches (3) ont prouvé qu'un entraînement systématique entre 3 et 5 ans conduit à des progrès de rende­ment notables, allant jusqu'à 80 % chez les gar­çons et 50 % chez les filles. Mais il est évident que les dispositions psychologiques propres à cet âge excluent des efforts de ce type : malgré tout, les résultats de ces recherches ont au moins le mérite de révéler l'ampleur des capacités d'adap­tation de l'organisme, même à des âges précoces. Chez les fillettes, non entraînées, le développe­ment de la résistance étudié d'après différents tests de terrain progresse jusqu'à la 12e année, puis marque une phase de stagnation pour régresser légèrement ensuite : à vitesse égale, le pourcentage de VO2 max. s'abaisse chez les enfants (fig. 5 et 6). Cette régression semble être due à l'apparition des premières menstruations, avec l'augmentation importante du poids qui en résulte et fragilise le rapport force/poids. Les auteurs sont unanimes à signaler que la phase de stagnation intervient beaucoup plus tôt chez les tilles que chez les garçons non entraînés. Par la suite, cet écart s'accentue et sera à l'origine des différences notables que l'on retrouvera à l'âge adulte.

L'ENDURANCE ANAÉROBIE

Chez les enfants, les jeunes gens et les jeunes filles, l'endurance anaérobie est un domaine de performance particulièrement délicat. Il est bien connu que. pour un même pourcentage de consommation maximale d'oxygène, le lactate musculaire qui s'accumule dans le sang est plus bas chez l'enfant que chez l'adulte, et la vitesse de mise en jeu des processus aérobics plus élevée (4). ce qui semble dû à un métabolisme anaéro­bie différent. Les recherches sur le métabolisme anaérobie sont, du reste, beaucoup moins nom­breuses que celles sur le métabolisme aérobie.

Des expériences d'évaluation (5) ont permis d'identifier trois catégories de prestations anaé-robies : de brèves durée (10 sec.), de durée moyenne (de 20 à 50 sec.) et de longue durée (de 60 à 90 sec). L'aptitude anaérobie. à la différen­ce des aptitudes aérobies semble étroitement liée à la masse musculaire, de même qu'à d'autres facteurs, tels que l'architecture muscu­laire, la composition des fibres, la disponibilité des substrats, l'accumulation des métabolites (acide lactique), les cycles métaboliques et leurs niveaux d'activité. Même l'efficacité des sys­tèmes de transport de l'oxygène joue un rôle dans l'aptitude anaérobie. surtout lorsque la durée de cette prestation se prolonge. La crois­sance somatique ne modifie pas significative-

ment la disponibilité des substrats, en particulier de l'ATP. En effet, si à la naissance la concen­tration d'ATP est inférieure de 30% à celle de l'adulte, cet écart se trouve comblé avant même la puberté, où. sous ce rapport, il n'existe plus de différence entre l'enfant et l'adulte. L'écart entre les deux sexes se réduit au fur et à mesure que l'on passe des prestations de brève durée - où il atteint jusqu'à 40 % en faveur des garçons - aux prestations intermédiaires et à celles de longue durée, comme c'est le cas pour la force (fig.7). Cette différence s'accentue lorsqu'elle est expri­mée en j/kg et baisse fortement dans les presta­tions anaéro-aérohies transitoires, où les filles atteignent un plateau dès l'âge de 11 ans. alors que les garçons voient leur développement se

5. L'économie de la course augmente avec l'âge (Rowland, 1989).

6. évolution de l'endurance aérobie sur 800 m chez des enfants des deux sexes.

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poursuivre jusqu'à l'âge de 17 ans. Les diffé­rences entre entants et adultes - qui peinent être néanmoins diminuées par l'entraînement (6) -paraissent liées à une carence de PFK. enzyme de la glycolyse anaérobie. La concentration de lactate semble en corrélation avec la concentra­tion de testostérone dans la salive (r = 0.39) (7).

ÉVOLUTION DES APTITUDES PSYCHOMOTRICES

La distinction entre aptitudes psychomotrices et aptitudes physiques se retrouve même dans leur évolution différenciée au moment de la puberté. C'est ainsi que les premières nommées vont se développer rapidement pendant la période pré-ptibertaire. alors que le développement des secondes ne commencera qu'au moment de la puberté, et se poursuivra jusqu'à la maturité complète de l'athlète-adulte. Du quatrième au douzième mois de sa vie. l'in­dividu ne réalise qu'un nombre limité de mouve­ments coordonnés qui sont des formes motrices propres à son espèce. Les premiers mouvements importants pour la motricité sportive sont la pré­hension, les progressions à quatre pattes, puis la position debout, la marche et l'incorporation à celle-ci de phases de suspension qui le condui­ront à la course.

Puis, peu à peu, ces activités vont évoluer et se combiner dans les différentes formes fondamen­tales de mouvement. La structuration de la motricité reflète le déve­loppement et la maturation du système régulatif par excellence que constitue le système nerveux central. C'est celui-ci qui permet un contrôle efficace des mouvements et. à partir de là, le développement de la coordination. Dans la pha­se qui suit immédiatement la naissance, le déve­loppement est presque automatique et guidé par le processus de croissance. Par la suite, les expé­riences motrices réalisées à travers des situa-tions-stimuli, puis la pratique systématique d'une activité motrice de base, auront une influence grandissante sur le développement des capacités motrices du sujet. Les aptitudes psychomotrices qui, nous l'avons vu, constituent le présupposé du développement des techniques sportives à partir des expériences motrices et de la maturation physiologique, vont rendre possible des formes et des combinaisons toujours plus complexes de mouvements ou d'habiletés.

C'est entre la 6e et la 11e année que les aptitudes psychomotrices (paramètres coordinatifs et régulateurs) se développeront le plus, ce dont profitera le mouvement au cours des phases qui suivront. C'est au moment où elles cesseront de se perfectionner que le sujet aura atteint ses capa­cités maximales d'apprentissage moteur, indé­pendamment de l'influence évidente que pour­ront avoir sur cet apprentissage même, la métho­de, les aptitudes physiques, le climat affectif et le niveau intellectuel de l'athlète. L'évolution des paramètres montre que l'écart entre les deux sexes demeure limité. 11 n'en va pas de même, par contre. pour les aptitudes physiques, où la précocité de développement que l'on constate régulièrement chez les femmes ne se retrouve pas dans les aptitudes psychomotrices.

CONCLUSION

La connaissance de l'évolution motrice permet d'établir des programmes de travail au cours de la formation sportive, en fonction du développe­ment des capacités de l'enfant, en lui proposant des tâches motrices et des charges physiques plus appropriées. Si en plus la modélisation des phases sensibles est opérationnelle, comme on le croit, on peut adapter la meilleure charge au meilleur moment, avec les meilleurs résultats au plan biologique et par conséquent une répercus­sion au niveau des performances, avec un renfor­cement de la motivation pour l'activité sportive.

Renato Manno Professeur de sport.

Directeur du département de la formation à l'École Centrale du Sport du CONI.

Références bibliographiques : ( I ) « Ausdauerbeistungs Jachig Keiten (Volk und Wissen, 1980 ». ouvrage collectif. (2) Nemessuri H. « Funktionelle Sportanatomie », Akadé-miai Kiado. (3) Frolov V., et al., « Experimentalle Untersuchingen zum Entwicklungzustand der Laufausdauer » in Theorie und praxis des Körper Kultur. n°10, 1976, pp 771-772. (4) Malina R., Bouchard C. « Growth, maturation and phy­sical activity », Human kinetie publishers Illinois, 1991. (5) Mac Dougall, Wenger et Green : « Physiologieal testing of the high performance athletes ». Human kinetic publi­shers. Illinois, 1991. (6) Eriksson B-O., et al. : « Muscle metabolism and enzy­me activities after training in boys 11-13 years old » in Acta physiologica scandinavica, 1987. pp 485-497. (7) Fellmann et al. « interrelalionships between pitiluary adrenal hormones and cathecolamines during a 6 days nor-dic ski race » in European journal applied of phvsiology, 1988. 64. 1382-1386.

Renato Manno est également : - biologiste. - professeur à l'école de spécialisation en médecine du sport de l'université catholique de Rome. - professeur à l'école de médecine physique et de réhabilitation de l'université romaine de Torvergata.

Il est l'auteur de : - Entraînement de la force (1980). - Méthodologie de l'entraînement des jeunes (1982). - Aspects de la théorie de l'entraînement, en collabo­ration avec la fédération italienne de natation (1983). - Les bases de l'entraînement sportif, éd. Revue EP.S. 1992.

7. Modifications de la quantité totale de travail au cours d'un test d'effort maxi­mal sur bicyclette ergométrique ; étude transversale effectuée sur un échantillon d'enfants canadiens des deux sexes (Bouchard et Simoneau) ; chiffres non communiqués.

8. Souplesse moyenne de la région lombaire et de la hanche mesurée au moyen du test « sit and reach* », *test « sit and reach » : assis au sol, jambes tendues ; toucher la pointe des pieds avec les mains, Test sur des sujets de 5 à 18 ans, d'après une étude longitudinale effectuée sur deux groupes d'enfants (5 à 10 et 8 à 14 ans) au centre d'étude de la performance motrice de l'université du Michighan (Branta et al., 1984) et sur un groupe d'enfants belges de 13 à 18 ans (Beunen et Simons, 1990) ; pour ces derniers, il s'agissait d'une étude lon­gitudinale avec les garçons et d'une étude tranversale avec les filles.

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